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1 Avènement du Twiléspectateur et hashtags contestataires, faits marquants de la campagne 2012 sur les réseaux socionumériques Arnaud Mercier Professeur en Information-communication, Université de Lorraine (CREM), à Metz Introduction Dès 2008, il est apparu que la campagne de Barack Obama avait été boostée par son engagement massif sur de multiples réseaux sociaux (y compris ceux plus restreints à visée communautariste). Il faut toutefois rester prudent quant aux extrapolations aussi enthousiastes qu’abusives. Même aux États-Unis, en 2008, il ne faut pas surestimer le poids que les réseaux sociaux avaient (pour le moment ?) sur le suivi de la campagne par les citoyens. Et ce dans toutes les catégories d’âge, alors même que la variable générationnelle a une influence évidente sur la hiérarchie des sources d’informations entre citoyens jeunes et plus âgés. 18-21 ans 22-35 ans 36-55 ans > 56 ans Internet Internet Télé Télé Télé Télé Journaux Journaux Journaux Journaux Internet Radio You Tube You Tube Radio Magazines Réseaux sociaux Radio Magazines Internet Magazines Magazines You Tube Livres Radio Réseaux sociaux Livres You Tube Blogs Blogs Blogs Blogs Livres Livres Réseaux sociaux Réseaux sociaux Sources d’information politique des électeurs américains classées par ordre de consommation 1 Ceci étant, sa présence sur les réseaux sociaux pour faire connaître son activité de campagne et pour encourager ses supporters à se mobiliser a forcément contribué, pour partie, à la victoire d’Obama. D’autant qu’en face, John McCain a très peu et mal utilisé ces nouveaux 1 Paul Haridakis, Gary Hanson, « Comparing You Tube, social networking and other media use among younger and older voters », in J. A. Hendricks, L. Lee Kaid (eds), Techno politics in presidential campaigning, New York, Routledge, 2011, p.75.

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1

Avènement du Twiléspectateur et hashtags contestataires,

faits marquants de la campagne 2012 sur les réseaux socionumériques

Arnaud Mercier

Professeur en Information-communication,

Université de Lorraine (CREM), à Metz

Introduction

Dès 2008, il est apparu que la campagne de Barack Obama avait été boostée par son

engagement massif sur de multiples réseaux sociaux (y compris ceux plus restreints à visée

communautariste). Il faut toutefois rester prudent quant aux extrapolations aussi enthousiastes

qu’abusives. Même aux États-Unis, en 2008, il ne faut pas surestimer le poids que les réseaux

sociaux avaient (pour le moment ?) sur le suivi de la campagne par les citoyens. Et ce dans

toutes les catégories d’âge, alors même que la variable générationnelle a une influence

évidente sur la hiérarchie des sources d’informations entre citoyens jeunes et plus âgés.

18-21 ans 22-35 ans 36-55 ans > 56 ans

Internet Internet Télé Télé

Télé Télé Journaux Journaux

Journaux Journaux Internet Radio

You Tube You Tube Radio Magazines

Réseaux sociaux Radio Magazines Internet

Magazines Magazines You Tube Livres

Radio Réseaux sociaux Livres You Tube

Blogs Blogs Blogs Blogs

Livres Livres Réseaux sociaux Réseaux sociaux

Sources d’information politique des électeurs américains classées par ordre de consommation1

Ceci étant, sa présence sur les réseaux sociaux pour faire connaître son activité de campagne

et pour encourager ses supporters à se mobiliser a forcément contribué, pour partie, à la

victoire d’Obama. D’autant qu’en face, John McCain a très peu et mal utilisé ces nouveaux

1 Paul Haridakis, Gary Hanson, « Comparing You Tube, social networking and other media use among

younger and older voters », in J. A. Hendricks, L. Lee Kaid (eds), Techno politics in presidential

campaigning, New York, Routledge, 2011, p.75.

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moyens de communication. Succès qu’Obama a su continuer à faire fructifier en 2012 pour sa

réélection, jusqu’à l’apothéose de son annonce de victoire sur Facebook et Twitter : « Four

more years », avec une photo du couple présidentiel, retwittée plus de 535 000 fois (record

absolu pour Twitter), ayant atteint le record absolu de plus de 2,1 millions de Like sur

Facebook et 180 000 partages. Dans sa note en ligne, de novembre 2012, sur le bilan de la

campagne aux États-Unis (« Barack Obama a gagné la bataille sur les médias sociaux,

aussi ! ») TNS Sofrès souligne le maintien de grandes disparités entre les deux candidats dans

leur usage des réseaux sociaux. Les disparités furent en effet spectaculaires, l’écart dans le

nombre d’abonnés se comptant en dizaines de millions, le nombre de messages postés sur

Twitter variant de 1 à 6, et, fait incroyable, le nombre de comptes suivis par le candidat

républicain est inférieur à 300 personnes, là où Barack Obama en suivait plus de 670.000 ! La

clé de répartition en pourcentage, entre chaque candidat permet de prendre conscience de

l’incroyable supériorité d’Obama dans sa stratégie d’usage des réseaux sociaux.

Répartition en %

Barack Obama Mitt Romney Obama Romney

Nombre de "likes" sur la page officielle Facebook

> 32 millions > 12 millions 73% 27%

Nombre de followers sur le compte Twitter du candidat

> 22 millions 1,8 million 92,50% 7,50%

Nombre de comptes Twitter suivis par le candidat

670.000 274 99,96% 0,04%

Nombre de tweets émis 7929 1350 85,50% 14,50%

Fort de ce succès et de l’usage bien établi que ce qui se passe aux Etats-Unis arrive tôt ou tard

chez nous, de nombreux commentateurs avaient prédit que les réseaux sociaux joueraient un

rôle majeur durant la campagne de 2012. D’ailleurs en Espagne, un an plus tôt, Twitter avait

été beaucoup investi politiquement. Ainsi, du 10 septembre au 20 novembre 2011, 2.875.000

tweets publiés contenaient au moins le nom d’un des deux principaux candidats ou partis,

pour 377.000 usagers Twitter différents2. Les usages attendus en France étaient donc d’avoir

un rôle dans la mobilisation des militants et sympathisants (qui deviendraient des relais

précieux de la parole du candidat via leurs followers) ; un rôle de dissémination de la parole

du candidat à destination du grand public sans passer par les fourches caudines des

journalistes ; un rôle de lice électorale, où une partie des joutes verbales s’y dérouleraient ; et

d’être un nouveau lieu d’interactions entre candidats et journalistes. Si toutes ces réalités

peuvent avoir été identifiées, force est de constater que la campagne électorale des principaux

candidats de la présidentielle 2012 ne s’est pas déroulée d’abord, prioritairement, 2 Pablo Barbera, « A New Measure of Party Identification in Twitter. Evidence from Spain », Paper for

the 2nd EPSA Conference, June 2012.

[En ligne : https://files.nyu.edu/pba220/public/barbera_epsa2012.pdf]

3

massivement, sur les réseaux sociaux. Il n’y a presque pas eu de tweet-interview (à

l’exception de F. Bayrou au moment de son entrée en campagne), peu de « tweet clash »

relayés ensuite (comme cela fut le cas avant entre le ministre E. Besson et la leader des Verts

C. Duflo lui reprochant de « faire le kéké sur Twitter »), à l’exception de la façon dont le

compte Twitter de Jean-Luc Mélenchon est allé porter la contestation, notamment contre des

journalistes (on sait depuis que c’était un collaborateur, dans une assez grande autonomie, qui

s’y livrait : « J’ai pu manipuler de façon autonome la parole de Jean-Luc Mélenchon. C’était

grisant. »3). La campagne n’a pas non plus porté au sommet de la médiatisation des tweets,

posts ou messages assassins issus d’un compte de candidat ou de ses proches, à l’instar de ce

qui est arrivé peu après pour Valérie « Tweetweiler », première dame de France qui a eu bien

du mal à se glisser dans le moule, pour s’éviter le ridicule d’étaler sur la toile publique

(comme on disait naguère la place publique) sa jalousie et les confusions qui en résultent en

termes de soutiens politiques. L’équipe du LabEurope1 prouve pourtant depuis lors, que

Twitter est une mine où elle sait fouiller chaque jour pour extraire de leur gangue et de leur

semi-clandestinité (un petit réseau de followers) quelques « pépites » propres à justifier

d’écrire un article. Le tout avec l’espoir d’alimenter quelques polémiques, de faire le buzz, par

la simple publicité ainsi donnée à des messages que leurs auteurs politiques croyaient pouvoir

cantonner à une diffusion restreinte.

Les Français ont, eux, été actifs sur les réseaux sociaux, et singulièrement sur Twitter, durant

cette campagne, et de plus en plus, à l’heure où l’échéance finale approchait, comme le

montrent les données de l’Institut Netscope.

Le « Barotweet » LH2, Nouvel Observateur, donne davantage de détails et prouve que

l’évocation des candidats sur le réseau Twitter a non seulement été un phénomène de masse,

mais que la hiérarchie des candidats en termes de notoriété et d’intention de vote s’est

3 Mathieu Deslandes, « L’homme qui « tweetait » pour Mélenchon », Rue89, 25 juin 2012. Cela lui a

d’ailleurs valu d’être publiquement désavoué par J.L. Mélenchon le 7 janvier 2013 en direct sur le

plateau de Mots croisés à propos d’un tweet appelant à le regarder, lui, le représentant de « la vraie

gauche » : « C'est pas moi qui suis derrière le compte tweet. Y'a pas la fausse gauche et la vraie

gauche. C'est une belle bêtise ! ».

4

retrouvée dans le poids relatif de chacun sur le réseau. Notons toutefois que Marine Le Pen est

bien en retrait par rapport aux autres candidats du top five.

Dans ce contexte global, deux phénomènes nous apparaissent marquants sur Twitter. Il s’agit

de la constitution de communautés politiques provisoires et actives, via l’usage d’un hashtag

rassembleur d’individus épars, et le renforcement d’une parole contestataire qui trouve dans

les réseaux sociaux les moyens de se diffuser et d’acquérir une visibilité, en se greffant à ce

qui reste le plus pourvoyeur d’audience et de notoriété : les émissions télévisées. On peut dès

lors considérer que le phénomène le plus notable de cette campagne sur les réseaux sociaux

fut l’apparition de téléspectateurs actifs, qui commentent en direct un programme télé et la

prestation des candidats ou qui suivent ces commentaires sur leur smartphone, tablette ou

ordinateur. Un tel renouvellement de l’expérience téléspectatorielle justifie de proposer une

nouvelle dénomination, combinant une double écoute (l’émission de télévision + le fil

Twitter) qui enrichit la compréhension ou la critique des propos politiques tenus sur un

plateau et qui donne tout son sens à l’idée d’écoute partagée entre plusieurs téléspectateurs.

Nous appelons donc ces citoyens qui, en direct, commentent et/ou suivent les commentaires

sur Twitter d’une prestation politique télévisée, des twiléspectateurs. Une partie non

négligeable de ceux-ci font preuve d’un esprit critique ou activiste, tant vis-à-vis des

candidats que des journalistes.

Nous allons donc essayer maintenant de cerner les caractéristiques de cette parole

contestataire et ses effets induits sur la réception du discours politique et médiatique, via

l’émergence de ces communautés temporaires unies autour d’un mot-clé et via l’avènement

des twiléspectateurs. Mais avant, nous reviendrons brièvement sur les usages électoraux des

réseaux sociaux par les équipes de campagne.

1° Candidats sur les réseaux sociaux : une présence mais pas une priorité

Les candidats ont certes investi ce terrain, ne serait-ce que par un esprit d’émulation et pour

ne pas paraître « ringards », en retard d’un moyen d’expression. On peut d’ailleurs repérer à

cet égard, l’ouverture de comptes au nom des candidats sur des réseaux encore assez

confidentiels en France, comme Instagram pour le partage de photos, dont l’observation

prouve que ni les équipes de campagne ni les sympathisants n’ont su qu’en faire au juste. Les

principaux candidats ont donc beaucoup investi Internet, avec des budgets d’environ 2

5

millions d’euros chacun pour F. Hollande et N. Sarkozy, qui ont servi à créer des sites, ouvrir

des comptes sur les réseaux sociaux (timeline Facebook de N. Sarkozy ; comptes TumblR,

Instagram ou Flick’r), développer des outils de diffusion (soundcloud radioHollande, chaîne

Youtube), avec des usages inédits (la websérie de J.-L. Mélenchon pour relater ses

déplacements sur le terrain ; les vidéos LOLcat du site d’Eva Joly pour inciter les jeunes à

aller s’inscrire sur les listes électorales ; les déplacements de campagne de N. Sarkozy

annoncés et à suivre sur ses comptes Foursquare ou Facebook Places…). Ces outils

numériques furent souvent de niveau très professionnel dans leur design et leur capacité

d’usage. On connait aussi l’importance qui fut donnée aux cellules de veille sur Internet et

aux équipes de riposte pour occuper le terrain des forums et les réseaux afin d’aller porter la

bonne parole citoyenne ou de contester les prises de positions critiques de son camp. Les

concepteurs de ces campagnes ont même valorisé ces supports numériques. C’est le cas lors

de l’interview pour lesinrocks.com de Nicolas Princen, coresponsable de la campagne

numérique de N. Sarkozy, le 20 avril :

« L’objectif de notre campagne sur internet en 2012 n’est pas celui de 2007. Ce n’est

pas uniquement animer sa propre communauté de supporters, c’est aller chercher de

nouveaux soutiens, trouver les moyens de les convaincre. Il y a donc deux campagnes

en une : celle d’internet comme média avec lequel on communique – pour expliquer le

bilan, le projet, raconter la campagne et porter notre message –, et celle du numérique

comme outil d’organisation, pour mobiliser et moderniser tous les éléments de la

campagne – faciliter l’organisation des meetings, rassembler plus de monde… –, en se

fixant l’objectif de parler à des personnes qui ne viendraient pas d’elles-mêmes vers

nous. Facebook est donc déterminant ».

L’investissement stratégique de l’équipe Sarkozy sur Facebook s’est traduit dans les faits. N.

Sarkozy est le seul à avoir pleinement utilisé le potentiel du nouveau dispositif de Timeline

créé par Facebook à l’époque, avec un mur faisant défiler le récit en textes et images de toute

sa vie depuis son enfance. De tous les candidats, il est celui qui a connu le plus grand succès,

au point de rassembler à lui seul les deux tiers des abonnés Facebook de tous les candidats, F.

Hollande et J.L. Mélenchon en réunissant chacun presque 10%, seulement (décompte au 20

avril 2012).

Répartition des abonnés Facebook des 9 candidats, en pourcentage.

N. Sarkozy F. Hollande J.L Mélenchon M. Le Pen F. Bayrou E. Joly

6

Pour autant, les candidats ont massivement misé sur les grands classiques de la

communication politique : meetings (notamment en plein air), retour du porte-à-porte pour le

PS, émissions politiques télé & radio, interviews presse. Il suffit de se souvenir du marathon

médiatique de l’entre-deux tours, de ce que le journaliste bloggeur Erwan Gaucher appela

« l’incroyable sprint médiatique final » :

Le marathon médiatique de l’entre-deux-tours de N. Sarkozy

24 avril Interview « Les 4 vérités », France 2

25 avril Invité la matinale de France info

Plateau JT de 20h, TF1

26 avril

Invité la matinale de France Inter

Invité « Des Paroles et des Actes », France 2

27 avril

Invité la matinale de RTL

Interview avec J. Vendroux sur le sport, France Info

Interview pour les titres de la presse quotidienne

régionale. (Au moins 11 titres en ont fait leur

« une »)

28 avril Interview à L'Equipe

Interview à Paris Turf

29 avril

Interview au Journal du dimanche

Invité de « Dimanche + », Canal +

Invité de Radio J

Invité de Stade 2, France 2

Invité JT de 20h, France 2

La campagne ne s’est pas d’abord faite sur le web. Dans son instructif bilan de l’élection

présidentielle sur Internet, l’institut Netscope pointe que ce qui se passe sur le web n’a pas

encore assez de force pour devenir le faiseur d’agenda, pour dicter son tempo à la campagne

électorale :

« Ce sont encore les grands médias classiques – au premier rang desquels les

principales chaînes de télévision et dans une moindre mesure les grandes radios

périphériques et les principaux organes de presses – qui font l’agenda politique et

imposent les sujets d’actualité. [..] Les réseaux sociaux et les blogs n’ont été à

l’origine d’aucun buzz de grande ampleur au cours de cette campagne. Ils n’ont

fait que réagir à des signaux issus des médias traditionnels, contribuant ainsi

parfois à les amplifier et à les entretenir. Un réseau social tel que Twitter est ainsi

7

particulièrement réactif au passage des candidats en prime time sur TF1 ou

France 2. C’est dans ce type de situation que les « grands candidats » enregistrent

leurs pics d’audience sur le réseau social et que les « petits candidats » génèrent

des volumes de messages sans commune mesure avec leurs ratios habituels »4.

Si donc on a pu croire, après 2008, à l’importation du modèle américain en France pour 2012,

la simple comparaison des chiffres que nous proposons ici, démontre ô combien cruellement,

que les présidentiables français sont loin de rivaliser.

Abonnés le jour

du scrutin B. Obama N. Sarkozy F. Hollande

Facebook 32 425 821 596 300 82 000

Twitter 22 364 527 150 700 220 000

Instagram 1 656 864 13 195 165

Pour résumer, le paysage des réseaux sociaux de la campagne française de 2012 fut peu

engageant : peu ou pas de dérapages verbaux sur les comptes officiels ; peu ou pas

d’invectives entre candidats ; peu ou pas d’interactions directes entre journalistes et hommes

politiques ; peu ou pas de débats participatifs pour élaborer le programme ou des

argumentaires de campagne ; mais beaucoup de placards publicitaires annonçant le

programme de campagne de chaque candidat, donnant des liens vers des archives où retrouver

les interviews médias des candidats, exposant des verbatim savamment triés des dernières

déclarations de campagne lors d’un meeting ou d’une émission. Tout sembla se passer comme

si les équipes de campagne avaient aseptisé ces dispositifs sociotechniques, refusant ou étant

incapables de s’emparer de ces outils et des potentialités qui en font leur spécificité : possible

renouvellement de la prise de parole publique ; échanges collaboratifs et partage généralisé

sur un pied d’égalité. Côté médias, il y a eu beaucoup de retranscriptions factuelles, de

verbatim (propos tenus sur les plateaux ou dans les meetings) par les journalistes (mais aussi

les militants) afin de donner un écho supplémentaire à ce qui se passait en direct sur un autre

média et donc valoriser la rédaction et la marque. Et grâce aux données de l’institut Trendy

Buzz, qui calcule un indice d’unité de visibilité internet, au 5 mars 2012 :

4 Institut NETSCOPE - AMI Opinion Tracker, « Quelques enseignements de la campagne sur le web à

J -2 avant le 2nd tour ». [en ligne : http://netscope.fr/pdf/42.pdf]

8

on se rend bien compte que l’écrasante majorité des informations publiées sur les blogs et

réseaux sociaux provient d’autres usagers que les candidats et leurs soutiens institutionnels.

Et quand on cherche à trouver, vainement, des corrélations entre notoriété sur les réseaux

sociaux et évolution du vote, on se dit que les équipes de campagne ont peut-être eu raison de

ne pas surestimer cette nouvelle lice électorale. On peine en effet à trouver une corrélation

entre l’évolution de l’influence sur les réseaux sociaux et l’évolution des intentions de vote

dans les sondages. Le cas le plus emblématique est celui de Jean-Luc Mélenchon. Il a vu sur

le dernier mois de campagne s’accroître de + 46% ses fans et de +31% ses followers,

pourtant, après une hausse de 3 points des intentions de vote il a rebaissé de 3 points dans les

derniers jours.

Il faut dire que la notoriété sur Twitter n’est pas tout, encore faut-il qualifier cette audience et

comprendre comment on parle des uns et des autres, comment leur parole est relayée. Or,

Nicolas Sarkozy « a enregistré à lui seul entre le tiers et la moitié des tweets politiques chaque

9

jour. Cette forte exposition du candidat-président va de pair avec son très fort rejet sur la

Toile. Il suscite en temps normal entre 10 000 et 15 000 tweets négatifs par jour, soit 39% en

moyenne sur la période. À titre de comparaison, François Hollande n’en recueille quant à lui

qu’entre 3 000 et 5 000. Le buzz de Nicolas Sarkozy, bien que de grande ampleur est donc

loin de lui être favorable. Le Web, que ce soit le réseau social Twitter mais aussi la

blogosphère, aura ainsi été tout au long de la campagne, un espace de résonnance de toutes les

variantes de l’anti-sarkozysme » 5

comme le montre le tableau ci-dessous de Netscope.

L’exemple de Nicolas Sarkozy prouve que les propos qui s’échangent sur les réseaux sociaux

ont souvent à voir avec une parole contestataire, qui vient fragiliser les mécanismes bien

huilés de la communication politique et du jeu politico-médiatique.

2° Fédérer des « aclictivistes » via un hashtag

Aux États-Unis, où l’usage de ces réseaux est le plus développé, ceux-ci servent aux citoyens

d’outil d’affichage de ses convictions politiques et d’incitation à faire voter ses fréquentations,

conformément à une tradition politique bien établie. Ainsi, selon un sondage du Pew Internet

and American Life Project effectué début novembre 2012, 20% des électeurs inscrits

affirment avoir incité leurs proches et amis à voter en postant un message en ce sens sur leurs

comptes de réseau social et 25% affirment y avoir été incités par des proches. Et dans une

étude préalable6, le même institut montrait que 20% des utilisateurs de réseaux sociaux

avaient utilisé cet outil pour suivre un candidat, 34% pour afficher leurs convictions et

commentaires sur les sujets politiques, 35% pour encourager les gens à aller voter.

En France aussi, la prise de parole politique sur ces réseaux existe, mais elle prend assez

souvent une forme plus contestataire que loyaliste à l’égard d’un camp. L’institut d’études

Lightspeed Research avait interrogé au mois de mars 2012 plus de 1000 Français ayant

l’intention de voter pour l’élection présidentielle. Très peu de Français s’informent des

évolutions de la campagne grâce aux sites internet des partis politiques (12%) ou à leurs

5 INSTITUT NETSCOPE-AMI OPINION TRACKER, "Quelques enseignements de la campagne sur

le web à J -2 avant le 2nd tour". [en ligne : http://netscope.fr/pdf/42.pdf]

6 « Social Media and Political Engagement », 19 octobre 2012, [En ligne :

http://pewinternet.org/Reports/2012/Political-Engagement.aspx]

10

réseaux sociaux (entre 2 et 3%). Ils jugent ces sources peu fiables. Seuls 7% des sondés jugent

les sites internet des partis comme une source fiable et une proportion dérisoire d’électeurs

(2%) estiment que Facebook et Twitter sont les sources d’information les plus fiables. Ceci

explique qu’une infime minorité des sondés juge nécessaire d’afficher ses opinions sur ces

réseaux ou de s’abonner aux réseaux sociaux des candidats. On remarquera surtout la

proportion de 85% des sondés qui déclarent n’avoir fait aucune des activités en ligne testées.

Quand il s’agit de mesurer l’engagement politique sur les réseaux sociaux, on ne peut se

contenter d’une approche quantitative absolue. Ainsi, si sur Facebook, N. Sarkozy écrase la

concurrence, il faut aussi vérifier que ce public qu’il a su agréger depuis sa précédente

campagne et sous son quinquennat est disposé à se mobiliser, à devenir actif.

Fans Fans actifs

Taux

d'engagement

Facebook

N. Sarkozy 594377 51076 8,60%

F. Hollande 79821 21471 26,90%

J.L Mélenchon 62260 38383 61,60%

M. Le Pen 51767 14048 27,10%

F. Bayrou 27745 6907 24,90%

E. Joly 19401 4056 20,90% Nombre de fans et de fans actifs fin mars 2012 (étude Publicis Consultant - Net Intelligenz, avril 2012

7)

Le nombre de fans actifs correspond au nombre de fans ayant publié un commentaire, un post

ou ayant partagé ou « liké » un post (ici entre le 1er février et le 31 mars 2012, ce qui n’est

donc qu’une exigence assez minimale) sur la page d’un candidat ou de son parti ou à partir de

cette page à destination de ses amis. En rapportant le nombre de fans actifs au nombre total de

fans, on obtient donc ce que nous proposons d’appeler un taux d’engagement Facebook. À

l’aune de ce critère, on constate dans le graphique ci-dessous que la hiérarchie s’inverse. N.

Sarkozy qui était en tête en valeur absolue, se retrouve dernier en pourcentage, au profit de

J.L. Mélenchon qui possède la communauté la plus active, la plus militante. M. Le Pen et F.

Hollande arrivent derrière. La chef du FN dans une logique de compensation relative (pas

beaucoup de fans, mais plus d’un quart est actif), F. Hollande dans une logique médiane, bien

à son image (un nombre moyen de fans et de fans actifs)

7 http://dl.dropbox.com/u/17447887/netintelligenz-facebook-election2012.pdf

11

Hiérarchie des comptes Facebook des principaux candidats entre février et mars 2012

On le voit, l’engagement Facebook reste encore peu pratiqué en France, mais le phénomène

s’est enclenché durant cette présidentielle, et on voit mal comment cet activisme politique par

simples clics n’irait pas en s’accroissant à l’avenir. Il en va de même pour la recherche

d’informations de campagne. Lorsque l’on demanda aux Français8, fin mars 2012, de citer les

deux premiers vecteurs d’information sur la campagne présidentielle, la télévision est restée

largement en tête, avec 74% devant Internet (40%) et la radio (34%). Questionnés sur leurs

pratiques politiques sur Internet, 36% des sondés vont au moins une fois par semaine ou tous

les jours rechercher des informations sur l’actualité politique, 20% affirment visionner des

vidéos humoristiques sur la politique, confirmant l’usage sarcastique de ce support, 11%

affirment transférer des informations sur l’actualité politique à leurs proches via le mail ou les

réseaux sociaux, 10% seulement visitent le site d’un parti ou d’une personnalité politique et

8% commentent l’actualité politique sur Facebook et/ou Twitter. Dans cette enquête, une

minorité (13%) peut être considérée comme très active politiquement puisqu’elle cumule au

moins trois des activités citées chaque semaine. Cette minorité active est dès lors mobilisée

sur les réseaux sociaux, qui apparaît comme le véhicule idéal de leur engagement numérique :

un tiers ont un compte Twitter, la moitié commente l’actualité sur ses réseaux sociaux, 55%

rediffuse de l’information politique sur ses réseaux.

Parmi les pionniers de l’engagement politique sur les réseaux sociaux, certains savent

s’organiser pour agir. Il se crée ainsi sur Twitter des communautés virtuelles reliées

provisoirement par un hashtag, véritable outil de coordination servant à construire un fil

conversationnel critique, sur un événement ou un thème précis. Ce mot-clé relie ensemble des

individus qui ne se connaissent pas, qui ne se suivent pas forcément les uns les autres. C’est la

8 « La webcampagne 2012 », sondage CSA pour l’Observatoire Orange – Terrafemina, réalisé fin mars

2012. Voir aussi les résultats de l’enquête Présidoscopie, notamment : Thierry Vedel, « Processus

d’information des électeurs et suivi de campagne : le paradoxe des campagnes électorales », in P.

Perrineau (Dir.), La Décision électorale en 2012, Paris, Armand Colin, pp. 59-68.

0123456

N. Sarkozy

F. Hollande

J.L Mélenchon

M. Le Pen

F. Bayrou

E. Joly

Hiérarchie Fans

Hiérarchie Fans actifs

Hiérarchie taux d'engagement Facebook

12

force de cet outil de coordination sociale que d’établir des ponts entre des gens qui s’ignorent.

« Chaque utilisateur participant à une conversation forgée par un hashtag possède le potentiel

d'agir comme un pont entre la communauté hashtag et son propre réseau de followers »9. Il

existe donc des situations sociales où le hashtag permet de construire ce que Bruns et Burgess

nomment « des publics ad hoc » que nous qualifierons plutôt ici de « communauté interactive

en ligne », donc formant une « communautés d’intérêts », au sens de Licklider et Taylor10

.

« Ces communautés se composeront de membres géographiquement séparés, parfois

regroupés en petites grappes et parfois travaillant seuls. Ils seront des communautés non de

lieu partagé, mais d'intérêt commun. (...) Tous vont être reliés entre eux par des canaux de

télécommunications. L'ensemble constituera un réseau labile de réseaux en constante

évolution, à la fois dans le contenu et la configuration ». Le hashtag agit alors comme un

« énoncé performatif » au sens d’Austin, puisqu’au-delà de la réalité que le mot-clé désigne, il

vise au même moment à agréger un public d’usagers de Twitter, à les construire en une

éphémère communauté d’intérêts numérique mais qui peut se révéler active le temps du débat

ainsi lancé. En ce sens, « le réseau Twitter est à la fois réel et imaginé. Il est réel parce que les

participants interagissent, en particulier entre pairs. Il est imaginé parce qu'ils ont un certain

sens de la communauté, de l'engagement interpersonnel »11

.

Twitter peut donc être approprié comme un outil de prise de parole dans un micro-espace

public afin d’y porter une voix contestataire. Twitter est utilisé par une frange très active de

citoyens mobilisés, pour créer et/ou diffuser : des propos militants de soutien ou de

dénonciation (souvent virulente) ; des interpellations à destination des politiques pour mettre

en évidence leurs contradictions ; des interpellations critiques sur le travail journalistique ; des

envois de questions aux rédactions ; des commentaires personnels décalés souvent avec mise

en dérision de la politique. On se propose de parler « d’aclictivisme », pour désigner ces types

d’activistes en ligne, qui en quelques mots, dessins, photomontages ou autres détournements

graphiques, diffusés sur leurs réseaux, aspirent par effet ricochet, à toucher des dizaines de

milliers de personnes qu’ils ne connaissent et à participer ainsi au combat d’influence

électorale.

Bien sûr, comme plusieurs formes d’activité politique en ligne, ces participants sont plus ou

moins investis et peuvent, pour certains, prêter le flanc à une critique émergente de

« slacktivism », mot-valise formé de slacker : fainéant, et activism pour activisme politique, et

qui désigne des formes d’engagement apparent en ligne qui n’auraient en fait que de peu

d’effet politique car peu impliquantes. Il est vrai que de programmer sur son fil Twitter un

mot-clé et recevoir ainsi tous les messages contenant ce hashtag n’a rien d’impliquant. Le fait

de soi-même envoyer des messages en sachant que tous ceux qui suivent ce hashtag pourront

9 Bruns, Axel, Burgess, Jean E., “The use of Twitter hashtags in the formation of ad hoc publics”, 6th

European Consortium for Political Research General Conference, 25-27 August 2011, University of

Iceland,Reykjavik. [En ligne : http://eprints.qut.edu.au/46515/] 10

J. C. R. Licklider, R. Taylor, « The Computer as a Communication Device », Science and

Technology, April 1968. 11

Anatoliy Gruzd, Barry Wellman, Yuri Takhteyev, "Imagining Twitter as an Imagined Community",

American Behavioral Scientist, 2011 55 (10), 1294-1318.

13

le lire (parfois plusieurs dizaines de milliers de personnes) l’est déjà plus. Surtout si c’est pour

formuler des commentaires critiques, pour relayer des informations complémentaires à un

propos politique tenu en direct. Et bien sûr, des hacktivists peuvent librement se greffer à une

telle communauté virtuelle, pour y faire passer leurs messages engagés, contestataires voire

virulents. La dimension contestataire de Twitter est d’autant plus intéressante pour des

activistes que, comme le rappellent Bruns et Burgess, « la nature ascendante (« bottom-up »)

de Twitter comme espace de communication » se confirme par « l'incapacité des acteurs

institutionnels [« mainstream media organisations, politicians, industry, and other ‘official’

interests »] à canaliser efficacement ou à dominer la conversation ». Car même si des

journalistes, des hommes politiques, des chercheurs viennent se mêler au fil hashtag, ils

n’apparaissent que comme un énonciateur parmi d’autres, leurs messages ne s’insérant dans la

conversation qu’au nom du principe chronologique de la date d’envoi. Aucun marqueur pour

les différencier, les rendre plus visibles. Seul un succès dans le nombre des reprises (les

retweets) peut aider à les rendre pour finir un peu plus visibles en cas de recherche à

posteriori. A ce jeu, ce ne sont pas toujours ceux qui bénéficient à priori d’une parole

autorisée qui s’en sortent le mieux et sont les plus repris. Le hashtag se révèle un formidable

outil de désintermédiation et de nivellement des statuts pour la prise de parole publique.

L’abonné au mot-index, reçoit sans tri préalable, sans aucun principe de hiérarchisation, tous

les tweets émis. Que ces derniers soient le fruit de bloggeurs identifiés, de particuliers, de

parfaits inconnus anonymes s’exprimant sous avatar, ou de journalistes plus ou moins

identifiables, de rédactions identifiées, d’experts ou d’acteurs concernés. Le succès de certains

de ces mots-clés conduit en effet les internautes ayant une autorité sociale reconnue à

rejoindre ce flux. Et quand certains auteurs de tweets n’ont pas pensé à sigler leur message

avec un hashtag, il arrive fréquemment qu’un internaute ajoute le hashtag lors de son retweet,

l’insérant ainsi dans le flux global et balisé. Ajoutons que « le rôle des hashtags est [aussi]

d’exposer les usagers à des contenus qu’ils n’auraient sans doute pas choisi par avance »12

puisqu’on n’est jamais certain des opinions et intentions de tous les émetteurs utilisant un

hashtag donné.

Pour mieux comprendre ce qui a pu se passer sur le réseau Twitter durant cette élection, nous

allons étudier le cas exemplaire du hashtag Radiolondres.

3° Le succès contestataire du #Radiolondres

Comme son nom l’indique, ce hashtag (symbolisé par le signe : #, sur les réseaux sociaux)

veut incarner un esprit de « résistance ». (cf. article qui décrit l’origine du terme). Une telle

démarche collective vise à faire vivre un idéal libertaire auquel est associé depuis l’origine le

web 2.0, avec une dimension de « médiactiviste » et « d’internet militant »13

.

12

M. D. Conover, J. Ratkiewicz, M. Francisco, B. Goncalves, A. Flammini, F. Menczer, « Political

Polarization on Twitter », conference paper for the Association for the Advancement of Artificial

Intelligence, 2011, p.7.

[En ligne : http://truthy.indiana.edu/site_media/pdfs/conover_icwsm2011_polarization.pdf] 13

Dominique Cardon, Fabien Granjon, Médiactivistes, Paris, Presses de Sciences-Po, 2010.

14

Par la magie de la démocratie basiste d’Internet, trois militants vont donner corps à un mot qui

va ensuite faire florès et devenir l’un des hashtags les plus populaires en France pendant toute

la séquence électorale, et va sans doute même rester pour les élections à venir. En 4 tweets

tout a été dit : l’un lance à son réseau l’idée de choisir un mot-clé. Un autre répond, un

troisième fait une contreproposition et le deuxième surenchérit sur le troisième, en proposant

une formule inspirée par lui.

Quand on cherche les traces de ces internautes sur leur profil Twitter ou sur leur blog, aucun

ne fait mystère de son militantisme à gauche. Le premier, Marc Vasseur, sur son profil

Twitter se présente comme « ancien élu socialiste » dans le Nord et son avatar est la très

reconnaissable photo de Pierre Mendès-France. Le premier à lui répondre, Guy Alain

Bembelly ne fait pas mystère non plus de ses attaches à gauche sur son blog politique.

D’ailleurs sa suggestion de hashtag « c’est fait » sonnait comme un soulagement. Et le 17 juin

il salue sur son blog la victoire de la gauche aux législatives par un titre similaire : « ça c’est

fait ». Son avatar (le chevalier de Saint George, esclave affranchi de Guadeloupe, musicien,

homme d’armes proche des milieux abolitionnistes durant la Révolution) ne laisse là aussi

aucun doute. Et le jeune animateur culturel Rémi Sabau se dit lui aussi explicitement

« socialiste » sur son profil Twitter. Marc Vasseur a 3600 followers, alors que les deux autres

en ont moins de 1500. Ils ne sont donc même pas des prescripteurs d’opinion patentés sur

Twitter. Mais ce réseau social est ainsi fait que ces trois militants inconnus vont créer un mot

que les autres usagers vont s’employer à populariser, au point que les journalistes, politiques

et autres paroles légitimes à priori devront suivre et s’insérer dans le trafic généré par ce fil,

s’ils veulent être vus les jours de scrutin. Le 22 avril, ce hashtag a généré plus de 1800 tweets

par heure. Ce qui permet à Sabine Blanc, journaliste du site d’information activiste Owni.fr,

de se réjouir sur son fil Twitter : @sabineblanc On a dit que le numérique était absent de la

campagne… jusqu’à ce #Radiolondres qui fait exploser des règles obsolètes et absurdes.

D’autres bloggeurs militants vont ensuite entrer dans l’arène pour déterminer ce que l’on va

s’y dire et surtout comment on va faire preuve d’esprit de résistance, au sein de cette

communauté d’intérêts électorale. Il s’agit d’une part de braver les interdits pesants de la loi

électorale sur l’impossibilité de dévoiler - avant 20h et la fermeture de tous les bureaux de

vote - la moindre information disponible sur les résultats du scrutin ; l’autre objectif est de

15

célébrer la défaite attendue et espérée de Nicolas Sarkozy (sans doute plus d’ailleurs que la

victoire de François Hollande). Du coup, la régulation interne s’organise autour de débats sur

le choix de formules propres à être reconnues par les initiés de Twitter pour annoncer des

résultats tout en ne le disant pas explicitement.

Et dès le début, on constate que les énoncés se veulent humoristiques et même sarcastiques.

Christophe Grébert (le fameux bloggeur de Monputeaux.com, poursuivi en justice par son

édile) se mêle ainsi à la conversation entre gens de gauche pour dire que quel que soit le

« grand » candidat arrivé en tête, ce sera selon lui une catastrophe.

La motivation des twittos de se brancher sur ce hashtag reposa fortement sur l’idée de braver

un interdit, jugé, en plus, stupide et archaïque, puisque les sites de la presse francophone

limitrophe annonceront les premières estimations électorales une heure et demi avant la fin de

l’embargo. Et l’apport fut souvent contributif, puisque le hashtag a viré au concours de

blagues (plus ou moins potaches) ou de poésie (plus ou moins inspirée). Voici des extraits

significatifs de ce qui a pu circuler au premier ou au second tour :

16

Les médias d’information et journalistes professionnels se joignent au mouvement et font, peu

ou prou, œuvre de briseurs de loi. C’est singulièrement le cas des journalistes francophones

suisses et belges, qui ont communiqué les données chiffrées en leur possession dès le milieu

de l’après-midi, en établissant des liens avec leurs sites (qui seront d’ailleurs saturés face à

l’afflux de visiteurs RTBF, Le Soir, Le Temps, La Tribune de Genève & la RTS, pour

l’essentiel).

17

Des journalistes français se contentent de faire savoir qu’ils savent. Aux Inrocks, Pierre

Siankowski se contente d’un laconique « Bon j’ai les résultats c’est chaud ». On est loin du fil

RTBF info : #premiersrésultat sondages sortie des urnes : #Hollande serait en tête devant

#Sarkozy (avec un lien vers le site). D’autres journalistes français s’y essaient également mais

souvent de façon plus déguisée ou allusive.

@B_Roger_Petit Première estimation fiable : la tête d’Eric Brunet sur #Bfmtv, auteur

de Pourquoi Sarko va gagner

@Atlantico_fr Tiens, la police vient de fermer la place de la Bastille…

Ensuite, selon un effet boule de neige bien connu, le succès du mot-clé et la constitution d’une

communauté éphémère de plus en plus large, ont conduit les internautes à s’y fondre pour

observer, rire, s’informer. Comme il est d’usage, dès lors qu’une clé d’entrée auprès du public

est découverte, des passagers clandestins s’en emparent. Certains ont utilisé ce hashtag en le

détournant de son esprit pour en faire un support publicitaire pour ses analyses sur l’élection,

la politique en général. Assurés dès lors d’avoir une tribune populaire élargie, nombreux sont

les ralliés qui ont affiché des discours de soutien aux candidats ou de dénigrement d’autres.

C’est ainsi que l’UMP rejoint le fil hashtag initié par des militants de gauche.

L’engagement sur le #radiolondres a pu être vécu comme un acte citoyen, une façon de

revendiquer et de contribuer à faire sauter une digue devenue vermoulue et percée, celle de

l’interdiction d’évoquer les premières estimations avant 20h. Il s’est joué là une querelle des

Anciens et des Modernes, autour de l’idée qu’Internet faisait exploser les codes et règlements,

et que c’était fort bien ainsi. Sentiment partagé par des anonymes, des experts ou des

journalistes.

18

D’autres s’insèrent dans cette communauté interactive en ligne pour dénoncer la couverture

médiatique de l’événement, le rôle des journalistes en général. L’autre forme de contestation

est une dénonciation de l’absurdité de ce qui se passe à la télévision avec l’interdiction faite

aux journalistes de divulguer quoi que ce soit. Les propos dans cette optique sont de deux

ordres. C’est la revanche d’Internet, Twitter étant présenté comme le média d’avenir, celui

qui domine la vieille télévision, d’un coup ringardisée. Ou bien, c’est la dénonciation de

l’hypocrisie ou de la gêne des journalistes de télévision qui meublent l’antenne avec des

inepties ou qui font passer des messages subliminaux ou très implicites, cherchant à violer

l’embargo légal sans se faire prendre. De simples citoyens s’y emploient :

@Manny_Lectro Une horde de militant PS hurlent « On a gagné ! » Le journaliste dit

« L’excitation monte au fur et à mesure de l’attente ». LOL #Radiolondres

@Naivlys Il y a une certaine forme d’hypocrisie : on nous montre une Concorde vide

et une Bastille pleine. #Radiolondres #Onagagné

@oToulouse1 Regardez moi c connard de journalistes de la 2, ils ont el sourire

jusqu’aux oreilles. #Radiolondres

mais aussi des journalistes, critiques à l’égard de leurs confrères :

@CDestraque Ca me rappelle ma soirée municipale 2008 à la mairie de Metz

cachant une « surprise » à 19h30 avec des hurlements de joie derrière #ridicule

@MargauxBergey Pensées pour les confrères de télé qui doivent encore meubler

l’antenne pendant 45min alors qu’on connaît les résultats #Presidentielle

Surtout quand l’hypocrisie prend une tournure inédite, puisque l’AFP fait une dépêche sur les

estimations des instituts de sondage, mais demande à ses clients de ne pas en faire état en

nommant l’agence, et que d’autres médias du coup repoussent jusqu’aux limites le jeu de la

transgression. La pression mise par les usagers des réseaux sociaux est donc telle, que les

journalistes ont été amenés à transgresser eux aussi les règles, en essayant différentes

formules pour jouer avec les marges du tolérable, et ce durant les deux tours.

19

En même temps, les titres d’information qui avaient joué les bravaches, sont amenés à reculer,

face au rappel sévère du CSA à la loi et aux sanctions qui vont avec. Libération avait joué les

Matamore, annonçant à grand renfort de publicité que dès lors que les titres étrangers et les

internautes feraient circuler des données, il ferait de même. Finalement par un long message,

son directeur justifie une reculade complète :

« Nicolas Demorand, directeur de la rédaction de Libération, s’invite sur le live de Libé. Voici

son message :

“Nous vous avions donné rendez-vous à 18h30. (..) Nous devrions peut-être disposer d’ici 30

minutes environ des premières estimations que la loi nous interdit de publier. Le risque encouru

est au minimum de 375.000 euros pour une entreprise de presse, sans parler d’autres

conséquences économiques, réelles et sérieuses, qui fragiliseraient Libération. L’ensemble de

ces sommes nous semble disproportionné par rapport à l’intérêt d’une information rendue

publique à 20h. En vous donnant rendez-vous ce dimanche soir, nous souhaitions porter ce

débat sur la place publique. Et forcer les institutions à admettre leurs contradictions, au prix du

ridicule et de contorsions risibles. Au passage, se trouve engagé un vaste chantier qui incombe

aussi au législateur : repenser la structuration de ce qu’est l’espace public ; redéfinir ce qu’est

un média par opposition à une correspondance privée ; réfléchir au désormais large partage,

au-delà des seuls professionnels des médias, de la responsabilité de publier et de diffuser une

information”. »

Les commentaires acerbes n’ont pas manqué, notamment chez les confrères, comme celui du

Monde : @samuelLaurent Et voilà, le concours du « t’es pas cap » vient de se terminer.

Bravo la presse française, à dans 5 ans pour un nouveau psychodrame ds le vide. On retrouve

là un des usages de Twitter par les journalistes que nous avons mis en lumière14

, celui de

redresseur de torts au sein de la profession. Ils pointent les incohérences et donc les doutes

dont les informations issues de cette concurrence déloyale sont porteuses. Une polémique nait

ainsi sur l’existence ou pas de sondages sortie des urnes le jour du premier tour. Le blogueur

Erwan Gaucher recruté par France2 pour suivre la soirée sur les réseaux sociaux s’en fait

l’écho très vite : @egaucher Le débat commence, les estimations Ipsos données par @lesoir

ne sont pas celles qu’Ipsos donne ici… Sachant que les instituts de sondage eux-mêmes

communiquent sur Twitter pour nier toute participation à ce type d’enquête et donc se

désolidariser des chiffres qui traînent. Messages que nombre de twittos ont relayé sur le fil

#Radiolondres.

14

A. Mercier, « Twitter l’actualité : usages et réseautage chez les journalistes français », Recherches

en communication (Bruxelles), n°39 été 2013.

20

4° Affaiblir la persuasion politique par les commentaires collectifs : expérience de TV

sociale durant le débat de second tour

Durant les élections générales récentes de plusieurs pays occidentaux, on a pu observer avec

constance, que les pics de publications de messages sur les réseaux sociaux correspondaient

souvent aux émissions politiques mettant en jeu les principaux candidats, les réseaux sociaux

devenant en Australie15, aux Etats-Unis16 ou en Suède17 un outil approprié par des citoyens

intéressés par la politique pour commenter la parole politique ou suivre ces commentaires et

critiques en direct. La France a rejoint le mouvement en 2012, à l’occasion de la

présidentielle.

En effet, l’autre phénomène marquant de cette campagne sur les réseaux sociaux concerne la

formation de communautés d’intérêt numériques provisoires, le temps d’émissions politiques

avec les candidats. Les chaînes tendent à encourager leur audience à s’approprier les

programmes (surtout de divertissement) en les commentant sur les réseaux sociaux, via un

hashtag propre à l’émission, et souvent suggéré par la chaîne elle-même. C’est ainsi que

France 2 propose pour l’émission politique Des paroles et des actes, de commenter les

prestations avec #dpda. Ce fut aussi le cas pour la récente prestation télévisée du Président

Hollande. France télévision s’est même réjouie d’avoir été en tête de l’audience sur les

réseaux sociaux le 28 mars 2013, puisque entre 20:15 et 21:25, l’institut TvTweet a

comptabilisé 117.302 tweets, venant de 27.717 émetteurs différents, avec une moyenne de

1675 tweets /minute. Une bataille de hashtag s’est déroulée entre militants des deux bords.

Quatre hashtags se sont même disputés le podium du mot-clé le plus utilisé sur le fil Twitter

français.

15 A. Bruns, « Key Events in Australian (Micro-)Blogging during 2010 », paper presented at ECREA

2010, Hamburg.

[En ligne : http://www.slideshare.net/Snurb/key-events-in-australianmicroblogging-during-2010]

16 D. Shamma, L. Kennedy, E. Churchill, « Tweetgeist: can the Twitter timeline reveal the structure of

broadcast events ? », paper presented at the 2010 ACM Conference on Computer Supported Work,

Savannah, USA.

17 A. O. Larsson, H. Moe, « Studying political microblogging. Twitter users in the 2010 Swedish

election campaign », New Media and Society, August 2012, 14 (5), pp.729-747.

21

Hashtag Rang maximal

en France

Durée du

maintien à ce

rang maximal

(en minutes)

Nombre de

tweets

#StopHollande 1 230 32008

#SansHollande 1 110 8198

#entretien 2 130 20048

#AvecHollande 2 50 22875

Le commentaire en direct sur Twitter des émissions politiques (mais aussi sur les dispositifs

de couverture Live en ligne des journaux) est monté progressivement en puissance durant la

séquence électorale ouverte par les primaires socialistes de l’automne 2011. Une étude de la

Netscouade18

montre cette progression :

Et lorsqu’il s’agit de comptabiliser le nombre de tweets émis pendant la durée de l’émission,

on peut se rendre compte que la quantité est loin d’être négligeable, car un tweet émis est lu

par des dizaines, centaines ou milliers d’abonnés ou d’internautes inscrits au hashtag donné.

La Netscouade fournit là aussi des estimations instructives du phénomène :

18

« Présidentielle 2012 : débats télévisés + Twitter = TV augmentée », Netscouade.com, mis en ligne

le 2 mai 2012.

22

Ce phénomène est évidemment observable également aux États-Unis. En octobre 2012, le

PEW Research Center a ainsi interrogé les Américains qui ont regardé le premier débat entre

les deux prétendants. Il apparaît que 11% l’ont regardé en double écran, mais surtout un effet

génération est manifeste, puisque au-delà de 40 ans, on tombe à 1% alors que chez les 18-39

ans on double le score pour atteindre 22%. Différence qui est gage d’une extension de ces

pratiques à l’avenir.

Dans ce contexte d’usage croissant du regard en double écran, le débat présidentiel français

représente l’acmé de ce phénomène, puisque selon l’agence ZenithOptimedia, entre 19h et

minuit, le jour du débat, ce sont 237.000 tweets qui ont été émis en référence à cette émission.

Le chiffre est bien plus grand si on prend en compte tous ceux contenant le nom d’un des

deux candidats : 680.000 (mais attention, un certain nombre pouvaient contenir les deux noms

à la fois), TNS Sofrès, avec ses partenaires, en compte même 725.000 contenant le nom d’au

moins un des deux candidats. Ces données démontrent que l’on atteint un niveau suffisant

pour pouvoir le considérer comme un phénomène de masse, avec plus de 90.000 émetteurs

différents, et ce d’autant que les messages circulent aussi sur Facebook, qui possède bien plus

d’abonnés que Twitter.

23

Beaucoup de ces tweets étaient des actes de soutien ou des critiques destinés à l’un ou l’autre

des candidats. Deux hashtags concurrents ont construit la communauté d’intérêts numérique :

#Ledébat ou #débat, avec des fortunes diverses. Mais un nouvel hashtag est apparu, pour

renouer avec une version plus subversive et affirmer sa radicalité de militant Internet

(#autredebat) face à des hashtags jugés trop neutres qui agrègent trop d’acteurs, y compris

institutionnels. Les hashtags du débat ont souvent été talonnés dans le palmarès des usages de

de deux fils concurrents, #voterHollande et #voterSarkozy ou #avecSarkozy.

Puis, un hashtag a fait florès durant l’émission, pour soutenir F. Hollande ou s’en moquer, de

la part de simples citoyens, de personnalités ou de journalistes : #moiprésidentdelarepublique.

@cecile2menibus Grand jeu concours ! Combien y avait-il de

#moiprésidentdelarepublique ?

@ctricot #moiprésidentdelarepublique je raccourci la durée voyage Terre-Mars

#ledebat

@Sneazzy1995 Si il repète #moiprésidentdelarepublique je quitte la France.

@nicolasvoisin Merde, François a eu une punition, il doit répéter 466 fois ‘moi

président de la République » ! #Ledebat

24

De façon générale, on peut remarquer une forte tension entre internautes de gauche et de

droite, avec un usage régulier de termes péjoratifs pour qualifier l’adversaire : « nain »,

« nabot » pour l’un, « flanby » pour l’autre, soulignant ce qui serait sa mollesse et son

inconsistance. Une partie des commentaires est donc une dénonciation des traits de

personnalité du débattant, jugé souvent menteur, agressif ou incompétent et pas la hauteur de

l’enjeu ou de la fonction. Les réseaux sociaux servent à cet égard d’exutoire pour exprimer

crument ses convictions, sans s’interdire les invectives ou des rappels très défavorables au

passé politique des candidats. On observe aussi souvent une posture de mise en dérision des

candidats et de la politique en général. Il s’agit de s’exprimer librement en espérant trouver

une tribune élargie grâce à son insertion dans le flux du hashtag.

@bruno_walther Hollande offre des iPad aux collegiens, sarkozy offre des epad mais

uniquement pour son fils #ledebat.

@MemePasGrave Oups. Sarkozy favorable au droit de vote des étrangers en 2005 (+

URL YouTube) #Ledebat

@Authueil Mais arrêtez donc avec ces querelles de chiffres… On ne demande pas à

un président d’être un technocrate #autredebat.

@descoursdenis Je tiens à prévenir Sarkozy : s’il faut faire des tests de français pour

entrer en France, il aura du mal à revenir. #VoteHollande #LeDebat

@narvic #Ledebat Normalement on dirait juste que le match est... nul. Mais vu

comment Sarkozy annonçait le blitzkrieg : c’est clair, il se rétame !

Et comme la force de Twitter réside dans l’aptitude qu’il donne de prendre la parole tout de

suite, sans avoir besoin du relais médiatique, en comptant sur les internautes pour relayer, on

a pu voir des acteurs mis en cause dans le débat intervenir pour s’expliquer directement. Ce

fut le cas de Mathieu Pigasse dont le message fut rapidement retweeté avec hashtag :

Selon l’étude TNS Sofrès, Sopra Group & Vigiglobe, pour chaque candidat la proportion des

jugements accompagnant les messages est quasi identique : les deux-tiers sont qualifiés de

neutres, 10% s’accompagnent de jugements laudatifs, et environ un quart sont négatifs.

Les journalistes actifs sur le réseau social furent aussi présents pour commenter en direct

l’événement. Le compte Twitter @YMobActus qui recense les journalistes français présents

sur ce réseau, a publié, au soir du débat, deux statistiques instructives à partir de sa base de

25

données : plus du tiers des journalistes de sa base, soit 1034 étaient connectés le soir du débat,

et ils ont publié 3153 messages. Pour certains journalistes, il s’agissait surtout de suivre ce

que les internautes disaient et de s’en servir comme une sorte de pouls de l’opinion, en direct,

avec l’idée de produire pour leur site un tableau d’honneur des meilleurs messages publiés.

Ces journalistes se livrent alors sur Twitter à un exercice de méta commentaire sur ce qui se

passe sur Twitter. Plusieurs liens vers des articles sont postés pour relater ce qui est en train

de s’y passer ou pour souligner a postériori l’inventivité verbale des tweetos, mettre en

exergue ceux qui ont fait preuve du plus d’humour, d’esprit, de causticité... On peut proposer

une sélection de messages laissés durant le débat sur Twitter pour approcher les différents

types de messages journalistiques. Il faudrait aussi parler du fact checking, le contrôle en

direct de la véracité des propos des candidats, autre innovation importante de cette campagne,

mais cela excèderait le cadre de cet article.

Typologie des commentaires de journalistes publiés sur Twitter durant le débat présidentiel

Types de

commentaires Les tweets

rédaction

de

l’auteur

du tweet

Critique en

direct de la

rhétorique ou

de la posture

des acteurs du

débat

@ArLeparmentier #Hollande domine le débat face à

un #Sarkozy nerveux (+URL vers Le Monde.fr) Le Monde

@SalahShou Sarkozy qui balance DSK à ce moment

du débat, c’est comme un joueur qui tente une frappe

de 57m avec son mauvais pied à la 93ème. #LeDebat

Télé Sud

@C_Barbier Sarkozy a gâché la cartouche DSK… L’Express

@paulac Hollande donne l’impression d’être le

président en place et Sarkozy d’être le petit nouveau Huffington

Post

@siankowski Hollande est autoritaire comme un

libéro de Bundesliga Les Inrocks

@marclandre Nicolas Sarkozy donne trop de chiffres

et ne parle pas assez aux gens, contrairement à F.

Hollande… #ledebat

Le Figaro

@amauryguibert Mais pourquoi Nicolas Sarkozy n’a

pas interrompu François Hollande dans son monologue #moipresidentdelarepublique ?

France 2

@egaucher Joli coup de N. Sarkozy sur « Mitterrand

aurait pu vous confier des responsabilités, ça vous

aurait familiarisé » #lautredebat #ledebat

Blog &

France 2

@marclandre Nicolas Sarkozy marque 1 point sur les

centres de rétention et F. Hollande dans un corner en

évoquant sa lettre à France terre d’asile

Le Figaro

@Poussielgue #Ledebat PAS UN MOT SUR LE

CHANGEMENT CLIMATIQUE… ou presque…

Apparemment ce n’est plus à la mode !

Les échos

26

Bilan du

débat à la

façon d’un

match de

boxe

@nicodomenach Qui déjà avait dit que Hollande

allait "être pulvérisé... atomisé... explosé"?

Marianne

@RenaudDely je ne suis pas tout à fait sûr que N.

Sarkozy ait, comme il l’avait annoncé, « explosé » ce

« nul » de F. Hollande…

Nouvel

Observateur

@gammaire Sarkozy est out, KO, sonné #ledebat

Hollande montre une maîtrise impressionnante

indépendant

@edwyplenel Un Sarkozy perdant et perdu, un

Hollande battant et digne. A nous tous de faire le

reste : refonder la République et relever la France.

Mediapart

Sarcasmes

sur les

candidats ou

le dispositif

du débat

@Bruce_Toussaint C’est la faute aux Zipads !

#LeDebat Europe1

@davdu #leDebat. Dédé, GENIAL, ce plan de la table

vue haut. Tu peux le refaire ? indépendant

@benoitraphael Je rêve ou Hollande vient de bailler

? #ledebat indépendant

@Garriberts Ah, il y a le grec-frite qui vient de

remonter chez Hollande. #Ledebat

Libération

Mais les débatteurs ne sont pas la seule cible des commentaires, soutiens ou critiques. Parmi

les cibles des aclictivistes qui commentent le débat en direct, figurent en bonne place les

journalistes. On retrouve là un usage initial du militantisme sur Internet. Il s’est construit

précisément contre les médias dominants et a toujours fédéré des internautes qui

revendiquaient l’expression d’une parole alternative, puisque les médias grand public sont

accusés de confisquer l’espace public et de censurer les paroles divergentes et critiques. Les

Twittos rivalisent d’esprit pour proposer un bon mot qui rabaisse les deux « animateurs » du

débat qui, tout le monde le constate, brillent en fait par leur effacement face aux candidats.

@ElsaMazone Il faut être quoi pour être journaliste sur TF1, un bafa ?? #LeDebat

@Fredzone Je crois que Laurence Ferrari joue à Angry Birds Space #LeDebat

@sprykritic Temps de parole à 22h13 : F. Hollande : 32:00 N. Sarkozy : 31:17 D. Pujadas :

00:46 L. Ferrari : -02:52 #LeDebat

@NicolasBedos Laurence Ferrari vient de finir 16 pages de Sudoku

@michelhenrion Pour sauver Laurence, tapez1. Pour sauver David, tapez 2. #leDebat

Et Bastien Kerspec, webdesigner, crée pendant le débat un détournement d’affiche qui

connaîtra un vrai succès, ayant été retweeté plus de 350 fois. Il fait circuler sa production via

son fil Twitter. @Kastien L’affiche du film muet de l’année : The Journalists avec David

Pujadas et Laurence Ferrari #LeDebat. Jalal poste depuis son compte Twitter @Djal4real

cet autre détournement ironique, tournant en dérision un support de diffusion médiatique pour

se moquer des journalistes :

27

De façon générale, la contestation sur Internet se fait volontiers graphique, ce qui n’est pas

sans rappeler l’effervescence des affiches et tracts de mai 68. Et cela se fait de façon

extrêmement réactive. Ainsi, lors du débat est créé par un jeune internaute de 20 ans

(@seriousCharly), un compte Tumblr pour y déposer ses propres détournements graphiques

et pour inviter ceux qui le veulent, à lui fournir leur création pour publication centralisée sur

http://ledebat.tumblr.com (les deux détournements ci-dessus en proviennent). Les outils

créatifs numériques (dessins, retouche photos, vidéos montages…) et le fonds d’archives

ouvertes qu’Internet offre comme ressources, facilitent grandement un tel investissement

graphique pour exprimer sa contestation. Et le succès est sensible, puisque cette initiative va

générer une conversation sur le fil Twitter en général et via le #Ledebat.

28

Conclusion : vers un « social network turn » ?

La technologie de télévision connectée est déjà prête et les chaînes, de par le monde,

s’exercent déjà à développer le commentaire en direct sur les réseaux sociaux de leurs

programmes, essentiellement de fiction et de divertissement. Les postes de télévision vont

donc offrir de plus en plus, au fur et à mesure du renouvellement du parc des téléviseurs, des

écrans scindables où l’image sera accompagnée en latéral d’un accès possible à ses réseaux

sociaux, pour partager avec ses proches ou une communauté d’intérêts numérique provisoire,

ses avis et opinions sur le programme regardé. L’expérience de téléspectateur est donc

amenée à être renouvelée en profondeur quand cette possibilité sera devenue un usage régulier

voire généralisé. On voit l’utilité commerciale que les chaînes peuvent en tirer. Cela

renouvelle en effet le vécu de téléspectateur et évite la concurrence d’un second écran, source

de déperdition d’audience, puisque le téléviseur accueillera les deux écrans. Cette télévision

enrichie, combinant programmes et commentaires de ses communautés, est une source

potentielle de maintien de la télévision dans sa position de fédératrice d’audiences. Twitter est

en effet associé à « de nouvelles voies sur lesquelles une partie de l’audience des medias se

mobilise et interagit avec ceux qui font le contenu des medias »19

,

Ce qui est vrai pour la télévision comme dispositif technique ne l’est pas en revanche pour la

parole politique médiatisée. Le commentaire live (plus encore s’il est doublé par des

dispositifs de fact checking journalistiques) est un potentiel puissant outil de subversion des

tactiques marketing et rhétoriques. La parole politique est alors contestée au moment même

où elle est émise. Dans un cadre de partage collectif de l’esprit critique, selon une logique

d’égalisation de la légitimité à prendre la parole et sans pouvoir contrôler le flux créé par les

hashtags (sauf peut-être en les saturant de messages partisans de soutien ou de dénigrement

des adversaires), la parole politique est soumise à une nouvelle épreuve de désacralisation,

subissant des procès en délégitimation par le biais de l’injure numérique, de la critique

factuelle, de la confrontation aux actes ou propos passés, de la contre-argumentation, de la

réinterprétation ou de la dérision. On peut dès lors parler de la mise en place des conditions

d’un tournant majeur dans la façon de réceptionner la parole politique à la télévision, ce que

nous appellerions volontiers le « social network turn ». Ce tournant, nous dit Dominique

Cardon, « se caractérise par une ouverture de l’espace d’interprétation des informations à un

cercle élargi d’usagers actifs du Web et des réseaux sociaux. Si l’affirmation des subjectivités,

le relâchement des formes énonciatives, la ludification de l’information, l’humour et la

distanciation cynique, la rumeur et la provocation, etc., sont en train de devenir des tendances

centrales du rapport à l’information, l’exigence de véracité et la quête de nouvelles données

ne cessent aussi de se renforcer »20

.

19

Ruth Deller, « Twittering on: Audience research and participation using Twitter », Participations.

Journal of audience & reception studies, Vol.8, (1), may 2011, p.237.

20 Dominique Cardon, « Jusqu'où va la démocratie sur Internet ? », nonfiction.fr, 7 juillet 2011, p.6.

[http://www.nonfiction.fr/article-4832-

jusquou_va_la_democratie_sur_internet__interview_de_dominique_cardon.htm]

29

Sans verser dans l’idéalisation d’une intelligence collective rendue évidente grâce à Internet et

aux réseaux, on peut cependant noter que l’économie de partage des commentaires dans

laquelle on rentre, donne vie à l’idée d’innovation ascendante défendue par Eric Von

Hippel21

. On voit des nouveaux usages apparaître, des dispositifs être critiqués ou subvertis, et

des paroles profanes accéder au rang de parole légitime, partagée et reprise. Deux

politologues autrichiens en ont fait la démonstration dans leur analyse des usages politiques

de Twitter dans leur pays. « Les citoyens privés, notamment les blogueurs, apparaissent aux

côtés des journalistes et experts politiques en tant que relais centraux d'information et

connecteurs entre sous-réseaux sur des sujets spécifiques. Nous appelons ces acteurs, des

‘autorités de niche’ »22

.

Et en France, en s’aidant de l’outil d’analyse des audiences internet, Topsy, un journaliste a

établi le palmarès des 3 messages politiques Twitter les plus rediffusés23

entre le 1er

janvier et

le premier tour de scrutin. Ce palmarès est intéressant car il montre que les citoyens et

personnalités de la société civile arrivent bien avant les candidats, attestant du profil très

bottom-up de ce qui circule et plait sur les réseaux sociaux. Arrive en tête avec plus de 2000

retweets, un webmaster-webdesigner, Christophe Général qui raille N. Sarkozy début janvier,

en s’associant à l’information qui faisait le buzz, l’arrivée de Free dans la téléphonie mobile à

prix cassé : @christophegen #Free vient de faire plus pour le pouvoir d’achat en 5 minutes

que Nicolas #Sarkozy en 5 ans… En deuxième, on trouve, avec plus de 1500 retweets, le

secrétaire général de l’association anticorruption Anticor qui s’indignait le 25 mars des

amalgames xénophobes, en meeting, de Marine Le Pen : @pprevert Marine Le Pen :

« combien de Mohamed Merah dans les bateaux qui arrivent chaque jour en France ? » Il est

né à Toulouse, abrutie. Enfin, le troisième message le plus rediffusé (1400 retweets) doit

beaucoup à son auteur, artiste très connu. Le 15 avril Jamel Debbouze se félicite des propos

de J. L Mélenchon : @debbouzejamel Notre chance c’est le METISSAGE ! C’est la phrase la

plus censée que j’ai entendu depuis longtemps en politique ! BRAVO !

On notera aussi que plusieurs commentateurs et journalistes ont choisi pour résumer le débat

présidentiel de se référer à un tweet émis par un père de famille citant son enfant : @sknob

Mon fils : « Sarkozy, premier homme à se casser les dents sur un flanby ! » #LeDebat

#VoteHollande. Sortis vainqueur de leur bataille avec les journalistes pour la maîtrise de la

médiatisation, les communicants devront donc sans doute trouver de nouvelles stratégies face

à l’émergence de ce social network turn qui risque fort de modifier le schéma du two-step-

flow of communication et le jeu de la persuasion politique, en introduisant de nouveaux

influenceurs dans le jeu et en modifiant les conditions de réception critique du discours

politique médiatisé.

21

Eric Von Hippel, “Open Source Projects as Horizontal Innovation Networks - By and For Users”,

june 2002, MIT Sloan Working Paper, n°4366 (2). [En ligne: http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.328900] 22 Julian Ausserhofer & Axel Maireder, “National politics on Twitter”, Information, Communication &

Society, 16 (3), 2013, p.305. 23

Paul Larroutourou, “Les trois tweets les plus retweetés de la campagne”, Le LabEurope1, 26 avril

2012.