La prospection archéologique dans le méthodes et résultats Cherbourg"'

12
Fig. 1 >Département de la Manche : localisation des sites mentionnés dans le texte (DAO O. Laurent/Inrap). La prospection archéologique dans le méthodes et résultats FERMANVILLg Cherbourg"' PAR CAROLINE DUCLOS, LAURENCE JEANNE, NICOLAS NAVARRE, KARINE CHANSON, LUDOVIC LE GAILLARD ET LAURENT PAEZ-REZENDE AVEC LA COLLABORATION D'OLIVIER LAURENT MONTAIGU riALOGNES Reprenant le flambeau de Charles de Gerville (1769-1853), après plusieurs décennies de léthargie sur la période antique, des passionnés d'archéologie ont relancé une dynamique de détection du patrimoine archéologique dans le nord du Cotentin. Des tâtonnements de 1999 à la première campagne de sondages programmés de l'été 2002, menée en collaboration avec des archéologues de l'Inrap et avec le soutien du ministère de la Culture et du Conseil général du département de la Manche, diverses méthodes de prospection ont été expérimentées, permettant un renouvellement des connaissances sur ce secteur. La prospection est une démarche de l'archéo- logie souvent peu valorisée mais pourtant à la base de la plupart des travaux de fouille pro- grammée et prise en compte par le service ré- gional de l'Archéologie dans l'instruction des dossiers d'urbanisme. Ainsi, la majorité des sites préhistoriques et historiques ayant fait l'objet d'une recherche archéologique dans le département de la Manche n'est pas le résultat de découvertes fortuites mais celui d'investi- gations méthodiques. Les campagnes de prospection sont pourtant délicates à mettre en place dans une région où le paysage bocager, dominé par des herbages et jalonné par des zones boisées ou des landes, n'est pas des plus propices à la détection des sites archéologiques. Ce dernier constat a mo- tivé une réflexion autour d'un cadre méthodo- logique adapté à la découverte des indices d'oc- cupations anthropiques préhistoriques et his- toriques dans ce type d'espace géographique (encadré A). De la prospection-inventaire à la prospection thématique En 1999, débute une prospection archéolo- gique dans le nord du Cotentin, prospection aérienne avec vérification au sol essentielle- ment, suivant l'exemple des vols fructueux menés depuis une trentaine d'années dans plu- sieurs régions de France. Le but est de complé- ter l'inventaire archéologique des communes, en liaison avec la cellule de la Carte archéolo- gique régionale du service régional de l'Ar- chéologie de Basse-Normandie, et de tester la méthode de prospection dans ces paysages do- minés par un bocage peu remembré. Cette opé- ration marque une pause en 2001, donnant un bilan mitigé : si la lecture des sites est souvent claire, elle reste la plupart du temps limitée aux parcelles cultivées, et l'inventaire ne progresse véritablement que par la prospection pédestre et les contacts pris à cette occasion. Parallèlement, une prospection thématique est entreprise dès 2000 sur le site probable d'une ag- o Archéopages n10 • Juillet 2003

Transcript of La prospection archéologique dans le méthodes et résultats Cherbourg"'

Fig. 1

>Département de

la Manche : localisation

des sites mentionnés

dans le texte

(DAO O. Laurent/Inrap).

La prospection archéologique dans le méthodes et résultats

• FERMANVILLg

Cherbourg"'

PAR CAROLINE DUCLOS, LAURENCE JEANNE, NICOLAS NAVARRE, KARINE CHANSON, LUDOVIC LE GAILLARD ET LAURENT PAEZ-REZENDE AVEC LA COLLABORATION D'OLIVIER LAURENT

• MONTAIGU

riALOGNES

Reprenant le flambeau de Charles de Gerville (1769-1853), après plusieurs décennies de léthargie sur la période antique, des passionnés d'archéologie ont relancé une dynamique de détection du patrimoine archéologique dans le nord du Cotentin. Des tâtonnements de 1999 à la première campagne de sondages programmés de l'été 2002, menée en collaboration avec des archéologues de l'Inrap et avec le soutien du ministère de la Culture et du Conseil général du département de la Manche, diverses méthodes de prospection ont été expérimentées, permettant un renouvellement des connaissances sur ce secteur.

La prospection est une démarche de l'archéo-logie souvent peu valorisée mais pourtant à la base de la plupart des travaux de fouille pro-grammée et prise en compte par le service ré-gional de l'Archéologie dans l'instruction des dossiers d'urbanisme. Ainsi, la majorité des sites préhistoriques et historiques ayant fait l'objet d'une recherche archéologique dans le département de la Manche n'est pas le résultat de découvertes fortuites mais celui d'investi-gations méthodiques. Les campagnes de prospection sont pourtant délicates à mettre en place dans une région où le paysage bocager, dominé par des herbages et jalonné par des zones boisées ou des landes, n'est pas des plus propices à la détection des sites archéologiques. Ce dernier constat a mo-tivé une réflexion autour d'un cadre méthodo-logique adapté à la découverte des indices d'oc-cupations anthropiques préhistoriques et his-toriques dans ce type d'espace géographique (encadré A).

De la prospection-inventaire à la prospection thématique En 1999, débute une prospection archéolo-gique dans le nord du Cotentin, prospection aérienne avec vérification au sol essentielle-ment, suivant l'exemple des vols fructueux menés depuis une trentaine d'années dans plu-

sieurs régions de France. Le but est de complé-ter l'inventaire archéologique des communes, en liaison avec la cellule de la Carte archéolo-gique régionale du service régional de l'Ar-chéologie de Basse-Normandie, et de tester la méthode de prospection dans ces paysages do-minés par un bocage peu remembré. Cette opé-ration marque une pause en 2001, donnant un bilan mitigé : si la lecture des sites est souvent claire, elle reste la plupart du temps limitée aux parcelles cultivées, et l'inventaire ne progresse véritablement que par la prospection pédestre et les contacts pris à cette occasion. Parallèlement, une prospection thématique est

entreprise dès 2000 sur le site probable d'une ag-

o Archéopages n10 • Juillet 2003

Cherbourg

nord Cotentin 0 Le nord Cotentin aperçu du « bout du monde »

PAR MARIE DERREUMAUX

e « bout du monde »,

c'est ainsi que les Bas-

Normands, entre autres,

nommaient il n'y a pas

si longtemps encore le

Cotentin et sa capitale

emblématique Cherbourg.

Cette presqu'7e, bande de

terre large de 40 km entourée

par la Manche, est située entre

le Bassin parisien et le massif

Armoricain. Sa façade

orientale, laissant dans

ses deux tiers sud une large

place aux grandes plages

de sables, est tournée vers

l'embouchure de la Seine et

les petits estuaires de la côte

du Calvados ; la frange nord et

le littoral ouest sont nettement

plus découpés et présentent

une alternance de plages et de falaises, l'une faisant

face aux îles Britanniques

et l'autre s'ouvrant sur l'océan

Atlantique. Le paysage tumultueux

du tiers nord de la presqu'île

est le résultat de son entière

appartenance au massif

Armoricain ; partout on y rencontre les trois grandes

formations géologiques :

les schistes, les granites

et les roches cimentées (grès,

poudingues, conglomérats

triasiques). La topographie

de l'intérieur des terres s'en

ressent tout autant, avec un

relief aussi mouvementé que les profils côtiers. De Carentan

à Cherbourg comme de Saint-

Vaast-la-Hougue à Jobourg

se succèdent lignes de crêtes

et petites vallées où s'écoulent

nombre de cours d'eau qui,

à l'est et au centre-nord,

alimentent la Saire et la

Divette, principaux fleuves du

secteur, tandis qu'à l'ouest, ils

filent directement vers la mer.

Cette configuration hydrographique est une des

données intervenant dans la

scission du nord Cotentin en

deux • Pays » : le Val de Saire

pour la moitié est et la Hague

pour la moitié ouest. Une telle distinction est une

réalité morphologique, puisque

le Val de Saire, grâce à ses deux fleuves, possède des

espaces plus ouverts, surtout

dans les vallées, alors que

la Hague apparaît plus repliée

à l'intérieur de ses hautes

falaises. Le paysage est tout

aussi marqué entre ces deux

microrégions, la Hague, battue

par les vents froids venant

de l'Océan, développe de nombreuses landes

ou maquis et les terres

agricoles sont en majorité

à usage de prairies où

n'engraissent guère que des

moutons. Le Val de Saire

est à l'inverse abrité de

ces vents et la proximité

du Gulf Stream lui procure

un climat plus doux, atouts qui favorisent la culture

céréalière, le maraîchage

et l'élevage bovin.

Le couvert forestier

se développe à quelques kilomètres en retrait du littoral

et n'est aujourd'hui constitué

que de lambeaux disséminés

des anciennes forêts royales,

seigneuriales ou ecclésiastiques, qui couvraient

encore au début du xvi0 s. les

quatre cinquièmes du Cotentin

(d'après l'analyse du Journal

du sire de Gouberville).

proximité du site de Montaigu-

la-Brisette, le bois de

Barnavast est un bon exemple

de cet état de fait.

Mais le paysage qui domine cette presqu'île reste le

bocage, juxtaposition de

parcelles d'un hectare en

moyenne, closes de haies et

souvent dévolues à l'élevage.

Cette image des vertes prairies

de l'ouest de la France reflète

cependant une construction

parcellaire récente, très

éloignée des plans relevés aux

)(vie et xve s. Depuis la fin des années 50, les techniques

agricoles nécessitent des

remembrements qui modifient

le paysage bocager : ils sont

cependant très limités dans

cette partie de l'Ouest, et les

parcelles cultivées restent peu

nombreuses dans le Cotentin.

glomération secondaire antique, à Montaigu-la-Brisette. l'année suivante, c'est le site de Portbail, contemporain du premier, qui fait l'objet du même travail. Ces deux opérations participent d'une même réflexion méthodologique, initiée en 1998 sur le site antique d'Alauna (Valognes), visant à synthétiser les données disponibles sur de vastes sites présumés urbains (cf. infra). Enfin, ces opérations de prospection condui-sent en 2002 à deux recherches qui affinent et complètent les résultats des trois premières an-nées, à Fermanville et à Montaigu-la-Brisette.

Sur le premier de ces sites, une prospection pé-destre systématique des parcelles cultivées a permis d'étendre considérablement nos connaissances des occupations préhistoriques dans ce secteur (fig. 2). À Montaigu, la pour-suite des recherches a précisé notre perception d'un ensemble flou, juxtaposition de décou-vertes anciennes au sein d'un concept obscur de bourgade antique, issu de l'archéologie du xixe s. La démarche adoptée se place dans le prolongement de la méthode mise en oeuvre en 2000, et constitue une approche globale du

Juillet 2003 • Archéopages n°10

't4e

`'Mr4/00111MOV i rad,

-0

1500 m

APRES

%tee, ♦ er-

L_ (7)

MB Artefacts du Paléolithique

11111 Artefacts du Mésolithique

MI Artefacts du Néolithique Autres périodes

MI Artefacts de la protohistoire sens large

Fig. 2

Fermanville.

Évolution des résultats

de la prospection

centrée sur les

occupations

préhistoriques

(DAO L. Jeanne/GRAC).

site, considéré aujourd'hui comme une agglo-mération secondaire du Haut-Empire (fig. 3). Celle-ci a fait l'objet d'une campagne de son-dages l'an passé, porteuse de premiers résul-tats stratigraphiques, chronologiques et struc-turels fiables sur ce site.

Une convergence des techniques de prospection Que les recherches concernent des indices de toutes périodes, les difficultés d'approches inhé-rentes au contexte environnemental obligent à

développer des techniques peu utilisées et à adapter celles qui ont fait la preuve de leur ef-ficacité en d'autres lieux. Les programmes de recherche qui interviennent ensuite (sondages et fouilles programmées) servent alors aux pros-pecteurs à tester la validité de ce faisceau de techniques de prospections complémentaires. La convergence des moyens que l'on se donne et les réglages qui leur sont constamment ap-portés permettent d'optimiser la collecte et l'ana-lyse de données archéologiques sur un secteur déterminé.

Archéopages n°10 • Juillet 2003

0 200 m 1 Km

1 217 975

1 216 975

Hamea Touraine

. 1 215 975

Superficie estimée du site à l'issue de la première année de prospection thématique : les tiretés correspondent aux zones qui sont mentionnés des vestiges antiques dans la bibliographie. Le fanum représente l'unique bâtiment gallo-romain identifié.

1 214 975

S

1 217 975

1 216 975

1 215 975

1 214 975

s

N

Superficie estimée du site à l'issue de la deuxième année de prospection thématique : l'approfondissement des recherches permet d'être plus précis quant à la localisation et la nature du site. À côté d'un noyau d'occupation dense, correspondant sans doute à l'agglomération secondaire, trois sites indépendants se dessinent, dont un probable atelier de tuiliers.

Fig. 3

ic7ritaigu-la-Brisette.

Évolution des résultats

de la prospection

sur le site antique

(DAO O. Laurent,

L. Le Gaillard/Inrap).

Juillet 2003 • Archéopages n°10 •

La prospection aérienne : le point de vue d'un pilote

PAR PIERRE DUBOST*

es vols programmés pour

effectuer une observation

aérienne nécessitent de

réunir impérativement

plusieurs conditions :

- un avion adapté ;

- une météo favorable ;

- un briefing détaillé des sites à

survoler;

- une bonne forme physique de

l'équipage.

À l'évidence l'avion utilisé ne

peut sortir du domaine autorisé

par le constructeur aussi bien

pour le nombre de passagers

que pour la masse totale

admise au décollage. Des

Robin DR 400, 108 cv, 120 cv

et 160 cv ont tour à tour permis

d'effectuer ces vols de

prospection. Ces avions

présentent l'avantage de voler à

des vitesses relativement

faibles en toute sécurité

(140 km/h) pour faciliter les

prises de vues, sachant que la

vitesse de croisière normale est

proche de 200 km/h. Ces

avions à ailes basses donnent une excellente visibilité grâce à

un cockpit constitué d'une

verrière entièrement

translucide. Seul défaut,

l'emplacement de l'aile basse

implique d'incliner l'avion

fortement pour faire une prise

de vue correcte. Ce type de vol dont les

trajectoires sont rarement en

lignes droites n'est pas

confortable pour un équipage

occasionnel (ce qui n'est plus le

cas). Les virages consécutifs

d'un bord sur l'autre, plus ou

moins serrés, plus moins

inclinés, créent des sensations

assez désagréables à

l'équipage, ce qui implique un

pilotage souple tout en

surveillant régulièrement le

comportement de l'équipage.

Au moment de la prise de vue,

l'avion est incliné à plus de 45°

pour obtenir un cliché presque

vertical et pour limiter certains

effets de reflets dus à la

verrière. Des passages

circulaires successifs

s'imposent parfois pour se

positionner correctement en

hauteur et selon le meilleur

angle d'éclairage.

Les conditions

météorologiques sont

essentielles pour mener à bien

ces prospections. Un beau

temps apparent au sol est

parfois décevant en vol. Malgré

un ciel dégagé, on voit très

fréquemment que la visibilité en

vol est dégradée donnant

l'impression d'un

environnement embrumé, la

luminosité naturelle produit un

effet de brillance rendant

quasiment impossible des

prises de vues de qualité. Le

vent turbulent est à éviter :

c'est d'une part impressionnant

pour l'équipage et d'autre part

les prises de vues relèvent de

l'exploit. Le choix de l'heure et

la position du soleil doivent être

pris en compte en fonction

des sites à survoler. La hauteur

des survols doit rester

réglementaire, une hauteur

de 1 000 pieds (300 m) - voire

supérieure tout en réduisant la

puissance pour éviter les

nuisances sonores au sol - est

en permanence respectée.

Avant chaque départ un briefing complet est de rigueur

pour définir exactement le

circuit et pour optimiser le vol.

Les points particuliers à

observer sont parfaitement

répertoriés sur une carte au

1/25 000, ce qui est

particulièrement difficile à gérer

en avion. Pour donner une idée

de la difficulté, à la vitesse

normale de l'avion chaque

minute de vol représente

un déplacement de 12 cm sur

ce type de carte. Une bonne

connaissance de la cartographie

locale, la localisation

de toutes les communes

des zones à survoler,

l'orientation intuitive

sont des atouts indispensables

pour le pilote. Il faut savoir

que l'égarement est la hantise

de la plupart des pilotes

peu expérimentés.

En vol, un navigateur en place

arrière observe et essaie

de suivre le déplacement

de l'avion afin de positionner

des sites susceptibles

d'intérêt sur sa carte IGN.

Le pilote profane et la prospection aérienne Bien connaître sa région est un

point essentiel pour être

suffisamment disponible dans

le pilotage et accorder un peu

d'attention à tout ce qui entre dans certains critères dignes

d'intérêt à observer. La curiosité pour des vieilles

pierres, l'aspect culturel, le

côté « découverte » sont autant

d'éléments qui invitent à

prendre part à l'action. Le

pilote n'a pas en général trop

l'esprit disponible pour

observer des taches dans les

champs, des formes

géométriques - à peine

perceptibles qui plus est -

visibles un jour et invisibles un

autre jour. Le pilotage demande

beaucoup d'attention et ne

tolère pas trop la distraction. La

sécurité du vol est une

obligation permanente.

Ce type de vol apporte une

nouvelle vision de notre région.

Le contact avec des

passionnés de cette activité

bien documentés donne l'envie

de participer concrètement à

ces prospections. Le regard sur

le sol, vu d'en haut, prend une

autre dimension. Ce qui

paraissait un banal panorama

« défilant » aérien se transforme

parfois en « lecture » du sol

complètement différente. Un alignement de chemins, de

routes et traces rectilignes

laissent tout de suite penser

peut-être à une ancienne voie

romaine. Des formes

rectangulaires à demi

apparentes dans des parcelles

cultivées sont à coup sûr des

traces d'anciennes constructions sans pour cela

remonter à l'Antiquité. Sachant

aussi que la Seconde Guerre mondiale a aussi laissé des

stigmates considérables dans

notre bocage, des ruines

ensevelies, des champs

d'aviation...

En conclusion, le pilote n'est

pas déçu de cette expérience,

qui apporte un plus à sa petite

culture archéologique, et

apprécie le formidable travail

de synthèse que réalise

l'équipe de bénévoles associée

à des professionnels dont le

compte rendu est de qualité.

*pilote à l'aérodrome

de Cherbourg-Maupertus

Montaigu-la-Brisette. Bâtiment (antique ?) révélé par un déficit de pousse (cliché L. Jeanne/GRAC).

Archéopages n°10 • Juillet 2003

Fig. 4

Saussemesnil. Ferme

indigène romanisée ;

à l'enclos « indigène »,

au centre,

pourrait succéder

une occupation

gallo-romaine, dont

un bâtiment est visible

en bas du cliché (cliché

L. Jeanne/GRAC).

La prospection aérienne est la première technique utilisée dans le nord Cotentin au cours de nos opérations (encadré B). Dans cet espace, la va-riété et l'alternance du couvert végétal ou la densité d'urbanisation, associées au maillage étroit du parcellaire actuel, n'offrent souvent qu'une image diffuse et partielle des structures archéologiques. Les occupations variées qui ja-lonnent l'histoire de l'humanité ne répondent pas de la même manière à la détection visuelle. À cela s'ajoutent les conditions climatiques cumulées sur de longues périodes qui favori-sent ou non la transparence des sites. D'où la nécessité plus qu'ailleurs de passages répétés et échelonnés sur plusieurs saisons et années pour compléter les données. Reste malgré tout que certaines implantations humaines demeu-reront toujours inabordables par ce procédé d'investigation. l'étude comparée entreprise pour le nord Cotentin confirme ces contingences. La photo-graphie d'une probable ferme indigène roma-nisée découverte sur la commune de Sausse-mesnil (fig. 4), à quelques kilomètres du site antique de Montaigu-la-Brisette, offre une vi-sion disloquée de l'établissement. Cette image incomplète, amplifiée par la fugacité de certains indices, nous a obligés à un survol fréquent de la zone. En revanche, les repérages sur Mon-taigu-la-Brisette ont montré les limites de l'achar-nement puisque la qualité de l'information sur les mêmes indices n'a pas varié d'une année sur l'autre. Sur le site antique de Portbail, c'est le taux d'urbanisation, même lâche à l'emplace-ment des vestiges, qui masque ou perturbe la détection parce qu'il morcelle l'espace de pros-pection et détourne l'attention pendant le vol : notre vue se focalise sur les éléments concrets que sont les constructions contemporaines, en opposition aux anciennes qui n'apparaissent toujours qu'en filigrane. Techniquement, quand l'environnement est pro-pice, les reconnaissances à basse altitude sont les plus efficaces. Mais l'incertitude demeure, et une vérification au sol est indispensable à la construction des hypothèses structurelles et chronologiques.

La prospection de surface est donc indissociable des survols. Le secteur étudié, commune ou zone plus restreinte, doit intégralement être cou-vert par les observations pédestres afin de poser un filtre supplémentaire dans la prise en compte ou, au contraire, le rejet des anomalies. Chaque parcelle doit bénéficier des mêmes exigences de

recherche. Les investigations planimétriques sont très riches en enseignements archéolo-giques, notamment en terme de répartition spa-tiale des occupations. Cependant, cette ap-proche n'est pas sans soulever quelques pro-blèmes d'ordre méthodologique. Laccessibilité à la documentation est conditionnée par la na-ture du sol et la profondeur du labour. Même si les exigences de ramassage sont identiques, les terrains prospectés ne peuvent pas bénéfi-cier des mêmes facilités d'accès à l'information. D'autre part, le matériel collecté en surface des labours est déconnecté de son contexte strati-graphique et fonctionnel. Si le mobilier histo-rique, assez caractéristique, peut souvent être rattaché à une période relativement précise, le matériel lithique notamment postpaléolithique, parfois assez atypique dans notre département, peut rester sans attribution chronoculturelle précise. En revanche, pour ces indices d'occupation, la prospection pédestre est une alternative à son invisibilité en altitude, comme ce fut le cas à Fermanville. Pour certains sites, une cohésion chronologique de l'ensemble peut être apportée par la collecte de mobilier en surface des labours. Les tessons de céramique, le plus souvent fragmentés et al-térés, constituent néanmoins nos premiers mar-queurs chronologiques. Ainsi, l'abondant mo-bilier collecté à Montaigu-la-Brisette, dominé par une céramique en assez bon état, fait ap-paraître une forte proportion d'indices inscrits dans une fourchette chronologique allant de la seconde moitié du Ier s. ap. J.-C. au début me s. Cette datation a d'ailleurs été confirmée par les résultats des premiers sondages archéologiques

Juillet 2003 • Archéopages n°10

Q

Montaigu-la-Brisette.

Aménagements de

briques, tuiles et pierres

dans le lit d'un cours

d'eau, partiellement

démantelés lors d'un

curage. Ces

aménagements ont fait

l'objet d'un sondage en

2003 qui a confirmé la

structuration et la

chronologie de cette

découverte fortuite,

issue de la propection

pédestre (cliché

L. Jeanne/GRAC).

Fig. 5

(fig. 5). Les récoltes de mobilier sur l'occupa-tion antique de Portbail — qui n'a pas encore fait l'objet de recherches plus approfondies — sont plus imprécises bien que numériquement com-parables.

L'enquête orale apporte également une meilleure connaissance des zones temporairement ou dé-finitivement inaccessibles à la prospection. Ces derniers secteurs concernent notamment les prairies ou les zones partiellement ou totale-ment détruites par des aménagements. Cette

approche est très utile dans les secteurs de forte urbanisation, tel que Portbail, où elle suppléait souvent à la prospection de surface devenue impossible dans ce contexte. Seule l'enquête orale, soumise au regard plus ou moins sub-jectif du déclarant, serait encline à livrer des informations permettant de mieux comprendre un site plus ou moins détruit. C'est en tout cas un des moyens que nous avons utilisés pour déterminer les limites de l'occupation antique de Portbail/Gouet, majoritairement scellée sous les constructions contemporaines. Notons qu'ici la tradition orale place sur le plateau une ville haute, et en contrebas, idéalement placée pour les échanges maritimes, une ville basse ; les données de la carte archéologique ou des prospections convergent dans ce sens. D'autre part, l'enquête orale permet d'appré-hender les traditions locales susceptibles de li-vrer des informations archéologiques. Ces tra-ditions, qui véhiculent régulièrement des faits qui prêtent à sourire, témoignent parfois de fondements crédibles pouvant aiguiller l'ar-chéologue dans sa recherche. Une tradition an-crée à Montaigu-la-Brisette depuis des siècles situe précisément au hameau Dorey un village romain qui aurait porté le nom de Venise. En souvenir de cette ancienne occupation, une route traversant le site a été baptisée « rue de Venise ». Le bon sens nous contraint bien évi-demment à mettre de côté l'aspect poétique de la référence à la ville italienne et à envisager une explication étymologique : « Venise »

Fig. 6

Montaigu-la-Brisette.

Fût de colonne

découvert fortuitement

pendant les labours.

La communication

de cet objet, sorti il y a

plusieurs années et

mis au rebut depuis

lors, est le résultat

de l'enquête orale

menée depuis trois

ans sur le site. Le lieu

de sa découverte

confirme la localisation

du • noyau urbain »

de l'agglomération

antique (cliché

L. Jeanne/GRAC).

Archéopages n°10 •

e L'analyse des données et leur prise en compte dans la gestion du patrimoine

PAR DOMINIQUE CLIQUET'

es prospections conduites dans

le nord Cotentin ont permis de

tester de nouvelles méthodes

d'investigations, jusqu'alors peu,

voire pas, usitées en Basse-

Normandie. Ces prospections se

sont organisées autour de

plusieurs thématiques, induites soit

par des interrogations soit par des

« vides » d'occupations humaines

dans certains espaces.

La finalité de ce travail était, en

premier lieu, de documenter la carte

archéologique dans des espaces

peu propices aux découvertes

fortuites et aux opérations

d'archéologie préventive (espaces

ruraux, faible urbanisation, faible

développement économique,

absence de développement du

réseau routier et surtout

environnement bocager).

En effet, ces zones, en principe peu

propices aux découvertes, peuvent

avoir été le théâtre d'un intense

peuplement depuis la Préhistoire

ancienne, comme l'attestent les

investigations menées dans le Pays

d'Ouche qui couvre les

départements de l'Orne et de l'Eure.

Néanmoins, la documentation

apparaît très déséquilibrée de part et

d'autre de la limite administrative des

deux départements. Les sites se

révèlent nombreux dans l'Eure, en

raison d'une tradition de recherche

qui remonte au xixe s., à la différence

de ce qui s'observe dans l'Orne,

alors que les conditions

environnementales sont les mêmes.

Tous ces éléments laissaient

supposer un important patrimoine

non attesté et a fortiori non avéré.

Deux axes principaux

d'investigations ont été privilégiés.

Le premier s'oriente vers la

recherche d'occupations

protohistoriques et historiques par le

biais des prospections aériennes,

pédestres, des recherches

bibliographiques et des enquêtes

orales. Ces investigations ont mis en

évidence des structures bâties

inédites, par photographies

aériennes et observation de la

microtopographie, tant en contexte

d'herbage qu'en milieu boisé.

Les vérifications au sol ont permis de

préciser le contexte chronologique

de certaines occupations,

notamment avec l'observation

systématique des excavations et la

« fouille » des taupinières.

Ces travaux ont motivé la conduite

de sondages sur le site gallo-romain

de Montaigu-la-Brisette, visant à

préciser la nature des vestiges, leur

état de conservation et la profondeur

d'apparition des structures et des

sols, puis à tenter une cartographie

de l'ensemble de l'espace par

sondages manuels pratiqués à la

tarière.

Cette méthode, longue et

harassante, permet de circonscrire

les zones de grande densité de

vestiges, de préciser l'existence

d'anomalies, telle la présence de

matériaux durs probablement issus

de constructions...

Cette approche multiple a précisé

« l'empâtement » de l'agglomération

antique de Montaigu-la-Brisette et

induit d'autres questions,

notamment la place occupée par

cette ville « secondaire », à 7 km de

Valognes (Alauna), dans la gestion

du territoire des Unelles. Le second

axe consistait à préciser la nature

des occupations pré et

protohistoriques sur la commune

littorale de Fermanville dans le Val de

Saire. De nombreux vestiges

archéologiques sont répertoriés sur

la façade maritime de la commune,

toutes périodes confondues.

La problématique consistait à tenter

une prospection systématique sur

l'ensemble des espaces accessibles

de la commune, puis de préciser la

nature du contexte sédimentaire des

éventuelles occupations par une

cartographie des sondages manuels

pratiqués à la tarière sur l'ensemble

des parcelles.

Cette analyse a permis d'effectuer

un parallèle avec les sites trouvés en

stratigraphie en micro falaise et,

fréquemment, d'expliquer la

présence ou l'absence de vestiges

de périodes déterminées dans des

secteurs bien circonscrits, en

fonction de la nature des sédiments,

de leur épaisseur, voire de leur

quasi-absence.

Ces deux opérations de prospection

se sont révélées très riches

d'enseignement non seulement pour

les démarches mises en oeuvre, mais

encore pour la connaissance des

peuplements de l'occupation de

l'espace et des potentialités des

sites comme Montaigu-la-Brisette et

Portbail ; enfin, en révélant des

occupations pré et protohistoriques

à l'intérieur des terres de la

commune de Fermanville. Ces

investigations contribuent à affiner

notre connaissance du patrimoine

enfoui et documentent la carte

archéologique du département de la

Manche. Elles permettent de

procéder à des opérations de fouilles

programmées et participent à

l'élaboration des dossiers

d'archéologie préventive. De ce fait,

ces prospections méritent d'être

reconduites et développées dans

tous les espaces peu accessibles :

bocages, zones fortement

urbanisées, terres où le « droit du sol »

peut être une entrave aux

investigations lourdes.

*Conservateur du patrimoine au service

régional de l'Archéologie

de Basse-Normandie

Juillet 2003 • Archéopages n°10 co

pourrait provenir de la légendaire sainte Venice ou sainte Véronique, patronne des lingères et des laveuses, dont la première mention date du ve s. Si cette tradition ne remonte pas à l'Anti-quité, elle pourrait en revanche révéler la pré-sence d'une chapelle disparue, ou, plus ordi-nairement, d'un lavoir. Si certaines idées per-pétuées sont inutilisables, d'autres ne sont donc peut-être pas sans fondement. L'enquête orale nécessite une présence impor-tante sur le terrain où se créent des liens entre archéologues et habitants, propriétaires ou exploitants agricoles. Souvent, c'est un véritable réseau d'informations qui se forme. Ainsi, une grande partie des données nouvelles collectées en 2002 sur Montaigu-la-Brisette ont-elles cette origine : mentions de découvertes fortuites (fig. 6), prêts de céramique ou d'autres vestiges, sont autant d'éléments qui affinent notre connaissance, mais qui n'auraient pas été connus sans la présence presque hebdomadaire de bénévoles sur le terrain.

Les sources bibliographiques mentionnant des sites archéologiques abondent dans les bases de données informatisées. La somme de don-nées exploitables concernant la mise en évi-dence de sites antiques dans le Cotentin ap-partient à une documentation des xvme et xixe s. essentiellement issue des travaux menés par Ch. de Gerville. Cet antiquaire a développé une méthodologie relativement novatrice intégrant

un relevé sur fond cadastral des concentrations de débris romains. Ces plans compilent les ré-sultats de prospections et de découvertes for-tuites signalées par des particuliers. Il semble-rait toutefois que certaines de ces informations aient été exploitées sans avoir fait l'objet de vé-rifications scientifiques. Économie de recher-ches qui perdure dans certains écrits contem-porains. Dans ce contexte, le retour aux sources est pri-mordial et doit systématiquement s'accompa-gner d'une vérification de terrain. Véritable clé de voûte des prospections thématiques menées sur Montaigu-la-Brisette, Valognes ou Portbail, l'inventaire bibliographique est cautionné par une véritable approche critique. Une fois véri-fiée et validée, la documentation peut bénéficier de l'apport des découvertes qu'elle a su fédérer. À noter toutefois que cette dialectique essen-tielle entre l'étude de la bibliographie ancienne et l'intervention de terrain est plus délicate à mettre en place dans le cadre des recherches en Préhistoire, où les monuments mégalithiques sont bien souvent les seuls vestiges mention-nés dans les documentations antérieures aux xvme et me s. Si cette méthode a été peu effi-cace dans la découverte d'occupations préhis-toriques sur la commune de Fermanville, elle a permis dans le secteur de Montaigu-la-Bri-sette la redécouverte d'une inscription antique utilisée en remploi dans une chapelle médié-vale (fig. 7).

Fig. 7

Teurthéville-Bocage/

Prieuré de Barnavast.

Bloc portant une

inscription (VL[...]AC),

réemployé dans une

chapelle médiévale

(cliché L. Jeanne/GRAC).

Archéopages n°10 • Juillet 2003

Fig. 8

Résultat

de la prospection

électrique sur le site

d'Alauna (Valognes).

Sur la voirie antique,

dont les bandes de

circulation sont

électriquement très

résistantes, s'appuient

les fondations

de bâtiments,

sans doute en partie

recouverts de couches

de destruction.

À l'écart de ces

zones résistantes

apparaissent de larges

secteurs non bâtis,

révélés par la grande

conductivité du sous-

sol (DAO Terra Nova).

149

tal

00111

0

t90

110

150

150

110

109

110

173

To

50

Les relevés microtopographiques, s'ils ne révèlent pas de données nouvelles, permettent au moins de mettre en évidence des faits quelquefois à la limite de la perception visuelle. Linterpréta-tion en reste cependant délicate, et dans tous les cas dépendante de l'utilisation de la parcelle relevée. Seuls des secteurs intacts ou présup-posés tels — des forêts ou des landes actuelles ou récemment disparues — sont susceptibles de révéler des microreliefs anciens. Ce qui pré-serve le sol ne nous est pourtant pas toujours favorable, puisque le couvert forestier ne per-met de faire des relevés qu'en hiver. Ainsi en est-il d'un probable atelier de tuiliers antique connu par l'enquête orale aux abords du site de Montaigu, dans le bois de Barnavast. Il se signale par de forts reliefs, constitués en partie par des tuiles et des briques surcuites et déformées, mais aucun relevé n'a pu en être fait jusqu'à présent.

La prospection géophysique a été expérimentée à ce jour sur le seul site d'Alauna (Valognes). Menée par la société Terra Nova, elle a fait appel

aux techniques électriques et magnétiques, partiellement superposées. L'objet de ce pre-mier test était méthodologique et archéolo-gique : il s'agissait en premier lieu, et sur une surface limitée à 2 ha, d'en mesurer la perti-nence par rapport au couvert sédimentaire pré-sent au-dessus des couches archéologiques, puis de comparer l'efficacité des deux tech-niques ; et, enfin, sur un plan strictement ar-chéologique, de vérifier des hypothèses concer-nant la trame viaire du site et les substructions antiques. La technique magnétique se révélant peu adaptée à la détection de ces dernières, l'utili-sation de la prospection électrique seule s'est imposée (fig. 8). Limage obtenue est tout à fait lisible. D'un point de vue archéologique par contre, les résultats se sont montrés très miti-gés : la trame viaire, dont deux voies orthogo-nales sont connues par la photographie aérienne, ne semble pas se densifier davantage ; la vue des fondations est plus floue et induit certainement une longue évolution du bâti antique et la pré-sence d'importantes couches de destruction.

Juillet 2003 • Archéopages n°10

À la suite de cette expérience, la multiplication des prospections géophysiques sur des surfaces limitées peut être considérée comme une al-ternative satisfaisante entre la prospection et les sondages. Nous avons vu en premier lieu les limites des méthodes prospectives en mi-lieu bocager, qui livrent peu de données quant à la structure du site : seules les grandes voies peuvent éventuellement être mises en évidence, et il n'a jamais été possible de produire une image nette de substructions à Portbail, Mon-taigu ou Alauna par ces techniques. Par ailleurs, il est évident que les sondages ou les fouilles ne peuvent s'étendre à l'ensemble d'un site aussi vaste. Au contraire, la prospec-tion électrique révèle, au sens photographique du terme, le réseau viaire et les substructions, sans pour autant nécessiter une fouille longue et destructrice. C'est aujourd'hui le meilleur compromis entre les exigences des archéo-logues, scientifiques et patrimoniales, et celles des propriétaires et des exploitants.

Les sondages à la tarière manuelle achèvent l'énu-mération et la critique des méthodes de pros-pection. Précisons que si leur utilisation sur les sites préhistoriques est relativement courante et féconde, elle l'est beaucoup moins sur les oc-cupations antiques. Pourtant l'expérience menée cette année sur Montaigu prouve que cette technique, laborieuse et limitée en terme qualitatif pour apprécier les aspects structurels et chronologiques, reste pertinente dans la dé-tection des éventuels niveaux d'occupation. Elle permet aisément d'apprécier la profondeur des vestiges antiques et la nature des couches sous-jacentes par échantillonnage. Les premiers résultats obtenus contribuent à mieux connaître l'extension du site, sans pour autant en préci-ser la forme ni la manière dont les espaces ont été aménagés par l'homme. La fiabilité des ré-sultats issus des campagnes à la tarière demande à être validée par l'intermédiaire de sondages ar-chéologiques en même temps qu'elle les oriente. Cette technique permet en outre d'éviter le re-cours aux sondages mécaniques destructeurs et parfois choquants pour les populations locales, en particulier dans des zones stériles.

La convergence de toutes ces techniques d'in-vestigation permet indéniablement l'apport d'une somme très importante de données. Il faut dans un deuxième temps synthétiser cette masse d'informations, qui doit comprendre en outre le dépouillement de la bibliographie et

de l'iconographie. C'est l'objet de la base de travail mise en place pour les sites d'Alauna, Montaigu et Portbail.

Vers une approche globale des sites Une prospection seule ne peut rendre compte de l'état des connaissances d'un site. Il importe d'intégrer à la réflexion archéologique l'en-semble des données, collectées dès la fin du xvne s. à Alauna, et le plus souvent à partir du xnce s., jusqu'aux opérations de fouille récentes. En outre, de nombreuses sources iconogra-phiques méritent également d'être jointes à une documentation conçue comme la base des tra-vaux à venir. Soumise à des soucis de fiabilité, afin d'élimi-ner les interprétations et les erreurs nées des écrits postérieurs, et d'exhaustivité, cette base de travail revêt une forme détaillée et synthé-tique. Elle comprend en effet un fonds docu-mentaire et son inventaire, ainsi que des syn-thèses bibliographiques (chronologie des fouilles, index des découvertes) et cartogra-phiques (plans de répartition des mobiliers et plans compilatoires, sur fond cadastral actuel). Le but est de disposer en permanence de trois moyens d'accès à la même information : le do-cument original, sa critique et sa traduction graphique sur le plan compilatoire. Ce dernier utilise les possibilités du logiciel Adobe Illus-trator : chaque type de données fait l'objet d'un calque, qu'il est possible d'afficher ou de mas-quer. Cet ensemble de données, portées sur un unique plan général, vise à permettre une ap-proche globale du site. Globalité archéologique bien entendu, mais également géographique ou historique, aux sens les plus larges. La réunion sur un seul plan de toutes ces informations, toujours accessibles sous deux autres formes, permet de les com-parer et de les croiser. À la différence des bases de données informatisées, cette procédure de compilation repose sur une visualisation per-manente des données et, surtout, sur leur spa-tialisation.

Des résultats substantiels Les campagnes de prospection dans le Cotentin, comme dans d'autres départements, ont pour objectif de créer une base préalable au travail de sondage et de fouille, ainsi qu'une première approche dans la gestion du patrimoine. La démarche développée, astreignante et la-borieuse, est l'une des plus adaptées à la re-

C/)

C.)

C. W

DC

o Archéopages n'IO • Juillet 2003

w

C—)

w

CC

Archéologie préventive sur un terrain de prospection : le cas d'Alauna (Valognes)

e projet de

construction d'une

écurie à proximité de

la ferme du Bas-

Castelet, à Valognes

(Manche), a donné

lieu à un diagnostic

archéologique en 2002, sur

une surface de 400 m2. Plus

que son emprise, c'est

évidemment le voisinage

archéologique du projet qui a

motivé cette intervention. La

connaissance de ce contexte

est le fruit des recherches

menées au début des années 1990 par T Lepert, et en 1998

et 1999 par L. Le Gaillard et

N. Navarre.

L'écurie occupera le flanc d'un

large talweg qui s'étend du

coeur du site vers le nord.

Immédiatement à l'ouest et au

sud sont connues deux zones

de bâti antique. A 100 m vers

l'ouest, un ensemble de

substructions gallo-romaines a

été relevé et rapidement sondé en 1981. Ces murs affleurent

sous la terrasse et le potager du Bas-Castelet. Au sud du

talweg, à 200 m du sondage,

la zone de bâti antique est

parfaitement identifiée grâce à

la prospection électrique

menée en 1999. Deux rues

orthonormées sont bordées de

constructions : la lisibilité de

ces vestiges indique des

remaniements du bâti durant la

période gallo-romaine et un

bouleversement probable des

couches supérieures du site.

Enfin, il se peut qu'un sondage

effectué vers 1850 ait touché

le secteur est du talweg : des

substructions légères y ont été

découvertes, se rapportant à

un ou deux petits bâtiments

antiques.

Le récolement de toutes les

informations concernant le site

antique, initié en 1990 et mené

à bien en 1998, a permis la

définition d'un périmètre

englobant 35 ha : il correspond à une extension

maximale. Ce périmètre est

bien inférieur aux terrains

préservés de l'urbanisation par

le POS de 1981, élaboré à

l'époque avec l'aide des

archéologues de la

circonscription des Antiquités historiques. On ne peut donc

prétendre que ces recherches récentes concourent à la

protection du site. Elles

guident cependant

l'archéologue qui intervient à

Valognes dans le cadre d'un

diagnostic, en mettant à sa

disposition l'ensemble des

données, brutes et analysées,

et une cartographie précise

des découvertes. Outil

précieux certainement,

appréciable du moins,

puisqu'il s'agit ici d'aborder

une ville antique.

Contrairement aux attentes, le

sondage effectué près du Bas-

Castelet n'a révélé ni voirie ni

substruction. Sous un épais

niveau de remblais contenant

des moellons, des tuiles et de

la céramique gallo-romaine,

une vingtaine de fosses et de

tronçons de fossés ont été

repérés. Il semble que le

talweg n'ait été occupé que

par des jardins et des

constructions légères, puis

remblayé après la destruction

de bâtiments voisins.

Sur un site comme celui

d'Alauna, probable ville

antique protégée par les prés

et les haies, très peu exploré,

la connaissance archéologique est le fruit d'aller et retour

entre des opérations d'archéologie préventive et la

recherche programmée. Les

données alimentent une même

base de travail, une même

histoire.

cherche de sites archéologiques en contexte bo-cager et participe pleinement à une meilleure connaissance de l'occupation humaine depuis la Préhistoire. Une telle méthode permet d'étof-fer de manière substantielle les indices enre-gistrés sur le secteur prospecté et surtout de développer une stratégie patrimoniale adaptée, dans un souci de préservation des sites avérés ou potentiels. Les résultats obtenus dans un es-pace géographique difficile laissent présumer l'impact qu'aurait une telle méthode dans un

contexte plus propice à la détection des sites archéologiques.

Caroline Duclos, Laurence Jeanne Groupe de recherches archéologiques du Cotentin (GRAC) Mairie, avenue de Couville, 50460 Querqueville

Karine Chanson, Ludovic Le Gaillard, Laurent Paez-Rezende, Olivier Laurent Inrap, boulevard de l'Europe, 14540 Bourguébus

Juillet 2003 • Archéopages n°10 ce