Ils mangèrent tous de la manne

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U de M on mange (aussi) comme on croit GRAS Exode 16 : Ils mangèrent tous également la manne 1. Premières réactions • Ce pain qui tombe du ciel pourrit s’il n’est pas partagé parmi les membres de la communauté. • Le peuple nomme sa nourriture par une question: « qu’est-ce ? ». Quelle est la manne dans le désert de notre modernité postindustrielle ? • Jusqu’à quand refuserons-nous d’écouter les lois simples de Dieu ? 2. Lecture du texte 2.1. Indications pour la lecture 2,7,8,9,12 ווווluwn « Marmoner et insister » : Luwn évoque une rumeur à voix basse. Lorsque les traducteurs choisissent le verbe « murmurer », l’insatisfaction n’est pas aussi présente que s’ils traduisaient par «se plaindre». En fait, les membres de la communauté ronchonnent contre leurs mauvaises conditions de vie. Groupe de recherche sur l’alimentation et de la spiritualité - Directeur: Olivier Bauer Faculté de théologie et de sciences des religions - Université de Montréal C.P. 6128 Succ. Centre ville - Montréal QC H3C 3J7 - Canada [email protected] - Téléphone: (++ 1) 514 343 6861 - Télécopie: (++ 1) 514 343 5738

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UdeM on mange (aussi) comme on croit GRASExode 16 : Ils mangèrent tous également la manne

1. Premières réactions

• Ce pain qui tombe du ciel pourrit s’il n’est pas partagé parmi

les membres de la communauté.

• Le peuple nomme sa nourriture par une question: « qu’est-ce ? ».

Quelle est la manne dans le désert de notre modernité

postindustrielle ?

• Jusqu’à quand refuserons-nous d’écouter les lois simples de

Dieu ?

2. Lecture du texte

2.1. Indications pour la lecture

2,7,8,9,12 וווו luwn

« Marmoner et insister » : Luwn évoque une rumeur à voix basse. Lorsque les

traducteurs choisissent le verbe « murmurer », l’insatisfaction

n’est pas aussi présente que s’ils traduisaient par «se plaindre». En

fait, les membres de la communauté ronchonnent contre leurs mauvaises

conditions de vie.

Groupe de recherche sur l’alimentation et de la spiritualité - Directeur: Olivier BauerFaculté de théologie et de sciences des religions - Université de Montréal

C.P. 6128 Succ. Centre ville - Montréal QC H3C 3J7 - [email protected] - Téléphone: (++ 1) 514 343 6861 - Télécopie: (++ 1) 514 343 5738

3,4,8,12,15,22,29,32 ווו lechem

«Ce qui nourrit» ou «pain» : Quand Moïse parle de pain descendu du ciel, il

parle d’une matière comestible nourrissante.

4,5,16,17,18,21,22,26,27 laqat וווו

« Ramasser» : La majorité des traductions françaises parlent de

« recueillir » la manne, ce qui soustrait les idées de « ramasser »

ou de « regrouper ». En utilisant laqat à neuf reprises, l’auteur

oriente le lecteur vers des particules de mannes éparpillées qu’il

faut ramasser et regrouper, plutôt que vers un fruit ou une

nourriture végétale qu'il faudrait récolter.

14 ווווו וו וווו chacpac dac kephowr

« Flocons fins et givrés » : La manne n'est pas la croute fine, le givre

cassant des traductions françaises, mais des particules (des

«écailles» dans la nouvelle traduction Bayard) givrées ou

cristallisées comme du sucre ou du sel par exemple.

15,31,33,35 וו man

« Qu’est-ce ? » : La manne est une question. Moïse dit que c’est du pain,

mais les membres de la communauté persistent à nommer cette

nourriture de la question que son mystère soulève.

Nancy LABONTE GRAS 2

31 ווווו וווווו וווו ta'am tsappiychith dbash

« le goût du gâteau avec miel » : Dans la bouche, les particules de manne

révèlent un goût de gâteau au miel, de gaufrettes au miel ou de

beignets imbibés de miel.

2.2. Le texte dans son contexte

Le livre de l’Exode tel que nous le connaissons est la compilation

d'une tradition orale réécrite plusieurs fois. Le livre aurait été

rédigé au retour en Judée, après l’exil à Babylone, plus de 800 ans

après que les aventures qu’il décrit se sont éventuellement

déroulées. L’intrigue du livre de l’Exode représente-t-elle une

allégorie, répétant l’Histoire qui se répète ?

Exode forme un livre parce que ses quarante chapitres composent la

narration d’un peuple asservi qui réussit à se libérer de la

domination d’un roi et à s’enfuir en terre nouvelle sous la

protection d’un Seigneur Dieu. Le récit peut être divisée en trois

parties : i) la communauté d’Israël se multiplie et lutte contre le

joug de l’empire égyptien (1 – 15), ii) la libération amène les

épreuves dans les contrées sauvages du désert, mais elle offre aussi

l’occasion de connaitre le Seigneur Dieu (15 – 19) et iii) le

Seigneur Dieu institue une convention avec le peuple d’Israël (20 –

40). Exode 16 appartient à la seconde partie. Israël s'y plaint de la

soif et de la faim.

Nancy LABONTE GRAS 3

2.3. Structure du texte

Exode 16 peut être fragmenté selon quatre temps dans le récit. Au

début (1-10), Moïse et Aaron, son frère ainé qui est un sage,

entendent les plaintes de la communauté et reçoivent le plan de Dieu.

Ensuite (11-21), la communauté apprend à recueillir la manne selon

des règles de partage. Puis (22-31), la communauté reçoit les règles

relatives à la manière dont la manne doit être recueillie le sixième

jour, veille d’un jour de repos, ce qui donne lieu à l’institution du

Sabbat. Finalement (v.32-36), Aaron est chargé de créer un mémorial

de la manne devant la charte donnée par Dieu à Moïse tandis que sont

précisées la période de consommation de la manne – durant quarante

années – et les unités de mesure – « L'omer est un dixième d'épha »

(v.36).

2.4. Commentaire

Afin de relever les pratiques entourant la consommation de manne,

nous choisissons d’utiliser pour le commentaire l'un des outils de la

praxéologie pastorale, cette méthode de théologie pratique développée

à la Faculté de théologie et de sciences des religions de

l’Université de Montréal dans les années 1970. L’outil vise à dégager

les cinq fonctions d’élaborations, pour faire apparaître les valeurs

d'une pratique. L’élaboration des pratiques s’appuie sur les réalités

matérielles, les devenirs personnels et collectifs, les enjeux

éthiques et les relations à l’Ultime, au Seigneur Dieu, ou à quelques

principes cardinaux qui soient.

Nancy LABONTE GRAS 4

a) Réalités matérielles

Pour la communauté d’Israël, la réalité se compose premièrement de

ses murmures, qui sont en fait des plaintes, ensuite de la couche de

rosée, de la manne et des cailles. Nous savons aussi que les membres

sont regroupés par tentes. Les murmures et les tentes feront partie

des sections suivantes, respectivement, de la relation à l’Ultime et

des devenirs collectifs. Pour l’instant, examinons les réalités

matérielles que sont la rosée, la manne et les cailles.

Nancy LABONTE GRAS 5

La manne ne ressemble pas à de la nourriture ou à du pain comme Moïse

persiste à le dire (15), et les flocons fins et givrés (chacpac dac

kephowr) soulèvent la question « Qu’est-ce ? » (man). La manne est une

question, et la question de ce qu’elle est n’est toujours pas

résolue, même si une myriade de théories ont vu le jour : ce serait

des rayons de miel, l’exsudation d’un arbuste, des microalgues

tombant avec les vents du sud-est, des insectes aquatiques, des œufs

d’insecte, etc. Le verset 14 décrit la manne dans son aspect visuel,

tactile et peut-être sonore – ce que complète la description du

verset 31. Nous savons donc que cela tombait du ciel, était

floconneux et ’d’environ 4 mm, était blanc et on pouvait la cuire, le

bouillir ou le panifier. Cela goûtait le miel, fondait à midi, même

les rations supplémentaires pourrissaient, sauf le sixième jour où

les rations quotidiennes doublaient et pouvaient être consommées

pendant le jour du repos de Dieu. Moïse nomme cela du pain, ce qui

signifie que c’est de la nourriture (lechem) et il parle aussi des

cailles comme de la viande plutôt que du lechem – Israël ne semble

pas manger de viande dans ce chapitre, la manne suffisait-elle à

leurs besoins? Les cailles sont envoyées sur le camp le soir de la

plainte des enfants d'Israël, nostalgiques des pots de viande en

Égypte. Le Dieu de l’Exode répond à la demande.

b) Devenirs personnels

Exode 16 met en scène deux protagonistes individuels et un

protagoniste collectif (la communauté des fils ou des enfants

Nancy LABONTE GRAS 6

d’Israël) dont nous aborderons le devenir dans la section suivante.

Les protagonistes individuels sont Moïse et Aaron.

• Moïse réalise sa mission de représentant : devant Dieu, il

devient le « vous » qui représente la communauté, mais devant la

communauté, il représente la loi divine. Cependant, on le voit

irrité devant les plaintes de la communauté et lorsque certains

membres n’écoutent pas les consignes. Il n’existe que pour

servir d’interface entre son peuple et son Seigneur. Ce Seigneur

ne s’adresse qu’à lui – il est peut-être privilégié, ou

suffisamment éveillé pour l’entendre et l’écouter.

• Aaron agit comme un serviteur du Seigneur. Il est intéressant de

noter qu’Aaron est le frère ainé de Moïse et qu’ils ont tous

deux plus de 80 ans. Aaron est perçu dans les exégèses

rabbiniques comme un personnage lumineux et spirituel qui

s’exprime plus aisément devant la communauté. Exode 16 présente

Aaron au service de son cadet qui porte la parole de Dieu et,

par la même occasion, il déploie une pratique de service

cultuel.

Nancy LABONTE GRAS 7

c) Devenir collectif

La communauté est composée des fils d’Israël (ben). Les filles

d’Israël (bath) sont absentes du récit. Peut-être qu’il n’y avait pas

de filles, ou sinon, les fils préfigurent les enfants d’Israël. Pour

contourner cette difficulté, nous choisissons ici de parler de la

communauté d’Israël. Cependant, au verset 31, les fils ou les enfants

d’Israël deviennent la maison d’Israël (bayith). Pourquoi ? Afin de

mieux comprendre, voyons ce que cette «maison» met en action : elle

donne à la nourriture que Moïse nomme « du pain » le nom de

« manne ». La maison d’Israël devient une communauté autonome, et non

plus un regroupement de plusieurs enfants (ou fils), à partir du

moment où elle nomme sa nourriture.

La communauté est divisée par tente ce qui devient l’échelle des

sous-ensembles du large groupe. Chaque tente est sous la

responsabilité d'un chef qui ramasse le qu’est-ce et le rapporte à sa

tente pour le répartir entre chaque membre. Il y en a assez pour tout

le monde et tous ont exactement ce qu’ils ont besoin de manger

quotidiennement.

d) Enjeux éthiques

Du côté de Moïse, la pratique de ramasser le pain de Dieu s’élabore

avec des ordres stricts qu’il communique aux fils d’Israël, mais

certains n’en font qu’à leur tête, ce qui l’irrite particulièrement

(20). « Que personne n’en garde jusqu’au matin » (19) et voilà que

certains tentent de faire des provisions, malgré ses ordres ! Soit on

Nancy LABONTE GRAS 8

ne l’écoute pas, soit on ne l’entend pas, soit il ne s’exprime pas

bien. L’éthique de Moïse consiste à respecter les ordres du Seigneur.

Nancy LABONTE GRAS 9

Le Seigneur de son côté organise cette distribution d'aliments pour

démontrer sa fidélité envers la communauté en observant une éthique

de justice sociale. Mais, sa fidélité qui consiste à répondre « aux

murmures » ne vient pas sans contreparties ! Il attend, en échange,

que le peuple marche selon sa loi. La provision quotidienne qu'il

fournit est aussi une mise à l’épreuve. L'épreuve pourrait être celle

du respect de la loi du Sabbat – dans ce cas, l’éthique du Seigneur

dans Exode 16 résiderait dans une alliance assurant le bien-être du

peuple s’il marche selon ses lois – et quand on sait qu’une des lois

stipule de se reposer toute une journée, on trouverait là une éthique

hygiéniste.

Il est intéressant d’observer que la production et la consommation se

séparent au début du Sabbat. En Exode 16, les enfants d’Israël

apprennent une éthique de production et de consommation alimentaire

qui implique le respect des lois de Dieu. Durant le Sabbat, le jour

du repos du Seigneur, la communauté mange, mais ne recueille pas et

ne cuisine pas. La nourriture est offerte par grâce la veille.

Travailler et cuisiner sont des activités profanes, tandis que manger

s’inscrit dans les activités permises lors d’un jour sacré.

e) Relations à l’Ultime

Nancy LABONTE GRAS 10

La première partie d’Exode 16 expose un peuple mécontent de Moïse et

Aaron qui l’ont amené en exode dans le désert, loin du confort

alimentaire dont il bénéficiait en Égypte. Cependant, les deux frères

transfèrent la faute des plaintes sur Dieu en minimisant leur rôle :

ils ne sont que les médiateurs des relations à l’Ultime. Pour que les

fils arrêtent de marmonner, Moïse ordonne de recueillir la manne

selon des règles précise et Aaron attire l’attention de la communauté

sur la gloire de Dieu dans la nuée du matin.

De son côté, le Seigneur aborde la relation avec les Israélites comme

une épreuve qui dure quarante ans et pour laquelle le calendrier

d’Israël sera désormais marqué. Quarante ans pour dire que l’errance

dans le désert a duré longtemps, le temps qu’ils comprennent

l’épreuve du partage et du sabbat. D'un sabbat qui correspond au jour

du repos du Seigneur : on mangera les restes de la veille prévus pour

ça, afin qu’il ne travaille pas ce jour-là. Suivre ce principe

démontre la réussite de la relation entre Dieu et Israël, et établit

un ordre social qui libère et assure la protection de Dieu. La

relation mutuelle entre le peuple et le Seigneur, pourvu qu’elle soit

réussie, est bienveillante.

Nancy LABONTE GRAS 11

3. Enjeux théologiques

a) Le goût de la prière

Le Seigneur Dieu entend les murmures de la communauté d'Israël. Il

donne alors des consignes à Moïse qui visent à tester la foi du

peuple. Les écrits rabbiniques du Midrash racontent que Dieu conteste

les plaintes incessantes des enfants d’Israël qui errent dans les

contrées sauvages du désert. Le Seigneur de l'Exode suggère de

réfléchir à notre demande et de prier simplement un murmure qu’il

écoutera. Dans cet épisode, l’épreuve consiste à tester l’obéissance.

Combien de temps cela prendra-t-il pour que les enfants écoutent les

instructions du Seigneur sur le partage et le sabbat ? Quarante ans ?

Au quotidien, recueillir la manne c’est aussi prendre le temps de

faire le silence afin de « se » recueillir et d’écouter ce que Dieu

nous demande – notre manne peut aussi être nos dons personnels à

partager avec la communauté.

b) La prière du goût

Les écrits rabbiniques du Midrash racontent aussi que ceux qui

mangèrent la manne y trouvaient le goût qui leur plaisait : du pain

ou des gâteaux avec du miel. Le Seigneur de l'Exode donne la

possibilité de cuisiner le goût que l'on aime. Il y a une

transmission de vie par la manne et cette vie s’agrémente de miel.

Israël arrive à manger de la manne aussi longtemps sans se plaindre

Nancy LABONTE GRAS 12

parce que la joie émane enfin du partage qui fait que tous en ont à

leur faim et à leur goût.

Leur appartenance culturelle et religieuse est liée à cette

expérience vécue. Ensemble, ils voient la gloire de Dieu dans la nuée

du matin, ensemble, ils ramassent le qu’est-ce, ensemble, ils nomment

cette nourriture surnaturelle, ensemble, ils goûtent la douceur des

gâteaux avec du miel, ensemble ils en gardent une portion dans une

jarre pour témoigner de la grâce du Seigneur auprès de leurs

descendants.

Nancy LABONTE GRAS 13

c) L’apprentissage de la bienveillance mutuelle

Le livre de l’Exode compile une série de contes où Dieu établit une

relation particulière avec Israël. Celle-ci découle de la promesse

d’un accompagnement bienveillant, doublé de l’exigence d’être fidèles

et d'obéir aux lois de Dieu. Obéir n’est peut-être pas le mot le plus

approprié. Dans la perspective de Moïse, il y a prescription et

commandement, mais dans celle de Dieu, il y a curiosité et intérêt.

Il veut voir si le peuple va « marcher » tel qu’il le suggère (4),

c'est-à-dire qu’il s’attend à un fonctionnement communautaire

particulier : la maison d'Israël sortira chaque matin ramasser sa

ration du jour et le sixième jour, elle préparera une double ration

en prévision du septième jour où il sera inutile de sortir pour en

ramasser. Ce septième jour, le Seigneur se reposera et on respectera

son repos en mangeant les restes de la veille. Ils sont prévus pour

ça. En pratique, tous en auront pour leur faim parce que les chefs de

chaque tente en ramasseront suffisamment pour ceux de leur tente,

parce qu'ils procèderont à une répartition équitable. En écoutant

Dieu, la communauté d’Israël restera vivante même dans l’adversité du

désert. L’écoute mutuelle se doublera de bienveillance mutuelle et se

répercutera dans la vie de la communauté.

4. Entendre ce texte aujourd’hui

Nancy LABONTE GRAS 14

L’éthique proposée dans le projet de Dieu consiste à travailler pour

assurer sa survie, mais aussi de prendre le temps de se reposer et de

partager les dons de Dieu avec bienveillance au sein d’une

communauté, de produire et de consommer seulement ce qui est

nécessaire, de ne pas tenter d’en profiter, de ne pas gaspiller et de

se souvenir de la grâce de Dieu.

a) Les justes règles d'un partage équitable

Nous apprenons dans Exode 16 que le travail et le repos doivent être

équilibrés, que la consommation peut être simplifiée, que le partage

des richesses s’inscrit dans une histoire de communauté de partage et

que nous devons être responsables dans l’utilisation des ressources

extraites de la terre. Par analogie, il faudrait transposer ce récit

aux principes et aux normes qui influencent le travail, la

consommation, le partage des richesses et la protection de

l’environnement. La nourriture abondante doit être partagée afin que

tous et toutes reçoivent autant qu'ils peuvent manger (18). Et même

si la surexploitation conduit plus à la désertification qu'à la

pourriture, la communauté humaine entière est visée par ce conte.

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L’économie actuelle est basée sur l’exploitation des humains et des

monocultures potagères, au lieu de se fonder sur les droits de la

personne, sur l’équité et la solidarité. Une nouvelle économie

inspirée de la justice sociale illustrée dans Exode 16 implique de

partager les biens communs, la propriété. Elle requiert une

participation volontaire pour le bien-être de la communauté. Or, que

sont ces biens communs ? Dans un fascicule du Conseil œcuménique des

Églises, on emploie une méthodologie qui lie la pauvreté, la richesse

et l’écologie. Ainsi les biens communs sont essentiels pour élever la

personne dans une relation de respect de la dignité des personnes qui

vivent dans une communauté de partage et qui participent

démocratiquement aux décisions affectant leurs groupes. Les biens

communs n’incluent pas la nourriture, mais ce qui permet de la

produire et de la partager – certaines terres pour lesquelles on paie

des taxes, l’eau, l’éducation, les savoirs, la solidarité, la liberté

– et ce qu'elle garantit – la santé.

b) La culture de la manne

Nancy LABONTE GRAS 16

La sécurité alimentaire est une idée ancienne avec un nom nouveau

pour dire que tous et toutes devraient recevoir autant qu'ils peuvent

manger (18). Récemment, cette notion s’est assortie d’une vision

locale des écosystèmes qui s’incarne dans des pratiques de jardinage

de proximité, de jardinage urbain et même de partage gratuit des

récoltes. Sans être religieuses, ces initiatives collectives engagent

les personnes dans le respect mutuel, l’acte de servir, le rejet de

la violence et de la faim ainsi que la communauté de biens à travers

des activités collectives d’agriculture maraîchère. Quelle part de la

culture juive avons-nous retenue dans nos pratiques laïques : la

coutume du sabbat ou la culture locale d'aliments qui surgissent au

sol chaque matin et qu’on ramasse chacun pour tous ceux de sa

« tente » ? Cette nourriture mystérieuse, ce qu’est-ce, serait-elle une

semence à cultiver et à perpétuer pour les descendants ? Lire Exode

16 aujourd’hui, c’est lire un texte ancien en 2014, année déclarée

par l’Organisation des Nations Unies : Année internationale de l’agriculture

familiale. Une belle occasion de repenser à notre rapport à la

nourriture et à la consommation. Écouter Dieu aujourd’hui, c’est voir

les mouvements d’espérance s’organiser en faveur de la protection de

l’environnement et de la production alimentaire en lien avec les

enjeux de justice sociale.

5. Propositions pour la prédication

a) Culture de prière participative

Objectif : Activer la prière en participant à réaliser ce qu’on demande.

Nancy LABONTE GRAS 17

Une grande proportion de la population mondiale ne mange pas chaque

jour. Plus localement, les banques alimentaires voient leurs réserves

diminuer. Même avec les meilleures technologies, notre manne nous

pourrit entre les mains… Elle fond au soleil dans les poubelles des

pays du nord. La globalisation ne doit pas avoir raison du don

gratuit à la source de la communauté ni des initiatives collectives

qui permettent de cultiver les déserts contemporains que sont nos

villes. Mais surtout, nous devons participer aux solutions qui vont

dans le sens d’un partage équitable de la manne moderne. Plus que

jamais, il faut repenser la demande qu’on murmure à Dieu. Car aurons-

nous encore de la manne à manger en contexte de désastre

environnemental ? La prière, plus que jamais, doit participer

activement à faire des choix différents. Réduire notre consommation

et éviter le gaspillage, manger local et participer à un marché

équitable peuvent constituer une prière participative d’espoir.

Pourquoi ne pas espérer que tous puissent conquérir leur nourriture

quotidienne et participer à cultiver la nouvelle manne du monde?

Famines et désertification représentent les conséquences les plus

visibles des industries agroalimentaires aliénantes. La santé

mondiale dépend pourtant des petites exploitations agricoles à

l’échelle humaine. Ce n’est pas en se plaignant de ses malheurs que

l'on peut espérer recevoir une réponse agréable à nos prières.

Incarner le peuple de Dieu signifie vivre dans un monde différent où

Dieu règne et commande la nature pour nourrir ceux qui s’y engagent.

La prière devient alors un geste humble de participation et de don.

b) Prédication en action

Nancy LABONTE GRAS 18

Objectif : Cultiver collectivement autour du lieu de culte et offrir gratuitement les récoltes.

Nombre de nos églises pourraient troquer leur gazon bien tondu pour

des jardins comestibles. Nous pourrions penser à une prédication en

action qui animerait la communauté dans la culture de son jardin

collectif. De plus, nous perdons nos savoirs paysans. Une activité de

jardinage collectif sur le terrain de l’église permettrait

d’apprendre à cultiver ensemble. Les récoltes pourraient être

offertes à des organismes visant à assurer la sécurité alimentaire de

notre région. Sinon, on pourrait pratiquer le don simple à ceux qui

le demandent, sans juger le bien-fondé de leur demande, comme l’a

fait Dieu dans Exode 16, dans une dynamique de bienveillance

mutuelle.

Afin de conclure les activités de jardinage, une pratique de service

cultuel en mémoire du geste d’Aaron pourraient se répéter chaque

année à la fin de l’hiver et prévoir un rituel de partage de

semences.

c) Ré-établir la relation entre les personnes et Dieu

Objectif : Actualiser la règle du Sabbat en respectant le repos sacré nécessaire au bien-être.

Raconter le chapitre 16 en mettant l’emphase sur la simplicité des

activités de distribution et de consommation de la manne. Il est

primordial d’avoir une hygiène de vie : dans ce chapitre, on collecte

le matin et on cuisine de manière élaborée l’avant-dernier jour de la

semaine pour se réserver un jour de repos. Au contraire, nous

Nancy LABONTE GRAS 19

travaillons n’importe quand, nous sommes fatigués, plusieurs se

voient épuisés… tandis qu’au Sud, les travailleurs sont forcés. Et si

le repos devenait sacré ? Et si l’humanité décidait d’aller moins

vite et d’accorder du repos à tous au lieu de toujours vouloir

produire plus ? Et si on organisait la distribution pour éviter le

gaspillage ? Il semble aussi que le bien-être implique de préserver

le repos de Dieu avec bienveillance.

6. Ouvrages utilisés

Meyer, L. (1983). The Message of Exodus: A Theological Commentary. Augsburg

Publishing House.

Vorster, J. M. (2011). “Go out and gather each day ...”: implications

of the ethics of Exodus 16 for modern consumerism. Koers - Bulletin for

Christian Scholarship, 76(1), 171–192. doi:10.4102/koers.v76i1.12

World Council of Churches Commission of the Churches on International

Affairs Working Group on Social Justice and Common Goods. (2011).

Social Justice and Common Goods. The Ecumenical Review, 63(3), 330–343.

doi:10.1111/j.1758-6623.2011.00125.x

Wotton, R. S. (2010). What was Manna? Opticon1826, (9). Retrieved from

http://www.ucl.ac.uk/opticon1826/currentissue/articles/LS_Wotton.pdf

Nancy LABONTÉ

Nancy LABONTE GRAS 20