Un texte méconnu sur deux groupes hérétiques du Maghreb médiéval

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Texte méconnu sur deux groupes hérétiques du Maghreb médiéval Author(s): Allaoua Amara Source: Arabica, T. 52, Fasc. 3 (Jul., 2005), pp. 348-372 Published by: BRILL Stable URL: http://www.jstor.org/stable/4057739 . Accessed: 17/03/2011 10:57 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at . http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=bap. . Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed page of such transmission. JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. BRILL is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Arabica. http://www.jstor.org

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Texte méconnu sur deux groupes hérétiques du Maghreb médiévalAuthor(s): Allaoua AmaraSource: Arabica, T. 52, Fasc. 3 (Jul., 2005), pp. 348-372Published by: BRILLStable URL: http://www.jstor.org/stable/4057739 .Accessed: 17/03/2011 10:57

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TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES DU MAGHREB MEDIEVAL*

PAR

ALLAOUA AMARA

BIEN que la conquete arabe du Maghreb ait fait l'objet de nom- breux travaux, il n'existe pas a notre connaissance de mise au point

sur l'islamisation du peuple berbere apres les campagnes militaires du premier siecle de l'hegire'. L'historiographie ne nous donne que peu d'informations sur la conquete et l'islamisation du Maghreb central (al- Magrib al-Awsat), peut-etre parce que cette region etait dominee par la vie rurale. Neanmoins, depuis maintenant plusieurs annees, l'utilisa- tion des consultations juridiques comme sources historiques permet de mieux conna^itre les aspects de la vie economique, sociale et religieuse du monde musulman medieval. Cl. Cahen avait dejA signale l'interet pour le chercheur de ce type de sources: << Les sources juridiques sont bien souvent les seules, ou presque, A nous renseigner sur certains aspects de la vie privee et publique au Moyen Age musulman2. >> Particuhlerement precises sont les consultations juridiques ainsi definies par Cl. Cahen: << Ce sont les reponses donnees par des jurisconsultes aux consultations que leur ont demandees des cadis ou autres pour les cas difficiles et nouveaux qu'ils rencontraient dans l'exercice de leur profession ... Ces

* Je tiens A remercier FranSoise Micheau, professeur d'histoire medievale A l'Universite Paris I, pour sa relecture et ses suggestions.

' Cf. A. Bel, La religion musulmane en Berbirie, esquisse d'histoire et de sociologie religieuses, Paris, Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1938, ou l'auteur evoque quelques moyens de l'islamisation tels que l'envoi de missionnaires arabes, l'enseignement dans les cen- tres urbains et les ribdt (p. 103-107). Voir egalement Mohammed El-Fasi, ?< L'islamisa- tion de I'Afrique du Nord >>, dans Histoire ginerale de l'Afrique, Paris, Unesco/Nea, 1990, vol. III, p. 84-92; E. F. Gautier, L'islamisation de l'Afique du Nord : les siecles obscurs du Maghreb, Paris, Payot, 1927; M. S. Belochi, La conversion des Berbires a l'Islam, Tunis, Maison tunisienne de l'dition, 1981.

2 Cl. Cahen, Introduction a l'histoire du monde musulman mediival Viie-XV' siecle. Mithodologie et ilements de bibliographie, Paris, Adrien Maisonneuve, 1982, p. 75.

(? Koninklijke Brill NV, Leiden, 2005 Arabica, tome LII,3 Also available online - www.brill.nl

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consultations portent sur des cas reels, que l'on peut 'a peu pres dater et localiser, et sont donc d'un immense interet3. ?) Les noms employes pour appeler ces consultations juridiques diff'erent selon les provinces du monde musulman medieval: les nawazil-s pour le Maghreb al-Aqsa et al-Andalus, les masd'il-s pour l'Ifri7qiya et les fatwa-s pour l'Orient. Les Ibadites du Maghreb ont utilise les trois mots et ajoute celui des

agwiba-s (les reponses)4, et ce sont eux qui ont etabli, a ma connais- sance, le plus ancien corpus de fatwa-s de l'Afrique du Nord5.

Parmi les ceuvres de jurisprudence maghrebine malikite les plus anciennes, le Kitab al-Amwdl d'Abiu Ga'far Ahmed b. Nasr al-Dawudf rev&t une importance non negligeable pour l'etude de l'histoire econo- mique, sociale et religieuse du Maghreb et de la Sicile. Or l'une des consultations juridiques de ce juriste fait sortir de l'ombre deux grou- pes heretiques du Maghreb central et extreme, les Bargawata, quelque peu connus par d'autres sources, et les Suswala, totalement meconnus jusqu'alors.

Biographie d'al-Dawudz

Le plus ancien auteur qui consacre une notice biographique 'a al- Dawudi- est le celebre cadi almoravide de Ceuta, al-Qadl 'Iyad. (i. 544/ 1149). Selon ses informations, Abiu Ga'far Ahmad b. Nasr al-Dawudi etait originaire de M'sila ou de Biskra, il vecut 'a Tripoli oiu il composa son commentaire du Muwatta', puis s'installa a Tlemcen oiu il mourut en 402/1011-126. Ibn Baskuwal, biographe andalou du VIe/XIIe si&cle,

Cl. Cahen, op. cit., p. 73. 4 Al-Sammaih!, KIit&b al-Syar, Constantine, (s.d.), p. 292.

C'est un petit corpus intitule: Gawabat Ganndw b. fatd al-Madyuni- ild ahl Fazzan (reponses de Gannaw b. Fata al-Mady-uni aux habitants de Fazzan). Ce corpus se com- pose de deux parties: la premiere est consacree aux fatwa de Gannaw b. Fata al- Madyiuni, et a ete publiee par 'A. H. al-Nami, Agwzibat 'ulamd' Fazzan (reponses des 'ulemas de Fazzan), Constantine, Dar al-ba't 1991. La seconde partie comprend les

fatwa de cAbd al-Gabbar b. Halaf et Bakkar b. Muhammad al-Madytint, et reste encore manuscrite. Ce corpus remonte au III/IXe siecle.

6 AI-Qali clyadd, Tartib al-maddrik wa taqntb al-masdlik li-ma'rfat a'lam madhab Malik, ed. A. B. Mahmiud, Beyrouth, Dar maktabat al-hayat, 1967, vol. II, p. 623. Mahluif b. Muhammad, dans son dictionnaire biographique consacre aux savants malikites, rap- porte la meme notice mais il signale que le juriste al-Dawudi est mort a Tlemcen en 440/1048. Voir Sagarat al-nur al-zakyyafi tabaqdt al-Malikyya, Beyrouth, Dar al-fikr li-l- tibaca wa 1-nasr, (s.d.), vol. I, p. 110-111.

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nous apprend qu'al-DawudY enseigna a Tenes et a M'sila7. Al-Dawudi- se forma seul8, encore que, d'apres d'autres sources, il fut I'eleve d'Abtu Ishaq lbrhi-m b. 'Abd Allah al-Zubaydi dit al-Qalanisil (m. 359/971)9. Celui-ci eait verse en kalam et fut capture par les Fatimides a Mahdia. Al-DawudT fut l'un des grands representants de 1'&ecole malikite au Maghreb du Xe siecle, apres Ibn Ab- Zayd et Abiu 1-Hasan al-QabisT. Specialiste egalement du hadat et de I'art de speculer, al-nazarl', il ecri- vit plusieurs ouvrages dont la majeure partie ne nous est pas par- venue:

* Kitdb al-admi ft &arh al-Muwatta'll: un commentaire du Muwatta' de MAlik b. Anas (m. 179/795), fondateur de l'ecole malikite. La Mosquee des Qarawiyyin a Fes possede un manuscrit de cette ceuvre sous la cote 17512.

* Al- Wd'7 ft 1-fqh'3: un traite de droit musulman selon le rite malikite. * Al-Nasiza ft ?arh al-Buhdrfl4: un commentaire du recueil de Hadzt de

l'Imam al-Buh-ari (m. 256/869). * Al-Ida-hf l-radd 'aid l-Qadar'ya'5 un ouvrage de kaldm. * Kitdb al-Usul'6 il semble que ce livre traite de la science des fonde-

ments ('ilm usul al-f qh). * Kitdb al-Baya-n'7: le theme de ce livre est inconnu. * Kitdb al-As'ila wa l-ag'wibaft lf-iqh: cette ocuvre est un traite du droit

musulman. La Bibliotheque de Gami' al-Zaytiuna A Tunis dispose d'une copie sous la cote 1048618.

7Ibn Baskuwal, al-Sila, ed. Ibrahim al-Abyari, Beyrouth, Dar al-kitab al-lubnant, Le Caire, Dar al-kitab al-misrT, 1989, vol. I, p. 52, 81, 85, 91.

8A1-Qajt 'Iyad, op. cit., p. 623. 9 Ibn Farhtun al-Malik7, al-Dibdag al-mudahhab fi ma'rfat afydn al-madhab, ed. M. al-

Ahmadt Abtu I-Nur, Le Caire, Dar al-turat al-'arabt li-l-tab' wa 1-nasr, 1972, p. 165- 166. Voir aussi H. R. Idris, << Contribution a l'histoire de la vie religieuse en Ifrtqiya ziride Xe_XIe silcles >> dans Milanges Louis Massignon, Damas, Institut FranSais de Damas, 1957, vol. II, p. 332-333.

?A-Qa4t Ilyad, op. cit., p. 623. Ibid., p. 623, mais iH cite ce livre sous le titre al-Qadtfi gtarh al-Muwatta'; voir ega-

lement Ibn Farhuin al-Maliki, op. cit., p. 166. 12 F. Sezgin, Geschichte des Arabischen Schrfittums, Leiden, E. J. Brill, 1967, vol. I, p. 482. '3 A1-Qad! 'Iyad, op. cit., p. 623 ; Ibn Farhbun al-Maliki-, op. cit., p. 166. 4 Al-qadi 'Iyad, op. cit., p. 623 ; Ibn Farhlun al-Maliki, op. cit., p. 166.

15 5Al-OaQ 'Iyad, op. cit., p. 623; Ibn Farhtun al-Maliki, op. cit., p. 166. 6Al-Qadt 'Iyad, op. cit., p. 623.

" Ibid., p. 623. x F. Sezgin, op. cit., vol. I, p. 482.

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* Kitdb al-Amwdl: traite relatif au statut foncier dont nous parlerons plus bas.

* Plusieurs consultations juridiques sont transmises par al-WansarYsi (m. 914/1508) dans son Mi~yar 19et par al-Qaj1 'Iy4ad dans ses Mad/hib20.

Le Kitdb al-Amwal

Nous avons utilise le manuscrit du Kitdb al-Amwal conserve a la bi- bliotheque de l'Escorial sous la cote 1165 arabe et reproduit en micro- fiche A l'Institut de Recherche et d'Histoire des Textes - section arabe (IRHT) a Paris. I1 etait considere comme la seule copie de ce livre qui nous soit parvenue" jusqu'a la decouverte de celle de la Bibliotheique Generale de Rabat22. La partie concernant la Sicile a ete publiee et traduite par H. H. Abdul-Wahab et F. Dachraoui dans Etudes d'orien- talismes dediees a la memoire de E. Lvi-Provenfal23. Dachraoui a egalement publie quelques extraits de ce livre dans les Annales de l'Universite de Tunis24. Le Kitab al-Amwal a ete recemment edite par Rida Muhammad Salim Sah.ada d'apres le manuscrit de Rabat25. Le manuscrit de l'Escorial se compose de 58 folios en ecriture maghrebine. Al-Dawudr n'a redige qu'une partie de cette ceuvre, car on lit dans le colophon, apres l'indi- cation de la date de la copie [e samedi 23 safar 677 (15 juillet 1278)], que le sayh al-Dawudi ecrivit la premiere partie du livre et que Muhammad b. 'Abd al-Rahmman al-MagIlY la completa par la seconde partie. C'est ainsi que le livre commence par << Abiu Ga'far Ahmad b. Nasr al-DawndT al-MalikT disait ... .? et cette meme expression se repete egalement dans la seconde partie du livre.

19Al-WaniarTsi Ahmad b. Yahya, al-Miyar al-mugrib wa l-gdmi' al-mu'rib 'an fatdwa 'ulamd' Ifriq!ya wa I-Andalus wa l-Magrib, ed. M. Haggi et autres, Beyrouth, Dar al-gharb al-islami, 1981-1983, pour les fatwd-s d'al-Dawudi voir: vol. I, p. 7, 382; vol. II, p. 276; vol. III, p. 294; vol. V, p. 185, 189; vol. VI, p. 64, 142; vol. VIII, p. 115, 298, 415-417; vol. IX, p. 548, 550-552, 566-567; vol. X, p. 102-103, p. 144, 165, 232-233, 421.

20 Al-QOao 'Iyadd et son fils Muhammad, Maddhib al-hukkdm ft nawdzil al-ahkdm, ed. M. Bencherifa, Beyrouth, Dar al-gharb al-islami7, 1990, p. 36-37, p. 44-45, p. 56, p. 66-67, p. 85, p. 168-169, p. 136-137, p. 201, p. 281.

21 F. Sezgin, op. cit., p. 175. 22 Elle est classee sous la cote 98 awqdf 23 << Le regime foncier en Sicile au Moyen Age IX'-X' si&cle >> Paris, G. P. Maisonneuve

et Larose, 1962, vol. II, p. 401-444. 24 Hawlyadt al-gami'a al-tiunisyya, IV (1967), p. 83-100. 25 Edition du Kitdb al-Amwdl par R. M. Salim Sahada, Rabat, Dar ihya' al-turat al-

magribT, 1986.

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Dans ce traite juridique relatif au regime foncier de l'Islam selon le rite malikite au Maghreb, en Ifriqiya et en Sicile, sont abordees les questions posees par le regime des terres, les imp6ts preleves sur les terres, et les mines ainsi que par les droits de l'eau. Plusieurs consul- tations juridiques y sont rapportees, dont celle qui a retenu notre atten- tion26 et dont nous reproduisons le texte original de la consultation juridique et proposons une traduction franSaise.

Almad [b. Na; alDwui fuAnerl~asjtd La6vne td

l'achat de>s Bar3awaa,et deceu4x- J= qui les out pri je oit-on

pnAeer ur ex L ~izya 'ils1'ot acet parC cotrite [Ifu Ja

XlsoA)J: OW * il? H Jv) e J + i J) L J A&

lement interroge] an sujet des gens que l'on dit infideles ('aid 1-kufr) de la r6gion d'As'ir, qui sont des Sanha'a mais pr'etendent kre des Arabes. Faut-il les traiter comme les Arabes auxquels n'est laisse' que le choix d'embrasser l'islam on d'e&tre tu6s ? Qu'en est-il de tous ces cas

l dit Si les Baroawata sont captur'es, leur vente et leur reduction en esclavage sont 1agales, A condition que le quint (pums)"u soit verse et le partage effectuex . On ne pent accepter dpeux la ginzza, meme S'ils

26 Ms Escorial fol. 31. Cette consultation se trouve p. 106-107 du texte edite par Sahada, mais 1'editeur ne donne aucune explication sur le groupe berbere des Suswala.

27 Dans un passage d'al-Waqidt, transmis par Ibn Katdr, al-Biddya wa 1-nihdya, Beyrouth, Maktabat al-ma'arif, s.d., vol. VII, p. 151-152, il est dit que le calife 'Utman b. 'Af-an a ordonne a 'Abd Allah b. Sa'd b. Abi Sarh de conquerir l'Ifrfqiya et de percevoir comme recompense le quint (al-hums) du butin (ganama).

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 353

l'offrent car le texte28 ne mentionne au sujet de la gazya [que] les Gens du Livre et les Magufs. I1 en est de meme pour ces gens des Sanhaga, qui en sont une fraction (qawm min qawm) et que l'on appelle Suswala, ainsi que pour d'autres de meme sorte dans la region de Kutama et de 'AgTsa. Celui qui a rejete par lui-meme l'islam (murtadd) doit etre execute, ses biens remis aux musulmans. Celui qui a herite de l'infide- lite par ses ancetres il a le meme statut que les Bargawata. Lorsqu'ils se soumettent (aslamui) ils sont reduits en esclavage et l'islam leur est impose. Quant a celui qui [parmi eux] dissimulerait son infidelite (kufr), il ne peut qu'etre execute.

Une consultation juridique de la fin du Xe siecle

Cette consultation juridique nous est parvenue sans aucune date parce qu'elle a ete inser&e dans le Kitab al-Amwdl qui est un ouvrage de juris- prudence. Nous avons dit plus haut que le livre ne porte que la date ecrite par le copiste. Mais il est fort possible de determiner approxi- mativement la periode de cette ndzila car al-Dawudi, qui se fixa A M'sila puis A Tlemcen oui il mourut en 402/1011, aurait rendu ces consulta- tions juridiques au Maghreb central, soit a M'sila, soit a Tlemcen a cette periode. Selon ces indications, on peut deduire que la periode de cette nazila se situe entre la fin du Xe siecle et le debut du XIe siecle. Cette consultation intervient A la periode oui le Maghreb etait gouverne par les Zirfdes pour le compte du calife fatimide du Caire. La fin du Xe siecle connut aussi les expeditions organisees par ces princes sanhagiens contre le territoire des Bargawata29. Le choix d'al-Dawudi- comme une reference dans cette lutte contre les dissidents dans le Maghreb central et le Maghreb extreme tient a la place qu'il a acquise non seulement a Tlemcen ou A M'sila mais aussi dans tout le Maghreb. La consultation juridique rendue par al-Dawudi se compose, de maniere banale, de la question et de la reponse. Mais la question est double,

28 C'est-a-dire les textes de reference dans le droit malikite. Les juristes ne sont pas unanimes sur les religions qui doivent verser la "i ya. Bien que les Gens de Livre soient cites dans le Coran, la gizya versee par les magus et les watan yyun a suscite une pol6- mique entre les juristes. Voir sur cette question Ibn al-Qayyim al-Gawziya, Ahkdm ahl al-dimma, ed. Subhi al-Slih, Beyrouth, reed. 1983, vol. I, p. 3-6.

2 Al-Nuwayri, Aihdyat al-'arab fi funan al-adab, ed. H. Nassar et 'A. 'A. al-Ahwant, Le Caire, Al-hay'a 1-misriya I-'amma li-l-kitab, 1983, vol. 24, p. 162-163.

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et concerne d'une part les Bargawata et d'autre part les Suswala. Le juriste englobe ces deux questions dans une seule consultation juridi- que. Celie-ci concerne deux regions du Maghreb: les monts du Maghreb central pres d'Asvir et la facade cotiere atlantique marocaine. Le groupe heretique des Bargawdta, decrit par Ibn Hawqal, al-Bakri, Ibn 'Idaril al-Marrakus'i, Ibn Abi Zar' al-FasT et Ibn Haldtun, a fait l'objet de plu- sieurs etudes auxquelles nous renvoyons le lecteur30. En revanche, il convient d'identifier le groupe des Suswdla, de localiser les lieux cites, de connaitre la religion professee par ce groupe et le sort que lui reserve la legislation musulmane.

Notre documentation, pour traiter ce sujet, se fonde essentiellement sur les descriptions geographiques, notamment Sarat al-ard d'Ibn Hawqal al-Nusaybi (m. fin du Xe siecle), al-Masdlik wa l-mamdlik d'al-BakrT (m. 487/1094) et Nuzhat al-mustdq ft htirdq al-dfaq d'al-Idrfsi- (ouvrage compose en 548/1153), ainsi que sur les sources proprement histori- ques, essentiellement al-QaOL al-Nu'man b. Muhammad (m. 363/974), Ibn Hammad al-Sanhagi (m. 628/1230), Ibn cIdarT al-Marrakusl (fl. premiere moitie du xiiie siecle) et Ibn Haldun (m. 808/1405).

Les Suswdla: un groupe berbere sanhag'zen

La seule mention de l'existence des Suswala, qui appartenait a la grande tribu berbere des Sanhaga, est due a la consultation juridique rendue par al-Dawudi. Ibn Halduin consacre une partie de son Histoire des Berberes aux Sanhaga et 'a leur histoire. I1 precise que les Sanhaga etaient, a son epoque, la tribu la plus nombreuse au Maghreb3' et qu'elle comptait plus de soixante-dix fractions (batn), dont les Talkata, maltres du Maghreb central32. I1 ne faut pas confondre ceux-ci avec les Sanhaga du Sud ou Sanhaga au litdm (voiles), ancetres des Almoravides. Les Sanhaga du Maghreb central etaient representes par les Talkata, tribu des Hammadides (398-547/1007-1152) et des Badisides de l'Ifriqiya (362-543/972-1149). Selon Ibn Haldan, les Talkata occupaient la region comprise entre M'sila, Hamza33, Alger, Milyana, jusqu'a la riviere de

30 Cf. Les elements bibliographiques donnees plus bas. 3' Ibn Hald-un, al-'Ibar wa d-w&n al-mubtada' wa l-habar, Beyrouth, Mu'assasat Gamal

li-l-nasr, (s.d.), vol. VI, p. 461. 32 Ibid., p. 461. 33 Actuellement la ville de Bouira.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 355

Malwiya34, a l'exception d'un certain nombre d'enclaves appartenant a d'autres tribus, dont une fraction zanatienne implantee dans la region de Medea et des monts de Wans'aris.

I1 est difficile d'identifier la branche 'a laquelle appartenaient les Sanhagiens de Suswala. En effet, Ibn Haldiun enumere les principales tribus sanhagiennes du Maghreb central: les Talkata, les Matnan, les Aniga, les Banui Mazganna (ce dernier groupe occupait Alger), les Bantu Ga'd, les Batwiya, les Banu Yafran, les Banui HalTl et les Bantu Waryaya. Cette derniere branche occupait la vallee de Bigaya (Bejaia ou Bougie) ou se refugia le Mahdi b. Tiimart, fondateur du mouvement almo- hade35. Pour sa part, al-Dawudf precise que le groupe sanhagien men- tionne dans la na-zila est une subdivision (qawm min qawm) nommee Suswala, ce qui montre que ce groupe n'etait pas important numeri- quement par rapport a la grande tribu sanhagienne du Maghreb cen- tral: les Talkata. D'apres la localisation geographique mentionnee par la consultation juridique, il semble que les Suswala fassent partie de la grande tribu sanhagienne du Maghreb central, celle des Talkata, dans la mesure oui la repartition donnee par Ibn Haldiin precise que les Talkata occupaient un territoire compris entre Hamza, M'sila et Milyana, comprenant Aswir qui est le berceau des Hammadtdes et des Badisides.

En outre, la nazila mentionne d'autres gens, qui n'appartiennent pas au groupe des Suswala et qui vivent avec cc groupe sanhagien dans la region de Kutama et de 'Agkisa en professant une religion heretique semblable 'a celle des Suswala (wa man kdna 'ald hallihim bi-Kutdma wa 'AgaJsa). Mais il n'est pas possible dans l'etat actuel de nos connaissan- ces de les cerner plus precisement.

Une region montagneuse du Maghreb central

L'identification et la localisation des trois lieux cites dans la nazila, A'sr, Kutama et 'Agfsa posent quelques problemes que nous allons tenter d'elucider. La localisation d'A'sr sera notre cle pour localiser Kutama et 'A'gsa. En effet, seul le lien entre Kutama et A'sir nous per- met d'identifier la reigion evoquee par l'auteur, une region qui n'a rien a voir avec le grand district de Kutama (Bildd Kutdma), dans l'actuelle Petite Kabylie en Algerie.

34 Ibn Haldun, op. cit., p. 153. 35 Ibid., p. 152-153, 227.

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a) A/er

A l'exception d'al-Bakrf, toutes les sources s'accordent a dire que la ville d'A'sr fut construite par ZirT b. Manad al-Sanha'gi, chef de la tribu de Sanhaga du Maghreb central et serviteur des Fatimides, en 324/93536. Al-Muqaddasi, geographe oriental du Xe siecle, l'a citee avec les villes voisines: M'sila, Stuq Hamza et Tenes entre autres37. Le plus ancien auteur qui consacre une notice geographique a Asir est le geo- graphe oriental Ibn Hawqal (m. 367/977): << A'sir est une ville forti- fiee, habitee par les Bani7 ZirY b. Manad. Elle a une forte muraille, plusieurs marches, des fontaines, des jardins, des fermes et un vaste dis- trict38. ? Al-Bakri, geographe andalou du XIe siecle, consacre egalement une notice geographique a la ville d'ALir: << AsLir est une ville tres importante ; l'on assure que dans toute cette region il n'y a point de place qui soit plus forte, plus difficile a prendre et plus propre a decou- rager un ennemi: on ne pourrait y donner l'assaut que par un endroit oui il ne faudrait que dix hommes pour repousser une armee. Ce sen- tier est au c6te oriental de la forteresse et conduit a 'Ayn Mas'ucd; partout ailleurs le rocher s'eleve A perte de vue et ne saurait etre esca- lade ; ajoutez A cela que la place est environnee de hautes monta- gnes ... A'sr, dont les fortifications furent construites en l'an 367 (977- 978), par Bulugin b. Y-usuf b. Zirl b. Manad al-Sanhagf, fut ruinee posterieurement en l'an 440 (1048-9), par Yiusuf b. Hammad. Quinze annees plus tard, la ville commenSa a se peupler (455/1063) ?3. Al- Idrisi, geographe arabe de la cour de Roger II, ecrivant au milieu du XIIe siecle, s'est borne a fournir les renseignements suivants : << As'r Zi-ri est une place forte, agreablement situee dans un pays fertile, avec un marche bien fourni A jour fixe40. >> La derniere description

36 Citons par exemple Ibn Hawqal, op. cit., p. 89; Anonyme, Kitdb al-Istibsdrfi 'aga'ib al-amsar (Description de la Mekke et de la Medine et de 1'Afrique Septentrionale), ed. et trad. de la partie relative aux Lieux Saints et A l'Egypte par Saad Zaghloul Abdel-Hamid, Alexandrie, Faculte des lettres de l'universite d'Alexandrie, 1958, p. 170; Yaquit al- Hamawi, Mu'gaam al-bulddn, Beyrouth, Dar Sadir, 1977, vol. I, p. 202-203. Voir egale- ment al-Nuwayril, op. cit., p. 160-161.

37 Al-Muqaddast, Ahsan al-taq&stm ft ma'rifat aI-aqdltm, ed. M. J. De Goeje, reed. Frankfurt, Institute for the Arabic-Islamic Science, 1992, p. 317.

38 Ibn Hawqal, op. cit., p. 89. 39 Al-Bakrt, al-Mugrib ft dikr Bilad Ifrtqya wa 1-Magrib, ed. de Slane, reed Frankfurt,

Institute for the Arabic-Islamic Science, 1993, p. 60, trad. M. G. de Slane, Description de I'Afrique Septentrionale, Paris, Paul Geuthner, 1913, p. 126-127.

40 Al-Idrtst, Aitdb Nfuzhat a1-muRtaq ft 4tir&q al-afaq, trad. R. Dozy et M. J. de Goeje, Description de l'Afrique et de 1'Espagne, reed. Leyde, E. J. Brill, 1968, vol. I, p. 99.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 357

geographique que nous citerons est celle de l'auteur anonyme du Kitab al-Istibsa-r qui erit a propos d'Asir: << Elle est connue sous le nom d'As'r ZIrY, parce que ce fut Zi-rf b. Manad al-Sanhagi qui la re6di- fia. C'&tait d'ailleurs une ville ancienne ou se trouvaient de curieux monuments ; ZTrY ne fit qu'edifier le rempart et la citadelle, et la repeu- pla. I1 n'y a point dans cette region de place plus belle: situee entre des montagnes 6levees qui l'entourent de tous cotes, elle renferme dans son enceinte deux sources dont on ignore la profondeur et dont l'ame- nagement remonte a l'antiquite4'. >>

Les sources se contredisent surtout sur la date de la fondation de cette ville. Un autre probleme se pose a propos de la localisation pre- cise de cette cite berbere disparue. En effet, les vestiges de trois cites ont et6 decouverts sur les monts du Kef el-Akhder au Tittri, non loin de Medea. Ces trois cites sont Manzah Bint al-Sultan (enceinte forti- fiee), Yasir et Benia. Selon les archeologues, c'est dans cette derniere cite que se trouvait le chateau de Zirl42. En tous cas, la ville d'Asfr, citee par al-Dawudi, eait situee sur les monts du Kef el-Akhder, au sud d'Alger, a l'est de Ksar El-Boukhari.

b) 'Agasa

Le texte de la question posee au juriste malikite al-Dawudil se contente d'evoquer les regions d'Asir (nawdhF Asar). Mais la reponse definit ces regions: 'Agfsa et Kutama. Les 'Agfsa sont une tribu berbere du Maghreb central. Ibn Hazm al-AndalusT (m. 456/1063)43 et Ibn Hald-un (m. 808/1405)44 s'accordent a dire que cette petite tribu berbere faisait par- tie, dans la division generale des genealogistes arabes, des Baranis. Le plus ancien document qu'on possede sur les 'A'gsa est fatimide. Al- Qajo al-Nu'man b. Muhammad (m. 363/974), le grand cadi fatimide

4' Al-Istibsdr, op. cit., texte arabe, p. 170/trad. p. 105. 42 Sur la ville d'Asir, il convient de lire: Chabassiere, << Le Kef el-Akhdar et ses

ruines ?> dans Revue Africaine, 13 (1869), p. 116-121; G. MarSais, << Recherche d'archeo- logie musulmane (Achir) >>, dans Revue Africaine, 310 (1922), p. 21-38 ; G. MarSais, << Ashir >> dans EL2, vol. I, p. 720-721; L. Golvin, Ie Maghreb central a l'epoque des Ziiddes - Recherches d'archeologie et d'histoire, Paris, Arts et metiers graphiques, 1957, p. 55 ; A. Lezine, << La salle d'audience du palais d'Achir >> dans Revue des Etudes Islamiques, XXXVII, fasc. 2 (1969), p. 203-218 ; G. Cornu, Atlas du monde arabo-islamique a l'epoque classique, Leyde, E. J. Brill, 1985, p. 109.

4 Ibn Hazm al-Andalusi, Gamharat ansab al-'Arab, ed. E. LUvi-ProvenSal, Le Caire, Dar al-ma'arif, 1948, p. 461.

" Ibn Hald-un, op. cit., p. 145.

358 ALLAOUA AMARA

de l'Ifriqiya, evoque la conquete menee par l'armee fatimide, sous le commandement de Abiu 'Abd Allah al-Da'i, de la forteresse de Wasn-uyk. Al-Da 1, parti de Mila, a rejoint Se'tif pour combattre les cAg'fsa. Ceux- ci se sont alors rendus et ont reconnu la suzerainete des Fatimides45. On peut de'duire de cette information que les 'Agisa se trouvaient A l'ouest de Seif, vers M'sila. Al-Bakrf (m. 487/1094), qui a ecrit son ouvrage geographique sur la base des informations orales et livresques de son epoque, a deux fois cite 'Agisa: d'abord << Fahs (plaine) cAg';sa?) pres d'al-Gadr, puis << Gabal (montagne) 'Agjisa >>, autour de la ville de M'sila46. Ces deux indications d'al-Bakr nous permettent de delimiter le pays des 'A'gsa, entre le nord de M'sila et al-Gadfir. Ce dernier etait un village situe au sud-ouest de Setif et au nord de la Qalca des Baniu Hammad. Ibn Hammad al-Sanhagf (m. 628/1232), eminent juriste et historien du Maghreb central, a egalement evoque le pays des cAgilsa (Balad cAgjsa). A propos de la bataille de Kiyana entre les Fatimides et le rebelle ibad. te Abiu Yazid al-Nakkari en 336/947, il 6crit << Qaysar47 s'est rendu a Osgft, (un village) au pied de la facade nord de la montagne d'al-Qalca [La Qalca des Baniu Hammad] a cote du pays de cAgisa. Les habitants de ce village se sont enfuis et ont rejoint Abtu Yaz-d ... I1 [Qaysar] s'est oriente vers les Baniu cUsaga, un groupe de cAgisa 4. >> Ainsi, selon ce texte, le pays de cAg'Isa se localisait dans la partie nord de la montagne de la Qalca des Baniu Hammad et s'eten- dait jusqu'aux monts oiu se trouvait Qal'at Kiyana (la forteresse de Kiyana).

Ibn Haldtun consacre dans sa Chronique une courte notice a la tribu des cAgisa: << Les cAgisa est l'une des tribus des Baranis ; son ancetre est cAgi-sa b. Barnas. Ils habitent la region de Tunis, les montagnes dominant M'sila et la montagne d'al-Qalca la Qalca des Banui Hammad). Apres la fondation de la Qalca des Bana Hammad, Hammad b. Buluki-n les a tues et chasses. Leurs terres furent, dans cette montagne (de la Qalca), occupees par les clyad. Ceux-ci sont l'une des fractions des

45A-Qacj al-Nu'man b. Muhammad, Risa7lat Iftitdh al-da'wa, ed. W. Al-Qad , Beyrouth, Dar assakafa, 1970, p. 119.

46 Al-Bakri, op. cit., p. 123-124. Le meme texte a et& reproduit par le compilateur andalou Ibn 'Abd al-Mun'im al-Himyari, al-Rawd al-mi't&rfi habar al-aqtdr, ed. I. Abbas, reed. Beyrouth, Mu'assasat Nasir li-l-taqafa, 1980, p. 558.

47 Qaysar, sans doute d'origine slave, etait l'un des chefs de F'armee fatimide qui a ecrase la revolte d'Aba Yazid.

48 Ibn Hammad al-Sanhadg, A4bdr mulak Bana 'Ubayd wa saratihim, ed. Galluyl Ahmad al-Badawt, Alger, ENAL, 1984, p. 42-43.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 359

Arabes hilaliens49. >> Certes, Ibn Hald-un n'ajoute rien par rapport a ses predecesseurs, si ce n'est l'existence d'une fraction des 'Apgsa dans la region de Tunis, qui n'a rien a voir avec la region d'Asir citee dans la nazila et l'installation de la tribu arabe hilalienne des 'lyad. Mais il precise que la forteresse de Kiyana (ou Qal'at Kutama) eait situee dans le pays des 'Agisa50. Enfin, le propagandiste isma'ilien 'Imad al-Din Idris al-Qurasi (m. 872/1488), qui a reproduit les sources fatimides maghrebines du Xe siecle, situe l'implantation des 'A'gijsa a M'sila et dans la region de Bi'aya51.

On peut en deduire que le pays des 'A'gsa s'etendait entre le nord de M'sila, al-(Gadfr, et Qal'at Kiyana, comprenant en particulier la par- tie nord de la montagne de la Qal'a des Baniu Hammad, qui est aujour- d'hui nommee Maadid, jusqu'aux ruines de la forteresse de Kiyana. Cette region montagneuse a porte le nom de sa population primitive << Balad 'Agysa ou Gabal 'Agisa >> au moins jusqu'au XMe siecle meme si les habitants d'origine, les 'Agi-sa, ont ete expulses en trois etapes: Abu 'Abd Allah al-Da`f, lors de la fondation de la dynastie fatimide, a enr6ol des contingents issus de cette tribu au sein de son armee ifriqienne52 Ab-u Ga'far b. Hamd-un al-Andalusf, le gouverneur fatimide de M'sila, a deplace' des membres de la tribu des 'Ag;isa pour peupler sa nouvelle ville ; et le calife al-Mansiur, lors de la bataille de Kiyana, a massacre deux branches des 'Ag;isa ayant soutenu le rebelle Abtu Yazid53. De son cote, lammad b. Buluktn, fondateur de la Qal'a des Baniu Hammad dans la montagne des 'Agi-sa, a ecarte et massacre ses voisins, les cAg"sa, ce qui a permis aux tribus arabes hilaliennes des clyad de penetrer dans cette region montagneuse.

c) Kut&ma

Kutama est le dernier toponyme mentionnee dans la nazila et celui qui est le plus difficile a localiser. Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que les Kutama sont une grande tribu berbere des Baranis, qui comptait plusieurs fractions dont les Bani Saktan, les Igana, les

49 Ibn Haldan, op. cit., p. 145. 50 Ibid., p. 145 51 'Imad al-Din Idris, 'Uyun al-ahba-r wa funun al-atar, ed. F. Dachraoui: Triih al-

dawla al-fatinmya bi-l-Magrib, Tunis, Matba'at al-ittihad al-'am al-tunisi li-l-sugl, 1979, p. 52-53.

52 Al-Qadi al-Nu'man b. Muhammad, op. cit., p. 119. 5 Ibn Hammad al-Sanhagi, op. cit., p. 43.

360 ALLAOUA AMARA

Lahisa, les Mat-usa et les Bani Zaldaw V4. Al-Bakri- distingue clairement parmi les districts du Maghreb central: Bilad Sanhaga, Bildd Qastl-iya et Bildd Kutama55. Cette division se fonde sur l'element social et l'orga- nisation administrative sous les Fatimides et les HammadTdes.

Les sources historiques et geographiques s'accordent a decrire le pays des Kutama qui s'etendait, a l'epoque qui nous interesse, de B6ne a Bigaya (Bougie) ainsi qu'aux villes suivantes: Constantine, Collo, Jijel, Mila, Ikgan, Setif, al-Gadir, Ballazma, Dakkama, Marsa al-Dagag et la localite de Tamsant, situee pres de M'sila56. Mais le probleme qui se pose est le suivant: le pays des Kutama, cite par la ndzila d'al-Dawudi, etait situe dans la region d'Asir. Oiu se trouvait donc exactement cette region de Kutama? Pourquoi etait-elle nommee Kutama alors que ses habitants etaient des Sanhaga ? Le territoire peuple au d'ebut du Moyen Age par la tribu de Kutama s'est amenuise au fil des siecles. Au temps d'Ibn Haldiun, les tribus kutamiennes habitaient les terres qui s'eten- daient entre B6ne et Bigaya ainsi qu'entre les monts de l'Aures et la mer57. Neanmoins, quelques fractions kutamiennes furent auparavant localisees hors du territoire defini par Ibn Haldiun (la Petite Kabylie).

Al-Qadf al-Nu'man, a propos du debut des Fatimides, montre que les 'A'gsa et les Zawawa etaient voisins des Kutama58. A la meme epo- que, Ibn Hawqal, en decrivant les deux districts d'Ifriqiya et de Tahart, cite la presence des Kutama dans des localites situees pres de M'sila Mahrayyln, Tamasnat, Dakamma 'CUSlt59. Un siecle plus tard, al-Idrisil reprend la m&me enumeration, en ajoutant la presence de cette tribu dans les monts de WansarTs (Ouarsenis)60.

Les descriptions que nous venons de citer ne localisent pas exacte- ment la region de Kutama, habit6e par une tribu sanhagienne. Mais on peut deduire que Kutama etait voisine de 'Ag-sa. Celle-ci etait, comme on l'a vue, installee dans la region montagneuse comprise entre

54 AI-QadO l-Nu'man b. Muhammad, op. cit., p. 72, 74, 88, 94-95, 109, 115, 118- 119, 137, 197; Ibn Hald-un, op. cit., p. 148-149.

5 Al-Bakri, op. cit., trad. p. 132-135. 56 Ibn Hawqal estime que Constantine est la limite du Bildd Kutama, op. cit., p. 91

al-ldrisi, op. cit., p. 267-270/trad. p. 113-115; al-Istibsdr, op. cit., p. 128 ; Ibn al-Attr, al-Kamil ft 1-tarih, Beyrouth, 1982, vol. IX, p. 54; Yaquit al-Hamawl, op. cit., vol. V, p. 106; Ibn 'Abd al-Mun'im al-Himyari, op. cit., p. 71, 539.

57 Ibn Haldiun, op. cit., p. 148. 58 Al-Qacl7 al-Nu'man, op. cit., p. 119.

Ibn Hawqal, op. cit., p. 86. 60 Al-Idrlsi, op. cit., p. 253 et 296. Tamsanat est appelee Tamsat chez al-Idrisi.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 361

Asir et la Qal'a des Banii Hammad. On peut surtout se fonder sur Ibn 'Idari l-Marraku's pour localiser exactement la region des Kutama, car dans le Bayain, il precise que la montagne de Kiyana (HJisn AbT Yazid), oiu s'etait refugie le rebelle ibadlte Abiu Yazild al-Nakkari, se situait dans Kutama61. Ibn Haldiin ecrit a propos de la fondation de la Qal'a des Baniu Hammad: << En 398/1007 Hammad fonda la ville de la Qal'a, dans le voisinage de Kutama62, montagne qui s'appelle aussi 'Agsa63. >> Cette citation d'Ibn Halduin confirme notre localisa- tion des lieux. Or, la region montagneuse situee pres de Qal'at Kiyana au nord de la Qal'a des Baniu Hammad (celle-ci sera construite quel- ques annees apres cet evenement) a garde son nom (Kutama) malgre la disparition de sa population primitive. L'absence de villes dans la region, avant la fondation de la Qal'a des Bantu Hammad en 398/1007- 08, complique encore la question des noms employes pour nommer cette region ; c'est la raison pour laquelle elle fut appelee, dans la consultation juridique, la region d'As'ir dans la question, puis 'Agi-sa et Kutama dans la reponse.

La region o'u habitait la fraction sanhagienne de Suswala correspond donc a la region montagneuse situee entre la Qal'a des Baniu Hammad et As'ir. Les noms employes pour appeler cette region s'attachaient a ses populations primitives: les Kutama et les 'Agjisa (Gabal 'Ag;sa). La montagne des 'Agisa s'etendait au nord de la montagne de la Qal'a des Banui Hammad et Kutama sur le reste de la montagne, en incluant Qal'at Kiyana. Les deux noms de Kutama et 'Agysa vont progressive- ment disparailtre et etre remplaces par l'appellation de montagne de la Qal'a des Banui Hammad (Gabal al-Qal'a) et de montagne de 'Iyad

(Gabal 'Iyad), nom de la tribu hilalienne qui a domine ces monts. De nos jours, les monts de la Qal'a des Banui Hammad sont appelees les monts de Maadid et Gibal al-Rahma.

Un gyncretisme de cultes

Apres avoir identifie et localise les Suswala, il convient de preciser la religion pratiquee par ce groupe. La lecture de la ndzila entraine les observations suivantes:

1 Ibn 'Idari- 1-Marrakusi, al-Baydn al-mugrib ft a4bdr al-Andalus wa l-Magrib, ed. G. S. Colin et E. LUvi-ProvenSal. Beyrouth, Dar al-taqafa, vol. I, p. 220.

62 Kiyana dans la traduction franSaise. 63 Ibn Haldiin, op. cit., vol. VI, p. 171/trad. vol. II, p. 43.

362 ALLAOUA AMARA

* Ce groupe n'etait ni chretien ni juif, car la ndzila indique que la gzzya n'etait imposee qu'aux Gens du livre, ce qui n'est pas le cas de ce groupe.

* Ce groupe n'etait pas palen. Le juriste precise que la gizya ne concer- nait pas ce groupe berbere, car elle ne concernait que les Gens du livre et les paiens (magus)64. On sait que les conquerants musulmans imposerent la gazya aux Berberes qui restaient paiens. Malik b. Anas, cite par le fondateur du malikisme maghrebin Sahnuin b. Sa'id al- Tan-uhjl (m. 240/854-55) dans al-Mudawwana l-kubra, rapporte que le calife 'Utman b. 'Af-fan a impose la gazya aux Berberes et que le Prophete a considere toutes les nations non-musulmanes comme des

magkis65. De son c6te, Abtu 'Ubayd al-Qasim b. Sallam al-Bagdad- (m. 224/838), auteur du Kitab al-Armwal, precise que le calife 'Utman avait accepte de collecter la gazya payee par les Berberes, malgre le fait que ceux-ci etaient watan'yyu-n (idolatres) et non pas mag'u-s comme les Persans66.

* Ennemis du malikisme maghrebin, les Kharidjites et IbadLites n'ont jamais ete considere's par les autorites malikites au Maghreb comme infideles (kuffar). A l'epoque oiu al-Dawudil a rendu cette consultation juridique, il semble, a lire les sources, qu'il ne subsistait d'autres kharidjites que les diff6rents groupements de l'ibadisme. Ainsi, le sort de l'ibadisme a ete fixe par un malikisme kairouanais << etatise >> et par le pouvoir dynastique des Aglabides. Sahn-un, fondateur du mali- kisme kairouanais, a valide la decision politique prise par les Omey- yades et le malikisme oriental a l'encontre des Kharidjites, incluant les Ibadites. Cette decision a consiste 'a convertir ou eliminer les

64 Les auteurs malikites emploient maguis sans pr&ciser le groupe qu'ils designent par ce terme, mais dans un contexte qui nous permet d'affirmer qu'il s'agit des Berberes restes paiens, ce que confirme l'inscription citee ci-apres note 66.

65 Sahn-un, al-Mudawwana al-kubrd, Le Caire, Matba'at al-sa'ada, 1323 h, vol. III, p. 46.

66 Abu! 'Ubayd, Kitdb al-Amwal, ed. M. H. Harras, Beyrouth, Dar al-kutub al-'ilmiya, 1986, p. 39. Il est ai noter que 1'epigraphie montre bien qu'en Ifrfqiya, au XlP siecle, il y avait encore des paiens (al-maguids). On lit en effet dans une inscription funeraire provenant du cimetiere al-Ganah al-Aihdar a Kairouan la phrase suivante <<.. . Ceci est le tombeau de Ta'Tb b. 'Ali. Il fut tue dans le mois de safar de I'annee 407 (juillet- aoat 1016). Les magus le tuerent >>. voir B. Roy et P. Poinssot, Les inscriptions arabes de Kairouan I, Paris, Librairie C. Klinckseik, 1950, p. 329. T. Lewicki a egalement attire l'attention des chercheurs sur les croyances paiennes des Berberes au Moyen Age, voir << Survivances chez les Berberes medievaux d'ere musulmane de cultes anciens et de croyances paiennes >> dans Folia Orientalia, VIII (1966), p. 5-40.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 363

Kharidjites67. Ibn Abi Zayd al-Qayrawani a autorise la mise a mort des Kharidjites qui << harcelent >> les sunnites6 . I1 a fallu attendre la deuxieme moitie du XIe siecle pour que les juristes malikites appro- fondissent leur connaissance des fondements doctrinaux de l'ibadisme wahbite. Cette evolution s'explique par la penetration du malikisme dans les fiefs ibadites. D'une facon plus moderee que ses predeces- seurs, le malikite al-Suytirl- a autorise les Ibadites a faire la priere dans leurs mosquees. Neanmoins, ce juriste ne s'est pas demarque du fondateur du malikisme kairouanais, car il n'a pas autorise le mariage des Sunnites avec les badLites69. Ainsi le malikisme maghre- bin a donne aux Ibadites wahbites une existence reconnue. Cela nous conduit A affirmer que les infidles cites dans la consultation juridi- que n'etaient pas ibddites. La religion professee par les Suswala correspondrait a un syncretisme influence par l'islam et les cultes berberes. En effet, al-Dawudi a rendu le meme jugement au sujet des Bargawata et des Suswala. Le juriste a ordonne de ne pas accepter la gizzya payee par les Bargawata et les Suswala, pour la raison que la gzzya ne concernait que les Gens du livre et les paiens. I1 ressort que la religion des Suswala etait sem- blable a celle des Bargawata, A laquelle il convient de consacrer quel- ques lignes, car elle est mieux connue que celle des Suswala.

La religion de Barg'awdta

Les Bargawata etaient une confederation de tribus berberes qui a edifie un royaume dans la Tamasna, le long du littoral atlantique du Maroc actuel, entre Sale et Azemmour, dont Casablanca. Ce royaume fut cree apres l'echec des revoltes populaires kharidjites contre les repre- sentants et les symboles du pouvoir central omeyyade a Kairouan et au Maghreb au VIlIe siecle. I1 se maintint jusqu'a l'avenement des Almohades au XIIe sicle70.

67 Sahnun, op. cit., vol. III, p. 47-48. 68 Ibn Abi Zayd, Kitdb al-Gdmi'ft 1-sunan wa 1-dddb wa l-hikam wa 1-magaza wa l-tdrah

wa gayr ddlik, ed. A. M. Turki, Beyrouth, Dar al-gharb al-islami, 1990, p. 148. 69 Fatwa d'al-SuyPri dans Nawazil al-Burzula, vol. I, f. 77. Voir la meme consultation

dans le Mifyar, vol. X, p. 149-150. 70 Pour plus de d6tails sur la religion de Bargawata, voir A. Bel, op. cit., p. 170-175

R. le Tourneau, << L'Occident musulman du VIIe siecle A la fin du XVe si&cle ?> dans Annales de l'Institut d'Etudes Orientales, XVI (1958), p. 151; M. Talbi, << Heresie, accultu- ration et nationalisme des Berberes bargawata >> dans Actes du premier congris d'itudes des

364 ALLAOUA AMARA

Si le Kitdb Sarat al-ard d'Ibn Hawqal est le plus ancien texte men- tionnant l'histoire des Bargawata, al-Bakri est considere comme la prin- cipale source les concernant. Les autres sources comme le Bayan d'Ibn 'Idari l-Marrakus'i7 al-Anas al-mutrib d'Ibn Abi Zar' al-Fasi et al-'Ibar d'Ibn Hald-un, sont tardives et, de surcroit, unanimes. L'histoire des Bargawata est rapportee selon trois versions diff6rentes. La premiere est officielle et transmise par al-BakrT, qui a recopie des textes des Bargawata eux-memes. La seconde est orientale et fut transmise par Ibn Hawqal. La troisieme est typiquement maghrebine et fut relat&e par Ibn 'Idarl- l-Marraku'si, Ibn Ab- Zar' al-Fasil et Ibn Haldan71. I1 n'y a donc aucune source ecrite par un Bargawatien ou par un sym- pathisant de cette religion, car toutes les informations qui nous sont parvenues emanent de leurs contradicteurs, meme al-Bakr- qui se fonde cependant sur des textes rediges par des Bargawata.

L'histoire politique des Bargawata se confond avec celle du royaume des Banu Tarif qu'ils dominaient. Ce royaume fut fonde par Tarif 'a la suite de l'echec des revoltes kharidjites sufrftes, menees par Maysara al-Mat'ari contre le gouverneur omeyyade de Kairouan entre 122- 124/740-742. Tarrf se refugia dans la region de Tamasna oiu il fonda un royaume independant du pouvoir arabe 'a la tete duquel ses des- cendants se succederent jusqu'a l'avenement des Almoravides72. M. Talbi affirme que les Bargawata se definissaient par leur confession plus que par leur appartenance tribale, en raison du nombre de tribus que regrou- pait ce royaume73.

L'heresie de Bargawata fut, dans un premier temps, etablie par Salih b. Tarif, fils du fondateur du royaume. Celui-ci se declara prophete apres avoir reSu la revelation du Coran en berbere. Ibn Hawqal, qui a recueilli ses renseignements en 340/951-2, rapporte que Salih s'est

r, pour la declaration de prophetie, aux versets coraniques74. Cet homme est Slih al-Mu'minin dont Dieu a fait mention dans le Coran75.

cultures mediterraniennes d'inftuence arabo-berbere, Alger, SNED, 1973, p. 217-233; M. Redjala, ? Les Bargawata (origine de leur nom) >> dans Revue de l'Occident musulman et de la Miditerranie, 35 (1983-1), p. 115-125 ; M. Dernouny, ? Aspects de la culture et de l'is- lam du Maghreb medieval: le cas de l'heresie Bergwata >> dans Cultures populaires, Peuples Me'diterrane'ens, 34 (janv.-mars 1986), p. 89-97.

71 M. Talbi, op. cit., p. 217-218. 72 Ibid., p. 217-218. 73 Ibid., p. 220. 7 Cf. Coran, LXVI, verset 4. 75 Al-Bakri, op. cit., p. 259; M. Talbi, op. cit., p. 222.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 365

Sallh b. Tarif avait transmis sa religion A son fils Ilyas (177-227/793- 842). Jusqu'a l'epoque du troisieme chef bargawatien, l'heresie de Bargawata resta circonscrite a la famille dirigeante, par crainte et pru- dence. L'enseignement public de la religion de Bargawata aurait com- mence, selon nos sources, a l'epoque du quatrieme chef: Yunus fils d'Ilyas (227-271/842-884). Voici ce que dit le messager officiel des Bargawata a Cordoue en 352/963, dont le discours est rapporte par al-Bakri : << Y-unus, ayant succede au pouvoir, enseigna publiquement la nouvelle religion et fit tuer toutes les personnes qui refusaient de l'adopter. Emporte par le fanatisme, il depeupla 387 villes, ayant passe au fil de l'epee tous les habitants, parce qu'ils lui avaient r&sist676. >>

Bref, les sources s'accordent a dire que Yunus a impose sa religion par la force et le feu.

En ce qui concerne les grandes lignes de cette religion, les sources precisent que Salih, Yunus et Abtu Gufayr se declarerent prophetes. La religion des Bargawata selon Ibn Hawqal se presente de la fa,on sui- vante : la prophetie de Salih. aurait ete consignee dans un Coran ber- bere. Le fondateur aurait oblige les Berberes a jeufner au mois de sa'ban au lieu de ramadan77. Jbn -Jdarj l-Marrakusf ajoute que cette religion prevoyait cinq prieres par jour et cinq par nuit dont certaines eaient sans sug-d; le sacrifice s'effectuait le onzieme jour de muharram, l'ablu- tion musulmane etait modifiee, etc.78. Le Coran des Bargawata eait en berbere, il se composait de quatre-vingt surat commencant par suirat Ayyiub et se terminant par suirat Yunus. I1 est A noter que la majeure partie de ces suzrat portait les noms de prophetes cites dans le Coran musulman79. Ainsi, la religion des Bargawata apparait comme un syn- cr&tisme de cultes influence surtout par l'islam. M. Talbi affirme que << cette religion etait le fruit de l'acculturation au service de l'amour propre national blesse80. >> Les Berberes Bargawata ont cherche A ber- beriser l'islam pour affirmer leur identit6. Mais cette reaction n'a pas pu echapper A l'influence de l'islam81.

76 Al-Bakri, op. cit., p. 260. 7 Ibn Hawqal, op. cit., p. 82. 78 Ibn 'Idari I-Marrakusi, op. cit., p. 226-227. 79 Ibid., p. 227. 80 M. Talbi, op. cit., p. 224. 81 Ibid., p. 225.

366 ALLAOUA AMARA

Des Barg'awdta aux Suswala

L'auteur anonyme du manuscrit de Kit&b al-Guman cite les trois per- sonnages berberes qui se sont declares prophetes: Salih b. TarTf, 'Asim b. Gamil et Hamim b. Muna Alldh82, prophetes des Bargawata et des Gumara. En revanche, il n'y a aucune indication directe concernant un eventuel prophete fondateur des Suswala, mais la comparaison entre ces diff6rents groupes nous permettra d'avancer quelques hypotheses.

La religion des Bargawata a e't fondee apres l'echec des revoltes kharidjites contre les gouverneurs arabes de Kairouan. La reaction de l'un des chefs kharidjites fut de se refugier a Tamasna et de fonder un royaume proprement berbere. En revanche, les sources fatimides, qui rapportent des details sur la region ou se refugia le fameux rebelle ibaddte Abiu Yazid, connu sous le nom de << 1'Homme a l'Ane >>, ne font aucune mention des Suswala ou d'un quelconque groupe dissident. Neanmoins, ces sources, qui rapportent la version officielle du regime fatimide, detaillent les tribus partisanes d'Abiu Yazid et les denoncent comme al-dagadlan (imposteurs), al-mald'ina (maudites), etc. On peut supposer que certaines de ces tribus adopterent une forme particuliere d'islam apres la fin dramatique du chef Abtu Yazid et de ses partisans A Qal'at Kiyana en 336/947. Cette transformation serait a attribuer aux consequences de la defaite kharidjite berbere face a un pouvoir arabe si ite, reposant sur les Berberes de Kutama et les esclaves slaves. Les Suswala, installes autour de Qal'at Kiyana, ont sans doute parti- cipe a la revolte d'Abu Yazid.

Ibn Saddad al-Sanhagi (m. apres 600/1204), auteur d'une chroni- que relative A l'histoire du Maghreb intitulee al-Gam' wa l-bayan ft ahbdr al-Magrib wa l-Qayrawan, rapporte, dans un passage transmis par al- Nuwayri, une histoire dans laquelle le chef des heretiques de Gumara fut execute A Asir dans la premiere moitie du Xe siecle. Selon cet auteur, Ziri b. Manad, chef des Sanhaga d'Asir, attaqua les Gumara, dans le Maghreb extreme, lorsque le chef de cette tribu se declara pro- phete. Ziri massacra des membres de cette tribu et amena leur chef A Asir oui il fut execut&. IL est utile de rapporter la discussion qui se deroula entre le prophete gumarien et les theologiens d'As'r: << Ils l'interrogent: si tu es prophete, oiu sont les marques de ta prophetie ? il repondit: mon nom se trouve dans le Coran. Ils lui dirent: quel

82 Kitdb al-6uman, manuscrit de la Bibliotheque Nationale de France, n? 1547, f. 144.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 367

est ton nom ? iA leur repondit: je m'appelle HIa Mum, le nom de mon pere vient d'Allah, et dans le Coran Ha Mum c'est la descente du Livre de la part de Dieu le puissant et le sage83. >> Le Maghreb central n'aurait pas connu jusqu'a cette epoque de grand mouvement dissident, a l'instar de celui de Suswala ; le seigneur de la ville d'As'ir etait alle au Maghreb extreme pour exterminer l'heresie des Gumara. Comme les Suswala habitaient dans la region de Kutama et de 'A'g;isa, a une soixantaine de kilometres d'A'sr, le debut de l'heresie des Sanhaga-Suswala ne peut &tre anterieur 'a la bataille de Kiyana. Mais ce qui est a noter, c'est que les idees heretiques ont penetre au Maghreb central 'a cette epoque apres que le prophete des Gumara ait ete ramene a Agfr et y ait dis- cute devant la population.

Le compilateur isma'ilite 'Imad al-Din Idri-s rapporte l'information suivante < Gufna al-Hadim est venu [a' Qal'at al-Higara] avec une armee composee de Kutama, le jeudi 7 ramadan (335/2 avril 947). I1 se trouvait avec eux un rebelle, qui s'est revolte a Masalita, au pays de Kutama. Ce rebelle s'est egalement declare prophete et a autorise les interdictions84. >> Le territoire de Masalita etait situe pres de Mila, dans la Petite Kabylie, ce qui ne correspond pas a Kutama des monts de la Qal'a des Banui Hammad. Mais cette citation montre bien que des tentatives dissidentes, avant l'epoque des Suswala, ont eu lieu au Maghreb central, meme si l'on doit etre vigilant face aux sources fati- mides, des lors qu'il s'agit des rapports entre le pouvoir fatimide et l'opposition, car elles sont marquees par la propagande isma'ilite.

Les Suswala furent juges de la meme facon que les Bargawata dans le droit malikite. En effet, al-Dawudi n'etait pas d'accord pour que ces deux groupes payent la g"izya. I1 ordonnait de les depouiller, de les ven- dre et de les chasser, alors meme que ce juriste avait precise que ces deux groupes n'etaient ni palens ni chretiens ni juifs, car ceux-ci devaient payer la gizya. Or le mot kuffa-r, attribue aux Suswala et aux Bargawata, montre que, pour les juristes, ces << heretiques >> etaient consideres comme de veritables infideles, sans doute par rejet de ces formes islamo- berberes de syncretisme religieux.

La legislation musulmane rapportee par la nazila et appliqu&e aux Bargawata et aux Suswala n'est pas nouvelle. Nous avons vu que le chef des Sanhaga du Maghreb central avait massacre les gens de Gumara

83 Al-Nuwayri, op. cit., p. 162-163. 84 'Imad al-Din Idris, op. cit., p. 416 (ed. Yalaoui).

368 ALLAOUA AMARA

et execute leur chef sur l'ordre des theologiens d'A91ir. Ibn Hawqal, qui est le premier 'a avoir ecrit sur les Bargawata, decrit, dans son aeuvre geographique, un ribat de SaIe, situe dans une zone frontaliere, d'oiu les musulmans attaquaient et pillaient les Bargawta85. Ce qui est nouveau dans la nazila du juriste maghrebin, al-Dawudi, c'est I'autori- sation de la vente, de I'achat et de l'extermination de ces deux grou- pes heretiques. Or la suite de la reponse d'al-Dawudi nous amene a operer une distinction entre le sort reserve aux Suswala et celui reserve aux Bargawata. D'abord, le juriste a distingue entre les gens de Suswala; ceux qui se sont convertis volontairement et ceux qui ont henrite de la religion de leurs parents. Dans le premier cas, al-Dawudi a ordonne de les tuer, et dans le second cas, il leur a applique la meme legisla- tion qu'aux Bargawata. I1 a autorise contre ceux-ci le pillage, l'escla- vage et interdit de leur accorder la g"zya. Al-Dawudf a ajoute' en faveur de la seconde categorie des Suswala un jugement dans lequel il ordon- nait de les chasser. La seconde difference, entre les Bargawata et les Suswala, est que les premiers etaient plus anciens que les seconds. En effet, al-Dawudi-, lorsqu'il distingue entre les deux cas des Suswala, pre- cise bien la legislation propre a chacun. Cette distinction vient renfor- cer notre hypothese sur l'origine de l'here'sie de ce groupe sanhagien, qui aurait debute apres la fin dramatique de la revolte kharidjite, conduite par le Abtu Yazid en 336/947. Enfin, al-Dawudf a ordonne d'executer les gens de Suswala qui dissimuleraient leur religion en la pratiquant secretement dans les maisons.

La langue arabe et les Berberes Sanhaga

Une autre question posee par cette nazila est celle de la langue. On lit dans la premiere partie de la nazila que ce groupe se refererait 'a l'ascendance arabe, ce que dement al-Dawudi- qui reconnait au contraire leur identite berbere. Mais le probleme n'est pas l ; il est dans la lan- gue arabe pratiquee par ce groupe. Car ces gens qui se disaient Arabes devaient naturellement parler cette langue. Avant la penetration hila- lienne, l'arabe etait-il repandu dans la tribu des Sanhaga ?

L'etat actuel de nos connaissances ne permet pas de repondre clai- rement a cette question. Al-Muqaddisil, decrivant le Maghreb de son epoque, ecrit: << La langue des habitants du Maghreb est l'arabe, mais

85 Ibn Hawqal, op. cit., p. 82.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 369

un arabe peu intelligible et difflerent de l'idiome dont nous avons signale l'usage dans les autres provinces. Ils possedent une autre langue qui se rapproche du rumP 6. Cette information est rapportee par un voya- geur oriental qui connaissait peu le Maghreb, et notamment ses regions montagneuses. I1 avance que les Maghrebins parlaient une langue arabe diffkrente de l'arabe oriental, c'est-a-dire un arabe provincial mele de mots et d'expressions locaux. M. Talbi, specialiste du Maghreb medie- val, affirme qu'il y avait alors plusieurs langues, essentiellement berbe- res, qui etaient repandues dans tout le Maghreb notamment dans les campagnes et les massifs montagneux87. Les sources ibddites nous four- nissent des informations plus precises. Elles montrent en effet que la langue arabe et les diff6rentes langues berberes etaient repandues, mais deux notations concernant les Sanhaga meritent d'etre relevees ici.

Abu l-'Abbas al-Dargini (m. 670/1271), biographe ibadlite de Qal'at Dargin, consacre une notice biographique a Abiu Sahl al-Farisl, le der- nier interprete des Rustumides de Tahart au IXe siele, dans laquelle il evoque ce personnage qui vivait a Alger (Gaza'ir Bani- Mazganna88), ville situee dans Bilad Sanhaga, oiu il composa un corpus de poesies en berbere89. I1 est difficile de preciser si telle ou telle langue berbere &eait pratiquee au Bildd Sanhaga, mais il est possible d'estimer que l'arabe etait moins repandu que les langues berberes dans cette region sanha- gienne A cette epoque.

Abtu l-Rabl' al-Wisyani, grand biographe ibadite du VI/Xlle siecle, rapporte une discussion entre le savant ibadite 'Abd al-Salam b. Manziur et un commercant sanhagien, dans laquelle on comprend que le savant ibadite decouvrait que le marchand etait sanhagien, car il utilisait le mot d'ar qui est en arabe ha-t (donner)90. I1 semble, selon ce passage, que la langue utilisee entre les deux commerSants etait l'arabe et que l'arabe du commercant sanhagien etait mele de mots et d'expressions distincts des autres langues berberes (bi-lugat Sanhaga, c'est-a-dire la langue de Sanhaga).

86 Al-Muqaddasi, op. cit., p. 243. 87 M. Talbi, << L'independance du Maghreb >> dans Histoire generale de l'Afrique, Paris,

UNESCO/NEA, 1990, vol. III, p. 296. 88 Baniu Mazganna, une tribu sanhagienne qui habitait Alger et qui a donne son

nom a cette ville durant le Moyen Age. 89 Al-Darginii, Kitdb Tabaq&t al-ma/d'ii bi-l-Magrib, ed. Ibrahim Tallay, Constantine,

Matba'at al-ba't, 1974, vol. II, p. 352. 90 Abiu l-Rabi' al-Wisyani, Syar mas'd'ih al-Magrib, ed. Ismail al-Arabi, Alger, Office

des publications universitaires, 1985, p. 27.

370 ALLAOUA AMARA

La question linguistique a suscite de nombreuses etudes historiques, mais qui n'ont pas abouti 'a des reponses satisfaisantes. En ce qui concerne l'epoque qui nous interesse, les citations que nous avons rap- portees ne peuvent pas resoudre completement cette question. L'ascen- dance arabe revendiquee par les Suswala devait sans doute s'accompagner de la pratique de la langue arabe, mais a 1'e'poque, les Sanhaga appa- raissent dans la vie politique du Maghreb comme serviteurs des Fatimides, une ascendance arabe a ket donnee aux Sanhaga comme aux Kutama. Nous ignorons les origines de cette attribution, mais le genealogiste arabe Ibn al-Kalbi (m. 204/819) fut le premier 'a avoir avance cette

hypothese9l, qui a ete par la suite reprise par les genealogistes arabes et berberes et developpee par les Fatimides et les Zirfdes.

Ref1exions sur le destin des Suswdla

La region oiu habitaient les Suswala abritait, avant la fondation de la Qal'a des Baniu Hammad, trois forteresses: Qal'at Kiyana, Qal'at al-Hgiara et Qal'at Sakir. La plus importante etait la premiere qui avait ete detruite par l'armee fatimide lors de la derniere bataille face aux Kharidjites92. A partir de 398/1007, cette region montagneuse a connu la fondation d'une grande cite urbaine: la Qal'a des Bantu Hammad93 qui devint ensuite la capitale politique des HammadTdes et la metro- pole economique du Maghreb. La region montagneuse de Kutama et de 'Agisa connut alors une forte presence hammadide et l'influence culturelle arabo-musulmane s'approfondit.

Les chroniqueurs ont compItement ignore l'existence et le destin des Suswala, et ce groupe n'est plus mentionne apres la fondation de la Qal'a des Baniu Hammad. A propos des 'Agisa, Ibn Haldtun raconte que ces Berberes ont e't les seuls expulses par les Hammadides menees par Hammad b. Bulukin94, ce qui renforce notre interpretation: ils

9' Ibn al-Kalbi, JNasab Ma'add wa 1-raman al-Kabir, ed. Muhammad Firdaws al-'Azm, Damas, Dar al-yaqda al-'arabiya, s.d., vol. II, p. 459.

92 Sur ces trois forteresses voir principalement: 'Imad al-Din Idris, op. cit., p. 415, 216-217, 422-424, 432, 434, 436; Ibn Hammad al-Sanhagi, op. cit., p. 33.

93 Sur la fondation de la ville de la Qal'a des Baniu Hammad, voir par exemple Ibn al-Hatfb, Kitab A'mdl al-a'ldm, ed. H. H. Abdul-Wahab dans Extraits relatfs a l'his- toire de l'Afrique du Nord et de la Sicile, Palermo, Stabilimento tipografico virzi, 1910, p. 464-465; Ibn Hald-un, op. cit., p. 175; Abtu 'Abd Allah al-Tigani, al-Ri/la, ed. H. H. Abdul-Wahab, r&ed. Tunis, al-Dar al-'arabiya li-l-kitab, 1982, p. 115-116.

94 Ibn Hald-un, op. cit., p. 145.

TEXTE MECONNU SUR DEUX GROUPES HERETIQUES 371

etaient tous comme les Suswala, un groupe dissident, et par conse- quence dangereux. Ce groupe disparailt-il donc 'a I'epoque hammad-de ? On peut le supposer, mais une telle hypothese ici manque encore d'argu- ments solides, car les sources sont muettes sur ces heretiques du Maghreb central.

Conclusion

Au terme de cette etude, quels sont les resultats de l'exploitation de la consultation juridique rendue par al-Dawudi? D'abord faire sortir de l'ombre un groupe berbere qui habitait la region montagneuse situee au nord de la Qal'a des Baniu Hammad. I1 s'agit des Suswala, une frac- tion sanhagienne, qui sont ignores par les chroniques, les dictionnaires biographiques et les descriptions geographiques. Cela s'explique par le fait que la re&gion de Kutama et de 'Agisa represente un exemple signi- ficatif d'une region mal integree dans le territoire de l'islam maghre- bin et qui echappe au pouvoir arabe central avant la fondation de la Qal'a des Banui Hammad. On peut supposer qu'il y eut d'autres grou- pes similaires au Maghreb central, mais ils sont ignores par les sour- ces historiques en raison de leur << heresie >>. Ces groupes qui ont du mal 'a s'integrer dans la societe musulmane posent un probleme juri- dique pour les juristes malikites. Ainsi, al-Dawudi, une des references indiscutables pour le malikisme maghrebin, ne considere pas les Suswala ni comme juifs, ni comme chretiens, ni comme paiens, mais comme kuf/ar (infideles). Le cas des Suswala s'inscrit dans l'evolution historique du Maghreb que caracterise une dialectique intense et continue entre << puissances d'en haut >> et << puissances d'en bas >> qui s'opposent A terme selon le schema structurel propose par M. Arkoun95. Les puis- sances d'en haut sont constituees par la solidarite fonctionnelle entre l'Etat, l'ecriture des historiographes et des juristes, la culture, la langue et une religion etatisee grace aux fonctionnaires du sacre nommes par le pouvoir. Ces quatre puissances dominent les puissances d'en bas: societs segmentaires, oralite, culture et dialectes populaires, et heresies, elles-memes vouees A disparaitre par absorption dans l'espace sociocul- turel officiel, et a devenir des survivances et des substrats qui n'ont pas

9 M. Arkoun, << Penser l'histoire du Maghreb >> dans L'Etat du Maghreb, dir. C. et Y. Lacoste, Paris, La Decouverte, 1991, p. 48-50.

372 ALLAOUA AMARA

cesse de resister a l'action officielle du pouvoir central. Ce cadre d'ana- lyse s'applique parfaitement a la societe du Maghreb central 'a la fin du Xe siecle. Ainsi, l'opposition directe entre << orthodoxies >> represen- tees par les juristes malikites et << heresies >> des Suswala s'inscrit dans une dialectique intense entre << puissances d'en haut >> et << puissances d'en bas >>. Les detenteurs du savoir theologique sont soutenus par un pouvoir dynastique etabli 'a Aslr puis a la Qal'a des BanPu Hammad alors que I'action << r6sistante >> des Suswala est soutenue par une cul- ture populaire et l'oralite. Mais cette action d'en bas n'echappe pas a l'influence culturelle des puissances d'en haut qui finira par embrasser une partie de sa culture. L'action des Suswala prend fin apres la fon- dation de la Qal'a des Baniu Hammad dans la region habitee par les Suswala, car le pouvoir central affiche une solidarite continue avec la puissance des << juristes >> contre les < heresies >>.