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Gitan par ton nom
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GITAN PAR TON NOM
Nathalie Manrique
Dans l’Espagne d’aujourd’hui, les Gitans sont distingués et distinguables en fonction de
multiples critères. Ces distinctions peuvent fasciner ou inquiéter, parfois les deux à la fois (cf. San
Román, 1997). Pourtant, la question de leur assimilation forcée (appuyée par de nombreuses
pragmatiques1 élaborées spécifiquement contre ces « malandrins » et « oisifs »), au sein de la
population majoritaire ou leur expulsion2 a été pendant longtemps le cheval de bataille des
différents monarques qui se sont succédés depuis le XVe siècle3. Cette période correspond à
l’apparition des premières traces écrites qui attestent de leur présence en terres ibériques : le
premier document qui atteste de leur présence date de 1425 et celui qui témoigne de leur arrivée
en Andalousie, de 1462 (cf. Leblon, 1985 et Sánchez Ortega, 1986). Ces textes ont eu comme
conséquence première l’attribution d’une désignation commune et discriminante à des familles
pourtant éparses.
Plusieurs dynamiques, révélées par Patrick Williams (2011) lors de réflexions à propos du
signifié et du signifiant de l’étiquette « tsigane », peuvent également être évoquées pour expliquer
les différences et différenciations des Gitanos : l’appropriation d’usages tombés en désuétude par
le reste de la population4, la « touche » gitane qui permet l’émergence d’une autre « façon de
faire », les modes de constitution et de perpétuation de traits culturels distinctifs5, quelques
habitus6, et enfin, les conséquences d’un destin historique particulier qui, entre autres choses, met
en scène des stratégies de dissimulation gitanes aménagées tout au long de l’histoire pour
échapper aux nombreuses persécutions. Ainsi, dans le premier cas de figure peuvent être inscrits
la défloration rituelle de la jeune mariée le soir de ses noces (cf. San Román, 1976, Gamella, 1996,
Pasqualino, 1998, Gay Y Blasco, 1999 et Lagunas, 2000), le mariage par rapt usité dans certaines
contrées d’Espagne (cf. Manrique, 2012) et les alliances dans une plus ou moins grande proximité
1 Édits royaux. 2 Cf. annexe 1, Leblon, 1985 et Gómez Alfaro, 1993. 3 La première pragmatique contre les Gitans a été éditée en 1499 par les Rois Catholiques. 4 Ainsi, Patrick Williams (2011, p. 12) écrit : « La préservation d’un patrimoine non tsigane par des Tsiganes est un cas de figure couramment repéré ; tels Rom de la campagne hongroise ont par exemple la réputation d’être un véritable conservatoire de contes populaires locaux, avec une singularité cependant dans la manière de raconter. Préserver, dans un tel cas de figure, signifie garder vivant et actif ce qui ne l’est plus dans la société. » 5 Tous ces processus de détachement-attachement ne sont pas propres aux Tsiganes. Ainsi, comme conclut l’anthropologue (op. cit. 2011, p. 20) : » Il me paraît plutôt réjouissant qu’une analyse de la construction de la spécificité culturelle des Tsiganes montre que ceux-ci ne font rien que tout le monde ne fasse. » 6 « Il existe toute cette dimension, difficilement objectivable peut-être, dont il est rendu compte parfois en terme d’“habitus” ou parfois de manière plus impressionniste, de couleur, de tonalité,… Difficilement objectivable mais pas impossible à saisir si l’on se montre attentif aux pratiques langagières, aux postures et à la gestuelle, aux contacts interpersonnels… tout un ensemble d’attitudes que nous pourrions qualifier d’idiomatiques, d’autant plus importants pour l’affirmation d’identité dans le cas de communautés comme les Tsiganes que leur manifestation – et leur rôle de moyen, conscient ou inconscient, de reconnaissance mutuel –reste imperceptible à ceux au milieu desquels vivent ces communautés (Williams, 1996, p. 290). » Ainsi, la posture des corps (debout, assis ou accroupis), la démarche, etc. distinguent non seulement les Gitans des Gitanes mais également des Payos et Payas.
2
consanguine7. Tous ces usages associés aujourd’hui à l’idée de « gitanité » étaient en fait autrefois
également mis en pratique par la population majoritaire environnante et sont progressivement
devenus l’apanage des Gitans de certaines régions8. Dans le deuxième cas de figure peuvent être
classées certains rituels religieux comme les processions gitanes lors des Semaines Saintes et la
dévotion toute particulière à des Vierges Noires (cf. Pasqualino, 1998a & b et Manrique, 2004).
D’autre part, certaines désignations participent également à ces distinctions. Ainsi, les
noms des lieux de résidence (de rues ou quartiers), occupés majoritairement par des familles
gitanes, sont souvent rebaptisés par les locaux payos (non-gitans) : « quartier gitan (barrio gitano) ».
De la sorte, à San Juan9, petit bourg andalous situé dans les monts orientaux à environ 150 kms
au nord de Grenade, tout le monde sait que le « quartier gitan » se situe à l’extrémité nord-est du
bourg, à la lisière d’un chemin menant aux petits hameaux culminants des alentours. Quelques
professions (cf. Manrique, 2008) et confessions religieuses (nombreux sont pentecôtistes : cf.
Gamella, 1996) permettent également, localement mais aussi sur l’ensemble du territoire national,
de les distinguer.
Les noms de famille contribuent pareillement à leur spéciation : se nommer dans
l’Espagne contemporaine Amador, Cortés, Fernández, Flores, Montoya, Reyes, Santiago ou
Vargas évoque de façon peu ambigüe une origine gitane, d’autant plus si ces noms se combinent
pour former le premier et deuxième patronyme d’un individu, de ses parents et grands-parents.
Or, issus du stock onomastique local, ils devraient a priori assurer l’invisibilité des Gitans. En fait,
ces patronymes sont progressivement devenus des « noms gitans ».
Un premier article, publié dans la revue Études Tsiganes (Manrique, 2010), traite les
données onomastiques recueillies dans les archives paroissiales, dans les recensements des
services sociaux et, par mes propres soins dans le bourg de Morote situés à environ cinquante
kilomètres au sud-est de San Juan. Il met en évidence un processus de réduction du nombre des
patronymes portés par les Gitans du bourg ainsi que l’existence d’une relation forte entre l’origine
géographique des familles et leurs patronymes. Ceci, malgré les continuels inclusions et
retranchements de noms de famille dans le stock gitan, permet d’affirmer l’afflux d’une première
vague de circulation de familles gitanes nomades (surtout des maquignons) au cours du XVIIe
siècle. À la fin du XVIIIe siècle, de nouveaux noms font leur apparition au moment de la
libération de tous les Gitans encore captifs des camps d’internements (en 1763) et d’autres
disparaissent. Les familles auxquelles ils sont associés proviennent de la province andalouse
d’Almeria, près de la côte méditerranéenne. Dès la fin du XIXe siècle, d’autres familles,
7 Cf. à ce sujet en particulier, les travaux de Juan Gamella et Elisa Martin Carrasco-Muñoz qui concernent l’Andalousie orientale (2008) qui diffèrent sensiblement des résultats obtenus par David Lagunas Arias (2000) auprès de Gitans de Barcelone 8 Ces pratiques distinguent également les Gitans en fonction de leur lieu de résidence. 9 Pour plus de précisions sur le bourg, cf. Manrique, 2008
3
constituées essentiellement d’ouvriers agricoles et maquignons, circulent de manière concentrique
dans la région et sont à l’origine de nombres d’aïeux des Gitans actuels de Morote. Dans les
années 1970-1980, après la stabilisation des familles gitanes, ces noms issus de la troisième
vague10 se sont peu à peu ancrés dans certaines villes ou divers bourgs et villages devenant des
marqueurs forts de gitanité. Là, se juxtaposant souvent ou supplantant parfois les patronymes
plus anciens, les noms de rues ou village mettent en évidence une distinction de certains groupes
gitans au statut déterminé de manière endogène en fonction du critère hiérarchisant de
« civilisation » : est considéré comme « civilisé », celui ou ceux qui sont identifiés non plus par
rapport à tel ou tel surnom familial mais désormais, en fonction du lieu de résidence.
ONOMASTIQUE GITANE A SAN JUAN.
Dans ce bourg, situé à une cinquantaine de kilomètres de Morote, les premières mentions
d’ethnonymes gitans débutent en 1703 avec le baptême de la petite Barbara :
Barbara María de Diego de Montoya et María de Bustamante de nación
Gitanos
Au cours du XVIIIe siècle, outre de Montoya et de Bustamante, avec l’inscription de trois
enfants, d’autres patronymes sont associés à la mention Gitanos ou Jitanos dans les registres
paroissiaux de San Juan : Amador, Fernández et (de) Malla. Peut-être sont-elles apparentées aux
premières familles arrivées à Morote au XVIIe siècle et qui ont disparu des registres au XVIIIe
siècle. Mais rien ne permet de l’affirmer : le lieu d’origine des familles arrivées à Morote au XVIe
et au début du XVIIe siècle n’est mentionné nulle part. En outre, le nom Bustamante n’apparaît
qu’à San Juan. Ces familles semblent de passage : seul un enfant par famille est répertorié dans les
registres des baptêmes.
Au XIXe siècle, les inscriptions sur les registres paroissiaux reprennent en 1830 avec un
total de cinquante-cinq baptêmes. Plusieurs patronymes s’additionnent aux précédents. Ainsi, se
retrouvent les noms : Amador, Carreño, Cortés, Fernandez, Garcia, Martinez, Muñoz, Moreno,
Navarro, Planton, Torres, Rodriguez et Santiago. L’une de ces désignations onomastiques
(Carreño) semble en fait être un surnom individuel et/ou familial (cf. Manrique, 2013) que les
prêtres ont enregistré dans les livres en tant que patronyme. Plus aucun nom ne viendra
désormais enrichir le stock des patronymes des Gitans de San Juan.
Ceux-ci s’installent dans les registres de façon durable vers 1850 et y connaissent une forte
progression vers 1900 (sauf pour Amador qui entame déjà son déclin). À partir de 1950, l’écart se
10 Ces différentes vagues se sont succédées, souvent mêlées et même entremêlées par des mariages. Mais leurs noms et lieux de provenance laissent supposer une absence originelle de liens de parenté entre elles.
4
creuse entre le nombre d’occurrence des patronymes et laisse apparaître une distinction croissante
dans le cycle évolutif des noms de différentes familles (tableau 1 et graphique 1) :
1600-1649 1650-1699 1700-1749 1750-1799 1800-1849 1850-1899 1900-1949 1950-2000
Amador 0 0 0 4 0 13 5 1
Fernandez 0 0 4 0 2 23 38 26
Garcia 0 0 0 3 2 64 184 193
Moreno 0 0 0 0 1 20 140 361
Munoz 0 0 0 0 0 5 10 1
Rodriguez 0 0 0 0 0 5 105 356
Torres 0 0 0 0 0 18 95 387
Santiago 0 0 0 0 0 3 8 4
Tableau 1 : Nombre d’occurrence des noms les plus fréquents par périodes
Graphique 1 : Evolution en pourcentage des noms les plus fréquents à San Juan
En effet, à partir de 1950, les noms Moreno, Rodriguez et Torres connaissent une forte
croissance au détriment des García qui pourtant de 1900 à 1949 regroupaient la plus forte
proportion d’individus (29,7%), des Amador, des Fernández, des Muñoz et des Santiago. En 2000,
5
les Moreno (26,5%), Rodriguez (31%) et Torres (31,2%) représentent quant-à eux 88,7% des
noms portés par les Gitans de San Juan.
Figure 1 : Fréquence des noms à San Juan en 2000
En fait, selon les sources recueillies dans les registres paroissiaux, il semble que les familles
gitanes s’installent de manière plus durable au sein du bourg à partir des années 1950-1960 et
surtout 1970-1980. La croissance du nombre d’individus portant le même nom devient dès lors
essentiellement le reflet du mouvement naturel de la population gitane : la fréquence des
patronymes est de moins en moins influencée par les flux migratoires et, comme le démontre
l’évolution de l’origine géographique des familles gitanes de San Juan, révèle progressivement la
véritable image du nombre de naissances et de décès de la population gitane locale.
Ici, comme à Morote, le port exclusif des noms Moreno, Rodriguez ou Torres par un individu
(c’est-à-dire ses noms paternel et maternel), est devenu l’indice d’une ascendance gitane fort
probable pour celui-ci.
ORIGINES GEOGRAPHIQUES DES FAMILLES GITANES DE SAN JUAN
Dans les paroisses de San Juan, l’inscription du lieu d’origine des individus apparaît en
1630 mais devient plus fréquente au cours du XVIIIe siècle. Les premiers enregistrements
incontestables de Gitans débutent, comme nous l’avons vu, en 1703 avec le baptême de la petite
Barbara María. Cependant, les lieux d’origine des familles gitanes, comme dans le cas de cette
enfant, restent encore des énigmes pour les prêtres qui s’abstiennent souvent de renseigner cette
information. Des traces dans les archives paroissiales nous révèlent pourtant que certains Gitans
6
sont nés dans la province de Grenade et que quelques familles arrivent du nord, par la province de
Cuenca ou de Toledo.
Au cours du XIXe siècle, les nouvelles inscriptions sur les registres paroissiaux concernent
essentiellement des baptêmes d’enfants nés à San Juan de parents issus de régions proches :
Grenade, Jaen, Murcie, Albacete. Contrairement à Morote où plusieurs inscriptions baptismales
pouvaient laisser supposer que des familles ayant été emprisonnées dans les camps de rétention de
la côte levantine se seraient ensuite réfugiées dans les cavités naturelles des monts de Morote de la
fin du XVIIIe au début du XIXe siècle, d’après mes données recueillies dans les livres liturgiques de
San Juan, cette vague ne semble pas avoir atteint San Juan (ou de manière très sporadique puisque
seules deux mentions font référence à cette région pour des individus qui disparaissent
immédiatement des registres paroissiaux).
En réalité, exerçant généralement des professions liées aux foires aux bestiaux, il n’était pas rare
que certains naissent ici, soient baptisés là-bas et se marient et décèdent ailleurs et cela, jusqu’au
XXe siècle. Par exemple, le 18 avril 1852, est baptisé dans une des paroisses de San Juan – avec la
mention en marge Gitanos –, Rafael Antonio García :
« Fils légitime de Pedro García d’environ trente cinq ans, originaire de
Pozo Alcón, circonscription de Cazorla de cette province, et sa femme
Rita Martinez, originaire du quartier de Triana de Séville, domiciliés à
Castril, de la province de Grenade et résidents à San Juan, de cette
paroisse et municipalité. Les grands-parents paternels Francisco García,
originaire de la Puebla, de la province de Grenade, décédé à Río Segura
de cette circonscription et sa femme, Francisca Ortiz, Originaire et
décédée à Castríl ; les maternels Juan Martinez, originaire de Guadix, de la
province de Grenade, décédé à Alamedilla de cette province et sa femme
Maria Santiago, originaire de Alicun de Ortega, de la circonscription de
Guadix, résidant à Alamedilla Nous avons mis les noms à ce garçon
Rafael Antonio, et sa marraine dont j’ai avertie de la parenté spirituelle et
des obligations qu’elle a contractées, fut Rosa Cortés, originaire de Alicún,
femme de Antonio García, frère du père de ce garçon, résidants de la dite
mentionnée San Juan.
Note : Le Rafael Antonio, de l’inscription antérieure semble être le même qui mourut et fut enterré avec le nom José María au cimetière de San Juan en décembre 1865 ».
Ce cas relevé dans le Livre XXI des baptêmes de San Juan est rare. Il associe en effet des
individus de la région étudiée à une Gitane originaire de Séville, cité située à environ quatre cents
kilomètres. La capitale andalouse était en fait, jusqu’à un passé récent, réputée pour son
7
imposante foire aux bestiaux11. Dans une moindre mesure, la feria de Morote, fondée en 1589,
plus illustre que celle de San Juan, eut un rayonnement qui s’étendait au delà de ses frontières
municipales. Sa notorité reposait essentiellement sur le nombre des ventes de bestiaux et en
particulier de chevaux, mules et ânes. La vente de ces animaux s’acheva dans les années 1970,
moment où ils furent remplacés par des machines agricoles.
À partir de 1950, moment où les noms Rodriguez, Moreno et Torres prédominent
largement, tous les nouveaux inscrits sur les registres de baptême sont issus de parents nés à San
Juan ou dans ses proches alentours (en particulier, de Morote) :
11 Aujourd’hui , la foire de Séville est devenue la célèbre feria où se retrouvent tous les sévillans au mois d’avril pour danser les fameuses sevillanas, les femmes vêtues comme des Gitanas, c’est-à-dire revêtues des traditionnelles robes à pois et aux nombreux volants et, boire la fraîche manzanilla, vin blanc local.
10
En réalité, dès le début du XXe siècle, de nombreux intermariages entre les familles
gitanes de Morote et de San Juan ont eu lieu et continuent à avoir lieu (cf. Manrique, 2008).
Morote et San Juan sont effectivement séparés par une petite chaîne de montagnes dont les flancs
sont recouverts de grottes (cuevas). Ainsi, certaines familles, dont la majorité occupait
alternativement ces cavités naturelles en guise de logement temporaire, s’inscrivaient autrefois sur
les registres paroissiaux de l’un ou l’autre bourg en fonction de la proximité conjoncturelle de leur
cueva à l’un des bourgs. Elles changeaient en effet régulièrement de refuge en fonction des saisons
(plus en amont en été et plus en aval en hiver) et des assauts lancés par les Civiles (gendarmes) qui
les pourchassaient incessamment en cette région jusqu’à la fin de la période franquiste. Aussi, à
Morote comme à San Juan, avant 1950 environ, les noms Rodriguez et Torres inscrits dans les
registres proviennent très probablement de cette zone montagneuse riche en cavités naturelles.
Puis, les familles quittent les montagnes et se rapprochent peu à peu de ces bourgs (dans les
figures 2 et 3, ce rapprochement est symbolisé par le signe ≈ ) et s’y installent progressivement à
partir des années 1950-1960 et massivement dans les années 1970.
Comme nous l’avons vu, les noms Amador, Fernández, García, Moreno, Rodriguez et
Torres constituent depuis le XVIIIe siècle à Morote et à San Juan la cohorte principale des noms
portés par les familles gitanes. Jusqu’à 1950 environ les noms les plus fréquents sont Amador,
Fernández et García. Après cette date, les Moreno, Rodriguez et Torres deviennent plus
11
nombreux. Là, une différenciation entre les noms de famille se dessine : ils déterminent une
appartenance à un groupe particulier (les Gitans) à un moment donné. Ils font apparaître
également, semble-t-il, deux groupes de familles qui ne seraient pas, à première vue, apparentés
entre eux et qui pourraient s’être succédés dans le temps. Qu’en est-il vraiment ?
GENEALOGIE DES FAMILLES GITANES ACTUELLES DE SAN JUAN ET MOROTE
À partir de 1850 environ, plusieurs familles gitanes affluent dans la région. Toutes
semblent issues de huit couples, eux-mêmes liés par des liens d’affinité et de consanguinité :
presque tous les Gitans actuels de San Juan et de Morote (sauf quelques conjoints, des femmes
surtout, provenant d’autres régions), descendent de ces huit couples12 :
Juan Fernández Fernández né à Velez Rubio (Almería) vers 1785 et Francisca de Paula
Moreno Cortés Soler née vers 1790 à Vera (Almería). Quatre de leurs fils et deux de leurs filles
sont répertoriés dans les registres baptismaux de Morote de 1801 à 1812 (voir figure 2). Parmi eux,
seuls les mariages de Mateo Fernández Moreno et Joaquina Francisca Fernández Moreno
apparaissent dans les registres. La forte mobilité de ces familles et un taux de mortalité infantile
extrêmement élevé en cette période peuvent expliquer la disparition de plusieurs individus des
registres paroissiaux (selon un informateur de Morote, les enfants gitans autrefois décédés
n’avaient pas systématiquement de funérailles religieuses : leurs corps étaient cachés dans les
hauteurs, dans le creux de troncs d’arbre ou dans des brèches rocheuses.
Andres Torres Moreno (voir fig. 2 et 3) né en 1838 à Lezuza (Albacete)13 dont les parents
sont originaires de Moratalla (Murcia) s’est marié à María García Carreño née en 1843 à Barras
(Albacete). Les parents de cette dernière proviennent de Castril (Grenade). Ils eurent six filles et
cinq garçons qui ont été baptisés à San Juan.
Antonio Piedad Fernández Franco est né en 1844 à Morote et s’est marié à Antonia Piedad
García Plantón née en 1851 à San Juan14. La descendance de leur fille, Manuela, née en 1873,
mariée à Luis Rodriguez Moreno de Galera, dans la province de Grenade, est fortement
représentée parmi les Gitans vivant actuellement à San Juan et à Morote.
Francisco Rodriguez García, frère de Luis Rodriguez Moreno, né à Morote, s’est uni à
Piedad Moreno Cortés, baptisée en 1863 à Morote. Cinq garçons et quatre filles furent les fruits de
12 En fait, il s’agit de neuf couples dont deux concernent le même homme. Ils s’installèrent en premier lieu en amont de San Juan et de Morote avant de trouver résidence, au cours du XXe siècle, dans la ville même de Morote et un peu plus tardivement, dans celle de San Juan. 13 La région d’Albacete recrute régulièrement de la main d’œuvre peu qualifiée pour la récolte des fruits et légumes mais surtout lors de la période des vendanges. 14 Les arrière grands-parents de Antonia Piedad, Antonio Fernández (1999) et Juana Navarro, nés vers 1795, circulèrent dans la région aux environs de 1830 où ils eurent un fils répertorié dans les archives de baptême en 1839 à Morote. Les descendants de celui-ci ne vivent plus à Morote.
12
cette union. Ils reçurent leur premier sacrement à Morote, San Juan et dans d’autres bourgs
proches.
Juan García Fernández aurait vu le jour vers 1860 à San Juan (ses géniteurs n’apparaissent
pas dans les archives15). Il se maria à María Cortés Contreras née à Velez Rubio (Almeria). Ils
eurent deux fils dont l’un naquit en 1891 à San Juan et quatre filles dont deux virent le jour à Velez
Rubio et une à Nerpio (le lieu de naissance des autres enfants est inconnu). Tous se sont installés
et ont eu des enfants à San Juan.
Antonio Rodriguez Moreno est né vers 1870 à Cortés. Sa femme, Josefa Moreno Martinez,
est originaire de Chirivel (Almería). Trois fils et trois filles apparaissent dans les registres dont seuls
trois pour leur propre baptême (deux à Morote et un à San Juan) : les autres sont inscrits dans les
actes de naissance de leurs enfants.
Antonio Fernández Muñoz, né en 1865, épousa Presentación Fernández Moreno, sœur de
Piedad Moreno Cortés. Leurs parents respectifs sont originaires de petites villes proches de
Morote (près de différents cours d’eau de la province de Grenade). Tous les deux naquirent dans
les cuevas près de Morote. Ils donnèrent naissance à Juan Fernández Moreno (qui plus tard prend
les noms Rodriguez Moreno), María Nazaria Fernández Moreno (Rodriguez Moreno) en 1886,
Francisco Jose Rodriguez Moreno et María Rodriguez Moreno en 1896. Seul Francisco Jose, le
cadet semble t-il, est né en dehors de la région (à Archivel, Murcie). Tous les autres enfants ont en
effet vu le jour dans les cuevas près de Morote.
Juan Rodriguez Moreno (fils de Jose Santiago García et Dolores Moreno Torres) et
Marcela Fulgencia Fernández Moreno engendrèrent Antonio Isaac Rodriguez Moreno, né en
1882, Presentación Fernández Muñoz, née en 1884, Francisco Fernández Moreno, né en 1879,
Antonio Fernández Cortes (devenu ensuite Antonio Rodriguez Moreno) et Cipriano Rodriguez
Moreno, né en 1880 et marié successivement à María Nazaria fille de Antonio Fernández Muñoz
(couple précédent) puis Juana Fernández Moreno, veuve de Francisco Jose Rodriguez Moreno,
frère de María Nazaria.
Les descendants de ces huit couples ont pratiqué de nombreux intermariages qui ont
donné naissance aux parents des Gitans vivant actuellement à San Juan et à Morote.
Ce n’est pas le cas des Gorreta dont les ascendants ne font pas partie des Gitans
répertoriés autrefois. Cette désignation onomastique répertoriée dans les archives paroissiales, qui
est en fait le surnom familial des descendants de Antonio Fernandez, apparaît dans la contrée
vers 1830 avec les naissances de Joaquin en 1828, de Domingo en 1831 et de Maria Rosario en
15 Selon les confidences de l’adjoint du maire de Morote, lors de l’attribution de carte d’identité aux Gitans du bourg, il dût inscrire le nom de la municipalité à l’emplacement requis pour le lieu de naissance. En effet, cette précision était indispensable au bon déroulement de la procédure administrative. Or, beaucoup de Gitans ignoraient la date et le lieu de naissance de leurs parents.
13
1834, ses arrières petits-enfants16. Cependant, contrairement aux familles précédentes qui se sont
enracinées dans la région, les Gorreta disparaissent environ soixante ans plus tard soit peu après
1890 (voir figure 3). Les derniers nés de cette famille ne se marient pas et n’ont pas d’enfants à
San Juan et à Morote.
En fait, Antonio Gorreta et Pedro Fernández Gorreta pourraient être les individus – leurs
épouses portent aussi les mêmes noms et prénom – qui figurent dans le recensement de 1785 de
Lubrín (Almería)17. Selon l’historien Manuel Martínez Martínez, ces deux hommes, peut-être des
frères, exerçaient le métier de almazarero, c’est-à-dire d’huiliers, dans les moulins d’huile d’olive
des provinces de la côte levantine. Cette profession dépendant étroitement des olivaisons, il est
fort probable qu’en période creuse, ils ont circulé de bourgs en village afin d’offrir leurs services
auprès des exploitants agricoles. Or la contrée où se nichent Morote et surtout San Juan n’est pas
très éloignée des riches zones d’oliveraies de la province de Jaén. Par ailleurs, elle se situe sur la
route menant les voyageurs de la côte levantine aux monts de Jaén. Elle a pu être ainsi une zone
de transit pour cette famille qui, tout en parcourant les villes et village à la recherche de travail
(pour des métiers d’appoint comme la vannerie et la tonte des équidés), ne s’éloignait pas des
zones d’oliveraie.
16 Conformément à la règle de transmission des surnoms familiaux, les petits enfants n’arborent pas le surnom Gorreta qui est réservé à leur père, grand-père et arrière grand-père en ligne agnatique (cf. Manrique, 2013). 17 Je remercie ici Manuel Martínez Martínez, historien spécialiste des Gitans de la province d’Almería qui m’a très chaleureusement fourni les données de ce recensement.
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16
En somme, les premiers Gitans arrivés dans la région portaient des noms issus d’un stock
bien plus large alors que ces individus étaient moins nombreux. Ainsi, de 1850 à 1949 à Morote et
de 1850 à 1900 à San Juan, de douze à quatorze noms sont portés par les Gitans alors
qu’actuellement, même si l’effectif de cette population a plus que quadruplé depuis cette période,
les patronymes sont moitié moins nombreux.
Après 1850, plusieurs de ces patronymes ont progressivement disparus : des familles,
comme les Gorreta, étant uniquement de passage pour cause professionnelle, leurs noms se sont
très rapidement éclipsés des registres. D’autre part, les familles gitanes de Morote et de San Juan
pratiquent fréquemment les mariages consanguins (sur 1 042 mariages, 31% d’entre eux, soit 323
mariages, sont consanguins sur une profondeur généalogique de quatre générations : G+3) et
transmettent par là les mêmes noms génération après génération et restreignent ainsi l’apparition
de nouveaux patronymes au sein de leur famille. Ces noms, même s’ils ne sont pas spécifiquement
gitans, permettent alors de repérer les familles gitanes inscrites dans les registres : lorsque, comme
nous l’avons vu pour Morote (Manrique, 2010), ces noms se retrouvent aux huit positions
correspondant aux grands-parents (deux noms par individus : celui du père et de la mère) ou, aux
quatre des parents de son conjoint, la probabilité que cette famille soit gitane devient très forte. En
outre, il était souvent aisé pour les Gitans de changer de patronymes au cours de leur vie. Il n’est
donc pas rare de retrouver certains individus inscrits sur les registres de baptême (pour leur propre
baptême, celui de leurs enfants et parfois même, de leurs petits-enfants), de mariage et de décès
avec des noms différents. Dans ces cas particuliers, les patronymes choisis sont ceux qui sont déjà
les plus fréquents parmi les Gitans locaux (ainsi des Malla apparaissent plus tard dans les registres
avec le nom Montoya, des Planton, Santiago, Montoya ou Bustos deviennent des García, des
Navarro se transforment en Moreno, etc.) Les Gitans recherchaient certainement à se fondre dans
l’anonymat et contribuaient par là à l’ethnicisation de certains patronymes.
DES TRACES INDELEBILES
Lors d’une première présentation de mes données sur la « gitanisation » des patronymes
espagnols à partir de matériaux recueillis à Morote18, un jeune Rom m’interpella perplexe et lança
à peu près cela : « mais alors, les Roms n’ont jamais été invisibles malgré leur volonté perpétuelle
de se fondre dans l’anonymat ? »
Il est vrai que les différentes stratégies mentionnées menées à la fois par les Gitans
d’Espagne et par les différentes politiques menées à leur encontre visait ce même objectif :
18 Cette présentation eut lieu lors du colloque « Les Tsiganes en Europe: questions sur la représentation et l’action politique » organisé par Caterina Pasqualino (CNRS) et Paloma Gay y Blasco (The British Academy) qui se déroula du 24 au 25 octobre 2005 à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris).
17
essayer de les (se) rendre difficilement discernables et même disparaître du reste de la population
espagnole afin, du côté étatique, d’homogénéiser l’identité nationale19 en période de construction
de l’Etat espagnol (San Román, 1997) et pour qu’ils ne troublent pas l’ordre public par des
comportements jugés incompatibles avec le contrôle de celui-ci (comme leurs allées et venues
continuelles). Pour leur part, les Gitans de San Juan et de Morote (et ailleurs aussi semblerait-il)
aspiraient surtout, et non sans motifs (l’histoire leur donna malheureusement raison) à être
invisibles et insaisissables. Ainsi, leurs patronymes n’étaient devenus que des formes de
désignation ponctuelles (les individus en changeaient régulièrement au cours de leur vie jusqu’à
l’imposition de la carte nationale d’identité en 199220), la résidence très labile, la fidélité a un lieu
de culte très incertaine21, etc. Ces tentatives parallèles échouèrent : malgré cette volonté partagée,
quelques indices tenaces se suspendent sur les fils de l’histoire d’Espagne, indices que tout
chercheur (peut-être à tord) peut s’évertuer à relier afin de reconstituer l’histoire de ces familles.
Les traces les plus évidentes se situent dans les archives paroissiales. En effet, même si les Gitans
étaient plutôt rétifs à l’idée de se livrer aux différents rites de passage prescrits par l’Église
(baptême, communions, mariage), ils ont toujours suivi très scrupuleusement les rituels funéraires
religieux22 (cf. Manrique, à paraître). Sur les actes du livre des Difunciones23, lorsqu’ils sont connus
par le prêtre ou par les parents du défunt, figurent les noms et prénoms de celui-ci, sa date de
naissance, de mort, son lieu de naissance, de résidence, sa profession, les noms et prénoms de son
ou de ses conjoints, de ses parents et de ses enfants. De la sorte, le chercheur peut suivre de
manière quasi systématique les évolutions géographiques et généalogiques de certaines familles
installées depuis le XIXe siècle à San Juan et à Morote (d’où les travaux de reconstruction
généalogique exceptionnels par leur ampleur de l’équipe de Juan Gamella de l’Université de
Grenade).
Par ailleurs, dans ces mêmes archives, des religieux plus enclins à identifier de manière
précise leurs ouailles indiquaient dans les marges des actes de baptême, mariage et décès la
mention « Jitano », « Gitano » ou « Castellano Nuevo ». D’autre part, dans les archives
paroissiales, du premier décembre 1837 à l’année 1905, selon la prescription parue dans la
19 Cette volonté assimilatrice perdure de nos jours dans les différents gouvernements espagnols qui élaborent continuellement des plans de développement du collectif gitan (Plan de Desarrollo del Colectivo Gitano). Le dernier a été voté le 2 mars 2012 par le Conseil des Ministres après proposition du Ministère de la Santé, des Affaires sociales et de l’Egalité. 20 Couramment appelé le DNI (Documento Nacional de Identidad), la carte d’identité espagnole est le fruit du décret du 2 mars 1944 sous le régime de Franco. L’objectif était le contrôle des populations. Ainsi, l’obligation de son port concerna tout d’abord les prisonniers en liberté surveillée, puis les hommes avec des professions ambulantes puis, jusqu’en 1962, les étrangers résidant en Espagne. Depuis la loi organique de février 1992 sur la sécurité des personnes, la possession du DNI est obligatoire à partir de quatorze ans. 21 Les différentes semonces de l’archevêque local démontrent que l’Église espagnole cherchait effectivement à contrôler au mieux ses ouailles. Cependant, les Gitans, changeant régulièrement de paroisse et de noms étaient difficilement repérables. D’où, entre autres, la multiplication des mariages entre cousins germains pourtant prohibés sans dispense papale (cf. Manrique, 2008 et 2012).. 22 Dès lors, bien souvent, le temps écoulé entre l’inscription d’individus sur les registres de baptêmes et sur ceux de décès se réduit à quelques jours. Ainsi, sur les actes de baptême d’adultes apparaît régulièrement la mention : « in articulo mortis ». 23 Les registres de décès sont tenus à partir du XIXe siècle.
18
Gazette du tribunal ecclésiastique de la zone de Morote, il est fait obligation aux prêtres de
mentionner, notamment, la profession des parents du baptisé (même si tous les prêtres n’étaient
toujours aussi scrupuleux au moment de suivre les directives). Ainsi, la profession liée à la
mention « Jitano » par exemple, nous enseigne que la majorité des Gitans des environs de Morote
(dont San Juan) de cette période ont un métier en rapport direct avec les équidés (deux sont
agriculteurs), que ce soit la tonte des chevaux, des ânes ou des mules ou leur commerce. Du
coup, il devient aisé pour le chercheur d’établir les liens nécessaires avec les individus désignés
uniquement par leurs professions : ils sont « chalanes24, (maquignons) », « esquiladores (tondeurs) »
ou parfois, plus clairement, « de profesión gitano ».
À ces professions « gitanisées » succède actuellement la forme matrimoniale. Ainsi, la
mention « juntos (ensemble) » désigne de façon peu équivoque les Gitans de ces bourgs. En effet,
aujourd’hui, seuls les Gitans vivent en concubinage après un mariage « par rapt » (cf. Manrique,
2012), les autres jeunes couples préférant convoler religieusement et civilement avant toute
cohabitation.
D’autres indices plus délétères s’attardent dans les recensements. Ainsi, depuis la
Pragmatique de 1695 (cf. Leblon, 1985), différentes tentatives de recensement des familles gitanes
ont été menées, parfois avec succès, dans toutes les régions d’Espagne. Les conséquences de ces
listes de noms ont eu parfois des conséquences graves dont la plus dramatique fut certainement la
grande rafle de 1749.
Actuellement, divers services sociaux cherchent, non sans difficulté, parfois en essayant
d’impliquer le chercheur qui s’y est systématiquement refusé, à recenser les familles gitanes afin
de connaître leur empadronamiento, c’est-à-dire de leur assigner officiellement un lieu de résidence
qui pourrait être utile lors de la réfection de quartiers ou voiries. C’est avec désarroi effectivement
qu’un agent municipal de San Juan me confia ignorer quelles habitations étaient occupées et par
quelles familles dans le « quartier gitan ».
EN GUISE DE CONCLUSION
Même si dans les différentes archives espagnoles la désignation « de nation gitane (de nación
gitana), qui implique l’idée d’une origine commune25, côtoyait habituellement celles de Gitanos,
24 Ou tratantes en bestias et, Tratantes ou con su tráfico en caballerías qui sont des expressions synonymes de chalanes. 25
Dans le tome IV du Dictionario de Autoridades de 1734, l’expression « de nación » accepte trois définitions
qui toutes marquent une origine étrangère commune (cf. http://web.frl.es/DA.html) :
NACIÓN. s. f. El acto de nacer. En este sentido se usa en el modo de hablar De nación, en lugar de Nacimiento:
y assí dicen, Ciego de nación. Latín. Nativitas.
NACIÓN. La colección de los habitadores en alguna Provincia, Pais o Reino. Latín. Natio. Gens. FR. L. DE
GRAN. Symb. part. 1. cap. 3. Con ser tantas y tan varias las naciones del mundo. ERCILL. Arauc. Cant. 12. Oct.
45.
19
Jitanos, Vagos (Oisifs) ou Vagamundos (Vagabonds), diverses traces relevées nous enseignent que les
Gitans d’Espagne n’ont jamais constitué une population homogène. Bernard Leblon (1985, p. 223)
relève dans les archives d’un procès pour hérésie d’une jeune gitane en 1580 que divers groupes
circulaient dans la Péninsule ibérique avec la même étiquette de Gitanos :
« Interrogée au sujet de l’origine de ses propos, elle explique que les
Gitans sont divisés en deux races, les uns appelés Gitans et les autres
Grecs, et que c’est un ‘Grec’ qui lui aurait parlé de la prairie, trois ans
auparavant. A l’époque, elle faisait route avec beaucoup d’autres jeunes
filles de son âge au sein d’une compagnie de Gitans et un cavalier les
accompagnait pour les empêcher de pénétrer dans les vignes. Un jour où
les Gitans parlaient de ce qu’ils deviendraient après la mort, le ‘Grec’
avait affirmé que, puisqu’ils n’avaient pas de domicile et qu’ils se
promenaient dans les champs, au bord des rivières et sous les ombrages,
il en irait de même dans l’au-delà. »
Les patronymes, par leur évolution, nous révèlent le processus endogène d’homogénéisation qui
s’est mis en place et comment finalement, il a également échoué en aboutissant à une désignation
discriminante des Gitans, des non-Gitans et également entre divers groupes gitans (par exemple,
les Gitans basques, galiciens, catalans et andalous ne portent pas les mêmes patronymes).
L’ethnographie nous montre que cette diversité s’incarne également dans le signifiant (cf. Williams,
2011) de la culture des Gitans (notamment dans les pratiques matrimoniales et funéraires) et se
perpétue actuellement sur tout le territoire espagnol (cf. par exemple, Gay y Blasco, 1999,
Pasqualino, 1998 et San Román, 1997).
D’autre part, l’expression colectivo gitano aujourd’hui utilisée dans les textes administratifs
pour remplacer les anciennes dénominations telles que nación ou raza afin de contourner les
assignations territoriale (étrangère ou autochtone des Gitans), biologique/génétique et sociale
usitées par le passé, participe de cette volonté ancienne d’homogénéisation qui (ont) abouti(t) in fine
à une discrimination, celle qui justifie certains stéréotypes : la pauvreté, le fort taux d’absentéisme
scolaire, les mariages précoces, etc. sont ainsi toujours justifiés par le fait d’appartenir à ce colectivo et
non par un contexte plus général. Pareillement, elle nie la réussite sociale de nombre des dits
Gitans espagnols.
Pero tan grande crédito alcanzaba,
Que toda la Nación le respetaba.
NACIÓN. Se usa freqüentemente para significar qualquier Extrangero. Es del estilo baxo. Latín. Exterae gentis
homo.
20
Références
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matrimonio entre primos hermanos en los gitanos andaluces », Gazeta de Antropología; nº 24/2,
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21
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