Internship report (French, Université Paris-Diderot, French Museum of Natural History
Transcript of Internship report (French, Université Paris-Diderot, French Museum of Natural History
Disponibilité et accessibilité potentielles des ressources pastorales dans les territoires d’hiver Saami et adaptabilité
au réchauffement climatique (Norvège, Suède)
Une recherche exploratoire
Courault Romain
Mémoire présenté dans le cadre du M2 Spécialité Recherche : Environnement, Paysages, Milieux et
Sociétés (2013-2014)
Encadrement du mémoire : Marie Roué, Marianne Cohen
Nicolas Delbart, Clélia Bilodeau, Samuel Roturier
Jury : Marianne Cohen, Marie Roué, Josyane Ronchail, Catherine Mering, Nathalie Blanc
Figure 1:Marquage des jeunes rennes au début de l’été, source filmographique : Jon face aux vents, 2011
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Résumé
Les peuples autochtones Saamis de Laponie sont les derniers éleveurs de rennes d’Europe.
Composant depuis longtemps avec la culture scandinave des Etats centralisés, ils font face depuis
quelques années à des changements climatiques ayant de multiples impacts sur cette activité
traditionnelle emblématique. Ces changements climatiques doivent être mis au regard de
l’accessibilité et la biodisponibilité du lichen Cladonia rangiferina (L.) pâturés par les rennes en hiver.
Cette ressource est précieuse pour l’élevage traditionnel semi-nomade, également exposé à une
pression territoriale soutenue : cette cohabitation concerne en particulier la prospection,
l’exploitation et le transport de matières premières (énergies fossiles, hydroélectricité, foresterie
commerciale). Le peuple Saami et les rennes semi-domestiqués doivent faire preuve d’adaptabilité
pour répondre à ces problématiques multifactorielles et inter-reliées. C’est pourquoi le laboratoire
d’Eco-anthropologie et d’Ethnobotanique (Muséum National d’Histoire Naturelle), avec
AgroParisTech, et l’université Paris Diderot étudient ces questionnements portant en particulier sur
les pâturages d’hiver, territoires et saisons clés pour l’élevage des rennes. Ces territoires pastoraux
d’hiver renferment la ressource fourragère la plus importante pour le métabolisme des rennes : les
lichens du genre Cladonia. Ces lichens sont particulièrement abondants aux frontières de la forêt
boréale et de la toundra mais restent exposés aux changements biophysiques, selon le jeu des
cumuls de neige et de la disponibilité en lumière. On cherche ici à définir un cadre méthodologique
pluridisciplinaire pour répondre aux enjeux évoqués. Ce cadre passe par des définitions
d’accessibilité et de biodisponibilité en lichen au regard de l’éco-anthropologie, de la climatologie et
de la biogéographie. Par la suite, une revue bibliographique présentera les méthodologies employées
et employables en statistiques climatiques, en télédétection et en géomatique, les méthodes de
terrain de biogéographie n’étant pas encore mobilisées dans le cadre de cette recherche
exploratoire. Les traitements statistiques mettent en lien tendance au réchauffement et à
l’augmentation des cumuls de neige avec le cycle d’Oscillation nord-atlantique (NAO). Ces
traitements permettent notamment de valider la perception climatique saamie, sur de « bonnes » et
de « mauvaises » années, nous autorisant à choisir des années en vue d’un suivi diachronique des
réponses phénologiques forestières (NDVI) et d’estimation de quantités de volume de lichen
disponibles (LVE-NDLI) à partir d’enregistrements satellites.
Mots-clés : Pastoralisme semi-nomade saami, Rangifer tarandus (L.), ressource fourragère, Cladonia
rangiferina (L.), accessibilité, biodisponibilité, bioclimatologie, biogéographie, diachronie, synchronie,
séries chronologiques, statistiques, télédétection, géomatique
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Abstract
The indigenous Saami in Lapland are the last reindeer herders of Europe. Dealing with Scandinavian
culture of centralized states, the last few years they face up to climate change, which has multiple
impacts on the traditional iconic activity. These climate changes have to be related to accessibility
and bioavailability of lichen Cladonia rangiferina (L.), grazed by reindeer in winter. This resource is
valuable for traditional semi-nomadic breeding also exposed to a territorial pressure: this relates in
particular to exploration, exploitation and transportation of raw materials (fossil fuels, hydropower,
and commercial forestry). The Saami and semi-domesticated reindeer must be adaptable to meet
these multifactorial and interrelated issues. That is why the laboratory of Eco-anthropologie et
Ethnobotanique (Muséum National d'Histoire Naturelle), with AgroParisTech and Université Paris
Diderot are studying these questions related to the winter pastures, territories and key season for
reindeer herding. These pastoral winter territories contain the most important fodder resources for
the metabolism of reindeers: Cladonia lichens. These lichens are particularly abundant on the border
of boreal forests and tundra but remain exposed to biophysical changes, depending on
accumulations of snow and light availability. Here, the aim is to define a multidisciplinary
methodological framework to address the closer issues. This framework involves definitions of
accessibility and bioavailability of lichen under éco-anthropologie, climatologie and biogéographie.
Subsequently, a literature review will present the methodologies employed and employable
represented by climate statistics, remote sensing and GIS, biogeography’ fieldworks are not used yet.
Statistical treatments tend to put link to global warming and increasing accumulations of snow with
the North Atlantic Oscillation cycle (NAO). These treatments include the ability to validate climate
perception Saami on "good" and "bad" years, allowing us to choose the years for a diachronic
monitoring forest phenological response (NDVI) and estimating quantities volume of lichen available
(LVE- NDLI) using satellite data.
Key-words: Saami culture, pastoralism, fodder resource, Cladonia rangiferina L., accessibility,
bioavailability, bioclimatology, biogéographie, diachrony, synchrony, time series, statistics, remote
sensing, GIS
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Table des matières Résumé ............................................................................................................................................ 3
Abstract ........................................................................................................................................... 4
Remerciements ............................................................................................................................... 7
Introduction ..................................................................................................................................... 9
PARTIE I - Accessibilité et disponibilité potentielles du lichen Cladonia rangiferina, au regard de
l’adaptabilité au changement climatique des paysages culturels saami (Finnmark norvégien, Nord-
Botnie, Suède) ....................................................................................................................................... 12
1.1 Un cadre scientifique multidisciplinaire pour définir l’accessibilité et la disponibilité
potentielles du « lichen à rennes » Cladonia rangiferina (L.) ........................................................... 12
1.1.1 La notion de paysage culturel au-delà d’une discontinuité culture-nature inopérante
dans le cas des sociétés traditionnelles ........................................................................................ 12
1.1.2 Les Saamis, des populations migrantes dans les contextes nationaux norvégiens et
suédois……………………………………………………………………………………………………………………………………..15
1.1.3 Du vécu saami à la biogéographie synchronique et diachronique................................ 24
1.2 Tendances, cycles et extrêmes en bioclimatologie : quels retentissements pour l’élevage de
rennes saami ? ................................................................................................................................... 30
1.2.1 Tendance lourde et rétroactions entre climatologie et l’élevage des rennes .............. 30
1.2.2 Cycles d’Oscillation Nord-Atlantique : impacts probables sur l’accessibilité et la
disponibilité potentielles du lichen pour les pâturages d’hiver de Norvège et Suède ................. 34
1.2.3 De la climatologie à la météorologie : définir les processus de fonte-regel (thawing-
freezing) …………………………………………………………………………………… ................................................ 35
1.3 Identifier les habitats écologiques du lichen Cladonia rangiferina L. : critères
biogéographiques .............................................................................................................................. 39
1.3.1 Traits biologiques des lichens et caractéristiques de la Cladonia rangiferina L. ........... 39
1.3.2 Habitats zonaux, sectoriels, écotones et disponibilité en Cladonia ............................. 41
1.4 Conclusions préliminaires sur l’accessibilité et la disponibilité potentielles en Cladonia
rangiferina L. ..................................................................................................................................... 46
1.4.1 Redéfinir disponibilité et accessibilité potentielles ....................................................... 46
1.4.2 Hypothèses de travail et organisation méthodologique ............................................... 47
PARTIE II - Matériel et traitements opérés............................................................................................ 52
2.1 Matériel, prétraitements et méthode ......................................................................................... 52
2.1.2 Données de qualification des saisons hivernales, issues d’entretiens .......................... 52
2.1.3 Séries temporelles en climatologie ................................................................................ 52
2.1.4 Données géographiques utilisées .................................................................................. 55
PARTIE III - Résultats et discussion préliminaires .................................................................................. 62
3.1 Dynamiques climatiques mesurées et perçues ..................................................................... 62
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3.1.1 Présentation du diagramme ombrothermique d’Abisko, environnement surtout marqué
par sa variabilité inter-saisonnière ................................................................................................ 62
3.1.2 Caractérisation sur le temps long : tendance et cycle ......................................................... 64
3.1.3 Indice d’Oscillation Nord Atlantique, climat mesuré et années « type » des éleveurs :
résultats préliminaires significatifs ? ............................................................................................. 65
3.2 Courbes et cartographies saisonnières des températures de sol en Scandinavie entre 2001-
2010 : préciser le gradient bioclimatique .......................................................................................... 69
3.3 Occupation biophysique des sols : préciser localement les habitats potentiels du lichen .... 75
IV – PERSPECTIVES ................................................................................................................................. 79
3.1 Perspectives à court-terme ................................................................................................... 79
3.2 Perspectives à plus long-terme ............................................................................................. 80
Conclusion ..................................................................................................................................... 83
Bibliographie .................................................................................................................................. 86
Liste des figures ............................................................................................................................. 91
Liste des annexes ........................................................................................................................... 94
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Remerciements
Je tiens avant toute chose à remercier l’université Paris-Diderot, qui m’a donné cette chance, celle
d’hésiter avant de trouver une direction. De mes premières incertitudes en Langues Etrangères
Appliquées où j’ai découvert la Géographie jusqu’à ce Master 2 Recherche spécialité Environnement,
Paysages, Milieux, et Sociétés, je n’aurais jamais cru pouvoir réaliser tout ça.
Mes remerciements vont d’abord vers Marianne Cohen, enseignante-chercheure au LADYSS (Paris 7),
qui m’a orienté vers des sujets de recherche passionnants, de la domestication de l’olivier au
pastoralisme Saami. Ses enseignements, les nombreux stages de terrain en Méditerranée, ses écrits
et son soutien au cours de ce mémoire sont formateurs à tous niveaux, de la biogéographie à
l’écologie du paysage, morceau de pays perçu, mesuré et partagé.
Je remercie tout spécialement Marie Roué, Directrice de Recherche au laboratoire d’Eco-
anthropologie et Ethnobotanique (Muséum National d’Histoire Naturelle), pour son ouverture
d’esprit, sa gentillesse, ses cours d’anthropologie au laboratoire, plus largement pour ce stage de
recherche dans le cadre de l’ANR BRISK, qui je l’espère donnera des résultats cartographiques en
correspondance avec ses attentes et celles des Saamis. Merci de m’avoir fait découvert ce peuple
paraissant formidablement riche et libre, qui me donne envie de partir les rencontrer… Merci
également pour le partage documentaire et culturel, articles scientifiques, livres, cartes anciennes,
musique et film sur cette minorité ethnique. Ce mémoire constitue un rendu intermédiaire du stage
de recherche au MNHN, qui va se poursuivre en septembre.
Tous mes remerciements également pour Samuel Roturier, enseignant-chercheur à AgroParisTech,
qui connaît le terrain de Jokkmokk, dont l’expertise ethnoécologique est impressionnante, merci
pour tes conseils et commentaires, tes indications sur les « bonnes » et les « mauvaises » années,
ainsi que tes résumés de 5 minutes sur les classifications des lichens, ayant synthétisé des semaines
de doutes. Merci pour le site de la SLU et ses rapports climatiques suédois, merci à toi et à Colin pour
la base de données SIG !!
Je remercie également Clélia Bilodeau, enseignante-chercheure au LADYSS (Paris 7), pour son suivi et
ses conseils avisés, aussi bien sur le fond de mes recherches que dans la forme. Merci infiniment
pour ta disponibilité, ta curiosité, et ton humour qui a dédramatisé pas mal de situations (« Reste
zen… » ^^)
Merci également à Nicolas Delbart, enseignant-chercheur au PRODIG (Paris 7) et spécialiste de la
phénologie des forêts boréales. Sa pédagogie, son dévouement pour la recherche et l’enseignement
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de la télédétection, ses recommandations m’ont été, et probablement seront très précieux. Merci
pour les articles et les statistiques de NAO, j’espère qu’ils seront adéquatement utilisés dans ce
mémoire.
Mes remerciements vont également vers l’USGS, la NASA et le ministère japonais de l’Economie, du
Commerce et de l’Industrie qui mettent à disposition du grand public des images satellites de qualité.
Merci aussi pour la Station de Recherche Scientifique d’Abisko qui m’a gracieusement fourni ses
séries climatiques remontant assez loin dans le temps. J’espère vous voir sous peu.
Tous mes remerciements également envers le personnel et collègues du « Pôle », ou Pôle Image, en
particulier Milena Palibrk pour son aide et ses conseils. Merci aussi aux collègues de M1, M2 ou en
thèse, pour leurs discussions, rires, ou conseils. Merci également pour la mise à disposition du
matériel cartographique et informatique de pointe. Et vive l’Open Source !
Merci à la promo d’EPMS, cette année avec vous était la meilleure et voir vos façons de faire
instructif. Mention particulière à Leticia.
Enfin je remercie Jugurta, mon ami kabyle rencontré en 2011. Ta rencontre, avec celle d’Aoun le
boulanger, m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses sur les minorités, et sur moi-même.
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Introduction
Les latitudes arctiques et subarctiques sont les premières touchées par l’élévation globale des
températures, et elles sont cependant particulièrement convoitées pour les ressources économiques
qu’elles abritent. Ces atteintes environnementales impactent les écosystèmes et les populations
autochtones qui y vivent. Dans les régions lapones de Norvège et de Suède, le peuple Saami1 élève
traditionnellement des rennes, ongulés arctiques semi-domestiqués qui migrent saisonnièrement
des forêts boréales aux montagnes pour trouver les ressources végétales nécessaires. Les éleveurs
saamis de Laponie ont une longue et foisonnante culture autour du renne, de la gestion pastorale qui
lui est associée, et plus largement des paysages culturels qu’ils traversent. Ces paysages forment une
vision hiérarchisée dans l’espace et dans le temps, cosmogonie paysagère modulée par le contexte
pastoral et environnemental: leurs espaces de vie ne sont jamais les mêmes au long de l’année et ces
temporalités culturelles et écologiques pourraient s’exprimer doublement. Ainsi dire « où ils se
trouvent » reviendrait à dire: « à quel moment ils se trouvent ».
Ces paysages traversés dans le temps et dans l’espace sont transmis et modelés par la langue orale,
la littérature et ils sont une véritable synthèse des interactions entre les facteurs écologiques et les
différentes sociétés qui pensent et agissent sur le territoire lapon. Cette synergie entre les Saamis, le
renne et l’environnement subarctique appelle à dépasser le contexte philosophique occidental basé
sur une séparation entre nature et culture : les rennes restent semi-domestiqués et les éleveurs
Saamis doivent depuis longtemps composer avec cette part de sauvage et d’incontrôlable, qui, plus
largement, semble être l’essence de la Laponie, sur tous les plans : faunistiques, floristiques,
climatiques et enfin anthropiques. Les migrations saisonnières s’opèrent dans des écosystèmes
subarctiques particulièrement fragiles et les espaces auparavant peu parcourus se transforment en
territoires de plus en plus contrôlés, convoités et impactés.
En premier lieu, ces impacts ressurgissent sur les pâturages d’hiver saamis dont les territoires
saisonniers sont décisifs pour l’élevage de rennes. Le lichen Cladonia rangiferina L. qui pousse en
grandes quantités dans ces pâturages d’hiver est la ressource pastorale présentant le plus d’intérêt
pour l’élevage traditionnel de rennes. Ces pâturages sont particulièrement observés et décrits par les
langues saamies, détaillant de nombreuses constituantes écologiques, en particulier autour de la
neige et du lichen qui se trouve dessous. Les territoires pastoraux d’hiver forment ainsi un pont entre
1 Dans ce mémoire « Saami » est nominalisé et adjectivé en français, pour désigner le peuple et sa langue. En
français, il est courant de rencontrer « Sâme » (Charte Européenne des Langues Régionales ou Minoritaires). Les mots saamis, anglais ou d’autres langues sont en italique.
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les champs disciplinaire et les acteurs autour de ce paysage culturel. Cette approche par le paysage
implique de décloisonner les disciplines et elle redonne surtout la primauté à un peuple autochtone
qui habite son espace, le perçoit et en partage les nuances paysagères écologiques, paysages de plus
en plus exposés aux changements environnementaux brutaux qui s’y déroulent actuellement.
La problématique complexe du réchauffement climatique et des interactions entre sociétés,
environnement et ressource fourragère en lichen appelle donc à un cadre scientifique
pluridisciplinaire, pluriculturel représenté par l’ANR BRISK, ou « Bridging Indigenous and Scientific
Knowledge about global change in Arctic », (« Jeter un pont entre les connaissances autochtones et
scientifiques sur le changement global en Arctique »). Elle consistera dans un premier temps à
intégrer les savoirs paysagers et écologiques Saamis et ainsi mieux prendre en compte les facteurs
géographiques et temporels qui œuvrent dans ces problématiques complexes et pluri-scalaire.
L’objectif reste de définir correctement un cadre conceptuel autour de la disponibilité du lichen
Cladonia rangiferina L. et son accessibilité par les rennes. Ces deux concepts seront donc mis au
regard d’éléments descriptifs linguistiques et anthropologiques, nous aidant à soulever les éléments
écologiques et temporels saillants issus de la vision paysagère saamie et leur calendrier pastoral.
Après avoir souligné et intégré ces informations décisives autour de la disponibilité et de
l’accessibilité en ressource fourragère Cladonia, on cherchera à hiérarchiser les processus pluri-
scalaires qui entrent à l’œuvre dans la fourniture hivernale en lichen. Elles sont d’une part
représentées par la climatologie. Les temporalités climatiques globales et régionales, une fois
admises comme ayant une influence potentielle sur la disponibilité et l’accessibilité en lichen, seront
ensuite comparées aux temporalités pastorales saamies. Cette comparaison passera par
l’identification d’années ou saisons qualifiées par les éleveurs de rennes, qu’on s’attachera à
caractériser à l’aide de statistiques climatiques. Les territoires pastoraux d’hiver se trouvant du point
de vue bioclimatique au cœur du gradient qui sépare les biomes de taïga et de toundra, la
biogéographie nous aidera d’autre part à mieux comprendre les habitats écologiques propres au
lichen Cladonia rangiferina L., intéressants pastoralement du point de vue de la fourniture
quantitative et qualitative. Ces habitats écologiques seront également mis au regard du
réchauffement climatique et ses conséquences, nous aidant à identifier les continuums floristiques
fragiles, pouvant ainsi avoir des impacts sur la disponibilité du lichen. L’objectif ici est également la
comparaison et la visualisation du gradient bioclimatique qui sépare les territoires d’hiver du
Finnmark norvégien et ceux de la Nord-Botnie suédoise.
Par la suite, un cadre méthodologique sera proposé en vue d’un suivi temporel en télédétection. On
cherche à cartographier précisément les pâturages d’hiver dont la qualité de neige et la réponse
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phénologique des habitats écologiques du lichen dépendent tous deux des variabilités climatiques
pluriannuelles, saisonnières voire plus restreintes dans le temps. Enfin, les sociétés scandinaves
actuelles imprimant de plus en plus fortement leur marque dans les paysages lapons, ces
méthodologies, tentant de préciser la quantité et la qualité du lichen et de la neige qui le surplombe,
devront être adaptées non seulement selon la nature bioclimatique des deux terrains d’études mais
également en fonction des occupations des sols qui structurent et fragmentent les deux paysages
culturels qui nous intéressent, en l’occurrence le nord du Finnmark norvégien et le centre du comté
de Nord-Botnie.
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PARTIE I - Accessibilité et disponibilité potentielles du lichen
Cladonia rangiferina, au regard de l’adaptabilité au changement
climatique des paysages culturels saami (Finnmark norvégien, Nord-
Botnie, Suède)
1.1 Un cadre scientifique multidisciplinaire pour définir l’accessibilité et
la disponibilité potentielles du « lichen à rennes » Cladonia
rangiferina (L.)2
1.1.1 La notion de paysage culturel au-delà d’une discontinuité culture-nature
inopérante dans le cas des sociétés traditionnelles
Augustin Berque souhaite réconcilier le Japon et l’Europe à travers sa définition de civilisation
paysagère. Selon le géographe, quatre critères doivent être réunis pour qualifier une civilisation
comme étant paysagère. Le premier critère implique d’avoir un ou plusieurs mots spécifiques pour
« paysage » : en Europe Landschaft, landscape, paisaje ; en japonais fuukei, en arabe littéral mandhar
(+ adjectif qualificatif) ou macchar sont des exemples. La littérature orale ou écrite est une deuxième
condition, la troisième est représentée par l’existence de représentations picturales évoquant les
paysages (courant romantique européen, estampes chinoises ou japonaises) enfin la présence de
microcosmes, imités par les jardins.
Cette distinction est remise en cause par certains auteurs qui analysent des visions paysagères non
occidentales, comme pour la civilisation arabo-musulmane (Latiri, 2001) ou la culture lapone samie
(Roué, 2011). Au regard d’une certaine conception du paysage, les premiers sont pragmatiquement
appelés arabo-musulmans, non seulement parce que l’arabe littéral est le véhicule d’une religion qui
a fortement structuré la vie politique, juridique, scientifique et culturelle, mais en particulier du fait
de représentations picturales peu répandues car généralement rattachées à l’idolâtrie. Les
arabesques ont alors suppléé les peintures européennes, se saisissant de la puissante évocation des
mots. Par conséquent la littérature arabo-musulmane à propos du paysage (principalement
géographique ou poétique) est très présente et rattachée à l’affect sensoriel, la suggestion
linguistique et religieuse, subjective mais partagée et transmise. La scénographie des jardins voire
même des oasis reste fortement liée à une vision du paradis, ou en tout cas à une forme de
2 Les nomenclatures pouvant diverger, on utilise ici le synonyme le plus couramment employé : Cladonia
rangiferina (L.) Weber ex F.H. Wigg. Le « lichen des rennes » fait partie de la famille des Cladoniaceae (sources : inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/57658/tab/taxo ; Jahns, 1989)
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contemplation (Latiri, 2001, Cohen, Grésillon, communications personnelles). Par provocation, la
civilisation paysagère occidentale pourrait être qualifiée de latino-chrétienne, dévoilant certains
glissements sémantiques autour de civilisation, culture, société et sous-bassement religieux, mais
cela montre les interrelations entre religions du Livre sur la question de la naturalité, qu’elle soit
scientifique ou perceptive : on peut citer comme exemples le catastrophisme de Cuvier, plus proche
de nous le néo-malthusianisme de J. Diamond (2005), ou encore le créationnisme, le déterminisme
social, empreints de protestantisme. C’est probablement pour ces raisons que Berque incorpore les
caractéristiques communes de la vision du paysage japonais à celle des paysages européens. Si « tout
le monde » perçoit le paysage, certaines cultures à affinités sédentaires le conceptualisent et se
distancient d’une naturalité sauvage et incontrôlable, et d’autres, traditionnellement nomades,
vivent le paysage comme un jardin sans frontière ni barrière artificielle (Roué, 2011).
Le rapprochement conceptuel et épistémologique entre culture et nature est évoquée pour la
première fois au Sommet mondial du Développement Durable de Johannesburg en 2002 (Roué in
Crowley, 2006). La conception de paysage culturel tente de réconcilier nature et culture, nous
autorisant à intégrer l’humain dans un géo-système pluri-scalaire, tenant compte de l’aspect
perceptif, consensuel des paysages (hauts-lieux, espace vécu …) mais aussi de ses aspects matériels
et par nature dynamiques, appréhendés dans cette étude par la biogéographie et l’écologie du
paysage. Ce dépassement épistémologique entre natures, cultures, espaces et temporalités a aussi
été suggérée il y a 14 ans dans la Convention Européenne de Florence, en l’an 2000. Cette
‘’suggestion’’ n’émerge pas uniquement d’une communauté scientifique désireuse de comprendre
des systèmes socio-écologiques complexes puisque la Convention de Florence appelle à une
reconnaissance juridique et patrimoniale des paysages « en tant que composante essentielle de
l’environnement immédiat des populations, comme expression de la diversité de leurs héritages
culturels et naturels partagés, et comme un fondement de leur identité ». (Article 5 de la Convention
Européenne sur le Paysage, in Roué, 2011).
La Convention UNESCO de 1992 sur le Patrimoine Mondial définit le paysage culturel comme « œuvre
conjointe de la nature et du genre humain ». Les composantes matérielles, naturelles et symboliques,
immatérielles et culturelles sont donc associées, nous autorisant à outrepasser la discontinuité
traditionnelle entre nature et culture. Cela amène à prendre en compte plusieurs champs
disciplinaires replaçant les Saamis au centre de leur écosystème. A partir de l’éco-anthropologie, des
schémas sémantiques et culturels saami, il est plus aisé de comprendre les enjeux biogéographiques
et climatiques propres aux zones subarctiques et de proposer des représentations cartographiques
adaptées à des besoins contemporains.
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Cette étude tente considérer une interdisciplinarité essentielle pour mieux comprendre l’adaptabilité
du peuple autochtone Saami face aux changements climatiques et sociétaux d’Europe du nord. La
question de l’adaptabilité d’une société au changement climatique global est importante :
contrairement à « adaptation » qui sous-entend d’avoir une réponse sociétale globale à des
observations toute aussi globales, le concept d’adaptabilité prend en compte les choix flexibles d’une
société face à des changements environnementaux manifestement variés (Cohen, Ronchail, et al.
2014). L’adaptabilité consiste donc à opérer certains choix atténuant ou différant les effets des
changements environnementaux concernant les communautés locales. Ces choix d’adaptabilité
peuvent être renseignés et mis au regard du concept de « vulnérabilité, défini comme étant « le
produit de la susceptibilité et de la capacité de réponse de systèmes intégrés aux effets de
nombreuses forces qui agissent sur eux » (Tyler, Turi et al., 2007). C’est pourquoi le projet BRISK,
soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, vise à la mise en place « d’outils établissant des
synergies entre sciences et savoirs autochtones sur les changements climatiques [régionaux] et
globaux dans l’Arctique »3. Ce projet se base donc sur un échange, un partage entre la communauté
saamie et une communauté scientifique pluridisciplinaire, pluriculturelle pour concevoir des outils
opérationnels en géographie. Le but est de se saisir des éléments socio-anthropologiques,
linguistiques propre aux Saamis, passant par une compréhension des aspects immatériels de leur(s)
paysage(s), des éléments matériels et symboliques qui le composent, variables dans l’espace et dans
le temps.
On cherche donc à quantifier, cartographier précisément l’objet de leurs attentes, représentée par
une revitalisation de l’élevage de rennes en Norvège et en Suède dans un contexte climatique
structurellement soumis à d’importantes fluctuations, et tendanciellement plus sensible au
changement climatique pluri-scalaire. Ces perspectives appellent donc les géographes à contribuer
aux objectifs de l’ANR BRISK, qui souligne le besoin d’approches intégrées prenant en compte la
diversité des perceptions d’un même espace, que ces perceptions tirent leurs sources d’un « être-là »
(Heidegger in Roué, 2011) ou de savoirs-faires scientifiques plus généraux et peut-être plus détachés
politiquement. Ce mémoire de recherche en géographie est le fruit de la collaboration entre
l’université Paris 7, le Muséum National d’Histoire Naturelle et AgroParisTech. Il se veut une
première contribution à une connaissance scientifique du fonctionnement des territoires d’hiver
saamis, contribution mise en regard avec les perceptions des populations locales telles qu’elles ont
été documentées par les anthropologues.
3 Source : http://www.agence-nationale-recherche.fr/suivi-bilan/environnement-et-ressources-
biologiques/societes-et-changements-environnementaux/fiche-projet-soc-env/?tx_lwmsuivibilan_pi2%5BCODE%5D=ANR-12-SENV-0005
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1.1.2 Les Saamis, des populations migrantes dans les contextes nationaux norvégiens et
suédois
Avant d’entreprendre toute analyse, il faut évoquer le contexte géo-historique dans lequel
s’inscrivent les Saamis. Il faut indiquer de quelles populations autochtones on parle, les situer
culturellement, linguistiquement et géographiquement. Cela nous permettra par la suite de définir la
problématique de recherche.
1.1.2.1 Quelques éléments historiques sur la culture saamie et l’élevage de rennes
La Laponie est une région historiquement saamie, établie entre le littoral atlantique du Finnmark, la
péninsule de Kola en Russie, et les côtes méridionales baltiques (Manker, 1954, Boucher, 2011). Dès
l’Antiquité les Fenni sont décrits, par l’historien Tacite en 98 après J-C, textes romains repris par
Manker, 1954. Leur quotidien de chasseurs-cueilleurs est largement évoqué, le plus surprenant pour
les Latins semblant être leur aversion à travailler les champs, ainsi que le fait que les femmes allaient
à la chasse avec les hommes. « Les Fenni trouvent ce sort plus heureux que de suer sur les champs,
que de peiner à construire des maisons et que de prendre soin -inquiets et attentifs- de leur propre
propriété et de celle d’autrui. Insoucieux dans leur relation avec les hommes, insoucieux de leur
relation avec les dieux, ils ont atteint ce qu’il est le plus difficile d’atteindre : pas même le désir n’est
pour eux un besoin. » (Manker, 1954). Après avoir été nommés Fenni jusqu’au VIème siècle, puis
Skrithiphinoi par les Goths, le terme « lapon » apparaît progressivement au XVème siècle par
l’intermédiaire du suédois, avant de se généraliser à toutes les langues européennes. Les Saamis
n’ont cependant jamais accepté ces dénominations, préférant s’appeler par leur propre nom :
Sameh, ou Sapme (Manker, 1954). Le peuple Saami présente une certaine unité ethnique homogène
culturellement, avec l’usage de leur langue catégorisée dans la branche finno-ougrienne,
appartenant à la famille des langues ouraliennes (figure 2a et 2b).
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L’élevage intensif de rennes est apparu au XXème siècle. Les Saamis étant à l’origine chasseurs-
cueilleurs, la pêche et la chasse « rythmaient leurs déplacements saisonniers » (Boucher, 2011). Les
rennes sauvages, très nombreux jusqu’au Moyen-âge, étaient chassés pour leur viande, leur
fourrure, leurs os, seuls quelques-uns étaient domestiqués pour servir d’animal de trait pour les
traîneaux (Paine, in Boucher, 2011). C’est à partir de fronts pionniers des sociétés du sud de la
Scandinavie, de plus en plus présents à partir du VIIIème siècle, que les populations de rennes
sauvages ont considérablement diminué, menant à leur quasi-extinction au XIXème siècle dans le
nord de la Scandinavie (Meriot, in Boucher, 2011). Ces chasses ont d’ailleurs actuellement des
répercussions sur la distribution des forêts à lichen : les zones les plus chassées au XIXème siècle sont
celles où l’on trouve le plus de lichen aujourd’hui (Kivinen, Kumpula, 2014). La période préindustrielle
est donc marquée par diminution massive des populations de rennes sauvages, obligeant les Saamis
‘’méridionaux’’ à se spécialiser, impliquant plus tard de les distinguer ethniquement.
Schématiquement, les populations Saamies du littoral atlantique norvégien vont se convertir en
pêcheurs, les populations forestières en pêcheurs de rivière, ou exploiter les ressources sylvicoles, et
enfin les Saamis de l’extrême-nord de la Norvège et de la Suède vont se spécialiser dans l’élevage de
rennes (Delaporte, Roué ; Guissard in Boucher, 2011). Ainsi les Saamis ont dû faire de nombreuses
concessions et s’adapter, n’ayant ni les ressources ni l’envie de se battre, ne considérant pas leur
espace comme un territoire limité.
Figure 2b: Carte des dialectes saamis numérotés. Le dialecte 4 représente celui parlé à Jokkmokk (Sami de Lule), le dialecte 5 est celui de Kautokeino (Saami du nord) (source : wikipedia.fr)
Figure 2a: Répartition des langues ouraliennes (source : wikipedia.fr)
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1.1.2.2 Pourquoi les siidas4 d’hiver de Kautokeino, Novège et de Jokkmokk, Suède ?
L’élevage traditionnel de rennes s’opère donc surtout dans le nord de la Scandinavie sur un mode
nomade. La siida, ou « sita » représente traditionnellement l’organisation du campement chez les
semi-nomades saamis, où la communauté installe les tentes pour quelques jours (Manker, 1954).
Actuellement la siida correspond à un village ou un noyau urbain autour desquels des Saamis d’une
même communauté se rassemblent selon l’agencement de leur calendrier pastoral et leur
organisation sociale. La siida se décline ainsi selon les saisons pastorales et les trajectoires de
migrations propres à chaque famille et clan5. Les siidas d’hiver faisant l’objet de cette étude
appartiennent à deux populations du nord de la Laponie différenciées linguistiquement, et toutes
deux élevant traditionnellement des rennes.
La première population est située en Nord-Botnie suédoise, correspondant à l’aire linguistique n°4 en
figure 2, celle des Saamis de Lule, aux alentours de Jokkmokk (figure 2b et figure 3). Jokkmokk est un
ancien village de Saamis forestiers (Manker, 1954). Cette zone correspond aux terrains étudiés en
ingénierie écologique par Samuel Roturier6 (AgroParisTech). La deuxième siida hivernale,
représentée par Kautokeino correspond à la zone linguistique numéro 5, parlant le « saami du nord »
(figure 2b et figure 4). Ce village et ses habitants semi-nomades sont les objets et sujets d’études de
Marie Roué, vu du champ disciplinaire éco-anthropologique (Roué, 2011). Il faut souligner que cette
étude a été élaborée en réponse à une demande en cartographies, émergeant des deux populations
saamies et relayée par les deux scientifiques cités ci-dessus. Comme on le verra par la suite, la
comparaison biogéographique entre ces deux socio-écosystèmes nous intéressera particulièrement,
tant du point de vue institutionnel (la Norvège ne fait pas partie de l’Union Européenne, impliquant
certaines particularités socio-économiques) que du point de vue de l’écologie et des sciences
géographiques.
Ces deux villages d’hiver dont la situation géographique est visible dans les figures 3 et 4, sont donc
fortement liés aux flux migratoires de rennes et d’éleveurs. Dans les deux cas ces migrations
s’opèrent dans le sens nord-ouest (été) / sud-est (hiver), et sont liées aux besoins biologiques du
renne, comme on le verra par la suite.
4 Siida signifie « village saami »
5 Voir Delaporte, Roué, « Une communauté d’éleveurs de rennes, Vie sociale des Lapons de Kautokeino »,
1986, Institut d’Ethnologie 6 Voir Roturier, « Integrating Artificial Dispersal of Reindeer Lichen in Forest Regeneration Procedures », 2007,
Swedish University of Agricultural Sciences, Department of Forest Ecology and Management
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Figure 3: Situation du village d’hiver de Jokkmokk par rapport aux trajectoires pastorales (lignes orange) et territoires pastoraux (bleu clair) des rennes semi-domestiqués du nord de la Suède (sources : Diva GIS ; S. Roturier ; http://pierremehu.cowblog.fr/the-jokkmokk-trip-3052841.html; réalisation R. Courault, 2014)
Figure 4: Village d’hiver de Kautokeino par rapport aux flux migratoires des rennes semi-domestiqués de l’extrême-nord norvégien. En gris : pâturages d’hiver, Blanc : pâturages estivaux (source : Tyler et al. In Boucher, 2011 ; modifié sous Inkscape, R.Courault 2014)
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Les enjeux propres aux pâturages d’hiver sont liés au régime alimentaire du renne et à la ressource
pastorale centrale pour l’hiver. Cette ressource est représentée par la fourniture saisonnière du
lichen à renne, Cladonia rangiferina L. La demande saamie est donc assez précise et suppose de
prendre en compte de nombreux facteurs et processus, au regard de leurs perceptions et
catégorisations du paysage culturel lapon. Leur questionnement principal est de savoir si aux
alentours des villages d’hiver de Jokkmokk et de Kautokeino, il est possible de cartographier
temporellement les évolutions de l’accessibilité et de la disponibilité potentielles en lichen, ces deux
notions étant liés à des processus climatiques et écologiques inter-reliés.
La littérature ne nous renseigne pas réellement sur les notions de « disponibilité » et
d’ « accessibilité » dans le cadre général de l’accès à une ressource fourragère pour l’élevage.
Biodisponibilité désigne le plus souvent la présence qualitative et quantitative d’un minéral ou d’un
composé chimique dans le sol ou dans l’organisme (Andersen, Hillwalker, 2008). Elle comprend alors
la faculté des plantes et des champignons à assimiler un élément nutritif ou toxique. En écologie,
cette notion est liée au positionnement trophique, selon la capacité de bioaccumulation d’un
composé chimique7 par l’organisme : par exemple le cas du plomb qui remonte le réseau trophique
arctique pour se retrouver dans le sang des Inuits. Par rapport à notre étude, on définit a priori la
disponibilité du lichen comme dépendante de sa biomasse (ou volume), déterminée par sa
croissance pendant la saison végétative et de la pression de prédation exercée par les rennes en
hiver. La disponibilité tiendrait compte de la quantité de et de la qualité de fourrage consommable
sans trop impacter le potentiel de renouvellement de la biomasse. Cette définition sera complétée
par la suite.
La notion d’« accessibilité », est encore plus spécifique à la région étudiée et plus largement à
l’élevage semi-nomade de rennes : l’accessibilité au lichen Cladonia rangiferina (L.) au cours de la
saison hivernale dépend de la qualité et de l’extension géographique de la couverture neigeuse que
le renne doit creuser pour accéder au lichen situé au dessous. Cette notion, pour l’instant
incomplète, présente l’avantage d’intégrer les savoirs écologiques saamis, la compréhension
scientifique de la biologie du renne et plus largement de la biogéographie et de la climatologie.
Enfin, ces deux notions sont qualifiées de « potentielles », dans la mesure où les définitions de
« disponibilité » et « accessibilité », précisées par la suite, ne prétendent pas être exhaustives car les
méthodologies présentées par la suite (statistiques, cartographies) doivent être validées sur le
terrain. Ceci dit, le concept de « potentiel pastoral » existe dans la littérature française et désigne la
7 Source : Anderson, Hillwalker, 2008, « Bioavailability », Encyclopedia of Ecology, Reference Module in Earth
Systems and Environmental Systems and Environmental Sciences, pp 348-357
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valeur pastorale d’une prairie (indice mêlant biomasse et qualité fourragère disponibles) selon la
charge en bétail exprimée en Unités Gros Bétail par hectare (Bonnemaison, 2007)
1.1.2.3 Schéma conceptuel du socio-écosystème de Cladonia rangiferina L.
Dans ces conditions, un schéma des facteurs et processus ayant une influence sur le lichen Cladonia
rangiferina L. est proposé en figure 5. Plusieurs niveaux de lectures sont présentés, une
interprétation verticale et une interprétation horizontale. L’interprétation verticale est probablement
la plus judicieuse, elle tente de poser les facteurs et processus aux échelles géographiques
régionales, et globales. Les problématiques communes aux deux terrains sont aussi différenciées des
problématiques plus locales et plutôt liées au contexte socio-écologique national, local, dans lequel
chaque population s’inscrit.
Les facteurs globaux à régionaux mis en exergue dans ce schéma sont surtout d’ordre bioclimatique,
écologique, anthropologique et culturel. La tendance principale qui nous intéresse ici est celle du
réchauffement climatique, combinée avec les cycles d’oscillations climatiques (Oscillation Nord-
Atlantique; voir le paragraphe 1.2.2) qui influent sur les extrêmes météorologiques et leurs
conséquences sur la couche neigeuse (notamment les processus de thawing-freezing, ou fonte-
regel). Ces situations météorologiques, impliquant des températures supérieures aux normales
hivernales en Scandinavie correspondent à des précipitations neigeuses de mauvaise qualité voire
même à des pluies en décembre. Une explication des dynamiques de fonte-regel est fournie dans le
paragraphe 1.2.3, comprenant une mise en rapport avec les notions d’accessibilité et disponibilité en
« ressource-lichen » pour le renne.
Outre le fait de composer avec une variabilité bioclimatique8 de moins en moins contrôlable, le
peuple Saami doit également faire face à certaines restrictions territoriales des gouvernements
centralisés de Norvège et de Suède. A l’échelle régionale, l’insertion socio-économique dans les
contextes culturels scandinaves représente une difficulté supplémentaire (partie droite de la figure
5). Le constat reste à nuancer (Roué, 2006), mais les jeunes Saamis de Nord-Botnie suédoise et de
Fennoscandie norvégienne ont le choix entre une vie urbaine confortable ou l’élevage semi-nomade
de rennes, bien plus rude. Cependant, beaucoup allient le confort et la technologie avec l’élevage,
8 Par simplification, on comprend dans cette étude « bioclimatologie » comme incorporant les stimuli
climatiques et les réponses phénologiques associées et propres aux métabolismes des rennes et de la végétation
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mettant en valeur l’artisanat, et peut-être un certain folklore qui attire particulièrement les
touristes : par exemple le rai’do ou traîneaux à rennes sont désormais utilisés pour le tourisme. En
pratique, le rai’do qui permettait de surveiller et suivre les rennes est remplacé par des motoneiges
ou des hélicoptères pour le suivi des cheptels de rennes (Roué, 2011). Ce processus de revitalisation
de la culture traditionnelle Saamie (Roué, 2006) allie donc une bonne insertion dans les sociétés
scandinaves, passant notamment par des études supérieures et éventuellement un retour aux
sources s’aidant d’outils technologiques contemporains.
Cependant la culture traditionnelle saamie, à affinité norvégienne ou suédoise doit faire face à de
véritables conflits d’usages des territoires pastoraux. Ces conflits autour de l’usage des sols sont
récurrents depuis les années 50 (Roturier, Roué, 2009), fortement liés à l’intensification grandissante
de l’utilisation des sols aux latitudes subarctiques (Kivinen, Kumpula, 2014) des ressources
disponibles (matières premières, main d’œuvre tertiaire qualifiée, etc) et de l’orientation
économique propres à la Norvège ou à la Suède. Dans ce travail, seule la foresterie commerciale en
Suède sera évoquée et étudiée, car elle est directement liée aux caractéristiques écologiques de
Cladonia rangiferina L. Cette foresterie entre en concurrence avec l’utilisation traditionnelle des
terres saamies, et générant un dialogue, voire des tensions territoriales entre ces deux acteurs
(Roturier, Roué, 2009, voir l’annexe 2 présentant les cartographies d’impacts anthropiques projetés
en 2030 et 2050 pour le nord de la Scandinavie).
Il faut ainsi souligner les autres conflits d’usage des sols impactant l’élevage de rennes : toutes ont
en commun de modifier les structures paysagères et de restreindre les voies de migration,
déséquilibrant potentiellement le ratio entre nombre de rennes et disponibilité en ressources
fourragères. Ils impactent en effet fortement les ressources naturelles et les types de végétation
(Tyler, Turi, 2007). Le développement des réseaux de transport et les aménagements hydrauliques
semblent être les facteurs les plus à mêmes de générer des conflits d’usage : Kivinen, Kumpula, et alii
(2014) estiment que le linéaire des routes a été multiplié par deux dans le nord de la Finlande,
passant de 835 km en 1965 à 1855 km en 2010. Dans la région finlandaise étudiée, les auteurs
estiment à 27% le ratio de changements anthropiques d’occupation des sols (période 1960-2005),
changements comptabilisés comme ayant un impact irréversible ou à long-terme sur la disponibilité
du lichen à rennes (Kivinen, Kumpula, 2014). Enfin, on doit également citer la question du
surpâturage dans les pâturages d’hiver norvégiens, diagnostiquée principalement par les autorités
norvégiennes et faisant l’objet d’une contestation de la part des Saamis de Kautokeino (Roué,
communication personnelle). Enfin il semble important de noter que les auteurs traitant des
problématiques du pastoralisme semi-nomade saami sont désormais plus préoccupés par ces
changements d’occupation des sols que par la tendance lourde du changement climatique et des
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réponses phénologiques associées (Tyler, Turi, 2007 ; Kivinen, Kumpula, 2014). Les questions
d’adaptabilité et de vulnérabilité au réchauffement climatique restent pourtant la pierre angulaire
du projet scientifique BRISK, et ces questions peuvent paraître plus diffuses et ayant un caractère
comparativement moins urgent et moins impactant sur le court-terme. Il faut néanmoins souligner
que ces deux problématiques sont inter-reliées : c’est par souci de faciliter la lecture de la figure 5
que les processus ne sont pas schématisés, même si il y a un lien entre la tendance lourde
réchauffement climatique et une nette propension à la concentration des enjeux économiques et
humains en Arctique.
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Figure 5: Schéma conceptuel des problématiques régionales communes et les problématiques spécifiques aux deux contextes nationaux (Réalisation : R. Courault, 2014)
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1.1.3 Du vécu saami à la biogéographie synchronique et diachronique
1.1.3.1 Paysage culturel saami et calendriers pastoraux
La figure 6 tente de simplifier le paysage suédois dans lequel s’inscrivent les migrations saisonnières
des éleveurs et de leurs rennes. Ce schéma aurait pu être commun aux paysages norvégiens et
suédois si les configurations géographiques avaient été les mêmes: comme on a déjà pu le voir avec
les figure 3 et 4, les migrations se font selon un axe nord-ouest (pâturages d’été) sud-est (pâturages
d’hiver) pour les deux communautés d’éleveurs.
La spécificité du contexte norvégien réside dans la structuration des migrations par les fjords de la
côte atlantique nord : les éleveurs de Kautokeino vont en transhumance estivale sur le littoral
atlantique et sur les îles qui forment l’extrémité septentrionale de la chaîne des Alpes scandinaves,
principalement autour de la région d’Alta (voir annexe 1, cartographie norvégienne qui récapitule les
différentes étapes de migration). A la fin de la saison estivale ils retournent sur le continent, à
l’intérieur des terres à Kautokeino pour y trouver les pâtures d’hiver riches en lichen (cf figure 4 des
trajectoires pastorales).
A l’opposé les éleveurs de Jokkmokk remontent les versants orientaux des Alpes scandinaves pour
leurs pâturages d’été, s’établissant dans les vallées glaciaires surcreusées (ombilic glaciaire). Comme
on le verra, cette montée en altitude, vers le nord-ouest quoiqu’il arrive, est dépendante de la
biologie et de l’éthologie du renne Rangifer tarandus L. La descente dans les plateaux pour les
pâtures d’hiver dépend quant à elle de la disponibilité du lichen, relativement importante dans les
forêts boréales. Les transhumances sont donc liées à la limite altitudinale et latitudinale de pousse
des arbres. Bioclimatologie, éthologie du renne et pastoralisme sont très fortement inter-reliés.
Quatre échelons géographiques (géolinguistiques ?) sont tracés dans ce schéma (figure 6): le plus
étendu est Sàpmi, ou « terre de tous les Saamis ». Il correspond grossièrement à la Laponie
historique où les Saamis éleveurs de rennes sont situés. Le deuxième échelon, etnàm, signifie
« terre », ou « paysage de l’enfance ». On le lie ici au territoire pastoral d’une famille, à l’intérieur
duquel toutes les activités pastorales ont lieu. Guohtun, troisième échelon schématisé, possède une
signification spatio-temporelle plus complexe, englobant « de nombreux niveaux sémantiques »
(Roué, 2011). On le comprend ici comme représentant le territoire pastoral d’hiver dans sa globalité,
même si c’est imparfait. Le guohtun est traduit en suédois par « bete », ou « pâturage », en tant que
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« lieu où les communautés végétales sont appropriées pour le pâturage » (Roué, 2011). En plus de
traiter de la biodisponibilité en lichen, guohtun qualifie également la saison neigeuse avec
l’accessibilité, selon l’extension de la neige, sa qualité et sa stratification (hauteur). Ce mot semble
étroitement lié à bodne, qui désignerait la rugosité topographique (« fond », « sédiment ») ainsi que
les premières neiges de la saison. Selon sa précocité, la bodne est susceptible de verrouiller l’accès au
lichen.
Enfin les échelons les plus locaux sont représentés par čiegar et oppas. Ciegar désigne « un champ de
neige piétiné et tassé » (Nielsen et Neshein, 1979 in Roué, 2011). Le tassement de la neige rend
impossible le broutage par d’autres rennes, čiegar est donc particulièrement éphémère dans le
temps, « inutile » si déjà creusé (Roué, 2011). Il est éventuellement consommé si l’accessibilité
(guohtun/bodne), la disponibilité en lichen et l’appétence du renne le permettent. Oppas est une
zone de neige fraîche potentiellement accessible au renne. Il peut également désigner une zone de
neige profonde. Ainsi les rennes et leurs éleveurs « vont d’oppas en oppas, laissant des čiegar
derrière eux » (Roué, 2011).
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Comme on peut le voir en figure 6, les contraintes bioclimatiques estivales et hivernales organisent
le calendrier pastoral (Sandström, Granqvist-Pahlén et alii, 2003). L’annexe 3 reprend plus en détail
l’organisation de ce calendrier, géographiquement structuré par la transhumance saisonnière
altitudinale. Cet agenda pastoral est aménagé selon les nécessités gestionnaires des Saamis et leur
vie sociale: au début de l’été les éleveurs se rassemblent pour le marquage des jeunes faons, avec un
second regroupement au début de l’hiver pour l’abattage des gros rennes et la séparation des
groupes d’hiver familiaux (Sandström, Granqvist-Pahlén et alii, 2003).
Figure 6: Schéma des paysages de migration (sources : Roué, 2011 ; Roturier, Roué, 2009 ; dictionnaire sâme-français FREELANG (B. Deverrière), réalisation : R. Courault, 2014)
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Cependant cette organisation pastorale et sociale reste soumise aux besoins biologiques du renne
face aux contraintes bioclimatiques saisonnières, notamment son comportement éthologique
représenté par la période de reproduction (Kuntz, 2011). Le vêlage a principalement lieu en mai,
dans les piémonts montagnards, où les femelles sont nées. Elle est suivie d’une phase de
restauration avant la montée en altitude, où la chaleur, les moustiques et les parasites sont moins
présents. L’été et le début de l’automne sont des périodes de restauration décisives pour la survie
des rennes en période hivernale (Kuntz, 2011 ; Sandtröm, Granqvist-Pahlén et alii, 2003). La
disponibilité des fourrages estivaux est principalement composés d’herbacées, de joncs, de Carex et
cet apport en nourriture estivale est capitale pour les mâles adultes. La taille et les ramifications du
bois influent sur la période nuptiale et donc le succès reproducteur, mais surtout les bois des mâles
tombent juste après la reproduction, au début de l’hiver avant de repousser, en avril (Kuntz, 2011).
Par rapport aux femelles qui gardent leurs bois au cours de la mauvaise saison, les mâles adultes sont
plus sensibles à l’accessibilité hivernale du lichen. Les rennes mâles peuvent toujours creuser avec
leur museau, mais pas si la couverture de neige du čiegar est trop épaisse, ou alors au risque de
perdre beaucoup d’énergie. La taille du groupe est naturellement à son minimum au mois de mai, et
la baisse des effectifs peut-être doublement aggravée si l’apport en fourrage est trop faible en été et
si les conditions climatiques annuelles régissant l’accessibilité et la disponibilité des pâturages d’hiver
sont mauvaises (Kuntz, 2011).
1.1.3.2 Guohtun et bodne pour qualifier les pâturages d’hiver : schéma en coupe des
conditions
Après avoir explicité le schéma du paysage migratoire saami (et les nuances géographiques propres à
Kautokeino), une explication de la figure 7 nous permettra de comprendre à quel point les
connaissances écologiques des Saamis nous sont importantes pour décrire et quantifier l’accessibilité
et la disponibilité du lichen Cladonia. Cette figure représente une coupe stratigraphique reprenant
les terminologies employées pour qualifier et décrire les ‘’bons’’ des ‘’mauvais’’ pâturages, ou
guohtun. Réutilisant le langage saami utilisé et explicité en figure 6 et dans différents articles
(Roturier et Roué, 2009 ; Roturier, 2010 ; Roué, 2011), cette représentation schématique met en
coupe ce qu’on voyait en plan dans la figure 6. Elle s’intéresse en particulier aux «mauvais » et aux
« bons » guohtun catégorisés par les Saamis des deux terrains, au regard des couches géophysiques
qui le composent.
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Du bas de la coupe vers le haut, il faut commencer par la roche-mère, parfois affleurante ou
recouverte de tourbes et de sols podzolisés. Elle est, à l’échelle de la Laponie principalement
composée de schistes arctiques dans les versants et les basses altitudes (fourniture sédimentaire
argileuse), ou de roches magmatiques plus ou moins grenues si on se situe en altitude (granites),
issue de l’orogénèse fennoscandienne (source : Manker, 1951 ; www-markinfo.slu.se). Ces roches
sont quoiqu’il arrive acides et influent indirectement sur la qualité du guohtun, en particulier sur la
disponibilité.
Deuxièmement, la bodne désigne littéralement « fond » ou « sédiment », c'est-à-dire le sol
pédologique qui soutient le tapis de lichen (Roturier, Roué, 2009). Le sol pédologique faisant
interface entre la lithosphère et la biosphère, les processus géochimiques propres aux podzols (et
aux tourbes) sont important pour l’établissement des communautés de lichens épigéiques. Plus il est
fourni en matière acide (organique par la végétation forestière ou les landes ou issue de la
pédogénèse selon l’acidité de la roche-mère) plus le lichen est susceptible d’y établir un tapis épais,
les sols étant acides et donc favorables aux exigences écologiques des lichens (Ahti, Oksanen, 1990).
Figure 7a et 7b: Représentation schématique, en coupe, d'une pâture d'hiver typée "mauvaise" (7a) et "bonne" (7b) par les Saamis (Réalisation: R.Courault, 2014)
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Les sols les plus podzolisés9 sont ceux dont la couche d’humus de l’horizon supérieur de type mor est
plus épaisse, représentée en figure 7b. Avec l’apport quantitativement plus élevé en matière
organique acidifiante et une percolation intensifiée par les fontes printanières, les éléments
minéraux migrent en profondeur ou latéralement par les eaux courantes. Cet humus provient
notamment de conifères ou de landes à callunes (Jabiol, Lévy et alii, 2011). Le lichen étant plus
présents sur les sols pauvres en minéraux et acides (Ahti, Oksanen, 1990), le tapis de Cladonia peut
être plus épais et plus disponible pour le broutage des rennes. De plus l’épaisseur du tapis lichénique
semble importante pour l’isolation thermique sous un climat marqué par de nombreuses variations
thermiques (Roturier, 2010) : un tapis de lichen fin est moins susceptible de résister aux
températures gélives, qu’elles soient habituellement saisonnières, ou plus conjoncturelles avec le
processus de fonte-regel.
Enfin, Bodne désigne également le « fond » des cumuls saisonniers, soit les premières neiges de la
saison hivernale, importantes car si elles tombent trop précocement elles verrouillent le lichen et en
limitent l’accès. Ce terme semble regrouper beaucoup d’éléments pivots en interaction qui agissent
conjointement sur l’accessibilité et la disponibilité dans les pâturages d’hiver, schématisé ici par les
« bons » ou les « mauvais » guohtun. Cette distinction entre mauvaise et bonne pâture s’opère selon
l’épaisseur du tapis en lichen, ainsi que la qualité des premières neiges de la saison hivernale
(Roturier, Roué, 2009). Ces deux éléments restent dépendants des sols plus ou moins podzolisés.
Après avoir évoqué les critères écologiques saamies selon l’accessibilité et de la disponibilité en
lichen, on a pu voir que ces terminologies et perceptions paysagères de leur écosystème sont
intrinsèques au sol et au climat. Devant faire face à la forte variabilité bioclimatique caractéristique
de ces latitudes subarctiques, on doit maintenant traiter des aspects ayant trait au changement
climatique global et régional.
9 « Processus de podsolisation : dégradation des argiles avec migration de matière organique chargée de fer et
d’aluminium » (Jabiol, Lévy et alii, AgroParisTech ENGREF, 2009)
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1.2 Tendances, cycles et extrêmes en bioclimatologie : quels
retentissements pour l’élevage de rennes saami ?
L’adaptabilité au réchauffement climatique de l’élevage traditionnel saami est l’objet principal du
programme de recherche BRISK. Ce paragraphe reprend donc les éléments de connaissance
climatique qui nous semblent importants pour ces régions de hautes latitudes et pour le paysage
saami, évoquant le climat passé et futur à différentes échelles pour terminer par une définition plus
locale du thawing-freezing, ou fonte-regel. Ces tendances, cycles et extrêmes seront mis au regard
de la ressource fourragère en lichen ainsi que des impacts probables sur la biologie du renne.
1.2.1 Tendance lourde et rétroactions entre climatologie et l’élevage des rennes
Les échelles spatio-temporelles employées en bioclimatologie sont globales, régionales ou locales. Le
but est ici de comprendre, du global vers le régional, les interactions bioclimatiques à l’œuvre dans
l’élevage des rennes du nord de l’Europe, en particulier pour les questions d’accessibilité et de
biodisponibilité en lichen. Le rapport paru en octobre 2013 du GIEC est séparé en quatre parties :
l’observation des changements climatiques globaux ou régionaux passés ; les principaux facteurs
(drivers) intervenant dans le forçage radiatif (gaz, aérosols, albédo etc.) ; les modèles climatiques et
projections socio-économiques utilisés pour quantifier la réponse du système global climatique ; et
enfin les changements climatiques futurs attendus à l’échelle globale ou régionale selon les scénarios
synthétiques. On ne s’intéressera ici qu’aux observations des changements passés, ainsi qu’aux
projections futures selon le scénario le plus pessimiste de concentrations atmosphériques de gaz à
effet de serre d’origine humaine et naturelle (RCP 8.5, RCP signifiant Representative Concentration
Pathway ; 8.5 le forçage radiatif en W/m² induit par ces concentrations).
L’Arctique et les latitudes subpolaires sont essentiels pour le système climatique global qui est régit
par quatre composantes principales : l’atmosphère, la cryosphère, les océans et les cycles
biogéochimiques. Ces régions polaires « puits » de chaleur s’opposent aux régions équatoriales
« sources », et les changements climatiques contemporains, particulièrement brutaux, menacent de
rompre cet équilibre relatif. Ainsi, l’IPCC indique que la période 1983-2012 est probablement la plus
chaude des 1400 dernières années (degré de confiance moyen). Pour l’Arctique et le nord de la
Scandinavie, la cryosphère et les surfaces enneigées sont d’importants régulateurs climatiques
globaux, notamment en termes de bilan énergétique : grossièrement la réflectivité des surfaces à
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fort albédo telles la neige et la glace permet de soustraire et réguler les « excès » de chaleur des
zones équatoriales et tropicales. Les glaces sont également d’importantes réserves d’eau douce,
ayant des répercussions sur la circulation thermohaline. Enfin il faut évoquer l’enjeu des cycles
biogéochimiques, en particulier celui du méthane contenu dans le permafrost et injecté dans
l’atmosphère.
Concernant l’inlandsis du Groenland, les pertes nettes en glace estimées par l’IPCC ont été
multipliées par plus de 6 entre les périodes 1992-2001 et 2002-2011 (pertes moyennes passant de 34
à 215 Gigatonnes/an). Pour l’Arctique, sur la période 1982-2012, les indicateurs de retrait maximal
des glaces de mer (juillet-août) sont d’une ampleur sans précédent depuis 1450 ans, représentant
des pertes décennales de la surface de l’ordre de 9,4 à 13,6% (niveau de confiance moyen).
Les quatre composantes précitées (atmos- et cryo- sphères, océans et cycles biogéochimiques) ont
toutes en commun d’interagir avec le cycle de l’eau : plus l’air est chaud plus il peut contenir de la
vapeur d’eau. A l’échelon global au cours de la période 1905-2012, il y a plus de régions du globe
dont les épisodes de fortes pluies sont en hausse que de régions où ces épisodes sont en baisse. Les
latitudes arctiques sont particulièrement concernées par cette hausse des précipitations : pour le
nord de la Norvège et de la Suède (période 1951-2010) l’augmentation de précipitations est
comprise entre 5 et 50 mm par décade selon la région (figure 8). Le degré de significativité, indiqué
par les signes (+), renforce les estimations, augmentation figurant déjà clairement pour la
Scandinavie sur la cartographie des changements 1901-2010.
Figure 8: Carte des changements observés de précipitations (1901-2010: gauche, 1951-2010: droite). Les (+) indiquent un niveau de significativité supérieur à 10% (IPCC, WG1, 2013)
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Pour le climat futur, si l’on prend le scénario le moins optimiste sur les concentrations
atmosphériques de gaz à effet de serre, les régions du nord de l’Europe, et en particulier les régions
proches de l’Arctique vont probablement connaître une augmentation des volumes annuels moyens
précipitations pour la fin du siècle. Pour la Laponie est prévue une augmentation d’au moins 20% par
rapport aux volumes moyens au cours de la période 1985-2005 (figure 9). Les régions en pointillés
indiquent que plus de 90% des modèles climatiques s’accordent sur ce changement. Ainsi,
l’accélération du cycle de l’eau conduira à des précipitations plus importantes dans les 70 prochaines
années aux latitudes subarctiques (Räisanen, 2001 in Tyler, Türi, 2007). Les climatologues prévoient
notamment une augmentation du volume moyen annuel de précipitations situé entre 1 et 4% par
décade.
Toujours pour la Laponie, se basant sur les tendances observées pour les températures entre 1970-
2000, les projections prévoient une augmentation comprise entre 0.3 et 0.5°C par décade entre 2005
et 2035 (Crittenden ett alii, 2001 in Tyler, Turi et alii, 2007). Les scénarios climatiques indiquent
également des remontées plus fréquentes d’air doux, augmentant potentiellement le nombre et
l’intensité des processus de fonte-regel.
Pour l’élevage de rennes, les effets directs du climat semblent bien renseignés et concernent en
particulier les saisonnalités pastorales (Tyler, Tury, 2007). Les conséquences directes évoquées sont
les taux de survies plus faibles des faons nés au cours d’années défavorables, ainsi que pour les
rennes d’âge plus avancé. Indirectement, les changements brutaux de températures et de volumes
Figure 9: Changement des totaux annuels de précipitations, estimés pour 2081-2100 par rapport à la période 1986-2005. Basé sur le scénario pessimiste de concentration de gaz à effet de serre, RCP 8.5. Lignes hachurées : « les moyennes multi-modèle sont plus petites que la variabilité naturelle interne ». « Pointillés : Moyenne multi-modèle est plus grande que la variabilité interne naturelle » : degrés de confiance fort (IPCC, WG1, 2013)
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de précipitations impactent en premier lieu l’accessibilité du lichen du fait de l’augmentation des
hauteurs de neige : les biologistes ont évalué qu’au-delà de 50 à 70 cm d’épaisseur de neige, l’accès à
la ressource fourragère est trop contraignante et fatigante pour le renne (Kuntz, 2011). Cette
déperdition d’énergie est d’autant plus importante si les couches de neige sont durcies par les
processus de fonte-regel (Rasmus, Kumpula, 2014). Ces impacts sont aussi considérables pour la
disponibilité de Cladonia: les réponses phénologiques des plantes vasculaires et des lichens sont
modulées par ces variations et induisent des qualités nutritionnelles et des degrés d’appétence
agissant sur le métabolisme du renne et donc sa capacité de survie (Tyler, Turi, 2007).
L’augmentation des températures estivales amplifierait le verdissement général en Arctique
(Bokhorst, Tommervik et alii, 2012), mais favoriserait également les feux de forêts, « susceptibles de
réduire de manière dramatique l’abondance des lichens » (Kuntz, 2011).
Du point de vue animal, les auteurs notent que les automnes de Laponie ont tendance à présenter
des températures plus douces qui retarde l’arrivée de la neige sur les côtes, et surtout accentue la
dispersion des rennes, abaissant le « niveau de coopération » avec les éleveurs, en particulier avec
les haergit (castrats mâles dirigeant le troupeau, ou harde de rennes) qui deviennent plus sauvages
(Tyler, Turi, 2007). L’augmentation moyenne des températures implique également une
recrudescence des moustiques et autres parasites qui excite les rennes, les disperse et leur fait
dépenser inutilement de l’énergie (Couturier, 2004 in Kuntz, 2011). Enfin, cette tendance au
réchauffement rend les transhumances plus compliquées car la glace des lacs traversés devient plus
fine et fragile, d’autant plus si l’espace consacré aux flux migratoires est réduit par les activités
économiques et les réseaux de transport (Kivinen, Kumpula, 2014).
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1.2.2 Cycles d’Oscillation Nord-Atlantique : impacts probables sur l’accessibilité et la
disponibilité potentielles du lichen pour les pâturages d’hiver de Norvège et Suède
L’Oscillation Nord-Atlantique, ou NAO se définit habituellement comme la différence de pression
atmosphérique entre latitudes subtropicales et subpolaires (Vicente-Serrano, Heredia-Laclaustra,
2004). Ces latitudes sont dominées par deux grands centres d’action dynamiques : la dépression
d’Islande et l’anticyclone des Açores. Ces régimes de pression déterminent les régimes et la position
en latitude des westerlies, ou vents d’ouest. Une anomalie positive de NAO signifie que les pressions
sont renforcées pour l’anticyclone des Açores, affaiblies pour la dépression d’Islande (Calas, 2013).
Cela se traduit par des vents de sud-ouest, des températures et des précipitations supérieures aux
normales saisonnières pour l’Europe du nord, inversement pour l’Europe du sud qui est sous
l’influence d’un anticyclone renforcé (haut de la figure 10 a).
Par symétrie, la NAO négative implique un renforcement des champs de pression de la dépression
d’Islande, qui schématiquement devient un anticyclone, et un affaiblissement de l’anticyclone des
Figure 10a: Indice de NAO fortement positif, force des vents associés (haut), Températures de surface des sols et des océans (bas) Figure 10b: mêmes variables avec indice de NAO fortement négatif. Source: http://www.ifremer.fr/lpo/thuck/nao/img15.gif
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Açores (haut de la figure 10b). Toujours schématiquement, et dans les cas les plus prononcés, les
masses d’air sont froides et sèches en Europe du nord, les vents d’ouest passant plus au sud. Les
gradients thermiques étant plus resserrés en hiver (il fait froid au nord, doux au sud), l’anomalie
positive de NAO est ainsi le régime de temps le plus fréquemment observé (30%) en Europe pour
cette saison (Calas, 2013).
Les figures 10a et 10b cartographient les anomalies les plus prononcées de NAO, les associant avec la
force des vents (NAO SLP and Windstress Anomalies) et les anomalies de températures de surfaces
continentales et maritimes. Les situations sont ici exagérées, car d’autres types de circulation,
éventuellement moins marquées dans le temps peuvent influencer en longitude la circulation
atmosphérique européenne (régime de dorsale atlantique, régime de minimum atlantique, Calas,
2013). En cas d’anomalie positive de NAO (figure 10a), la Scandinavie et la Laponie se situent sur la
zone sud de la dépression d’Islande, récupérant les vents doux et humide des westerlies renforcés
par le nord de l’anticyclone des Açores. Les anomalies de températures au sol sont alors supérieures
de 1 à 2 degrés pour l’intérieur des terres scandinaves. C’est tout l’inverse pour la NAO négative, où
les vents sont calmes et arrivent de l’est, donnant des températures plus basses de 1,5 à 2°C par
rapport aux moyennes. Ainsi, à travers son influence sur la variabilité régionale des précipitations et
des températures, l’Oscillation nord-atlantique impacte directement les domaines de l’élevage, de la
pêche et ses ressources halieutiques (Vicente-Serrano, Heredia-Laclaustra, 2004). La réponse
phénologique de la végétation (forestière ou cultures) est en lien avec l’augmentation des
températures et des précipitations.
En conclusion, aux échelles continentales comme régionales, les anomalies positives de NAO, dont la
fréquence hivernale est forte, pourrait amplifier la tendance d’un air moins froid et donc susceptible
de contenir plus d’eau précipitable. La convergence d’air humide et doux sur l’Europe du nord, déjà
observée et projetée par l’IPCC, augmenterait les cumuls de neige pour les hivers lapons, ainsi que
des processus de fonte-regel plus marqués, processus que l’on s’attache à définir dans le paragraphe
suivant.
1.2.3 De la climatologie à la météorologie : définir les processus de fonte-regel (thawing-
freezing)
On a donc vu que la tendance au changement climatique pouvait renforcer les impacts des anomalies
positives d’oscillation nord-atlantique (NAO). Nous allons ici prendre un point de vue légèrement
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plus local pour donner quelques éléments de définition du ‘’thawing-freezing’’ (fonte-regel), qui
impacte les guohtun (zones de pâtures bonnes ou mauvaises) et la bodne (première couche de neige
de la saison). On identifie deux processus de fonte-regel principalement susceptibles d’impacter
l’accessibilité et la disponibilité de la ressource Cladonia. La fonte de la neige peut s’opérer dans
l’atmosphère en cas de redoux dans les basses couches de l’atmosphère, induisant des pluies
verglaçantes sur des sols particulièrement froids (Kuntz, 2011). Ces pluies verglaçantes pourraient
verrouiller et épaissir les premières neiges de l’hiver, tout comme les couches de neige plus
superficielles lorsque la saison hivernale est bien amorcée. Enfin, le processus de thawing-freezing à
proprement parler est constitutif de l’accentuation des dégels en hiver, aussi bien en écarts absolus
de températures devenant très soudainement positives que pour l’ampleur temporelle et
géographique du phénomène de redoux.
Les variations thermiques soudaines ont donc des conséquences directes sur l’accessibilité du lichen
(toutes strates de neiges confondues) mais il a également des répercussions indirectes sur la
disponibilité du lichen et l’écosystème auquel il est inféodé : premièrement la fonte de la neige
expose les tapis de lichen et la flore vasculaire à un regel. Cette exposition au froid peut-être
accentuée par les levées de dormance qui sont induites par des températures positives inhabituelles
pour la saison, et qui peuvent s’étaler sur plusieurs jours. Ainsi, « un réchauffement d’une semaine
est suffisant pour générer des conditions de développement similaires au printemps pour les arbustes
nains [Empetrum nigrum L., Betula nana L.], rendant les plantes plus sensibles au refroidissement qui
suit » (Bokhorst, Tommervik et alii, 2012). Les retentissements sont alors spectaculaires, faisant par
exemple chuter le NDVI10 de 26% sur la même zone, comparativement entre l’été qui précède et l’été
qui suit cette perturbation stochastique exceptionnelle (Bokhorst, Tommervik et alii 2012).
Ces processus complexes peuvent être séparés selon la saison dans laquelle ils se produisent, mais le
changement climatique et les cyclicités océaniques tendent à les rendre plus aléatoires et
conjoncturels du point de vue météorologique : par exemple une pluie verglaçante est susceptible
d’arriver au printemps, les sols n’ayant pas été réchauffés par le rayonnement solaire, mais
également en hiver si le flux atmosphérique est exceptionnellement doux. Plusieurs composantes
sont alors à prendre en compte pour définir l’ampleur d’un phénomène de fonte-regel : en premier
lieu la saison au cours de laquelle le processus de fonte-regel survient. Par exemple le troupeau de
rennes est fatigué à la fin de l’automne, après la période de reproduction, et les animaux sont donc
particulièrement vulnérables pour cette période de restauration. Deuxièmement, l’ampleur du
phénomène de fonte-regel peut être mesuré dans l’absolu, selon la différence entre le minimum de
10
Le NDVI, ou Normalized Difference Vegetation Index est « un indicateur de la densité en chlorophylle et des tissus foliaires calculé à partir des réflectances rouge et proche infrarouge » (Delbart, 2005)
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température journalière (voire horaire) enregistré au début du processus de fonte-regel, et le pic de
température positive représentant l’apogée de la fonte des neiges (et/ou glaces) au cours de
l’évènement. Par la suite, la retombée en température négative est également importante pour la
résilience de la végétation peu ou pas protégée par la couverture neigeuse, ainsi que pour les rennes
(Bokhorst, Tommervik et alii, 2012). Troisièmement, l’ampleur du phénomène est caractérisée par la
durée dans le temps du redoux thermique: Bokhorst, Tommervik et alii (2012) ont notamment
travaillé sur l’évènement extrême de décembre 2007 survenu dans le nord de la Scandinavie. Ils
mentionnent notamment des températures comprises entre 2 et 10° C pendant 12 jours. Enfin
l’extension spatiale du phénomène est le quatrième élément à prendre en compte : un évènement
localisé à moins d’impacts (sur la fonte des neiges, les taux de survie des rennes, de la végétation…)
qu’un évènement se déroulant à l’échelle régionale ou continentale.
A titre d’exemple, les trois premières composantes sont reprises en figure 11a et 11b, nous
autorisant à comparer les températures moyennes journalières enregistrées à la station d’Ätnarova
(une vingtaine de km au nord-est de Jokkmokk) pour 1994 (figure 11a) et 2007 (figure 11b). Au
regard des deux courbes11, le climat subarctique paraît se démarquer par de très importantes et très
soudaines variations de températures, tout au long de l’année. Le thawing-freezing de 1994 est
d’une importance moindre que celui de 2007, mais il a lieu avant le début de l’hiver (figure 11a),
impactant potentiellement les premières neiges d’automne tombées cette année (bodne). Le pic est
particulièrement resserré, indiquant une augmentation très rapide des températures (de -10°C à
+1°C), avant de retomber subitement à -15°C. La neige n’a peut-être fondu que très sporadiquement,
la croûte en place pouvant être facilement brisée par les rennes. En ce qui concerne le thawing-
freezing de 2007 (figure 11b), il a lieu en plein hiver, et la durée des températures positive se
11
Ces rapports climatiques sont disponibles sur le site : http://www.slu.se/sv/institutioner/skoglig-faltforskning/miljoanalys/esf-klimatdata/
Figure 11a: Températures moyennes journalières de 1994 pour la station d'Ätnarova, Suède, Figure 11b : année 2007 ; source : http://www.slu.se/sv/institutioner/skoglig-faltforskning/miljoanalys/esf-klimatdata/
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matérialise par un véritable plateau statistique, durant au moins une semaine. On retrouve donc
l’ampleur temporelle évoquée par Bokhorst, Tommervik et alii (2012), même si les températures ne
sont pas aussi élevées que celles évoquées dans la parution : l’article ne précise pas s’il s’agit de
températures maximales, et la zone frontalière de Norvège-Suède qu’ils étudient ne semble pas avoir
les mêmes caractéristiques topoclimatiques que la station d’Ätnarova (altitude, orientation de la
station).
En conclusion, on est tenté de rajouter une cinquième composante définissant l’importance du
processus de thawing-freezing : le phénomène aura toujours des impacts, à des degrés divers selon
les quatre premières composantes, sur l’accessibilité du lichen pour le renne qui creuse la neige. Ces
impacts concernent également la disponibilité en Cladonia peu ou pas isolé par la couche de neige
fondue. Mais à partir d’un certain seuil de durée temporelle (le plateau statistique observé en
décembre 2007) et d’extension spatiale, c’est bien la levée de dormance de certaines formations
végétales qui nous peut nous permettre de classer un thawing-freezing comme étant d’une
magnitude exceptionnelle. La disparition massive de plantes vasculaires suite à un tel évènement
pourrait donc réduire la disponibilité en Cladonia dans les pâturages d’hiver sensibles.
Page 39 sur 104
1.3 Identifier les habitats écologiques du lichen Cladonia rangiferina L. :
critères biogéographiques
1.3.1 Traits biologiques des lichens et caractéristiques de la Cladonia rangiferina L.
Les nomenclatures et classifications des lichens sont assez complexes. Ce sont des espèces
composites basées sur la symbiose entre un Eumycète (« vrai champignon »), et un Chlorophyte
(« algue verte »), d’après Ozenda et alii (1970). Pour des questions pratiques, on classe les lichens
dans la systématique des champignons, mais ceux-ci « ne sont pas une unité systématique mais
seulement un groupe particulier de champignons à biologie particulière » (Jahns, 1989). Pour ce qui
est de la Cladonia rangiferina L. , l’espèce est donc classée dans le Règne des Fungi, ou champignons,
Ordre des Lecanorales (champignons lichenisés), et Genre des Cladonia.
Les macro- et les micro-lichens sont distingués selon la taille et la morphologie de leur appareil
végétatif, appelé thalle. En pratique, la morphologie du thalle est le critère le plus facile pour
reconnaître les différents genres ou espèces de lichens (Jahns, 1989). Selon le port du thalle, on
distingue les macro-lichens en « feuilles », appelés lichens foliacés ou fruticuleux (Ozenda et al.,
1970). Le port fruticuleux est celui reconnu pour Cladonia rangiferina L. (figure 12). Les micro-lichens
qui représentent probablement plus des ¾ des champignons lichenisés sont dits crustacés, ou
incrustants (Ozenda12, Clauzade, 1970 ; Jahns, 1989). Ce sont les lichens que l’on retrouve sur les
pierres ou les zones rocheuses.
Figure 12: Photographie du lichen à rennes (Cladonia rangiferina L.). Source: wikipedia.fr
12
La flore d’Ozenda se décrit comme « une Flore des principaux Lichens de l’Europe occidentale et centrale, décrivant pratiquement toutes les espèces de France et des régions limitrophes, mais approximatif seulement pour les pays nordiques ou le sud des péninsules méditerranéennes ». Les Lichens, Etude biologique et flore illustrée, Ozenda, Clauzade, 1970
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Enfin, les lichens du genre Cladonia sont dits terricoles (ou épigéiques) car le support de leur
croissance se fait sur un substrat terrestre. On trouve à l’opposé les lichens épiphytes, qui se
développent sur les arbres. La description botanique de Cladonia rangiferina L. par Jahns (1989) est
la suivante : « Le thale possède un rameau principal développé avec des ramifications recourbées
toutes d’un même coté et aux extrémités brunies. De couleur nettement grise. On note en général la
formation de quatre rameaux à partir d’un même point de ramification. Forme des coussinets denses
à même le sol. Répandu dans toute l’Europe. Se confond facilement avec les autres espèces de la
section Cladina. » (Jahns13, 1989).
Cette confusion avec l’ancienne section Cladina paraît fondée, car contrairement aux autres espèces
du genre Cladonia, les Cladina ne possèdent pas de thalle primaire, qui est remplacé avec le temps
par le thalle secondaire, fruticuleux (Jahns, 1989). De plus, la catégorie vernaculaire « lichens à
rennes » comprend majoritairement des espèces de l’ancien genre Cladina. Ces espèces (Cladonia
mitis (Sardst.), Cladonia rangifera, (L.), Cladonia stellaris (Opiz), Cladonia unicialis (L.)) ont en
commun d’être associées avec des algues du genre Trebouxia (Roturier, 2007). Ils peuvent également
comporter une association à trois individus : le mycobionte, une algue verte et une algue bleue
(cyanobactérie). L’algue bleue peut être associée si le milieu ne fournit pas assez de matières azotées
(nitrates). Par simplification, on ne traitera dans cette étude que de Cladonia rangiferina (L.).
Les facteurs écologiques qui influent le plus sur la croissance des lichens sont l’humidité, la
disponibilité en nutriments (azote et phosphore), l’intensité lumineuse et la température
(Ahmadjian, in Roturier, 2007). L’humidité joue un rôle important car les Cladonia ne peuvent réguler
les excès ou les manques d’eau, l’activité métabolique dépend alors des apports issus des
précipitations atmosphériques : précipitations, rosée. L’humidité joue un rôle important sur le mode
de reproduction des lichens, qui se fait par spores. La reproduction sexuée représente une difficulté
car la spore fongique doit trouver le photobionte (algue) associée (Roturier et al., 2007). La
dispersion par propagules symbiotiques est donc la plus fréquente, mais elle dépend du taux
d’humidité : plus le lichen est sec plus les thalles sont friables. Cette capacité à se fragmenter a pour
vecteurs principaux le vent (anémochorie) ou les animaux (épizoochorie). L’apport en eau est donc
significatif pour le développement du lichen ainsi que pour son mode de dispersion. Pour les
animaux, les actions de piétinement et de broutage par les rennes influent sur la biomasse et
l’abondance des espèces de Cladonia. Les rennes contribuent, par le piétinement et le prélèvement
de lichens secs en été, à disperser les fragments de thalles, pouvant alors coloniser d’autres endroits
(Crittenden, 2000).
13
La flore européenne de Jahns, du Guide des Naturaliste, est plus ouverte aux lichens d’Europe du nord.
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Les lichens, et en particulier Cladonia rangiferina L. sont connus pour leur résistance à de
nombreuses formes de stress extérieurs, notamment les chocs thermiques, la chaleur et les
radiations UV (Siegel, Daly, 1968). Associés avec des indicateurs multi-espèces, ils sont bio-
indicateurs de l’état de santé de l’écosystème dans lequel ils sont insérés, en particulier la pollution
atmosphérique puisque la plupart des nutriments utilisés pour le métabolisme sont apportés par le
vent. Ils sont donc sensibles en premier lieu au dioxyde de souffre (SO²), aux métaux lourds et aux
matériaux radioactifs dispersés dans l’atmosphère. Cette forte capacité de bioaccumulation du
mycobionte a des répercussions sur la survie du lichen, mais également des maillons trophiques qui
lui sont associées, en particulier le renne susceptible d’ingérer des particules radioactives. Cette
tolérance aux stress lui permet notamment de coloniser des milieux où les plantes vasculaires et les
bryophytes sont moins présentes (Ahti, Oksannen, 1990). Malgré tout cette faible capacité à entrer
en compétition constitue une fragilité face aux changements climatiques induisant une densification
et une remontée vers le nord des vasculaires (verdissement de l’Arctique, Cornelissen, Callaghan,
2001).
Le lichen Cladonia rangiferina L. est donc un lichen épigéique et fruticuleux dont la morphologie est
proche de celles d’autres Cladonia. Les facteurs physicochimiques les plus importants sont
représentés par l’humidité, la lumière et l’apport en nutriments via l’atmosphère. Les rennes et
autres animaux sont particulièrement importants pour sa dispersion. Enfin, cette espèce généraliste
se caractérise par sa faible compétitivité. Nous allons maintenant préciser les habitats où elle est
significativement présente en vue de définir plus finement la disponibilité en Cladonia rangiferina L.
1.3.2 Habitats zonaux, sectoriels, écotones14 et disponibilité en Cladonia
Trois facteurs extérieurs contrôlent en particulier la biodisponibilité en Cladonia: la pédologie, le
climat, la succession végétale et le stade des successions végétales (Ahti, Oksanen, 1990). Comme on
a pu voir dans le paragraphe précédent, sa faible compétitivité et son besoin en lumière inféode
Cladonia rangiferina aux milieux où la compétitivité biologique est faible. Cet aspect compétitif entre
plantes vasculaires, mousses et lichen semble bien relié à l’accès à l’énergie solaire: deux habitats
14
« Zone de transition et de contact entre deux écosystèmes ou deux communautés écologiques voisines. L’écotone peut-être de taille et de structure très variées selon que l’on s’adresse à la zone de transition entre deux biomes, tels la forêt la forêt boréale et de conifères et la toundra, à la lisière d’une forêt aux zones situées entre l’eau libre d’un étang et sa rive. » (Grand Larousse, 1984, in Arnold, 2002, Ecologie de la vigne sauvage, Vitis vinifera L. ssp sylvestris (Gmelin) Hegi, dans les forêts alluviales et colluviales d’Europe, Geobotanica Helvetica, vol. 76
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principaux de Cladonia rangiferina L. sont identifiés, définissant deux écotypes15 (MacFarlane,
Kershaw, 1983). Le premier correspond à un habitat forestier, plus ombrageux, et le deuxième à un
habitat de landes alpines plus ouvert. Ces deux types d’habitats induisent des métabolismes
différents selon l’exposition au soleil (production en photosynthèse plus importante pour l’écotype
de landes alpines), et par extension des productions en biomasse différenciées entre les deux
(MacFarlane, Kershaw, 1983).
Dans les habitats forestiers, les pineraies du nord de la zone boréale (principalement Pinus sylvestris
L.) sont plus riches en lichen (Ahti, Oksanen, 1990). La densité en pins et plus généralement en
plantes vasculaires est moindre que dans les forêts du sud de la Scandinavie (Birot, 1967), et ces
habitats du nord de la zone boréale présentent des sols plus pauvres en nutriments, ce qui augmente
sa fréquence et sa biomasse (Ahti, Oksanen, 1990). Ce constat est renforcé par la relative absence de
l’épicéa au nord de l’écosystème de taïga du fait de conditions plus sèches et plus froides: le pin
sylvestre supporte mieux les forts processus de dessiccation qui caractérisent le climat du nord de la
Laponie, résultant en sols plus acides (Birot, 1967).
En termes de successions de végétation, les pineraies boréales dont le cycle sylvogénétique16 est
avancé (proche du stade climacique, non impactées par l’Homme) sont celles où la biomasse en
lichen est la plus importante (MacMullin, Thompson, 2013 ; Kivinen, Kumpula 2014). Différentes
classes d’âges de pins sont représentées, et l’architecture forestière complexe laisse des trouées et
des clairières qui permettent à Cladonia rangiferina L. de se développer. Les forêts les plus
anciennes, moins perturbées sont donc potentiellement les plus riches en Cladonia rangiferina (L.).
Les Cladonia mitis (Sandst.) sont, avec les lichens incrustés et les bryophytes les premières à
coloniser les milieux avant l’établissement de Cladonia rangiferina (L.) qui croît en biomasse jusqu’à
13 cm d’épaisseur dans les forêts anciennes. Si le milieu reste relativement stable, cette épaisseur est
atteinte en 125 ans (Thomas et al. In Roturier, 2007). Cette stabilité dépend grandement de l’état de
la forêt, car les canopées particulièrement fermées inhibent la production en photosynthèse de
Cladonia rangiferina L. (MacMullin, 2013) et ce manque de lumière implique l’arrivée des bryophytes
(Pleurozium schreberei (Brid.)) et de lichens Stereocaulon paschale (L.), plus compétitifs et
susceptibles d’étouffer le tapis de Cladonia (Roturier, 2007 ; Ahti, Oksanen 1990). Il faut donc que les
forêts ne soient pas trop denses en canopée: Cornelissen, Callaghan et alii (2004) ont par exemple
montré qu’une biomasse en plantes vasculaires influençait négativement les volumes de macro-
15
L’écotype est une réponse morphologique complexe qui inclut la contrainte environnementale et la réponse phénotypique, voire génétique d’une espèce (polymorphisme), résultant parfois à une séparation taxinomique en sous-espèces (MacFarlane, Kershaw, 1983) 16
Source : Carbiener, « Pour une gestion écologique des forêts européennes », Courrier de l’environnement de l’INRA n°29, décembre 1996
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lichens. La disponibilité de Cladonia est donc plus importante dans les forêts claires et peu dérangée
où la biomasse en plantes vasculaires est faible, souvent brulée par les incendies de forêts et
remplacée par les lichens (Roturier, 2007).
Un exemple photographique de la relation entre forêts de pins et biomasse importante de Cladonia
est en figure 13. Si dans cette photographie la gestion forestière semble présente, les arbres sont
relativement espacés et la canopée laisse passer la lumière. Le tapis de lichen est épais, et son
extension est forte.
Le deuxième habitat principalement cité par MacFarlane, Kershaw et al. (1983) est celui des milieux
ouverts qui caractérisent notamment les landes à callunes et les pelouses alpines (EUNIS, 2013). Les
paysages présentent des hauteurs et des densités en strate arborée faibles voire nulles, mais les
pentes ensoleillées et les successions de végétales paraissent favorables à la disponibilité du lichen.
Cet écotone marque une transition entre la taïga et la toundra. Il est plus ou moins piqueté
d’arbrisseaux broussailleux, et composés principalement de graminées, de chaméphytes de la famille
des Ericacea (landes à callunes), ou encore de bouleaux nains. Les toundras broussailleuses à Betula
et à Empetrum-Vaccinum sont particulièrement pourvues en Cladonia (Cornelissen, Callaghan et al,
2004). Ainsi, ces toundras arborées et broussailleuses font transition entre la vraie toundra, quasi
désert sans plantes vasculaires et la taïga. Cet écotone se caractérise par « une région boisée très
ouverte, ou une mosaïque d’arbres solitaires, de petits peuplements d’arbres et des patches de
toundra sans arbres » (Ahti, Oksanen, 1990). Ce constat doit être mis au regard des dynamiques
floristiques qui animent cet écotone d’interface entre la taïga et la toundra. Ici « la variabilité spatiale
Figure 13: Exemple photographique de la biomasse en Cladonia rangiferina L. sous pineraie. Cette association est communément appelée Cladonio-Pinetum (Ahti, Oksannen, 1990). Source : http://pracownia.org.pl/images/galerie/t6z8go_100_years_old_cladonio_pinetum_forest.jpg
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des dynamiques floristiques est au moins égale à la variabilité temporelle » (Raynolds, Comisco et al.,
2008). Ces écotones sont donc plus sensibles au réchauffement climatique et à l’établissement de
vasculaires pionnières, limitant à plus ou moins long terme la disponibilité en Cladonia.
La délimitation entre ces deux écosystèmes n’est pas donc pas franche, et il paraît important de citer
les facteurs limitatifs qui caractérisent la toundra. Ils sont principalement d’ordres bioclimatiques :
cet écosystème de toundra est particulièrement aride et se caractérise par de faibles précipitations
et des étés courts et frais. Les températures estivales sont un facteur qui empêche la reproduction
du pin sylvestre, dont deux mois supérieurs à 13°C sont nécessaires pour permettre la fructification
des semences du pin sylvestre (Birot, 1967). De plus l’air froid et sec ne convient pas aux échanges
hydriques des arbres (évapotranspiration). Ceux-ci ne peuvent pas utiliser leur système racinaire car
le dégel estival relativement court ne permet que l’établissement de racines peu profondes (Hufty,
2001). Ce constat est valable pour tous les arbres mais les pins sylvestres (et les bouleaux)
constituent la limite septentrionale de la taïga, où la disponibilité en lichen est forte (Birot, 1967).
Enfin il ne faut pas sous-estimer les interactions entre disponibilité en Cladonia et le Rangifer
tarandus. Il a par exemple été souligné dans le paragraphe 1.3.1 que les rennes étaient un vecteur de
dispersion pour le lichen Cladonia. Cette dispersion endozoochore permet en effet une bonne
régénération des tapis de lichen (Crittenden, 2000). Cependant le broutage estival du lichen réduit
l’épaisseur de son tapis, parfois jusqu’à laisser du sol nu ou de la roche si le nombre de rennes est
trop important sur un espace restreint. Le surpâturage a tendance à ré-initier la succession végétale
primaire (roches ou sols nus) et ce phénomène est donc susceptible d’augmenter l’abondance et le
nombre d’espèces pionnières de lichens et de bryophytes, déséquilibrant le stade propre à la
Cladonia rangiferina (Ahti, Oksanen, 1990 ; Roturier, 2007). Les zones restreintes sur-pâturées en
saison estivale sont souvent imposées par les clôtures et limites administratives imposées par les
autorités : « De tels dommages à la couverture en lichen se produisent là où les rennes ou les caribous
sont incapables de migrer trop loin de leur territoire d’hiver, comme les petites îles où encore là où les
frontières politiques ont été clôturées » (Crittenden, 2000). Ce processus de diminution de la
disponibilité en Cladonia rangiferina L. pourrait également être exacerbé par des carences
fourragères importantes au cours des précédentes saisons pastorales, et aussi par une saison estivale
qui présente un déficit en fourrages estivaux autre que les lichens, notamment les herbacées et les
joncs qui poussent habituellement en été (cf paragraphe 1.2.1 sur les interactions entre climat et
biologie du renne).
Pour conclure, les interactions entre climat, calendrier pastoral et habitats abondants en Cladonia
sont considérables, notamment en période de soudure alimentaire. Les continuums floristiques
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déterminent grandement la disponibilité en lichen, espèce peu compétitive dont la disponibilité
potentielle semble importante dans les forêts mâtures de conifères du nord de la Scandinavie. Ces
degrés de maturité sylvogénétique impliquent des densités de canopées moindres qui donnent accès
au lichen à la « ressource-soleil ». Les milieux plus ouverts des toundras arborées et broussailleuses
expliquent en partie les habitats riches en Cladonia mais ceux-ci doivent être précisés notamment
des points de vues phytosociologiques, de la disponibilité du lichen ainsi que la topographie, la
pédologie et les conditions hydriques. Les toundras arborées et broussailleuses font figure d’écotone
entre le biome-taïga et le biome-toundra, même si ces discriminations conceptuelles et
géographiques sont discutées selon les écoles disciplinaires (botanique, écologie, climatologie). La
limite de pousse des arbres, principalement pilotée par le degré d’aridité et les isothermes de
latitude et d’altitude caractérise écologiquement des densités des pineraies à prendre en compte
pour la disponibilité potentielle en Cladonia rangiferina L. Ces considérations bioclimatiques presque
régionales voire continentales peuvent nous permettre de mieux localiser géographiquement les
écotones de toundra arbustive qui font la transition entre taïga et toundra, où les pâturages d’hiver
spécifiquement liés à ces zones sont peut-être plus soumis au réchauffement climatique.
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1.4 Conclusions préliminaires sur l’accessibilité et la disponibilité
potentielles en Cladonia rangiferina L.
1.4.1 Redéfinir disponibilité et accessibilité potentielles
Parmi les points évoqués précédemment en anthropologie, en bioclimatologie et en biogéographie,
on est en mesure de préciser les définitions d’accessibilité et de disponibilité potentielles du lichen
Cladonia.
L’accessibilité du lichen dépend conjointement des quantités de neige tombées et des capacités
spécifiques aux rennes à creuser cette neige. La tendance au réchauffement influe sur les anomalies
d’oscillations nord-atlantique, et a des impacts quantitatifs et qualitatifs sur les volumes tombés : les
précipitations sont susceptibles d’augmenter à l’échelle d’une année, et particulièrement en hiver du
fait de l’occurrence hivernale plus élevée de NAO positive. Ces quantités plus importantes de
précipitations ont des conséquences directes sur les taux de mortalité des rennes, en particulier les
mâles dont la chute des bois au début d’hiver leur interdit de creuser trop profondément. L’aspect
qualitatif, toujours induit par le réchauffement climatique et l’occurrence de températures
supérieures aux normales en hiver, est représenté par des neiges de qualités moindres qui peuvent
notamment se transformer en verglas. Cette qualité de neige et les superpositions de couches au sol
est à mettre au regard des saisons pastorales, du fait des besoins biologiques du renne mais aussi
selon l’éventualité d’un processus de fonte-regel en automne, qui verrouille la bodne (première
couche de la saison) et rend un guohtun peu exploitable par les rennes. Au final, l’accessibilité
potentielle à la ressource-lichen est dépendante de la structure saisonnière de la neige et sa hauteur,
et pourrait se définir comme la capacité du renne à accéder par creusement à la ressource
fourragère, capacité conditionnée par la phénologie du renne et climatiquement la phénologie de la
neige.
Cependant cette structure neigeuse est à relier avec la pédologie et la topographie (bodne signifiant
« fond », « sédiment » dans son sens premier) pour la disponibilité potentielle en lichen. Ces sols
sont étroitement liés à la végétation qu’ils soutiennent, notamment l’apport en matière organique
acide. Ces deux facteurs pédologiques et biogéographiques pilotent l’épaisseur du tapis en lichen et
son extension géographique, autorisant Cladonia rangiferina à se prémunir des regels par isolation
thermique, mais peuvent toutefois avoir des conséquences sur les disponibilités alimentaires des
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rennes, représentées par la diversité spécifique du genre Cladonia et les autres communautés de
lichen.
Du point de vue des aspects zonaux et sectoriels, les forts potentiels de disponibilité en Cladonia
rangiferina L. se situent d’une part dans les zones septentrionales de forêts boréales, où la densité en
pins sylvestre est moindre comparativement aux forêts du sud de la Scandinavie. D’autre part cette
disponibilité potentielle se retrouve dans l’écotone entre taïga et toundra, appelée toundra
arborescente puis toundra broussailleuse. Elles font transition avec la « vraie » toundra. L’écologie du
paysage permettrait de clarifier la relation qui semble intime entre densité de la couverture arborée,
communautés de lichens et continuums floristiques associés.
Enfin, les interactions biologiques entre Rangifer et Cladonia sont également à prendre en compte
pour cette définition non exhaustive de la disponibilité potentielle : si en été les rennes sont de bons
disséminateurs des propagules de lichen, leur permettant de coloniser d’autres milieux, les frontières
administratives et les occupations contemporaines des territoires lapons sont susceptibles de
concentrer les flux migratoires, impactant les communautés de lichens du fait d’un surpâturage ou
d’un sur-piétinement. La disponibilité potentielle en Cladonia peut ainsi se définir par un niveau de
biomasse donné (en épaisseur comme en étendue géographique), une richesse floristique associée
(communauté de lichen et richesse spécifique) et une distribution géographique de bétail autour de
flux migratoires pour l’élevage, ou plus largement flux de transport liés au développement
économique.
1.4.2 Hypothèses de travail et organisation méthodologique
Les problématiques sont comme on l’a vu diverses et plurifactorielles. De la climatologie à l’écologie
en passant par les conflits d’usage, de nombreux éléments sont à prendre en considération.
Cependant on traitera ici des questions d’accessibilité et de disponibilité qui sont liées à la
climatologie et à la biogéographie, représentées par un gradient bioclimatique entre les deux zones
d’étude : la toundra arbustive pour Kautokeino et les forêts boréales continentales pour Jokkmokk.
L’hypothèse 1 est représentée par le rôle de la variation du climat zonal qui influe sur la coexistence
ou la compétition avec d’autres végétaux. A l’échelon régional, le type de climat (aridité) et la
végétation associée serait donc les plus importants pour quantifier ou au moins qualifier la
disponibilité en lichen.
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On postule ici (hypothèse 1a), que les pâtures de Jokkmokk ont une disponibilité en Cladonia plus
forte (en biomasse et en diversité spécifique) que Kautokeino où les pineraies sont moins bien
représentées. Un premier travail porterait sur l’aspect zonal et sectoriel de la disponibilité en lichen,
passant par une caractérisation chorologique de ces écotones du nord de la forêt boréale. Cette
organisation zonale, voire sectorielle pourrait être appréhendée par un indice de dureté du climat
arctique, c’est la méthodologie 1a (Cornellissen, Callaghan et al., 2001). Exprimé par l’équation
[(latitude-70+(altitude/100)+, l’indice permettra notamment de mieux différencier les paysages de
toundra arborée des paysages de taïga continentale, et de déterminer les écotones plus propices au
développement des plantes vasculaires défavorisant la disponibilité en lichen (Cornellisen et al.,
2001). Ceci dit la longitude et l’éloignement à la mer ne sont pas suffisamment pris en compte par
cette première méthode, dont l’équation n’inclut que la latitude et l’altitude. Ces caractères nous
autorisent à utiliser les températures de surface des sols via des données de séries temporelles Land
Surface Temperature – MODIS, avec un suivi des courbes saisonnières pluriannuelles de zones
classifiées par k-means. On pourra alors améliorer l’équation après avoir catégorisé les zones selon
leur degré de continentalité.
L’hypothèse 1b concerne la continentalité, on a vu en effet que cet aspect pouvait jouer un
rôle négatif dans la disponibilité en lichen, quantitativement plus présent dans les climats à influence
océanique (Ahti, Oksanen, 1990). Enfin, il semble important de prendre en compte la variable
temporelle, en particulier sous l’angle du réchauffement climatique susceptible de faire remonter en
latitude les plantes vasculaires et donc de diminuer la disponibilité en Cladonia. On postule donc que
les pics phénologiques des forêts boréales septentrionales de nos zones d’étude sont de plus en plus
prononcés avec le réchauffement climatique (hypothèse 1c). Il s’agit donc ici de travailler sur la
tendance au verdissement en Arctique. La réponse méthodologique 1b et 1c proposée utilise
également les Land Surface Temperature mais cette fois ci dans la série chronologique continue :
Raynolds, Comisco et al. (2008) ont notamment croisé le NDVI17 et les températures des sols (LST)
pour observer et prédire la relation entre températures estivales et remontée vers le nord de plantes
vasculaires sous l’effet du réchauffement climatique.
Toujours à l’échelle régionale, on a vu que la tendance au réchauffement pouvait interagir avec les
cyclicités de NAO. Ces deux échelles climatiques globales et continentales sont susceptibles
d’influencer régionalement les cumuls de précipitations neigeuses, les processus de fonte-regel par
redoux et indirectement la réponse phénologique de la végétation. L’hypothèse 2 porte sur la
relation qui pourrait exister entre réchauffement climatique, NAO et les variables climatiques locales
17
Voir note 10 p. 36
Page 49 sur 104
(précipitations, températures de la station d’Abisko). La tendance au réchauffement impliquerait de
renforcer les NAO positives (en valeur d’indice et en fréquence interannuelle), c’est l’hypothèse 2a.
Ce renforcement induirait des températures ou des précipitations supérieures à la normale des
hivers d’Abisko (hypothèse 2b). Ainsi, plus on avance dans le temps plus la tendance au
réchauffement augmente l’occurrence d’anomalie positive de NAO, elle-même renforçant les
températures et précipitations supérieures aux normales saisonnières. En outre, on souhaite mettre
en relation les oscillations climatiques avec les typologies des années qualifiées par les éleveurs
saamis. Les « mauvaises » saisons pastorales correspondraient à des anomalies fortement positives
de NAO (hypothèse 2c). Nous pourrions par la suite choisir plusieurs années « type » validées par les
éleveurs et par les modèles statistiques, en vue d’analyser comparativement des cartographies issues
de la télédétection.
La réponse méthodologique 2a et 2b porterait sur une analyse temporelle des séries chronologiques.
Cela consistera à réaliser des matrices de corrélation de coefficients de Bravais-Pearson (Cohen,
Ronchail et al., 2014) puis de modéliser graphiquement les tendances linéaires et polynomiales afin
de caractériser les relations entre ces variables climatiques tendancielles, cycliques et saisonnières,
par un test d’auto-corrélation pour mesurer et retirer l’influence du temps sur ces variables. La
stratégie consisterait alors à éliminer les tendances et cyclicités historiques que les variables
climatiques dont on cherche à mesure les liens ont en commun (Cohen, Ronchail et al, 2014). En ce
qui concerne la réponse méthodologique 2c, on utilisera notamment les méthodologies 2a et 2b
pour isoler les années « types ». Dans l’étude, on s’appliquera simplement à montrer et décrire les
valeurs de précipitations associées aux dates des années et saisons citées qui seront comparées avec
les moyennes de températures et cumuls.
Il serait intéressant de lier les variables climatiques d’hiver et les dates de débourrage des arbres à
feuilles caduques en Scandinavie. L’éventuelle précocité de levée de dormance des feuillus, traduite
par les réponses phénologiques pourrait être fonction d’une anomalie positive de NAO, c’est
l’hypothèse 2d (Delbart et al., 2005 ; Vicente-Serrano, Herredia-Laclaustra, 2004). Une Analyse en
Composantes Principales, présentant l’avantage de synthétiser beaucoup de données pourrait
également être utilisée pour mieux comprendre cette relation entre climat et phénologie. Si la
correspondance entre cyclicités de NAO, variables climatiques et variable phénologique se confirme,
on pourrait corréler ces données climatiques avec les tendances mensuelles interannuelles de
NDVI18 obtenues pour chaque pixel (ΣNDVI, dont les tendances par pixel sont obtenues par un
coefficient de Spearman). Ces tendances seront donc par la suite confrontées avec les séries
18
Voir note 10 p.36
Page 50 sur 104
bioclimatiques citées (phénologie, NAO+, précipitations, températures) à l’aide d’un coefficient de
Bravais-Pearson (Vicente-Serrano, Herredia-Laclaustra, 2004). Les résidus les plus intéressants,
obtenus entre NDVI et ces variables pourront alors être cartographiées, nous autorisant à identifier
les régions du nord de la Scandinavie où la végétation est moins sensible aux cycles de NAO. Les
courbes temporelles extraites du logiciel nous permettront également d’identifier statistiquement
des années type selon la réponse phénologique des surfaces au climat, éventuellement confrontés
avec les impacts relevés par les éleveurs saamis.
Bokhorst, Tommervik et al. (2012) se sont intéressés aux évènements climatiques extrêmes en
Norvège et en Suède, notamment le processus de thawing-freezing ayant eu lieu en décembre 2007,
perturbation stochastique de très grande ampleur et durée (voir paragraphe 1.2). Ils ont notamment
montré que les valeurs de NDVI global, avaient diminué de 26% pour sa zone d’étude entre le pic
phénologique de l’été 2007 et celui de 2008. Ce sont les landes ouvertes à Empetrum et Vaccinum
qui ont été les plus touchées, avec intrinsèquement des impacts probablement forts également pour
le lichen. En reprenant également les dates évoquées par les éleveurs, et modélisées
climatiquement, on identifierait les surfaces où les canopées de végétation ont particulièrement
souffert des processus de fonte-regel, identifiant des zones où le lichen aurait fortement été impacté
(gel du tapis de lichen, hypothèse 3). Les Saamis pourraient par la suite confirmer les zones
perturbées cartographiées pour valider la méthodologie.
Enfin, aux échelons plus locaux on doit se référer plus spécifiquement aux habitats de Cladonia
rangiferina et prendre en compte les enjeux socio-économiques qui structurent différemment les
régions du Nord-Finnmark (Norvège) et de Nord-Botnie (Suède). Les forêts suédoises sont
particulièrement exploitées pour le bois et l’hypothèse principale (n°4) est que le suivi diachronique
de ces forêts permettra de déterminer la disponibilité potentielle en Cladonia. Les coupes équiennes
des forêts à architecture mono-strates et mono-spécifiques consacrées à la foresterie commerciale
perturbent l’écologie du lichen, limitant son potentiel de disponibilité. La réponse méthodologique
identifiée serait une visualisation des courbes temporelles de NDVI, où les chutes brutales
révèleraient un changement d’occupation des sols. La méthodologie pourrait être associée avec la
photo-interprétation des formes géométriques ou les « trouées » révèleraient un parcellaire forestier
dédié aux coupes à blanc. Cela viendrait accompagner ou valider la méthodologie, par l’utilisation de
zones d’entraînement pour les classifications supervisées ou automatisées.
A Kautokeino, où les forêts sont moins présentes, la forte réponse du lichen dans les fenêtres
spectrales du moyen- et du proche-infrarouge constituerait un indice fiable de sa disponibilité. Cet
indice nous permettrait de le mettre en lien avec d’éventuelles traces de surpâturages, les indices
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faibles étant ceux où la biomasse en lichen est la moins importante, potentiellement les zones, ou les
trajectoires pastorales, les plus fréquemment parcourues et pâturées par les rennes (hypothèse 5).
Pour répondre à cette hypothèse, on mettrait en place le Volume Lichen Indicator développé par
Falldorf, Strand et al. (2014). Après avoir utilisé un masque (via des images Landsat) isolant les landes
et pelouses alpines ou la disponibilité potentielle en Cladonia est la plus forte, ils ont réussi à estimer
solidement les volumes de lichen Cladonia en utilisant conjointement un NDLI (Indice de Lichen par
Différence Normalisée ; B5-B4/B5+B4) et un NDMI (Indice d’Humidité par Différence Normalisée, B4-
B5/B4+B5). L’équation de cet Estimateur de Volume de Lichen, ou LVE est : « LVE (NDLI,
NDMI)=a*exp(-0.5) *((NDLI-moyNDLI/b)²+ (NDMI-moyNDMI/c)²), ou a b et c forment la distribution
normale des paramètres à paramétrer » (Falldorf, Strand et al., 2014).
La figure 14 présente les méthodes employées et leur articulation géographique à l’aide d’une
cartographie mentale. Les détails mentionnés dans le corps du texte ci-dessus sont disponibles en
annexe 8. Ces tableaux reprend plus précisément les objectifs, méthodes, données, produits,
références scientifiques et enfin les résultats attendus qui forment les objectifs à atteindre dans la
continuité du stage de recherche financé par l’ANR BRISK, voire même après septembre. Par manque
de temps pour le mémoire, on ne traitera qu’une petite partie des résultats statistiques, ainsi que le
gradient saisonnier de Températures de Surface des Sols, et enfin une quantification par géomatique
de l’occupation biophysique des sols en vue d’une comparaison biogéographique entre Jokkmokk et
Kautokeino.
Figure 14: Arbre méthodologique simplifié articulé selon des échelles géographiques (Réalisation R. Courault, 2014)
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PARTIE II - Matériel et traitements opérés
2.1 Matériel, prétraitements et méthode
Après avoir exposé les hypothèses de travail et les facteurs traités dans ce mémoire (variabilité
climatique, gradient bioclimatique, occupation biophysique locale des sols), on expose ici le travail
d’acquisition et de prétraitement de données en télédétection, géomatique et statistiques dont les
approches méthodologiques sont expliquées dans les perspectives à court et à moyen-terme, en
partie 4.
2.1.2 Données de qualification des saisons hivernales, issues d’entretiens
Ces données proviennent principalement de deux sources. La première est un échantillon résumé
d’entretiens semi-directifs d’éleveurs Saamis opérés à Kautokeino (Norvège) par Marie Roué, éco-
anthropologue et Adèle Palaminy, doctorante au Muséum. Quelques années voire saisons des
années 1980 jusqu’à aujourd’hui ont été caractérisées par les éleveurs. Cette caractérisation est
qualitative : « bonne », « mauvaise », « exceptionnelle » par exemple. Dans le détail, les années ou
saisons pastorales qualifiées sont en annexe 4. Pour Kautokeino, c’est Samuel Roturier qui a pu nous
indiquer la qualité des années, ou saisons, à l’échelle de la région de Jokkmokk, et quand c’était
possible à l’échelle de toute la Laponie. Pour ces données anthropologiques qualitatives relativement
parcellaires, aucun prétraitement n’a été nécessaire.
2.1.3 Séries temporelles en climatologie
2.1.3.1 Matériel
Deux sources statistiques principales sont utilisées dans ce mémoire : données climatiques et
anomalies de NAO.
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Les données climatiques proviennent des relevés météorologiques de la station de recherche
scientifique d’Abisko19 (Suède), pour la période 1913-2013. Ces séries temporelles sont mensuelles,
comportant les températures en degrés Celsius et les précipitations en millimètres. Pour notre étude,
l’avantage de la station climatique d’Abisko est sa situation entre Jokkmokk (Suède) et Kautokeino
(Norvège), figure 15. A défaut de pouvoir traiter des séries temporelles d’autres stations météo, on
considère ici celle d’Abisko comme synoptique et représentative des latitudes subarctiques. Il faut
cependant nuancer la situation géographique propre aux deux terrains implique des climats locaux
qui ne sont pas identiques : latitudes orientations, altitudes, éloignement à la mer, type de
végétation et d’occupation des sols, etc. On peut donc s’attendre à ce que cette station soit plus
représentative du climat de Kautokeino que celui de Jokkmokk, inférieur en latitude. La deuxième
source de données est fournie par N. Delbart, et concerne les anomalies mensuelles d’Oscillation
Nord-Atlantique20 de 1950 à 2006. Ces données chiffrées sont échelonnées de +1 à -1, calculées sur
la période de référence 1971-2000.
19
URL pour contact (Annika Kristoffersson) :http://www.polar.se/en/node/372 20
Source: NOAA, période de référence : 1971-2000, URL : http://www.cpc.ncep.noaa.gov/products/precip/CWlink/pna/norm.nao.monthly.b5001.current.ascii.table
Figure 15: Situation des deux terrains par rapport à la station climatologique d’Abisko (source : image Google Earth, modifié sous Inkscape, réalisation R. Courault 2014)
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2.1.3.2 Prétraitement et méthode
Les prétraitements opérés sur les séries statistiques ont premièrement porté sur les données
d’Abisko. Probablement pour éviter les points ou les virgules dans des opérations statistiques, la
plupart des variables mensuelles de températures et de précipitations issues des séries brutes
étaient multipliées par 10. Il a fallu diviser les variables par 10 pour retrouver des valeurs normales.
Des moyennes saisonnières ont également été calculées aussi bien pour les variables climatiques
d’Abisko (Températures, Précipitations) qu’à partir des indices mensuels de NAO. Ces moyennes sont
calculées sur le mode des saisons météorologiques traditionnelles : décembre à février, mars à mai,
juin à août, septembre à novembre. Celles-ci ont été calculées sur la période d’étude qui nous
intéresse, notamment 1950-2005. En effet les séries temporelles ne concordaient pas (1913-2013
pour le climat d’Abisko, 1950-2005 pour la NAO), on a ainsi opéré un regroupement des variables
avec les années concordantes en vue des traitements statistiques. Toutes les opérations de
prétraitement ont été accomplies avec Excel. Les analyses statistiques et graphiques sont réalisées
avec le logiciel R (plugin Rcmdr) et XLstats.
Pour les méthodes statistiques employées dans ce mémoire, on a d’abord réalisé un diagramme
ombrothermique et des statistiques descriptives (paramètres centraux, paramètres de dispersion. Le
résumé statistique est disponible en annexe 7. Cette première partie a été réalisée sur le pas de
temps 1980-2010. Par la suite, on a exécuté une matrice de corrélation (Bravais-Pearson) sous R puis
elle a été confirmée par Xlstats. Le pas de temps pris en compte dans l’analyse statistique est ici
1950-2005. Par la suite, on a représenté graphiquement sous R les coefficients les plus significatifs et
qui concernent les hypothèses de départ. Le mode de représentation graphique privilégié est le
nuage de points.
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2.1.4 Données géographiques utilisées
2.1.4.1 Modèles Numériques de Terrain
2.1.4.1.1 Matériel
Trois outils web peuvent être utilisés pour télécharger des Modèles Numériques de Terrain sous
forme de tuiles ASTER : la plate-forme Reverb de la NASA (http://reverb.echo.nasa.gov/reverb), le
Global Data Explorer des Services Géologiques étatsuniens (http://gdex.cr.usgs.gov/gdex/), et enfin
le projet japonais ASTER GDEM (http://gdem.ersdac.jspacesystems.or.jp/). On choisit ici cette
dernière option, car l’accès et le téléchargement des MNT est relativement facile et rapide. Après
création d’un compte en ligne, les dalles ASTER sont sélectionnables par tuiles à l’aide d’une grille,
par polygone, fichiers shapefile ou par coordonnées WGS84. Dans notre cas, on a opéré par
shapefiles créés directement via Qgis à partir de la base de données de S. Roturier pour les territoires
pastoraux de Jokkmokk (Suède), et à partir des coordonnées transmises par M. Roué pour les
territoires pastoraux d’hiver de Kautokeino (Norvège). Le téléchargement des dalles s’opère
immédiatement après la sélection et la confirmation de la liste, récapitulant le code de chaque dalle
MNT ainsi que leur étendue. On obtient alors un dossier *.zip à décompresser contenant les dalles
MNT ASTER en format TIF. Ces données MNT se caractérisent par une résolution de 30 m.
2.1.4.1.2 Prétraitements
Les prétraitements opérés sur les données brutes concernent en particulier la création d’une
mosaïque rassemblant les dalles MNT ASTER dont l’étendue couvre les deux territoires d’hiver
norvégiens et suédois. On garde la résolution spatiale d’origine (30m), mais on a ici re-projeté les
données pour les intégrer par la suite dans la base de données générale. Le but est d’avoir des
données spatiales que se ressemblent au maximum, passant par un système de projection commun :
pour ces recherches on utilise le SWEREF-99, système de projection utilisé par le gouvernement
suédois.
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2.1.4.2 Corine Land Cover
2.1.4.2.1 Matériel
Le Corine Land Cover est un programme européen de classification biophysique des sols. Pour notre
étude comparative entre la Norvège et la Suède, on se base sur le Corine Land Cover européen
d’occupation des sols de 2006. Concernant le téléchargement, une simple recherche par mot-clé
« Corine Land Cover » sur le site web de l’Agence Européenne de l’Environnement permet de trouver
les fichiers en format *.tif, disponibles en WGS84.
2.1.4.2.2 Prétraitements et méthode
Les prétraitements opérés avant de commencer les calculs en géomatique sont principalement la
découpe du fichier raster et sa conversion en fichier shape. Contrairement aux données françaises,
les données Corine Land Cover européennes ne sont pas sélectionnables par entité régionale, ou
même par pays. Le fichier Raster brut concerne donc l’intégralité de l’espace géographique couvert
par le programme européen, soit quasiment toute l’Europe (UE+ autres pays européens, dont la
Norvège). La contrainte principale réside dans la lourdeur de l’affichage de la donnée sous SIG, et
dans la longueur des calculs géomatiques (notamment la conversion du fichier brut d’étendue
européenne en vecteur…). Un redécoupage a donc été fait sous Qgis/Grass, sélectionnant
uniquement le nord de la Scandinavie. Le fichier exporté a été re-projeté, toujours en vue de
l’intégrer à une base de données commune. Enfin, le Corine Land Cover européen n’est pas
disponible en téléchargement en format vectoriel (shapefile). On a donc reconverti le fichier
découpé, pour limiter les temps de calculs, et on a effectué une re-projection de la donnée shape
nouvellement créée.
La méthode opérée est assez simple : on a tout d’abord tracé une zone-tampon de 20km de rayon
autour de Jokkmokk et de Kautokeino. Le cercle obtenu a été intersecté avec la couche shape
générée en prétraitement. Une requête attributaire nous a permis de rassembler les catégories de la
typologie d’occupation biophysique des sols entre elles. La création d’une nouvelle colonne
attributaire a calculé la superficie de chaque polygone en m². Les totaux de superficie ont ensuite été
divisés par la superficie totale et multipliées par 100 pour obtenir le pourcentage d’occupation de
chacune des catégories biophysiques présente dans un rayon de 20 km autour du village d’hiver.
L’habillage cartographique est réalisé avec Inkscape.
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2.1.4.3 Données de télédétection : images satellites MODIS et LANDSAT
2.1.4.3.1 L’imagerie MODIS
2.1.4.3.1.1 Matériel
Les serveurs web utilisés pour télécharger les images satellites de MODIS sont assez variés :
EarthExplorer, Glovis, ainsi que le site Maryland University mettent gratuitement, à disposition du
grand public, de nombreuses images MODIS. EarthExplorer et Glovis sont des plates-formes Web où
l’on peut télécharger des images satellites issues de différents capteurs. Du point de vue des
opérations à effectuer sur Glovis ou EarthExplorer, il faut créer un compte, puis sélectionner les
critères de recherche : principalement le type de données MODIS que l’on souhaite acquérir (« Data
sets ») et les mois et années qui nous intéressent. Pour le téléchargement plusieurs possibilités sont
offertes, on peut les télécharger une par une directement dans les résultats affichés s’il s’agit de
données quantitativement peu nombreuses, ou mettre les séries chronologiques dans le panier
(« Cart »). On reçoit juste après la sélection un mail confirmant la commande par l’USGS et quelques
jours plus tard un mail d’autorisation avec les liens web pour télécharger les données lien par lien.
Une procédure plus simple et plus automatique, appelée « Bulk download », ou « téléchargement en
masse » télécharge toutes les images commandées d’un seul tenant après la réception du mail
d’autorisation. Il s’agit d’une petite application installée sur le disque dur de l’ordinateur qui
récapitule et télécharge toutes les commandes sur le dossier de disque dur de son choix via même
compte personnel USGS. Elle est plus avantageuse quand on a besoin d’un grand nombre de
données, que ça soit en termes de nature d’image, de série chronologique ou de grande extension
spatiale.
Pour l’acquisition en images MODIS NDVI, le plus difficile a été le choix des données de NDVI qui
s’opère sur plusieurs critères. Le premier a été la sélection des données, car le satellite MODIS-Terra,
du fait de sa haute-répétitivité temporelle, permet de traiter des NDVI moyenné sur 15 jours ou un
mois. De même, plusieurs résolutions spatiales sont disponibles, la taille des pixels varie de 250 à 1
km (voir annexe 5 de métadonnées en images satellites). Plusieurs types d’images MODIS ont donc
été téléchargés, sur le pas de temps 2002-2013 (voir annexe 5). Pour l’emprise des dalles MODIS, il a
fallu les faire correspondre avec les terrains d’étude qui nous intéressent. Les pâturages d’hiver au
nord et à l’est de Kautokeino étant situés au croisement de quatre dalles MODIS, on a dans un
premier temps sélectionné quatre dalles couvrant l’intégralité de la Scandinavie et l’extrême nord-
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ouest de la Russie. Une mosaïque et un découpage accompagné d’une re-projection seront effectués
plus tard, au besoin.
Les données de températures de surface des sols, ou Land Surface Temperature (MODIS 13C3) n’ont
pas eu besoin d’être téléchargées. Elles étaient disponibles avec la version d’essai du logiciel de
télédétection Idrisi Selva, pour les années 2001-2010. Leur résolution spatiale est de 5 km. Les unités
de température sont en degrés Kelvin.
2.1.4.3.1.2 Prétraitements et méthode
Les prétraitements et la gestion de la base de données en télédétection sont repris dans la figure 16,
prenant les images MODIS pour exemple. Ces prétraitements son nombreux et dépendent de la
nature de l’image satellite et de l’échelon géographique considéré. L’objectif à long-terme étant de
croiser les méthodologies à l’échelon de la Scandinavie (régional), il est nécessaire, voire
indispensable de garder les mêmes emprises spatiales, c'est-à-dire le même nombre de lignes et
colonnes.
Par la suite, on re-projette les images dans le même système de coordonnées. Dans le cas de notre
étude, on demande au logiciel (Idrisi ou Qgis/Grass) de convertir le système de projection sinusoïdal
du satellite Terra vers la projection SWEREF_99, qui correspond particulièrement à ces latitudes. Une
Figure 16: Schématisation des étapes de prétraitement pour les images MODIS (Réalisation : R.Courault 2014 )
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deuxième option est de retransformer les images en WGS 84, communément utilisé et facile à
convertir. Cette étape de re-projection est également valable pour les images LANDSAT, ou les
Modèles Numériques de Terrain, elle fait suite à l’étape de fenêtrage, ou Windowing, qui consiste à
découper une image selon les zones qui présentent de l’intérêt. Cette étape a été réalisée en
particulier pour les Land Surface Temperature qui seront exploitées en résultat pour caractériser
saisonnièrement les températures du nord de la Scandinavie. Le découpage était nécessaire car au
départ les images étaient étendues sur toute la zone arctique.
Du point de vue méthodologique, les éléments de la série temporelle 2001-2010 de Land Surface
Temperature ont d’abord été rassemblés en fonction des saisons météorologiques : été (jour n°152 +
90 jours soit juin-juillet-août), automne (à partir du jour n°244), hiver (départ jour n°335), printemps
(du jour n°60 au jour n°121). A partir des regroupements d’image (fonction rastergroup sous Idrisi),
on procède à l’élaboration d’un masque pour retirer l’océan (avec la fonction reclass). Une
classification non-supervisée par k-moyennes est alors réalisée, discriminant 5 classes (voir figure
17). On créé les profils temporels saisonniers, puis on les représente graphiquement (fonction
Profile). Les courbes résultantes sont en partie 3. Elles correspondent aux 30 mois pris en compte par
saison (2001-2010) en abscisse, et aux degrés Kelvin en ordonnées. Ici on décide de prendre les
températures minimales et maximales absolues à l’échelle des 30 mois : le but de cette
méthodologie est de prendre en compte les domaines de variation de températures de sol pour
Figure 17: Chaîne de traitement des séries temporelles de Land Surface Temperature (Réalisé avec Idrisi ModelBuilder, modifié sous Inkscape R. Courault, 2014)
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chaque classe, dont on peut voir les cartographies en résultats. De plus les données de températures
n’étaient pas exportables, même si une moyenne à l’échelle des 30 mois aurait pu être intéressante.
Après la conversion des minimum et maximum de °K aux °C, on peut interpréter les résultats
cartographiques plus aisément, permettant d’habiller les cartographies et de les légender
correctement.
2.1.4.3.2 Images LANDSAT : acquisition et prétraitements
En ce qui concerne les images LANDSAT, les procédures d’acquisition sont sensiblement les mêmes
que celles de MODIS.
Les prétraitements spécifiques sont liés aux corrections atmosphériques. Contrairement aux images
MODIS NDVI qui sont déjà calibrées en réflectances et donc « prêtes à l’emploi », les bandes
LANDSAT sont échelonnées en comptes numériques (de 1 à 255 pour les capteurs MSS et TM, en 8-
bits jusqu’à 16 bits pour L8 OLI, soit à peu près 55 000 niveaux de gris, source : Landsat 7
Handbook21).
Si les comptes numériques ont leur utilité pour interpréter des compositions colorées ou faire des
classifications supervisées à partir de zones d’entrainement, on doit calibrer les images, c'est-à-dire
les transformer en radiances (unité= W/m²/stéradian) puis en réflectances (une proportion sans
unité de lumière incidente). Le but est de rendre l’analyse radiométrique valide du point de vue de la
physique optique. Notons que cette validité est théorique, car on ne fait que convertir les comptes
numériques en réflectances top-of-atmosphere (surface de l’atmosphère) excluant donc les
corrections atmosphériques pour obtenir les réflectances top-of-canopy (surface au sol) ou
réflectances au niveau du sol. Dans ce mémoire nous n’avons pu réaliser les corrections
atmosphériques premièrement par manque de temps, deuxièmement parce que les celles-ci sont
complexes, en particulier pour les latitudes subarctiques où les nuages sont fortement présents, et
l’épaisseur de l’atmosphère plutôt fine, comme on peut le voir dans la figure 18. Ceci explique
également le choix des images satellites LANDSAT selon la saison et la latitude considérée (moins
d’images pour Kautokeino par exemple, voir annexe 5).
21
http://landsathandbook.gsfc.nasa.gov/
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Figure 18: Exemple d'une image d'hiver influant sur la qualité de l'image Landsat (Réalisation: R. Courault, 2014)
Pour la calibration au sommet de l’atmosphère, deux alternatives logicielles sont proposées,
sollicitant les mêmes éléments présents en métadonnées brutes, fournies par l’USGS lors du
téléchargement. Dans le cadre du module ‘’Landsat Calibration’’ proposé par ENVI, il faut connaître
le type de capteur lors de la prise de vue, déterminant entre autres le nombre de bits (nuances de
gris par pixel), puis indiquer la date d’acquisition de la sous-scène (saison astronomique), et enfin
l’angle solaire ou sun elevation (heure de la prise de vue). Ces deux paramètres déterminent
effectivement la lumière incidente réfléchie par l’atmosphère et captée par le satellite (N. Delbart,
communication personnelle).
Le module i.landsat.toar, disponible sous GRASS, est toutefois plus simple à utiliser puisqu’il suffit d’y
intégrer l’image satellite brute et le fichier de métadonnées associé dans le dossier téléchargé.
(source : http://grass.osgeo.org/grass64/manuals/i.landsat.toar.html). Ce fichier de métadonnées
peut être intégré dans le module en format natif (*.met) ou converti en *.txt. Il reste cependant
essentiel de connaître, au minimum, la date d’acquisition des sous-scènes en vue d’un suivi dia- ou
synchronique de l’occupation des sols.
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PARTIE III - Résultats et discussion préliminaires
Ce mémoire de recherche a permis de collecter un grand nombre d’informations et de données. Ici
on se concentre sur quelques résultats préliminaires qui permettront de caractériser les zones
d’études à différentes échelles d’espace et de temps : une cinquantaine d’années pour la partie
climatique, dix ans pour les courbes et les cartographies régionales de températures de surface des
sols, et enfin « l’instant T » pour la comparaison locale entre Kautokeino et Jokkmokk.
3.1 Dynamiques climatiques mesurées et perçues
On commence par répondre aux premiers enjeux forts qui portaient sur les liens possibles entre
tendance structurante du réchauffement climatique, cycles climatiques et saisonnalités pastorales.
On commencera par décrire quelques généralités sur le climat d’Abisko pour ensuite interpréter les
différents tableaux et figures des liens statistiques qui existent entre les différentes variables.
3.1.1 Présentation du diagramme ombrothermique d’Abisko, environnement surtout
marqué par sa variabilité inter-saisonnière
La figure 19 reprend les caractères climatiques généraux sous forme d’un diagramme
ombrothermque. Celui-ci a été calculé sur le pas de temps 1980-2010. On l’a ici construit en P=1T
puisque graphiquement P=2T donne pour Abisko une figure particulièrement ramassée, et
traditionnellement P=2T correspond plutôt à discriminer et caractériser la sécheresse estivale des
climats méditerranéens. Le climat d’Abisko présente également une sécheresse chronique mais celle-
ci est annuelle : parfois les précipitations annuelles sont inférieures à 250 mm. Elle dépasse alors
parfois le seuil d’aridité admis généralement. A l’échelle des 30 dernières années (1980-2010) les
cumuls moyens affichent 335,5 mm, tandis que la température moyenne annuelle est de -0,1°C. Si
l’on reprend les critères de la classification bioclimatique de Köppen, on se rend compte qu’Abisko
est proche de la limite polaire avec le mois de juillet dont la température la plus chaude est 11.7°C.
L’été est particulièrement bref et frais avec juillet et août supérieurs à 10°C. Les saisons thermiques
se caractérisent par un hiver durable où la température moyenne mensuelle est en dessous de 0° C
pendant six mois, avec comme mois le plus froid février (-10.3°C). Son régime de précipitations est
marqué par un maximum estival (59,5 mm en juillet) qui correspond au climat continental froid
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auquel il est habituellement rattaché, même si un maximum secondaire est observé en hiver. Ce
maximum secondaire est peut-être rattaché aux perturbations atlantiques, probablement sous
l’influence de l’Oscillation nord-atlantique. Au final la courbe des températures relativement
symétrique et les maximas de précipitations d’été et d’hiver dénotent d’influences continentales et
océaniques, peut-être liées à la situation géographique de la station.
Du point de vue de la dispersion des variables climatiques (1980-2010), les moyennes des
températures hivernales sont marquées par un écart-type de 2,5°C, comparativement plus fort que
les autres moyennes saisonnières (entre 1 et 1,2°C pour les autres saisons). Ce chiffre tendrait à
confirmer les forts processus de redoux observés en hiver par les Saamis. L’écart-type devrait
toutefois être confronté avec les moyennes mensuelles pour identifier les mois d’hiver les plus
dispersés statistiquement. Toujours pour l’hiver, l’écart-type des moyennes de précipitations est
également important, même si il est moindre comparativement à l’écart-type des précipitations
estivales (12,7 mm pour l’hiver, 15,7 pour l’été). Ici les moyennes mensuelles et moyennes
saisonnières annuelles peuvent être interprétées avec ces écarts-types afin de mieux identifier et
comparer les saisons pluviales au regard de la disponibilité fourragère pour les rennes entre l’été et
l’hiver.
Figure 19: Diagramme ombrothermique de la station climatique d'Abisko (1980-2010), source : Station Climatique d’Abisko (Réalisation R. Courault)
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3.1.2 Caractérisation sur le temps long : tendance et cycle
Après avoir souligné les variabilités saisonnières importantes pour 1980-2010, on va maintenant
analyser la série climatique longue de 100 ans (1913-2010). Les séries temporelles de températures
présentées en figure 20 présentent des écarts de températures moyennes annuelles comprises
entre -3°C et +1,5°C. Ces extrêmes s’articulent autour de la courbe polynomiale figurée en vert, qui
indique une cyclicité certaine représentée par deux voire trois séquences distinctes : une élévation
dans les années 40 avant une redescente de la courbe dans les années 70, de même amplitude (à
peu près 1°C). Cette cyclicité est équitablement répartie dans le temps : le premier cycle devient
positif dans les années 20 avant de redevenir négatif au milieu des années 50, jusqu’à la fin des
années 80. La troisième séquence, moins longue, ne peut être caractérisée trop franchement car elle
ne semble pas « terminée ».
Les variabilités interannuelles particulièrement accusées et rapprochées s’opposent à quelques
années consécutives plus stables. Les premières sont plus nombreuses que les années
successivement stables. Par exemple l’écart absolu est compris entre +1°C et-3°C dans les années 50
s’oppose à la stabilité et aux hautes températures autour de 2004. Le plus important concerne ici la
pente relativement forte qui caractérise la tendance linéaire comme la courbe polynomiale. Ces deux
modélisations dégagent un réchauffement de +1°C, en moyenne entre 1913 et 2013. Le coefficient
Figure 20: Températures moyennes pour la station climatique d'Abisko: tendance linéaire, courbe polynomiale (rang 6) et coefficient de corrélation associé, source : Station Climatique d’Abisko (R.Courault, 2014)
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de corrélation (R²) calculé à partir de la courbe polynomiale est faible (+0.238) mais dénote tout de
même d’un réchauffement, qu’on pourrait relativiser par la grande variabilité des données annuelles
particulièrement détachées de ces modèles statistiques. Ces forts écarts interannuels de
températures moyennes, s’ils restent structurés par les séquences de la courbe polynomiale, sont
peut-être rattachés à des cyclicités qui agissent à des échelles de temps plus réduites et ne
transparaissent pas clairement dans cette figure. La question du réchauffement climatique, si elle
n’est pas probante avec un coefficient de corrélation relativement faible, reste tout de même
observable sur cette série temporelle longue de 100 ans.
3.1.3 Indice d’Oscillation Nord Atlantique, climat mesuré et années « type » des éleveurs :
résultats préliminaires significatifs ?
Comme on l’a vu précédemment, le climat d’Abisko est à l’interface de trois principales zones
climatiques : arctique, océanique et continentale. Cependant à l’échelle du continent européen les
influences climatiques de l’océan Atlantique paraissent importantes dans le nord de la Scandinavie.
Nous allons maintenant présenter la matrice de corrélation qui fait le lien entre les variables
climatiques saisonnières de la station synoptique et les indices de NAO qui quantifient les
différentiels de champs de pression à l’œuvre dans l’est de l’océan Atlantique.
Figure 21: Matrice de corrélation de Bravais Pearson entre différentes variables climatiques saisonnières et anuelles d’Abisko et les variables saisonnières et annuelles de NAO, sources : Station Climatique d’Abisko ; N. Delbart, NOAA pour les statistiques de NAO (R. Courault , 2014)
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La figure 21 rend compte des coefficients de corrélation entre différentes variables climatiques
d’Abisko et également avec les Oscillations nord-atlantique saisonnières ou annuelles. Ce qu’on
remarque à première vue ce sont les valeurs en gras, qui déterminent le degré de significativité de la
relation linéaire entre deux variables. Elles sont particulièrement nombreuses pour les températures
moyennes annuelles, les températures d’hiver ou les précipitations annuelles. La NAO d’automne est
également corrélée significativement avec au moins 8 variables. Ainsi les coefficients qui nous
intéressent sont principalement situés à droite du tableau, représentant les valeurs de NAO
saisonnières ou annuelles. On remarque que la NAO d’hiver est significativement liée à la NAO
annuelle, ce qui semble normal car c’est la NAO d’hiver qui a le plus d’influence à l’échelle de l’année
(cf partie 1). Les autres variables avec laquelle la NAO hivernale est corrélée sont les températures
moyennes annuelles et les températures hivernales (+0.483 pour les températures annuelles, et
+0.493 pour les températures hivernales). Ces coefficients de corrélation, même si ils sont en
légèrement en dessous de +0.5 restent robustes dans la mesure où le risque alpha implique une
grande significativité des coefficients de corrélation en gras dans le tableau. Cela tendrait ainsi à
confirmer l’hypothèse d’un temps plus doux lorsque la NAO se manifeste car la corrélation est
positive et l’anomalie positive de NAO domine en hiver. A contrario, le faible coefficient entre NAO
hivernal et les moyennes de précipitation d’hiver ne semble pas confirmer l’hypothèse émise sur
l’augmentation des précipitations. Une analyse portant sur les cumuls saisonniers aurait sans aucun
doute mieux montré la relation visible ici avec les températures moyennes d’hiver. On est au moins
en mesure, avec ce premier résultat, de confirmer l’influence de l’oscillation nord-atlantique
hivernale sur les températures moyennes d’hiver de la station d’Abisko.
Cependant les relations linéaires doivent être tracées dans un cadran pour mieux observer et
interpréter ces coefficients de corrélation. La figure 22 reprend la relation assez forte (R² = + 0.493)
qui existe entre les températures moyennes des hivers à Kautokeino et les indices de NAO d’hiver.
On peut donc rattacher les différentes années à leur température moyenne et voir comment elles se
situent par rapport à l’anomalie positive (droite de l’abscisse) ou négative de NAO (gauche de
l’abscisse). Le cadran est complété par la tendance moyenne (droite de régression verte), une courbe
polynomiale non lissée (en rouge) et les écarts non pris en compte par la marge d’erreur, ou degré
d’incertitude (pointillés). Pour la figure 22, on observe dans un premier temps qu’il y a légèrement
plus d’hivers du côté de la NAO positive que d’hivers où la NAO est plutôt négative. Ce constat est
renforcé par la boîte à moustache sous l’abscisse de NAO, qui donne une indication quant à la
distribution de ces années le long de cet axe. On y voit que la médiane (centre de la boîte à
moustache) est située légèrement après le 0. De plus la tendance (en vert) suggère des hivers qui
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sont plus situés dans le quart supérieur droit du cadran, ce qui se traduit en chiffres par des NAO plus
fréquemment positives, apportant des températures d’hiver moins froides qu’à l’accoutumée pour
Abisko. Ainsi plus on avance dans le temps plus les températures moyennes hivernales sont
influencées par une NAO positive. C’est notamment le cas pour les années postérieures à 2000 dont
la tendance sous-estime les températures douces, mais elles ces années sont marquées par une
anomalie moindre de NAO, étant plus proches de 0. La tendance autour d’un nuage de point groupé
et orienté vers des hivers plus doux que la normale et des valeurs de NAO positives nous confirment
un fait déjà établi: les hivers européens sont traditionnellement plus soumis à une NAO hivernale
positive, représentant 30% des types de circulation atmosphérique (Calas, 2013). Cependant, si la
tendance mérite d’être confirmée plus solidement, il semble tout de même que le réchauffement
climatique exerce une influence sur l’occurrence de NAO positive et de températures plus douces à
Abisko. Cela tendrait à confirmer la relation entre NAO et réchauffement climatique, même si ces
conclusions ne sont pas définitives et doivent être largement précisées.
Figure 22: Nuage de points entre températures hivernales et indices de NAO (1950-2005), sources : Station Climatique d’Abisko ; N. Delbart, NOAA (réalisation R. Courault)
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Le cas des années 2000 est justement traité dans les entretiens des éleveurs Saamis de Norvège : ils
affirment en effet que les années après 2000 ont été « bonnes, voire très bonnes » du point de vue
pastoral, en particulier pour l’accessibilité de la neige (voir annexe 4). Légèrement au dessus de la
tendance, ces années sont en général en dessous des +0.5 d’anomalie de NAO. La seule exception est
l’an 2000 ou la NAO hivernale est légèrement supérieure à +0,5. Le printemps a notamment été
remarqué comme très neigeux par les éleveurs de Kautokeino, en particulier le mois d’avril. A Abisko,
les précipitations atteignent 32 mm en mai 2000, soit deux fois plus que la moyenne pour ce mois
pendant la période 1913-2013 (16mm). Pour d’autres saisons et années, la décennie 1990 semble
avoir été particulièrement mauvaise par les éleveurs saamis, en particulier entre 1997 et 1999.
L’hiver et le printemps de 1997 ont particulièrement marqué les Saamis qui considèrent cette année
comme très mauvaise. 1997-1998-1999 sont notamment trois années consécutives où les
précipitations annuelles sont supérieures à 360 mm, alors que les cumuls moyens annuels pour la
période 1913-2013 sont de 307 mm. Enfin, la première moitié de l’année 1997 reste particulièrement
inscrite dans la mémoire des éleveurs, ils évoquent des conditions extrêmement difficiles de janvier
jusqu’au printemps avec beaucoup de neige dans l’intérieur du Finnmark norvégien. Au niveau
statistique, janvier 1997 est le mois où les cumuls de précipitations enregistrés à Abisko sont les plus
importants à l’échelle des 100 ans de données disponibles. L’extrait d’entretien pose par ailleurs la
question de la vulnérabilité des populations face à un aléa aussi fort. L’entretien évoque
notamment : « de la neige trop dure, mais comme ils viennent d’avoir une dizaine d’années bonnes,
ils ont perdu l’habitude ».
En conclusion, le réchauffement climatique semble influer conjointement sur la série temporelle des
températures moyennes annuelles d’Abisko mais également sur l’occurrence des NAO hivernales
positives. Celles-ci se traduisent par des températures plus douces, ce qui est corroboré par la
tendance et l’orientation du nuage de points. Enfin les témoignages saamis exposés coïncident avec
des chiffres climatiques qui peuvent être impressionnants comme par exemple l’année 1997. Ceci dit
ces résultats statistiques doivent être précisés, tant dans la modélisation et son interprétation que du
point de vue de la validation des années évoquées par les éleveurs. Pour ce qui est du choix de
données de télédétection, le début des années 2000 parait tout de même intéressant, car celles-ci
présentent des caractéristiques stables du point de vue de la NAO hivernale et du point de vue de
l’élevage Saami. A l’opposé, l’hiver et le printemps 1997 ayant présentés des cumuls impressionnants
pourraient être prises comme exemple de « mauvaise année » en vue de produire une cartographie
de disponibilité minimale en lichen. Le choix pourrait s’opérer sur l’été 1998 pour saisir au mieux la
réponse phénologique après un tel évènement.
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3.2 Courbes et cartographies saisonnières des températures de sol en
Scandinavie entre 2001-2010 : préciser le gradient bioclimatique
On souhaite montrer ici les dynamiques de température des sols selon les saisons météorologiques.
Les variabilités temporelles et spatiales sont à prendre en compte pour mieux comprendre la
disponibilité en lichen Cladonia. Ainsi on décrira dans un premier temps les courbes de variation de
température des sols en fonction de la saison et des zones prédéfinies par la classification par k-
moyenne des données de températures de sols en 5 classes. L’intérêt est de saisir et comparer les
changements temporels de régime d’occupation des sols avec la composante spatiale zonale,
longitudinale et sectorielle notamment, importante pour les écotones de transition dont la
disponibilité en lichen peut être perturbée par l’établissement de plantes vasculaires.
Les figures 23 a, 23b, 24a et 24b présentent les données « brutes » telles qu’on les a obtenues avant
de les cartographier. L’abscisse représente les trois mois de chaque saison pour chacune des années
2001 à 2010, correspondant au total à 30 valeurs de températures de sol par classe. Les classes sont
représentées par les courbes de couleur, délimitées par un procédé statistique appelé k-moyenne,
qui opère par regroupement de pixels réagissant à la même fenêtre radiométrique, pour notre cas
les rayons infrarouge terrestres (chaleur massique). En ordonnées nous avons les températures des
sols, exprimés en degrés Kelvin. A titre indicatif, 260 ° K correspond à une température de -13°C. Une
Figure 23a et b : Courbes temporelles des classes de températures de surface des sols entre 2001 et 2010 ; Figure 23a (gauche) saison automnale, figure 23b (droite): saison hivernale, sources : MODIS 11C3, logiciel Idrisi Selva (Réalisation R. Courault, 2014)
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chose est frappante quand on compare les courbes, c’est la très nette ressemblance entre les saisons
automnales et printanières (figures 23a et 24a), par opposition aux courbes des saisons d’hiver et
d’été (23b et 24b). Ces différences graphiques dévoilent notamment des températures stables entre
l’hiver et l’été, en particulier pour l’hiver où les courbes « se suivent » bien, tandis que les courbes
printanières et automnales, très serrées montrent des pics à amplitude forte (en particulier pour
l’automne), discriminant ainsi plus facilement des classes (ou sample) plus régulières au cours de la
saison par rapport à d’autres classes (ou courbe) plus sensibles. Le comportement de la classe
numéro 3, représenté en jaune sur les graphiques (figures 23 et 24) se différencie nettement du
comportement du sample 4 (en bleu), à amplitude très faible. La distance à la mer qui tempère les
écarts thermiques pourrait éventuellement être invoquée. La classe 3 pourrait éventuellement être
la plus continentale, à l’opposé la 4 est océanique. L’interprétation des températures via la prise en
compte des maximums d’amplitude par saison pour chaque classe nous permettra de voir si ces
zones échantillon correspondent à Jokkmokk ou Kautokeino, et ce que cela implique éventuellement
pour la disponibilité en lichen.
La figure 25 présente les amplitudes maximales relevées pour chacune des classes pour toutes les
saisons, nous permettant ainsi de délimiter des zones très contraignantes en termes de froid, et de
situer du point de vue bioclimatique Jokkmokk et Kautokeino. Birot (1967) fixe comme contrainte
limite à la reproduction du Pinus sylvestris au moins +13°C pour les deux mois chauds d’été. Par
élimination, les classes dont le maximum n’excède pas 15 degrés pourraient ne pas être dominées
par des forêts de pins.
Figure 24a et b : Courbes temporelles des classes de températures de surface des sols entre 2001 et 2010 ; Figure 24a (gauche) saison printanière, figure 24b (droite): saison estivale, sources : MODIS 11C3, logiciel Idrisi Selva (Réalisation R. Courault, 2014)
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L’examen de la figure 25 récapitule les amplitudes mini et maxi des températures absolues
rencontrées qui délimitent les classes pour chaque saison. Les signes (++) et (--) signifient que leur
amplitude saisonnière interclasses est maximale (courbes jaunes, fig. 23 et 24) ou minimale (courbes
bleues, figure 23-24). L’interprétation des courbes s’est également faite à partir des cartes réalisées,
nous aidant à catégoriser en comparant visuellement la distribution spatiale et temporelle
interclasse : par exemple la classe 3 décrite tout à l’heure est représentée par la catégorie « Arctique
continental ». Pour l’été, où les cônes du Pinus sylvestris L. se développent avant la dispersion
automnale (après 3 ans de développement des cônes), on voit que les classes « Montagneux » et
« Océanique » ne sont pas susceptibles de favoriser la croissance des cônes du fait de températures
maximales n’excédant pas les 14 °C. On va par la suite voir à quelles zones correspondent Kautokeino
et Jokkmokk pour l’été.
Les figures 26 à 29 sont les cartographies réalisées avec les 5 classes de températures minimales et
maximales absolues des surfaces de sol. La figure 26 montre la saison printanière, la 27 l’été, jusqu’à
la figure 29 qui représente l’hiver. A l’échelle régionale, les saisons intermédiaires sont celles qui
représentent le mieux l’effet de la latitude, avec des nuances pour les littoraux, les grands lacs et la
région montagneuse des Alpes scandinaves. Pour l’été et l’hiver, la péninsule scandinave semble être
une région de transition entre les influences de l’Atlantique, et celles de l’est du continent européen
(figures 27 et 29). Les couleurs utilisées pour l’habillage ne suivent effectivement pas le gradient
latitudinal qu’on pensait mettre en exergue, en particulier pour l’été en ce qui concerne l’influence
Figure 25 : Légende et catégorisations bioclimatiques des cartes après interprétation des courbes de températures des sols, sources : MODIS 11C3, Idrisi Selva (Réalisation R. Courault, 2014)
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continentale, et en hiver pour les affinités océaniques des littoraux norvégiens. La chaîne alpine
scandinave est structurante pour les températures, sauf pour l’hiver où elle est incorporée dans la
zone « arctique continentale ». Au printemps, la période végétative est susceptible de démarrer plus
tôt à Jokkmokk où les températures maximales peuvent atteindre voire légèrement dépasser 10°C.
La zone incluant Kautokeino au printemps présente une température maximale absolue de +5.9°C,
soit 4°C sous la température nécessaire au développement végétatif des plantes vasculaires. Cette
zone (en vert foncé sur la figure 26) montre l’effet structurant des Alpes scandinaves ressurgissant
également à l’automne. Cette structure géophysique altitudinale est donc sensible aux variations très
fortes de températures qui caractérisent les saisons intermédiaires (cf figures 23a et 24a).
L’amplitude de la variabilité est en revanche intermédiaire et comparable entre les deux sites aux
quatre saisons. Au final Jokkmokk et Kautokeino se ressemblent sur le plan thermique, hormis au
printemps et à l’automne. La péninsule scandinave, en particulier les piémonts orientaux des
montagnes semblent ainsi présenter une unité bioclimatique relativement homogène. Pour la
disponibilité des lichens, on est tenté d’approfondir les recherches sur la saison printanière pour
mieux caractériser la présence des plantes vasculaires entre ces deux régions. Un « zoom »
cartographique entre Jokkmokk et Kautokeino, et une caractérisation plus fine des statistiques de
températures viendraient nourrir la réflexion et nous aideraient à mieux cartographier les habitats
potentiels où les plantes vasculaires sont susceptibles d’entrer en compétition avec Cladonia
rangiferina L. et les communautés floristiques auxquelles le lichen est associé.
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.
Figure 26: Cartographie des températures des sols au printemps ; source : MODIS 13C1 2001-2010 (réalisation R. Courault, 2014)
Figure 27 : Cartographie des températures des sols en été, MODIS 13C1, 2001-2010 (Réalisation R. Courault, 2014)
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Figure 28: Cartographie des températures des sols en automne, MODIS 13C1, 2001-2010 (Réalisation R. Courault, 2014)
Figure 29 : Cartographie des températures des sols en hiver, MODIS 13C1, 2001-2010 (Réalisation R. Courault, 2014)
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3.3 Occupation biophysique des sols : préciser localement les habitats
potentiels du lichen
Après avoir caractérisé les réponses saisonnières des températures de sol en Scandinavie, on a
cartographié plus précisément les configurations locales des deux villages, dans les figures 30 et 31.
Utilisant le Corine Land Cover 2006, on a pu mesurer les surfaces d’occupation biophysique des sols
dans un rayon de 20 km autour de Kautokeino (figure 30) et de Jokkmokk (figure 31).
Comparativement, deux structures paysagères sont différenciables : Kautokeino comporte dans sa
zone plus de 20 % de tourbières, et les cours d’eau qui traversent la zone forment un méandre
coupant presque la cartographie en deux. La végétation clairsemée, représentant près de 14%
représente avec les forêts de feuillus (50.4%) les deux types de végétation les plus présents. Les
pâturages qui comportent le plus de Cladonia se situeraient dans le fond de vallée associés aux forêts
de feuillus (Bouchet, 2011).
Figure 30: Carte de l'occupation biophysique des sols et superficies à Kautokeino (source: CLC06, réalisation R.Courault, 2014)
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Le paysage de Jokkmokk est foncièrement différent, avec en particulier l’orientation nord-ouest sud-
est des pentes qui transparaît clairement et contraint le réseau hydrographique, plus développé qu’à
Kautokeino. Les forêts de feuillus sont quasiment absentes du paysage de Jokkmokk, où 58% de la
zone est couverte de forêts de conifères. Les typologies Corine Land Cover ne précisent pas le degré
de maturité et c’est plutôt la catégorie « forêts en mutations » qui est intéressante pour situer les
forêts industrielles. L’occupation anthropique du sol confirme la présence de forêts commerciales:
une zone industrielle est située près de la ville, et après vérification (Google Earth) il s’agit d’une
scierie, renvoyant aux problématiques humaines évoquées au départ.
Ceci dit les cartographies doivent être complétées avec d’autres descripteurs écologiques pour
caractériser plus finement les structures paysagères et les habitats potentiellement riches en
Cladonia rangiferina L. On peut évoquer en premier lieu les altitudes, l’orientation des pentes, les
rugosités et la pédologie, car ces paysages sont intimement liés aux processus géomorphologiques
périglaciaires. De plus, l’utilisation des cartographies de changements d’occupation des sols, opérés
Figure 31: Carte de l’occupation biophysique des sols à Jokkmokk (source : CLC06, réalisation R. Courault, 2014)
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par le programme Corine Land Cover entre 1990-2000-2006 pourraient nous permettre d’identifier
les zones de forêt plus intensément soumises à une gestion commerciale, nous autorisant par
déduction à voir les « zones-cœur » les plus mâtures et susceptibles de constituer des habitats pour
des communautés en lichen quantitativement et qualitativement plus riches.
En conclusion de cette partie résultat, des précisions importantes ont pu être apportées avec les
apports en climatologie, télédétection et géomatique : le premier est représenté d’abord par la mise
en relation entre NAO positive et températures moyennes d’hiver pour la station climatique
d’Abisko. La corrélation entre les deux est significative, et était déjà suggérée par Calas (2013) à
l’échelle européenne et Tyler, Turi et al. (2007) pour le nord de l’Europe. Ceci dit il faut encore affiner
les variables, notamment en matière de précipitations qui ne ressortent pas dans l’analyse statistique
de matrice de corrélation. On a également été capable de mieux qualifier cette relation
graphiquement représentée par le cadran, qui a montré un nuage de point relativement organisé par
les NAO hivernales positives.
La visualisation des années associées aux extraits d’entretiens auprès des éleveurs saamis a de plus
mis en relief une validation de leur perception climatique vis-à-vis du calendrier pastoral, confirmant
ainsi l’intérêt des savoirs locaux pour la compréhension des questions environnementales (Roturier,
Roué, 2009 ; Sandström, Granqvist-Pahlén, 2003). On est désormais en mesure de sélectionner des
années pour un suivi comparatif de la disponibilité potentielle en lichen Cladonia, la fin des années
90 paraissant intéressante pour comparer les années mauvaises voire catastrophiques sur le plan de
l’élevage de rennes, et plus généralement sur la disponibilité et l’accessibilité en lichen. Croiser les
perceptions saamies de l’irrégularité du climat et sa représentation graphique à partir de données
climatiques a permis d’identifier, au moins visuellement, des années plutôt bonnes où la phase de
NAO n’est pas prononcée. Il en est de même pour les années relativement mauvaises plutôt dirigées
vers une NAO positive avec des températures et précipitations supérieures aux normales. La
confrontation entre cette catégorisation saamie des années pastorales et les données statistiques
pourrait être poursuivie en s’appuyant sur des méthodologies améliorées de traitement de séries
chronologiques, notamment du fait de variables climatiques très dépendantes entre elles
(autocorrélation temporelle).
La partie intéressant les températures saisonnières des sols a montré que les deux terrains ont des
réponses saisonnières des sols relativement similaires, isolant la région historique lapone du reste de
la Scandinavie. L’approche cartographique par les températures de sols (Land Surface Temperature)
est de même plus détaillée qu’une interpolation entre stations climatiques, ou une carte de
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distribution des végétaux (Raynolds, Comiso et al., 2008). La zone bioclimatique lapone est surtout
visible pour l’hiver et l’été. La latitude plus basse de Jokkmokk, combinée à l’influence montagnarde
et atlantique de Kautokeino sont peut-être des points à spécifier par la suite car les températures
printanières sont liées au démarrage de la période végétative pour les plantes vasculaires. Les Alpes
scandinaves et l’orientation des versants considérés semblent structurants. Ainsi les versants
orientaux et le nord de la zone dont Jokkmokk et Kautokeino font partie restent classés dans le
climat continental froid, en partie décrit avec la présentation climatique de la station d’Abisko.
Ces premiers résultats montrent donc la complexité de cette zone d’écotone, notamment évoqué
par Ahten et Oksanen (1990). C’est pourquoi la présentation locale des terrains nous a été utile
pour mieux caractériser les paysages de chaque village d’hiver: pour Jokkmokk on se situe clairement
en zone de forêt boréale, constat renforcé par la présence d’infrastructures dédiées, notamment une
scierie. Les quelques parcelles de feuillus pourraient indiquer la position en latitude relativement
basse par rapport à Kautokeino, ainsi que la relative influence du Golfe de Botnie, tout proche. Pour
Kautokeino sa situation régionale d’écotone rend sa caractérisation moins aisée: les forêts de
feuillus, les landes les tourbières structurent le paysage, avec le réseau hydrographique.
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IV – PERSPECTIVES
L’essentiel de l’apport de ces premiers mois de stage a consisté à explorer la bibliographie, à
rechercher les données et les méthodes potentiellement les plus intéressantes pour répondre aux
questions posées par les scientifiques à partir de leur connaissance des difficultés rencontrées par les
Saami dans l’exploitation de leurs pâturages d’hiver. Les résultats présentés sont préliminaires et
limités et ne nous autorisent guère à développer encore une véritable discussion scientifique.
Plusieurs aspects n’ont pas été développés dans ce mémoire, par manque de temps principalement.
Ici il s’agit de séparer les perspectives à court-terme, le stage continuant cet été, des perspectives à
moyen ou long-terme.
3.1 Perspectives à court-terme
Dans un premier temps, il semble important de continuer le prétraitement des images satellites.
Garder les mêmes emprises géographiques, les mêmes systèmes de projection en vue d’une base de
données opérationnelle reste une des priorités. De nombreux éléments peuvent être intégrés dans
un SIG en vue de cartographies simples, ou de travailler et d’articuler des résultats cartographiques
opérés à l’aide d’images satellites qui ont des résolutions différentes. On cherche ici à corréler
spatialement les synthèses cartographiques portant sur un aspect particulier propre à l’accessibilité
et la disponibilité potentielle en Cladonia en vue de suivis chronologiques des facteurs à plusieurs
échelles géographiques. Par exemple, les écotones au nord de la forêt boréale, de plus en plus
verdissants, cartographiés à l’aide d’images MODIS (résolution de 5 km) pourraient être mis en lien
avec l’indice de dureté du climat arctique.
Cet indice sera d’ailleurs le premier à être développé cet été, car sa portée explicative à l’échelle de
la Laponie paraît simple : les zones où l’indice est faible seraient celles où le lichen est moins présent
du fait d’une présence accrue en plantes vasculaires. La relative simplicité à mettre en œuvre sur
Système d’Information Géographique pourra être croisée avec les occupations des sols dont le
potentiel de disponibilité en lichen paraît fort : landes alpines et végétation broussailleuse pour
Kautokeino, forêts de pins éloignées des forêts commerciales pour Jokkmokk. Enfin, il semble
important, voir fondamental de croiser cartographiquement ces résultats avec les données
vectorielles des trajectoires saamies (figures 3 et 4, cartographie en annexe 1 pour Kautokeino) : les
Saamis et les rennes connaissant très probablement l’emplacement géographique et la situation
biogéographique des meilleurs « bois à rennes ».
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Un autre versant qui sera développé cet été est représenté par l’Estimateur de Volume Lichénique. Il
apparait comme étant particulièrement intéressant, cadrant particulièrement avec la problématique
norvégienne d’éventuel surpâturage. La précision de ce Lichen Volume Estimator est un autre
avantage. Le développement de cet indice basé sur des images Landsat permettra de cartographier
précisément les zones où les Saamis ont un besoin particulier, que ça soit du côté de la suspicion de
surpâturage par les autorités norvégiennes que des changements des continuums floristiques dus au
réchauffement climatique. Ici aussi, les années et saisons citées par les Saamis au cours d’entretiens
nous autoriseront à comparer plusieurs cartographies et à en tirer quelques conclusions (ampleur de
la réduction du volume en lichen, zones où cette réduction est particulièrement forte, etc).
Les statistiques climatiques seront également un volet développé au cours du stage. Il faut ici
travailler sur les variables prises en compte dans les modèles, regarder par exemple si les moyennes
des mois de janvier sont plus fréquemment exposées aux brusques variations représentées par des
thawing-freezing de grande ampleur. Il semble donc important de travailler sur des temporalités
moins synthétiques que les années ou saisons. D’autres indices décrivant des anomalies de
circulation atmosphérique peuvent être ajoutés dans les méthodologies. Notamment l’AO, ou
Oscillation Arctique qui semble commander la NAO et de plus est probablement plus légitime pour
expliquer les variations climatiques de la station d’Abisko. De même il paraît important d’éliminer la
redondance statistique qui existe entre les différentes variables, au moyen de tests d’autocorrélation
des séries statistiques chronologiques, et par la prise en compte des résidus statistiques autour de
tendances linéaires ou polynomiales. Créer une typologie et/ou un glossaire saami-français des
caractères climatiques tels qu’ils peuvent être perçus par les Saamis semble important. Un peu
comme les schémas paysagers de la partie 1, on pourrait imaginer de traduire les évènements ou
expressions saamis autour de tel ou tel phénomène climatique. Pour le mémoire notamment, voir
comment les guohtun et bodni sont qualifiés selon la saison (avec quels détails climatiques, quels
signes précurseurs reconnus par les Saamis, par exemple le changement brutal de vent..).
L’aboutissement de ces démarches nous permettra de développer une discussion scientifique, afin
de comparer systématiquement nos résultats à ceux des précédentes études évoquées en première
partie de ce mémoire.
3.2 Perspectives à plus long-terme
Ces perspectives bien que plus lointaines s’inscrivent dans la continuité des perspectives
mentionnées au dessus. L’alimentation pluridisciplinaire, dont nous avons parlé doit croiser et
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confronter les diagnostics et les perceptions collectées par les entretiens avec les résultats obtenus
par les méthodes de collecte et d’analyse de données biogéographiques et climatiques.
Pour ce qui concerne l’état de la neige en hiver et donc l’accessibilité en pâturages d’hiver, la pose de
mini-capteurs de terrain permettrait de vérifier les signes précurseurs évoqués par les Saamis. Un
anémomètre nous indiquant force et direction des vents paraît important. Dans une optique de
sciences participatives, plusieurs questions seraient à leur poser sur la structure de la neige,
largement considérée dans le langage ayant trait au guohtun. L’idée est de comprendre comment les
éleveurs hiérarchisent les facteurs impactant la structure de la neige, et donc l’accessibilité du lichen.
Si la bodni précoce et gelée est le plus important, des modèles simulant la structure de la neige
proposent de nombreuses variables dont le choix peut être mis en relief avec ce qui est important
pour le renne semi-domestiqué et la disponibilité en lichen (notamment son volume, l’épaisseur du
tapis lichénique). Une perspective est donc d’inclure des modèles climatiques portant sur les
quantités et les qualités de la couverture neigeuse, en étendue de surface comme en épaisseur de
couches et de produire une cartographie, à comparer avec les températures de surface des sols et
l’indice de dureté du climat arctique. Même chose pour le NDVI en forêt car il paraît important de
voir la relation entre strate arborée homogène (forêt commerciale à coupe équienne) ou plus
hétérogène (forêt pseudo climacique) et les épaisseurs/qualités de structure de neige prédites par
les modèles de manteau neigeux.
D’autres perspectives concernent l’influence de la microtopographie qui semble également jouer un
rôle structurant sur l’accessibilité et la disponibilité potentielle en Cladonia. Les capteurs LIDAR (Light
Detection and Ranging), utilisant des ondes RADAR pour transcrire graphiquement leur propagation
à l’échelle très fine de la canopée arborée ou de la microtopographie au sol pourraient nous
permettre de préciser les degrés de maturité des forêts d’une part, et d’autre part d’intégrer la
variable « microtopographie » dans l’accessibilité et la disponibilité en Cladonia (ceci pour les deux
territoires d’étude)
Enfin, les outils de cartographie à distance devraient être validés par le terrain. Le but est de
comparer par exemple les catégories de volumes en lichen théoriques cartographiées (en extension
comme en épaisseur) par la télédétection et des épaisseurs de tapis mesurées effectivement sur le
terrain. Il faudrait également éclaircir la relation écologique qui existe entre bryophytes (mousses) et
lichen, ainsi que les relations de compétition entre plantes vasculaires et lichen. Cela permettra de
plus d’analyser les espèces vasculaires qui colonisent les habitats des lichens, de vérifier si ces
espèces sont indigènes, naturalisées, ou si elles sont arrivées depuis peu sous l’effet du changement
climatique. Pour cela, une campagne de relevés floristique par échantillonnage systématique est
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souhaitée pour mieux comprendre et comparer les écotones. Le but est également de préciser les
correspondances entre les catégories d’occupation de sols, le Volume Lichen Estimator et les
observations de terrain. Outre des relevés de terrain géoréférencés, le travail de terrain permettra
d’appréhender et de décrire d’autres indicateurs potentiellement intéressants d’ordre paysager
(luxmètre, présence de micro-habitats), pédologique, topographique (altitude, pente, microformes
en 3D etc).
Un travail de terrain aurait également vocation à mieux caractériser la relation entre lichen et renne.
La densité des rennes a en effet des impacts (positifs ou négatifs) sur la disponibilité en lichen, et des
informations quantifiées sur les dynamiques démographiques des populations de rennes autour
d’unités spatiales (une région, un Kömmuner) pour lesquelles on sait que les disponibilités en lichens
sont fortes nous permettrait de comparer ces différents indicateurs. De plus, on pourrait imaginer,
avec l’accord et l’aide des Saamis, de doter quelques rennes de colliers GPS. Toujours à partir des
savoirs saamis, ces rennes nous aideraient à connaître, les meilleurs « bois à rennes ».
Une deuxième perspective constituerait à prendre en compte non seulement les pâturages d’hiver,
comme nous l’avons fait dans cette étude exploratoire, mais bien l’ensemble de l’espace pastoral,
incluant les pâturages d’été et les trajectoires de migrations entre les espaces utilisés aux deux
saisons. Cet élargissement nous permettrait d’avoir une compréhension plus globale du socio-
écosystème saami et de sa capacité d’adaptation au changement climatique et au contexte de
l’intensification de l’exploitation des ressources primaires en Suède (foresterie industrielle) et en
Norvège (ressources énergétiques et minières) ainsi que du développement du tourisme. Les
infrastructures liées à ces activités en développement seraient en effet susceptibles de constituer des
barrières lors des trajectoires de migration des Saamis entre leurs pâturages d’été et d’hiver. Là
encore, grâce au dialogue interdisciplinaire, les diagnostics et les perceptions Saamis nous
permettront d’identifier plus précisément les principales difficultés auxquelles ils sont confrontés et
de les caractériser et les cartographier du point de vue du fonctionnement écologique de ces
paysages culturels.
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Conclusion
Les premières conclusions de ce travail exploratoire sont particulièrement intéressantes. Elles se
réfèrent en premier lieu à l’approche épistémologique de l’ANR BRISK. La multidisciplinarité affichée
dans ce mémoire nous a aidé à dépasser la discontinuité habituelle entre nature et culture. Ainsi, à
travers la cosmogonie paysagère saamie et ses catégorisations linguistiques, on a pu comprendre
plus finement les vulnérabilités propres à ce couple société-écosystème face aux changements
climatiques (Roturier, Roué, 2009).
Par exemple, sans l’approche anthropologique l’étude n’aurait pu parler précisément de la
vulnérabilité liée au processus de thawing-freezing qui affecte la bodne. Le manque de données
empiriques de terrain, comblé ici par les catégorisations écologiques saamies, et l’expertise
scientifique déjà opérée par Marie Roué, éco-anthropologue et Samuel Roturier, spécialiste de
l’écologie des forêts boréales, nous aurait fait manquer beaucoup de détails, qu’ils soient d’ordres
physiques, biologique ou même humains. La demande du projet scientifique BRISK porte sur toutes
les vulnérabilités des socio-écosystèmes arctiques, celles-ci étant donc dans un premier temps liées
aux processus climatiques mais également aux problématiques propres au développement
économique de deux Etats européens, la Norvège et la Suède. Sans l’intermédiaire des deux
scientifiques, identifier clairement les problématiques humaines des conflits territoriaux n’aurait pas
été possible, nous faisant alors manquer une bonne partie des facteurs qui structurent l’organisation
territoriale des pâturages d’hiver. Par extension la logique de répartition et d’abondance de la
disponibilité en lichen auraient donc été incomplètes.
Les méthodologies proposées dans ce mémoire, bien qu’encore partielles, tentent de prendre en
compte ces logiques humaines de structuration des flux pastoraux, notamment à travers la question
du surpâturage à Kautokeino ou de l’exploitation forestière à Jokkmokk. On est donc
conceptuellement en mesure de quantifier le « potentiel » de disponibilité et d’accessibilité en lichen
Cladonia rangiferina L., au regard de cette mesure agronomique qui prend en compte l’extension
spatiale des pâturages d’hiver et la notion de charge utile selon la quantité et la qualité fourragère
(Bonnemaison, 2007). Il y a donc possibilité de cartographier une partie de cette vulnérabilité
pastorale en un lieu et un temps donnés, autorisant les Saamis à réfléchir de leur plein droit sur des
mesures d’adaptabilité, de contournement dans ce contexte multifactoriel de conflit territorial et de
changements climatiques, de plus en plus remarqués et remarquables.
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Un autre résultat intéressant de ce mémoire est la validation des hypothèses liant la tendance du
réchauffement aux cyclicités atmosphériques et phénologiques à travers l’usage des outils
statistiques. Ces hypothèses sont renforcées par les qualifications des années et saisons pastorales
saamies, validées au regard des variables climatiques absolues enregistrées à l’échelle régionale par
la station d’Abisko, ou encore les corrélations statistiques opérées à l’aide des indices d’anomalie de
NAO. La force de cette coopération multidisciplinaire semble être là : sans la notification et la
transmission aux scientifiques de ces années ou saisons, qualifiées pastoralement et sensiblement
comme étant bonnes ou mauvaises, vécues par les Saamis, cette méthodologie originale n’aurait
jamais vu le jour. Il paraît donc possible de composer et coopérer entre les disciplines en vue
d’études intégrées parlantes pour tous les acteurs concernés : populations, scientifiques de divers
horizons disciplinaires, décideurs politiques.
Plusieurs points paraissent importants pour ces méthodologies articulant enquêtes sur les
perceptions avec outils statistiques, télédétection et géomatique. Le premier concerne le suivi
temporel continu, nous autorisant à tracer les tendances modélisées par les séries chronologiques en
climatologie et à opérer une réflexion cartographique sur la réponse phénologique de la végétation,
qu’elle concerne les plantes vasculaires surplombant les tapis de Cladonia rangiferina L. ou le volume
estimé directement de ces lichens. Cette réflexion cartographique vient encore se nourrir des
catégorisations écologiques saamies, car les pixels regroupés sémantiquement en catégories sont
traduites sémantiquement par les scientifiques, appelant donc à la participation d’un peuple qui est
en premier lieu concerné par ces délimitations spatiales. Que la télédétection traite plutôt
d’accessibilité ou de disponibilité potentielle, les catégories géolinguistiques traduites
schématiquement et grossièrement dans ce mémoire en plan ou en coupe doivent être précisées
selon les particularités de la communauté linguistique des Saamis de Lule ou celle des Saamis du
Nord. Nos premiers résultats suggèrent que le processus de fonte-regel n’a par exemple pas les
mêmes caractéristiques climatiques et météorologiques dans la région de Kautokeino ou celle de
Jokkmokk. Il en résulte donc des couches de bodne (première neige d’automne) ou des guohtun
(espace-temps pâturable en lichen) locales et différenciées du point de vue climatique et
biogéographique : l’accessibilité et la disponibilité en lichen n’est pas la même dans le Finnmark
norvégien ou en Nord-Botnie suédoise. Ceci a par ailleurs contrarié la dichotomie bioclimatique assez
simpliste que l’on se faisait au départ pour la caractérisation des habitats de Cladonia rangiferina L.
plutôt dominés par des faciès de végétation de type toundra ou de taïga.
Cette diachronie biogéographique, au départ figée entre les deux terrains nous autorisera
probablement par la suite à prendre en compte la dimension réellement dynamique de la
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modification des successions végétales, où la biodisponibilité potentielle de Cladonia rangiferina L.
est fragilisé premièrement par la tendance au « verdissement » de l’Arctique d’un côté, et de l’autre
par les perturbations stochastiques plus conjoncturelles, imputables aux processus de fonte-regel
dont les magnitudes (en chiffres absolus de température, ampleur spatio-temporelle…) et les
périodes de retour pourraient être désormais plus rapprochées.
Enfin, cette multidisciplinarité est féconde du point de vue méthodologique dans la mesure où elle
permet de parer à l’urgence et au désarroi qu’on pressent de la part de ces populations autochtones
nomades. Celles-ci semblent bien plus fragiles que certaines sociétés mieux armées ou moins
confrontées aux changements brutaux et tendanciels d’occupation biophysique de leurs territoires
ancestraux. Comme on l’a vu, l’élevage de rennes est déjà soumis à des variabilités bioclimatiques
extrêmement prégnantes pour ces latitudes subarctiques : entre la biologie, l’éthologie du renne et
les transhumances saisonnières qui impliquent pour les Saamis d’être constamment près et prêts à
intervenir en cas de problème, cette activité traditionnelle s’inscrit dans un contexte géographique et
culturel originellement difficile. Mais au regard de l’adaptabilité au changement climatique qui se
manifeste déjà, la question est de savoir si la témérité des Saamis pour conserver un modèle de
pastoralisme qui leur est cher permettra à leurs enfants de perpétuer cette activité à haute valeur
symbolique. Ce modèle pastoral paraît d’ailleurs avoir pleinement sa place du point de vue
écologique (chaîne trophique et calendrier pastoral ; mode de dissémination de plantes par les
rennes, en particulier les lichens). Loin de nous de vouloir folkloriser cette activité ou de la voir avec
pittoresque ou nostalgie empreint de déterminisme socio-spatial : Claude Lévi-Strauss qui compare
plusieurs modes d’organisation de sociétés autochtone dans Tristes tropiques (1955) suggère que le
système de caste est l’évolution logique d’une civilisation démographiquement importante, dans son
exemple l’Inde. Les brahmanes doivent rester brahmanes, les tailleurs de cuir auront des enfants
tailleurs de cuir. Par analogie, la civilisation mondiale cosmopolite qui nous caractérise ne devrait pas
reproduire cette organisation sociétale, isolant en particulier les Saamis-éleveurs et les cantonnant à
leur rôle d’éleveurs traditionnels. Ils doivent avoir le choix de leur destin, sans être contraints de faire
uniquement preuve d’adaptabilité à des problématiques globales pour lesquelles leur contribution
paraît infime, restant les gardiens d’un « paysage sans trace » (Roué, 2011).
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Bibliographie
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Travaux universitaires
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mémoire de Master 1, Biologie, Géosciences, Agroressources, Environnement, spécialité Ingénierie
en Ecologie et Gestion de la Biodiversité, Université Montpellier 2, Confédération des Réserves
Naturelles Catalanes, 66 p.
Boucher T., 2011, « Changements globaux et Sâmes éleveurs de rennes, Kautokeino (Norvège), Etude
de cas de la Fiettar Siida », Mémoire de Master 2, Environnement, Développement, Territoires et
Sociétés, sous la direction de M. Roué, Muséum National d’Histoire Naturelle, 83 pp
Kuntz D., « Ostéométrie et migrations (s) du renne (Rangifer tarandus) dans le sud-ouest de la France
au cours du dernier Pléniglaciaire et du Tardiglaciaire (21500-13000 cal BP) », Thèse dirigée par M.
Barbaza et S. Costamagno, Doctorat en Anthropologie sociale et Préhistoire, Université Toulouse 2 –
Le Mirail, 28.11.2011
Roturier S., 2007, Integrating Artificial Dispersion of Reindeer Lichen in Forest Regeneration
Procedures, Licenciate Disseration, sous la direction d’ENANDER, K.G., Swedish University of
Agricultural Sciences, Department of Forest Ecology and Management, Umea, 31 pp
Webographie
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www.cpc.ncep.noaa.gov/products/precip/CWlink/pna/norm.nao.monthly.b5001.current.ascii.table
http://grass.osgeo.org/grass64/manuals/i.landsat.toar.html
http://landsathandbook.gsfc.nasa.gov/
inpn.mnhn.fr/espece/cd_nom/57658/tab/taxo
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http://www.ifremer.fr/lpo/thuck/nao/img15.gif
http://www.agence-nationale-recherche.fr/suivi-bilan/environnement-et-ressources-
biologiques/societes-et-changements-environnementaux/fiche-projet-soc-
env/?tx_lwmsuivibilan_pi2%5BCODE%5D=ANR-12-SENV-0005
http://www.slu.se/sv/institutioner/skoglig-faltforskning/miljoanalys/esf-klimatdata/
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Liste des figures
Figure 1: Marquage des jeunes rennes au début de l’été, source filmographique : Jon face aux vents, 2011………………………………………………………………………………………………………………………………………………….1
Figure 2a : Répartition des langues ouraliennes (source : wikipedia.fr)
…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………16
Figure 2b: Carte des dialectes saamis numérotés. Le dialecte 4 représente celui parlé à Jokkmokk (Sami de Lule), le dialecte 5 est celui de Kautokeino (Saami du nord) (source : wikipedia.fr) …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………16
Figure 3: Situation du village d’hiver de Jokkmokk par rapport aux trajectoires pastorales (lignes orange) et territoires pastoraux (bleu clair) des rennes semi-domestiqués du nord de la Suède (sources : Diva GIS ; S. Roturier ; http://pierremehu.cowblog.fr/the-jokkmokk-trip-3052841.html; réalisation R. Courault, 2014) …………………………………………………………………………………………………………..18
Figure 4: Village d’hiver de Kautokeino par rapport aux flux migratoires des rennes semi-domestiqués de l’extrême-nord norvégien. En gris : pâturages d’hiver, Blanc : pâturages estivaux (source : Tyler et al. In Boucher, 2011 ; modifié sous Inkscape, R.Courault 2014)………………………………………………………18
Figure 5: Schéma conceptuel des problématiques régionales communes et les problématiques spécifiques aux deux contextes nationaux (Réalisation : R. Courault, 2014)……………………………………..23
Figure 6: Schéma des paysages de migration (sources : Roué, 2011 ; Roturier, Roué, 2009 ; dictionnaire sâme-français FREELANG (B. Deverrière), réalisation : R. Courault, 2014) ………………......26
Figure 7a et 7b: Représentation schématique, en coupe, d'une pâture d'hiver typée "mauvaise" (7a) et "bonne" (7b) par les Saamis (Réalisation: R.Courault, 2014)………………………………………………………28
Figure 8: Carte des changements observés de précipitations (1901-2010: gauche, 1951-2010: droite). Les (+) indiquent un niveau de significativité supérieur à 10% (IPCC, WG1, 2013)…………………………...31
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Figure 9: Changement des totaux annuels de précipitations, estimés pour 2081-2100 par rapport à la période 1986-2005. Basé sur le scénario pessimiste de concentration de gaz à effet de serre, RCP 8.5. Lignes hachurées : « les moyennes multi-modèle sont plus petites que la variabilité naturelle interne ». « Pointillés : Moyenne multi-modèle est plus grande que la variabilité interne naturelle » : degrés de confiance fort (IPCC, WG1, 2013)……………………………………………………………………………………32
Figure 10a: indice de NAO fortement positif, force des vents associés (haut), températures de surface des sols et des océans (bas) Figure 10b: mêmes variables avec indice de NAO fortement négatif. Source: http://www.ifremer.fr/lpo/thuck/nao/img15.gif.....................................................................34
Figure 11a: Températures moyennes journalières de 1994 pour la station d'Ätnarova, Suède, Figure 11b : année 2007 ; source : http://www.slu.se/sv/institutioner/skoglig-faltforskning/miljoanalys/esf-klimatdata/............................................................................................................................................37
Figure 12: photographie du lichen à rennes (Cladonia rangiferina L.). Source: wikipedia.fr………………39
Figure 13: Exemple photographique de la biomasse en Cladonia rangiferina L. sous pineraie. Cette association est communément appelée Cladonio-Pinetum (Ahti, Oksannen, 1990). Source : http://pracownia.org.pl/images/galerie/t6z8go_100_years_old_cladonio_pinetum_forest.jpg.........43
Figure 14: Arbre méthodologique simplifié articulé selon des échelles géographiques (Réalisation R. Courault, 2014) …………………………………………………………………………………………………..……………………………51
Figure 15: situation des deux terrains par rapport à la station climatologique d’Abisko (source : image Google Earth, modifié sous Inkscape, réalisation R. Courault 2014)………………………………………………….53
Figure 16: Schématisation des étapes de prétraitement pour les images MODIS (Réalisation :
R.Courault 2014)………………………………………………………………………………………………………………………………58
Figure 17: Chaîne de traitement des séries temporelles de Land Surface Temperature (Réalisé avec ModelBuilder, modifié sous Inkscape R. Courault, 2014)…………………………………………………………………59
Figure 18: Exemple d'une image d'hiver influant sur la qualité de l'image Landsat (Réalisation: R. Courault 2014)………………………………………………………………………………………………………………………………….61
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Figure 19: Diagramme ombrothermique de la station climatique d'Abisko (1980-2010), source Station Climatique d’Abisko, réalisation R. Courault……………………………………………………………………………………………………………………………………………63
Figure 20: Températures moyennes pour la station climatique d'Abisko: tendance linéaire, courbe polynomiale (rang 6) et coefficient de corrélation associé, source : Station Climatique d’Abisko (R.Courault, 2014)……………………………………………………………………………………………….……………………………64
Figure 21: matrice de corrélation de Bravais Pearson entre différentes variables climatiques saisonnières et anuelles d’Abisko et les variables saisonnières et annuelles de NAO, sources : Station Climatique d’Abisko ; N. Delbart pour les statistiques de NAO (R. Courault , 2014) …………………………………………………………………………………………………………………………………………….…65
Figure 22: Nuage de points entre températures hivernales et indices de NAO (1950-2005), sources : Station Climatique d’Abisko, N. Delbart (réalisation R. Courault) …………………………………………………………………………………………………………………………………..…………………….67
Figure 23a et b : Courbes temporelles des classes de températures de surface des sols entre 2001 et 2010 ; Figure 23a (gauche) saison automnale, 23b (droite): saison hivernale, sources : MODIS 11C3, logiciel Idrisi Selva (Réalisation R. Courault, 2014) ……………………………….…………………………………………………………….………………………………………………………….69
Figure 24a et b : Courbes temporelles des classes de températures de surface des sols entre 2001 et 2010 ; Figure 24a (gauche) saison printanière, 24b (droite): saison estivale, sources : MODIS 11C3, logiciel Idrisi Selva (Réalisation R. Courault, 2014) ……………………………….…………………………………………………………….………………………………………………………….70
Figure 25 : Légende et catégorisations bioclimatiques des cartes après interprétation des courbes de températures de sols ; sources : MODIS 11C3, Idrisi Selva (Réalisation R. Courault)……………………………………………………………………………………………………………………………………….…71
Figure 26 à 30 Cartographie des températures de sols par saison, source : MODIS 13C1, 2001-2010 (Réalisation R. Courault, 2014) ……………………………………………………………………………………………....….73-74
Figure 30: Carte de l'occupation biophysique des sols et superficies à Kautokeino (source: CLC06, réalisation R.Courault, 2014) ……………………………………………………………………………………………………………75
Page 94 sur 104
Figure 31: Carte de l’occupation biophysique des sols à Jokkmokk (Source : CLC06, réalisation R. Courault, 2014)…………………………………………………………………………………………………………………………………76
Liste des annexes
Annexe 1 Cartographie des différentes étapes de migration du Finnmark norvégien………………………95
Annexe 2 Développement projeté (2000-2030-2050) des infrastructures et des impacts associés
(Nord de l’Europe)…………………………………………………………………………………………………………………………….96
Annexe 3 Saisons et calendriers pastoraux saamis…………………………………………………………..…………..…97
Annexe 4 Extraits anonymes d’entretiens, années citées et correspondances avec quelques
statistiques climatiques (Abisko)………………………………………………………………………………………………………98
Annexe 5 Métadonnées des images satellites (MODIS NDVI-LST ; LANDSAT)……………………..……………99
Annexe 6 Métadonnées SIG (Vecteurs, Raster)……………………………………………………………………………..102
Annexe 7 Métadonnées et résumé statistique des variables climatiques……………………………………..103
Annexe 8 Récapitulation des objectifs cartographiques et méthodologies de recherche
……………………………………………………………………………………………………………………………………………….………104
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Annexe 1
Cartographie des différentes étapes de migration du Finnmark norvégien, source : Finnmarksvidda,
Norges Offentlige Utredninger, NOU 1978, 18A og 18B, MNHN
Traduction de la légende (approximative, source : translate.google.com)
Viktig kalvingsoråde: aire importante de mise bas Flyttelei: déplacement, trajectoire pastorale Fjellstue -og tettstedsfredning-: agglomération urbaine pour logement, conserverie Barskogsområde freda mot reinbeiting: zones de forêt de connifères protégées pour le pâturage des rennes Grense for militære skytefelt: frontières, aire militaire pour champ de tir aérien Reindriftanlegg: installation d'élevages de rennes 1 Slaktegjerde: clôture à boucherie 2 Merkegjerde: clôture pour marquage 3 Skillegjerde: Clotûre de séparation 4 Skille- og merkegjerde: clôture pour marquage et séparation 5 Skille- slakte- og merkegjerde: clôture pour séparation, marquage et boucherie 6 Arbeidsgjerde: clôture de travail Større reinslakteri: Grand abattoir à rennes Sperregjerde for rein: Clôture pour empêcher la dispersion des rennes
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Annexe 2
Développement projeté (2000-2030-2050) des infrastructures et des impacts associés (source:
http://www.globio.info/press/2002-08-13.cfm in Tyler, Turi, 2007). Ces impacts modélisés
comprennent le développement d’infrastructures (voies de communication, urbanisation, sites
militaires), basé sur le développement historique de ces équipements, ceux déjà existants, leur
distribution spatiale, les dynamiques de densités humaines, la localisation connue des ressources
naturelles, la distance à la côte et enfin les types de végétation. Jokkmokk, proche du golfe de Botnie
(nord de la mer Baltique) paraît bien plus exposé que Kautokeino aux impacts environnementaux
projetés.
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Annexe 4
Extraits anonymes d’entretiens, années citées et correspondances avec quelques
statistiques climatiques (Abisko)
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Annexe 5
Métadonnées des images satellites (MODIS NDVI-LST ; LANDSAT)
Type Capteur MODIS
Résolution spatiale/temporelle
Années-Mois
Emprise -terrain
Format Projection
MODIS 13A2 1 km / 16 j 2002-2013 -
Août Scandinavi
e *.hdr Sinusoïdale
MODIS 13A3 1 km / 32 j 2002-2013 -
Mai Scandinavi
e *.hdr Sinusoïdale
MODIS 13Q1 250 m / 16 j 2002-2013 -
Août Scandinavi
e *.hdr Sinusoïdale
MODIS 11C3 5 km/ 32 j 2001-2010 - Tous mois
Scandinavie
*.rst / *.tif SWEREF-99
Type Capteur Landsat
Date Emprise/terrain
Landsat 5 TM 01/08/1984 Jokkmokk
Saison météo
Pourcentage Total
Landsat 5 TM 01/08/1984 Jokkmokk Automne 24% 18
Landsat 5 TM 16/07/1987 Jokkmokk Hiver 1,33% 1
Landsat 5 TM 07/06/1988 Jokkmokk Printemps 22,60% 17
Landsat 5 TM 04/06/1992 Jokkmokk Été 52% 39
Landsat 5 TM 04/06/1992 Jokkmokk
Total = 75 images
Landsat 5 TM 26/06/1994 Jokkmokk
L 7 ETM+ 06/09/1999 Jokkmokk
L7 ETM+ 06/09/1999 Jokkmokk
L7 ETM + L1 G 07/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM + 27/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM + 27/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM + L1 G 27/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM+ Pan 27/07/2000 Jokkmokk
L8 OLI 27/07/2000 Jokkmokk
L8 OLI 27/07/2000 Jokkmokk
L8 OLI 27/07/2000 Jokkmokk
L8 OLI 27/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM + 29/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM + L1 G 29/07/2000 Jokkmokk
L7 ETM 29/07/2000 Jokkmokk
L5 TM 28/08/2000 Jokkmokk
L7 ETM + 15/09/2000 Jokkmokk
L7 ETM + L1 G 15/09/2000 Jokkmokk
L 7 ETM+ 15/09/2000 Jokkmokk
L7 ETM+ 15/09/2000 Jokkmokk
L7 ETM 15/09/2000 Jokkmokk
Page 100 sur 104
L8 OLI 27/09/2000 Jokkmokk
L8 OLI 27/09/2000 Jokkmokk
L5 TM 27/09/2000 Jokkmokk
L 7 ETM+ 25/05/2002 Jokkmokk
L7 ETM+ 25/05/2002 Jokkmokk
L7 ETM 20/08/2002 Jokkmokk
L7 ETM 17/04/2003 Jokkmokk
L5 TM 17/04/2003 Jokkmokk
L5 TM 23/06/2007 Jokkmokk
L5 TM 10/08/2007 Jokkmokk
L5 TM 18/08/2010 Jokkmokk
L5 TM 30/03/2011 Jokkmokk
L5 TM 30/03/2011 Jokkmokk
L5 TM 24/04/2011 Jokkmokk
L5 TM 24/04/2011 Jokkmokk
L5 TM 08/05/2011 Jokkmokk
L5 TM 08/05/2011 Jokkmokk
L5 TM 08/05/2011 Jokkmokk
L5 TM 08/05/2011 Jokkmokk
L5 TM 01/10/2011 Jokkmokk
L 7 ETM+ 11/04/2013 Jokkmokk
L8 OLI 11/04/2013 Jokkmokk
L8 OLI 11/04/2013 Jokkmokk
L8 OLI 11/04/2013 Jokkmokk
L8 OLI 11/04/2013 Jokkmokk
L8 OLI 23/07/2013 Jokkmokk
L7 ETM+ 23/07/2013 Jokkmokk
L8 OLI 23/07/2013 Jokkmokk
L7 ETM 23/07/2013 Jokkmokk
L8 OLI 25/07/2013 Jokkmokk
L8 OLI 25/07/2013 Jokkmokk
L8 OLI 25/07/2013 Jokkmokk
L8 OLI 25/07/2013 Jokkmokk
L 7 ETM+ 24/08/2013 Jokkmokk
L8 OLI 24/08/2013 Jokkmokk
L7 ETM+ 24/08/2013 Jokkmokk
L7 ETM+ 24/08/2013 Jokkmokk
L8 OLI 24/08/2013 Jokkmokk
L7 ETM 24/08/2013 Jokkmokk
L7 ETM 24/08/2013 Jokkmokk
L8 - Oli TIRS 09/09/2013 Jokkmokk
L8 OLI 13/10/2013 Jokkmokk
L8 OLI 13/10/2013 Jokkmokk
L8 - Oli TIRS 18/10/2013 Jokkmokk
L8 OLI 20/10/2013 Jokkmokk
Page 101 sur 104
L 7 ETM+ 20/10/2013 Jokkmokk
L8 OLI 14/11/2013 Jokkmokk
L8 OLI 25/02/2014 Jokkmokk
Landsat 5 TM 01/08/1984 Kautokeino
Saison météo
Pourcentage Total
Landsat 5 TM 01/08/1984 Kautokeino Automne 20,00% 4
Landsat 5 TM 16/07/1987 Kautokeino Hiver 0,00% 0
Landsat 5 TM 07/06/1988 Kautokeino Printemps 10,00% 3
Landsat 5 TM 04/06/1992 Kautokeino Été 70,00% 14
Landsat 5 TM 04/06/1992 Kautokeino
total = 21 images
Landsat 5 TM 26/06/1994 Kautokeino
L7 ETM + L1 G 07/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + 27/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + 27/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + L1 G 27/07/2000 Kautokeino
L7 ETM+ Pan 27/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + 29/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + L1 G 29/07/2000 Kautokeino
L7 ETM + 15/09/2000 Kautokeino
L7 ETM + L1 G 15/09/2000 Kautokeino
L5 TM 08/05/2011 Kautokeino
L5 TM 08/05/2011 Kautokeino
L8 - Oli TIRS 09/09/2013 Kautokeino
L8 - Oli TIRS 18/10/2013 Kautokeino