"Fluides, affordances et profilage architectural", in "Impressions et fluidités", Actes du colloque...

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Fluides, aordances et prolage architectural Patrice C Mise en jeu 1 Fluidité, écoulement, ux, confusion, turbulence, vortex, troubles, mouvements chaotiques: convoquées par la mécanique et la dynamique des uides, mais encore par la thermody- namique et les sciences contemporaines de la matière, ces notions physiques essentielles dans leur domaine, paraissent hanter la discipline architecturale. Auraient-elles quelque chose en commun avec cette dernière? Entendue au sens le plus large, l’architecture a pour objet d’étude l’organisation et l’édication des territoires habités. Que ces derniers soient étendus ou restreints – territoires géographiques, agglomérations urbaines, villes, édices, mobilier, composants techniques, etc. –, tous se traduisent sous la forme d’artefacts dont la caractéristique la plus évidente est d’être le plus souvent xe, statique, immobile mais encore, pesante, solide et dure. Pris dans leur ensemble, leurs organisations matérielles demeurent relativement simples, le plus souvent conçues à partir d’une base géométrique euclidienne – autant dire une géométrie ancienne –, certes fondatrice mais relativement simple vis-à-vis des extraordinaires développements mathématiques et scientiques contemporains. L’architecture, par ses propriétés géométriques, techniques et matérielles, peut être considérée comme l’expression de l’inertie et de la staticité, la notion de structure (struere) lui étant naturellement consubstantielle 2 : ainsi, plus proche de la notion de cristallisation , l’architecture serait l’antithèse de la uidité. Matière, structures, processus d’émergence Quelles que soient leurs propriétés – naturelles ou articielles –, les organisations cristallines de la matière se présentent le plus souvent sous forme de structures rigoureusement orga- nisées à partir d’axes de symétrie constitués par une disposition très régulière des atomes prenant l’aspect d’un empilement uniforme de cubes identiques. Les cristaux caractérisent la forme la plus ordonnée de la matière solide 3 ; pourtant, à l’opposé, il existe des structures . Paris, Gallimard, , t.II. . Voir: Hubert Damish, «Du structuralisme au fonctionnalisme», dans À la recherche de Viollet-le-Duc, Geert Bekaert (dir.), Liège, Pierre Mardaga, «Architecture + Recherche», ; et «La colonne, le mur», Architural Design, n os et , . . Marc Audier, Michel Duneau, «Cristaux», dans Encyclodedia Universalis, . […] les choses n’existent pas et il n’est rien qui ne dure ni ne demeure, seulement un ux de changements. Friedrich Nietzche, La Volonté de puissance

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Fluides, a!ordances et pro"lage architectural

Patrice C$%%&'()(

Mise en jeu 1

Fluidité, écoulement, *ux, confusion, turbulence, vortex, troubles, mouvements chaotiques+: convoquées par la mécanique et la dynamique des *uides, mais encore par la thermody-namique et les sciences contemporaines de la matière, ces notions physiques essentielles dans leur domaine, paraissent hanter la discipline architecturale. Auraient-elles quelque chose en commun avec cette dernière+? Entendue au sens le plus large, l’architecture a pour objet d’étude l’organisation et l’édi,cation des territoires habités. Que ces derniers soient étendus ou restreints – territoires géographiques, agglomérations urbaines, villes, édi,ces, mobilier, composants techniques, etc. –, tous se traduisent sous la forme d’artefacts dont la caractéristique la plus évidente est d’être le plus souvent ,xe, statique, immobile mais encore, pesante, solide et dure. Pris dans leur ensemble, leurs organisations matérielles demeurent relativement simples, le plus souvent conçues à partir d’une base géométrique euclidienne – autant dire une géométrie ancienne –, certes fondatrice mais relativement simple vis-à-vis des extraordinaires développements mathématiques et scienti,ques contemporains. L’architecture, par ses propriétés géométriques, techniques et matérielles, peut être considérée comme l’expression de l’inertie et de la staticité, la notion de structure (struere) lui étant naturellement consubstantielle 2+: ainsi, plus proche de la notion de cristallisation, l’architecture serait l’antithèse de la !uidité.

Matière, structures, processus d’émergenceQuelles que soient leurs propriétés – naturelles ou arti,cielles –, les organisations cristallines de la matière se présentent le plus souvent sous forme de structures rigoureusement orga-nisées à partir d’axes de symétrie constitués par une disposition très régulière des atomes prenant l’aspect d’un empilement uniforme de cubes identiques. Les cristaux caractérisent la forme la plus ordonnée de la matière solide 3+; pourtant, à l’opposé, il existe des structures

-. Paris, Gallimard, -..#, t.+II.!. Voir+: Hubert Damish, «+Du structuralisme au fonctionnalisme+», dans À la recherche de Viollet-le-Duc, Geert

Bekaert (dir.), Liège, Pierre Mardaga, «+Architecture + Recherche+», -.//+; et «+La colonne, le mur+», Architural Design, nos+0 et #, -.1..

2. Marc Audier, Michel Duneau, «+Cristaux+», dans Encyclodedia Universalis, !"--.

[…] les choses n’existent pas et il n’est rien qui ne dure ni ne demeure, seulement un *ux de changements.

Friedrich Nietzche, La Volonté de puissance

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cristallines où les positions atomiques semblent n’avoir aucune contrainte (états vitreux, semi-conducteurs, cristaux liquides, quasi-cristaux, etc.). La division en états solide, liquide et gazeux, instituée par la thermodynamique au 5(5e+siècle a subi une révision décisive avec la découverte de l’état critique au 55e!siècle, en démontrant une continuité de fait entre état gazeux et état liquide+: l’état *uide regroupait à la fois les états liquide, gazeux et critique, par opposition à l’état solide a priori mieux dé,ni. La recherche concernant la matière dans des milieux extrêmement chauds porta à la découverte d’un «+quatrième état+» de la matière, terme équivoque supposant une proximité taxinomique du plasma avec l’état *uide ou l’état solide, bien que les concepts qui sous-tendent ce dernier soient quasiment sans relation avec les attributs des états *uide et solide.

Ainsi, des distinctions primordiales remettent en cause la doxa concernant la matière+: le verre, solide au premier abord, possède une structure plus proche de celle d’un liquide que d’un cristal typique. En revanche, certains liquides sont constitués de molécules régulièrement ordonnées (cristaux liquides, état mésomorphe ou état «+intermédiaire+» entre liquide et solide). La découverte des corps à l’état *uide ayant des propriétés de solides – et inversement –, fait que la science contemporaine a dé,nitivement brisé les catégories recouvertes par

les expressions état solide et état *uide. Aujourd’hui, la physique hors d’équilibre ouvre de nouvelles perspectives concer-nant la matière pour lesquelles le terme état ne saurait plus convenir (structures auto-organisées complexes, matière vivante)+: désormais, il ne s’agit donc plus seulement «+d’états+» de la matière mais bien de «+manières d’être+» de la matière 4.

Toute proportion gardée – et consi-dérés en tant qu’objets naturels –, les artefacts architecturaux, bien au-delà de leur nature apparemment cristalline, ne sauraient être autres que le résultat d’un contexte dynamique+: la matérialité des organisations habitées intègre non seulement la matérialité statique de la

tectonique des matériaux, mais aussi toutes les autres matérialités qui les traversent, à savoir tous les di6érents états de la matière qui se trouvent intrinsèquement associés à la tectonique constructive+: certes, on y trouve l’atmosphère, couplée à la variété in,nie des ambiances naturelles (hygrométrie, température, altitude, longitude géographiques, biotope/faune, climatologie, etc.) mais encore les informations (*ux informationnels) relatives aux habitants eux-mêmes et aux modes d’être et d’habiter (*ux ethno-anthropologiques, psycho-sociaux et comportementaux). Par son caractère apparemment stable, la matière solide caractérise la dimension tectonique de l’architecture, laquelle représente de manière fallacieuse l’architecture comme entité complète. Or, d’évidence, la matière «+cristallisée+» ne représente qu’un «+état+» de la forme architectonique à un moment donné de son existence, puisque cette dernière évolue constamment, changeant d’aspect au cours du temps (évolution de la forme des édi,ces, des villes et territoires), signi,ant que la forme tectonique n’est pas – et n’a jamais été – la

0. Vincent Fleury, «+Matière. États de la matière+», dans Encyclopedia Universalis, !"--.

Fig.#$% Écoulement laminaire correspondant au pro,lage d’une aile d’aéronef.

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«+forme architecturale+» en tant que telle – ainsi qu’on enseigne dans la plupart des institutions académiques+: elle n’en représente que la résultante. La géométrie (théorie des proportions, harmonie, symétrie, eurythmie, etc.) et la matière organisée sous une forme tectonique ne représentent seulement que la partie la plus statique du phénomène architectural lui-même.

Dans le domaine des sciences de la nature, rapportons-nous à l’expérience pionnière d’Alexander von+Humboldt dans les domaines de la géographie et de la botanique concernant la constitution des morphologies naturelles terrestres+: il fut le premier, à partir d’une approche pragmatique, à démontrer les interactions entre les phénomènes humains et les phénomènes géologiques, météorologiques, biologiques ou physiques. La récolte de mesures rigoureuses à partir de di6érents paramètres d’un contexte environnemental (hygrométrie, pression atmosphérique, altitude, longitude et latitude, nature chimique et thermique des masses d’air, rayonnements solaires, phénomènes électriques, nature des sols, édaphologie, etc.) donnera une compréhension des conditions d’existence des di6érentes formes vivantes et de leurs mutations constantes relatives aux variations des *uides et des *ux en interaction 5. Ce sont les di6érents facteurs associés aux *uides physiques d’un contexte qui, se manifestant par des mouvements, des *ux et des turbulences, donnent lieu à l’apparition de formes (relativement)

#. Alexandre von Humbold, Aimé Bonpland, «+Essai sur la géographie des plantes+; accompagné d’un tableau physique des régions équinoxiales, fondé sur des mesures exécutées, depuis le dixième degré de latitude boréale jusqu’au dixième degré de latitude australe, pendant les années -1.., -/"", -/"-, -/"! et -/"2+» [-/"#], dans Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent, Paris, -/"1--/20 (édition monumentale), 2"+vol, rééd. C.+Minguet, A.+Segala et J.-P.+Duviols (dir.), Paris-Nanterre, Érasme, -./.--..".

Fig.#$& Alexander von+Humboldt, Geographie der P!anzen in den Tropen-Ländern (représentation du volcan Chimborazo+?), carte, -/"#.

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stables et solides. Les manières d’être de la matière donnent lieu à des formes (ou états) de la matière+: des formes en présence à un moment donné 6. Tout ce qui se présente dans la stabilité n’est qu’apparence, car celle-ci est le fruit d’un *ux continu d’interactions dynamiques.

Émergence et principe d’auto-organisationL’être relatif à la constitution et à la formation des organisations naturelles (morphogenèse) tiendrait essentiellement à leur processus d’émergence ou d’auto-organisation 7, lequel se produit dans des conditions dynamiques où les variations des paramètres se modi,ent en permanence. Henri Atlan établit une nette di6érence entre les artefacts construits par l’homme et les systèmes naturels+; les premiers sont produits «+en vue de ,ns et suivant des plans déjà dé,nis, la signi,cation des structures et des fonctions [étant] dé,nie par rapport à ces ,ns+», lesquelles sont externes à la machine elle-même alors que dans les seconds, «+la notion même d’auto-organisation implique une origine interne, non seulement pour les structures mais aussi pour les signi,cations fonctionnelles des comportements produites par ces structures 8+». Semblant répondre de prime abord à la première catégorie d’organisation, les artefacts architecturaux sont un cas hybride arti,ciel-naturel, ne paraissant pas déroger aux principes de l’auto-organisation des systèmes naturels. Bien que ceux-ci soient pensés par des humains avec une ,nalité fonctionnelle, leur signi,cation – polysémique – reste indéterminée (ou variable), car jamais dé,nitivement ,xe+: leurs structures évoluent dans le temps parallèlement aux changements de leurs signi,cations (par exemple, le théâtre de Marcellus transformé en palais par la famille Savelli au 5@(e+siècle), jusqu’à leur désagrégation et complète disparition matérielle. De toute évidence, ce qui vaut pour les formes de la nature, vaut aussi pour les artefacts architectoniques dans leur ensemble car leur organisation-évolution dans le temps tient dans l’origine ambivalente de leur auto-organisation à la fois interne et externe. Ainsi, bien que les territoires, organisations urbaines, édi,ces ou artefacts architecturaux apparaissent immobiles, ils ne sont que le produit des *ux dynamiques continus propres à la fois aux mutations des sociétés humaines et aux forces naturelles de la matière. La signi,cation et l’organisation architecturale se manifestent sous la forme d’un écoulement, de changements *uides et continus de l’information qui les compose.

Fluidité!: théories antiques

VitruveMême si durant les décennies inventives des années -.3" et -.1", certaines avant-gardes architecturales se sont intéressées à ce que recouvrait la notion de «+*uidité+» en architecture 9, cette notion n’était guère évidente à la société moderniste occidentale de l’après-guerre. La

3. Alexandre von Humbold, Aimé Bonpland, «+Nouvelles recherches sur les lois qu’on observe dans la distribution des formes végétales+», dans Mémoires de physique et de chimie de la société d’Arcueil, Paris, -/!-, p.+!31-!.1.

1. Henri Atlan, «+Auto-organisation+», dans Encyclopaedia Universalis, !"--./. Ibid... Voir+: Reyner Banham, "e Architecture of the Well-Tempered Environment [Londres, -.3.], Chicago University

Press, -./0+; Antoine+Picon, «+L’architecture virtuelle entre simulacre et hyper réalité+», Architecture Mouvement Continuité, no+--/, septembre+!""-+; Greg Lynn, Animate Form, New York, Princeton Architectural Press, -...; et Mori Toshiko, Immaterial-Ultramaterial. Architecture, Design and Materials, Cambridge, Harvard Design School, !""!.

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préfabrication et la sérialisation industrielles, la production de masse d’édi,ces ont favorisé une pratique de l’architecture «+réductionniste+», appuyée sur les dimensions techniques et économiques très normées et extrêmement contraignantes. Cette pratique était donc peu encline aux relations avec les territoires dans lesquels elle s’inscrivait+; qui plus est, la perte d’inscription territoriale était justi,ée par une lecture des territoires en termes purement juridiques et de rentabilité. La nature vivante des territoires n’a pas – ou peu – été considérée. Dans un tel contexte, il n’est pas étonnant que les interprétations du De architectura de Marcus Vitruvius Pollio, père séculaire de la discipline architecturale 10, aient été sujettes à des lectures restrictives, partielles, voire trompeuses sinon totalement erronées, plus souvent idéologiquement orientées vers des interprétations techniques et esthétiques. À ceci, il faut aussi ajouter que les di6érentes traditions rationalistes de la Renaissance et de l’époque classique ne furent pas étrangères à cet état de fait – en commençant par l’interprétation du texte par Leon Battista Alberti, lui-même – dans son De re aedi#catoria datant de -0#!.

Pourtant, dans le livre premier du De architectura, la référence aux *uides, aux mouvances, courants, aux forces dynamiques et aux forces formantes est manifeste+: Vitruve donne pour origine rationnelle de l’architecture, la raison inhérente aux dimensions naturelles et *uides qui lui donnent naissance et sans lesquelles la discipline architecturale ne saurait exister. La dé,nition de l’architecture dans le texte vitruvien est sans équivoque concernant sa dimension organique. Sans entrer dans un examen détaillé de l’ensemble des chapitres, on comprend combien l’architecture est la résultante des formes dynamiques et d’une pensée de la *uidité, celle-ci paraissant représenter la quintessence de la physique de la nature+: ainsi, dans le chapitre+( du livre+I, «+Quid sit achitectura, et de architectis instituendis+», on découvre que l’optique était non seulement entendue comme les lois de la perception, mais probablement comprise aussi comme la connaissance des lois selon lesquelles la lumière se «+di6use+» (se répand) dans l’espace (§+0). La musique est, non seulement entendue comme loi harmonique des proportions des cordes, mais concerne encore les fréquences et les ondes acoustiques (§+/ et .)+; de même, la philosophie, au-delà de sa dimension morale et éthique, donne accès aux lois régissant la nature des choses (de rerum natura quae graece physiologia dicitur), «+physiologie+» selon la tradition grecque, laquelle concerne l’écoulement des *uides, eaux, air, etc. (§+1). Nous trouvons encore la médecine, sans laquelle aucune habitation salubre ne serait possible (§+-")+: en e6et, dans le chapitre+(@, De electione locorum salubrium, la médecine y est très largement convoquée pour le choix des lieux de fondations des villes et des édi,ces+: les lieux se caractérisent par les klimata – des *ux –, vents 11, bruines, brouillards, nuages, vapeurs et autres états atmosphériques et climatologiques. Les variations des températures, la combinaison et l’équilibre des principes vitaux relatifs aux quatre éléments (stoicheia) – air, eau, feu, terre – marquant les humeurs corporelles des êtres en général et des vivants en particulier, déterminent la morphologie des villes et des édi,ces a,n de garantir de ne pas nuire à la santé des habitants (le primum non nocere d’Hippocrate). Dans le chapitre+@(, §+-, Vitruve insiste encore sur le soin nécessaire concernant l’organisation des villes et des édi,ces en fonction «+des directions des régions du ciel+»+: «+Moenibus circumdatis, sequuntur intra murum arearum divisiones, platearumque et angiportuum ad caeli regionem directiones. Dirigentur haec autem recte+» (on doit à l’intérieur [de l’enceinte] s’occuper de l’emplacement des maisons et de l’alignement des grandes rues et des petites suivant l’aspect du ciel. Les dispositions seront bien faites). À cet égard, ce n’est donc pas

-". Voir+: Vitruve, De l’Architecture, C.-L.+Maufras (trad.), Paris, Planckoucke, -/0/+; et Vitruvio, De architectura, Pierre Gros (éd.), Torino, Einaudi, -..1.

--. Ventus autem est aeris !uens unda, ibid., livre+I, chap.+@(, §+!

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non plus innocemment que Vitruve fait référence à la sagesse des anciens haruspices, issus de la tradition étrusque 12+: en e6et, lors de la fondation augurale des villes, les aruspices, puis les agrimensores opéraient non seulement les rites sacrés au sein du templum par la description dans le ciel des lignes imaginaires puis par la transposition sur terre de leur tracé, mais encore analysaient antérieurement à toute fondation urbaine, les entrailles d’animaux laissés préalablement paitre pendant plusieurs mois sur le site d’édi,cation. Les singularités morphologiques des entrailles des animaux sacri,és – le foie, de préférence – garantissaient de manière augurale l’avenir, mais aussi de manière rationnelle les propriétés naturelles et la salubrité du site de fondation. Les malformations décelées des organes victimaires étaient indicielles+: elles constituaient les symptômes de pathologies potentielles liées à l’eau, à la terre et à l’air, etc. Cette curiosité du texte de Vitruve, renvoie ainsi à un texte écrit par Hippocrate – ou par l’école hippocratique – «+Air, eau, lieux+», lequel institue, par son titre même, une dynamique fondamentale entre les sites d’occupation et les pratiques humaines, car on y met en évidence l’in*uence du milieu physique sur le corps et l’âme des habitants. La médecine, elle-même, a institué récemment un champ de connaissance spéci,que (médecine environnementale), où les phénomènes ambiants sont étudiés sous l’angle de leurs variations et de leurs conséquences sur les habitants.

Les chapitres+@( («+De divisione et dispositione operum, quae intra muros sunt+») et @(( («+De electione locorum ad usum communem civitatis+»), incitent encore et reviennent sans cesse à fonder et organiser les œuvres édi,ées en bonne adéquation avec les lieux naturels. À cet égard, la notion même de decor – souvent traduite par le terme équivoque de «+convenance+» – vaut d’abord, et essentiellement, pour la dimension naturelle des lieux+; cette notion se prolonge logiquement depuis le positionnement naturel, géographique et climatologique des édi,ces jusqu’aux dimensions sociales (lesquelles consistent en une ,ne adéquation des usages à la nature des lieux, thematismos, et non l’inverse), car le mot decor doit être entendu dans le monde latin sous l’acception «+adéquation+» ou, mieux encore, sous celle plus pertinente de «+conformation+» – et non sous celle de «+convenance+», réductrice, qui caractérise son sens moderne, au moins depuis le 5(5e+siècle.

On peut sérieusement penser que la notion de *uidité se retrouve aussi dans les notions eurythmia et symmetria. Le plus souvent, l’eurythmie est traduite comme étant «+l’aspect agréable, l’heureuse harmonie des di6érentes parties de l’édi,ce+», or le texte latin dit+: «+eurythmia est venusta species+», ce que nous traduirions plutôt par+: l’eurythmie est ce qui, de la venustas, se donne au regard. Ceci nous renvoie de fait à la racine étymologique du terme phénomène, phainómenon, ce qui apparaît à la lumière+; l’eurythmie est donc l’un des e6ets de la venustas – un phénomène – et non la venustas en tant que telle, que l’on comprend et que l’on traduit classiquement comme «+aspect agréable+». Eurythmia est aussi «+commodusque in compositionibus membrorum aspectus+», impliquant qu’elle serait la bonne adéquation, la disposition appropriée et le produit de la composition des membres du système architectural. Eurythmia, en réalité, est un ensemble d’e6ets dynamiques et *uides, liés à la mise en résonnance continue des propriétés physiques et morphologiques d’un édi,ce (ou d’un organisme) en relation à la perception entendue en son sens large. Quant au terme symmetria 13, il s’agit de l’harmonie, de la concordance, mais mieux encore, de la juste et parfaite conformation/adéquation des parties de l’œuvre, les unes en rapport aux autres (Symmetria est ex ipsius operis membris conveniens consensus) en fonction d’une loi de continuité harmonique – géométrique ou non. Traditionnellement, symmetria est le plus

-!. Id autem etiam Etruscis aruspicibus disciplinarum scriptis ita est dedicatum, ibid., livre+I, chap.+@((, §+-.-2. Ou commodatio. Voir ibid., livre+III, chap.+(, §+-.

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souvent comprise comme harmonie des proportions, ,gures, mesures et modulation, car facile à la compréhension du plus grand nombre et à l’usage le plus simple. Moins évidente, la nature organique du terme, à savoir la dimension de parfaite conformation, disposition, composition appropriée, reste largement occultée. Ainsi, la dimension complexe et systémique de ces termes reste très largement occultée encore aujourd’hui à la compréhension des enjeux de l’architecture contemporaine. On s’en rend mieux compte mieux en considérant l’ensemble des termes convoqués dans le chapitre+(( («+Ex quibus rebus architectura constet+»). Il y est dit+: «+Architectura autem constat ex ordinatione, quae graece taxis dicitur et ex dispositione hanc autem Graeci diásthesin vocitant et eurythmia et symmetria et decore et distributione quae graece oikonomía dicitur 14.+» L’ensemble des termes font système et renvoient in #ne au terme de distribution (oikonomía) et de ce fait aux notions de direction, administration, gouvernement (terme à la racine du mot cybernétique), mais encore à ceux d’arrangement, ordonnance, distribution qui valent dans l’ensemble des sciences de l’ingénieur. Il y aurait donc une dimension dynamique et organique – quasi vivante – qui habiterait les organisations édi,ées.

VenustasLa théorie vitruvienne n’est pas seulement une théorie des ordres classiques, de l’harmonie et de l’art des proportions géométriques+: elle est avant tout, et sans aucun doute, une théorie organique de l’architecture. Une dernière donnée capitale va dans ce sens. Dans le chapitre+((( du livre+I, «+De partibus et terminationibus architecturae+», on découvre les trois principes qui doivent impérativement se retrouver dans toute œuvre architecturale et dans chacun de ses composants+: «+Haec autem ita #eri debent, ut habeatur ratio #rmitatis, utilitatis, venustatis.+» Ces principes sont des rationes à savoir des systèmes, procédés ou méthodes, autrement dit des facultés de calculer, de raisonner, de juger, d’expliquer. Il ne s’agit pas seulement, de la solidité (#rmitas), de l’utilité (utilitas), de la beauté (venustas) entendus au sens moderne et rationaliste, même si cette pensée n’était pas ignorée par le monde antique. Les procédures de pensée ne coïncident pas avec nos habitudes contemporaines. Si l’on parle de ratio #rmitatis, utilitatis et venustatis, plus que de champs catégoriels – à savoir mécanique et construction, usages et fonctionnalité, beauté et élégance –, il faut avoir une approche bien plus large de l’usage de ces termes, lesquels doivent faire système, ainsi+: ratio #rmitas incite à penser en termes de cohérence, fermeté, résistance, stabilité+; ratio utilitatis, renvoie à utilisable, en adéquation, pro,table dans le sens de «+qui fait croître+», en relation avec$; en,n, ratio venustatis renvoie aux qualités vénusiennes+; elle suppose beauté physique et grâce, agrément, élégance ou encore amour, attraction physique et sexualité, générativité.

Ces concepts ont des liens logiques étroits entre eux que l’on ne saurait ignorer. Il est intéressant, par ailleurs, de noter combien ces termes ont été expurgés de leurs signi,cations originaires. À cet égard, ratio venustatis est particulièrement signi,cative de cet état de fait+: sans cesse, depuis le haut Moyen Âge, Vénus (et ses propriétés) a toujours été vécue comme une véritable diAculté, et cela jusqu’à l’époque moderne+; on peut observer comment – à partir de questions idéologiques tenant principalement d’une morale rigoriste chrétienne – elle fut écartée ou, dans le meilleur des cas, corrigée des propriétés qui lui sont connaturelles, car gênantes et transgressives. Avant même de renvoyer à la dimension esthétique et visuelle, venustas renvoie d’abord aux dimensions vivantes, organiques et dynamiques que nous pourrions quali,er de génératives, dans les termes contemporains actuels. Venustas renvoie

-0. Ibid., livre+I, chap.+((, §+-.

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à Vénus/Aphrodite, entendue comme principe de *uidité dynamique et générative de l’architecture, principe aussi dangereux que celui de la guerre et de la destruction. N’est-il pas vrai que l’un et l’autre étaient frère et sœur, et amants+?

N’est-il pas étonnant que Vitruve, lui-même conseille de placer les temples de Vénus/Aphrodite, de Mars/Arès et de Vulcain/Héphaïstos à l’extérieur des enceintes de la ville, hors de la civilisation, dans l’espace sauvage et pulsionnel de la nature, conformément aux pratiques de l’époque+? Si l’on comprend le danger potentiel que représentent Mars (guerres, discorde et destruction) et Vulcain (forces violentes de la nature, feu, explosion, tremblements de terre, arti,ces), pourquoi craindre la belle et séduisante Aphrodite+? Parce que celle-ci représente d’abord la matrice, la fertilité, la création, la régénération de la vie, la force pulsionnelle reproductrice et sexuelle de la nature. Aphrodite, quelle que soit la légende à laquelle on se réfère, reste toujours associée aux éléments *uides, à la vie, à l’océan+: chez Homère, elle est ,lle de Zeus et de Dioné, l’une des ,lles d’Océan. Dans la "éogonie d’Hésiode, Aphrodite naît de la mer fécondée par le sexe d’Ouranos tranché par Cronos+: «+tout autour, une blanche écume (sperme) sortait du membre divin. De cette écume, une ,lle se forma.+» La déesse est «+née de l’écume+» (aphrós). Son épithète homérique philommeidés est interprétée par Hésiode comme signi,ant «+sortie des testicules 15+» (médea).

Ratio venustatis!: paradigme de la générativité des formes!?Car n’est-ce pas à partir de la dynamique des *uides que les formes se constituent+? D’autres auteurs convoqués par Vitruve lui-même, l’attestent sans aucun doute. Dans les Res rusticae, Varron, auteur contemporain de Vitruve, dédie son ouvrage aux douze grands dieux qui composent le conseil céleste «+[non] pas ces divinités citadines, six d’un sexe et six de l’autre, dont les statues dorées se dressent au Forum, mais bien les douze intelligences qui président aux travaux des laboureurs+». Parmi celles-ci, on trouve Venus qui préside au jardinage, signi,ant qu’elle garantit la fertilité, la germination, la formation et la croissance, la genèse des formes organiques végétales 16. Cependant, le lien à Vitruve le plus marquant d’entre tous peut être trouvé chez Lucrèce dans l’hymne à Vénus en préliminaire de son long poème théorique, De rerum natura, dans lequel il expose les thèses atomistes épicuriennes 17. Ainsi l’invoque-t-il+: «+Mère des Romains, charme des dieux et des hommes, bienfaisante Vénus, c’est toi qui, fécondant ce monde placé sous les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre revêtue de moissons+; c’est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent leurs yeux naissants à la lumière. Quand tu parais, ô déesse, le vent tombe, les nuages se dissipent+; la terre déploie sous tes pas ses riches tapis de *eurs+; la surface des ondes te sourit, et les cieux apaisés versent un torrent de lumière resplendissante.+» La physique de Lucrèce, qui s’en tient principalement aux données essentielles de la doctrine d’Épicure, explique la genèse du monde+: la chute verticale et éternelle des atomes comme autant d’écoulements laminaires dans le vide+; les atomes sont les semences de tous les univers car rien ne se crée ni ne se perd. Dans ce *ux continu, la pesanteur et une déclinaison singulière (clinamen) permettent, au travers de turbulences nécessaires, la création du monde par une rencontre et une combinaison des atomes+: de ces accidents – ou catastrophes –, émergent du néant, les corps, inertes ou animés. Ainsi, tout n’est que matière, même l’esprit de l’homme (animus)

-#. Voir+: Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, -....-3. Varron, De l’agriculture, dans Les Agronomes latins, Caton, Varron, Columelle, Palladius, M.+Nisard (trad. et éd.),

Paris, Firmin-Didot, -/30.-1. Lucrèce, De la nature, Henri Clouard (trad. et éd.), Paris, Flammarion, «+GF+», -..-.

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et son âme (anima) qui se dissolvent ensemble dans la mort. L’apparition et disparition des êtres, la réalité ne sont, en ce monde, qu’une suite de situations naturelles. Comme l’observe Michel Serres, «+à la physique de la chute, de la répétition, de l’enchaînement rigoureux se substitue la science créative du hasard et des circonstances 18+». Un regard nouveau est porté sur le clinamen+: ce très petit écart angulaire s’immisçant dans les trajectoires des masses ou dans les *ux inertes, devient le prélude à l’idée du pré calcul in,nitésimal – une «+*uxion+» au sens leibnizien. De la sorte, l’écart in,nitésimal constitué par le clinamen provoque, selon Lucrèce, par parturition, enfantement de tourbillons, la structuration et «+la formation des choses à partir de la cataracte atomique+». Trouble qui fait naître les choses, Venustas serait le paradigme de la générativité des formes et des êtres.

Le pro"lage organique de la forme architecturale contemporaine

A"ordances et émergence architecturaleDès lors que l’on relit de manière critique le livre premier du De architectura, on est frappé par l’importance déterminante de l’environnement physique et du rôle de l’organicité prônés par la théorie de Vitruve+: la démarche vitruvienne paraît décrire un processus morphogénétique systématique, et cela par adéquations successives, grâce à une intégration progressive entre phénomènes naturels et usages fonctionnels et symboliques. Par sa continuité et sa cohérence, la démarche peut être associée à celle d’un pro#lage faisant se succéder logiquement des formes potentielles en partant de l’échelle la plus large à la plus petite selon le processus qui suit+:

a) La recherche de territoires potentiels à partir d’une observation détaillée de leur propriété+;

b) L’adéquation de la forme (schèma) urbaine, voies et enceinte, aux *ux et aux dynamiques naturelles environnementales+;

c) L’adéquation des fonctions/signi,cations/usages des équipements publics en fonction des lieux naturels (decor)+;

d) L’adéquation des fonctions/signi,cations/usages des habitations en fonction de leur position géographique et de leur parcellaire. Le processus de conceptualisation de Vitruve, à la fois topologique et phénoménologique, permet de trouver – par approxi-mations successives – les positionnements et conformations spatiales optimaux des diverses fonctions à installer. Les phénomènes environnementaux naturels – assimilables à des «+poches+» phénoménologiques –, s’imposent à la perception des potentiels occupants intéressés par leur saillances dynamiques, par leurs caractéristiques et, de ce fait même, accordent aux groupes humains, dès lors qu’ils l’ont identi,é, une prise du territoire pour leur installation et usage propres. Ce sont les *ux, les phénomènes dynamiques qui donnent lieu aux localisations fonctionnelles et aux conformations architecturales, et cela de manière *uide, en unissant chaque échelle spatiale, l’une à l’autre de manière continue. Ce processus de continuité morphogénétique (venustas) garantit idéalement un pro,lage architectural d’une grande cohérence (#rmitas), soutenant de la sorte, l’équilibre vital et le bien-être des habitants (utilitas).

Immanquablement, il serait diAcile de ne pas établir une relation étroite entre le processus architectural vitruvien et la théorie des a6ordances (theory of a%ordances) proposée par

-/. Voir+: Michel Serres, Naissance de la physique dans le texte de Lucrèce. Fleuves et turbulences, Paris, Minuit, -.11.

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James Jerome Gibson 19, une approche écologique de la perception fondée sur l’analyse de la perception des rapports entre animal et l’environnement. La théorie des a6ordances est une approche phénoménologique ne connaissant que les dimensions sensibles et mondaines+: à la fois médium, substances et surfaces, l’environnement forme les objets et les animaux. Ainsi, di6érentes possibilités d’interaction «+s’o6rent+» à l’animal. Gibson désigne par a%ordances les possibilités d’interactions o6ertes à l’animal par son environnement. Les a%ordances de l’environnement guident et limitent le comportement des animaux. La complémentarité entre l’animal et l’environnement est une notion essentielle. Ce n’est donc pas par hasard, non plus, que la théorie des a%ordances a débouché sur le concept d’usabilité (usability) en matière d’ergonomie 20. La continuité et la *uidité de la genèse des formes (morphogénèse) appuyée sur la théorie des a%ordances garantirait l’émergence d’organisations architecturales et urbaines en cohérence avec les usages des sociétés humaines.

Sociétés contemporaines, care theory et thérapeutique architecturaleFace à l’enjeu écologique mondial, les concepts de durabilité des ressources et de dévelop-pement soutenable deviennent incontournables depuis une vingtaine d’année en Europe+; devant valoriser l’équité sociale et solidaire, cet événement remet en cause les pratiques architecturales et urbaines mécanicistes occidentales. Alors que les sociétés antiques et médiévales ont toujours eu le souci d’un lien étroit et permanent avec le monde organique dynamique et vivant incarné par les divinités, il n’en fut pas de même pour celles du 5(5e et 55e+siècles+: matérialistes et capitalistes, elles proposèrent des organisations territoriales et urbaines inédites, le plus souvent, en rupture avec l’environnement (anti-venustas)+; la morphologie fragmentée, l’incohérence et l’hétérogénéité (anti-#rmitas), la mauvaise habitabilité (anti-utilitas), sont le produit d’une approche environnementale simpli,catrice (non-observation), placée dans un contexte économique et juridique restreint, marqué par des stratégies à court terme. Les résultats sont clairs+: le lien écologique avec l’environne-ment a été aboli. La dimension phénoménologique et sensorielle a perdu son importance au pro,t de superstructures technologiques hors contexte d’inscription, de pratiques de conception «+forcées+», car dé-réalisantes, inductives, super,cielles, non-sensorielles 21. Ainsi, de graves malaises sociaux et comportementaux en découlent+: troubles fonctionnels, désagrégation sociale, révoltes, dépressions et suicides, etc. Par ses pratiques et sa dureté, la société contemporaine a brisé la continuité phénoménologique naturelle. Aveuglément, la technique généralisa ainsi le mouvement de désorganisation, anéantissant de la sorte les *ux vivants et dynamiques du monde sensible et sensoriel, en produisant une masse jamais atteinte auparavant de formes édi,ées avec une compréhension assez limitée des interactions entre territoires et habitants 22. Parallèlement, on a vu se déployer et se renforcer des dynamiques inédites dans les grandes organisations urbaines, résultat de puissantes et turbulentes mutations+: *ux de populations, *ux de transports, *ux des réseaux, *ux des communications électroniques, *ux ,nanciers,+etc.+; tous, sans précédent dans l’histoire de l’humanité (,g.+13). Les métropoles deviennent de plus en plus attractives, concentrant

-.. Voir+: James Jerome Gibson, «+Be Beory of A6ordances+», Perceiving, Acting and Knowing, Robert Shaw et John Bransford (dir.), Hillsdale, Lawrence Erlbaum Associates,-.11+; et "e Ecological Approach to Visual Perception, Boston, Houghton MiCin, -.1..

!". Voir+: Jakob Nielsen, Usability Engineering, Cambridge, Academic Press Professional, -..0+; et Daniel Andler (dir.), Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, !""0.

!-. Voir+: Martin Heidegger, «+Bâtir, Habiter, Penser+», dans Essais et conférences, Paris, Gallimard, -.#/.!!. Voir+: Edgard Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, -..".

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des millions de personnes, paradoxalement atteintes par des diAcultés croissantes et des déséquilibres qui touchent leurs habitants dans leur vie même.

En ce moment où, dans une accélération continue, les organisations architecturales et urbaines deviennent de plus en plus complexes, la question d’une régulation de leur croissance s’impose à la théorie architecturale+: aux actions désorganisées qui ont régné sans partage depuis l’après-guerre, il faut instaurer de nouvelles approches, de nouvelles métho-dologies considérées en termes qualitatifs et phénoménologiques a,n de réparer, remailler, organiser, soigner l’ensemble des échelles du territoire habité 23. À l’instar de la médecine, pour comprend désormais une médecine envi-ronnementale, il semble indispensable de penser l’architecture comme un acte de clari,cation, de simpli,cation, de rééquilibrage (,g.+11)+: bref, comme un acte soignant, pour ainsi dire, un acte quasi-thérapeutique, un acte renvoyant directement à la care theory 24 où l’éthique trouve une place capitale en tant qu’éthique de l’action. Tekhnè, l’architecture n’est-elle par un art agissant sur le corps organique et vivant de la terre et des êtres qui y habitent+; de même, n’agit-elle pas violemment sur le psychisme et le comportement des humains+?

Flux, champs d’a"ordances et pro#lage architecturalL’adéquation continuelle de l’architecture au milieu environnant *uctuant est un prérequis impératif et fondateur de la discipline. Le milieu (ambiances) qui constitue l’environnement humain habité, quel qu’il soit, est la base fon-datrice de toute action. Ne pas l’observer, ne pas le décrire, ne pas le traduire avec précision porte inéluctablement à de funestes résultats, compromettant un peu plus l’avenir sur le long terme. À la façon des aruspices en leur temps, ne pourrions-nous pas observer les propriétés intrinsèques caractéristiques d’un contexte d’intervention donné à partir de cartographies des ambiances physiques, psycho-comporte-mentales et sociétales+? En considérant celles-ci en termes de formes/a%ordances changeantes

!2. Voir+: Augustin Berque, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, !""-.!0. Joan Tronto, Un monde vulnérable. Pour une politique du care, Paris, La Découverte, !""..

Fig.#$' Flux routier. © Luis Paricio Leal.

Fig.#$$ Analyse stratégique. Image thermographique correspondant à une portion du territoire de la plaine Saint-Denis.

Fig.#$( Analyse/diagnostic thermographique d’édi,ces. Fuites thermiques.

Fig.#$) Analyse morphologiques des champs d’a6ordances permettant le pro,lage architectural et urbain d’un équipement public, !""..

Fig.#(* Pro,lage. Coques de voiliers.

Fig.#(+ Pro,lage. Antelope Canyon, Arizona, États-Unis.

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(autrement dit en champs attracteurs et répulseurs), agies par des *ux et des dynamiques internes, ne peut-on imaginer produire informatiquement (ne serait-ce même qu’impar-faitement) des modélisations de la dynamiques des ambiances à partir desquelles établir une symptomatologie des formes et des phénomènes agissants. Une telle symptomatologie permettrait de localiser parmi les formes/forces/phénomènes en présence, les a%ordances potentiellement utilisables dans le contexte d’étude. Ces cartographies, expression graphique des *ux, des re*ux et des dynamiques en présence, chacune d’elle est l’expression d’une forme/phénomène – ou d’un champ *uide de forces dynamiques – particulier, et de ce fait, d’une a%ordance potentielle. L’ensemble des cartographies des *ux, lesquels se traduisant sous forme de champs ou de régions morphologiques, donne lieu de la sorte à une superposition d’a6ordances potentielles. Sans entrer dans une description détaillée des opérations, ce qu’il faut retenir, c’est la superposition successive des champs potentiels d’a%ordances, lesquels une fois associés les uns aux autres, constituent un medium (au sens de James J.+Gibson), soit un ensemble morpho-phénoménologique porteur d’une grande variété d’ambiances (,g.+1.). Ces enveloppes phénoménologiques constituent les formes/*ux à partir desquelles se pro,leront les formes/épidermes des édi,ces potentiels+: en quelque sorte, le concept de pro#lage architectural suppose que les formes/phénomènes (ou forme(s)/force(s) conforment la forme/surface architecturale à savoir l’épiderme de l’édi,ce à concevoir. Ainsi, l’ensemble des cartographies d’un contexte s’organise successivement en un ensemble de formes-contraintes dont chacune pro,le, de façon plus ou moins marquante, la forme/surface ,nale, l’épiderme du projet architectural. De ce fait, le dispositif architectural – à savoir, la forme de l’édi,ce considérée sous l’angle de ses épidermes externes et internes –, résulte directement des dynamiques agissantes du contexte/environnement dans lequel doit s’inscrire le projet architectural, et ceci, à l’instar de la forme d’une carène de voilier qui se voit pro,lée dans un contexte donné à partir des conditions relatives aux écoulements laminaires et aux turbulences de l’eau et de l’air dans laquelle elle se trouve placée (,g.+/"). Dans l’absolu, il est clair que le contexte (environnemental et humain) pro,le toujours les formes architecturales et urbaines+: cela s’érige en règle. Deux dimensions agissantes s’a6rontent+: d’une part, les morphologies naturelles dont les humains procèdent+; d’autre part, les morphologies anthropiques pro-duites par les humains. Même lorsque les morphologies anthropiques sont inadaptées à un environnement donné, leurs incohérences restent toujours le produit du système social et de ses acteurs agissant. Par principe(s), éthique, logique et physique, impérativement, la genèse architecturale ne peut et ne devrait jamais commencer par la constitution de la forme tectonique/technologique car une telle imposition arbitraire va à l’encontre d’une *uidité environnementale, provoquant une rupture de la continuité spatiale et comportementale, à la fois globale, au niveau environnemental, et locale, au niveau humain. Au contraire de ce qui se pratique le plus souvent, la forme tectonique/technologique d’un édi,ce ne devrait être autre chose que la résultante ,nale de la dynamique des formes-contraintes+; elle doit suivre la logique du pro,lage surfacique architectural, en se glissant, en adéquation, dans les espaces interstitiels qui lui sont destinés. Alors que les ambiances environnementales du medium pro,lent la forme de surface (externe/interne)/épiderme de l’édi,ce, les épidermes à leur tour, impliquent un dispositif spéci,que interstitiel – ou inter-surfacique – permettant de rendre e6ectives leurs phénoménalités et (inter)agissantes avec l’environnement, l’ambiance, le médium dans lequel «+l’habiter+» humain se développe.

En recourant aux principes de *uidité et de générativité – explicitement évoqués par le concept vitruvien de venustas –, appuyée par les procédures de modélisation informatiques contemporaines de même que par une juste adéquation des champs d’a%ordances produites par intégration successives de leurs propriétés, la pratique architecturale pourrait espérer

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réduire – sinon conjurer – le cycle cumulatif et ininterrompu des incohérences caractérisant les organisations chaotiques des formes architecturales et urbaines actuelles. Sans renoncer à la contemporanéité, par des procédures vertueuses visant la mise en marche d’un nouveau processus de clari,cation et d’adéquations inter environnement/humain, nous renouerions avec la beauté simple antique, laquelle, en dé,nitif, demeure le seul enjeu fondamental pour un développement soutenable réel (,g.+/").