Une jeunesse difficile; Les fonctions sociales du flou et de la rigueur dans les classements.

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Persée http://www.persee.fr Une jeunesse difficile Laurent Thévenot Actes de la recherche en sciences sociales, Année 1979, Volume 26, Numéro 1 p. 3 - 18 Voir l'article en ligne Une jeunesse difficile Les jeunes contrecarrent les plans du statisticien. Quand ils n'échappent pas tout simplement à son comptage parce qu'ils n'appartiennent à aucun ménage, comme par exemple les jeunes travailleurs vivant en foyer ou les jeunes placés dans des établissements spécialisés, ils se prêtent mal au classement, même dans les grilles les plus éprouvées. Déjouant l'opposition actif/inactif, ils circulent entre des statuts intermédiaires tels que ceux d'aide familial, de militaire, de stagiaire en entreprise ou même de chômeur. Mais ces statuts souvent conçus à leur intention, s'avèrent aujourd'hui inadéquats pour rendre compte du continuum insécable qui s'est constitué entre la position du jeune assisté par sa famille ou par l'école et celle de l'adulte rétribué pour son travail. Aussi les retrouve-t- on relégués dans des catégories statistiques déclassées, dans des populations de «comptés à part», d'actifs ou de chômeurs «marginaux». Cependant, cette instabilité prolongée n'a pas le même sens pour tous les jeunes quelle que soit leur origine sociale, Fadolescence des jeunes issus des classes populaires ne coïncidant que de façon très éphémère et très superficielle avec celle des autres classes sociales. Les titres scolaires des jeunes issus des milieux populaires sont les moins valorisés sur le marché du travail mais si les employeurs recherchent toujours cette main- d'oeuvre pour sa vigueur et sa soumission, ils ne peuvent plus cependant, comme autrefois, l'embaucher ouvertement au titre de jeune et ils ont abandonné les appellations d'emploi telles «garçon», «gamin», «fille» au profit d'intitulés suggérant un véritable «métier», payant ainsi en «monnaie de singe» la possession de diplômes. Les difficultés que rencontre le statisticien pour classer ces jeunes inclassables l'incitent à se rabattre sur le critère de l'âge, apparemment plus univoque. Mais la précision numérique de cette variable, que l'on oppose aux définitions vagues et arbitraires que donne le sens commun du clivage «jeune»/«vieux» ne fait que masquer l'enjeu social que constitue l'établissement de cette frontière. En examinant le sorite paradoxal du tas, paradigme de l'opposition flou/net et en confrontant les analyses purement logiques qui en sont faites aux usages sociaux de cette dialectique (entre «jeunes» et «vieux» d'une même profession par exemple), on met en évidence les présupposés qui fondent le paradoxe. Avertissement L'éditeur du site « PERSEE » – le Ministère de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche, Direction de l'enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation – détient la propriété intellectuelle et les droits d’exploitation. A ce titre il est titulaire des droits d'auteur et du droit sui generis du producteur de bases de données sur ce site conformément à la loi n°98-536 du 1er juillet 1998 relative aux bases de données. Les oeuvres reproduites sur le site « PERSEE » sont protégées par les dispositions générales du Code de la propriété intellectuelle. Droits et devoirs des utilisateurs Pour un usage strictement privé, la simple reproduction du contenu de ce site est libre.

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Une jeunesse difficile

Laurent Thévenot

Actes de la recherche en sciences sociales, Année 1979, Volume 26, Numéro 1

p. 3 - 18

Voir l'article en ligne

Une jeunesse difficile Les jeunes contrecarrent les plans du statisticien. Quand ils n'échappent pas tout simplement à

son comptage parce qu'ils n'appartiennent à aucun ménage, comme par exemple les jeunes travailleurs vivant en

foyer ou les jeunes placés dans des établissements spécialisés, ils se prêtent mal au classement, même dans les

grilles les plus éprouvées. Déjouant l'opposition actif/inactif, ils circulent entre des statuts intermédiaires tels que ceux

d'aide familial, de militaire, de stagiaire en entreprise ou même de chômeur. Mais ces statuts souvent conçus à leur

intention, s'avèrent aujourd'hui inadéquats pour rendre compte du continuum insécable qui s'est constitué entre la

position du jeune assisté par sa famille ou par l'école et celle de l'adulte rétribué pour son travail. Aussi les retrouve-t-

on relégués dans des catégories statistiques déclassées, dans des populations de «comptés à part», d'actifs ou de

chômeurs «marginaux». Cependant, cette instabilité prolongée n'a pas le même sens pour tous les jeunes quelle que

soit leur origine sociale, Fadolescence des jeunes issus des classes populaires ne coïncidant que de façon très

éphémère et très superficielle avec celle des autres classes sociales. Les titres scolaires des jeunes issus des milieux

populaires sont les moins valorisés sur le marché du travail mais si les employeurs recherchent toujours cette main-

d'œuvre pour sa vigueur et sa soumission, ils ne peuvent plus cependant, comme autrefois, l'embaucher ouvertement

au titre de jeune et ils ont abandonné les appellations d'emploi telles «garçon», «gamin», «fille» au profit d'intitulés

suggérant un véritable «métier», payant ainsi en «monnaie de singe» la possession de diplômes. Les difficultés que

rencontre le statisticien pour classer ces jeunes inclassables l'incitent à se rabattre sur le critère de l'âge,

apparemment plus univoque. Mais la précision numérique de cette variable, que l'on oppose aux définitions vagues et

arbitraires que donne le sens commun du clivage «jeune»/«vieux» ne fait que masquer l'enjeu social que constitue

l'établissement de cette frontière. En examinant le sorite paradoxal du tas, paradigme de l'opposition flou/net et en

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«jeunes» et «vieux» d'une même profession par exemple), on met en évidence les présupposés qui fondent le

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