1992, « Pattani (Thaïlande) », p. 48-57 (photos de Richard Manin)

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Transcript of 1992, « Pattani (Thaïlande) », p. 48-57 (photos de Richard Manin)

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Domestiqué, l'éléphant travaille comme une bête de somme. On l'emploie au débardage des arbres.Les bagues serties d'agate, rubis, émeraude ont une force magique. Elles rendent invulnérable.

lusieurs légendes racontentqu'un animal extraordinaire,un cerf nain, apparut sur uneplage de sable très blanc pourdisparaître après avoir ac-compli de nombreuses actions

magiques. Le roi, ameuté par ses sujetseffrayés, accourt avec une armée etdemande: «Où est cet animal ? Oùest-il apparu ?- Patai ini, sur cette plage, près devotre ville, majesté! »

Le souverain rebaptisa alors sa ville dunom de Pattani, en souvenir de l'ani-mal magique. Ce roi fondateur étaithindouiste mais son successeur seconvertit à l'islam. Petit à petit, la villeperd de son importance. Le royaumede Siam (l'ancien nom de la Thaï-lande), son grand voisin, la grignotejusqu'à la conquérir entièrement, maisen lui conservant une sorte d'auto-nomie. Les rajas (rois) malais de Pat-tani demeurent les maîtres du paysmais comme vassaux du roi de Siam.A la fin du xrxe siècle, les Anglais sou-haitent étendre leur influence au T é-nasserim, une zone frontière entre Bir-manie et Siam. Ils proposent donc unéchange entre cette région tenue parles Siamois et les Etats malais du nordde la Malaisie sous leur influence:Kedah, Pérak, et surtout Pattani. Fi-

nalement, ne reste dans l'escarcelle sia-moise que Pattani. Un traité est signéen 1909 qui fixe le destin de ses habi-tants. En 1947, la Thaïlande décided'arrêter, parfois violemment, tous lesrajas, princes ou simples nobles dePattani qui tentent de recouvrer leurindépendance. La plupart meurent ous'enfuient en Malaisie. Le sultanat lui-même est découpé en plusieurs petitesprovinces (Pattani, Yala, Narathiwat).Les gens de Pattani prennent les armes,entretenant une guérilla jusqu'au dé-but des années quatre-vingts. Depuisquelques années, la situation s'est cal-mée, et on peut désormais découvrircette région presque parfaitement pré-servée des influences extérieures.

Deux palais hantésSéparée par la force des autres Etatsmalais, la région de Pattani s'est repliéesur ses valeurs traditionnelles, créantun véritable conservatoire parvenujusqu'à nos jours. Ses habitants uti-lisent encore l'ancienne écriture en ca-ractères arabes de la langue malaise etse sont nommés d'après elle: Jawi. Cesont les Malais musulmans de la Thaï-lande. Mais les Malais ne les com-prennent pas non plus: les Jawi uti-lisent un dialecte chantant auxsonorités assez difficiles, d'autant

qu'ils mêlent à leurs discours des motsthaïlandais.Les magnifiques maisons de bois desJawi aux parois de bambou entrelacé etaux toits de tuiles vernissées se dres-sent toujours majestueusement prèsdes rizières. Ces maisons sur piLotis,vastes et lourdes, sont mobiles. Com-me les escargots, les Jawi se déplacentavec leurs maisons. Après le mariage,le jeune couple se voit offrir une partde la maison principale. Ils la trans-portent sur leur dos quelques centainesde mètres plus loin. Parfois, c'est l'ap-parition d'un esprit qui oblige le villa-geois à changer de terrain sans changerde maison. A Sai Buri, deux ancienspalais royaux ont dû être abandonnésparce qu'ils étaient hantés par des fan-tômes.Dans le centre de la bourgade de Ya-ring se trouve le majestueux palaisroyal, bordé de plates-formes de reposombragées. Le village de Dato, à l'ex-trémité de la presqu'île de Pattani,abrite le tombeau des anciens roi~ àcôté de la sépulture, toujours vénérée,d'un géant de huit mètres. Il est vraique des géants, on en trouve beaucoupdans la région. Du moins leurs tombes.Ce sont les hommes qui couraientaprès le cerf nain mythique à l'originedu nom de Pattani. Dans un petit

A côté de la sépulture des anciens rois, celle d'un homme de huit mètres.Des géants, on en trouve beaucoup dans la région. Du moins leurs tQmbes.SOTERRES OUBLIEES

La moisson du riz. Les villageois utilisent des petits couteaux aux lames étroites pour ne pas effrayer lesesprits. Les femmes portent ensuite sur leur tête les gerbes serrées en faisceaux.

village presque inconnu de la provincede Narathiwat, à Talok Manok, a étéérigée l'une des plus belles mosquéesd'Asie du Sud-Est. Entièrementconstruite en bois et vieille de 400 ans,elle est bâtie dans un style propre auxJawi. L'imam qui la dirige aujourd'huiaffirme d'ailleurs descendre en droitligne du roi fondateur de Pattani.

ors des kendurz (fêtes), les Jawifont bombance, sacrifiant tau-reaux, buffles ou boucs enl'honneur d'un mariage, d'unecirconcision, d'une naissance.Seuls les hommes sacrés peu-

vent égorger l'animal selon le rite pres-crit. Ils entonnent une litanie tradi-tionnelle avec gongs et cymbales. Desartisans sont chargés de cuire les cen-taines de kilos de riz nécessaires à lafête. Le soir, les jeunes jouent au takro,une balle d'osier qu'ils envoient par-dessus un filet, un peu comme aufoot-bail: avec les jambes, le corps oula tête, mais à l'exclusion des bras oudes mains.

Dans leur grande majorité, les ]awiportent encore le sarong, cette longuepièce de cotonnade multicolore drapéeautour des reins. Le port du kriss, lepoignard magique à la lame cursive dumonde malais, est désormais interdit.Cependant, les derniers faiseurs dekriss de la péninsule malaise sont lesmaîtres de forge de Patta ni qui four-nissent les rois de Malaisie, commeceux de Trengganu et de Kelantan.A Yarang, un Jawi a constitué un véri-table petit musée où sont présentéstous les types de sabres, kriss, poi-gnards et longs fusils à pierre de larégion. Certaines armes sont davan-tage des objets d'art que de guerre.

Singes cueilleurs de noixLes manches sont sculptés en forme decobra, de dragon ou de tigre. Certainskriss ont été forgés à main nue il y a dessiècles et conservent jusqu'à nos joursune puissance magique redoutée.Le vendredi matin, les enfants de cethomme nommé Boroheng font unedémonstration de silat, karaté malais

et, parfois, de théâtre d'ombrer lewayang kuleh. Les hommes J awi por-tent d'énormes bagues d'argent surlesquelles sont sertis agates, rubis ouémeraudes. Elles aussi sont considé-rées comme magiques et rendent leurspossesseurs invulnérables aux armes.Les combattants en sont en tout caspersuadés. Ces bagues atteignent d'ail-leurs des prix très élevés, en raison deleur charme protecteur.A Pattani, le passant est encore inter-pelé pour venir partager le riz puis unechique de bétel au sein de la maison-née. Il peut ainsi voir comment seshôtes dressent les éléphants et les sin-ges au travail domestique. L'éléphantest chargé des travaux de force: tirerles arbres abattus en forêt. Le macaqueest chargé, quant à lui, de cueillir lesnoix en haut des cocotiers pour sonmaître qui le guide au moyen d'unelongue corde. Durant la saison sèche,les villageois grimpent au sommet despalmiers à sucre dans les rizières, lesgracieux borassus aux ramures enforme d'éventail, sur un mince et long

Un immense bouddha d'or domine cette province de tradition musulmane.Sans doute pour rappeler qu'ici même commence le royaume de Tha"ilande.S4TERRES OUBLIEES

Au début de l'islamisation, les bouddhistes sont persécutés. Ils se réfugient dans les cavernesautour de Yala. La pagode de la grolle est célèbre. Elle a été aménagée il ya huit cents ans.

bambou ébranché par endroit, pourrécolter le jus de palme dans de longsrécj.pientsde bambou. Ce jus, distillé,est transformé en alcool à la joie despaysans et au grand dam de la maré-chaussée. On le boit durant la nuit, àl'abri de toute inquisition, dans unedemi noix de coco qui passe de mainen main. Les Jawi sont avant tout deshévéaculteurs. Tous les matins, ils par-tent saigner leurs arbres pour récolterle latex.

e retour au village, ils confec-tionnent les feuilles de caout-chouc qu'ils mettent à sécherle long des chemins et sousles pilotis des maisons. Audébut de la saison sèche, ils

moissonnent le riz à l'aide de petits'couteaux à la lame suffisammentétroite pour ne pas effrayer l'âme duriz des premiers panicules récoltés.Ceux-ci, protégés par une incantationdu bomoh (guérisseur), sont rentrés augrenier pour assurer les récoltes fu-tures. Les femmes rapportent les ger-

LES CANONS DU SULTANATA l'extrémité sud-est de la Thailande setrouvent trois provinces particulières ettrès mal connues: Yala, Narathiwat etPattani. Cette dernière région est sans

doute le berceau de la cité mythique deLangasuka. Elle était connue des

Chinois dès le If siècle après jésus-Christ.Une ambassade du royaume de Pattanidans l'empire du Milieu est attestéepar

les chroniques de la dynastie Tang.Plus tard, les Portugais y établissent descomptoirs commerciaux. Entre le Xff et

le xX' siècle, ce sultanat devient unevéritable puissance commerciale et

maritime. Il présente une spécialitéfortcurieuse inspirée des Portugais: la forgede gros canons de marine, très réputés,

même auprès des puissancesoccidentales. De ces extraordinaires

canons, il subsiste deux exemplaires àBangkok en Thailande, près du

fameux Wat Phra Keo, la pagode duBouddha d'Emeraude.--_ .

bes de riz au village sur leur tête,comme un chapeau de paille.La baie de Pattani était réputée pourses immenses salins surmontés de leursmoulins à vent. On peut encore visiterces champs de sel marin, récolté demanière traditionnelle, mais qui cèdentla place à l'aquaculture: crevettes-ti-

. .gres et pOlssons savoureux qUl vontgarnir les tables des restaurants et of-frent une gastronomie locale fort répu-tée. Mais ces pêches se développent audétriment de la mangrove, véritableforêt marine et trésor écologique auxalentours de Yaring.Les plages de la région sont au moinsaussi hospitalières. Autant celle de Ta-lokapo, à 14 kilomètres de Pattani, quede N arathiwat et, mieux encore, de SaiBuri. Sur des kilomètres se succèdentdes centaines de bateaux multicolores.Ce sont les kolek, lespata gera, embar-cations traditionnelles de pêche à laproue élancée ou bifide. Chaque ba-teau est décoré à la main par les pê-cheurs. Accroupis sur le sable de lagrève, sous un petit auvent de feuilles ~

Cérémonie. Les Jawi font bombance. Seuls les hommes sacrés peuvent égor-ger le buffle selon le rite. Des artisans cuisent le riz par centaines de kilos.

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Le jus des gracieux borassus se distille en un alcool exquis, au grand damde la maréchaussée. On le savoure la nuit, à l'abri de toute inquisition ...

de cocotier qui protège les embarca-tions de l'ardeur du soleil, ils enlu-minent leurs gracieux esquifs et ins-crivent sur l'étrave le nom de leurbateau. Parfois en arabe (un verset duCoran), parfois en malais (femmes ai-mées, héros mythiques). Quelquefois,les noms sont d'origine thaïlandaise(Hanuman, le roi des singes du Ra-mayana indien) ou américaine (Man-nix, Rambo ...), mais il s'agit toujoursd'une épopée.

peintes de couleurs vives qui portaientnaguère mât, bôme et voile soutien-nent désormais la longue-queue d'unmoteur de camion propulsant le ba~teau à travers les lames de la barrecomme une flèche. Progrès oblige.

Tourterelles hors de prixA l'extrémité de la proue, les pêcheursJawi placent, à la mode thaïe, un colliermagique, tissu de couleur vive quiporte chance au bateau pour recueillirune pêche miraculeuse. Le plus sou-vent, elle se pratique à l'aide de casiersvégétaux constitués d'un buisson en-touré d'un filet dans lequel se prennentles poissons.Ces magnifiques bateaux, très malconnus, sont appelés à disparaître auprofit des bungalows des Chinois deHong Kong qui achètent depuis peu

La récolte du jus de palme sur les palmiers à sucre. toutes les plages de cette région pré~er-

es habitants transforment lesembarcations en dragons en

. .peIgnant une gIgantesquebouche de naga à l'intérieur.Les ancres sont faites, commejadis, de deux morceaux de

bois courbes lestés d'une pierre atta-chée par une éorde. Les superstruc-tures sculptées en forme d'oiseau et

MERDE CHINE

MÉRIDIONALE

MER

D'ANDAMAN

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Unemarée de bungalows pour témoigner du coup de foudre des Chinois deHongKong. Ils raffolent de cet endroit préservé et achètent toutes les plages.

Les médiums en transe traversent le feu pendant le nouvel an chinois.

vée, sans doute pour ménager leursarrières en prévision de 1997, lorsqueHong Kong redeviendra chinoise.De curieuses guirlandes décorent lesvillagesdes Jawi. Ce sont des cages àtourterelles. Ces oiseaux sont très ap-préciés pour leur chant et atteignentdes prix élevés. Chaque jour, les cagessont hissées sur des hauts mâtsd'écoute. Des concours villageois sontorganisés périodiquement. En fin desemaine, on découvre dans les petitsvillages de la côte de véritables forêtsde cages accrochées à leur perche.

Un bouddha d'orPour les musulmans comme pour lesbouddhistes et les Chinois, cette ré-gion présente une grande importance.Dans le district de Yaha (province deYala)se trouve la célèbre Pagode de laGrotte datant de plus de huit cents ans,dans laquelle se réfugiaient les anciensbouddhistes martyrisés aux débuts del'islamisation. A la frontière de la Ma-laisie, non loin du palais royal de samajesté Rama IX, actuel souverain deThaïlande, a été érigé un immense

bouddha d'or qui domine ce pays detradition musulmane, sans doute pourindiquer qu'ici commence le royaumede Thaïlande. A Pattani même, la fêtedu nouvel an chinois attire chaqueannée des Chinois venus de toutel'Asie du Sud-Est ... Pendant leurs tran-ses, des médiums marchent sur desbraises ardentes sans paraître souffrir:ils rachètent leurs fautes et honorent lesesprits des ancêtres. Les Chinois, trèsnombreux dans la région, maîtrisentl'économie, prêtent sur gage et amas-sent de grandes fortunes. A leur inten-tion et à celle des riches mais frustréshabitants de la puritaine Malaisie, desbourgades spécialisées comme SungaiKolok (Narathiwat) ou Bétong (Yala),où la population est presque exclusive-ment féminine, essaiment le long de lafrontière.Cette région de Pattani, un peu àl'écart de l'activité fébrile qui règnedans le royaume de Thaïlande, oubliéedans ce Sud couvert de forêts d'hévéas,demeure étrange. Ni malaise, ni sia-moise, mais les deux à la fois, elle est,de tous points de vue, un lieu à part .•

POUR S'Y RENDREVols Paris-Bangkok par Nouvelles Frontières:3890 F; Thaï Airways International: vol quotidienà partir de 8515 F; Air France: vol quotidien àpartir de 8635 F. Nouvelles Frontières: (1)42.73.10.66. Air France: (1) 45.35.61.61. Thaï Air-ways International: (1) 44.20.70.15.De là, trois possibilités. Par avion : ligne domes-tique Bangkok-Pattani (2 vols par semaine,2 200 bahts ; 1 franc équivaut à 4 baths environ)ou Bangkok-Hat Yai (biquotidien) puis taxi(60 bahts/personne) dans le centre-ville Hat Yai-Pattani (110 km).Par train: départ quotidien Bangkok-Hat Yai. Ré-server à l'avance. En 2" classe couchette, ce trajetde 1 000 km dure 18 heures et coûte 600 bahtsenviron. Restauration à la place.Par bus: départ quotidien Bangkok-Hat Yai. Enbus VIP (plus spacieux pour les jambes), le trajetdure 13 heures et revient à 500 baths.

TRANSPORTS LOCAUXBus, minibus et song theo (pick-up aménagé).Eviter les déplacements de nuit, surtout à pied.Location de voiture à Hat Yai (berline ou pick-up,1 000 bahts/jour) ou à Pattani (taxi, 800 bahts/jour). La circulation routière est très dangereuse.

HEBERGEMENTNombreux hôtels (prix moyen: 350 bahts). A Pat-tani, le My Gardens. Hôtels chinois (prix moyen100 baths). Logement chez l'habitant.

A SAVOIRSe munir d'un lexique usuel de thaï car très peu depersonnes parlent anglais. Les villageois com-prennent le malais. Pour visiter la baie de Pattanien kolek (à travers la mangrove) et les curiositéslocales, on peut contacter Rusli Weyeng dans levillage de Bangpu à Yarig (14 km de Pattani sur laroute de Narathiwat).Meilleure période: février-mars (fête du nouvel anchinois). Avant, il pleut (juillet à janvier). Après, ilfait très chaud (avril-juin).Retirer ses chaussures avant de pénétrer dans lesmaisons. En s'asseyant, éviter de placer pieds ougenoux vers le visage de quelqu'un.

FORMALITESLe visa de tourisme est valable 2 mois. Si levoyage dure moins de 15 jours, pas de visa néces-saire. Possibilité de sortir vers la Malaisie à Sun-gai Kolok. Consulats tha·.landais à Kota Baru (Ke-lantan) et à Pinang.

ADRESSES UTILESConsulat de Tha"ilande, 8, rue Greuze, 75116 Paris.Tél. : (1) 47.04.32.21/22.Librairie spécialisée: Sudestasie, 17, rue du Car-dinai-Lemoine, 75005 Paris.Office national du tourisme tha"ilandais, 90, ave-nue des Champs-Elysées, 75008 Paris. Tél. : (1)45.62.86.56/87.48.

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