EMPÉDOCLE, FRAGMENT 32 DIELS (PSEUDO-ARISTOTE, 'DE LINEIS INSECABILIBUS', 972 B 29-31) (AVEC DENIS...

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Denis O’Brien Marwan Rashed Empédocle, fragment 32 Diels (Pseudo-Aristote, 'De lineis insecabilibus, 972 b 29-31) In: Revue des Études Grecques, tome 114, Juillet-décembre 2001. pp. 349-358. Abstract The concluding lines of the pseudo-Aristotelian treatise On indivisible lines (972 b 25-33) contain a reference to Empedocles. The actual words attributed to Empedocles, as they stand in the manuscripts, no less than the purport of the argument in which they are embedded (972 b 29-31), are hopelessly obscure. We propose two very simple changes. The reference to Empedocles should be removed from the place it has in the manuscripts (972 b 29-30) to a position three lines earlier in the text (972 b 26). The final words of the argument (972 b 30-31) should be corrected from το ν τος κινήτοις to τ ν τν κινήτων. The compendia for - ων and -οις (as in κινήτων and κινήτοις) are not always easily distinguishable and confusion is frequent in manuscripts of the Byzantine period. In this case, the genitive has been misread as a dative because the numeral (ν) has been misread as a preposition (ν). With these two changes, both the argument of the author and his reference to Empedocles acquire a meaning which is at once simple and obvious. Dare we hope that our emended text will bring to an end two hundred years of scholarly doubts and difficulties ? Résumé Les dernières lignes du traité pseudo-aristotélicien Des lignes insécables (972 b 25-33) contiennent une référence à Empédocle (fr. 32 Diels). Aussi bien l'argumentation du passage que la citation du poète sont incompréhensibles en l'état. On proposera ici deux corrections permettant d'en restituer la structure et le sens. Citer ce document / Cite this document : O’Brien Denis, Rashed Marwan. Empédocle, fragment 32 Diels (Pseudo-Aristote, 'De lineis insecabilibus, 972 b 29-31). In: Revue des Études Grecques, tome 114, Juillet-décembre 2001. pp. 349-358. doi : 10.3406/reg.2001.4461 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_2001_num_114_2_4461

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Denis O’BrienMarwan Rashed

Empédocle, fragment 32 Diels (Pseudo-Aristote, 'De lineisinsecabilibus, 972 b 29-31)In: Revue des Études Grecques, tome 114, Juillet-décembre 2001. pp. 349-358.

AbstractThe concluding lines of the pseudo-Aristotelian treatise On indivisible lines (972 b 25-33) contain a reference to Empedocles. Theactual words attributed to Empedocles, as they stand in the manuscripts, no less than the purport of the argument in which theyare embedded (972 b 29-31), are hopelessly obscure. We propose two very simple changes. The reference to Empedoclesshould be removed from the place it has in the manuscripts (972 b 29-30) to a position three lines earlier in the text (972 b 26).The final words of the argument (972 b 30-31) should be corrected from το ν τος κινήτοις to τ ν τν κινήτων. The compendia for -ων and -οις (as in κινήτων and κινήτοις) are not always easily distinguishable and confusion is frequent in manuscripts of theByzantine period. In this case, the genitive has been misread as a dative because the numeral (ν) has been misread as apreposition (ν). With these two changes, both the argument of the author and his reference to Empedocles acquire a meaningwhich is at once simple and obvious. Dare we hope that our emended text will bring to an end two hundred years of scholarlydoubts and difficulties ?

RésuméLes dernières lignes du traité pseudo-aristotélicien Des lignes insécables (972 b 25-33) contiennent une référence à Empédocle(fr. 32 Diels). Aussi bien l'argumentation du passage que la citation du poète sont incompréhensibles en l'état. On proposera icideux corrections permettant d'en restituer la structure et le sens.

Citer ce document / Cite this document :

O’Brien Denis, Rashed Marwan. Empédocle, fragment 32 Diels (Pseudo-Aristote, 'De lineis insecabilibus, 972 b 29-31). In:Revue des Études Grecques, tome 114, Juillet-décembre 2001. pp. 349-358.

doi : 10.3406/reg.2001.4461

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_2001_num_114_2_4461

Denis O'BRIEN et Marwan RASHED

EMPÉDOCLE, FRAGMENT 32 DIELS

(PSEUDO-ARISTOTE,

'DE LINEIS INSECABILIBUS',

972 b 29-31)

Résumé. — Les dernières lignes du traité pseudo-aristotélicien Des lignes insécables (972 b 25-33) contiennent une référence à Empédocle (fr. 32 Diels). Aussi bien l'argumentation du passage que la citation du poète sont incompréhensibles en l'état. On proposera ici deux corrections permettant d'en restituer la structure et le sens.

Abstract. — The concluding lines of the pseudo-Aristotelian treatise On indivisible lines (972 b 25-33) contain a reference to Empedocles. The actual words attributed to Empedocles, as they stand in the manuscripts, no less than the purport of the argument in which they are embedded (972 b 29-31), are hopelessly obscure. We propose two very simple changes. The reference to Empedocles should be removed from the place it has in the manuscripts (972 b 29-30) to a position three lines earlier in the text (972 b 26). The final words of the argument (972 b 30-31) should be corrected from το έν τοις άκινήτοις to τό εν των ακινήτων. The compendia for -ων and -οις (as in ακινήτων and άκινήτοις) are not always easily distinguishable and confusion is frequent in manuscripts of the Byzantine period. In this case, the genitive has been misread as a dative because the numeral (εν) has been misread as a preposition (έν). With these two changes, both the argument of the author and his reference to Empedocles acquire a meaning which is at once simple and obvious. Dare we hope that our emended text will bring to an end two hundred years of scholarly doubts and difficulties ?

Une citation textuelle d'Empédocle (fr. 32 Diels) s'intègre dans l'un des derniers arguments du traité pseudo-aristotélicien De lineis insecabilibus (972 b 29-31). Tant la pertinence de la citation que le sens même de l'argument sont difficiles à saisir. A cette

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difficulté pour ainsi dire naturelle s'ajoute le fait que le texte des manuscrits est manifestement corrompu. Tirant profit d'une étude approfondie de la tradition manuscrite menée par D. Harlfinger *, nous avons pu contrôler tous les témoins significatifs 2.

L'argument en question s'inscrit dans une série de réfutations extrêmement brèves et allusives, destinées à montrer que le point n'est pas une « articulation indivisible » (972 b 25 : ετι δ' ούκ εστίν ή στιγμή άρθρον άδιαίρετον). L'auteur affirme que, dans le cas contraire, la droite et le plan, du fait qu'ils «possèdent une analogie < se. avec le point > », seraient, eux aussi, « des articulations » (972 b 27-29 : ετι ή γραμμή καί το έπίπεδον άρθρα έσονται· άνάλογον γαρ εχουσιν). L'absurdité de la conclusion est censée rendre évidente l'absurdité de la thèse de départ : si la droite et le plan ne sont pas des articulations, le point ne le sera pas non plus.

Le texte transmis dans les manuscrits se poursuit de la manière suivante, 972 b 29-31 3 :

ότι τό άρθρον διαφορά πως εστίν, διό καί Εμπεδοκλής έποίησε διό δει ορθώς· ή δέ στιγμή και τό έν τοις άκινήτοις.

Vat. gr. 258, Vat. gr. 266, Laur. 87.21, Vat. gr. 1339, Vat. gr. 253, Vat. gr. 905, Urbin. gr. 44.

ότι : ετι Vat. gr. 905, Urbin. gr. 44 II διαφορά : διαφόρως Vat. gr. 253 II δεί : δή Laur. 87.21.

1 D. Harlfinger, Die Textgeschichte der pseudo-aristotelischen Schrift Περ'ι ατόμων γραμμών, Ein kodikologisch-kulturgeschichtlicher Beitrag zur Klàrung der Uberliefe- rungsverhàltnisse im Corpus Aristotelicum, Amsterdam, 1971 (stemma p. 392).

2 Ces manuscrits sont énumérés ci-après. Notre passage n'apparaît pas dans le manuscrit archétype de la première famille, Parisinus graecus 2032 (i). Le texte de ce manuscrit, qui prend fin sur un recto (107r, 972 a 24), indique que la lacune était déjà dans l'exemplaire recopié. (Voir Harlfinger, Die Textgeschichte der pseudo- aristotelischen Schrift ΠερΊ ατόμων γραμμών, pp. 111-116.) Des sept témoins que nous avons pris en compte, deux {Vat. gr. 258, Val gr. 266) appartiennent à la seconde famille (famille β Harlfinger) et les cinq autres {Laur. 87.21, Vat. gr. 1339, Vat. gr. 253, Vat. gr. 905 et Urbin. gr. 44) présentent des textes contaminés. Malheureusement, dans la partie du texte qui nous intéresse (« ab 971 a 10-12 », d'après Harlfinger, p. 392), ils suivent la seconde famille. On ne peut donc pas savoir quel était le texte de la première famille dans les lignes qui font l'objet de notre étude (972 b 29-31).

3 Le texte grec est suivi d'une liste des manuscrits {Vat. gr. = Vaticanus graecus, Laur. = Laurentianus, Urbin. gr. - Urbinas graecus). L'apparat critique qui suit la liste des manuscrits est « négatif » : ne sont mentionnés que les manuscrits minoritaires. Les manuscrits qui ne sont pas cités présentent la leçon imprimée dans le texte.

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Au début de la phrase citée, les deux éditions classiques du xixe siècle, celle de l'Académie de Berlin et celle de la maison Didot à Paris, conservent le ότι 4. O. Apelt, dans la collection Teubner, s'écarte de la majorité des manuscrits pour imprimer ετι 5. Cette leçon nous semble indubitablement correcte. L'argument précédent (972 b 27-29), qui fait surgir l'absurde en généralisant l'idée d'un point-articulation à la surface et au plan, se suffit à lui-même. L'énoncé qui suit (972 b 29-31) doit présenter un argument nouveau (donc ετι), non pas l'explication de l'argument qui précède (cf. ότι) 6.

Moins évidente, mais non moins décisive, est la correction apportée aux mots qui suivent. Apelt propose de lire δια φοράν au lieu de διαφορά 7. L'articulation (το άρθρον) n'est plus « une manière de différence » (διαφορά πως), mais « se rapporte en un certain sens au mouvement local » (δια φοράν πως εστίν). La correction donne sens à l'opposition qui fait immédiatement suite. L'auteur du traité, qui présente une série de différences entre la notion d'articulation (το άρθρον) et celle de point (ή στιγμή), souligne que l'articulation, dans son sens presque biologique, se rapporte à l'exécution d'un mouvement. L'adverbe (πως) a pour fonction d'atténuer ce brusque retour au sens premier du mot.

Restent les deux autres membres de phrase. Apelt a suggéré que sous le ορθώς pouvait se dissimuler άρθροις8. Reprenant à

4 I. Bekker, Aristoteles graece ex recensione I. B., Edidit Academia Regia Borussica, volumen alterum, Berolini, 1831, ad loc. Aristotelis opera omnia, graece et latine, cum indice nominum et rerum absolutissimo, vol. IV, Parisiis, A. F. Didot, 1857, ad loc. (p. 53).

5 O. Apelt, Aristotelis quae feruntur De plantis, De mirabilibus auscultationibus, Mechanica, De lineis insecabilibus, Ventorum situs et nomina, De Melisso Xenophane Gorgia, dans la collection Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum Teubneriana, Lipsiae, 1888, ad loc. (p. 157); voir aussi p. xxv. Trois ans plus tard, le même auteur traduit le traité. Voir O. Apelt, Beitràge zur Geschichte der griechischen Philosophie, Leipzig, 1891, chapitre V, pp. 253-286 : « Die Widersache der Mathematik im Altertum », partie 3, pp. 271-286 : « Ubersetzung der Schrift ilber unteilbare Linien. »

6 Des érudits plus récents, seul Gallavotti maintient le ότι. Voir les deux études citées ci-après. Karsten esquivait le problème, en ne citant pas la phrase d'Aristote dans son entier. Il imprime prudemment : τό άρθρον διάφορόν πως εστί, διό και 'Εμπεδοκλής έποίησε· διό δει ορθώς. Voir S. Karsten, Empedoclis Agrigentini carminum reliquiae, De vita eius et studiis disseruit, fragmenta explicuit, philosophiam illustravit S. K., volumen alterum de l'ouvrage Philosophorum graecorum veterum praesertim qui ante Platonem floruerunt operum reliquiae, recensuit et illustravit S. K., Amstelo- dami, 1838, p. 154.

7 Apelt, édition Teubner, p. xxv. 8 Apelt, édition Teubner, p. 157 : « Mihi hoc solum constat, in ορθώς latere

άρθροις. » Dans une note à sa traduction du passage, le même auteur écrit pourtant, Beitràge zur Geschichte der griechischen Philosophie, p. 286, n. 2 : « Dos Citât selbst διό δει ορθώς (l[ege\ άρθροις) ist so entstellt, dass es deutsch nicht wiedergegeben werden kann. » Dans sa traduction de la phrase (972 b 29-30), il écrit donc, tout simplement, Beitràge zur Geschichte der griechischen Philosophie, p. 286 : « Ferner

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son compte la suggestion d'Apelt, H. Diels introduit άρθρον pour former le sujet de la citation9. Il n'adopte cependant pas la première correction de son prédécesseur (δια φοράν à la place de διαφορά) 10. Sensible au rapport que doivent entretenir l'idée de dualité et celle de différence (διαφορά), il écrit δύω δέει άρθρον η. « Das Gelenk bindet zwei », l'articulation lie deux choses 12.

Cette conjecture est déjà en germe dans la traduction latine du traité De lineis que l'on doit à un érudit italien du xvie siècle, Iulius Martianus Rota, et qui fut publiée à Venise en 1552 13. Rota prête à Empédocle un hexamètre entier : articuli semper constat iunctura duobus 14. La présence de ce vers latin dans la

hat das 'Glied' irgendwie eine Beziehung auf die Bewegung, in welchem Sinne es auch Empedokles in seiner Dichtung verwendte. »

9 H. Diels, Poetarum philosophorum fragmenta, vol. Ill, fasciculus prior de la collection Poetarum graecorum fragmenta, éd. U. von Wilamowitz-Moellendorff, Bero- lini, 1901, p. 121 (fr. 32). Voir aussi H. Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, griechisch und deutsch, lre édition, Berlin, 1903, p. 194 (fr. 32).

10 Citant le texte des manuscrits (sous la forme τό άρθρον διαφορά πώς έστιν), Diels ajoute, entre crochets droits, Poetarum philosophorum fragmenta, p. 121 : « similiter antea dixerat διαίρεσίς έστι μάλλον. » (Voir 972 b 27.)

11 Diels, Poetarum philosophorum fragmenta, p. 121; Die Fragmente der Vorsokratiker, lre édition, p. 194. Reprenant le même texte, W. Kranz le fait suivre d'un point d'interrogation. Voir H. Diels et W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker, griechisch und deutsch, 5e édition, Band I, Berlin, 1934, p. 325. (La pagination est la même dans les « éditions » postérieures de cet ouvrage.)

12 Diels, Die Fragmente der Vorsokratiker, lre édition, p. 194. Kranz, dans la 5e édition du même ouvrage (citée ci-dessus), intervertit l'ordre des mots (il écrit « Zwei bindet dos Gelenk »), et fait suivre la traduction d'un point d'interrogation.

13 Iulius Martianus Rota, Aristotelis liber de lineis insecabilibus, apud latinos nondum visus : nec non Georgii Pachymerii ea de re compendium, hactenus falso Aristoteli ascriptum : nunc vero fidelissime è graeco in latinum sermonem conversum : Iulio Martiano Rota interprète, in Septimum volumen. Aristotelis Stagiritae extra ordinem naturalium varii libri : quibus nonnulli etiam additi sunt Aristoteli ascripti : Alexandri Problematum libri II, Venetiis apud Iuntas, M D LU, folios 86-90. Nous avons consulté l'exemplaire de cet ouvrage conservé à la bibliothèque de la Sorbonne ainsi que les deux exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale de France. La date de publication (1551) attribuée à ce volume dans le Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque nationale, Auteurs, t. CLVI, Paris, 1939, p. 610, n'est pas celle de la page de titre ni non plus celle du colophon. La traduction de Rota est réimprimée dans 'De insecabilibus lineis', Iulio Martiano Rota interprète, in Aristotelis opera edidit Academia Regia Borussica, vol. III, Aristoteles latine interpretibus variis, Berolini, 1831, pp. 474-476. Contrairement à ce qu'affirme Harlfinger, Die Textges- chichte der pseudo-aristotelischen Schrift Περ'ι ατόμων γραμμών, p. 371 η. 3, la traduction latine imprimée dans l'édition Didot (citée ci-dessus) n'est pas celle de Rota.

14 Voir fol. 90 recto, col. 2, de Yeditio princeps (citée ci-dessus). Reprenant la traduction de Rota sous une forme deux fois erronée (articulis à la place de articuli et constat semper à la place de semper constat; pour l'origine de ces deux erreurs, voir ci-après), Diels écrit, Poetarum philosophorum fragmenta, p. 121 : « quod e coniectura scripsi artus iungit bina eleganter expressit Martianus Rota sive ingenio sive meliore libro fretus : articulis constat semper iunctura duobus. »

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traduction de Rota a provoqué plusieurs tentatives pour restituer à Empédocle un vers grec entier; s'y sont essayés, au fil des années, Sturz 15, Karsten 16 et Mullach 17. Ces « rétroversions » sont tout aussi fantaisistes les unes que les autres. On sait maintenant, grâce à l'étude de Harlfinger, que la traduction de Rota s'est appuyée entièrement sur des familles textuelles grecques connues 18. Le texte latin qu'il propose n'est donc que le fruit d'une conjecture, dont l'élément essentiel (la mention d'une « articulation ») est repris par Diels 19.

La conjecture de Diels, « brillante » selon H. H. Joachim 20, a fait autorité pendant de longues années. Elle est reprise sans

15 F. W. Sturz, « Frid[erici] Guil[ielmi] Sturzii Prof[essoris] Gymn[asii] Gerani [= Géra], Animadversionum in Empedoclis carmina Specimen II », Commentarii Societatis philologicae Lipsiensis, vol[uminis] primi particula II, Lipsiae et Plaviae [Leipzig et Plaue], 1801, pp. 262-274. Sturz transcrit le latin de Rota sous une forme erronée, p. 270 : articulis à la place de articuli. Il traduit, ibid. : έξ αρθροιν δέ δυοΐν καρπός συντάσσεται αΐεί. Sturz reprend le vers sous cette forme dans son édition des fragments, Empedocles Agrigentinus, De vita et philosophia eius exposuit carminum reliquias ex antiquis scriptoribus collegit recensuit illustravit praefationern et indices adiecit M[agister] Friderficus] Guil[ielmus] Sturz, Lipsiae, 1805, p. 416. Une centaine de pages plus loin, il écrit συμπήγνυται à la place de συντάσσεται, ρ. 522 (voir aussi p. 600) : έξ αρθροιν δέ δυοΐν καρπός συμπήγνυται αίεί.

16 La traduction de Sturz n'a pas eu l'heur de plaire à Karsten. Reprenant la traduction latine de Rota sous la forme erronée citée par Sturz, Karsten écrit, Empedoclis Agrigentini carminum reliquiae, p. 154 : « Graece fortasse hoc vel tali modo legendum : δοιών δη άρθρον μελέων έκ ττήγνυται αίεί. » II ajoute en commentaire, p. 304 : « Num conjectura a me proposita probabilis sit, non ausim dicere; est certe Aristotelis sententiae congrua, quod non potest dici de Sturzii emendatione (vs. 211) quae talis est : έξ αρθροιν δέ δυοΐν καρπός συμπήγνυται αίεί. Nam καρπός, pars manus, ab hoc loco alienum ; agitur de junctura universe. »

17 F. W. A. Mullach préfère la version de Sturz à celle proposée par Karsten. Il écrit, Fragmenta philosophorum graecorum collegit recensuit vertit annotationibus et prolegomenis illustravit indicibus instruxit F. G. A. M., vol. I, Poeseos philosophicae caeterorumque ante Socratem philosophorum quae supersunt, Parisiis, 1860, p. 67 (voir aussi p. 10) : « Sturzius [...] rectius scripserat : έξ αρθροιν δέ δυοΐν καρπός συντάσσεται αίεί. » II poursuit, reprenant à son compte, sans en citer l'auteur, le verbe de la seconde reconstitution proposée par Sturz : « Verum, nisi jailor, versus Empedocleus fuit : δοιών δ' έξ άρθρων αρμός συμπήγνυται αίεί. » Mullach cite le vers de Rota tantôt (p. 10) sous la forme articulis semper constat junctura duobus, tantôt (p. 67) sous la forme articulis constat semper junctura duobus.

18 Harlfinger, Die Textgeschichte der pseudo-aristotelischen Schrift Περί ατόμων γραμμών, pp. 371-379.

19 Quand il introduit son nouveau « fragment », Rota ne traduit pas l'adverbe (ορθώς). Il écrit, fol. 90 recto, col. 2, de Veditio princeps : « Praeterea articulus quodammodo differentia est. quamobrem Empedocles in suis carminibus inquit [suit le vers cité ci-dessus]. » L'absence de l'adverbe dans la traduction de Rota est-elle le fruit du hasard? Ou bien Rota, anticipant sur Apelt, a-t-il transformé ορθώς en άρθρον (= articuli iunctura) ?

20 H. H. Joachim, Aristotle, 'De lineis insecabilibus' (traduction anglaise et notes), dans W. D. Ross (éd.), The works of Aristotle translated into English, vol. VI, Opuscula, Oxford, 1913, ad loc. : « Diels [...] brilliantly conjectures », etc.

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hésitation par Ε. Bignone 21, avec un point d'interrogation par J. Bollack 22. Elle ne paraît pourtant pas entièrement satisfaisante, effaçant en particulier le contexte général de l'argument, qui paraît bien dicté par la question du mouvement.

Retenant la correction d'Apelt (δια φοράν à la place de διαφορά), Maria Timpanaro Cardini propose de lire δύω δέει άρθρων, « c'è bisogno di due articolazioni » 23. Pour expliquer la relation nécessaire de l'articulation au mouvement local, l'auteur du De lineis citerait une phrase d'Empédocle selon laquelle un être organique aurait besoin de deux articulations (au moins) pour se mouvoir. Cette allusion demeure cependant encore trop allusive et, dans le cadre du De lineis, rend l'argument malhabile 24.

C. Gallavotti s'est penché deux fois sur notre fragment 25. Sa reconstitution du texte présente la singularité, nous l'avons noté plus haut, de conserver ότι transmis par la presque totalité des manuscrits, et de rétablir ορθώς. Voici la traduction de tout le passage (972 b 27-31) proposée par l'auteur :

21 E. Bignone, / poeti filosofi délia Grecia : Empedocle, Studio critico, traduzione e commento délie testimonianze e dei frammenti, dans la collection // pensiero greco, Torino, 1916, p. 426 : « ... due cose congiunge giuntura. » Voir aussi la note suivante.

22 J. Bollack, Empedocle, t. II, Les origines, Édition et traduction des fragments et des témoignages, Paris, 1969, pp. 132-133 (texte 406) : « La jointure lie deux membres (?) ». En faisant suivre sa traduction d'un point d'interrogation, Bollack se fait l'écho de Kranz (cité ci-dessus). Voir aussi, Empedocle, t. III, Les origines, Commentaire 2, Paris, 1969, p. 310, le commentaire de la correction de Diels (on rétablira δύω à la place de δυώ). Tant Bollack, t. II, p. 133 et t. III 2, p. 310, que Bignone, Empedocle, Studio critico, p. 426, citent la traduction de Rota sous la forme deux fois erronée (articulis constat semper junctura duobus) que l'on trouve aussi chez Mullach et chez Diels (cités ci-dessus). Bollack, t. II, p. 133, va jusqu'à signaler « Bekker, uol. III » (où on lit pourtant articuli semper constat iunctura duobus).

23 Maria Timpanaro Cardini, Pseudo-Aristotele, 'De lineis insecabilibus', Introdu- zione, traduzione e commento a cura di M. T. C, dans la collection Testi e documenti per lo studio dell'antichità 32, Milano/Varese, 1970, pp. 72-73 (texte et traduction), pp. 107-108 (commentaire).

24 B. Inwood se réclame de Timpanaro Cardini, en traduisant : « There is a need for two joints. » Voir The poem of Empedocles, A text and translation with an introduction by B. I. , dans la collection Journal of the classical association of Canada, « supplementary volume » XXIX, Toront/Buffalo/London, 1992, p. 114. Inwood imprime pourtant, ibid. : δύο [sic] δέει άρθρων. Ce texte est métriquement impossible, à moins que l'on suppose qu'un mot ou un groupe de mots venait s'intercaler après δύο.

25 Voir C. Gallavotti, « II punto geometrico e l'Uno di Empedocle nel trattato peripatetico délia linea indivisibile », Rendiconti délie sedute dell'Accademia nazionale dei Lincei, Classe di scienze morali, storiche e fdologiche, série VIII, vol. 29, 1974, pp. 381-394. (Pour suivre la discussion, il faut lire στιγμή et non γραμμή au commencement de l'analyse, p. 382.) Voir aussi du même auteur, Empedocle, Poema fisico e lustrale, dans la collection Scrittori greci e latini, Milano, 1975, pp. 36-37 et pp. 215-218.

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Poi saranno articolazioni la linea ο il piano, che difatti ammettono proporzione (άνάλογον γαρ εχουσιν), dato che (ότι) l'articolazione è in certo modo una differenza ; quindi è anche giusto ciô che E. [= Empedocle] significava con la frase « due ne lega », invece il pun to e l'uno sono enti immobili (ή δε στιγμή και τό <εν> έν τοις άκινήτοις) 26.

Cette traduction est agrémentée d'un très long commentaire 27. Nous devons renoncer à l'examiner dans le détail. L'interprétation générale de l'auteur est assez obscure. En particulier, le maintien de ότι (972 b 29) pose un problème de compréhension. On ne voit pas bien ce que l'idée d'articulation-différence vient expliquer (dato che). Ce n'est pas, à l'évidence, le fait que la ligne et le plan « ont une analogie » ; ce fait tient à ce que le passage d'un point à la ligne est « analogue » au passage d'une ligne à la surface. Est-ce donc le fait que la ligne et le plan « seront des articulations » ? Une telle liaison n'expliquerait rien : la ligne et le plan « seront des articulations » pour la seule raison que l'argument (par l'absurde) aura supposé que le point en était une 28.

La solution nous paraît d'une simplicité extrême, mais ne peut être aperçue que si l'on prend en considération l'ensemble du passage. L'auteur, nous l'avons dit, se met à présenter une série

26 Gallavotti, Empedocle, pp. 215-216. 27 Gallavotti, Empedocle, pp. 215-218. 28 Gallavotti a au moins le mérite d'avoir voulu disséquer le passage. D'autres

auteurs ont préféré baisser les bras. Voir, par exemple, P. Gohlke, Aristoteles, Kleine Schriften zur Physik und Metaphysik, dans la série Aristoteles, Die Lehrschriften herausgegeben, ûbertragen und in ihrer Entstehung erlàutert von Dr P. G., Paderborn, 1957, p. 142, n. 55 : « Das Zitat des Empedokles ist offenbar verloren gegangen, die Worte διό δει ορθώς 972 b 30, die ich nicht ubersetzt habe [p. 76], scheinen dazu zu gehôren, sind jedenfalls in dieser Form unverstàndlich. » Voir aussi M. Schramm, « Zur Schrift iiber die unteilbaren Linien aus dem corpus aristotelicum », Classica et medievalia, Revue danoise de philologie et d'histoire 18, 1957, pp. 36-58. Après avoir passé en revue la correction d'Apelt (δια φοράν à la place de διαφορά), qu'il accepte, et celle de Diels (δύω δέει άρθρον à la place de διό δει ορθώς), qu'il rejette, l'auteur se résigne à écrire, p. 50 : « Man wird, wie Diels es tut [...], das Zitat als blosses Stichwort auffassen miissen; vielleicht sollte man sich deshalb begniigen mit der Lesart διό δει, wie die Handschriften sie bieten. » Voir enfin Maureen Rosemary Wright, Empedocles : the extant fragments, edited, with an introduction, commentary, and concordance, by M. R. W., New Haven/London, 1981, p. 294 : « There is little to be extracted from this passage. » Mais, même pour ce jugement négatif, peut-on faire confiance à l'auteur? Wright se méprend en effet sur le contexte où est cité le fragment. Dans ce passage du De lineis, affirme-t-elle, sont énumérées « differences between 'joint' and 'pivot' ». En s'exprimant de la sorte, Wright semble avoir mal lu Diels, Poetarum philosophorum fragmenta, p. 121 : dans ce texte du De lineis, « άρθρον et στιγμής differentiae enumerantur ». A moins qu'il ne faille voir dans la mention que fait Wright du « pivot » une tentative peu convaincante, et d'ailleurs non justifiée par l'auteur, pour distinguer ici στιγμή (incision du compas, donc pivot ?) de σημείον, plus abstrait (point mathématique).

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d'arguments montrant que le point n'est pas une articulation. Nous proposons le texte suivant, De lineis insecabilibus, 972 b 25-33 :

[1] έτι δ' ούκ εστίν ή στιγμή άρθρον άδιαίρετον. τό μεν γαρ άρθρον άει δυοΐν όρος (διό και 'Εμπεδοκλής έποίησε « δύο δει », ορθώς), ή δέ στιγμή και μιας γραμμής όρος εστίν.

ετι ή μέν πέρας, το δέ διαίρεσίς έστι μάλλον. ετι ή γραμμή και τό έπίπεδον άρθρα έσονται· άνάλογον γαρ εχουσιν. έτι τό άρθρον δια φοράν πως εστίν, ή δέ στιγμή και τό εν των

ακίνητων. [5] ετι ουδείς έχει άπειρα άρθρα έν τω σώματι ή τή χειρί, στιγμάς δ' απείρους. [6] έτι λίθου άρθρον ούκ εστίν, ούδ' έχει, στιγμάς δέ έχει.

Deux remarques sur les restitutions proposées. Premièrement, la précision portant sur Empédocle, qui demeurait obscure dans le quatrième argument (972 b 29-31), s'adapte parfaitement au premier (972 b 25-27). L'idée que l'articulation est toujours la limite de deux objets (972 b 26 : δυοΐν όρος) est renforcée par la citation d'Empédocle : « elle lie deux choses » (δύο δει). La parenthèse a été transférée, par accident ou volontairement, à une place qui n'était pas la sienne (972 b 29-30) à un moment de la transmission manuscrite.

Seconde remarque : l'argument tiré du mouvement se trouve par là même éclairci. L'articulation est « en vue du mouvement » (δια φοράν πως εστίν), tandis que « le point [...] appartient aux choses immobiles » (ή δέ στιγμή [...] των ακινήτων).

Rappelons le texte tel qu'il est rapporté dans les manuscrits, 972 b 30-31 : ή δέ στιγμή και τό έν τοις άκινήτοις. A la suite de M. Hayduck 29, Joachim condamne le τό et traduit : « but the point is found also in the immovable things » 30. La signification ainsi donnée au texte n'emporte pas la conviction. A supposer même que l'on accepte une telle suppression (lisant ή δέ στιγμή και έν τοις άκινήτοις, « le point se trouve aussi dans les choses immobiles »), la suite des idées demeure chaotique, car le point est bel et bien seulement « dans les choses immobiles » 31.

29 M. Hayduck, « De Aristotelis qui fertur Περί ατόμων γραμμών libello », Neue Jahrbûcher fiir Philologie und Paedagogik, Jahrgang 44, Band 109 (= Jahrbiicher fur classische Philologie, Jahrgang 20), 1874, pp. 161-171 (voir p. 171).

30 Joachim, Aristotle, Opuscula, ad loc. Voir aussi Apelt, Beitràge zur Geschichte der griechischen Philosophie, p. 286 : « Der Punkt dagegen findet sich auch beim Unbewegten. » M. Federspiel, « Notes exégétiques et critiques sur le Traité Pseudo- Aristotélicien Des Lignes Insécables », Revue des études grecques 94, 1981, pp. 502-513, écrit simplement, p. 513 : « Avec Hayduck et Joachim, je supprime τό. »

31 Pour P« immobilité » du point (στιγμή), voir les deux démonstrations formulées en Physique VII 10, 241 a 6-14 et 15-26.

2001] EMPÉDOCLE, FRAGMENT 32 DIELS 357

Nous ne croyons pas non plus, à la différence de Gallavotti, que le texte des manuscrits provienne d'une simple haplographie : ή δε στιγμή και το εν έν τοις άκινήτοις32. La phrase reste maladroite. L'archétype n'a sans doute jamais comporté qu'un seul groupe EN, ëv en l'occurrence, et c'est le datif pluriel (άκινήτοις) qui constitue une correction malheureuse d'un génitif pluriel originel (ακινήτων). Les deux abréviations -ων et -οις (ακινήτων et άκινήτοις), dans les manuscrits byzantins, sont couramment confondues33. Le choix (malencontreux) d'un datif est devenu inévitable dès lors qu'on lisait έν et non pas ëv34. D'où le texte que nous proposons, 972 b 30-31 : ή δέ στιγμή και το εν των ακινήτων, « le point et l'unité appartiennent aux choses immobiles » 35.

Nous interprétons l'ensemble du passage (972 b 25-33) de la manière suivante :

32 Cf. Gallavotti, « 11 punto geometrico », p. 384. 33 Pour des exemples, voir la Métaphysique de Théophraste dans l'édition Budé,

Théophraste, Métaphysique, « texte édité, traduit et annoté par A. Laks et G. W. Most, avec la collaboration de C. Larmore et E. Rudolph et pour la traduction arabe de M. Crubellier », dans la Collection des universités de France, publiée sous le patronage de l'Association Guillaume Budé, Paris, 1993, cap. 2, 4 a 16-17 : των φθαρτών (texte), τοις φθαρτοΐς (apparat), ou bien le De principiis de Damascius, dans la même collection, Damascius, Traité des premiers principes, vol. I, De l'ineffable et de l'un, « texte établi par L. G. Westerink et traduit par J. Combes », Paris, 1986, p. 8.20 : δυναμένοις (texte), δυναμένων (apparat). Pour une liste et une reproduction de nombreux compendia de -ων et de -οις, voir G. Zereteli, De compendiis scripturae codicum graecorum praecipue petropolitanorum et mosquensium anni nota instructorum, accedunt 30 tabulae, Petropoli, 1896, tabula 16 : OIC2, en particulier alinéa 1, αύτοΐς 2 (anno 1199), et tabula 24 : (ON, en particulier alinéa 1, αυτών (anno 1054).

34 Pour un exemple de la confusion entre εν et έν entraînant un changement de cas (datif/génitif), voir Proclus, Éléments de Théologie, dans l'édition de E. R. Dodds, Proclus, The elements of theology, a revised text with translation, introduction and commentary by E. R. D., 2e édition, Oxford, 1963, prop. 180, p. 158.18 : έν τοις πάσιν (texte), εν τών πάντων (apparat : Marcianus 316, saec. XIV). Le changement de εν en έν, et inversement, est très fréquent dans les textes philosophiques. Voir, par exemple, Damascius, De principiis, tome I de l'édition Budé (citée ci-dessus) : p. 20.21, p. 34.23, p. 103.4 et 7, p. 109.24 et alibi. Pour une trace de ce changement dès l'Antiquité, voir Aristote, Physique, VIII 5, 258 b 4, dans l'édition de W. D. Ross, Aristotle's Physics, a revised text with introduction and commentary by W. D. R., Oxford, 1936 («from corrected sheets of the first edition», 1955), apparat critique (ένεΐναι et εν είναι). Le texte et l'apparat sont repris sans changement dans Veditio minor du même auteur, Aristotelis Physica recognovit brevique adnotatione critica instruxit W. D. R., dans la collection Scriptorum classicorum bibliotheca oxoniensis, Oxonii, 1950, « reprinted with corrections », 1966.

35 Que l'unité relève des choses immobiles tire sans doute son fondement du type d'argumentation développée en Physique VI 4, 234 b 10-20, à propos d'un changement (μεταβολή) de couleur, mais applicable à tout changement « partie par partie » : ce qui change doit être à la fois dans ce à partir de quoi il change et dans ce vers quoi il change, donc être composé d'au moins deux parties.

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[1] En outre (ετι), un point n'est pas une articulation indivisible. La raison en est qu'une articulation est toujours la limite de deux choses (c'est précisément pourquoi [διό καί] Empédocle a écrit, à juste titre, qu'elle « lie deux choses » [δύο δει]), tandis qu'un point <bien qu'il puisse être la limite de deux lignes> est également la limite d'une seule ligne.

[2] Deuxième contre-argument (ετι) : un point est un terme (πέρας), tandis qu'une articulation est plutôt une division.

[3] Troisième contre-argument (ετι) : <si un point est une articulation, alors> une ligne et une surface seront des articulations, pour la simple raison (γάρ) qu'ils sont analogues. <Ce qu'un point est à une ligne, une ligne l'est à une surface et une surface à un solide. Si un point est l'articulation d'une ligne, alors une ligne sera l'articulation d'une surface, et une surface sera l'articulation d'un solidex

[4] Quatrième contre-argument (ετι) : une articulation est, d'une certaine manière, en vue du (δια) mouvement, tandis que le point et l'unité relèvent des choses immobiles.

[5] Cinquième contre-argument (ετι) : personne n'a un nombre infini d'articulations en son corps ou en sa main, tandis qu'on a un nombre infini de points.

[6] Dernier contre-argument (ετι) : il n'y a pas d'articulation d'une pierre, et une pierre n'a pas d'articulation, mais elle a des points 36.

Denis O'Brien et Marwan Rashed, Centre national de la recherche scientifique

Paris.

36 Pour les deux premiers mots du passage cité (972 b 25 : ετι δ), nous retenons le texte de l'édition Teubner. Selon Apelt, les manuscrits transmettent ότι ou ότι δ'. Hayduck, « De Aristotelis qui fertur Περί ατόμων γραμμών libello », p. 171, a corrigé en ετι. Apelt, édition Teubner, ad loc. (p. 157), a proposé ετι δ'. La conjonction de l'adverbe (ετι) et de la particule (δε) est très fréquemment attestée dans l'œuvre d'Aristote. Elle sert, ici, à présenter la série d'arguments sur laquelle s'achève le traité. — Remerciements. Nos plus vifs remerciements vont à Jean-Claude Picot d'avoir bien voulu relire le texte de cet article et de nous avoir fait part de ses remarques et de ses critiques.

— Postscriptum. Au moment de corriger les épreuves de cet article, nous prenons connaissance d'une traduction en espagnol du De lineis, Paloma Ortiz Garcia, Aristoteles, Sobre las lineas indivisibles, Mecanica, suivi par Euclides, Optica, Catoptrica, Fenomenos, introducciones, traducciôn y notas de P.O.G., dans la collection Biblioteca clasica Gredos, n° 277, Madrid, 2000. L'auteur reprend à son compte (Introduccion, p. 31) la correction du texte proposée par Mario Timpanaro Cardini, 972 b 30 : δύω δέει άρθρων. Elle traduit, p. 53 : « requière dos articulaciones », allant jusqu'à affirmer, p. 53, n. 44, que seule cette correction permettrait de comprendre la dernière phrase du traité. Voir p. 354 supra.