Le passage de la réforme des retraites au filtre du genre ou comment les inégalités entre les sexes se sont invitées dans les débats en 2010 en France Mémoire en vue de l’obtention du diplôme inter-universitaire « Conseiller, conseillère Réfént-e égalité femmes/hommes » Université Paris 3 – Sorbonne Nouvelle Université Paris 6 – Pierre et Marie Curie
RESUME Alors que la construction initiale du problème des retraites était aveugle à l’égalité femmes/hommes, comment s’est-on néanmoins orienté vers une inclusion de cette dimension, même a minima ? Quels acteurs/rices ont œuvré ou au contraire résisté au passage de cette réforme au filtre du genre, comment, et à partir de quels cadres idéologiques ? Mémoire de Romain SABATHIER dirigé par Maxime FOREST, docteur de l’IEP de Paris, chercheur associé à l’Université Complutense de Madrid, et chargé de cours à Paris III et Nice-Sophia Antipolis. Février 2012
2
REMERCIEMENTS
Mes premiers remerciements vont à celles qui m’ont initié au féminisme. Je
remercie chaleureusement et sincèrement celles et ceux qui m’ont conseillé, soutenu,
accompagné tout au long de ce travail, en particulier Marion pour sa relecture, et Alvaro
pour son précieux soutien.
Je pense aussi particulièrement à mon directeur de mémoire pour ses conseils affutés,
ainsi que mes collègues de formation pour une année riche en belles rencontres et grandes
discussions. Merci aussi à toutes les personnes interviewées pour leur disponibilité.
Enfin, mes salutations vont à toutes celles et tous ceux qui agissent au quotidien à
différents niveaux contre les inégalités de sexe et pour faire évoluer les rapports de genre
vers d’avantage d’émancipation individuelle et collective.
3
SOMMAIRE MOTS-CLEFS ……………………………………………………………………………. 4
INTRODUCTION ………………………………………………………………………... 5
PREMIERE PARTIE Une construction initiale du problème des retraites marquée par un « aveuglement au genre » …………………………………………………………………………………... 12
1. CADRE LIBERAL DE MARCHE & INFLUENCE EUROPENNE …………… 14
2. UNE ANALYSE EMPIRIQUE PLAIDANT EN THEORIE POUR LA PRISE EN COMPTE DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES ……………………………… 21
3. DES RESISTANCES RENDANT EN PRATIQUE LE DEBUT DES DEBATS « AVEUGLE AU GENRE » …………………………………………………… 29
DEUXIEME PARTIE
Le débat sur les « retraites des femmes » : influence féministe, alliances stratégiques et controverse sur le diagnostic ………………………………………………………... 42
1. UNE MOBILISATION FEMINISTE A L’ASSAUT DE LA PSEUDO NEUTRALITE DE LA REFORME …………………………………………….. 43
2. L’EGALITE FEMMES/HOMMES COMME FENETRE D’OPPORTUNITE : QUAND LES OPPOSANTS A LA REFORME ONT « L’EGALITE A LA BOUCHE » ……………………………………………………………………… 59
3. UN DEBAT CIRCONSCRIT PAR LE GOUVERNEMENT A UNE DIVERGENCE DE DIAGNOSTIC …………………………………..………… 67
TROISIEME PARTIE
Une réforme qui creuserait les inégalités entre les sexes et renforce l’ordre sexué ... 77
1. UNE PRISE EN COMPTE A MINIMA DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES.78
2. UNE POLITIQUE PUBLIQUE QUI FACONNE LES RAPPORTS DE GENRE ET REVELE DES MODELES D’EGALITE DIVERGENTS………………….. 88
3. UNE DEFAITE DANS LA REFORME, UNE VICTOIRE DANS L’OPINION .94
CONCLUSION …………………………………………………………………………. 96
BIBLIOGRAPHIE …………………………………………………………….….……. 101
ANNEXES ……………………………………………………………………..….…… 107
TABLE DES MATIERES ……………………………………………………………... 184
4
MOTS CLEFS Egalité femmes/hommes – réforme des retraites – inégalités professionnelles - mise à l’agenda – genre – mouvement féministe – coalition de cause - institutions – européanisation des politiques publiques – cadre de politique publique – modèle d’égalité -
5
INTRODUCTION La question de l’égalité femmes-hommes a été récemment mise au devant de la
scène médiatique et politique, à travers différents thèmes d’actualité explicitement
féminisés tels que les violences faites aux femmes (loi adoptée le 9 juillet 2010) ou le port
du niqab (loi adoptée le 11 octobre 2010), mais aussi à travers des thèmes plus neutres en
apparence pour les inégalités entre les sexes tels que la réforme des collectivités
territoriales (loi adoptée le 16 décembre 2010) ou celle des retraites (loi adoptée le 9
novembre 2010). La neutralité des politiques publiques n’existe pas. Et par conséquent,
quand on peut croire qu’elle existe elle n’est en fait qu’apparence. L’action publique
s’appuie en effet sur une construction des problèmes et de leurs solutions plus ou moins
identifiée, plus ou moins débattue dans l’arène publique. Cette construction est établie par
des acteurs bien déterminés, guidés par des cadres idéologiques propres, et ayant une
certaine idée du monde et donc aussi des relations entre les femmes et les hommes et des
inégalités entre les sexes qui persistent aujourd’hui. Et donc, si cette construction n’est pas
prise en compte par les acteurs de l’action publique, c’est qu’est susceptible de s’imposer
implicitement un cadrage « hégémonique », lié à une certaine vision du fonctionnement de
la société. Certains acteurs auront intérêt à se cacher derrière cette apparence de la
neutralité quand d’autres auront au contraire intérêt à la questionner, à la remettre en
question, jusqu’à lever le voile sur le parti pris de tel ou tel débat, telle ou telle réforme.
Le parti pris peut concerner par exemple le sort réservé aux inégalités sociales et à la
répartition actuelle des richesses. Veut-on, avec telle ou telle réforme, conserver cette
répartition des richesses en l’état, ou bien modifier son équilibre dans le sens d’une
réduction ou au contraire d’une aggravation des inégalités sociales ? Le parti pris peut
toucher tout aussi bien aux inégalités entre les femmes et les hommes et à l’ordre sexué.
Selon Réjane Sénac, l’ordre sexué assigne à chaque sexe une place dans l’ordre social et
politique en fonction d’un ordre naturel présumé, et par là même conforte une répartition
6
du pouvoir, voire un rapport de domination, que certain-e-s ne souhaitent pas remettre en
cause1.
Je vais prendre ici comme objet d’étude la réforme des retraites de 2010 en France et les
débats qui l’ont entourée. Ce sujet se situe à l’intersection de l’analyse des politiques
publiques – en tant que champ disciplinaire - et du champ d’étude du genre. La notion de
« genre », gender en anglais, suscite depuis les années 1970 aux Etats-Unis et depuis moins
longtemps en France, de nombreux débats2 et travaux. Pour Joan Wallach Scott le
genre est une « catégorie utile »3 nous permettant de comprendre la construction des rôles
« masculins » et des rôles « féminins », et le passage de la différence sexuelle aux
inégalités entre les sexes. Françoise Thébaud dira quant à elle que « le genre n’est pas un
domaine, c’est une grille de lecture de la société »4. Une grille de lecture qui permet de
décrypter les inégalités qui sont bien souvent au départ invisibles ou « invisibilisées ». A
moins que ce ne soit les acteurs qui soient frappés d’une sorte de « cécité au genre ».
A l’époque des débats entourant cette réforme des retraites, c’est-à dire tout au long de
l’année 20105, j’étais l’assistant parlementaire de Danielle Bousquet, députée des Côtes-
d’Armor, socialiste et féministe. Mon arrivée à ce poste, que je continue d’occuper
aujourd’hui, date d’octobre 2009. C’est à partir de là, et au gré de mon travail auprès de
cette élue et de mon engagement au sein d’Osez le féminisme !, que j’ai pris conscience de
l’ampleur des inégalités femmes/hommes et du système de domination qui les génère. Le
choix de ce sujet au début de l’année 2011, est intervenu à un moment où, passé l’étape de
la découverte d’un continent invisible des inégalités et de la relecture de son
environnement au filtre du genre, j’en étais à questionner l’aveuglement aux inégalités
1 Sénac-Slawinski R., L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes, Puf, coll. "Le lien social", 2007, p.18. 2 A partir d’août 2011, une nouvelle polémique a éclaté sur le « genre » en France. Plusieurs dizaines de parlementaires UMP ont exigé du ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, le retrait puis la correction 2 A partir d’août 2011, une nouvelle polémique a éclaté sur le « genre » en France. Plusieurs dizaines de parlementaires UMP ont exigé du ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, le retrait puis la correction des manuels de Sciences de la vie et de la terre des classes de Première L et ES publiés pour la rentrée 2011 conformément aux nouveaux programmes. Ces parlementaires, Christine Boutin, et des organisations catholiques et familialistes, reprochent à ces manuels d’offrir «un enseignement directement et explicitement inspiré de la théorie du genre». Dans leur lettre ouverte en date du 30 août 2011 ils remettent en cause le caractère scientifique de cette théorie et appelle l’école à rester « neutre ». Cette initiative a déclenché une salve de réactions défendant l’intérêt et la scientificité des études sur le genre. Le site internet de l’Institut Emilie du Châtelet rassemble un certain nombre de ces réactions. 3 Wallach Scott J., La citoyenneté paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin Michel, 1998. 4 Thébaud F., « Sexe et genre », in Margaret Maruani (dir.), Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005, p. 59-62. 5 Cf. annexe 3 « Calendrier des retraites et de la mobilisation ».
7
femmes-hommes : impensé ou aveuglement volontaire car remettant en cause un ordre trop
bien établi, confortable pour les hommes et parfois aussi pour les femmes ? Je souhaitais
comprendre les ressorts pouvant générer un « déclic genre » qui permette le passage d’une
analyse en termes individuel à une analyse en termes structurel et politique. L’étude du
passage d’une réforme des retraites neutre en apparence avec initialement des acteurs
aveugles au genre, à un débat traitant des inégalités entre les femmes et les hommes et
débouchant au final sur des mesures sur ce sujet, m’est apparue intéressante de ce point de
vue là. Qui plus est, les retraites sont le réceptacle d’un spectre large d’inégalités touchant
les femmes : concernant les salaires, les évolutions de carrière, les temps de travail, les
tâches domestiques, la prise en charge de l’éducation des enfants ou de personnes
dépendantes, la ségrégation professionnelle avec la concentration des femmes dans un
nombre réduit de métiers dévalorisés, la dépendance à l’homme pourvoyeur de revenus,
etc. Mon incompréhension de départ face à l’aveuglement aux inégalités de genre de la
société de manière générale, et des décideurs publics en particulier, était d’autant plus
grande que les retraites sont le miroir grossissant des inégalités femmes/hommes. Les
inégalités entre les sexes sont massives. Ainsi, en matière de retraite, les femmes touchent
en droits propres une pension de 825€ par mois en moyenne contre 1426€ pour les
hommes, soit un écart de 42%6.
Ce mémoire se propose de s’inscrire dans le prolongement des travaux relativement neufs
en France (les années 1990/2000)7 sur le genre et les politiques publiques, travaux qui
récusent l’idée de neutralité des politiques publiques par rapport au genre. L’analyse des
politiques publiques constitue l’une des branches les plus récentes des sciences politiques
et est qualifiée par Pierre Muller de « science de l’Etat en action »8. Elle décortique la
genèse des politiques publiques, leur transformation. Elle s’intéresse à la boite noire de
l’Etat, c’est-à-dire à la question du « comment fonctionne le système d’action concret à
travers lequel est élaborée et mise en œuvre une politique publique »9, ou encore aux effets
des politiques publiques sur la société. Pierre Muller, empruntant une approche cognitive
des politiques publiques, met en lumière le fait que celles ci ne résolvent pas simplement 6 Données portant sur l’ensemble des retraités nés en France ou à l’étranger. Source : DREES, Enquêtes annuelles auprès des caisses de retraite 2003 à 2008 et EIR 2004 ; calculs DREES. 7 Sénac-Slawinski R., L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes, Puf, coll. "Le lien social", 2007, p. 10. Cette auteure cite comme travaux précurseurs en France, ceux de sociologues qui ont travaillé sur les politiques familiales ou sur celles en faveur de la conciliation entre vie familiale et la vie professionnelle, comme Jacqueline Heinen et Alisa del Re (1992) et Jacques Commaille (1993). 8 Muller P., Les politiques publiques, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2006, 6ème édition. 9 Ibid p. 87.
8
les problèmes, elles construisent aussi des « cadres d’interprétation du monde »10. En cela
elles participent à la consolidation ou à la construction d’un ordre social donné. Ce constat
est l’un des points de départ privilégiés par l’analyse des politiques publiques. En
particulier telle qu’elle est menée en France. Par ailleurs, le rôle des idées et des
conceptions normatives, traduites dans des discours de politique publique, reçoit une
attention de plus en plus importante11.
Ce travail s’inscrira également dans l’étude des rapports entre mouvements sociaux et
processus de mise à l’agenda, située à l’intersection de la sociologie des mouvements
sociaux et de l’action publique. La littérature a largement étudié ce qu’il est aujourd’hui
convenu d’appeler le « féminisme d’état » et qui met le focus sur les institutions d’Etat en
charge de l’égalité femmes-hommes. Quelles sont-elles ? Comment sont-elles intégrées au
sein de l’appareil d’Etat ? Cette littérature a par ailleurs particulièrement souligné le rôle
clé de la nature des acteurs mobilisés. Quelle place occupent les « fémocrates » et les
mouvements féministes ? Ou encore est-on en présence de coalitions de cause ou
« triangles de velours » 12 entre féministes qu’elles soient associatives, syndicales,
politiques ou universitaires ?
Pour adopter à la fois cette approche sociologique et institutionnelle, je me baserai
notamment sur des travaux de Sandrine Dauphin sur le féminisme d’Etat13 ou de Laure
Bereni sur l’espace de la cause des femmes. Sandrine Dauphin relève que la question du
« genre et politiques publiques » a été travaillée en France depuis les années 2000 selon
trois axes :
1. de quelle manière les politiques publiques façonnent-elles les rapports de genre ?
2. comment le genre structure t-il l’action publique, est-il pris en compte, et plus
globalement comment les politiques agissent-elles pour l’égalité ?
3. comment l’action des femmes, et plus spécifiquement des mouvements de femmes,
influence-t-elle les politiques publiques ?
A travers l’étude de cas de la réforme des retraites de 2010, ma démarche tentera
d’interroger de façon concomitante ces trois axes.
En partant des réformes des retraites de 1993 et de 2003 en France, nous verrons à travers
leur impact genré (Bonnet, Buffeteau et Godefroy, 2006) comment elles ont freiné voire 10 Muller P., L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique, Paris, Revue Française de science politique, 50e année, n°2, 2000, pp. 189-208. 11 Cf. Schmidt, 2010, Lombardo et Forest, 2012. 12 Woodward, A. (2003) ‘Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance’ in S. Piattoni and T. Christiansen (eds) Informal Governance and the European Union (London: Edward Elgar), pp. 76-93. 13 Dauphin S., L’Etat et les droits des femmes, Paris, PUF, 2010.
9
creusé les inégalités entre les sexes. Puis en analysant la mise à l’agenda de la question des
inégalités femmes/hommes lors de la réforme des retraites 2010, nous décortiquerons
comment le genre a été pris en compte et comment la réforme entend-elle agir pour
l’égalité. Nous nous centrerons là sur la diversité des acteurs, de leurs discours, des
diagnostics et solutions avancés, et donc des modèles d’égalité divergents que cela sous-
tend (à partir notamment de travaux de Réjane Sénac14 et d’Annie Junter15). Et enfin, nous
nous intéresserons plus précisément à l’action du mouvement « féminin » et féministe en
testant « l’influence féministe » sur le débat et la mobilisation autour de la réforme des
retraites (par exemple en fonction des trois critères établis par Boussaguet&Jacquot16 :
temporalité de l’émergence, contexte discursif, contexte institutionnel).
La problématique à laquelle ce travail va tenter de répondre est la suivante : alors que la
construction initiale du problème des retraites et des solutions à y apporter était aveugle à
la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes, comment s’est t-on néanmoins
orienté vers une inclusion de ces éléments, même à minima, avec quels acteurs et à partir
de quels cadres idéologiques ? L’hypothèse de départ est celle d’une prise en compte de
manière tardive, contrainte, partielle et instrumentalisée des inégalités femmes/hommes,
sous l’effet d’une coalition des féministes, et révélatrice d’une approche conservatrice de
l’égalité entre les sexes qui renforce l’ordre sexué.
Concernant la méthodologie retenue, ce mémoire s’appuie à la fois sur le dépouillement de
la littérature spécialisée, sur des entretiens avec les acteurs de la décision, et sur la lecture
de la littérature scientifique, trois des dix étapes conseillées par Pierre Muller pour
constituer sa stratégie de recherche17 . La littérature spécialisée sur laquelle s’est appuyée
mon enquête documentaire se compose d’un corpus détaillé d’articles de presse sur
retraites & inégalités femmes-hommes de juin 2009 à novembre 2010 - de l’ouverture du
chantier retraites par Nicolas Sarkozy devant le Congrès jusqu’à la promulgation de la loi –
(à partir des archives de revues de presse de la délégation aux droits des femmes de
l’Assemblée nationale, du Service droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes, et de
14 Sénac-Slawinski R., L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes, Puf, coll. "Le lien social", 2007. 15 Junter A., « La réforme des retraites : de quelle égalité parle t-on ? », Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010, Paris, La documentation française, p81. 16 Boussaguet L. et Jacquot S., « Mobilisations féministes et mise à l’agenda de nouveaux problèmes publics », Revue française de science politique, vol.59, n°2, avril 2009, Paris, Presses de Sciences Po, p180. 17 Muller P., Les politiques publiques, Puf, coll. « Que sais-je ? », 2006, 6ème édition, p. 86-97.
10
la base de données « Europresse »), de rapports (COR, Délégations aux droits des femmes
des Assemblées parlementaires…), ou d’autres matériaux tels que les compte-rendu des
débats parlementaires, des communiqués de presse, tracts ou encore note interne du
Cabinet du ministre en charge de la réforme des retraites. Quant aux entretiens réalisés, ma
problématique rendait plus pertinente une démarche plus qualitative que quantitative
tournée vers les principales actrices et acteurs partis prenantes du processus de mise à
l’agenda. C’est ainsi que j’ai interrogé des femmes et des hommes, de gauche comme de
droite, ayant abordé la réforme des retraites sous l’angle égalité femmes/hommes ou non
afin de relever les éventuelles différences d’approche et de calendrier des acteurs selon
qu’ils soient principalement engagés dans cette réforme autour de l’égalité
femmes/hommes ou non. Mon panel est constitué de personnes issues du milieu syndical,
politique, de la recherche, des associations féministes ou encore des institutions en charge
des droits des femmes. Le spectre large des milieux d’où proviennent les panélistes a
répondu à l’exigence d’étudier les débats sous divers angles, et de s’intéresser aussi aux
alliances ou aux oppositions entre acteurs. Le temps imparti pour ce travail a limité le
nombre des entretiens à dix.
La méthode de l’entretien semi-directif a été retenue. Elle permet de guider l’entretien vers
de grands thèmes préalablement définis, sans toutefois orienter abusivement les réponses
des panélistes en étant trop directifs dans les questions posées. Après une question générale
sur la manière dont la personne interrogée a vécu le mouvement des retraites en 2010,
notamment au regard de la réforme de 2003, et à quel titre et comment a t-elle participé à
la réforme de 2010, les mêmes thèmes ont été abordés avec l’ensemble des panélistes : les
causes des inégalités entre les sexes à la retraite, la question de la projection de ces
inégalités, les acteurs ayant porté la question de l’égalité entre les sexes dans les débats, la
mobilisation sociale et en particulier des femmes, la place dans les débats de la question de
l’égalité entre les femmes et les hommes, les solutions avancées pour répondre aux
inégalités de genre. Les personnes interrogées savaient avant l’entretien qu’elles seraient
enregistrées vocalement, que leur identité serait dévoilée, et que la retranscription écrite
validée par leur soin serait annexée à ce mémoire. Seule une personne interrogée a tenu à
garder l’anonymat. Si cet entretien a pu tout de même servir ce travail de recherche, et
quelques extraits cités, sa retranscription écrite n’est cependant pas annexée.
Ce mémoire s’articulera en trois temps : le contexte, la mise à l’agenda et enfin le contenu
et la portée de la réforme. Si un fil chronologique est suivi, chacune de ces trois parties
11
essaient d’articuler à la fois l’approche instrumentale, à savoir comment se construit la
politique publique, l’approche sociologique par les acteurs, et l’approche discursive qui
dégage les types de cadres de politiques publiques utilisés à partir des diagnostics et
pronostics posés.
Une première partie sera consacrée au contexte de cette réforme des retraites et de ce débat
sur les inégalités entre les sexes en matière de retraite tant international, européen que
national. Après avoir partiellement replacé le débat français dans une dimension
européenne, cette partie s’attachera à dégager quels facteurs en présence pouvaient
favoriser ou au contraire freiner la mise à l’agenda des inégalités de genre dans les débats
autour de cette réforme des retraites. Un contexte de départ aveugle au genre apparaîtra.
Partant de là, on identifiera comment les actrices et acteurs féministes ont réussi à
déconstruire l’apparente neutralité de la réforme malgré une faiblesse structurelle en
France des institutions en charge des droits des femmes. Cela nous conduira à relever les
alliances tacites qui ont pu se jouer entre féministes, et avec les opposants à la réforme,
avant d’examiner la stratégie du gouvernement pour tenter d’évacuer puis de circonscrire
le sujet des inégalités de genre à la retraite. Sujet qui, nourrissant le débat justice/injustice,
était susceptible de faire obstacle à une réforme marquée par un cadre global libéral.
Enfin, en détaillant brièvement les principales mesures de cette réforme ayant un impact
sur l’égalité entre les sexes, nous verrons que la prise en compte de cette problématique
s’est faite à minima, et que ces mesures sont révélatrices d’un modèle d’égalité pro-
nataliste.
12
PARTIE 1 – Une construction initiale du problème des retraites marquée par un « aveuglement au genre » Quel contexte global, quel point de départ, pour quelle mise à l’agenda ?
Afin de mieux saisir par la suite comment s’est développée la question de l’égalité
femmes/hommes dans les débats comme au sein même de la réforme, et mieux
comprendre les limites de la prise en compte de cette question dans la réforme, il est
nécessaire d’en passer par une analyse du contexte de départ.
Dans quel cadre global de politique publique s’insère la réforme des retraites ? Pourquoi
une réforme des retraites en 2010 et quels sont ses objectifs politiques généraux ? Il sera
rappelé ici que cette réforme est guidée par un cadre libéral de marché dominant au niveau
international, et qui n’est pas sans conséquence sur la prise en compte ou non de la
question de l’égalité entre les sexes. Au concept de référentiel de politiques publiques
développé par Pierre Muller18, sera préféré celui de cadre de politique publique tel que
défini par Mieke Verloo19 comme un « principe d’organisation permettant de transformer
une information fragmentaire en un problème de politique publique structuré et faisant
sens, auquel est associée explicitement ou implicitement une solution de politique
publique ».
Par ailleurs, sachant que depuis plus de 30 ans les politiques publiques d’égalité sont en
partie déterminées par l’agenda au niveau communautaire, et nous y reviendrons, le
premier chapitre testera si les conditions de départ de ce débat étaient en mesure ou non de
favoriser une influence européenne. La question de l’égalité entre les sexes en matière de
18 Muller P., L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique, Paris, Revue Française de science politique, 50e année, n°2, 2000, pp. 189-208.
19 Verloo 2005, p. 20. Voir aussi Lombardo E., Forest M., The Europeanization of Gender Equality Policies: A Discursive-Sociological Approach. Palgrave MacMillan, 2012.
13
retraite est-elle traitée au niveau européen ? En testant cette influence européenne on se
situe là à l’intersection entre le champs d’étude du genre et de l’européanisation des
politiques publiques20. La caractéristique européanisée des politiques publiques et leur
généalogie européenne sont trop souvent laissées de côté, alors que cet élément peut servir
le travail de décryptage du sens réel de telle ou telle politique (Chapitre 1).
Au-delà de ces cadres globaux au niveau international et européen, de nombreux autres
facteurs de départ peuvent favoriser ou freiner la mise à l’agenda des inégalités entre les
sexes. Le deuxième chapitre mettra ainsi en avant toute une série de facteurs positifs
poussant en théorie pour une mise à l’agenda de l’égalité entre les sexes. Au premier rang
de ces facteurs on trouve la réalité de l’étendue des inégalités professionnelles qui touchent
les femmes en France aujourd’hui (Chapitre 2). Pourtant, les premiers débats autour de
cette réforme éclipsent en pratique cette question. Cette première phase est aveugle au
genre comme le montre le travail de fouille à partir de la revue de presse auquel nous nous
sommes livrés. On tentera donc dans un chapitre trois d’identifier les résistances à la
source de cet aveuglement (Chapitre 3).
Tout d’abord, posons brièvement le contexte économique, politique et social français dans
lequel s’inscrit cette réforme des retraites. Depuis 2008 une crise économique et financière
amorce un cycle de restrictions budgétaires dans de nombreux pays dont la France, et
paradoxalement renforce le poids des agences de notation et des institutions financières.
Politiquement, on se situe en 2010 à la mi-mandat d’un Président et d’une majorité qui ont
vu leur soutien dans l’opinion largement s’éroder, et d’un Ministre du travail en poste, Eric
Woerth, affaibli par l’affaire dite « Woerth-Bettencourt », nous y reviendrons. Le contexte
social enfin, est celui d’un chômage en nette progression et à un niveau élevé21, et d’un
profond sentiment d’injustice ressenti dans la population suite à la crise financière. Le
mouvement social des retraites en 2010 sera puissant tant dans sa durée que dans son
intensité. Il faut remonter en 2006 avec le mouvement contre le contrat première embauche
ou aux grèves de 1995 pour retrouver un mouvement social équivalent.
Après avoir insisté, à partir du rapport du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) rendu
le 14 avril 2010, sur l’impact de la crise financière de 2008 sur le financement des régimes
20 Ibid 21Le taux de chômage moyen, au sens du Bureau International du Travail, est passé d’environ 7,5% de la population active en France (y compris Dom) en 2008 à près de 10% en 2010 (INSEE).
14
de retraites, le gouvernement défend que cette réforme est indispensable à la préservation
du système français de retraites par répartition. Deux mesures phares concernant les âges
de départ à la retraite sont contenues dans la réforme des retraites en France en 2010 : le
report de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans avant la réforme à 62 ans, et le report
de l’âge de départ à la retraite sans décote de 65 ans avant la réforme à 67 ans. Dans quel
cadre global s’inscrit la mise à l’agenda de cette réforme et les choix de mesures pris par le
gouvernement ? Comment le niveau européen a pu influer et quels usages de l’Europe ont
pu faire les acteurs de la réforme ? Ces deux questions méritent d’être posées en lien avec
la question de l’égalité femmes-hommes afin de décloisonner et mieux comprendre le
débat au niveau national.
CHAPITRE 1 - CADRE LIBERAL DE MARCHE & INFLUENCE EUROPENNE
La politique communautaire d’égalité entre les femmes et les hommes s’est largement
développée et approfondie depuis le traité de Rome de 1959 (I). Quant à la question des
retraites, sous l’impulsion notamment d’un cadre libéral de marché porté par les
institutions internationales, elle est l’objet d’une européanisation croissante quoique
indirecte, et d’un mouvement de réformes concomitantes en Europe (II). Il peut alors
sembler paradoxal que l’européanisation de la question de l’égalité des retraites entre les
sexes soit faible (III). Et lorsque dans le cadre français s’exprime une influence
européenne dans ce domaine, il est fait usage à la référence européenne pour justifier des
reculs pour les femmes comme ce fut le cas avec la réforme de la majoration de durée
d’assurance (MDA) fin 2009 (IV).
I. L’Europe : terrain fertile pour l’égalité femmes/hommes La Communauté économique européenne (CEE) d’abord, puis l’Union européenne (UE)
ensuite, apparaissent comme un terrain propice à recevoir les demandes de celles et ceux
qui luttent contre les inégalités entre les sexes. Sophie Jacquot, dans sa thèse soutenue en
2006 (IEP de Paris) et intitulée « L’action publique communautaire et ses instruments. La
politique d’égalité entre les femmes et les hommes à l’épreuve du gender mainstreaming»,
retrace l’institutionnalisation des revendications en faveur de l’égalité entre les femmes et
15
les hommes au niveau communautaire. Elle analyse également la transformation de cette
institutionnalisation comme la pluralité et l’évolution de ses instruments.
1.1 Un corpus juridique dense depuis le traité de Rome
1.1.1 Les traités Dès 1957, le traité instituant la Communauté économique européenne signé à Rome porte
en germe la future action publique communautaire en matière d’égalité entre les sexes. En
effet, le principe de « l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les
travailleurs féminins pour un même travail » est inscrit dans l’article 119 de ce traité.
De l’objectif d’égalité salariale on passe à un objectif plus large et inclusif d’égalité
professionnelle avec la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des
travailleurs en 1989. Dans son alinéa 16, elle invite ainsi les Etats membres à agir sur
« l’accès à l’emploi, la rémunération, les conditions de travail, la protection sociale,
l’éducation, la formation professionnelle et l’évolution des carrières », et à développer les
mesures « permettant aux hommes et aux femmes de concilier leurs obligations
professionnelles et familiales », pour « garantir la mise en œuvre de l’égalité entre hommes
et femmes ».
Quant au Traité de Maastricht de 1992, il indique que « la Communauté soutient et
complète l’action des Etats membres » notamment dans le domaine de « l’égalité entre
hommes et femmes en ce qui concerne leurs chances sur le marché du travail et le
traitement dans le travail ».
Le Traité d’Amsterdam de 1997 va plus loin en inscrivant notamment dès son article 2
« l’égalité entre les hommes et les femmes » comme un des objectifs prioritaires de
l’Union européenne. Ce traité précise aussi par exemple en son article 141, alinéa 4, que :
« Pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un Etat membre de maintenir ou d’adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l’exercice d’une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle. »
Le projet de Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) en 2005 faisait une
large part à « l’égalité entre les femmes et les hommes » dans les valeurs et objectifs de
l’Union, ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union et dans la partie 3 sur
les politiques et le fonctionnement de l’Union. On relèvera l’inversement de l’ordre des
16
termes « femmes » et « hommes ». Non pas pour l’anecdote mais parce que les mots ont un
sens et l’ordre des mots aussi quand il ne s’appuie sur aucune autre logique que celle d’une
prééminence généralisée du masculin sur le féminin. Les féministes font généralement de
cet élément un marqueur et justifient de placer « femmes » avant « hommes » par l’ordre
alphabétique. La reprise de cet inversement dans le texte du TCE pourrait donc être
regardé comme un marqueur de l’influence féministe.
Enfin, l’égalité femmes/hommes fait partie des valeurs sur lesquelles l’UE se fonde. Cela
est explicitement mentionné dans l’article 2 du Traité de l’UE (TUE).
On le voit, dès son origine jusqu’à aujourd’hui, la CEE puis l’UE ont au fil des traités
intégré de plus en plus l’objectif d’égalité entre les sexes. Cela s’est également manifesté
dans la jurisprudence de la Cour de Justice des Communautés Européennes (CJCE) comme
dans le droit dérivé avec les directives européennes. Sophie Jacquot parle d’un
« empilement d’instruments »22.
1.1.2 La jurisprudence de la CJCE Si le principe d’égalité des rémunérations a été intégré dès le Traité de Rome en 1957, et
donc quasiment « constitutionnalisé », il reste sans effet réel jusqu’au deuxième arrêt
Defrenne23 en 1976 qui marque le début de l’avancée des droits des femmes par la
mobilisation du droit et l’intervention de la jurisprudence de la Cour du Luxembourg, la
CJCE. Sophie Jacquot souligne que « la Cour de justice européenne a, au fil des années,
contribué à faire connaître mais aussi à étendre le champ d’application des principes
d’égalité de rémunération puis d’égalité de traitement contenus dans le droit
communautaire »24. Elle donne crédit, notamment à partir de l’appréhension de la
jurisprudence de la CJCE, à l’hypothèse selon laquelle l’espace communautaire constitue
un espace plus favorable à l’égalité entre les sexes que les espaces nationaux.
1.1.3 Les directives européennes Une directive européenne est l’acte normatif pris par les institutions de l'Union
européenne. Elle fixe des objectifs à atteindre aux Etats membres dans un certain délai,
mais elle les laisse néanmoins libres quant à la forme et aux moyens utilisés pour atteindre
ces objectifs. Une directive européenne implique une transposition en droit national par les
Etats. Concernant l’égalité femmes/hommes, la première remonte à 1975 et a porté sur
22 Jacquot S., L’action publique communautaire et ses instruments ; La politique d’égalité entre les femmes et les hommes à l’épreuve du gender mainstreaming, thèse de l’IEP de Paris, 2006, p. 178. 23 ibid p. 192. 24 ibid p. 196.
17
l’égalité de rémunération25. D’autres ont été prises depuis notamment sur l’égalité de
rémunération et de traitement et sur la sécurité sociale.
1.2 Une institutionnalisation avancée L’action communautaire en faveur de l’égalité femmes/hommes est portée au sein des
institutions européennes, au niveau de la Commission européenne comme au niveau du
Parlement européen. Cette institutionnalisation est relativement ancienne et s’est
progressivement structurée. Le Parlement européen votera dès l’année de sa création en
1979, la mise sur pied d’une Commission des Droits de la Femme présidée au départ par la
française Yvette Roudy 26 . Le mouvement féministe connaît également une forte
institutionnalisation au niveau européen avec la constitution dès 1990 du européen des
femmes (LEF). Crée avec le soutien de la Commission européenne, cette ONG – une des
plus anciennes ONG de la société civile établie au niveau européen – déclare aujourd’hui
représenter près de 2500 organisations27.
Ce corpus juridique fourni et cette forte institutionnalisation concernant l’égalité entre les
femmes et les hommes entraînent des impulsions données par le niveau communautaire en
matière d’égalité entre les sexes qui favorisent et prescrivent des politiques publiques.
C’est le cas, et de plus en plus, en matière de conciliation entre la vie professionnelle,
privée et familiale28. Et cette influence européenne fait progressivement évoluer le
traditionnel modèle familialiste et nataliste français29, bien qu’il faille garder à l’esprit le
risque de subordination de la politique d'égalité entre les sexes aux objectifs de politique
économique de l’Union européenne30, et donc le risque d’une égalité sous condition.
II. Un projet d’égalité hors des critères retenus par les agences de notation Les politiques d’égalité entre les sexes sont généralement perçues comme dispendieuses, à
l’image des autres politiques de justice sociale, davantage que comme un investissement.
Un investissement sur l’avenir dont le coût est bien peu de chose par rapport au budget
25 Directive du Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (75/117/CEE). JO L 45 du 19.2.1975. 26 Elle deviendra par la suite Ministre des droits de la femme de François Mitterrand de 1981 à 1986. 27 http://www.womenlobby.org/?lang=fr 28 Burri S., La conciliation de la vie professionnelle, privée et familiale. L’approche juridique de l’Union européenne, Revue de l’OFCE, n°114, juillet 2010, p. 213-236. 29 Jacquot, Ledoux, Palier, « Changing French Reconciliation Policies and the Usages of Europe: Reluctant Europeanization? », chap. 4, p. 116-150, in Lombardo E., Forest M., The Europeanization of Gender Equality Policies: A Discursive-Sociological Approach. Palgrave MacMillan, 2012. 30 Voir Jonsson A., Perrier G., chap. 4 « Les politiques de conciliation de l’Union européenne : dépassement u déplacement de la dichotomie genrée public-privé ? », dans Muller P., Sénac-Slawinski R. et al., Genre et action publique : la frontière publique-privée en questions, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », Paris, 2009, 248p
18
dépensé aujourd’hui pour pallier les inégalités générées31 et aux gains obtenus demain
d’une société plus égalitaire. Les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes sont
encore plus rarement regardées comme un impératif de justice non soumis à un objectif de
rentabilité. C’est pourquoi dans un contexte d’austérité et de maîtrise ou de réduction de la
dépense publique, ces politiques connaissent souvent des reflux ou du moins ne sont pas
dotées des budgets nécessaires à l’atteinte des objectifs d’égalité fixés.
Impact sur les retraites = un mouvement de réformes concomitantes en Europe Les dépenses de retraite constituent aujourd’hui à la fois la plus grosse partie des dépenses
sociales et celles qui ont le plus augmenté au cours des vingt dernières années sous l’effet
d’un nombre toujours plus grand de personnes arrivant à la retraite et de l’allongement de
la durée de la vie32. Alors que la solution au problème du financement des retraites en
France passe d’abord par une réduction du chômage et une hausse des taux d’emploi, en
particulier des jeunes et des séniors, comme le souligne Bruno Palier33, « une nouvelle
orthodoxie économique portée notamment par le Fonds monétaire international (FMI), la
Banque mondiale et l’Organisation pour la coopération et le développement économique
(OCDE) chasse les déficits et les augmentations des dépenses publiques »34. Depuis les
années 2000, les institutions européennes semblent se faire le relais de cette orientation
économique globale en définissant des orientations communes qui doivent guider les
réformes des retraites nationales35. C’est ainsi que de nombreuses réformes des retraites
sont prises dans les pays européens sous l’effet concomitant du niveau international et du
niveau européen et avec le même objectif de réduction des déficits et de la dépense
publics. Malgré des modalités différentes selon les pays, ces réformes tendent en général à
un relèvement des âges de départ à la retraite et une baisse du niveau des pensions (Palier,
2010). Eric Aubin de la CGT rappelle lui aussi au cours de son entretien fin août 2011,
quatre mois avant que la France voit effectivement sa note AAA dégradée par l’agence de
notation Standard & Poor’s, que « les marchés financiers et les agences de notation ont
pesé d’un poids considérable » sur la réforme des retraites en 2010 en France alors que le
31 Si l’on prend l’exemple des violences faites aux femmes par exemple, le gouvernement français sur son portail internet indique au deuxième rang des raisons l’ayant poussées à soutenir l’adoption de la loi Bousquet du 9 juillet 2010 contre les violences faites aux femmes le coût de ce phénomène : « les soins dispensés aux victimes, le traitement des plaintes et la prise en charge des traumatismes liés aux violences représentent une dépense globale de 2,5 milliards d'euros chaque année ». http://www.gouvernement.fr/gouvernement/la-loi-sur-les-violences-faites-aux-femmes 32 Palier B., La réforme des retraites, PUF, (Que sais-je?), Paris, 2010, p. 23. 33 Ibid p. 37. 34 Ibid p. 56. 35 Ibid p. 61-63.
19
contexte de crise et d’austérité est déjà là. Pour lui « ils ont mis la pression sur le
gouvernement en disant « si vous n’arrivez pas à tenir sur la réforme des retraites, la note
AAA risque de sauter »36.
III. Faible européanisation apparente de l’égalité des retraites entre les sexes Comme un symptôme de cette tension entre deux cadres de politiques publiques, celui de
l’égalité des sexes d’un côté et celui de l’orthodoxie économique guidant les réformes de
retraites en Europe de l’autre, on constate une faible européanisation de l’égalité des
retraites entre les sexes.
On relève ainsi à première vue une absence quasi totale d’intervention directe du niveau
communautaire dans ce domaine. Certes, le Lobby européen des femmes, interrogé, nous
a indiqué avoir adopté une position en matière d’égalité des retraites entre les sexes dès
2001. Mais au-delà, nos recherches ne nous ont pas permis de trouver la trace de sources
émanant des institutions ou d’organisations représentatives européennes traitant de cette
question. Par exemple, le livre vert sur les retraites lancé au mois de juillet 2010 au niveau
européen ne traite pas des inégalités entre les femmes et les hommes. D’ailleurs, les
parlementaires européens regrettent dans une résolution du Parlement européen votée en
février 2011 que la question du genre soit absente de ce livre vert37.
L’absence d’intervention directe du niveau communautaire sur l’égalité des retraites entre
les sexes, si elle était vérifiée, serait d’autant plus paradoxale que des inégalités de retraites
entre les sexes existent partout en Europe et ce de façon massive. Ainsi, la pension de
retraite moyenne des femmes en droits propres (l’écart se réduisant avec les pensions de
réversion) est inférieure de 32% en Suède (2006), de 46% en Italie (2006), de 48% en
Allemagne (2007) ou de 52% en France (2004)38.
Qui plus est, les rares sources évoquant la question des inégalités entre les sexes à la
retraite adoptent généralement une lecture formelle de l’égalité au détriment des femmes
sur l’espérance de vie39, les bornes d’âges ou les droits familiaux et conjugaux. Ainsi, face
au risque réel de voir les femmes pénalisées en raison de leur espérance de vie plus élevée,
les parlementaires européens ont jugé nécessaires dans la résolution pré-citée que « le
Parlement européen demande avec force à la Commission et aux États membres d'obliger
36Eric Aubin, CGT, n°6 37 Résolution du Parlement européen du 16 février 2011 «Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe» (2010/2239(INI)) 38 Bonnet C., Geraci M., Comment corriger les inégalités de retraite entre hommes et femmes ? L’expérience de cinq pays européens, Population & Sociétés, n°453, février 2009. 39 Brocas A-M., Directrice de la DRESS, « les régimes de retraite face au différentiel d’espérance de vie entre les hommes et les femmes », Droit Social, N°3 mars 2011.
20
les institutions de retraite professionnelle, ainsi que les autres institutions de retraite
complémentaire, à utiliser des tables de mortalité sans distinction de sexe lors du calcul des
pensions de retraite ».
IV. Le précédent de la réforme de la MDA ou le stigmate du recul des droits des femmes Ce détour par le niveau européen conduit à se demander si en France on a pu assister à une
manifestation de l’influence européenne en matière d’égalité des retraites entre les sexes.
C’est ainsi que le focus est mis sur la réforme de la majoration de durée d’assurance
(MDA) entreprise fin 2009 à la veille de la réforme de 2010. En effet, le Gouvernement a
alors usé de la référence européenne – le principe d’égal traitement entre les femmes et les
hommes – pour justifier la réforme de ce dispositif qui jusqu’alors accordait uniquement
aux mères une bonification à hauteur d’un trimestre par année durant laquelle elles ont
élevé un enfant, dans la limite de 8 trimestres par enfant. La proposition gouvernementale
était de réserver la première année aux mères « au motif qu’elles ont attendu un enfant et
qu’elles ont commencé à l’élever », et de partager la deuxième année entre les pères et les
mères au titre de l’éducation des enfants. Cette lecture très formelle de l’égalité a été
largement critiquée, notamment par les féministes, comme étant injuste pour les femmes.
L’alternative d’une refonte de la MDA sur une action positive a été portée dans le débat,
notamment par les juristes Annie Junter et Michel Miné40. Christiane Marty, membre de la
commission scientifique et de la commission genre d’Attac, militante féministe et auteure
de nombreux articles sur les inégalités de genre, souligne que :
« Les bonifications pour enfant (MDA) ont été rabotées dès 2003 pour les femmes du secteur public, idem en 2010 pour les femmes du privé. D’une part, on peut remarquer que l’application des directives européennes se fait actuellement en appliquant « l’égalité par le bas », c’est à dire en supprimant les dispositions bénéfiques aux femmes, au lieu de les étendre aux hommes. D’autre part, cette conception purement formelle est une impasse : elle suppose que l’égalité signifie d’abord que la loi doit être la même pour tout le monde. Mais de fait, la situation aujourd’hui est le résultat d’inégalités structurelles entre hommes et femmes. Si on ne compense pas ces inégalités, une loi égale pour tout le monde ne fait que les figer. »41
40 Junter A., Mine M., « La réforme des retraites : de quelle égalité parle t-on ? », in Réjane Sénac Slawinski, Femmes-Hommes ;des inégalités à l’égalité ?, Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010. Voir également Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, note juridique avec la contribution d’Annie Junter et Michel Mine sur « Le maintien et la refondation de la majoration de durée d’assurance (MDA) octroyée aux femmes », 17 septembre 2009. Cette note est disponible sur le site internet de l’OPFH. Voir enfin : Lanquetin M-T., « La majoration de durée d’assurance est-elle soluble dans l’égalité ? », Travail, genre, et sociétés, n°25, 2011/1, 248p. 41 Christiane Marty, Attac, n°1
21
On le voit, l’usage de la référence européenne comme outil de légitimation de l’action par
le Gouvernement a pu avoir comme effet, au regard de la réforme entreprise, d’accoler un
a priori négatif à l’influence européenne en matière d’égalité des retraites entre les sexes.
Ceci ne sera sans doute pas sans conséquence sur l’usage ou non par les acteurs, et
notamment féministes, de la référence européenne dans le débat qui suivra en 2010 sur les
retraites. En effet, l’agrégation de ces différents éléments (faible européanisation de
l’égalité des retraites entre les sexes, et, usage en négatif pour les femmes de la référence
européenne) n’est pas propice à l’usage de la référence européenne par celle et ceux qui
souhaitent mettre l’égalité femmes/hommes dans les débats.
Par ailleurs, les débats sur la MDA ayant été l’occasion d’une mise en lumière des
inégalités de retraites entre les femmes et les hommes, cela était susceptible de favoriser
l’inclusion de la dimension du genre dans les prémices des débats. Or nous allons le voir,
cette inclusion n’a pas spontanément eu lieu malgré de nombreux facteurs positifs dont le
premier d’entre eux : l’étendue des inégalités de genre à la retraite.
CHAPITRE 2 – UNE ANALYSE EMPIRIQUE PLAIDANT EN THEORIE POUR LA PRISE EN COMPTE DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES
I. Une réalité sans appel : des inégalités massives objet d’études nombreuses L’entrée massive des femmes sur le marché du travail est un des phénomènes majeurs de la
seconde moitié du 20ème siècle. La société française est passée d’une situation où la place
des femmes était au foyer, à l’intérieur, à une situation aujourd’hui où elles ont gagné le
droit de travailler, à l’extérieur. Leur taux d’emploi a ainsi considérablement augmenté42
depuis plusieurs décennies. Mais la situation des femmes françaises souffre d’un paradoxe.
Malgré le fait qu’elles soient désormais durablement installées dans le travail et plus
diplômées que les hommes, elles continuent d’être frappées par une situation largement
inégalitaire par rapport à leurs homologues masculins. Comme le souligne Dominique
42 En 2009, les femmes représentent près de la moitié de la population active (47,7 %). Entre 15 et 64 ans, 66,1 % d’entre elles sont actives, contre 74,9 % des hommes. Le taux d’emploi s’élève à 60 % pour les femmes et à 68,4 % pour les hommes. Les comportements féminins et masculins se sont nettement rapprochés depuis une trentaine d’années: le taux d’activité des femmes s’est accru tandis que celui des hommes a diminué. Les taux d’activité des femmes et des hommes se sont donc rapprochés (27,6 points d’écart en 1978 contre 8,8 points en 2009). (enquêtes emploi, INSEE)
22
Méda (2001)43, la source de ce paradoxe réside dans le fait que les structures sociales et les
conceptions traditionnelles des rôles sont restées les mêmes, et qu’aujourd’hui les femmes
assument tous les rôles. Les inégalités professionnelles restent extrêmement importantes.
Elles se cumulent tout au long de la vie d’une femme : inégalités salariales, précarité du
marché du travail féminin (temps partiels44, CDD, etc.), interruptions de carrière pour
élever des enfants ou pour faire face à d’autres aléas de la vie de famille (enfant handicapé,
personne âgée dépendante, etc.). Le mouvement féministe des années 70 – qui a été
caractérisé de « mouvement de libération des femmes » - a notamment permis d’identifier
le travail domestique comme un des piliers du système patriarcal. Le travail domestique
constitue en effet un travail à titre gratuit fourni par les femmes au bénéfice de la famille et
pour le plus grand profit des hommes. Le chiffre est largement connu et ne bouge pas
depuis 40 ans : les femmes prennent en charge 80% des tâches domestiques au quotidien.
L’écart entre les sexes se réduit très faiblement et demeure d’une heure et demie par jour
en 201045. La sociologue Christine Delphy a remarquablement mis en lumière en quoi ce
travail domestique est un des fondements de la domination masculine. Dans un article
intitulé « L’Ennemi principal » paru à l’automne 1970 dans la revue Partisans elle écrit
que si la femme travaille, « non seulement son emploi ne la dispense pas du travail
domestique, mais il ne doit pas nuire à ce dernier. La femme n’est donc libre que de fournir
un double travail contre une certaine indépendance économique ». Thomas Lancelot,
fondateur avec Clémentine Autain de l’association Mix-Cité, souligne46 que l’image des «
nouveaux pères » et des nouveaux couples marqués du sceau égalitaire dans le partage des
tâches à la maison et auprès des enfants, a tendance à masquer la continuité extrêmement
forte qui existe dans les inégalités entre les sexes. Ces images peuvent servir de «
remarquables mystifications qui viennent occulter la persistance de la division sexuelle
inégalitaire du travail domestique ».
1.1 Les retraites, miroir grossissant des inégalités professionnelles47 En dépit de dispositifs compensateurs d’avantages familiaux et conjugaux non
négligeables48, et aux pensions de réversion qui transfèrent une partie des droits personnels
43 Méda D., Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, éd. Flammarion, 2001, 199 p. & Méda D., Travail. La Révolution nécessaire, L’Aube, 2010. 44 Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur le temps partiel, Paris, 2011. 45 voir la dernière enquête emplois du temps de l’INSEE et l’enquête longitudinale « Etude des relations familiales et intergénérationnelle » réalisée par l'INED et l'INSEE en 2005 et 2008 46 Interview de Thomas Lancelot, site d’informations en ligne Egalité, 9 décembre 2011 47 cf. annexe 5.
23
du conjoint à son épouse, les retraites des femmes demeurent largement inférieures à celles
des hommes. Il y a à la retraite, un « effet miroir grossissant ». Si les salaires des femmes
sont en moyenne inférieurs de 27%49 à ceux des hommes, l’écart à la retraite est lui de
38% (1007 euros contre 1622 euros en moyenne)50. L’écart est plus important si l’on ne
considère que les avantages de droit direct : en 2008, les femmes, avec 825 € mensuels en
moyenne, disposaient d’un montant inférieur de 42 % à celui des hommes (1426 € en
moyenne)51.
30 % des femmes (contre 5 % des hommes) attendent l’âge de 65 ans pour liquider leur
retraite afin de compenser les effets d’une carrière incomplète et d’accéder au bénéfice du
taux plein pour le calcul de leur pension52. Les femmes valident deux fois moins souvent
des carrières complètes que les hommes (respectivement 41 % contre 86 %). La part des
femmes ayant effectué une carrière complète augmente au fil des générations: elle est
passée d’un tiers pour les 85 ans ou plus à près de la moitié (45 %) pour les retraitées âgées
de 65 à 69 ans. Pour ces générations, l’écart entre les femmes et les hommes reste
néanmoins très important (45 % de femmes, contre 85 % d’hommes)53.
1.3 Des rapports dont les acteurs non féministes semblent peu se saisir L’impression de départ était celle d’une littérature fournie sur la question de l’égalité entre
les sexes à la retraite. Or il semble que la littérature ayant trait à cet angle précis ne soit
pas si dense, et surtout, qu’elle soit relativement récente en comparaison avec la littérature
beaucoup plus fournie sur l’égalité professionnelle de manière générale.
Bonnet, Buffeteau et Godefroy relevaient en 2006 que « malgré la position plus
défavorable des femmes, le genre est quasiment inexistant dans la littérature sur les
réformes de retraite, pourtant abondante » 54 . Françoise Milewski, économiste à
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), souligne55 également que
peu de chercheur-e-s ont travaillé sur le sujet. Toutefois ces travaux sont de plus en plus
48 Voir COR, 6ème rapport, « Retraites : droits familiaux et conjugaux », 17 décembre 2008. La 1ère partie est consacrée au constat des droits familiaux et conjugaux dans le système de retraite français. 49 Tous temps de travail confondus (Dares, 2006). Pour en savoir plus : Muller L., « Les écarts de salaires entre les hommes et les femmes en 2006 : des disparités persistantes », Premières informations, premières synthèses, n°44.5, Dares, octobre 2008. 50 DRESS, « Les pensions perçues par les retraitées fin 2004 », Études et Résultats, n° 538, novembre 2006. 51 DRESS, « enquête annuelle auprès des caisses de retraite », in Études et résultats, n° 722, avril 2010. 52 DRESS, « échantillon interrégimes de retraités 2004 », in Études et résultats, n° 538, novembre 2006. 53 Ibid. 54 Bonnet C., Buffeteau S., Godefroy P., 2006, « Les effets des réformes de retraites sur les inégalités de genre en France , Population, 61, 1-2, p. 46. 55 Françoise Milewski, OFCE, n°2
24
nombreux. Ainsi, dans le rapport sur les femmes et la précarité remis en 2005 à la ministre
chargée de la Parité de l’époque, Nicole Ameline, Françoise Milewski se chargeait de la
rédaction du chapitre dix consacré aux retraites des femmes56. En 2007 le rapport d’activité
de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les
femmes de l’Assemblée nationale (DDF de l’AN) s’interrogeait, certes de manière
incidente, sur la paupérisation des femmes retraitées57. De façon plus large puisque traitant
de « la pauvreté au féminin », le rapport annuel du Secours Catholique publié en novembre
2009 trouva un large écho dans la presse. Ce rapport insistait sur la sur-représentation des
femmes dans les personnes accueillies par l’association, et ceci de façon croissante. Ainsi
elles représentent 54,4 % des personnes accueillies en 2008 par le Secours Catholique58,
alors qu’elles n’étaient que 51 % en 1999. Parmi elles, 90 % vivent en dessous du seuil de
pauvreté (910 euros par unité de consommation). Et le rapport mettait aussi notamment
l’accent sur la situation particulièrement précaire de nombreuses familles
monoparentales59. Ce type de familles représente le tiers des personnes accueillies, une
proportion 3,4 fois plus élevée qu’au sein de la population française (9%). En 2008, cette
fois-ci, un rapport déposé par Claude Greff au nom de la DDF de l’AN est consacré à la
question des femmes et leur retraite60. Ce rapport met à nouveau en lumière les inégalités
de genre en matière de retraite. Il note que l’amélioration causée par la hausse du taux
d’emploi des femmes « risque d’être très lente ». Il est par ailleurs clair sur l’amplification
des inégalités du fait des réformes des retraites successives. Et, fait plus nouveau, ce
rapport formule des propositions de « réformes à conduire »61. Ces propositions sont
56 Milewski F. et al., Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité, Paris, La Documentation Française, 2005, p. 268-289. Si le rapport relevait que les écarts de retraites entre les sexes allaient continuer de se réduire sous l’impulsion de la hausse de l’activité des générations 1960 et 1970, il mettait toutefois en garde sur les conséquences négatives sur l’évolution de cet écart d’une insertion des femmes sur le marché du travail marquée par la précarité. Et il mettait déjà aussi en relief le creusement de cet écart sous l’effet de mesures générales de réformes des retraites comme le passage des 10 aux 25 meilleures années pour le calcul des pensions. 57 Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapport d’activité ; octobre 2005-février 2007, Assemblée nationale, n°3670, p. 42-44. 58 Pour mieux apprécier cette sur-représentation des femmes, il faut savoir qu’en 2005, la France comptait environ 33 713 513 millions de femmes et 31 636 668 millions d'hommes, soit 51,6 % de femmes pour 48,4 % d'hommes. 59 Les familles monoparentales (INSEE, 2005) caractérisent 1,76 million de familles et concernent 2,84 millions d’enfants. Dans 85% des cas, c’est la mère qui est en charge de la famille. Les mères de famille monoparentale sont moins diplômées que les mères de famille vivant en couple, sur-représentées parmi les agents de services, les aides à domicile, les personnels de nettoyage et les adjoints administratifs de la Fonction publique, 25% d’entre elles travaillent temps partiel. 60 Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapport d’information sur les femmes et leur retraite, Assemblée nationale, n°1028. 61 Ibid, p. 21.
25
notamment relatives aux modes de calcul des pensions, comme celle visant l’intégration
des indemnités journalières perçues par les mères de famille à l’occasion d’un congé
maternité, ou encore celle visant un autre mode de décompte des trimestres validés moins
désavantageux pour les personnes à temps très partiels, contrats atypiques qui concernent à
plus de 80%62 les femmes. Une autre proposition vise le partage des droits à la retraite
entre ex-conjoints à l’occasion d’un divorce. On le voit, ces propositions de réformes
touchent donc directement au système de retraite actuel et à ses modalités. Enfin, il est
incontournable de citer le 6ème rapport du Conseil d’orientation des retraites63 (COR)
consacré en 2008 aux droits familiaux et conjugaux en matière de retraites. Ce rapport fait
référence, et constate lui aussi des écarts significatifs entre les femmes et les hommes en
matière de retraite. Nous y reviendrons.
Reste désormais à se poser la question de qui se saisit de ces rapports ? Il semblerait que ce
soit principalement les acteurs déjà les plus sensibilisés à la question des droits des femmes
et de l’égalité entre les sexes avec, en première ligne, les féministes. Par ailleurs, il est
marquant de constater que ces rapports institutionnels émanent pour la plupart des
institutions en charge des droits des femmes. La portée limitée de ces rapports pourrait en
partie s’expliquer par la faiblesse de ces institutions (nous testerons ces deux hypothèses
dans la partie deux).
II. L’expérience des réformes des retraites de 1993 et 2003 : une aggravation des inégalités La réforme de 2010 vient après deux grandes réformes des retraites en France, celles de
1993 et 2003. Il apparaît donc incontournable de très brièvement se pencher sur le contenu
de ces réformes et sur l’impact qu’elles ont pu avoir en terme d’inégalités de genre. Pour
ce faire, on s’appuiera notamment sur les travaux de Carole Bonnet, chercheure à l’INED
et spécialiste de la question des inégalités de genre et des systèmes de retraites.
2.1 Les réformes de 1993 et de 2003 La réforme de 1993 concernait uniquement les salariés du secteur privé et les
indépendants. Deux principales mesures marquent cette réforme dite « réforme Balladur ».
62 En 2009, 29,9 % des femmes et 6,0 % des hommes sont à temps partiel. Les femmes représentent 81,9% des salariés à temps partiels (Sources : enquêtes Emploi, Insee, in Chiffres Clés 2010, l’égalité entre les femmes et les hommes, tab. 31, p.39). 63 Afin d’appréhender à partir du point de vue de son Président, Raphaël Hadas-Lebel, le rôle, les objectifs ou encore la composition du COR, se reporter à l’article suivant : Hadas-Lebel R., Président du COR, Les dix ans du Conseil d’orientation des retraites : la contribution du COR aux débats sur les retraites, Droit Social, N°3 mars 2011.
26
La première correspond à l’allongement de la durée de cotisation nécessaire pour avoir une
retraite à taux plein qui passe de 150 à 160 trimestres, soit de 37,5 à 40 ans. Et la seconde
réside dans le passage des 10 au 25 meilleures années pour le calcul des pensions. La
réforme de 2003 intervient quant à elle huit ans après l’échec du projet de réforme Juppé à
destination des fonctionnaires et des régimes de retraites sociaux de 1995. Cette réforme
dite « réforme Fillon » aura pour conséquence principale un alignement de la durée de
cotisation de tous les salariés à 40 ans en 2008, et à 41 ans en 2012.
2.2 Leur impact différencié sur les femmes et les hommes Dans une analyse64 portant sur les salariés du secteur privé65 Bonnet, Buffeteau et
Godefroy montrent que la réforme de 1993 aurait un impact plus négatif sur les pensions
des femmes que sur celles des hommes. L’étude souligne que la réforme de 1993 aurait
tendance à creuser l’écart de pensions puisque par exemple « pour les générations 1965-
1974, cet écart s’établirait à 47% en faveur des hommes sans la réforme, et passerait à 54%
avec la réforme »66. Et si ces chercheurs et chercheures montrent aussi que la réforme de
2003 aurait un impact plus faible que celle de 1993 sur cet écart de pension, ils concluent
en soulignant que « les deux réformes successives freineraient la réduction de l’écart des
retraites des hommes et des femmes d’environ 20% ». Alors que ces deux réformes ne
comportaient pas de dispositions spécifiques selon le sexe, cet impact différencié
désavantageant les femmes s’explique par les inégalités structurelles qui touchent les
femmes tout au long de leur vie professionnelle. Par exemple, le passage des 10 au 25
meilleures années pour le calcul des pensions est particulièrement pénalisant pour les
femmes du fait de leurs interruptions de carrière plus nombreuses que les hommes. Ces
réformes en ne prenant pas en compte ces inégalités, se sont donc non seulement interdites
d’agir sur les inégalités entre les sexes à la retraite, mais auraient aussi ralenti la
diminution de ces inégalités.
La question se pose également de savoir si les débats autour de ces réformes des retraites
en 1993 et 2003 avaient été l’occasion d’un débat sur les disparités importantes entre les
sexes. Concernant 1993, aucun des panelistes interrogés dans le cadre de ce mémoire n’a
64 Bonnet C., Buffeteau S., Godefroy P., 2006, « Les effets des réformes de retraites sur les inégalités de genre en France , Population, 61, 1-2, 45-75 65 une analyse sur les salariés du secteur public réalisée par Bonnet, Buffeteau et Godefroy (2006) montre que l’impact de la réforme de 2003 (celles de 1993 ne les a pas concernés) serait similaire pour les deux sexes. 66 Bonnet C., Buffeteau S., Godefroy P., 2006, « Les effets des réformes de retraites sur les inégalités de genre en France , Population, 61, 1-2, p. 60.
27
confirmé que des débats aient eu lieu. C’est le sentiment d’un non-débat qui prédomine au
contraire. Et concernant 2003, si des inquiétudes sur les droits futurs des femmes avaient
pu être soulevées (Assemblée nationale, 2003 ; Meron et Silvera, 2004 ; Lanquetin 2003),
les réponses des acteurs sur ce point vont également dans le sens d’un débat confiné.
Christiane Marty67 mettra bien en avant qu’Attac avait déjà à l’époque sorti « un quatre
pages qui comportait outre une analyse globale de la question des retraites, une analyse qui
mettait en relief les inégalités entre hommes et femmes dans ce domaine », elle concède
que 2003 ne constituait alors que l’amorce d’un travail sur cette question mais que
globalement les inégalités femmes/hommes n’avaient pas été rendues visibles.
Outre la réalité inégalitaire entre les sexes à la retraite aujourd’hui, les rapports en rendant
compte, et l’impact négatif des deux précédentes réformes des retraites sur la réduction de
ces inégalités, un autre élément de contexte susceptible de favoriser une prise en compte
des inégalités de genre dès l’élaboration de la réforme de 2010 est à relever de mon point
de vue. Il s’agit du retour en force des questions féministes dans la société française.
III. Un regain naissant du féminisme: quand la société commence à (re)prendre conscience que l’égalité est encore loin d’être acquise L’hypothèse qui sera défendue ici est celle d’un regain du féminisme en France ces
dernières années. Quel contexte aurait permis ce regain et comment se manifesterait-il ? En
quoi sa portée dans l’opinion aurait-il pu être favorable à une inclusion plus précoce de la
dimension égalité femmes/hommes dans les débats sur la réforme des retraites ?
3.1 Un contexte favorable L’histoire du féminisme révèle des vagues et des reflux comme sans doute l’histoire de
bon nombre d’autres courants de pensée et mouvements sociaux. Si il demeure
extrêmement difficile de séquencer l’histoire, on dégage généralement une première vague
du féminisme, celle de la revendication de l’égalité des droits civils et politiques entre la
fin du 18ème et le milieu du 20ème siècles, et une deuxième vague incarnée par les années
1970 et le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) où les questions se posent
davantage en termes d’accès aux droits, notamment ceux attachés à la libre disposition du
corps des femmes68. A la suite de quoi les années 1980 et début des années 1990 sont
marquées par un reflux où « l’idéologie postféministe triomphait » 69 comme le dit
67 Christiane Marty, Attac, n°1 68 Picq F., Libération des femmes, 40 ans de mouvement, Paris, Dialogues.fr, 2011. 69 Picq F., « Le féminisme entre passé recomposé et futur incertain », Cités 1/2002 (n° 9), p. 25-38.
28
Françoise Picq. Pour cette sociologue spécialiste de l’histoire du féminisme le futur est
plus incertain. En effet, il est difficile de définir dans quelle grande dynamique le
féminisme se situerait aujourd’hui en France et au-delà70.
Cependant, la conjonction de plusieurs éléments cumulatifs ces dernières années mérite
que l’on s’interroge sur la nouvelle dynamique féministe que cela peut créer dans la
société. En 2007 d’abord, le sexisme qui s’est exprimé haut et fort à l’occasion de la
candidature pour le Parti socialiste de Ségolène Royal à l’élection présidentielle a suscité
un réveil de celles et ceux attachés à défendre l’égalité entre les sexes. Les menaces,
ensuite, sur les crédits du Planning familial fin 2009 ont déclenché une mobilisation
notable tant par sa réactivité que par sa force. Une pétition lancée alors par le Planning
familial sur internet a recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures en seulement
quelques jours. Là aussi, l’attaque par le gouvernement de ce qui apparaît encore
aujourd’hui comme un symbole des acquis du féminisme a pu déclencher un déclic, du
moins dans l’esprit des féministes comme le relève Caroline de Haas dans son entretien71.
3.2 L’émergence de jeunes associations et médias féministes Ce sont d’ailleurs ces deux éléments, le traitement réservé à Ségolène Royal en 2007 puis
les menaces sur les crédits financiers du Planning familial en 2009, qui génèreront la
naissance de deux associations de jeunes féministes, la Barbe72 (crée en 2008) et Osez le
féminisme !73 (crée en 2009). Ces organisations sont aujourd’hui deux des icebergs les plus
visibles de la naissance d’une nouvelle génération féministe. De nouveaux médias dont la
Extrait : « l’idéologie postféministe triomphait, proclamant la fin du patriarcat et l’obsolescence de la révolte. Le féminisme a été utile, reconnaissait-elle. Il a fait progresser la situation des femmes et modernisé la société ; mais il a atteint son but légitime, et toute revendication supplémentaire serait excessive et dangereuse ». 70 Depuis, un regain a sans conteste eu lieu à partir du milieu des années 1990 au niveau international, avec notamment la conférence mondiale de Pékin en 1995 au niveau international et les mobilisations contre l’offensive conservatrice du Vatican et des Etats islamiques, et au niveau national, avec la mobilisation féministe souterraine puis plus visible en faveur de la parité et les mobilisations contre le retour de la droite au pouvoir en 1995 également. Cette période voit la création de nombreuses nouvelles associations comme le Collectif national pour les droits des femmes, et une nouvelle génération féministe avec par exemple les Marie pas Claires ou un peu plus tard Mix-Cité. 71 Caroline de Haas, Osez le féminisme !, n°10. 72 La Barbe a pour objet, comme le définit leur déclaration de principes, de « rendre visible la domination des hommes dans les hautes sphères du pouvoir, dans tous les secteurs de la vie professionnelle, politique, culturelle et sociale. » Leur action « consiste à envahir les lieux traditionnellement dominés par les hommes en portant des barbes. L'action peut se jouer dans un restaurant, dans une salle de réunion, à l'AG d'une entreprise ou d'un syndicat, dans un jury de festival... » afin de prendre les hommes « en flagrant délit de non mixité » comme le précisait sa fondatrice Marie de Cenival. 73 OLF a quant à elle pour objet de « diffuser les idées portées par le mouvement féministe dans la société et particulièrement auprès des jeunes et des étudiants à travers un journal en ligne intitulé Osez le féminisme ! » (Déclaration à la Préfecture de Police). Les outils militants de cette organisation sont divers : journal gratuit en ligne et diffusé en version papier auprès des adhérent/es, site internet et pages facebook comme c’est la cas aussi à La Barbe, blogs de campagne, actions militantes de terrain…
29
coloration féministe est plus ou moins revendiquée ont également émergé tels que le
magasine féminin et féministe Causette 74 ou les sites d’informations en ligne Les
Nouvelles News et Egalité. Un article75 du numéro spécial du magazine Alternatives
économiques consacré au féminisme avance que « si les mouvements féministe empruntent
aujourd’hui les formes du « nouveau militantisme », leurs militantes poursuivent le
combat de celles qui les ont précédées et parviennent à retrouver une certaine unité
d’action, au-delà de leurs divisions ».
3.3 2010 : amorce d’une transmission dans l’action entre générations féministes ? Bien que des différences notables puissent être soulevées entre anciennes et nouvelles
générations, notamment concernant le rapport au politique et le réformisme assumé
d’organisation telle que Osez le féminisme!, il semble que l’année 2010 constitue l’amorce
d’une transmission dans l’action avec l’organisation commune de la célébration des 40 ans
du MLF. La volonté des nouvelles militantes de s’inscrire dans l’histoire du féminisme et
de se revendiquer des anciennes est manifeste. D’ailleurs les représentantes d’Osez le
féminisme! ne perdent pas une occasion d’affirmer que rien, à part internet, ne les
différencient des anciennes.
Toutefois, ce regain du féminisme début 2010 est certes palpable, mais encore circonscrit
et naissant. Et donc, pas encore suffisamment fort dans l’opinion pour battre en brèche
l’idée selon laquelle l’égalité entre les sexes est acquise et constitue un combat du passé.
CHAPITRE 3 – DES RESISTANCES RENDANT EN PRATIQUE LE DEBUT DES DEBATS « AVEUGLES AU GENRE » Comme on l’a vu précédemment (chapitre 1), le projet politique d’égalité femmes/hommes
est en tension avec le cadre libéral de marché initialement mobilisé par les tenants et
acteurs de la réforme, dès lors que pour eux la dimension de justice est secondaire vis-à-vis
de la logique comptable. Mais ce point crucial ne peut à lui seul expliquer une non prise en 74 Ce mensuel lancé en 2009 à l’initiative de Grégory Lassus Debat, se donne pour mission de transgresser et tourner en dérision les codes habituels de la presse féminine. Fidèle à sa devise « plus féminine du cerveau que du capiton » Causette se veut être espiègle, provocatrice, libre, aux antipodes de la femme objet. Ce magasine au succès croissant est tiré à 75 000 exemplaires aujourd’hui. 75 Alternatives Economiques, « Les nouvelles féministes existent-elles ? », numéro spécial « Le temps des femmes » n°51, septembre 2011.
30
compte de la dimension de l’égalité entre les sexes. Sinon, comment expliquer alors que
d’autres problèmes politiques, tels que la pénibilité au travail ou la situation de sous-
emploi des jeunes et des séniors, sujets relevant aussi de la dimension de justice, aient eux
été portés à l’agenda par les tenants et acteurs de la réforme ? Les droits des femmes
feraient donc face à des résistances supplémentaires et singulières. Nous allons tenter ici de
pointer les résistances qui ont pu être les plus opérantes chez les tenants et les acteurs des
premiers débats.
I. Des conservatismes tenaces La question des inégalités entre les sexes en matière de retraite se situe à l’intersection de
la sphère dite « privée » et de la sphère publique. En effet ces inégalités tiennent autant à la
domination dite « masculine »76 s’exerçant dans la sphère domestique (milieu familial,
avec le poids du travail domestique), que dans la sphère sociale (milieu professionnel,
avec les inégalités professionnelles), comme au niveau de l’Etat (milieu politique, avec des
normes édictées par des hommes pour des hommes). Réjane Sénac dans son article « Le
pouvoir a un genre…»77 met en avant la « transversalité de la virilité du pouvoir » entre les
sphères domestique, sociale et politique en s’appuyant sur l’analyse du philosophe Jürgen
Habermas. Cette transversalité est fondamentale pour comprendre le caractère particulier et
central des inégalités qui touchent les femmes.
1.1 Du modèle de « M. Gagne pain78 et Mme Salaire d’appoint » On l’a vu précédemment, la situation des femmes dans l’emploi a considérablement évolué
ces dernières décennies. Les femmes ont toujours travaillé bien que leur travail domestique
ou à l’extérieur du foyer ait été longtemps passé sous silence79. Mais il n’est pas si loin le
temps où le travail rémunérateur était quasi exclusivement réservé aux hommes. On
pourrait résumer cette époque révolue au modèle de M. Gagne pain et Mme Gagne rien. Il
aura fallu attendre en France 1907 pour que la loi accorde aux femmes mariées le droit de
percevoir librement leur salaire, et 1965 pour que la loi autorise les femmes à travailler
sans l’accord de leurs maris. On comprend donc aisément que l’idée de l’homme comme
76 Bourdieu P., La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998. 77 Sénac-Slawinski R., Le pouvoir a un genre.., Informations sociales 2009/1, n°151, p. 4-7. 78 Expression tirée du modèle du « male breadwinner model » développé par les sociologues anglo-saxons. 79 Se référer ici aux historiens et historiennes qui ont rétabli l’histoire des femmes en la sortant de l’ombre. C’est le travail entrepris par exemple en France par Michelle Perrot, professeure émérite d'histoire contemporaine à Paris VII -Denis-Diderot et auteure notamment de : Les femmes ou les silences de l'histoire (Flammarion,1998), Mon Histoire des femmes (Seuil, 2006) ou encore avec Georges Duby de la volumineuse et riche Histoire des femmes en Occident (Plon, Paris,1990-1991, 5 volumes).
31
principal voire unique pourvoyeur de revenus puisse encore persister aujourd’hui malgré
une réalité bien différente. Une note80 récente du Centre d’analyse stratégique, service
rattaché au 1er Ministre, indique en effet que le modèle de l’homme « gagne-pain » est en
régression dans les pays développés alors que celui du couple bi-actif (où les deux
conjoints travaillent) se diffuse et représente près de 60% des couples dans la majorité des
pays de l’OCDE81. Cette note relève néanmoins que « le couple bi-actif à deux parents à
temps plein n’est pas encore majoritaire en Europe »82, les mères étant encore bien souvent
à temps partiel. Elle souligne aussi que le travail des mères ne s’est développé de manière
importante que récemment. C’est ainsi que l’ère de M. Gagne pain et Mme Salaire
d’appoint persiste. A partir d’une répartition des rôles archaïque, « naturalisante », le
salaire de Madame est encore bien souvent considéré comme un appoint arbitrable selon la
nécessité de s’occuper du foyer, des enfants ou d’une personne dépendante, ou encore
selon la nécessité d’une mobilité professionnelle pour Monsieur par exemple. Annick
Coupé, porte-parole de l’Union syndicale Solidaires, lançait en 2009 une mise en garde
contre cette idée tenace du salaire d’appoint des femmes :
« (…) dans cette période de crise généralisée, nous avons besoin de rapports de force globaux mais (…) le risque est grand que les femmes soient une fois de plus les laissées pour compte, cela au nom du fait que la précarité, le chômage ou les bas salaires, c’est toujours moins grave pour les femmes que pour les hommes ! »83
Rapporté au débat des retraites, l’idée d’une retraite d’appoint des femmes plutôt que celle
de leur nécessaire autonomie, a pu relativiser, minimiser, voire occulter le problème des
retraites des femmes dans l’esprit de nombreux acteurs.
80 Centre d’analyse Stratégique, « De nouvelles organisations du travail conciliant égalité femme/homme et performance des entreprises », note n°247, novembre 2011, p. 3. 81 OCDE, « Assurer le bien être des familles », 2011, p.40. 82 40% des couples avec un enfant de moins de quatorze ans en France, en Suède, en Italie et en Espagne sont bi-actifs, et moins de 30% en Allemagne et au Royaume-Uni (source : OECD(2010), Gender brief, mars, p.15, et Gresy B., p.42.) 83 Coupé A., In Actes du Forum-débat « L’égalité entre les femmes et les hommes à l’épreuve des politiques et des débats publics » organisé le 9 octobre 2009 par la Mairie de Paris, le CNDF (Collectif national pour les droits des femmes) et le groupe de recherche Mage « Marché du travail et genre en Europe », Le travail des femmes : toujours un salaire d’appoint!, Mage, n°15, 2010, p. 117-120. Voir aussi ce livre de Margaret Maruani où elle dénonce une tolérance sociale aux inégalités professionnelles entre les sexes et en particulier au surchômage des femmes : Maruani M., Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, 2003, p. 60-61.
32
1.2 De l’implicite hiérarchisation des luttes et de la tolérance sociale aux inégalités de sexe La hiérarchisation des luttes place la question économique et sociale avant toutes autres
questions dites « sociétales » et a, quand il s’agit de domination, comme prisme unique la
lutte des classes. Cela vient de loin dans l’histoire de la gauche et au-delà en France. Cela a
pour effet de masquer les autres dominations qui ont cours dans la société, dont la
domination dite « masculine ». Au mieux l’idée est qu’en réduisant les inégalités sociales
on réduira de fait les autres inégalités : entre les femmes et les hommes, entre français de
territoires ou d’origines différentes. Cette idée a pourtant fait long feu. Simone de Beauvoir
elle même, suite à ses voyages en URSS ou dans d'autres pays appelés à l'époque "pays
socialistes", a fait le constat que la situation des femmes n'avait pas fondamentalement
changé avec la "révolution socialiste" et que l'égalité des hommes et des femmes n'y était
pas non plus réalisée. Si elles avaient certes gagné le droit au travail à l'extérieur, il n'en
restait pas moins que les femmes continuaient à être cantonnées dans "les professions les
moins agréables et les moins cotées", à être exclues du pouvoir politique, et à supporter
seules toute la charge du travail domestique et donc des doubles journées de travail »84.
Elle donnait deux raisons principales à ce constat d'échec, à savoir que le socialisme n’a
pas été réellement appliqué, et que les hommes et les femmes ont respectivement
intériorisé un complexe de supériorité et d’infériorité :
"Eh bien, d'abord, les pays socialistes ne sont pas réellement socialistes : nulle part on n'a réalisé un socialisme qui changerait l'homme comme le rêvait Marx. On a changé les rapports de production, mais nous comprenons de mieux en mieux que changer les rapports de production, ce n'est pas suffisant pour changer vraiment la société, pour changer l'homme. Et par conséquent, malgré ce système économique différent, les rôles traditionnels de l'homme et de la femme demeurent. C'est lié au fait que, dans nos sociétés, les hommes ont profondément intériorisé, sous forme de ce que j'appellerai un complexe de supériorité, l'idée de leur supériorité. Ils ne sont pas prêts à l'abandonner. Ils ont besoin, pour se valoriser, de voir dans la femme une inférieure. Elle-même est tellement habituée à se croire inférieure que rares sont celles qui luttent pour conquérir l'égalité"85
Au cours de mes entretiens j’ai pu demander aux actrices, notamment syndicales et
associatives, si elles pensaient qu’une des résistances à la prise en compte des femmes
pouvait résider dans la persistance de la hiérarchisation des luttes. Les réponses formulées
par Françoise Milewski et Christiane Marty sont claires et soutiennent cette hypothèse :
84 Schwarzer A., Entretiens avec Simone de Beauvoir, Mercure de France, Mayenne, 2008, p. 25. 85 Ibid, p. 26-27.
33
« Mais il faut aussi dire qu’une partie de la gauche, y compris syndicale, considère encore que la question des inégalités hommes-‐femmes est un problème secondaire, surdéterminé par la question sociale dans son ensemble ». (Françoise Milewski, OFCE, n°2)
« On ne revient pas à la hiérarchie des luttes, on n’en est jamais sortis. Déjà en 2003 on nous disait “la question des retraites des femmes, ce n’est pas la question des retraites“ ». (Christiane Marty, Attac, n°1)
Une députée socialiste pourra témoigner également de ce passage au second plan des
inégalités de genre en livrant la réponse qu’on lui a opposée lorsqu’elle a très tôt souhaité
que cette question soit mise à l’agenda : « Il n’y a pas de problème de retraites des femmes,
mais seulement un problème de petites retraites ».
1.3 De l’absence de relais politiques pour les causes féministes Si on a déjà pu voir que la domination qui s’exerce dans la sphère familiale se prolonge
dans la sphère professionnelle (types d’emplois occupés, temps partiels, … inégalités
professionnelles), il est nécessaire d’interroger aussi la place des femmes dans les arènes
de pouvoir où s’est pensée, élaborée et discutée la réforme.
Un élément est alors vite ressorti, car il fut l’objet de dénonciations publiques au cours des
débats. Il s’agit de la composition du Conseil d’Orientation des Retraites (COR),
organisme clé dans la production de données et d’analyses servant de cadre aux débats sur
les retraites. Il ne comportait à l’époque des débats, et toujours aujourd’hui, aucun-e
spécialiste de la dimension genrée des retraites, et seulement deux femmes sur 39 membres
(soit 95% d’hommes). Cet élément a toutefois été relativisé par Françoise Milewski :
« Je trouve effectivement anormal que les femmes soient si peu représentées au COR, et ce qu’ont fait les filles de la Barbe en investissant la réunion du COR était très bien. Mais le COR a produit un rapport essentiel sur les retraites des femmes, en particulier les avantages conjugaux et familiaux. Le problème est : qui s’en est saisi et comment ? »86
Au niveau syndical, Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC, était la seule
responsable syndicale femme à la « table des négociations » du dossier retraite87. Pascale
Coton, a dit « s’être sentie seule » à porter la question des retraites des femmes face au
gouvernement. Elle entra au conseil confédéral de la CFDT en 2004. En 2005 elle fut élue
présidente de la « commission équité hommes-femmes ». Interrogée sur la façon dont
86 Françoise Milewski, économiste à l’OFCE, n°2 87 Danièle Karniewicz, responsable de la CGC, était également en charge du dossier pour son syndicat mais son expression et ses marges de manœuvre étaient plus étroites du fait de son autre casquette de présidente de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse) qui l’obligeait à plus de réserve.
34
s’organisaient les rencontres avec le gouvernement et dont pouvait être abordée la
dimension de l’égalité entre les sexes, elle aura ces paroles révélatrices d’un milieu
politique encore fortement androcentrique et où le sexisme ordinaire88 est de mise, comme
dans le reste de la société89 ou plus encore :
« Il y avait quatre groupes de travail. C’était souvent le vendredi soir tard. Et là sur l’écoute entre l’égalité hommes-‐femmes et les différences de retraite, je vous assure que je me suis mis en colère un paquet de fois avec le directeur de cabinet de M. WOERTH, parce que c’était des réflexions et des sourires relativement assez ironiques sur les femmes. Et c’est là où je me dis que bon sang si dans chaque délégation il y avait eu une femme, je pense que ça aurait changé les choses. Si côté ministère il y avait eu une femme, je pense que ça aurait changé les choses. Mes interlocuteurs n’étaient que des hommes. »90
Si comme Réjane Sénac on juge que « la parité, pensée comme un principe voire une
culture, a ainsi assurément contribué à diffuser la critique féministe, en portant la conquête
de l’égalité dans les lieux de pouvoir », à l’inverse, l’absence de parité constitue une limite
certaine au passage de la réforme au filtre du genre. Même si la parité n’est pas la garantie
automatique d’une plus grande influence féministe, puisque toutes les « femmes » ne sont
pas féministes. Caroline De Haas pose ainsi à raison cette question : « Quelles femmes
politiques de premier plan sont aujourd’hui identifiées féministes ? »91.
II. De janvier à juin : l’égalité femmes/hommes absente des débats En dépit de facteurs positifs (chapitre 2), et en partie à cause des résistances qui viennent
d’être mises en avant, les inégalités entre les sexes à la retraite sont restées hors du radar de
celles et ceux qui ont animé les premiers débats autour de ce qui n’était encore qu’un
projet de réforme : gouvernement, syndicats, partis politiques, intellectuels et médias. Ceci,
alors même que le « concept-méthode »92 de gender mainstreaming ou encore appelé
« approche intégrée du genre» aurait dû en théorie déboucher sur une prise en compte du
genre dès cette phase de construction du « problème retraites ». En effet cette approche
vise à intégrer le genre de manière transversale par l’ensemble des acteurs de politiques
88 Grésy B., Petit traité contre le sexisme ordinaire, Albin Michel, 2009. 89 Le blog « Vie de meufs » lancé à l’été 2010 par l’association Osez le féminisme ! recèle de témoignages d’internautes sur le sexisme ordinaire : http://viedemeuf.blogspot.com/ Le 8 février S.G poste par exemple : « Aujourd'hui en rentrant du lycée mon père me dit qu'il faudrait que j'aide ma mère à repasser/ je lui répond que lui aussi pourrait l'aider/ il me répond qu'il n'a pas le gène du repassage/ et oui c'est vrai puisque je suis une femme j'ai le gène du repassage... #viedemeuf » 90 Pascale Coton, CFTC, n°7 91 Caroline De Haas, Osez le féminisme!, n°10 92 Dauphin S. et Réjane Sénac-Slawinski R., Gender mainstreaming : analyse des enjeux d’un « concept-méthode », Cahiers du Genre, n°44/2008.
35
publiques de façon complémentaire aux mesures plus spécifiques en matière d’égalité entre
les femmes et les hommes. Or, cette approche d’abord promue aux niveaux international et
européen, est l’objet en France d’une institutionnalisation de façade et d’une appropriation
difficile par les acteurs. Cela débouche sur une intégration transversale du genre laissée à
la bonne volonté des acteurs, avec les résultats que l’on connaît.
Pourtant depuis de très nombreuses années la question des inégalités entre les sexes est
portée jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Ainsi François Mitterrand, dans le discours
qu’il prononça le 8 mars 1982 à l’occasion de la 1ère célébration en France de la journée
internationale des droits des femmes93, n’analysait-il pas déjà qu’il était nécessaire de
rappeler « les inégalités qui subsistent ou ressurgissent entre hommes et femmes dans tous
les compartiments de la vie sociale et professionnelle » :
« (…) il y a une spécificité de la situation des femmes dans notre société qui, même et surtout si on veut la faire disparaître, doit être mesurée au moment de définir les actions à mener. Prendre en compte cette spécificité ce n’est pas nier les droits de la femme. C’est au contraire créer les conditions de leur mise en œuvre effective. Comment, par exemple, pourrait-on traiter du travail de la femme ou de ses droits à la retraite, si l’on oubliait que c’est elle qui, le plus souvent, aura dû interrompre son activité pour assurer l’éducation de ses enfants ? »
Presque 30 ans après, la prise en compte de cette spécificité de la situation actuelle des
femmes pour se donner les moyens de parvenir à l’égalité est toutefois loin d’être évidente
et intégrée par les acteurs de pouvoir, qu’ils soient élus, hauts fonctionnaires ou encore
syndicalistes. Le travail de fouille réalisé sur une large revue de presse des débats confirme
en effet l’absence de la dimension égalité femmes/hommes dans les débats initiaux.
La question de l’opportunité d’une réforme ou non est peu discutée. C’est davantage la
question des sources de financement de la réforme qui fait débat au départ et son
corollaire : la question de la répartition des efforts. Et c’est là d’où va venir l’angle
d’attaque principal des syndicats et de l’opposition : cette réforme ferait non seulement
peser un effort disproportionné sur les salariés, et qui plus est elle serait particulièrement
injuste à l’égard de certaines franges de la population déjà lourdement pénalisées par le
système de retraites.
93 L’origine de cette journée internationale des droits des femmes viendrait de la proposition de Clara Zetkin en 1910 à Copenhague, lors d’une conférence de l’Internationale Socialiste, de créer une « journée internationale des femmes » pour promouvoir le droit de vote des femmes, l’égalité des droits et de meilleures conditions de travail. Yvette Roudy, devenue ministre des droits de la femme en France en 1981, décida de la célébration officielle de cette journée en France.
36
C’est alors que l’« emploi des séniors et des jeunes » ainsi que la « pénibilité au travail »
prédominent dans la phase préparatoire de la réforme.
2.1 Jeunes, Séniors, Pénibilité = des inégalités sans sexe ?
ou l’effet du « républicanique-ment correct » ? Ces problématiques ont été largement soulevées dès le début des débats, mais jamais
accompagnées d’une analyse sexuée alors que par ailleurs l’analyse globale de la réforme
était déjà précise et fouillée. Par exemple, bien qu’Eric Aubin, en charge du dossier des
retraites à la CGT, n’oublie pas de parler « des ouvriers, des ouvrières » lorsqu’il évoque la
question de la pénibilité au cours de l’entretien, la figure du salarié concerné par la
pénibilité et/ou les carrières longues a bien été celle d’un ouvrier et non d’une ouvrière
pour les acteurs des débats. Ainsi, c’est la photo de Jean-Paul Chauvet et son parcours de
forgeron commencé à 14 ans qui illustre une pleine page sur le sujet dans Le Monde du 29
mai 2010. Ou encore, lorsque Libération décide de consacrer un plein article à ces
« ouvriers ou apprentis du Nord qui ne se voient pas bosser jusqu’à 60 ans », sur six
personnes citées en exemple, une seule femme, et les deux photos relatives à l’article
concernent des hommes. Les femmes sont exposées à des risques moins « visibles » ou
traditionnellement perçus comme moins pénibles, alors que pourtant elles représentent par
exemple 58 % des cas de troubles musculo-squelettiques (TMS) reconnus comme maladies
professionnelles en 200394. Ce regard partiel n’est pas si surprenant quand l’on sait que les
enquêtes de santé au travail européennes traitent de l’évolution de la santé de la population
en fonction des conditions de travail sans distinguer d’analyses selon le sexe. Sandrine
Caroly, maître de conférence en ergonomie à l’Université de Grenoble, note dans un article
titré « Les conditions de travail et la santé selon le genre et le sexe » publié le 1er juin 2009
sur le site internet de la Fondation Copernic, que « beaucoup de stéréotypes circulent et
rendent difficile la tâche des acteurs (médecine du travail, direction d’entreprise,
représentants du personnel, contremaîtres, salariés) s’engageant dans une prévention de la
santé qui tienne compte de cette variable ». Le 17 novembre 2011 la députée socialiste
Danielle Bousquet, à l’occasion de l’examen à l’Assemblée nationale d’une proposition de
loi socialiste sur la précarité des femmes95, réagissait aussi face à la remise en question par
94 Pour creuser la question, voir l’article « Risques professionnels : les femmes sont-elles à l’abri ? » de Nicole Guignon de la DARES, publié dans l’édition 2008 de la publication de l’INSEE « Femmes et Hommes – regards sur la parité ». 95 Proposition de loi n°3795 de M. Christophe Sirugue et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, tendant à lutter contre la précarité professionnelle des femmes.
37
certains de ses collègues députés « de la notion même de pénibilité des métiers de service à
la personne, des métiers du commerce et du secteur du nettoyage » :
« Quelle vision archaïque et machiste de la pénibilité ! Manutention de patients, travail morcelé, postures contraignantes, exposition à certains produits de nettoyage chimiques nocifs, horaires entrant en conflit avec les obligations familiales, charge mentale et émotionnelle lourde du fait d’un contact direct avec la souffrance et la mort : de telles réalités sont partagées par des milliers et des milliers de femmes et d’hommes salariés dans ces secteurs. Les métiers dits féminins sont autant marqués par la pénibilité physique ou mentale que ceux des hommes. Ils exposent même davantage aux risques musculo-squelettiques et psychosociaux. »
Ces représentations genrées de la pénibilité ou des carrières longues ont comme résultats
que les critères retenus pour le calcul du taux d’invalidité ouvrant droit aux dispositifs liés
à la pénibilité seront d’abord et avant tout construits à partir d’une vision masculine de ce
qu’est la pénibilité et de quels métiers cela concerne.
Plus largement, le 15 avril 2010, Martine Aubry, 1ère secrétaire du PS, publie une longue
tribune dans Le Monde sur la réforme des retraites et le défi de la « révolution de l’âge ».
Le mot « femmes » n’apparaîtra pas une seule fois. Elle parle pourtant de ces « millions de
nos concitoyens » pour qui on est encore loin de retraites décentes, ou d’une « société du
soin »96 où il faudra « mieux reconnaître, mieux rémunérer ceux qui apportent ces soins et
en exercent la lourde responsabilité ». Le fait que ces réalités concernent de façon
écrasante les femmes est masqué derrière l’emploi du neutre de façon « républicanique-
ment correcte ». Du côté de l’UMP ou des syndicats rien non plus ou si peu est relevé
dans ces premiers mois de l’année 2010 de la spécificité de la situation des femmes
aujourd’hui face à l’emploi, à la pénibilité au travail, au montant des pensions ou au
nombre de trimestres cotisés.
Les inégalités femmes-hommes sont évoquées dans de rares cas pour pointer la différence
de pension (1426€ vs 825€). Et l’on peut même noter que dans cette phase préparatoire,
deux lectures sexuées peuvent être mises en avant : concernant l’espérance de vie et 96 Alors que les théories du care sont étroitement liées aux études sur le genre et à certains courants féministes, il est du reste curieux que leur mobilisation par la 1ère secrétaire du PS ne se soit pas référée à ces origines. Serge Guérin dans un entretien intitulé « Le ‘care’ est-il féministe ? » et livré à Alternatives Economiques et son numéro spécial n°51 « Le temps des femmes », septembre 2011, définit le care comme « une reconnaissance, symbolique et économique, des activités traditionnellement réservées aux femmes, et, d’autres part, comme un appel à faire du soin et de l’accompagnement un principe d’action ». Voir Tronto J., Moral Boundaries. A political argument for an ethic of care, Londres/New York, Routledge, 1993. Voir aussi Brugères F., L'éthique du "care", Vol. 3903 de Que sais-je? : le point des connaissances actuelles, Presses Universitaires de France - PUF, 2011, 127 pages.
38
concernant les différences d’âge légal de départ à la retraite dans certains pays (comme au
Royaume-Uni ou en Italie). Lectures sexuées qui donnent le sentiment d’avantages ou de
privilèges accordés aux femmes …
2.2 Un gouvernement qui prétend avoir déjà réglé le problème avec la réforme de la MDA
Lorsque le sujet parvenait toutefois à émerger sporadiquement dans le débat, le
gouvernement dans un premier temps ne manquait pas de mettre en avant le fait que le
problème serait réglé puisque les femmes sont à une écrasante majorité les bénéficiaires
des dispositifs familiaux et conjugaux comme la majoration de durée d’assurance (MDA).
Marie-Jo Zimmermann, députée UMP de la Moselle et Présidente de la délégation aux
droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, est investie
sur la question des droits des femmes depuis 2002, année où elle deviendra Rapporteure
générale de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes (OPFH) et ce
jusqu’en 2009. Elle livre le point de vue initial de M. Woerth sur le (non) problème des
retraites des femmes :
« (…) M. WOERTH prétendait qu’à partir du moment où l’on avait traité la question de la retraite des mères de famille, la fameuse MDA , on avait traité la retraite des femmes. Il n’y a pas que les mères de famille qui ont des retraites. Il y a des femmes qui n’ont pas d’enfants, il y a des femmes qui ont des vies professionnelles sans conjoint. (...) Lors du premier rendez-‐vous que j’ai eu avec M. WOERTH, il m’a dit “il n’y a pas de problème de retraite des femmes, cela a été traité avec la MDA“. Ce qui est totalement faux. »97
Caroline Ressot, alors secrétaire générale adjointe de l’OPFH, souligne aussi le recours
aux dispositifs familiaux et conjugaux dont bénéficient les femmes par le gouvernement
dans sa communication de départ. Et elle se souvient de la formulation alors utilisée par le
gouvernement98 : « les femmes bénéficient gratuitement d’avantages comme la majoration
de la durée d’assurance etc. ». Pour elle, qui conteste la notion de gratuité et préfère celle
de « droits », cette notion « était d’autant plus choquante qu’elle était clairement mise en
face de la situation des femmes". C’était un peu : ‘quand même elles exagèrent, on fait déjà
97 (Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4) 98 Cette formulation a été utilisée par exemple le 18 mai par M. Woerth dans sa réponse à la seule femme – mère de famille – présente dans le panel de six personnes choisies par le Parisien pour interroger le Ministre ce jour-là (« Pour ce qui concerne des mères de famille, elles ont droit à huit trimestres gratuits par enfant. »). Elle continuera à être utilisée par la suite dans les débats, notamment parlementaires. Un « publi-communiqué » est publié par le gouvernement début octobre 2010 dans les grands quotidiens nationaux et intitulé « Pourquoi la réforme améliore la retraite des femmes ? ». On pourra lire dans la partie « La retraite des mères est améliorée » : « Les femmes qui se consacrent à l’éducation de leurs enfants peuvent bénéficier de trimestres de retraite gratuits. »
39
beaucoup de choses pour elles, en plus gracieusement, donc elles pourraient nous en être
reconnaissantes et s’en satisfaire’»99.
2.3 La demande d’une étude d’impact différenciée Face à ces débats aveugles au genre, la première demande émanant de l’espace de la cause
des femmes a concerné une étude d’impact du projet de réforme différenciée selon les
sexes. Le tout jeune Laboratoire de l’Egalité100 portera dans les médias cette demande dans
une lettre101 adressée le 7 avril au Ministre du travail Eric Woerth, tout juste entré en
fonction102, et à Madame Morano en charge de la question de l’égalité entre les sexes.
Cette association demande alors à ce qu’un collectif d’experts puissent produire des
scénarios complémentaires « qui permettraient de mettre en évidence la manière dont une
« déprécarisation » du temps partiel féminin, des mesures de soutien à l’activité ou des
réformes des dispositifs d’articulation vie professionnelle / vie personnelle (modalités des
carrières féminines, modes d’accueil des jeunes enfants et congé parental) pourraient
permettre une amélioration des retraites des femmes ». Françoise Milewski, qui en sus de
sa casquette d’économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
est également membre de l’Observatoire de la Parité et de l’Egalité entre les Femmes et les
Hommes (OPFH) et membre du Laboratoire de l’égalité, soulevait lors de son entretien
que la demande d’une évaluation préalable à la loi des effets différenciés femmes-hommes,
relayée par l’OPFH, n’avait pas été satisfaite. Elle se souviendra que « le COR, qui seul a
accès aux fichiers et aux données, a expliqué qu’il ne pouvait pas faire cette évaluation si
la demande n’était pas faite par le Premier Ministre »103.
Seule l’étude d’impact obligatoire a été fournie par le gouvernement et officiellement
transmise en juillet. Or il se trouve qu’elle était de portée générale. Elle était sommaire et a
été élaborée dans la précipitation selon un membre du cabinet du Ministre du travail. Cette
étude ne comportait aucune analyse de l’impact de la réforme sur les inégalités entre les
sexes. Elle se contentait d’une « explication de texte » des mesures spécifiques concernant
99Caroline Ressot,Observatoire de la Parité, n°5 100 Cette association s’est lancée en janvier 2010. Son « objet exclusif est de promouvoir une véritable culture de l’égalité professionnelle entre femmes et hommes, dans toutes les sphères sociales et évidemment en premier lieu auprès du Gouvernement ». Elle regroupe des associations, des réseaux de femmes, des élu-es, des représentant-es syndicaux, des responsables d’entreprise, des chercheurs-euses, des journalistes. Ses instruments sont l’expertise et l’interpellation via les médias. 101 Retrouver cette lettre sur le site internet de l’association : http://laboratoiredelegalite.wordpress.com/nos-actions/ 102 Il entrera en fonction le 22 mars à la suite de Xavier Darcos. 103 Françoise Milewski,OFCE,n°2
40
les femmes. Caroline Ressot, à l’époque Secrétaire générale adjointe de l’OPFH, revient
sur cette carence :
« Nous avions réussi à nous procurer l’étude d’impact, obligatoire aujourd’hui pour tous les projets de lois. Le problème c’est que c’était une étude d’impact générale, et elle n’était pas vraiment genrée. Elle était assez rudimentaire ou semblait avoir été établie dans l’urgence. Or, c’est un travail qui, s’il veut analyser finement les conséquences possibles, prend un minimum de temps pour consulter un certain nombre d’experts et d’acteurs sensibles à ce sujet. Il n’y avait rien, par exemple, sur les possibles conséquences différenciées entre femmes et hommes du report des âges de départ à la retraite à 62 et 67 ans. Il n’y avait pas une ligne sur ce sujet. »104
Une appréciation qui sera recoupée par les propos d’un membre du cabinet du Ministre du
Travail à l’époque disant regretter que cette étude n’ait pas été de meilleure qualité. Ce
dernier explique que l’étude d’impact, dont la réalisation arrive après un énorme travail
réalisé par l’administration sur la réforme des retraites, a pu être considérée par les
administrateurs en charge de la réforme comme « la cerise sur le gâteau ». Ce qui explique
un travail global négligé, et une approche différenciée selon les sexes tout simplement
absente. L’argument selon lequel le projet de loi qui est proposé ne prend pas en compte
l’impact différencié qui va avoir lieu sur les femmes et sur les hommes est identique à
celui qui sera utilisé un peu plus tôt au cours du 1er semestre 2010 concernant la réforme
territoriale et son impact sur la parité105. L’Observatoire de la Parité notamment, fera de cet
angle d’attaque sur la méthode de travail son argument principal106, du moins au début des
débats.
Cette première partie nous aura permis de voir les tensions qui peuvent exister entre les
différents cadres de politiques publiques à l’œuvre.
Au niveau européen il s’agit de la tension entre l’orthodoxie économique portée par les
institutions internationales, dont les institutions européennes semblent se faire le relais en
matière de retraites, et l’objectif d’égalité entre les sexes qui est pourtant l’objet d’une
action publique communautaire relativement forte. Cette tension pourrait expliquer une
faible européanisation de la question du genre des retraites.
104Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5 105 Voir sur le sujet de l’impact négatif de la réforme territoriale sur la parité, le dossier élaboré par l’Observatoire de la Parité qui s’était au moment de la réforme substitué au Gouvernement pour sortir une étude d’impact genrée : http://www.observatoire-parite.gouv.fr/parite-politique/travaux-de-l-observatoire/article/reforme-des-collectivites-237 106 Françoise Milewski, OFCE,n°2 & Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5
41
Tension aussi au niveau national, entre cette même orthodoxie économique, défendue
principalement par le gouvernement, et le principe de justice, défendu principalement par
l’opposition et les syndicats. Le gouvernement n’a pas lui intérêt si il souhaite tenir ce
cadre de l’orthodoxie économique à mettre à l’agenda l’égalité entre les sexes. Alors que
concernant les syndicats et l’opposition, ces inégalités structurelles et leur aggravation par
les réformes de retraites précédentes, relèvent du principe de justice avancé pour attaquer
le projet de réforme. Or ces acteurs parlent de la situation injuste des séniors, des jeunes ou
de ceux qui occupent un métier pénible, mais ne mettent pratiquement pas en débat les
inégalités touchant les femmes au cours du 1er semestre 2010. On a pu passer en revue
quelques facteurs explicatifs de cet aveuglement au genre.
Comment, dans ce contexte, la question des inégalités de genre a-t-elle pu par la suite être
mise à l’agenda ? Des études révèlent le rôle clé de l’influence féministe dans la mise à
l’agenda de la question de l’égalité femmes-hommes. Quelle a été cette influence dans le
cadre de cette réforme ?
42
PARTIE 2 – Le débat sur les « retraites des femmes » : influence féministe, alliances stratégiques et controverse sur le diagnostic
Quelle mise à l’agenda pour quelle politique publique ?
Il s’agira ici de « décortiquer » la montée en puissance du sujet « femmes »107 dans
les débats. Par qui ont été représentés les intérêts des femmes ? Prioritairement par les
femmes elles mêmes, organisées collectivement, ou bien par les agents traditionnels de la
représentation démocratique tels que les élu-e-s, les syndicats, etc. ? Quelles stratégies ont
été adoptées par les différents acteurs face à cette mise à l’agenda selon que ce sujet servait
ou desservait le cadre de politique publique qu’il souhaitait voir s’imposer (orthodoxie
économique versus principe de justice) ?
On va dans cette partie s’intéresser à la mobilisation des actrices et acteurs féministes pour
déconstruire l’apparente neutralité de la réforme (chapitre 1). Nous verrons ensuite
comment cette amorce de mise à l’agenda a été accueillie puis amplifiée par les opposants
à la réforme qui y voyait là une ressource supplémentaire pour attaquer la réforme
(chapitre 2). Enfin, nous identifierons la stratégie qui a été celle du gouvernement pour
tenter d’évacuer puis de circonscrire le sujet des inégalités de genre à la retraite. Sujet qui,
nourrissant le débat justice/injustice, était susceptible de faire obstacle à une réforme
marquée par un cadre global libéral (chapitre 3).
107 Cette expression « sujet femmes » est volontairement utilisée ici et renvoie à une expression encore largement utilisée par les acteurs non féministes pour parler des droits des femmes et de l’égalité de genre.
43
CHAPITRE 1 – UNE MOBILISATION FEMINISTE A L’ASSAUT DE LA PSEUDO NEUTRALITE DE LA REFORME Le féminisme d’Etat, les partenariats stratégiques et « coalitions de cause « féministes ont
été repéré comme « un des ingrédients importants du succès des politiques féministes »
(Mazur, 2009). En effet il apparaît dans le cadre de ce débat que les féministes108 aient été
les principales actrices de la déconstruction de la neutralité109 de la réforme par la mise en
avant de son caractère discriminatoire pour les femmes. Afin de tester le rôle joué par les
féministes et les institutions en charge des droits des femmes, on retiendra ici le concept
d’espace de la cause des femmes développé110 par la politiste Laure Bereni. Ce concept ne
fait pas de l’Etat et de la société deux milieux étanches mais au contraire traduit une
approche qui décloisonne Etat et société, et permet de retranscrire la pluralité des
mobilisations autour de la cause des femmes. Laure Bereni définit l’espace de la cause des
femmes par « la configuration des collectifs – et de leurs participantes – spécialisés dans la
lutte pour la cause des femmes dans différents univers sociaux (associatif, partisan,
académique, étatique)111 ». Cet espace est plus large que la notion de « mouvement des
femmes » puisqu’il va au-delà des associations se disant féminines ou féministes. Ces
associations constituent un des pôles identifiés par Laure Bereni, aux côtés de trois autres :
« le pôle ‘partisan’ (commissions femmes des partis politiques), le pôle ‘institutionnel‘
(instances chargées de défendre les femmes à l’intérieur de l’Etat, également qualifiées de
« féminisme d’Etat ») et le pôle ‘académique ‘ (fractions militantes du champ des études
féministes et sur les femmes)112 ». Ces pôles sont eux-mêmes perméables. Ainsi comme le
précise Laure Bereni, les participantes (et participants, même si ils demeurent encore peu
nombreux 113 ) sont « interconnectées » et appartiennent souvent à divers pôles
108 La partie 2 du chapitre 1 de cette partie précisera à quelles actrices, acteurs et organisations féministes on se réfère. 109 Arlette GAUTHIER, Jacqueline HEINEN (dir.) : Le sexe des politiques sociales, Paris, côté femmes, 1993, 188p. Voir aussi Muller P., Sénac-Slawinski R. et al., Genre et action publique : la frontière publique-privée en questions, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », Paris, 2009, 248p. Ou encore Dauphin S., Sénac-Slawinski R. et al., Genre et action publique en Europe, Politique européenne n°20, 2006. 110 Bereni L., Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000), Revue française de science politique, 59 (2), 2009. 111 Ibid 112 Ibid 113 Les hommes féministes ont toujours existé. De Condorcet hier au sociologue Eric Fassin ou au réalisateur Patric Jean aujourd’hui. Le regain actuel du féminisme semble propice à la mise en lumière de ces hommes féministes avec l’idée que c’est aux femmes et aux hommes de prendre conscience et de déconstruire le système de domination qui régit les relations femmes/hommes à partir de rôles sexués « enfermant » pour les deux sexes. Récemment le livre « L’homme féministe : un mâle à part ? » d’Emmanuelle Barbaras et de Marie Devers publié chez « Les points sur les i » en 2011 a dressé les portraits d’hommes féministes. Un dossier du site d’information en ligne Egalité, dont le titre « Les hommes, des féministes comme les autres »
44
simultanément du fait de leurs nombreuses casquettes. Cette caractéristique se vérifie dans
le panel des personnes interrogées pour ce mémoire. Par exemple, Françoise Milewski
appartient à la fois au pôle académique de par sa profession d’économiste, au pôle
associatif de par sa qualité de membre du Laboratoire de l’Egalité, et enfin au pôle
institutionnel en étant membre de l’OPFH. Pascale Coton, Christiane Marty, Caroline
Ressot, Marie-Jo Zimmermann, ou Caroline De Haas appartiennent également à l’espace
de la cause des femmes en étant au minimum dans deux des pôles identifiés.
L’hypothèse de départ est celle d’un relatif « retard à l’allumage » des institutions en
charge des droits des femmes à promouvoir activement la prise en compte des inégalités
femmes-hommes dans les débats. Retard qui aurait été compensé par la réactivité des
associations féministes soutenues ensuite par une mobilisation remarquée des femmes dans
les manifestations.
I. Dépasser la faiblesse structurelle des institutions en charge des droits des femmes en France Une analyse du féminisme d’Etat114 en France, essentiellement à partir du livre de
Sandrine Dauphin « L’Etat et les droits des femmes ; Des institutions au service de
l’égalité ? »115, permet de relever la faiblesse structurelle des institutions en charge de
l’égalité femmes/hommes dans notre pays. Nous y reviendrons ici et nous l’illustrerons par
divers éléments liés aux débats sur les retraites.
Ces structures peuvent être de plusieurs ordres116 : administratives, comme les délégations
parlementaires, le service des droits des femmes ou un secrétariat d’Etat voire encore un
ministère ; consultatives, elles rassemblent expert-e-s, élu-e-s et associations dans une
logique de « co-production » comme le fait l’Observatoire de la Parité et de l’égalité entre
les femmes et les hommes (OPFH) ; ou de médiation, avec par exemple une mission
d’accès au droit et de recueil des plaintes de discrimination à raison du sexe, comme c’est
semble faire écho à la question posée dans ce premier livre, donne également la parole à des hommes féministes depuis novembre 2011. 114 On doit le lancement de la réflexion sur cette notion de « féminisme d’Etat » à Dorothy MacBride Stetson et Amy G. Mazur, pour qui elle permet de caractériser la spécificité de ces institutions, à savoir le lien étroit qui les lie aux associations de femmes et aux groupes féministes : Dorothy MacBride Stetson, Amy G. Mazur (eds), Comparative State Feminism, Thousand Oaks Sage, 1995. 115 Dauphin S., L’Etat et les droits des femmes ; Des institutions au service de l’égalité? , PUR, 2010. 116 Ibid, p. 10. et voir en annexe (annexe tirée du site OPFH)
45
le cas à l’époque de la réforme de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations
(HALDE)117.
1.1 Une marginalisation qui s’exprime à différents niveaux La faiblesse ou la marginalisation118 de ces structures, que fait ressortir Sandrine Dauphin
dans son analyse, prend différentes formes :
- Discontinuité de l’action à un niveau ministériel depuis la création du ministère dirigé par
Yvette Roudy en1981. Ce ministère de plein exercice avait pour seule attribution les droits
des femmes. Depuis, l’action en faveur des droits des femmes et de l’égalité entre les sexes
a bien souvent été laissée à la charge d’un secrétariat d’Etat comme seule compétence ou
bien de façon additionnelle à d’autres sujets tels que la famille ou le handicap avec un
risque de dillution. Depuis 2004, il n’y a plus au niveau gouvernemental de représentation
spécifique de la question.
- Dépendance au 1er ministre ou à son ministre de tutelle. L’OPFH est ainsi rattaché aux
services du premier ministre ;
- Faiblesse des moyens budgétaires avec l’idée que les droits des femmes « ça ne coûte pas
cher » ;
- Délimitation approximative du champ d’intervention qui peut susciter des conflits de
périmètre, et donc de pouvoir, avec les autres ministères et les autres administrations ;
- Hostilité de l’administration. Les structures en charge de l’égalité femmes/hommes sont en
effet généralement oubliées ou tenues à l’écart des partenariats nécessaires avec les autres
administrations ;
- Absence de « fémocrates », c’est-à-dire de relais féministes au cœur de l’appareil d’Etat.
Elles sont à priori très peu même si cela mériterait d’être vérifié. En l’espèce, les
entretiens n’ont pas été l’occasion de voir mentionnés de tels relais.
1.2 Illustrations lors de cette réforme En 2010 la question des droits des femmes apparait dans le portefeuille de Nadine Morano,
Secrétaire d’Etat chargée de la Famille et de la Solidarité auprès du Ministre du Travail.
Cette fidèle du président de la République aura pourtant davantage à cœur de défendre la
réforme dans sa globalité que de s’exprimer pour mettre en lumière les inégalités
spécifiques touchant les femmes à la retraite. Cette question ne constitue à priori pas pour 117 Dissoute depuis le 1er mai 2011, les missions de la HALDE ont été dévolues à une structure plus large, le Défenseur des doits. 118 Op. cit. Dauphin (2010) p. 118.
46
elle une priorité ou une ressource politique à mobiliser pour gagner en visibilité, en tout
cas concernant la séquence politique des retraites119. On le verra plus loin, elle sera aux
cotés du ministre Woerth pour défendre les argumentaires du gouvernement sur la
question.
En revanche, deux autres membres de la majorité s’afficheront fortement sur le sujet du
fait de leurs positions respectives de rapporteure de l’OPFH et de présidente de la
Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les
femmes de l’Assemble nationale (DDF de l’AN). Il s’agit respectivement de Chantal
Brunel, députée UMP de Seine-et-Marne, et de Marie-Jo Zimmermann, députée UMP de la
Moselle et ancienne rapporteure de l’OPFH de 2002 à 2009.
L’OPFH a demeuré sans conseil ni rapporteure pendant de longs mois suite à la fin des
deux mandats de Marie-Jo Zimmermann en mars 2009. Entre ce moment là et la
nomination de Chantal Brunel par décret du 1er Ministre le 8 mars 2010, l’OPFH a connu
une forme de gouvernance tricéphale par les trois présidentes de délégations aux droits des
femmes (de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil Economique, Social et
Environnemental). En effet elles ont été nommées membres de droit de l’OPFH par le
décret du 24 juillet 2009120 afin de garantir une bonne liaison et coordination entre les
différentes structures. Si le secrétariat général de l’OPFH continuait à produire notes,
veilles et analyses, il n’en demeure pas moins que durant une année l’Observatoire n’a eu
ni existence visible ni parole publique. Puis, Chantal Brunel s’est retrouvée dans une
situation inédite121 jusqu’alors, celle d’une rapporteure sans conseil qui ne pouvait que
rapporter ses propres idées jusqu’à l’installation du Conseil et de ses membres près de
quatre mois plus tard, en juillet. Cet élément caractérisant les débuts de Madame Brunel à
l’OPFH ne sera pas sans conséquences, mêmes si elles doivent être relativisées, tant sur sa
propre approche du problème « retraites des femmes » que sur le fonctionnement de
l’OPFH. On verra son analyse changer avec l’installation du Conseil et certainement au gré
des discussions qu’elle aura avec lui.
119 Elle portera par contre en parallèle des propositions sur les violences faites aux femmes telle que le bracelet électronique à l’occasion de l’examen parlementaire de la proposition de loi contre les violences faites aux femmes adoptée le 9 juillet 2010. 120 Décret n°2009-899 du 24 juillet 2009 modifiant la composition et le fonctionnement de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes. 121 Sa nomination est intervenue avant la nomination du Conseil de l’OPFH. Fait inhabituel puisque la pratique ayant eu cours jusqu’alors voulait qu’un décret du Premier Ministre nomme le Conseil, puis un décret du Président de la République nomme la rapporteure. Il semblerait que suite à une longue période de vacance, au 8 mars, et à la détermination de Madame Brunel, cette nomination soit intervenue plus tôt que prévue.
47
La vacance de l’OPFH, les mécanos institutionnels, et les concurrences interpersonnelles,
sont tout à la fois les symptômes et les facteurs amplificateurs de la faiblesse structurelle
de ces institutions.
Ainsi, alors que Chantal Brunel a demandé un certain nombre d’audiences au ministre Eric
Woerth dès son entrée en fonction, ce dernier ne l’a pas reçue. Une féministe d’Etat proche
du dossier indiquera qu’elle sera reçue par un chargé de mission du cabinet d’Eric Woerth.
Caroline Ressot, secrétaire générale adjointe de l’OPFH, précisera quant à elle que si des
contacts directs pouvaient être établis avec « les conseillers sociaux à Matignon122, les
relations semblaient plus difficiles avec le cabinet d’Eric WOERTH. Cela n’aura
probablement pas été sans conséquence »123. Cela tranche avec l’expérience du Comité du
Travail féminin124. Présidé par Marcelle Devaud dans les années 60/70, il avait des
relations très étroites à l’époque avec le ministère du travail125.
On apprend également au cours de cet entretien que l’Observatoire s’est auto-saisi faute
d’avoir été saisi. Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les
hommes (CSEP), dont la consultation était obligatoire, a été consulté dès l’avant-projet de
loi mais l’avis rendu n’a pas été public. Le CSEP126 est resté extrêmement discret tout au
long des débats sur les retraites, pour ne pas dire absent. Son rôle est pourtant d’assurer un
« large débat » sur l’égalité professionnelle. De plus, l’Observatoire a demandé par
courrier un « mercredi des retraites » 127 consacré à la question des femmes qu’il
n’obtiendra pas. Ou encore, l’audition d’Eric Woerth par la DDF de l’AN avait été
annoncée mais n’a finalement pas eu lieu. Marie-Jo Zimmermann, la présidente de la
délégation, dira du Ministre que « la question des femmes ne l’intéressait pas »128.
Ces divers exemples attestent du faible poids des institutions en charge des droits des
femmes, du manque d’intérêt qu’on leur porte et du déficit de reconnaissance dont elles
souffrent. Alors certes, ces institutions collaborent autant que possible, en tentant de
dépasser les contingences politiques ou personnelles. Les personnalités politiques mises à 122 Eric Aubry et Hervé Monange 123 Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5 124 Op. cit. Dauphin (2010) p. 18-23. 125 Pour creuser ce focus historique sur cette institution, se reporter à l’article de Revillard A., « L’expertise critique, force d’une institution faible ? Le Comité du travail féminin et la génèse d’une politique d’égalité professionnelle en France (1965-1983) », Revue française de science politique, 59 (2), 2009. Amy G. Mazur soulignera aussi que le CTF « a joui d’une réputation favorable dans le cercle gouvernemental et d’une présence proche des décideurs au sein du ministère du Travail » (Mazur, 2009). 126 Il réunit les organisations syndicales, les organisations d’employeurs, des personnalités qualifiées ainsi que les pouvoirs publics (loi n° 83-635 du 13 juillet 1983 et décret n° 84-136 du 22 février 1984). 127 Cycle de conférences thématiques mis en place par le gouvernement pour faire le focus sur certains aspects de la réforme et faire œuvre de pédagogie à travers les médias. 128 Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4
48
leur tête donnent de la voix. Ces institutions déploient un travail souvent intense et de
qualité. Françoise Milewski, elle même membre de l’Observatoire, le souligne quand elle
parle du rôle précieux de l’Observatoire dans l’élaboration d’un certain nombre de
propositions communes, dans le travail de veille et de suivi notamment « des débats
parlementaires avec tableau comparatifs des propositions, des amendements déposés, des
votes, etc. » 129 . Il n’en reste pas moins qu’à cause de ses failles structurelles, le
« féminisme d’Etat » à la française semble ne pas être en capacité de réellement peser. A la
différence d’autres pays en Europe comme en Scandinavie ou en Espagne130 par exemple
(Amy G. Mazur, 1997, 2011)131, les féministes françaises sont rentrées dans les entourages
du pouvoir - là où le pouvoir se réunit - mais pas véritablement dans les plus hautes
instances de décision - là où le pouvoir réside vraiment - au gouvernement, à l’Elysée, à la
tête des partis politiques ou des grandes centrales syndicales, etc. .
Maintenues par le Ministère du Travail à distance, en périphérie, plutôt que dans des
relations privilégiées, ces institutions sont intervenues relativement tard dans le processus
de la réforme des retraites. Cela a pu réduire les chances d’une prise en compte précoce de
la dimension genre dès le début de la construction du cadrage de la politique publique.
Cependant, la « mobilisation générale » des actrices et acteurs féministes, issus des divers
pôles de l’espace de la cause des femmes, a permis aux inégalités entre les sexes de percer
l’agenda et d’être portées sur le devant de la scène.
II. Un « triangle d’autonomisation des femmes » : une alliance tacite entre féministes, cruciale pour la mise à l’agenda ? L’analyse des acteurs et des actrices présents dans ce débat et ayant été les premiers à
porter la question de l’égalité entre les sexes montre en quoi la dissémination de féministes
dans différentes sphères (institutionnelles, politiques, syndicales, associatives,
médiatiques..) et les liens tissés ont été importants. C’est cet essaimage, ces interactions
entre féministes à partir des mêmes valeurs et au service du même objectif, que la
129 Françoise Milewski,OFCE,n°2 130 Voir par exemple l’article de Brigitte Frottiée, « L’égalité des sexes en Espagne comme enjeu politique dans le processus de démocratisation » publié dans Genre et action publique en Europe, Politique européenne n°20, 2006, dirigé par Sandrine Dauphin et Réjane Sénac-Slawinski. 131 Comparative State Feminism (1997) et The Politics of State feminism (2011), tous deux coordonnés par Amy Mazur dans le cadre du projet RNGS (« Réseau de recherche sur les politiques du genre et de l’Etat »). Ce projet analyse l’impact des agences gouvernementales responsables des droits des femmes dans cinq domaines et dans 17 démocraties post-industrielles occidentales depuis les années 1970.
49
littérature scientifique désigne par le terme de « triangle d’autonomisation des femmes »132
ou encore « triangle de velours »133. « Lorsque les participants d’un sous-système partagent
des valeurs et une conception féministe des politiques publiques, alors une issue à tonalité
féministe devient plus probable » (Mazur, 2009).
2.1 Diversité des actrices, unité d’analyse Les actrices de l’espace de la cause des femmes étaient nombreuses à s’emparer du sujet
« retraites ». Il ne s’agit pas ici de les lister toutes, mais d’identifier les principales sans
réussir toutefois à être exhaustifs. Au sein du pôle des associations féminines et féministes,
le Laboratoire de l’Egalité, Osez le féminisme !, la Barbe ou le Collectif National pour les
Droits des Femmes ont été particulièrement actives. Les commissions femmes ou genre
des divers partis politiques ont sans nul doute été actives mais sont relativement peu
apparues de façon directe dans les débats. Leur influence sur les personnes en charge de la
question des retraites au sein de leur organisation est difficile à mesurer. Des élues de
divers bords politiques ont néanmoins été actives pour porter une analyse féministe de la
réforme des retraites (pôle partisan) : par exemple Marie-George Buffet du Parti
Communiste, Martine Billard du Parti de Gauche, Anny Poursinoff d’Europe Ecologie Les
Verts, Danielle Bousquet, Pascale Crozon et Catherine Coutelle du Parti Socialiste, ou
Muguette Dini de l’Union centriste. Marie-Jo Zimmermann pour la DDF de l’AN, Michèle
André pour la DDF du Sénat et Chantal Brunel pour l’OPFH ont également largement
œuvré à promouvoir la question des « retraites des femmes » (pôle institutionnel).
Concernant le pôle académique et la production d’expertise, on citera Françoise Milewski,
Annie Junter, Rachel Silvera, Dominique Méda ou encore Christiane Marty.
Caroline De Haas affirme que les féministes comprennent très vite que cette réforme est
vectrice d’un « problème » en matière d’égalité entre les sexes, et constatent aussi très vite
que pourtant « les premières manifestations ne parlaient pas de cette question, et que les
syndicats n’en parlaient pas tant que ça non plus ». En effet au printemps 2010, après que
le gouvernement ait reçu le 12 avril les partenaires sociaux pour lancer la « concertation »
sur cette réforme des retraites (et non la « négociation », la différence est notable), la
132 Vargas V., Wieringa S., « The Triangle of Empowerment : Processes and Actors in the Making of Public Policy for Women », dans Geertje Lycklama à Nijeholt, Virginia Vargas, Saskia Wieringa (eds), Women’s Movements and Public Policy in Europe, Latin America and the Caribbean, New York/Londres, Garland Publishing, 1998, p3-23. 133 Woodward, A., “Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance” in S. Piattoni and T. Christiansen (eds) Informal Governance and the European Union (London: Edward Elgar), 2003, pp. 76-93.
50
mobilisation s’organise au sein de l’intersyndicale134. Les journées de mobilisation du 1er
et 27 mai sont silencieuses sur les inégalités touchant spécifiquement les femmes retraitées
comme l’atteste la recherche entreprise à partir de la revue de presse. En parallèle, dans les
divers cercles féministes les discussions se multiplient sur la question des retraites, les
analyses, études et rapports sont « ressortis des placards », les arguments commencent à se
construire, sans que vraiment la mobilisation s’organise et donc n’émerge publiquement135.
Le 1er acteur féministe à trouver un écho dans les médias a sans doute été le Laboratoire de
l’Egalité avec sa lettre136 adressée le 7 avril au Ministre Eric Woerth et à la secrétaire
d’Etat Nadine Morano, leur demandant dans le cadre de la réforme des retraites de placer
au coeur des débats entre partenaires sociaux et au Parlement la résolution des inégalités
entre hommes et femmes à l’âge de la retraite. Mais c’est véritablement à partir de la
présentation de l’avant projet de loi portant réforme des retraites par le gouvernement le 16
juin, que la mobilisation féministe devient plus consistante. Cette date marque en effet une
étape à partir de laquelle va être martelée une analyse commune de la réforme des retraites.
Cette analyse met en exergue qu’en allongeant les bornes d’âges de départ à 62 et 67 ans,
on inflige une « double peine » aux femmes déjà victimes de nombreuses inégalités
professionnelles durant leur vie professionnelle. Elles qui aujourd’hui déjà souffrent
d’inégalités massives en matière de retraite, vont être contraintes de travailler ou d’attendre
la liquidation de leur retraite plus longtemps encore qu’aujourd’hui pour percevoir des
pensions encore plus faibles, avancent les féministes. Les expressions « les femmes
sacrifiées par la réforme », « les femmes, les grandes oubliées de la réforme », ou celle de
« les femmes, premières victimes de la réforme » feront florès et contribueront à diffuser
largement l’analyse genrée de la réforme.
134 Le mouvement contre la réforme des retraites 2010, au-delà de sa durée remarquablement longue, plus de 6 mois de pleine mobilisation, se caractérise aussi par une intersyndicale très large : au départ de 6 organisations (CFDT,CGT, FO, FSU, Solidaires, Unsa) puis de 7 avec l’entrée de la CFTC et enfin de 8 avec la CFE-CGC. 135 Il faut toutefois noter que la dimension de l’égalité entre les femmes et les hommes devant les retraites a figuré de manière plus ou moins développée dans divers livres sur les retraites produits au printemps 2010 par des auteurs engagés dans le mouvement social. Notamment : Retraites, l’heure de vérité, Attac - Fondation Copernic, avril 2010, Syllepse. Retraites en finir avec le catastrophisme, Pierre Concialdi, juin 2010, Lignes de repères. Une vraie retraite à 60 ans, c’est possible, G. Filoche, JJ. Chavigné, avril 2010, Gawsewitch. Le petit livre des retraites, PY. Chanu, JC. Le Duigou, avril 2010, Les éditions de l’atelier. 136 Cf. p.39 dans la partie consacrée à l’absence d’étude d’impact genrée
51
2.2 Quels répertoires d’action137 ? Les instruments ont été pluriels, des plus classiques comme les communiqués ou
conférences de presse, aux plus atypiques commande de sondage et saisine de la Halde. A
chaque type d’actrices son répertoire d’action selon son « milieu ».
Tout au long de la séquence « réforme des retraites », les actions des féministes ont été
marquées par une double stratégie : influer sur les supports de communication des
organisations dites « classiques » (comme les syndicats ou partis politiques) pour que la
question de l’égalité des retraites entre les sexes soient intégrées dans les discours, les
outils de pédagogie (publications, tracts, argumentaires, meetings ou réunions publiques
etc.) et de mobilisation (pétitions, appels …) à visée générale, et générer des outils
spécifiques consacrés à la question de l’égalité des sexes. Mais cette stratégie a d’abord
essentiellement fonctionné à partir d’outils spécifiques, avant que les organisations dites
« classiques » s’emparent vraiment du sujet.
Chantal Brunel a été prolixe en interventions dans la presse. Jusqu’à, comme le met en
avant son site internet138, interpeller en direct au 20H de France 2 le 23 septembre 2010 le
ministre Eric Woerth :
« En plein coeur de l'interview, David PUJADAS donne la parole à Chantal BRUNEL qui, en direct et en duplex de Biarritz où se déroulent les journées parlementaires de l'UMP, interroge le Ministre: "pourriez-vous maintenir l'âge de départ à taux plein à 65 ans pour ces mères de famille qui, à travers leurs enfants, participent au financement de la retraite par répartition?" » (extrait tiré du site internet de Chantal Brunel139)
Elle avait auparavant salué, par un communiqué de presse de l’OPFH du 16 juin 2010, la
prise en compte des indemnités journalières liées au congé maternité dans le calcul des
pensions en voyant dans cette mesure, qu’elle aurait elle-même suggérée à M. Woerth
selon un membre du cabinet du Ministre, « un pas significatif pour ces millions de mères
qui n'auront plus à vivre la grossesse comme un moment de rupture dans leur carrière
professionnelle ». Elle y appelait également le gouvernement à aller plus loin en continuant
ses « efforts ». Ce qui n’a pas suffi à éviter une réaction courroucée de trois députées
137 Un répertoire d'actions est un concept sociologique développé par Charles Tilly pour désigner « les moyens établis que certains groupes utilisent afin d’avancer ou de défendre leurs intérêts » (Tilly, 1984). Ce concept, largement utilisé notamment en science politique, est particulièrement utile pour étudier les modalités d'inscription au sein de l'espace public de groupes mobilisés. 138 Site internet de Chantal Brunel : http://chantalbrunel.net/2010/09/24/votre-deputee-interroge-eric-woerth-en-direct-au-20-heures-de-france-2/ 139 Le retour en images valorisé sur le site internet de la députée et intitulé « Retraite des mères de famille : 5 mois de combat » est révélateur de l’intérêt bien compris de la question des droits des femmes comme ressource politique : http://chantalbrunel.net/wp-content/uploads/2011/04/retraites-site2.jpg
52
socialistes connues pour leur investissement sur les droits des femmes ainsi que de la
secrétaire nationale adjointe aux droits des femmes du Parti socialiste. Toutes quatre ont
signé ensemble le 23 juin une tribune au titre explicite : « Chantal Brunel l’alibi féministe
du gouvernement »140. Ce vif échange, au-delà de l’anecdote et de la passe d’arme
partisane, montre en quoi les médias ont constitué un terrain d’action important pour les
féministes, même si à ce moment là des débats, l’écho de cet échange dans la presse a été
très limité.
Du côté associatif, à l’initiative des militants et militantes d’Osez le féminisme ! un appel
est lancé à la mi-juin pour appeler à rejoindre la manifestation du 24 juin contre une
réforme des retraites qui marque « un pas en arrière pour les femmes »141 dans la droite
ligne des réformes de 1993 et de 2003. Cet appel rassemble largement les féministes
(Mouvement Français pour le Planning Familial, Collectif National Droits des Femmes,
Marche mondiale des femmes…), des représentantes syndicales142 et des partis politiques
de gauche, du NPA au PS143. Il récoltera la signature d’environ 2000 personnes sur internet
selon Caroline de Haas144, mais surtout il aura été l’occasion de sonner la mobilisation des
féministes dans les différentes organisations associatives, syndicales ou politiques de
gauche. Il contribuera à ce que le « problème retraites des femmes » commence à
apparaitre significativement dans les manifestations du 24 juin, du moins à Paris145.
Des élues féministes mobiliseront dès les débats parlementaires en commissions à
l’Assemblée nationale des données chiffrées sur les femmes, données qui seront reprises
ensuite dans les débats dans l’hémicycle et au Sénat. Martine Billard, députée du Parti de
gauche, remarquera ainsi lors de l’audition d’Eric Woerth par la commission des affaires
sociales saisie au fond de la réforme des retraites « que les 30 % des femmes, qui doivent
déjà attendre l’âge de 65 ans pour liquider leur retraite, devront désormais cotiser jusqu’à
67 ans, ce qui dégradera encore leur situation. » Ou encore, alors que jusqu’à maintenant
140 Tribune publiée le 23 juin sur le journal d’information en ligne Médiapart et signée par Danielle Bousquet, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, députées socialistes, et Gaëlle Lenfant, secrétaire nationale adjointe aux droits des femmes du PS. 141Appel publié sur le site d’Osez le féminisme ! : http://www.osezlefeminisme.fr/article/retraites-appel-des-feministes-a-manifester-jeudi-24-juin-contre-le-projet-du-gouvernement#appel 142 de Solidaires, de la CGT, du SNES-FSU, de l’Unef et de l’UNL. 143 Il est toutefois intéressant de relever que le parti pris est de n’afficher parmi les quelques dizaines de premières signataires seulement des femmes. Un choix qui peut prêter le flan à la réduction auxquels se livrent encore nombre d’adversaires des féministes lorsqu’ils défendent que le féminisme est un combat catégoriel, de femmes pour les femmes, qui oppose les sexes entre eux. Mais plus curieux encore, ce choix en termes d’affichage apparaît être un obstacle à l’identification, et donc à l’adhésion, d’hommes à cet appel. 144 Caroline De Haas, Osez le féminisme !, n°10 145 Un biais parisien est possible compte tenu que l’ensemble des personnes interrogées ont essentiellement vécu la réforme des retraites et le mouvement social suscité depuis Paris.
53
les prises de paroles sur la pénibilité oubliaient totalement la dimension genrée de cette
problématique, Aurélie Filipetti, députée PS, soulève la pénibilité au travail concernant
aussi les femmes à l’occasion des débats du 20 juillet en commission des finances saisie
pour avis sur ce texte des retraites. Toutefois, au-delà de ces quelques acteurs et actrices
féministes, la question des femmes n’est pas encore un sujet central. Qui plus est, les
termes neutres comme « personnes » ou « fonctionnaires » sont souvent préférés au terme
« femmes » quand bien même l’objet du discours concernerait quasi exclusivement des
femmes. C’est par exemple le cas s’agissant du dispositif permettant aux « fonctionnaires »
parents de trois enfants au moins de partir en pré-retraite après 15 ans de service. Ce
dispositif est utilisé à 90% par des femmes.
En septembre 2010, Christiane Marty au nom du Collectif national sur les retraites, a
constitué un dossier pour permettre une saisine de la Halde (Haute autorité de lutte contre
les discriminations et pour l’égalité) pour discriminations envers les femmes sur la
question des retraites. Ce dossier a montré que certaines mesures existantes et/ou figurant
dans le projet de loi réformant les retraites constituent des discriminations indirectes envers
les femmes puisqu’elles les touchent plus particulièrement. La Halde, comme l’explique
Christiane Marty au cours de l’entretien, ne pouvant être saisie que par des député-é-e-s ou
des associations reconnues d’utilité publique (et que le Collectif national sur les retraites ne
l’était pas), Christiane Marty a, au nom du collectif, sollicité l’appui de plusieurs député-es
féministes de divers partis de gauche (PCF, PG, Europe Ecologie-Les Verts et le PS) pour
qu’elles et ils relaient cette saisine. Cette démarche collective a été médiatisée par une
conférence de presse le 6 septembre à l’Assemblée nationale qui eut un bon écho
médiatique146. Le même jour et toujours à l’Assemblée nationale est organisée une autre
conférence de presse par le Laboratoire de l’Egalité cette fois-ci. Un sondage147 commandé
par l’association à la société Médiaprism Group y est dévoilé. De cette enquête réalisée
durant l’été 2010, le réseau féministe met notamment en avant que 81 % des Français
refusent le passage de 65 à 67 ans pour l’obtention de la retraite sans décote, et que 91 %
estiment que la situation des femmes n’est pas suffisamment prise en compte dans le projet
de réforme des retraites. Ou encore, le 10 septembre Osez le féminisme ! lancera une
campagne d’interpellation par mails des député-e-s, reprise par la presse148 : « Femmes de
146 Une dépêche AFP et plusieurs dizaines d’articles de presse. 147 Retrouver l’intégralité des résultats du sondage sur le site du Laboratoire de l’Egalité : http://laboratoiredelegalite.wordpress.com/2010/09/22/resultats-du-sondage-mediaprismlaboratoire-de-legalite-sur-les-retraites/ 148 AFP, Retraites des femmes : des féministes appellent à écrire aux députés, 10 septembre 2010.
54
tous les métiers, écrivez à vos députés »149. Ceci afin « qu’ils revoient la réforme des
retraites à l’aune de la bataille pour l’égalité entre les femmes et les hommes ». Les
grandes fédérations féministes ne sont pas en reste et expriment également leur rejet de la
réforme et appellent à la mobilisation. Ainsi une dépêche AFP du 6 septembre consacrée
aux voix associatives et politiques voulant « une réforme plus favorable aux femmes »150
rapporte que le Planning Familial parle de « réforme sexiste qui creuse les inégalités de
genre » et appelle à manifester le 7 septembre tout comme le fera l’association Femmes
Solidaires.
Ces initiatives cumulées permettent de mettre la question de la retraite des femmes sous les
projecteurs lors de la rentrée de septembre qui s’ouvre par une nouvelle journée d’action et
de mobilisation le 7 septembre. On franchit alors pour la première fois dans le mouvement
la barre des 2 millions de manifestant-e-s. Des associations féministes telles que le
Collectif national droits des femmes ou Osez le féminisme ! participent à Paris et en
province à ces manifestations. Généralement, il s’agit d’un point fixe avec banderoles et
pancartes comme le raconte Caroline de Haas151.
Dans un autre registre, l’Observatoire de la parité et de l’égalité entre les femmes et les
hommes (OPFH) a par ailleurs publié le 27 septembre 2010, à l’issue des travaux du
groupe de travail « retraites », une note de synthèse examinant les dispositions de la
réforme touchant aux femmes et faisant part des recommandations de l’OPFH.
La DDF de l’AN, sous la présidence de Marie-Jo Zimmermann, a quant à elle rendu un
rapport d’information le 13 juillet 2010. A partir des auditions réalisées (notamment du
COR et des syndicats), la DDF de l’AN livre dans ce document son analyse de la réforme
en termes d’impact sur les pensions servies aux femmes, et ses recommandations pour
améliorer la situation inégalitaire actuelle.
2.3 Des interactions sans véritable structuration Ces nombreuses et diverses initiatives ont été l’occasion d’interactions plus ou moins
épisodiques, de rassemblements de circonstance, mais dénotent le manque de lieu commun
où une stratégie partagée aurait pu se construire plus tôt dans le processus de mise à
l’agenda afin de peser dès les premières grandes journées de mobilisation et l’élaboration
de l’avant projet de loi.
149 Cette campagne est encore active sur le site internet de l’association : http://www.osezlefeminisme.fr/article/retraites-femmes-de-tous-les-metiers-ecrivez-a-vos-deputes 150 AFP, Retraite : associations et politiques veulent une réforme plus favorable aux femmes, 6 septembre 2010. 151 Caroline De Haas, Osez le féminisme !, n°10
55
Certes, la création du Laboratoire de l’Egalité entend en partie répondre à l’éclatement « en
parlant d’une seule et même voix » sur l’égalité professionnelle comme le lançait Cécile
Dumas, journaliste, lors de la présentation de cette organisation en janvier 2010152. Certes
d’autres efforts ont été menés comme l’appel lancé par Osez le féminisme !. Mais il n’en
reste pas moins que le manque de structuration du mouvement féministe apparaît, en sus
d’un féminisme d’Etat structurellement faible comme on l’a vu précédemment dans ce
chapitre (I), être un frein à la prise en compte de la dimension du genre dans les débats.
Interrogée sur l’écueil principal du mouvement féministe, Caroline De Haas pointe alors le
manque de structuration :
« Ce n’est pas un problème d’unité, car quand il faut s’unir ponctuellement le mouvement féministe est unitaire. Mais il n’est pas foutu d’avoir une structure nationale, indépendante des partis politiques, qui fasse à la fois lobby, mobilisation … qui puisse peser. »153
D’ailleurs, lorsque le 8 juin 2010 se tient rue de Grenelle au ministère du travail une
réunion à l’initiative du Ministre Eric Woerth consacrée aux retraites des femmes, le
mouvement féministe dans sa partie associative n’est pas représenté.
En effet en lieu et place d’un « mercredi des retraites » dédié à cette question comme le
demandait Chantal Brunel, rapporteure de l’OPFH154, cette table ronde réunit expertes,
personnalités et élues autour de la question des retraites des femmes. Cette réunion serait
passée inaperçue si Anne Chemin, journaliste au monde et elle même conviée par le
ministre, n’en avait rendu compte dans un article publié dans Le Monde le 10 juin155. Cet
article nous apprend que participent à cette table ronde l’ancienne ministre et grande figure
du combat pour les droits des femmes, Simone Veil, l’inspectrice générale des affaires
sociale et auteure d’un rapport remarqué sur l’égalité professionnelle156, Brigitte Grésy, la
rapporteure de l’Observatoire de la parité, Chantal Brunel, la présidente du directoire
d’Edmond de Rothschild Corporate Finance, Laurence Danon, ou Danièle Karniewicz,
présidente de la Caisse nationale d’assurance vieillesse. Françoise Milewski nous
apprendra157 y avoir également participé aux côtés d’autres chercheuses expertes sur la
152 http://www.maviepro.fr/magazine/engagees/tous-ensemble-pour-defendre-legalite-professionnelle 153 Caroline de Haas, Osez le féminisme !, n°10 154 cf. partie 2, chapitre 1, sous-partie 1 155 Le Monde, « Les pistes ministérielles pour réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes », 10 juin 2010. 156 Rapport préparatoire sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux, établi par Brigitte Gresy, remis à Xavier Darcos le 13 juillet 2009, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et à Nadine Morano, secrétaire d’Etat, chargée de la solidarité et de la famille. 157 Françoise Milewski, OFCE, n°2.
56
question du travail des femmes. Nulle trace ici de représentantes du mouvement féministe,
comme d’ailleurs de représentants ou représentantes syndicales ou de partis politiques
d’opposition. Le ministre aurait-il pu en faire de même et ne pas associer des
représentantes ou représentants du mouvement féministe si ce dernier avait été plus fort et
uni ? La question mérite d’être posée. Il serait par exemple impensable d’imaginer une
table ronde similaire sur l’avenir des familles sans y associer l’Union nationale des
associations familiales. Cette organisation dit représenter toutes les familles de France et
revendique près de deux millions de familles adhérentes à un mouvement familial en tant
que membres actifs et membres associés, soit plus de six millions de personnes.
Mais ces freins du mouvement féministe ont été dépassés par l’activation et la plus ou
moins grande coordination des différents relais féministes dans les pôles associatif,
partisan, institutionnel et académique. Cette coalition de cause inachevée a été
déterminante dans la mise à l’agenda de la question des retraites des femmes. Et cette mise
à l’agenda a entraîné une mobilisation accrue des femmes. Une sorte de cercle vertueux est
alors engagé. Il nourrit les débats autour du sujet, amplifie la mobilisation des féministes,
avant de permettre une assimilation du sujet au-delà des seuls actrices et acteurs féministes
(Chapitre 2).
III. Une mise à l’agenda levier d’une forte mobilisation des femmes
3.1 Une mobilisation des femmes aux manifestations relevée comme exceptionnelle La présence des militants et militantes féministes, des femmes dans une proportion
écrasante, était visible et a été remarquée. Dans la lignée du Mouvement de Libération des
Femmes des années 1970 qui utilisait l’humour et l’ironie comme arme de conviction, les
féministes, notamment les plus jeunes, ont usé elles aussi de slogans accrochant le sourire
et l’attention des manifestants comme des médias. « La retraite à 60 ans, Because I’m
Woerth it » brandi par Osez le féminisme ! s’est taillé un franc succès. Quant au slogan
«les femmes dans la galère, les femmes dans la misère, on en veut pas, d’cette réforme
là », il empruntait davantage aux mobilisations syndicales classiques qu’à l’ironie
féministe de la deuxième vague.
Au-delà des militantes, c’est la présence particulièrement nombreuse des femmes allant
crescendo au fil des manifestations qui a été remarqué à partir de septembre, à Paris
comme en province. Marisol Touraine, députée, témoigne que cet élément de la
mobilisation autour de l’égalité des sexes « a été extrêmement fort » :
57
« Dans toutes les manifestations où je me suis rendue, à Paris ou chez moi à Tours, cette
thématique était présente dans les discussions, les tracts, les affiches, et s’est vraiment imposée
comme un sujet de la mobilisation. »158
Christiane Marty d’Attac rapporte avoir eu « beaucoup de témoignages de femmes qui
manifestaient pour la première fois »159. Christophe Sirugue, député socialiste, pointe lui
aussi la « forte mobilisation des femmes » comme l’élément marquant de la mobilisation
dans sa question d’actualité posée au gouvernement sur les retraites des femmes le 7
septembre dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Pascale Coton a constaté lors du
tour de France effectué en tant que Secrétaire générale adjointe de la CFTC que les salles
se féminisaient. Elle se rappelle par ailleurs la présence de jeunes qui, rapporte t-elle,
disaient « moi je ne veux pas que maman elle vive comme ça ». Le sujet de la situation
particulièrement inégalitaire des femmes devant la retraite mobilise donc au-delà des
femmes elles mêmes.
3.2 Rapports de genre et mouvement social : les feministes s’auto-censurent ? Fortes de l’adhésion à leur discours, et convaincues que pour l’opinion les conséquences
en matière d’inégalités femmes/hommes étaient emblématiques de l’injustice de cette
réforme, les féministes parisiennes ont souhaité à un moment donné de la mobilisation
gagner en visibilité. Après avoir dans un premier temps organisé des points fixes sur le
parcours du cortège parisien, l’idée d’intégrer la manifestation et son carré de tête a été
discutée mais est restée lettre morte comme le raconte Christiane160 Marty d’Attac qui
parle « d’une sorte d’auto-censure » :
« Après une ou deux manifestations avec l’organisation de points fixes, les organisations présentes ont choisi de défiler ensemble. L’idée de défiler en tête de manif, juste derrière le cortège de tête, a été évoquée et défendue par beaucoup. Pour X raisons, cela ne s’est pas fait. Lors des distributions de tracts, nous avons alors constaté un fort soutien des manifestant-‐e-‐s pour qui cette question des inégalités hommes-‐femmes semblait importante. On s’est posé rapidement la question d’organiser un cortège féministe derrière le carré de tête. Tout le monde était en faveur de cette idée. Il aurait fallu en faire la demande à l’intersyndicale responsable de l’organisation des manifestations. Je suppose qu’il y a eu une sorte d’autocensure. Nous avons pensé que l’intersyndicale allait refuser. Nous avons buté sur des questions procédurales : qui va faire la demande et comment ? par une lettre ? mais signée par qui ? par le CNDF ? Mais le CNDF est aussi composé de partis, et les partis ne seront jamais acceptés en tête de cortège. Bref, la demande n’a pas été faite.
158 Marisol Touraine, PS, n°8 159 Christiane Marty, Attac, n°1 160 Christiane Marty, Attac, n°1
58
Certes, les cortèges de femmes qui ont défilé ont réuni beaucoup de monde, et étaient vivants et enthousiastes. Mais je pense que si on avait pu organiser le cortège féministe derrière le carré de tête, ça aurait eu un poids symbolique fort, bien plus fort. Cela aurait été possible, comme ça avait été fait par exemple pour les travailleurs sans papiers. Politiquement, cela aurait été porteur, visible, efficace. C’est mon regret. »
Les féministes – quasi exclusivement des femmes – ont anticipé un refus de la part de
l’intersyndicale – tenue très largement par des hommes. N’est-ce pas là une des formes du
complexe d’infériorité des femmes dont parlait Simone De Beauvoir 161? Même si nous ne
pouvons analyser cet élément plus largement, cet épisode intéressant mériterait d’être
interrogé du point de vue du genre. Il dit certainement des choses sur les rapports entre les
femmes et les hommes, comme sur les rapports entre le mouvement féministe et le
mouvement social dans son ensemble. Une forme de hiérarchie, encore, qui apparaît en
creux dans les propos de Caroline De Haas d’Osez le féminisme ! :
« Mais à l’époque nous (OLF) on n’est pas du tout dans une situation où l’on se dit qu’on peut parler à Bernard THIBAULT. On est une toute petite association. C’est marrant car je n’avais pas du tout pensé à ça … mais c’est vrai que si je me remets dans le contexte de l’époque, jamais je n’imagine prendre mon téléphone et appeler une syndicaliste pour parler avec elle. Pour moi c’est on suit, on suit le mouvement. Et cela montre bien à quel point on est complètement … Et puis il y a une forte tradition de laisser le mouvement social aux syndicats. Donc on n’imagine pas du tout dans un mouvement social être à un moment ou un autre moteur dans quelque chose. »162
Pascale Coton quant à elle relève163 que « les féministes étaient sur les trottoirs et nous
accompagnaient, comme les femmes à Barbe, etc. » mais « elles n’étaient pas mélangées à
nous (les syndicalistes), parce que dans l’ordre des manifestations elles n’ont pas le droit,
le cortège est très organisé avec la Préfecture etc. ». Selon elle ce mouvement social aura
tout de même permis une meilleure appréhension mutuelle des deux milieux qu’il faut
veiller à entretenir.
3.3 Les raisons de la colère La présence plus nombreuses des femmes dans les cortèges en 2010 que lors des
manifestations entourant les réformes précédentes s’explique certainement par le fait que
les argumentaires développés sur les faibles retraites des femmes et les conséquences
particulièrement pénalisantes pour elles faisaient écho à leur vécu. Bien que toutes les
conséquences négatives engendrées par les réformes précédentes ne se soient pas encore
161 Op. cit. p. 26-27. 162Caroline De Haas, Osez le féminisme !, n°10 163 Pascale Coton, CFTC, n°7
59
déployées, la paupérisation des femmes retraitées est déjà une réalité à l’issue de vies où
les inégalités professionnelles n’ont cessé de se cumuler (voir annexe sur les repères
statistiques). Et l’épisode du partage d’une partie des bonifications de trimestres pour
enfants avec la réforme de la MDA au détriment des femmes (cf. chap.3 de la partie 1)
restait sans doute dans les esprits. Ce sont ces deux « raisons de la colère » qui ont été
relevées par la juriste et universitaire Annie Junter pour expliquer en quoi la réforme des
retraites a pu prendre « des allures de gouttes qui feraient déborder le vase trop plein des
inégalités professionnelles »164.
Cette mobilisation sur le terrain, preuve de la sensibilité de l’opinion et en particulier des
femmes au débat sur l’égalité femmes-hommes, a pu être perçue par les opposants à la
réforme comme une ressource dans le rapport de force à construire.
CHAPITRE 2 – L’EGALITE FEMMES/HOMMES COMME FENETRE D’OPPORTUNITE : QUAND LES OPPOSANTS A LA REFORME ONT « L’EGALITE A LA BOUCHE »
I. L’égalité femmes/hommes : un sujet auquel on ne s’oppose pas mais dont on se saisit peu Bien que le sujet ait tardé à être porté par l’ensemble des opposants à la réforme au-delà
des seules actrices et acteurs féministes, la dimension de la retraite des femmes n’était pas
complètement absente des premiers supports de communication ou de mobilisation sur les
retraites.
Par exemple l’appel « Faire entendre les exigences citoyennes sur les retraites » initié par
Attac et la Fondation Copernic dès le début du printemps 2010, et qui a rassemblé très
largement des partis politiques de gauche, organisations syndicales et associations,
intégrait cet élément. La participation de militantes et militants féministes de ces
organisations a permis cette intégration comme le relate Christiane Marty (entretien n°1).
Mais la question est de savoir si celles et ceux qui prennent la parole publiquement au nom
des organisations de cet appel intègrent ou non la question de l’égalité femmes/hommes et
s’en saisissent. Christiane Marty fait état de cet écart :
164 Interview d’Annie Junter, Réforme des retraites : les raisons de la colère, Site d’information en ligne Egalité, 28 octobre 2010.
60
« Dans un texte, on arrive à faire acter des choses. J’ai pu argumenter, comme d’autres aussi, et faire intégrer des amendements. Personne ne s’y oppose. C’est le politiquement correct, on ne peut pas dire « les femmes, on s’en fiche ». Mais après, la question est de savoir comment on s’en saisit. Et dans les syndicats, ou partout ailleurs, il y a des résistances : « ce n’est pas le problème majeur », la question est vue comme un aspect « particulier » de la réforme. »165
Etant perçue comme un problème mineur, particulier, voire catégoriel, la question des
retraites des femmes est très volontiers « sous-traitée » par les personnes en charge du
dossier « retraites », généralement à la commission droits des femmes de l’organisation si
elle existe, ou à la personne qui aura le plus poussé pour une prise en compte de cette
question. C’est notamment le cas au groupe socialiste à l’Assemblée nationale où Marisol
Touraine a confié cette dimension de la réforme à une de ses collègues, membre de la
Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, Catherine Coutelle, députée
de la Vienne. Mme Touraine renvoie d’emblée au cours de l’entretien166 vers Mme
Coutelle, comme si elle ne se sentait pas complètement légitime à traiter de la question des
retraites des femmes, vue peut-être comme une question « à part ». Eric Aubin de la CGT
fait de même en donnant dès le début de l’entretien167 le contact de Guilaine Richard,
responsable du Collectif Femmes-mixité du syndicat. D’ailleurs, au cours de l’entretien M.
Aubin s’attarde longuement sur les aspects généraux de la réforme, dont il a une pleine
maîtrise, et donne au contraire l’impression d’éluder le thème des inégalités femmes-
hommes lorsque je le relance sur ce sujet. Rapidement il raccroche ce sujet à des enjeux
plus globaux.
Quand on sait les batailles de pouvoir qui entourent la définition des périmètres de
compétence en politique, cette tendance si spontanée à déléguer et renvoyer vers une autre
membre de son organisation interroge toutefois sur l’importance donnée à la question
déléguée ou tout au moins sur le manque d’expertise partagée sur ce sujet.
Cela a tendance à conforter l’idée selon laquelle la question des retraites des femmes, et
plus largement de l’égalité entre les sexes, est perçue par ces acteurs non féministes
comme un élément marginal, incident, comme un « sous-problème ». Un élément qui ne
suscite ni opposition, ni adhésion, et donc qui n’émerge pas en soi, ne fait pas partie de la
réponse politique, jusqu’à ce qu’il devienne une ressource mobilisable au service d’autres
objectifs.
165 Christiane Marty, Attac, n°1 166 Marisol Touraine, PS, n°8 167 Eric Aubin, CGT, n°6
61
II. Un intérêt accru à mobiliser l’égalité femmes-hommes dans les débats. Approche instrumentale ? La pression mise par les féministes sur leurs organisations, intérieure comme extérieure via
les médias et la mobilisation de terrain, est croissante. Pascale Coton témoigne des efforts
déployés au sein de son organisation, la CFTC, pour que son syndicat soit plus
« hargneux » sur cette question, et que de la base au sommet de son organisation chacun ait
« les chiffres en tête : 25% en moins au niveau des salaires, 40% au niveau des retraites,
etc. ». Résultat : elle arrivait forte du soutien des 142 000 adhérents CFTC avec elle devant
les ministres comme elle aime à le dire. Cette montée en grade du sujet dans les syndicats a
été unanimement relevée.
La couverture médiatique du débat sur les retraites des femmes168 est également de plus en
plus grande. Isabelle Germain, rédactrice en chef du site d’informations en ligne Les
Nouvelles News, consacre une chronique le 24 septembre 2010 à la progression de l’écho
médiatique du débat sur les retraites des femmes et parle d’un « effet de contagion dont la
presse a le secret »169. Elle cite en exemple les titrages de l’Humanité, du Parisien, du JDD
ou des Dernières Nouvelles d’Alsace sur cette question. Dans une séquence très longue,
puisque la couverture par les médias de la réforme des retraites a commencé dès le début
de l’année 2010, ce débat offre aux journalistes autour de l’été un nouvel angle : les
inégalités entre les femmes et les hommes. Cela leur permet de renouveler la façon dont il
traite le sujet « retraites ».
De la même façon, l’égalité entre les femmes et les hommes constitue également un nouvel
angle d’attaque pour des opposants à la réforme des retraites qui sont à la tâche depuis déjà
plusieurs mois. Leurs argumentaires sur le caractère injuste de la réforme peuvent
168 Le travail de revue de presse sur l’année 2010 démontre que le nombre d’articles dans la presse écrite française relatif aux débats sur les retraites des femmes est croissant à partir de l’été et culmine en septembre/octobre lors des débats parlementaires en séance à l’Assemblée nationale et au Sénat. 169 Isabelle Germain, Retraites : les femmes enfin entendues … pas encore écoutées, Les Nouvelles News. Extrait : ‘Que de chemin parcouru depuis la présentation par Eric Woerth du projet de réforme des retraites ! A l’époque nous étions peu nombreux dans les médias à alerter sur le sort des femmes. Mais tout d’un coup, par un effet de contagion dont la presse a le secret, les indignations se font jour. Franchement dans l’Humanité avec ce titre : « Retraites : les femmes payent le prix fort ». Avec une pointe de doute dans le titre du JDD : « Retraite : les femmes pénalisées ? » alors que l’article fait état de discriminations évidentes. Limite condescendant dans le Parisien : « Retraites, le sénat pourrait faire un geste pour les femmes. » Du bout des lèvres souvent ailleurs. Comme dans l’Expansion, neutre : « Pourquoi les femmes sont au cœur du débat sur les retraites ». Ou encore en vendant la peau de l'ourse avec un bon gros cliché : "Femmes fatales ?" s'interroge Olivier Picard dans les DNA. Mais désormais le sujet n’est plus ignoré des médias… même si une militante, invitée sur une chaîne de télévision, a failli s’étrangler lorsque l’animateur lui a reproché de ne pas l’avoir alerté avant. « On avait juste l’impression de crier dans le désert »’.
62
s’émousser avec le temps ou tout au moins ils ne perdent rien à se renouveler et à se
compléter.
C’est sous l’effet conjugué de ces multiples facteurs que les associations, les syndicats, les
partis politiques défavorables au projet de réforme gouvernemental, ont peu à peu intégré
le problème des retraites des femmes dans leurs discours, et ont produit des tracts
dénonçant les inégalités entre les sexes et l’impact négatif de la réforme sur ces dernières.
Peut-on seulement parler d’une approche instrumentale guidée par l’intérêt qu’avaient les
opposants à la réforme à mettre en avant à un moment des débats la question de l’impact
de la réforme sur les inégalités entre les femmes et les hommes, ou est-ce simplement une
question de chronologie des débats ? En effet, cette prise en compte tardive de l’égalité
entre les sexes pourrait aussi s’expliquer par la chronologie des thèmes abordés dans les
débats. C’est ce qu’avance Marisol Touraine dans son entretien170. Elle indique que la
question des femmes est venue avec la mise en avant de la borne d’âge des 65 ans, après
que le débat se soit focalisé sur la retraite à 60 ans. La mise en lumière du passage de 65 à
67 ans pour l’obtention d’une retraite sans décote aurait été plus propice à la mise en avant
des inégalités femmes-hommes puisque sur ce point précis la pénalisation particulière des
femmes est flagrante. En effet 30% des femmes contre 5 % des hommes attendent l’âge de
65 ans pour liquider leur retraite afin de compenser les effets d’une carrière incomplète et
d’accéder au bénéfice d’une retraite sans décote171.
2.2 Question stratégique, instrumentale Si cet élément aurait tendance à infirmer l’hypothèse d’une approche instrumentale, il n’en
reste pas moins que comme on l’a vu précédemment le débat sur les inégalités entre les
femmes et les hommes aurait pu être ouvert par les opposants à la réforme bien plus tôt
dans l’agenda lorsque par exemple les syndicats et partis politiques de gauche ont parlé de
niveau de pension, de pénibilité ou de sous-emploi des séniors. Une féministe au cœur des
institutions en charge des droits des femmes à l’époque de la réforme nous livre son
appréciation de la façon dont a été abordée la question par les opposants à la réforme et
notamment par les syndicats. Elle opte clairement pour une approche stratégique,
instrumentale :
« Pour moi sur la question des retraites, c’est comme sur la parité, à un moment donné il y a une alliance stratégique autour d’un thème avec des gens qui ne sont absolument pas convaincus eux-‐mêmes, c’est un peu comme Bush et les
170 Marisol Touraine, PS, n°8 171 Source: échantillon interrégimes de retraités 2004, in Études et résultats, n° 538, novembre 2006, Drees.
63
féministes pour envahir l’Afghanistan. Les syndicats tout d’un coup n’avaient que ça à la bouche, ils ont pris des positions extrêmement fortes sur le sujet y compris proche de la gauche en disant que l’on allait sacrifier les femmes sur l’autel de la réforme etc… donc c’est devenu même sur le plan de la mise en scène … En tout cas il y a eu une conjonction des luttes de la part d’acteurs qui ne s’incarnent pas spécifiquement d’habitude par la défense des droits des femmes, de l’égalité entre les hommes et les femmes. »172
Eric Woerth va dans le même sens. Interrogé sur la question de savoir si le sujet des
retraites des femmes a été abordé lors des rencontres bilatérales qu’il a eu avec les
syndicats, avec les partis politiques ... il répond : « ce n’était pas un sujet pour eux ». Tout
en relevant qu’il y a bien entendu une part de subjectivité dans son opinion, il poursuivra
en disant : « j’ai vu tout le monde, du Front national au PS en passant même par les jeunes
socialistes, et il n’y en a pas un qui m’a parlé des femmes. Au départ ils étaient sur l’âge de
la retraite ».
L’hypothèse d’une approche instrumentale de la question de l’égalité entre les femmes et
les hommes implique que la question soit davantage considérée comme un argument
supplémentaire contre la réforme, plutôt que comme un véritable sujet à prendre en compte
et auquel il faut apporter des solutions dans la réforme. L’absence ou la faiblesse des
propositions avancées sur ce thème par les opposants à la réforme conforterait donc encore
davantage cette hypothèse.
2.3 Mais pas de véritable volonté de prise en compte Les réponses pouvant être apportées au problème des retraites des femmes dans cette
réforme se situent à deux niveaux. Dans un premier temps on peut demander le retrait de
mesures générales, comme les allongements des bornes d’âge de départ à la retraite, pour
éviter que les inégalités entre les sexes ne se creusent encore davantage. Mais on peut aussi
et à un deuxième niveau, formuler des propositions concrètes susceptibles d’être prises
dans le cadre de cette réforme pour réduire les inégalités entre les femmes et les hommes.
Les féministes en avancent un certain nombre, notamment celles au sein des institutions en
charge des droits des femmes. La DDF de l’AN recommande ainsi dans son rapport
d’information173 « la prise en compte des temps très partiels qui étant inférieurs au ‘200
heures SMIC’ (c’est-à-dire inférieurs à un mi-temps) ne permettent pas de valider de
trimestres, par l’évaluation de la durée travaillée sans référence à l’année civile : dès lors
que les ‘200 heures’ sont atteintes, le trimestre est validé. Ou encore cette délégation
172 Entretien anonymisé et non publié à la demande de l’interviewée 173 Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur le projet de loi portant réforme des retraites, n°2762, adopté le 13 juillet 2010.
64
recommande dans le cas où la séparation du couple, laisse les mères de famille - qui n’ont
pas exercé d’activité professionnelle, ou l’ont interrompue pour s’occuper de l’éducation
des enfants - sans droits sociaux suffisants au regard de la retraite, le partage systématique
par le juge, au moment du divorce, des droits à la retraite constitués par celui qui a cotisé.
L’Observatoire de la parité et de l’égalité femmes-hommes va dans le même sens en
prônant le partage des pensions après un divorce et le partage des conséquences du temps
partiel entre les parents dans la note contenant ses recommandations174. L’OPFH propose
également dans cette note de majorer de 5% des cotisations patronales pour les entreprises
de plus de 50 salariés dont le nombre de salariés à temps plein est au moins égal à 25% du
nombre total de salariés de l’entreprise. Enfin, les membres de cette institution invite le
gouvernement à prendre des actions positives pour limiter l’impact des charges familiales
sur la durée d’assurance.
Marisol Touraine, lorsqu’elle est interrogée sur les propositions avancées durant les débats
par les socialistes sur les retraites des femmes, Marisol Touraine répond spontanément :
« Maintenir à 65 ans l’âge de départ pour l’obtention d’une retraite à taux plein. Pour le
reste, comme je vous le disais, ce n’est pas au moment de la retraite que les choses se
jouent, mais tout au long de la vie professionnelle». Ce n’est qu’ensuite lorsqu’elle sera
relancée qu’elle évoquera les amendements au projet de loi déposés par les socialistes lors
des débats parlementaires portant sur l’effectivité de l’égalité professionnelle et notamment
sur la lutte contre le temps partiel subi. Un regard porté sur les supports de communication
utilisés par les autres partis politiques de gauche ou les syndicats montrent également que
les propositions formulées sont rares, peu mises en avant quand elles existent, et de
manière générale très en dessous des discours que ces organisations ont pu épouser
progressivement dans les débats. On est principalement resté au stade de la dénonciation.
Christiane Marty d’Attac regrette dans son entretien cette non prise en compte réelle et met
en avant une certaine idée de « gâchis » face à la force politique du sujet et la mobilisation
qu’il a drainée et dont les opposants à la réforme ne se sont pas pleinement saisis :
« Pourtant nous étions très forts sur ce sujet car le gouvernement n’avait pas de réponse crédible là-‐dessus. La moitié de la population était directement concernée et indignée. (…) On a eu beaucoup de témoignages de femmes qui manifestaient pour la première fois, qui ne comprenaient pas que l’on ne parle pas davantage de cette inégalité là. On a eu l’impression que nous avions fédéré une puissance mais qui restait bridée. »
174 Note de synthèse du groupe de travail « retraites » de l’OPFH, « Renforcer les dispositions du projet de loi. Innover en matière de compensation des inégalités femmes/hommes », rendue publique le 20 septembre 2010 et disponible sur le site internet de l’OPFH.
65
Il semble que l’argument du « hors-sujet », développé par le gouvernement dès le
printemps et que nous analyserons plus loin, ait emporté l’adhésion des opposants à la
réforme non féministes. L’objectif était pour eux que cette réforme ne pénalise pas encore
davantage les femmes en creusant les inégalités. Ils n’allaient pas jusqu’à envisager que la
réforme puisse être le terrain propice à des mesures qui réduisent ces inégalités,
considérant, comme le gouvernement, que ce n’était pas à la réforme des retraites de régler
un problème d’égalité professionnelle bien plus large et qui se joue en amont. Tant Marisol
Touraine du PS175 qu’Eric Aubin de la CGT176 exprimeront ce point de vue au cours de
leurs entretiens.
III. Opportunité de démarcation pour des membres de la majorité présidentielle ? Le mécontentement populaire contre la politique gouvernementale cristallisée à l’occasion
de cette réforme des retraites, a poussé également des membres de la majorité
présidentielle à faire entendre un message plus social. Le contexte d’alors est celui d’un
gouvernement devant faire face à des « affaires »177 et de plus en plus dénoncé comme
étant « déconnecté » des réalités sociales alors même que la crise bancaire et financière
débutée à l’automne 2008 fait sentir ses conséquences économiques et sociales dans le
pays. L’UMP a essuyé une lourde défaite aux élections régionales de mars 2010.
Ceci est de nature à favoriser l’expression de voix discordantes au sein même de la
majorité. Les demandes sociales exprimées par les manifestants ont ainsi un écho chez
celles et ceux à droite qui s’inquiètent d’un gouvernement inflexible et d’un mouvement
d’opposition à la réforme très largement soutenu dans l’opinion, davantage d’ailleurs par
les femmes que par les hommes178. Des assouplissements à la réforme sont susceptibles de
175 Marisol Touraine, PS, n°8 176 Eric Aubin, CGT, n°6 177 Alain Joyandet a été épinglé par le journal en ligne Mediapart au sujet d’un trajet en jet privé aux frais de l’Etat dans le cadre d’un déplacement ministériel en Martinique, et pour avoir selon Le Canard Enchaîné profiter d’un permis de construire illégal pour agrandir sa résidence près de Saint-Tropez. Quant à Christian Blanc, toujours selon Le Canard Enchaîné, il aurait acheté pour plusieurs milliers d’euros de fonds publics des cigares cubains. Tous deux ont démissionné début juillet 2010 à la demande de l’Elysée et de Matignon. Dans le même temps, un article de Médiapart publié en ligne le 16 juin 2010 marque le début d’une affaire politico-financière française mêlant notamment Liliane Bettencourt, femme d’affaires, première actionnaire du groupe L’Oréal et l’une des plus grandes fortunes de France, M. Eric Woerth, son épouse Florence Woerth, jusqu’à Nicolas Sarkozy lui-même. Ce que l’on appellera alors « l’affaire Woerth-Bettencourt » se prolongera jusqu’au départ de M. Woerth de son ministère le 14 novembre 2010 et son remplacement par Xavier Bertrand, et connaît encore des rebondissements judiciaires. 178 Deux tiers environ des français et françaises soutenaient la mobilisation contre la réforme avec un pic de soutien début octobre. Selon un sondage réalisé par l’Ifop pour Ouest-France les 2 et 3 septembre, 70 % de personnes trouvaient le mouvement « justifié ». D'après un sondage réalisé par le même institut pour le quotidien régional Sud-Ouest les 7 et 8 octobre suivant, 71 % des sondés considèrent que le mouvement
66
désamorcer la mobilisation contre l’adoption de cette réforme et de limiter la dégradation
de l’image et de la popularité de la majorité.
Les élections sénatoriales sont programmées pour septembre 2011. On est donc quasiment
déjà en période électorale au Sénat, et le basculement à gauche inédit de cette institution
n’est pas écarté179. Ce qui explique que cela soit dans cette enceinte que le plus de voix
discordantes s’expriment, dont celle du Président du Sénat, Gérard Larcher. Le débat sur la
situation particulièrement injuste des femmes à la retraite et sur l’aggravation possible de
cette situation par la réforme prend de l’ampleur dans l’opinion, mobilise sur les territoires,
et devient un des marqueurs du débat justice/injustice. Au regard de ses déclarations dans
la presse, puis dans les débats parlementaires, ce débat semble être celui choisi par Gérard
Larcher pour obtenir de la part du gouvernement des assouplissements au texte allant dans
le sens d’une réforme « plus équitable ». Le 15 septembre 2010 lors d’une réunion avec les
sénateurs UMP le président Nicolas Sarkozy cite la question de la retraite des femmes
comme « ouvertures possibles » à la réforme, comme « marge » pour amender le texte180.
Ceci s’inscrivait dans un contexte où le Sénat tient à avoir un rôle sur cette réforme, et où
la majorité présidentielle est plus réduite qu’à l’Assemblée nationale pour faire adopter ce
texte. Les différentes composantes de cette majorité doivent donc être satisfaites sur
certaines de leurs revendications pour s’assurer leur soutien. La retraite des femmes est par
exemple un des points régulièrement soulevés dans les débats par l’Union centriste au
Sénat avec la question de la pénibilité. Ce n’est donc sans doute pas non plus étranger au
fait que Gérard Larcher précise le 16 septembre, comme le rapporte une dépêche
Reuters181, que des aménagements sont possibles sur la pénibilité, la médecine du travail et
sur les « femmes et conjoints ayant élevé plusieurs enfants et ayant eu des carrières de ce
fait assez hachées ».
Cette annonce du président du Sénat ouvre alors un débat à droite. Les tenants d’une ligne
que l’on pourrait qualifier de dure, refusent un maintien à 65 ans de l’âge de départ à la
retraite sans décote pour les femmes, même mères de trois enfants au moins. Ceci au nom
de l’équilibre financier de la réforme qu’il faut tenir182. M. Woerth, Ministre en charge du
social contre la réforme des retraites est « justifié ». Et fait notable qui nous intéresse particulièrement ici : les femmes trouvent la mobilisation davantage légitime que les hommes (75 % contre 67 %). 179 Le Sénat a effectivement basculé à gauche pour la première fois de son histoire le dimanche 25 septembre 2011. Jean-Pierre Bel (PS) a succédé à Gérard Larcher à la présidence de la chambre haute du Parlement français. 180 AFP, « Sarkozy promet de la « marge » aux sénateurs UMP sur les retraites », 15 septembre 2010. 181 Reuters, « Retraites-Le Sénat agira sur la pénibilité et les femmes/Larcher », 16 septembre 2010. 182 Marisol Touraine parle de « position purement comptable » (Marisol Touraine, PS, n°8), Pascale Coton dit « tout était mathématique » (Pascale Coton, CFTC, n°7)
67
travail, est en première ligne et endosse le rôle de gardien de cet équilibre financier comme
cela transparait dans l’entretien183, tout comme Mme Morano184, alors même que l’égalité
entre les femmes et les hommes est intégrée dans le secrétariat à la solidarité et à la famille
dont elle a la charge. Cette réaction pourrait à première vue étonner. Or elle est cohérente
avec les nombreuses interventions de ces deux ministres depuis le début des débats à
chaque fois qu’ils ont eu à intervenir sur le sujet des retraites des femmes. Ils n’ont eu de
cesse d’expliquer jusque là que le résidu du problème des retraites des femmes provient
des inégalités salariales persistantes tout au long des carrières, et que donc la réforme des
retraites n’était pas le cadre dans lequel il fallait agir.
CHAPITRE 3 – UN DEBAT CIRCONSCRIT PAR LE GOUVERNEMENT A UNE DIVERGENCE DE DIAGNOSTIC De façon générale, le débat sur les retraites a principalement lieu dans les médias et au
Parlement. En effet, il n’y a pas de négociation avec les partenaires sociaux et les
organisations politiques, mais simplement une concertation comme l’ont indiqué plusieurs
des personnes interrogées. Eric Aubin de la CGT relève par exemple qu’il n’y a eu que
des réunions bilatérales avec les partenaires sociaux, « pas une seule plénière ou table-
ronde »185. Cela a pour effet de multiplier le nombre de réunions d’avril à octobre, et de
construire l’image d’un gouvernement à l’écoute. Or dit-il « ce n’est pas pour cela qu’il y a
eu échange » et que peuvent être coproduites des analyses partagées et des propositions.
Les différents entretiens reviennent sur ce point de méthode. Les premiers vrais échanges
projet contre projet ont lieu à partir de juillet et des débats parlementaires au sein des
commissions à l’Assemblée nationale.
L’objectif pour le gouvernement est d’éviter au maximum les espaces où peuvent émerger
des propositions d’amendements à la réforme qui pourraient menacer l’équilibre comptable
dicté par un cadre bien plus global (cf. partie 1, chap. 1).
Cet objectif général est appliqué au débat sur les retraites des femmes. On assiste ainsi à
une stratégie d’évitement afin de ne pas aborder le problème par une approche structurelle
des inégalités femmes-hommes. Car cela viendrait gripper une réforme qui poursuit un
183Eric Woerth, Ministre du Travail, n°9 184 Reuters, « Retraites-Morano pas favorable à un geste en faveur des femmes », 17 septembre 2010. 185 Eric Aubin, CGT, n°6
68
choix politique, celui du cadre libéral de marché. La démarche est construite, consciente186.
Très tôt on peut identifier la stratégie de défense pensée sur ce front de l’égalité entre les
femmes et les hommes. Ceci transparait en effet dans les éléments de langage utilisés par
les membres du gouvernement qui auront le plus à intervenir sur ce sujet : M. Woerth,
Mme Morano et dans une moindre mesure George Tron187. Cette défense évoluera au gré
du débat et des assauts des féministes et plus largement ensuite des opposants à la réforme.
C’est ainsi que l’on peut distinguer trois phases dans l’argumentation gouvernementale qui
pourraient se résumer comme suit :
1. Avec le temps, les inégalités entre les sexes en matière de retraites vont se résorber. Dans
l’attente, les dispositifs compensatoires existent. Il n’y a donc pas de problème ‘retraites
des femmes’.
2. Le faible niveau des retraites des femmes est le miroir de leurs carrières et des écarts
salariaux : sujets extérieurs à la réforme qui devront être traités dans un autre projet de loi.
3. Cette réforme des retraites contient déjà des avancées fondamentales pour les femmes. Et
seule la génération de femmes étant nées trop tôt (dans les années 1950) pour pouvoir
bénéficier des mesures de compensation liées à la maternité, nécessite une mesure
dérogatoire dans cette réforme.
I. Le problème « retraites des femmes » appartiendrait-il au passé ? Le ministre Woerth a à sa disposition dans ce débat deux argumentaires dédiés aux
retraites des femmes qui lui ont été fournis par son cabinet. La « fiche n°16 » intitulée
« Idées reçues sur les femmes et la retraite » consacrée à six idées identifiées comme étant
fausses, et la « fiche n°20 » appelée « La retraite des femmes » et reprenant l’essentiel de
l’argumentaire gouvernemental. Ces deux documents précieux pour décrypter le discours
gouvernemental ont pu m’être fournis lors de l’entretien avec le ministre, et sont ainsi
annexés à ce travail188.
Dès le départ une divergence de diagnostic apparaît. Dans le diagnostic posé, cette
« chaîne causale qui produit le symptôme que l’on veut traiter » (Muller, 2000), réside tout
186 Sur ce point Christiane Marty, d’Attac, dira au cours de son entretien : « Mais les réformes sur les retraites relèvent de la logique néolibérale à l’œuvre en France comme ailleurs, qui a pour ligne de démanteler le système par répartition pour faire la place aux assurances privées. Elles ne sont pas menées dans l’ignorance des conséquences néfastes pour les populations et les femmes, elles sont menées parce que c’est un choix politique.» (Christiane Marty, Attac, n°1) 187 Secrétaire d’Etat auprès du Ministre du Travail, Eric Woerth, chargé de la fonction publique. 188 Cf. annexe n°6.
69
l’enjeu de ce qui suivra, le pronostic, c’est-à-dire les solutions à apporter au problème
identifié. C’est donc une étape essentielle de la construction d’une politique publique.
D’un côté, les acteurs et actrices féministes mettent en avant les chiffres de la situation des
femmes retraitées aujourd’hui pour alerter sur l’aggravation des inégalités par la réforme
demain. De l’autre, Eric Woerth avance dans un premier temps qu’il n’y a pas de
problèmes de « retraites des femmes » dans cette réforme puisque le différentiel en matière
de retraites ne cesse de se réduire et va même devenir favorable aux femmes, et la question
du faible niveau des pensions des femmes est déjà traitée par un système de retraite très
fortement redistributif entre hommes et femmes.
Les deux camps sont capables de mobiliser les mêmes rapports du Conseil d’Orientation
des Retraites tout en utilisant des chiffres différents, voire même en interprétant
différemment les mêmes chiffres. Le débat sur les projections des inégalités en matière de
retraite entre les sexes en est l’illustration.
La fiche argumentaire n°20 fournie par le Cabinet de M. Woerth met ainsi en avant sur la
base du rapport du COR de 2006 que « le COR lui-même l’a dit : en matière de retraites,
l’écart entre les femmes et les hommes s’est considérablement réduit » 189 , avant
d’expliquer que « grâce à nos dispositifs de solidarité (mécanismes de validation des
trimestres lorsqu’une femmes s’arrête pour élever un enfant ; attribution de 2 ans de durée
d’assurance pour chaque enfant né etc.) et au fait que les femmes travaillent plus qu’avant,
une femme de 55 ans a, en moyenne, la même durée d’assurance qu’un homme. Et celles
qui ont 45 ans auront même une durée supérieure à celle des hommes de leur âge. » Et
donc le gouvernement d’expliquer qu’en conséquence l’écart en termes de niveau de
pension allait se résorber à l’avenir. Le 7 septembre dans sa réponse à la question
d’actualité de Christophe Sirugue, député socialiste, Eric Woerth renvoie les écarts de
trimestres cotisés entre les sexes à un problème passé quand il appelle par exemple à
« regarder les retraites avec les lunettes d’aujourd’hui, pas avec celles d’il y a dix ans !
Pourquoi ? Parce que la société évolue et que de plus en plus de femmes travaillent », ou
quand il remarque que « la situation des femmes âgées qui touchent leur retraite est le
reflet de règles et de conditions de travail d’époques parfois très éloignées»190.
189 cf. annexe n° 6. 190 cf. débats parlementaires en commission des finances de l’Assemblée nationale le 20 juillet 2010.
70
Or peut-on comme le font les conseillers191 à l’origine de ce raisonnement considérer que
si l’écart se réduit aujourd’hui, il continuera mécaniquement de se réduire jusqu’à
résorption ? C’est la question soulevée par Françoise Milewski dans sa contribution
« Retraites des femmes : faute de mieux ? » à la publication Clair&Net de l’OFCE parue le
28 septembre 2010. L’incertitude de cette évolution a également été pointée par Anne-
Gisèle Privat (2005)192 dans sa thèse sur l’avenir des retraites en France, ou encore par
Caroline Ressot de l’Observatoire de la Parité au cours de son entretien193. Marie-Jo
Zimmermann, reçue par Eric Woerth, a contesté les chiffres et les projections du Ministre
selon ses dires194 et celle d’un membre du cabinet du Ministre expliquant que le rendez-
vous, compte tenu d’une divergence de départ sur le diagnostic, s’est « mal passé ». Le
Ministre lui-même le reconnaîtra en creux dans son entretien parlant de débats qui n’ont
pas toujours été faciles195.
L’article de Françoise Milewski196, très argumenté et largement relayé dans les réseaux
féministes, met notamment en avant que l’argumentation de départ du gouvernement omet
de traiter de certaines questions spécifiques aux retraites des femmes. Le taux d’emploi des
femmes a certes largement augmenté197 même si il reste encore inférieur d’environ 10
points à celui des hommes. Mais les conditions de travail, elles, restent encore très
largement différentes selon que l’on soit né-e femme ou homme. Pour reprendre le titre
191 La féministe au cœur des institutions mobilisées lors de cette réforme et qui a préféré gardé l’anonymat avance dans son entretien que « les conseillers qui étaient surtout des conseillers budgétaires ou des spécialistes des assurances des retraites se sont dit que c’était une espèce d’anticipation sur une génération qui ferait qu’effectivement on allait se retrouver avec plus de cotisations. Et le C.O.R a laissé entendre que les interprétations de ses rapports par le cabinet WOERTH étaient un peu tirées par les cheveux ». 192 Anne Gisèle Privat dit dans cette thèse « L’avenir des retraites en France » publiée en 2005 par la Fondation nationale des Sciences politiques de l’IEP de Paris, page 208 : « Pour résumer la situation, la progression de l’activité féminine, conjuguée à la montée en charge des avantages familiaux, induit un rapprochement des droits à la retraite des femmes de ceux des hommes. (…) Les entrées de retraitées accentuent donc la plus forte progression de la pension moyenne des femmes par rapport à celle des hommes. (…) Cette évolution devrait se poursuivre mais la situation des femmes va-t-elle pour autant rejoindre celle des hommes ? » 193 « La principale difficulté que nous avons rencontrée pour ce travail réside dans les quelques données disponibles ; seules les femmes qui ont déjà cessé leur activité sont prises en compte, par conséquent une génération particulière dont l’étude n’est pas nécessairement transposable aux générations à venir. Il n’existe pas vraiment de projections et leur absence rend délicate l’élaboration d’une réforme justement pour les futures générations de retraité-e-s » (Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5) 194 Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4 195 Eric Woerth, ministre du Travail, n°9 196 Milewski F., « Retraites des femmes : faute de mieux », Clair&Net, OFCE, 28 septembre 2010. 197 En 2007, 51 % des femmes de 15 ans et plus sont présentes sur le marché du travail − elles ont un emploi ou sont au chômage − contre 62 % des hommes. Cet écart s’est cependant nettement réduit depuis vingt ans. (Source : Insee, enquêtes emploi) En 1962, le taux d’activité des femmes de 25 à 49 ans était de 41,5%. Il est aujourd’hui de 80% et les femmes représentent 45% de la population active.
71
d’un article de Margaret Maruani « la mixité n’est pas l’égalité »198. C’est ce que pointe
dans son article Françoise Milewski :
« L’égalisation progressive à l’avenir des durées, outre que son ampleur est incertaine, laisse entière la question des conditions d’emploi. Le temps partiel s’est développé depuis les années 1990, suscitant une précarité particulière pour les femmes. Dans la crise économique récente, le sous-‐emploi s’est étendu : le chômage des femmes en activité réduite a fortement progressé, tout comme leur taux d’emploi à temps partiel (Milewski, 2010)199. »
Cette économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques met également
régulièrement en avant le fait que les écarts salariaux ne se réduisent plus depuis les années
1990, et que le taux d’activité des femmes a cessé d’augmenter si on le considère en
équivalent temps plein. Autant d’éléments qui relativisent l’optimisme d’Eric Woerth et de
son cabinet quant à la résorption dans un avenir proche des inégalités en matière de
trimestres cotisés et de montant des pensions, avec un raisonnement qui s’appuie sur
l’augmentation du taux d’emploi des femmes et sur les dispositifs de compensation actuels
(droits familiaux et conjugaux, minimum contributif, etc.). Bruno Palier va dans le même
sens que Mme Milewski en soulignant lui aussi les conditions de travail des femmes moins
avantageuses que les hommes et qui se démultiplient au moment de la retraite200. Le
responsable des études du COR lui même, M. Jean Michel Hourriez, indiquera que « la
progression du travail à temps partiel et le chômage sont venus annuler les effets de la
hausse du taux d’activité féminin. Si l’activité féminine progresse régulièrement, celle du
taux en équivalent temps plein (ETP) stagne à partir de la génération 1955 »201. Enfin, les
rares données disponibles concernant les projections montrent d’ailleurs que la seule
convergence des durées d’assurance ne suffirait pas à combler les écarts de niveau de
pension entre les femmes et les hommes. Ainsi, selon les projections effectuées à la
demande du COR, pour les générations de 1965 à 1974, les pensions des femmes ne
représenteraient encore que 63% de celle des hommes.202
198 Margaret Maruani, sociologue, directrice de recherche au CNRS, directrice du groupement de recherche européen MAGE, nuance l’arrivée massive des femmes sur le marché du travail par la ségrégation et les discriminations dont elles sont l’objet au travail (concentration des femmes dans « un petit nombre de métiers et de secteurs traditionnellement féminins » et moins valorisés, inégalités salariales …). Maruani M., « la mixité n’est pas l’égalité», Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010, Paris, La documentation française, p40. 199 Op. cit. 200 Palier B., La réforme des retraites, PUF, (Que sais-je?), Paris, 2010, p. 51. 201 Audition de Jean Michel Hourriez par la DDF de l’Assemblée nationale le 11 février 2010. Le compte-rendu est annexé au rapport d’information n°2762 de la DDF de l’Assemblée nationale sur le projet de loi portant réforme des retraites. 202 Rapport du COR, Retraites : droits familiaux et conjugaux, 2008, p.90.
72
Mais cette bataille sur les projections des écarts de durée d’assurance et de niveaux de
pension n’occulte pas le chiffre de l’écart moyen actuel de pension entre les femmes et les
hommes. Ce chiffre de 40% s’impose progressivement dans les débats et dans l’opinion.
Et ce malgré les tentatives de minimisation des inégalités concernant les femmes à la
retraite, comme lorsque le ministre Woerth dit dans l’hémicycle en séance de questions au
gouvernement le mardi 7 septembre en réponse à une question de l’opposition : « Ne faites
pas porter à la réforme des retraites toutes les injustices de notre société ! Un certain
nombre d’injustices touchent certes les femmes. » Le mot « certes » est significatif de cette
volonté de minimiser.
II. Renvoyer aux inégalités salariales : une stratégie d’exfiltration Dès lors que le débat ne peut pas être évité, il faut le circonscrire à la question des
inégalités salariales. Pointées par le gouvernement comme étant les principales
responsables des inégalités de pension persistantes, elles permettent d’exfiltrer le problème
en dehors de la réforme des retraites. Eric Woerth ne manque pas d’insister à nouveau sur
ce point lors de l’entretien : « (…) ce qui m’apparaissait très nettement était que la réforme
des retraites ne pouvait pas tout résoudre. Et que la principale inégalité – je l’ai dit au
moins 10 000 fois, et nous avions même écrit203 dans Le Monde – c’est l’inégalité salariale,
qui se retrouve au bout du compte dans la retraite. » Il parle lors de son audition par la
commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale le 13 juillet de « véritable
scandale social » pour désigner les écarts204 salariaux entre les sexes, de 27%205 en
moyenne. Mais il repousse l’annonce de mesures pour y remédier à plus tard : “pas à
l’occasion du texte sur les retraites, dans lequel on ne peut pas tout mettre.” On verra qu’un
article sera finalement intégré dans le projet de loi pour traiter de la question de l’égalité
professionnelle en entreprise (Partie 3, chapitre 1).
Cet argument du « hors-sujet » est martelé pour trouver une porte de sortie à ce problème
en dehors de la réforme des retraites, et ainsi éviter que l’analyse sur l’impact même de
cette réforme sur les inégalités entre les sexes prenne de l’ampleur. Cependant, le débat se
focalise de plus en plus sur l’aspect particulièrement pénalisant pour les femmes du report
203 M. Woerth se réfère ici à la tribune « Agir sur les écarts de salaire pour améliorer la retraite des femmes » publiée dans Le Monde du 4 octobre 2010 et co-signée avec ses collègues au gouvernement : Nora Berra, Nathalie Kosciusko-Morizet, Nadine Morano et Georges Tron. 204 Il est intéressant de souligner ici que le terme écart est largement préféré à celui d’inégalité ou encore plus d’injustice. Cela apparaîtra au cours des débats de la part du gouvernement et des défenseurs de la réforme des retraites. 205 Tous temps de travail confondus (Dares, 2006). Pour en savoir plus : Muller L., « Les écarts de salaires entre les hommes et les femmes en 2006 : des disparités persistantes », Premières informations, premières synthèses, n°44.5, octobre 2008, Dares
73
de 65 à 67 ans de l’âge de départ en retraite sans décote (cf. partie 3, chapitre 1), ceci du
fait de leur carrières hachées, interrompues par la maternité, l’éducation des enfants, la
prise en charge d’une personne dépendante et/ou encore le temps partiel qu’elles
continuent d’occuper à 80%. Et les échanges font alors apparaître une divergence
d’approche des inégalités.
III. Approche individuelle versus approche structurelle des inégalités Les inégalités sont-elles le résultat de choix personnels, individuels, ou bien au contraire le
résultat des rapports de domination sur lesquels la société est construite et fonctionne
aujourd’hui ? Certes, la réponse n’est sans doute pas seulement à rechercher dans l’une ou
l’autre des options. Mais selon l’option privilégiée, on adopte une approche individuelle ou
structurelle des inégalités. Cela vaut pour les inégalités entre les sexes comme pour les
autres inégalités. Et c’est également cela qui détermine si l’on juge justes ou non ces
inégalités.
Les débats entourant les inégalités femmes-hommes en matière de retraites ont été
l’occasion d’identifier clairement cette divergence d’approche, et la manière dont sont
perçus aujourd’hui les rapports de genre inégalitaires qui persistent dans notre société.
Pascale Coton, secrétaire générale adjointe de la CFTC, ex-postière, mère de trois enfants,
livre au cours de l’entretien sa lecture du parcours chaotique que peuvent connaître les
femmes et évoque à quelle approche elle a été confrontée au cours des débats sur les
retraites :
« (…) toutes ces personnes qui ont des difficultés à joindre les deux bouts, elles avaient des enfants, souvent beaucoup d’enfants, elles s’étaient arrêtées de travailler pour s’occuper d’une personne dépendante. Donc ce n’était pas de leur volonté. C’était le fait que la société française n’était pas constituée pour faire en sorte que les femmes lorsqu’elles souhaitaient s’arrêter de travailler puissent continuer à cotiser pour leur retraite, ou parce qu’elles étaient obligées de prendre du temps partiel puisqu’il n’y avait pas de structures pour accueillir soit leurs enfants, leurs parents, grands parents, etc. Et donc là j’ai vraiment eu l’impression que lorsqu’on arrive à la retraite on est puni d’un certain nombre de choses. Comme si c’était inné que l’on s’occupe des autres. Et qu’à la fin on nous rétorque « oui mais vous n’avez pas toujours travaillé » et que la punition apparaissait absolument évidente. » « Moi c’est toujours cette phrase qui m’aura marquée lorsqu’un homme politique dont je tairai le nom m’a répondu « il faut savoir ce qu’elles veulent : faire des enfants et ne pas avoir un travail bien rémunéré, ou avoir un travail bien rémunéré. Ce sont elles qui choisissent, ce n’est pas de notre faute. » Et là je me suis dis ‘la guerre est déclenchée’. »
De nombreuses voix iront dans le même sens que Madame Coton en remettant en question,
à partir de la réalité des femmes aujourd’hui, la notion de libre choix. Ainsi par exemple la
députée socialiste de Paris Danielle Hoffman Rispal prend elle aussi le parcours type d’une
74
femme aujourd’hui pour illustrer quelle place est laissée au choix et quelles pourraient être
les conséquences en matière de retraite de parcours de vie précaires : “Mais imaginons une
femme de 38 ans, qui aura donc 45 ans avant 2018, caissière dans une grande surface, à la
tête d’une famille monoparentale – autrement dit qui élève seule deux enfants. Comment
peut-on parler d’un choix de carrière ! Découvrir à 45 ans l’état futur de ses droits sera
plutôt pour elle une source de grande inquiétude sur son avenir ! Je le sais par expérience,
les carrières des femmes qui exercent ce type de métier sont déjà chaotiques.”206
Monsieur Woerth, se plaçant dans une approche qu’il qualifie de plus rationnelle,
objective, ne manque pas une occasion dans les débats d’affronter ce sujet et les exemples
avancés en répondant que « le temps partiel n’est pas toujours subi ». Selon lui,
« beaucoup de choses relèvent de choix personnels : certaines personnes décident de passer
un peu plus de temps avec leurs enfants. » L’emploi du terme « personnes » masque le fait
que ces « personnes » qui « décident » de s’interrompre de travailler pour éduquer un
enfant ou une personne dépendante sont à une écrasante majorité des femmes. Ainsi par
exemple, 93% des salariés qui s’arrêtent de travailler dans les entreprises de 10 salariés et
plus pour s’occuper de leurs enfants sont des femmes207. Ce qui explique qu’en 2009, le
taux d’emploi des femmes en couple avec un enfant est de 76,5 % contre 89,9 % pour les
hommes, avec deux enfants il est respectivement de 78,6 % contre 92,7 % et avec trois
enfants ou plus, ce taux passe à 59,6 % contre 89,4 %208. Le ministre en neutralisant ainsi
le genre occulte le rapport de domination d’un sexe sur l’autre qui débouche à l’édiction
d’une norme209, aux femmes d’éduquer et de s’occuper des enfants, qui contraint encore
aujourd’hui un certain nombre de femmes indépendamment de leurs désirs propres.
Eric Woerth continue quant à lui de penser au cours de l’entretien que « si vous avez
travaillé un peu moins, c’est qu’à un moment donné vous l’avez peut-être choisi. » Il
poursuit en expliquant pourquoi un choix individuel appelle de son point de vue une
responsabilité individuelle :
« la grande majorité des femmes qui partent aujourd’hui à 65, 66 ou 67 ans sont des femmes qui se sont arrêtées de travailler pendant des années et des années (en moyenne, elles se sont arrêtées de travailler 20,5 ans avant de prendre leur retraite). Donc après elles arbitrent entre un départ avec décote si elles arrivent
206 cf. débats parlementaires en commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale du 20 juillet 2010. 207 Ecmoss 2006 et Enquête sur l'activité professionnelle, Insee-Dares. 208 Enquêtes Emploi du 1er au 4e trimestre 2009, Insee. 209 Caroline Ressort au cours de son entretien parle de cette idée de norme et de ses conséquences : « Elles, d’une génération où s’arrêter pour s’occuper de ses enfants était quand même franchement la norme, ont dû souvent se battre pour reprendre une activité professionnelle. Et cette reprise a généralement lieu vers 45-50 ans, le plus souvent à temps partiel. Et si elles arrivent à avoir du travail, elles auront encore à travailler 10 ou 15 ans. » (Caroline Ressot, Observatoire de la parité, n°5)
75
à vivre avec cette décote, ou si elles considèrent qu’il faut qu’elles aient leur taux plein, elles attendent, mais elles sont en capacité d’attendre »210.
Par ailleurs, le ministre conteste fortement le fait que les femmes seront sur-représentées
dans les salariés qui devront attendre 67 ans avant de pouvoir partir à la retraite sans
décote. Pour lui « ce n’est simplement pas vrai du tout »211, puisque d’après les projections
réalisées par son cabinet sur les durées d’assurance « la borne des 65 ans concernerait de
moins en moins de femmes »212. Le ministre se replace au cours de l’entretien du côté de la
raison, avec des « arguments rationnels et justes, quand de l’autre on est dans un système
de compassion »213. Il dira également « nous on savait ».
Le MEDEF, principal syndicat patronal, a été un des rares alliés du gouvernement sur la
question du traitement des inégalités femmes-hommes dans la réforme des retraites. Et
c’est notamment sur cette question de la borne d’âge de 65 ans qu’il donnera de la voix.
Bien que le Medef n’ait pas souhaité répondre à nos questions sur cette problématique, la
reprise des positions publiques de leur présidente, Laurence Parisot, ainsi que la lecture des
auditions parlementaires de Jean François Pilliard, président de la « Commission
protection sociale » du syndicat patronal, en charge du dossier « retraites », permettent de
relever leur position et arguments d’alors. Invitée sur l’antenne d’Europe 1 le 23
septembre, Laurence Parisot affirme son identité libérale et, féministe. Comme pour
mieux légitimer l’appréciation qu’elle fait ensuite de l’impact de la réforme des retraites
sur les inégalités entre les femmes et les hommes : « Sur la question des retraites des
femmes, beaucoup de contre-vérités sont dites. Il est inexact de dire que le texte de loi est
discriminatoire à l’égard des femmes. Au contraire, il apporte un certain nombre
d’avantages en intégrant les indemnités journalières de maternité dans le calcul de la
pension. Ce qui n’existait pas jusqu’alors »214. Cette déclaration intervient deux jours après
que la Haute autorité de lutte contre les discriminations (Halde) ait rendu publique une
délibération215 datée du 13 septembre dans laquelle elle alerte les décideurs publics :
« S’il n’est pas du seul ressort du système des retraites de corriger toutes les inégalités, il lui revient d’une part de ne pas les aggraver et de garantir l’égalité
210 Eric Woerth, ministre du Travail, n°9 211 Ibid 212 Ibid 213 Ibid 214 Laurence Parisot, interrogée par Marc Olivier Fogiel dans « l’interview du matin » de la radio Europe 1 le 23 septembre 2010. 215 Halde, Délibération n° 2010 - 202 du 13 septembre 2010 sur le projet de loi portant réforme des retraites.
76
entre les femmes et les hommes. (…) Pour cela, la réforme du système des retraites doit prendre en compte, s’agissant des femmes, les paramètres majeurs qui les pénalisent. » La Halde vise par exemple dans cette délibération les reports d’âge sur lesquels est basée la
réforme qui « risque de pénaliser les femmes plus que les hommes ». Cet avis n’est pas
partagé par Laurence Parisot qui toujours dans la même interview explique que selon elle
« baisser l’âge légal de départ à la retraite des femmes par rapport aux hommes, cela
équivaut à entériner cette inégalité de fait ». Cette prise de position de Laurence Parisot sur
les retraites des femmes tranche avec les positions prises au cours de l’année 2011 sur
l’égalité femmes-hommes où elle s’est par exemple déclarée favorable à la création d’un
« ministère des droits de la femme »216. Mais dans le cadre de la réforme des retraites, le
MEDEF a tout intérêt à défendre aux côtés du gouvernement l’équilibre comptable de la
réforme en l’état, sans quoi les entreprises qu’il représente pourraient avoir à supporter le
coût des mesures de justice prises pour réduire les inégalités.
IV. Un débat circonscrit, mais qui se poursuit et appelle des réponses Au final, si les divergences de diagnostic sur les projections des inégalités femmes-
hommes à la retraite monopolisent l’essentiel des débats sur ce sujet, la forte et croissante
mobilisation des féministes puis des opposants à la réforme dans leur ensemble à partir
d’une analyse genrée des retraites et de la réforme (cf. partie 2, chapitre 2) permet à
l’opinion de prendre conscience du problème « retraites des femmes ». Le chiffre des 40%
d’écart moyen aujourd’hui en matière de niveau de retraite entre les sexes marque les
esprits. La stratégie d’évitement du problème, puis d’exfiltration, ne peut alors pas résister
à cette pression féministe, populaire, politique et syndicale. Des amendements à la réforme
pour atténuer ses conséquences sur les femmes deviennent nécessaires. On le verra une
mesure spécifique et réduite en direction des femmes a pu être prise à l’occasion de cette
réforme dès l’avant projet de loi : la prise en compte dans le calcul de la retraite des
indemnités journalières perçues à l’occasion d’un congé maternité. En prenant cette
mesure, le gouvernement pensait peut-être faire coup double : prétendre avoir déjà répondu
216 Laurence PARISOT a multiplié en effet les déclarations sur le sujet des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes durant le 1er semestre 2011. Elle revendiquait par exemple à l’occasion du 8 mars 2011 la création d’un Ministère des Droits de la femme ou encore de rendre le congé paternité allongé et obligatoire.Ou encore, le 27 juin en pleine « affaire DSK » et dans une interview au journal le Parisien, la patronne des patron-ne-s décide de témoigner du sexisme qui règne dans le milieu économique et politique, et lance aux femmes : « « N’ayez pas peur, il faut dénoncer le sexisme, qui est un racisme comme il existe un racisme contre les Noirs, les juifs ou les musulmans. ». Voir aussi l’entretien avec Françoise Milewski, OFCE, n°2, dans lequel elle relie ces prises de position récentes de Mme Parisot avec la mobilisation croissante des réseaux de femmes en entreprises.
77
au problème des retraites des femmes si ce dernier prenait de l’ampleur dans les débats, et
être à l’offensive en mettant en avant une réforme juste et solidaire avec les femmes.
Mais il était catégoriquement exclu que les lignes de force de la réforme, le report des
bornes d’âge, soient remises en cause par des mesures pour les femmes. Dès lors que l’idée
d’un impact particulièrement négatif pour les femmes de ces reports d’âge s’est imposée
dans les débats, et que cela pousse le gouvernement à agir, il refusera toute mesure d’ordre
général et s’en tiendra à agir pour certaines mères de familles nombreuses.
PARTIE 3 – Une réforme qui creuserait les inégalités entre les sexes, et renforce l’ordre sexué
Quelle politique publique pour quelle égalité ?
Après avoir examiné le contexte dans lequel s’est inscrite la construction du
problème des retraites des femmes (partie 1) et sa mise à l’agenda (partie 2), il s’agit
maintenant de s’intéresser aux résultats de la mobilisation ayant conduit la réforme des
retraites à passer au filtre du genre. Cette troisième et dernière partie va en effet expliciter
les différentes mesures de politique publique prises par le gouvernement pour répondre au
problème des retraites des femmes (chapitre 1), analyser à quel modèle d’égalité ces
mesures pourraient se rattacher et si elles confortent ou au contraire elles déconstruisent
l’ordre sexué (chapitre 2), avant d’aborder pour finir un débat laissé en suspens, celui sur
les actions positives, et de dresser les grandes lignes du bilan contrasté de cette mise à
l’agenda des inégalités femmes-hommes durant la réforme des retraites (chapitre 3).
78
CHAPITRE 1 – UNE PRISE EN COMPTE A MINIMA DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES La réforme des retraites occupe une place importante dans les préconisations faites aux
Etats par les agences de notation. C’est ce que confirme aujourd’hui Denis Jacquat, député
UMP qui fut le rapporteur du projet de loi portant réforme des retraites à l’Assemblée
nationale. Lorsqu’il tire le bilan de cette réforme, d’emblée il précise que cette réforme
« fait partie des facteurs pris en compte par les agences de notation »217. Une dépêche AFP
du 8 août 2011 rapporte que le président du comité de notation des Etats de Standard &
Poor’s, John Chambers, a affirmé que la réforme des retraites en 2010 était "une mesure
intelligente". Il complètera son appréciation en disant ceci : "Le gouvernement est resté
droit dans ses bottes. Il a connu beaucoup de contestation de la rue, mais il n'a pas cédé à
cette pression, ce qui souligne la crédibilité de l'exécutif pour prendre des mesures
difficiles"218.
C’est donc dans ce contexte (partie 1) que doivent s’apprécier les décisions du
gouvernement. Ayant fait le choix de faire des reports des âges de départ à la retraite les
principales sources d’économies dégagées par cette réforme, le gouvernement était
déterminé à tenir sur les mesures concernant les passages à 62 et 67 ans. Le débat sur les
inégalités entre les femmes et les hommes ne devait donc pas venir gripper l’adoption de
ces mesures générales et bouleverser l’équilibre comptable de la réforme. On assistera
donc à l’intégration de mesures soit à la portée très limitée (l’intégration des indemnités
journalières de congé maternité, le maintien à 65 ans pour les mères d’au moins trois
enfants nées entre 1951 et 1955, etc.), soit ne touchant pas directement au système de
retraite (dispositif de sanction du non respect par les entreprises de leurs obligations en
matière d’égalité professionnelle entre les sexes). Mais avant de nous pencher sur ces
mesures, revenons sur la question de l’impact de l’allongement des âges de départ à la
retraite sur les inégalités de genre : l’âge légal à partir duquel les assuré-e-s peuvent partir
à la retraite si ils ont le nombre d’années de cotisations requis (de 60 ans avant la réforme,
il va passer progressivement à 62 ans), et l’âge de départ à la retraite sans décote auquel les
217 Interview de Denis Jacquat, député UMP, le 16 novembre 2011 pour le site internet Tout sur mes finances : http://www.toutsurlaretraite.com/reforme-des-retraites-le-rapporteur-ump-denis-jacquat-dresse-un-premier-bilan-un-an-apres.html 218 AFP, « Standard & Poor’s : la France a une politique budgétaire bien conçue », 8 août 2011.
79
assuré-e-s qui n’auraient pas tous les trimestres cotisés requis peuvent partir sans décote
(de 65 ans avant la réforme, il va progressivement passer à 67 ans). Ces mesures en
apparence neutres, en ce sens qu’elles s’appliquent de façon identique à tous les assurés
qui liquident leur retraite, ont en réalité des effets différenciés selon le sexe du fait de
structures de carrière globalement différentes entre les femmes et les hommes comme on a
pu le voir précédemment.
I. Les mesures susceptibles de creuser les inégalités entre les sexes
1. Report des âges de départ à 62 et 67 ans : quel impact sur les inégalités entre les sexes ? Les inégalités femmes-hommes ont constitué un des arguments, sinon le principal en ce
qui concerne la borne d’âge des 65 ans, pour celles et ceux demandant le maintien des
bornes d’âges à 60 et 65 ans. En effet la borne d’âge du départ en retraite sans décote
concerne davantage les femmes que les hommes puisqu’aujourd’hui les femmes valident
en moyenne 20 trimestres de moins que les hommes (44% des femmes ont effectué une
carrière complète contre 86% des hommes)219. Les femmes ayant fait valoir leur droit à la
retraite avant 65 ans sont donc en majorité celles qui ont connu les meilleures carrières et
qui sont susceptibles de bénéficier de retraites plus élevées. Ce phénomène est beaucoup
moins marqué pour les hommes, la majorité prenant leur retraite à 60 ans avec une carrière
complète. Ainsi, 30 % des femmes (contre 5 % des hommes) attendent l’âge de 65 ans
pour liquider leur retraite afin de compenser les effets d’une carrière incomplète et
d’accéder au bénéfice de la retraite sans décote220.
A partir de ces données genrées largement diffusées et reprises au cours des débats, un
large front a demandé au gouvernement le maintien à 65 ans de l’âge de départ en retraite
sans décote afin d’éviter que les femmes, déjà pénalisées aujourd’hui par leurs
interruptions de carrière auxquelles s’ajoutent des inégalités professionnelles nombreuses,
ne le soient encore davantage avec cette mesure. Ce front va des syndicats et partis
politiques d’opposition, à la DDF de l’Assemblée nationale par la voix de sa présidente, la
députée UMP Marie-Jo Zimmermann221, à l’Observatoire de la Parité entre les femmes et
219 source : Conseil d’Orientation des Retraites, sixième rapport. DRESS, 2007. 220 Analyse tirée de la brochure « Chiffres clés de l’égalité femmes-hommes 2010» publiée annuellement par le service droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes du gouvernement. Source : échantillon interrégimes de retraités 2004, in Études et résultats, n° 538, novembre 2006, Drees. 221 Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4
80
les hommes222, à François Bayrou223 ou encore des membres de la majorité comme Gérard
Larcher, président du Sénat (cf. partie 2, chapitre 3).
Comme on l’a vu précédemment, Eric Woerth et le gouvernement réfutent toute
pénalisation particulière des femmes224 en créant une controverse sur le diagnostic. Ce
débat sur le diagnostic dure et empêche ainsi d’en venir aux propositions puisqu’il manque
de données précises ou tout du moins partagées sur les projections du différentiel de durées
d’assurance entre les sexes et de l’écart de niveau de pension, et sur les effets induits des
dispositifs actuels de compensation (droits familiaux et conjugaux, minimum contributif,
etc.). Françoise Milewski fait état de ces données manquantes qui ne permettent pas de
mesurer précisément l’impact des mesures d’âges sur les inégalités femmes-hommes :
« On peut subodorer que le report de 62 à 67 ans est défavorable aux femmes, mais je ne sais pas le prouver ni dire dans quelle ampleur. C’est pour cela qu’une étude préalable faite par le COR aurait été importante225. On voit comment dans les précédentes lois, en faisant passer de 10 à 25 ans la période prise en compte pour le calcul des pensions, on a défavorisé les femmes car on a intégré des périodes d’inactivité où de temps partiels, prises au moment de la naissance des enfants. Mais en contrepartie, on s’aperçoit aujourd’hui que le minimum contributif leur est favorable. Et donc au total, il se peut que l’on ait une compensation partielle. C’est pour cela que l’étude préalable aurait dû être faite en 2010, pour avoir des conclusions précises et complètes. »226
Les membres de l’OPFH « ont déploré que l’ensemble des dispositions du projet de loi
n’ait pas fait l’objet d’une étude d’impact sexuée, en particulier, les articles 5 et 6 portant
sur le relèvement des âges de liquidation de la retraite (âge de départ et âge sans décote) »,
peut-on lire dans leurs recommandations227.
222 La recommandation 2-1-2, contenue dans une note de synthèse du groupe de travail « retraites » rendue publique le 20 septembre 2010 et disponible sur le site internet de l’OPFH, demande à ce que soit « fixer un âge de liquidation de retraite sans décote à 65 ans (…) pour les personnes ayant interrompu leur activité professionnelle pour charges familiales et pour toute personne éligible au minimum contributif ». 223 Il affirme, dans son intervention le 8 septembre en séance à l’Assemblée nationale, son opposition au passage de l’âge de départ sans décote de 65 à 67 ans au motif notamment que le gouvernement ne peut pas « faire financer la réforme des retraites par les plus faibles des Français, notamment par les femmes qui ont arrêté leur carrière professionnelle pour élever des enfants ». 224 Il dira notamment : « Prendre la réforme des retraites et dire que le texte est injuste pour les femmes, c’est faux. On ne peut pas dire « les femmes garderont leur retraite à 65 ans et les hommes passeront à 67 ans ». Pourquoi ferait-on cela ? » (Eric Woerth, ministre du travail, n°9) 225 La recommandation 2-1-2, contenue dans une note de synthèse du groupe de travail « retraites » rendue publique le 20 septembre 2010 et disponible sur le site internet de l’OPFH, demande à ce que soit « fixer un âge de liquidation de retraite sans décote à 65 ans (…) pour les personnes ayant interrompu leur activité professionnelle pour charges familiales et pour toute personne éligible au minimum contributif ». 226 Françoise Milewski, OFCE, n°2. 227 La demande formulée au gouvernement d’une commande au COR d’un rapport sur l’impact différencié du projet de réforme des retraites sur les femmes et les hommes pour le 31 décembre 2011 n’a pas été entendue par le gouvernement. Voir note de synthèse du groupe de travail « retraites » rendue publique le 20 septembre 2010 et disponible sur le site internet de l’OPFH.
81
Malgré l’absence d’une étude d’impact formelle et véritable, l’expérience des réformes
passées de 1993 et de 2003 (cf. partie 1, chapitre 2, sous-partie 2), la précarisation
croissante du travail des femmes (temps partiels, ségrégation professionnelle, bas salaires,
etc.), la perpétuation d’une répartition traditionnelle des rôles, et les inégalités salariales
massives et récurrentes, poussent à penser que si la réforme des retraites va avoir pour
conséquence une baisse générale des pensions pour tous, cette diminution sera d’autant
plus forte pour les femmes dans leur grande majorité.
2. La suppression du départ anticipé pour les fonctionnaires ayant eu trois enfants Un dispositif permettait aux fonctionnaires de prendre leur retraite sans condition d’âge,
dès lors qu’ils justifient de quinze ans de services et sont parents de trois enfants, ou bien
ont élevé trois enfants pendant neuf ans. Ce dispositif, qui concernait environ 15 000
personnes par an avant la réforme, à 90% des femmes, est supprimé à terme par la réforme.
La précipitation avec laquelle cette mesure a été annoncée a crée en juin à partir de la
présentation de l’avant projet de loi un véritable émoi dans la fonction publique chez les
femmes remplissant les conditions requises selon le système qui s’apprêtait à être
réformé 228 . Face aux protestations le gouvernement finit par aménager un régime
transitoire pour atténuer l’effet couperet de la mesure. Le 30 juin Eric Woerth et George
Tron annonçaient le report du 13 juillet au 31 décembre 2010 de la date butoir pour le
dépôt des dossiers permettant de bénéficier du dispositif alors en vigueur. Il est intéressant
de noter qu’un des principaux arguments avancés par le gouvernement pour justifier la
suppression de ce dispositif porte sur la critique de la Commission européenne selon
laquelle ce dispositif serait discriminant à l’égard des hommes. M. Tron fera ainsi usage
du niveau communautaire pour légitimer la suppression de ce dispositif le 13 juillet en
Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale en affirmant que ce dispositif
est « contraire au droit européen ». Cet élément confirme un usage de la référence
européenne à sens unique : celui de l’égalité entre les sexes par le bas et au détriment des
femmes toutes choses égales par ailleurs.
Analysons maintenant quelles mesures ont été prises dans cette réforme des retraites au
nom de l’égalité entre les femmes et les hommes ?
228 Libération, « Fonctionnaires avec trois enfants : partez vite ! », 21 juin 2010.
82
II. Des mesures spécifiques portant sur l’égalité femmes/hommes à la portée limitée Lors de la table ronde sur les retraites des femmes organisée le 8 juin par Eric Woerth229, le
ministre déclare230 aux participantes de cette réunion : « On ne résoudra évidemment pas
ces problèmes (les inégalités professionnelles) avec la réforme des retraites mais on peut
tenter d’améliorer deux ou trois choses ». Ceci résume plutôt bien l’état d’esprit dans
lequel se trouvait de prime abord le ministre : puisque les inégalités professionnelles entre
les sexes sont réelles et que la réforme des retraites risque de catalyser les attentes dans ce
domaine, prenons des mesures limitées mais symboliques. Cette anticipation du sujet des
retraites des femmes a été confirmée par le ministre lors de son entretien231. Il ira même
jusqu’à dire a posteriori que le gouvernement « voulait que deux grands sujets, celui des
femmes et celui de la pénibilité au travail, soient abordés ». Si l’on a pu voir que la réalité
des débats a montré au contraire une volonté de circonscrire au maximum ce débat (cf.
partie 2, chapitre 3), il est vrai que l’avant projet de loi présenté le 16 juin par Eric Woerth
contenait une première mesure concernant spécifiquement les femmes.
1. Prise en compte des indemnités journalières de congé maternité
Il s’agit de la prise en compte dans le salaire de base pour le calcul de la retraite des
indemnités journalières perçues dans le cadre d’un congé de maternité232. L’origine de
cette mesure n’est pas véritablement identifiée. Sa maternité est revendiquée par plusieurs
sources. Françoise Milewski au cours de l’entretien précise que cette proposition aurait été
découverte par Eric Woerth lors de la table ronde consacrée aux retraites des femmes rue
de Grenelle le 8 juin233. Marie-Jo Zimmermann quant à elle, a souligné que la Délégation
aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de
l’Assemblée nationale avait fait sienne et promouvait cette recommandation depuis 2006.
Mais elle reconnaît que son intégration par le gouvernement dans le projet de loi ne peut
pas seulement être imputable à la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des
chances de l’Assemblée nationale qu’elle préside.
Françoise Milewski remarque que cette mesure était d’autant plus facile à intégrer que son
coût était faible234.
229 Concernant cette table ronde et ses participantes, cf. p. 55. 230 Le Monde, « Les pistes ministérielles pour réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes »,10 juin 2010. 231 « (…) le débat sur les femmes avait bien sûr été anticipé, puisqu’on avait dès le texte initial proposé d’inclure les indemnités journalières maternité dans le calcul des pensions » (Eric Woerth, ministre du travail, n°9). 232 Article 98 de la Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites 233 Françoise Milewski, OFCE, n°2. 234 Ibid.
83
La portée limitée de cette mesure a été soulevée durant les débats, notamment par les
féministes qui ont été loin de s’en satisfaire. Caroline Ressot de l’OPFH soulève que
« cette disposition va concerner 1,6% de femmes, c’est minoritaire mais en soi, c’est plutôt
une bonne chose »235. Caroline de Haas se fait plus incisive à propos de cette mesure :
« c’est super mais bon c’est 32 semaines sur 2080 semaines d’activité. Donc bon il faut
juste arrêter de nous prendre pour des imbéciles … »236.
2. Obligations des entreprises en matière d’égalité professionnelle
La loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les
hommes venait compléter les nombreuses lois précédentes237. Elle prévoyait notamment
l’obligation pour les entreprises d’élaborer tous les ans un « rapport de situation comparée
(RSC) des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes ».
L’objectif fixé est de constater les inégalités de genre et que ce rapport serve de base à une
négociation dans l’entreprise pour notamment aboutir à l’égalité salariale. Egalité salariale
sous deux ans et sous peine de sanction financière, c’est la promesse faite par Nicolas
Sarkozy lors de sa campagne en 2007238, promesse que d’autres avait faite avant lui. Il était
annoncé par le gouvernement que les entreprises qui ne se seraient pas engagées dans une
démarche égalitaire avant la fin de 2010 seraient sanctionnées financièrement. Mais
comme l’explique Françoise Milewski « le projet de loi qui devait concrétiser ces sanctions
financières annoncées fut sans cesse reporté faute de place dans un calendrier
parlementaire chargé, ou faute de motivation réelle, ou parce qu’avec la crise économique
l’idée de sanctions financières déplaisait »239.
Or, à la sortie du printemps 2010 et en ce début d’été, la pression autour des retraites des
femmes est croissante dans les médias et lors des débats parlementaires sous l’effet décisif
des féministes et des opposants à la réforme qui ont compris en partie l’intérêt de cet angle
d’attaque (partie 2). Madame Zimmermann rappelle lors de son entretien le contexte
d’alors et pourquoi elle était favorable à l’intégration d’un dispositif de santion des
entreprises en matière d’égalité professionnelle dans le texte de la réforme des retraites : 235 Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5. 236 Caroline de Haas, Osez le féminisme !, n°10. 237 Notamment les Lois Roudy (1983) et Génisson (2001) sur l’égalité professionnelle. 238 Discours de Nicolas Sarkozy lors de la rencontre "Femmes et égalité des chances" le 6 avril 2007 à la Mutualité à Paris, extrait : « Je veux faire de l’égalité salariale et professionnelle entre les hommes et les femmes un axe majeur de mon quinquennat. Je veux que nous visions le même niveau d'égalité et de modernité que celui des pays scandinaves. (…) Je donnerai deux ans aux entreprises pour aligner les salaires des femmes sur ceux des hommes. Une entreprise comme Axa l'a fait. Il n'y a pas de raisons que les autres n'y arrivent pas. Et je le ferai sous peine de sanctions car cela fait cinquante ans que, sans sanction, on n'y arrive pas ». 239 Milewski F., « Retraites des femmes : faute de mieux », Clair&Net, OFCE, 28 septembre 2010.
84
« Sur les retraites, ce que j’ai moi souhaité à ce moment là, est que l’on intègre dans cette loi la fameuse sanction sur l’égalité professionnelle. Parce que d’abord ce n’était pas du tout une priorité du gouvernement alors que l’on arrivait au terme de l’échéance prévue. C’était au 31 décembre 2010 qu’il fallait légiférer là-‐dessus, donc on ne faisait que respecter ce que l’on avait voté en 2006240. »
Eric Woerth a jusqu’ici ciblé les inégalités salariales comme la principale cause résiduelle
des inégalités de genre en matière de retraite. Lui qui pensait et répétait jusqu’alors que ce
problème était extérieur à la réforme des retraites, finit par intégrer dans le texte de la
réforme des retraites le dispositif de sanctions des entreprises en matière d’égalité
professionnelle promis depuis 2006. L’avantage paraît double : ce dispositif va venir se
substituer à une réelle loi sur l’égalité professionnelle qui aurait dû être normalement prise
avant la fin 2010, et cette mesure est susceptible de remettre le gouvernement à l’offensive
sur l’égalité femmes-hommes et d’atténuer les critiques à la réforme qui montent sur ce
front.
C’est ainsi que le projet de loi présenté en Conseil des ministres le 13 juillet par Eric
Woerth et Georges Tron contient, outre l’article 30 sur les indemnités journalière de congé
maternité, un article 31 devenu dans le texte définitif l’article 99 relatif au renforcement de
l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il rend désormais effective pour
les entreprises de 50 salariés et plus non seulement l’obligation de prendre des mesures
concrètes et chiffrées permettant de réduire les inégalités professionnelles et salariales mais
aussi l’obligation de négocier sur l’égalité professionnelle ou de définir un plan d’action
fixant des objectifs de progression241. En cas de non-respect s’applique en théorie une
sanction financière fixée au maximum à 1% des rémunérations et gain. Depuis le 1er
janvier 2012 cet article est applicable. Les entreprises n’ayant pas de plan d’action en
matière d’égalité professionnelle sont donc aujourd’hui susceptibles d’être sanctionnées
par l’Inspection générale du travail. Il reste à suivre l’application concrète sur le terrain des
sanctions aux entreprises ne respectant pas la loi, et à mesurer les effets des plans d’actions
engagés. Cet article 99, ainsi que le décret242 sorti le 7 juillet 2011 et la circulaire243 du 28
octobre 2011 y afférent, sont l’objet de controverses. Les critiques soulèvent d’une part 240 Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4 241 Pour mieux comprendre en détail le dispositif mis en place et les obligations qui incombent dans la loi aux entreprises, se reporter aux explications de Caroline Ressot dans l’entretien n°5, et à Françoise Milewski, Egalité salariale : retour en arrière, OFCE Le blog de campagne 2012, 12 décembre 2011. (http://www.ofce.sciences-po.fr/blog/?cat=6) 242 Décret n° 2011-822 du 7 juillet 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. 243 Circulaire en date du 28 octobre 2011, du Ministère du travail, de l’emploi et de la santé et du Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, portant sur l’application de l’article 99 de la loi n°2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
85
que cet article 99 a supprimé toute échéance pour l’atteinte de l’égalité salariale. D’autre
part elles avancent que le contrôle et la sanction sont difficilement applicables244. Marie-Jo
Zimmermann, Présidente de la DDF de l’Assemblée nationale, et Caroline Ressot,
Secrétaire générale adjointe de l’OPFH, sont très sévères à l’endroit de ce dispositif, et peu
optimistes sur l’effectivité des sanctions annoncées. De la même façon, l’économiste à
l’OFCE Françoise Milewski juge dans un article245 paru en décembre 2011 après la
publication du décret et de la circulaire d’application, qu’il s’agit d’un « retour en arrière ».
Elle note que « les modalités prévues permettront en effet à nombre d’entreprises
d’échapper à ces obligations ». En décortiquant l’application du dispositif mis en place,
notamment la question des délais pouvant être donnés aux entreprises et celle de la date de
départ prise en compte pour le calcul de la pénalité (non rétroactive), Françoise Milewski
montre en quoi « une entreprise a intérêt à attendre un contrôle puis à se mettre en
conformité » et donc comment la sanction « initialement présentée comme le moyen de
changer les choses » n’est plus opérante. Elle regrette par ailleurs que les entreprises aient
le choix entre un accord négocié avec les syndicats ou un plan d’action unilatéral. Selon
elle, rendre la négociation obligatoire sur l‘égalité professionnelle lorsqu’une
représentation syndicale existe, aurait pu favoriser une prise en compte de cet enjeu par
l’ensemble des acteurs sociaux de l’entreprise et aboutir à des plans d’actions plus
ambitieux que ceux qui seront élaborés par la seule direction d’entreprise. « Retour à la
case départ » conclut-elle, comme la députée socialiste Catherine Coutelle qui reprenant
cette analyse interrogea le 11 janvier 2012 le gouvernement sur l’affaiblissement de la
portée de l’article 99 par le décret et la circulaire246.
3. Maintien du départ sans décote à 65 ans pour les mères de trois enfants et plus nées
entre 1951 et 1955. La première demande de maintien du départ sans décote pour les mères a été formulée par
la députée et rapporteure de l’OPFH Chantal Brunel. Elle a en effet, dans le cadre des
débats en commissions en juillet à l’Assemblée nationale, déposé un amendement qui
244 Voir entretiens Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4 et Caroline, Observatoire de la Parité, n°5. 245 Milewski F., Egalité salariale : retour en arrière, OFCE, 12 décembre 2011. 246 Par exemple Catherine Coutelle, députée socialiste chargée de la question des retraites des femmes en 2010 pour son groupe à l’Assemblée, a regretté le 11 janvier dans une question au gouvernement dans l’hémicycle l’affaiblissement de la portée de l’article 99 par le décret et la circulaire, et a dénoncé « un retour à la case départ » en matière d’égalité salariale et professionnelle.
86
concernait les mères d’au moins deux enfants. Examiné et adopté en commission des
finances avec le soutien des socialistes alors en surnombre par rapport à leurs collègues de
l’UMP, cet amendement est finalement rejeté en commission des affaires sociales le 20
juillet. Eric Woerth s’y opposa :
« Le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement de Mme Chantal Brunel. Cette différence de traitement est, en effet, difficilement défendable sur le plan juridique. En outre, la réalité ne la justifie plus. Le vrai problème pour les femmes n’est pas celui du nombre de trimestres cotisés, mais du niveau de leurs pensions, reflet du niveau trop bas de leurs salaires. »247
Il est cocasse de soulever que le rapporteur de ce texte, Denis Jacquat, invoque la non
conformité du critère du nombre d’enfants avec la Constitution pour refuser cet
amendement, alors même que c’est ce même critère qui sera utilisé dans la mesure
effectivement prise au Sénat. Malgré cet échec, l’idée est lancée : la solution au problème
des retraites des femmes pourrait venir d’une exception pour les mères de familles
nombreuses. Selon la féministe d’Etat interrogée et ayant voulu garder l’anonymat, cette
mesure a semblé à Madame Brunel à ce moment là des débats être la mesure la plus
adaptée, peu dispendieuse, et qui lui permettrait « une petite victoire ». Toujours selon
cette source, Matignon aurait demandé à M. Woerth de céder sur cette mesure. Les
conseillers ont dû alors s’affairer à construire un nouveau scénario de réforme intégrant
cette mesure. Aucune indication concernant le moment où fut prise cette décision ne nous a
été précisée. Monsieur Larcher, comme on a pu le voir, a repris cette mesure à son compte
au cours du mois de septembre et a voulu en faire un des « aménagements » à la réforme.
Ce sera effectivement au Sénat que sera adopté le 11 octobre un amendement du
gouvernement prévoyant le maintien du départ à la retraite sans décote à 65 ans pour les
assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus, ayant eu au moins trois
enfants et ayant obligatoirement travaillé avant l’arrivée du 1er enfant (la durée minimale
de travail requise sera définie par décret)248.
247 Débats en commission des affaires sociales sur le projet de loi portant réforme des retraites, Assemblée nationale, 20 juillet 2010. 248 extrait de l’article 20 de la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : « IV. ― Par dérogation aux dispositions de l'article L. 351-8 du code de la sécurité sociale, l'âge mentionné au 1° dudit article est fixé à soixante-cinq ans pour les assurés nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes : 1° Avoir eu ou élevé, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article L. 351-12 du code de la sécurité sociale, au moins trois enfants ; 2° Avoir interrompu ou réduit leur activité professionnelle, dans des conditions et un délai déterminés suivant la naissance ou l'adoption d'au moins un de ces enfants, pour se consacrer à l'éducation de cet ou de ces enfants ; 3° Avoir validé, avant cette interruption ou réduction de leur activité professionnelle, un nombre de trimestres minimum à raison de l'exercice d'une activité professionnelle, dans un régime de retraite
87
Pourquoi dans l’esprit du gouvernement et de la majorité avoir précisément choisi ces
femmes là ? Des mères, parce que l’éducation des enfants et les interruptions de carrières
liées sont de leur point de vue la principale cause des inégalités professionnelles et donc à
la retraite. Et en effet si on compare par exemple les taux d’activité au sein d’un couple
avec un enfant (82,7% pour les femmes, 94,5% pour les hommes), avec ceux d’un couple
avec trois enfants ou plus, dont un de moins de 3 ans (40,3% pour les femmes, 95,7% pour
les hommes)249, on constate un effondrement de l’activité professionnelle des femmes avec
l’arrivée de plusieurs enfants. Cette production d’enfants mérite donc de leur point de vue
d’être compensée sinon récompensée. Nous approfondirons ce point dans le chapitre 2. Et
des mères nées au début des années 1950 car elles seraient celles qui, nées trop tôt,
n’auraient pas bénéficié des dispositifs compensateurs d’avantages familiaux et conjugaux.
Eric Woerth lors de son entretien dira qu’« un certain nombre de mesures sont ensuite
venues limiter cette inégalité pour les femmes qui en souffraient vraiment. C’est pour cela
qu’au Sénat, a été intégré un amendement pour les mères de trois enfants nées dans les
années 50 ». Cette mesure, tout en étant de portée très limitée puisqu’elle concernera
seulement quelques dizaines de milliers de femmes sur les millions souffrant d’inégalités
en matière de retraites, permet au Ministre Woerth de rester cohérent avec l’idée que les
inégalités de genre à la retraite constatées aujourd’hui vont se résorber dans un avenir
proche, puisque les femmes à terme travailleront aussi longtemps que les hommes et
cumuleront autant de trimestres que ces derniers.
Cette mesure, sans surprise, ne satisfait ni les féministes, ni plus largement les opposants à
la réforme qui voient là une manière très partielle d’aborder le problème. Christiane Marty
d’Attac analyse que « les gens ont bien compris que c’était du ‘fifrelin’, qu’on essayait de
nous amadouer »250, et de rappeler le slogan alors utilisé dans les manifestations par les
féministes pour clamer leur volonté d’une prise en compte plus globale de la question :
« Et un, et deux, et trois, avec ou sans enfant, retraite à 60 ans ! »251. Plus surprenant,
Marie-Jo Zimmermann, députée UMP et Présidente de la DDF de l’Assemblée nationale,
se fait elle aussi sévère avec cette mesure :
« Et les mesures qui ont été votées sur les mères de famille, excusez-‐moi, c’est sympathique, c’est très bien, je les encourage mais tout le monde n’est pas mère
légalement obligatoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse. » 249 Sources : enquêtes Emploi du 1er au 4e trimestre 2009, Insee, in Chiffres Clés 2010, l’égalité entre les femmes et les hommes, tab. 85, P.97 250 Christiane Marty, Attac, n°1 251 Ibid.
88
de famille, tout le monde n’a pas trois enfants. Cela serait très bien pour la démographie [rire] mais malheureusement ce n’est pas cela la réalité. (...) D’ailleurs ces mesures n’ont pas été prises à l’Assemblée mais au Sénat parce qu’il fallait donner quelque chose aux sénateurs. Mais ces mesures ne constituent pas la vraie prise en compte de la réalité. »252
L’impact global sur les inégalités de genre à la retraite, quoique pouvant paraître incertain
compte tenu de l’absence d’une étude sérieuse de l’impact des reports d’âge sur les
inégalités de genre, est présumé être négatif. Que peut-on dégager maintenant des bases
idéologiques sous-tendues par les mesures prises dans cette réforme ?
CHAPITRE 2 – UNE POLITIQUE PUBLIQUE QUI FACONNE LES RAPPORTS DE GENRE ET REVELE DES MODELES D’EGALITE DIVERGENTS
Après avoir précédemment répondu à la question de comment le genre a t-il pu structurer
l’action publique et être pris en compte, et à la question de comment l’action des
féministes a t-elle permis la mise à l’agenda des inégalités femmes/hommes, nous allons
ici esquisser de quelle manière cette réforme peut façonner les rapports de genre et révéler
deux modèles d’égalité divergents.
I. Une égalité sous condition de maternité Nous allons pour ce faire partir de l’analyse de Réjane Sénac qui dans son livre L’ordre
sexué, la perception des inégalités femmes-hommes (2007) a construit une classification
des modèles d’égalité en deux types : les modèles de l’harmonie naturelle d’une part, et les
modèles du droit à l’égalité d’autre part. Sans malheureusement pouvoir aller dans le
détail ici, je reprendrai les caractéristiques principales qu’elle a dégagées253 pour chacun
des deux types de modèles d’égalité. Les modèles d’égalité de l’harmonie naturelle
impliquent selon cette auteure la « reconnaissance de la vertu des différences et la
dénonciation du danger de l’uniformisation au nom de l’utopie de l’égalité-similitude », et
une perception de « l’ordre sexué de la complémentarité des sexes » comme respectant
252 Marie-Jo Zimmermann, DDF de l’Assemblée nationale, n°4 253 In Réjane Sénac-Slawinski, L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-hommes, Puf, coll. "Le lien social", 2007, voir annexe 3 « Figure sur le positionnement des modèles culturels par rapport aux critères de classification et aux principes de justice », p.347.
89
l’ordre naturel et comme étant le garant de l’ordre social et politique. A l’inverse, les
modèles du droit à l’égalité se caractérisent par l’objectif de « penser les différences dans
l’égalité définie comme principe de justice », et par la « dénonciation de l’ordre sexué
comme un arrangement social qui légitime un ordre social et politique inégalitaire au nom
d’un ordre dit naturel ».
Selon que l’on relève du premier type de modèle ou du second on accentuera davantage
dans son discours et son analyse la condition biologique des femmes avec la maternité et
leur nécessaire protection, ou au contraire que toutes les femmes ne sont pas
obligatoirement ou ne se résument pas à des mères, et que la maternité doit avoir le moins
d’impact possible sur la vie des femmes. Comment cette divergence de modèle d’égalité
s’est-elle traduite dans ces débats autour des inégalités femmes-hommes en matière de
retraites ? Cela s’est traduit dans les discours, dans l’approche du problème, et dans les
mesures adoptées.
L’étude des débats parlementaires autour des inégalités entre les sexes lors de cette
réforme dégage des différences discursives selon globalement que les acteurs soient de
gauche ou de droite. Bien que ce travail autour des discours aurait mérité d’être plus cadré
et systématisé afin de pouvoir objectiver au mieux les tendances dégagées, il semble
toutefois que l’on puisse établir deux profils types de discours en matière d’inégalités entre
les femmes et les hommes. Le premier profil d’acteurs, qui relèverait du modèle de
l’harmonie naturelle, conduit à parler avant tout des « mères » de famille, insister sur la
condition biologique de ces dernières, mettre en avant leur fragilité et la solidarité que cela
implique de la part de la société. Le second profil d’acteurs, qui relèverait du modèle du
droit à l’égalité, préfère parler des femmes que des mères, les qualifier de précaires plutôt
que de fragiles, employer davantage les données chiffrées genrées, et mettre en avant que
l’action en direction des femmes relève davantage du principe de justice que de la
solidarité.
On a déjà pu pointer précédemment dans ce mémoire la distinction entre approche
individuelle et approche structurelle. Cette distinction peut se rapprocher de la différence
de rapport à l’ordre sexué soulevée par Réjane Sénac, les uns légitimant et soutenant cet
ordre sexué par les différences et la complémentarité entre les sexes, les autres contestant
cet ordre sexué basé sur des inégalités construites socialement. Au-delà, le fait que les
mesures prises par le gouvernement et l’essentiel des mesures revendiquées à droite de
l’échiquier politique ont porté sur les mères, est je crois significatif de la façon dont ces
acteurs perçoivent les femmes, l’égalité et les rapports de genre. Cette approche du
90
problème des retraites des mères est justifiée par le fait que les interruptions de carrière des
femmes, leurs différences de salaires, les freins à leurs évolutions de carrière … ont pour
source la maternité et ses conséquences.
Ceci n’est que partiellement vrai. Si en effet on a pu voir que plus le nombre d’enfants
d’un ménage est élevé et plus le taux d’emploi des femmes diminue fortement alors que
celui des hommes croît, les causes des inégalités professionnelles sont bien plus larges et
ancrées dans des représentations des différences entre les femmes et les hommes. Si bien
qu’une femme sans enfant sera elle aussi discriminée en fonction de son sexe en raison
notamment du soupçon qui pèse sur les femmes d’être avant tout des mères, ou des futures
mères, susceptibles aux yeux de l’employeur de quitter temporairement ou définitivement
leur emploi (voir les analyses de Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Sophie Ponthieux,
2006 et 2010).
Mais surtout, cette approche par les mères réactive et légitime une conception
différentialiste postulant une différence de nature entre le masculin et le féminin en sur-
valorisant la condition biologique des femmes. En légitimant les mesures prises par la
maternité, et en l’occurrence la multi-maternité, l’action en faveur de l’égalité est comme
conditionnée à une performance de maternité. De la même façon que Réjane Sénac nous
appelle à être vigilants à ne pas conditionner l’entrée des femmes à des postes de
responsabilité à une prétendue plus-value avec l’argument selon lequel les femmes feraient
de la politique ou du management autrement254, il faut être vigilant à ne pas conditionner
l’action en faveur de l’égalité entre les sexes à la maternité, voire à la multi-maternité.
Cette approche exacerbe les différences des sexes et l’injonction à la maternité pour les
femmes en renforçant la représentation des femmes « légitimes » à ce qu’on puisse agir en
leur nom comme des mères de familles nombreuses. Cette plus-value des enfants produits
comme condition de l’action en faveur des femmes caractérise le modèle pro-nataliste.
II. Modèle pro-nataliste versus modèle pro-égalitariste
Le courant nataliste, qui se développe dès la fin du XIXème siècle suite au choc de la
défaite de 1870, a pour objectif principal l’élévation de la fécondité en promouvant
notamment des aides spécifiques aux familles nombreuses et une redistribution horizontale
du revenu des célibataires vers les familles. La politique familiale française s’est
longtemps ouvertement appuyée sur une politique nataliste qui incite les familles à faire
254 Entretien avec Réjane Sénac-Slawinski, « A quand une parité entre pair-e-s ? », site internet de l’Observatoire des inégalités, 10 juillet 2010.
91
des enfants. Bien que l’on soit moins explicite aujourd’hui et que l’on parle davantage de
« libre choix des familles », le modèle nataliste reste toutefois prégnant.
Dans ce débat sur les retraites des femmes, une tribune est quelque peu passée inaperçue.
C’est celle lancée par Christine Boutin, Présidente du Parti chrétien démocrate associé à
l’UMP, et dix autres parlementaires de la majorité présidentielle le 26 mai 2010 dans Le
Figaro : « La famille doit être au cœur de la réforme des retraites »255. En effet, aucun des
panélistes interrogés sur cette tribune n’a semblé en avoir gardé un souvenir ou même
l’avoir lue à l’époque des débats. Et pourtant, sa lecture interroge au regard du parallélisme
de forme entre les deux mesures défendues dans ce texte – « la meilleure prise en compte
du congé maternité » et « un système de bonus à appliquer aux pensions de retraite en
fonction du nombre d’enfants élevés » - et les mesures finalement retenues par le
gouvernement. Si les entretiens n’ont pas semblé confirmer l’hypothèse d’une influence
déterminante de cette aile catholique, pro-nataliste et familialiste de la droite dans les
décisions prises en matière de retraites des femmes, il n’en reste pas moins que leur grille
de lecture a été celle qui a innervé de façon plus ou moins apparente les discours tenus par
le gouvernement et la majorité. De quelle grille de lecture parle t-on ? Christine Boutin
détaille dans cette tribune un raisonnement simple et qui considère les femmes à travers le
seul prisme de la maternité. Voici en substance les arguments utilisés et le raisonnement
poursuivi : le système de retraites par répartition nécessite pour être sauvé « une jeunesse
nombreuses et bien formée » puisque la raison structurelle du déficit de ce système est la
démographie ; il faut donc agir pour un « encouragement à la natalité » et pour une
« reconnaissance de l’effort des mères de familles dans le renouvellement des
générations » ; or, c’est l’inverse qui se produit aujourd’hui puisque « plus une femme a
d’enfants, plus sa retraite moyenne est basse (1122€ pour une femme sans enfants, 818 €
pour une mère de deux enfants, 627 € pour une mère de 4 enfants et plus)256 ; donc « les
familles avec deux enfants et plus doivent être au cœur de la réforme sans quoi elle sera
injuste et inefficace ». Dominique Marcilhacy, porte parole de l’Union des familles en
Europe (UFE), de qui Madame Boutin tire ses chiffres et son analyse, est intervenue le 28
mai 2010 (soit deux jours après la parution de la tribune de Madame Boutin et au cœur des
255 Le Figaro, « La famille doit être au cœur de la réforme des retraites », 26 mai 2010, tribune co-signée par Christine Boutin, présidente du Parti Chrétien Démocrate, Jean-Frédéric Poisson, vice-président du Parti Chrétien Démocrate, les députés Jean-François Chossy, Etienne Pinte, Hervé Mariton, Jean-Marc Nesme, Jacques Remiller, Bruno Bourg-Boc, André Flajolet, Jean-Pierre Deccol, et le sénateur Bruno Retailleau. 256 La tribune s’appuie là sur les chiffres de Dominique Marcilhacy, porte-parole de l’Union des familles en Europe (UFE).
92
premiers débats autour de la réforme des retraites) au colloque « Les femmes devant le
déclin démographique » organisé par Yves-Marie Laulan257, et hébergé à l’Assemblée
nationale par le député UMP Christian Vanneste, que les propos homophobes ont rendu
tristement célèbre. Lors de ce colloque, Madame Marcilhacy conclut son intervention
intitulée « Les retraites des mères ou le plafond de silence » 258 en revendiquant
l’instauration « d’un véritable statut social parental ». Cela ressemble à s’y méprendre avec
la proposition de salaire parental que formulera par la suite le candidat UMP David
Douillet lors de sa campagne aux législatives dans les Yvelines (terre d’élection de
Christine Boutin), ou que formule aujourd’hui la candidate du Front national aux élections
présidentielles Marine Le Pen.
L’esprit de cette proposition maternaliste, à savoir favoriser le retour des femmes au foyer
pour qu’elles remplissent leur rôle premier, enfanter, transparaît clairement dans les propos
liminaires contenus dans les actes du colloque pré-cité. En voici la retranscription in
extenso :
« Le déclin démographique, en France comme en Europe, met de plus en plus en présence deux types de populations, celle d’origine et celle venue d’ailleurs. Ce qui est en cause est la survie, à terme, de nos sociétés et de leur identité. L’enjeu n’est pas mince.
Les précédents historiques, depuis la Rome du Bas-Empire jusqu’à l’aristocratie française du XVIIIe siècle, ne manquent pas. L’histoire nous apprend que les sociétés ou les classes sociales qui ne se renouvellent pas risquent fort de disparaître peu à peu.
Or la femme est biologiquement maîtresse de la reproduction. Elle a donc un rôle fondamental dans le renouvellement de la société. Mais ce rôle n’est que très imparfaitement assuré en Europe, en Russie et même aux USA depuis une trentaine d’années. Pourquoi ? Est-il possible d’identifier une responsabilité spécifique de la femme en matière de déclin démographique ?
Le paradoxe de la femme d’aujourd’hui est que plus la femme moderne dispose de temps, de loisirs et de confort, moins elle semble disposée à mettre des enfants au monde. Or, sans les femmes, pas d’enfants. »
Si il n’est pas possible ici de décrypter l’ensemble des propos tenus lors de ce colloque,
bien que particulièrement éclairant sur le clivage profond et persistant qui existe encore 257 Démographe, économiste, ancien militant du RPR, a eu de nombreuses responsabilités notamment dans les cabinets ministériels et les institutions internationales. 258 Actes du colloque « Les femmes devant le déclin démographique », organisé par Yves-Marie Laulan à l’Assemblée nationale le 28 mai 2010, disponibles sur le site internet suivant : http://www.polemia.com/article.php?id=3235
93
aujourd’hui dans la société française en matière d’égalité entre les femmes et les hommes,
citons cet extrait de l’intervention de Christian Vanneste259 sur les notions d’égalité des
droits et de différence des sexes :
« Le deuxième mariage est celui de l’égalité et de la différence. Personnellement, je pense qu’il est possible de faire en sorte que la revendication des femmes à l’égalité des droits se marie avec une reconnaissance de la différence des sexes, de la complémentarité des sexes. En tant que président de Famille et Liberté – c’est aussi à ce titre que je suis parmi vous –, j’estime que la famille traditionnelle est certainement le lieu de vie où ce mariage de la complémentarité et de l’égalité se réalise le mieux. »
Afin de nous recentrer sur la réforme des retraites de 2010 et le traitement des inégalités
entre les sexes, notons les propos de Christiane Marty d’Attac pour qui les mesures
retenues par le gouvernement lors de la réforme « au-delà du fait qu’elles étaient très
insuffisantes, témoignent du fait que le modèle implicite est celui des rôles
complémentaires où ce qui doit être préservé, c’est le rôle de mères des femmes ». Marie-
Thérèse Lanquetin abonde également dans ce sens avec son article260 de mars 2011
consacrée à la réforme des retraites 2010 titré : « Les retraites des femmes : quelle
égalité ? ». Elle analyse dans cet article les liens entre les politiques publiques en matière
de retraite, d’emploi, et la politique familiale. De son point de vue « la politique familiale
française favorise le maintien de discriminations au nom d’une vision démographique de la
nation qui est toujours présente » 261 . Les politiques publiques, si elles poursuivent
véritablement un objectif d’égalité entre les sexes, doivent selon elle cesser d’être
désincitatives en matière d’emploi des femmes, cesser de s’appuyer implicitement sur une
répartition des rôles, et enfin cesser de faire référence au libre choix pour les mères.
Annie Junter et Michel Miné, tous deux membres de l’Observatoire de la parité entre les
femmes et les hommes, plaident également pour le passage d’un modèle pro-nataliste et
pro-familial à un modèle promouvant une « égalité effective » entre les sexes262. Ces
juristes rappellent que selon les textes internationaux, européens et nationaux263 « il est
possible d’adopter des mesures spéciales temporaires en faveur du sexe sous-représenté,
259 Il indique intervenir dans ce colloque en tant que président de l’association « Famille et Liberté ». Or, c’est bien au titre de son mandat parlementaire que ce colloque a pu se tenir dans les murs de l’Assemblée nationale. 260 Lanquetin M-T., « les retraites des femmes : quelle égalité ? », Droit Social, N°3 mars 2011. 261 Ibid. p. 286. 262 Annie JUNTER, Michel MINE, « La réforme des retraites : de quelle égalité parle t-on ? », Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010, Paris, La documentation française, p81 263 Ces deux auteurs citent notamment : la convention onusienne adoptée en 1979, la Cedef (Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes) ; les traités et directives de l’UE (voir partie 1, chapitre 1) ; la Constitution française depuis la réforme constitutionnelle de 2008.
94
pour prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ». Cela pose
la question des instruments pour atteindre l’égalité, question sous-abordée lors des débats
intervenus dans le cadre de la réforme des retraites de 2010, comme l’indique Caroline
Ressot lors de son entretien264 et qui aurait mérité ici un développement.
CHAPITRE 3 – UNE DEFAITE DANS LA REFORME, UNE VICTOIRE DANS L’OPINION Si un premier bilan devait être dressé du passage de cette réforme au filtre du genre avec la
mise à l’agenda de la question des retraites des femmes, il pourrait sans doute se résumer
par l’expression « semi-victoire » ou celle de « semi-défaite » selon son degré
d’optimisme. En effet toutes celles et tous ceux ayant agi pour une prise en compte des
inégalités de genre dans la réforme et interrogés pour ce mémoire, font un bilan en demi
teinte de ce mouvement social et des débats portant sur les inégalités de genre. De façon
générale, dans les rangs syndicaux l’expression ayant fait florès comme le rapporte
Christiane Marty est « on a perdu mais on n’est pas défait »265. Personnellement elle se fait
plus catégorique : « Pour moi, le projet de loi n’a pas été arrêté, et on a perdu. Point. »
Avant de nuancer son propos en soulignant que « la dynamique très forte de ce
mouvement » est prometteuse pour l’avenir. L’appréciation de Pascale Coton est elle aussi
contrastée puisque même si elle parle d’une « grosse déception » devant l’échec à
empêcher l’adoption de la réforme, elle pense que ces débats ont été l’occasion de libérer
la parole concernant les retraites des femmes et les inégalités entre les sexes266. Alors que
la libération des femmes dans les années 1970 relevait davantage d’un exercice d’auto-
libération et de prise de conscience d’elles mêmes en tant que femmes, aujourd’hui la
libération passerait davantage dans l’extériorisation de la parole et la diffusion de la
conscience des inégalités de genre vers le plus grand nombre. Pour Caroline de Haas « la
réforme des retraites a été un révélateur, on a franchi un point de non-retour. Un point où
pour la première fois une majorité de la population s’est rendue compte que l’égalité
femmes-hommes n’était pas acquise267. ». Si pour la fondatrice d’Osez le féminisme ! la
mobilisation de défense des crédits budgétaires du Planning familial en 2009 a constitué un
264 Caroline Ressot, Observatoire de la Parité, n°5 265 Christiane Marty, Attac, n°1. 266 Pascale Coton, CFTC, n°7. 267 Caroline de Haas, Osez le féminisme !, n°10.
95
déclic dans la tête des féministes et a sonné le « réveil d’une génération féministe », la
réforme des retraites en 2010 aura permis de toucher cette fois-ci l’opinion au sens large.
Et de relever que quelque chose a changé : « Avant la réforme des retraites quand j’étais
invitée dans des réunions en France je faisais partout ‘féministe en 2010, quelle idée ?’.
(…) Plus jamais je ne fais ça. ».
Si une étape a été franchie, toutes soulignent que cette dynamique est fragile et à entretenir
afin que l’égalité femmes-hommes et les droits des femmes soient davantage encore à
l’agenda des décideurs publics et pris en compte dans une perspective féministe268.
268 En ce premier trimestre 2012, les féministes sont à l’initiative pour mettre l’égalité femmes-hommes et les droits des femmes à l’agenda de l’élection présidentielle en interpellant les candidats et candidates. En ordre plus ou moins dispersé.
96
CONCLUSION Nous arrivons à la conclusion de ce travail de recherche. Les ressorts pouvant favoriser ou
au contraire freiner le passage d’une approche des politiques publiques occultant les
inégalités entre les sexes à une approche prenant en compte le genre, ont pu être identifiés
dans le cas de la réforme des retraites en France en 2010. Ils sont de plusieurs ordres et
nous allons les rappeler ici :
- les influences au-delà du niveau national et la question de la conjoncture
économique : les institutions financières internationales en étant les architectes
d’un cadre global économique ont largement pesé, aux côtés des institutions
européennes, sur les orientations générales de cette réforme des retraites. Les
exigences en matière de restrictions budgétaires auxquelles a souscrit le
gouvernement sont en tension, pour ne pas dire incompatibles, avec l’exigence
d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui peut expliquer pourquoi, alors
que de manière générale le niveau communautaire est un terrain fertile aux droits
des femmes, l’européanisation de la question de l’égalité des retraites entre les
sexes semble faible, voire défavorable aux femmes comme on a pu le voir avec la
réforme de la majoration de la durée d’assurance fin 2009.
- Tirer ou non les leçons du passé, mobiliser ou non la littérature existante : ce
mémoire m’aura permis de comprendre en quoi le passif des réformes précédentes
et leur impact négatif sur les inégalités de sexe en matière de retraites, et la
littérature existante sur ce sujet, ne constituent des facteurs concourant à la prise en
compte du genre qu’à partir du moment où notre regard se porte sur les inégalités
femmes/hommes, à partir du moment où nous portons déjà un intérêt pour la dite
question. Par conséquent, si ces facteurs peuvent accompagner et nourrir la mise à
l’agenda, ils ne semblent pas capables de générer cette mise à l’agenda.
- Une culture conservatrice : Amy G. Mazur indique269, à partir de recherches qui
ont pu être effectuées en ce sens, que les normes genrées et le degré de religiosité
peuvent avoir une influence importante sur l’élaboration de politique publique
féministe. On a pu mettre en avant dans ce cas d’étude certaines des normes
269 Mazur Amy G., « Les mouvements féministes et l’élaboration des politiques dans une perspective comparative : vers une approche genrée de la démocratie », Paris, Revue Française de science politique, vol. 59, n°2, 2009, p. 337.
97
genrées dominantes. La répartition sexuée des rôles incarnée par le modèle
persistant de « M. Gagne pain » et la tolérance à l’inactivité et à la pauvreté des
femmes qu’il implique en est une illustration.
- L’influence féministe : cette recherche a pu montrer comment, dans un contexte où
les faiblesses structurelles du féminisme d’Etat étaient contrebalancées par un
regain naissant du féminisme, les féministes sont parvenues à interagir pour porter
une analyse commune et déconstruire la pseudo neutralité de la réforme. Elles ont
été des actrices centrales de la mise à l’agenda de la question des inégalités entre
les femmes et les hommes.
- La question des alliés et de la conjoncture politique : la séquence politique
examinée a pu faire ressortir en quoi l’égalité entre les femmes et les hommes peut
constituer une véritable ressource politique pour des élu-e-s. En l’occurrence cela a
pu l’être pour Chantal Brunel à la tête de l’Observatoire de la parité entre les
femmes et les hommes, pour les opposants à la réforme dans le débat
justice/injustice qu’ils s’attachaient alors à nourrir pour attaquer le projet de
réforme, ou encore pour des membres du gouvernement ou pour le gouvernement
lui-même afin de faire de ce sujet et des quelques mesures prises l’étendard du
caractère juste de leur réforme.
Dans l’étude de ces différentes variables une attention particulière a été portée sur
l’influence féministe dans l’élaboration de cette politique publique. Ce facteur est devenu
au fil de mon mémoire l’objet d’étude central, quitte peut-être à lui donner une sur-
visibilité au détriment d’autres facteurs. J’aurais pu par exemple choisir d’interroger de
manière plus directe et plus approfondie en quoi le modèle social français, qui repose
notamment sur une forte politique familiale et nataliste, constitue encore un frein à
dépasser, ou avec lequel composer en tout cas, pour promouvoir l’égalité entre les femmes
et les hommes. Ce biais possible à ma recherche s’explique à la fois par ma position
d’acteur féministe à l’époque de la réforme, et par mon analyse de départ selon laquelle la
mise à l’agenda n’aurait certainement pas pu avoir lieu sans le concours des féministes et
leur alliance tacite. J’aurais peut-être dû au cours de ma recherche recentrer ma
problématique sur la seule étude de cette hypothèse afin de pouvoir mieux concilier les
exigences tant théoriques que pratiques dans le cadre temporel imparti à cette formation
continue. Pour prolonger ce retour réflexif sur le travail réalisé, je regrette de n’avoir pas
pu élargir mon panel de personnes interrogées à d’autres acteurs féministes (la juriste et
titulaire de la Chaire d’études sur l’égalité entre les femmes et les hommes à l’Université
98
Rennes 2 Annie Junter, Maya Surduts pour le CNDF, Olga Trostiansky pour le Laboratoire
de l’Egalité, Maryse Dumas pour la CGT, …), comme non féministes (François Chérèque
pour la CFDT, Jean-Michel Hourriez pour le COR, un ou une autre représentant de l’UMP,
des représentants ou représentantes des autres partis de gauche que le PS, …). Une autre
des limites que je peux tirer de mon travail concerne également le caractère insatisfaisant
et embryonnaire de mes réflexions sur l’européanisation des politiques publiques.
Convaincu de l’intérêt heuristique de ce champs d’étude, il demeure pour moi encore trop
neuf pour que mes recherches aient été plus abouties.
Bien que ce travail présente des limites certaines et pourrait être enrichi, l’hypothèse
avancée en introduction a pu être testée et validée au fil de mon enquête et de la rédaction
de ce mémoire. Pour rappel, l’hypothèse était celle d’une prise en compte de manière
tardive, contrainte, partielle et instrumentalisée des inégalités femmes/hommes, sous l’effet
d’une coalition des féministes, et révélatrice d’une approche conservatrice de l’égalité
entre les sexes qui renforce l’ordre sexué. Si le gouvernement a parlé assez tôt du sujet on
a vu en effet que c’était pour mieux l’évacuer puis ensuite le circonscrire. On s’est ainsi
clairement rendu compte que le cadrage utilisé visait un but politique, un objectif précis -
la sauvegarde de l’équilibre comptable de la réforme - et avait été construit en
conséquence : minorer voire nier la question en la renvoyant au passé, puis dans une
stratégie de repli circonscrire la question aux inégalités salariales pour évacuer le problème
en dehors de la réforme. Le cadrage des mesures finalement prises (notamment sur les
mères de trois enfants au moins) relève lui davantage de valeurs traditionnelles dont les
acteurs sont imprégnées et ont du mal à s’affranchir. Les opposants à la réforme quant à
eux (syndicats et partis de gauche), ont tardé a véritablement comprendre la force du débat
sur les inégalités femmes/hommes, et à porter cette question. L’écho rencontré par les
féministes au sein de la population, et notamment parmi les femmes, a été décisif de ce
point de vue là. La réalité des inégalités massives entre les sexes a été dévoilée au grand
public et ces chiffres ont et continuent de marquer l’opinion. Concernant enfin les mesures
prises en bout de course pour la prise en compte effective des inégalités entre les femmes
et les hommes, elles sont soit d’une portée mineure soit relatives aux inégalités qui
interviennent au cours de la vie professionnelle des femmes plutôt qu’au système des
retraites lui-même.
Ce travail de mémoire me pousse à formuler trois préconisations à destination des
décideurs gouvernementaux qui auraient la volonté d’agir en amont pour que la question
des retraites des femmes ne soit plus oubliée demain.
99
1/ Prenant acte que les inégalités entre les sexes sont encore massives aujourd’hui, et que
la question du genre n’est toujours pas partie prenante du « logiciel » adopté par les
décideurs publics, il y a nécessité de rétablir une représentation de cet enjeu de société au
plus haut niveau de l’Etat, c’est-à-dire avec un Ministère aux droits des femmes et à
l’égalité de genre dont la ou le titulaire siègerait en Conseil des ministres et serait placé
sous l’autorité du 1er Ministre afin d’asseoir son caractère transversal auprès des autres
ministères.
2/ Ayant fait le constat lors de cette réforme des retraites de l’importance de pouvoir
mesurer de façon fiable l’impact d’un projet de réforme sur les inégalités entre les sexes, il
y a nécessité d’inscrire dans une loi organique l’obligation pour le législateur et
l’exécutif de fournir une étude d’impact genrée des projets ou propositions de loi
examinés par le Parlement dès lors qu’une délégation parlementaire aux droits des
femmes en aurait fait la demande.
3/ Considérant que les propositions en matière d’actions positives qui permettraient de
réduire les inégalités de genre à la retraite sont encore peu nombreuses, on pourrait
imaginer la constitution d’un groupe de travail pluraliste sur l’égalité f/h à la retraite.
Ce groupe, dont le secrétariat pourrait être assuré par un Observatoire de la parité
entre les femmes et les hommes renforcé, assurerait une veille régulière et
continuerait de travailler à des propositions visant la réduction des inégalités f/h à la
retraite. Il aurait également vocation à faire partager les analyses féministes aux
autres acteurs. Veiller, partager, anticiper, pour être les plus réactifs et réactives
possibles lorsque le sujet sera à nouveau porté sur le devant de la scène.
En effet la question des retraites est loin d’être close. On le voit à l’occasion de la
campagne présidentielle actuelle où de nombreux candidats et candidates intègrent cette
question dans leur programme. Par ailleurs, la loi du 9 novembre 2010 portant réforme des
retraites prévoit l'organisation à compter du premier semestre 2013 d'une réflexion
nationale sur une réforme "systémique" des régimes de retraite français. Un «régime de
retraite universel par points ou en comptes notionnels270, dans le respect du principe de
répartition » figure dans les thèmes de réflexion avancés. La promotion de cette réforme
270 Cf. COR, 7ème rapport, « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques », 27 janvier 2010.
100
systémique, qui a cours également au niveau européen271, n’est pas sans enjeu pour
l’égalité entre les femmes et les hommes comme le soulève Eric Aubin dans son
entretien272. Les inégalités femmes/hommes, invitées surprises du débat en 2010, sont-elles
devenues aujourd’hui un invité incontournable du débat sur les retraites ?
271 Voir à ce sujet l’avis de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen à l’intention de la Commission de l’emploi et des affaires sociales sur le livre vert intitulé "Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe", 15 décembre 2010. 272 Eric Aubin, CGT, n°6.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES OUVRAGES Bourdieu P., La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998.
Dauphin S., L’Etat et les droits des femmes, Paris, PUF, 2010.
Grésy B., Petit traité contre le sexisme ordinaire, Albin Michel, 2009.
Jacquot S., L’action publique communautaire et ses instruments ; La politique d’égalité entre les femmes et les hommes à l’épreuve du gender mainstreaming, thèse de l’IEP de Paris, 2006.
Jacquot, Ledoux, Palier, « Changing French Reconciliation Policies and the Usages of Europe: Reluctant Europeanization? », chap. 4, p. 116-‐150, in Lombardo E., Forest M., The Europeanization of Gender Equality Policies: A Discursive-‐Sociological Approach. Palgrave MacMillan, 2012.
Jonsson A., Perrier G., chap. 4 « Les politiques de conciliation de l’Union européenne : dépassement ou déplacement de la dichotomie genrée public-‐privé ? », dans Muller P., Sénac-‐Slawinski R. et al., Genre et action publique : la frontière publique-‐privée en questions, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », Paris, 2009, 248p.
Lombardo E., Forest M., The Europeanization of Gender Equality Policies: A Discursive-‐Sociological Approach. Palgrave MacMillan, 2012.
Maruani M., Travail et emploi des femmes, Paris, La Découverte, 2003, p. 60-‐61.
Méda D., Le temps des femmes. Pour un nouveau partage des rôles, éd. Flammarion, 2001, 199 p.
Méda D., Travail. La Révolution nécessaire, L’Aube, 2010.
Muller P., Les politiques publiques, Puf, coll. « Que sais-‐je ? », 2006, 6ème édition.
Palier B., La réforme des retraites, PUF, (Que sais-‐je?), Paris, 2010, p. 23.
Picq F., Libération des femmes, 40 ans de mouvement, Paris, Dialogues.fr, 2011.
Schwarzer A., Entretiens avec Simone de Beauvoir, Mercure de France, Mayenne, 2008, p. 25.
Sénac-‐Slawinski R., L’ordre sexué. La perception des inégalités femmes-‐hommes, Puf, coll. "Le lien social", 2007.
Wallach Scott J., La citoyenneté paradoxale : les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin Michel, 1998.
Woodward, A., “Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance”, in S. Piattoni and T. Christiansen (eds) Informal Governance and the European Union, London: Edward Elgar, 2003.
102
ARTICLES, REVUES & ETUDES SCIENTIFIQUES Bereni L., Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-‐2000), Revue française de science politique, 59 (2), 2009.
Bonnet C., Buffeteau S., Godefroy P., 2006, « Les effets des réformes de retraites sur les inégalités de genre en France , Population, 61, 1-‐2.
Bonnet C., Geraci M., Comment corriger les inégalités de retraite entre hommes et femmes ? L’expérience de cinq pays européens, Population & Sociétés, n°453, février 2009.
Boussaguet L. et Jacquot S., « Mobilisations féministes et mise à l’agenda de nouveaux problèmes publics », Revue française de science politique, vol.59, n°2, avril 2009, Paris, Presses de Sciences Po, p180.
Brocas A-‐M., Directrice de la DRESS, « les régimes de retraite face au différentiel d’espérance de vie entre les hommes et les femmes », Droit Social, N°3 mars 2011.
Burri S., La conciliation de la vie professionnelle, privée et familiale. L’approche juridique de l’Union européenne, Revue de l’OFCE, n°114, juillet 2010, p. 213-‐236.
Centre d’analyse Stratégique, « De nouvelles organisations du travail conciliant égalité femme/homme et performance des entreprises », note n°247, novembre 2011, p. 3.
Coupé A., In Actes du Forum-‐débat « L’égalité entre les femmes et les hommes à l’épreuve des politiques et des débats publics » organisé le 9 octobre 2009 par la Mairie de Paris, le CNDF (Collectif national pour les droits des femmes) et le groupe de recherche Mage « Marché du travail et genre en Europe », Le travail des femmes : toujours un salaire d’appoint!, Mage, n°15, 2010, p. 117-‐120.
Dauphin S. et Réjane Sénac-‐Slawinski R., Gender mainstreaming : analyse des enjeux d’un « concept-‐méthode », Cahiers du Genre, n°44/2008.
Dauphin S., Sénac-‐Slawinski R. et al., Genre et action publique en Europe, Politique européenne n°20, 2006.
DREES, Enquêtes annuelles auprès des caisses de retraite 2003 à 2008 et EIR 2004 ; calculs DREES.
DRESS, « échantillon interrégimes de retraités 2004 », in Études et résultats, n° 538, novembre 2006.
DRESS, « enquête annuelle auprès des caisses de retraite », in Études et résultats, n° 722, avril 2010.
DRESS, « Les pensions perçues par les retraitées fin 2004 », Études et Résultats, n° 538, novembre 2006.
Guérin S., « Le ‘care’ est-‐il féministe ? », in Alternatives Economiques, Le temps des femmes, numéro spécial n°51, septembre 2011.
Guignon N., « Risques professionnels : les femmes sont-‐elles à l’abri ? », in INSEE, Femmes et Hommes – regards sur la parité, 2008.
Hadas-‐Lebel R., Président du COR, Les dix ans du Conseil d’orientation des retraites : la contribution du COR aux débats sur les retraites, Droit Social, N°3 mars 2011.
103
INED, INSEE, enquête longitudinale « Etude des relations familiales et intergénérationnelle », 2005, 2008.
INSEE, enquêtes emploi.
INSEE, enquêtes emplois du temps.
INSEE, Femmes et Hommes – regards sur la parité, 2008.
Junter A., « La réforme des retraites : de quelle égalité parle t-‐on ? », Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010, Paris, La documentation française, p81.
Junter A., Mine M., « La réforme des retraites : de quelle égalité parle t-‐on ? », in Réjane Sénac Slawinski, Femmes-‐Hommes ;des inégalités à l’égalité ?, Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010.
Lanquetin M-‐T., « La majoration de durée d’assurance est-‐elle soluble dans l’égalité ? », Travail, genre, et sociétés, n°25, 2011/1, 248p.
Lanquetin M-‐T., « les retraites des femmes : quelle égalité ? », Droit Social, N°3 mars 2011.
Maruani M., « la mixité n’est pas l’égalité», Problèmes politiques et sociaux, n°968, janvier 2010, Paris, La documentation française, p40.
Mazur Amy G., « Les mouvements féministes et l’élaboration des politiques dans une perspective comparative : vers une approche genrée de la démocratie », Paris, Revue Française de science politique, vol. 59, n°2, 2009, p. 337.
Milewski F., « Retraites des femmes : faute de mieux », Clair&Net, OFCE, 28 septembre 2010.
Milewski F., Egalité salariale : retour en arrière, OFCE, 12 décembre 2011.
Muller L., « Les écarts de salaires entre les hommes et les femmes en 2006 : des disparités persistantes », Premières informations, premières synthèses, n°44.5, Dares, octobre 2008.
Muller P., L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique, Paris, Revue Française de science politique, 50e année, n°2, 2000.
Muller P., Sénac-‐Slawinski R. et al., Genre et action publique : la frontière publique-‐privée en questions, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », Paris, 2009, 248p.
OCDE, « Assurer le bien être des familles », 2011, p.40.
Picq F., « Le féminisme entre passé recomposé et futur incertain », Cités 1/2002 (n° 9), p. 25-‐38.
Revillard A., « L’expertise critique, force d’une institution faible ? Le Comité du travail féminin et la génèse d’une politique d’égalité professionnelle en France (1965-‐1983) », Revue française de science politique, 59 (2), 2009.
Sénac-‐Slawinski R., Le pouvoir a un genre.., Informations sociales 2009/1, n°151, p. 4-‐7.
Thébaud F., « Sexe et genre », in Margaret Maruani (dir.), Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2005.
Vargas V., Wieringa S., « The Triangle of Empowerment : Processes and Actors in the Making of Public Policy for Women », in Geertje Lycklama à Nijeholt, Virginia Vargas, Saskia Wieringa (eds), Women’s Movements and Public Policy in Europe, Latin America and the Caribbean, New York/Londres, Garland Publishing, 1998, p3-‐23.
104
Woodward, A., “Building Velvet Triangles: Gender and Informal Governance” in S. Piattoni and T. Christiansen (eds) Informal Governance and the European Union (London: Edward Elgar), 2003, pp. 76-‐93. ARTICLES AFP, « Retraite : associations et politiques veulent une réforme plus favorable aux femmes », 6 septembre 2010.
AFP, « Retraites des femmes : des féministes appellent à écrire aux députés », 10 septembre 2010.
AFP, « Sarkozy promet de la « marge » aux sénateurs UMP sur les retraites », 15 septembre 2010.
AFP, « Standard & Poor’s : la France a une politique budgétaire bien conçue », 8 août 2011
Berra N., Kosciusko-‐Morizet N., Morano N., Tron G., Woerth E., « Agir sur les écarts de salaire pour améliorer la retraite des femmes », Le Monde, 4 octobre 2010.
Boutin C. et al., « La famille doit être au cœur de la réforme des retraites », Le Figaro, 26 mai 2010.
Le Monde, « Les pistes ministérielles pour réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes », 10 juin 2010.
Le Monde, « Les pistes ministérielles pour réduire les inégalités de pension entre hommes et femmes »,10 juin 2010.
Libération, « Fonctionnaires avec trois enfants : partez vite ! », 21 juin 2010. Reuters, « Retraites-‐Le Sénat agira sur la pénibilité et les femmes/Larcher », 16 septembre 2010.
Reuters, « Retraites-‐Morano pas favorable à un geste en faveur des femmes », 17 septembre 2010. TEXTES & RAPPORTS OFFICIELS Avis de la Commission des droits de la femme et de l’égalité des genres du Parlement européen à l’intention de la commission de l’emploi et des affaires sociales sur le livre vert intitulé "Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe", 15 décembre 2010.
Circulaire en date du 28 octobre 2011, du Ministère du travail, de l’emploi et de la santé et du Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, portant sur l’application de l’article 99 de la loi n°2010-‐1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
COR, 6ème rapport, « Retraites : droits familiaux et conjugaux », 17 décembre 2008. COR, 7ème rapport, « Retraites : annuités, points ou comptes notionnels ? Options et modalités techniques », 27 janvier 2010. COR, 8ème rapport, « Retraites : Perspectives actualisées à moyen et long terme en vue du rendez-‐vous de 2010 », 14 avril 2010.
105
Décret n° 2011-‐822 du 7 juillet 2011 relatif à la mise en œuvre des obligations des entreprises pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Décret n°2009-‐899 du 24 juillet 2009 modifiant la composition et le fonctionnement de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes.
Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur le temps partiel, Paris, 2011.
Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapport d’activité ; octobre 2005-‐février 2007, Assemblée nationale, n°3670, p. 42-‐44.
Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur les femmes et leur retraite, Assemblée nationale, n°1028.
Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les femmes et les hommes de l’Assemblée nationale, Rapport d’information sur le projet de loi portant réforme des retraites, n°2762, adopté le 13 juillet 2010.
Directive du Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (75/117/CEE). JO L 45 du 19.2.1975.
Halde, Délibération n° 2010 -‐ 202 du 13 septembre 2010 sur le projet de loi portant réforme des retraites.
Loi n° 2010-‐1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites.
Milewski F. et al., Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité, Paris, La Documentation Française, 2005, p. 268-‐289.
Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, Gresy B., 13 juillet 2009.
Résolution du Parlement européen du 16 février 2011 «Vers des systèmes de retraite adéquats, viables et sûrs en Europe» (2010/2239(INI)).
SDFE, « Chiffres clés de l’égalité femmes-‐hommes 2010», 2010. SITES INTERNET Actes du colloque « Les femmes devant le déclin démographique », organisé par Yves-Marie Laulan à l’Assemblée nationale le 28 mai 2010, disponibles sur le site internet suivant : http://www.polemia.com/article.php?id=3235 - 26 février 2012.
Assemblée nationale – http://www.assemblee-nationale.fr/ - 27 février 2012.
Attac - http://www.france.attac.org/ - 30 janvier 2012.
Causette - http://www.causette.fr/ - 21 décembre 2011.
CFTC - http://www.cftc.fr/ - 13 février 2012.
CGT - http://www.cgt.fr/ - 16 février 2012.
Chantal Brunel - http://chantalbrunel.net/wp-content/uploads/2011/04/retraites-site2.jpg - 15 janvier 2012.
106
Egalité - http://www.egalite-infos.fr/ - 26 février 2012. Institut Emilie du Châtelet - http://www.institutemilieduchatelet.org/ - 16 décembre 2011.
La Barbe - http://www.labarbelabarbe.org/La_Barbe/Accueil.html - 21 décembre 2011.
Laboratoire de l’Egalité entre les femmes et les hommes - http://www.laboratoiredelegalite.org/ - 10 février 2012.
Les Nouvelles News - http://lesnouvellesnews.fr/ - 26 février 2012.
Lobby européen des femmes - http://www.womenlobby.org/?lang=fr - 24 février 2012.
Service droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes du Ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale - http://www.solidarite.gouv.fr/espaces,770/femmes-egalite,772 - 25 février 2012.
Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes – http://www.observatoire-parite.gouv.fr/ - 28 février 2012.
Osez le féminisme ! - http://www.osezlefeminisme.fr/ - 21 décembre 2011.
Portail du gouvernement – page dédiée à la loi sur les violences faites aux femmes du 9 juillet 2010 - http://www.gouvernement.fr/gouvernement/la-loi-sur-les-violences-faites-aux-femmes - 5 janvier 2012.
Vie de meuf - http://viedemeuf.blogspot.com/ 8 février 2012.
Sénat - http://www.senat.fr/ - 27 février 2012.
107
ANNEXES
1. Liste des personnes interrogées et sommaire des entretiens en version intégrale …………………………………………………….……………… 108
2. Grille d’entretien ………………………………………......……………… 109
3. Calendrier de la réforme des retraites et de la mobilisation ………...…. 110
4. Panorama des institutions en charge des droits des femmes en France .. 111
5. Repères statistiques genrés sur les inégalités professionnelles, précarité et retraites ……………………………………………….…………………… 112
6. Fiches argumentaires rédigées par le cabinet du Ministre du travail Eric
Woerth ……………………………………………………………….…….. 115
7. Les principales mesures relatives aux femmes et au genre dans la réforme des retraites 2010 …………………………………………………………122
8. Les retranscriptions intégrales des entretiens …………...……………… 123
108
1. Liste des personnes interrogées et sommaire des entretiens en version intégrale (à l’exception de l’entretien anonymisé)
o Christiane MARTY, Attac, n°1 p. 123
o Françoise MILIWESKI, OFCE, n°2 p. 130
o Entretien anonymisé, n°3
o Marie-Jo ZIMMERMANN, DDF de l’Assemblée Nationale, n°4 p. 137
o Caroline RESSOT, OPFH, n°5 p. 142
o Eric AUBIN, CGT, n°6 p. 150
o Pascale COTON, CFTC, n°7 p. 157
o Marisol TOURAINE, PS, n°8 p. 166
o Eric WOERTH, ministre du Travail, n°9 p. 169
o Caroline DE HAAS, Osez le féminisme !, n°10 p. 176
109
2. Grille d’entretien Cette grille, bien qu’étant restée la même dans les grandes lignes au cours des différents entretiens, a pu évoluer et s’adapter aux différents interlocuteurs pour creuser tel ou tel thème en fonction de la nature de la personne interrogée. CONSIGNE (question large permettant de débuter l’entretien de manière non-directive et par une porte d’entrée générale) : Comment avez-vous vécu la réforme des retraites 2010, notamment au regard de la précédente de 2003, et quelle fut votre participation à cette réforme ? En gras apparaissent les divers thèmes qui ont été abordés au cours des entretiens, entre parenthèse, les relances ou précisions possibles. > Quelles causes identifiez vous aux inégalités femmes-hommes en matière de retraites ? (choix (/responsabilité) de société, choix (/responsabilité) familiaux, ou choix (/responsabilité) individuels ?) > Quel regard portez-vous sur la projection de ces inégalités ? (résorption naturelle ou exigence d’action publique ?) > Qu’avez vous pensé de la mobilisation sociale, notamment féministe, autour de cette question des inégalités femmes/hommes durant le mouvement des retraites ? (par rapport aux précédents mouvements des retraites, comment jugeriez-vous cette mobilisation ci ? et si vous notez une dynamique plus forte, comment l’expliqueriez vous ?) > Quelle place vous a semblé prendre la question de l’égalité F/H dans les débats ? (une question centrale, seconde ou marginale du débat ?) > Quels acteurs ayant œuvré à la mise à l’agenda de cette question identifiez-vous ? > Si vous avez participé à cette mise à l’agenda, quel a été votre « mode opératoire » pour mettre cette question à l’agenda ? (à l’intérieur et à l’extérieur de votre organisation / obstacles rencontrés) > Quelles propositions avez vous pu formuler concernant les inégalités entre les sexes en matière de retraite ?
110
3. Calendrier de la réforme des retraites et de la mobilisation 2009 - 22 juin : ouverture du chantier retraites par M. Sarkozy devant le congrès - automne : réforme de la Majoration de durée d’assurance (MDA) à l’occasion du Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2010 (PLFSS 2010) 2010 - 12 janvier : débat sur les retraites au Sénat - 23 mars : journée d’action (environ 800 000 manifestant-e-s) - 31 mars : réunion du collectif retraite - 12 avril : M. Woerth reçoit les partenaires sociaux pour lancer la « concertation » sur les réponses à apporter et pour établir un calendrier de travail. - 14 avril : remise du rapport du COR sur les projections à long terme au 1er ministre, et lancement de la campagne d’information gouvernementale - 20 avril : journée d’action - 1er mai : manifestations (environ 350 000 manifestant-e-s) - 27 mai : journée d’action (environ 1 000 000 manifestant-e-s) - 16 juin : Présentation par Eric Woerth, Ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique du projet du Gouvernement relatif à la réforme des retraites avec Georges Tron, Secrétaire d’Etat chargé de la Fonction publique. Cet avant projet de loi est transmis aux syndicats. - 24 juin : journée d’action (environ 1 920 000 manifestant-e-s) - 13 juillet : présentation du projet de loi en Conseil des ministres - 20-23 juillet : la Commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, après examen des amendements déposés, adopte en première lecture le projet de loi - 7 septembre : début de l’examen en séance à l’Assemblée nationale : journée d’action (environ 2 735 000 manifestant-e-s) - 15 septembre : adoption à l’Assemblée nationale du projet de loi - 23 septembre : journée d’action (environ 3 000 000 manifestant-e-s) - 28 et 29 septembre 2010 : la commission des affaires sociales du Sénat examine et vote le projet de loi - 2 octobre : journée d’action (environ 3 000 000 manifestant-e-s) - 5 au 22 octobre : le Sénat examine et vote le texte de la commission en séance plénière - 12 octobre : journée d’action (environ 3 500 000 manifestant-e-s) - 16 octobre : journée d’action (environ 3 000 000 manifestant-e-s) - 19 octobre : journée d’action (environ 3 500 000 manifestant-e-s) - 25 octobre 2010 : Le texte élaboré par la Commission mixte paritaire entre sénateurs/rices et député-e-s est déposé. - 26 et 27 octobre : le Sénat puis l’Assemblée nationale vote le texte de loi définitif - 28 octobre : journée d’action - 9 novembre : promulgation de la loi
111
4. Panorama des institutions en charge des droits des femmes en France273
273 Ce document est tiré du site internet de l’OPFH. Les informations contenues datent du 25 octobre 2011, et des changements dans les personnalités à la tête des ces institutions ont pu intervenir.
Institutions chargées de l'égalité entre les femm
es et les homm
es
PRÉSIDEN
T DE LA
RÉPUBLIQ
UE
Premier m
inistreAssem
bléenationale
SénatCESE
DDFE(1999)*
Présidente :M
arie-JoZIM
MERM
ANN
DDFE(1999)*
Présidente :M
ichèleAN
DRE
DDFE(2000)*
Présidente :G
eneviève BEL
Travaux :- Retraites (2010)-Violences (2009)-Accès aux responsabilités (2009)-Retraites (2008)-Précarité (2007)-Violences (2006)-Tem
ps partiel (2005)-Divorce (2004)
Travaux :- Collectivités territoriales (2010)- Prisons (2009)-Orientation et insertions professionnelle (2008)-M
édias (2007)-Fam
illes monoparentales
(2006)-Egalité salariale (2005)-M
ixité scolaire (2004)
Travaux :- Santé des fem
mes (2010)
-Entreprenariat féminin
(2009)-Tem
ps partiel (2008)-Accès aux responsabilités (2007)-Les fem
mes et l’arm
ée (2005)-Les program
mes d’histoire
(2004)
Comité interm
inistériel (1982) *
MSCS
DGCS - SDFE(1985)*
DG-DIDFE :Sabine
FOURCAD
ECheffe de service :
Nathalie
TOURNYOL du CLOS
OPFH(1995)*
Rapporteure :ChantalBRUN
EL
Conseil supérieurde l’inform
ation sexuelle, de la régulationdes naissances
et de l’éducation familiale
(1973)Conseil supérieur
de l’égalité professionnelle (1983)
Comm
ission nationalede lutte contre les violences
(2001)
Travaux : (1995-2010)- Retraites- Réform
es constitutionnelles- Veille d’actualité- Parité politique- Egalité professionnelle- Violences
Légende : DDFE : Délégation au droits des femm
es et à l’égalité entre les femm
es et les homm
es - DG-DIDFE : Directeur général - Délégué interministériel aux droits des fem
mes et de l’égalité
DGCS-SDFE : Service des droits des femm
es et de l’égalité de le Direction générale de la cohésion sociale - HALDE : Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations
MSCS : M
inistère des Solidarités et de la Cohésion sociale - OPFH : Observatoire de la Parité entre les Femm
es et les Homm
es. * Date de création des institutions.
Adjointe au défenseur des droitsVice-présidente du collège chargé de la lutte
contre les discriminations et de la prom
otion de l’égalitéM
aryvonne LYAZID
DÉFENSEURDES DROITS
(2011)D
ominique BAUD
IS
112
5. Repères statistiques genrés sur les inégalités professionnelles, précarité et retraites 274
- Les femmes dans la population française :
Au 1er janvier 2010, 62,8 millions de personnes vivent en France métropolitaine, dont 51,6 % de femmes. La population masculine est majoritaire jusqu’à 35 ans, au-delà, les femmes sont plus nombreuses, en particulier aux âges élevés. Au 1er janvier 2010, elles représentent 52,7 % des 60-74 ans et 63,3 % des 75 ans ou plus275.
- Inégalités salariales :
Tous temps de travail confondus, les salaires des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes (Dares, 2006). En comprenant uniquement les salaires des travailleurs à temps complet, le salaire net annuel moyen d’une femme est dans le secteur privé ou semi-public inférieur de 19,2 % à celui d’un homme en 2008 39. Dans la fonction publique de l’État (FPE) et la fonction publique territoriale (FPT), les écarts sont un peu plus faibles (respectivement 14,6 % et 11,5 %). C’est parmi les cadres que l’écart est le plus important entre les femmes et les hommes276. La France arrive en 2009 en 17ème position au sein de l’Union européenne avec 17,9 % d’écart277. La résorption des écarts de salaire entre les sexes stagnent depuis le milieu des années 1990 (voir ci-dessous).
274 L’essentiel de ces données statistiques sont tirées de la parution annuelle Chiffres clés 2010. L’égalité entre les femmes et les hommes. Réalisée par le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE). On renverra ici vers les sources initiales. 275 Source: Situation démographique et bilan démographique. Évaluations provisoires, Insee. 276 Sources: déclarations annuelles des données sociales (DADS), (fichiers définitifs) pour le secteur privé et semi-public, le SHP et la FPT, Insee; fichiers de paie des agents de l’État 2008 pour la FPE, Insee, France, portrait social, 2010, p. 235-237, Insee. 277 Sources: enquête sur la structure des salaires depuis 2006, données harmonisées, Eurostat.
113
- Taux d’emploi : En 2009, les femmes représentent près de la moitié de la population active (47,7 %). Entre 15 et 64 ans, 66,1 % d’entre elles sont actives, contre 74,9 % des hommes. Le taux d’emploi s’élève à 60 % pour les femmes et à 68,4 % pour les hommes. 27,6 points d’écart en 1978 contre 8,8 points en 2009. (enquêtes Emploi, INSEE)
- Taux de chômage : Le taux de chômage des femmes est supérieur d’un point à celui des hommes au 3ème trimestre 2011 et s’établit à 9,8% pour les femmes contre 8,8% pour les hommes (INSEE).
- Forme de l’emploi et précarité accrue sur le marché du travail : Tous secteurs confondus, les femmes salariées sont plus nombreuses que les hommes à occuper des contrats à durée déterminée (10,7 % contre 5,9 %)278. D’après le rapport du Conseil économique, social et environnemental279 : « L’essentiel de la hausse de l’emploi des femmes durant la période 1983-2002 est dû à celle de l’emploi à temps partiel. » Alors qu’en 2009 29,9 % des femmes salariées travaillent à temps partiel, seuls 6 % des hommes salariés sont dans cette situation. Depuis 1980, la part des femmes parmi les travailleurs à temps partiel reste supérieure à 80 % (enquêtes Emploi INSEE).
- Ségrégation professionnelle – les femmes et les hommes n’occupent pas les mêmes emplois : Les métiers d’ouvriers sont occupés à 82,4 % par des hommes tandis que plus des trois quarts des employés sont des femmes280. Les femmes immigrées sont deux fois plus souvent ouvrières que les femmes non immigrées281. La concentration des femmes est manifeste dans certains métiers des services (aides à domicile, aides ménagères, assistants maternels), de l’éducation et de l’action sanitaire et sociale. La moitié des emplois occupés par les femmes (50,6 %) sont concentrés dans 12 des 87 familles professionnelles282.
- Travail domestique : Les femmes prennent en charge 80% des tâches domestiques au quotidien. L’écart entre les sexes se réduit très faiblement et demeure d’une heure et demie par jour en 2010283.
- Interruptions de carrière & prise en charge du « soin » : Les femmes représentent 93 % des salariés qui se sont arrêtés de travailler pour s’occuper de leurs enfants, dans les entreprises de 10 salariés ou plus. 70% des employeurs déclarent préférer recruter un homme plutôt qu’une femme, notamment en raison des problèmes liés à la maternité (congé de maternité, congé parental, enfants malades…). (Dares)
- Familles monoparentales : Les familles monoparentales (INSEE, 2005) caractérisent 1,76 million de familles et concernent 2,84 millions d’enfants. Dans 85% des cas, c’est la mère qui est en charge de la famille. Les mères de famille monoparentale sont moins diplômées que les mères de famille vivant en couple, sur-représentées parmi les agents de services, les aides à domicile, les personnels de nettoyage et les adjoints administratifs de la Fonction publique, 25% d’entre elles travaillent temps partiel (INSEE, 2005).
278 Sources: enquêtes Emploi du 1er au 4e trimestre 2009, Insee. 279 1968-2008: évolution et prospective de la situation des femmes dans la société française, rapport du Conseil économique, social et environnemental, 2009. 280 Sources: enquêtes Emploi du 1er au 4e trimestre 2009, Insee. 281 Ibid. 282 Sources: enquêtes emploi 2008 et 2009, Insee, moyenne annuelle des années 2008 et 2009, calculs Dares. 283 Source : enquête emplois du temps de l’INSEE et l’enquête longitudinale « Etude des relations familiales et intergénérationnelle » réalisée par l'INED et l'INSEE en 2005 et 2008.
114
- Retraites :
30 % des femmes (contre 5 % des hommes) attendent l’âge de 65 ans pour liquider leur retraite afin de compenser les effets d’une carrière incomplète et d’accéder au bénéfice du taux plein pour le calcul de leur pension284. Les femmes valident deux fois moins souvent de carrières complètes que les hommes (respectivement 41 % contre 86 %). La part des femmes ayant effectué une carrière complète augmente au fil des générations: elle est passée d’un tiers pour les 85 ans ou plus à près de la moitié (45 %) pour les retraitées âgées de 65 à 69 ans. Pour ces générations, l’écart entre les femmes et les hommes reste néanmoins très important (45 % de femmes, contre 85 % d’hommes)285. Les femmes, avec 1020 € mensuels, disposaient d’un montant inférieur de 38 % à celui des hommes286. L’écart est plus important si l’on ne considère que les avantages de droit direct : en 2008, les femmes, avec 825 € mensuels en moyenne, disposaient d’un montant inférieur de 42 % à celui des hommes (1426 € en moyenne)287.
284 Source: échantillon interrégimes de retraités 2004, in Études et résultats, n° 538, novembre 2006, Drees. 285 Ibid. 286 Ibid. 287 Source: enquête annuelle auprès des caisses de retraite, in Études et résultats, n° 722, avril 2010, Drees.
122
7. Les principales mesures relatives aux femmes et au genre dans la réforme des retraites 2010288
Principales dispositions relatives à l’égalité femmes/hommes : • Article 20 : Les assuré-e-s nés entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 inclus peuvent partir en retraite sans décote à 65 ans au lieu de 67 ans s’ils remplissent les conditions suivantes : « 1° Avoir eu ou élevé, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article L. 351-12 du code de la sécurité sociale, au moins trois enfants ; 2° Avoir interrompu ou réduit leur activité professionnelle, dans des conditions et un délai déterminés suivant la naissance ou l’adoption d’au moins un de ces enfants, pour se consacrer à l’éducation de cet ou de ces enfants ; 3° Avoir validé, avant cette interruption ou réduction de leur activité professionnelle, un nombre de trimestres minimum à raison de l’exercice d’une activité professionnelle, dans un régime de retraite légalement obligatoire d’un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse. » • Article 98 : Les indemnités journalières perçues dans le cadre d’un congé de maternité sont incluses dans le salaire de base pour le calcul de la retraite. • Article 99 : Les entreprises d’au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité si elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle ou, à défaut d’accord, par un plan d’action. Le montant de cette pénalité est fixé au maximum à 1% des rémunérations et gains, par l’autorité administrative compétente, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, « en fonction des efforts constatés dans l’entreprise en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que des motifs de sa défaillance quant au respect des obligations ». Ces dispositions entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2012. Pour les entreprises couvertes par un accord ou, à défaut, par un plan d’action tel que défini à l’article L. 2242-5-1 du code du travail, à la date de publication de la présente loi, le I entre en vigueur à l’échéance de l’accord ou, à défaut d’accord, à l’échéance du plan d’action. Les entreprises d’au moins 50 salariés établissent un plan d’action visant à assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Ce plan d’action détermine les objectifs et les actions permettant de les atteindre ainsi que l’évaluation de leur coût. Une synthèse est portée à la connaissance des salariés par l’employeur. 2° Après le premier alinéa de l’article L. 2323-47, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés : • Article 100 : Des contributions ou cotisations destinées à financer les régimes de retraite complémentaires peuvent être prises en charge par l’employeur et le salarié en cas de congé parental d’éducation, d’un congé de solidarité familiale, d’un congé de soutien familial ou d’un congé de présence parentale, dans des conditions déterminées par accord collectif. • Article 101 : Le dernier alinéa de l’article 271 du code civil est complété par les mots : « en ayant estimé, autant qu’il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l’époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa ». • Article 102 : Les négociations relatives à l’égalité professionnelle portent également sur la possibilité et les conditions dans l’employeur peut prendre en charge tout ou partie du supplément de cotisations pour la retraite pour les salariés travaillant à temps partiel.
288 Cet encart est tiré de la fiche de synthèse « Retraites : quelles inégalités entre les femmes et les hommes » publiée sur le site internet de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes le 28 novembre 2010.
123
8. Les retranscriptions intégrales des entretiens
R.S – Pourriez-vous s’il vous plaît dans un premier temps présenter à quel titre êtes-vous intervenue durant la dernière réforme des retraites ? C.M - Je suis membre du conseil scientifique d’Attac et de la Commission Genre. Dans le mouvement des retraites, c’est Attac et la fondation Copernic qui ont été à l’initiative de lancer un collectif d’associations, syndicats, et de partis politiques, pour essayer d’aboutir à une convergence et mener à une lutte commune contre le projet de réforme des retraites. Je représentais Attac dans ce collectif. Je travaille sur la question des retraites en général, et des inégalités entre hommes et femmes au niveau des retraites en particulier, depuis plus de dix ans. On avait déjà avec Attac en 2003 sorti ce que l’on appelle un « quatre pages » qui comportait outre une analyse globale de la question des retraites, une analyse qui mettait en relief les inégalités entre hommes et femmes dans ce domaine. R.S – Dans le Conseil scientifique d’Attac portez-vous la casquette « égalité femmes-hommes » ? C.M – Lorsque j’y suis rentré au début des années 2000, nous avions crée une commission genre qui s’est d’abord appelée « Femmes et mondialisation », puis « Femmes, genre et mondialisation » avant de s’appeler tout simplement « Genre ». On a d’abord analysé les effets différents de la mondialisation sur les hommes et sur les femmes, analyse qui a donné lieu à la sortie d’un petit ouvrage. C’est à l’issue de ce travail là que quelques copines de la commission Genre ont été intégrées au Conseil scientifique. R.S – Vous avez vécu le mouvement des retraites 2003 et celui de 2010. De façon générale, quel sentiment vous laisse celui de 2010 ? C.M – C’est vrai qu’il y’a eu un mouvement social très fort en 2010. Cela faisait très longtemps que l’on n’avait pas vu dans les manifestations comme ça des journées répétées, suivies, avec 2 ou 3 millions de personnes dans la rue, pas forcément les mêmes. C’est sûr que c’était un mouvement social d’une grande ampleur. Mais ce qui est sûr aussi, c’est qu’au final on a quand même échoué à arrêter le projet. Autant en 2003, si à Attac on avait déjà commencé à travailler sur cette question des inégalités hommes-femmes et à tenter d’attirer l’attention sur– déjà dans la même logique : l’allongement de la durée de cotisations était très défavorable aux femmes, rien n’était prévu pour réduire les inégalités, au contraire ! On
ENTRETIEN n°1
Christiane MARTY qualité : membre du Conseil scientifique et de la commission genre d’Attac date : 30 juin 2011 lieu : le 104, Paris 19ème
124
n’avait pas réussi à les rendre visibles. Là dans ce mouvement, on a réussi et c’est une avancée. Je crois que les analyses fournies par Attac depuis plusieurs années d’une manière générale ont pu servir de catalyseur aux associations et syndicats, qui se sont appuyés dessus. Il y a eu aussi une saisine de la Halde. J’avais monté un dossier pour saisir la Halde pour discrimination envers les femmes sur la question des retraites. Le Collectif national a été favorable à la démarche, et la Halde ne pouvant être saisie que par des député-e-s ou des associations reconnues d’utilité publique (le collectif ne l’était pas), nous avons demandé aussi l’appui de différents député-e-s. D’ailleurs, nous n’avons reçu à ce jour aucun retour de cette procédure de saisine. Par ailleurs, les dirigeants syndicaux ont bien été obligés de noter que ce point là était un des points essentiels : les inégalités de sexe étaient aggravées. Le gouvernement n’avait rien à répondre à ce constat, et il n’a pas cessé de mentir là-dessus. Je pense que le mouvement syndical aurait dû se saisir de cette question beaucoup plus tôt et la mettre beaucoup plus en avant. Notamment parce que le gouvernement n’avait aucune réponse satisfaisante. On avait quand même montré en quoi la prise en compte de l’égalité femmes-hommes était centrale, en quoi elle constituait une des réponses pour financer les retraites, en réalisant l’égalité dans l’accès à l’emploi et les salaires des femmes. Mais cela n’a pas été repris dans les propositions syndicales, ni mis en avant dans les mots d’ordre, ni dans les négociations. On l’a vu par exemple vers la fin du mouvement, lors d’une émission de télévision regroupant Bernard Thibaut (CGT), le MEDEF (Laurence Parisot) et François Chérèque (CFDT), ce dernier à lancé l’idée d’une concertation avec le MEDEF sur l’emploi des jeunes, idée immédiatement approuvée par Mme Parisot. Bien sûr, il y a des difficultés sur l’emploi des jeunes, comme sur l’emploi des séniors dont on parle souvent. Mais on oublie toujours celles sur l’emploi des femmes, leur chômage supérieur, temps partiel, bas salaires et précarité. Le fait que la question de l’emploi des femmes soit restée absente de tout projet de concertation à la suite de ce mouvement témoigne que la question des retraites des femmes n’a pas été vraiment prise en compte. R.S – Comment expliquez-vous le décalage entre la place centrale de cette question dans l’appel du Collectif réunissant des syndicats et partis politiques de gauche, et la non appropriation de cette question par la suite par le mouvement social et par les syndicats en particulier ? C.M - Dans un texte, on arrive à faire acter des choses. J’ai pu argumenter, comme d’autres aussi, et faire intégrer des amendements. Personne ne s’y oppose. C’est le politiquement correct, on ne peut pas dire « les femmes, on s’en fiche ». Mais après, la question est de savoir comment on s’en saisit. Et dans les syndicats, ou partout ailleurs, il y a des résistances : « ce n’est pas le problème majeur », la question est vue comme un aspect « particulier » de la réforme. Alors que ce n’est pas du tout le cas. On montre bien comment à partir de cette question, on arrive à détricoter le reste et tout se tient. Il y a bien eu des tracts femmes sortis par les syndicats : CGT, Solidaires, etc. Mais ce sont les commissions femmes qui ont porté cette mobilisation et non le syndicat dans sa globalité. Les rapports de sexe passent toujours après les rapports de classe. On en revient toujours au vieux débat historique. R.S – Concernant le diagnostic posé, y avait-il un consensus entre tous les acteurs de la réforme sur les causes des inégalités entre les sexes et sur quoi faut-il agir ? C.M – Il est sûr qu’en matière de diagnostic, il y avait évidemment un désaccord total avec le Gouvernement puisque le ministre en charge de la réforme, Eric WOERTH, répétait en boucle que la question des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite était celle des « différences » de salaire, et renvoyait au règlement de ce problème. C’est une analyse qui est
125
fausse. Car les inégalités de salaire ne sont qu’un des éléments des inégalités en matière de retraites. Le salaire moyen des femmes représente environ 80% de celui des hommes, et la retraite des femmes représente 62% de celle des hommes. On voit bien qu’il y a une amplification des inégalités. Il y a d’autres facteurs, le temps partiel par exemple. Il faut savoir que le taux d’emploi des femmes en équivalent temps plein ne progresse plus. On est également en panne depuis le début des années 90, l’écart salarial ne diminue plus, comme les chercheuses ont pu le montrer. Si les inégalités de pension avaient également pu diminuer, on peut tout à fait anticiper aujourd’hui qu’elles vont à l’avenir à nouveau se creuser. R.S – Sur la projection de ces inégalités, y a-t-il aussi eu une divergence de vue entre vous et le gouvernement ? C.M - Woerth disait s’appuyer sur des études pour affirmer que les femmes aujourd’hui avaient autant de trimestres validés que les hommes, et qu’elles en auraient même davantage à l’avenir. Je ne vais pas m’y attarder ici, j’en avais fait l’analyse et écrit des articles pour montrer que c’était faux. Martine Billard d’ailleurs lors d’une séance de débat à l’Assemblée a pu les utiliser pour démonter l’argumentation et les mensonges du ministre. Il était évident que ce projet de loi était défavorable aux femmes, le gouvernement en était réduit à mentir pour ne pas le reconnaître. R.S – Pensez-vous qu’ils avaient anticipé cela et préparé un argumentaire précis sur cette question ? C.M - Non. Ils ont usé d’une mauvaise défense en réduisant cette question aux inégalités salariales : ils ont finalement intégré un point sur l’égalité salariale dans la loi de novembre sur les retraites, mais il se trouve être moins contraignant que ce qui existait auparavant ! R.S – Maintenant, concernant les alliances qui ont pu avoir lieu entre différents acteur-ice-s de la réforme – associatifs, syndicalistes, intellectuel-le-s, élu-e-s, parfois de gauche et de droite – quel regard portez-vous sur ce que l’on peut appeler des « coalitions de cause », et quel a été en quelque sorte votre mode opératoire pour construire ou participer à ces alliances ? C.M – En 2003 nous étions parvenus à faire signer une tribune par cinq femmes dirigeantes de syndicats - Solidaires, FSU, CGT, CFDT, et un dernier syndicat – pour pointer que les femmes étaient en première ligne parmi les personnes pénalisées par cette réforme. La conscience des inégalités peut rassembler les femmes. Mais les solutions proposées ne peuvent pas être les mêmes entre droite et gauche. Lors des discussions sur le projet de loi à l’Assemblée, on a vu des propositions avancées par des députées de droite pour atténuer l’impact de la réforme sur certaines femmes. Elles n’étaient pas satisfaisantes mais témoignaient d’une prise en compte. Quelle que soit l’appartenance partisane ou syndicale différente des femmes, ce qu’elles vivent en commun, ce sont les résistances qu’elles rencontrent dans leurs organisations respectives sur les questions concernant les femmes. Il y a eu des cas, comme pour la loi sur les violences faites aux femmes, où les femmes toutes appartenances politiques confondues ont pu faire avancer les choses. R.S – Au niveau des solutions avancées par les différents acteur-ice-s, diriez-vous que différents modèles d’égalité étaient en présence ? C.M – Ce que je regrette dans ce mouvement, c’est qu’à aucun moment dans le débat n’ont percé les analyses et les propositions qui remontaient aux sources des inégalités, qui allaient
126
au-delà de la demande de mécanismes compensatoires et qui parlaient de modèle d’égalité. Si l’on prend le temps partiel par exemple. Pourquoi les femmes sont-elles très nombreuses à temps partiel ? Parce qu’elles ont la charge de l’éducation des enfants et se retirent souvent partiellement ou totalement de l’emploi pour assumer cette charge. Si elles avaient la possibilité de mettre leur enfant à la crèche, elles ne se retireraient pas. C’est donc un « choix sous contraintes », souvent par manque de solution pour s’occuper des enfants ou personnes dépendantes. Si l’on veut vraiment traiter cette question à la base – et c’est pour cela qu’analyser le problème des retraites revient à parler d’un choix de société – on interroge ce qui fait que ce sont les femmes qui sont à temps partiel. Et là on peut voir émerger la question du modèle de société : le modèle actuel est construit sur l’idée que les rôles des hommes et des femmes sont complémentaires, l’homme est le gagne pain et la femme s’occupe du foyer. Si l’on est d’accord avec ce modèle, on se contente d’instaurer des compensations pour les femmes du fait de leur « rôle de mère », on continue donc à défendre les bonifications pour enfants, ou des compensations pour le temps partiel. On aménage seulement la situation. Deuxième modèle, et c’est le nôtre, on pense qu’il n’y a pas de rôles complémentaires entre hommes et femmes. Evidemment, ce sont les femmes qui mettent les enfants au monde. Mais ensuite les pères comme les mères peuvent s’investir à égalité dans les soins et l’éducation, et on peut faire en sorte non seulement de permettre cet investissement, mais d’y inciter les pères autant que les mères, et de compenser pour tous les pénalisations dues aux éventuelles interruptions de carrières professionnelles. Ce doit être un choix de vie offert aux hommes comme aux femmes, et il faut l’accompagner d’une lutte contre les stéréotypes sexistes. Cela devrait passer par exemple par l’adoption d’un congé parental d’éducation obligatoirement partagé entre les deux parents. Et pas simplement ouvert aux deux parents, car on sait que de fait ce sont les femmes qui le prennent, ce qui enferme dans ce modèle de société où les rôles masculins et féminins sont déclarés complémentaires, pour le plus grand préjudice des femmes. R.S – Dans les solutions avancées par le Gouvernement, l’un ou l’autre des modèles a-t-il été clairement privilégié selon vous ? C.M – Implicitement, oui car le modèle existant, avec les deux rôles complémentaires, est celui qui fonde la construction historique de l’édifice des retraites et il n’a pas du tout été remis en cause. Aujourd’hui, une conception de l’égalité au niveau européen impose une égalité formelle dans la loi. Les bonifications pour enfant (MDA) ont été rabotées dès 2003 pour les femmes du secteur public, idem en 2010 pour les femmes du privé. D’une part, on peut remarquer que l’application des directives européennes se fait actuellement en appliquant « l’égalité par le bas », c’est à dire en supprimant les dispositions bénéfiques aux femmes, au lieu de les étendre aux hommes. D’autre part, cette conception purement formelle est une impasse : elle suppose que l’égalité signifie d’abord que la loi doit être la même pour tout le monde. Mais de fait, la situation aujourd’hui est le résultat d’inégalités structurelles entre hommes et femmes. Si on ne compense pas ces inégalités, une loi égale pour tout le monde ne fait que les figer. Ce qui est intéressant, c’est que la législation européenne intègre aussi la notion d’action positive – dite aussi « discrimination » positive, moi je préfère dire « action » – et elle porte une autre conception : dans les situations où il y a des inégalités, on permet des mesures visant à les faire disparaître, c’est à dire des mesures différentes pour les deux sexes et ces mécanismes de rattrapage doivent être temporaires, elles ont vocation à disparaître lorsque la situation sera égale pour les deux sexes. La difficulté est alors que ces mécanismes sont à double tranchant : ils sont à la fois indispensables pour compenser les inégalités, mais ils présentent aussi le risque d’enfermer les femmes dans le rôle de mères : si les bonifications pour enfant ne sont attribuées qu’aux femmes, leur signification est que la société attend des
127
femmes quelles continuent de les prendre en charge. Ce serait plus facile de repartir de zéro pour construire un système de retraite. C’est la transition qui est difficile. Pour revenir sur les deux modèles, il n’y a pas eu de débat sur cette question dans le mouvement. Il s’est limité au constat de la situation des femmes, et les solutions avancées n’ont pas pris en compte la source des problèmes. Par exemple la création d’un service public de la petite enfance : cette proposition n’a pas été portée, en dehors des différentes commissions femmes,. R.S – Que traduit selon vous l’annonce par le Gouvernement en juin, suite aux premières tribunes dans la presse, la prise en compte des indemnités congés maternité dans le calcul des retraites, puis en octobre le maintien du départ à 65 ans pour certaines femmes mères de 3 enfants ou plus ? C.M – Je ne crois pas que ce soient les tribunes dans la presse qui ont été l’élément déclencheur de ces annonces, mais tout un ensemble de choses. Ces mesures, au-delà du fait qu’elles étaient très insuffisantes, témoignent du fait que le modèle implicite est celui des rôles complémentaires où ce qui doit être préservé, c’est le rôle de mères des femmes. R.S – Vous rappelez-vous une tribune parue en mai dans Le Figaro de Christine Boutin avec 9 autres députés de droite intitulée « Les familles doivent être prise en compte dans la réforme des retraites » qui avançait deux revendications : la prise en compte des indemnités congé maternité dans le calcul des retraites, et le maintien du départ à 65 ans pour les mères de familles nombreuses ? Ne peut-on pas s’interroger sur le rôle joué par cette tribune reflétant tout un courant de pensée à droite ? C.M – Je n’ai pas eu connaissance de cette tribune mais cela ne m’étonne pas. Il est certain que ce courant est dominant, y compris chez certaines femmes. Et c’est vrai que sur cette question, on n’est pas forcément majoritaire, quand on voit encore le poids de l’institution de la famille, et aussi des instances de la religion catholique, dans la société. Les mesures prises au dernier moment par le Gouvernement relèvent en effet du modèle familialiste. Il a dû lâcher un peu de lest (en apparence car de fait, c’est minime) pour éviter de se couper de cette opinion. R.S – Vous évoquiez au début de l’entretien le travail fourni par Attac sur la question des retraites des femmes dès 2003. Comment expliqueriez-vous que malgré les analyses existantes depuis longtemps, et qui pointaient déjà que les réformes des retraites n’étaient pas neutres du point de vue des inégalités entre les sexes et pouvaient même les aggraver, cette question ait été si peu prise en compte dans la phase préparatoire de cette troisième réforme des retraites par l’ensemble des acteur-ice-s ? C.M – La réponse à cette question est à remettre dans une réponse plus globale sur la question des retraites en général. Les analyses existantes ont montré que le niveau relatif des pensions par rapport aux salaires baisse depuis les réformes de 1993 et de 2003. Il baisse pour tout le monde, particulièrement pour les femmes et cela dégrade encore la situation entre les hommes et les femmes, c’est un constat. Constat établi aussi par les rapports du COR. Ces rapports sont issus de consensus au sein des différentes composantes de cet organisme. C’est une mine d’informations, très utiles pour le mouvement social. Même si on y trouve aussi des recommandations bien en phase avec l’idéologie libérale. On y pioche certains éléments, le gouvernement en met d’autres en avant. En 2008, il y a eu un rapport sur uniquement la question des droits familiaux et conjugaux des
128
femmes. Sur cette question, il y a aussi les analyses de Carole BONNET, de l’INED, spécialiste de la question. Toutes ces analyses convergent pour montrer l’aggravation de la situation.. Mais les réformes sur les retraites relèvent de la logique néolibérale à l’œuvre en France comme ailleurs, qui a pour ligne de démanteler le système par répartition pour faire la place aux assurances privées. Elles ne sont pas menées dans l’ignorance des conséquences néfastes pour les populations et les femmes, elles sont menées parce que c’est un choix politique. R.S – Concernant la mobilisation féministe, diriez-vous qu’il y’a eu un regain lors de ce mouvement social là ? Et si oui, comment l’expliqueriez-vous ? C.M – C’est certain. Je n’ai plus les dates en tête des manifestations, mais il est vrai que rapidement, un certain nombre d’organisations de femmes se sont rencontrées et ont suggéré une action commune lors des manifestations : un cortège commun, ou un point fixe le long du parcours de la manifestation avec du matériel commun (tract, banderoles, etc.). Après une ou deux manifestations avec l’organisation de points fixes, les organisations présentes ont choisi de défiler ensemble. L’idée de défiler en tête de manif, juste derrière le cortège de tête, a été évoquée et défendue par beaucoup. Pour X raisons, cela ne s’est pas fait. Lors des distributions de tracts, nous avons alors constaté un fort soutien des manifestant-e-s pour qui cette question des inégalités hommes-femmes semblait importante. On s’est posé rapidement la question d’organiser un cortège féministe derrière le carré de tête. Tout le monde était en faveur de cette idée. Il aurait fallu en faire la demande à l’intersyndicale responsable de l’organisation des manifestations. Je suppose qu’il y a eu une sorte d’autocensure. Nous avons pensé que l’intersyndicale allait refuser. Nous avons buté sur des questions procédurales : qui va faire la demande et comment ? par une lettre ? mais signée par qui ? par le CNDF ? Mais le CNDF est aussi composé de partis, et les partis ne seront jamais acceptés en tête de cortège. Bref, la demande n’a pas été faite. Certes, les cortèges de femmes qui ont défilé ont réuni beaucoup de monde, et étaient vivants et enthousiastes. Mais je pense que si on avait pu organiser le cortège féministe derrière le carré de tête, ça aurait eu un poids symbolique fort, bien plus fort. Cela aurait été possible, comme ça avait été fait par exemple pour les travailleurs sans papiers. Politiquement, cela aurait été porteur, visible, efficace. C’est mon regret. Je voudrais faire une parenthèse sur une question : alors que tout le monde reconnaissait que la question des retraites est une question de société, comment se fait-il que ce mouvement des retraites soit resté la prérogative exclusive des syndicats ? Ce sont eux qui définissaient les journées d’actions, la stratégie, l’organisation des manifestations. De fait, les autres acteurs – associatifs, politiques, etc. – se limitaient à répondre aux appels et à participer aux manifestations, les partis politiques admis en fin de cortège. On aurait eu je crois intérêt à innover en la matière. R.S – A ce moment là, pensez-vous que la question des inégalités femmes-hommes a été relevée par les syndicats comme un élément levier de mobilisations ? C.M – Non justement ! C’est bien là mon regret. A la limite, les médias en parlaient davantage et s’en sont plus saisis que les syndicats. Pourtant nous étions très forts sur ce sujet car le gouvernement n’avait pas de réponse crédible là-dessus. La moitié de la population était directement concernée et indignée. Les femmes ont vécu les effets néfastes des mesures adoptées depuis 2003. Elles voient aussi d’autres femmes autour d’elles ayant des retraites très faibles. Je pense que c’est un sujet qui, si on avait voulu vraiment s’en saisir, était apte à
129
mobiliser encore plus. On a eu beaucoup de témoignages de femmes qui manifestaient pour la première fois, qui ne comprenaient pas que l’on ne parle pas davantage de cette inégalité là. On a eu l’impression que nous avions fédéré une puissance mais qui restait bridée. En fin de mouvement, on a fait un cortège féministe qui a rassemblé du monde, beaucoup d’organisations différentes, beaucoup d’hommes aussi etc. J’ai moins d’écho de ce qui s’est passé en province. R.S – Aujourd’hui, lors des réunions de bilan où les premières leçons du mouvement doivent être tirées, le regret que vous pouvez faire d’un potentiel de mobilisation non exploité est-il partagé ? Sentez-vous une prise de conscience après coup ? C.M – Honnêtement je ne sais pas. On a bien eu une réunion de bilan au Collectif national. Tout le monde regrettait l’issue, et en même temps, était mis en avant le caractère très important de ce mouvement social. L’expression qui a été adoptée alors est : « on a perdu mais on n’est pas défait ». Pour moi, le projet de loi n’a pas été arrêté, et on a perdu. Point. Pour revenir sur le déroulement du mouvement social, il faut noter tout de même qu’à chaque meeting unitaire organisé par le Collectif dans les différentes villes, il y a toujours eu une ou plusieurs interventions sur les inégalités hommes-femmes. Il y a eu une dynamique très forte de ce mouvement. Et aujourd’hui dans la perspective de 2012, la volonté est là de ne pas laisser s’essouffler cette dynamique. Au début de l’année 2011, c’est la question de la prise en charge de la dépendance et de la perte d’autonomie qui s’est présentée. Et les mêmes acteurs à peu près ont commencé à travailler pour anticiper la réforme annoncée pour l’automne. Un combat en a remplacé un autre, ce qui explique donc que l’étape du bilan n’a pas été trop creusée. R.S – Pour revenir à la permanence d’une hiérarchie des luttes que vous avez pu évoquer, quelle a été la réaction du mouvement social aux annonces du Gouvernement en fin de mouvement sur la question des retraites des femmes pour tenter de trouver une porte de sortie ? C.M – Au stade où cela en était, les gens ont bien compris que c’était du « fifrelin », qu’on essayait de nous amadouer». Et le mouvement féministe a été très clair aussi. Un de nos slogans était d’ailleurs « Et un, et deux, et trois, avec ou sans enfant, retraite à 60 ans ! ». Il était impensable de se désolidariser du mouvement social au prétexte d’annonces complètement décalées. On ne revient pas à la hiérarchie des luttes, on n’en est jamais sortis. Déjà en 2003 on nous disait « la question des retraites des femmes, ce n’est pas la question des retraites ».
130
F.M – Ce qui était vrai sur les retraites, devient vrai aujourd’hui sur tous les problèmes qui étaient en suspens, y compris sur le partage des responsabilités familiales. Il n’y a eu aucune annonce faite à la conférence du 28 juin289. Cela a été reporté aux négociations qui auraient lieu à l’automne avec les partenaires sociaux, y compris par exemple sur la question du congé paternité. Cette dernière aurait pu faire l’objet d’une annonce, mais même pas. Roselyne BACHELOT a dit à l’AFP : « je ne peux rien faire qui creuse le trou de la Sécu ». On est dans l’absence de mesures de politique publique.
R.S – Pourriez-vous s’il vous plaît dans un premier temps présenter à quel titre et comment êtes-vous intervenue durant la dernière réforme des retraites ?
F.M – D’abord la chose la plus frappante est que cette fois-ci la question de la retraite des femmes est apparue d’emblée. Ce qui n’était pas le cas pour les réformes de 1993 et de 2003. Je crois que c’est la première caractéristique. En 1993 et en 2003, c’est uniquement après-coup que la question de l’éventuelle différenciation des effets sur femmes et hommes a été soulevée, mais pas avant. En 2010, la mobilisation générale des acteurs – responsables femmes des syndicats, chercheurs, analystes, activistes sur la question femmes – a mis cette question sur le devant de la scène. Il y avait beaucoup de travaux du COR. A mon avis il y a deux tendances contradictoires. Nous avons été beaucoup sollicités. Mais la demande que nous avions faite d’une évaluation préalable à la loi des effets différenciés femmes-hommes n’a pas été satisfaite. Cette demande a certes été relayée par l’Observatoire de la parité. J’ai été active en ce sens. Mais si la demande d’évaluation ex-ante a été faite officiellement, on nous a dit que ce n’était pas possible tout de suite. Ensuite, plus on avançait dans le temps, plus cela devenait irréaliste. Le COR, qui seul a accès aux fichiers et aux données, a expliqué qu’il ne pouvait pas faire cette évaluation si la demande n’était pas faite par le Premier Ministre. R.S – A quel moment cette demande d’évaluation ex-ante a surgi dans le débat ?
289 Le 28 juin 2011, Roselyne BACHELOT, Ministre des Solidarités et de la Cohésion Sociale, organisait une conférence sur le partage des responsabilités professionnelles et familiales.
ENTRETIEN n°2
Françoise MILEWSKI qualité : économiste à l’OFCE, PRESAGE, membre de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, membre du Comité d’orientation du Laboratoire de l’Egalité date : 1er juillet 2011 lieu : OFCE, Paris 7ème
131
F.M – Elle a surgi d’emblée lorsque nous avons commencé à discuter du projet de loi à l’Observatoire, donc autour d’octobre ou novembre. Je me suis portée volontaire pour travailler sur cette évaluation au sein d’un groupe de travail, mais à condition que l’on sache si le COR pouvait s’engager sur une évaluation. Cette évaluation n’a pas pu avoir lieu mais cette question des inégalités femmes-hommes a été mise au devant de la scène. Comment cela s’est-t-il produit ? Beaucoup de gens ont dit « ce n’est pas possible que l’on procède comme en 1993 et 2003, où l’on a analysé ex-post l’effet des réformes sur les retraites des femmes. Cette fois-ci, il faut que l’on prenne le problème en considération avant ». Il y a donc eu pas mal de réunions. Il y a eu une mobilisation en même temps du Laboratoire de l’Egalité, de l’Observatoire de la parité, qui s’est emparé de la question dès septembre de façon intense, et d’autres. Parmi les consultations préalables faites pour l’élaboration de la loi, Eric WOERTH a organisé une réunion spécifique sur les retraites des femmes, réunissant des expertes, des représentants des syndicats, de la CNAV, etc. Les problèmes ont été discutés et nous avons fait des propositions. Il en a, lui, retiré que le problème des retraites des femmes était essentiellement un problème des salaires, et donc qu’il fallait le résoudre par la question des salaires, d’où l’intégration dans le projet de loi sur les retraites de l’article sur l’égalité des salaires. Après il s’est passé ce qu’on sait, mais à ce moment là nous avions eu le sentiment qu’il nous écoutait. R.S – A quel moment s’est tenue cette réunion de travail ? F.M – A la rentrée. La question des retraites est techniquement très compliquée. J’avais déjà travaillé sur cette question, pour rédiger le chapitre sur les retraites dans le rapport sur la précarité290. A l’automne 2010, plusieurs chercheures et spécialistes des relations sociales ont décidé de travailler ensemble. Le relais a été pris au sein de l’Observatoire de la parité, en élaborant un certain nombre de propositions et en suivant tous les débats parlementaires. Cela montre en quoi cet Observatoire peut-être très utile, notamment pour le travail de veille sur les débats parlementaires (avec tableau comparatifs des propositions, des amendements déposés, des votes, etc.). Sur le fond évidemment il n’en est pas sorti grand-chose, dans la loi en tout cas. Sauf sur la question de la prise en compte des congés maternité, question que Eric Woerth avait découverte lors de la réunion de concertation et qu’il a intégrée d’autant plus facilement à la loi que le coût de la mesure était faible.. Sur le reste, par exemple les sur-cotisations pour les temps partiels, il a renvoyé aux écarts de salaire et rien n’est ressorti de façon concrète. On peut subodorer que le report de 62 à 67 ans est défavorable aux femmes, mais je ne sais pas le prouver ni dire dans quelle ampleur. C’est pour cela qu’une étude préalable faite par le COR aurait été importante.. On voit comment dans les précédentes lois, en faisant passer de 10 à 25 ans la période prise en compte pour le calcul des pensions, on a défavorisé les femmes car on a intégré des périodes d’inactivité où de temps partiels, prises au moment de la naissance des enfants. Mais en contrepartie, on s’aperçoit aujourd’hui que le minimum contributif leur est favorable. Et donc au total, il se peut que l’on ait une compensation partielle. C’est pour cela que l’étude préalable aurait dû être faite en 2010, pour avoir des conclusions précises et complètes. Sur la position du Gouvernement, j’ai le sentiment qu’il n’avait pas l’intention au départ de traiter cette question de l’égalité femmes/hommes.
290 Françoise MILEWSKI a été chargée de diriger une mission sur la précarité des femmes par la Ministre chargée de la Parité et de l’égalité professionnelle, Mme Nicole Ameline, en 2005. Cette mission a débouché sur la remise d’un rapport intitulé « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de précarité. ». C’est à l’occasion de la rédaction de ce rapport qu’elle rédigea le chapitre consacré aux retraites des femmes et qu’elle effectua une synthèse des études sur cette question.
132
R.S – Point sur le calendrier : avant-projet de loi sorti en février, premières tribunes en avril-mai-juin (dont celle de Christine BOUTIN qui faisait deux revendications reprises par la suite), 1ère grosse manifestation le 7 juin. Et dès avril-mai Eric WOERTH centre, concernant les inégalités de pension entre hommes et femmes, sur la question des salaires et début juin il annonce la prise en compte des congés maternité. A ce moment là se produit un échange entre Chantal BRUNEL, qui se satisfait de cette mesure, et des députées de gauche qui l’attaquent en soulignant que c’est non satisfaisant. F.M – Peut-être suis-je en train de réduire le passé ! (rire) (vérifications du calendrier) En effet, cette table ronde avec Eric WOERTH s’est tenue début juin 2010, le 8.
R.S – Sur le moment il vous a donc semblé que le Gouvernement n’avait pas anticipé l’émergence dans les débats de ce sujet ? F.M – Non en effet. Mais j’ai aussi eu le sentiment que ce débat a été intégré, même si la question des salaires a servi en parti de dérivatif. Au final ils n’ont lâché sur rien ou pas grand chose … Il reste une grande incertitude sur le fait que l’on ne sache pas évaluer précisément l’effet du passage de 60 à 62 ans et de 65 à 67 ans sur les femmes. Intuitivement je vois bien que c’est probablement défavorable, mais je ne sais pas l’évaluer de façon très précise. Pour cela, il faudrait faire tourner les modèles en utilisant les bases de données de la CNAV (structure des salaires, des retraites, qui arrive à la retraite, après quelle carrière, etc.) et qu’utilise le COR. Vous avez pu voir que dans ce que j’ai écrit j’ai toujours été très prudente sur ce point là, faute d’évaluation précise. R.S – Avez-vous noté lors du débat autour de cette réforme un regain de l’influence féministe ? Notamment concernant les réseaux féminins. Se sont-ils mobilisés ? F.M – Je dirais plutôt que c’est moins les réseaux féministes « classiques » qui se sont mobilisés dans un premier temps que les responsables femmes dans les syndicats, les délégations Droits des femmes des assemblées parlementaires, les chercheur-e-s sur le genre qui sont centré-e-s sur l’analyse du marché du travail (INED, OFCE, etc.), l’Observatoire de la Parité, etc. Le Laboratoire de l’Egalité s’est aussi mobilisé très tôt. Mais ce n’est pas ce que j’appelle les réseaux féministes « classiques ». Parmi les réseaux féministes, tous n’ont pas les retraites ni le monde du travail comme sujet de prédilection. Les réseaux féministes étaient à l’époque davantage mobilisés sur les 40 ans du MLF. R.S – Par rapport à cette forme de coalition de féministes dans les syndicats, institutions, etc. cela vous a-t-il semblé mieux fonctionner que lors de débats précédents ? F.M – Il y a eu en effet un fonctionnement en réseau effectif, ne serait-ce que pour comprendre ce sujet complexe, et ensuite formuler des demandes. R.S – Ne pensez-vous pas que cela aurait été utile que certaines d’entre vous, capables d’analyser à la lumière des inégalités entre femmes et hommes la question des retraites, aient pu être intégrées au COR (qui ne comportait aucun-e spécialiste de cette question, et seulement deux femmes sur 39 membres) ? F.M – Oui et non. Je trouve effectivement anormal que les femmes soient si peu représentées au COR, et ce qu’ont fait les filles de la Barbe en investissant la réunion du COR était très bien. Mais le COR a produit un rapport essentiel sur les retraites des femmes, en particulier les
133
avantages conjugaux et familiaux. Le problème est : qui s’en est saisi et comment ? Le programme du COR est établi en interne, mais peut aussi faire l’objet d’une demande externe selon les circuits administratifs traditionnels (le COR est une instance pluraliste placée auprès du Premier Ministre). Il n’a pas de moyens illimités. Je suis impressionnée par la qualité de leurs travaux sur les retraites des femmes. Si aujourd’hui on veut lire des choses intéressantes sur le sujet, c’est du côté du COR et de l’INED qu’il faut chercher. Le problème est que la demande officielle d’évaluation ex ante n’a pas été faite. R.S – J’interrogeais hier Christiane MARTY … F.M – Elle s’est en effet beaucoup mobilisée et nous étions en contact durant ce débat. R.S – … elle soulevait beaucoup que les rapports et les analyses étaient là, mais que les dirigeant-e-s ne s’en saisissaient pas. Et elle soulevait que d’un côté le politiquement correct a fait que cette problématique a été en bonne place dans le texte du collectif sur les retraites et a été par la suite progressivement intégrée par les syndicats et les partis politiques, mais de l’autre qu’elle n’était pas vraiment portée par les dirigeants. Selon elle la réponse est toujours à chercher du côté de la hiérarchie des luttes. Je voulais donc vous demander, à vous qui avez voulu faire rentrer l’économique dans les questions de genre et inversement, si pour vous la hiérarchie des luttes est-elle un débat passéiste ou bien toujours un obstacle d’actualité ? F.M – Oui bien sûr la question de la hiérarchisation des luttes est importante. Dans les syndicats à l’heure actuelle, la question du travail des femmes n’émerge qu’en partie. Cela fait désormais partie du politiquement, ou syndicalement correct, mais seuls quelques responsables se bagarrent pour que ce sujet soit mis en avant. Donc je suis d’accord avec ce que Christiane MARTY vous a dit. Mais il faut aussi souligner que pour la première fois les syndicats ont finalement intégré ce sujet, et c’est un progrès. De la même façon, dans les entreprises aujourd’hui la question du travail des femmes est mise en avant. Pas spontanément par les DRH ou la direction, mais par des forces de pression plus ou moins organisées. Il en est de même pour les syndicats. Ils ont quand même porté in fine la question des retraites des femmes, ce qu’ils n’avaient pas fait ni en 1993 ni en 2003. Cela a émergé du fait de pressions internes et externes, et pour que cela continue de faire partie du quotidien de la mobilisation et de la réflexion, il faudra que les mêmes pressions continuent de s’exercer. J’ai le sentiment que dans la campagne électorale à venir, cette question va être mise en avant car cela relève du politiquement correct qui ne coûte pas grand-chose. Mais la question de la précarité et du temps partiel passera à la trappe si l’on n’est pas vigilant-e-s et si la pression n’est pas permanente. En termes de mobilisation sociale, les femmes ont-elles été l’aiguillon de la mobilisation sociale – puisque la question m’a parfois été posée comme ça ? Il y avait effectivement une présence importante des femmes dans les manifestations sur les retraites. Cela aussi a été un élément nouveau. De là à dire qu’elles ont été l’aiguillon de la mobilisation sociale … c’est peut-être un peu osé. R.S – Et vous dans votre milieu de recherche en économie, lorsque vous pouviez débattre de la question des retraites, certains de vos collègues hommes ont-ils pu soulever la question des inégalités de pension entre femmes et hommes comme un problème majeur des retraites ? F.M – Cela pouvait l’être car cette question a été finalement mise en avant. Mais aucun d’entre eux n’a travaillé sur cette question. Nous sommes extrêmement peu de chercheur-e-s à avoir travaillé sur les retraites des femmes.
134
R.S – Vous avez parlé tout à l’heure de l’Observatoire de la parité, du Laboratoire de l’égalité, … les outils actuels vous semblent t-ils suffisants ? F.M – Etant partie prenante de ces deux structures, je ne pourrai pas dire le contraire ! Mais elles ne sont pas de même nature. L’Observatoire de la parité est un service du Premier Ministre et peut auditionner officiellement. Le Laboratoire de l’Egalité n’a pas les moyens de faire lui-même des études et recherches, et d’ailleurs ce n’est pas son objectif. Il s’appuie sur les études et recherches existantes pour formuler des revendications. Personne ne pouvait pas aller au-delà des travaux du COR et de l’INED. Après, chacun pouvait traduire cela, parfois de façon différente, dans ses prises de positions. Y compris la tribune publiée par Eric WOERTH et plusieurs autres ministres se fondait sur les travaux du COR de 2006, rapidement actualisés par les services. R.S – Avec toute la relativité que l’on doit avoir puisque les systèmes de retraites sont différents, les exemples européens et le cadrage européen ont-ils pu être un moyen de convaincre des effets différenciés de cette réforme selon les sexes ? F.M – Non, cela est resté très franco-français. R.S – Concernant les alliances qui ont pu avoir lieu entre des élu-e-s féministes de gauche et de droite, quel est votre regard sur les résultats de ce type d’alliance et ce que cela peut refléter aux yeux des autres acteurs non-féministes ? F.M – D’abord on ne peut que constater que le féminisme, dans sa partie institutionnelle, est essentiellement de gauche. Mais des personnalités de droite se sont aussi emparées du sujet des retraites ou des autres sujets. Le rôle des Délégations aux droits des femmes des assemblées parlementaires a été important sur la parité en politique et sur l’égalité professionnelle. Je veux en particulier souligner le rôle de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale dont Marie-Jo ZIMMERMANN est Présidente. Cela montre que les droits des femmes passent au travers du courant droite-gauche. Mais c’est moins le cas en termes de mesures. La plupart de celles qui ont fait bouger les choses ont été prises à l’initiative de gouvernements de gauche. Sauf la loi sur les quotas dans les conseils d’administration (loi Coppé-Zimmermann). Il est malheureusement peu probable qu’un gouvernement de droite adopte des mesures contrecarrant la précarité et le temps partiel contraint car les entreprises n’en veulent pas. Le clivage politique existe donc. Mais il faut aussi dire qu’une partie de la gauche, y compris syndicale, considère encore que la question des inégalités hommes-femmes est un problème secondaire, surdéterminé par la question sociale dans son ensemble. R.S – Pensez-vous qu’il peut y avoir des acteurs autres que féministes qui ont pu dans ce débat sur les retraites porter cette question des inégalités de pension entre les sexes différemment, avec un autre angle ? F.M – Non. R.S – Si je vous pose cette question, c’est parce qu’en épluchant la revue de presse de janvier à fin mai 2010, j’ai relevé une tribune de Christine BOUTIN dans Le Figaro parue le 26 mai 2010 – donc tôt dans le calendrier - et cosignée par 9 députés de la majorité. Cette tribune, intitulée « Les familles doivent être au cœur de la réforme des retraites », avançait deux revendications : la prise en compte des périodes de congés maternités dans le calcul des retraites, et un système de bonus à appliquer aux pensions de retraite en fonction du nombre
135
d’enfants élevés. Deux revendications très proches des mesures prises par la suite par le Gouvernement pour répondre à ce problème public. Cet élément vous fait-il réagir ? F.M – Il existe un courant à droite de la majorité. Christine BOUTIN, l’UNAF, l’institution catholique, forment un courant, qui peut peut-être prendre plus de poids. Mais sur la question des retraites, il n’y a pas eu de croisement. On aurait pu se rencontrer dans certaines structures, mais non. Y compris lors de la table ronde organisée par Eric WOERTH ces positions n’étaient pas représentées. R.S – Pourriez-vous svp, pour conclure, me dire un mot des réseaux de femmes en entreprises ? F.M – Il y a à l’heure actuelle dans les entreprises un développement important des réseaux de femmes. A la fois suscité par la loi sur les quotas, mais aussi antérieur. Ces réseaux de femmes ont une dynamique très intéressante. Certes certains se limitent à être des lobbies de femmes : on fournit des CV, on fournit des noms pour les conseils d’administration. Mais d’autres ont une vocation plus générale. Ce sont soit des réseaux spécifiques à une entreprise, soit des réseaux par profession – par exemple Financi’Elles291 – soit des réseaux par secteurs, etc. Ils sont très actifs : déjeuners, réunions, où ils sollicitent des experts. Leur développement est récent. Il a été accéléré par la loi sur les quotas mais il ne se limite pas à cela. C’est un phénomène très positif, car ces structures font pression, portent les questions d’inégalités femmes-hommes ou de sexisme dans l’entreprise. Les déclarations292 de Laurence Parisot témoignent aussi du fait que ces questions sont désormais discutées dans les entreprises. Ces réseaux réunissent beaucoup de gens. Quand je vois les réunions organisées par « les anciennes de Sciences-Po », « HEC au féminin » … il y a à chaque fois entre 50 et 100 femmes. Elles sont très actives dans le débat, posent des questions pertinentes sur le fondement des inégalités, comment les résoudre, etc. Ce sont en général des femmes qualifiées, des femmes cadres. Les femmes en situation de précarité sont moins organisées. Ce sont plutôt les associations ou les collectivités locales qui les réunissent. En tous cas, c’est ce que je vois au travers des sollicitations qui me sont faites pour intervenir. R.S – Quel est l’intérêt de ces collectivités territoriales qui peuvent elles mêmes être prises à partie en tant que pourvoyeuse de contrats précaires ? F.M – Oui mais en même temps les collectivités territoriales soutiennent un certain nombre d’associations qui font du travail en direction de ces femmes. Qui plus est, elles sont en charge des allocations de solidarité (RSA, etc.). Les observatoires associés, comme celui de la région Nord Pas-de-Calais, et d’autres, réalisent des rapports sur la précarité.
291 Crée en mars 2011 à l’initiative de l'Association BNP Paribas MixCity et de Féminin by Société Générale, Financi’Elles est une fédération de réseaux de femmes cadres du secteur de la banque, de la finance et de l’assurance. 292 Laurence PARISOT a multiplié en effet les déclarations sur le sujet des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes durant le 1er semestre 2011. Elle revendiquait par exemple à l’occasion du 8 mars 2011 la création d’un Ministère des Droits de la femme ou encore de rendre le congé paternité allongé et obligatoire. Ou encore, le 27 juin en pleine « affaire DSK » et dans une interview au journal le Parisien, la patronne des patron-ne-s décide de témoigner du sexisme qui règne dans le milieu économique et politique, et lance aux femmes : « « N’ayez pas peur, il faut dénoncer le sexisme, qui est un racisme comme il existe un racisme contre les Noirs, les juifs ou les musulmans. ».
136
R.S – Votre analyse me fait penser à celle de Maxime Parodi dans son article paru dans la revue de l’OFCE en juillet 2010 sur la perception des inégalités entre les femmes et les hommes par les français où il relève que ceux sont les femmes très qualifiés, et à l’autre bout de la chaîne les femmes en situation de précarité, qui sont les plus sensibles aux inégalités entre les sexes et qui ont la moins grande tolérance à ces inégalités. F.M – En effet. Et les femmes cadres, elles, s’auto-organisent. Elles n’ont pas besoin de l’aide du réseau associatif, et dans les entreprises aujourd’hui cela constitue une réalité importante. Dans certains cas, elles défendent l’idée de « nommer des femmes à des postes à responsabilité pour leurs qualités particulières et parce que c’est rentable pour l’entreprise de le faire ». Elles préfèrent trouver un argument pour convaincre la direction que de développer un argument de justice sociale. C’est plus facile. R.S – Comment vous positionnez-vous par rapport aux analyses de Réjane SENAC-SLAWINSKI sur les risques portés par ce type de discours basé sur l’égalité sous condition de performer la différence ? F.M – Je suis d’accord avec Réjane SENAC-SLAWINSKI, mais il faut distinguer deux niveaux. Du point de vue du débat théorique c’est évidemment un recul. La pente est glissante vers des arguments de différences naturelles, voire biologiques. C’est la logique de ce discours. Et c’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas faire de concession sur cette question. Mais d’autres disent, en s’attachant à l’efficacité dans le concret : « peu importe l’argument qui est avancé pourvu que le résultat soit atteint : accroître la place des femmes dans les entreprises ». Je pense que cette logique de l’efficacité est trop dangereuse : on ne peut pas utiliser n’importe quel argument. C’est ainsi que par exemple, lors d’une réunion organisée à l’Assemblée nationale autour de la loi sur les quotas, nous pouvions entendre une formule redoutable « + de femmes = + de VA ». Dans les réseaux de femmes dans les entreprises, cet argument des talents spécifiques des femmes est fréquent. Elles se posent des questions et recherchent des réponses. Ces débats doivent être repris. Mais le courant différentialiste existe aussi au sein des courants féministes. C’est donc un débat à mener partout. Je pense qu’il y a une attente et un public pour de la formation continue sur ces questions. Ce serait l’occasion de donner des fondements à ce public curieux et ouvert au débat, ou encore d’expliquer à une DRH qui a le sentiment de mener une politique égalitaire comment en pratique elle exerce des discriminations directes ou indirectes. C’est un discours sur lequel on peut être entendu aujourd’hui. Je pense que les choses bougent. Tout est très lié : le fait que les politiques ou les syndicats s’emparent de la question par la force des choses, que des réseaux émergent dans les entreprises, et que des associations locales se mobilisent. R.S – Merci.
137
MJZ – Alors d’abord, la première difficulté que l’on a rencontrée quand vous reprenez la question des retraites, et la raison pour laquelle d’ailleurs on était monté quand même relativement au créneau à la délégation, est qu’au départ la question des femmes n’était même pas traitée. Pourquoi ? Parce que M. WOERTH prétendait qu’à partir du moment où l’on avait traité la question de la retraite des mères de famille, la fameuse MDA293, on avait traité la retraite des femmes. Il n’y a pas que les mères de famille qui ont des retraites. Il y a des femmes qui n’ont pas d’enfants, il y a des femmes qui ont des vies professionnelles sans conjoint. Donc je dirais que moi ma base première était de dire que je souhaitais qu’on ait une question spécifique sur les femmes. C’est que tout simplement, depuis le temps que je travaillais sur l’égalité professionnelle j’avais fais le constat, qui est une réalité que personne ne niait d’ailleurs, qu’au départ il y avait une inégalité salariale entre les hommes et les femmes tout au long de leur carrière, que ce soit à l’embauche, lors de l’évolution de leur carrière, bref dans toute leur vie professionnelle. Aujourd’hui l’écart, dans le pire des cas, peut aller entre 15 et 19%. Ce qui veut dire que fatalement au bout du compte il y a un écart au niveau des retraites. Et quand on me dit que la MDA corrigeait, bon, non seulement elle corrigeait un petit peu, elle ne corrigeait pas complètement, et depuis 2009 elle ne corrige plus rien du tout. C’est la raison pour laquelle, au niveau de la délégation, on a vraiment souhaité que la question soit abordée. Alors ça a été un combat. Tout le monde le sait. Personne ne voulait entendre parler de la retraite des femmes. Donc moi au départ j’ai souhaité que l’on fasse un rapport où l’on mettait noir sur blanc la réalité des choses. RS – Donc en fait, dès le départ, si on avait pu avoir l’impression que le Gouvernement concentrait la question des retraites des femmes à la question salariale, vous, vous allez même au-delà en remontant dans le temps et en mettant en avant que le Gouvernement avait même l’impression d’avoir déjà traité la question avec la réforme de la MDA ? MJZ – C’est ça. Lors du premier rendez-vous que j’ai eu avec M. WOERTH, il m’a dit « il n’y a pas de problème de retraite des femmes, cela a été traité avec la MDA ». Ce qui est totalement faux. Je vous renvoie vers nos recommandations que vous avez dû voir. Mais ce que moi je souhaiterais mettre en évidence, c’est qu’à l’embauche, déjà, on a une différence de salaire. Et cette différence s’accroît lors des périodes où les femmes ont des enfants et prennent leur congé maternité. Et donc, une des mesures que nous demandions nous à la délégation 293 La Majoration de Durée d’Assurance a été réformée par le Gouvernement en décembre 2009
ENTRETIEN n°4
Marie-‐Jo ZIMMERMANN qualité : Députée UMP de Moselle, Présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapporteure générale de l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes de 2002 à 2009 date : 13 juillet 2011 lieu : Assemblée nationale, Paris 7ème
138
depuis 2006, était d’intégrer dans le calcul des pensions les indemnités de congé maternité. C’était le b.a.-ba. Et j’en discutais encore pas plus tard qu’hier, je n’exclue pas également de demander de faire rentrer les congés parentaux. Parce que je ne vois pas pourquoi, puisque les congés parentaux sont des congés spécifiques d’éducation, on ne rentre pas ou au moins on ne quantifie pas le congé parental pour l’intégrer ensuite dans le calcul de la retraite. RS – Cette mesure concernant les indemnités de congé maternité annoncée par le Gouvernement en juin, a-t-elle résulté des rendez-vous que vous aviez pu avoir avec M. WOERTH ? MJZ – Non pas forcément. Il est vrai que dans la fonction politique, tout le monde s’attribue tout. Là-dessus moi je dirais simplement que je reste convaincue qu’à force de le « bassiner » aux oreilles des gens, ils se sont dit qu’il faudrait peut-être qu’on le fasse. La délégation promouvait cette recommandation depuis 2006. Il y avait également un autre aspect au niveau des retraites que l’on avait souhaité, c’était maintenir à 65 ans l’âge de départ à taux plein. Et là-dessus Denis JACQUAT294 est je crois d’accord avec moi : c’est de dire que les gens qui partent à 65 ans, ils ont bénéficié bien souvent de départs volontaires deux ans avant, anticipés, puis se sont inscrits à Pôle emploi. Donc en prolongeant jusqu’à 65 ans on va d’une part faire réaliser des économies aux caisses retraites pour aller d’autre part retirer des financements ailleurs, davantage sur la caisse chômage. Et sur la borne d’âge des 67 ans, mon opposition était là totale. Sur les retraites, ce que j’ai moi souhaité à ce moment là, est que l’on intègre dans cette loi la fameuse sanction sur l’égalité professionnelle. Parce que d’abord ce n’était pas du tout une priorité du gouvernement alors que l’on arrivait au terme de l’échéance prévue. C’était au 31 décembre 2010 qu’il fallait légiférer là-dessus, donc on ne faisait que respecter ce que l’on avait voté en 2006. Sur cet article sur l’égalité professionnelle, qui était d’abord l’article 31 et qui est devenu l’article 99 - le dernier dans les deux cas pour vous montrer d’ailleurs l’intérêt que l’on porte aux femmes - moi je suis très dubitative. Le Gouvernement a souhaité faire un geste en abaissant le seuil aux entreprises d’au moins 50 salarié-e-s. J’ai moi toujours eu comme philosophie de fonctionnement de dire que si dans les entreprises de plus de 300 salariés on arrivait à faire réaliser le rapport de situation comparée, il y aurait un effet d’entrainement automatique sur les autres entreprises. C’est-à-dire que moi j’aurais préféré qu’on s’arrête à 300 et qu’on ne fasse pas le grand geste jusqu’à 50, qu’on le fasse correctement jusqu’à 300, et ensuite éventuellement avec des aménagements de la loi de 2001 on aurait pu mettre quelques points qui auraient pu inciter les entreprises entre 50 et 300 salariés à faire ce rapport de situation comparée. Cela n’a pas été le choix du gouvernement. Sauf que quand on voit le décret d’application, excusez-moi du terme mais celui qui a fait le rapport de situation comparée est aujourd’hui le « con » de l’histoire parce qu’il a respecté la loi. Car aujourd’hui si il voit le décret et toutes les exceptions qu’il comporte - comme par exemple celle exonérant les entreprises ayant « des difficultés économiques » - il doit se dire qu’il aurait mieux fait de ne pas respecter la loi. En effet, quelle est l’entreprise française aujourd’hui qui peut dire qu’à un moment ou un autre dans le temps elle n’a pas de difficultés économiques ? C’est à pouffer de rire. C’est scandaleux. Et cela met bien en évidence que c’est un non respect des femmes. Parce que moi je continue à dire que tant qu’on ne respectera pas les compétences, tant qu’on ne respectera pas la personne en tant que telle quand on l’embauche, que cela soit un homme ou une femme, au niveau des 294 Député UMP de Moselle, tout comme Marie-Jo Zimmermann, il fut rapporteur à l’Assemblée nationale du projet de loi portant réforme des retraites
139
propositions de salaire que l’on donne, qu’on reste à la maison et qu’on arrête de faire des grands discours sur l’égalité entre les hommes et les femmes. RS – Et comment concrètement le travail de la délégation a pu peser sur cet article 31, aujourd’hui 99 ? MJZ – Je commence à connaître le mécanisme. C’est vrai qu’au niveau de la question de l’égalité, entre les syndicats, entre la délégation … on a des relais permanents entre nous et on monte régulièrement au créneau médiatiquement. Ce qui fait qu’on a une petite écoute au niveau du gouvernement. Mais je dirais que la place de la femme dans la réflexion gouvernementale elle n’est pas là. Il faut être clair elle n’est pas là. C’est toujours une demi-mesure. C’est inquiétant pour la suite. Je pense que ce n’est pas l’article 99 qui règle quoi que ce soit au niveau du rapport de situation comparée. D’ailleurs la longueur avec laquelle ce décret est sorti montre bien qu’il y a eu quelques pressions qui ont été faites qui n’ont servies à rien il faut être clair. Ce décret est un des derniers à paraître si mes souvenirs sont bons. Et il sort début juillet, vous êtes tranquilles les gens sont en train de partir en vacances, ils ont autre chose en tête et c’est pour cela que le gouvernement sait que ça passera. Ensuite, pour revenir à la réforme et à nos recommandations, sur la prise en compte des temps partiels, là il n’y a pas eu de réponse, il faut être clair. Sur la pérennisation de l’allocation veuvage ça on l’a obtenu, si mes souvenirs sont bons. Sur l’information obligatoire des salariés qui sont embauchés à temps partiels, on a relégiféré sur un point qui était déjà passé dans la loi, idem pour l’information des salariés de la possibilité de cotiser à l’assurance vieillesse sur l’équivalent du temps plein. Globalement je pense que l’on n’a pas suffisamment traité la question des retraites des femmes, et fatalement il faudra que l’on y revienne. RS – Comment jugez-vous le décalage qui pouvait y avoir entre votre travail à la délégation et votre constat de causes structurelles des inégalités salariales, et l’issue de ce débat ? MJZ – C’est un manque de volonté politique c’est tout. Je suis très claire là-dessus. RS – Alors si maintenant on oublie quelques instants les résultats, et qu’on se concentre sur les débats autour de ce sujet, pensez-vous qu’il y a eu un saut qualitatif dans la prise de conscience par l’opinion et par les décideurs de ces inégalités ? MJZ – Oui. Là automatiquement on s’est rendu compte que le gouvernement ne prenait pas en compte les femmes. RS – Et si vous deviez faire une comparaison avec la réforme de 2003 ? MJZ – En 2003 les femmes avaient déjà commencées à être lourdement pénalisées en mettant les cotisations jusqu’à 65 ans. Je l’ai moins vu passer à l’époque parce que j’étais moins sensibilisée. Je n’ai rien contre le fait que l’on prolonge. Je faisais partie des gens qui disaient que tant qu’à remuer, il fallait mieux remuer un bon coup et aller jusqu’à 63 ans, cela aurait réglé beaucoup de problèmes. Par contre il faut que parallèlement il y ait une vraie volonté politique de respecter l’égalité professionnelle. Or la volonté n’est pas là. Là-dessus on
140
peut se retourner dans tous les sens elle n’est pas là. Donc à partir de là automatiquement il va y avoir des conséquences sur les retraites. RS – Les partenaires sociaux, eux, vous ont-ils semblé plus sensibles cette fois-ci qu’en 2003 à cette question ? MJZ – Oui, parce que les partenaires sociaux eux sont en face des gens. Par exemple la CFTC a toujours été très vigilante là-dessus. La CFTC et la CGT, même FO, ont toujours été des syndicats très vigilants là-dessus. La CFDT un petit peu plus « cool ». Je les ai moins entendus. RS – J’ai pu voir que l’audition du ministre WOERTH avait été annoncée par la délégation, et que finalement celle-ci n’a pas eu lieu, pourquoi ? MJZ – En effet elle n’a pas eu lieu. Cela confirme ce que j’ai toujours pensé, c’est-à-dire que la question des femmes ne l’intéressait pas. Et les mesures qui ont été votées sur les mères de famille, excusez-moi, c’est sympathique, c’est très bien, je les encourage mais tout le monde n’est pas mère de famille, tout le monde n’a pas trois enfants. Cela serait très bien pour la démographie [rire] mais malheureusement ce n’est pas cela la réalité. RS – En épluchant la revue de presse de janvier à fin mai 2010, j’ai relevé une tribune de Christine BOUTIN dans Le Figaro parue le 26 mai 2010 – donc tôt dans le calendrier - et cosignée par 9 députés de la majorité. Cette tribune, intitulée « Les familles doivent être au cœur de la réforme des retraites », avançait deux revendications : la prise en compte des périodes de congés maternités dans le calcul des retraites, et un système de bonus à appliquer aux pensions de retraite en fonction du nombre d’enfants élevés. Deux revendications très proches des mesures prises par la suite par le Gouvernement pour répondre à ce problème public. Cet élément vous fait-il réagir ? MJZ – C’est un élément parmi d’autres. Un de ceux qui s’est rajouté et qui les a poussés à un moment donné à faire quelque chose pour les femmes. D’ailleurs ces mesures n’ont pas été prises à l’Assemblée mais au Sénat parce qu’il fallait donner quelque chose aux sénateurs. Mais ces mesures ne constituent pas la vraie prise en compte de la réalité. RS – On sent qu’il y a une divergence de diagnostic. MJZ – C’est clair. Quand vous avez un Eric WOERTH qui vous dit que le rapport du COR dit que progressivement cela va se rapprocher, cela veut dire qu’il ne connaît pas la réalité. C’est l’argument que m’a toujours rétorqué Eric WOERTH en avançant que le rapport du COR était clair sur ce point. Sauf que le rapport du COR est mensonger quand on regarde la réalité. A partir des années 80 on rentre vraiment dans un système de temps partiels. Et à partir du moment où on est dans le temps partiel, fatalement on ne va pas vers une amélioration du système. RS – L’approche que vous exposez était-elle partagée au sein de la délégation ? MJZ – Oui. Le rapport a été voté, comme les autres, à l’unanimité.
141
RS – Je reviens sur la question d’un éventuel saut qualitatif dans la prise de conscience des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes qu’ont pu générés les débats autour de cette réforme des retraites. Pour vous y’a t-il eu saut qualitatif ou parleriez-vous plutôt d’une forme de continuité ? MJZ – D’une continuité. C’est le problème aujourd’hui du système médiatique. A un moment cela fait le cœur du débat, puis il y’a un autre sujet qui arrive et puis ça repart. Et puis cela revient régulièrement quand on a des situations individuelles qui se présentent et où la précarité est mise à jour. Attendez, vous avez des femmes qui demandent leurs droits à la retraite et qui sont dans des situations financières … vous êtes en dessous du minimum vieillesse. Il y a là quelque chose qui ne va pas.
142
R.S – Pourriez-vous s’il vous plaît dans un premier temps présenter à quel titre êtes-vous intervenue durant la dernière réforme des retraites ? C.R – Je suis à l’Observatoire depuis juillet 2008. En tant que chargée d’études, j’ai été amenée à travailler sur le dossier des retraites du mois de mars 2010 jusqu’à la présentation des recommandations de l’Observatoire fin septembre 2010. Comme il s’agissait d’un sujet particulièrement technique, nous avons commencé à travailler tôt dès que la réforme des retraites a été inscrite à l’agenda politique. Nous avons voulu voir quelle était la situation concrète des femmes en matière de retraites et quelles étaient les pistes possibles, et suivre concrètement comment le gouvernement allait traiter cette question des retraites. Il est ressorti de ces premières études que la situation était très inégalitaire entre les femmes et les hommes, avec des écarts très importants en matière de pensions et de trimestres, en tout cas pour celles qui venaient de partir à la retraite. La principale difficulté que nous avons rencontrée pour ce travail réside dans les quelques données disponibles ; seules les femmes qui ont déjà cessé leur activité sont prises en compte, par conséquent une génération particulière dont l’étude n’est pas nécessairement transposable aux générations à venir. Il n’existe pas vraiment de projections et leur absence rend délicate l’élaboration d’une réforme justement pour les futures générations de retraité-e-s ; point sur lequel nous avons tenté d’alerter le gouvernement. Chantal BRUNEL a été nommée rapporteure générale en mars 2010, et elle a souhaité très tôt, dès fin mars –début avril, prendre contact avec le cabinet du ministre du travail, Eric WOERTH. Je ne suis pas convaincue que nous y soyons parvenues. Sur les deux premiers articles (12 et 13), seul le second posait problème puisqu’il risquait de revenir sur les dispositions déjà existantes. Le premier était plutôt consensuel. Il portait sur l’intégration des indemnités de congé maternité dans le calcul de la retraite. Cette disposition va concerner 1,6% de femmes, c’est minoritaire mais en soi, c’est plutôt une bonne chose. R.S – Cette mesure a donc été intégrée dès le tout premier texte ? C.R – Cette mesure-ci, oui. En fait, le texte a fait l’objet d’une concertation – le poids des mots est important - des organisations syndicales, mais pas de négociation. C’est-à-dire qu’elles ont fait part au gouvernement de ce qui leur apparaissait important dans cette réforme. R.S – Sur l’égalité entre les femmes et les hommes ?
ENTRETIEN n°5
Caroline RESSOT qualité : Secrétaire générale adjointe de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes à l’époque de la réforme, devenue depuis Secrétaire générale de l’Observatoire de la Parité entre les femmes et les hommes date : 22 juillet 2011 lieu : Observatoire de la Parité, Paris 7ème
143
C.R – Non, de manière globale. D’ailleurs, cette question de l’égalité n’a pas forcément été abordée, son traitement dépendait de chaque syndicat. On sait que la CFTC avait nommé Pascale COTON – membre de l’Observatoire - comme référente « retraites » (la seule femme autour de la « table des négociations »). Et effectivement, elle s’est sensibilisée à l’égalité F-H et elle a essayé d’être particulièrement active sur cet aspect particulier de la question. Mais nous avons pu constater que les syndicats n’étaient pas particulièrement impliqués pour lutter contre les inégalités. C’est qu’une fois que les féministes et un certain nombre de personnes se sont émus de cette situation d’inégalité, et notamment des dispositions prévues dans le texte, que ce point est devenu un élément du débat public. L’article 13 (devenu l’article 31 puis 99) constituait un recul. C’était une aberration. Il supprimait le délai du 31 décembre 2010 sans vraiment rien proposer à la place. Pourtant, le gouvernement nous présentait comme une avancée ce qui était, en fait, un recul puisqu’il revenait sur les obligations qui étaient en cours. C’était invraisemblable. On s’est alors demandé s‘il leur avait manqué des éléments pour aboutir à un tel article ou s’il y avait une démarche cachée pour remettre en question des droits qui nous semblaient acquis. Si l’égalité professionnelle devait être intégrée dans ce texte, il nous semblait que ce devait être renforcer les dispositifs existants. Cette tactique était surprenante et relevait d’une méprise ou d’un mépris. Le gouvernement, dans ces éléments de communication, expliquait, par exemple, pour justifier ce choix, que « les femmes bénéficient gratuitement d’avantages comme la majoration de la durée d’assurance etc. ». Devant une telle formulation, nous avons alors indiqué à Chantal BRUNEL que l’on trouvait cela particulièrement choquant puisque pour bénéficier de majorations d’assurances ou autres systèmes similaires – qui ne sont pas des avantages mais des droits acquis - il faut remplir un certain nombre de conditions et que vous ayez cotisé, donc travaillé. La notion de gratuité était d’autant plus choquante qu’elle était clairement mise en face de la situation des femmes. C’était un peu : « quand même elles exagèrent, on fait déjà beaucoup de choses pour elles, en plus gracieusement, donc elles pourraient nous en être reconnaissantes et s’en satisfaire ». R.S – L’égalité professionnelle n’est pas le « cœur de métier » de l’Observatoire de la ¨Parité n’est-ce pas ? C.R – Si l’Observatoire est principalement connu pour son travail sur la parité politique, les membres ont toujours travaillé aussi sur l’égalité professionnelle, même si peu de travaux ont été diffusés sur le sujet, et ce, depuis 1995. R.S – Donc l’Observatoire avait toute la légitimité nécessaire pour interpeller le gouvernement sur la question des retraites ou pour être consulté ? C.R – D’une certaine manière, oui. Dans la mesure où le gouvernement n’a pas souhaité nous saisir, d’autant que nous ne faisons pas partie des instances à consulter, comme le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, nous nous sommes autosaisi. Ce Conseil avait d’ailleurs été consulté dès l’avant-projet. L’article 13 avait créé des remous. Nous avions réussi à nous procurer l’étude d’impact, obligatoire aujourd’hui pour tous les projets de lois. Le problème c’est que c’était une étude d’impact générale, et elle n’était pas vraiment genrée. Elle était assez rudimentaire ou semblait avoir été établie dans l’urgence. Or, c’est un travail qui, s’il veut analyser finement les conséquences possibles, prend un minimum de temps pour consulter un certain nombre d’experts et d’acteurs sensibles à ce sujet. Il n’y avait rien, par exemple, sur les possibles conséquences différenciées entre
144
femmes et hommes du report des âges de départ à la retraite à 62 et 67 ans. Il n’y avait pas une ligne sur ce sujet. Les seuls éléments dont on disposait, relatifs aux droits des femmes et à l’égalité, étaient en lien avec les articles spécifiques (art. 12 et 13). S’agissant de l’article 13, les éléments présentés ne constituaient pas vraiment une étude d’impact mais davantage une explication de texte. Cela n’est certainement pas dû au hasard … Chantal BRUNEL a demandé un certain nombre d’audiences au ministre Eric WOERTH. L’Observatoire avait demandé par courrier un « mercredi des retraites » consacré à la question des femmes. Si nous pouvions avoir des contacts directs avec les conseillers sociaux à Matignon, les relations semblaient plus difficiles avec le cabinet d’Eric WOERTH. Cela n’aura probablement pas été sans conséquence. R.S – Vous semblez au regard de vos réponses balancer entre l’hypothèse de l’impensé de la question de l’égalité des sexes chez le cabinet WOERTH, et celle de la volonté de non-prise en compte. Pensez-vous qu’il y avait prise de conscience ou non du caractère inégalitaire de la situation de départ des femmes, et de l’aggravation de cette situation qu’allait entraîner la réforme ? C.R – Je ne peux faire part que de mes impressions puisque je n’ai pas eu de contact direct avec le cabinet d’Eric Woerth. J’aimerais croire qu’il ne s’agit que d’impensé. Déjà, en soi, je trouve cela assez problématique. Mais à partir du moment où les argumentaires, les éléments de langage sortent, et sortent très tôt, avec des arguments comme celui de la gratuité… Je ne peux que m’interroger sur la volonté affichée, plutôt une démarche consciente. Ils étaient capables de nous sortir les éléments du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) en arguant qu’il y avait bien des inégalités mais qu’elles se résorberaient « naturellement ». L’argument que les carrières allaient à l’avenir être complètes pour tout le monde était assez dangereux. Rien n’est garanti. Et ce qui était d’autant plus troublant c’était d’avoir le sentiment qu’ils ne voulaient pas du tout prendre en compte l’aspect du temps partiel. Le dernier rapport de l’Assemblée nationale sur la question du temps partiel fait ressortir que la part des femmes qui ont aujourd’hui une cinquantaine d’années, qui pour beaucoup ont interrompu leurs carrières professionnelles pour s’occuper des enfants, qui sont revenues à l’activité professionnelle tard, sont souvent revenues à temps partiel. Donc ces femmes là, qui ne sont pas prises en compte par le petit créneau de femmes qui pourront partir à 65 ans avec une retraite à taux plein, elles vont être la génération de femmes complètement sacrifiées. Elles, d’une génération où s’arrêter pour s’occuper de ses enfants était quand même franchement la norme, ont dû souvent se battre pour reprendre une activité professionnelle. Et cette reprise a généralement lieu vers 45-50 ans, le plus souvent à temps partiel. Et si elles arrivent à avoir du travail, elles auront encore à travailler 20 ou 25 ans, au minimum et pour quel niveau de pension de retraite ! C’est pourquoi Chantal BRUNEL s’est beaucoup battue sur la question de l’article 20 sur la question de l’âge de départ à taux plein à 65 ans et la limitation du recours au temps partiel. Sa première proposition a été reprise mais pas la seconde. R.S – D’après les premiers éléments de ma recherche documentaire, Eric WOERTH avance que les femmes concernées ne sont pas les femmes précaires mais des femmes aux situations confortables ou des femmes fonctionnaires. C.R – J’ai l’impression depuis le début qu’ils ont toujours cherché à minorer la situation. Au vu des éléments et des arguments avancés, on était en droit de se demander dans quel monde ces personnes vivaient. Même s’ils ont fait mine de se pencher sérieusement sur la question en recevant des expert-e-s à l’occasion d’un petit déjeuner, le fait qu’il n’y ait pas
145
eu comme les autres sujets un « mercredi » d’organisé, tend à penser à une volonté d’invisibiliser le sujet. C’est pourquoi, je persiste à penser qu’il ne s’agit pas d’impensé mais bien d’une démarche consciente. Comment cette réforme pouvait-elle être égalitaire, voire juste, si elle méconnaît à ce point les inégalités ? Et quand bien même, s’ils avaient vraiment voulu faire une étude de genre, ils se seraient intéressés également aux hommes puisqu’aujourd’hui l’idée d’une carrière continue ne correspond plus à rien. D’abord la question du temps partiel s’est élargie et ne concerne plus « exclusivement » les femmes quand bien même elles représentent l’immense majorité des personnes à temps partiel. Ce phénomène de précarisation de l’emploi se développe aussi chez les hommes. Les carrières continues, malheureusement, avec la crise, sont-elles encore la norme ? C’est l’ensemble de notre système de protection sociale qui est vieux, fondé sur un schéma daté dont l’archétype était un homme faisant une carrière continue. R.S – Pensez-vous que cela ait pu être une stratégie de défense de la part du gouvernement qui a pu avoir peur en tirant cette ficelle là d’en tirer avec beaucoup d’autres ? C.R – C’est une question d’égalité tout court, et de fraternité – même si cette dernière partie de la devise française est largement oubliée alors que notre système de protection sociale repose sur cette fraternité. Ce dernier point a été peu abordé, les débats sont restés en surface. C’est pourquoi, Chantal Brunel a tenue à se mobiliser. R.S – Jugeriez-vous que sa stratégie a varié entre mars et octobre ? Peut-être au gré de sa prise de conscience de la situation des inégalités entre les sexes à la retraite, puisque son arrivée à l’Observatoire était toute récente. C.R – A partir du moment où nous lui avons dépeint la situation de façon précise, la question de son engagement et de sa mobilisation ne s’est même pas posée. C’était évident. A partir du moment où nous lui avons démontré qu’il y avait des inégalités et que le discours du gouvernement était en décalage avec la réalité, elle a fait des démarches auprès des différents ministres, Premier ministre, et Eric WOERTH. Mais il est vrai, et c’est ce qui fait la grande différence que l’on a vraiment senti au groupe de travail à l’Observatoire, qu’il y avait deux grandes tendances, deux grands « courants ». De façon schématique, il y a celles à droite, plutôt conservatrices et « familialistes », qui restent sur un schéma dans lequel la femme est d’abord une mère, ensuite une travailleuse, et éventuellement une citoyenne. Le mesure la plus évidente pour elles, c’était les questions du temps plein et des durées d’assurance. Puisque ces femmes se sacrifient pour leurs enfants, elles trouvent assez normal de faire quelque chose pour limiter un peu la casse. R.S – Avez-vous été soutenues, notamment à droite, sur cette approche là ? C.R – Oui. Y compris à gauche d’ailleurs. Disons que c’était un peu le minimum. En tout cas au sein de l’Observatoire. Ce n’était pas la mesure favorite mais c’en était une. Il fallait se battre sur tous les fronts. Il fallait bien essayer de voir ce qui allait être audible par le gouvernement. Cette proposition manifestement l’était puisqu’elle correspond à des codes et des schémas familiers. Mais les membres ont souhaité, au moins ceux et celles impliqués dans le groupe de travail qui a été constitué, qu’il était nécessaire de changer de paradigme. Il faut arrêter de concevoir les femmes d’abord comme des mères, ensuite comme des travailleuses, après comme des citoyennes. D’abord elles sont des citoyennes. Elles cotisent, elles travaillent, etc. Elles sont impliquées dans la société donc à ce titre il faut penser l’égalité. « Comme des travailleuses » : bien sûr puisqu’une grande majorité
146
travaille aujourd’hui, surtout lorsqu’elles ont entre 2 enfants et moins. La situation actuelle du marché du travail nous incite à repenser notre système de protection sociale, pensé sur un schéma masculin, qui a encore du mal à considérer que les femmes travaillent. Les mesures qui ont été reprises sont donc des mesures de rattrapage, familialistes. Pour l’avenir, il serait bien de travailler différemment, plus en profondeur pour avoir une vraie égalité qui permettrait d’arriver à une égalité de pension. C’était sensé être un peu l’idée poursuivie par l’article 13, aujourd’hui devenu 99, sur la question des sanctions sur cette part d’égalité professionnelle. Les membres se sont dit qu’il fallait profiter de cette opportunité pour proposer un système de sanction. Heureusement, objectivement, qu’il y a une Délégation droits des femmes à l’Assemblée nationale et au Sénat. Car seul, l’Observatoire n’aurait rien pu faire. C’est parce que nous avons pu travailler à différents niveaux et ensemble que nous avons pu faire évoluer un peu le texte. Difficilement et péniblement, et de façon insatisfaisante encore aujourd’hui, d’autant que le décret vient de sortir … et nous laisse peu d’espoir sur sa mise en œuvre. Déjà le texte de loi tel qu’il avait été fait comprenait tellement de conditions que nous savions d’ores et déjà qu’il serait inapplicable. Cela faisait d’ailleurs partie très tôt de nos revendications. Dans différents communiqués de presse ou dans notre rapport nous avons attiré l’attention sur les conditions présentes dans le texte qui le rendait pour ainsi dire inopérant. Est-ce que c’est volontaire ? Nous avions bien compris que les sanctions étaient symboliques plus qu’un véritable objectif. Une des satisfactions, quoique relative, c’est que l’égalité au moment des retraites et plus largement tout au long de la vie professionnelle entre les femmes et les hommes a investi le débat politique et public. Ces débats n’étaient peut-être pas vain. Le résultat est toutefois très frustrant car très en deçà des objectifs que l’on s’était fixés mais c’est quand même ça. Et concernant le décret, ça aurait été très étonnant d’avoir un décret qui aille plus loin que le texte. R.S – Marie-Jo Zimmermann me disait : « Sur quel autre sujet verrait-on un article après une loi qui a rendu déjà obligatoire la négociation sur l’égalité professionnelle, prendre acte des entreprises qui ont été respectueuses de la loi, et laisser à celles qui n’ont pas été respectueuses de la loi un temps supplémentaire sans les sanctionner. » Elle relevait que les entreprises qui ont respecté la loi sont un peu aujourd’hui les dindons de la farce. Ne pensez-vous pas en effet que l’outil de la loi est décrédibilisé ? C.R – Sauf que là concrètement ce que dit le texte c’est que les entreprises doivent être en conformité avec le texte au 1er janvier 2012. Elles doivent avoir un accord collectif pour un plan d’action. Au 1er janvier 2012, toutes les entreprises doivent avoir au moins un plan d’action. Après il va falloir voir comment concrètement, les entreprises sont aidées à remplir cette obligation. Il y en a beaucoup, surtout chez les petites, qui disent « comment est-ce qu’on fait un accord sur l’égalité professionnelle ? Qu’est ce que cela doit comprendre ? Qu’est ce qu’on fait dans un plan d’action ? Ca veut dire quoi se fixer des objectifs ? ». S’il est important de fixer une obligation légale, encore faut-il l’accompagner des outils qui permettront aux acteurs de la respecter. A partir du 1er janvier 2012, concernant les entreprises qui ne seront ni couvertes par un accord, ni par un plan d’action, pour qu’il y ait sanction, cela suppose que l’inspection du travail s’y déplace. Dans nos recommandations, nous avions signalé qu’il faudrait déjà donner des moyens à l’inspection générale du travail pour cela. Donc, si tant est qu’elle se déplace, il faut que le contrôle porte aussi sur l’égalité professionnelle. Etant donné qu’ils ont énormément de choses à contrôler, il faut encore qu’ils aient le réflexe de contrôler ce point-ci. Ensuite, l’entreprise a encore au maximum six mois pour faire cet accord ou ce plan d’action. Et la sanction intervient seulement si le directeur de la DIRECTE (Direction régionale des entreprises, de
147
la consommation, du travail et de l’emploi) estime qu’il y a matière à sanction. Et quand bien même, si l’entreprise estime que son chiffre d’affaire est insuffisant et risquerait de fermer, cela pourra être considéré au titre des excuses possibles et prévues par le texte et déboucher sur une exemption de sanction pour cette entreprise. Et si sanction il devait y avoir, c’est au maximum 1% des gains et rémunérations à condition que l’entreprise communique ses données à la DIRECTE. Elle peut ne pas les transmettre, et dans ce cas là, la DIRECTE se base sur le salaire moyen du plafond de la SECU. Concrètement, s’ils ont mis six mois pour finalement faire un plan d’action – dont il faudrait encore vérifier le contenu – la sanction va être calculée sur ces six mois et s’élever au maximum à environ 35 000 euros… En même temps, au vu des débats, du texte, de la volonté politique affichée – c’est-à-dire de prendre un petit peu en question mais pas trop – nous ne pouvions pas attendre d’autres résultats. R.S – Quel regard portez-vous sur la mobilisation durant ce mouvement des retraites, notamment par rapport aux débats entourant la réforme de 2003 ? C.R – La question n’était pas très présente en 2003. Après recherches et ce que l’on a pu glaner comme informations, ce n’est pas un sujet qui a été pris en compte. En 2010, les acteurs et actrices spécialistes des questions d’égalité, tant les institutions comme les délégations parlementaires, l’Observatoire, que les associations, étaient déjà informés et mobilisés. En ces temps de crise, le projet qui ne prenait pas en compte le travail des femmes était tout simplement perçu comme insupportable pour bon nombre de personnes, surtout les femmes. Elles cotisent, travaillent, cumulent les responsabilités familiales, professionnelles, parfois aussi associatives, sociales … et que tout cet investissement ne se retrouve pas au moment de la cessation d’activité est paru simplement impossible, voire insultant, d’une certaine manière. Un certain nombre de femmes, y compris de jeunes femmes, ont pris conscience que c’était une question qui les concernait toutes personnellement. Cette mobilisation a tout de même contraint le gouvernement a faire quelques concessions, celles qui lui était possible de faire, celles fondées sur une idéologie conservatrice et dans la continuité d’une modification passée un peu sous silence en décembre 2009. Dans le projet de loi de finances 2010, sous couvert d’égalité entre les femmes et les hommes, le gouvernement était revenu sur une disposition plus favorable aux femmes, parce que mesure de rattrapage… A l’automne 2010, l’article 20 est modifié pour un départ avancé pour les femmes d’une génération bien définie qui a interrompu sa carrière pour élever deux enfants et plus. Il était assez aisé de consentir à cette demande parce que les hommes en bénéficient aussi ou peuvent en bénéficier… En soi, c’est une mesure juste que de pouvoir obtenir cette majoration pour tout parent qui suspend, met entre parenthèse ou interrompt son activité professionnelle pour s’occuper de ces enfants. En tant que juriste je ne peux que valider le texte. Et pour viser un objectif d’égalité il faut effectivement que des hommes puissent aussi s’arrêter s’ils le souhaitent pour s’occuper de leurs enfants. Là-dessus je ne peux qu’être pour. Mais c’est la façon dont cela a été présenté, le discours, qui m’a déplu. On disait « du coup les hommes pourront bénéficier aussi de cette mesure ». Je trouve qu’il aurait fallu être honnête et dire que sur cette génération295 il n’y a pas ou très d’hommes qui se sont arrêtés de travailler pour éduquer ses enfants. Ce que j’ai trouvé moi particulièrement déplaisante c’est la communication utilisée par le gouvernement pour minorer la question des inégalités, et salariales, et professionnelles et d’accès aux 295 la mesure concerne les personnes nées entre le 1er juillet 1951 et le 31 décembre 1955 ayant trois enfants et ayant interrompu une activité professionnelle à des fins d’éducation, etc.
148
responsabilités, etc. Pour eux, c’était réglé, tout le monde allait avoir des carrières complètes, peut-être même plus les femmes que les hommes. Comment pouvaient-ils dire cela ? Et le temps partiel à quel moment le prennent-ils en compte ? R.S – Pourriez-vous me parler du calendrier de la réforme ? C.R – Si on part du mois de juin. Le gouvernement dépose le texte à l’Assemblée nationale le 13 juillet si mes souvenirs sont bons. Le texte passe en commission des affaires sociales fin juillet. Il est adopté en vitesse, presque en « catastrophe ». C’est mis à l’agenda au tout début septembre. Il n’y a absolument pas de concertation possible, de possibilités de travailler en partenariat parce que tout simplement il n’y a pas le temps. Nous avons travaillé dans la précipitation tout le mois de septembre pour rendre nos recommandations le 20 septembre. Ce calendrier « précipité » est incroyable. Cette réforme était présentée comme une réforme de fond et elle est élaborée et votée dans la précipitation. C’est la même chose sur le travail des amendements, il a fallu le faire vite. Je suivais les différents dépôts d’amendements. J’en faisais part aux différents groupes de travail pour qu’ils voient comment stratégiquement, dans chacune des assemblées, qui pouvaient soutenir quoi, comment. Il y avait un groupe de travail dédié à la réforme des retraites à l’Observatoire qui s’est mis en place fin août-début septembre. L’installation des membres s’est faite début juillet. Il y a eu la pause estivale. Fin août, nous transmettions aux membres les premiers éléments sur la réforme. Puis il y a eu trois réunions du groupe de travail le 1er, le 8, puis le 16 septembre. Entre ces réunions il y avait des discussions, des échanges. Et je leur faisais passer toutes les semaines un point sur la presse, les amendements, les textes adoptés, où on en était, les différentes déclarations des unes et des autres … justement pour assurer un relais entre les membres. R.S – Au-delà du calendrier qui de votre point de vue a constitué un vrai obstacle, la situation de vacance qu’a connu l’Observatoire, et le fait que vous soyez au moment des premiers débats sur les retraites en pleine mise en place de la nouvelle Rapporteure et des nouveaux membres a-t-elle pu aussi jouer sur votre capacité à peser dans ces débats ? C.R – Cela n’a pas vraiment posé de problème non. Parce qu’on était au tout début du mandat des membres, on a eu quasiment la moitié des membres qui se sont inscrits au groupe de travail. On a eu un groupe de travail dense, mobilisé. C’était la première fois, pour ma part, que je voyais un groupe de travail aussi investi. Et justement, compte tenu de l’urgence, tout le monde s’est mobilisé tout de suite, en bloc, et malgré les divergences il y a vraiment eu un moment d’échange pour arriver au document final. En fonction des sujets, c’est possible de travailler tous ensemble. Là, par exemple, il y avait deux approches différentes, mais comme il fallait parvenir à quelques points, il fallait trouver des compromis, des consensus. Les membres se sont concentrés sur ce qu’il était possible de faire et ce qui était audible par le gouvernement. Et c’est grâce à cela que l’on a pu avancer et faire pas mal de choses en aussi peu de temps. On a fait des communiqués de presse, des notes … les journalistes nous ont beaucoup appelés afin qu’on leur explique les choses. Mais pour ce qui nous préoccupe ici, c’est-à-dire pour l’intégration de perspectives de genre dans l’élaboration des politiques publiques, cela nécessite d’autres manières de faire, une approche genrée de l’élaboration d’une politique publique jusqu’à son suivi et son évaluation. Il faut de vrais échanges entre les différents acteurs mobilisés. Et tout cela prend du temps et ne peut pas se faire dans la précipitation. C’était une réforme importante. Et la faire en un mois, car concrètement elle s’est faite en un mois, trois si l’on prend
149
depuis la présentation du projet jusqu’à son adoption, ce n’est tout simplement invraisemblable. R.S – Quand l’avant projet de loi a été transmis aux syndicats, il ne vous a pas été spontanément transmis ? C.R – Non ! Si mes souvenirs sont bons il a fallu que l’on passe par le service aux droits des femmes pour se procurer l’avant projet de loi. Et certains de nos membres, avant même qu’ils soient nommés, ont commencé très tôt à s’impliquer pour nous alerter sur des sujets et nous ont fait passer des dossiers. Il faut que l’on passe en force. On a quand même un certain nombre de saisines. On a eu une saisine de Roselyne BACHELOT sur la dépendance, de DE RAINCOURT sur genre et développement. Là clairement non. R.S – Auriez-vous un regret par rapport à cette séquence des retraites ? C.R – Au vu des différents éléments, et au-delà de mon regret personnel concernant cette réforme qui ne me satisfait pas, du point de vue Observatoire je crois qu’on a vraiment fait tout ce que l’on était en mesure de faire compte tenu du contexte, des alliances possibles ou pas… Nous aurions peut-être pu travailler de manière encore plus étroite avec la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale. Nous avions déjà travaillé sur la question des retraites à l’automne précédent – 2009 – dans le cadre du projet de loi de finance avec la réforme de la fameuse majoration de durée d’assurance (MDA) suite à l’arrêt Griesmar de 2001. Nous avions vraiment travaillé en concertation et fait un groupe de travail qui regroupait les trois délégations aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, du Sénat et du CESE (Conseil économique, social et environnemental). Nous n’avions pas de rapporteure générale à l’époque. Nous avions notamment fait une note juridique que la question de la MDA pour expliquer pourquoi il nous semblait que la France pouvait mettre en place des actions positives. Mais ce point reste tabou. Si j’ai un regret, d’un point de vue juridique, c’est ça. Déjà en 2009, se présentait une occasion, et là c’était une nouvelle occasion pour mettre en place des mesures d’actions positives temporaires, pro-actives, et nous n’y sommes pas arrivés. Cela suppose une volonté politique. C’est en ce sens que le droit européen et la politique européenne sont intéressants car on est vraiment dans la politique du droit ou le droit politique. C’est-à-dire qu’il y a une vraie interaction entre les deux : le droit est susceptible de servir à la politique et inversement. Mais comme l’Union européenne est encore mal perçue, et le droit encore plus, qui apparaît abscons … Cela constituerait pourtant une avancée notoire pour les droits humains. Mais nous sommes en France, et nos droits de l’Homme semblent parfois conservés dans du formol… L’Union européenne nous montre la voie…
150
R.S – De façon générale, et plus d’un an après le débat de ce mouvement social, quel regard et quel bilan pouvez-vous tirer de ce mouvement sur les retraites? Et pourriez-vous m’indiquer la façon dont vous vous y êtes impliqué, et si vous vous y étiez impliqué lors des précédentes réformes de 1993 et 2003 ? Le mouvement des retraites, d’abord il s’est construit. La particularité de ce mouvement c’est qu’on a d’abord une masse de salariés qui se sont mobilisés sur ce dossier retraite, on a eu la durée, parce que c’est un mouvement qui a duré quasiment toute l’année 2010 sur le sujet des retraites, et troisième particularité c’est qu’on a tenu en intersyndicale à 8 organisations ce qui était une première dans le paysage social en France. Donc effectivement ces trois particularités ont fait ce que l’on a qualifié, nous, de mouvement inédit, à juste titre me semble t-il. Le mouvement il s’est construit à partir d’une analyse très claire et très simple du dossier et de la présentation qu’en a fait à la fois M. SARKOZY et le Premier ministre à l’époque, donc on a jugé que la réforme était inefficace, injuste, et allait justement pénaliser très fortement les plus précaires, les femmes notamment. Pour différentes raisons : d’abord, le fait de durcir réformes après réformes les droits à retraite fait qu’on a des salariés qui, quand ils liquident leur retraite, ont une baisse du niveau des pensions. Alors cela a commencé en 1993 avec la réforme BALLADUR qui à partir de deux mesures a coûté extrêmement cher aux salariés : la 1ère c’est le passage des 10 dernières années aux 25 meilleures années – qui a coûté quasiment 16% de niveau de pension quinze ans après – et la 2nde c’est l’indexation sur les prix plutôt que sur les salaires ce qui fait qu’il y a un décrochage entre niveau de revenus quand on est en activité et niveau de pension quand on est à la retraite. Donc ces deux mesures là ont couté plus de 20% de niveau de pension aux retraités. Bon après il y a eu les autres réformes qui ont effectivement amplifié les mesures, notamment celle de 2003 que l’on a fortement combattue aussi à l’époque, qui a finalement conduit à ce que les salariés aujourd’hui aient une double peine puisque l’on a à la fois un recul de l’âge de départ à la retraite, et un allongement de la durée de cotisations notamment la dernière mesure qui est passée pendant l’été – 3 juillet je crois - qui a consisté à allonger pour la génération 1956 la cotisation à 41 ans et demi. Cela était prévu dans la réforme de 2003 qui prévoit d’adapter la durée de cotisation en rapport avec l’allongement de l’espérance de vie. Donc cela nous pose forcément un problème parce que dans tous ces mécanismes finalement quand on regarde ce que sont les parcours professionnels des salariés aujourd’hui, on voit bien finalement que le but n’est pas tant d’allonger l’âge de départ à la retraite que de baisser le niveau des pensions. Et ce qui montre bien ça, c’est que quand on regarde ce que sont les carrières des salariés du privé on a 60% des salariés qui à l’âge de 60 ans sont au chômage. Donc forcément quand on a allongé l’âge légal de départ en retraite à 62 ans ça veut dire que pour 60% des salariés on a maintenu ces salariés là dans le chômage. Et voir pour certains d’entre eux, on va les faire passer à l’ASS (Allocation spécifique de solidarité) parce que l’AER (Allocation équivalent retraite) a été supprimée. Selon les chiffres de l’UNEDIC 8700 personnes sont concernées aujourd’hui et risquent de
ENTRETIEN n°6
Eric AUBIN qualité : Secrétaire confédéral CGT chargé des retraites date : 31 août 2011 lieu : Siège de la CGT à Montreuil
151
basculer à l’ASS voire sans revenus du tout puisque l’ASS est conditionnée aux revenus du ménage. Donc pour quelqu’un qui a sa femme qui travaille, il se peut qu’il n’ait plus du tout de revenus en attendant qu’il atteigne l’âge légal de départ en retraite. Donc on voit bien que la réforme des retraites finalement elle a des conséquences dramatiques pour nombre de salariés. Donc cela on l’a dit. Deuxième élément, je ne refais pas tout le détail sinon j’ai une présentation de trois quarts d’heure, c’est la question de la pénibilité dont on dit qu’elle n’a pas été traitée effectivement dans le dossier retraites – ce que partagent d’ailleurs les autres organisations syndicales – puisque là finalement on a abouti à avoir un dispositif « invalidité bis » avec des contraintes extrêmement lourdes pour que les salariés puissent faire valoir leurs droits à rentrer dans le dispositif. Donc là aussi on peut considérer que les plus précaires, les salariés les plus en bas de l’échelle – puisque bien souvent on retrouve là-dedans les ouvriers, les ouvrières qui sont pour certaines d’entre elles payées au SMIC tout au long de leur carrière et qui au bout du compte ne vont pas pouvoir faire valoir leurs droits à 60 ans ce qui est prévu dans la loi parce qu’elles ne pourront pas répondre aux conditions qui sont fixées : avoir une invalidité d’au moins 10%. Au-delà de 20% elles peuvent partir à 60ans. Entre 10 et 20% il y a des conditions particulières : il faudra prouver qu’elle aura été exposée pendant 17 ans, qu’il y a un lien de causalité entre le poste de travail et l’invalidité qui doit au moins être à 10% sur un seul taux d’incapacité, passer devant la commission pluridisciplinaire où il n’y a pas les organisations syndicales de salariés, donc ceux sont les représentants de l’Etat notamment qui vont être là-dedans… Donc on voit bien que toutes les conditions ont été faites pour qu’il y ait un minimum de salariés qui puissent prétendre partir avec le dispositif. Donc le chiffrage dans la réforme des retraites c’étaient 10 000 salariés par an à l’origine, 20 à 30 000 avec la tranche de 10 à 20%. Nous ce que l’on constate aujourd’hui en interrogeant quelques camarades qui sont dans les CARSAT (caisse d’assurance retraite et de santé au travail) – puisque les dossiers vont passer dans les CARSAT – c’est que dans une CARSAT comme en Rhône-Alpes par exemple, aujourd’hui ils ont six dossiers … Alors certes il y a la méconnaissance du dispositif puisque le salarié lambda ne sait pas vraiment comment faire, quel dossier il faut amener etc. Mais on va avoir une limitation du nombre de dossiers qui vont passer. C’est pour ça que cette réforme on l’a considérée injuste. Inefficace également puisque le problème qui est pour nous posé en matière de retraites ce n’est pas tant la question des dépenses que le problème des ressources. On l’a dit dès 1993. A partir du moment où on se refuse à faire une réforme du financement de la protection sociale et plus principalement du financement du régime de retraites, on va effectivement avoir un problème. Il y a de plus en plus de retraités qui vivent de plus en plus longtemps, donc si on ne trouve pas de nouvelles ressources on aura des droits qui baisseront, c’est automatique. Donc pour nous la solution vient d’une réforme du système de financement avec des propositions que vous devez connaître et qui sont sur notre site internet. Il y’a notamment l’élargissement de l’assiette, la modulation des cotisations, la mise à contribution des revenus financiers, l’augmentation des cotisations. Et avec une autre politique d’emploi pour le long terme, puisque pour nous rien ne sera finançable si l’on n’a pas une politique de l’emploi créatrice d’emplois. Il est sûr que si l’on reste à 4/5 millions d’exclus du monde du travail on va avoir un énorme souci pour financer notre système de protection sociale. Ce n’est pas pour rien aujourd’hui qu’on nous parle d’une grande réforme fiscale où il y’aurait une part du financement de la protection sociale qui proviendrait de l’impôt. R.S – Vous avez participé à ce mouvement et à la concertation avec le gouvernement en tant que chargé du dossier retraites pour la CGT et en tant que membre de la commission exécutive de la CGT ? Alors j’ai effectivement moi conduis la délégation qui a négocié – j’emploi un mot qui n’est pas juste d’ailleurs – qui a rencontré le ministre et son directeur de cabinet. Nous avons
152
d’ailleurs bien plus souvent rencontré son directeur de cabinet, M. Sébastien PROTO, que le ministre lui-même que l’on a rencontré seulement deux fois. Il laissait son cabinet rencontrer les organisations syndicales, et pour cause ils ont décidé dans la méthode de mettre en place une concertation mais en aucun cas une négociation ou y compris un échange de points de vue ou de propositions. Nous nous avions proposé à ce qu’il y ait des plénières, sans rejeter complètement les bilatérales. Mais il n’y a pas eu une seule plénière ou table-ronde avec l’ensemble des partenaires sociaux. Donc le ministre s’est plaint d’avoir eu 50 réunions avec les organisations syndicales, sauf que oui lorsque tu as 5 organisations représentatives et 3 patronales, effectivement si tu as eu 3/5 réunions avec chacune d’entre elles cela fait 50 réunions. Et ce n’est pas pour cela qu’il y a eu échange. R.S – Quand se sont déroulées ces réunions en termes de calendrier ? Entre avril et octobre. R.S – Etiez vous déjà engagé sur ce dossier lors de la réforme de 2003 ? J’étais déjà à la commission confédérale. Mais je n’étais pas encore en charge du dossier des retraites. A l’époque en 2003 c’est Jean-Christophe LE DUIGOU qui pilotait le dossier retraites. Et moi comme je n’avais pas le dossier retraites en tant que tel, j’ai participé en tant que dirigeant et militant à ce débat là. Mais on n’a pas toujours eu une telle mobilisation. Je pense à 1993 où j’étais déjà dans le syndicalisme, militant dans mon entreprise, c’était passé pendant l’été et on n’était pas parvenu à mobiliser. Pour des raisons assez simples je pense : d’abord c’était pendant les congés, et puis les mesures qui étaient proposées, notamment ce que j’ai dis tout à l’heure le passage aux 25 meilleures années et l’indexation sur les prix, ceux sont des mesures dont l’effet se mesure dans le temps. Donc on en mesure les effets 15 ans après. Donc montrer aux salariés les conséquences ce n’est pas évident. 2010, bon il y’avait le passage aux 62 ans qui marquait les esprits. C’est une des raisons pour lesquelles on n’est pas arrivé à mobiliser en 1993. Puis l’une des autres raisons c’est que 1993 c’était le privé, puis après on a eu le public, alors que la réforme de 2010 elle touchait tous les salariés du public comme du privé y compris ceux relevant des régimes spéciaux. C’est une des caractéristiques. R.S – Et brièvement si vous deviez faire un bilan des avancées et limites de ce mouvement, quel serait-il ? Disons, on est assez fiers les organisations syndicales et la CGT d’avoir fait ce que l’on a fait. Ceci dit on ne peut pas considérer avoir fait tout ce que l’on avait à faire puisque l’on n’a pas gagné au bout du compte. Alors certes on a tendance à dire on n’a pas perdu. On a gagné la bataille de l’opinion. Je pense que malgré tout dans les têtes des salariés, des françaises et des français, il y a quand même des choses qui ont bougé sur la question des retraites. Ils ont pu un peu plus s’intégrer dans le dossier et mesurer les problématiques qui étaient posées. Mais néanmoins on peut considérer qu’on n’a pas fait tout ce qu’il y avait à faire. L’une des conclusions, des raisons qui ont conduit le Président de la République à vraiment s’arcbouter sur ses propositions – et on le voit encore plus aujourd’hui avec les mesures d’austérité qui sont prises un peu partout en Europe – c’est que les marchés financiers et les agences de notation ont pesé d’un poids considérable sur cette réforme. Ils ont mis la pression sur le gouvernement français en disant « si vous n’arrivez pas à tenir sur la réforme des retraites, la note AAA risque de sauter ». On était déjà dans cette logique là. Donc forcément sur la question de la retraite l’objectif c’est de repousser l’âge légal de départ partout en Europe, et je crois qu’en France ils vont tenter d’aller bien au-delà des 62 ans. Pour avoir fait moi des
153
débats durant l’année 2010 avec des représentants de l’UMP qui étaient sur le dossier – je pense à Arnaud ROBINET ou à d’autres – ils n’ont pas caché leur volonté d’aller au-delà des 62 ans en considérant que de toutes façons il n’y a pas d’autres solutions que de repousser l’âge de départ en retraite. R.S – Maintenant pour aller plus précisément sur la question des inégalités femmes-hommes, comment cette question a été traitée par la CGT, par le mouvement social, et par le gouvernement ? Le problème c’est que là aujourd’hui sur le dossier de la retraite on a une correction qui est faite parce que dans le cadre de la vie active les inégalités sont flagrantes. On l’a vu la différence du niveau de pension entre une femme et un homme est de l’ordre de 38%, ça n’évolue guère, et de 25% au niveau des salaires. On voit bien qu’au niveau de la retraite on corrige plus qu’avant. Alors nous, on a mené la bagarre pour à la fois faire en sorte que les femmes ne soient pas pénalisées dans cette réforme des retraites, et pour à la fois créer les conditions dans les entreprises pour que l’on cesse cette discrimination sexuelle entre femmes et hommes, et qu’on puisse imposer à ce que les entreprises respectent l’égalité hommes-femmes. On voit bien que le gouvernement là-dessus a toujours promis des sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas cette égalité, mais c’est encore repoussé aux calendes grecques et on n’a absolument pas évolué sur la question. Je voyais encore un article de presse dernièrement où l’on voyait qu’on était toujours à un écart de 25% de salaires entre les hommes et les femmes. De ce point de vue là c’est clair qu’il y a rien, et y compris la question des femmes qui élèvent leurs enfants. Donc ça on a mené cette bataille parallèle j’allais dire. Sauf que encore une fois, comme la méthode utilisée par le gouvernement a été une méthode de concertation et qu’il n’y a pas eu de négociation ou quoique ce soit, ils nous ont effectivement dit qu’ils étaient conscients de cette difficulté là et qu’il y’avait nécessité de réagir mais point. Il n’y a pas eu d’échange. Par contre ce qui est intéressant me semble t-il c’est qu’il va y avoir un débat national en 2013 prévu par la loi de 2010 autour d’une réforme systémique. Certains prônent le passage de notre système à un système soit par points soit par comptes notionnels. L’avantage c’est que nous on a déjà le retour sur expérience de ce qui se fait sur les régimes complémentaires qui sont des régimes par points. On y voit de sacrées difficultés pour les femmes si on devait aller vers un régime par point. Pour une raison assez simple, c’est que les régimes par points veulent dire que l’on prend en compte toute la durée de la carrière. Donc quand on est passé des 10 meilleures années aux 25 meilleures années on a perdu 16% de niveau de pension, donc imaginez si on prend en compte toute la carrière … Pour les femmes ce serait une catastrophe. Pour nous c’est un élément extrêmement important. Donc dans ce débat 2013 il faut qu’on puisse pointer les difficultés pour certaines catégories à passer à un régime par points ou à un régime à comptes notionnels. Le régime à comptes notionnels, la problématique qu’il pose c’est qu’il ne répond pas à deux questions pourtant fondamentales : celle de l’âge à partir duquel on peut partir en retraite et avec quel niveau de pension ? Il n’y répond pas puisqu’on peut partir à partir de 61 ans, mais le niveau de pension dépend de l’espérance de vie de la génération à laquelle on appartient. Donc plus on a une espérance de vie longue et moins on perçoit de pension, puisqu’on passe d’un dispositif de prestation définie à un dispositif à cotisation définie. Puisqu’on définit la cotisation et on adapte ensuite le niveau de pension. Donc cela c’est un vrai problème, problème posé partout en Europe. Toutes les réformes au niveau des retraites visent à aller vers des dispositifs à cotisation définie et cela effectivement c’est dramatique pour les futurs retraités. Et à partir du moment où tu n’as plus le niveau de pension qui te permet de vivre dignement ou garantit, tu te tournes vers des systèmes par capitalisation, ce qui a pour conséquence de fragiliser notre dispositif. Car plus les jeunes iront
154
vers la capitalisation, plus ça va fragiliser notre dispositif car à un moment donné ils ne paieront pas sur les deux tableaux. Et je crois que le patronat compte là-dessus pour casser notre système de protection sociale et notamment notre système de retraite. R.S – Alors par rapport à l’égalité femmes-hommes, vous avez soulevé que l’élément du passif des réformes précédentes avait pu jouer comme levier de mobilisation. Des études ont en effet montré en quoi les réformes de 1993 et de 2003 avaient pu creuser l’écart de pension entre femmes et hommes et donc être particulièrement défavorables aux femmes. Au-delà d’être traitée par une commission dédiée, cette question des inégalités femmes-hommes faisait-elle aussi partie de votre argumentaire, de vos prises de positions publiques ? Et était-ce nouveau pour vous ? On avait déjà traité cette question là en 2003. Cela avait déjà été pris en compte. Bon la nouveauté pour ce qui concerne notre mobilisation syndicale c’est qu’on a mis en place un diaporama confédéral et que l’on a formé quasiment 24 000 militants et militantes juste avant le dossier retraites, courant du premier semestre 2010 (ça avait même commencé dès décembre 2009). Et quand je dis former, cela recouvre la participation à la présentation du diaporama, des débats qui ont pu durer une demi-journée voire plus. Donc on a véritablement eu un travail vraiment qualitatif sur ce qu’était notre régime de retraite, sur la réforme telle qu’elle nous était présentée, sur nos propositions, et sur ce qu’on envisageait en termes de réforme systémique (on l’avait déjà mis à l’époque dans nos diaporamas). Donc ça a été un véritable saut qualitatif dans la campagne au sein de la CGT. Ca a permis effectivement d’aborder très précisément ce qu’étaient les difficultés posées, notamment la situation des femmes, des jeunes, des précaires plus globalement. Mais on a réussi effectivement à faire ce saut qualitatif qui a permis de faire mesurer en interne le fait que les femmes allaient de nouveau subir une dégradation de leur niveau de pension considérable. Et cela je crois que ça a véritablement pesé dans la mobilisation construite par la CGT. C’est indéniable, on l’a mesuré.
R.S – Quand vous dites « on l’a mesuré et ça a pu lever une mobilisation », par rapport aux réactions des personnes formées, aux questions dans la salle etc. ? Oui, et y compris à partir du constat dans les mobilisations. On a constaté à plusieurs reprises qu’il y avait de nombreuses femmes qui étaient mobilisées et qui portaient la question de l’égalité hommes-femmes. Et ça c’était quand même relativement nouveau. R.S – Pensez-vous que cela a constitué un des leviers de mobilisation ? Exactement. On a vraiment pesé il me semble sur cette question là, et on a réussi à générer une prise de conscience sur ce qu’était la réalité du vécu des femmes dans les entreprises qui avait des conséquences graves au niveau de la retraite. Ce qui n’est pas évident car il y a beaucoup de gens qui arrivent à la retraite et qui ne savent pas quel sera leur niveau de pension, qui en prennent conscience seulement quelques semaines avant de partir. Donc là on a alerté, on a posé le problème et finalement les femmes se sont dites « oui, vu la situation qui m’est faîte aujourd’hui en tant qu’active, effectivement cela aura des répercussions sur ma retraite et donc il faut que je me batte maintenant ». Donc cela, encore une fois, on l’a mesuré à la fois dans l’organisation et dans les mobilisations cela a été significatif.
155
R.S – Et à votre niveau personnel, ce mouvement ci a-t-il été l’occasion d’un saut qualitatif dans la prise de conscience de ces inégalités femmes-hommes ? On en avait pris la mesure, mais de là à être capables de mobiliser sur un sujet comme celui là ce n’est pas non plus chose évidente. Hors là, on a réussi à faire prendre conscience et à créer les conditions de la mobilisation sur ce thème là aussi. Et cela semble extrêmement important. Alors dans l’organisation ce qui a fait que l’on ait réussi à organiser tout ça, c’est qu’on avait un collectif retraites qui avait pour mission de coordonner tout ce qui est formation, actions … on réunissait nos fédérations tous les jours, on avait des réunions téléphoniques avec nos unions départementales chaque semaine… enfin on avait véritablement une organisation mise en place dans le cadre de ce conflit qui était très importante, c’était une première. On a eu un collectif femmes-mixité qui a permis de renchérir cette question d’égalité hommes-femmes dans cette réforme des retraites, et ensuite on a réussi à le faire prendre en compte dans nos organisations. Et cela, je disais tout à l’heure « on est fiers », car effectivement on ne l’avait jamais fais et c’est quelque chose qui nous permettra de gagner du temps pour la suite. Car comme je le disais pour nous le dossier n’est pas clos. D’abord on a eu les retraites complémentaires dans la foulée. Le traitement a été finalement dans la même ligne que les retraites du régime général, malheureusement avec la signature de toutes les autres confédérations syndicales à l’exception de la CGC et de la CGT. Elles ont accepté l’alignement des âges dans le régime de la retraite complémentaire alors que l’on pouvait le refuser. Donc on voit bien là que le dossier n’est pas clos. Là, on est en train nous de préparer le dossier pour le rendez-vous 2013. Un dossier « Dossier retraites, où en sommes-nous ? » part aujourd’hui à toutes nos organisations. C’est un point politique pour se préparer au rendez-vous 2013 et pour dire où en sommes-nous, pourquoi en sommes-nous là, nos propositions … Il va falloir aussi pour ce rendez-vous faire œuvre de pédagogie. D’autant que là nous ne sommes pas tous d’accord. La CFDT défend par exemple l’idée d’un système par points, nous non. La CFDT porte la proposition qu’une partie du financement provienne de l’impôt, nous on propose que ce soit financé par le travail. Pourquoi ? Parce que le risque au regard des déficits publics, on nous pompe une partie des sommes qui seraient affectées à la protection sociale dans le budget de l’Etat, ce qui fait que voilà … on voit bien comment ils font, ils lorgnent sur tous les budgets et dès qu’ils le peuvent ils piquent. Je siège à l’UNEDIC (union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce en charge de la gestion de l’assurance chômage en France), et là ils lorgnent systématiquement pour voir s’il y a des réserves et s’ils peuvent pomper quelque chose. Le fond paritaire de sécurisation des parcours professionnels ils viennent de pomper 300 millions. Donc le risque est grand qu’ils nous piquent une partie des fonds de la protection sociale. C’est pour cela que nous on est contre le financement par l’impôt. R.S – Quelles propositions la CGT formule t-elle en matière d’égalité femmes-hommes ? Aujourd’hui on corrige quand on arrive au moment de la retraite, car on n’a pas réussi à gérer le problème avant. Mais nous l’objectif c’est quand même effectivement d’arriver à une égalité hommes-femmes. Et nous on est pour une pénalisation des entreprises qui ne respectent pas ça et y compris dans le cadre de la politique de l’emploi on est favorables à ce que les aides financières sous forme d’argent public aux entreprises soient délivrées si le critère de l’égalité hommes-femmes est effectivement pris en compte. C’est un point considérable. R.S – Comment avez-vous accueilli les mesures qui ont été prises par le gouvernement sur la prise en compte des indemnités de congé maternité dans le calcul des pensions annoncée en
156
juin, et sur le maintien du départ à 65 ans pour les parents qui ont élevé au moins trois enfants voté au Sénat début octobre ? Nous on a pris parce qu’on a considéré que c’était la mobilisation qui avait permis effectivement d’obtenir ces maigres résultats. Mais il faut relativiser. Concernant par exemple la question de la prise en compte des congés maternité, quand on prend la date d’application cela veut dire que ce ne serait valable que dans 20 ans puisque cela concerne les femmes qui vont accoucher aujourd’hui et qui seront donc à la retraite dans 20 ou 30 ans. Lors de nos auditions nous on avait demandé à ce que cette mesure soit applicable de suite, et bon on nous l’a refusé. Donc à la fois on a pris acte que l’on avait réussi à gratter cela, mais néanmoins cela ne répond pas du tout à la question et en tout cas ça ne répond pas du tout à ce pourquoi les salariés s’étaient battus durant toute l’année 2010. R.S – Je vous remercie. Il était important pour moi d’interroger des acteurs qui ont eu une approche large de la réforme et qui ne sont pas au départ marqué « égalité femmes-hommes » afin de voir comment cette question a été appréhendée et s’est intégrée à des argumentaires et une stratégie plus larges. C’est vrai que la réforme retraite a permis de renforcer cette problématique parce que le collectif égalité hommes-femmes, il existe depuis longtemps – je n’ai plus la date exacte de sa création – mais la réforme a permis y compris en interne de mesurer ce qu’était la situation faite aux femmes et de renforcer le travail du collectif et de nos organisations là-dessus. R.S – Vous étiez habitué à travailler ensemble avec ce collectif ? Cela s’est t-il fait naturellement ? Cette réforme a accéléré cette collaboration. Puisque l’un de nos arguments était l’injustice, notamment vis-à-vis des femmes, donc forcément cela a renforcé les liens, y compris nous avions des sollicitations de Femmes mixité pour des argumentaires, des tracts … Donc cela a forcément permis à ce que l’on travaille ensemble et à accélérer un petit peu et à donner de la visibilité à ce collectif Femmes mixité, donc je pense que ça a été intéressant de ce point de vue. R.S – Diriez-vous enfin que l’on a dépassé cette hiérarchie qui vient de loin entre inégalités de classes et inégalités de sexe ? Oui je pense qu’on l’a dépassée, mais que cela remonte à avant cette réforme des retraites. Je pense que c’est quelque chose qui évolue dans les mentalités, fort heureusement. Aujourd’hui ces questions là sont partie intégrante de l’activité syndicale quelque soit l’organisation syndicale. Et je pense que oui il y a une véritable prise de conscience que l’on a un problème de société qui est posé, et que finalement il faut qu’on arrive à le résorber. Moi là-dessus je suis assez optimiste. Les femmes se prennent aussi en main. Il faut mesurer aussi qu’il y a quelques années énormément de femmes n’étaient pas en activité, aujourd’hui elles sont au travail et partie prenante de l’activité globalement, donc cela bouscule, ça bouge et c’est bien.
157
R.S – Pourriez-vous s’il vous plaît dans un premier temps brièvement présenter à quel titre êtes-vous intervenue durant la dernière réforme des retraites et quel a pu être votre rôle, si vous en avez joué un, durant les réformes de 1993 et de 2003 ? Alors moi c’est la première fois que je m’occupais du dossier des retraites puisque j’ai été élue il y a deux ans et demi au congrès de la CFTC secrétaire générale adjointe en charge de la protection sociale. La protection sociale il y a l’assurance maladie, les conditions de travail tout ce qui concerne la famille, sécurité sociale et il y a obligatoirement le dossier des retraites. Donc ce dossier je le connaissais peu puisque c’est un dossier des salariés du privé, et moi je suis fonctionnaire. Et ça n’a rien à voir. Ce n’est pas comparable puisque c’est toute une carrière qui se fait différemment. Donc ce dossier des retraites je l’ai appréhendé avec curiosité au départ. J’ai trouvé que c’était très formateur sur deux choses : d’une part parce que c’est un sujet qui a évolué d’années en années et lié aux politiques, et quand je dis « aux politiques » c’est aux hommes et aux femmes et pas à la politique en général. Donc on voit bien dans la campagne présidentielle où il y a le PS qui dit « on remet tout à 60 ans » et l’UMP qui dit « nous on continuera puisque remettre tout à 60 ans ce n’est pas possible ». Ce contexte là m’intéressait. Et puis j’ai découvert un certain nombre d’anomalies qui n’a pas lieu dans la fonction publique. Ceux sont tous ces salariés qui travaillent sur un travail pénible à qui on dit vous pourrez partir plus tôt à la retraite. Sauf que je me suis aperçu qu’ils étaient cassés déjà depuis un certain nombre d’années. La seconde chose c’est le recul social qui a été mis en place lorsqu’ils ont instauré le calcul sur les 25 dernières années. Cela voulait dire que si vous aviez eu longtemps un salaire bas, votre retraite allait refléter d’autant cela. Et ceux qui ont un salaire bas se sont principalement les femmes, d’une part elles ont un salaire bas, de plus elles ont souvent une carrière chaotique. Elles mettent souvent leur carrière entre parenthèse pour jongler entre vies familiale, personnelle et professionnelle. Donc c’est ce que j’ai découvert et qui m’a donné vraiment envie de m’impliquer sur ce sujet là. Donc au-delà que ce dossier était dans mon champs de compétences, il m’était important moi de pouvoir dénoncer des choses. De dénoncer avec un côté un peu plus féminin. Sans dire que je défendais seulement la retraite des femmes, mais je pensais que je trouverais peut-être mieux les mots en tant que femme pour démontrer qu’il y avait quantités de femmes qui arrivaient à la retraite en dessous du seuil de pauvreté. Voilà pour le contexte, tout en sachant que je n’avais pas tout l’historique politique et technique sur les retraites. J’ai fais une formation très accélérée d’une journée et demie pour apprendre le dossier avec Liaisons sociales qui ont de très bonnes formations. Mais ce dossier
ENTRETIEN n°7
Pascale COTON qualité : Secrétaire générale adjointe de la CFTC en charge de la protection sociale et des discriminations à l’époque de la réforme et membre de l’Observatoire de la parité depuis juin 2010, lors du 51ème congrès de la CFTC de novembre 2011 elle est devenue Secrétaire générale confédérale et porte-‐parole de la CFTC date : 6 septembre 2011 lieu : Siège de la CFTC à Pantin
158
des retraites était plus stratégique, politique, que technique. Donc c’est de cette façon là que moi j’ai appréhendé le dossier. R.S – Sur le sujet égalité femmes-hommes, quel était l’historique de votre engagement ? L’égalité femmes-hommes je l’ai pris en 2000. Cela faisait donc 10 ans que je travaillais sur la question : conditions de travail, salaires… sur tout ce qui pouvait démontrer les discriminations. Mais c’est vrai que je ne sais pas pourquoi je n’avais pas pris pleinement conscience des conséquences aussi graves en matière de retraite. Quand j’ai commencé à travailler à le dossier je me suis aperçu qu’une femme sur trois à la retraite vit en dessous du seuil de pauvreté. Et plus j’avançais plus je m’apercevais que ces femmes étaient un peu cachées, parce qu’elles osaient moins se plaindre qu’un homme peut-être, peut-être un peu plus d’orgueil je ne sais pas. Et puis toutes ces personnes qui ont des difficultés à joindre les deux bouts, elles avaient des enfants, souvent beaucoup d’enfants, elles s’étaient arrêtées de travailler pour s’occuper d’une personne dépendante. Donc ce n’était pas de leur volonté. C’était le fait que la société française n’était pas constituée pour faire en sorte que les femmes lorsqu’elles souhaitaient s’arrêter de travailler puissent continuer à cotiser pour leur retraite, ou parce qu’elles étaient obligées de prendre du temps partiel puisqu’il n’y avait pas de structures pour accueillir soit leurs enfants, leurs parents grands parents, etc. Et donc là j’ai vraiment eu l’impression que lorsqu’on arrive à la retraite on est puni d’un certain nombre de choses. Comme si c’était inné que l’on s’occupe des autres. Et qu’à la fin on nous rétorque « oui mais vous n’avez pas toujours travaillé » et que la punition apparaissait absolument évidente. Tout ce que j’avais pu intégrer au cours de ces 10 années se concrétisait là au niveau des retraites, et là j’ai voulu sensibiliser en disant « bon maintenant ça suffit ! ». Sensibiliser c’est déjà sensibiliser le syndicat, c’est-à-dire la CFTC. Il l’était déjà mais moins hargneux que je l’aurais voulu, donc j’ai fais monter la pression. J’avais un compte-rendu à faire tous les lundis pour ce qui se passait sur les retraites devant la Commission exécutive, c’est-à-dire les 6 personnes les plus importantes de la confédération, puis devant le Bureau confédéral (15 personnes) tous les premiers lundis de chaque mois, puis devant le Conseil confédéral tous les trimestres. J’ai donc là pu les tenir informés au jour le jour et faire monter la pression. Et désormais lorsqu’il y a le congrès d’un de nos syndicats et qu’ils veulent parler d’égalité hommes-femmes ou des conséquences en matière de retraites, ils ont les chiffres en tête : 25% en moins au niveau des salaires, 40% au niveau des retraites, etc. L’analyse est partagée et ça devient de l’automatisme de le dire. Et c’était très important puisque ça me permettait de dire lorsque j’allais en négociation chez les ministres que je n’étais pas seule, mais que j’avais les 142 000 adhérents CFTC avec moi. A force de démultiplier l’explication j’étais beaucoup plus forte devant un ministre. Là par contre c’est déjà beaucoup plus difficile de sensibiliser parce qu’eux savent mais ils ne savent pas ce qu’ils devraient savoir. Les analyses qu’ils en ont. Ils ne mesurent pas les conséquences d’une vie chaotique sur la vie d’une femme, sur la retraite. Vivre sous le seuil de pauvreté je pense qu’ils ne savent même pas ce que cela veut dire. Tout en sachant que les personnes qui partent à la retraite en grande partie ont encore des charges familiales, des jeunes étudiants qui commencent dans leur emploi mais qui n’ont pas les moyens – ou à qui on ne veut pas donner les moyens - d’avoir un logement, le permis de conduire, etc. Donc il y a toujours les six premiers mois qui sont toujours mêlés, avec un reste à charge de la famille qui est important. Donc retraite ou pas retraite, de toute façon il faut subvenir aux besoins. Donc il y a tout ce plan là qui n’est pas ressorti et que moi j’ai essayé de faire ressortir dans les débats des retraites. R.S – Quelles sont les avancées et les limites que vous dégageriez en matière d’égalité femmes-hommes à l’occasion de cette réforme des retraites ?
159
Pour les femmes, pour moi c’est une grosse déception, une très grosse déception, pour deux choses. D’une part j’étais la seule femme parmi les organisations syndicales à être chargée du dossier des retraites. Il y avait la responsable de la CGC, …, mais malheureusement pour elle elle est Présidente de la CNAV. Donc elle était un peu assise entre deux chaises. Je me suis senti seule pas pour la CFTC, mais je me suis senti seule face à des ministres par rapport aux autres organisations syndicales qui n’ont pas pris le pas sur ce que je voulais faire et je me suis senti seule par la non-écoute des ministres ou du Premier ministre : « on va étudier », « on va regarder » … et à chaque fois c’était « non ». Moi j’ai essayé de sensibiliser sur la partie famille, avec les enfants, la conséquence. La seule réponse a consisté à avoir des conditions restrictives, avoir eu tant d’enfants, être nées en telle année, … et à chaque fois que je les voyais ça faisait entonnoir, les critères se resserraient, etc. Ce qui fait qu’il y aura très peu de femmes qui partiront à 65 ans. R.S – Qu’entendiez-vous par « la partie famille » ? P.C – Et bien que par rapport au nombre d’enfants, vous avez des trimestres de bonifications, et on sentait bien que ces trimestres qui étaient « donnés » par rapport aux enfants constituait la partie qui allait partir. Donc je pense qu’on avait touché la partie famille, c’est-à-dire la non-reconnaissance du fait que les femmes font des enfants. On a eu besoin des femmes à des moments donnés pour repeupler la France, augmenter le taux de natalité, et aujourd’hui on remettrait en cause les dispositifs mis en place pour des raisons financières. L’exemple c’est la réflexion de M. LEFEBVRE dans les médias qui dit que les femmes qui font des enfants sont créatrices de chômage296. Il voudrait donc que les femmes fassent moins d’enfants. Ce discours est absolument inadmissible ! Surtout quand on reconfirme la même phrase 48h après. Donc on voit bien que dans le débat des retraites il y avait cette question là aussi qui était sous-sous-jacente. D’ailleurs comme mesure face à la crise, il y a eu il y a quelques jours sur les tablettes du Premier ministre la possibilité de fiscaliser les allocations familiales. On s’est battu pour que lorsque vous avez trois enfants, la majoration de 10% de votre retraite que cela induit ne soit pas imposable. Le projet était aussi de rendre imposable cette majoration. Or l’on sait que ce sont par exemple ce qui ont eu le plus d’enfants qui ont le moins épargné pour s’acheter leur résidence principale. En ayant tous ces éléments là, et en prenant le biais des retraites des femmes, moi je me disais qu’on peut sauver tout ce qui concerne la famille, les hommes et les femmes vont s’y retrouver et on va rassembler là-dessus. Mais si j’ai rassemblé la CFTC sur ce sujet là, les autres syndicats eux n’ont pas spécifiquement suivi. Peut-être par manque de temps je n’en sais rien. On aurait pu organiser des bilatérales là-dessus. Je pensais que le ministre allait pouvoir comprendre ce volet là. Mais non tout était mathématique, légal, etc. … R.S – Comment se sont organisées les réunions avec le ministre, aviez-vous des rencontres multilatérales ? Non on a eu aucune réunion ensemble, nous n’avions que des bilatérales avec le ministre. C’était un choix. Puisque lors de la dernière réforme de 2003 – moi je n’y étais pas – mais on n’arrêtait pas de me dire que ce n’était que des shows médiatiques. La volonté était d’aller sur le fond. La CGT et la CFDT auraient préféré des multilatérales. Mais la CGC, FO et la CFTC
296 Frédéric LEFEBVRE a déclaré le 26 août 2011 lors de son discours prononcé pour l'ouverture de la 65ème Foire de Châlons-en-Champagne (Marne) : « Pourquoi est-ce si difficile pour la France de faire baisser le chômage ? Il faut dire la réalité : parce qu'on a un taux de natalité beaucoup plus important que beaucoup d'autre pays ».
160
souhaitaient des bilatérales. Nous, on a avait quand même des réunions un peu particulières avec FO. On a eu tout au début des pseudos réunions intersyndicales mais c’était surtout pour définir des stratégies de « manifs », mais ce n’était pas sur le fond du dossier. De toute façon on n’avait pas les mêmes objectifs, pas les mêmes dossiers à défendre. Moi c’était le côté femmes, familles, et de rester sur une retraite à la carte entre 60 et 65 ans. Et certains syndicats c’était 62/65, d’autres 62/67, donc … et sur le financement c’était pareil. Donc on n’a pas trouvé le lien qui aurait pu nous amener à faire un véritable combat. R.S – Concernant vos rencontres avec les ministres successifs – M. DARCOS et M. WOERTH – et avec le Premier ministre, la question de l’égalité femmes-hommes ou des femmes et famille, était abordée ? Elle était très abordée avec M. DARCOS. Elle a été abordé avec M. WOERTH car moi je l’abordais à chaque fois et donc à la fin c’était plutôt « ça y est la revoilà … ». Avec M. FILLON oui il était obligé d’écouter parce qu’à ce moment là j’accompagnais le Président de la CFTC, M. VOISIN, donc on écoute. Et car c’est un homme qui écoute énormément, qui écrit énormément, et qui à chaque fin de réunion reprend les notes de la réunion pour vous dire « ça je prends, ça je prends pas ». C’est toujours très intéressant de travailler avec M. FILLON. Après on vous dit sur les thèmes particuliers c’est mon directeur de cabinet qui va travailler avec vous. Il y avait quatre groupes de travail. C’était souvent le vendredi soir tard. Et là sur l’écoute entre l’égalité hommes-femmes et les différences de retraite, je vous assure que je me suis mis en colère un paquet de fois avec le directeur de cabinet de M. WOERTH, parce que c’était des réflexions et des sourires relativement assez ironiques sur les femmes. Et c’est là où je me dis que bon sang si dans chaque délégation il y avait eu une femme je pense que ça aurait changé les choses. Si côté ministère il y avait eu une femme, je pense que ça aurait changé les choses. Mes interlocuteurs n’étaient que des hommes. Cela m’a permis de faire beaucoup la presse. Tout additionné je pense que j’ai fais plus de presse que la CGT et la CFDT. J’ai fais huit fois le direct de LCI. Ils m’ont même rapatrié de Bruxelles pour faire un direct. Tout en sachant qu’il s’agissait de démontrer les conséquences sur les femmes mais tout autant sur les hommes et les femmes. Je ne voulais surtout pas avoir un discours qui puisse être considéré comme un discours féministe. Ce n’était pas ça. Tout ce que l’on va améliorer pour les femmes, automatiquement on va l’améliorer pour les hommes aussi. R.S – Les demande qui vous étaient faites par les journalistes portaient donc beaucoup sur la question de l’égalité ? P.C - Sur la question de l’égalité, sur comment en est-on arrivé là, sur si les politiques se rendaient compte des différences de retraites entre les hommes et les femmes … Les journalistes faisaient venir sur les plateaux de télévision des gens du MEDEF qui disaient en substance « Nous on est très sages, regardez on a des femmes à tel endroit, puis à tel autre » … on va en faire des statues des femmes bientôt ! Oui d’accord je suis super contente de savoir qu’il y a quelques femmes au MEDEF à des postes à responsabilité, mais c’est toujours les mêmes qui sont caissières, qui sont à temps partiel, qui s’arrêtent pour leurs enfants … Même si on mettait une femme à la tête de la République ça ne changerait rien en soi, c’est la société dans son entier qui doit changer.
R.S – Concernant le diagnostic posé, y avait-il un consensus entre tous les acteurs de la réforme sur les causes des inégalités entre les sexes et sur quoi faut-il agir ? P.C – Sur le diagnostic partagé effectivement tout le monde était d’accord : les femmes sont dans les basses classes ou classes moyennes, même si elles sont plus diplômées que les
161
hommes, même si ceux sont elles qui prennent le temps partiel, même si ceux sont elles qui prennent leur responsabilité face aux aléas de la vie … tout ce diagnostic il n’est pas contesté aujourd’hui. Ensuite sur les causes par contre des divergences apparaissent. Lorsque vous en discutiez avec le gouvernement il renvoyait la responsabilité de la situation sur le MEDEF et les entreprises. Le MEDEF affirmait qu’il voulait que ça change mais que le gouvernement devait les aider pour cela. Donc chacun se renvoie la balle. Au niveau des organisations syndicales, le bilan est partagé depuis très très longtemps. Là-dessus on est à 100% d’accord. Mais on n’arrête pas de refaire des sondages, des lois, des décrets… il faut arrêter d’amuser la galerie ! Il faut se donner les moyens. Bon là dans la loi, j’attends que les mesures se mettent en place mais ce qu’on est arrivé à faire inscrire c’est la punition des entreprises qui n’auront pas réalisé l’égalité hommes-femmes jusqu’à 1% de la masse salariale. Sauf qu’il y a tellement de conditions pour que vous n’ayez pas à payer cette punition de 1% … Et puis vous n’avez pas d’obligation de résultat, vous devez simplement réaliser un plan d’action. Alors moi je vais mettre des affiches dans mon bureau en disant « On est en 2011, en 2012 nous allons essayer de, en 2014 nous nous pencherons sur … » voilà mon plan d’action il est fait ! On ne peut rien me dire, la loi est respectée. Donc non je ne pense pas que ce soit une réelle réussite. Là où on a pu vraiment travailler, sans faire de politique vu ce qui se passe actuellement, c’est avec le Parti socialiste. J’y suis souvent allé en auditions, pour des réunions. On a pu vraiment échanger et ils étaient d’accord avec ce que je disais à savoir que c’est la structure de la société qui fera qu’il pourra y avoir une égalité entre les hommes et les femmes avec une reconnaissance à la retraite. Quand je dis ça c’est dire qu’une femme puisse accueillir un enfant dans de bonnes conditions, c’est-à-dire le congé maternité, le congé paternité, le congé parental, etc. D’ailleurs M. Sarkozy a missionné Mme BACHELOT pour réformer le congé parental et le réduire à un an alors même que le Haut Conseil à la Famille pratiquement au consensus a rejeté cette proposition l’an dernier. Mais non il veut poursuivre et en faire sa priorité aujourd’hui. Je pensais qu’il avait d’autres priorités mais si c’est celle là très bien, on va s’y opposer violemment et on va sortir un communiqué de presse aujourd’hui. La seconde chose qu’on a vu avec le Parti Socialiste était de dire que si la société ne s’organise pas pour mettre en place la famille, pour qu’il y ait une véritable conciliation des temps de vie, on n’y arrivera pas. Donc c’est des places en crèche, c’est des places pour les personnes handicapées, pour les personnes dépendantes liées à l’âge, etc. Après avec l’UMP, on a eu des difficultés pour travailler car même si nos interlocuteurs, que ce soit des élus à l'Assemblée nationale ou au Sénat (j’ai dû rencontrer une bonne centaine de députés et 70 sénateurs de tout bord), étaient d’accord avec nos propositions sur la famille, ils avaient quasiment l’ordre de rester dans le giron du gouvernement. Ils nous disaient être d’accords avec un certain nombre de nos propositions, nous encourageaient à y aller, mais ne pouvaient pas pousser dans notre sens. R.S – Dans Le Figaro paraissait en mai 2010 une tribune de Christine BOUTIN avec 9 autres députés de droite intitulée « Les familles doivent être prise en compte dans la réforme des retraites » qui avançait deux revendications : la prise en compte des indemnités congé maternité dans le calcul des retraites, et le maintien du départ à 65 ans pour les mères de familles nombreuses. Avez-vous pu avancer vos propositions auprès de ces député/es ? P.C – Pas avec Mme BOUTIN non. Maintenant tout ça était organisé politiquement. Toutes les sorties presse étaient organisées, calculées sur un calendrier, pour faire dégonfler les manifestations, pour qu’on soit le minimum dans les rues. J’avais en effet noté cette tribune, ainsi que celle des « Woerthettes » sortie dans Le Monde avec Mmes MORANO, BERA, … Et c’est là où vous vous rendez compte qu’ils ont essayé de se servir de l’opinion publique pour faire passer les choses, et c’est là où vous vous rendez compte qu’ils ne savent pas ce que c’est que l’inégalité femmes-hommes. Ils ne mesurent pas dans quelle situation certaines
162
femmes et certaines familles vivent. Moi c’est toujours cette phrase qui m’aura marquée lorsqu’un homme politique dont je tairai le nom m’a répondu « il faut savoir ce qu’elles veulent : faire des enfants et ne pas avoir un travail bien rémunéré, ou avoir un travail bien rémunéré. Ceux sont elles qui choisissent, ce n’est pas de notre faute. » Et là je me suis dis « la guerre est déclenchée ». Ce n’était pas possible d’entendre cela. On ne parle vraiment pas de la même chose. En plus de cela il était difficile d’avancer un certain nombre de choses au Ministre dans la situation dans laquelle il était à ce moment là. Honnêtement je pense que ça l’aura servi cette histoire (l’affaire dite « Woerth-Bettencourt ») pour ne pas aller au fond des choses. Même si nous nous avions dit d’emblée aux journalistes que nous n’attaquerions jamais personnellement le Ministre. On ne voulait surtout pas rentrer dans ce débat là. Lorsque nous sortions d’une rencontre bilatérale avec le Ministre, la première question que l’on nous posait portait sur la vie privée du Ministre. Donc c’était relativement assez difficile. Moi je pense que j’ai relativement bien réussi à botter en touche toute cette histoire et à parler plus particulièrement des femmes. Mais ce n’était pas simple.
R.S – Maintenant, y a-t-il eu des alliances qui se sont opérées entre différents acteur-ice-s de la réforme – associatifs, syndicalistes, intellectuel-le-s, élu-e-s, parfois de gauche et de droite – sur la réforme, et précisément sur cette question des inégalités femmes-hommes et avez-vous pu y participer ? P.C – Non le débat était trop politisé pour réunir qui que ce soit sur quoi que ce soit. Même sur l’égalité femmes-hommes c’est toujours très tronqué. Là vous voyez on a beaucoup travaillé avec Brigitte GREZY sur l’égalité hommes-femmes dans le cadre de l’Observatoire de la parité dont je fais partie. Et bien il en ressort dans son livre que les femmes aspirent à un congé parental raccourci à un an et mieux rémunéré. Est-ce qu’on a eu un sondage ? Est-ce qu’on a posé la question à ces femmes ? Y a-t-il assez de crèches pour accueillir ces enfants si ils sont élevés par leur parents jusqu’à l’âge de un an et pas plus ? Non, et c’est comme ça. Il faut qu’elles aient plus de responsabilités au boulot. Mais il n’y en a pas de boulot pour les femmes. Donc non je ne comprends pas. Il faut laisser le libre choix. Je ne vois pas pourquoi c’est au Gouvernement de diriger cette vie intime du couple qui a envie de prendre du temps pour élever son enfant. A chaque fois qu’on est sur des discours et analyses, la conclusion c’est de restreindre le bénéfice que la femme ou la famille en général pourrait avoir. On n’a pas eu ces grands débats. On les a eu il y a 3 ou 4 ans dans le cadre du Conseil sur l’égalité professionnelle qui s’est réuni une seule fois depuis trois ans … Il ne s’est pas réuni dans le cadre de la réforme des retraites par exemple. A l’Observatoire de la parité j’avais demandé qu’on puisse avoir une journée entière consacrée à ce débat, mais non ce débat n’a pas eu lieu. La seule fois où j’ai lancé le débat là-dessus, très vite on s’est écharpé là-dessus et le débat était clos au bout d’un quart d’heure. Et c’est normal le PS est là, l’UMP aussi. C’est trop politique. Il n’y a pas de terrain neutre où ces débats pourraient se tenir. Suite à la commande de Nicolas SARKOZY d’un congé parental raccourci, le Haut conseil de la famille a planché sur le sujet et aucun consensus n’a pu être dégagé. Un certains nombre de questions restent en suspens et n’ont pas trouvé de réponses telles que : existent-ils assez de places de crèche pour accueillir les enfants qui ne seraient pas gardés par leur famille ? Y a-t-il assez d’emplois pour que les femmes puissent rester dans l’emploi et que le chômage ne soit ainsi pas augmenté à la suite de ce raccourcissement du congé parental ? Donc par mesure de sécurité on a préféré laisser le choix aux parents. Et là ça y est ça revient et M. SARKOZY met Mme BACHELOT sur le dossier. R.S – Tout à l’heure vous parliez de l’écoute que vous avez pu avoir au PS, quels ont été vos interlocuteurs ?
163
Marisol TOURRAINE, Jean-Marc AYRAULT, leur groupe sur l’égalité femmes-hommes … Je suis allé il y a quelques jours à l’Université d’été du PS à La Rochelle. Ils ont de véritables ateliers qui sont consacrés à la question. C’est comme si le sujet était chez eux moins tabou. J’ai l’impression qu’ils sont plus libres sur le sujet. J’ai été auditionnée par le groupe des députés socialistes. Ils étaient quand même une bonne soixantaine. C’est Jean-Marc AYRAULT qui menait la réunion avec Marisol TOURRAINE, que j’avais déjà rencontré auparavant. Je me suis dis alors que quelqu’un comme Jean-Marc AYRAULT, attiré par le côté « femmes » de la retraite … Moi j’avais deux messages : c’était de dire à la CFTC nous ne voulions pas que le dossier « pénibilité » soit inclus dans la réforme des retraites car les entreprises auraient dit « bon attendez déjà vous partez plus tôt, donc en plus vous n’allez pas me demander d’aménager votre temps de travail en fonction de votre pénibilité ». Je dis ça, c’est un peu brut de décrochage mais c’est comme cela que ça se passe dans les entreprises. C’est pour cela que nous nous voulions un accord à part. Et puis sur la partie « retraites des femmes », sur tout ce qui était conciliation des temps de vie on ne voulait pas non plus que cela soit dans la réforme car on estimait que ce n’était pas du tout la même chose. Et j’ai été agréablement surprise de voir – cela a duré environ une heure – un Jean-Marc AYRAULT aussi en pointe sur les sujets d’égalité hommes-femmes. A deux reprises lors de cette audition j’ai dis que je ne voulais pas apparaître comme une féministe car quand on parle des femmes on est tout de suite taxé de féministes. Et j’ai reparlé de ça à l’issue de l’audition avec Jean-Marc AYRAULT et il m’a dit : « interdisez-vous de dire ça car vous êtes dans le bon sujet et ce que vous dîtes vous avec vos mots de femmes, on le ressent nous en tant qu’hommes et on ne serait peut-être pas capables de le dire de la même façon ». Je l’ai senti et j’ai senti une salle très impliqués sur ce sujet là. Et aux Universités d’été de La Rochelle, toutes les discussions que j’ai pu avoir dans les couloirs avec des hommes, avec des femmes, qu’ils soient connus ou non, lorsque nous parlions des retraites mes interlocuteurs évoquaient spontanément la question des inégalités hommes-femmes. Cela fait plaisir ! C’est une reconnaissance que sur ce sujet là on partage la même analyse et qu’on n’est pas seuls. Alors après à l’occasion de la réforme des retraites, on a également rencontré le MODEM avec François BAYROU. Sur la question de l’égalité hommes-femmes je ne l’ai pas senti très mobilisé. Peut-être qu’il n’a pas tout saisi. Peut-être qu’il n’a pas de groupe de travail sur le sujet. Mais en tout cas il n’y a pas eu d’échanges constructifs sur ce sujet là. R.S - Concernant la mobilisation féministe ou des femmes, diriez-vous qu’il y a eu un regain lors de ce mouvement social ? Et si oui, comment l’expliqueriez-vous ? P.C – Il y a eu un regain oui. Les féministes étaient sur les trottoirs et nous accompagnaient, comme les femmes à Barbe, etc. C’était marrant. Moi j’étais toujours en tête de manifestation puisque l’on est trois par syndicats (président, secrétaire général et le chef de file), ce qui fait que l’on voyait ce qui se passait sur le trottoir. Donc elles étaient là à différents niveaux, on les voyait, on les reconnaissait. Elles n’étaient pas mélangées à nous, parce que dans l’ordre des manifestations elles n’ont pas le droit, le cortège est très organisé avec la Préfecture etc. Mais j’étais personnellement très contente de pouvoir les montrer à mes responsables politiques « voyez, vous avez là les femmes à barbes … ». C’était une reconnaissance à ce moment là. On voyait qu’elles avaient raison de dire les choses. Et puis j’ai senti qu’il y avait un autre regard après, des deux côtés. Je pense que l’on a gagné ça. Il faut maintenant veiller à ce que tout cela continue de bien se mélanger, que chacun ne rentre pas dans ses pénates le soir en disant « ça c’est les féministes, ça c’est les syndicalistes ».
164
R.S - Est-ce qu’a été évoquée à un moment donné la possibilité d’un cortège de femmes et d’hommes qui porteraient cette question de l’égalité femmes-hommes ? P.C – Jamais. On a essayé un samedi après-midi il y a de cela 7 ou 8 ans de faire tout un cortège sur la diversité. Mais ce ne fut pas un succès. J’avais fais déplacé le Président confédéral de l’autre côté du Nord pour cela, mais non ça n’a pas fonctionné. Quand il y a des manifestations comme celles contre les femmes battues, on voit bien que c’est un monde qui est défendu encore par les femmes. R.S – Et au-delà des féministes, comme les femmes à barbe, Osez le Féminisme ou le CNDF, qui pouvaient avoir des points fixes, est ce qu’au sein de la CFTC cette question a été reconnue comme un levier de mobilisation important ? P.C – Oui. Moi j’ai fais le tour de France en tant que Secrétaire générale adjointe, et j’ai senti que les salles se féminisaient. Il y avait pas plus de femmes que d’hommes, mais il y en avait un peu plus. Il y aura toujours plus d’hommes que de femmes dans les syndicats comme en politique – il ne faut pas se cacher les choses – mais je sais que petit à petit je voyais que les hommes posaient des questions sur leurs femmes. Et je me rappelle de certains regards quand on mettait des « powerpoint » avec des chiffres comparés entre hommes et femmes. Des regards d’hommes qui découvraient avec surprise ces chiffres et qui prenaient conscience soudainement de la réalité. Et on leur disait : « vous savez à la retraite, ce n’est pour qu’elles gagnent autant que vous ou plus que vous. Il y aura une reconnaissance c’est sûr. Mais la femme ça ne sera pas pour aller une fois de plus chez le coiffeur, mais ça sera peut-être par exemple pour se dire que ça va lui permettre de faire un peu d’économies pour pouvoir faire enfin un voyage tous les deux. Ou pour réaliser la véranda dont on rêvait mais qu’on ne pouvait s’offrir si elle touchait la préretraite qu’elle mérite. » Donc voilà, c’était en le montrant comme ça, avec du pratico-pratique, que l’on est parvenu à ce que les gens ne se renferment pas. Et tout cela prenait du sens. Oui l’égalité hommes-femmes, oui la conciliation, oui les crèches pour les enfants, oui des lieux pour les personnes dépendantes, et oui la retraite elle doit être digne, respectable. Je pense qu’on a permis de faire parler les gens, et cela est resté. C’est un acquis de cette mobilisation. Et les femmes étaient dans les manifestations pour la retraite en général et aussi pour la question de l’égalité femmes-hommes. On avait aussi des jeunes qui nous disaient « moi je ne veux pas que maman elle vive comme ça ». C’était fort. Je pense qu’on a permis une prise de conscience forte, qui a libéré la parole aussi. R.S – Les autres syndicats aussi ont vu cette question des inégalités femmes-hommes comme un élément levier de mobilisations selon vous ? P.C – Non je ne le crois pas. Nous avons été les seuls, la CFTC, à mobiliser là-dessus. Il n’est pas question de dire que nous sommes meilleurs que les autres, mais si j’avais été un homme cela n’aurait pas mobilisé de cette façon là. On m’a donné ma légitimité sur cette question là parce que je suis une femme. Et d’ailleurs on m’a demandé de devenir la Secrétaire générale de notre organisation lors de notre congrès du mois de novembre. D’ailleurs, lorsque cela a commencé à se savoir dans la presse, j’ai senti des regards différents de mes homologues syndicalistes qui passaient à la télévision. Ce n’était peut-être plus seulement à la militante à qui on disait bonjour, mais c’était peut-être à la politique, le regard était plus froid. Il faut que ça bouge. Alors j’ai peu connu ou pas connu les gouvernements précédents. Mais si j’avais un bilan à faire je dirais que nous avons un gouvernement super macho. Ils sont tellement peu habitués à se retrouver en face d’interlocutrices féminines. Et au-delà de cela, je me suis rendu compte
165
que dans leur groupe politique les femmes sont des hommes, honnêtement. Dans leurs attitudes, dans leurs comportements. Me concernant, après avoir accepté les nouvelles responsabilités qu’on voulait bien me confier, j’ai tout de suite prévenu que je refuserai de porter le « costume-cravate ». Je ne veux pas changer d’identité. Je peux comprendre que ces femmes politiques qui arrivent dans ces hautes sphères soient happées par cela, c’est une forme d'auto protection. Comme peuvent l’être aussi par exemple les attitudes très masculines de certaines filles des banlieues pour s’intégrer et vivre autrement que cachée dans leur milieu. R.S – Je vous remercie.
166
R.S – Un an après le passage de cette réforme des retraites, si vous deviez dégager les principales avancées et limites de la réforme et des débats qui ont vu le jour, quels seraient-elles ?
M.T – Cette question est fortement corrélée à la décision gouvernementale de relever de 65 à 67 ans l’âge auquel on peut prétendre à une retraite à taux plein. Et je vous invite sur ce sujet des femmes à vous rapprocher aussi de Catherine COUTELLE, qui a beaucoup travaillé sur la question dans le cadre du débat. Alors que dans un premier temps le débat s’est médiatiquement focalisé sur la question des 60 ans, nous avons souhaité mettre en avant le fait que les personnes qui allaient devoir travailler deux ans de plus pour pouvoir prétendre à une retraite à taux plein étaient très massivement des femmes. Celles-ci ont, davantage que les hommes, connu des carrières interrompues, notamment en décidant de s’arrêter au moment de la naissance d’un enfant, ou en ne commençant à travailler qu’après avoir eu des enfants. Ce phénomène de carrières interrompues persiste d’ailleurs chez les générations de femmes actives aujourd’hui, et concerne donc toutes celles et tous ceux qui ont connu des carrières précaires. De façon assez intéressante, nous nous sommes aperçus qu’il y’avait une très grande sensibilité à cette question des femmes dans le débat. L’impact plus général de celui-ci encore tient selon moi du fait qu’il renvoie directement à la manière dont les salariés appréhendent leur environnement de travail, leur rapport au travail. R.S – Aviez-vous anticipé cette sensibilité particulière sur la question de la retraite des femmes ? M.T – Nous l’avions anticipée comme un point parmi d’autres. Nous étions convaincus qu’il s’agissait d’un sujet à porter : parce que la retraite des femmes est nettement inférieure à celle des hommes, parce que plus de femmes que d’hommes vivent sous le seuil de pauvreté, et parce que les femmes seules sont plus nombreuses que les hommes seuls, qu’elles soient en fin de vie ou dans des familles monoparentales. Mais la force qu’a eue ce débat, nous ne l’avions pas forcément prévue, nous portions un certain nombre de thèmes dans le débat, sans savoir au départ si ils prendraient ou non. Et de la même manière, s’est imposée dans le débat une thématique qui était l’un de nos axes forts : la question de la pénibilité. Je vois d’ailleurs une forme de lien entre les deux. Si les femmes n’ont bien entendu pas toutes un travail pénible, parler de leurs conditions de travail les invite à faire de leur retraite un enjeu symbolique. Le parcours professionnel des femmes est semé d’embûches, c’est un parcours où l’égalité avec
RETRANSCRIPTION ENTRETIEN n°8
Marisol TOURAINE qualité : Députée d’Indre-‐et-‐Loire et Secrétaire nationale du PS à la Santé et à la sécurité sociale à l’époque de la réforme, elle est également aujourd’hui Présidente du Conseil Général d’Indre-‐et-‐Loire et membre de l’équipe de campagne du candidat socialiste à la présidentielle, François Hollande, en charge du « volet social » et des relations avec les partenaires sociaux. date : 21 septembre 2011 lieu : Assemblée nationale, Paris 7ème
167
les hommes est en permanence à affirmer, à retrouver ou à conquérir. La faiblesse du niveau des salaires pendant leur vie professionnelle et les carrières interrompues aboutissent à l’arrivée à de petites retraites. Ce sujet est donc devenu majeur, ce que la droite n’a ni anticipé ni perçu. R.S – Donc pour vous c’était dans la stratégie du PS, dans ses arguments avancés et ses prises de paroles … M.T – Oui, dans les prises de parole et dans l’organisation du débat parlementaire nous avions prévu qu’il y aurait des prises de position spécifiques sur les retraites des femmes, et nous avons désigné Catherine COUTELLE pour travailler plus spécifiquement là-dessus. R.S – En termes de diagnostic, des divergences se sont fait jour entre vous et le Gouvernement sur les projections des inégalités : d’un côté l’argument de la résorption naturelle, de l’autre celui de la nécessité d’une volonté politique à agir par des mesures compensatrices qui aillent également à la source des inégalités professionnelles. Avez-vous senti le débat évolué au cours des débats ? M.T – Non je crois qu’à droite le débat est resté très fermé, sur une position purement comptable. J’ai le sentiment qu’il y a un moment où ils ont bien vu que le débat prenait une ampleur qu’ils n’avaient pas imaginée et ont donc essayé de dire que tout cela était pris en compte, qu’il y’avait des correctifs dans la vie professionnelle, tout en restant sur leur grande thématique gouvernementale selon laquelle les retraites ne peuvent compenser toutes les inégalités accumulées au cours de la vie professionnelle. Ce qui est strictement exact d’ailleurs. On ne peut pas faire porter au système de retraites la réparation de toutes les situations d’inégalités de la vie qui s’est écoulée, ce qui deviendrait absolument ingérable. Je suis en revanche convaincue qu’il appartient quand même au système de retraites de ne pas creuser les inégalités qui se sont constituées. Et les femmes, du fait des inégalités salariales, des inégalités professionnelles, ont des retraites plus basses. Nous n’avons jamais demandé qu’une femme puisse avoir une retraite à taux plein sans avoir cotisé la durée requise. Mais la majorité va beaucoup plus loin, en considérant au fond qu’il faut travailler plus longtemps. Ils ajoutent donc une inégalité à celles qui se sont accumulées auparavant.
R.S – Maintenant, quel est votre regard sur le mouvement social et la place de cette question dans le mouvement social ? En outre, est-ce que dans le dialogue du PS avec le gouvernement la question des inégalités femmes-hommes a-t-elle été un des sujets abordés ? M.T – Il n’y a pas eu de vraie rencontre avec le Gouvernement avant le débat parlementaire. Le système français ne favorise pas l’échange entre le Gouvernement et l’opposition. En gros cela s’est borné à une rencontre officielle où le Parti Socialiste, représenté par Martine AUBRY, a rencontré Eric WOERTH rue de Grenelle. Je faisais partie de cette délégation, et j’ai observé que tout cela était très formel. Si nous lui avons présenté nos deux exigences, le Gouvernement a refusé d’entrer dans les précisions, le débat ne s’est donc pas développé. Nous nous sommes retrouvés pour la première fois dans la salle de Commission à l’été 2010, et le reste du débat s’est déroulé dans la presse. On ne peut donc pas parler de véritable dialogue. Le Gouvernement n’a pas du tout cherché un point de compromis, il s’est échappé en expliquant qu’il s’agissait d’un enjeu majeur, et que l’opposition ne jouait pas le jeu de la responsabilité. Mais pour jouer le jeu de la responsabilité il faut accepter un débat qui dure un peu plus que quelques semaines, et mettre sur la table tous les éléments. Chez nos voisins, où il y a cette culture du compromis, ce n’est pas sur les textes exacts du gouvernement que l’on
168
parvient à l’arrivée. Mais la vision qu’a notre Gouvernement du compromis revient à dire « vous venez sur mes positions, point barre ». Pour revenir sur le mouvement social, la question des inégalités femmes-hommes a été très présente dans les manifestations et les revendications qui s’exprimaient. Cela a été extrêmement fort. Dans toutes les manifestations où je me suis rendue, à Paris ou chez moi à Tours, cette thématique était présente dans les discussions, les tracts, les affiches, et s’est vraiment imposée comme un sujet de la mobilisation.
R.S – Un peu comme LE marqueur de l’injustice de la réforme que vous souleviez ? M.T – Ce n’est pas LE marqueur de l’injustice parce qu’il y’en avait d’autres, mais comme un des marqueurs, oui. R.S – Quelles propositions le PS a pu formuler sur cette question en particulier ? M.T – Maintenir à 65 ans l’âge de départ pour l’obtention d’une retraite à taux plein. Pour le reste, comme je vous le disais, ce n’est pas au moment de la retraite que les choses se jouent, mais tout au long de la vie professionnelle. R.S – Donc vous étiez davantage favorable à une loi à part sur l’égalité professionnelle qui règle les inégalités professionnelles entre les sexes ? M.T – Peut-être une loi, mais des lois il y en a beaucoup eu. En tout cas la mise en œuvre de dispositifs permettant de garantir effectivement l’égalité professionnelle. Et dans le débat sur les retraites nous avons d’ailleurs présenté des amendements portant sur l’effectivité de l’égalité professionnelle. Nous avons donc parlé de la sur-cotisation des emplois à temps partiel subi, qui sont surtout occupés par des femmes, ou encore de l’idée d’une obligation de résultat sous peine d’augmentation des cotisations des entreprises. Nous avons même dû, alors que ce n’était pas directement en lien avec les retraites, présenter nos conceptions de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, en faveur d’un service public de la petite enfance. R.S – Merci.
169
R.S – Un an après le passage de cette réforme des retraites, si vous deviez dégager les principales avancées et limites de la réforme et des débats qui ont vu le jour, quels seraient-elles ?
E.W – Je pense qu’il s’agit de l’augmentation de l’âge, même s’il y a plein de choses dans la réforme. L’augmentation de l’âge a focalisé le débat politique. Tout ce qui était autour est passé un peu au second plan. Cela a focalisé le débat entre le gouvernement, les organisations syndicales et les partis politiques, avec la volonté de leur part de ne pas bouger du tout. De considérer que l’on pourrait faire une réforme des retraites sans s’interroger sur l’âge de la retraite, ce qui aurait été une première dans l’ensemble des pays qui ont fait une réforme des retraites. Et le chiffre de 60 ans est un chiffre rond et symbolique ! Et puis il y a eu beaucoup de confusions. Je veux insister sur ce point, car il est très important. Il y a eu beaucoup de confusions entre les fondements de notre système de retraites et ce qui relève de leur mise en œuvre. L’âge relevait de la mise en œuvre. Le fondement, c’est le choix d’un système par répartition, c'est-à-dire la manière dont on gère les retraites. Or beaucoup, considérait que c’était l’âge qui était fondamental, qui était quasiment inscrit dans le pacte républicain. On perdait beaucoup de temps à déjà expliquer cela. Le deuxième élément était le débat entre justice et injustice : cette réforme est-elle juste ? Est-on prêts à travailler plus longtemps ? Les gens répondaient au fond d’eux-mêmes « non » dans les sondages, même si nous étions à certains moments à 50/50. On n’était pas dans du 80/20 ! Ce qui était déjà pas mal car on en demandait plus aux assurés. Une réforme permet souvent de faciliter les choses, alors que là pour sauver notre régime on demandait des efforts. Donc ces efforts, il fallait qu’ils soient justement répartis. Le débat est très vite devenu caricatural. C’est très compliqué de mettre l'idée de justice en norme. Le premier débat concernait le niveau des retraites : « les retraites sont trop faibles», « les gens ne peuvent pas vivre avec des retraites aussi faibles », « le taux de remplacement est de plus en plus faible ». Notre réforme visait précisément à ne pas diminuer le montant des pensions ! Le deuxième débat concernait les inégalités entre femmes et hommes : « les femmes sont injustement traitées dans le système des retraites ». Puis il y a eu le vaste débat sur la pénibilité, et d’autres encore. C’est très compliqué en tant que gouvernement d’être confronté à de tels débats, perdus d’avance : c’est toujours celui qui dit que c’est injuste qui a raison. Et donc quelque soit vos arguments, vous ne pouvez inverser la situation. Vous avez beau d’un côté avoir des arguments rationnels et justes, quand de l’autre on est dans un système de compassion, vous êtes dans une situation délicate.
RETRANSCRIPTION ENTRETIEN n°9
Eric WOERTH qualité : Ministre du Travail, de la Solidarité et de la Fonction publique du 22 mars 2010 au 13 novembre 2010, aujourd’hui Député de l’Oise date : 6 octobre 2011 lieu : Assemblée nationale, Paris 7ème
170
R.S – Et justement, sur le cas des inégalités entre les femmes et les hommes, est-ce que vous vous attendiez à un débat aussi vif ? E.W – C’est un débat très compliqué car il y a des inégalités entre les hommes et les femmes dans la société toute entière, et le système des retraites, c’est un peu le miroir d’une société. C’est quelque chose qui dépasse l’âge du départ à la retraite : son rapport au travail – c’est le travail qui est au cœur des choses – sa maladie, sa mort – combien de temps me reste t-il à vivre pendant ma retraite ? – donc c’est un débat assez fondamental et souvent très personnel, ce n’est pas un débat anodin. Il ne s’agit pas de l’augmentation d’un médicament ou du prix du ticket de métro. C’est quelque chose qui renvoie à sa propre vie : sa vie familiale, on refait sa vie, on regarde toute sa vie, son divorce qui s’est mal passé, ses enfants, ses drames, les périodes de chômage où l’on a douté sur le plan professionnel … c’est tout cela, la retraite. C’est un sujet profondément humain. Et on a essayé de le traiter avec humanité. Mais en même temps, il fallait assurer l’équilibre financier de la réforme. Et le débat sur les femmes avait bien sûr été anticipé, puisqu’on avait dès le texte initial proposé d’inclure les indemnités journalières maternité dans le calcul des pensions. Généralement, on ne voulait pas faire de réforme catégorielle et éviter la stigmatisation, car la retraite c’est un système collectif. Mais on souhaitait que le débat privé/public soit clairement posé et que l’on fasse des avancées en termes de convergence – cette fois-ci franco-française et pas franco-allemande – et en même temps on voulait que deux grands sujets, celui des femmes et celui de la pénibilité au travail, soient abordés. Sur les femmes on avait intégré les indemnités de congé maternité dans la prise en compte du salaire de référence pour la retraite. Cela avait été le premier point. Par la suite, d’autres mesures ont été décidées..J’ai reçu les délégations de l’Assemblée et du Sénat aux droits des femmes. L’observatoire de la parité a bien entendu été écouté et entendu. R.S – Vous avez donc reçu Mme ZIMMERMANN, Mme BRUNEL … E.W – Oui, oui. Cela n’a pas toujours été des débats faciles. Il faut l’admettre. Je ne vais pas employer la langue de bois. J’ai rencontré beaucoup d’autres femmes. J’ai fait des petits déjeuners ou des déjeuners avec des femmes, j’ai rencontré un panel sélectionné par le magazine Elle avec. J’ai également fait des rencontres moins médiatiques pour essayer de bien comprendre ce sujet. Et ce qui m’apparaissait très nettement était que la réforme des retraites ne pouvait pas tout résoudre. Et que la principale inégalité– je l’ai dis au moins 10 000 fois, et nous avions même écrit dans Le Monde – c’est l’inégalité salariale, qui se retrouve au bout du compte dans la retraite. Si l’on prend les chiffres années après années on voit que les inégalités entre pensions se réduisent, c’est clairement démontré. Par exemple, les femmes de 85 ans touchent en moyenne 42% de la retraite des hommes du même âge (hors pension de réversion et minimum vieillesse), alors que la pension des femmes âgées de 60 à 64 ans, qui viennent de prendre leur retraite, représente 67 % de celle des hommes du même âge. Les inégalités en termes de retraite s’expliquent d’abord par l’inégalité salariale elle-même, mais aussi parce que les femmes travaillent en moyenne moins : mi-temps, 80% … Cela nous conduit à un autre débat, celui du temps partiel imposé. En réalité, lorsqu’une caissière de supermarché – je ne sais pas pourquoi c’est toujours l’exemple d’une caissière de supermarché qui revient –travaille à temps partiel, est-ce un temps partiel non voulu ou subi ? C’est un type
171
d’inégalité très compliqué à régler uniquement par la question de la retraite. Donc on a vraiment essayé de montrer qu’on mettait en place un système qui permette de limiter l’inégalité salariale entre les hommes et les femmes : renforcement de l’obligation pour les entreprises de publier, avec des pénalités financières (c’est la première fois qu’on mettait en place des pénalités), le rapport de sur les situations comparées. Un certain nombre de mesures sont ensuite venues limiter cette inégalité pour les femmes qui en souffraient vraiment. C’est pour cela qu’au Sénat, a été intégré un amendement pour les mères de trois enfants nées dans les années 50. R.S – Avant de venir sur les solutions avancées et ce qui a été adopté, revenons si vous le voulez bien sur le diagnostic. Madame MILEWSKI et d’autres contestent un peu le diagnostic selon lequel les inégalités de pension se réduisent en mettant en avant que les inégalités de salaire stagnent depuis quelques années, et que depuis les années 80 on assiste à une précarisation de l’emploi des femmes et à un taux d’emploi des femmes qui stagne ces dernières années. Du coup on a vu un clivage entre le gouvernement d’un côté, et les délégations aux droits des femmes, l’Observatoire, les syndicats, les partis politiques d’opposition de l’autre, sur les projections de ces inégalités. Donc ne pensez-vous pas, avec du recul, qu’une étude d’impact commandée au COR aurait pu trancher ce débat ? E.W – Le COR avait déjà travaillé sur le sujet (rapport sur les avantages familiaux). C’est sur ces études que s’est fondée notre réflexion. Concernant les projections, on en avait faite sur les durées d’assurance où l’on voyait la borne des 65 ans concernerait de moins en moins de femmes. Mais quand on essaie d’expliquer ces éléments factuels, les gens ne sont pas d’accord. Il faut expliquer les choses rationnellement, de façon la plus objective possible. Nous avons choisi de regarder les choses telles qu’elles sont, et non la manière dont elles pouvaient être perçues. Et certaines personnes n’étaient pas d’accord car cela ne correspondait pas à leurs opinions. Elles considéraient par exemple que le temps partiel voulu n’existe pas. Quelqu’un qui accepte, qui demande à son employeur de travailler à 80, 70 ou 50%, alors évidemment il accepte aussi une réduction de salaire. Et il aura aussi une réduction de retraite, c’est toute l’essence d’un système contributif. Evidemment, il y a des minimas si on tombe en-dessous de certains seuils, dans la fonction publique comme dans le privé, pour les assurés qui ont cotisé ou pas (ainsi, grâce au minimum contributif, un assuré ayant travaillé durant toute sa carrière à mi-temps au SMIC perçoit une retraite de base égale à celle d’un assuré ayant travaillé à temps plein au SMIC). Ces minimas, nous avons été attentifs à plutôt les augmenter : par exemple le minimum vieillesse aura augmenté de 25% sous le quinquennat du Président - on a laissé la possibilité de toucher le minimum vieillesse dès 65 ans. Et encore une fois, le temps partiel n’est pas toujours subi : Beaucoup de choses relèvent de choix personnels : certaines personnes décident de passer un peu plus de temps avec leurs enfants. Mais néanmoins, dans ce cas comme dans bien d’autres, elles bénéficient bien d’un certain nombre de bonifications pour le calcul de leur pension. Si vous avez un enfant, vous bénéficiez en effet de deux ans de cotisations qui sont inscrites à votre compteur retraite. Il existe bien des compensations. La société dépense chaque année des milliards et des milliards d’euros pour justement essayer d’atténuer ces éléments, ces éléments de différence. On nous disait que c’est très injuste que ce soit les femmes qui vont devoir prendre leur retraite à 67 ans. Ce n’est simplement pas vrai du tout.
R.S – Pour revenir sur les projections, Françoise MILEWSKI me disait en entretien ne pas être en capacité aujourd’hui de mesurer l’impact sur les femmes du passage de 65 à 67 ans.
172
E.W – Mais nous on savait qui prenait sa retraite à 65 ans. Il suffisait d’interroger la CNAV. C’est une femme qui la présidait en plus, donc c’est peu contestable [sourire]. C’est vrai qu’il y’a majoritairement plus de femmes qui partent à 65 ans que d’hommes – cette tendance va d’ailleurs s’inverser pour les générations futures. Mais la plupart de ces femmes se sont arrêtées de travailler il y a bien longtemps, il y a bien longtemps. On a décrit tout cela, et après le parlement a repris toute une série de tableaux très compliqués sur le sujet pour montrer que la grande majorité des femmes qui partent aujourd’hui à 65, 66 ou 67 ans sont des femmes qui se sont arrêtées de travailler parfois pendant des années et des années (en moyenne, elles se sont arrêtées de travailler 20,5 ans avant de prendre leur retraite). Donc après elles arbitrent entre un départ avec décote si elles arrivent à vivre avec cette décote, ou si elles considèrent qu’il faut qu’elles aient leur taux plein, elles attendent, mais elles sont en capacité d’attendre. Nous avons regardé ce qu’impliquait le passage de 65 à 67 ans pour éviter qu’il y ait des personnes qui soient dans des situations financières trop compliquées à assumer. Une des décisions a alors été de conserver l’octroi du minimum vieillesse à partir de 65 ans.
R.S – Quel rôle a pu jouer selon vous le constat partagé de lois nombreuses mais non appliquées en matière d’égalité professionnelle dans la manière dont ce débat s’est développé ? Et comment avez-vous accueilli les critiques qui vous ont alors été faites ? E.W – Je n’étais pas à une attaque injuste près. Je ne les comptais plus trop… Mais je vivais assez mal le fait que sur des sujets comme cela on nous mette en cause. La retraite à l’époque du gouvernement socialiste était bien plus dure pour les femmes qu’aujourd’hui. Donc il ne faut pas raconter d’histoire. Ils n’ont jamais lié la question des inégalités entre hommes et femmes avec la question des retraites, jamais ! La retraite à 60 ans a été faite pour les hommes ! Elle n’a pas été faite pour les femmes. Donc je trouvais comme toujours que le débat politique était biaisé, caricaturé, et qu’on renvoyait très vite la responsabilité politique sur un débat de société plus large que la question des retraites. J’ai néanmoins accepté de l’affronter. J’aurais d’ailleurs eu envie, en tant que ministre du travail, d’investir sur ce sujet. Il n’était pas temps de le faire au moment de la réforme des retraites parce que nous étions très pris sur ce texte. Mais j’avais l’intention réelle de le faire. Il y avait des rapports très intéressants qui étaient parus. On voyait bien qu’il fallait pousser les entreprises à aller plus loin. Il fallait résoudre les contradictions de la société française où à la fois on incite les femmes à rester à la maison lorsqu’elles ont des enfants et on les incite à travailler. Donc il faut choisir. Une femme qui reprend son travail, on me l’avait plusieurs fois montré, descend d’un rang dans l’échelle salariale, et encore quand elle peut le reprendre au bout de deux ou trois ans. Cela veut dire qu’il ne faut pas arrêter de travailler, contrairement à la société allemande qui pense que les femmes sont mieux à la maison. Les femmes ont évidemment toute leur place sur le marché du travail, au même titre que les hommes, avec des contraintes parfois un peu différentes. Il faut donc gommer ces contingences, notamment au moment de l’accouchement, pour qu’elles n’en paient pas par principe les conséquences. Et en même temps il faut les inciter à rester sur le marché du travail, car il bouge à toute vitesse. Il y a là plein de sujets sur lesquels il faut mettre certainement de la règlementation, mais aussi beaucoup d’état d’esprit, beaucoup de culturel. R.S – Et puis vous le disiez, quand vous disiez que le système a été construit pour les hommes, ce qui est aussi reproché au système des retraites c’est non seulement d’acter les inégalités
173
entre les sexes mais également de les creuser. Techniquement dans votre cabinet, un de vos conseillers suivait spécifiquement cette question ? E.W – Personne en particulier, c’était traité par l'équipe « retraites ». Même chose pour la pénibilité au travail, bien qu’il y avait quelqu’un spécialisé en droit du travail et en médecine du travail. R.S – Et mis à part avec les organismes spécialisés comme les délégations ou l’Observatoire, ce sujet a-t-il été abordé lors de vos rencontres bilatérales avec les syndicats, partis politiques, etc. ? E.W – Ce n’était pas un sujet pour eux. Non, je peux vous assurer que ce n’était pas du tout un sujet pour les syndicats. Ils étaient sur d’autres sujets. Je vous donne mon opinion et comme toute opinion il y’a une part de subjectivité, mais vraiment ce n’était pas un sujet, même s’ils vous diront bec et ongle que oui. Ni d’ailleurs pour les autres partis politiques. J’ai vu tout le monde, du Front national au PS en passant même par les jeunes socialistes, et il n’y en a pas un qui m’a parlé des femmes. Au départ. Au départ ils étaient sur l’âge de la retraite. R.S – Et c’est un sujet qui est progressivement monté ? E.W – C’est un sujet qui a été mal compris. Les indemnités journalières maternité par exemple, j’ai dû présenter cette mesure lors de la conférence de presse du 17 juin 2010. Pour les journalistes, pour les gens, c’était une sorte de « mesurette » technique comme l’on en prend à chaque fois, une cascade de petites décisions, personne ne sait vraiment de quoi il s’agit. Nous on avait expliqué que lorsqu’on prend les 25 meilleures années de revenus il ne fallait pas que les femmes soient pénalisées par les congés maternité. Mais ce n’est initialement pas apparu comme un sujet majeur. R.S – Quels acteurs ayant permis l’émergence de ce sujet dans le débat de la réforme des retraites identifieriez-vous ? E.W – C’est plutôt les politiques, les femmes politiques : Chantal BRUNEL, Marie-Jo ZIMMERMANN, Michèle ANDRE et d’autres parlementaires. Le débat est plutôt parti de certaines prises de positions, puis s’est un peu focalisé. Personne n’a dit, car c’est sûrement politiquement incorrect, que les femmes vivent quand même beaucoup plus longtemps que les hommes. C’est un autre type d’injustice. Un homme touche beaucoup moins longtemps sa retraite qu’une femme. Ou un homme du sud vit beaucoup plus longtemps qu’un homme du nord. Ou que … voilà. Une femme ouvrière vit à peu près le même temps qu’un homme cadre. Et lorsque vous y ajoutez un critère géographique… Donc il y a plein de mesures qui pourraient être prises si vous voulez être au plus près de l’expérience de chacun devant la vie, devant la mort, devant le travail. C’est sûr que dans ce cas vous créez un système de retraites extrêmement compartimenté. Nous avons voulu avec cette réforme répondre aux grandes questions qui se posaient en matière de retraite. Les femmes ont moins de trimestres que les hommes, c’est pour cela qu’elles continuent à travailler et qu’elles prennent leur retraite plus tard. Cela est vrai pour les femmes qui prennent leur retraite aujourd’hui. Mais cela est terminé maintenant. Et aujourd’hui les femmes ont autant de trimestres que les hommes voire plus grâce aux bonifications de trimestres pour la naissance d’un enfant - même si le partage des trimestres a été exigé par la commission européenne, cela reste encore les femmes qui cumulent ces trimestres.
174
R.S – Et concernant le fait que 80% des emplois à temps partiels soient occupés par des femmes ? E.W – Cela n’impacte pas les retraites en termes de nombre de trimestres cotisés. Puisque dès lors que vous travaillez à mi-temps au SMIC vous validez vos quatre trimestres par an. Et le minimum contributif à la retraite sera le même que pour une personne qui aura travaillé au SMIC à temps plein. La retraite de base est la même en fait. Cela est juste, mais coûte néanmoins très cher. Mais c’est très difficile à expliquer. Si l’on commence à rentrer dans des considérations de cette nature… Mais d’un autre côté, quand vous travaillez à 80%, cela peut également relever d’un choix. C’est le choix d’élever ses enfants, de s'occuper de sa famille, etc. Il y a d’autres tuyaux qui viennent se brancher dans la société française pour pallier d’éventuelles pertes de revenus. R.S – Peut-on revenir sur votre calendrier sur ce thème là durant la réforme ? E.W – Au-delà des rencontres que l’on a pu évoquer précédemment, j’ai fais aussi des déplacements pour tenter d'illustrer les situations. Je suis allé par exemple chez Sodexo pour parler de ce sujet précis. Je suis allé également dans une entreprise d’agro-alimentaire où il y a aussi beaucoup de femmes, et où j’ai évoqué à la fois la question de la pénibilité et de l’emploi féminin. Ces déplacements sont passés totalement inaperçus. R.S – Si il est vrai que cette question a émergé tardivement dans l’agenda public, on a vu ensuite de nombreuses femmes dans les manifestations et cette question est devenue l’une des questions majeures au cours du mois de septembre. Encore hier soir lors du débat télévisé des primaires socialistes, lorsque la question des retraites a été évoquée deux points ont particulièrement été soulignés : la question de la pénibilité, et celle de la retraite des femmes. E.W – Jusque là ils (les socialistes) n'avaient jamais traité ce sujet. Et la question des femmes avait été très très mal traitée dans la réforme qui avait conduit aux 60 ans. Ce sont des arguments très pratiques mais très démagogiques. Prendre la réforme des retraites et dire que le texte est injuste pour les femmes, c’est faux. On ne peut pas dire « les femmes garderont leur retraite à 65 ans et les hommes passeront à 67 ans ». Pourquoi ferait-on cela ? Et pourquoi ne garderait-on pas les 65 ans pour tous ? François BAYROU était pour cela. Oui à 62 ans, non à 67 ans. D’un côté on fait un effort, de l’autre on est laxiste. Sauf qu’on a quand même besoin d’équilibrer financièrement. Car si l’on n’équilibre pas financièrement, les femmes, pas plus que les hommes, n’auront de retraite : c’eût été cela, la plus grande des injustices. R.S – Concernant maintenant les propositions d’actions positives compensatrices et temporaires formulées notamment par l’Observatoire de la Parité, telles que notamment la limitation du poids des charges familiales sur la durée d’assurance avec certains mécanismes, ou le partage des conséquences du temps partiel entre les parents partant de l’analyse que le choix du temps partiel est un choix de couple pour assumer les charges familiales et d’éducation des enfants, qu’avez-vous pensé de ces propositions ? E.W – On rentrerait dans un système totalement ingérable, mais la question continuera d’être posée. Mais alors, comment partagerait-on les droits à la retraite ? Notamment en cas de divorce ?
175
R.S – Cela m’amène à ma dernière question plus large : qu’est ce que pour vous être un homme et être une femme, et comment entendez-vous l’égalité entre les femmes et les hommes. E.W – L’égalité se définit à travers des mêmes droits. Mêmes droits, même type d’étude, même salaire… Bien que les sociétés partagent un peu mieux les tâches entre les femmes et les hommes aujourd’hui qu’il y a seulement 20 ans, il existe toujours des choix de couple. La société ne peut pas vous dicter comment vous devez vivre en couple. Il faut laisser aux gens la liberté de s’organiser. Il y a des droits qui vous sont attachés individuellement, et heureusement qu’ils vous sont attachés individuellement. Le droit à la retraite vous est attaché individuellement. Si vous avez travaillé un peu moins c’est qu’à un moment donné vous l’avez peut-être choisi. Et puis il y a ceux qui subissent certaines situations, et là c’est un autre sujet, ce n’est pas un sujet exclusivement lié aux retraites. La retraite ne peut pas venir à un moment donné compenser toutes les injustices qui ont été crées pendant 30 ans. Le vrai combat, c’est celui de l’égalité salariale. Mais c’est très compliqué parce qu’aujourd’hui l’inégalité salariale ne se voit pas en début de carrière. Elle se fait au fur et à mesure, elle se fait sur l’accès aux postes de responsabilité. Quand vous avez 25 ans et que vous sortez de vos études, vous trouverez les mêmes salaires pour les hommes et les femmes. Le décrochage se fait au fur et à mesure. Les femmes n’accèdent pas aux postes de responsabilité comme le montre une multitude d’études sur les comités directeurs, sur les postes de direction d’administration centrale, sur les postes d’élu/es aussi d’ailleurs – combien a-t-on de femmes présidente d’un Conseil général ou d'une entreprise du CAC 40 ? C’est cela qu’il faut corriger, avec des lois coercitives je crois, sinon cela ne marche pas. Ce n’est certainement pas une solution formidable. Mais il faut bien forcer un peu le destin puisque le destin ne se force pas tout seul. Concernant les pénalités que nous avons inscrites dans l’article 99 de la loi, il faudra veiller à les faire appliquer. Car on ne peut pas en rester à une société française inégalitaire sur le plan salarial. Moi c’est ce qui me choque le plus. Ce n’est fondamentalement pas acceptable. Ensuite vient le problème des personnes obligées de travailler peu. R.S – Et concernant l’amendement sur les mères de famille passé au Sénat, est-il le même que celui porté à l’Assemblée nationale par Madame BRUNEL ? E.W – Non ce n’est pas le même. En fait, nous avons voulu être cohérents avec nous-mêmes, avec toujours l’idée d’équilibrer le système de retraites. Tout ce qu’on nous proposait, c’était des dépenses supplémentaires. On ne nous a jamais proposé de système équilibré. D’ailleurs quand on entendait les syndicats et les partis politiques, pour eux la réforme des retraites c’était un plus. Plus d’égalité, plus de ci, plus de ça. Et moi je faisais les comptes avec le souci d’équilibre. Il y avait une grande incapacité à assumer un exercice d’effort. Personne ne veut porter cela. Et l’amendement pour les mères de trois enfants, l’idée était de dire : il faut aider les femmes qui, étant nées trop tôt, n’ont pas bénéficié des mesures de compensation. On a considéré que c’était les générations de femmes nées dans les années 50. Tout cela a été fait à l’aide d’études robustes de la CNAV et de la DREES. Donc on a pris la mesure présentée devant le Sénat, qui a pu paraître limitée, mais qui répondait à un problème clair sans toutefois menacer l’équilibre de la réforme.
176
R.S – Pourriez-vous s’il vous plaît dans un premier temps présenter à quel titre êtes-vous intervenue durant la dernière réforme des retraites, et comment aviez-vous vécu les réformes de 1993 et 2003 ? C.DH - Alors 1993 je ne m’en souviens plus, j’étais trop jeune, j’avais 13 ans, et je ne faisais pas du tout de politique à l’époque. En 2003 j’étais militante à l’UNEF, le syndicat étudiant, et on avait beaucoup participé à la mobilisation de la réforme des retraites. Je n’ai aucun souvenir d’avoir parlé de la question des droits des femmes pendant cette mobilisation là. Le souvenir principal que j’ai c’est que le jour où la CFDT a signé ça a été vécu comme une grande trahison et qu’on s’est dit « pour reconstruire un mouvement social à partir de ça, ça va être galère ! ». Et j’ai des souvenirs assez précis de grandes manifs en 2003, vraiment de superbes manifs. Cela faisait un moment qu’on n’avait pas vu des manifs aussi grandes. Il y’avait bien eu Le Pen et la guerre en Irak, mais là c’était des manifestations sociales. Et puis je me souviens d’AG (assemblée générales) à l’université Paris 1 où ils avaient commencé trois mois avant et fini trois mois après la fin du mouvement. Enfin voilà, 2003 j’ai peu de souvenirs, et surtout je n’ai aucun souvenir qu’on ait parlé d’égalité femmes-hommes. 2010 par contre ce qui s’est passé c’est qu’on a très vite vu qu’il y’aurait un problème sur la question d’égalité femmes-hommes mais on s’est rendu compte très rapidement – puisque il y’a eu des manifestations dès mai je crois – que les premières manifestations ne parlaient pas de cette question, et que les syndicats n’en parlaient pas tant que ça non plus. Ce n’était pas du tout un sujet central de la mobilisation. Et fin juin il y’a eu une manif, et une semaine avant on s’est dit – en préparation de la manif on s’est rendu compte, peut-être que je réécris l’histoire j’en sais rien – qu’on parlait pas d’égalité femmes-hommes dans les manifs, que les syndicats n’en faisaient pas du tout un sujet et nous (les féministes) on s’est dit que c’était un angle d’attaque capable d’affaiblir le gouvernement et de les faire reculer sur cette réforme. Donc du coup on a lancé un appel des féministes contre la réforme des retraites signé par tous les syndicats excepté la CFDT puisque l’on tapait dans cet appel sur la réforme de 2003 – mais la CFDT nous dit quand même « je suis hyper d’accord, et si il n’y avait pas eu cet élément on aurait signé » - tous les partis politiques de gauche, et puis plein d’associations féministes. C’est un appel qui a été signé par environ 2000 personnes sur Internet je crois, donc ce n’est pas énorme par rapport par exemple aux 30 000 signatures de l’appel contre le sexisme mais c’est quand même pas mal à l’époque surtout qu’on était une petite association. Et résultat, 10 jours après dans la manif de fin juin on commence à parler de ce sujet là. Mais c’est encore assez timide. Et c’est au cours de l’été, avec la sortie de Vie de meuf par exemple, où il va y avoir des « buzzs » sur la question des droits des femmes et du sexisme, et donc à la rentrée cela va être au cœur des manifs.
RETRANSCRIPTION ENTRETIEN n°10
Caroline DE HAAS qualité : Porte-‐parole d’Osez le féminisme ! de novembre 2009 à juillet 2011, aujourd’hui chargée de communication à l’Assemblée des Femmes date : 4 novembre 2011 lieu : Paris, 14ème
177
R.S – Ce mouvement social était le 1er mouvement social dans lequel s’insérait Osez le féminisme ! (OLF) ? C.DH – On avait préparé la manif du 17 octobre 2009 sur les droits des femmes, mais ce n’était pas un mouvement social, c’était une manif ponctuelle. Donc oui c’était le premier mouvement social dans lequel on militait. Ce qui est assez rigolo d’ailleurs, car c’est la 1ère fois qu’on a un débat gauche/droite dans l’association. Enfin, pas un débat gauche/droite car globalement le coeur des militantes d’OLF penche plutôt à gauche, mais il y en a beaucoup qui ne font pas de politique et il y en a beaucoup pour qui la gauche et la droite c’est un peu pareil quoi, puisque en matière de droits des femmes il faut se dire que … ce n’est pas pareil, mais la gauche n’a pas été révolutionnaire dans ce domaine là. Et donc on se rend compte qu’on rentre dans un mouvement où il y a une vraie opposition au gouvernement, et ça serait intéressant je pense de voir comment à ce moment là les militantes de l’époque ont vécu ce moment là. Car pour nous militantes politiques c’était complètement normal, mais pour celles qui n’ont jamais fait de politique se retrouver là, dans un mouvement aussi fermement opposé au gouvernement c’était quelque chose de nouveau. Et je pense que pour un certain nombre elles sont rentrées en politique – enfin elles ne se sont pas forcément engagées derrière – mais c’est la première fois où elles faisaient de la politique. R.S – Pourriez-vous brièvement dresser un bilan des avancées et des limites de ce mouvement en général, et en matière d’égalité femmes-hommes ?
C.DH – C’est compliqué parce qu’il y a quand même 3,5 millions de personnes dans la rue, ce qui est énorme en termes de mouvement social, c’est-à-dire que c’est une grosse réussite en matière de mobilisation, et dans le même temps le mouvement social n’obtient rien. Donc globalement le bilan est plutôt négatif, puisqu’on n’obtient pas le retrait de la réforme des retraites. Et en même temps c’est une fois de plus la preuve – c’est un élément sur lequel je m’énerve souvent quand je discute avec des gens qui me dise « ah le syndicalisme en France il est faible, il n’y a pas beaucoup de syndiqués … » - que n’empêche il n’y a pas beaucoup de pays dans le monde où les syndicats sont capables de mettre 3,5 millions de personnes dans la rue contre une réforme des retraites. Peut-être dans le monde j’exagère, mais en Europe il n’y en a quasiment aucun. Et j’ai le souvenir pendant le mouvement du CPE (contrat première embauche) par exemple, d’un syndicaliste allemand me disant : « chez nous il y a 100% de syndiqués mais on serait incapables de faire reculer le gouvernement sur un projet comme le CPE ». Donc à mon avis ce moment là il montre que les syndicats sont forts en France, et puis il montre à quel point il y a une déconnexion entre la droite et le mouvement social, et puis les aspirations du peuple quoi. Et puis après sur l’égalité femmes-hommes, dans notre malheur de ne pas avoir réussi à faire reculer la réforme des retraites, quand je discute aujourd’hui avec des journalistes ou avec des personnes du pourquoi les droits des femmes s’invitent aujourd’hui dans la campagne présidentielle, ce n’est bien évidemment pas tombé du ciel et c’est aussi parce qu’il y a des associations féministes qui se battent et qui font du bruit – comme les rencontres d’été des féministes en mouvement en juillet dernier, ou encore les états généraux du CNDF bientôt – mais à mon avis tout a commencé au Planning familial, et avec la réforme des retraites. La réforme des retraites a été un révélateur, on a franchi un point de non-retour. Un point où pour la première fois une majorité de la population s’est rendue compte que l’égalité femmes-hommes n’était pas acquise. Avec le chiffre des 40% c’est vraiment pour moi crucial. Il y a un avant et un après cette réforme des retraites. Parce que les attaques contre le Planning en 2009 cela a déclenché quelque chose dans la tête des féministes, des féministes au sens très large, puisque il y a eu 150 000 personnes qui ont signé la pétition et je ne crois
178
pas qu’à l’époque les 150 000 personnes se soient dites féministes, mais des gens plutôt qui ont bien conscience qu’il y’avait un problème dans la société. La réforme des retraites ça touche autrement, ça touche l’opinion publique et ça fait prendre conscience que l’égalité femmes-hommes n’est pas acquise. Car comme pour le mouvement féministe la première chose à faire est de convaincre les gens qu’il y a un problème avant d’expliquer que l’on peut changer la société, à partir du moment où les gens ressentent qu’il y a un problème on n’a pas fait la moitié du boulot, j’exagère, mais on a fait un sacré pas. C’est ce que je raconte partout mais avant la réforme des retraites quand j’étais invitée dans des réunions en France je faisais partout « féministe en 2010, quelle idée ? ». Je ne fais plus de réunion « féministe en 2011, quelle idée ? », plus jamais je ne fais ça. R.S –Vous pourriez analyser quel serait le dernier grand mouvement comme celui-ci d’émergence dans le débat public d’une prise de conscience de « l’égalité n’est pas acquise » ? C.DH – Je dirais, je ne l’ai pas vécu mais je dirais 1995, avec les commandos anti-IVG. Mais je ne suis pas sûre. On oublie souvent que le grand mouvement social de 1995 contre la réforme JUPPE a commencé par une manifestation du CNDF. Mais je n’en suis pas certaine, il faudrait interroger les actrices de l’époque. En fait ce qui me fait dire cela c’est ce que je lis ce qu’écrivait à l’époque les jeunes associations féministes quand elles disaient : « la manif de 1995 ça a été un tournant, on se rend compte qu’il y a eu un avant et un après, il y’a eu un renouveau dans le mouvement féministe, etc. ». Plus personne ne s’en souvient mais il y avait les Science Potiche se rebellent, les Marie Pas Claire, etc. R.S – Le constat d’un saut qualitatif dans la prise de conscience de l’opinion n’est pas partagé. Par exemple Marie-Jo ZIMMERMANN dira que pour elle ce n’est qu’une continuité. C.DH – A mon avis le saut qualitatif dans l’engagement féministe c’est vraiment les attaques contre le Planning familial fin 2009. Je fais vraiment une réflexion entre le réveil d’une génération féministe – cela pour moi c’est le Planning, ce n’est pas la réforme des retraites – et autre chose, qui ne relève pas d’une prise de conscience féministe, de l’égalité n’est pas acquise pendant la réforme des retraites. Et cela ne veut pas dire que le travail est fini, bien au contraire, c’est un début, c’est sur cela que le mouvement féministe doit s’appuyer pour construire quelque chose. Sinon ça retombera c’est évident. Mais si on n’avait pas ça, il faudrait déjà qu’on perde du temps à expliquer que l’égalité n’est pas acquise. R.S – Quels ont été les clivages avec le gouvernement sur les causes des inégalités femmes-hommes et sur la projection de ces inégalités ? C.DH – Cela est intéressant car on a un peu évolué au cours du mouvement. On a précisé nos positions en fonction des réponses que le gouvernement nous faisait. En gros au début le gouvernement niait en bloc un problème d’égalité. Cela n’a pas tenu très longtemps car le chiffre des 40% d’écarts de retraite est plutôt violent. Et la réponse ensuite du gouvernement a été « le problème des 40% c’est le problème des inégalités professionnelles dans le monde du travail, tout au long de la carrière. Si on règle le problème dans la carrière des femmes, on règle le problème des retraites. Et la réforme des retraites n’a strictement rien à voir. ». Et c’est pour cela que le gouvernement a répondu en disant qu’il allait intégrer dans la réforme des retraites des éléments sur l’égalité professionnelle. Et donc ce fut le fameux article de loi qui au final a repoussé le délai pour les entreprises et la mesure sur les congés maternité. En gros, assez rapidement, dès septembre je pense, la réponse du gouvernement sur l’égalité
179
professionnelle puisqu’ils se sont rendus compte que c’était un sujet – donc première victoire pour nous d’obliger le gouvernement à répondre là-dessus – était « arrêtez de dire n’importe quoi, la réforme des retraites n’a rien à voir, là on arrive après les inégalités, donc il faut régler les choses avant ». Sauf que les inégalités dans le monde du travail c’est 27%, alors qu’à la retraite c’est 40%. Et c’est pour ça que nous, à partir de ce moment là on utilise un chiffre qui avait été peu utilisé auparavant, c’est le chiffre de l’âge de départ à la retraite. Il y’a environ 5% des hommes qui partent à la retraite à 65 ans quand les femmes sont 30% à partir à cet âge là du fait des carrières creuses, etc. Donc le report de 65 à 67 ans touche principalement les femmes. On a construit toute une argumentation là-dessus face au gouvernement qui nous expliquait que la réforme des retraites ne crée pas d’inégalités. Non. Il y’a en effet des inégalités dans le monde du travail qu’il faut régler, mais cela ne règlera pas tout. Et la réforme du gouvernement va amplifier les inégalités. Donc c’est pour cela que nous on revendique le maintien de l’âge légal à 60 ans et de l’âge de départ à taux plein à 65 ans. R.S – Formuliez-vous également des propositions sur l’architecture même d’un système des retraites qui a été construit pour les hommes et par les hommes à une époque où l’essentiel des salariés étaient des hommes, et où on avait pas encore connu la révolution de l’entrée des femmes sur le marché du travail ? Etaient-ce des réflexions qui traversaient OLF à ce moment là ? C.DH – Je n’ai pas de souvenirs très précis si on est allé très loin là-dedans. Parce que la difficulté c’est que … par exemple ce qu’on pourrait dire c’est que les salariés à temps partiel cotisent à taux plein, sauf qu’à partir où tu dis cela tu acceptes le temps partiel. On est toujours dans la difficulté d’où tu places le curseur. Et en gros, le principal problème dans la réforme des retraites c’est le problème du financement. Et nous notre principale argumentation c’est de dire que le financement on peut le trouver… si l’on cherche. Donc on n’essayait pas de construire un autre modèle social. Notamment car c’est quand même risqué. On risque de perdre beaucoup et de ne pas gagner grand-chose. Certes le modèle actuel il n’est pas très adapté et il est insuffisant mais n’empêche que dans la période actuelle vu toutes les remises en cause des protections sociales qu’il y a partout en Europe et en France moi je ne jouerais pas à construire à dire « ah tiens on va construire un nouveau modèle » car c’est sûr que l’on va y perdre. J’ai plutôt tendance à dire « défendons nos acquis ». Certes le modèle il n’est pas adapté au monde du travail, mais faut-il changer le modèle de retraites ou faut-il changer le monde du travail ? Moi j’aurais tendance à dire qu’il faudrait changer le monde du travail pour que tout le monde puisse travailler à temps plein. Après oui c’est ce que l’on avait dit sur la proposition sur les congés maternité, c’est super mais bon c’est 32 semaines 2080 semaines d’activité. Donc bon il faut juste arrêter de nous prendre pour des imbéciles … R.S – Alors que le sujet des inégalités femmes-hommes a tardé à émerger dans le pré-débat de la réforme des retraites, Christine Boutin et 9 autres députés de droite faisaient paraître dans Le Figaro une tribune intitulée « Les familles doivent être prise en compte dans la réforme des retraites » qui avançait deux revendications : la prise en compte des indemnités congé maternité dans le calcul des retraites, et le maintien du départ à 65 ans pour les mères de familles nombreuses. Aviez-vous noté la publication de cette tribune ? Cela vous fait-il réagir ? C.DH – Non pas du tout. On pourrait se dire à posteriori que Christine Boutin a servi sur un plateau au Gouvernement des moyens de sortie sur cette question.
180
R.S – Comment se sont articulés votre travail et votre mobilisation sur cette question avec le mouvement social ? C.DH – Le problème à mon avis c’est que le mouvement féministe est trop eu structuré et trop faible pour être un interlocuteur des syndicats et des partis politiques. Et donc nous on lance l’appel des féministes contre la réforme des retraites, que les partis politiques et les syndicats signent parce qu’ils nous aiment bien, qu’on est jeunes, qu’on est féministes etc. Enfin, ce ne sont que des individus – des femmes pour la plupart – qui signent et non des organisations en tant que telles. Mais bon je pense qu’ils s’appuient sur cet appel pour dire que ça bouge dans le mouvement féministe, enfin bon j’espère qu’ils ont utilisé ça pour dire qu’il y’a un sujet « femmes » etc. Mais à aucun moment on aurait pu imaginer une réunion au sommet entre les syndicats et les organisations féministes. Mais pour ça il faudrait qu’il y ait une organisation féministe unique qui fédère tout le monde et qui soit capable d’être une interlocutrice, ce qui n’existe pas en France. OLF est à l’époque une très petite association. On s’inscrit dans le cadre de l’initiative Copernic, on participe à tous les meetings car ils n’ont pas assez de femmes à la tribune et qu’ils ont besoin d’avoir une parole féministe. Donc il y a Christiane MARTY qui fait l’intervention féministe à chaque fois, et nous on monte à la tribune pour parler des droits des femmes. Donc dans ce cadre là on est investis. La réalité c’est qu’on n’a ni la légitimité ni les épaules assez fortes pour fédérer une parole forte sur cette question. R.S – Donc pour vous l’écueil principal est le manque d’unité du mouvement féministe? C.DH – Et puis de structuration ! Ce n’est pas un problème d’unité, car quand il faut s’unir ponctuellement le mouvement féministe est unitaire. Mais il n’est pas foutu d’avoir une structure nationale, indépendante des partis politiques, qui fasse à la fois lobby, mobilisation … qui puisse peser. R.S – Il n’y a donc même pas eu de tentatives d’engager un dialogue avec les responsables syndicaux valorisant le potentiel de mobilisation de cette question des inégalités femmes-hommes ? C.DH – Mais à l’époque nous (OLF) on n’est pas du tout dans une situation où l’on se dit qu’on peut parler à Bernard THIBAULT. On est une toute petite association. C’est marrant car je n’avais pas du tout pensé à ça … mais c’est vrai que si je me remets dans le contexte de l’époque, jamais je n’imagine prendre mon téléphone et appeler une syndicaliste pour parler avec elle. Pour moi c’est on suit, on suit le mouvement. Et cela montre bien à quel point on est complètement … Et puis il y a une forte tradition de laisser le mouvement social aux syndicats. Donc on n’imagine pas du tout dans un mouvement social être à un moment ou un autre moteur dans quelque chose. R.S – Concernant les points fixes que vous teniez, cela avait-il été négocié avec les syndicats ? C.DH – Non non, pour ça on ne négocie pas, on n’y va et puis c’est tout. R.S – A aucun moment ne s’est posée la question d’une intégration au cortège ? C.DH – Non. Même l’UNEF, le syndicat étudiant, n’étaient pas toujours invité aux réunions. Donc OLF … ce n’était même pas envisageable.
181
R.S – Christiane MARTY me disait lorsque je l’ai eu en entretien qu’elle pense qu’il y avait une fenêtre et que son plus gros regret est une forme d’autocensure à demander un cortège femmes et même de visibiliser la question des inégalités femmes-hommes dans le carré de tête lors d’une manifestation en septembre. Et pour rester sur la question de la mobilisation, vous souvenez-vous de quelques slogans utilisés à l’époque ? C.DH – « Because i’m Woerth it », à l’écrit ça marchait bien ! Ou encore « les femmes dans la galère, les femmes dans la misère, on en veut pas, d’cette réforme là ». R.S – Les actions d’OLF durant ce mouvement social étaient elles en lien avec d’autres organisations féministes comme le CNDF par exemple? C.DH – Le CNDF a signé l’appel des féministes contre la réforme des retraites. Et après concernant les points fixes, généralement il y avait un point fixe de toutes les féministes dans lequel OLF s’inscrivait avec ses banderoles, ses pancartes. R.S – Quel regard portez-vous sur ce que l’on appelle dans le vocable universitaire « des coalitions de cause » ? Il y a eu par exemple des appels signés par des élues de gauche comme de droite. C.DH – Alors moi je fais vraiment une différence entre avoir une stratégie qui prenne des personnalités de droite pour appuyer son combat. Je n’aurais par exemple pas de problème à signer un texte avec Roselyne BACHELOT car je crois qu’elle est vraiment féministe. Si je sens que cela peut faire avancer des choses dans la société, ponctuellement, je dis bien ponctuellement, je n’aurais pas de problème à le faire. Je fais une différence entre ça et ce qui s’est passé par exemple en 2003, Ni Putes Ni Soumises qui avait appelé à une manifestation où l’UMP appelait quasiment à la manifestation elle aussi. Moi jamais jamais je ne signerai un texte avec l’UMP car je considère que lorsque tu t’inscris dans un projet libéral tu vas à l’encontre des droits des femmes. Après, si jamais le droit à l’avortement est remis en cause parce que Marine LE PEN fait 30% … je n’aurais pas de problème à faire des coalitions sur des sujets précis comme laïcité, parité, IVG… C’est à chaque fois une question de contexte. En fait c’est plutôt dans l’autre sens que je devrais le dire : je n’ai pas d’opposition de principe, mais plutôt non. Ce n’est pas une question de principe, mais dans l’état actuel des choses ce n’est pas possible. Et surtout s’agissant des retraites, on ne pouvait pas d’un côté soutenir la réforme des retraites et de l’autre côté faire une déclaration sur les droits des femmes. Il faut à chaque fois mesurer l’intérêt politique à faire ce type de coalition, et puis ce que l’on réclame. Moi jamais je dirai « d’accord à la réforme si vous faîtes des aménagements sur les femmes ». Je dirai plutôt « non à la réforme, et notamment parce qu’il y a des problèmes sur les droits des femmes ». Mais c’est d’abord non sur la réforme. Alors que sur l’IVG je pourrais très bien signer une tribune qui dit « bon on n’allonge pas le délai – alors que moi je suis pour un allongement du délai – mais il faut vraiment qu’il y est un droit à l’avortement pour tout le monde. R.S – Comment d’après vous sont perçues ces coalitions par les militants et responsables politiques et syndicaux? C.DH – Je pense vraiment que c’est une question de moment et de contexte. Par exemple la signature de l’appel contre le sexisme par Carla BRUNI-SARKOZY, moi je suis super contente. Car je ne crois pas qu’elle soit une grande féministe devant l’éternel on va dire, mais le fait qu’elle signe cet appel là, cela prouve à quel point ce sujet est devenu incontournable.
182
Après on n’a pas fait pas un gros « buzz » avec ça, on aurait pu mettre cette signature beaucoup plus en scène, organiser une rencontre avec elle … R.S – Quelle a été la réaction du mouvement social aux annonces du Gouvernement en fin de mouvement sur la question des retraites des femmes pour tenter de trouver une porte de sortie ?Les féministes n’ont-elles jamais été perçues comme pouvant diviser le mouvement social ? C.DH – Non car nous étions très radicales sur nos positions sur la retraite, sur le recul de l’âge légal, sur la durée de cotisation … Nous on était très claires. Qu’il y en ai d’autres à qui on est pu dire ça … La réalité c’est que celles qui portaient des aménagements à la réforme des retraites étaient très peu présentes dans l’espace public. C’était pour ou contre la réforme des retraites point. Le débat s’est très vite cristallisé sur oui ou non. R.S – Et sur la prise en compte des inégalités femmes-hommes par les responsables des syndicats et des partis politiques, pensez-vous qu’on a assisté chez eux aussi à une véritable prise de conscience ou reste t’on sur l’éternelle hiérarchie des luttes ? C.DH – Je pense qu’il y a eu une vraie prise de conscience, mais en fait moins forte que celle de la société. Parce que je pense que dans les partis ou les syndicats, ils ont tellement l’impression de déjà savoir qu’il y a des inégalités femmes-hommes que je pense que eux ils n’ont pas été surpris par le chiffre des 40% d’écart car eux ils le savent qu’il y a des inégalités femmes-hommes. Et résultat, on n’a pas vu dans les partis ou les syndicats cette sorte de réveil sur la question des droits des femmes. Bon c’est bon signe puisque cela veut dire qu’ils étaient déjà un peu réveillés. Mais bon résultat, au sortir de la réforme des retraites, quand j’en parle aujourd’hui avec des responsables politiques moi je suis un peu déçue de l’absence de mémoire sur cette question là. C’est quand même un mouvement social qui a marqué la société française, et surtout je trouve qu’il y a quand même un problème assez important chez les politiques, c’est cette capacité à écrire eux-mêmes leur propre histoire. Et la réforme des retraites on peut écrire l’histoire autour du financement – la question de la dette etc. - mais on pourrait aussi écrire l’histoire autour de l’égalité femmes-hommes. Quand moi je dis « il y a eu un changement dans la société française, l’égalité femmes-hommes elle vient sur la table parce que réformes des retraites etc. » en le disant je le fais devenir réalité, j’écris moi-même une histoire, et je la raconte. Et je suis un peu déçue par l’incapacité des politiques à s’approprier ce mouvement social et d’écrire l’histoire et de le faire vivre après. Alors certes on a perdu donc c’est difficile mais cela a quand même été un formidable élan de solidarité, il y avait personne qui gueulait dans les gares quand c’était bloqué, on était tous derrière les syndicats, bon ça il faut qu’on le fasse vivre. Je trouve que la gauche ne sait plus faire ça. R.S – Avez-vous été sollicitées par des partis de gauche ? C.DH – On les rencontrait dans le cadre de l’initiative Copernic (meetings, réunions …). Donc on avait des contacts avec eux. Mais je ne me rappelle pas si on est intervenues dans des réunions politiques. On a du oui je pense. R.S – Pensez-vous qu’on aurait pu aller plus loin dans la mise en lumière des divergences en termes de modèle d’égalité femmes-hommes entre la droite et la gauche lors de ce débat sur la réforme des retraites ?
183
C.DH – Pas pendant je pense, car pendant on était sur oui ou non à la réforme des retraites, financement … et je trouve qu’on est déjà allé très loin dans la mise en lumière des inégalités femmes-hommes. Mais après, je trouve qu’on aurait du écrire cette histoire et montrer que là il y a un vrai enjeu pour les présidentielles en 2012. On aurait du commencer à le faire là. Mais pour cela il faudrait avoir davantage de femmes politiques qui fassent de l’égalité femmes-hommes un enjeu de leurs prises de parole publique. Cela manque aujourd’hui. Quelles femmes politiques de premier plan sont aujourd’hui identifiées féministes ?
184
TABLE DES MATIERES PARTIE 1 – Une construction initiale du problème des retraites marquée par un « aveuglement au genre » ................................................................................................ 12 CHAPITRE 1 - CADRE LIBERAL DE MARCHE & INFLUENCE EUROPENNE ......................... 14
I. L’Europe : terrain fertile pour l’égalité femmes/hommes ...................................................................... 14 II. Un projet d’égalité hors des critères retenus par les agences de notation .................................... 17 III. Faible européanisation apparente de l’égalité des retraites entre les sexes ............................... 19 IV. Le précédent de la réforme de la MDA ou le stigmate du recul des droits des femmes ........... 20
CHAPITRE 2 – UNE ANALYSE EMPIRIQUE PLAIDANT EN THEORIE POUR LA PRISE EN COMPTE DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES ........................................................................................... 21
I. Une réalité sans appel : des inégalités massives objet d’études nombreuses ................................. 21 II. L’expérience des réformes des retraites de 1993 et 2003 : une aggravation des inégalités ... 25 III. Un regain naissant du féminisme: quand la société commence à (re)prendre conscience que l’égalité est encore loin d’être acquise ............................................................................................................... 27
CHAPITRE 3 – DES RESISTANCES RENDANT EN PRATIQUE LE DEBUT DES DEBATS « AVEUGLES AU GENRE » .................................................................................................................................. 29
I. Des conservatismes tenaces ................................................................................................................................ 30 II. De janvier à juin : l’égalité femmes/hommes absente des débats ...................................................... 34
PARTIE 2 – Le débat sur les « retraites des femmes » : influence féministe, alliances stratégiques et controverse sur le diagnostic .................................................................. 42 CHAPITRE 1 – UNE MOBILISATION FEMINISTE A L’ASSAUT DE LA PSEUDO NEUTRALITE DE LA REFORME ...................................................................................................................... 43
I. Dépasser la faiblesse structurelle des institutions en charge des droits des femmes en France ............................................................................................................................................................................................ 44 II. Un « triangle d’autonomisation des femmes » : une alliance tacite entre féministes, cruciale pour la mise à l’agenda ? ........................................................................................................................................ 48 III. Une mise à l’agenda levier d’une forte mobilisation des femmes .................................................... 56
CHAPITRE 2 – L’EGALITE FEMMES/HOMMES COMME FENETRE D’OPPORTUNITE : QUAND LES OPPOSANTS A LA REFORME ONT « L’EGALITE A LA BOUCHE » ................ 59
I. L’égalité femmes/hommes : un sujet auquel on ne s’oppose pas mais dont on se saisit peu .... 59 II. Un intérêt accru à mobiliser l’égalité femmes-hommes dans les débats. Approche instrumentale ? ............................................................................................................................................................. 61 III. Opportunité de démarcation pour des membres de la majorité présidentielle ? ....................... 65
CHAPITRE 3 – UN DEBAT CIRCONSCRIT PAR LE GOUVERNEMENT A UNE DIVERGENCE DE DIAGNOSTIC ....................................................................................................................... 67
I. Le problème « retraites des femmes » appartiendrait-il au passé ? ................................................... 68 II. Renvoyer aux inégalités salariales : une stratégie d’exfiltration ....................................................... 72 III. Approche individuelle versus approche structurelle des inégalités ................................................ 73 IV. Un débat circonscrit, mais qui se poursuit et appelle des réponses ................................................ 76
PARTIE 3 – Une réforme qui creuserait les inégalités entre les sexes, et renforce l’ordre sexué ................................................................................................................... 77 CHAPITRE 1 – UNE PRISE EN COMPTE A MINIMA DE L’EGALITE FEMMES/HOMMES 78
I. Les mesures susceptibles de creuser les inégalités entre les sexes ..................................................... 79 II. Des mesures spécifiques portant sur l’égalité femmes/hommes à la portée limitée ................... 82
CHAPITRE 2 – UNE POLITIQUE PUBLIQUE QUI FACONNE LES RAPPORTS DE GENRE ET REVELE DES MODELES D’EGALITE DIVERGENTS ..................................................................... 88
I. Une égalité sous condition de maternité ........................................................................................................ 88 II. Modèle pro-nataliste versus modèle pro-égalitariste ............................................................................. 90
CHAPITRE 3 – UNE DEFAITE DANS LA REFORME, UNE VICTOIRE DANS L’OPINION . 94
Top Related