Des sépultures animales à Marsan (Gers) ?

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183 Des sépultures animales à Marsan (Gers) ? Rencontre autour de l’animal en contexte funéraire, 2014, p. 183-191 L’aménagement de la mise en 2 x 2 voies de la Route Nationale 124 entre Aubiet et Auch, dans le Gers, a permis de mettre au jour à Marsan, au cours du premier semestre 2008, les vestiges agricoles et funéraires d’une petite communauté rurale du Moyen Âge. L’opération archéologique, menée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), a permis d’établir certaines caractéristiques de cette occupation des IX e et XIII e siècles (Georges 2011 ; Georges et al 2011). D’autres aspects suscitent toutefois encore des questionnements, tel le dépôt de six animaux entiers, en connexion anatomique, à la marge de l’ensemble funéraire. 1. Le site de Marsan : une occupation agricole et un cimetière contemporains La fouille menée au lieu-dit « Lasserre », à Marsan, a permis la découverte de 280 structures, domestiques et funéraires (209 sépultures primaires), réparties sur une surface de 6000 m² (fig. 1). Les vestiges de l’occupation agricole sont relativement ténus et difficiles à interpréter. Malgré cela, plusieurs zones dites « d’habitat » ont été mises en évidence. La plus importante, située à l’ouest du site, sur la partie culminante du terrain DES SÉPULTURES ANIMALES À MARSAN (GERS) ? Sylvie DUCHESNE 1 , Hélène MARTIN 2 , Sylvie JULIEN 3 , Sacha KACKI 4 , Patrice GEORGES 5 1 Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; UMR 5288 AMIS ; [email protected] 2 Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; UMR 5608 TRACES ; [email protected] 3 Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; EA 3002 ITEM ; [email protected] 4 Inrap-NP, Villeneuve d’Ascq ; UMR 5199 PACEA ; [email protected] 5 Inrap-GSO, Montauban ; UMR 5199 PACEA ; [email protected] Figure 1 : Localisation des structures d’habitat et des sépultures sur le site de Marsan. (© F. Callède, Inrap). F64 F105 F193 F178 F177 F179 Zone fouillée Structure non funéraire Phase indéterminée Réduction Phase 1 Phase 2 Phase 3 Bovinés Suidés 201 202 203 204 205 206 207 0 20 m Echelle 1/400 Y=150 920 Y=150 960 X=469 840 X=469 880 X=469 920

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183Des sépultures animales à Marsan (Gers) ?

Rencontre autour de l’animal en contexte funéraire, 2014, p. 183-191

L’aménagement de la mise en 2 x 2 voies de la Route Nationale 124 entre Aubiet et Auch, dans le Gers, a permis de mettre au jour à Marsan, au cours du premier semestre 2008, les vestiges agricoles et funéraires d’une petite communauté rurale du Moyen Âge. L’opération archéologique, menée par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), a permis d’établir certaines caractéristiques de cette occupation des IXe et XIIIe siècles (Georges 2011 ; Georges et al 2011). D’autres aspects suscitent toutefois encore des questionnements, tel le dépôt de six animaux entiers, en connexion anatomique, à la marge de l’ensemble funéraire.

1. Le site de Marsan : une occupation agricole et un cimetière contemporains

La fouille menée au lieu-dit « Lasserre », à Marsan, a permis la découverte de 280 structures, domestiques et funéraires (209 sépultures primaires), réparties sur une surface de 6000 m² (fi g. 1).

Les vestiges de l’occupation agricole sont relativement ténus et diffi ciles à interpréter. Malgré cela, plusieurs zones dites « d’habitat » ont été mises en évidence. La plus importante, située à l’ouest du site, sur la partie culminante du terrain

DES SÉPULTURES ANIMALES À MARSAN (GERS) ?

Sylvie DUCHESNE1, Hélène MARTIN2, Sylvie JULIEN3, Sacha KACKI4, Patrice GEORGES5

1 Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; UMR 5288 AMIS ; [email protected] Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; UMR 5608 TRACES ; [email protected]

3 Inrap-GSO, Saint-Orens-de-Gameville ; EA 3002 ITEM ; [email protected] Inrap-NP, Villeneuve d’Ascq ; UMR 5199 PACEA ; [email protected] Inrap-GSO, Montauban ; UMR 5199 PACEA ; [email protected]

Figure 1 : Localisation des structures d’habitat et des sépultures sur le site de Marsan. (© F. Callède, Inrap).

F64

F105

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Zone fouillée

Structure non funéraire

Phase indéterminée

Réduction

Phase 1

Phase 2

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Bovinés

Suidés

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mais aussi la plus érodée, est structurée par plusieurs fossés. Elle semble avoir été le lieu d’implantation d’un bâtiment, relativement important, identifié par la présence de trous de poteaux et l’agencement de nombreuses tombes venues s’installer à son pourtour. Quelques fosses sont également présentes. Deux autres zones pouvant relever d’un habitat ont été repérées au sud et à l’est du site. Dans la mesure où ces secteurs ne comprennent que des éléments épars (fossés, fosses et trous de poteaux) et sont situés en limite de la fouille, il n’a pas été possible d’en caractériser précisément la nature. Enfin, six inhumations animales ont également été découvertes dans la partie sud du site (fig. 2).

L’utilisation du cimetière, qui débute dans le courant du IXe  siècle, se décline en plusieurs phases. Son fonctionnement est essentiellement centré sur les Xe-XIIe  siècles, quelques tombes étant toutefois creusées jusqu’au XIIIe siècle. L’organisation des sépultures change d’une phase chronologique à l’autre, avec une évolution topographique et de légères variations d’orientations. La typologie des contenants semble, pour sa part, demeurer identique, les inhumations faisant majoritairement intervenir des coffrages de bois, des contenants monoxyles et de simples fosses condamnées à l’aide de couvertures de planches. Le recrutement de la population inhumée reflète une mortalité naturelle, les seules spécificités identifiées consistant en une légère surreprésentation des hommes et au caractère plutôt jeune de la fraction adulte.

La datation du site a été établie par l’analyse de la typologie céramique et 22 datations radiocarbones, qui intéressent l’ensemble sépulcral ainsi que les structures domestiques. Associées à la chrono-stratigraphie des vestiges, ces datations ont permis d’établir la contemporanéité de l’occupation agricole et du cimetière, dès le IXe siècle et jusqu’au XIIIe siècle.

2. Les animaux enterrés à Marsan

La fouille a donc permis de mettre au jour, outre les sépultures humaines, six dépôts d’animaux, deux suidés et quatre bovinés, regroupés majoritairement dans la partie sud du site, à l’interface entre l’espace funéraire et l’occupation agricole (fig. 1).

2.1. Les deux suidés

Les deux suidés ont été inhumés à proximité l’un de l’autre et dans la même position. Ils étaient orientés est-ouest, avec la tête à l’est, couchés sur le flanc gauche. Les ossements étaient en connexion stricte. La tête était dans le prolongement du corps et les pattes repliées sous le ventre pour les antérieures et sous l’arrière train pour les postérieures (fig. 3). L’état de maturation du squelette indique que l’un est un périnatal (F.105) tandis que l’autre est un mâle juvénile, âgé d’environ 10 mois (F.178). Le remplissage de la fosse du premier de ces animaux contenait dix tessons de céramique et une première incisive inférieure droite de capriné. Aucun mobilier n’a été retrouvé dans la fosse du second sujet.

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Figure 2 : Vue du site depuis le nord-est. En jaune, localisation des fosses contenant les vestiges d’animaux en connexion. (© O. Dayrens, Inrap).

Figure 3 : Un suidé, mâle, âgé d’environ 10 mois en connexion anatomique dans la fosse F.178 (© P. Georges, Inrap).

2.1. Les bovinés

Les bovinés sont enterrés à proximité les uns des autres, un seul fait exception (F.64), situé plus à l’ouest, à l’interface des vestiges domestiques. Aucune orientation ne semble prédominer pour ces dépôts.

Le boviné de la fosse F.64 est enterré sur la partie culminante du site, où les vestiges domestiques/agricoles sont les plus nombreux. La fosse, longue de 2,35 m et large de 1,15 m, est conservée sur une profondeur de 0,40  m. Elle présente un profil asymétrique, plus profond à l’ouest, préservant une banquette sur un tiers de la largeur de la fosse. Le remplissage contenait six tessons de céramique. L’animal reposait sur le flanc droit et était orienté selon un axe nord-sud, avec la tête au nord. Ses ossements étaient en connexion stricte (fig. 4). La tête était légèrement repliée vers les pattes antérieures, allongées sous le ventre. La patte postérieure droite était en position anatomique, repliée vers l’intérieur du corps. La patte postérieure gauche était en connexion jusque sous le genou, où elle présente une fracture péri-mortem, ayant entraîné une angulation de près de 45° du segment distal (fig. 5). La position de l’animal témoigne de la présence initiale du corps entier dans la fosse. L’état de maturation du squelette indique qu’il s’agit probablement d’un mâle, âgé d’environ 3 à 4 ans. Aucune trace de mise à mort n’a été relevée et aucune trace de découpe n’a été observée sur les os.

Le boviné de la fosse F.177 a été tronqué et partiellement arasé lors de sa découverte. La fosse, dont le creusement n’a pas été reconnu, est conservée sur une profondeur de 0,20  m. Son remplissage contenait quelques tessons de céramique. L’animal, couché sur le flanc droit, était orienté est-ouest, avec la tête à l’ouest. Le squelette était en connexion stricte, à l’exception des membres postérieurs (fig. 6a). La tête était a priori légèrement fléchie vers les pattes antérieures. La patte antérieure droite était repliée sous la poitrine tandis que la gauche était allongée sous le ventre. Les pattes postérieures étaient en connexion, à l’exception de l’articulation tibio-fémorale. En effet, tibias, métatarses et phalanges, retrouvés sous le corps de l’animal, ont manifestement été déposés dans un premier temps dans la fosse (fig.  6b). L’état de maturation du

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Figure 4 : Le boviné de la fosse F.64 est déposé dans la partie la plus profonde de la fosse, laissant libre la banquette à l’est (© P. Georges, Inrap).

Figure 5 : Le boviné de la fosse F.64, avec la patte postérieure gauche cassée. En rouge, le segment proximal en position anatomique, en jaune, le segment distal déplacé en raison de la fracture. (© P. Georges, Inrap).

Figure 6a et b : Les pattes postérieures du boviné de la fosse F177, désar-ticulées (en surimpression sur la photo de droite), ont été retrouvées sous le corps de l’animal. Ainsi, elles ont été déposées dans la fosse en premier. (© P. Georges, Inrap).

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squelette indique que l’animal était âgé d’environ 4 ans. Aucun élément n’a permis de définir le sexe de ce boviné. Des traces de découpe ont été relevées sur le métacarpe antérieur droit, juste sous la tubérosité, ainsi que sur les phalanges proximales des quatre pattes (fig. 7).

Le boviné de la fosse F.179 a été légèrement arasé lors de sa découverte. La fosse, dont les limites de creusement n’ont pas été reconnues, est conservée sur une profondeur de 0,20  m. Le remplissage contenait un tesson de céramique. L’animal, couché sur le flanc droit, était orienté est-ouest, avec la tête à l’ouest. Ses ossements étaient en connexion stricte. La tête était en avant du rachis et des pattes antérieures. Les membres, antérieurs et postérieurs, étaient repliés sous le thorax et le ventre de l’animal (fig.  8). L’état de maturation du squelette indique qu’il s’agit d’un jeune animal, âgé d’environ 20 mois. Il n’a pas été possible de préciser s’il s’agissait d’un veau ou d’une génisse. Des traces de découpe ont été relevées sur les phalanges proximales des pattes antérieures et sur une postérieure droite (fig.  9), ainsi que sur l’os zygomatique droit.

Le boviné de la fosse F.193, très mal conservé et très fragmenté, est incomplet. Il manque ainsi une partie de la colonne vertébrale (les vertèbres lombaires) et des membres postérieurs, ainsi que les os du bassin. L’absence de ces ossements est imputable au recoupement de la structure par une large fosse (F194). La fosse dans laquelle reposait

le boviné, dont les limites de creusement n’ont pu être reconnues, est conservée sur une profondeur de 0,40  m. L’animal, couché sur le flanc gauche, était orienté est-ouest, avec la tête à l’est. Ses ossements étaient en connexion stricte. La tête était dans le prolongement du corps et les pattes repliées sous le thorax pour les antérieures et sous le ventre pour les postérieures (fig. 10). L’état de maturation du squelette indique que l’animal était âgé d’environ 3 ans. Une analyse radiochronologique, réalisée sur ces ossements, a donné une date comprise dans l’intervalle de 990-1160 pour une probabilité de 95,4 %1.

1. Laboratoire de Poznan (Pologne), échantillon : Poz-30341.

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Figure 7 : Localisation des traces de découpes relevées sur le boviné de la fosse F177 : 7a. Schéma de conservation ; 7b. Phalanges proximales de la patte antérieure droite ; 7c. Phalange proximale de la patte postérieure gauche ; 7d. Métacarpe droit (extrémité proximale). (© S. Duchesne, Inrap).

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Figure 8 : Le boviné de la fosse F179 se trouve dans la position naturelle d’un animal couché (© P. Georges, Inrap).

2.2. Synthèse

Nous pouvons tout d’abord conclure que les différents dépôts de faune mis au jour correspondent à des dépôts primaires. En effet, même si ces vestiges sont apparus fragmentés, toutes les parties anatomiques sont représentées, ce qui atteste de la présence initiale de corps entiers. Par ailleurs, l’absence d’altérations relatives à l’action de carnivores ou de rongeurs suggère un enfouissement rapide des cadavres. D’un point de vue biologique, les deux suidés sont des animaux jeunes, tandis que l’un des bovinés a près de 2 ans et que les trois autres ont atteint leur maturité pondérale (3-4 ans).

Dans cinq de ces dépôts, les squelettes sont en connexion stricte. Seul le boviné de la fosse F177 atteste d’une désarticulation des membres postérieurs, au niveau des genoux. Force est d’admettre que ses pattes postérieures ont été prélevées et déposées dans la fosse préalablement au placement du corps. Trois hypothèses peuvent être envisagées pour expliquer cette disposition :1. le corps a été placé dans la fosse alors qu’il était encore raide et les pattes postérieures étant gênantes, elles ont été coupées pour faciliter le placement du corps ; 2. le corps de l’animal a été tiré jusqu’à la fosse alors qu’il avait commencé à se décomposer et les manipulations ont provoqué la dislocation de ces portions de pattes ;3. il y a une autre raison qui nous échappe à la seule lecture des données archéologiques et archéozoologiques.

Dans le premier cas, cela implique que l’animal a été placé dans la fosse rapidement après sa mort, c’est-à-dire pendant la phase de rigidité cadavérique et que ses pattes postérieures se trouvaient alors dans le prolongement du corps. Dans le second cas, au contraire, cela suppose que le corps ait été déjà partiellement dégradé avant d’être traîné jusqu’à la fosse. À ce propos, des observations extrêmement pertinentes, relatives au mode de décomposition des corps, ont été effectuées sur des bovinés africains (Hill et Behrensmeyer 1984). Même si la prudence s’impose du fait que les conditions climatiques et environnementales sont très différentes dans la savane et en France, les observations réalisées n’en demeurent pas moins très intéressantes.

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Figure 9 : Localisation des traces de découpes relevées sur le boviné de la fosse F179 : 9a. Schéma de conservation ; 9b. Phalanges proximales de la patte antérieure gauche ; 9c. Phalange proximale de la patte postérieure droite. (© S. Duchesne, Inrap).

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Figure 10 : Le boviné de la fosse F193 est le seul à être couché sur le flanc gauche (© P. Georges, Inrap).

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Elles témoignent du fait que l’articulation tibio-fémorale, sans être la première à se disloquer, compte parmi celles dont la disjonction intervient dans un intervalle relativement rapide de la décomposition, avant la dislocation du squelette axial par exemple. Toutefois, elle survient après celle de la tête et des phalanges. Dans le cas qui nous occupe, il n’est donc pas possible de considérer la deuxième hypothèse comme étant à l’origine de cette disposition. Pour autant, rien ne permet d’étayer la première hypothèse évoquée.

Pour ce qui concerne le boviné de la fosse F64, avec la patte postérieure gauche cassée, on peut raisonnablement envisager une fracture d’origine traumatique survenue peu de temps avant ou après la mort, conséquence possible d’une contrainte exercée lors du placement du corps dans la fosse.Hormis ces cas particuliers, les animaux sont dans des positions naturelles (animaux couchés), ce qui témoigne en faveur d’un dépôt de corps plutôt que de carcasses.

Le fait que deux bovinés, l’un mature (F177) et l’autre jeune (F179), présentent des traces de découpe, principalement localisées sur les faces dorsales et latérales des phalanges proximales des pattes mais aussi sur l’os zygomatique pour le second, mérite d’être souligné. Elles attestent du dépouillement probable de ces animaux. Aucune autre trace n’a été relevée sur les ossements. Ainsi, ces bovinés, de même que les suidés, n’ont selon toute évidence pas fait l’objet de pratiques bouchères et n’ont pas été consommés, ce qui constitue une perte économique certaine pour leurs propriétaires. Ils échappent aussi à l’abandon, suggérant une volonté de les enterrer.

3. Discussion

Ces animaux ont donc fait l’objet d’un traitement spécifique, en raison d’un statut particulier, qui leur a permis d’échapper au sort commun et de ne pas se retrouver à l’état de déchets domestiques au même titre que les autres restes fauniques du site (caprinés, bovinés, suidés et équidés).

3.1. De quoi sont-ils morts ?

Ce traitement différentiel est peut-être à mettre en relation avec la cause et/ou les circonstances de leur décès. On peut ainsi évoquer les hypothèses d’animaux abattus (de manière rituelle ou non) ou malades. Apporter une réponse définitive concernant le statut de ces animaux représente une véritable gageure ; certaines réflexions peuvent toutefois être émises concernant les différentes hypothèses énoncées.

• L’enfouissement peut être l’issue ultime pour se débarrasser de bêtes mortes naturellement. Si l’on considère les suidés, les tranches d’âges identifiées reflètent vraisemblablement une mortalité naturelle consécutive aux aléas d’un élevage traditionnel. Quant aux bovinés, ils sont morts à un âge un peu plus avancé, à un moment où ils sont particulièrement intéressants pour la production de la viande. De ce fait, l’âge au décès des bovinés, en pleine croissance ou en pleine maturité, apparaît moins favorable à cette hypothèse.

• Ils peuvent également correspondre à des animaux abattus. Si cela peut être envisageable pour le mâle dont la patte arrière gauche a été fracturée (F64), l’abattage est plus difficile à envisager pour les autres bêtes en dehors d’un contexte de maladie. Cependant, aucune trace relative à la mise à mort n’a été observée sur les os de l’animal de la fosse F64, le seul individu dont la tête était bien représentée et conservée (fig. 11). Rappelons à ce propos que l’abattage des animaux domestiques peut ne laisser aucune ou très peu de traces sur les ossements2. L’hypothèse d’un abattage rituel est encore plus difficile à établir, en l’absence d’éléments allant dans ce sens.

• Enfin, il reste l’hypothèse d’animaux malades. En l’absence de tout élément probant à des fins de récupération de viande, il est inévitable, en effet, d’évoquer une mort survenue à la suite d’une maladie, rendant impropre la consommation de la viande mais laissant aux éleveurs la possibilité de récupérer la peau. A ce propos, rappelons que la viande d’animaux morts de maladie était frappée d’interdits alimentaires, héritages de lois édictées dès l’Antiquité dans les Constitutions Apostoliques3. Deux éventualités se présentent alors : 1. Ces animaux sont morts à différents moments, entre le Xe et le XIIe siècle. Ils auraient été touchés vers le même âge, par un ou plusieurs agents pathogènes.2. Ces animaux sont morts lors d’une épidémie. Ce second cas paraît toutefois peu probable dans l’éventualité d’une maladie à évolution rapide, dans la mesure où chacun des animaux est inhumé individuellement. Cette modalité d’enfouissement ne reflète pas l’image traditionnelle d’une épizootie, où le gain de temps et d’énergie aurait voulu qu’une seule et grande fosse ait été creusée afin d’y déposer plusieurs animaux. Toutefois, en l’absence d’un abattage prophylactique du troupeau, l’enfouissement a pu être géré au fur et à mesure des décès.

2. Éléments encore visibles aujourd’hui dans certaines cultures d’Asie centrale.

3. Communication orale D. Paya.

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Figure 11 : Le crâne et les vertèbres cervicales de l’animal F.64 sont intacts, ils ne portent aucune trace d’abattage (© P. Georges, Inrap).

Dans tous les cas, ces dépôts sont assimilables à un rejet de cadavres gênants, dont on s’est débarrassé en les enfouissant. Il semble logique qu’en cas de maladie, les charognes des animaux soient enterrées le plus rapidement possible et la plupart du temps dans un même lieu afin de limiter les risques sanitaires. Cela relève du bon sens dont nos Anciens ne manquaient pas. Ainsi, de manière pragmatique, on a pu vouloir s’en débarrasser dans un endroit à l’écart de la place publique, là-bas, près du cimetière… à moins que ce dernier ne soit investi par les vivants et leurs bêtes (lieu de pacage, de marché, etc.) (fig. 12), que les animaux y soient décédés et qu’ils aient été enterrés sur place ! Dans tous les cas, il est fort probable que le lieu d’ensevelissement soit à proximité de l’endroit où les animaux évoluaient ou étaient gardés (étable, parc à bestiaux, pâturages).

3.2. Des sépultures ?

Ces animaux n’ont pas été abandonnés au hasard. Leur position est, dans la plupart des cas, naturelle pour des animaux couchés. Le fait qu’ils soient situés à proximité les uns des autres (dans un rayon de 6  m) et qu’aucune des fosses dans lesquelles ils reposent ne se recoupe, suggère, dans l’éventualité d’enterrements étalés dans le temps, qu’elles sont demeurées visibles, pérennes, ou du moins que leur souvenir était encore présent. Dans l’hypothèse de mises en terre contemporaines, la fosse individuelle respecte chaque animal. Par ailleurs, la proximité de l’espace funéraire semble recherchée, les animaux étant non loin des tombes humaines, tout en respectant l’espace qui leur est consacré, tout du moins celui de la seconde phase sépulcrale. Précisons que les restes fauniques sont également très nombreux dans cette partie du cimetière, au sein des comblements des sépultures (fig. 13). Cette caractéristique pourrait alors plutôt les rapprocher d’une zone de rejet en relation avec l’habitat.Peut-on alors envisager pour ces animaux l’éventualité d’un traitement analogue à celui réservé habituellement aux humains et parler à leur propos de sépulture  ? La sépulture est définie selon Leclerc et Tarrête, comme le « lieu où ont été déposés les restes d’un ou de plusieurs défunts, et où il subsiste suffisamment d’indices pour que l’archéologue puisse déceler dans ce dépôt la volonté d’accomplir un geste funéraire  ; … [une] structure constituée à l’occasion de ce geste funéraire  » (Leclerc 1990, p. 13). Ici, la structuration et l’intentionnalité du dépôt, ainsi que l’intentionnalité de l’enfouissement, ne font pas de doute. Quant à savoir s’il s’agissait d’accomplir

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Figure 13 : Les inhumations animales respectent l’espace de la seconde phase de l’occupation funéraire. Les restes fauniques issus des comblements de sépultures sont mentionnés par des étoiles. La première phase n’est représentée que par sa délimitation spatiale. (© F. Callède, Inrap).

Figure 12 : En Iakoutie (République Sakha), les vaches vagabondent et parfois se retrouvent à paître au sein des cimetières, aux sorties des villages. (© S. Duchesne, Missions Archéologiques Françaises en Sibérie Orientale – MAFSO, 2010).

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un geste funéraire, la question reste en suspend, dans la mesure où rien ne permet de l’établir avec certitude. Par ailleurs, la terminologie de sépulture pour qualifier ces dépôts animaux reste contestable.

4. Comparaisons

Si, pour le sud de la France, nous n’avons pas trouvé de sites permettant des comparaisons, quelques sites localisés dans la moitié nord et datés du tournant de l’an mil ont livré des dépôts de bovinés, en connexion ou sub-connexion, présentant ou non des traces de découpe. Ces dépôts sont pour la plupart localisés au sein ou en marge de zones d’habitat. Seuls deux sites attestent de relations avec des nécropoles ou des cimetières.

En Maine-et-Loire, trois habitats ruraux ont livré des dépôts de bovinés. À Bauné, le site « Les Cinq-Chemins » a fourni une petite occupation agricole, avec les inhumations de quinze bovinés (répartis en sept fosses individuelles et cinq silos) et d’un porcelet périnatal, datés du IXe au XIe siècle. La moitié des structures a été réutilisée, l’autre a été creusée spécialement. Deux bovins ont été amputés afin d’être déposés dans des fosses étroites. Seuls deux prélèvements de matière sont attestés : le premier concerne la peau4 et le second la viande. La mortalité est rapportée à un épisode d’épizootie, argumentée par l’inhumation de trois bovins au sein d’un même silo (David et Valais 2003, p. 77-78). À Marcé, le site de « Bauce » présente une occupation principale comprise entre la fin du Xe et le début du XIIe  siècle. Il renferme une petite unité d’exploitation agricole et a livré plusieurs dépôts de bovinés (Pétorin 1999, p.  38-39). À Distré, l’imposant habitat rural « Les Murailles  » est daté des IXe-XIe siècles pour son occupation principale. Il a fourni les inhumations de douze bovinés, non consommés, dans le comblement de silos, appartenant à trois phases d’occupation étagées du Ve au XIIe siècle (Valais 1998, p. 36 ; Putelat 2007, p. 281). Au moins quatre d’entre eux avaient été démembrés avec les pattes rejetées sur le corps5. La présence de dépôts de bovinés sur ces deux derniers sites est aussi rapportée à des épisodes épidémiques (David et Valais 2003, p. 88).

En Seine-et-Marne, à La Grande Paroisse, le village carolingien «  Les Sureaux  », avec son habitat et son cimetière d’une dizaine de tombes, est daté de la fin du IXe au début du XIe siècle. Il a fourni une dizaine de squelettes de bovins enterrés au cœur même de l’habitat alors que d’autres présentent des traces non seulement de découpe, pour la récupération des peaux et des cornes, mais surtout de décarnisation. Les animaux complets ont été « rejetés » dans des fonds de cabanes, parfois en dépôt simultané, ou dans un fossé (Petit 2009, p. 145-148, 151-152, 159).

Enfin, en Franche-Comté, l’habitat rural et la nécropole du haut Moyen Âge «  Les Graviers  » à Vellechevreux,

4. Le dépouillement est supposé pour les autres bovinés, en raison des traces très discrètes sur le cas attesté.

5. Communication orale de J.-H. Yvinec.

datés des Xe-XIIe siècles ont livré l’inhumation individuelle de quatre jeunes bovinés, âgés entre 20 mois et 3 ans, à proximité des vestiges d’habitat. Un seul, le plus jeune, est en connexion  ; les trois autres ont été démembrés, voire réduit pour l’un d’eux. Par ailleurs, certaines parties anatomiques, peu nombreuses, étaient manquantes. Cette absence était éventuellement imputée à une consommation carnée, malgré le manque de traces osseuses, ou à une activité d’équarrissage, semble-t-il limitée (Putelat 2007, p.  283). Le site du «  cimetière communal  » à Bourogne, daté des Xe-XIIe siècles, a quant à lui livré une nécropole et les dépôts individuels de quatre animaux6, dont deux bovinés, âgés de 5 ans environ. Ces fosses ont été creusées dans le remplissage d’un fossé. L’un des deux présentait une absence de la tête, des vertèbres cervicales et de la première vertèbre thoracique, ainsi que des traces de découpes sur les phalanges proximales antérieures, qui ont été mises en relation avec le prélèvement de la peau de l’animal (ibid.). Rien n’indique le prélèvement de viande sur ces animaux. Ces inhumations, en contexte de famines pour la région, suggèrent des viandes non consommables et donc probablement des animaux malades. Plusieurs maladies contagieuses sont alors évoquées pour cette période  : la peste bovine, la fièvre charbonneuse, la péripneumonie contagieuse et la rage (ibid., p. 284). Par ailleurs, sont évoqués les effectifs des troupeaux, probablement réduits à quelques têtes, trois ou quatre, ainsi qu’une certaine ritualisation possible de l’ensevelissement pour combattre la « punition céleste » (ibid.).

Le fait que la plupart des dépôts référencés soit lié à des habitats et que les corps des animaux soient rejetés au sein des structures existantes (fosse, fossé ou silo) laisse supposer des inhumations liées à des épizooties. Dans de rares cas, des traces de découpe suggèrent une récupération de peau ou de viande. Les exemples de dépôts animaux identifiés à Marsan diffèrent sensiblement de la majorité de ces cas. Les différences à souligner sont la proximité avec le cimetière, le creusement de fosses propres à chaque animal7, ainsi que la position couchée de la plupart des animaux. Ces diverses caractéristiques permettent d’évoquer un statut particulier de ces animaux qui n’en font pas de simples rejets.

Conclusions

Les structures mises au jour sur le site de Marsan ont fourni l’occasion d’examiner les modes d’enfouissement des dépouilles animales, d’envisager les possibles causes de décès, de rechercher les traces de récupérations (peau ou viande) et d’étudier les relations éventuelles entre ces dépôts et les contextes domestiques et funéraires. La pratique d’enfouissement d’animaux est souvent considérée

6. Des restes d’équidé(s) et d’un boviné adulte ont été repris dans les déblais de terrassement.

7. Même si le creusement n’a pu être reconnu pour la plupart d’entre elles, aucun élément antérieur n’était présent dans ces fosses avant le dépôt des animaux.

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comme anecdotique et interprétée comme consécutive à des maladies, voire des épidémies. En face de tels dépôts, il faut toutefois se garder de conclusions hâtives. Par leur dépôt en marge du champ funéraire, la communauté rurale à laquelle appartenaient ces animaux les a écartés d’un espace domestique pour les rapprocher d’un espace dévolu à la mort.

Nous tenons à remercier vivement Annelise Binois (doctorante, UMR 7041 ArScAn), Michel Petit (consultant du Musée du quai Branly), Henri Molet (Inrap), Didier  Paya (Inrap) et Dominique Armand (UMR 5199, PACEA) pour leurs échanges et leurs références sans lesquelles une partie de la discussion aurait été incomplète.

David et Valais 2003  : DAVID (F.), VALAIS (A.). – Un habitat occupé du VIIe au XIIe siècle : Les Cinq-Chemins à Bauné (Maine-et-Loire). Archéologie médiévale, 33, 2003, p. 75-90.

Georges 2011  : GEORGES (P.) dir. – Marsan, Lasserre, Cimetière et habitat médiévaux, Rapport final d’opération. Toulouse : Inrap GSO, 2011, volume 1.

Georges et al. 2011  : GEORGES (P.), KACKI (S.), DUCHESNE (S.), MILLE (P.) AMIEL (C.). – Les tombes de Marsan. Un cimetière rural du Moyen Âge. Archéologia, 492, octobre 2011, p. 50-56.

Hill et Behrensmeyer 1984  : HILL (A.), BEHRENSMEYER (K.). – Disarticulation patterns of some modern East African mammals. Palaeobiology, 10-3, 1984, p. 366-376.

Leclerc 1990 : LECLERC (J.). – La notion de sépulture. Bulletins et mémoire de la société d’anthropologie de Paris, 2-3/4, 1990, p. 13-18.

Petit 2009  : PETIT (M.) dir. – L’habitat carolingien des Sureaux à la Grande-Paroisse (Seine-et-Marne)  : une communauté villageoise à l’aube de l’an mil. Melun : Conseil général de Seine-et-Marne, 2009, 199  p. (Mémoires archéologiques de Seine-et-Marne ; 3).

Pétorin 1999 : PÉTORIN (N.). – Marcé « Bauce ». In  : Bilan Scientifique des Pays de la Loire 1997. Nantes : Service Régional de l’Archéologie, 1999, p. 38-39.

Putelat 2007  : PUTELAT (O.). – L’homme, l’animal et l’Ajoie. Du premier Moyen Âge à l’aube du second millénaire. Ostéologie des sites de Courtedoux, Creugenat, de Bure, Montbion (Jura, CH.), et de Bourogne, Cimetière communal (Ter. de Belfort, F.). In : BÉLET-GONDA (C.) dir. ‒ Mandeure, sa campagne et ses relations d’Avenches à Luxeuil et d’Augst à Besançon  : journées archéologiques frontalières de l’arc frontalien, Delle (F.) – Boncourt (CH.), 21-22 octobre 2005. Besançon  : Presses Universitaires de Franche-Comté ; Porrentruy : Office de la culture et Société jurassienne, 2007, p. 277-286.

Valais 1998 : VALAIS (A.). – Distré « Les Murailles ». In : Bilan Scientifique des Pays de la Loire 1996. Nantes : Service Régional de l’Archéologie, 1998, p. 36-38.

191Des sépultures animales à Marsan (Gers) ?