Saddle-splay elasticity of nematic structures confined to a cylindrical capillary
La construction des grandes voûtes en chevrons de l'Ancien Empire, GM 242, 2014, (The building of...
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La construction des grandes voûtes en chevrons
de l’Ancien Empire
Franck Monnier
La construction1 des monumentales voûtes en chevrons dans les pyramides
de l’Ancien Empire représente un exploit technique qui fait date dans l’histoire de
l’architecture égyptienne. Pour réaliser ces ouvrages, il a fallu mettre en place des
dizaines de blocs dont les plus gros pèsent près de 100 tonnes2. Certaines voûtes
pèsent près de 5000 tonnes au total3 !
Les anciens Égyptiens sont manifestement parvenus à établir une méthode infaillible
de mise en place des monolithes puisque, de toutes les voûtes de ce type connues à
ce jour, aucune ne semble avoir souffert d’un incident lors de sa construction. Toutes
ont été parfaitement achevées4. Le transport et la pose des chevrons ont donc
constitué des opérations sûres et maîtrisées.
Nous ne possédons aucun document ni aucun témoignage archéologique nous
dévoilant même en partie la technique adoptée pour l’élévation des blocs aux
dimensions mégalithiques. Cet aspect de la construction des pyramides demeure
pour l’égyptologie un problème irrésolu, et rares sont ceux qui s’expriment sur le
sujet. Nous allons donc passer en revue les quelques opinions, et les commenter
tout en brossant un état des lieux qui nous permettra, par déduction, de proposer
une solution vraisemblable.
1 Nous adressons nos sincères remerciements à Audran Labrousse, qui a eu la gentillesse de nous
communiquer les photos de la voûte de la pyramide de Pépi Ier, ainsi qu’à Richard Lejeune, pour sa
relecture minutieuse du manuscrit. 2 Dans la pyramide de Djedkarê Isési, le plus gros chevron de la couche inférieure couvrant
l’antichambre (V. MARAGIOGLIO et C. RINALDI, L’architettura delle piramidi menfite, VIII, Rapallo, 1975,
pl. 10-11). Certains blocs avoisineraient même les 200 tonnes, si l’on en croit les mesures du plus
gros chevron de la couche supérieure de la voûte dans la pyramide de Sahourê à Abousir : 9,50 m/7m
x 3,7 m x 2,74 m (L. BORCHARDT, Ausgrabungen der Deutschen Orient-Gesellschaft in Abusir 1902-
1908. VII. Das Grabdenkmal des Königs Sahu-Re, I, Der Bau, Leipzig, 1910, pl. 12 ; V. MARAGIOGLIO
et C. RINALDI, op. cit., VII, 1970, pl. 8, p. 50-51). Cela demande toutefois à être vérifié. En effet, cette
couche est difficilement visible à cause du très mauvais état de l’ensemble de la structure. Et les
anciennes mesures sur lesquelles nous nous reposons pour évaluer cette masse impliquent une
disposition peu orthodoxe pour ce type d’ouvrage. Habituellement, les dimensions de la couche
supérieure ne dépassent jamais celles des couches inférieures. 3 Cas de la pyramide de Pépi Ier où les chevrons ont une masse moyenne de 75 tonnes (A.
LABROUSSE, L’architecture des pyramides à textes, I, Le Caire, 1996, p. 91, n. 22). 4 Nous n’évoquons évidemment pas les dégâts ultérieurs provoqués par d’éventuels tremblements de
terre, par le travail de sape des pilleurs, ou encore par les carriers.
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Ludwig Borchardt, qui eut en charge de fouiller la nécropole d’Abousir au début du
XXe siècle, est sans doute le premier à avoir décrit minutieusement les couvrements
en chevrons adoptés dans certaines sépultures royales de l’Ancien Empire,
notamment les pyramides de Sahourê, Neferirkarê et Niouserrê5. Celles-ci
comportent chacune une voûte à trois couches de chevrons figurant toutes dans un
état de ruine très avancé. Récemment, la pyramide inachevée de Neferefrê (fig. 2),
située dans cette même nécropole, a révélé que sa chambre sépulcrale était aussi
couverte d’une telle voûte6.
Selon l’égyptologue allemand, les énormes blocs composant ces voûtes auraient été
placés à l’aide de pinces de levage7, un point de vue préjugeant qu’ils aient été
descendus dans la fosse par un mouvement vertical, suspendus à de puissants
dispositifs.
Nous estimons, pour notre part, que les contraintes imposées par un bloc d’une
centaine de tonnes en suspension à une grue faite de bois et de cordages auraient
été excessives et auraient rendu l’opération extrêmement périlleuse, car risquant de
provoquer à tout moment une rupture avec des conséquences désastreuses. La
chute d’un bloc d’une masse aussi considérable aurait occasionné des dommages
incommensurables et détruit en grande partie les appartements funéraires. Les
Égyptiens n’auraient sans doute jamais couru ce risque.
De leur côté, J.-Cl. Goyon et J.-Cl. Golvin ont esquissé une méthode fondée sur le
principe du caisson de sable8, inspirés en cela par une théorie visant à expliquer
l’érection des grands obélisques9. Selon eux, les chevrons n’auraient pas été
soulevés, mais plutôt déplacés jusque sur un caisson rempli de sable, lequel ensuite
aurait été vidé à partir de sa base pour assurer la descente des blocs jusqu’à leur
position finale. Celui-ci aurait été composé d’un échafaudage en brique à double
pente remplissant la chambre funéraire, et sur lequel auraient reposé les premiers
chevrons10. Cependant, le moyen pour placer ces chevrons en haut du caisson de
sable n’est pas décrit, pas plus que le moyen d’évacuer le sable et de contrôler la
bonne tenue des monolithes qui, une fois en place, devaient se contrebuter
parfaitement. Selon leur modèle, les chevrons du sud auraient pu être posés en
5 L. BORCHARDT, Ausgrabungen der Deutschen Orient-Gesellschaft in Abusir 1902-1904. I. Das
Grabdenkmal des Königs Ne-User-Re’, Leipzig, 1907, p. 103-107, pl. 17 ; L. BORCHARDT,
Ausgrabungen der Deutschen Orient-Gesellschaft in Abusir 1902-1908. VI. Das Grabdenkmal des
Königs Nefer-ir-ke-re’, Leipzig, 1909, p. 40-45, pl. 2 ; L. BORCHARDT, op. cit., Sahu-Re, I, Der Bau,
p. 70-72, pl. 12. 6 Toutefois celle-ci a complètement disparu du fait de l’exploitation du monument comme carrière
(M.VERNER, Abusir IX. The Pyramid Complex of Raneferef. The Archaeology, Prague, 2006, p. 22-25). 7 L. BORCHARDT, op. cit., Nefer-ir-ke-re’, p. 44. 8 J.-C. GOYON, J.-CL. GOLVIN, CL. SIMON-BOIDOT et G. MARTINET, La construction pharaonique, Paris,
2004, p. 323.
9 J.-C. GOYON et al., op. cit., p. 330-332.
10 J.-C. GOYON et al., op. cit., p. 323.
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premier lieu, attendant que ceux du nord viennent s’appuyer, eux aussi installés
selon le même procédé.
La figure 5 montre qu’il aurait été impossible de descendre tous les chevrons d’un
même versant par ce procédé, car aucun accès n’aurait permis d’extraire le volume
de sable situé à l’extrémité ouest du caisson.
Toutefois, il aurait été envisageable d’utiliser un caisson pour chaque monolithe, en
répétant l’opération tant de fois que nécessaire11. Ainsi, dans la mesure où la
première couche de chevrons en comportait seize, seize caissons auraient été
construits, remplis de sable, vidés, puis démontés. Les murs de soutènement en
brique auraient alors dû être bâtis avec le plus grand soin, posséder une certaine
robustesse puisqu’il se serait agi de les élever à plus d’une dizaine de mètres de
hauteur, de les remplir de sable, et leur offrir le rôle de guide lors de l’abaissement de
blocs pesant parfois plus de 100 tonnes. Les chevrons devaient posséder une
inclinaison précise, et leur naissance s’insinuer dans l’entaille en « V » de la culée
avec la plus grande précision (cf. infra). Le but à atteindre était donc tout à fait
différent de celui du positionnement vertical d’un obélisque, reposant sur un socle
horizontal. Force est de constater que cette technique n’aurait offert que peu de
contrôle sur le mouvement pris par chaque bloc lors de sa descente. Le vidage
effectué seulement à partir d’un côté du caisson aurait risqué de créer un
déséquilibre, et par conséquent un dangereux basculement du bloc.
Si, malgré toutes ces difficultés, on voulait encore considérer cette technique comme
envisageable pour la première couche de chevrons, elle devient beaucoup plus
problématique pour les deuxième et troisième couches12. En effet, les voûtes de la
VIe dynastie révèlent la présence d’interstices, en fait des vides résiduels,
volontairement disposés entre les couches de chevrons. À la pyramide de Pépi Ier,
cet espace laisse un dégagement dont la hauteur varie de 7 à 15 cm13. Une fois la
couche inférieure de chevrons achevée, il serait devenu absolument impossible de
procéder à un vidage du sable à partir de la base puisque les appartements
funéraires étaient désormais complètements fermés. Le seul moyen aurait alors été
de vider le matériau à partir du faîte de la première couche de chevrons. Mais le fin
interstice observé n’aurait permis à personne de pouvoir se faufiler sous les blocs
pour vider davantage le sable. Il va sans dire qu’une telle manipulation aurait été
d’une dangerosité extrême pour les ouvriers.
11 La plupart des voûtes en chevrons voient leurs éléments être décalés par rapport à leur vis-à-vis,
sans doute pour offrir un liaisonnement supplémentaire à la cohésion d’ensemble (A. LABROUSSE, op.
cit., p. 32, 38). Ce dernier point implique obligatoirement de créer un caisson par chevron. 12 J.-C. Goyon et J.-Cl. Golvin éludent toutefois le problème en affirmant qu’« au-delà de l’énoncé de
ce principe de base, il est déraisonnable d’évoquer des solutions pour les détails du processus :
quand retirer les traîneaux sous les dalles, jusqu’à quelle hauteur faire monter la maçonnerie
environnante, comment procéder dans le cas de trois voûtes superposées ? Cependant, la faisabilité
et le caractère égyptien du procédé évoqué sont indéniables » (J.-C. GOYON et al., op. cit, p. 323). 13 A. LABROUSSE, op. cit., p. 99.
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Selon nous, l’un des principaux arguments allant à l’encontre de l’utilisation de
caissons est la présence de marques à l’encre rouge dessinées sur le mur ouest de
la fosse, marques destinées à servir de repères lors de la mise en place des
premiers chevrons de la voûte. L’utilisation de caissons aurait tout simplement noyé
ces marques, les rendant dès lors inutiles.
En outre, les constatations faites par Audran Labrousse dans les pyramides à textes
de Saqqara sont sans appel et constituent un argument décisif. À la pyramide
d’Ounas, il ne subsiste aucun résidu de sable derrière les murs des chambres
funéraires ni dans les interstices laissant envisager qu’une telle technique ait pu être
employée14.
Si cette technique de construction est attestée dans les mécanismes à caisson de
sable15, dans l’acheminement de sarcophages en pierre en bas de puits très
profonds16, et demeure envisageable pour l’érection des obélisques17, elle est
assurément inapplicable à la mise en place de plusieurs couches superposées de
chevrons18.
14 A. LABROUSSE, op. cit., p. 95. 15 F. MONNIER, Vocabulaire d’architecture égyptienne, Bruxelles, 2013, p. 69. 16 D. ARNOLD, Building in Egypt, Oxford, 1991, p. 78. 17 J.-C. GOYON et al., op. cit., p. 330-334. 18 Point de vue partagé par A. Labrousse (A. LABROUSSE, op. cit., p. 95).
Figure 1 – Tranchée et fosse excavées pour accueillir les appartements funéraires de la pyramide de Rêdjedef à Abou Rawash (IVe dynastie) (photo : Franck Monnier)
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Dieter Arnold, de son côté, a proposé une méthode prenant en compte une
particularité longtemps ignorée de certaines superstructures19, la tranchée de
construction aménagée dans le massif de la pyramide à ériger (fig. 2), qui prolonge
vers le haut l’excavation initiale accueillant la descenderie (fig. 1).
Quelques monuments inachevés ou détériorés dévoilent cette tranchée, en
particulier la sépulture de Neferefrê (fig. 2), la pyramide de Sahourê20, le mastaba
Faraoun21, la pyramide de Téti22, ou encore la pyramide de Pépi II23. Les architectes
Vito Maragioglio et Celeste Rinaldi l’auraient aussi constatée à la pyramide de
Niouserrê24 (fig. 3).
Cet aménagement, comme l’excavation, permettait aux ouvriers de parvenir à la
fosse accueillant la chambre funéraire et sa voûte en chevrons. Les parois de cette
fosse, comme celles de la tranchée, s’élevaient donc en même temps que les
assises de la pyramide.
19 D. ARNOLD, op. cit., p. 120-121. 20 D. ARNOLD, op. cit., p. 180, fig. 4.111 ; L. BORCHARDT, op. cit., Sahu-Re, I, p. 70, fig. 94, pl. 12. 21 D. ARNOLD, op. cit., p. 180-181. 22 A. LABROUSSE, op. cit., pl. VI. 23 A. LABROUSSE, L’Architecture des pyramides à textes, II, Le Caire, 2000, p. 78, fig. 147. 24 V. MARAGIOGLIO et C. RINALDI, op. cit., VIII, 1975, p. 8-10, pl. 3.
Figure 2 – Tranchée de construction dans la pyramide inachevée de Neferefrê à Abousir
(Ve dynastie) (photo : Franck Monnier).
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La cavité était entièrement comblée après achèvement du couvrement des
appartements funéraires. Selon Dieter Arnold, cette tranchée aurait accueilli la rampe
de construction ayant permis d’acheminer les immenses chevrons jusqu’à la
chambre funéraire (fig. 4-A). Chaque bloc aurait été tracté jusqu’au dessus de la
chambre funéraire, pour être ensuite déplacé latéralement à l’aide de cordages et de
leviers jusqu’à son emplacement final25.
La traction ne poserait aucun problème particulier. Par contre, le déplacement latéral
de blocs pouvant peser près d’une centaine de tonnes, et ce, dans un espace aussi
réduit que celui offert par la fosse, est très problématique. À première vue, le schéma
proposé par Dieter Arnold pour expliquer l’existence de ces tranchées de
construction semble convaincant. Pourtant, sa méthode ne nécessite en rien
l’aménagement d’une tranchée et d’une fosse. Au contraire, ces dernières
n’apportent que des contraintes aux ouvriers en limitant leur champ d’action. Le
mode opératoire imaginé par Dieter Arnold aurait été entièrement dégagé de ces
25 D. ARNOLD, op. cit., p. 120.
Figure 3 – Reconstitution des structures de la pyramide de Niouserrê à Abousir (dessin de l’auteur
d’après V. MARAGIOGLIO et C. RINALDI, L’architettura, VIII, 1975, pl. 3).
Celle-ci met en lumière le stade de construction durant lequel le premier gradin est terminé, et la
deuxième couche de chevrons achevée d’être posée dans la fosse de construction. Ce stade est
celui durant lequel le chantier de la pyramide inachevée de Neferefrê fut arrêté (fig. 2).
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contraintes en l’absence de la tranchée, sans laquelle les ouvriers auraient bénéficié
de l’assise complète de la pyramide pour tracter et mettre en place tous les blocs de
la voûte (fig. 4-B).
L’existence de cette tranchée et de cette fosse trouve sans aucun doute une autre
explication. Elle pourrait éventuellement révéler la volonté de faire progresser la
construction du massif plus rapidement que celle des appartements funéraires, et
d’ainsi gagner du temps. Mais, ce serait là un gain bien maigre (quelques assises en
libage) comparé aux immenses difficultés ajoutées à la mise en œuvre du
couvrement.
Audran Labrousse a souligné les conditions que devait respecter la manipulation de
tels blocs sur un chantier de la VIe dynastie : chaque chevron devait être descendu
jusqu’à la chambre funéraire pour se ficher dans l’entaille en « V » de la culée, puis
être maintenu dans sa position finale dans l’attente d’être contrebuté par son vis-à-
vis26. Tout ceci avec un maximum de précautions puisqu’à la pyramide d’Ounas les
manœuvres ont dû être effectuées immédiatement au-dessus des fragiles dalles
d’albâtre. Audran Labrousse pose dès lors la question de l’utilisation de rampes en
briques crues reliant le niveau du chantier extérieur à celui des culées, ce qui aurait
permis de faire glisser et basculer les chevrons jusque dans l’entaille en « V » de leur
appui27. La forme et le tracé de la rampe, le parcours précis suivi par les monolithes,
et la procédure de mise en place sont donc autant de données qu’il reste à
déterminer. Si la documentation textuelle ou iconographique ne nous est d’aucun se-
26 A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, I, p. 95. 27 Ibidem.
Figure 4 – la figure A illustre le rôle qu’attribue Dieter Arnold à la tranchée de construction d’une
pyramide. Il est manifeste que l’espace disponible n’ait pu permettre à une équipe d’ouvriers de
pouvoir hisser et déplacer des monolithes pesant plusieurs dizaines de tonnes. Un tel cheminement
aurait été facilité par un ensemble de manœuvres effectuées depuis une vaste plate-forme dénuée
de tranchée (figure B).
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cours, l’archéologie peut nous aider à reconstituer une technique vraisemblablement
mise en application durant les Ve et VIe dynasties.
Tout d’abord, énumérons quelques faits essentiels :
- Certaines pyramides dévoilent une tranchée et une fosse de construction
prolongeant vers le haut l’excavation qui reçoit les appartements souterrains
(cf. supra).
- Dans les quelques monuments rendant possible l’analyse, il n’a été décelé
aucun résidu de remplissage relatif à l’utilisation d’un caisson de sable, ou à
un remplissage en brique ou en gravier28.
- L’action répétée des carriers au sein de la pyramide de Pépi Ier a provoqué le
démantèlement d’une grande partie du massif du monument, ainsi que
l’entamure de la voûte en chevrons dont on aperçoit aujourd’hui les couches
supérieures, sérieusement endommagées. Le cratère ainsi formé laisse
entrevoir le mur ouest de la fosse de construction, contre lequel ont été posés
les premiers chevrons (fig. 6-8). Sur ce mur sont encore présentes quelques
marques tracées à l’encre rouge, destinées originellement à guider la mise en
place de la voûte29.
- Dans les pyramides de la VIe dynastie, le « serdab », au lieu d’être couvert par
une voûte, l’est toujours uniquement par des linteaux30. Dans ce cas, la voûte,
habituellement adossée à l’extrémité occidentale de l’excavation, ne l’est
jamais à l’extrémité orientale.
- Les murs de la chambre funéraire de la pyramide d’Ounas ont été construits
avant la pose de la voûte. Ceux-ci sont non porteurs et en outre constitués de
trois lourdes dalles d’albâtre de près de 20 tonnes31 (fig. 5).
Lors de la construction de la pyramide d’Ounas, les murs des appartements
funéraires étaient donc déjà posés quand parvint le premier élément de la voûte. Les
blocs constituant ces murs ont très bien pu être descendus par la tranchée s’ouvrant
par le nord. Leur déplacement au moyen de traîneaux ou de rouleaux n’a dû poser
aucune réelle difficulté. Par contre, il était techniquement impossible de faire suivre le
même chemin aux lourds chevrons du couvrement. Il aurait fallu, une fois arrivés au
niveau de la chambre funéraire, les incliner, puis les pousser vers l’extrémité ouest,
ceux-ci pesant entre 30 et 100 tonnes, voire plus (cf. supra). L’exiguïté des lieux
aurait rendu absolument impossible une telle manœuvre, d’autant plus qu’un grand
28 A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, I, p. 94-95. 29 A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, I, p. 94, fig. 56-57 ; A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, II,
fig. 88. 30 A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, I, p. 98-99, fig. 18-20, 40-42 ; A. LABROUSSE, op. cit.,
Architecture, II, p. 66-67, 92, fig. 132-133. 31 A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, I, p. 37, fig. 14, 22.
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soin devait être apporté à ne pas endommager les murs de la chambre funéraire
(cette précaution touchait essentiellement les angles taillés en biseau du faîte des
murs de la chambre et des chevrons à l’endroit du contrebutement).
La figure 5 présente une vue de l’état des lieux de la chambre funéraire d’Ounas,
avant la pose du premier chevron. Comme à la pyramide de Pépi Ier, on peut
raisonnablement supposer que des marques furent tracées sur le mur ouest et au
sol, afin de repérer l’emplacement des chevrons ainsi que la disposition des
appartements funéraires.
Nous avons déjà discuté et rejeté la possibilité de descendre les chevrons par un
mouvement strictement vertical, et ce quels que soient les moyens envisagés,
caissons de sable, charpentes ou grues de diverses natures (cf. supra).
Figure 5 – Vue perspective de la fosse et de la chambre funéraire de la pyramide d’Ounas. Les
pointillés indiquent les futurs emplacements des chevrons plaqués contre le mur ouest.
Les murs non porteurs de la chambre, ainsi que les culées sont bâtis. Le sarcophage est déjà mis
en place. L’étape de construction suivante consistera à installer la couche inférieure de chevrons.
98 GM 242 (2014)
Figure 6 – Marques de chevrons tracées à l’encre rouge (en pointillés sur la figure)
sur le mur ouest de la fosse de construction de la pyramide de Pépi Ier (dessin de
l’auteur d’après A. LABROUSSE, op. cit., Architecture, II, fig. 88).
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Figure 7 – Vestiges de la voûte en
chevrons de la pyramide de Pépi Ier,
vus du haut du cratère creusé par les
carriers pour atteindre la chambre
funéraire. Le mur de construction
occidental, sur lequel ont été peints
des repères, figure à gauche.
(photo : Audran Labrousse)
Figure 8 – La même voûte vue vers
l’est (photo : Audran Labrousse).
100 GM 242 (2014)
La conjecture la plus vraisemblable est celle de l’utilisation d’une rampe, voie de
communication certes rudimentaire mais très efficace, que les Égyptiens ont montré
avoir usé tout au long de leur histoire32. Il reste à en déterminer le type, le tracé par
rapport au chantier, et à en estimer la forme et l’inclinaison.
L’hypothèse d’une rampe montante reliant la partie extérieure du chantier et la
chambre funéraire par la tranchée de la descenderie est, nous l’avons vu,
inadéquate, car ne laissant aucune possibilité de manœuvres à une équipe de
haleurs.
Comme nous l’avons déjà exposé ci-dessus, l’espace offrant la plus grande liberté de
mouvement se situait au niveau du lit d’attente de l’assise en cours de construction
(fig. 4-B). Il est donc plus probable que c’est là que furent amenés les monolithes, et
ce au moyen d’une rampe frontale se dirigeant droit vers la pyramide. Le meilleur
moyen de contrôler leur mise en place était en effet de les hisser sur la plate-forme
du monument, de les tirer jusqu’au bord de la fosse, endroit à partir duquel il ne
restait plus qu’à jouer de la gravité, en les laissant glisser le long d’une rampe
inclinée reliant le niveau de cette plate-forme à celui des culées.
Le contrôle d’un tel mouvement est infiniment plus aisé et moins risqué que celui
d’un monolithe suspendu à un quelconque appareillage de bois et de cordages.
Selon cette hypothèse, cette rampe inclinée s’enfonçant dans la fosse pouvait être
orientée suivant un axe nord-sud ou un axe est-ouest. Une orientation nord-sud
impliquait de devoir d’abord poser soit tous les chevrons du sud, soit tous les
chevrons du nord. Quel que fût le choix adopté, les premiers blocs pouvaient être mis
en place avec une relative facilité (fig. 9-A). Par contre, l’installation de leurs vis-à-vis
était impossible par le même procédé (fig. 9-B).
32 D. ARNOLD, op. cit., p. 80-101 ; J.-C. GOYON et al., op. cit., p. 204-211.
Figure 9 – Principe de mise en place des chevrons à l’aide d’une rampe axée nord-sud. La
chambre funéraire doit impérativement être comblée par un remplissage.
Ce procédé est satisfaisant pour la pose des premiers chevrons (A). Par contre, la suite montre
qu’une fois en place, ces derniers empêchent l’utilisation d’une rampe similaire pour placer leurs
vis-à-vis (B).
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Une orientation est-ouest de la rampe serait plus plausible. Les premiers chevrons
étant plaqués contre la paroi ouest de la fosse, une telle rampe aurait dû prendre son
départ à l’est. Cette configuration aurait offert l’avantage de pouvoir mettre en place
tous les chevrons, sans que ceux-ci n’occasionnent de gêne pour la pose de leur vis-
à-vis. L’opération aurait été simple et tout à fait dans la mesure des techniques de
construction attestées à cette époque. Il s’agit sans aucun doute du procédé le plus
rentable parmi ceux évoqués, puisqu’il n’aurait été nécessaire de construire que trois
rampes seulement, une pour chaque couche de chevrons, chacune étant
progressivement démontée de l’ouest vers l’est, en suivant la progression de la
voûte. La tranchée de construction orientée nord-sud aurait, quant à elle, permis de
faire communiquer l’intérieur de la fosse et l’extérieur du chantier afin de faciliter la
circulation des ouvriers, mais surtout le montage et le démontage des trois rampes.
C’est donc en croisant toutes les informations à notre disposition que, par simple
élimination des diverses possibilités, nous pouvons proposer cette solution raisonnée
et vraisemblable, en parfaite adéquation avec les connaissances techniques de
l’époque (fig. 10-12).
Figure 10 – Principe d’acheminement des chevrons à l’aide d’une rampe orientée d’est en ouest.
L’exemple ci-dessus illustre le volume maximal qu’aurait pu atteindre un tel ouvrage (pyramide de
Niouserrê). Mais d’une manière générale, ce type de rampes n’aurait eu à s’élever qu’à quelques
mètres de hauteur.
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Figure 12 – Illustration en deux étapes et selon deux points de vue du procédé d’installation
des chevrons proposé par l’auteur.
104 GM 242 (2014)
Une simulation en 3D a permis de montrer que la rotation et l’inclinaison imposées
par la rampe à chaque chevron leur auraient évité de dépasser le plan du joint
central de la voûte (fig. 11). Chaque bloc déjà en place n’aurait donc pas gêné
l’installation du suivant qui venait le contrebuter.
Cette rampe de construction orientée est-ouest aurait possédé cet autre intérêt de
réaliser un lien direct entre la fosse et la chaussée montante du complexe funéraire
(fig. 12). Elle aussi se dirigeait de l’orient vers l’occident, à partir de la branche du Nil
par laquelle étaient acheminés tous les matériaux de construction.
Les faits rassemblés dans cet article sont autant d’indices qui nous conduisent à
reconstituer avec précision une méthode de construction probable des voûtes à trois
couches de chevrons des Ve et VIe dynasties. Les autres procédés préconisés
jusqu’à ce jour résistent mal à l’analyse, puisque ne répondant pas à tout ce qu’à
révélé l’archéologie. Notre étude permet donc d’apporter une solution à l’un des
problèmes posés par la construction des pyramides, celui de la mise en place des
immenses blocs coiffant les chambres funéraires.