Habitat et mode de vie des chasseurs paléolithiques de la Caune de l'Arago (600 000–400 000 ans

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Article original Habitat et mode de vie des chasseurs paléolithiques de la Caune de l’Arago (600 000–400 000 ans) Habitat and behaviour of paleolithic hunters at the Caune de l’Arago (600,000–400,000 years) Henry de Lumley d , Sophie Grégoire a, *, Déborah Barsky a , Gérard Batalla a , Salvador Bailon b , Véronique Belda a , Djamila Briki a , Louise Byrne a , Emmanuel Desclaux b , Khalid El Guenouni b , Alain Fournier c , Sarah Kacimi a , Frédéric Lacombat b , Marie-Antoinette de Lumley d , Anne-Marie Moigne d , José Moutoussamy a , Cristina Paunescu b , Christian Perrenoud a , Véronique Pois a , Jérome Quiles d , Florent Rivals a , Thierry Roger b , Agnès Testu a a Centre Européen de recherches Préhistoriques de Tautavel, avenue Léon-Jean-Grégory, 66720 Tautavel, France b Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret, UMR 6569 du CNRS, Conseil Général des Alpes-Maritimes, parc de la Villa-La-Côte, 33 bis, boulevard Franck-Pillate, 06300 Nice, France c Laboratoire de Paléontologie humaine et de Préhistoire, UMR 6569 du CNRS, université de Provence (Aix, Marseille-I), Place Victor-Hugo, 13331 Marseille cedex 3, France d Département des sciences de préhistoire du Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR 5198 du CNRS, Institut de Paléontologie Humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France Disponible sur internet le 12 septembre 2004 Résumé La quantité importante de niveaux d’occupations humaines identifiées dans le remplissage de la Caune de l’Arago, daté de 700 000 ans à la base et de 100 000 ans au sommet, et leur exceptionnelle richesse, ont donné lieu à une étude des types d’habitat et des modes de vie des chasseurs paléolithi- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Grégoire). L’anthropologie 108 (2004) 159–184 www.elsevier.com/locate/anthro © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anthro.2004.05.001

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Article original

Habitat et mode de vie des chasseurs paléolithiquesde la Caune de l’Arago (600 000–400 000 ans)

Habitat and behaviour of paleolithic huntersat the Caune de l’Arago (600,000–400,000 years)

Henry de Lumley d, Sophie Grégoire a,*, Déborah Barsky a,Gérard Batalla a, Salvador Bailon b, Véronique Belda a,Djamila Briki a, Louise Byrne a, Emmanuel Desclaux b,Khalid El Guenouni b, Alain Fournier c, Sarah Kacimi a,

Frédéric Lacombat b, Marie-Antoinette de Lumley d,Anne-Marie Moigne d, José Moutoussamy a, Cristina Paunescu b,

Christian Perrenoud a, Véronique Pois a, Jérome Quiles d,Florent Rivals a, Thierry Roger b, Agnès Testu a

a Centre Européen de recherches Préhistoriques de Tautavel, avenue Léon-Jean-Grégory,66720 Tautavel, France

b Laboratoire départemental de Préhistoire du Lazaret, UMR 6569 du CNRS, Conseil Général desAlpes-Maritimes, parc de la Villa-La-Côte, 33 bis, boulevard Franck-Pillate, 06300 Nice, France

c Laboratoire de Paléontologie humaine et de Préhistoire, UMR 6569 du CNRS, université deProvence (Aix, Marseille-I), Place Victor-Hugo, 13331 Marseille cedex 3, France

d Département des sciences de préhistoire du Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR 5198du CNRS, Institut de Paléontologie Humaine, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France

Disponible sur internet le 12 septembre 2004

Résumé

La quantité importante de niveaux d’occupations humaines identifiées dans le remplissage de laCaune de l’Arago, daté de 700 000 ans à la base et de 100 000 ans au sommet, et leur exceptionnellerichesse, ont donné lieu à une étude des types d’habitat et des modes de vie des chasseurs paléolithi-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Grégoire).

L’anthropologie 108 (2004) 159–184

www.elsevier.com/locate/anthro

© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anthro.2004.05.001

ques entre 600 000 ans et 400 000 ans. Les résultats des études pluridisciplinaires menées depuis denombreuses années sur ces niveaux archéologiques permettent aujourd’hui de proposer une typologiede l’habitat en grotte pour le Pléistocène moyen du sud de la France. En effet, quatre types d’habitatont pu être identifiés et décrits. Ils ont été définis à partir de différents caractères comme l’épaisseurde l’accumulation archéologique, les espèces animales représentées, les saisons d’abattages identi-fiées, l’état de surface des ossements et leur conservation, les caractéristiques morphotechniques ettypologiques des assemblages lithiques, les catégories de matières premières minérales utilisées et leterritoire d’exploitation défini à partir de celles-ci. Ces quatre types d’habitat sont : l’habitat de longuedurée, où la grotte a été utilisée comme camp résidentiel de base, le campement temporairesaisonnier, où la grotte est utilisée comme campement secondaire, la halte de chasse et le bivouac oùla grotte est cette fois considérée comme un refuge pour un séjour de courte durée. Les modes de viesont étroitement liés au type d’habitat et sont généralement tous orientés vers une activité principale :la chasse. Les activités sont diversifiées dans les occupations de longues durées et saisonnières alorsqu’elles sont plus réduites et très spécialisées dans les occupations brèves. En résumé la Caune del’Arago présente toutes les caractéristiques d’un site à usage multiple qui a été utilisé à de nombreusesreprises par des groupes de chasseurs ou des groupes familiaux d’anténéandertaliens qui ont laissé denombreuses traces de leurs activités nous permettant de connaître leurs habitats et leurs modes de vie.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Several human occupations have been identified within the deposits of the Caune de l’Arago Cavesite, dated from 700 000 years to 100 000 years old. The exceptional wealth of these archeologicallevels provides an opportunity for the study of different types of habitat and behavioral patterns ofPaleolithic hunters between 600 000 and 400 000 years ago. Results from preliminary studies, carriedout over the last 30 years on these archeological levels, allow for the proposition of a typology forcave habitats during the Middle Pleistocene in the south of France. In fact, four types of habitat wereidentified and defined. They have been described according to different characteristics such as, thethickness of the archeological accumulation, the animal species represented, the season during whichthe animals were hunted, the state of conservation of the fossils discovered, the morpho-technologicaland typological characteristics of the lithics, the categories of raw materials used and the territoryexploited by the hominids inhabiting the cave, as defined by the raw materials represented. The fourhabitation types defined are: the long duration habitat, where the cave was used as a home base; thetemporary seasonal habitat, in which case the cave served as a secondary campsite; the huntingstopover and the bivouac, during which the cave was used as a refuge for short term stays. Behavioralpatterns appear to be directly related to the type of habitat and oriented towards a principal activity:hunting. The activities performed by the inhabitants of the cave seem to be more diversified duringprolonged or seasonal occupations, whereas they appear to be reduced or very specialised during briefstays. Generally, The characteristics studied show that the Caune de l’Arago Cave site had multipleuses over time for Anteneandertalian family groups and hunters who left traces of their activities,allowing us to better understand their lifestyle.© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Pléistocène moyen ; Caune de l’Arago ; Habitats paléolithiques ; Habitat de longue durée ; Campementtemporaire saisonnier ; Halte de chasse ; Bivouac

Keywords: Middle Pleistocene; Caune de l’Arago cave; Paleolithic habitats; Long duration habitat; Temporaryseasonal habitat; Hunting stopover; Bivouac

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La perception de l’habitat et des modes de vie, dans un site préhistorique, résulte deplusieurs étapes successives d’observation, de description et d’étude.

Les premières observations interviennent pendant les fouilles, au moment où certainesstructures particulières, dans la répartition et l’agencement des restes archéologiques, sontmises au jour.

La lecture de l’organisation stratigraphique du remplissage (succession de niveauxarchéologiques et de niveaux stériles), réalisée pendant les fouilles, constitue également unélément majeur pour la compréhension et l’interprétation des habitats et des modes de vie.

La lecture et l’analyse de la totalité des éléments observés pendant la fouille (positiondes objets suivant leur nature, pendage, orientation etc.), grâce au traitement informatiqueau moyen d’une base de données regroupant tout le matériel paléontologique et préhisto-rique apporte des éléments de caractérisation pour chaque niveau.

Les observations de terrain, couplées à la lecture des coupes longitudinales et transver-sales et des plans de répartition des objets, faisant apparaître les regroupements d’objetsarchéologiques dans le site, constituent le point de départ de notre étude.

Le site de la Caune de l’Arago à Tautavel, dans le département des Pyrénées-Orientales,est composé de plusieurs niveaux d’occupations du Paléolithique inférieur compris dans unremplissage sédimentaire de 15 m d’épaisseur, attribué au Pléistocène moyen.

Ce site semble se prêter remarquablement à cet exercice de reconstitution des habitats,tant sa richesse et sa diversité exceptionnelles en font un site privilégié pour observer etdécrire la variété du comportement des chasseurs du Paléolithique inférieur.

Les fouilles y ont mis au jour différents types d’occupations, comprises entre700 000 ans et 100 000 ans (Lumley et al., 1984), attribuables aux hommes et auxcarnivores.

Le complexe moyen défini dans la stratigraphie, sera l’objet de notre étude. Il s’étend dustade isotopique 14 au stade isotopique 12. Il est caractérisé climatiquement par unepremière phase froide et sèche comprise entre 570 000 ans et 530 000 ans, puis par unephase tempérée et humide datée de 530 000 ans à 480 000 ans et enfin par une phaseclimatique froide et sèche jusqu’à 400 000 ans. Il est subdivisé en trois ensemblesstratigraphiques (Fig. 1) qui comprennent chacun plusieurs niveaux archéologiques inters-tratifiés avec des niveaux d’occupation de la grotte par des carnivores.

Cette étude, fondée sur l’observation et la description des niveaux archéologiques et deleur contenu, permet d’identifier différents types d’habitats qui par la suite pourront êtrecaractérisés et permettront, grâce à une étude pluridisciplinaire, la reconstitution desdifférentes modalités d’occupation et des activités réalisées dans la grotte par niveau.

Il apparaît clairement que les niveaux d’occupation répertoriés dans ce complexestratigraphique sont de natures diverses, tant sur le plan du type d’habitat et des modes devie que de la durée et de la période de l’occupation.

Ce travail synthétique, fondé sur une étude pluridisciplinaire, met en évidence unetypologie des habitats à la Caune de l’Arago, au travers desquels apparaissent des modes devie variés liés à des activités spécifiques.

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Fig. 1. Coupe stratigraphique de la Caune de l’Arago.Fig. 1. Stratigraphic section of the Caune de l’Arago.

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etal./

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1. L’habitat naturel et les aménagements internes

1.1. La grotte

La cavité proprement dite était autrefois un refuge aux dimensions importantes (plus de100 mètres de long, 10 mètres de large), développé selon un axe E-O, perché à 100 mau-dessus du niveau actuel d’une rivière, le Verdouble.

Les dimensions de la grotte permettent l’installation de grands groupes composés d’unequinzaine de personnes voire plus et autorisent aussi bien l’installation d’un campement debase que d’un campement secondaire (Otte, 1996).

Elle est creusée dans une falaise de calcaire urgonien, habitat naturel de nombreuxherbivores rupicoles.

Tel un observatoire, elle domine la plaine de Tautavel, et le débouché des gorges desGouleyrous qui constituaient probablement des espaces giboyeux.

Proche d’une quantité de ressources naturelles diverses, elle se situe à proximitéimmédiate du Verdouble et de ses terrasses alluviales, source de matière première lithiqueimportante.

1.2. Perception de l’aménagement interne

Dans les différents niveaux archéologiques individualisés les structures d’aménagementinternes sont peu fréquentes et se manifestent dans la plupart des cas par des airesd’activités de débitage de la roche et plus rarement de boucherie (Pois, 1998).

Le matériel au sol est généralement réparti de manière aléatoire, toutefois certainsregroupements sont parfois visibles et pourraient correspondre à des zones d’activitésspécifiques (Moigne, 1983).

Les zones de regroupement les plus courantes correspondent à des ateliers de débitagedu quartz ou encore à des amas osseux correspondant à des zones de rejet ou à des zonesd’activité intense. Certains regroupements pourraient être interprétés comme ateliers defracturation des os dans le but d’en extraire la moelle.

Les aires d’activités de débitage des roches sont composées de nombreux débris dequartz, d’une enclume et de galets bruts et fracturés en matières premières diverses.

Les aires d’activités de boucherie sont composées d’une enclume en roche métamorphi-que ou en calcaire, d’un amas d’os longs et de mandibules d’herbivores fracturés, et dequelques galets bruts ou aménagés en matières premières diverses, portant des traces depercussion.

Mis à part ces traces diffuses de gestion de l’espace, les structures d’aménagementinternes sont peu nombreuses à la Caune de l’Arago comme dans la plupart des sites duPaléolithique inférieur.

Il semblerait que l’ensemble de la superficie de l’espace habitable ait été utilisé plussouvent dans les niveaux d’occupation de longue durée que dans les installations plusbrèves (Pois, 1998).

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2. Les habitats et les modes de vie identifiés dans le complexe stratigraphiquemoyen de la Caune de l’Arago

2.1. Le niveau G

Le niveau G est le résultat d’une occupation de la grotte par un grand groupe familial,pendant une durée importante d’une année ou plus. Cette occupation, datée de 450 000 ans,s’est déroulée pendant une période froide et sèche à vents violents.

Les restes humains, retrouvés en quantité non négligeable dans ce niveau, montrent laprésence des trois principales catégories d’individus, hommes, femmes et enfants. Cesrestes, répartis sur le sol de manière aléatoire, au même titre que les déchets alimentaires,étaient très fragmentés.

Pendant leur long séjour, les chasseurs ont exploité les divers biotopes présents àproximité immédiate de la cavité dans un rayon de 5 km, à savoir les falaises calcairessituées autour de la grotte et les éboulis, la plaine à caractère steppique au pied de la grotteet les plateaux balayés par le vent au sommet des falaises. Ils y ont chassé l’argali (Ovisammon antiqua), le bison (Bison priscus), le bœuf musqué (Praeovibos priscus) et lecheval (Equus mosbachensis) en quantité importante. Plus ponctuellement ils ont abattudes cervidés tels que le renne (Rangifer tarandus), le cerf (Cervus elaphus) et un petitbovidé, le thar (Hemitragus bonali) (Fig. 2).

Leur chasse, très diversifiée, montre des périodes d’abattage variées étalées sur toutes lessaisons. Les individus chassés sont généralement adultes.

Les ossements au sol sont généralement très fragmentés. Ils ont subi des fracturationsintentionnelles, à l’aide de galets aménagés par exemple, dans le but d’en extraire la moelle.Ces ossements présentent une forte proportion (20 %) de stries de dépeçage, de décarnisa-tion ou de désarticulation (Moigne, 1983).

Fig. 2. Répartition des espèces dans le niveau G.Fig. 2. Distribution of species in level G.

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Ce niveau comporte de nombreux témoignages de débitage intense de la roche dans lacavité (aire d’activité de débitage du quartz par percussion bipolaire sur enclume). L’indus-trie lithique y est très abondante. Elle a été fabriquée essentiellement à partir de quartzlaiteux puis de quartz hyalin.

Les roches siliceuses sédimentaires sont présentes en quantité très faible dans ce niveauet la majorité d’entre elles sont des silex, des chailles et des lydiennes disponibles àproximité immédiate de la grotte.

Une des particularités de ce niveau est la diversité des roches utilisées et la quantitéimportante de roches éruptives d’origine paléozoïque provenant du massif du Mouthoumet.Plus de 90 % des matières premières proviennent des alluvions du Verdouble, la rivièresituée au pied de la grotte.

L’industrie est composée d’un fort pourcentage de produits de débitage. Les galetsentiers et fracturés sont très abondants et comportent souvent des stigmates d’écrasement etde percussion. Les galets aménagés sont bien représentés et dominés par les choppers. Lesbifaces, confectionnés dans du grès quartzite et du schiste métamorphique sont peunombreux mais présents (Fig. 3).

Ce niveau permet d’observer un comportement technologique particulier qui s’illustrepar l’abondance d’éclats à grandes plages corticales exclusivement en calcaire, correspon-dant aux résidus de fabrication des galets aménagés. Effectivement, seuls les galets destinésà être aménagés ont été introduits entiers dans la grotte, les autres roches semblent avoir étépréparées à l’extérieur.

Les techniques de débitage le plus souvent employées sont peu recherchées et fonction-nent par enlèvements unipolaires ou bidirectionnels et plus rarement multidirectionnels. Ledébitage centripète est aussi utilisé (Barsky, 2001).

Le territoire parcouru pour l’acquisition des matières premières est vaste et s’étendjusqu’à 33 km vers le nord-est (Fig. 4). Toutefois, la majorité des roches exploitéesproviennent de la zone locale, comprise entre 0 et 5 km autour de la grotte. Un faible

Fig. 3. Composition de l’industrie lithique du niveau G.Fig. 3. Composition of the lithic assemblage from level G.

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pourcentage de roches, des silex d’origine tertiaire précisément, proviennent d’une zoneéloignée située au-delà des 20 km (Fig. 5) (Grégoire, 2000).

Les roches de provenance locale sont, en général, débitées jusqu’à des stades moinsavancés que les silex de provenance lointaine.

Fig. 4. Territoire d’exploitation des matières premières du niveau G.Fig. 4. Territory exploited for the collection of raw materials in level G.

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Ce type d’occupation pourrait être qualifié d’habitat de longue durée.

2.2. Les niveaux F et J

Le niveau F est le résultat de l’occupation de la grotte, il y a 440 000 ans, par un groupede chasseurs d’argalis, venu s’installer en famille dans la cavité (de nombreuses dents delait tombées pendant le séjour prouvent la présence d’enfants), de la fin du printemps audébut de l’été.

Ces hommes ont pratiqué une chasse, dont l’argali (Ovis ammon antiqua), a été laprincipale proie (Rivals, 2002). Ils ont ponctuellement chassé du cheval (Equus mosba-chensis) et du bison (Bison priscus) (Fig. 6).

Leur chasse visait généralement des groupes matriarcaux, c’est-à-dire formés de femel-les adultes et de jeunes. Ce niveau d’occupation montre une activité intense de boucheriesur ces gibiers à l’intérieur de la grotte ainsi que la présence de nombreuses zones de rejetsdes déchets culinaires formant des accumulations d’ossements très fragmentés.

Les chasseurs avaient probablement privilégié l’exploitation d’un biotope : les zones depelouses (habitat naturel des argalis) qui devaient se situer non loin de la grotte, soit dans laplaine, soit sur le plateau. Les animaux chassés provenaient donc de l’environnementimmédiat de la cavité. Cette proximité devait rendre la chasse et le transport des bêtes plusaisés (Rivals, 2002).

Les chasseurs ont fabriqué la majorité de leur outillage en quartz. Les autres matièrespremières utilisées sont moins diversifiées que dans l’habitat de longue durée (niveau G).

Fig. 5. Système d’exploitation du territoire dans le niveau G.Fig. 5. Territory exploitation system in level G.

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Une place importante a été accordée aux roches siliceuses sédimentaires telles que lesjaspes et les silex d’âge tertiaire, roches qui ont été collectées dans des zones peu locales àéloignées, comprises entre 15 et 33 km (Fig. 7).

L’industrie lithique fabriquée par ces chasseurs est abondante et composée essentielle-ment de débris produits lors du débitage du quartz ainsi que de nombreux éclats et nucléus.Les galets aménagés, en calcaire pour la plupart, sont peu représentés et dominés par deschoppers. Quelques galets entiers à stigmates de percussion sont aussi présents. Les bifacessont rares et de forme atypique (Fig. 8).

Les hommes ont utilisé des techniques peu organisées pour le débitage des roches quis’illustrent généralement par des séries d’enlèvements unipolaires et unifaciaux.

Moins couramment représentées, les techniques de débitage à enlèvements centripètesunifaciaux ou bifaciaux sont attestées. Les éclats corticaux ou à résidu cortical sontextrêmement rares. Cette quasi-absence signifie sans doute que les hommes préparaient lesblocs ou galets à l’extérieur de la grotte, peut-être sur les lieux d’acquisition de la matièrepremière (Barsky, 2001).

Le territoire qu’ils ont exploité pour l’acquisition des matières premières s’étend jusqu’à33 km vers le nord-est (Fig. 7) mais cette fois, en plus des zones très locales majoritaire-ment exploitées (Fig. 9), des zones situées à 15 km au sud de la grotte semblent avoir étéprivilégiées. Il s’agit peut-être de la zone de provenance des chasseurs avant leur installa-tion dans la Caune de l’Arago (Grégoire, 2000).

Le niveau J est un autre niveau d’occupation du complexe stratigraphique moyen. Ilcorrespond à une occupation de la grotte il y a 500 000 ans, par un groupe de chasseurs de

Fig. 6. Répartition des espèces dans le niveau F.Fig. 6. Distribution of species in level F.

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cerf (Cervus elaphus) et de daim (Dama aff. clactoniana), venu s’installer en automne dansla grotte en famille.

Leur chasse était principalement axée sur ces deux cervidés et plus ponctuellement leurchoix s’est tourné vers l’argali (Ovis ammon antiqua) (Fig. 10).

Fig. 7. Territoire d’exploitation des matières premières du niveau F.Fig. 7. Territory exploited for the collection of raw materials in level F.

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Comme dans l’habitat précédent, les proies abattues sont essentiellement des jeunesadultes et des adultes.

Les ossements de ce niveau semblent avoir subi le même type de traitement que dans leniveau F. Il existe au sol des zones d’accumulation et des amas d’ossements très fragmentésmontrant une fracturation anthropique des os, opérée dans le but d’ouvrir la cavitémédullaire, masquée par une fragmentation liée au piétinement intense et au concassage surles nombreuses pierres.

Fig. 8. Composition de l’industrie lithique du niveau F.Fig. 8. Composition of the lithic assemblage from level F.

Fig. 9. Système d’exploitation du territoire dans le niveau F.Fig. 9. Territory exploitation system in level F.

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Les chasseurs ont privilégié l’exploitation d’un biotope, le milieu forestier, qui en cettepériode de climat tempéré humide, devait recouvrir une bonne partie de la plaine et desplateaux.

La majorité de l’outillage a été fabriquée en quartz laiteux et la deuxième matièrepremière la plus exploitée est constituée des roches siliceuses sédimentaires de type silex,radiolarite et chaille.

L’industrie est abondante et dominée par les éclats bruts puis par les petits outils suréclat de type racloir (Barsky, 2001; Byrne, 2001). Les galets aménagés sont bien représen-tés et dominés par les choppers (Fig. 11).

Les techniques de débitage employées sont peu organisées et fonctionnent pour lamajorité par enlèvements unipolaires ou orthogonaux. Le débitage centripète bifacial a étéutilisé occasionnellement (Barsky, 2001).

Dans ce niveau, apparaît nettement un souci de sélection des meilleures matièrespremières, qui se traduit par une exploitation importante des silex tertiaires provenant de lazone éloignée, à plus de 25 km au nord-est et des jaspes dont l’origine se situe à 15 km ausud de la grotte. Le territoire d’exploitation est vaste (33 kilomètres de rayon) et étendudans plusieurs directions opposées (Fig. 12). Le système d’exploitation du territoire estidentique à celui observé dans le niveau F (Fig. 13).

Ces deux niveaux F et J, dont les caractéristiques principales sont très semblables,pourraient être qualifiés de campements temporaires saisonniers.

Fig. 10. Répartition des espèces dans le niveau J.Fig. 10. Distribution of species in level J.

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2.3. Le niveau L

Il correspond à une brève halte de chasseurs de rennes qui ont occupé la grotte pendantune durée estimée entre une semaine et 15 jours. Les enfants, et probablement les femmes,devaient être exclus du petit groupe de chasseurs (aucune dent de lait n’a été retrouvée dansce niveau).

Le groupe a pratiqué la chasse au renne (Rangifer tarandus) de manière quasi exclusive.Quelques argalis ont cependant été chassés très ponctuellement (Fig. 14).

Les ossements accumulés au sol dans la cavité n’ont pas fait l’objet de traitementssecondaires comme des fragmentations dans le but d’extraire la moelle. Il semblerait queles restes aient été abandonnés très rapidement, après consommation ou simple extractionde la viande. Ce phénomène témoigne en faveur d’une occupation très brève de la grottetout comme l’état de conservation exceptionnel des restes lithiques et osseux qui lui,implique un enfouissement rapide des vestiges.

Un seul biotope a été principalement exploité : la plaine steppique qui s’étendait, en cettepériode froide et sèche, au pied de la cavité.

L’industrie lithique, peu abondante montre une utilisation préférentielle des silex impor-tés et des radiolarites, suivi des quartz hyalins et des quartz laiteux locaux. Elle montre unfort taux de transformation d’éclats en outils. Les galets aménagés sont très rares ainsi queles galets entiers. Les débris sont rares (Fig. 15).

Le débitage est relativement organisé et surtout très poussé, entraînant un épuisementmaximal des nucléus en roches de bonne qualité.

Le territoire d’exploitation de 33 km de rayon est étendu dans deux directions principa-les (Fig. 16). Étant donné la durée très brève du séjour dans la grotte, l’exploitation des silextertiaires du nord-est et des jaspes du sud n’est pas représentative de déplacements effectuésde la grotte vers les gîtes, mais indique probablement d’où venait le groupe de chasseurs

Fig. 11. Composition de l’industrie lithique du niveau J.Fig. 11. Composition of the lithic assemblage from level J.

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avant de s’installer à la Caune de l’Arago pour chasser le renne, en possession d’unoutillage déjà opérationnel (Fig. 17).

Ce niveau particulier, différents des précédents, pourrait être qualifié de halte de chasse.

Fig. 12. Territoire d’exploitation des matières premières du niveau J.Fig. 12. Territory exploited for the collection of raw materials in level J.

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2.4. Le niveau inter-FG

C’est un sol très peu marqué qui correspond à une occupation très brève de la grotte parun groupe de chasseurs de grands herbivores, venu s’abriter dans la grotte pour consommerle produit de leur chasse. En surface de ce niveau d’occupation, s’individualise nettementun sol jonché de restes de bœufs musqués (Praeovibos priscus). De nombreux restesd’argali (Ovis ammon antiqua) et de cheval sont aussi présents (Fig. 18).

Les restes osseux abandonnés au sol sont peu nombreux et peu fracturés par rapport auxautres niveaux d’occupation. Les individus chassés étaient essentiellement des adultes.Cette chasse relativement diversifiée reflète l’exploitation de plusieurs biotopes.

La surface au sol occupée est très restreinte contrairement aux occupations plus longues.Les matières premières utilisées pour la fabrication de l’industrie lithique sont dominées

par le quartz puis le quartzite. Les roches siliceuses sédimentaires représentent 18 % decette série lithique relativement pauvre.

Les éclats bruts sont les pièces les plus abondantes, suivis du petit outillage sur éclat detype racloir. Les galets entiers sont assez nombreux contrairement aux galets aménagésextrêmement rares. À ce jour aucun biface n’a été retrouvé dans ce niveau (Fig. 19).

Le débitage est assez sommaire et opportuniste malgré la qualité variable des rochesemployées (Barsky, 2001).

Le territoire d’exploitation semble assez restreint (Fig. 20). Les roches siliceuses debonne qualité ont probablement été ramenées sur le site au moment de l’installation etl’approvisionnement pendant l’occupation s’est effectué principalement dans la zonelocale, située entre 0 et 5 km autour de la grotte (Fig. 21).

Ce type d’occupation pourrait être qualifié de bivouac.

Fig. 13. Système d’exploitation du territoire dans le niveau J.Fig. 13. Territory exploitation system in level J.

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Fig. 14. Répartition des espèces dans le niveau L.Fig. 14. Distribution of species in level L.

Fig. 15. Composition de l’industrie lithique du niveau L.Fig. 15. Composition of the lithic assemblage from level L.

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3. Typologie de l’habitat de Caune de l’Arago

La nature de l’habitat paléolithique est perceptible à travers différents critères définis àpartir des observations précédentes :

Fig. 16. Territoire d’exploitation des matières premières du niveau L.Fig. 16. Territory exploited for the collection of raw materials in level L.

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• épaisseur de l’accumulation ;• nature de l’accumulation ;• durée de l’occupation ;• saison d’occupation ;• caractéristiques démographiques ;• type d’activité à l’origine de l’installation du groupe dans la grotte ;• dimensions du territoire ;• comportement de subsistance.

3.1. Les types d’habitat identifiés

Pour chaque niveau identifié, l’importance de l’accumulation des vestiges, l’épaisseurdu niveau en coupe, l’âge et par conséquent la période d’abattage des animaux représentés,ainsi que l’estimation de la durée d’occupation, constituent des indices qui permettent dedéfinir le type d’habitat en présence.

Dans le complexe moyen de la Caune de l’Arago, plusieurs types d’habitat attribuablesà l’homme ont pu être mis en évidence :

• l’habitat de longue durée ;• le campement temporaire saisonnier ;• la halte de chasse ;• le bivouac.

Fig. 17. Système d’exploitation du territoire dans le niveau L.Fig. 17. Territory exploitation system in level L.

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Fig. 18. Répartition des espèces dans le niveau inter FGFig. 18. Distribution of species in level FG.

Fig. 19. Composition de l’industrie lithique du niveau inter FG.Fig. 19. Composition of the lithic assemblage from level FG.

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3.2. Caractéristiques générales

L’habitat de longue durée est représenté par une accumulation importante de vestigesosseux et lithiques.

Fig. 20. Territoire d’exploitation des matières premières du niveau inter FG.Fig. 20. Territory exploited for the collection of raw materials in level FG.

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En coupe, le sol d’habitat se présente sous forme d’une strate épaisse, atteignant parfois1 m d’épaisseur, formée par une accumulation de vestiges très dense, qui ne contientquasiment pas de sédiment.

La grotte est alors occupée par un ou des grands groupes composés d’hommes, defemmes et d’enfants comme en témoignent les restes humains exhumés dans ces niveaux.

En général le matériel archéologique y est très diversifié. Les restes paléontologiquessont nombreux et constitués de plusieurs espèces dominantes, au moins trois ou quatreprincipales, et d’une série d’espèces plus rarement représentées. Ce type de chasse variéeimplique l’exploitation de nombreux biotopes.

D’après leur âge d’abattage, les animaux ont été chassés à plusieurs périodes de l’année,ce qui indique une occupation continue de la grotte sur une durée supérieure ou égale à uneannée.

L’industrie lithique y est abondante et très variée, elle semble adaptée aux activités trèsdiversifiées qui caractérisent les occupations de longue durée.

Elle est produite par plusieurs techniques de débitage plus ou moins élaborées et parfoistrès opportuniste comme le débitage bipolaire sur enclume, très utilisé sur le quartz laiteuxou plus généralement en fin de chaîne opératoire.

Les matières premières lithiques utilisées sont de natures très variées et semblenttémoigner d’une bonne connaissance de l’environnement de l’habitat dans un large rayon etd’une collecte qui pourrait également être qualifiée d’opportuniste.

En général, dans ces niveaux, les ressources très locales sont les plus représentées.L’utilisation massive des ressources locales est la preuve d’une bonne adaptation del’homme à son milieu de vie.

Fig. 21. Système d’exploitation du territoire dans le niveau inter FG.Fig. 21. Territory exploitation system in level FG.

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Le campement temporaire saisonnier correspond à un niveau d’accumulation de restesmoins important que le précédent. En coupe ce niveau se présente généralement commeune couche assez riche, de 20 à 60 cm d’épaisseur.

La grotte est alors occupée par un groupe composé d’hommes, de femmes et d’enfantscomme en témoignent les restes humains découverts dans ces niveaux.

Le niveau est constitué de matériel archéologique spécifique. Les restes paléontologi-ques sont représentés par une, voire deux espèces dominantes seulement, correspondant àune chasse sélective orientée vers l’exploitation d’un biotope principal.

L’âge d’abattage des animaux met en évidence une seule et même période de chasse, engénéral cantonnée à une saison précise.

La durée de l’occupation peut alors être estimée entre un à trois mois.Les ossements ont souvent fait l’objet d’un traitement intense, ils sont très fracturés et

portent de nombreuses stries de découpe.L’industrie lithique est assez spécialisée et caractérisée par une abondance de produits

de débitage, sans doute utilisés bruts, et par une quantité importante (de 40 à plus de 50 %)d’outils sur éclats de type racloir ou pointe.

En général ces supports ont été obtenus grâce à des techniques de débitage élaborées detype discoïde et de type centripète bifacial.

Une sélection des meilleures matières premières semble avoir été opérée dans cesniveaux. Le choix s’est souvent porté sur des roches sédimentaires siliceuses de type silexou encore sur des quartz hyalins ou des quartzites pour la réalisation des supports.

Les roches employées sont moins diversifiées que dans les campements de longue durée,leur choix semble plus ciblé et probablement défini en fonction d’activités plus spéciali-sées. Cette sélection implique aussi une exploitation du milieu naturel organisée et peuvariée.

Le territoire est vaste mais toutes les ressources minérales qu’il offre, habituellementexploitées pendant les occupations de longue durée (niveau G), n’ont pas été sollicitées aucours des campements saisonniers. Il semblerait que des zones spécifiques aient étéprivilégiées, notamment pour l’acquisition des roches siliceuses sédimentaires.

La halte de chasse est caractérisée par un sol d’occupation très fin qui ne correspond pas,contrairement aux types d’habitats précédents, à une accumulation verticale de vestiges,mais plutôt à une phase d’occupation brève qui a occasionné une activité intense dans lagrotte, se traduisant par une concentration horizontale de vestiges au sol. La surfaced’occupation au sol est beaucoup plus restreinte que dans les occupations précédemmentdécrites.

En général ces niveaux ne contiennent pas de restes humains. La cavité est probablementoccupée par un groupe de chasseurs et non pas par le groupe familial, étant donné l’absencesystématique de dent de lait dans ces niveaux.

Les restes paléontologiques y sont les plus nombreux et généralement représentés parune espèce exclusive qui indique l’exploitation d’un seul biotope. Ils sont souvent peufracturés et ne montrent pas de fragmentation secondaire.

Les restes sont généralement bien conservés car ils ont subi un enfouissement rapide quis’explique par l’abandon hâtif des lieux. La conservation de ce type de niveau n’esteffectivement possible que si le recouvrement des vestiges par le sédiment est immédiat.

La durée de l’occupation est approximativement estimée à une courte période d’une àdeux semaines.

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L’outillage est spécialisé. L’industrie lithique est caractérisée par une majorité desupports introduits dans l’habitat sous forme prédébitée. Les éclats bruts y sont largementmajoritaires suivis du petit outillage sur éclat de type racloir et denticulé. Il faut toutefoisnoter le nombre important de galets entiers.

Les techniques de débitage sont généralement peu organisées et dominées par latechnique longitudinale unipolaire. Les nucléus sont très souvent complètement épuisés ettémoignent d’un souci d’économie de la matière première.

Les roches apportées sur le site sont des matières premières de bonne qualité comme lesjaspes ou les silex dont l’origine est assez diversifiée et témoigne d’une bonne connaissancede certaines zones plus ou moins éloignées de la grotte.

Le territoire d’exploitation est particulier. Il paraît aussi vaste que celui exploité dans lesautres types d’occupations.

Le bivouac correspond à une occupation ponctuelle de très courte durée, dont l’épaisseurest à peine perceptible en coupe. Ce sont, en général, des niveaux très difficiles à indivi-dualiser car ils ne sont pas continus mais plutôt localisés dans un secteur précis de la cavité.Le bivouac est toutefois un sol d’occupation à part entière dans la mesure ou il est séparédes autres niveaux archéologiques par une couche, parfois très mince, de sédiment stérile.

L’absence d’enfant dans le groupe est encore une caractéristique probable de ce type deniveau généralement dépourvu de restes humains. Seul un petit groupe de chasseurs devaitoccuper la grotte.

Les vestiges osseux et lithiques y sont numériquement faibles et représentés d’un pointde vue paléontologique par une espèce dominante et plusieurs autres représentées enquantité infime.

La durée de l’occupation est difficile à estimer mais elle correspond probablement à uneinstallation très brève de seulement quelques jours.

L’industrie lithique est composée d’une majorité d’éclats bruts obtenus par percussionbipolaire sur enclume et plus rarement par débitage discoïde.

Les matières premières sont généralement, pour la plupart, d’origine locale. Toutefoisun petit lot de roches dont la source se situe à plus de 30 km de la grotte semble indiquer lazone de provenance des chasseurs avant leur brève installation dans la grotte. La zoneintermédiaire n’est quasiment pas exploitée dans ce type d’occupation.

La diversité des types d’habitats de la Caune de l’Arago permet l’observation et l’étudede modes de vies variés dont l’objet principal est systématiquement la chasse.

Toutefois les variations perçues entre les différents niveaux sont fonction de la diversitédes ressources et des possibilités qu’offre cet habitat naturel et surtout, le milieu dans lequelil est implanté.

Le choix de la structure d’accueil a sans doute été motivé par plusieurs facteursdéterminants :

• la présence d’un cours d’eau à proximité de la cavité ;• l’importance du point de vue depuis la grotte ;• l’exposition de la grotte ;• la proximité de matériaux exploitables ;• la diversité des biotopes environnants.Ce sont ces points précis qui vont déterminer les diverses activités des occupants de la

grotte pendant près de 600 000 ans.

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Dans les habitats de longue durée et les campements temporaires saisonniers, denombreuses activités ont pu être mises en évidence grâce notamment à la perception desaires d’activités spécialisées. Ces observations et interprétations font état d’activités trèsvariées et complémentaires, réalisées aux abords de la grotte et dans la grotte, telles que :

• l’abattage des animaux ;• le dépeçage ;• la boucherie ;• le traitement secondaire des ossements ;• le façonnage d’outils sur supports souvent préformés ;• le débitage de galets aménagés ;• la production intense de débris de quartz.Dans les occupations de courte durée, telles que les haltes de chasse et les bivouacs, les

activités semblent moins diversifiées et beaucoup plus spécialisées.Elles tournent toutes autour d’une activité principale, bien mise en évidence, qui est en

général une chasse très sélective. Cette chasse consiste en l’abattage d’une quantité assezimportante de bêtes (de 20 à 40 individus) en un temps parfois très bref (quelques jours),dans le but, soit de les consommer rapidement sur place et donc d’accumuler des réservesde protéines, soit de constituer un stock de viande qui pourra être conservée séchée.

Cette activité intense de chasse est bien sûr accompagnée d’une série d’activitésintimement liées à l’activité principale, à savoir, le façonnage de matériel lithique spécifi-que, adapté au type de chasse et aux activités de boucherie ou encore les activités desubsistance classiques et quotidiennes que l’on peut aisément imaginer.

La Caune de l’Arago, grotte qui a livré plusieurs types d’occupation, pourrait êtrequalifiée de site à usages multiples (Otte, 1996).

Ces sites sont assez fréquents au Paléolithique inférieur en Europe. Ils sont connus enItalie avec le site d’Isernia la Pineta (Cremaschi et Peretto, 1988) et dans le Nord de laFrance à Cagny l’Epinette et à Biache-Saint-Vaast (Marcy, 1984).

En ce qui concerne l’étendue du territoire d’exploitation des matières premières, laCaune de l’Arago fait partie des sites qui s’inscrivent dans une dynamique de mobilitéimportante comme les sites espagnols de Torralba et Ambrona (González Echegaray etFreeman, 1998) et s’oppose radicalement aux types de gestion des ressources du milieuobservés dans les sites d’Atapuerca (Gabarró et al., 1996), d’Isernia la Pineta ou encore duVallonnet (exploitation exclusivement locale).

Références

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