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THOMAS COLE ET L'EMPIRE AMÉRICAIN : L'HUDSON RIVER SCHOOL À CONTRE-COURANT Christine Cadot Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2006/4 - no 24 pages 55 à 78 ISSN 1291-1941 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2006-4-page-55.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Cadot Christine, « Thomas Cole et l'Empire américain : l'Hudson River School à contre-courant », Raisons politiques, 2006/4 no 24, p. 55-78. DOI : 10.3917/rai.024.0055 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 82.245.152.129 - 06/10/2014 00h29. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 82.245.152.129 - 06/10/2014 00h29. © Presses de Sciences Po

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THOMAS COLE ET L'EMPIRE AMÉRICAIN : L'HUDSON RIVERSCHOOL À CONTRE-COURANT Christine Cadot Presses de Sciences Po | Raisons politiques 2006/4 - no 24pages 55 à 78

ISSN 1291-1941

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Cadot Christine, « Thomas Cole et l'Empire américain : l'Hudson River School à contre-courant »,

Raisons politiques, 2006/4 no 24, p. 55-78. DOI : 10.3917/rai.024.0055

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Thomas Cole et l’Empire américain :l’Hudson River Schoolà contre-courant

LA REPRÉSENTATION EN TABLEAU, selon l’expressionde Foucault, est l’une des expressions possiblesd’un langage qui représente, nomme et découpe

une série de perceptions. Il « découpe le continu des êtres encaractères 1 ». Le tableau est une forme du discours qui rend per-ceptible la discontinuité d’un regard. Là où il y a tableau, il ya espace de la représentation, découpage, mise en ordre et dis-cours sur cet espace. La peinture américaine du 19e siècle pro-pose une vision particulièrement révélatrice d’une nouvelle placeaccordée à l’homme comme objet d’epistémè, mais elle imposeégalement la personnification d’entités jusqu’alors restées dansl’ombre de la représentation en tableau : l’être des nations et desempires. Plus que sa simple présence, la peinture américaineillustrera, dès le début du 19e siècle, une epistémè des nations etdes empires, en associant en particulier la nation américaine àla représentation de la nature, peinte le plus souvent sous lestraits de l’étendue sauvage (wilderness). Cette mise en image del’empire et de sa wilderness, dont les peintres de l’Hudson River

1. Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1994, p. 322.

Raisons politiques, no 24, novembre 2006, p. 55-78.© 2006 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

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School se sont faits les porte-parole, participe à la constructiond’une nation américaine exceptionnelle, mise en scène dans undécor grandiose et singulier. Cette mise en scène de la nationaméricaine n’est autre que la représentation de son expansionmilitaire vers l’Ouest, au dépend notamment des populationsautochtones.

Thomas Cole, propulsé de son vivant fondateur del’Hudson River School, fut l’un des peintres et narrateursd’une poussée américaine vers l’Ouest, qu’il couchera sur latoile entre 1833 et 1836 en une série en cinq actes, intituléeThe Course of Empire. Cette fresque héroïque ne s’inscrit pasexactement dans le genre artistique que le peintre a pourtantcontribué à faire naître aux États-Unis depuis ses premièrestoiles en 1820, genre artistique qui trouvera son expression laplus aboutie chez ses élèves, aujourd’hui plus connus (FrederickChurch notamment et les peintres du courant luministe). Cettesuite de tableaux inscrit cependant le destin des empires dansune fresque plus large, qui replace la fondation de l’Amériquedans son « paysage naturel » et qui en montre l’évolution iné-luctable et malheureuse (Savage State, Pastoral State, Consum-mation of Empire, Destruction of Empire, et enfin Desolation),à l’instar de ce qu’il est advenu des empires européens. Elle estconstitutive d’une représentation du paysage qui, chez Cole,donne à voir le destin commun des nations comme une loiétonnamment prévisible.

Nous trouvons chez Thomas Cole ce désenchantement dumonde propre aux romantiques révolutionnaires, qui se mani-feste par la disparition, pour le peintre, de la nature originelledans ce qu’elle avait de plus sauvage et, parfois, de plus inquié-tant. Elle est aussi, pour Cole, disparition de l’évidente mani-festation de la présence divine et du sublime dans le paysage.Le désenchantement du monde de Cole se manifeste par la pertede sens que Weber met au centre de la rationalité pratique occi-dentale. Le peintre, curieusement élevé par ses contemporains aurang de champion de l’Amérique victorieuse et conquérante,nous donne pourtant à voir une image largement refoulée de lanation américaine. The Course of Empire, dont rien n’indiquequ’il est a priori américain, est en effet bien une mise en gardeadressée aux États-Unis jacksoniens et une critique radicale dela dimension destructrice et aliénante de la fondation de lanation américaine.

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Figure 1 : Thomas Cole, The Course of Empire: The Savage State, 1834, Huilesur toile, 100 × 160 cm, New York Historical Society.

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Figure 2 : Thomas Cole, The Course of Empire: The Pastoral or Arcadian State,1834, Huile sur toile, 100 × 160 cm, New York Historical Society.

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Figure 3 : Thomas Cole, The Course of Empire: The Consummation of Empire,1835-1836, Huile sur toile, 130 × 193 cm, New York Historical Society.

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Figure 4 : Thomas Cole, The Course of Empire: The Destruction of Empire, 1836,Huile sur toile, 84 × 160 cm, New York Historical Society.

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Figure 5 : Thomas Cole, The Course of Empire: Desolation, 1836, Huile sur toile,100 × 160 cm, New York Historical Society.

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Décor américain et rationalisation du regard

La célébration du décor américain 2 par les arts n’est pas l’affir-mation, lourde de présupposés essentialistes, de ce que l’artiste amé-ricain n’aurait nulle légitimité ou talent à représenter des éléments,des histoires, ou des caractères proprement européens. Elle est biendavantage le signe d’une « nationalisation du paysage », d’unevolonté d’individualiser un décor américain qui s’accommode tantbien que mal de l’expansion territoriale vers l’Ouest et d’une idéo-logie du « progrès » qui la sous-tend. Cette période de crise iden-titaire que traverse l’Amérique est une période où la modernité desÉtats-Unis, ce « temps nouveau » défini par Kosseleck 3, se fondesur la réappropriation nationale de la wilderness et de ses habitants,c’est-à-dire sur l’appropriation mécanique et commerciale d’uneétendue et d’une humanité présentée comme sauvage et désolée, aunom du progrès technique et de l’utilitarisme.

La peinture de paysage américaine participe à ce mouvementde nationalisation du décor américain. Car, contrairement à l’intui-tion première que chacun peut avoir en regardant un paysage prisau travers d’une photo ou d’une peinture, saisir un paysage est toutsauf un acte neutre, tout sauf un acte « naturel ». Il s’agit toujoursd’un acte artificiel, ici d’un acte politique. Cet espace naturel, trans-crit par le peintre ou par le regard, répond à une « conscience dupaysage », c’est-à-dire une loi et à un concept unificateur qui luidonne corps. C’est ce principe unificateur qui fait dire à GeorgSimmel dans La Tragédie de la Culture 4 en 1911 :

Regarder un morceau de sol avec ce qu’il y a dessus comme unpaysage, c’est considérer un extrait de la nature, à son tour, commeunité – ce qui s’éloigne complètement de la notion de nature 5.

2. Nous employons ici le mot « décor » comme traduction du mot anglais scenery. En cesens, nous traduisons par « décor », et non par « paysage », ce que Thomas Cole alui-même intitulé scenery dans un essai précieux pour notre sujet, écrit en 1835. Cf.Thomas Cole, Essai sur le décor naturel américain, édité par François Brunet, trad. del’angl. par Christian Fournier, Pau, Presses Universitaires de Pau, 2004 (« Essay onAmericain Scenery », American Monthly Magazine, vol. 1, janvier 1836, p. 1-12).

3. Reinhart Koselleck, Le futur passé : contribution à la sémantique des temps historiques,traduit de l’all. par Jochen Hoock et Marie-Claire Hoock, Paris, Éditions de l’EHESS,2000.

4. Georg Simmel, La tragédie de la culture et autres essais, trad. de l’all. par Sabine Cornilleet Philippe Ivernel, Paris, Rivages, 1988 (« Der Begriff und die Tragödie der Kultur »,Philosophische Kultur, Potsdam, 1923, 1e publication dans Logos, 2, 1911).

5. Ibid., p. 230.

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Ainsi encadrée et unifiée par la loi qui détermine la sélectionet l’assemblage opérés par le peintre, la représentation de la natureet des empires par Thomas Cole nous permet d’une part de dévoilerles fonctions remplies par la représentation paysagée de l’Amériqueau début du 19e siècle et de montrer, dans The Course of Empire,l’enjeu symbolique du récit de la chute de l’humanité tout entière,Amérique comprise, hors du jardin d’Eden. Tout fut pourtant tentépour montrer que le décor posé sur les toiles était bel et bien unefraction naturelle du paysage, comme l’illustre l’invention de cestours, dont l’intérieur était entièrement recouvert de fresques gigan-tesques représentant canyons ou montagnes, afin de donner l’illu-sion que le spectateur se trouvait en haut d’un poste d’observation.Dans ces tours, rien ne doit révéler l’invention ; tout n’est qu’obser-vation et retranscription fidèle d’une nature qui se laisse saisir enlaissant percevoir au spectateur l’empreinte certaine du divin sur ledécor américain.

La peinture de paysage n’est évidemment pas absente avant le19e siècle, aussi bien en Europe qu’en Amérique, mais il se produit,avec l’Hudson River School, un processus comparable (bien qu’àéchelle moindre) à celui que Panofsky avait étudié à propos de laperspective. Elle est une « forme symbolique » qui permet la « ratio-nalisation » du regard. La perspective avait permis à l’art de s’éleverau rang de science ; elle « pousse si loin la rationalisation de l’impres-sion visuelle du sujet que c’est précisément cette impression subjec-tive qui peut désormais servir de fondement à la construction d’unmonde de l’expérience solidement fondé, et néanmoins “infini”, ausens tout à fait moderne du terme. (...) En fait, on avait réussi àopérer la transposition en espace mathématique, en d’autres termes,l’objectivation du subjectif 6 ». La mise en scène du décor américainprocède ainsi d’abord d’une rationalisation du regard du peintre etdu spectateur. La littérature de voyage, au 19e siècle, en rend comptetout autant : les hautes terres de l’Hudson représenteront tour à tourun loch écossais, ses rives, celles de Hertfordshire et de sa baie, unebaie napolitaine ou galloise, en fonction de l’origine du voyageur 7.L’érection du paysage est une activité de configuration, conditionnée

6. Erwin Panofsky, La perspective comme forme symbolique, trad. de l’all. par Guy Ballangé,préface de Marisa Dalai Emiliani, Paris, Minuit, 1975, p. 159 (« Die Perspektive als“Symbolische Form” », Vorträge der Bibliothek Warburg, 1924-25, Leipzig-Berlin,1927, p. 258-330).

7. Robert C. Bredeson, « Landscape Description in Nineteenth-Century American TravelLiterature », American Quarterly, vol. 20, no 1, 1968, p. 86-94.

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socialement, bien au-delà des conventions esthétiques. LorsqueThomas Cole, en Américain d’adoption, dépeint un décor américain(dans The Savage State), il trie les objets pertinents et rapproche lesparties constitutives d’une représentation de l’état de pré-fondationaméricaine. Leur assemblage et leur unité, cette Stimmung dont parleSimmel, procèdent d’une opération de cadrage spécifique, traverséepar une histoire singulière, marqué chez Cole par l’expansion versl’Ouest et la disparition progressive de la wilderness et de ses autoch-tones. Dans son système de significations, dans cet esprit du monde,Thomas Cole nous donne à voir une donnée socio-historiqued’importance et une critique radicale de la politique jacksoniennedont ses contemporains ne verront ou ne diront rien. Il est l’auteurd’un discours effacé de la fondation américaine.

Le meta-discours de The Course of Empire

À travers son appartenance à l’Hudson River School, aux côtésde Asher B. Durand, Stanford Guifford, ou encore Frederick EdwinChurch, son élève, et au-delà de la technique artistique à l’œuvredans cette école, c’est l’appartenance de Thomas Cole à une écolede pensée qu’il faut interroger. Cette appartenance fait d’autantplus problème que Thomas Cole fut très rapidement promu pre-mier représentant de cette école de peinture. Il est l’un des membresfondateurs dès 1829 de la National Academy of Design. Mais cedigne représentant de l’art américain n’est alors pas seulement lepeintre du sublime américain et de l’exceptionnalisme de la natureaméricaine, comme a pu par exemple le revendiquer pour lui-mêmeFrederick Church. Il replace l’Amérique des pères fondateurs dansun destin unique de l’humanité, qui rend un jour ou l’autre toutesociété corruptible, corrompue et finalement décadente.

Dans The Course of Empire, œuvre réalisée pour le galeristenew-yorkais Luman Reed, nous sommes les spectateurs d’un drameclassique, dont les cinq actes conduisent l’Empire – lequel ? – de sanaissance à sa mort. Nous y voyons l’histoire d’une nature améri-caine (acte 1) qui a devant ses yeux ce qu’il est advenu de l’espaceeuropéen (actes 2 à 5). De la naissance (The Savage state), à la mort(Desolation), le peintre entreprend de nous relater un récit épique surun mode qui lui est familier : celui de l’ascension et du déclin descorps humains et des communautés politiques. La série est ordonnéeselon un schéma récurrent. La scène du Savage State se déroule à

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l’aube d’une journée de printemps ; celle du Pastoral State, un matinde juin. L’ordonnancement se répète ainsi jusqu’à la Desolation, oùun crépuscule d’hiver sert de décor à la ruine des empires 8. Coleindiquera son ambition à son patron. Il prévoit de peindre dans TheCourse of Empire, « l’essor des nations, de l’état sauvage à la gloire età la puissance, puis leur décadence et leur extinction 9 ». La philoso-phie spéculative de l’histoire des corps politiques n’est pas nouvelle ;elle est bien illustrée par Bossuet dans son Discours sur l’histoireuniverselle. La théologie de Bossuet met la Providence au fondementde l’histoire et en annonce la dimension téléologique. Pour Bossuet,c’est la main de Dieu qui préside à la destinée des empires :

C’est l’empire des saints du Très-Haut ; c’est l’empire du filsde l’homme : empire qui doit subsister au milieu de la ruine de tousles autres, et auquel seul l’éternité est promise 10.

Si Bossuet écrivait pour son élève, le Grand Dauphin,Thomas Cole fait lui aussi œuvre de moraliste. Cependant, ce n’estplus la religion qui fonde la Providence, mais la contemplation del’histoire et de la nature qui révèle la présence de Dieu. ThomasCole trouve à l’évidence la trame du drame américain dans unpoème du philosophe irlandais George Berkeley, poème voué àune réinterprétation et à un usage colonialiste dans l’Amérique du19e siècle, dominée très nettement depuis 1830 par la doctrine dela Destinée Manifeste :

(...) À l’Ouest, le cours de l’Empire prend son sens ;Les quatre premiers actes se terminent déjà,Le cinquième vient clore et le drame et le jour ;La progéniture la plus noble de l’Histoire demeure 11.

8. Le schéma se répète de nombreuses fois dans d’autres séries peintes par Cole. CitonsThe Departure (1838) et The Return (1838) ; The Past (1838) et The Present (1838) ;The Voyage of Life, série de quatre tableaux exécutés entre 1839 et 1842 et symbolisantles quatre âges de la vie.

9. Lettre à Luman Reed, 18 septembre 1833, in Louis Legrand Noble, The Life andWorks of Thomas Cole, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 1964,p. 176.

10. Jacques Bénigne Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, Paris, Flammarion, coll.« G. F. », 1966, p. 434.

11. Nous reproduisons ici le texte original : “Westward the course of empire takes itsway / The first four acts already Past, / A fifth shall close the drama with the day ;/ Time’s noblest offspring is the last.” George Berkeley, « Verses on the Prospect ofPlanting Arts and Learning in America », in Alexander Campbell Fraser (dir.), TheWorks of George Berkeley, Oxford, Clarendon Press, 1901, p. 354.

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Cette interprétation colonialiste n’est évidemment pas sug-gérée par Berkeley, ni par Thomas Cole qui exprimera toujours dessentiments anti-jacksoniens très prononcés. Pour le peintre, ledéclin progressif de toute entreprise humaine et la disparitionconcomitante de la nature sous sa forme originelle sont les signesd’un effacement de la présence divine qu’il voit pourtant si vivantedans le sublime de la nature américaine.

Le fil de l’histoire que Thomas Cole dévoile est présent ausens propre dans la seconde étape de The Course of Empire. Dansl’état pastoral (Pastoral State), une femme, prête à traverser un pont,porte une quenouille et un fil. C’est sans nul doute la plus jeunedes Parques, Nona (Clotho dans la mythologie grecque), quidéroule le fil de la vie, de l’état sauvage à la désolation. Le tempsqui s’égraine au fil de la série semble ainsi inéluctable. Le travail dupeintre consiste à ordonner et à peindre cette succession demoments historiques qui seule rend compte au spectateur de l’intel-ligibilité des lois de l’histoire. C’est dans la succession des événe-ments, ordonnés en une série, que se trouve le sens de l’histoire desempires 12. Or, c’est Thomas Cole qui fait ici œuvre d’historien, enchoisissant pour le spectateur l’événement qui sera fixé dans la sérieet la place qu’il y occupera. Le spectateur n’est donc pas historienet ne peut ajouter un événement qui lui semblerait probable. Carsi l’événement peut être subi, la série est, elle, ordonnée par lepeintre selon les contraintes du temps :

La série parle. Elle parle le langage du temps. Ou mieux, lasérie événementielle induit et impose une certaine image du temps.Comme les images, elle dégrade ce qu’elle représente. Le temps dela série est le temps de la représentation, de la mémoire et del’imagination 13.

Si le peintre fournit ici un récit épique, il nous informe éga-lement sur ce qui s’impose à lui dans la construction politique durécit. Or, pour Thomas Cole, cette série s’oriente vers le déclin,jusqu’à la désolation. Ceci signifie encore qu’elle ne s’inscrit pasdans le sens d’un éternel recommencement. Il n’y a en effet riendans Desolation qui nous indique que la ruine des Empires donnera

12. Sur la sérialisation des événements et la constitution politique de l’histoire histo-rienne, nous renvoyons à Gérard Mairet, Le Discours et l’historique : essai sur la repré-sentation historienne du temps, Tours, Mame, 1974, p. 35-61.

13. Ibid., p. 46.

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au jour suivant un nouvel état sauvage originel. Rien ne nous dit,dans The Course of Empire, que l’histoire recommence à l’identique,jour après jour. L’histoire narrée par Thomas Cole, affectée parl’idée du pêché originel et l’engagement anglican du peintre quel-ques années avant sa mort, est fondamentalement pessimiste ; ellefait problème pour toute idéologie de conquête territoriale ethumaine, pour son temps comme pour le nôtre.

Le destin manifeste de Thomas Cole

L’histoire mythique de l’Amérique, telle qu’elle apparaît dansThe Course of Empire, est l’objet d’une constante volonté de réap-propriation et de transformation qui commencera avec l’héroïsationde la figure du peintre. L’illusion biographique, telle que la nom-mera Bourdieu, concourt à la formation d’un récit de vie se dérou-lant lui-même comme une histoire, et dont l’accomplissement, letelos, sera de rendre intelligible une histoire américaine déjà connue,qui estompe ou efface la part d’ombre de sa fondation.

(...) le récit autobiographique s’inspire toujours, au moins pourune part, du souci de donner sens, de rendre raison, de dégager unelogique à la fois rétrospective et prospective, une consistance et uneconstance, en établissant des relations intelligibles, comme celle del’effet à la cause efficiente 14.

C’est en ce sens que Thomas Cole sera célébré comme le hérosd’une Amérique présentée comme exceptionnelle et naturellementséparée de son ancienne tutrice. La volonté d’émancipation cultu-relle de la jeune République, célébrée en 1837 par Emerson dansThe American Scholar, va pénétrer l’interprétation des tableaux dupeintre par ses amis et critiques d’art. Mais si Emerson appelle lesintellectuels américains à abandonner les règles du classicisme euro-péen, celles-là même qui les font shakespeariser depuis deux siècles,Thomas Cole ne s’abandonne pas totalement au mot d’ordre duphilosophe 15. En inférant de la critique que le peintre offre du

14. Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales,no 62-63, juin 1986, p. 69.

15. « Les dramaturges anglais ont shakespearisé pendant deux cents ans (...) cette confianceen une puissance humaine insoupçonnée revient, par tout moyen, dans toutes lesprophéties, (...) aux intellectuels américains. Nous avons écouté trop longtemps les

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monde européen la vision d’une nation américaine rédemptrice, sescontemporains le propulsent chef de file de la première école depeinture qui, de régionale d’abord, sera constituée du même coupcomme première école de peinture nationale américaine 16. Mais lethème de The Course of Empire, pour être résolument romantique,ne s’attache pas à illustrer, par exemple, une rupture radicale avecles règles du théâtre classique français. Le peintre réalise une fresqueépique qui se déroule en un jour et en un lieu unique. L’intrigueprincipale – la chute des empires, américain comme européen –, sedéroule bien comme une suite d’événements dont tous les actessont corrélés et nécessaires, comme l’exige la règle des trois unités.Plus encore, loin de célébrer une rupture radicale ou un refus deconnaître ces muses européennes dénoncées par Emerson, ThomasCole va effectuer l’exercice classique de tout peintre qui veuts’imprégner des lieux et des techniques des grands maîtres : il ferason Grand tour d’Europe. Le projet même de faire un voyage depresque trois ans le distingue de beaucoup de ses contemporainsqui, à l’approche de son départ, lui font sentir parfois leurs inquié-tudes. Le poète William Cullen Bryant, ami du peintre, lui confieainsi cette mission au jour de son départ :

Tes yeux doivent voir la lumière de cieux lointains,Mais, Cole, ton Cœur doit porter à la tribune européenne,L’image vivante de notre magnifique terre natale,Telle qu’elle est couchée sur tes brillantes toiles. (...)Et garde en mémoire l’image antérieure d’un monde sauvage 17.

L’idée d’une nature corrompue de l’Europe, telle qu’elle estcouramment entretenue depuis l’Indépendance américaine, suggèreque l’artiste américain pourrait y perdre son inspiration « naturelle »et son don inné. Le voyage de Cole en Europe nous donne l’occa-sion de mettre en évidence cet imaginaire collectif savamment

muses aimables de l’Europe » : Ralph Waldo Emerson, « The American Scholar », inRalph Waldo Emerson, Nature and Selected Essays, New York, Viking Press, 1982,p. 83-106.

16. Angela Miller nous le rappelle à juste titre, l’Hudson River School n’est pas à l’origineune école véritablement nationale. Elle est, au temps de Thomas Cole, un regroupe-ment d’artistes opéré au niveau régional, et qui concerne principalement la NouvelleAngleterre, voire la seule ville de New York. Cf. Angela L. Miller, The Empire of theEye : Landscape Representation and American Cultural Politics, 1825-1875, Ithaca,Cornell University Press, 1993, p. 3.

17. William Cullen Bryant, « To Cole, the Painter, Departing for Europe », PoeticalWorks of William Cullen Bryant, D. Appleton and Company, 1905.

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entretenu autour de la figure du peintre : don inné, vocation pré-coce, virtuosité de l’artiste et talent miraculeux, rien n’échappe àl’héroïsation d’un artiste doué d’un pouvoir quasi magique, quiaurait trouvé l’inspiration et le talent au jour de son arrivé auxÉtats-Unis. Cole, venu d’Angleterre à l’âge de dix-sept ans, secomplaît volontiers, il est vrai, dans la figure d’un artiste touche-à-tout : peintre, architecte, géologue, essayiste. Nous retrouvonsdans les récits biographiques sur le peintre les termes de l’enquêtemenée en 1934 sur les représentations de l’artiste par Ernst Kris etOtto Kurz dans L’image de l’artiste 18. L’héroïsation du peintreconcourre à la création artificielle de sens. Certes, l’illusion biogra-phique est au service d’une sélection qui « réserve le jeu à ceux quisont préalablement légitimés par les circonstances, par la place qu’ilsoccupent, ou plus généralement par les signes de leur éminence 19 ».Mais ces signes sont ici eux-mêmes construits dans le mythe del’installation du peintre en Amérique, signe d’un arrachementvolontaire à l’ancienne tutrice lourd de significations. La créationartistique est donc rendue compréhensible par une analogie trèsforte construite entre la vie du peintre et la vie de la jeune Répu-blique américaine. Dès lors, notamment par le biais de l’illusionbiographique, la création artistique de Cole était d’autant plus faci-lement rendue compréhensible comme étant au service d’une miseen valeur acritique de la République américaine. Mais le retour deThomas Cole aux États-Unis manifestera mieux le décalage quis’annoncera entre les deux plus importants protagonistes del’Hudson River School (Thomas Cole et son élève, FrederickChurch), ainsi que la diversité d’opinions qui s’exprimait originel-lement dans cette école.

Dans son précieux Essai sur le décor américain, le peintre porteun jugement sévère sur l’appropriation de la nature par la techniqueet sur l’exploitation à outrance des terres qui, selon la doctrine desphysiocrates, plie la nature aux besoins de l’homme. L’effacementde la pensée critique de Cole, aux dépens d’une interprétation quien fait, au même titre que Frederik Church, la tête de file d’unmouvement artistique qui célèbre le sublime de la nation

18. Ernst Kris et Otto Kurz, L’image de l’artiste. Légende, mythe et magie, Marseille,Rivages, 1987.

19. Bernard Lacroix, « Ordre politique et ordre social. Objectivisme, objectivation etanalyse politique », in Madeleine Grawitz et Jean Leca, Traité de science politique,Paris, PUF, t. I, 1985, p. 532.

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américaine, illustre au mieux la notion problématique d’auteur.Cette construction de la fonction d’auteur fut longtemps liée auxtechniques d’exégèse et de construction des canons. L’autorité d’unauteur est objet d’appropriation par le discours ; elle est construiteautour d’un corpus soigneusement choisi. Dans le cas de ThomasCole, les fonctions d’auteur et d’école n’échappent pas à la volontéidéologique de constituer une pensée conceptuelle cohérente ethomogène qui gomme d’un corpus les œuvres jugées contradic-toires. Bien-sûr, l’auteur n’est pas le seul producteur et garant dusens qu’il entend donner à son œuvre. Il est « un certain être deraison qu’on appelle l’auteur 20 » ; cet être de raison est ainsi unefigure qui, bien souvent, limite l’appropriation potentielle del’œuvre par l’observateur ou le lecteur. Cette problématique esténoncée par Michel Foucault, pour qui la notion d’auteur est unefonction classificatoire, par laquelle la contradiction entre plusieursœuvres ou l’œuvre à la marge est ignorée ou encore réduite au rangd’exception. De plus, le rappel systématique de ce que Church futl’élève de Cole, contribue à gommer des divergences nombreuseset pourtant très visibles dans les œuvres des deux hommes. Or, c’estrétrospectivement Church qui « fera école ». Si un déclin progressifde l’influence de l’Hudson River School et de la peinture de paysages’observe à partir de 1850, c’est lorsque la nation américaine traverseune crise particulièrement aiguë, lors de la Guerre de Sécession, queFrederick Church impose rétrospectivement une orientation réso-lument nationalisée à la représentation de la wilderness américaine,tout en devenant lui-même, désormais, sa référence incontournable.Si Cole représente la wilderness dans ce qu’elle avait de sublime etde tourmentée, Church la peint d’abord avec le souci du naturalisteet du géologue, auquel s’ajoute la volonté d’associer des symbolestrès nets de l’unité nationale, notamment par la présence récurrentedu drapeau américain dans plusieurs tableaux (Twilight in the Wil-derness en 1860 ; Our Banner in the Sky en 1861, etc.).

Seulement une vingtaine d’années séparent les œuvres de Coleet de Church, mais ces années sont celles où l’effort de constitutiond’une école artistique nationale unifiée se fait le plus sentir. Ainsi,ce n’est que rétrospectivement que l’œuvre de Cole est utilisée dansce grand mouvement de réunification de la nation et de la nature

20. Michel Foucault, « Qu’est-ce qu’un auteur ? », Bulletin de la Société française de Phi-losophie, LXIV, 1969, p. 85, repris in Michel Foucault, Dits et écrits, t. I, Paris, Gal-limard, 1994, p. 796.

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américaine. Si pour Cole le décor américain est source d’inspirationépique et de récits héroïques – il peindra une série de tableauxdestinés à accompagner Le Dernier des Mohicans de son ami JamesFenimore Cooper – il n’en est pas moins potentiellement le lieud’une « transmutation de la nature en histoire, et pas seulement enhistoire américaine 21 ». Certes, Church, Cole ou Emerson, appar-tiennent à une même tradition culturelle et technique qui voit dansla nature une voie d’accès au divin en faisant de l’artiste l’intermé-diaire entre la transcendance et le monde des hommes. Mais dansce rôle de prophète-voyant, c’est-à-dire de « celui qui ne voit pas tantl’avenir que l’absolu qui le fonde 22 », Church célèbre une visionoptimiste du monde qui culminera dans ses œuvres tardives, par-semées d’arcs-en-ciel, malgré l’épreuve de la Guerre civile. Churchapparaît donc comme le peintre qui refuse le doute et qui, commeWhitman, célèbre la puissance de régénération de l’Amérique.

The Course of Empire ne manifeste pas le même optimismenational. Pourtant, l’œuvre est d’abord célébrée au 19e siècle comme« l’une des plus belle pièce d’art qui ait jamais été créée 23 » ; elleattire une foule considérable lors de sa première exposition à NewYork en 1836 24. Mais, quelques mois auparavant, Thomas Colelui-même prévient son commanditaire de la probable incompré-hension de la série par le public et les critiques :

Bien peu comprendront l’idée de [cette série] – et le conceptqui y est à l’œuvre 25.

Le peintre ne se trompait pas. La mise en garde qu’il adressaità l’Amérique jacksonienne ne retient pas l’attention des critiques ;elle n’était somme toute que la répétition couchée sur châssis d’unehistoire déjà connue, celle de Rome ou de Carthage. Tous voyaientdans The Course of Empire le récit d’une décadence qui ne pouvait

21. Thomas Cole, Essai sur le décor naturel américain, op. cit., p. 21.22. François Specq, « L’Amérique selon Frederick Edwin Church », Transatlantica, no 4,

2005, p. 4.23. William Cullen Bryant, Lettre à Louis Noble, 6 janvier 1849, in T. Cole, The Course

of Empire, Voyage of Life, and Other Pictures of Thomas Cole, with Selections from hisLetters and Miscellaneous Writings : Illustrative of his Life, Character, and Genius, éditépar L. Legrand Noble, New York, Cornish Lamport & Company, 1853, p. 226.

24. Cf. James T. Flexner, That Wilder Image. The Painting of America’s Native Schoolfrom Thomas Cole to Winslow Homer, p. 42-48 ; Edgar P. Richardson, Painting inAmerica, from 1502 to the present, New York, Crowell, 1965, p. 168.

25. Thomas Cole, Lettre à Luman Reed, 6 mars 1836, cité in A. L. Miller, The Empireof the Eye..., op. cit., p. 33.

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toucher que l’Europe, et évitaient d’opérer de dangereux parallèles.Un critique explique d’ailleurs :

Des parents pourront amener ici leurs enfants et leur expliquerThe Course of Empire en leur racontant l’histoire d’autres régions 26

Or, le romantisme de Thomas Cole est loin de n’être qu’unromantisme esthétique ou biblique. Il est aussi un romantisme poli-tique. Le contexte local joue ici un rôle capital. Boston, lieu depublication de l’hebdomadaire The Liberator, deviendra le centrenévralgique de la lutte contre le système économique des États escla-vagistes. La Nouvelle-Angleterre est également le lieu de la célébra-tion de la nature par les transcendentalistes, eux aussi paradoxale-ment réinterprétés pour célébrer davantage la grandeur de la nationaméricaine que celle d’une région particulière.

Loin de n’être que l’histoire d’un autre pays ou d’une autrenation, The Course of Empire est une mise en garde à l’Amériquejacksonienne. Ce que dépeint Thomas Cole n’est pas une simplevision nostalgique du passé. C’est une critique radicale de la moder-nité américaine et de son essor militaire et capitaliste, largementdécrit par Cole quelques années plus tard dans ses Views from theCatskills, série de toiles qui sont autant de témoignages de l’avancéedu tourisme de masse et de la déforestation rapide du paysage. Lesfigures du bûcheron et du laboureur, si souvent représentées dansles scènes pastorales de Cole, y symbolisent la trop rapide dénatu-ration du décor américain.

[L’aspect sauvage du décor naturel américain] est son trait leplus original, parce que dans l’Europe civilisée, les caractères primi-tifs du décor naturel ont depuis longtemps été détruits ou altérés :les forets étendues qui jadis la recouvraient en grande partie ont étéabattues, (...) le bois jadis impénétrable est aujourd’hui une ver-doyante pelouse, le ruisseau turbulent un cours d’eau navigable, desà-pics qu’on ne pouvait ôter ont été couronnés de tours et les valléesles plus grossières ont été domestiquées par la charrue 27.

La lecture de ce paragraphe nous renseigne sur le désenchan-tement de Thomas Cole. L’Essai sur le décor américain est bien uneclé essentielle de l’interprétation des cinq tableaux. Le peintre ne

26. Catalogue of the Exhibition of the New York Gallery of the Fine Arts, New York, 1844,p. 5. Nous soulignons.

27. Thomas Cole, Essai sur le décor naturel américain, op. cit., p. 53.

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manifeste pas dans The Pastoral State une nostalgie quelconque pourl’Arcadie ; il se contente d’en montrer la corruption latente, le carac-tère bientôt apathique ; il affirme enfin l’impossibilité de la mani-festation concomitante du progrès technique et de la perception dela présence divine.

L’Amérique de Cole, façonnée à l’origine par l’étendue sau-vage et désertique, est finalement « tombée dans l’histoire »comme l’Europe avant elle. Elle subit dès lors l’œuvre du tempssans espoir possible de rédemption. Thomas Cole n’entend paspréserver à tout prix la dimension unifiée du sublime américain,quand bien même le monde qui le porte s’éloignerait de sacondition originelle. La conversion de Cole à l’église anglicaneen 1842 est d’ailleurs le témoignage d’une vision radicalementpessimiste que l’auteur développe dès 1827 dans son traitementde Expulsion of the Garden of Eden. L’homme, définitivementpécheur, ne peut espérer échapper à la finitude qui accompagnetoute vie terrestre historique. Pour Thomas Cole, l’Amérique estsortie (ou plutôt a été expulsée) du Jardin d’Eden. Elle est entréedès lors dans une ère pastorale que l’Europe a quittée il y a peu.Le drame se déroule en effet sur la scène d’un théâtre, où lesvertus héroïques des nations sont en jeu, selon un axe de déna-turations et d’altérations progressives qui ne s’entend qu’à partirdu moment où le monde américain chute hors de l’atemporalitégouvernant le monde sauvage. Cole propose, in fine, une étio-logie unique au destin malheureux des empires, en identifiantune cause exclusive et certaine à la dégénérescence programméed’une humanité pécheresse.

Le style naturaliste et sublime, dont Cole est promu le pré-curseur aux États-Unis, affirme la vocation morale et didactique dupeintre à dévoiler, ici, les causes initiales de la dégénérescence desempires. Dans The Course of Empire, Thomas Cole ne cherche pasà provoquer chez le spectateur l’émotion du sublime par la repré-sentation de la wilderness. Il peint en moraliste une histoire drama-tique, dont la nature constitue le décor, mais dont la chute finaleest elle-même à l’origine du sublime. À ce titre et au-delà de latechnique picturale, The Course of Empire n’est pas un clair-obscurqui jouerait de tonalités claires et sombres pour mieux mettre envaleur la seule nation américaine, baignée dans une lueur divine.La part d’ombre de la nation américaine est au contraire dramati-quement figée dans une série qui propose au spectateur américainune géographie imaginée constamment renégociée. Elle n’est pas

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« l’image d’un objet vrai, mais la vraie image d’un objet 28 ». Cesreprésentations ont cependant une double nature. Elles sont ima-ginées mais aussi réelles en ce qu’elles sont productrices d’effetsmatérialisés. Elles sont réelles en ce qu’elles sont manipulées et par-ticipent à l’établissement de rapports de domination 29.

Hudson River School et manichéisme contemporain

La représentation d’une Europe en ruine, subissant jusqu’audrame l’influence d’une histoire corrompue, paraît à première vueconforter le mot d’ordre lancé par Emerson et ses contemporains,visant à individuer une nation américaine encline à justifier sesfrontières. Cependant, l’œuvre de Thomas Cole connaît un sortcomparable à celle du philosophe et subit les contrecoups d’uneréinterprétation idéologique liée à la représentation post-révolution-naire du monde américain, dans laquelle le sublime est présentécomme une catharsis aux maux des empires.

L’œuvre de l’auteur est ainsi perçue non plus comme la célébra-tion du sublime, où qu’il s’observe, mais comme la célébration del’exception de la nature américaine, au moment où se définissent, parles armes mêmes, les frontières de la nation américaine. Dans la fièvrenationaliste de la période jacksonienne, l’œuvre de Thomas Cole,comme celle d’Emerson, « allait servir malgré elle au programmepopuliste de modernisation qu’elle croyait ou voulait combattre 30 ».Thomas Cole, à la fois acteur et produit de son époque, éclaireexplicitement le processus de constitution d’un monde américain enproposant une représentation critique qui met en lumière la dimen-sion militairement conquérante de la nation américaine.

Mais il serait naïf de croire que cette image effacée de la nationaméricaine, celle-là même que Cole tente de raviver, n’a d’enjeu

28. Pierre Mannoni, Les représentations sociales, Paris, PUF, 1998, p. 67.29. David Matless, « An Occasion for Geography : Landscape, Representation and Fou-

cault’s Corpus », Environment and Planning D : Society and Space, vol. 10, 1992,(p. 41-56), p. 43-47. Nous renvoyons également à la critique du « constructivismesocial universel » de Ian Hacking. Cf. Ian Hacking, Entre science et réalité : la construc-tion sociale de quoi ?, trad. de l’ang. par Baudouin Jurdant, Paris, La Découverte,2001, p. 43 [The social construction of what ?, Cambridge, Harvard University Press,1999].

30. C’est l’idée développée dans l’introduction éclairante de François Brunet, in ThomasCole, Essai sur le décor naturel américain, op. cit., p. xvii. C’est également l’interpré-tation d’Angela Miller et Alan Wallach, que nous partageons.

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que pour le 19e siècle. Pour beaucoup d’historiens de l’art du20e siècle, la série est jugée trop ambitieuse, trop crue dans ses tons,trop artificielle dans le traitement de sa lumière. Mais l’essentieln’est pas là. La crise de l’identité américaine, proclamée avecd’autant plus de vigueur depuis les attentats de 2001, a provoquéun regain d’intérêt pour des « valeurs » américaines qui seraient àretrouver dans sa wilderness. Les peintres de l’Hudson River sont ànouveau célébrés comme les chantres d’une Amérique qui doitretrouver dans la nature ses vraies valeurs et la trace de lois divinesprésentées comme universelles. Dans l’avant-propos d’un ouvragerécent consacré aux peintres de l’Hudson River, Frederick Turner,professeur à l’Université de Dallas au nom prédestiné, prévient :

L’Hudson River School peut représenter pour nous le moyenefficace pour retrouver cette grande quête de sens, interrompue pen-dant tant d’années. 31.

La peinture de paysage devient, dans le discours néo-conser-vateur, l’occasion de célébrer la dimension morale de la wilderness,la vérité de sa beauté couchée sur toile, l’universalité des lois divines(c’est-à-dire chrétiennes pour l’auteur) qui s’y expriment. Il s’agitde remettre en cause les théories constructivistes des modernistesen leur substituant une « donnée naturelle », celle de la beauté, dela bonté et de la vérité du décor américain mis sur toile :

Quant à la raison pour laquelle la modernité commença àrenoncer aux idéaux de bonté, de beauté et de vérité, jusqu’à quelpoint peuvent-elles résister à un examen approfondi ? Les valeurshumaines sont-elles si différentes et incommensurables d’une sociétéà l’autre ? (...) Les Dix Commandements véhiculent des conseils deperfection valables tout aussi bien en Asie qu’en Afrique, en Amé-rique qu’en Europe ou en Océanie. Les notions de Vrai et de Fauxvarient très peu avec le temps. Ces choses ne dépendent pas deconstructions sociales arbitraires mais de compétences neurophysio-logiques tout aussi instinctives pour nous que le langage ; elles sontinscrites dans nos corps et nos systèmes nerveux. (...) Il existe ainsides signes évidents que la vérité elle-même survivra aux assauts dupost-modernisme 32.

31. Avant-propos de Frederick Turner in James F. Cooper, Knights of the Brush. TheHudson River School and the Moral Landscape, New York, Hudson Hills Press, 2000,p. 12.

32. Ibid., p. 11-12.

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D’une discussion d’historiens de l’art sur la place de la tradi-tion européenne dans la peinture de Thomas Cole, nous glissons àune invitation à combattre l’opacité du regard provoquée par lesthéoriciens du post-modernisme, incapables de reconnaître dans lesqualités naturelles du décor américain la trace d’une hégémonienaturelle et d’une téléologie qu’il s’agit de réaffirmer sans cesse.L’actualité de l’Hudson River School est toute entière contenuedans cette nouvelle mise en garde à l’Amérique des intellectuelsconstructivistes, dans un ouvrage écrit à la veille des attentats du11 septembre :

Les Américains, désarmés par l’effondrement aussi brutalqu’apparent des modèles civiques et moraux, découvriront, s’ils yregardent de plus près, que les raisons de notre malaise national sontà chercher dans l’effondrement, dans les arts, des ordres spirituel etesthétique 33.

Et plus loin :

La finalité de cette étude fut de rapporter les valeurs des artistesde l’Hudson River School à la véritable crise spirituelle que beau-coup d’Américains rencontrent aujourd’hui. Nous sommes engagésdans une guerre culturelle qui nous définira, en dernier ressort, entant que peuple et en tant que nation. Quels sont nos rêves ? Quellessont les valeurs que nous honorons ? Nous ne sommes plus ce peuplequi voyait dans le décor américain une terre « faite pour Dieu ».Nous avons peut-être mené trop de guerres ; elles n’ont peut-êtrepas toutes été justes. Mais nous ne pouvons troquer notre héritagepour quelque vague agenda politique dans le but de réparer leserreurs du passé 34.

Ainsi, le discours de Thomas Cole consciencieusement retra-vaillé, sa mise en garde à l’Amérique conquérante gommée de toutedimension critique devient le moyen de proposer une visionrédemptrice de l’Amérique en temps de guerre, que celle-ci soitjuste ou non. La nouvelle place accordée aux peintres de l’HudsonRiver School révèle l’utilité idéologique de la peinture de paysagepour répondre à la question qui hante parfois mots pour mots lalittérature politique américaine depuis plus de dix ans : Qui sommes-nous ? Son image lavée, ternie et passée est ainsi très actuelle. Elle

33. Ibid., p. 39.34. Ibid., p. 95.

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nous promet sans aucun doute un nouvel effacement de la fonda-tion problématique de la nation américaine au profit d’une lectureplus conforme aux intérêts du moment, opposant nations chré-tiennes et non chrétiennes, nature sublime et miraculeuse et civili-sations barbares. ◆

Post-doctorante à l’Université de Harvard (Center for EuropeanStudies), Christine Cadot a soutenu une thèse de doctorat en SciencePolitique en 2005 intitulée « Les deux Atlantiques. Europe-Amérique, ladécouverte de deux mondes et son influence sur la perception françaisedu fédéralisme américain ». Ses recherches portent sur les représentationsréciproques des identités européenne et américaine et sur la constructionde l’identité européenne. Elle a publié « Une géométrie “naturelle” dupolitique : les rues de Paris et de Washington D.C. », Pouvoirs, no 116,janvier 2006, « Terreur et Révolution française dans la correspondancede Jefferson : French Friendship as a first objet dans les premiers temps dela République américaine », in Frédéric Monneyron et Martine Xiberras(dir.), France as seen by the United States, Presses Universitaires de Mont-pellier, 2006.

RÉSUMÉ

Thomas Cole et l’Empire américain. L’Hudson River School à contre-courant

Cet article s’attache à l’étude de la représentation en tableau de l’Empire amé-ricain dans The Course of Empire de Thomas Cole. Dans l’Amérique du 19e siècle,la mise en image du paysage et de son étendue sauvage reflète un processus derationalisation du regard qui, pour les contemporains de Cole, s’opère dans lacélébration d’un Empire victorieux réalisant, à l’Ouest, sa Destinée Manifeste.Nous étudions ici l’héroïsation de la figure du peintre, ainsi que la réinterpréta-tion du destin malheureux des Empires, destin auquel les États-Unis n’échappentpourtant pas selon Cole. Enfin, nous soulignons la célébration nouvelle etcontemporaine de la peinture de paysage (Hudson River School) par lesnéo-conservateurs américains, plaçant cette fois encore une fois Thomas Cole auservice d’une cause qu’il ne pouvait défendre.

Thomas Cole and the American Empire: The Hudson River School sailing againstthe current

The foregoing article looks at the pictorial representation of the American Empire in“The Course of Empire” by Thomas Cole. In 19th century America, the portrayal ofthe landscape and its wild expanse reflected a process of pictorial rationalization

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which, for Cole’s contemporaries, culminated in the celebration of a victorious empireachieving its Manifest Destiny in the West. We investigate here the heroicization ofthe figure of the painter and the reinterpretation of the unhappy destiny of empires– a destiny which, according to Cole, the United States will not elude. Finally, wenote the new, contemporary celebration of landscape painting (Hudson River School)by US neo-conservatives, enlisting Thomas Cole once again in a cause he could notpossibly have espoused.

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