La forge instable d'une domination. Les Doria, Gênes et la monarchie hispanique (1560-1606)

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Bastien Carpentier, Jean-Philippe Priotti, « La forge instable d'une domination. Les Doria, Gênes et la monarchie hispanique (1560- 1606) », dans : Jean-Philippe Priotti (dir.), Identités et territoires dans les mondes hispaniques (XVIe-XXe siècle) , Rennes, PUR, 2015, p. 75-96. La forge instable d'une domination Les Doria, Gênes et la monarchie hispanique (1560-1606) Bastien Carpentier et Jean-Philippe Priotti En 1528, la République de Gênes passait de la domination française à l'alliance avec Charles Quint. Andrea Doria, principal acteur de cette volte-face, exécutait ce tour de force à l'aide de sa flotte de galères suite à un accord personne passé avec l'empereur. Cette alliance entre les Doria et les Habsbourg allait durer et s’avérer déterminante dans l'évolution du système hispano-génois. Au gré des configurations politiques changeantes en Italie comme en Espagne, Doria tirait profit de sa connaissance des deux milieux sociaux-culturels et se revendiquait aussi bien protecteur des intérêts de la République ligure que défenseur de ceux des Habsbourg. Autant pour ceux qui dominaient la vie politique génoise avant 1528, comme les Adorno et les Fregoso, que pour d’anciennes familles partisanes de Charles Quint (les Grimaldi, Fieschi et Spinola), l'ascension des Doria suscita de graves tensions 1 . L'amiral vieillissant, le prince Philippe et des membres du gouvernement se préoccupèrent de sa succession et des moyens par lesquels ils allaient maintenir la République de Gênes dans l'orbite impériale 2 . En effet, à la fin des années 1550 et au début des années 1560, un double problème surgit : la succession entre Charles Quint et le jeune prince côté castillan et la passation de pouvoir à Gênes entre Andrea Doria et celui qu’il avait désigné pour lui succéder, son proche parent Giovanni 1 Pour consolider sa base de pouvoir, Andrea Doria avait tissé de nombreux liens politiques, économiques et militaires avec Adamo Centurione, principal banquier génois de Charles Quint jusque vers 1557, sur la base desquels une alliance matrimoniale avait ensuite été conclue entre les deux familles. Comme la souche du front de parenté permettait au souverain castillan de disposer au sein d'un même groupe familial d’un large éventail de services, en particulier guerriers, diplomatiques et bancaires, il comprit rapidement que le contrôle de Gênes et la défense de la Méditerranée s'exercerait plus facilement par le biais d'une coopération avec les Doria-Centurione -capables d'intervenir en sa faveur à l'échelle locale comme à l’échelle internationale-, que par l'usage de la force. 2 Lors de sa visite à Gênes en 1548, le futur Philippe II devait parler personnellement à Adamo Centurione de la succession d'Andrea, ainsi que du contrôle direct de Gênes par l'empereur. Centurione resta pourtant fidèle aux projets conçus avec Doria estimant que la République devait rester indépendante et alliée des Habsbourg. Vicente de Cadenas y Vicent, El protectorado de Carlos V en Génova. La « condotta » de Andrea Doria, Madrid, Hidalguía, 1977, p. 241.

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Bastien Carpentier, Jean-Philippe Priotti, « La forge instable d'une domination. Les Doria, Gênes et la monarchie hispanique (1560-1606) », dans : Jean-Philippe Priotti (dir.), Identités et territoires dans les mondes hispaniques (XVIe-XXe siècle), Rennes, PUR, 2015, p. 75-96.

La forge instable d'une dominationLes Doria, Gênes et la monarchie hispanique (1560-1606)

Bastien Carpentier et Jean-Philippe Priotti

En 1528, la République de Gênes passait de la domination française à l'alliance avec Charles

Quint. Andrea Doria, principal acteur de cette volte-face, exécutait ce tour de force à l'aide de sa

flotte de galères suite à un accord personne passé avec l'empereur. Cette alliance entre les Doria et

les Habsbourg allait durer et s’avérer déterminante dans l'évolution du système hispano-génois. Au

gré des configurations politiques changeantes en Italie comme en Espagne, Doria tirait profit de sa

connaissance des deux milieux sociaux-culturels et se revendiquait aussi bien protecteur des intérêts

de la République ligure que défenseur de ceux des Habsbourg.

Autant pour ceux qui dominaient la vie politique génoise avant 1528, comme les Adorno et les

Fregoso, que pour d’anciennes familles partisanes de Charles Quint (les Grimaldi, Fieschi et

Spinola), l'ascension des Doria suscita de graves tensions1.

L'amiral vieillissant, le prince Philippe et des membres du gouvernement se préoccupèrent de

sa succession et des moyens par lesquels ils allaient maintenir la République de Gênes dans l'orbite

impériale2. En effet, à la fin des années 1550 et au début des années 1560, un double problème

surgit : la succession entre Charles Quint et le jeune prince côté castillan et la passation de pouvoir à

Gênes entre Andrea Doria et celui qu’il avait désigné pour lui succéder, son proche parent Giovanni

1 Pour consolider sa base de pouvoir, Andrea Doria avait tissé de nombreux liens politiques, économiques et militaires avec Adamo Centurione, principal banquier génois de Charles Quint jusque vers 1557, sur la base desquels une alliance matrimoniale avait ensuite été conclue entre les deux familles. Comme la souche du front de parenté permettait au souverain castillan de disposer au sein d'un même groupe familial d’un large éventail de services, en particulier guerriers, diplomatiques et bancaires, il comprit rapidement que le contrôle de Gênes et la défense de la Méditerranée s'exercerait plus facilement par le biais d'une coopération avec les Doria-Centurione -capables d'intervenir en sa faveur à l'échelle locale comme à l’échelle internationale-, que par l'usage de la force.

2 Lors de sa visite à Gênes en 1548, le futur Philippe II devait parler personnellement à Adamo Centurione de la succession d'Andrea, ainsi que du contrôle direct de Gênes par l'empereur. Centurione resta pourtant fidèle aux projets conçus avec Doria estimant que la République devait rester indépendante et alliée des Habsbourg. Vicente de Cadenas y Vicent, El protectorado de Carlos V en Génova. La « condotta » de Andrea Doria, Madrid, Hidalguía, 1977, p. 241.

Andrea Doria, événements susceptibles de bouleverser les logiques relationnelles que les Doria-

Centurione avaient réussi à organiser à Gênes et entre le port ligure et Madrid3.

La transmission du pouvoir immatériel d’Andrea à Giovanni Andrea ne se fit pas sans mal et

il fallut attendre 1584 -plus de vingt ans après la mort d’Andrea- pour qu’il devienne à son tour

capitaine-général de la mer. Pour comprendre comment Giovanni Andrea Doria réussit à maîtriser

ce double événement4, il convient d’étudier sa politique sociale faite d'intégration à son front de

parenté de personnages de premier plan ennemis traditionnels de son groupe familial, et d'exclusion

de ses autres rivaux. Sa stratégie à Gênes se doublait d'une habileté particulière à apparaître en

fonction des besoins le plus fidèle des serviteurs de l'empereur comme le plus dévoué bienfaiteur de

la République. Giovanni Andrea Doria devint le principal interlocuteur entre Philippe II et les

Génois.

A Gênes : évincer les concurrents

de la gestion des galères et contrôler la vie politique

En 1528, à la faveur de la prise du pouvoir par Doria, une réforme sociale établissait un

ordre unique pour l'ensemble des citoyens nobles, apaisant les luttes factieuses et instaurant un

nouvel équilibre entre nobilità vecchia et nuova. Au sein des vecchi figuraient les principaux

banquiers, marchands et armateurs. Cette noblesse ancienne -dont les origines étaient ancrées dans

la vie politique et militaire génoise depuis le Moyen-Âge- était composée de 28 groupes familiaux

(alberghi). La nobilità nuova était en revanche une noblesse émergente qui tirait ses richesses du

3 Arturo Pacini, « La repubblica di Genova nel secolo XVI » dans Dino Puncuh, Storia di Genova, Mediterraneo, Europa, Atlantico, Gênes, 2003, p. 368. Comme si cela était peu, Adamo Centurione mourut en 1568 ainsi que son fils aîné en 1565. La question de la transmission de l’héritage immatériel aux successeurs des Doria-Centurione et du contrôle du lien entre le roi castillan et Gênes se posait donc avec acuité.

4 Question d’autant plus prégnante que le rôle des militaires génois, celui des Doria au premier chef, a été peu étudié, la majeure partie des ouvrages portant sur les banquiers. Carlo Bitossi critique le fait que le « Siècle des Génois » ait reposé uniquement sur l’activité de quelques grands banquiers, et met en valeur le rôle du service guerrier rendu à la monarchie hispanique, que ce soit sur terre ou sur mer, « L'antico regime genovese, 1576-1797 », p. 391-504 dans Dino Puncuh, op. cit., p. 406. Manuel Herrero Sánchez, mentionne la carence d’études consacrées aux galères des particuliers de Gênes, « La república de Génova y la monarquía hispánica (siglos XVI-XVII) », Hispania, numéro 219, janvier-avril 2005, Madrid, 2005, p. 19. À propos du rôle des militaires génois, notamment les Doria, et de leur rôle dans la stratégie défensive espagnole en Méditerranée, Bastien Carpentier et Jean-Philippe Priotti, « Philippe II, Giovanni Andrea Doria et le contrôle militaire de la Méditerranée à la fin du XVIe siècle » dans Michel Bertrand et Jean-Philippe Priotti, Circulations maritimes. L'Espagne et son empire (XVIe-XVIIIe siècle), Rennes, PUR, 2011, p. 159-183. Pour sa part, Edoardo Grendi mentionnait l'importance de croiser les fonds publics et les storie-caso afin d'enrichir notre connaissance de l'expérience du patriciat génois et de trouver les témoignages directs, écrits biographiques par exemple. Le but étant d'avoir une connaissance plus vivante des logiques de fonctionnement de l'Alliance. Grendi, Edoardo, « Ipotesi per lo studio della socialità nobiliare genovese in età moderna », Quaderni Storici 102/ a. XXXIV, n. 3, déc. 1999, p. 746.

négoce local et international. Bien que vecchi et nuovi fussent assimilés respectivement aux factions

pro-espagnole et pro-française, les contours de ces groupes sociaux restent difficiles à identifier:

tandis que certains vecchi continuaient à être partisans d'une alliance entre Gênes et les rois de

France, de plus en plus de nuovi se rapprochèrent de la faction pro-espagnole.

À la mort d’Andrea Doria en 1560, la faction pro-espagnole perdit durablement de son

homogénéité et des conflits éclatèrent en son sein5. En effet, si la disparition du leadership d’Andrea

Doria et Adamo Centurione était pour certains hommes d’affaires génois synonyme de la perte de

leurs principaux appuis auprès de la Monarchie Hispanique, créant de l'incertitude, pour d’autres

elle était une opportunité à saisir. En définitive, prévoir les événements devenait plus ardu, ce qui

diminuait la capacité de dominer les situations et d'organiser les comportements. Chaque individu,

chaque famille et groupe de familles se trouvaient ainsi poussés à adopter de nouvelles positions, à

changer éventuellement de stratégies voire d’alliance et à rechercher activement un nouvel équilibre

permettant de garantir la continuité de ses activités et de maintenir ses positions sociales.

La gestion des galères

et les asientos comme enjeux de pouvoir

À Gênes les Doria-Centurione durent faire face à des oppositions diverses, lesquelles

trouvèrent des prolongements en Espagne et aux Pays-Bas particulièrement6. Dans ce cadre

territorial élargi, des branches cadettes du front de parenté Doria-Centurione, s’allièrent à certains

membres dissidents de familles alliées (Spinola) et à des familles leur étant traditionnellement

opposées à Gênes même (Grimaldi et Fieschi). Comme dans le port ligure les activités militaires

étaient en bonne part aux mains de Giovanni Andrea Doria et de ses alliés, leurs opposants

investirent surtout le champ financier, se rendirent maîtres de certaines galères à Gênes et

parvinrent à contester la domination des Doria-Centurione dans le port7.

5 Adamo Centurione succéda alors au leadership du front de parenté jusqu’à sa mort en 1568, sans parvenir cependant à étendre son autorité sur l’ensemble de la faction pro-espagnole.

6 Nous évoquerons ici le cas de Madrid et d’Anvers, mais Ruth Pike affirme que l'assise des Doria à Gênes et l'échec de la conjuration des Fieschi de 1547 avaient poussé des marchands génois opposés aux Doria à venir concentrer leurs affaires sur le marché sévillano-américain. Ruth Pike, Enterprise and adventure. The Genoese in Seville and the opening of the New World, New-York, Cornell University Press, 1966, p. 2.

7 La prise en considération de la trajectoire sociale des individus et de leur trame relationnelle permet d’éviter de considérer les Génois comme un groupe homogène formé a priori. En effet, dans nombre de travaux l’aspect concurrentiel entre différents fronts de parenté est gommé et la solidarité entre eux présupposée ainsi que leurs liens transfrontaliers. Lorsqu’Alicia Esteban Estríngana (Guerra y finanzas en los Países Bajos católicos. De Farnesio a Spinola (1592-1630), Madrid, Laberinto, 2002) évoque les Spinola des Pays-Bas, il est peu fait mention de leurs relations avec les Génois de Gênes. De même, Enrica Neri (Uomini d’affari e di governo tra Genova e Madrid (secoli XVI e XVII), Milano, Università Cattolica del Sacro Cuore, 1989, p. 35, 46, 48) ne suit pas le parcours des

Les Fieschi, d’abord alliés de la branche principale des Doria, étaient devenus leurs ennemis

déclarés depuis 15478. Ils contribuèrent activement aux côtés des Grimaldi et de certains Spinola, à

créer une alternative au pouvoir en construction de Giovanni Andrea à Gênes. Ce groupe de

familles était uni à Gênes par son opposition politique au front de parenté des Doria-Centurione9.

Giovanni Andrea Doria usait de son lien privilégié avec le Roi Prudent pour les exclure autant que

possible du cercle des bénéficiaires de l'Alliance, en en formulant au besoin la demande par écrit

auprès de Philippe II. En 1560, la peur de la collusion des intérêts entre les Fieschi et l'ennemi

français resurgissait consécutivement à la vacance du leadership dans la ville. L'année suivante,

Giovanni Andrea Doria dénonçait à Philippe II un projet de mise au pas de la ville orchestré par les

Fieschi contre la domination espagnole10. Doria cherchait autant qu'il le pouvait à les faire exclure

de toutes institutions à Gênes et au-delà11.

Néanmoins, le groupe de pression auquel participaient les Fieschi bénéficiait aussi de

certains appuis politiques à Gênes. Un de ses membres disposait de la confiance des ambassadeurs

espagnols dans le port, lesquels recommandaient volontiers ses services à Philippe II12. Malgré cela,

le souverain ne fut pas particulièrement enclin à lui concéder des avantages13 et refusa de prendre

ses deux galères en asiento14. Il finit par les incorporer dans l'escadre de Sicile, s’attachant ainsi les

Génois entre Madrid et Gênes même si elle affirme que les banquiers génois d’Espagne sont les plus influents et les vrais représentants d’un vaste groupe d’intérêts.

8 À propos de la conjuration des Fieschi, voir Arturo Pacini, « El ladrón de dentro casa : congiure e lotta politica a Genova dalla riforma del 1528 al tradimento di Gian Luigi Fieschi », dans Yves-Marie Bercé et Elena Fasano Guarini, Complots et conjurations dans l'Europe moderne, Rome, École Française de Rome, 1996, p. 597-658. Les Fieschi étaient alliés à une branche de l'albergo des Doria, avec laquelle ils fondèrent une alliance matrimoniale en 1540, mariage de Camilla Fieschi, sœur de Gian Luigi et Scipione, avec Nicolò Doria, fils du cardinal Gerolamo Doria.

9 Aux oppositions politiques, s'ajoutaient des frustrations de diverse nature concernant les Centurione avec lesquels les uns et les autres désiraient s’apparenter. Le cardinal Gerolamo Doria avait dans un premier temps entretenu de bonnes relations avec Andrea Doria, avant qu'elles ne se détériorent suite à l'alliance matrimoniale passée entre ce dernier et Adamo Centurione en 1535. Cavanna Ciappina, Nicolò Doria, dans Dizionario Biografico degli Italiani, Roma, Istituto della enciclopedia italiana, vol. 41,1992, p. 417-419.

10 Rafael Vargas-Hidalgo, Guerra y diplomacia en el mediterraneo : Correspondencia inédita de Felipe II con Andrea Doria y Juan Andrea Doria, Madrid, Ediciones Polifemo, 2002, lettre du 20 janvier 1569, p. 554.

11 Scipione Fieschi rencontra aussi l'opposition de Doria lorsqu'il souhaita servir Rome en tant que capitaine de galères, Doria alerta le Roi Prudent que l'entrée au service des papes lui permettrait d'accéder à n'importe quel port espagnol sous couvert de l'étendard papal, Archivo General de Simancas (dorénavant AGS), Estado (dorénavant E.), l. 1397, f. 144. Lettre de Giovanni Andrea Doria (dorénavant GAD) à Philippe II (dorénavant PII), Gênes le 22 juillet 1568.

12 Il s’agit de Nicolò Doria, AGS, E., l. 1398, f. 41; lettre de Figueroa à PII, Gênes le 1 juin 1569. L'ambassadeur Guzman de Silva recommandait à Philippe II de s'attacher les services de Nicolò Doria afin de bénéficier de l'appui de son réseau au sein des sphères politiques de la République de Gênes : AGS, E., l. 1399 f. 5. Lettre de l'ambassadeur Guzman de Silva à PII, à Gênes le 25 janvier 1570.

13 Le Roi Prudent répondait négativement à Figueroa qui, en 1568, plaidait en faveur d'une augmentation de la pension royale de Nicolò. AGS, E. l. 1397, f. 221. Lettre de PII à l'ambassadeur Figueroa, Madrid le 8 mai 1568.

14 AGS, E., l. 1399, f. 5. Lettre de l'ambassadeur Guzman de Silva à PII, Gênes le 25 janvier 1570. Il n'était jamais arrivé à un génois que l'on lui refuse d'acquérir des galères et de les soumettre au service de la Monarchie Hispanique, suscitant son incompréhension comme celle de l'ambassadeur espagnol à Gênes.

services d’un ennemi de Giovanni Andrea Doria tout en satisfaisant aux exigences de ce dernier,

opposé à l’entrée de navires de guerre hors de son contrôle, ou de celui de ses alliés, dans le port de

Gênes15.

Les ennemis de Giovanni Andrea Doria entretenaient d'étroits liens politiques et

économiques ainsi que de nombreuses alliances matrimoniales entre eux. Cette superposition de

liens maintenait un certain degré de cohésion au sein du front de parenté16. Afin de court-circuiter

les ambitions de la descendance de ses concurrents (Grimaldi et Spinola) dans le domaine militaire,

Giovanni Andrea demanda au cardinal Granvelle en 1583 de les écarter du service des galères

espagnoles, car le prince de Salerne (Grimaldi) et les Spinola cherchaient à en contrôler un nombre

croissant17. À compter des années 1590, ces derniers jouèrent un rôle déterminant dans la

contestation intense au leadership des Doria à Gênes.

Leur ascension s’était d’abord réalisée à travers la finance. Suite au retrait des Centurione, les

Spinola étaient devenus dès la fin du règne de Charles Quint les principaux banquiers de la

Couronne18. Aux Pays-Bas, pendant les années 1560-1570, Tommaso Fieschi apparaît comme un

des principaux banquiers du trésorier général de l’armée espagnole aux Pays-Bas19. Comme les

Fieschi, les Spinola s’étaient apparentés au prince de Salerne et ils concluaient ensemble de gros

asientos monétaires. Giovanni Andrea Doria se méfiait de leur puissance et dénonçait leurs abus dès

qu’il avait matière à le faire20. L’enjeu était de taille car les Spinola faisaient affaire avec des

membres expatriés d’une branche cadette des Centurione, devenus principaux banquiers de Philippe

III21. Une coalition anti-Doria était donc créée depuis l’extérieur sur fond d’opposition de longue

15 AGS, E. l. 1400, f. 89. Lettre de PII à l'ambassadeur Guzman de Silva, Madrid le 24 septembre 1570. Lettre de GAD à PII, Gênes le 23 février 1573, Vargas-Hidalgo, op.cit., p. 887; et lettre du 28 mars 1573, Ibid., p. 896.

16 Nicolò Doria n'était pas seulement lié aux Fieschi, il était aussi allié de Nicolò Grimaldi, prince de Salerne, concurrent direct de Giovanni Andrea Doria. Nicolò Doria avait marié son fils Sinibaldo à Eliana Grimaldi, fille du prince de Salerne. Giovanni Andrea fait d’ailleurs part à Philippe II du peu de considération (poco juyzio) qu'il éprouve à l'égard de Nicolò Doria. Lettre de GAD à PII, Gênes le 10 juillet 1569, AGS, E., l. 1398, f. 108.

17 Ainsi, pour les fils du prince de Salerne, Archivio Doria Pamphilj (dorénavant ADP), scaffale (dorénavant Scaff.) 84.39; Lettre de GAD au cardinal de Granvelle, Gênes le 3 avril 1583 : « Agostino Grimaldo, figlio maggiore del principe di Salerno, ha scritto qui che il duca d'Ossuna li da passento otto galere di quelle di quel Regno, et io sono stato richiesto di pregar V.E. Illustrissima che in caso che su Magesta si risolva di dare l'altro noglio favorire un figlio di Domenico Spinola […] ».

18 Ildefonso Pulido Bueno, Op. Cit., p. 132. Jusqu’en 1575, les Génois les plus influents à Madrid sont Nicolò Grimaldi et la compagnie Luciano Centurione et Agostino Spinola, ibid., p. 172-173.

19 En 1561, Luciano Centurione fait un asiento avec Tommaso Fiesco (installé à Anvers au moins depuis 1557), consul des Génois à partir de 1567 et banquier officiel de l’État castillan en Flandre au début des années 1590, Henri Lapeyre, Simon Ruiz et les "asientos" de Philippe II, Paris, A. Colin, 1953, p. 16 note 26, 80 ; M.F. Rachfahl, Le registre de Franciscus Lixaldius, trésorier général de l’armée espagnole aux Pays-Bas (1567-1576), Bruxelles, Hayez imprimeur de l’Académie, 1902.

20 GAD confie à PII qu’ils transfèrent à bord de leurs galères plus de numéraire que ne les autorisent les clauses de l’asiento, AGS, E., l. 1422, f. 172. Lettre de GAD à PII, Gênes le 14 décembre 1590.

21 Il s'agissait de Cristoforo et Luciano Centurione, tous deux neveux d’Adamo. Luciano, résident d’Anvers puis de Madrid, allait dans un premier temps conclure des asientos contre l’avis de la famille; Pulido Bueno, Op. Cit., p.

date à Gênes avec certaines familles, de jalousie et d’ambition frustrée pour certaines branches du

front de parenté Doria-Centurione22, dont certains membres éminents avaient été envoyés à

l’étranger pour représenter la firme ou négocier au nom d’Adamo avec le monarque. Le lien de ces

fondés de pouvoir issus de la famille avec la branche principale ne survécut pas à la double mort

d’Adamo et de son fils Marco23. Ceci montre la fragilité du maintien de la domination d’une

branche à l’intérieur d’une famille et plus largement d’un front de parenté24.

Malgré ces oppositions, durant le règne de Philippe II et au début de celui de Philippe III, le

groupe de familles dirigé par les Doria-Centurione fut capable de garder jalousement ses privilèges

et de conserver son leadership à Gênes. La pérennité de ce pouvoir passait par une stabilité des

structures politiques, laquelle influençait plus ou moins directement les activités économiques

développées par les membres du groupe et son crédit à Madrid. L'implication de Doria et de ses

alliés dans la vie politique génoise était une nécessité pour pouvoir conduire ses affaires autant que

pour rassurer Philippe II.

Pour succéder à son parent -et en dehors de l’éviction de concurrents-, Giovanni Andrea

avait dû créer ou recréer des fidélités et se ménager le concours des principaux membres des deux

familles fondatrices du front de parenté. À cette fin, Giovanni Andrea utilisa stratégiquement les 12

galères reçues en héritage d’Andrea en 1560. En 1582, il vendit 10 de ses galères à Philippe II qui

les confia par la suite en asiento-appalto à des particuliers25. Privilège important : Philippe II laissa

Doria désigner lui-même les entrepreneurs particuliers prenant en charge les galères royales26 et le

161. De même, l’asentista Ottavio Centurione, fils de Cristoforo, s’associait aux Spinola de Flandre et d’Espagne, où il s'était installé, et forma une société avec Ambrogio Spinola dans les années 1590; Ibid., p. 244.

22 Seule la branche principale bénéficiait des retombées économiques et sociales (concession de terres, titres nobiliaires, charge pour sa clientèle, etc.) de l’alliance avec le roi de Castille, bien que les Centurione de la branche principale se trouvent fortement endettés à cause des dépenses de guerre honorées pour le compte du monarque.

23 Adamo meurt en 1568 tandis que son fils Marco meurt en 1565. Dès les années 1560, des asientos sont signés entre le roi et des concurrents des Doria-Centurione, Enrica Neri, Op. Cit., p. 53. Ce n’est sans doute pas un hasard si Luciano, neveu d’Adamo, attend 1568 pour s’associer à Agostino Spinola, un des opposants au front de parenté. Spinola a pris à ferme dans les années 1560-1580 de nombreux droits de douane, ce qui permet de favoriser les siens par rapport aux paiements de taxes.

24 Cela montre aussi qu’avec l’éloignement du territoire d’origine, la validité des catégories « nobles anciens », « nobles nouveaux », « populaires » perd de sa pertinence. Ce qui compte est le fait d’être génois et d’exercer la même activité. La solidarité se place donc à un autre niveau.

25 L'asiento noleggio était une invention génoise qui consistait à ce qu'un entrepreneur privé mette à disposition de l'État une galère privée. L'asiento appalto, plus répandu que le précédent dans la plupart des marines méditerranéennes, consistait à ce qu’un État confiât une ou plusieurs de ses galères à un particulier. Luca Lo Basso, Uomini da remo. Galee e galeoti del Mediterraneo in età moderna, Milan, Selene Edizioni, 2003, p. 269. Bien que le Génois avait déjà voulu vendre ses galères au roi en 1571, il s'était rétracté en apprenant que le monarque avait l'intention de les revendre à son concurrent le riche banquier Nicolò Grimaldi, Vargas-Hidalgo, op. cit., p. 766.

26 Giovanni Andrea Doria suggéra alors que Cosimo Centurione et Agabito Grillo prissent en charge quatre galères chacun, et Giovanni Antonio de Marini deux, AGS, E., l. 1416, f. 250; lettre de PII à GAD, Lisbonne le 10 septembre 1582 ; ibid., E., l. 1416, f. 253, de PII à GAD, Lisbonne le 25 octobre 1582 ; asiento de Giovanni Andrea Doria en 1582, ibid., Varios Galeras (dorénavant VG.)., l. 2, f. 180 à 182.

Génois négocia et/ou renouvela régulièrement les asientos des galères27. En les vendant au roi tout

en gardant un pouvoir de nomination de ceux qui les géreraient, les galères (devenues royales) lui

servirent à affermir ou à renouveler la loyauté de certains proches parents, d’alliés de longue date

ou de familles fraîchement intégrées au front de parenté. La vente permettait également de

récupérer un capital important tout en s’appuyant sur l’autorité du monarque castillan pour

construire sa domination à Gênes28.

Les trois nouveaux asentistas étant génois les 10 galères furent intégrées à l'escadre des

particuliers de Gênes dirigée par Giovanni Andrea Doria en personne. Le prince de Melfi restait

donc doté du contrôle effectif des 10 galères vendues à Philippe II, consolidant son prestige au sein

de la communauté locale et renforçant ses alliances avec les Centurione, Grilli et Marini auxquels il

confia la gestion des galères - activité particulièrement lucrative à Gênes à la fin du XVIe siècle29.

Deux proches de Giovanni Andrea se chargeaient de la majeure partie des galères. Cosimo

Centurione fut mis à la tête de la « Donzella », « Monarca », « Doria » et « Marchesa »30. Cette

faveur s'inscrivait dans la dynamique d'échange de services que la maison Doria et les Centurioni

Oltramarini entretenaient depuis longtemps, et visait à revitaliser le patrimoine et le prestige social

des descendants d’Adamo, lourdement endettés. Agabito Grillo, pour sa part, -fils d'un riche homme

d'affaires lié à l'Espagne et qui avait obtenu en asiento les galères « Fortuna », « Templanza »,

« Perla » et « Señora »- était le beau-frère de Centurione, et Doria le considérait comme son

cousin31.

Deux des trois asentistas nommés en 1582 grâce aux recommandations de Doria étaient

donc rattachés aux familles fondatrices de la parentèle, laquelle se trouvait ainsi à la tête de 8

galères. La mort d'Agabito en 1588 vit l’asiento retourner aux mains des Centurione, ce qui montre

la capacité des Doria-Centurione à garder le contrôle sur la gestion d’un grand nombre de galères

royales32.

27 AGS, E., l. 1425, f. 88. Lettre de GAD à PII, Gênes le 24 mai 1593 et Ibid., VG., l. 5, f. 433.28 Bien que le montant de la vente ne nous soit pas connu, la somme due à Doria à son retour de la Cour en 1582 était

de 160000 ducats. Cela ne signifie pas que les galères aient été cédées pour ce prix-là, car la somme comprenait des dettes accumulées.

29 Doria redonne aux Centurione le titre de maître de galères en en octroyant 4 à Cosme Centurione en asiento-appalto au nom de Philippe II en 1582, l'objectif étant de revitaliser le pouvoir militaire et économique de la branche principale des Centurione. Dans un précédent article, nous avons analysé les possibilités d’enrichissement liées à cette fonction, Bastien Carpentier et Jean-Philippe Priotti, « Art. Cit. ».

30 Il était le cousin de Giovanni Andrea Doria et le petit-fils d’Adamo Centurione.31 Il s’était marié avec Livia Centurione, soeur de Cosimo. 32 En effet, sa veuve et son exécuteur testamentaire décidèrent de céder l'asiento à Carlo Centurione aux dépens des

fils du défunt. Ces derniers désapprouvèrent le choix de leur mère et manifestèrent en 1596 leur intention de réclamer à leur oncle Carlo Centurione le principal assorti des intérêts de l'asiento. Mais en définitive, Carlo Centurione devint l'héritier officiel de l'asiento d'Agabito Grillo.

Les galères n’étaient pas leur seule force. Ce front de parent menait simultanément des

activités complémentaires dans les domaines guerriers (asientos, course) et bancaires sur la base

desquelles des liens de sang avaient été établis. La guerre constituait le creuset où se mêlaient ces

différentes activités. Les asentistas de galères, les banquiers et les corsaires de la même parenté,

tous s'enrichissaient des préparatifs de guerre que Giovanni Andrea organisait en Méditerranée au

nom de l'Espagne33. Même après la mort d'Andrea, les Doria prêtèrent une attention particulière aux

activités de course et d’armement (voir graphique 1, p. 83)34, tandis que des descendants mâles

d'Adamo Centurione se consacraient au négoce et à la finance internationale35. S’il pouvait exister

un certain degré de spécialisation et des domaines de prédilection, les deux familles fondatrices de

l’alliance étaient capables de s’investir dans toutes ces activités.

Les membres éminents des deux principales branches du front de parenté collaboraient pour

mener à bien de grandes affaires. Ainsi, Giovanni Andrea Doria demandait régulièrement à son

beau-frère, le banquier Nicolò Spinola, de prêter de l’argent au gouvernement castillan à taux zéro36.

Pour les banquiers alliés de Doria la situation était confortable : les appuis de Giovanni Andrea à la

Cour et sa relation privilégiée avec le Roi Prudent leur permettaient d’avoir accès à l’information

utile et de bénéficier de recommandations auprès du pouvoir, même si, comme on l’a vu, la

concurrence avec d’autres Génois était loin d’être imaginaire.

Outre la superposition des liens entre les individus et l’interdépendance des différentes

activités (guerrières et commerciales) menées par un même front de parenté, qui faisait que chacun

défendait les intérêts de tous, on voit aussi comment chaque front de parenté « recrutait » des alliés

parmi les familles « ennemies » pour essayer de les fragiliser : les Doria-Centurione s’alliaient à des

Spinola, des Spinola-Grimaldi à des Doria. Deux remarques en découlent. À ce stade de notre

recherche, il semble bien que ce soit le degré d’interdépendance économique qui structurait les

formes de la parenté. Par ailleurs, bien qu’on ait souvent insisté sur l’individualisme des Génois, il

apparaît clairement que ces individus participaient activement à des stratégies collectives.

33 Bastien Carpentier, Jean-Philippe Priotti, « art.cit. » 34 Leonardo, Carlo et Giannettino Spinola, neveux de GAD, furent initiés au maniement des galères à l'instar des fils

du capitaine général de la mer, Andrea II et Carlo Doria, duc de Tursi. 35 Cosimo et Carlo Centurione, petits-fils d'Adamo, étaient également asentistas de galères. Cependant, l'activité

d'asentista de galères avait pour particularité de ne pas s'adresser exclusivement aux gens de mer. Les asentistas étaient avant tout des entrepreneurs particuliers. Même si ce ne fut pas le cas de Cosimo et Carlo Centurione, il était possible qu'un asentista de galères ne prenne jamais la mer.

36 C'était une manière pour le Prince de Melfi de vanter son réseau social auprès du Roi Prudent, lequel bénéficiait alors de services bancaires avantageux grâce à son alliance avec Doria. Vargas-Hidalgo, op. cit., p. 755, lettre du 31 juillet 1571.

Contrôler ceux qui dirigent la République

Le doge, représentant de la République, était choisi alternativement parmi les nuovi et les

vecchi, ce qui poussait les pro-espagnols -majoritairement des vecchi- à s'attirer des partisans chez

les nuovi, traditionnellement présentés comme hostiles à l'alliance hispano-génoise. Si les familles

fondatrices du front de parenté Doria-Centurione ne comptèrent aucun doge de la République parmi

leurs membres dans la seconde moitié du XVIe siècle, il est certain que de nombreux doges

appartinrent à leur réseau de patronage et furent intronisés grâce à leur soutien. À partir des années

1580, l'appui de Doria et de ses alliés devint presque indispensable aux candidats aux fonctions de

doge et de gouverneur de la République, tant leur pouvoir s’était renforcé en Ligurie.

En décembre 1579, Nicolò Doria, issu d’une branche cadette de la famille, fut élu doge37.

Proche de Giovanni Andrea, il fit une importante carrière politique au sein des institutions de la

République. Bien que non liés directement par le sang aux princes de Melfi, les membres de cette

autre branche de l’albergo Doria tissèrent des alliances matrimoniales avec certains membres du

front de parenté Doria-Centurione38. Traditionnellement investis dans la vie politique génoise mais

également riches financiers, ils bénéficièrent des recommandations de Giovanni Andrea Doria,

auprès des monarques castillans. À partir des années 1580, des doges étaient élus grâce à

l'intervention de Doria sans nécessairement être issus de la nobilità vecchia39. Philippe II bénéficiait

plus largement de la capacité de Doria à influencer la politique locale : en 1589, l'ambassadeur

espagnol déclarait au souverain compter sur Giovanni Andrea et ses réseaux au sénat afin d'obtenir

une orientation politique favorable aux intérêts de l'Espagne40.

37 Giovan Battista Doria, père de Nicolò et proche d'Andrea Doria, avait également été élu doge en 1537-1538 et deux de ses neveux accédèrent aussi à la magistrature de doge sous sa tutelle. Nicolò ne doit pas être confondu avec son homonyme le fils du cardinal Gerolamo Doria.

38 À l'instar des Doria princes de Melfi, la branche de Giovanni Battista, Nicolò et Agostino Doria fonde des alliances matrimoniales avec des descendants d'Adamo Centurione. Agostino Doria marie sa fille Battina à Ottavio Centurione, riche banquier, petit-neveu d'Adamo Centurione.

39 Davide Vaccà, un nuovo, fut élu doge pour l’intervalle 1587-1589 avec l'appui de Giovanni Andrea Doria, Carlo Bitossi, Il governo dei Magnifici. Patriziato e politica a Genova fra cinque e seicento, Gênes, ECIG, 1990, p. 65. Le chroniqueur génois Roccatagliata, un nuovo dont Doria est la bête noire, dénonce une dépendance totale de Vaccà de la volonté de Doria. Antonio Roccatagliata, Annali della repubblica di Genova dall'anno 1581 all'anno 1607, Gênes, Éditions Vincenzo Canepa, 1973, p. 116 : « Fu con arte, industria ed intercezione del Principe Doria eletto capo della Repubblica Davide Vaccaro, dottore di legge nato in Chiavari. Quest'uomo dipendeva in tutto dalla volontà del Doria, essendo stato ascritto al libro della nobilità col mezzo del Principe vecchio e poi da suoi discendenti e particolarmente da lui amichevolmente trattato. A questo si aggiungeva ch'egli era persona nuova, per le quali cose Doria si adopró tanto nell'elezione di persona la quale non aveva ardire di opporsi a suoi desideri, come alcuni particolari emuli del Doria ».

40 AGS, E. l. 1421, f. 72. Lettre de Mendoza à PII, Gênes le 8 août 1589 : « he pedido al príncipe Juan Andrea Doria que ponga en razón algunos del senado sus amigos y hame dicho lo hará »

Pour les élections du doge de décembre 1591, le capitaine-général de la mer confia au

monarque castillan s'assurer que leurs opposants fussent exclus de l'élection et il y parvint à la

grande satisfaction de l'ambassadeur espagnol41. En 1599, ce fut le tour de Lazzaro Grimaldi Cebà

de devenir doge. Bien que cette élection fût présentée par Roccatagliata, ouvertement anti-Doria,

comme étant l'œuvre des adversaires de Doria, ce dernier s’en montra amplement satisfait42. À tel

point que, sa mort en investiture entraînant des élections anticipées, Doria craint que ses opposants

ne profitent de son absence pour appuyer l'élection d'un doge lui étant moins favorable43. Or, le

nouveau doge élu fut le frère du cardinal Sauli, avec lequel Doria entretenait de bonnes relations.

De même, en 1605-1606, le nouveau doge apparut également comme un allié de Giovanni Andrea

Doria44. Ainsi l'influence de Doria sur les institutions politiques renforçait sa capacité à s'assurer

que la République restât pro-castillane45.

Le contrôle de la République ligure par les partisans des Doria allait au-delà de l'exclusion

politique des pro-français et de concurrents pro-espagnols. Il fallait que la République ne fût pas

trop indépendante, en particulier du point de vue militaire, pour qu’elle restât institutionnellement

faible. Tandis que la République se dotait dès 1559 d’une flotte propre de quatre galères, l’escadre

des particuliers de Gênes variait entre dix-huit et vingt unités selon les périodes46. Une poignée de

particuliers disposait donc d'une puissance militaire navale supérieure à celle de la République elle-

même. Giovanni Andrea Doria -à la tête de la flotte des particuliers de Gênes- et ses alliés avaient

donc tout intérêt à ce que la République demeurât militairement faible, maintenant ainsi la

dépendance de la cité ligure vis-à-vis de l'Espagne des Habsbourg. De manière générale, ces

particuliers s'opposaient à toute démarche politique visant à renforcer l'autonomie de la République

vis-à-vis de la monarchie hispanique. En février 1588, l'ambassadeur espagnol à Gênes accusa

certains oligarques de chercher à renforcer l'autonomie de la République de Gênes en voulant la

41 AGS, E. l. 1423, f. 152. Lettre de GAD à PII, Gênes le 19 novembre 1591. « Aquí se va acercando la elección del nuevo dux. He hecho mis diligencias para que queden excluydos algunos pocos a mi parescer, no sería a propósito para el sossiego desta república y servicio de v.md. y espero que saldré conello ». Gian Agostino Giustiniani fut élu grâce à son soutien ainsi que ceux de Marcantonio Sauli et de Gian Battista Lercaro. AGS, E. l. 1423, f. 49. Lettre de Mendoza à PII, à Gênes le 4 décembre 1591.

42 AGS, E. l. 1418, f. 88. Lettre de GAD à PII, Loano le 11 décembre 1597 : « Ahier vine aquí, haviendo dexado hecho en Génova el nuevo Dux la elección ha caydo en persona de Lazaro Grimaldo, de quien tengo grandísima satisfacción »

43 AGS, E., l. 1430, f. 86. Lettre de GAD à PIII, Savone le 19 février 1599. Doria était en mer à cette période. 44 AGS, E. l. 1433, f. 8. Lettre de GAD à PIII, Loano le 9 mars 1605 : « Haviendo acabado el Dux su tiempo, han

elegido en Génova el sucesor por sus términos, y la elección ha caído en Luca de Grimaldo. Es de los alegados a mi casa, y por esto por razón sera si ya con el habito no mudasse condición, aficionado a todo lo que fuere servicio de V.Md. ».

45 Le capitaine général de la mer vante alors la valeur de ce service au Roi Prudent. Vargas-Hidalgo, op. cit., lettre de GAD à PII, 25 janvier 1592.

46 Kirk, Thomas allison, Genoa and the Sea, London, The Johns Hopkins University Press, 2005.

doter d'une réserve d'argent47. Collaborateur de Giovanni Andrea et de Philippe II, Gian Battista

Lercaro48 s'opposa à ce projet, argumentant qu'une République ne devait pas imiter les princes

absolutistes et que cumuler argent et galères ne pouvait avoir que des effets négatifs. Selon lui, la

grandeur et la sécurité de Gênes résidaient dans sa protection par l'Espagne, ce qui lui valut

l'obtention de privilèges et de bénéfices de la part des monarques castillans49.

Les alliances politiques de Doria à Gênes dépassaient donc l'organisation administrative

officielle, les hiérarchies établies ainsi que les factions. En utilisant le réseau politique de Giovanni

Andrea qu’ils avaient contribué à bâtir, les monarques espagnols s’assurèrent que la République de

Gênes restât pro-castillane.

Cependant, dans les années 1590, parallèlement à ce qui se passait dans le domaine

économique, le groupe de familles dirigé par Giovanni Andrea n'était plus le seul à être en mesure

d’offrir au roi d’Espagne le contrôle politique de la ville. Le front de parenté Fieschi-Spinola-

Grimadi (voir graphique 2, p.87), pro-espagnol lui aussi, comptait également des membres occupant

des postes-clé dans les organes administratifs de la République. Les Spinola, par exemple,

disposaient de plus en plus d'appuis au sein de l'appareil institutionnel génois : en décembre 1592,

l'ambassadeur espagnol faisait d’ailleurs part à Philippe II des succès politiques remportés par les

protégés d'Agostino Spinola lors des élections des membres des conseils majeurs, mineurs ainsi que

d'autres magistratures de la République50. À court terme, ce groupe de familles allait être capable de

proposer aux monarques castillans une alternative à l'utilisation du réseau politique de Giovanni

Andrea Doria.

L'importance des réseaux sociaux et de patronage politique de Giovanni Andrea Doria ne

peut être pleinement considérée si leur analyse est contenue à l'aire génoise. Car un des éléments

vitaux de la montée en puissance et de la durée de ces réseaux est la capacité du broker à utiliser la

libéralité royale pour assurer la promotion sociale de ses clients, essentielle à la dynamique

relationnelle. La prédominance de Doria à Gênes résultait en grande partie du lien privilégié qu'il

entretenait avec le souverain, lequel garantissait au Génois une situation privilégiée face à celles de

ses concurrents dans le port ligure.

47 Bitossi, Carlo, Op. Cit., p. 56. 48 Lequel soutient Gian Agostino Giustiniani lors de l'élection de doge en décembre 1591.49 AGS, E., l. 1420, f. 11. Lettre de Mendoza à PII, Gênes le 8 février 1588; et AGS, E., l. 1422, f. 73, lettre de

Mendoza à PII, Gênes le 8 septembre 1590. De même, Gian Battista Lercaro est, aux côtés de Sylvestre Cattaneo, un agent au service de l'Espagne : ils informent PII des déboires du sénat de Gênes, auquel ils sont intégrés. AGS, E., l. 1413, f. 157. Lettre de Mendoza à PII, Gênes le 27 septembre 1580.

50 AGS, E. l. 1424, f. 79. Lettre de Mendoza à PII, Gênes le 24 décembre 1592.

Entre Gênes et l’Espagne :

logiques des entrepreneurs de la guerre

et logiques du gouvernement

Après la mort d’Andrea Doria la charge de capitaine-général de la mer était vacante et fut

attribuée successivement à plusieurs Espagnols, Juan de Austria -héros de Lépante- étant le dernier

à occuper la charge avant Giovanni Andrea51. Juan de Austria et Giovanni Andrea se connaissaient

au moins depuis Lépante et l’Espagnol était un intime de la famille52. Outre la teneur de leur

relation amicale, la correspondance entre les deux hommes permet de rendre compte du degré de

dépendance d’Austria vis-à-vis des ressources matérielles et immatérielles de Doria. Pour financer

les galères, obtenir des armes, lever des marins, gérer la situation à Naples, ou encore placer des

proches, Austria recourrait souvent au jugement et à l’entregent de Giovanni Andrea53. Alors

qu’Austria était toujours capitaine-général, Giovanni Andrea en concertation avec Granvelle prenait

déjà des décisions de façon indépendante54. Au milieu des années 1570, s’opéra un changement

radical de la relation entre les deux : Austria étant furieux après Doria. Il accusait le Génois de

l'avoir laissé tomber. À la fin de sa vie, Juan de Austria traita de nouveau Doria de très grand ami, et

même comme son meilleur ami55. Toutefois, à cette époque, Juan de Austria était aux Pays-Bas et

sans doute son contrôle sur les affaires méditerranéennes s’était relâché tandis que s’accroissait sa

dépendance par rapport à Doria.

Et en 1579, le cardinal de Granvelle fut rappelé à la Cour par Philippe II qui lui octroya la

charge de président du conseil d'Italie. Ses compétences dépassèrent rapidement sa fonction

officielle et il récupéra l'influence perdue au cours des années précédentes. Le retour de Granvelle

au premier plan bénéficia à Giovanni Andrea Doria, les deux hommes ayant d'excellents rapports56.

51 Marcantonio Doria, fils adoptif d'Andrea Doria, assure l’intérim après sa mort à sa demande. Adamo pousse Marco pour briguer le poste, mais trop endetté au service du roi. En 1564, Garcia de Toledo est nommé capitaine-général, charge qu'il occupe jusqu'à la nomination de Juan de Austria en 1568. Envoyé aux Pays-Bas en 1576, Austria y meurt en 1578.

52 Lettre de Juan de Austria à GAD n°39, 4/05/1574, dans Alfonso Doria Pamphilj, Lettere di Giovanni d’Austria a Giovanni Andrea Doria I, Roma, Forzani E C. Tipografi del Senato, 1896.

53 Ibid., lettres p. 26, 28. 54 Ibid., lettres p. 26 et suiv. 55 Ibid., lettres n°52, 22/02/1578, n°54, 7/06/1578.56 ADP, Scaff. 81.41. Lettre de Granvelle à GAD, Rome le 18 octobre 1577 : « Io amo e osservo V.E.I come devo et

fommam.to desidero esser comandato da lei, et m'è di forma gratia et consolatione haver presso nuova della sua salute et di tutta la casa ». Lors de son voyage vers l' Espagne en 1579, Granvelle transite par Gênes et est hébergé par la famille de GAD à son palais de Fassolo, ADP, scaff. 81.40, lettre de Juan de Idiáquez à GAD, Venise le 6 mai 1579; et lettre de Juan de Idiáquez à GAD, Venise le 20 mai 1579. ADP, scaff. 81.40, lettre de Juan de Idiáquez à GAD, l'Escorial le 14 septembre 1579 : « tener por guía y abrigo al buen cardenal de Granvela, gran ministro y gran criado de su rey y grande amigo de V.E.I.[...] »

Au même moment, le cardinal promut son protégé Juan de Idiáquez. Le Basque, fils d'un des

principaux secrétaires de Charles Quint, obtint la charge de secrétaire d'État et celle de conseiller de

guerre, puis devint à la fin du XVIe siècle un membre influent à la Cour de Philippe II57. Idiáquez

allait également jouer un grand rôle dans l’ascension de Giovanni Andrea à Gênes et à la Cour.

Montée en puissance d’un lobby de la guerre

Doria et Idiáquez se connaissaient de longue date et étaient familiers des milieux d’affaires

et de guerre58. Leur bonne relation trouvait son origine dans le séjour du Basque à Gênes entre 1573

et 1578. Initialement mandaté dans la cité ligure afin de suppléer le travail des ambassadeurs au

début des tensions sociales de 1573, Idiáquez y séjourna finalement comme ambassadeur ordinaire

jusqu'en 1578. À son arrivée, la mère et l’épouse de Giovanni Andrea l’accueillirent au palais Doria

de Fassolo (résidence habituelle des émissaires espagnols en transit à Gênes) et des liens affectifs

durables entre Idiáquez et la famille Doria s’en suivirent59. Dès le début, Doria aida Idiáquez à

constituer un réseau d'informateurs à Gênes pour les besoins de son ambassade60. En remerciement,

lorsqu'il devint ambassadeur espagnol à Venise, Idiáquez envoya à Doria quantité d'informations

relatives à l'ennemi turc, nécessaires au Génois pour assurer ses fonctions maritimes au service de la

Monarchie. Rapidement, demandes et propositions de faveurs se multiplièrent entre les deux

hommes : en janvier 1576, Idiáquez recommanda au Génois les services de deux protégés d'un de

ses amis, dans le but d'étoffer son propre réseau clientélaire61. Dès lors, Idiáquez et Doria

évoquèrent plus librement leurs affaires dans la correspondance qu’ils s’adressaient, à telle enseigne

que le Basque demanda au Génois de maintenir son contenu secret62.

En juillet 1579, Juan de Idiáquez fit part à Doria de son départ à la Cour, appelé aux côtés du

cardinal de Granvelle. Même après son arrivée à Madrid, la correspondance témoigne de la

57 Santiago Fernández Conti, Los consejos de estado y guerra de la monarquía hispana en tiempos de Felipe II (1548-1598), Madrid, Junta de Castilla y León, Consejería de Educación y cultura, 1998, p. 182. En 1587, il est nommé conseiller d'État et devient l'un des principaux ministres de la dernière étape du règne, très lié à Cristóbal de Moura.

58 Au sujet d’Idiáquez et de ses relations avec le milieu guerrier, J.-Ph. Priotti, « Maîtres du fer, seigneurs de la guerre. La formation d’un lobby militaro-politique en Espagne (1580-1630) », Revista Internacional de Estudios Vascos, janv.-juin 2012, 57/1, p. 62-88.

59 Juan de Idiáquez est un proche de la famille Doria depuis son séjour au palais de Fassolo. En attestent sa présence aux côtés de Zenobia, femme de GAD, lors de la mise au monde d'un de leurs enfants en 1574 (ADP, Scaff. 75.11), sa présence au baptême du nouveau-né et les éloges systématiques à l'égard de Zenobia dans la correspondance avec GAD.

60 En 1575, Idiáquez demande à GAD quelles personnes lui recommande-t-il de contacter à Gênes dans le but de créer son propre réseau d'information. ADP Scaff. 75.11, lettre de Juan de idiáquez à GAD, Gênes le 24 mai 1575.

61 ADP, Scaff. 75.11. Lettre de Juan de Idiáquez à GAD, Casale le 17 janvier 1576. 62 ADP, Scaff. 81.40, lettres de Juan de Idiáquez à GAD, Venise les 12 novembre 1578, 14 février 1579, 25 janvier

1579.

confiance durable et de la proximité qui unissaient les deux hommes63. À la Cour, Idiáquez offrait

systématiquement son aide au Génois64. Au début des années 1580, Doria disposait donc du soutien

à la Cour de deux nouveaux protagonistes de la politique extérieure de la monarchie hispanique. La

relation étroite entre Giovanni Andrea, Juan de Idiáquez et le cardinal de Granvelle détermina

l'ascension rapide du Génois au sein du gouvernement à Madrid.

Dès son arrivée aux affaires, Idiáquez joua de son influence et fit bénéficier Doria de ses

nouvelles fonctions, compétences et relations. En constante relation avec deux agents du Génois,

Idiáquez et Granvelle les aidèrent à obtenir le remboursement des créances de leur patron en

Espagne. À cet effet, ils mirent en rapport le Génois avec un membre influent du consejo de

hacienda : Juan Delgado65. Comme un juste retour des appuis concédés à Idiáquez lorsqu’il était à

Gênes, et fort de la confiance gagnée auprès de Philippe II, le Basque, à son tour, favorisa son ami

Doria et, à partir de 1581, soutint le beau-frère et proche collaborateur de ce dernier, le banquier

Niccolò Spinola66.

De retour du Portugal en 1583, Philippe II fut accueilli à Madrid par le cardinal de Granvelle

et Idiáquez, lequel officiait simultanément au conseil d'État et de guerre, détenant un certain degré

de contrôle des affaires de politique extérieure. Dès 1582, Granvelle déclarait que Giovanni Andrea

pouvait être utile à Madrid non seulement en tant qu'asentista de galères, mais aussi comme

conseiller67. La même année le cardinal prit officiellement position pour la candidature de Doria au

poste de capitaine-général de la mer, dont Philippe II et les membres du conseil de guerre

délibéraient68. La question fut débattue par Juan de Zúñiga, proche et client de Granvelle, Francés

de Álava, le marquis d'Aguilar et Juan de Idiáquez -ces deux derniers appartenant au même groupe

63 Idiáquez prend l'habitude de parler de leur amitié et adresse de manière systématique ses amitiés à la famille proche de Doria, notamment Zenobia. Ibid., lettre de Juan de Idiáquez à GAD, l'Escorial le 14 septembre 1579.

64 Ibid., lettre de Juan de Idiáquez à GAD, Madrid le 8 novembre 1579, « de poco provecho que soy aquí me tiene V.E.I así inútil con tanto deseo de servirle como devo ».

65 À propos des négociations des remboursements de Doria, Idiáquez évoque à plusieurs reprises la nécessité de remercier Juan Delgado pour les services rendus à cet effet. Ibid., lettres de Idiáquez à GAD, Mérida le 10 mai 1580, Badajoz le 19 août 1580 et le 11 novembre 1580. Idiáquez et Delgado appartiennent au début des années 1580 à la faction du cardinal de Granvelle, face à celle de Matteo Vázquez. L'influence de Delgado s'opérait simultanément sur les sphères décisionnelles militaires et économiques : des années 1570 à sa mort en 1585, il était secrétaire au conseil de guerre, siégeait à la junta de galeras, à la junta de Indias, ainsi qu'au consejo de hacienda et était à la tenencia de la contaduría mayor de 1568 à 1580. Fernandez Conti, op. cit., p. 128, 135, 136; et Carlos Javier de Carlos Morales, El consejo de Hacienda de Castilla, 1523-1602, Junta de Castilla y León, 1996, p. 234.

66 Ibid., lettres de Idiáquez à GAD, Lisbonne les 14 mai 1581 et 30 juin 1581. Niccolò Spinola est marié à Placidia Doria, sœur de GAD.

67 Fernández Conti, op. cit., p. 192; p. 198. 68 Vilma Borghesi, Vita del Principe Giovanni Andrea Doria scritta da lui medesima incompleta , Gênes, Compagnia

dei Librai, 1997, p. XIX.

de pression dirigé par le Basque à Madrid-, lesquels désignèrent logiquement Doria comme

nouveau capitaine-général de la mer69.

Suite aux morts de Granvelle et de Zúñiga fin 1586, Juan de Idiáquez et Cristóbal de Moura

jouèrent les premiers rôles au sein du gouvernement de Philippe II et Idiáquez devient conseiller

d'État en 1587. Malgré les accusations portées à leur encontre suite au désastre de l'Invincible

Armada en 1588 -entreprise dont ils étaient les instigateurs-, Idiáquez et Moura continuèrent de

contrôler la politique extérieure70. L'amitié entre Doria et le Basque perdura jusqu’au début des

années 1590 et permit au Génois d'accéder à d'autres charges importantes : il fut nommé conseiller

d'État grâce au soutien d'Idiáquez en 1594, les deux amis disposant ainsi d’une plus grande marge

de manœuvre au sein du gouvernement71. L'ascension de Doria à Madrid ne s'explique donc pas

exclusivement par la relation de confiance avec le Roi Prudent, mais aussi par la capacité du Génois

à avoir du crédit auprès des hommes influents de la Cour, sa montée en puissance correspondant à

l'affirmation des positions dominantes de ses alliés.

Le lien avec le monarque

Philippe II et Giovanni Andrea Doria s’étaient rencontrés en 1548 lors de la visite du prince

Philippe à Gênes, alors logé au palais des Doria à Fassolo, et s’étaient aussi côtoyés à Bruxelles en

1558. Si Giovanni Andrea Doria jouissait également de la considération qu'avaient les monarques

castillans pour son proche parent et protecteur, Andrea Doria, la confiance établie entre les

Habsbourgs et les Doria ne se transmit pas à l'instar de biens matériels, en tout cas pas

automatiquement. Hériter d’un capital immatériel comme continuer à entretenir des liens avec un

souverain dépendait étroitement de la personnalité des héritiers, ainsi que de la configuration des

pouvoirs. Au début des années 1560, c’est-à-dire peu de temps après la mort de l’amiral Andrea,

Giovanni Andrea s’était mis à dos le monarque en refusant d’obéir à certains de ses ordres, et il

existait entre eux des divergences notoires en matière politique, à telle enseigne que certains

ministres espagnols pensèrent même mettre fin à son asiento ainsi qu’à annuler certains de ses

privilèges royaux72.

69 Le Génois, alors à la cour, entra en fonctions le 21 mai 1584, Fernández Conti, Op. Cit., p. 198. Juan de Zuñiga est client et proche collaborateur du cardinal de Granvelle depuis leur coopération en Flandres.

70 Fernández Conti, op. cit., p. 216. 71 Archivio Segreto Vaticano, Spagna, l. 45, f. 354. Lettre du nonce Caetani au cardinal Aldobrandini, Madrid le 21

mai 1594. 72 Pulido Bueno, Op. Cit., p. 213.

Par ailleurs, le transfert progressif du théâtre des conflits vers l’Atlantique, la hausse des

dépenses militaires aux Pays-Bas, poussèrent le souverain à entrer en négociations avec d’autres

banquiers ligures, comme on l’a vu : le prince de Salerne (Nicolò Grimaldo), les Spinola et les

Fieschi, dont les paiements s’effectuaient en Flandre notamment, prince de Salerne dont on sait

qu’il était un des principaux opposants de Doria et Centurione à Gênes. Cela créait des conflits

d’attribution potentiels et des rivalités dont nous allons voir comment ils furent en partie résolus.

L’arrivée de Giovanni Andrea au poste de capitaine-général de la mer se faisait dans un

contexte de montée en puissance d’un groupe d’hommes formant le parti de la guerre à Madrid,

particulièrement propice donc à ce qu’un homme comme Giovanni Andrea, proche de ce groupe,

fût nommé capitaine-général de la mer et plus tard au conseil d’État. C’est dans ce contexte que la

position du Génois s’affermit auprès de Philippe II après la mort de Juan de Austria. Ce qui était

loin de satisfaire tout le monde à la Cour.

L’ambassadeur français note que cette nomination est mal comprise et suscite des jalousies

autant en Espagne qu’en Italie et qu’elle n’était pas non plus attendue ni recherchée par Doria73.

L’affection que le roi avait pour Doria et l’amitié du cardinal de Granvelle seraient selon le

diplomate les raisons de cette nomination. Mais Giovanni convenait également à la charge pour

d’autres raisons. Il apparaissait comme celui capable de réformer et de mettre en meilleur état les

galères d’Espagne, de Naples et de Sicile, dont le désordre et les grandes dépenses posaient

problème74. De plus, il résidait à Gênes ce qui était un atout considérable pour la gestion de la

défense de la Méditerranée espagnole. Le séjour de Doria à Madrid se prolongea plus de cinq mois,

ce qui lui permit de resserrer les liens avec les autres grands hommes de guerre et marins de son

temps. En 1584, avec tout ce que Madrid comptait de Grands, Doria alla accueillir le marquis de

Santa Cruz à son arrivée à Madrid qui devint capitaine-général de la mer océane75.

La présence simultanée de tous ces hommes de guerre à la Cour avec les économies

guerrières qui les soutenaient donne la possibilité -à un moment où les fronts de conflits se

73 Albert Mousset, Op. Cit., lettre de Longlée à Henri III, 31/12/1583, p. 4. Jugeant son agent à la cour incapable, Doria était allé à la cour pour négocier lui-même le remboursement de ses créances, accumulées depuis la vente de ses 10 galères en 1582. Il faisait mine d'être surpris de sa nomination capitaine général auprès de tout le monde, mais Philippe II l'avait discrètement averti plus de 6 mois auparavant de son projet de lui confier la charge. Il agit de la sorte, car d'autres convoitaient la charge.

74 La correspondance entre Juan de Austria, précédent capitaine-général et GAD donne de multiples exemples de cette désorganisation et des problèmes financiers lui étant liée. Par ailleurs elle fournit une idée du degré de dépendance de Juan de Austria par rapport au Génois dans de nombreux domaines, comme celui qui a trait à la gestion des galères de Naples, la levée de marins génois, l’approvisionnement en armes, ce qui donne sens aux réflexions de Longlée, voir Alfonso Doria Pamphilj, Lettere di Giovanni d’Austria a Giovanni Andrea Doria I, Roma, Forzani E C. Tipografi del Senato, 1896, lettres p. 26, 28, 39, 44.

75 A. Mousset, op. cit., lettre de Longlée à Henri III, 23/01/1584, Longlée à Villeroi, 10/03/1584, p. 15, 36.

multiplient- d’une réflexion au niveau global76. Il est question de la réforme des galères certes, mais

aussi, dès cette époque, du projet de l’entreprise d’Angleterre77. Toutes les affaires de la mer furent

pensées en même temps et l’on se rendait compte de l’interdépendance entre les conflits : se

consacrer à l’Angleterre nécessitait de maintenir les troubles en France et de faire en sorte que

Doria défendît la Méditerranée depuis Gênes.

Dans la seconde quinzaine de février 1584, les membres du conseil d’État et de guerre se

réunirent, fait inhabituel, 7 ou 8 fois en 12 jours. Le cardinal de Granvelle, Doria, Santa Cruz et

Juan de Idiáquez incitaient à la guerre et représentaient le parti ayant le plus d’autorité à la Cour78.

En juin 1586, Doria se rendit de nouveau à Madrid à la demande du roi79. À cette époque,

Granvelle, un de ceux qui avait contribué à aider Doria, avait désormais peu de crédit et de pouvoir

à la Cour80. On sait qu'il était devenu favorable à un accord avec la reine d’Angleterre à la fin de sa

vie, plutôt que d’entrer en conflit avec elle, ce qui explique certainement qu’il ait été écarté du

pouvoir par le parti de la guerre.

Giovanni Andrea, quant à lui, se retira de sa charge de capitaine-général en 1601 après un

nouvel essai avorté de conquête d’Alger la même année.

Gouvernement castillan,

réseaux concurrents et contrôle territorial

La passation de pouvoir entre Andrea et Giovanni Andrea ne s’était donc pas réalisé sans

jeux d’influence ni sans investissement en temps et en argent. À Gênes, un dosage subtil

d’intégration de nouveaux venus issus de familles ennemies et d’exclusion sur place de concurrents

gênants du groupe des bénéficiaires de la monarchie, assorti de puissants appuis à la Cour, avaient

contribué à l’ascension de Giovanni Andrea. Le pouvoir du Génois circulait entre les deux pôles

génois et madrilène grâce à la bienveillance du souverain. Mais un monarque régnant sur des

territoires aussi divers et étendus que ceux de la monarchie hispanique ne pouvaient longtemps

ignorer des banquiers internationaux et de riches armateurs.

76 En tant que décideurs, organisateurs, financiers de la guerre et comme guerriers. Ce qui revient à affirmer qu’ils étaient capables de créer la demande et l’offre entre Madrid et Gênes. Malgré l’institutionnalisation de l’activité de certains de ces acteurs, les intérêts privés et les pouvoirs régionaux forts qu’ils représentaient continuait à exister. En contrepartie, ces mêmes réseaux contribuaient à la consolidation de l'unité territoriale et à la sauvegarde des frontières du monde ibérique.

77 Dès mai 1584, l’entreprise d’Angleterre est évoquée et ne cessera de l’être jusqu’en 1588, A. Mousset, op. cit., lettre de Longlée à Henri III, 01/05/1584, Longlée à Henri III, p. 62.

78 Ibid., lettre de Longlée à Henri III, 29/02/1584, p. 26.79 Ibid., lettre de Longlée à Henri III, 19/06/1586, p. 274.80 Ibid., lettre de Longlée à Henri III, 19/06/1586, p. 272.

En dehors des asientos que les concurrents de Doria réussirent à signer à Madrid, leur réseau

bancaire et leur potentiel guerrier trouvèrent un terrain d’expression aux Pays-Bas, un des grands

lieux de promotion de la monarchie. Au premier rang des asentistas d’Anvers dans le dernier quart

du XVIe siècle, les trois familles (les Grimaldi, Spinola, Fieschi) formant le front de parenté ennemi

de celui des Doria-Centurione81, prétendaient diversifier leur offre de services. Des membres de la

famille Spinola, par exemple, furent amenés à exercer des fonctions militaires importantes en

Flandre.

En 1582, des galères passèrent sous le contrôle des Spinola82. Cet événement était davantage

qu’un symbole, puisque les asentistas génois à Madrid issus de ce groupe transportaient leur argent

sur leurs propres galères. Au début du XVIIe siècle, Federico Spinola, fils du banquier Filippo

Spinola -qui avait échoué à reprendre à Gênes l'asiento des galères de Gian Antonio de Marini83, en

partie à cause du fils de Giovanni Andrea-, projeta d'exporter le modèle génois de condottiere en

Flandre, où les Doria n'avaient pas d'influence majeure.

Dès 1593, il avait présenté un projet pour venir à bout du commerce hollandais, lequel

impliquait l'utilisation de la flotte de galères génoises en Flandre. Pour cette tâche, il fut aidé par

son frère Ambrogio Spinola qui agissait en tant que conseiller personnel de l'Archiduc et chef des

armées de Flandre. En 1600, avec Federico -qui avait fait passer 9 galères de Gênes à Dunkerque-

ils battirent une escadre hollandaise dans les eaux du canal de la Manche causant de lourdes pertes à

l'ennemi84. Mais Federico le paya de sa vie en 1603 lors du siège d'Ostende. Bien que

l'établissement à Dunkerque d'une flotte permanente au service de l'Espagne fut retenue, les Génois

en furent écartés en tant qu'armateurs et guerriers; des Basques et des Dunkerquois prenant le relais.

Mais de 1605 à 1627, Ambrogio occupa le poste de surintendant des finances militaires aux Pays-

Bas espagnols sur ordre royal et assuma la lieutenance militaire de l’Archiduc85: il exerça un

pouvoir militaire et politique que Madrid ne fut pas capable d’endiguer. De plus, Ambrogio

(banquier et guerrier) fut capitaine-général de la armada de Flandre de 1622 à 1630 et pesa de toute

son influence dans la politique militaire navale. Comme il s'était fait remarquer pour ses qualités de

chef de guerre et d'homme capable de lever des fonds pour l'organiser, il poursuivit une grande

carrière dans l'administration espagnole puisqu'il parvint à devenir conseiller d'État et président du 81 Sur leurs activités en tant qu’asentistas, Valentín Vázquez de Prada, Lettres marchandes d'Anvers, Paris, SEVPEN,

1960, tome I p. 189-195 ; 328-355.82 Agostino Spinola achète finalement en 1582 les 4 galères que son beau-frère et associé, Luciano, avait héritée

d’Adamo Centurione en 1566. En 1593, elles sont transmises en héritage à Ambrogio Spinola.83 AGS, E. l. 1433, f. 117. Lettre de Federico Spinola à PIII, le 20 mars 1605. En définitive, Giacomo de Marini, fils de

Gian Antonio, revendique l'hérédité de l'asiento et l'obtient : AGS, VG. l.6, f. 359.84 R.A. Stradling, op. cit., p. 36-37.85 Alicia Esteban Estríngana, Guerra y finanzas en los Países Bajos católicos. De Farnesio a Spinola (1592-1630),

conseil de Flandre. Au XVIIe siècle, il fut l'un des principaux interlocuteurs entre les monarques

castillans et les Génois.

Affronter les Doria à Gênes tout en soutenant la cause espagnole passait donc par la

recherche de nouveaux territoires où exercer son pouvoir. Cette recherche était facilitée par la

culture de mobilité des Génois, servie par leur profession de banquiers et de mercenaires dont les

activités quadrillaient les territoires européens. Lorsqu’il était malaisé de faire fructifier fortune et

influence et d’établir une domination sur un territoire à cause d’une concurrence trop forte, le

déplacement assurait de nouvelles opportunités. En authentique communauté de la circulation, le

pouvoir de certains Génois prospérait en dehors de la cité.

Les Spinola et leurs alliés avaient réussi à créer un système autonome par rapport aux Doria.

À l’image de l’alliance Doria-Centurione, le front de parenté organisé autour des Fieschi, Grimaldi,

Spinola et d’une branche dissidente des Doria, disposait donc de ses propres galères et d’une

capacité financière de grande envergure, lui permettant de signer de gros asientos et d’en convoyer

le produit d’Espagne en Italie, sans dépendre ni du crédit des banquiers protégés par Doria à la Cour

ni du service de ses galères.

On voit combien le changement d’échelle profitait aux concurrents des Doria-Centurione. Ils

étaient parvenus à créer un système fisco-financier et militaire international au sein de la monarchie

hispanique dont ils assuraient seuls le contrôle. C’est dire la marge d’indépendance dont ils

jouissaient vis-à-vis de leurs ennemis mais aussi vis-à-vis du pouvoir royal, lequel dépendait d’eux

pour la disponibilité de fonds autant que pour l’exercice des armes. Si le roi avait appuyé la montée

en puissance d’un groupe à Gênes, celui dirigé par Giovanni Andrea, contrariant ainsi les ambitions

de certaines familles ennemies, cela ne signifiait nullement que les concurrents étaient

définitivement éconduits. Le monarque castillan avait besoin de toutes les compétences et il

s’efforçait de tirer profit de tous les réseaux disposant d’une certaine concentration de pouvoir

guerrier et financier. Il facilitait ainsi l’établissement des concurrents des Doria aux Pays-Bas et en

Espagne. À travers les nominations militaires et les montages financiers qu’impliquaient les

asientos de Flandre, le souverain inscrivait des logiques de fonctionnement sur un nouveau

territoire.

L’objectif vis-à-vis de Gênes et des Génois était double. Le souverain voulait que la paix

régnât à Gênes, gardienne de la sécurité maritime de la monarchie en Méditerranée tout en

maintenant intacte la puissance militaire et financière génoise. En appuyant la montée en puissance

des différents fronts de parenté en des territoires distincts, il contribuait à discipliner les différents

réseaux génois pacifiant les conflits entre eux. Chacun de ces réseaux exerçant une domination sur

territoire de référence, cela évitait conflits d’attribution, de compétences et de juridiction. Bien sûr,

le roi ne contrôlait pas ces réseaux mais, plus simplement, il améliorait leur capacité d’action et de

domination en facilitant l’institutionnalisation des activités de leur leader. Le roi ne subissait pas la

diversité et l’éloignement de ses territoires périphériques ou alliés, il en tirait profit. Car débarrassé

de luttes intestines au sein d’une même ville ou d’un même territoire, le drainage et la concentration

de capitaux comme l’organisation militaire que les différents réseaux réalisaient gagnaient en

efficacité.

En effet, ces initiatives de la part du gouvernement permettaient des intégrations verticales

d’activités aux mains des mêmes fronts de parenté, ce qui signifiait une concentration accrue de

capitaux et de force armée. La monarchie hispanique augmentait ainsi sa capacité de captation des

ressources contrôlées par les Génois. En réservant aux différents réseaux génois des « chasses

gardées », on tendait vers une moindre concurrence entre eux voire à la création de domination. En

conséquence, l’incertitude diminuait dans le maniement quotidien des affaires militaires et

bancaires, ce qui entraînait la baisse des coûts de transaction et contribuait à la fois à l’efficience de

la monarchie hispanique et à celle des réseaux génois86. L’exercice du pouvoir de ces réseaux

qu’appuyait le gouvernement castillan tempérait l’emprise des institutions locales et provinciales

sur les territoires périphériques alliés ou intégrés à la monarchie hispanique. De même que l’on

essayait de promouvoir l’activité et l’efficacité de ces réseaux, on influençait les circulations

matérielles et immatérielles en son sein.

Ainsi, en 1588, s’opéra un changement de politique financière de Philippe II en matière

d’asientos. Pour décourager la spéculation sur les paiements faits en Italie, le conseil des finances

imposa désormais à tous ceux qui concluaient avec lui des asientos en Espagne, l’obligation de

payer la totalité ou la quasi-totalité de leur montant en Flandre même, par mensualité87. L’argent ne

devait plus passer par Gênes, ce qui -sans briser les collusions d’intérêts des Génois de Gênes et des

Gênes de l’extérieur- transférait un pouvoir de négociation accru aux expatriés. La manipulation de

ces réseaux transnationaux était donc un instrument majeur de la politique impériale.

86 Au sujet des coûts de transaction, D.C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge, Cambridge University Press, 1990 ; John H. Munro, « The ‘New Institutional Economics’ and the Changing Fortunes of Fairs in Medieval and Early Modern Europe : the Textile Trades, Warfare and Transaction Costs » dans Simonetta Cavaciocchi (éd.), Fiere e mercati nella integrazione delle economie europee, secc. XIII-XVIII. Atti della « Trentaduesima Settimana di Studi », 8-12 maggio 2000, Firenze, Le Monnier, 2001, p. 405-451 ; Ronald Coase, Le coût du droit, Paris, PUF, 2000.

87 Henri Lapeyre, Op. Cit., p. 59.