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RegaRds cRoisés suR les outils liés au tRavail des végétaux. an inteRdisciplinaRy focus on plant-woRking tools.XXXIIIe rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’AntibesSous la direction de P. C. Anderson, C. Cheval et A. DurandÉditions APDCA, Antibes, 2013
Le travail du bois au Paléolithique moyen : nouvelles données issues de l’étude tracéologique de plusieurs industries lithiques d’Europe occidentaleÉmilie Clauda, Céline ThiébauTb, Aude Coudenneauc, Marianne desChampsb, Vincent mourred et David Colongee
RésuméLes modalités d’acquisition et d’exploitation du bois végétal mises en œuvre au Paléolithique moyen sont mal connues du fait, en partie, de la mauvaise conservation des matières organiques. Nous proposons une synthèse de nouvelles données obtenues à la suite de l’étude tracéologique d’une quinzaine de séries, en silex et en quartzite, d’Europe occidentale. Elles révèlent notamment un faible taux d’outils utilisés pour le travail du bois. Nos résultats sont discutés et comparés aux autres études tracéologiques, plus anciennes ou contemporaines, menées sur la même période.Mots clés : tracéologie lithique, expérimentation, travail du bois, Paléolithique moyen.
AbstractPatterns of wood procurement and use are poorly known for the Middle Paleolithic period partly because organic remains are rarely preserved. We propose a synthesis of new data obtained from a use -wear study of nearly fifteen collections of flint and quart-zite artifacts from several sites in Western Europe. We show that a low rate of tools and flakes could have been used for woodworking. Our results are discussed and compared with those of former and recent usewear analyses from the same time period.Keywords : lithic use-wear analysis, experiments, woodworking, Middle Palaeolithic.
a. Inrap et UMR 5199 PACEA ; Inrap GSO ; Centre d’activités Les Échoppes ; 156 Avenue Jean Jaurès ; 33600 Pessac, France.b. UMR 5608 TRACES ; Maison de la recherche ; 5 allée Antonio Machado ; 31058 Toulouse cedex 9, France.c. UMR LAMPEA ; Maison méditerranéenne des Sciences Humaines, Aix-en-Provence.d. Inrap et UMR 5608 TRACES ; Inrap MED ; 561 rue Étienne Lenoir ; KM Delta ; 30900 Nîmes, France.e. Inrap et UMR 5608 TRACES ; Dardenne ; 46300 Le Vigan, France.
Émilie Claud et al.
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Indices directs et indirects du travail du bois au Paléolithique moyen
L’utilisation du bois au Paléolithique ancien et moyen est attestée par les découvertes exceptionnelles d’épieux à Lehringen, Schöningen (Allemagne) et Clacton-on-Sea (Angleterre) – (Movius, 1950 ; Oakley et alii, 1977 ; Thieme, 1997 ; Dennel, 1997) –, d’une pointe à Ljubljansko Barje (Slovénie) – (Gaspari et alii, 2011 ) – ou encore d’objets carbonisés et de négatifs de branches ou de troncs moulés par des travertins à l’abri Romani (Espagne) – (Carbonell, Castro-Curel, 1992). En dehors de ces cas singuliers, les restes de bois nous parviennent surtout sous forme de charbons, dont l’étude permet d’identifier certaines modalités d’acquisition et les essences utilisées pour la combustion (Théry-Parisot, 2001). Les techniques d’acquisition et de transformation éventuelle du bois pour la confection d’objets sont donc essentiellement perceptibles par la recherche d’in-dices indirects, en particulier celle de traces sur les outils en pierre ou en os, liées à leur utilisation pour le travail du bois ou à leur maintien dans un manche en bois.
L’un des objectif du PCR « Des Traces et des Hommes » (Thiébaut et alii, 2009) est justement d’identifier les modalités d’exploitation de l’environnement végétal par les Néandertaliens, en mettant en œuvre deux approches complémentaires et indissociables : la création d’un important référentiel de traces par la conduite d’expérimentations et sa comparaison avec le matériel archéologique. Ce PCR, qui regroupe des technologues, des archéozoologues et des tracéologues, s’intéresse aux différentes industries lithiques du Paléolithique moyen du sud de la France (cf. tab. 1), dans l’optique d’identifier les causes de la diversité de l'outillage grâce à la mise en commun des résultats obtenus par les différentes disciplines dans une perspective de synthèse intra et intersites. Dans ce cadre, une grande par-tie des expérimentations et du référentiel ainsi constitué concerne le travail du bois, car l’importance de cette activité au Paléolithique moyen a été soulignée à la suite des premières études tracéologiques réalisées en France sur les industries lithiques, les outils présentant des traces liées à des actions sur le bois étant domi-nants au sein des outils analysés (Anderson, 1981 ; Beyries, 1987 ; 1988 ; Anderson, 1990 ; Beyries, Hayden, 1993 ; Beyries, 1993 ; Beyries, Boëda, 1983). En complé-ment des traces d’utilisation, des indices d’emmanchement, vraisemblablement par l’intermédiaire de manches en bois, ont aussi été mis en évidence (p. ex. : Anderson-Gerfaud, Helmer, 1987 ; Beyries, 1988 ; Grunberg, 2002 ; Mazza et alii, 2006 ; Pawlik, Thissen, 2011 ; Rots, 2009, 2011 ; Cârciumaru et alii, 2012). De plus, ces dix dernières années, l’identification dans plusieurs sites européens de pointes en silex portant des traces d’impact résultant de leur utilisation en armature axiale suggère naturellement leur montage sur une lance, probablement en bois (Locht et alii, 2002 ; Villa, Lenoir, 2006 ; Rots, 2009, 2011 ; Villa et alii, 2009 ; Lazuen, 2012 ). Si ces études pionnières témoignent d’une exploitation du bois impliquant un
Tab. 1 (ci-contre). Synthèse des interprétations fonctionnelles en fonction des séries étudiées. En italique sont indiqués les sites intégrés à l’étude, mais qui ne font pas partie du
PCR. Abréviations utilisées : nb : nombre ; ZA : zone active ; MTA : Moustérien de tradition acheuléenne. La croix correspond à la présence
non quantifiée de traces rapportées aux modes de fonctionnement (étude en cours).
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grand nombre d’outils, elles ont rarement permis de restituer les gestes effectués avec les outils analysés, leur objectif principal étant l’identification de la matière travaillée. Réalisées principalement à fort grossissement, à partir de la lecture des microtraces (polis, stries), elles ont de plus été confrontées à des problèmes de conservation des stigmates, rendant la lecture du geste difficile. Dans le cadre du PCR « Des Traces et des Hommes », la reconstitution des modalités d’exploitation des matières ligneuses sur les sites considérés a été abordée avec plusieurs objectifs :
— identifier les macrotraces (esquillements et émoussés, permettant de déduire le geste et la dureté de la matière travaillée [Tringham et alii, 1974 ; Odell, 1981]) et les microtraces (polis et stries, permettant de déterminer la nature de la matière travaillée) diagnostiques des différents modes d’action effec-tués dans le cadre du travail du bois (p. ex. : geste posé ou lancé, mouvement transversal ou longitudinal), les macrotraces pouvant apporter un éclairage complémentaire aux microtraces ou bien constituer les seuls indices du tra-vail du bois dans le cas où les microtraces ne sont pas conservées, ce qui est fréquemment le cas au Paléolithique moyen ;
— identifier les types d’outils présentant des traces liées au travail du bois, caractériser les modes d’action pour chacun et rechercher d’éventuels liens entre la morphologie des outils et leurs modes d’action, voire d’éven-tuelles spécialisations ;
— évaluer l’importance de cette activité en termes de fréquence de traces sur l’outillage en comparaison des autres activités, et tenter d’identifier l’éven-tuelle influence de la fonction des sites, de l’environnement, voire des traditions culturelles.
Référentiel expérimental
Un référentiel expérimental a été constitué avec des répliques des différents outils présents dans les séries étudiées (tab. 1). Différentes activités ont été prati-quées avec les outils expérimentaux, de l’abattage d’arbres par percussion ou par action longitudinale bidirectionnelle (« sciage ») à leur transformation par écor-çage, façonnage ou appointage, faisant intervenir des gestes lancés ou posés, selon un mouvement longitudinal, transversal ou rotatif. Les outils, en silex et en quart-zite, plus rarement en ophite, ont le plus souvent été tenus à main nue, exception faite des bifaces et hachereaux utilisés en percussion, qui ont souvent été disposés dans des manches en bois, collés ou ligaturés (Claud, 2008 ; Deschamps et alii, sous presse). Les expérimentations ont concerné différentes essences de bois aux duretés variables (chêne, peuplier, frêne, pin, saule, buis) ; le bois était frais, sec ou plus rarement chauffé, cette diversité dans les essences et les états permettant principalement d’évaluer la variabilité des macrotraces en fonction de la dureté des bois travaillés et de dégager des points communs aux stigmates obtenus, pou-vant justement être diagnostiques d’un travail du bois.
En parallèle, des activités de boucherie et de travail de peaux ont été menées. Au total, le référentiel constitué dans le cadre du PCR compte plus de 400 pièces,
Le travaiL du bois au PaLéoLithique moyen : nouveLLes données issues de L’étude tracéoLogique
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dont 120 (138 zones actives) ont été utilisées pour le travail du bois : 18 denticulés, 12 encoches, 12 éclats bruts, 24 bifaces, 23 hachereaux et 31 pointes. Les traces d’utilisation ont été documentées à l’échelle macro et microscopique, grâce à une loupe binoculaire Olympus SZ 40 (grossissements de 12 et 25 fois) et un micros-cope métallographique Leica DM2500M (200 et 500 fois).
L’étude des macro et microtraces expérimentales a permis de décrire les dif-férents stigmates liés au travail du bois et aux autres activités en fonction des matières premières (quartzite versus silex) et des types d’outils considérés (denti-culés et bifaces versus éclats bruts), et de confirmer leur potentiel diagnostique. De manière générale, quels que soient les matières premières et le type de l’outil, les macrotraces liées au travail du bois se distinguent bien des traces liées aux autres activités, comme la boucherie, le travail de la peau ou de l’os, notamment par la rareté des émoussés et la présence d’une génération d’esquillements, de morpho-logie semi-circulaire, quadrangulaire ou en demi-lune et présentant une initiation en flexion (Claud et alii in : Thiébaut et alii, 2010 ; 2011 ; 2012a). Cependant, pour les tranchants en quartzite, dans le cas d’utilisations peu intenses, une conver-gence a été observée entre les esquillements liés au raclage d’os et ceux liés au raclage de bois, en lien avec l’absence ou la rareté des superpositions lisibles sur cette matière. L’étude des microtraces sur les tranchants en quartzite documente les mêmes stigmates que ceux récemment décrits sur les quartzites de la péninsule Ibérique (Araujo Igreja, 2009 ; Clemente, Gibaja, 2009 ; Gibaja et alii, 2009) : cette roche se prête donc bien à une étude microscopique des traces d’utilisation. Pour une documentation plus détaillée, nous renvoyons à des publications antérieures (Claud, 2008 ; Claud et alii, 2009 ; Claud, 2012 ; Thiébaut et alii, 2011 et 2012a).
Étude tracéologique des séries archéologiques
Le corpus de sites étudié correspond à différents ensembles du Paléolithique moyen (tab. 1). Pour certaines séries, le travail est encore en cours (Grotte du Noisetier, Olha I), les résultats présentés sont donc susceptibles d’évoluer.
Seuls les sites de Fonseigner, Jonzac et Bayonne-Prissé ont livré des micro-traces d’utilisation, les autres séries étant généralement trop altérées. L’approche macroscopique a donc été privilégiée. Plus de 2 000 pièces ont été analysées : 639 portent des traces d’utilisation et, de manière surprenante, seules 54, soit 8 %, portent des traces liées au travail d’une matière mi-dure, peut-être du bois. Bien qu’aucun micropoli lié au travail du bois n’ait pu être mis en évidence, ce qui ne permet pas d’être catégorique sur la nature exacte de la matière travaillée, les macrotraces sont similaires à celles obtenues expérimentalement lors du travail du bois (fig. 1, a à d). Il faut noter que l’activité de boucherie domine presque systématiquement, quelle que soit la série considérée, avec 343 pièces au total.
Différents modes d’action sur une matière mi-dure ont été mis en évidence.Les traces d’action transversale (geste posé de type raclage ou rabotage) sont
les plus nombreuses (36 pièces, fig. 1c), mais l’absence de poli ne nous permet
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Fig. 1. Exemples de pièces portant des macrotraces liées au travail d’une matière mi-dure comme le bois, utilisées en geste lancé (ou percussion, pointillés irréguliers), geste posé et action transversale (pointillés réguliers) et longitudinale (trait continu). 1 : Olha I ; 2 : La Graulet ; 3 et 7 : Havrincourt ; 4 : Les Fieux (quartzite) ; 5 et 9 : Jonzac, US6-7 ; 6 : Mauran (quartzite) ; 8 : Jonzac, US22 ; 10 : Payre. a à d : macrotraces archéologiques ; a’ à d’ : macrotraces de comparaison ; * : indique l’emplacement des photographies de traces.
Le travaiL du bois au PaLéoLithique moyen : nouveLLes données issues de L’étude tracéoLogique
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pas de déterminer précisément l’angle de travail, donc l’objectif (régulariser une surface, la raboter, etc.), ni l’activité réalisée (écorçage, façonnage, etc.). Les types d’outils portant ces traces sont très variés : éclats bruts (comprenant des éclats de façonnage et des pointes pseudo-Levallois), encoches, denticulés et plus rare-ment racloirs. Silex et quartzite sont représentés (fig. 1, 4 et 6 à 10). Les rares traces d’action longitudinale ont été observées sur cinq pièces, à tranchant brut ou denticulé, en silex.
Des traces de geste lancé (percussion) ont été identifiées sur 12 pièces : des bifaces à tranchant transversal en silex, des hachereaux en quartzite et en ophite et des éclats à dos retouchés en silex (fig. 1, 1 à 3). Les esquillements (fig. 1, a et b) correspondent aux traces expérimentales produites par la percussion sur bois et sont au contraire bien distincts de ceux liés à la percussion sur carcasse, par exemple dans le cadre de la fracturation du sternum (fig. 1, a’ et b’). Sur les hache-reaux et les bifaces, les dimensions des esquillements sont similaires à celles des esquillements produits lors de l’utilisation de pièces emmanchées pour l’abattage d’arbres. Sur les éclats, les esquillements sont plus petits et comparables à ceux observés sur des éclats expérimentaux utilisés, à main nue ou emmanchés, pour des travaux de plus faible ampleur, comme l’ébranchage.
Aucune trace se rapportant au perçage de bois n’a pu être identifiée claire-ment, perçage de bois et de peau sèche étant difficiles à distinguer d’après les seules macrotraces.
Aucun emmanchement n’a pu être mis en évidence, de manière certaine, selon les convergences de critères proposés par V. Rots (2010). L’absence de traces d’emmanchement claires pourrait être liée à un état de conservation insuffisant des séries, ce type de trace pouvant être très ténu, donc interprétable uniquement sur les séries très bien préservées (Claud, 2008), ou bien liée à l’utilisation d’adhé-sifs limitant les frictions et donc les usures (Rots, 2010).
Concernant les matières premières impliquées, il apparaît que différents matériaux ont été utilisés pour les actions en geste lancé et posé transversal. En outre, silex et quartzite ont servi en proportions équivalentes pour des activités diverses comme la boucherie, en coupe et en percussion, le travail de la peau et le travail de matières mi-dures comme le bois, ce qui ne permet pas d’identifier de stratégie différentielle dans l’utilisation des matières premières. Concernant les éventuelles relations entre les formes d’outils et leur mode de fonctionnement, si l’on s’intéresse au travail du bois uniquement, il apparaît une certaine dichotomie entre, d’un côté, les pièces ayant servi en percussion, plutôt massives et qui sont principalement représentées par les bifaces à tranchant transversal et les hache-reaux, et de l’autre, les pièces ayant servi en geste posé, représentées par des outils diversifiés sur éclats de plus petites dimensions. Les différents outils ont d’ailleurs servi, selon les mêmes modes d’action, sur d’autres matières (carcasse, viande, peau). Ainsi, des traces de percussion sur des matières dures organiques de type os ont été documentées sur des bifaces à tranchant transversal – Les Bessinaudes
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(Chadelle et alii, en prép.) –, des hachereaux – Olha I, El Castillo (Deschamps et alii, sous presse ; Claud, et alii, soumis) – et des pièces à dos – Jonzac (Claud, 2008). De la même manière, un éventail d’outils a servi en découpe, très pro-bablement pour la boucherie : éclats bruts, denticulés – Jonzac (Claud, 2008 ; Mauran, Thiébaut et alii, 2012 b), Les Fieux (Gerbe et alii, sous presse ; Thiébaut et alii, sous presse) –, ou encore racloirs – Jonzac (Claud et alii, 2012 ; Fonseigner, Claud, 2008), Grotte du Noisetier, Les Bessinaudes (Chadelle et alii, en prép. ; Havrincourt, Goval (dir.), en prép.), Saint-Amand.
Il apparaît ainsi que la spécialisation des outils dépendrait moins de la matière travaillée que de leur mode d’action.
Discussion
La faible fréquence de traces vraisemblablement liées au travail du bois révélée par notre étude nuance les résultats des premières études des années 1980 (cf. supra).
Cette rareté pourrait résulter d’une fonction particulière des sites considé-rés. Cependant, si certains des sites étudiés ici sont effectivement interprétés comme des sites spécialisés dans la boucherie primaire – p. ex : Mauran et Les Fieux (Farizy et alii, 1994 ; Rendu, 2007 ; Gerbe, 2010 ; Gerbe et alii, sous presse) –, d’autres correspondent vraisemblablement à des habitats comme Jonzac et la Grotte du Noisetier (Jaubert et alii, 2008, Mourre et alii, 2008 ; Thiébaut et alii, 2012 a). Ces séries devraient donc révéler une plus grande diversité des activités prati-quées, mais là aussi les activités de boucherie sont nettement dominantes (tab. 1). Il manque sans doute à notre corpus d’éventuels sites dédiés exclusivement au travail du bois ou bien au travail des peaux pouvant impliquer l’utilisation d’objets ou de structures en bois. En dehors de tels sites spécialisés, il paraît envisageable que peu de pièces aient servi au travail du bois en proportion de celles utilisées en boucherie. En raison de sa répétition nécessaire à la survie d’un groupe, cette activité pourrait en effet être plus « consommatrice » d’outils que la fabrication et l’entretien d’objets ou de structures en bois, qui peuvent au départ demander un investissement en temps important, mais qui serait a priori compensé par une longue durée de vie des objets, comme les structures en bois, les manches ou encore les épieux.
La faible proportion d’outils dédiés au travail du bois pourrait aussi être liée aux qualités de préservation des séries. Cependant, si une mauvaise conservation des polis de bois est avérée, celle des esquillements est difficilement envisageable, car ils sont de dimensions plus importantes que ceux liés à la boucherie dont l’identification ne nous a pas posé problème. Selon Plisson et Mauger (1988), les polis liés au travail du bois seraient plus résistants que ceux liés à la boucherie et au travail de la peau, en contexte alcalin. Ainsi, la mauvaise conservation des polis de boucherie dans les premières séries analysées peut ici être envisagée, entraînant une surestimation du travail du bois, comme l’avait d’ailleurs suggéré S. Beyries (1987) à l’époque.
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Les différences de résultats peuvent aussi témoigner de la complémentarité des approches à fort et faible grossissement. Concernant les outils en silex, les esquillements étant presque systématiquement produits lors du travail du bois, il est peu vraisemblable que nous ayons sous-estimé cette activité. En revanche, les esquillements résultant du raclage de bois sur des pièces en quartzite ont pu être attribués à un raclage d’une matière plus dure comme l’os, en raison d’une certaine convergence des macrotraces (cf. supra). D’un autre côté, étant donné que les activités de boucherie produisent des esquillements caractéristiques mais un poli ténu et facilement altérable, il est possible que la boucherie ait été sous-estimée dans les premières études. De plus, une confusion possible entre des polis de bois et des polis de glace, provoqués par des frottements avec les sédiments gelés dans le cadre d’environnements périglaciaires, a été évoquée (Caspar et alii, 2003), mais ce problème peut théoriquement être dépassé grâce la distribution des microtraces, aléatoires dans le cas de polis de glace.
Les résultats d’autres études fonctionnelles récemment mises en œuvre sur les industries du Paléolithique moyen, associant également faible et fort gros-sissements, apportent un éclairage complémentaire sur cette question, car elles indiquent une certaine diversité dans les activités pratiquées en fonction des sites. Dans certaines séries, l’activité de boucherie est dominante et le tra-vail de bois absent ou rare, comme aux Tares – Dordogne (Geneste et Plisson, 1996) –, à La Combette – Vaucluse (Lemorini, 2000) –, Bettencourt-Saint-Ouen – Somme (Locht et alii, 2002) –, l’Abri Romani – Catalogne (Martinez et alii, 2005 ; 2008) –, Champ-Grand – Loire (Araujo-Igreja, 2008) – et La Mouline – Dordogne (Pasquini, 2008). D’autres séries, moins nombreuses, ont au contraire livré une forte proportion de pièces utilisées pour le travail du bois portant des micropo-lis, comme Sesselfelsgrotte – Allemagne (Rots, 2009) – et San Quirce – Castille (Clemente et alii, 2012). Cette vision élargie à d’autres études contemporaines tendrait donc à montrer qu’il existe bien une réelle différence dans les fréquences des traces liées au travail du bois, qui est indépendante de problèmes méthodo-logiques ou taphonomiques, mais probablement à mettre en relation avec des fonctions de sites particulières, les ressources végétales disponibles dans l’envi-ronnement ou des traditions culturelles.
Conclusion
Ce travail de synthèse des résultats fonctionnels récemment acquis notamment dans le cadre du PCR « Des Traces et des Hommes » montre que le travail du bois n’est pas toujours abondant sur les sites datés du Paléolithique moyen, car dans la plupart des séries analysées la boucherie domine largement. Malgré l’absence de micropolis liés au travail du bois, les macrotraces nous ont permis d’identifier les outils ayant travaillé une matière dont la dureté correspond à celle du bois. Diverses actions ont été mises en œuvre sur le bois, principalement selon un geste posé et un mouvement transversal, mais aussi selon un geste lancé. Un lien entre la morphologie des tranchants, le type d’outil et le mode d’action des outils a été
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mis en évidence ; les hachereaux et les bifaces à tranchant transversal ayant servi en percussion, et les denticulés, racloirs et éclats selon un geste posé, dans le cadre du travail du bois comme pour le traitement des carcasses. Aucun outil strictement spécialisé dans le travail du bois n’a été identifié, les différents types étant suscep-tibles d’intervenir aussi lors d’autres activités, en particulier la boucherie.
Afin d’appréhender le travail du bois dans sa globalité et non par le seul outil-lage lithique, il pourra être envisagé dans l’avenir de rechercher d’éventuels outils en matières dures animales ayant pu servir aux étapes de débitage et de façonnage du bois, notamment par fendage, comme cela a été mis en évidence pour des périodes à peine plus récentes (Tartar, 2009).
Si la manière d’utiliser les ressources végétales a vraisemblablement varié en fonction des changements climatiques au cours du Paléolithique moyen, il n’est pas encore possible d’établir des relations claires entre les changements envi-ronnementaux, tels qu’on parvient à les modéliser aujourd’hui, l’importance du travail du bois au sein des séries et les modalités de son exploitation. Il s’agit donc d’une perspective de recherche qui devrait être développée, en particulier pour le nord de la péninsule Ibérique, où des indices assez visibles de cette activité sont présents sur les sites à hachereaux et à San Quirce. Ces séries, auxquelles il faut ajouter les séries du Moustérien de tradition acheuléenne à bifaces transver-saux, semblent aussi indiquer un lien entre traditions techniques et modalités d’exploitation avec deux types particulier d’outils (hachereau, biface à tranchant transversal) réalisés sur différents matériaux et utilisés selon un mode d’action identique (percussion). Ainsi, si la disponibilité en ressources végétales est un fac-teur qui influence sans aucun doute les pratiques des Néandertaliens, les modes d’acquisition de cette ressource pourraient aussi être liés à certaines traditions techniques dont le poids devra être confirmé et précisé dans l’avenir.
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