GLAD SENOLF!

8
GLAD SENOLF DECEMBRE 2009 PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF PAGE 1 D’ancienne extraction chevaleresque, la maison de Kerboulard tire son origine du manoir de ce nom en la paroisse de Saint- Nolff au diocèse de Vannes, où elle résidait dés le XIVe siècle. Elle comparut parmi les nobles de cette paroisse aux réformations et montres de 1426 à 1536 et fut maintenue d'ancienne extraction chevaleresque à la réformation de l670 avec sept générations. Le Manoir à été édifié vers 1530 par Mes- sire Robert de Kerboulard, marié, vers 1508 à demoiselle Anne de Collédo, et qui compa- rait à La Réformation de 1514. Lors de mon arrivée à kerboulard, j’ai rapidement noué des relations enrichissantes avec l’association créée par Tugdual Kalvez, et son bureau fondateur. Parmis eux Gérard LE GAC qui est l’instiga- teur de ce projet. En effet, lors d'une visite à kerboulard alors que je le raccompa- gnais il s'arrêta, et montrant la façade du manoir, me dit : « il faudra rendre son nez à ta maison! ». J’acquiescais poliment mais ne comprit que quelques secondes plus tard l’évidence de sa remarque : l'embryon de lucarne encore en place n'est que la base d'un édifice beaucoup plus grand comme on les voit sur la plupart des manoirs bretons : il faudra donc la reconstruire. Le NEZ de KERBOULARD Tout commence donc par l’analyse minutieuse du bâti exis- tant, par la connaissance de son histoire et de celle d'édifices équiv- alents. L'étude architecturale et historique du manoir de Kerboulard permet de dater sa construction au début du XVIe siècle vraisembla- blement dans les années 1530. Gérard DANET : Le manoir de Kerboulard étude historique et architecturale. A cette époque l'évolution des goûts et de la mode architecturale tend à faire disparaître de la façade les éléments ornementaux sculptés pour les reporter sur la lucarne qui est « désormais hypertrophiée et cherche à attirer l'oeil. Surmontée de pignons suraigus, elle est le plus souvent accostée de crossettes et porte des ornements zoomorphes di- rectement empruntés aux gargouilles de l'architecture religieuse. Ce parti pris se retrouve aussi bien dans les grands édifices ... que dans les petits. » Le manoir en Bretagne 1380 - 1600, cahiers de l'inventaire, imprime- rie national, mai 1993. Cet attachement au répertoire flamboyant est vi- vace en particulier dans les petits édifices jusque vers 1560. Il est vrai- semblable que les lucarnes prennent alors pour les petits manoirs la signification de puissance et de domination que détenait les donjons et les tours des grands édifices jusqu'au XVe siècle. Le manoir de Kergal prés de Brandivy dans le Morbihan, cons- truit au cours de la première moitié du XVIe siècle montre des propor- tions et des dimensions de sa lucarne proche de ce que pouvait être celle du manoir de Kerboulard dont les éléments d'origine restant en place et l'appui saillant mouluré de la baie sont semblables (fig 1et 4). Restitution de la lucarne du manoir des Kerboulard. La réalisation d'un tel projet ne se fait pas à la légère. Et la restitution de la lucarne qui consiste à reconstruire aussi proche que possible cet édifice de ce qu'il était avant sa ruine implique au préalable de répondre aux ques- tions suivantes : - quelles étaient les formes et les dimensions de cette lucarne à l'origine? - comment la reconstruire? - pourquoi a-t-elle disparu? 1-Manoir de Kergal (brandivy, 56).

Transcript of GLAD SENOLF!

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 1

D’ancienne extraction chevaleresque, la maison de Kerboulard tire son origine du manoir de ce nom en la paroisse de Saint-Nolff au diocèse de Vannes, où elle résidait dés le XIVe siècle.

Elle comparut parmi les nobles de cette paroisse aux réformations et montres de 1426 à 1536 et fut maintenue d'ancienne extraction chevaleresque à la réformation de l670 avec sept générations.

Le Manoir à été édifié vers 1530 par Mes-sire Robert de Kerboulard, marié, vers 1508 à demoiselle Anne de Collédo, et qui compa-rait à La Réformation de 1514.

Lors de mon arrivée à kerboulard, j’ai rapidement noué des relations enrichissantes avec l’association créée par Tugdual Kalvez, et son bureau fondateur. Parmis eux Gérard LE GAC qui est l’instiga-teur de ce projet. En effet, lors d'une visite à kerboulard alors que je le raccompa-gnais il s'arrêta, et montrant la façade du manoir, me dit : « il faudra rendre son nez à ta maison! ». J’acquiescais poliment mais ne comprit que quelques secondes plus tard l’évidence de sa remarque : l'embryon de lucarne encore en place n'est que la base d'un édifice beaucoup plus grand comme on les voit sur la plupart des manoirs bretons : il faudra donc la reconstruire.

L e N E Z d eK E R B O U L A R D

Tout commence donc par l’analyse minutieuse du bâti exis-tant, par la connaissance de son histoire et de celle d'édifices équiv-alents. L'étude architecturale et historique du manoir de Kerboulard permet de dater sa construction au début du XVIe siècle vraisembla-blement dans les années 1530. Gérard DANET : Le manoir de Kerboulard étude historique et architecturale. A cette époque l'évolution des goûts et de la mode architecturale tend à faire disparaître de la façade les éléments ornementaux sculptés pour les reporter sur la lucarne qui est « désormais hypertrophiée et cherche à attirer l'oeil. Surmontée de pignons suraigus, elle est le plus souvent accostée de crossettes et porte des ornements zoomorphes di-rectement empruntés aux gargouilles de l'architecture religieuse. Ce parti pris se retrouve aussi bien dans les grands édifices ... que dans les petits. » Le manoir en Bretagne 1380 - 1600, cahiers de l'inventaire, imprime-rie national, mai 1993. Cet attachement au répertoire flamboyant est vi-vace en particulier dans les petits édifices jusque vers 1560. Il est vrai-semblable que les lucarnes prennent alors pour les petits manoirs la signification de puissance et de domination que détenait les donjons et les tours des grands édifices jusqu'au XVe siècle. Le manoir de Kergal prés de Brandivy dans le Morbihan, cons-truit au cours de la première moitié du XVIe siècle montre des propor-tions et des dimensions de sa lucarne proche de ce que pouvait être celle du manoir de Kerboulard dont les éléments d'origine restant en place et l'appui saillant mouluré de la baie sont semblables (fig 1et 4).

Restitution de la lucarne du manoir des Kerboulard.

La réalisation d'un tel projet ne se fait pas à la légère. Et la restitution de la lucarne qui consiste à reconstruire aussi proche que possible cet édifice de ce qu'il était avant sa ruine implique au préalable de répondre aux ques-tions suivantes :- quelles étaient les formes et les dimensions de cette lucarne à l'origine?- comment la reconstruire?- pourquoi a-t-elle disparu?

1-Manoir de Kergal (brandivy, 56).

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 2

2-Huitième et dernier projet de restitution de la lucarne ; les pierres marquées d’un point sont

celles encore en place sur l’édifice.

b

m’m

L

F

c c’

a

S

La partie inférieure de la lucarne constituée de l'appui saillant mouluré, du chaînage des moellons de part et d'autre de la baie, et de la traverse, sont encore en place (fig. 4). Comme les baies à travées de cette époque présentent toutes des proportions similaires entre la partie sur, et sous la travée (approximativement 1/3 au-dessus et 2/3 en dessous) et que la partie inférieure mesure 80 cm, cela nous im-pose une ouverture de 40 cm de hauteur au-dessus de la travée encore en place. Cette mesure est corroborée par le fait qu'elles implique une hauteur de 30 cm pour les 2 moellons (cf. fig. 2 m, m’) en façade qui supportent le linteau (L). Or la pierre de l’appui saillant (S), et tous les gros moellons en place sous la travée ont 1 pied de hauteur soit 30 cm (sauf un de 36 cm cf. fig. a). De plus le seul gros moellon de chaînage encore en place dans l'axe et à gauche de la traverse mesure aussi 30 cm de haut (b), et si on le surmonte d'un moellon de 30 cm de haut cela place automatiquement le linteau à 40 cm au-dessus de la traverse. Il est donc fortement vraisemblable que la base du linteau soit exactement à sa place originelle. Mais quelle est sa hauteur ? Compte tenu des contraintes qu’il doit supporter (la seule pierre sculptée portant le blason pèse plus de 600 Kilos) elle est vrai-semblablement supérieure aux 30 cm des moellons de chaînage, même si il est doublé en arrière par un faux linteau de dimension iden-tique qu'on appelle le palâtre. C'est la charpente qui nous donnera la réponse. En effet, par chance les deux grandes fermes en chêne qui constituent la charpente sont d'origine, et bien que l'emplacement des pannes actuelles soit différent de celui des pannes d'origine, les pièces de chêne qui constituent les fermes, présentent toutes à 2,70 mètres du sol du grenier une enture libre de 21 cm de hauteur par 9 cm de profondeur. Une seconde enture est visible à 4,40 mètres du sol. Il s'agit bien sûr de l'emplacement des deux pannes du rampant du toit, la 3ème panne étant faîtière. Les logements de ses pannes sont d’ailleurs visibles dans la maçonnerie des pignons (cf. fig. 6 page 3). Puisque les pannes du toit de la lucarne s'appuient en façade sur le linteau et ses deux moellons de chaînages latéraux et de leur autre extrémité sur les pannes de la charpente du manoir, et qu'elles sont nécessairement horizontales, cela place avec précision la hauteur à laquelle se trouve le lit supérieur du linteau, du palâtre, et des 2 moellons de chaînage (c, c’ ) à 2,70 m, mais aussi la pierre d’appui du faîtage du toit de la lucarne (F) à 4,40 m. Les dimensions de la lucarne semblent donc fixées précisément par les entures des pannes d'origine sur les fermes. Mais en réalité, si les pannes sont placées exactement, la position du lit supérieur du linteau et la position de la pierre où s'appuie la panne faî-tière de la lucarne peuvent varier de 40 cm selon les modes d'assemblage. En effet la dimension des entures impose des pannes de sec-tion 20X12 cm, ce qui est cohérent compte tenu de leur longueur, des contraintes qu'elles subissent, du matériau (bois de chêne ou de châtaignier). Les pannes de la toiture de la lucarne subissent des contraintes identiques et devaient être de même section.

Huit projets ont été nécessaires avant de proposer une restitution qui répondait à tous les paramètres ar-chitecturaux (fig. 2). Certains de ces paramètres étaient strictement imposés par les éléments d'époque encore en place sur l'édifice, d’autres étaient libres faute d’information. Les modèles numérisés et repor-tés sur des images numériques ont permis de visualiser et de valider le rendu final sur l’aspect du bâti-ment un an avant le début du chantier (fig. 3).

3-Modelisation du projet : différentes lucarnes numérisées reportées sur des images du batiment

4- La lucarne décapitée ; la travée et les pierres en dessous sont d’origine.

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 3

Donc pour un assemblage à mi-bois (fig 5 cas3) : le champ inférieur des pannes de la lucarne (L) sera au même niveau que le champ inférieur des pannes de la toiture (T) et que lit supérieur du linteau et de même pour la pierre d'appui au faîtage de la lucarne (A). Si les pannes de la lucarne (L) sont posées sur les pannes de la toiture (T) le linteau et la pierre d'appui (A) doivent être 20 cm plus hauts (cas1). Si les pannes de la lucarne sont fixées pendantes sous les pannes de la toiture le linteau et la pierre d’appui sont situés 20 cm plus bas (cas2) que l'assemblage à mi bois (cas3). Cette dernière solution (cas2) plus complexe à mettre en oeuvre car elle nécessite une ferrure, et aussi moins fiable, n'aurait certainement pas été retenue par les charpentiers du XVIe siècle.

La panne faîtière repose toujours sur une pierre dont le lit supérieur est en dessous d'au moins 30 cm de la ligne de faîtage des ardoises de couverture, mais ce retrait peut être beaucoup plus important jusqu'à 60 cm environ. En tout état de cause la position de la panne faîtière sur la lucarne est définie par sa nécessaire horizontali-té et son mode d'assemblage sur la panne haute du toit. Dans notre cas une erreur de calcul de 20 cm nous a contraint à un assemblage pendant de la panne faîtière de la lucarne sous la panne haute du toit ; la pierre d’appui sur la lucarne étant trop basse de 20 cm. le faîtage du toit et le sommet du gable de la lucarne devaient donc être 20 cm plus hauts, voir 40 cm selon les differents retraits possibles par rapport au faitage. On pourrait cependant, suggérer un autre mode d'assemblage entre la panne faîtière de la lucarne et la charpente du toit. Une ou deux pièces de bois (appelée parfois linçoire) joignant verticalement les deux pannes du toit du manoir permettrait de fixer la panne faîtière de la lucarne à n'importe quel niveau. Nous ne pouvons pas complètement rejeter cette hypothèse bien qu'elle soit peu économe en bois (une ou deux poutres en plus, de 2 m environ) et en assemblages (2 à 4 assemblages supplé-mentaires). Mais : 1-la situation des pannes basses de la lucarne ne dépend que du niveau de la panne basse du toit du manoir et aucun type d'assemblage ne permettrait de les placer plus bas, 2-le niveau du linteau sur lequel repose les pannes ne pourrait pas être plus bas car il dépend aussi de la hauteur de l'ouverture de la baie au-dessus de la traverse, 3-la mise en place de la panne faîtière de la lucarne devrait être beau-coup plus basse car il n'y aurait pas d'intérêt a compliquer cette partie de la charpente pour seulement 30 ou 60cm. La conjonction de ces trois certitudes conduit, si on retient l’hypothèse d’un linçoire et puisque les pannes basses de la lucarne ne peu-vent être plus basses, à rompre l'harmonie esthétique des proportions de la lucarne car le gable devient trop petit et ses rampants trop peu pentus : celà est peu probable compte tenu des tendances architecturales au début du XVIè sciècle.

6-Ci-dessus : Dessin en perpective de la charpente et de la maçonnerie de la lucarne restituée du manoir de kerboulard.

7Photographie pendant le travail de charpenterie.

5-Ci-dessous : trois modes d’assemblage.

panne de la lucarne posée sur les pannes de la toiture

panne de la lucarne pendante sous les pannes de la toiture

panne de la lucarne et de la toiture au même niveau

Lcas 1

cas 3

cas 2

T L

L

A

A

A

20cm

Ainsi les mode d'assemblage confèrent à nos hypo-thèses concernant les dimensions de la lucarne une incerti-tude de l'ordre de 20cm. À cette incertitude peut s'ajouter des choix architecturaux ou techniques ; les pannes basses de la lucarne pouvant reposer sur le palatre ou sur des moellons posés sur le palatre ou encore sur une poutre horizontale posée sur le palatre (disposition effectivement restituée cf (fig7 ci-dessous). Entre autres, la présence ou non d'un coyau commande, ces diverses dispositions.

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 4

Donc, sauf à accepter l’hypothèse d’un assemblage compliqué et d’une lucarne disharmonieuse, nous pensons que le faîtage du toit et le sommet du gable de la lucarne d'origine était vraisemblablement 20 ou 40 cm plus hauts que ceux restitués. Notre erreur de calcul ( - 4% à - 8 % de hauteur perdue ) affecte finalement très peu les proportions de l'édifice. Son intégration par rapport au faitage du toit du manoir et à l'élancement de la façade semble bien restituer l'équilibre des proportions supposées harmonieuses de

ce qu’elle devait être à l'origine. Si les paramètres dimensionnels de la lucarne ont été fortement contraints par l'analyse des éléments res-tants, ce n’est pas le cas des détails architecturaux car aucun descriptif ou dessin n'a pu être retrouvé. Cependant la richesse ornementale toujours présente sur les lucarnes d'édifice contemporain et les raisons probables de la destruction du gable et de la partie haute de la façade de cette lucarne (fig. 17) sont deux arguments forts plaidant en faveur d'une ornementation originelle dense. L'encadrement de la baie présente un chanfrein sur les moellons d'origine encore en place comme la plupart des ouvertures d'époque encore présentes sur le site. Nous avons souhaité pro-longer ce chanfrein par une accolade pour répondre à celle pré-sente sur le linteau de la porte de la longère qui fait face au ma-noir (fig. 8). La corniche à la base du gâble est empruntée aux deux lucarnes du manoir contemporain (fin XVe début XVIe) de Toul-an-Gollet (Plésidy, 35) (fig. 13). C’est aussi la ré-

plique exacte de la moulure de l'appui saillant de la baie de la lucarne de kerboulard (fig. 4,10 et 14). Le larmiers protégeant le blason, la dispo-sition des choux, la présence des chimères sont repris, entre autres de La Villeneuve Jacquot 1530 (Quistinic, 56)9a, du Plessi Josso (Theix,56)9b, et de la lucarne du manoir de kergal (Brandivy, 56) (fig. 1). Le blason est sculpté d’après le model du Nobiliaire et Armo-rial de Bretagne, par Potier de Courcy (en cartouche fig. 10). Le modèle des chimères est inspiré du griffon et du lion déca-pités encore présent à la base des rampants du toit du manoir (cf. pho-tos ci-dessous). Les dimensions des chimères ont été respectées (90 cm de longueur) pour harmoniser les proportions avec l’existant. Hé-las les sculpteurs n'ont pas réussi parfaitement à rendre la naïveté des formes des modèles présents et l'aspect restitué du lion surtout, du griffon un peu moins, fait plus penser au style de la fin que du début du XVIe siècle (fig. 11 et 12).

11- griffon (au sud) et lion (au nord) décapités présents à la base des rampants de la facade Est du toit du manoir de Kerboulard

12- griffon et lion bruts de sculpture, avant le sablage qui reproduira en parti l’érosion naturel des pierres de la facade exposées au climat : la «naïveté médiévale» est difficile à reproduire.

13-Toul-an-Gollet (Plésidy, 35)

9aLa villeneuve jacquot 1530 (Quistinic,56)

8-Linteau de la maitérie de la porte (début XVIè) face au manoir : model repris pour

la restitution de la lucarne

10-blason sculpté d’aprés le No-biliaire et Armorial de Bretagne.

14-le moulage en élastomère coulé en plâtre puis peint, de l'appui saillant de la baie de la lucarne de kerboulard qui a servi de modèle, est posé tête bêche à coté de la moulure de la nouvelle corni-che. derrière lui, on distingue les goujons en inox.

9bLucarne vers1565 au Ples-si Josso (Theix,56)

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 5

L'optimisation de la restitution des ornements et des dimensions de la lucarne serait vaine si le choix des matériaux et des techni-ques d'assemblage n'étaient pas cohérents.Le granit utilisé pour la construction du manoir vers 1530 a été prélevé sur place. En effet nous avons retrouvé au cours de travaux de drainage une partie du front de taille de la carrière située à 8 m environ de l'angle nord-ouest du bâtiment. Ce granite local riche en quartz et au feldspath abondant à un grain moyen à gros, il n'est pas très dur et se fend facilement sous la contrainte ce qui le rend désagréable à sculpter et le réserve plutôt pour la maçonnerie. Tirant sur le jaune pale il prend selon la lumière une belle coloration dorée mais sauf à extraire localement des noyaux particulièrement denses et résistants il n'était pas envisageable de prendre le risque de le sculpter. Aussi avec l'aide de Pierre CARADEC tailleur de pierre et sculp-teur alors installé à Saint-Nolff nous avons recherché des granits ayant le même aspect mais avec des caractéristiques mécaniques permettant le travail de sculp-ture sans risque de perdre les pierres par fissuration. Notre choix s'est porté sur une veine de granit extrait de la carrière Chamaillard située au Lande du Moulin prêt de BIGNAN (56) dont l'apparence est strictement identique au granit de kerboulard mais qui résiste à la sculpture.L'appareillage a été étudié pour qu'il corresponde aux techniques du XVIe siè-cle et qu’il crée un rythme cohérent et élégant de succession de lits horizontaux scandés par des joints verticaux sans pour autant générer des défauts de structu-res (traits de sabre favorisant l'ouverture des joints). Malheureusement le cale-pinage des joints soigneusement définis sur le plan (fig. 2) a été faussé par une inversion de pierre entre le rampant gauche et droit de la lucarne. Le montage à blanc a permis de constater le manque d'harmonie dans l'agencement des joints verticaux. La création de trois saignées verticales créant de faux joints a réglé ce problème (fig. 15).L'épaisseur des joints a été définie comme ne pouvant pas être supérieure à 1,5 cm. En fait leur épaisseur fluctue sur toute la lucarne entre 0,5 et rarement 2 centi-mètres. Ils ont été creusés avant le durcissement complet du liant afin de repro-duire l'érosion climatique des autres joints de la façade.Quel que soit le liant utilisé, la fiabilité de la liaison du dernier et de l'avant-dernier lit au faîtage du gable, ne peut être assurée que par un goujonnage. Au XVIe siècle il était réalisé, soit en coulant du plomb dans des trous percés verti-calement de part et d'autre du lit de pierre, soit en noyant dans ces mêmes trous des os longs en général de moutons. Bien entendu l'utilisation de fer est pros-crite car son oxydation huit fois plus volumineuse que le fer dont elle est issue provoque inévitablement l’éclatement des pierres goujonnées. Nous avons uti-lisé des goujons en tige d'acier inoxydable de 20 cm de longueur et de diamètre 15 mm (fig. 14). Les forages de 11cm de profondeur par sécurité ont été réalisés face à face perpendiculairement au lit de pierre. Un seul goujon a été utilisé pour assurer la liaison entre la pierre du fleuron et le faîtage du gable, deux ont permis d'assurer la liaison entre la pierre de faîtage du gable et les pierres en dessous d'elle (fig. 16).Comme les deux pierres en dessous du 2e lit sont maintenues par la charpente à l'ensemble des autres pierres du gable, la résistance de tous les joints situés au-dessus du linteau aux contraintes horizontales est assurée. La résistance des joints en dessous du linteau est acquise par le chaînage longitudinal et surtout perpendiculaire à la façade de l'épaisseur de la maçonnerie du mur.Les pierres brutes de sculptures présentent des arêtes particulièrement aiguës, et une surface régulière avec un grain fin. Avec le temps le grain devient plus saillant et les reliefs s’émoussent, car l'érosion climatique crée de petites fractu-res sur les arêtes vives, et attaque le feldspath en surface, creusant autour des grains de quartz et de mica. Il convient donc de reproduire cette érosion par sablage avec un mélange de sable fin et de corindon et d'émousser les arêtes en les matant avec une massette. Ce travail de finition permet de donner à la resti-tution un état de surface proche de celui des pierres d'origine.Une patine constituée de pigments naturels noyés dans un liant acrylique à l'eau permet de simuler les dépôts organiques divers qui colorent la surface des pier-res. Des colonies de lichens ou des mousses de colorations diverses sont ap-pliquées à la brosse aux endroits où l'eau est naturellement retenue et où se développent ces végétaux. Tous ces détails finissent d'intégrer la restitution au bâti ancien. Au fur et à mesure que les colonies naturelles de végétaux se dé-velopperont le liant acrylique disparaîtra progressivement laissant la place à une patine entièrement naturelle.

15-simulation avec des gaines en plastic noir de la meilleur position pour créer de faux joints afin d’harmoniser l’appareillage.

16-le faitage du gable et l’emplacement des goujons en place. il y a bien deux pierres sous le faîtage car le joint de droite est factice.

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 6

17- débit sur place des chevrons par la scierie mobile (Breizh Scierie Mobile, Croix De Beauval 56580 BREHAN)

Le bois de la charpente a été choisi sur pied dans la futaie dépendante du manoir qui s'étend sur le coteau nord de ker-boulard. Il n'y a pas beaucoup de chênes et ce sont donc les châtaigniers abondants dans ce secteur qui ont été retenus. Ils ont été abattus au coeur de l’hiver puis les grumes ont été débitées en poutres aux formats exacts des entures des gran-des fermes déjà en place, en longueur suffisante, et aux autres formats prévus par le plan de charpenterie. Un grand douglas de 65 ans environ abattu par une tempête l'hiver précédent a donné son bois pour les chevrons et les voliges. Le recours à une scierie mobile a permis d'éviter les difficultés de trans-port des grumes (fig. 17).Les ardoises de couverture déposées de l'appentis avant la restitution ont été en partie réemployées sur le versant sud de la lucarne. Des ardoises neuves ont été utilisées sur le versant nord. Le faîtage a été réalisé en lignolet, alternant des décou-pes d'ardoises en fleur de lys et en hermine (fig. 18).

18-lignolet croisé du faitage de la lucarne, vu du versant nord : les ardoises entrecroisées sont posées au clou de cuivre.

Mais quelles sont les causes de la ruine de la lucarne de kerboulard ?Il vient d'abord à l'esprit l'usure du temps et le défaut d'entretien qui ne peuvent être écartés. Mais l'analyse attentive des chimères de la façade montre qu'elles ont été volontairement décapitées. En effet il est impossible que les deux ce soit naturellement fracturées au niveau du col des animaux qu’elles représentent. Enfin, l’état de la surface fracturée suggère plus les traces de coups de masse qu'une fracture naturelle suivant le fil de la pierre (fig. 11).Les délabrements des chimères et de la lucarne pourraient être liés. Mais pour quelles raisons ou sous quelles contraintes prendrait-on le risque de grimper à une telle hauteur pour fracasser des sculptures de granit, ou démonter une lucarne puis adapter la charpente et la couverture? La ferveur révolutionnaire et la contrainte administrative, peut-être, car de telles destructions ont été rapportées pendant la révolution française de 1789 sous la dénomination de vandalisme révolution-naire.

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 7

En effet, le 6 août 1793 la convention nationale édicte une loi relative à la «démolition des châteaux forts et forteresses de l'inté-rieur». mais son interprétation est discutée, et dès la fin de l'année 1793 François-Martin Poultier, député du Nord initiateur de cette loi et «Rapporteur devant la convention» tente d’en préciser les contours : « l'égalité d'habitation ne se trouve pas dans la déclaration des droits de l'homme... Ce n'est pas une loi somptuaire que vous avez rendue en ordonnant la démolition des châteaux et vous avez voulu anéantir ses restes gothiques et barbares de l'antique féodalité, qui peuvent comme dans la Vendée, servir de repère aux bri-gands... » Extrait du Rapport de Poultier : Collection complète des Lois, décrets, ordonnances, règlement, avis du conseil d'État (de 1788 à 1830 inclusivement par ordre chronologique), parJ.B. DUVERGIER, tome 7e, Paris 1834, page 368.Le 17 pluviôse an II (soit le 5 février 1794) le «mode d'exécution» est publié (fig. 19).La lettre et l'esprit de la loi sont ambigus ; sous couvert de précaution militaire évitant de laisser aux «ennemis du peuple» d'éven-

tuelles places fortes, la convention nationale associe « les emblèmes féodaux et les objets de défense ». L'application de cette loi est zélée surtout concernant les biens des émigrés. La présence des propriétaires «ex Nobles» ou de leurs commanditaires permet de limiter parfois les travaux aux objectifs strictement militaires. Les tra-vaux, parfois considérables, sont à la charge des propriétaires, et c’est donc souvent l’état lorsque les biens confisqués ne sont pas encore vendus. Les Commissaires dans leurs recommandations débordent la loi. La composante militaire est souvent délaissée et ne subsiste que la volonté d’effacer les traces de l’ancien régime au point que sont fréquemment inclus dans les emblèmes féodaux les couvertures côniques des tours «... Elles sont décorées, de chacune un comble en forme de pyramide conique, couverte aussi en ardoise, ce qui annonce encore le faste de la féodalité ; d'ailleurs elle ne présente aucun moyen d'attaque ou de dé-fense » les deux pyramides devront malgré tout être « démolies de toute la hauteur de leurs charpentes et les tours seront recouvertes en appentis », de même la porte d'entrée de la cour sera démolie pour « supprimer les mas coullies qui la décor » et les 4 larmiers seront arrachés et rebouchés « en grosse maçonnerie ». Rapport au Directoire du District de Gannat suite à la visite le 27 mai 1794 du château de rilhat (03) par le Commissaire Cariol Ainé de Pontarlier : archivent départementales de l'allier, L 567, pièce 25.En 1794 la seigneurie de Kerboulard, confisquée à un émigré, est la propriété de l’état. Car elle à été saisie sur les sieur et dame de Kerboullart le 12 mars 1716 puis vendu avec la terre du Pradic en Plumergat pour la somme de 17000 livres à Joa-chim Descartes sieur de Kerleau en Elven (A.D.M. B 1119). Le 15 mai 1784 l’ensemble à été revendu à François de Talhoët comte de Trégo-mard, l’atteste un bail du pourprix de Kerboulard, à honorable Majol Le Derf qui habite le manoir avec son fils Jean. Le bail est passé pour neuf ans à commencer à la saint Gilles 1787. Ce bail est mentionné dans le procès-verbal d’estimation révo-lutionnaire des 26, 28 et 29 septembre 1794 procès-verbal d’estimation du pourprix de Kerboualrd provenant de la saisie des biens de l’émigré Trégomard : Le pourprix comprend à la fois le manoir, la maison de la cour, la maison ruinée ..., le puits, le four et la grange située sur l’aire à battre. Le procès-verbal mentionne aussi une vieille chapelle en ruine à l’intérieur de la cour, et un colombier situé vers la grande route, aujourd’hui disparu (A.D.M. 1Q 95).A-t-on contraint l’occupant (Majol Le Derf ) ou le propriétaire (l’état) en 1794 à respecter la loi de démolition des châteaux forts et forteresses de l'intérieur, ou cette obligation a-t-elle attendu le future propriétaire après son acquisition le 20 juin 1796 adjudication de la métairie de Kerboulard avec toutes ses dépendances provenant des biens de l’émigré Trégomard, à Le Maillaud pour la somme de 20074 francs (A.D.M. 1Q 198). La lucarne a-t-elle eté abattue et les chimères décapitées (guillotinées) pour « anéantir ses restes gothiques et barbares de l'antique féodalité »? Si c’était le cas,

cela impliquerait que la lucarne sacrifiée fût trop imposante ou portait « les emblèmes féodaux »? Nous ne sommes pas en mesure de trancher mais cela est vraisemblable. Une seule certitude les chimères ont bien été décapitées volontairement...

L’ensemble de se travail de restitution à demandé environs trois années de travail discontinu, de la modélisation à la finition. Etude : Pascal et Anne-Laure Auroy, taille de pierre et sculpture : Pierre Cardec*, Sculpture chimères : Solen Moreau*, sculpture finition : Pascal Auroy, maçonnerie : Solen Moreau* et son frère*, finition patine : Solen Moreau*, Sciage : Pierre**, charpente : Pascal et Adrien Auroy, couverture : Pascal Auroy.Un grand merci à Pierre Floc’h société sculpture restauration.permis de construire 056 231 08 Q0037 du 18/12/2008.

* : Société Sculpture Restauration Za du clos Joubaud 56460 la Chapelle Caro** : Breizh Scierie Mobile Croix De Beauval 56580 BREHAN

19- Mode d’exécution de la loi du 13 pluviose An II (Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Volume 2, Par Philippe Antoine Merlin, Paris 1816. p599).

GLAD SENOLF! DECEMBRE 2009

PASCAL AUROY POUR GLAD SENOLF! PAGE 8