La rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques, in :...

27
83 Dans la philosophie de la nature qui deviendra après Newton une science de la nature, la perspective statique, appelée ontologie, fut depuis les présocratiques en concurrence avec une perspective dynamique, le fleuve perpétuel d’Héraclite. * Je remercie Jean-Michel Fortis pour ses commentaires et corrections du manuscrit. LA RIVALITÉ HISTORIQUE ENTRE UNE MODÉLISATION STATIQUE ET DYNAMIQUE DES FAITS LINGUISTIQUES* Wolfgang Wildgen RéSUMé : Le structuralisme linguistique et plus tard les modèles de Chomsky ont favorisé une modélisation surtout logiciste et par le fait même statique. Un résumé critique de cette approche ouvre le débat. À la suite de propositions faites par le mathématicien René Thom, un petit nombre de linguistes et sémioticiens ont élaboré une stratégie nouvelle pour la recherche des principes de la morphogenèse et de l’évolution des structures linguistiques. Pour faciliter une comparaison de la stratégie statique (logique, ensembliste) et de la stratégie dynamique (catastrophiste, synergétique) quelques résultats de la modélisation dynamique sont résumés : la morphogenèse d’un système de voyelles, les configurations d’attracteurs dans le nœud verbal de la phrase (l’actance) et les schémas de force dans la promesse. Au-delà d’une grammaire catastrophiste, la modélisation de l’énonciation fait apparaître une dynamique de coordination. Enfin, la composition sémantique demande un contrôle du chaos au sein des groupes neuronaux en interaction (synchronie). Cette comparaison méthodologique mène à une réflexion sur la relation entre mathématique et linguistique en mettant en relief trois façons de voir cette relation. En conclusion la « controverse des catastrophes » des années 1978, les réactions de Zeeman et Thom et les conséquences pour une méthodologie de la linguistique dynamique sont discutées. ABSTRACT :Linguistic structuralism and later generative grammars were mainly concerned with static (logic- or algebra-based) models. A critical overview of theses developments is given in the first section. Starting from proposals made by René Thom, a small group of linguists and semioticians developed a new strategy to search for morphogenetic principles and mechanisms of self-organization in language. In order to allow a methodological comparison of static (logical, set-theoretical) with dynamical (catastrophist) models, major achievements of dynamical models are summarized: the morphogenesis of vowel systems, configurations of attractors in verbal semantics (valence) and force schemata in a speech act (promise). Beyond a dynamical grammar (based on catastrophe theory), discourse and verbal interactions lead to the question of coordination and its stability. Finally the basic problem of neurodynamic synchrony in compositional semantics asks for chaos control. Our methodological comparison of both strategies leads to a reflection on fundamental relations between mathematics and linguistics. Three different perspectives are distinguished. By way of conclusion, the 1978 “controversy on catastrophes” and its consequences (drawn differently by Thom and Zeeman) highlight aspects of this relation.

Transcript of La rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques, in :...

83

Dans la philosophie de la nature qui deviendra après Newton une science de la nature, la perspective statique, appelée ontologie, fut depuis les présocratiques en concurrence avec une perspective dynamique, le fleuve perpétuel d’Héraclite.

* Je remercie Jean-Michel Fortis pour ses commentaires et corrections du manuscrit.

la riValité historique entre une Modélisation statique et dYnaMique des faits linguistiques*

Wolfgang Wildgen

résumé : Le structuralisme linguistique et plus tard les modèles de Chomsky ont favorisé une modélisation surtout logiciste et par le fait même statique. Un résumé critique de cette approche ouvre le débat. À la suite de propositions faites par le mathématicien René Thom, un petit nombre de linguistes et sémioticiens ont élaboré une stratégie nouvelle pour la recherche des principes de la morphogenèse et de l’évolution des structures linguistiques. Pour faciliter une comparaison de la stratégie statique (logique, ensembliste) et de la stratégie dynamique (catastrophiste, synergétique) quelques résultats de la modélisation dynamique sont résumés : la morphogenèse d’un système de voyelles, les configurations d’attracteurs dans le nœud verbal de la phrase (l’actance) et les schémas de force dans la promesse. Au-delà d’une grammaire catastrophiste, la modélisation de l’énonciation fait apparaître une dynamique de coordination. Enfin, la composition sémantique demande un contrôle du chaos au sein des groupes neuronaux en interaction (synchronie). Cette comparaison méthodologique mène à une réflexion sur la relation entre mathématique et linguistique en mettant en relief trois façons de voir cette relation. En conclusion la « controverse des catastrophes » des années 1978, les réactions de Zeeman et Thom et les conséquences pour une méthodologie de la linguistique dynamique sont discutées.

abstract :Linguistic structuralism and later generative grammars were mainly concerned with static (logic- or algebra-based) models. A critical overview of theses developments is given in the first section. Starting from proposals made by René Thom, a small group of linguists and semioticians developed a new strategy to search for morphogenetic principles and mechanisms of self-organization in language. In order to allow a methodological comparison of static (logical, set-theoretical) with dynamical (catastrophist) models, major achievements of dynamical models are summarized: the morphogenesis of vowel systems, configurations of attractors in verbal semantics (valence) and force schemata in a speech act (promise). Beyond a dynamical grammar (based on catastrophe theory), discourse and verbal interactions lead to the question of coordination and its stability. Finally the basic problem of neurodynamic synchrony in compositional semantics asks for chaos control. Our methodological comparison of both strategies leads to a reflection on fundamental relations between mathematics and linguistics. Three different perspectives are distinguished. By way of conclusion, the 1978 “controversy on catastrophes” and its consequences (drawn differently by Thom and Zeeman) highlight aspects of this relation.

84

Comment penser ce qui change sans arrêt, un monde qui est en création (et en déclin) à tout moment ? Peut-on trouver une loi dans l’évolution, le devenir, le développement, une loi que Héraclite appelle le « logos » ? Dans la vie pratique la question se pose de façon très immédiate : Peut-on contrôler la vie dans quelques heures, jours, années et ainsi échapper à un avenir dangereux, menaçant ? Peut-on éviter les catastrophes qui sont omniprésentes ? Au lieu d’envisager les catastrophes futures, le penseur peut pourtant postuler un monde stable, éternel. Les changements évidents peuvent être considérés comme des fluctuations sans règle, dues au hasard. Comme celles-ci sont a priori incompréhensibles, il suffirait de saisir le noyau stable, quasiment l’âme du monde, le concept fondateur d’un créateur. Au lieu de poursuivre les conséquences éthiques et religieuses de ces deux perspectives, nous allons d’abord envisager les mathématiques qui correspondent à ces visées du monde.

L’atomisme de Démocrite postule des substances ou corpuscules indivisibles, les atomes qui se combinent au hasard. Une vision plus constructive est proposée par Platon (à la suite de l’école pythagoricienne) dans le Timée. Le monde est composé des quatre éléments : terre, eau, air, feu, qui ont la forme de polyèdres réguliers (avec l’icosaèdre comme forme totale de l’univers). Les polyèdres sont construits à partir des polygones réguliers (le triangle équilatéral, le carré, le pentagone). Cette ontologie contient déjà une dynamique. Ainsi le cube s’inscrit dans l’octoèdre ad infinitum et le tétraèdre s’inscrit (se circonscrit) dans lui-même. Un monde infini dans les deux directions, du plus petit au plus grand, se construit et se déconstruit à partir d’une loi géométrique. Cet inventaire minimal peut facilement être augmenté, si l’on introduit les polyèdres semi-réguliers (d’Archimède) ou étoilés (de Kepler ; voir Joly, 1979). Le pavage de Penrose et les quasicristaux sont la contrepartie moderne de ce projet théorique (Penrose, 1989, p. 562-568).

Kepler après 1600, en calculant la trajectoire de la planète Mars, découvre les équations qui portent son nom. Ses calculs le conduisent à remplacer le cercle (donc un objet géométrique à la symétrie parfaite et considéré comme éternel) par l’ellipse et une vitesse constante par une vitesse variable de la planète dans son orbite. Ce faisant, il met fin à la géométrie statique et au mouvement constant qui prévalaient dans la cosmologie grecque. Newton proposera à la fin du 17e s. une nouvelle cosmologie fondée sur les lois de la cinématique et de la dynamique.

Cette esquisse de l’interaction entre mathématique (géométrie et algèbre naissante) et philosophie de la nature nous servira d’arrière-plan pour discuter la relation entre mathématique et grammaire/ linguistique. Pour les grammairiens de l’Antiquité et du Moyen-Age la langue était vue selon le modèle des langues classiques (le grec, le latin) et donc comme un univers statique gouverné par des règles immuables, quasiment parallèle à la cosmologie aristotélicienne.1 Ce n’est qu’au 15e et 16e s., lorsque les langues modernes (l’italien, l’espagnol, le français, l’allemand etc.) commencèrent à remplacer le latin, que la diversité et l’instabilité des langues devint évidente. Avec la découverte du Nouveau

1 Aux Indes le grammairien Panini (4e ou 5e s. av. J.C.) a résumé les connaissances sur la langue sanskrite dans 4000 règles. Cette œuvre fut la source principale non seulement pour l’enseignement du sanskrit aux Indes mais aussi pour les recherches comparatives qui eurent leur apogée au début du 19e s. Elle servit aussi de modèle d’exactitude pour le structuralisme américain chez Bloomfield ; voir Hockett (1970, B 26, 35).

wolfgang wildgen

85

Monde, non seulement des sociétés très différentes mais aussi des langues aux catégories incompatibles avec celles du latin et du grec apparurent. La pédanterie des grammairiens, ridiculisée par Bruno au 16e s. (dans sa comédie Chandelier, Bruno 1993), et la sur-valorisation des langues classiques a pu longtemps ignorer cet océan de connaissances nouvelles. Au 20e s. les linguistes et les ethnologues américains tels que Boas, Sapir et Whorf durent accepter la relativité des catégories et règles grammaticales. Cette transition vers une linguistique qui prend au sérieux la diversité et la variabilité des langues fut préparée au 19e s. par Humboldt et par les recherches sur les langues créoles de Schuchardt (1842-1927, voir Schuchardt, 1980). La sociolinguistique (voir les travaux de Labov à partir de 1963) a su établir la conscience de la variabilité (et donc de l’instabilité) des systèmes linguistiques contre les courants idéalistes de Saussure, Hjelmslev et Chomsky (ce qu’on appelle couramment le structuralisme). La situation épistémologique ne se réduit pourtant guère à l’opposition statique/dynamique et ceci peut être montré en considérant l’emploi des mathématiques dans le contexte de l’histoire des théories et modèles linguistiques.

1 mathématique et grammaire au cours de l’histoire de la linguistique

L’historiographie de la grammaire met au jour un mouvement vers la concision, la précision et la systématicité, qui fait de la grammaire une sœur des mathématiques. Ainsi la grammaire indienne a connu avec Panini un auteur qui organisait les règles de sa grammaire du Sanskrit dans le but d’en faire un système où tout se tient, qui contient tous les détails et leur donne un ordre parfait. Bloomfield qui avait lui-même en 1926 proposé une axiomatisation de la terminologie linguistique2 reconnaît dans cette grammaire non seulement la base nécessaire des succès de la linguistique comparative du 19e s., il y voit même l’idéal que les grammaires modernes devront suivre.

La grammaire de Port-Royal avait recherché la base rationnelle (et logique) de la grammaire tout en reprenant les traditions de l’aristotélisme. Il existait donc une tendance depuis l’antiquité à formaliser la grammaire et à exploiter les rapports entre différents langages artificiels et le langage naturel. Contrairement à la linguistique indienne cette formalisation concernait plutôt les idées, les concepts exprimés par le langage que les formes linguistiques, les mécanismes de la grammaire.

La mécanique entra en linguistique par deux voies majeures (à l’arrière-plan du succès de la physique de Newton). La première fut la simulation de l’animal et de l’homme par la machine (voir le canard mécanique de Vaucanson, 1739 et la machine parlante de von Kempelen, 1781). La seconde voie prit le détour de la psychologie. Condillac, déjà, concevait l’homme comme une statue enrichie successivement du pouvoir de sentir, mouvoir, imaginer, se souvenir, penser, parler. En 1824/25 Herbart publiait sa Psychologie comme science, fondée sur l’expérience, la métaphysique et les mathématiques. Schleicher importa le terme de « morphologie » de la biologie naissante (il fut d’abord utilisé par Goethe dans le contexte de ses recherches sur le squelette) pour désigner l’architecture des mots

2 Voir Hockett (1970, B 21).

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

86

et Schleicher proposa même une écriture arithmétique et la linguistique scientifique (et non historique ou comparative) reçut le nom de « Glottik ».

Le contraste entre la philologie comparative et une théorie générale des langues (ou une sémiologie) devint fondamental chez Ferdinand de Saussure pour qui le système synchronique d’une langue est l’objet principal de toute linguistique. Pour lui, l’idée encore très vague de système linguistique renvoyait à des oppositions (surtout binaires), à des choix faits dans la dimension syntagmatique (la chaîne de production) et la dimension associative (les substitutions possibles). Pour Hjelmslev la langue a une structure sublogique ; il postule donc un noyau de relations logiques fondamentales. Les langues particulières font un choix dans l’inventaire de ce système (voir la théorie des cas exposée dans Hjelmslev [1935]).

Une formalisation (application explicite d’un système de notions mathématiques) non-triviale ne fut introduite en linguistique que dans l’œuvre de Harris, commencée dans les années 40, elle-même basée sur l’œuvre de Bloomfield (voir le résumé de cette approche dans Harris, 1991). À partir de 1950, dans le sillage du Wittgenstein du Tractatus (1922) et de Carnap (Logische Syntax [1934]), Bar-Hillel et Chomsky commencent à traiter le langage, le premier à l’aide de la logique polonaise (Kazimierz Ajdukiewicz, 1890-1963 ; cf. Bar-Hillel 1950) le second à l’aide de la logique des individus avec quantification (Chomsky, 1953). Chomsky adopte le point de vue d’un constructivisme nominaliste dans la tradition des travaux de Quine et Goodman (voir la note 1 dans Chomsky [1953, p. 242]). Le constructivisme à la Goodman et surtout le rejet d’une dérivation directe de la grammaire à partir d’un corpus donné au sens de Harris (et Bloomfield) détachent la grammaire de Chomsky des grammaires dites « taxonomiques ». Comme il l’argumente de façon explicite dans sa thèse (Chomsky [1955]), il s’agit surtout d’aller au-delà des restrictions d’un corpus donné, si on veut trouver des généralisations acceptables. Il postule pour ce dessein une grammaire prédictive:Il postule pour ce dessein une grammaire prédictive:

A syntactic analysis will result in a system of rules stating the permitted sequences of the syntactic categories of the analyzed sample of the language, and thus generating the possible or grammatical sentences of the language. (Chomsky 1953, p. 243)

Cette décision d’élaborer un système génératif à partir d’un corpus réduit introduit un point de vue dynamique, que Chomsky, dans sa thèse, élargit à l’analyse du discours, renvoyant en l’occurrence à Harris (1952):

This study of linguistic structure had its origin in certain problems which arose in attempting to extend linguistic techniques to the analysis of discourse. (Chomsky 1955, Ms. I-1)

Mais Chomsky va plus loin. Il s’acquitte de la tâche de construire une grammaire (le système unique) d’une langue donnée et se pose (en termes abstraits) la question de savoir comment un locuteur forme des phrases et des textes.

But a linguistic grammar must answer further questions which cannot be dealt with by this trivial « grammar », e.g. how can a speaker generate new sentences ? (ibid., § 71)

Il exclut pour des raisons épistémologiques (manque d’objectivité) et théoriques (manque de pertinence) la considération du contenu (meaning/reference) des formes linguistiques. Aux arguments qui disent qu’aucune analyse grammaticale

wolfgang wildgen

87

n’est possible sans considérer le contenu, il répond que ce qui est nécessaire est uniquement l’intuition du linguiste.

When the claim is put forth that linguistic analysis cannot be carried out without the use of meaning, what is really expressed is that it cannot be carried out

without intuition. ((ibid., I, 2, §5.2)Par rapport à Harris (son maître), qui développera sa propre linguistique mathématique (Harris, 1991), l’innovation de Chomsky consiste à choisir une méthode procédurale, selon laquelle la grammaire produit /prédit les structures grammaticales qui seront alors comparées aux données (y compris à l’intuition grammaticale). Ces décisions méthodologiques permettent à Chomsky de considérer chaque langue comme un ensemble à définir. Si l’ensemble est infini, seule une définition implicite (voir la définition des nombres naturels) suffit.

From now on I will consider language to be a set (finite or infinite) of sentences, each finite in length and constructed out of a finite set of elements. (Chomsky(Chomsky 1957, p. 13)

Les mathématiques à considérer seront donc la théorie des ensembles, la théorie des groupes (libres) et les règles qui permettent d’engendrer les chaînes de formes considérées comme étant grammaticales.

D’ailleurs Chomsky (1955, chapitre 5) se refuse à identifier la langue naturelle avec une langue artificielle ou logique.3

Though logic can be applied with profit to the construction of a formalized linguistic theory, it does not follow that this theory is in any sense about logic or any other formalized system. (ibid.)

Le succès des grammaires dites génératives a deux sources. La première concerne les théorèmes de décidabilité des grammaires du type C0, C1, C2, C3 (hiérarchie de Chomsky)4. Cette typologie selon le format des règles a eu des conséquences pour leur implémentation électronique. En fin de compte la non-décidabilité des grammaires à transformations (type C0) et la complexité des grammaires dépendant du contexte (C1) a amené une séparation entre systèmes techniques et modèles de Chomsky, car Chomsky pose que chaque grammaire d’une langue naturelle doit être transformationnelle (C0), tandis que les systèmes qui ont fonctionné de façon stable sur un ordinateur étaient plutôt du type C3 et C2. La deuxième raison du succès générativiste tient à la promesse d’une linguistique (grammaire) computationnelle

3 En ceci Chomsky prend une position contraire à celle que Montague développera vers 1970 (et déjà préfigurée dans la Logische Syntax de Carnap, 1934). Cependant, les logiciens pourraient répondre que, prenant le langage comme modèle, leur simulation des structures linguistiques peut être comprise comme une analyse de ces structures.

4 Les grammaires du type C3 produisent avec chaque application d’une règle un élément terminal, on les appelle aussi grammaires de transition ou linéaires. Les grammaires du type C2 peuvent générer des graphes arborescents (des structures syntaxiques) et à la fin des séquences de termes finaux. Les grammaires du type C1 tiennent compte des environnements dans l’application d’une règle. Enfin les grammaires C0 peuvent transformer des chaînes de symboles ou même des structures syntaxiques en d’autres séquences (en ajoutant et en enlevant des éléments).

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

88

qui, du point de vue de la politique académique, a beaucoup aidé les disciples de Chomsky, quoique les théories successives de Chomsky n’aient guère porté de fruits sur le chantier de l’ingénierie linguistique, qui a plutôt suivi son propre chemin (voir les systèmes d’intelligence artificielle et les réseaux neuronaux). Les travaux de Fillmore et Lakoff, deux compagnons de route de Chomsky pendant les années 60, tentèrent, vers la fin de cette décennie, de mettre fin au rejet de la sémantique. A partir de cette période, des considérations psychologiques et neuropsychologiques devinrent prépondérantes dans la théorisation du langage (voir Wildgen [2008] pour un résumé des courants de la « grammaire cognitive »). Dans une sorte de volte-face vis-à-vis de Chomsky ces auteurs ont abandonné toute sorte de mathématisation.5

Avec la sémantique cognitive et la psychologie gestaltiste des notions comme celles d’image mentale, de schéma imagé (image schema), de carte mentale ont fait leur apparition. Avec ces notions ont été introduits des concepts qui depuis Husserl et l’école gestaltiste de Berlin (Köhler, Koffka) ont des correspondants topologiques et géométriques. Dans une perspective sémiotique on pourrait dire que le côté signifiant du signe (Saussure) ou le signe comme figure perçue (selon Peirce) fut le sujet des modèles de Chomsky, mais qu’il s’agissait d’un signe dégénéré (sans l’interprétant et l’objet). Il fallait donc récupérer l’interprétant (dans une version simple l’image mentale de Saussure) et l’objet (négligé par Saussure, mais dynamisé par Peirce). Prendre en considération ces aspects négligés par Chomsky et ses disciples a des conséquences radicales quant au type de mathématiques à considérer. Nous allons décrire ces conséquences en partant de l’œuvre de René Thom.

2. la linguistique topologique et morphodynamique de rené thom

La linguistique mathématique au moins depuis Marcus (1967) a introduit des notions topologiques, surtout celle de distance (à la base de similarités exprimées par des traits pertinents en phonologie, voir Marcus, 1967, p. 45), en syntaxe (Brainerd, 1971, p. 222 et de façon plus explicite Brauer 1970 et Kuroda, 1976) ou en analyse textuelle (Lipsi [1974, 1975]). L’esprit de la topologie gouverne aussi la sémantique floue de Zadeh, qui a connu un grand nombre d’applications techniques (voir Kaufmann, 1973 pour une introduction en français et Wildgen [1983] pour une comparaison avec la sémantique catastrophiste). Il s’agit là de l’application des notions élémentaires de la topologie et non d’une mathématique appliquée qui exploiterait les avancées réalisées au cours du 20e s. En ceci, ces modèles reprennent la conception des mathématiques appliquées qu’on trouvait chez Harris : ils se servent d’une mathématique de base (théorie des ensembles, groupes libres, topologie générale) pour définir un ensemble de termes opératoires en linguistique. On peut interpréter cette démarche comme une reconstruction rationnelle des méthodes scientifiques au sens introduit par la philosophie analytique (reconstruction axiomatique des théories scientifiques).

5 À l’inverse, Lakoff et Nuñez (2002) essaient d’analyser les mathématiques en termes de grammaire cognitive (voir le chapitre 5).

wolfgang wildgen

89

Les contributions de René Thom à partir des années soixante ont été condensées dans son livre de 1972, Stabilité Structurelle et Morphogenèse, et dans le recueil d’articles de 1974, Modèles Mathématiques de la Morphogenèse (voir les chapitres 7, 8, 9, 10, 11, 13, 14 de Thom 1974a).

Si les applications de la théorie des catastrophes par Christopher Zeeman en psychologie, neurologie, sociologie et éthologie (voir Zeeman [1977]) se rangent dans le cadre d’une mathématique appliquée,6 les propositions de Thom ont un caractère plutôt philosophique. Sa version de la philosophie de la nature (Naturphilosophie) est dans la lignée de celle de Goethe, de Schelling et des psychologues de la Gestalt, comme Köhler. Il pense qu’il existe une continuité profonde entre les lois de la nature (de la matière au vivant) et la pensée, le langage. Dans un article intitulé La linguistique, discipline morphologique exemplaire (Thom, 1974b) il explique, en s’opposant aux épistémologies réductionnistes, que les morphologies profondes de la nature émergent de façon très simple et claire au niveau de la pensée et du langage. Les mathématiques sont pour ainsi dire le medium de cette émergence et notre compréhension de la nature nous ouvre la voie pour la compréhension de nous-mêmes. Cette idée reprend une idée de Kant qui voyait dans la géométrie (euclidienne) une connaissance synthétique a priori. Si on adopte la perspective de Konrad Lorenz et de l’épistémologie évolutionniste à la pensée de Kant (qui a vécu avant la création de la théorie de l’évolution), on pourrait dire que la géométrie euclidienne est le résultat d’un long chemin dans l’évolution des cultures qui a condensé notre confrontation instrumentale et intellectuelle avec les forces de ce monde dans un savoir profond stabilisé sous la forme d’un langage mathématique.

La géométrie d’Euclide (pensée comme a priori par Kant) fut généralisée dans les travaux de Poincaré, Riemann et Klein, et les résultats de Poincaré servirent de base aux travaux en topologie différentielle de Thom (médaille Fields en 1958). L’analyse qualitative initiée par Poincaré visait à trouver les traits pertinents qui distinguent les systèmes dynamiques (systèmes d’équations différentielles) qui ne peuvent être résolus explicitement. Si on adapte cette solution au domaine des systèmes décrits à l’aide des équations différentielles, il s’agit de trouver les facteurs dominants ou même les invariants d’un système dynamique avec un grand nombre d’inconnues et au caractère non forcément linéaire. L’homme se trouve comme le mathématicien dans une situation très complexe où il ne peut trouver que quelques parcelles de vérité, s’il sait concentrer ses forces sur un petit nombre de forces contraignantes et récurrentes.

L’épistémologie de Poincaré appliquée à la linguistique (par René Thom) change de façon fondamentale le but d’une théorie linguistique et en cela le rôle des mathématiques pour la linguistique. Depuis les Grecs, la technique du grammairien (Technè Grammatikè) pour trouver les règles de la grammaire a dominé cette discipline et Chomsky est lui-aussi parti des Methods de Harris (une Technè moderne), qu’il voulait approfondir. Il a pourtant fait un pas dans une autre direction en rejetant les « procédures de découverte » (discovery procedures) des

6 Voir pourtant les critiques de Sussman et Zahler (1978) qui lui objectent d’une part que des modèles plus modestes feraient le même effet et que l’interprétation des paramètres du modèle par des mesures empiriques reste incomplète.

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

90

descriptivistes américains, allant au-delà des « méthodes » de Harris et esquissant les buts explicatifs d’une théorie linguistique.

Dans la visée thomienne la langue est un système dynamique très complexe qui non seulement connaît différents niveaux d’articulation (à la Martinet) mais qui est formé par des processus évolutifs et historiques, dans l’ontogenèse du langage chez l’enfant et dans la micro-dynamique de la parole. Il ne s’agit pas vraiment de légiférer en tant que linguiste mais de trouver dans ce système dynamique compliqué les forces majeures qui sont à l’œuvre dans sa « morphogenèse ». Ces facteurs ont un effet décisif dans les régions critiques, là où des structures nouvelles émergent. La stratégie devient pour cette raison locale (autour des singularités) et le problème du global devient secondaire. En termes topologiques, on peut organiser une carte globale à partir des cartes locales trouvées. Cette dernière entreprise est beaucoup plus incertaine et compliquée que la recherche des facteurs pertinents dans l’analyse locale.7

Pour illustrer cette démarche je vais donner des exemples appartenant à différents niveaux de l’analyse linguistique (voir Wildgen 1982, 1985, 1999, 2005, et Petitot 1985a,b 1992, 2003).

2.1. Catastrophes de la parole EXISTE-T-IL UN SCHEMA Au niveau de la première articulation, par exemple en phonologie, le système des voyelles peut être décrit comme une partition de la surface définie par les deux formants majeurs F1 et F2, qui a plus au moins la forme d’un demi-cercle avec comme centre l’articulation relâchée autour du e-muet (la voyelle [ә], voir Ungeheuer [1958]). Un système de trois voyelles comprend une bifurcation8 vers [i] et [u] et une surface non bifurquée avec [a]. Les trois arêtes de ce système triangulaires peuvent bifurquer aussi, ce qui produit un système de 4, 5, 6 voyelles :

- axe : [a] – [i] : la bifurcation donne [a] – [e] – [i] - axe: [a] – [u] : ________________ [a] – [o] – [u] - axe: [i] – [u] : _________________ [i] – [y] – [u]

En deuxième lieu, le centre peut être séparé de la périphérie, donnant ainsi les voyelles [œ], etc9. Enfin chaque attracteur ponctuel, c’est-dire le point vers lequel les forces convergent, d’une région de variations phonétiques peut bifurquer (bifurcation de Hopf qui augmente la dimension) donnant des diphtongues (glides), donc un mouvement typique sur un des axes. Pour les détails voir Petitot (1985b, p. 55 s., 106 s.) et Wildgen et Mottron (1987, p. 88-96). Les noyaux des voyelles

7 En conséquence l’analyse locale est plutôt explicative que descriptive.8 La bifurcation part d’un point singulier et fait apparaître deux/trois … attracteurs dans une

zone où avant il n’y en avait qu’un seul. Elle a la forme d’une « fourche ». L’ensemble de bifurcation correspond aux points zéro de la deuxième dérivée (partielle) d’une équation différentielle. L’espace sousjacent pourrait être celui des formants F1 et F2 : F1 est haut (800 Hz) pour [a], mais bas pour [i] and [u] ; F2 est haut pour [i], et bas pour [u].

9 La distinction entre la zone périphérique et non périphérique joue aussi un rôle dans les changements linguistiques surtout les « chain shifts » ; voir Labov (1994, chapitre 6). Le changement en chaîne affecte toute une série de positions qui font un mouvement coordonné dans la même direction, par exemple de bas en haut, de derrière vers l’avant, de la voyelle longue à la diphtongue, du non-palatal au palatal etc.

wolfgang wildgen

91

sont des centres de stabilité et une dynamique d’optimisation segmente le continu en créant une structure discrète avec oppositions (au sens du structuralisme). Le « système » reconnu par la linguistique structurale est donc le résultat d’un processus d’auto-organisation et comparable avec les processus retrouvés partout dans le domaine de la nature (matière ou vivant). On peut préciser cette auto-organisation soit en vue de l’audition (discrimination optimale), de la production (stabilité des cibles articulatoires), de l’apprentissage (déploiement des compétences phonétiques/phonologiques chez l’enfant) ou de l’évolution de l’homme (voir Wildgen, 2004). La première articulation résulte donc d’un processus d’optimisation des ressources phonatoires et auditives. Elle a probablement connu une évolution rapide liée à d’autres fonctions que celles du langage avant que celles-ci ne se soient déployées.10

2.2. Catastrophes de la prédicationLe signe est d’abord un complexe relationnel (signifiant–signifié ; signe–interprétant–objet). Le signe linguistique est échelonné à différents niveaux (morphème/mot–groupe syntaxique/ la phrase–le texte/discours ; Peirce distingue, suivant Aristote : le rhème (mot), le dicent (phrase), l’argument (texte) [pouvez-vous donner les mots en anglais ?]). Avec Aristote nous admettrons que la phrase est le centre de cette hiérarchie et avec Tesnière nous poserons que le verbe (ou un élément prédicatif analogue) est le centre de la phrase. La grammaire devra donc d’abord élucider les principes (de morphogenèse) de ce noyau pour descendre ensuite vers les mots/structures morphologiques et monter vers l’argument/ le discours. Ceci correspond à la stratégie locale déjà expliquée.

Pour le rôle du verbe dans la formation de la phrase l’actance est d’un intérêt primordial et René Thom a proposé (très clairement dans Thom, 1970) de partir d’un inventaire de schémas dérivés des catastrophes élémentaires pour décrire les grands types d’actance :

– les phrases contenant un verbe monovalent (intransitif). On peut distinguer : mouvement continu, début, fin ;

– les phrases contentant un verbe bivalent (transitif). Un petit nombre de sous-types peut être distingué : attraper–émettre–changer/entrer–sortir /créer– détruire ;

– les phrases contenant un verbe trivalent (bi-transitif). Sous-types : donner–communiquer ;

– des cas limites quadrivalents, qui déploient l’actant intermédiaire (par exemple l’objet transféré, l’objet donné, le message transmis en introduisant une force médiatrice (le moyen de transport, un espace de valeur, un code).

La figure 1 montre le schéma dynamique du sous-type : donner des verbes

10 Voir Wildgen (2004, p. 157) ; cette évolution était peut-être parallèle à l’adaptation de l’espèce Australopithèque à la vie dans la savane et à la chasse pendant la nuit. Elle aurait précédé l’évolution d’un protolangage par l’espèce de l’Homo erectus.

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

92

bi-transitifs (avec la valence 3). Dans la phrase : « Ève donne la pomme à Adam » la dynamique de donner est décomposée en : émission et capture. Les arguments nominaux du verbe donner reçoivent des rôles qui sont dérivés du schéma : Source(Agent)–Objet transféré–But (Récepteur)

Figure 1 Schéma trivalent. Sous-type : DONNER

Dans Wildgen (1979, 1985) cette liste à été reconstruite et augmentée. Les cas limites dérivés des ombilics [les catastrophes avec deux variables internes et des archétypes avec quatre attracteurs] ont été corrigés à la suite des recherches parues postérieurement à Thom (1972) sur la géométrie des ombilics. Ces recherches ont été acceptées sommairement dans la deuxième édition de Stabilité structurelle et morphogenèse sans pourtant changer la liste des archétypes. En guise d’illustration je résume quelque analyses de Wildgen (1999, chapitre 5).

La scène (le drame) décrite par une phrase simple (avec un verbe fini) est décomposée en plusieurs régimes (sous-centres) que nous appelons des rôles processuels (sémantiques). Le type du processus est représenté par le verbe. La classification des scènes possibles donne un système de représentations que nous appelons imaginales. Ce ne sont ni des images, ni des structures perceptives mais des entités cognitives à un niveau syncrétique sur lequel le mécanisme langagier peut opérer.

La question fondamentale que s’est posée René Thom et à laquelle il a pu donner une réponse étonnante est la suivante : les scènes sont continues et contiennent un nombre illimité de variables qui peuvent influencer ce qui se passe. Existe-t-il une possibilité de trouver une liste finie de schémas stables à laquelle toutes ces variations peuvent être réduites ? Thom définit un seuil absolu de quatre régimes stables en conflit11 et de trois régimes stables dans la majorité des situations. Nous pouvons distinguer deux sous-ensembles :

a) Les scènes « simples » qui ont une variable interne ; c’est-à-dire un champ

11 Dans Wildgen (1985, p. 218s.) la possibilité très restreinte d’un cinquième régime est discutée.

wolfgang wildgen

93

de forces linéaire. Elles ont la complexité maximale de trois régimes qui coexistent (en conflit).

b) Les scènes « complexes » qui ont deux variables internes (donc un champ de force bidimensionnel) et des conditions de stabilité structurelle plus complexes; les singularités ne sont plus « simples » au sens de Arnold (1972).

La théorie des catastrophes permet de déduire des « images » abstraites de ces scènes. On obtient des modèles empiriques par une interprétation des paramètres de ces « images ». Nous obtenons des modèles dits « localistes » si nous choisissons les valeurs des paramètres (leur interprétation) dans l’espace-temps (qui correspond à l’espace des nombres réels). D’autres modèles sont possibles ; ils peuvent être appelés « métaphoriques » au sens de ce terme chez Lakoff et Johnson (1980). Ainsi on peut postuler un espace de qualités et des changements/mouvements dans cet espace, par exemple pour les verbes : jaunir, agrandir, nettoyer, salir ; un espace de possession pour les verbes comme: posséder, perdre, prendre, voler, donner, échanger, acheter, vendre ; un espace de l’action perceptive et mentale pour les verbes entendre, écouter. Dans Wildgen (1994, chapitre 5) une ontologie de ces espaces est proposée ; voir aussi la théorie des « espaces mentaux » et du « blending » comme un essai de formalisation de la sémantique des métaphores de Lakoff et le résumé critique de ces modèles dans Wildgen (2008).

À la base des schémas dynamiques, nous distinguons deux groupes de régimes stables qui sont le noyau structural des rôles sémantiques :

a) Les rôles (régimes) simples R1, R2, R3. Suivant leur interprétation dans la tradition de l’analyse casuelle12, nous les appelons :

R1 : Agent /Source

R2 : Patient ou Contre-Agent /But

R3 : Chemin/Objet / Instrument/Thème A l’intérieur de cet ensemble de régimes, la théorie des catastrophes établit une hiérarchie :13

12 Jean Petitot a fait une analyse critique des théories casuelles et actantielles dans sa thèse d’État (voir Petitot, 1985b ou la traduction anglaise par Manjali ; Petitot, 2003). Il propose pour donner et aller les « descriptions structurales » avec les rôles suivants (ibidem, p. 178f): donner : S = source, B = but, T = place abstraite, A+ = animé, A- = inanimé ; aller : L = lieu. Sa notation revient à un système de traits, où les traits A+ et A-sont subordonnés aux traits S, T, B. Notre modèle est plus radical, mais il poursuit la même stratégie, c’est-à-dire qu’il part d’une classification configurationnelle qui sera spécifiée dans une deuxième étape.

13 Pour simplifier l’explication nous ne considérons que les structures typiques pour les langues dites « accusatives ». Il est clair que la catégorie de l’ergatif (qui met en avant l’agent) se prête facilement à une modélisation dynamique. La différence entre les systèmes casuels est l’affaire d’une couche plus superficielle que nous avons appelée « attributive ». Il s’agit dans ce cas d’une mise en perspective différentielle. Par rapport aux « structures profondes » postulées par Chomsky en 1957 la modélisation catastrophiste est « ultra-profonde ». Si les structures profondes ont reçu une interprétation logique chez Chomsky, les structures « ulta-profondes » reçoivent quant à elles une interprétation neurologique et biologique.

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

94

– R1 : un seul régime,

– R1 - R2 : deux régimes séparés par des transitions et en opposition bimodale. Normalement, la symétrie est brisée et un des régimes domine. Le régime dominé correspond au patient /but.

– R1 - R3 - R2: le régime R3 est intermédiaire, c’est-à-dire qu’on passe par R3 (dans la zone du conflit maximal), si l’on va de R1 à R2 ou dans le sens inverse. Le régime R3 a donc un caractère différent de celui de R1 et de R2 : on dit qu’il est métastable; il est stable dans une zone de transition qui disparaît facilement pendant que l’opposition R1-R2 reste un arrière-plan stable (voir Wildgen, 1985, p. 169-197). Dans ce cas R2 a plutôt la fonction d’un contre-agent. Selon cette interprétation, R3 peut être un instrument qui transporte la force de R1 sur R2 ou un objet transféré entre R1 et R2.

b) Le rôle complexe : R4. Il correspond à l’actant supplémentaire que Tesnière introduit dans la diathèse causative. Si l’on considère un processus simple et si l’on introduit un causateur supplémentaire, l’agent du début devient un adjuvant du sujet (opposant, s’il aide le contre-sujet). La cause primaire perd son indépendance et devient médiate, elle correspond à R4. Nous l’appelons un adjuvant /opposant.14

Dans la schématisation catastrophiste, nous obtenons une série de graphes dynamiques pour les niveaux suivants de complexité:

(1) processus/mouvement sur R1

Figure 2: Schéma de la locomotion simple.

Le déploiement « versel » (et non « universel »)15 ajoute une variable qui pour

14 Les liens avec le modèle actantiel de Greimas sont discutés dans Petitot (1985b, p. 234-249). Pour élucider la relation de notre classification à celle de Greimas, nous pouvons reformuler son modèle à l’aide de deux séries de rôles sémantiques : R1 --> R3-> R2 = Destinateur - Objet - Destinataire, et R4 : Adjuvant -->Sujet <-- Opposant et leur influence sur la première série (voir aussi Petitot, 1985b, p. 235).

15 Le déploiement universel ne considère que le nombre minimal de variables qui peut être trouvé en utilisant les transformations homéomorphes. À ces prototypes universels on peut ajouter soit des fonctions quadratiques avec d’autres variables internes (y, z,…), soit des variables externes supplémentaires, si ceci ne change pas la forme du potentiel (ni sa stabilité

wolfgang wildgen

95

la classification des catastrophes peut être éliminée; autrement dit, la variable t n’affecte pas la stabilité structurelle du système.

(2) Processus à deux régimes stables et transition d’un régime à l’autre

Figure 3 : La surface des points critiques de la fronce : germe V = x4 et deux coupes avec leurs champs de vecteurs.16

(2a) ‘émission’ de R2 par R1

(2b) ‘capture’ de R2 par R1

Figure 4 : Les deux schémas principaux dérivés de la fronce.

Les termes : « émission » et « capture » désignent deux types d’asymétrie très généraux, tels qu’ils sont montrés par le graphe en haut ; ils ne sont pas restreints à des processus concrets (biologiques) de capture ou d’émission. Une deuxième

structurelle). Le système dynamique décrit par la fonction quadratique de la parabole : V = x2 est structurellement stable et ne connaît pour cette raison pas de déploiement.

16 Le terme « fronce » capte l’image de deux plis d’une étoffe qui se rencontrent en un point singulier. En anglais le terme « cusp » capte plutôt l’image des deux bords d’une coupe à champagne qui se rencontrent en haut du pied. Ce type de courbes est appelé semi-cubique. Ainsi la ligne qui sépare les régimes de la fronce répond à l’équation : 27v2 + 4u3 = 0, qui combine des termes à l’exposant 2 (quadratique) et 3 (cubique).

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

96

interprétation est indiquée : création/régénération – destruction ; d’autres inter-prétations (voir les niveaux ontologiques) sont possibles.

(3) Processus avec trois régimes dont deux sont stables et le troisième métastable.

Une scène d’interaction qui met en relation plusieurs agents humains présuppose déjà une analyse perceptive et conceptuelle très complexe chez l’individu qui observe la scène. On sait que certains primates sont à même de prendre en considération la perspective d’un autre (« décentration ») à un degré comparable à la décentration chez l’enfant de deux ans. À partir d’un répertoire fondamental de contrôles de l’action, on peut reconstruire les schémas possibles de l’interaction sociale. Or il se trouve que seul un petit groupe de ces interactions coordonnées atteint un degré de stabilité, permettant une schématisation et une classification sémantique. Pour les différentes formes du contact nous trouvons les joints suivants:

– pour le contact à courte distance : le visage, les joues, les lèvres;

– pour le contact à distance moyenne: les mains, la parole (ces contacts sont fondamentaux pour l’échange entre les personnes.), le mouvement des yeux,

– pour le contact à longue distance : la vue, le sifflement, le tambour. Le langage est surtout un moyen de contact à distance moyenne. Les contacts entre personnes peuvent être subsumés sous le schéma de l’échange. Ce schéma fondamental est étroitement lié à l’archétype du don (dans la dénomination de René Thom) et il est fondamental pour toutes les interactions sociales. Le schéma d’interaction (schéma sociologique et économique) est transformé en schématisation langagière dans la syntaxe de la phrase simple et dans la structure des verbes de transfert.

(4) Processus avec quatre régimes dont deux sont stables, le troisième métastable et le quatrième un arrière-plan dynamique (adjuvant ou opposant).

Pour (R1, R2, R3, R4), le graphe devrait avoir deux dimensions pour les paramètres internes, une pour l’axe temporel. Nous pouvons distinguer un fleuve primaire R1 > R3 > R2 et l’influence secondaire sur ce fleuve par les «cols» qui relient R4 aux attracteurs primaires : R1, R2, R3. Comme point de départ nous avons choisi la communication réciproque.

Figure 5 : Le quatrième actant comme code ou médium de la communication.

On peut se concentrer sur les différences suivantes :R1 - R2 : différence par brisure de symétrie,

wolfgang wildgen

97

R1 - R3, R3 - R2 : différence par métastabilité de R3

R4 (R1, R2, R3) : différence par liaison des cols (égaux) qui conditionnent des fleuves secondaires17. Ainsi le code linguistique relie le locuteur, l’auditeur et le message. Tous les trois doivent se situer dans la sphère du même code pour que la communication fonctionne. Pour la transaction commerciale une valeur (par exemple une monnaie commune) est présupposée.

Pour une analyse plus détaillée de la prédication et de ses différents emplois voir Wildgen (2002).

2.3 Catastrophes de l’acte de paroleDans une perspective écologique il faut bien voir que l’acte de parole est porté, tout comme l’acte sans parole, par l’effet énergétique d’un agent (locuteur) sur un autre (auditeur). La chaîne causale de l’action est pourtant interrompue par un acte de parole (ordre, demande, promesse etc.). L’effet de cette partie symbolique intercalée entre des effets de force (pouvoir, dominance) dépend de son contexte non-linguistique et des règles de l’action sociale. Ce qui nous intéresse dans ce contexte c’est la compatibilité et l’intégration de l’acte de parole dans le schéma cognitif d’une action non-linguistique. Ceci demande un schématisme commun. Prenons le cas de la promesse d’un don :

« Je te promets la somme de 100 € pour dimanche prochain. »Le schéma du don déjà analysé établit l’arrière-plan de l’événement total, mais l’objet d’échange est remplacé par la promesse. La Figure 6 montre les deux scénarios qui renvoient l’un à l’autre.

Figure 6: Le don réel et le « don » de l’énonciation. Pour le scénario A, M1 et M2 renvoient à la personne qui donne et à la personne qui reçoit

un don; pour le scénario B, M1 et M2 renvoient à celui qui parle et à celui qui écoute.

Si on remplace le don par la promesse du don, cela a des conséquences pour une action future, qui au moment de la promesse est imaginée. L’événement du don assume un caractère fictif. Pour établir le lien entre le don fictif et le don réel (dans l’avenir) on doit considérer des relations appelées « devoir faire » et « pouvoir faire » dans la tradition de Greimas.18 Il y a des attracteurs (cibles) liés au vouloir faire et des repellers (obstacles) qui spécifient le pouvoir faire. Le devoir faire, objet

17 Une partie de ce chapitre correspond au texte (en français) de Wildgen (2001).18 Comparer l’analyse de la promesse dans Brandt (1991).

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

98

classique de la psychanalyse, demande une analyse dynamique qui fait intervenir des modèles de la société (de la famille, du père, du Surmoi). Ce qui compte pour mon argument, c’est que les schémas basés dans la motricité intentionnelle et l’interaction avec des objets et des personnes fournissent un langage général qui permet de concevoir la cohérence entre l’action et l’acte de parole.

3. la dynamique de l’énonciation : de la coordination parfaite au chaos

L’énonciation est foncièrement un procès de coordination qui a pour condition de stabilité qu’il existe des rythmes d’actions de parole qui peuvent être contrôlés et ajustés dans un réseau communicatif. Les différents niveaux de coordination ne peuvent pas être analysés en détail dans cet article; il suffira de donner une idée générale des principes qui permettent de coordonner deux processus énonciatifs parallèles.

En termes de morphodynamique, on peut considérer une coordination entre deux processus et leurs rythmes respectifs comme une sorte de résonance. Si les deux dynamiques sont périodiques, on peut les représenter comme oscillateurs, c’est-à-dire comme des mouvements circulaires. Le produit de deux chemins sur le cercle donne un tore, ce que montre la Figure 7 (voir aussi Thom, 1974a, p. 220 f) :

Figure 7 : Le produit de deux mouvements circulaires, le tore.

Le problème de la coordination est lié à la question de la complexité du mouvement sur le tore. Dans le cas le plus simple, le mouvement sur A est accompli au moment où le mouvement sur B est également accompli: dans ce cas le mouvement sur le tore revient à son origine après un tour. Si les deux fréquences ne sont pas dans cet état d’harmonie (ce qui est normal), il peut quand même exister des périodes. Par exemple, après cinq tours, le chemin sur le tore peut retrouver son origine. Enfin, il peut arriver qu’il n’y retourne jamais et que ces chemins passent par tous les points de la surface du tore ; ils balaient toute la surface du tore qu’ils couvrent pour ainsi dire de courbes. Si le cercle parcouru a la dimension 1 (de la ligne qui retrouve son origine) et la surface du tore a la dimension 2 (on peut découper le tore et l’aplatir pour recevoir un rectangle), alors la dimension du parcours infini sur le tore qui ne retrouve jamais son origine a une dimension entre 1 et 2. Si la valeur de la dimension (d) est différente de 1 et 2, par exemple d =1,564…, elle est appelée fractale (voir Wildgen, 1998 et 1999, appendice, paragraphe 7). Une méthode pour

wolfgang wildgen

Chemins sur le tore : produits de deux mouvements circulaires

Mouvement circulaire B

Mouvement circulaire A

99

mesurer la divergence d’un mouvement quasi-circulaire est appelée la « section de Poincaré ». Chaque fois que la trajectoire passe près de son origine 0 = P(0) on mesure la divergence entre P(0) et P(x), P(x) et P2(x) et cetera.

Figure 8 : Illustration de la section de Poincaré.

Les trajectoires qui sont extrêmement divergentes sont appelées « chaotiques ». L’attracteur de Rössler montre que l’attracteur chaotique ne balaie pas seulement la surface, il saute aussi du plan incliné dans un plan quasiment vertical. Ce système chaotique est pourtant exactement décrit par trois équations, c’est-à-dire que son comportement étrange est le produit d’une structure mathématique assez simple. L’attracteur est défini par trois équations :

dx/dt = - (y+z) ; dy/dt = x + ay ; dz/dt = b + z (x+c)Si nous fixons les valeurs des paramètres: a = 0,2, b = 0,2 et c = 5,7, nous obtenons l’image classique de l’attracteur de Rössler19.

L’attracteur chaotique montre que les attracteurs qui, au sein des modèles catastrophistes étaient ponctuels (nous avons parlé d’attracteurs), et pour les systèmes plus compliqués avaient la forme de cercle attractif (voir le mouvement sur le tore), dérivent vers des formes très compliquées. Deux trajectoires proches l’une de l’autre peuvent être séparées subitement si l’une d’elles vire en direction de l’aile verticale. Cet effet a persuadé beaucoup de chercheurs qu’on peut décrire avec des moyens mathématiques assez simples des systèmes qui à première vue semblaient être intraitables. Si nous comparons les attracteurs chaotiques aux systèmes catastrophistes, nous voyons qu’il s’agit dans le cas des catastrophes d’une classe de systèmes dynamiques très simples et très fondamentaux. Si la modélisation catastrophiste est à même de capter les traits fondamentaux de la sémantique et de la syntaxe langagière, on dispose alors d’un arsenal complémentaire pour

19 Le lecteur pourra se reporter à l’article wikipédia à l’adresse http://en.wikipedia.org/wiki/Rössler_attractor (visité le 19.01.2009). [SERAIT-IL POSSIBLE DE TROUVER UNE AUTRE REFERENCE, HEL NE CITE JAMAIS WIKIPEDIA EN REFERENCE]

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

100

traiter les phénomènes plus complexes, surtout dans les domaines négligées par le structuralisme tels que : l’évolution du langage, le développement historique des systèmes linguistiques et l’apprentissage et la variation sociale du parler humain.

On voit déjà, dans l’exemple du tore, que deux rythmes indépendants ne sont jamais en coordination. Pour atteindre (même pour une période très courte) une coordination, il faut qu’il y ait une force qui contrôle leur coordination. Cette force doit créer une sélectivité très forte pour l’état coordonné et absorber toutes les tentatives de déviation. L’état d’ordre ne peut normalement être soutenu que pour une courte période, mais certains processus mnémoniques peuvent conserver cet état d’ordre ou le rétablir après une perte. Le mécanisme fondamental est une sorte de miroir sélectif, qui élimine les fluctuations, le désordre, le bruit et favorise une fréquence spécifique. L’appareil technique qui réalise ce principe est le laser, qui, dans le «bruit» des fréquences de la lumière, sélectionne un domaine de fréquences très étroit. D’autres exemples sont les résonances harmoniques en musique etc. Le discours humain est une forme fondamentale de coordination sociale qui demande une modélisation dynamique dont nous avons esquissé quelques traits.

4. la dynamique de la composition sémantique et le contrôle du chaos

Il est clair que par rapport au contenu encyclopédique d’une grammaire traditionnelle (et structurale) ces analyses sont loin d’être exhaustives, on pourrait même parler d’îlots d’analyse. Pourtant, elles permettent un enracinement de l’analyse linguistique dans une morphologie plus générale (en biologie et en physique). Au lieu d’essayer de saisir une totalité incompréhensible il semble préférable de sauver les avantages de l’analyse locale et d’élargir celle-ci pas à pas. Ainsi, en syntaxe, le premier pas sera de comprendre le mode de composition des parties constitutives. On peut distinguer plusieurs niveaux de complexité, qui s’étagent :

1. Des phrases simples aux phrases complexes et aux (morceaux de) textes (voir Wildgen [1999, chapitre 6]).

2. Des constructions morphologiques (mots) aux groupes syntaxiques, par exemple pour un groupe nominal comme : les quatre boules rouges de Henri.

3. Des mots simples aux mots composés et des morphèmes aux structures morphologiques (dérivations et groupes flexionnels).

Prenons le deuxième niveau. Le problème mal décrit par les grammaires génératives (voir la syntaxe X-bar), c’est la composition d’un espace de qualités X (par exemple boule) avec un espace de qualité Y (par exemple quatre ou rouge) dans : quatre boules, boule rouge et quatre boules rouges. Comme X et Y sont des espaces à plusieurs dimensions (m et n), la composition a la dimension m x n. Comme tous les prédicats ont un degré de vague (flou, fluctuations contextuelles), la composition risque d’être hypercomplexe (vu la dimension m x n) et instable (vu l’accumulation du vague). Il faut donc d’abord garantir la stabilité cognitive d’un tel produit de composition. Or la projection d’un espace même bidimensionnel dans un autre espace sous l’effet de déformations a un attracteur chaotique. Il faut donc d’abord assurer le contrôle d’un tel résultat (« chaos-controller ») avant de

wolfgang wildgen

101

pouvoir expliquer la nature compositionnelle du langage surtout dans le cas d’une composition itérée (ce que la grammaire générative appelle la récursivité ; voir Wildgen [1998] et Wildgen et Plath [2005] pour les aspects fractals et chaotiques en linguistique). Comme Fitch, Hauser et Chomsky (2005) voient le caractère spécifique du langage humain dans la récursivité, l’instabilité de la composition récursive est le talon d’Achille de leur théorie linguistique.

5. trois façons de voir la relation entre mathématiques et linguistique

Au vu de l’histoire assez récente de l’interaction entre les mathématiques et la linguistique, on ne peut tirer que quelques conclusions préliminaires. On a eu tendance à voir surtout les applications de la linguistique en informatique, mais en réalité une grande diversité d’applications a été envisagée (voir par exemple Hubey, 1999). Nous pouvons distinguer clairement trois domaines majeurs20:

(a) Les mathématiques sont un métalangage dans lequel les règles ou régularités du langage sont formulées. Si les règles de la grammaire ont un format logique ou algébrique, on peut en déduire une description procédurale qui permet d’automatiser l’analyse et la production des structures linguistiques (mots, phrases, textes). Les conséquences technologiques imaginées depuis la fin des années cinquante sont :

- la découverte et la correction des fautes ; cette tâche fait aujourd’hui partie de tous les programmes de traitement de texte ;- la traduction automatique ; le caractère formel des grammaires génératives (avec une composante sémantique ajoutée en fin du processus de génération) limite cette application ;- l’exploitation thématique et le résumé automatique des textes ; ici la statistique devient un complément nécessaire.

En principe, n’importe quelle terminologie ou procédure peut-être captée par un métalangage mathématique, si on admet des éléments, ensembles, partitions, unions etc. Si le phénomène est plutôt continu ou s’il a une expansion spatiale (concrète ou abstraite) la géométrie, la topologie devront remplacer ou suppléer l’algèbre. Ainsi tout modèle phonétique ou sémantique demande un tel supplément. Le fait que l’algèbre ait été préférée par Harris et Chomsky semble découler du fait que traditionnellement on voyait le langage plutôt sous sa forme écrite, donc avec une structure discrète, linéaire, qu’on pouvait réduire à une combinatoire dans le temps (voir le concept de chaîne chez Harris et Chomsky)21 : En soi, aucune sous-discipline des mathématiques

20 Nous ne considérons pas les statistiques lexicales et l’analyse statistique des corpus dans ce qui suit.

21 Harris (1991, chapitre 6) pose la question : « Why a mathematical approach? » et il énumère 12 aspects du langage qui ont une pertinence mathématique (« having mathematical relevance », ibid., p. 147). Nous y retrouvons beaucoup de traits déjà mentionnés dans les textes classiques du structuralisme : les éléments sont discrets (en raison de l’existence d’une phonologie à oppositions polaires), les mots présupposent une structure de segments discrets (double articulation), les unités significatives sont plutôt répétées de façon précise

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

102

ne serait à exclure sous le point de vue d’un métalangage scientifique, ce qui signifie que les mathématiques peuvent être conçues comme des métalangages scientifiques et techniques généraux et neutres. Pour être utiles, elles doivent contenir un certain nombre d’analogies avec les structures empiriques du domaine d’application, dans notre cas celles qu’on a trouvées dans les langues. Ceci mène à un dilemme car il faut s’attendre à ce que l’application des mathématiques mène à la découverte, dans les langues ou dans leur emploi, de phénomènes tout à fait nouveaux. Si on exclut un type de mathématisation cette innovation devient inaccessible. Pour cette raison, on peut dire que la stratégie d’emploi des mathématiques chez Harris et Chomsky est une stratégie conservatrice ; elle suppose qu’on connaît les faits linguistiques pertinents et qu’il s’agit seulement de les rendre de façon élégante et cohérente. Ce seront surtout les apports des sciences cognitives qui permettront de mettre en doute la pertinence de cette vision conservatrice du langage humain et saperont ainsi les systèmes proposés par Harris et son disciple Chomsky (voir Wildgen, 2008 : chapitre 1 pour l’histoire des grammaires dites « cognitives »). Si les grammaires « cognitives » énoncent un programme d’ouverture vers d’autres compétences cognitives (perception, mémoire, imagination) et d’autres disciplines (la psychologie, la neurobiologie), les grammaires de construction essaient pourtant de ramener ces courants vers les problèmes traditionnels de la grammaire générative, le courant majoritaire aux États-Unis.

(b) Toute théorisation dynamique ou explication par la (morpho-)genèse doit d’abord utiliser les techniques modernes de la dynamique (dont la mathématisation fut préparée par Galilée et réalisée par Leibniz et Newton au 17e s.) et de son analyse qualitative (chez Poincaré et en topologie différentielle). Si on analyse la rupture épistémologique du structuralisme avec la pensée dynamique de Humboldt, avec la tradition de la recherche de lois diachroniques au 19e s. et les idées révolutionnaires du darwinisme dans ce contexte, on aperçoit le prix théorique qu’il a dû payer. Par la suite, le structuralisme (de Saussure à Hjelmslev, de Bloomfield à Harris) a fonctionné comme une sorte de tabou, et même de censure intellectuelle, qui a abouti à mettre toutes les analyses des traits dynamiques du langage en quarantaine. Chomsky s’est révolté contre cet appauvrissement théorique tout en instituant une nouvelle foi, celle des

qu’imitées, l’arbitraire du signe, la linéarité etc. C’est donc la structure du langage qui permet une mathématique appliquée au langage. Dans cette perspective, Harris fait l’hypothèse que la métalangue de la description linguistique d’une langue doit être une partie de cette langue et rejette ainsi la conception de métalangue employée en métamathématique. Les mathématiques ne seraient donc qu’une écriture courte et bien organisée de ce qu’on pourrait pleinement décrire par un texte normal. En ce sens elles n’apportent rien à l’analyse du langage. Le disciple de Harris, Noam Chomsky poursuit la même perspective lorsqu’il affirme (Chomsky 1955) que la grammaire générative n’est pas une question de logique ou de mathématique. Il construit en conséquence un système génératif qui sera évalué sur la base de données sélectionnées d’avance au lieu de dériver la grammaire d’une analyse de corpus par des procédures approximatives (qui ont un noyau mathématique auquel il faut cependant ajouter des procédures additionnelles selon le contexte). Sa préférence va aux algèbres libres (monoïdes libres) et aux règles de remplacement dans un contexte XY/W_Z ; voir Gross et Lentin 1967, chapitre VII).

wolfgang wildgen

103

générativistes. Il fallait « l’innocence linguistique » d’un mathématicien comme Thom pour rompre ce tabou et pour ouvrir des voies nouvelles. Ses analyses restent pourtant locales c’est-à-dire qu’elles ne concernent que les évolutions dans l’environnement d’une singularité qui fait apparaître ou disparaître des régimes attractifs. Or, la stratégie des ontologies régionales déjà préconisée par Husserl au temps de Saussure (vers 1900) est en conflit avec la « Technè Grammatikè » (depuis Denys le Thrace) qui pour la majorité des grammairiens forme toujours le cœur des pratiques linguistiques. Celles-ci essaient tenacement de produire une description exhaustive du comportement ou du savoir linguistique (implicite) dans une communauté linguistique. Elles postulent par conséquent la réalité globale de la « langue » (chez Saussure ; Chomsky parle de la « compétence » du ‘native speaker’). Certes, il existe toujours des langues pour lesquelles un aperçu rapide de leur phonologie, lexique et grammaire doit être fait avant qu’elles ne disparaissent, mais la majorité des linguistes traite de langues pour lesquelles, depuis des siècles, d’innombrables grammaires ont été écrites. Le contexte actuel est celui d’un partage du champ des phénomènes linguistiques par plusieurs disciplines: la psychologie, la sociologie, la biologie des comportements (éthologie), la neurologie etc. Il appartient à la linguistique d’avancer vers une explication plus profonde, plus causale, plus dynamique des phénomènes langagiers, d’autant que les disciplines voisines sont en train d’intégrer les modèles d’auto-organisation22 (en sociologie, en neurologie) et de prendre au sérieux la dimension évolutive. La question de savoir quel type de mathématiques adopter, doit en conséquence prendre en compte les choix de ces disciplines. Il est en effet souhaitable de trouver un langage théorique en commun. Les modèles mathématiques qui permettent une théorisation profonde en physique et chimie, tels que ceux de Haken et Prigogine, peuvent montrer la direction pour une modélisation en neurologie (dynamique cérébrale; voir Haken 1996) et en psychologie (voir Kelso 1997). Les systèmes dynamiques, pour lesquels la théorie des catastrophes est un exemple très simple et clair, paraissent fournir un cadre à ces choix. D’ailleurs, si l’on restreint le choix aux systèmes discrets, les grammaires génératives sont un exemple très simple de systèmes dynamiques23.(c) Enfin, on peut argumenter comme le font Lakoff et Nuñez (2000) que pour comprendre les mathématiques, il faut d’abord comprendre la sémantique des langues naturelles dont elles seraient dérivées. Ainsi la notion d’infini, qui

22 La théorie de l’auto-organisation fut fondée dans les années 50 par von Foerster et développée par Maturana, Varela et d’autres. Elle présuppose d’abord que l’évolution du système n’est pas contrôlée du dehors mais par des forces internes du système (auto-référence). Le système est composé de sous-systèmes en coordination et ces systèmes sont régis par des attracteurs (régimes de stabilité). Le système développe des structures (« patterns ») sous l’influence des règles locales ; ces structures « émergent ». En sociologie Luhmann a intégré les concepts de Maturana dans sa théorie des systèmes sociaux ; en psychologie de la Gestalt, les méthodes de la synergétique de Hermann Haken ont été utilisées pour redéfinir les concepts de base et les relier aux théorisations en neurodynamique (voir Haken 1996).

23 Avant Chomsky, les systèmes de Markov avaient déjà montré la voie. C’était une faute, de laC’était une faute, de la part de Chomsky, de les rejeter : « I know of no suggestion to this effect that does not have obvious flaws », Chomsky (1957, p. 17).

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

104

a hanté l’histoire des mathématiques, est fondée pour Lakoff et Nuñez dans la BMI (Basic Metaphor of Infinity). Celle-ci doit être plausible du point de vue biologique et cognitif :

What is infinity ? Or, put another way, How do we, mere human beings, conceptualize infinity? […] First, the answer must be biologically and cognitively plausible. That is, it must make use of normal cognitive and neural mechanisms. Second, the answer must cover all the cases in mathematics … (Lakoff & Nuñez 2000, p. 163s.)

Si les mathématiques dépendent dans leur valeur des résultats d’une analyse sémantique on ne peut guère envisager d’appliquer les mathématiques en linguistique pour préciser les règles ou les lois trouvées dans ce domaine de recherche. Cela pourrait convenir à Lakoff en tant qu’il rejette toute analyse dite « objective » ou qui utilise un formalisme mathématique développé indépendamment des questions traitées en linguistique. Il se verra confronté, comme chaque scientifique qui a accumulé nombre d’observations, de classifications et de comparaisons, à la nécessité d’avoir un système bien construit pour organiser ces faits, contrôler leurs contradictions internes et découvrir les lacunes de la description. La voie vers la mathématisation est, pour cette raison pratique, inévitable ; il s’agit pourtant de choisir le chemin le plus facile ou le plus direct ou un réseau de chemins qui aboutiront à une compréhension des faits linguistiques.

Les critiques de Lakoff (1987, chapitre 11 et 12) sont surtout dirigées contre l’emploi de la théorie des automates par Chomsky et de la théorie des ensembles dans la sémantique des mondes possibles (chez Montague et à sa suite). Il oublie pourtant que ces applications ne sont guère représentatives des mathématiques appliquées aux sciences et ne concernent qu’un champ très restreint de la logique dans une perspective surtout philosophique. Dès que Lakoff essaie de systématiser sa pensée (par exemple dans son étude sur l’emploi de la préposition over ; voir ibidem, p. 423-436) il commence à construire des réseaux dont les nœuds emploient une logique avec joncteurs et dont les arêtes représentent des transformations entre schémas. Si cette formalisation a la forme de diagrammes, cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne s’agit pas d’une mathématisation (peu développée certes). Son disciple Talmy joue avec la topologie quant il parle de « rubber sheet » et Lakoff essaie de rapprocher sa théorie des systèmes appelés neuronaux, qui font appel à des transitions entre états discrets et des ajustements/optimisations des probabilités de transition ; il utilise donc la théorie des systèmes dynamiques stochastiques. Le nouveau projet appelé « Neural Theory of Language » (voir Feldmann, 2006) a les mêmes traits illusoires : la forme mathématique des modèles reste invisible et la « théorisation » rappelle vaguement les organigrammes d’une école de management. La véritable alternative c’est de faire des applications mathématiques naïves ou des applications qui répondent au standard des mathématiques appliquées.

wolfgang wildgen

105

6. la controverse de la théorie des catastrophes et ses conséquences

Le triomphe médiatique de la théorie des catastrophes a eu lieu lors du congrès international des mathématiques à Vancouver en 1974 et c’est surtout le mathématicien anglais Christopher Zeeman qui en fut l’architecte. Les articles d’application qui étaient souvent adressés au grand public (il reçut un prix pour sa vulgarisation des résultats mathématiques) furent rassemblés dans un volume en 1977 (voir Zeeman, 1977). Sussmann, un disciple de Smale, qui avait d’abord participé à la grande euphorie déclenchée par les travaux en théorie des catastrophes, a publié vers 1978 (avec Zahler) une série d’articles très critiques qui ont déclenché la « controverse des catastrophes », voir Sussmann et Zahler (1978). La critique dont les points pertinents furent rassemblés dans un compte rendu du livre de Zeeman par Smale (1978) examine d’abord les restrictions de la théorie des catastrophes élémentaires :

– Celle-ci ne donne que la configuration des attracteurs pour le déploiement d’un système gradient. Elle reste donc assez statique et Smale argumente (et avec lui plus tard Arnold 1986) que les systèmes dynamiques proprement dits vont au-delà des systèmes à gradients. Déjà la classification des chemins dans la zone de conflit (l’ensemble de bifurcation) dépasse la considération des configurations d’attracteurs. Une conséquence en est que la dérivation des schémas actantiels demande une analyse plus compliquée que Thom ne l’avait imaginée. Par la suite le champ des systèmes dynamiques considérés a été élargi dans les applications de Wildgen et Mottron (1987 ; première partie), Petitot (1992) et Wildgen (1994, 1999).

– Zeeman interprète pour chaque application les paramètres externes (appelés : paramètres de contrôle) de façon différente. Parfois une interprétation partielle est suffisante et il renvoie surtout à la fronce, rarement au papillon, c’est-à-dire n’utilise qu’un choix très réduit de l’inventaire des catastrophe élémentaires. Cela peut sembler arbitraire et Sussman et Zahler (1978) lui reprochent de ne pas respecter les critères standard des mathématiques appliquées (aux sciences naturelles). Si en fait certains modèles (surtout en sociologie) furent précoces et voulaient trop s’adresser au grand public, les modèles en biologie et en médecine, en écologie et en économie ont donné lieu à des applications riches et efficaces dans les décennies suivantes et font maintenant partie d’un corpus de modèles mathématiques reconnus dans ces disciplines.

– La nature qualitative des modèles catastrophistes, c’est-à-dire leur caractère topologique, qui permet une multitude de métriques différentes, ne se prête pas facilement à une quantification. En conséquence l’évaluation des ces modèles confrontés avec des observations quantitatives est difficile sinon impossible. Dans l’esprit d’un faillibilisme à la Popper on pourrait reprocher à ces modèles qu’ils ne sont pas falsifiables et donc non-scientifiques. Pour la linguistique, où les méthodes quantitatives ne sont guère développées, cette critique semble être non-pertinente. Pourtant on peut considérer l’analyse qualitative comme une préparation pour une modélisation quantitative. Si l’on définit une métrique

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

106

spécifique on perd en généralité mais on peut transformer les modèles qualitatifs en modèles quantitatifs ou enrichir le modèle par une composante statistique, comme le font les applications de la synergétique (voir les contributions dans Hegselmann et Peitgen, 1996).

La controverse des catastrophes a eu l’effet de refroidir l’euphorie des premières années et, d’autre part, de préciser la méthodologie des applications catastrophistes. Elle a eu aussi des effets secondaires. Les théorisations parallèles et plus tardives, telles que celles de Prigogine, de Haken, de Maturana et de Mandelbrot, ont pris la place des innovateurs radicaux (Thom et Zeeman). Ces courants ont plutôt négligé les applications dans les sciences humaines, là où la quantification et le test statistique s’avèrent être difficiles. Aucune application en grammaire n’a vu le jour. René Thom qui ne fut pas directement l’objet de la critique de Smale, Sussmann et Zahler s’est tourné vers des questions plutôt philosophiques. Il a proposé à partir de 1978 une théorie de la prégnance et les éléments d’une physique néo-aristotélicienne baptisée « sémiophysique » (voir Thom 1988 et les commentaires dans Petitot 1992 et Boutot, 1993). Dans ces modèles les détails mathématiques sont devenus secondaires. Zeeman, par contre, a poursuivi son chemin et l’évolution des mathématiques appliquées à la biologie, l’économie etc. lui a donné raison. Dans un article de 1993 il compare la controverse entre Daniel Bernoulli, D’Alembert et Euler au 18e s. avec la controverse des catastrophes entre Zeeman, Sussman et Zahler et Smale entre 1974 et 1980 (voir Zeeman, 1993). Il en tire la conclusion que ce n’est qu’à long terme que de pareilles controverses sur des questions fondamentales sont décidées. Les réponses et solutions nouvelles ont typiquement des défauts dans la phase de leur introduction. Dès que ces défauts sont corrigés par des développements ultérieurs la controverse s’évanouit. Pour le moment les modèles proposés en linguistique sont encore dans un état embryonnaire et il faut attendre la réorientation dynamique de la discipline pour que des résultats apparaissent qui puissent montrer la portée scientifique de cette approche (voir Wildgen, 2009 pour une sorte de manifeste de la linguistique cognitive à orientation dynamique).

bibliographie

Arens, Hans (1969). Sprachwissenschaft : der Gang ihrer Entwicklung von der Antike bis zur Gegenwart, Freiburg, Alber.

Arnold, V.I. (1972). « Normal Forms of Functions near Degenerate Critical Points, the Weyl Groups of Ak, Dk, and Fk, and Lagrangian Singularities », Functional Analysis and its Applications 6, 254-272.

Arnold, V.I. (1986). Catastrophe Theory , Heidelberg, Springer.Bar-Hillel, Yehoshua (1950). « On Syntactical Categories », Journal of Symbolic Logic

15(1), 1-16.Bloomfield, B. (1926). « A Set of Postulates for the Science of Language », Language 2,

153-164.Boutot, Alain (1993). L’invention des formes. Chaos – catastrophes – fractales – structures

dissipatives – attracteurs étranges, Paris, Éditions Odile Jacob.Paris, Éditions Odile Jacob.Brainerd, Barron (1971). Introduction to the Mathematics of Language Study, New York,

Elsevier.Brandt, Per Aage (1991). « Pour une sémiotique de la promesse. Quelques réflexions

wolfgang wildgen

107

théoriques », Brandt, Per Aage & Prassoloff, A. (éd.), Qu’est-ce qu’une promesse ?, Aarhus, Aarhus U.P.

Brauer, Wilfried (1970). « Zu den Grundlagen einer Theorie topologischer sequentieller Systeme und Automaten », Schriftenreihe der Gesellschaft für Mathematik 31, Bonn.

Bruno, Giordano (1582/1993). Chandelier, Œuvres Complètes, vol. I, Paris, Les Belles Lettres.

Carnap, Rudolf (1934). Logische Syntax der Sprache, Wien, Springer.Chomsky, Noam (1953). « Systems of Syntactic Analysis », Journal of Symbolic Logic 18,

242-256.Chomsky, Noam (1955). The Logical Structure of Linguistic Theory, [manuscrit, copie

électronique, publication partielle, New York, Plenum Press, 1975. nos citations renvoient au manuscrit]

Chomsky, Noam (1957). Syntactic Structures, The Hague, Mouton.Darwin, Charles (1871). The Descent of Man and Selection in Relation to Sex, London

Murray. Feldman, Jerome A. (2006). From Molecule to Metaphor. A Neural Theory of Language,

Cambridge (Mass.), MIT Press.Fitch, W. T., M. D. Hauser, Noam Chomsky (2005). « The Evolution of the Language

Faculty: Clarifications and Implications », Cognition 97, 179-210.Greimas, Algirdas J. (1966). Sémantique structurale. Recherche de méthode, Paris,

Larousse.Gross, Maurice et André Lentin (1967). Notions sur les grammaires formelles, Paris,

Gauthier-Villars.Haken, Hermann (1996). Principles of Brain Functioning. A Synergetic Approach to Brain

Activity, Behavior and Cognition, Berlin, Springer.Harris, Zellig S. (1951). Methods in Structural Linguistics. [nouvelle édition (1963)

Structural Linguistics , Chicago, Univ. of Chicago]Harris, Zellig S. (1952). « Discourse Analysis », Language 28, 18-23 & 474-494.Harris, Zellig S. (1991). A Theory of Language and Information : A Mathematical Approach,

Oxford, Clarendon Press.Hegselmann, Rainer und Heinz-Otto Peitgen (1996). Modelle sozialer Dynamiken.

Ordnung, Chaos und Komplexität, Verlag Hölder-Pichler-Tempsky, Wien.Herbart, Johann Friedrich (1850). Psychologie als Wissenschaft : neu gegründet auf

Erfahrung, Metaphysik und Mathematik. [nouvelle édition (1968) reprenant celle de Leipzig, Amsterdam, Bonset]

Hjelmslev, Louis (1935 et 1937/1972). La catégorie du cas. Étude de grammaire générale, tome I et II, Aarhus (réédité en 1972, München, Fink),.

Hockett, Charles F. (éd.) (1970). A Leonard Bloomfield Anthology, Chicago, Indiana University Press.

Hubey, H. Mark (1999). Mathematical Foundations of Linguistics, Newcastle, Lincom.Joly, Louis (1979). Les polyèdres réguliers, semi-réguliers et composés, Paris, Blanchard.Kelso, J. A. Scott (1997). Dynamic Patterns. The Self-Organization of Brain and Behavior,

Cambridge (Mass.), Bradford Book.Kaufmann, Arnold (1973). Introduction à la théorie des sous-ensembles flous à l’usage des

ingénieurs (Fuzzy sets theory), préf. de L. A. Zadeh , Paris, Masson. Kempelen, Wolfgang von (1791). Mechanismus der menschlichen Sprache nebst

Beschreibung einer sprechenden Maschine, édition facsimile avec une introduction de Herbert E. Brekle et Wolfgang Wildgen, Stuttgart, Frommann, 1970.

Kuroda, S.Y. (1976). « A Topological Study of Phrase-Structure Languages », Information and Control 30, 307-379.

Labov, William (1994). Principles of Linguistic Change, tome 1, Internal factors, Oxford, Blackwell.

Lakoff, George & Johnson, Mark (1980). Metaphors We Live By, Chicago, University of Chicago Press.

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques

108

Lakoff, George (1987). Women, Fire and Dangerous Things : What Categories Reveal about the Mind , Chicago, University of Chicago Press.

Lakoff, George et Rafael E. Nuñez (2000). Where Mathematics Comes from : How the Embodied Mind Brings Mathematics into Being, New York, Basic Books.

Lipsi, John M. (1974). « A Topology of Semantic Dependence », Semiotica 12, 145-170.Lipsi, John M. (1975). « Toward a Topology of Natural Language », Poetics 5, 517.Marcus, Salomon (1967). Introduction mathématique à la linguistique structurale, Paris,

Dunod.Montague, Richard (1970). « Universal Grammar », Theoria 36, 373-398.Peitgen, Heinz-Otto, Jürgens, Hartmut & Saupe, Dietmar (1992). Bausteine des Chaos

Fraktale, Heidelberg/Stuttgart, Springer/Klett. Penrose, Roger (1989). The Emperor’s New Mind. Concerning Computers, Minds, and the

Laws of Physics, London, Vintage.Petitot, Jean (1985a). Les catastrophes de la parole. De R. Jakobson à René Thom, Paris,

Maloine.Petitot, Jean (1985b). Morphogenèse du sens, tome 1, Paris, Presses Universitaires de

France.Petitot, Jean (éd.) (1988). Logos et Théorie des Catastrophes. A partir de l’œuvre de René

Thom, Genève, Patiño.Petitot, Jean (1992). Physique du Sens. De la théorie des singularités aux structures sémio-

narratives, Paris, Editions du CNRS.Petitot, Jean (2003). Morphogenesis of Meaning, traduit par F. Manjali, Bern, Lang.Prigogine, Ilya (1980). Physique, temps et devenir, Paris, Masson. Schleicher, August (1858). « Zur Morphologie der Sprache », Mémoires de l’Académie

Impériale des Sciences de St. Pétersbourg, VIIe série, tome I, no. 7, St. Pétersbourg 1859.

Schleicher, August (1863). Die Darwinsche Theorie und die Sprachwissenschaft, Weimar, Bohlau.

Schuchardt, Hugo (1980). Pidgin and Creole Languages: Selected Essays. Édité et traduitÉdité et traduit par Gilbert, Glenn G., London, Cambridge Univ. Press.

Seiler, Hans (1988). « La dynamique dans la dimension linguistique de la possessivité », Petitot, Jean (éd.), Logos et Théorie des Catastrophes. A partir de l’œuvre de René Thom, Genève, Patiño, 409-418.

Smale, Stephen (1978), « Book Review of Catastrophe Theory: Selected Papers 1972-1977 by E.C. Zeeman », Bulletin of the American Mathematical Society 84/6, 1360-1368.

Sussmann, H.J. et R.S. Zahler (1978). « Catastrophe Theory as Applied to the Social and Biological Sciences: A Critique », Synthese 37, 117-216.

Tesnière, Lucien ([1959] 1988). Eléments de syntaxe structurale, Paris, Klincksieck. Thom, René (1970). « Topologie et Linguistique », Hoefliger A. et R. Narasinshan (éds.),

Essays in Topology and Related Topics, Berlin, Springer: 226-248; réimprimé (avec modifications) in Thom (1974a: 148-177).

Thom, René. (1972). Stabilité structurelle et morphogenèse, Paris, Interéditions. [2ème édition, revue et corrigée, 1977]

Thom, René (1972/1974). « Langage et catastrophes. Eléments pour une sémantique topologique », Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Union Générale d’Editions.

Thom, René (1974a). Modèles mathématiques de la morphogenèse, Paris, Union Générale d’Editions [2ème édition (1980), Bourgois, Paris]

Thom, René (1974b). « La linguistique, discipline morphologique exemplaire », Critique 30/1, 235-245.

Ungeheuer, Gerold (1958). « Die Eigenwerttheorie der Formanten und das System der Vokale », Zeitschrift für Phonetik und allgemeine Sprachwissenschaft 11(1), 35-48 [réimprimé (1977). « Die Eigenwerttheorie der Formanten und das System der Vokale » ,Materialien zur Phonetik des Deutschen, Hamburg, Buske, 29-45]

wolfgang wildgen

109

Whorf, Benjamin Lee (1956). Language, Thought, and Reality, Selected Writings of B.L. Whorf, Caroll, J.B. (éd.), Cambridge (Mass.), MIT Press.

Wildgen, Wolfgang (1979). Verständigungsdynamik : Bausteine für ein dynamisches Sprachmodell, thèse de « Habilitation », Université de Regensburg. [557 pages, téléchargeable à http://elib.suub.uni-bremen.de/ip/docs/00010402.pdf]

Wildgen, Wolfgang (1981). « Archetypal Dynamics in Word Semantics. An Application of Catastrophe Theory », Eikmeyer, H.J. & Rieser, H. (éd.), Words, Worlds and Context. New Approaches to Word Semantics, Berlin, de Gruyter, 234-296.

Wildgen, Wolfgang (1982). Catastrophe Theoretic Semantics. An Elaboration and Application of René Thom’s Theory, Amsterdam, Benjamins.

Wildgen, Wolfgang (1983). « Modelling Vagueness in Catastrophe Theoretic Semantics », Ballmer, T.T.&Pinkal, M. (éd.), Approaching Vagueness, Amsterdam, North-Holland, 317-360.

Wildgen, Wolfgang (1985). Archetypensemantik. Grundlagen für eine dynamische Semantik auf der Basis der Katastrophentheorie, Tübingen, Narr.

Wildgen, Wolfgang (1994). Process, Image and Meaning. A Process and Image Centred Model of the Meaning of Sentences and Narrative Texts, Amsterdam, Benjamins.

Wildgen, Wolfgang (1998). « Chaos, Fractals and Dissipative Structures in Language or the End of Linguistic Structuralism », Altmann, Gabriel & Koch, Walter A. (éd.). Systems. New Paradigms for the Human Sciences, Berlin, de Gruyter, 596-620.

Wildgen, Wolfgang (1999). De la grammaire au discours. Une approche morphodynamique, Bern, Lang.

Wildgen, Wolfgang (2001). « Iconicité et représentation topologique pour les verbes du mouvement et de l’action », da Silva, Augusto Soares (éd.). Linguagem e Cognição : A perspectiva da Linguística Cognitiva, Braga, 215-237.

Wildgen, Wolfgang (2002). « Dynamical Models of Predication », STUF (Sprachtypologie und Universalienforschunmg) 4, 403-420.

Wildgen, Wolfgang (2004). The Evolution of Human Language. Scenarios, Principles, and Cultural Dynamics, Amsterdam, Benjamins.

Wildgen, Wolfgang (2005). « Catastrophe Theoretical Models in Semantics », Köhler, Reinhard, Altmann, Gabriel & Pietrowski, R.G. (éd.) Quantitative Linguistics, Berlin, de Gruyter, 410-423.

Wildgen, Wolfgang (2008). Kognitive Grammatik. Klassische Paradigmen und neue Perspektiven, Berlin, de Gruyter.

Wildgen, Wolfgang (2009). « The “dynamic turn” in cognitive linguistics », Tissari, Heli (éd.), Studies in Variation, Contacts and Change in English. [prepublished by : eVarieng, Helsinki (téléchargeable à http://www.fb10.uni-bremen.de/lehrpersonal/wildgen.aspx)]

Wildgen, Wolfgang & Mottron, L. (1987). Dynamische Sprachtheorie : Sprachbeschreibung und Spracherklärung nach den Prinzipien der Selbstorganisation und der Morphogenese, Brockmeyer, Bochum [version électronique de la première partie : http://elib.suub.uni-bremen.de/ip/docs/00010028.pdf].

Wildgen, Wolfgang & Plath, Peter (2005). « Katastrophen und Chaostheorie in der linguistischen Modellbildung », Köhler, Reinhard, Altmann, Gabriel & Pietrowski, R.G. (éd.) Quantitative Linguistics, Berlin, de Gruyter, 688-705.

Wittgenstein, Ludwig (1960). Tractatus logico-philosophicus, Frankfurt am Main, Suhrkamp.

Zeeman, Christopher (1977). Catastrophe Theory : Selected Papers 1972-1977, Cambridge (Mass.), Addison-Wesley.

Zeeman, Christopher (1993). « Controversy in Science : on the Ideas of Daniel Bernoulli and René Thom », Niew Archief voor Wiskunde 11/3, 257-282.

la rivalité historique entre une modélisation statique et dynamique des faits linguistiques