The Diversification of Actors Involved in Armed Conflicts: Beyond 'Direct Participation to...

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Electronic copy available at: http://ssrn.com/abstract=1479897 1 La diversification des acteurs impliqués dans les conflits armés : vers un dépassement de la « participation directe aux hostilités » ? Contents I. Participants et tiers : pôles plus que dichotomie.................................................................................. 5 A. « Plutôt participants » : les faux tiers ............................................................................................... 6 Les forces spéciales ............................................................................................................................... 6 Les conseillers militaires ....................................................................................................................... 7 Les paramilitaires .................................................................................................................................. 8 B. « Plutôt tiers » : les vrais non-combattants .................................................................................... 10 L’assistance humanitaire..................................................................................................................... 10 Les journalistes.................................................................................................................................... 12 Les opérations de maintien de la paix ................................................................................................ 14 Les forces de police ............................................................................................................................. 16 Les « boucliers humains » ................................................................................................................... 17 II. « En même temps tiers et participants » ? ............................................................................................. 19 A. Les mercenaires et les compagnies de sécurité.............................................................................. 19 L’exclusion des mercenaires ............................................................................................................... 19 Le statut ambigu de la violence privatisée ......................................................................................... 20 B. Les insurgés et les groupes terroristes ........................................................................................... 23 Etre ou ne pas être civil....................................................................................................................... 23 Le refus de respecter le droit humanitaire comme caractéristique fondatrice ................................. 25 Conclusion ................................................................................................................................................... 28

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La diversification des acteurs impliqués dans les conflits armés : vers un dépassement de la « participation directe aux hostilités » ?

Contents I. Participants et tiers : pôles plus que dichotomie.................................................................................. 5

A. « Plutôt participants » : les faux tiers ............................................................................................... 6

Les forces spéciales ............................................................................................................................... 6

Les conseillers militaires ....................................................................................................................... 7

Les paramilitaires .................................................................................................................................. 8

B. « Plutôt tiers » : les vrais non-combattants .................................................................................... 10

L’assistance humanitaire ..................................................................................................................... 10

Les journalistes .................................................................................................................................... 12

Les opérations de maintien de la paix ................................................................................................ 14

Les forces de police ............................................................................................................................. 16

Les « boucliers humains » ................................................................................................................... 17

II. « En même temps tiers et participants » ? ............................................................................................. 19

A. Les mercenaires et les compagnies de sécurité .............................................................................. 19

L’exclusion des mercenaires ............................................................................................................... 19

Le statut ambigu de la violence privatisée ......................................................................................... 20

B. Les insurgés et les groupes terroristes ........................................................................................... 23

Etre ou ne pas être civil ....................................................................................................................... 23

Le refus de respecter le droit humanitaire comme caractéristique fondatrice ................................. 25

Conclusion ................................................................................................................................................... 28

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L’entreprise normative du droit humanitaire est, en quelque sorte, fondée sur sa capacité à distinguer entre « participants » et « tiers » aux conflits armés. Les « parties » sont les Etats ou groupes considérés comme étant les protagonistes d’un conflit armé, mais aussi plus simplement les « participants », c'est-à-dire les groupes et individus pouvant, pour une raison ou pour une autre, se rattacher à une « partie ». On protège par le biais de cette distinction un certain usage de la violence légitime, tout en en protégeant ceux qui n’en relèvent pas. Cette distinction est notamment capitale au niveau opérationnel, car elle permet de déterminer les cibles légitimes, ainsi que le cadre de l’application des règles de distinction ou de proportionnalité.

Néanmoins, cette tentative de tracer une ligne claire entre participants et non-participants aux conflits armés s’est depuis longtemps – et non, pas comme on le suggère parfois, seulement depuis quelques décennies – heurtée à des remises en question. Plusieurs facteurs contemporains concourent à ce phénomène : la privatisation croissante de la violence, l’ingérence, les conflits à caractère ethnique ou religieux, ou encore l’émergence de mouvances terroristes. La question connaît un regain d’intérêt de la part d’organisations comme le CICR chargés de veiller au respect des Conventions de Genève,1 ainsi que de la doctrine2

Ces mutations ont rendu plus urgent que jamais le besoin de mieux définir la notion de tiers – fut-ce pour analyser la contribution qu’ils peuvent apporter au respect des exigences humanitaires. Le problème est dans cette perspective celui des tiers « actifs », c'est-à-dire ceux qui sont sur le terrain, et particulièrement ceux dont le statut et comportement pourrait prêter à l’équivoque. Le fait d’être un tiers à un conflit au sens juridique, n’implique pas nécessairement que l’on y soit étranger, mais uniquement que l’on n’y participe pas. Pour certains le statut de tiers ne fera aucun doute, pour d’autres la question sera nettement plus ambigüe. Selon que l’on sera partie ou tiers, en tous cas, des droits et obligations très différents émergeront. On attend surtout des « parties » qu’elles respectent le droit humanitaire ; les tiers ont un rôle différent, plus proactif et protecteur, celui éventuellement de faire respecter ou d’aider à faire respecter les exigences humanitaires. Les deux qualités sont donc, classiquement, incompatibles, et c’est bien tout le défi pour le droit humanitaire que d’éviter que certains acteurs revendiquent (ou se voient attribuer par d’autres) un statut auquel ils ne devraient pas pouvoir prétendre, au gré de l’évolution d’un conflit.

autour de la notion de « participation directe aux hostilités ».

Plus particulièrement, l’enjeu de la distinction est double. Il s’agit d’une part d’éviter le problème que l’on pourrait qualifier de celui des « faux tiers », c'est-à-dire d’acteurs qui ont une incidence sur la conflictualité au point qu’ils méritent d’être qualifiés de parties, mais qui cherchent à néanmoins se faire passer n’y participant point. On pense ici à des acteurs qui ont une incidence militaire ou violente, mais

1 NILS MELZER, INTERPRETATIVE GUIDANCE ON THE NOTION OF DIRECT PARTICIPATION IN HOSTILITIES UNDER INTERNATIONAL

HUMANITARIAN LAW (2009). 2 M. Schmitt, "Direct Participation in Hostilities" and 21 st Century Armed Conflict, CRISIS MANAGEMENT AND

HUMANITARIAN PROTECTION. BERLIN: BERLINER WISSENSCHAFTSVERLAG 505-529 (2004). M. SOSSAI, Status of PMSC Personnel in the Laws of War: The Question of Direct Participation in Hostilities, (2009). J. K. Kleffner, FROM ‘BELLIGERENTS’TO ‘FIGHTERS’AND CIVILIANS DIRECTLY PARTICIPATING IN HOSTILITIES–ON THE PRINCIPLE OF DISTINCTION IN NON-INTERNATIONAL ARMED CONFLICTS ONE HUNDRED YEARS AFTER THE SECOND HAGUE PEACE CONFERENCE, 54 NETHERLANDS INTERNATIONAL LAW REVIEW 315-336 (2007). W. J. Fenrick, The Targeted Killings Judgment and the Scope of Direct Participation in Hostilities, 5 JOURNAL OF INTERNATIONAL CRIMINAL JUSTICE 332 (2007).

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qui opèrent néanmoins à la limite de la conflictualité : paramilitaires, mercenaires, compagnies de sécurité, conseillers militaires. De toute évidence, il y a des avantages à « participer sans participer ». On bénéficie notamment de la protection accordée aux non-combattants, laquelle peut permettre d’avancer « caché » dans un conflit. Le deuxième risque, risque symétrique en quelque sorte, est celui d’attribuer le statut de parties à des acteurs qui sont légitimement des tiers et ne doivent pas être perçus comme des parties, au nom de considérations pratiques et normatives (les « fausses parties »). On pense ici bien évidemment aux acteurs humanitaires ou aux acteurs du maintien de la paix, ou encore aux journalistes. Enfin, on peut considérer qu’il existe un troisième risque commun aux deux catégories, celui du changement de statut par certaines parties au sein d’un même conflit armé. Un tel changement peut sans doute être justifié dans certaines conditions (un groupe rebelle abandonne les armes, par exemple), mais ne doit pas mener à d’incessants allers-retours qui se paieraient par l’illisibilité humanitaire des guerres. Une réflexion sur la « viscosité » des statuts est plus que jamais à l’ordre du jour, dans un contexte où la violence peut vite tourner au jeu de masques.

Ces dangers ont été présents tout au long de l’histoire du droit international humanitaire (on pense en particulier aux problèmes classiques de la levée en masse ou des mouvements de libération nationale) mais on peut dire qu’ils ont atteint une acuité particulière dans le contexte de certains conflits contemporains particulièrement « déstructurés ». L’on songe aux exemples de l’ex-Yougoslavie, de la Somalie ou du Congo, ainsi qu’aux diverses manifestations de la « guerre contre le terrorisme », contextes où s’entrecroisent logiques de participation classique avec des formes complexes et multiples d’immixtion dans les conflits (multiplicité des groupes non-étatiques, des ingérences étrangères, et des interventions de la communauté internationale). Pour tenter d’y répondre, il est important de souligner qu’il s’agit là de questions de droit indépendantes de la perception subjective qu’en ont les parties. La réponse dépend classiquement de critères ontologiques (la partie est un Etat), de rattachement (typiquement à un Etat partie au conflit), ou un mélange de critères ontologiques, contextuels et volontaristes (certains groupes non-étatiques disposés à respecter le droit humanitaire, etc).

En termes de régulation, il est important de voir que se profilent, derrière les seuls objectifs humanitaires, un certain nombre d’enjeux de fond relatifs à l’évolution de la violence et de son contrôle. La question des meilleures modalités humanitaires le dispute souvent, en d’autres termes, à des considérations (légitimes, assurément) de régulation de la scène internationale. Songeons par exemple à la notion même de « participation » à un conflit armé non-international. Bien entendu, un conflit ne peut exister sans participants et l’article 3 commun et le Protocole II le reconnaissent au moins implicitement. En même temps, cette participation est présentée par les textes comme une participation purement factuelle, de nature à précipiter la mise en œuvre du droit humanitaire mais pas à conférer un véritable statut aux mouvements rebelles. On et bien ici face à des « participants » - terme peu technique – plus qu’à des « combattants » au sens où ce terme est entendu en droit de la guerre. On sait en effet que les Etats ont fortement résisté toute tentative d’une reconnaissance plus explicite de forces non-étatiques sur leur territoire.

Si cette réticence peut se comprendre en termes de défense de la souveraineté et de théorie des sujets du droit international, elle fait néanmoins peu de sens au niveau humanitaire où des considérations relatives tant au principe de distinction qu’à la nécessité de « responsabiliser » les groupes non-

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étatiques militent pour une plus grande reconnaissance de leur position. Tant l’évolution coutumière du droit de la guerre3 que la jurisprudence pénale internationale4 semblent désormais aller dans le sens d’une plus grande reconnaissance du statut des participants à un conflit armé non-international, mais ce mouvement est loin d’être abouti et nécessite encore une certaine « foi » doctrinale.5

En outre, il apparaît de plus en plus, autour de cette question de la « participation », qu’il existe une véritable tension existe entre les objectifs du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme. L’idée même d’une participation à un conflit armé implique qu’un conflit armé existe formellement et en pratique, et que le droit de la guerre ait déjà vocation à se substituer aux droits de l’homme comme lex specialis. Si les thuriféraires de l’ humanitaire peuvent militer pour que les conditions de son application soient étendues afin d’assurer une meilleure protection des participants à un conflit, il ne faut pas oublier que la reconnaissance même de l’applicabilité du droit humanitaire se manifeste par une dégradation globale des conditions de protection de l’être humain. A trop vouloir appliquer le droit humanitaire (on pense notamment à l’exigence parfois répétée sans discernement que toutes les personnes internées à Guantanamo se voient attribuer le statut de prisonnier de guerre), on finirait presque par en oublier que l’application « le plus longtemps possible » des droits de l’homme comme cadre de référence demeure un objectif digne que l’on s’y attache. Ces considérations sont particulièrement importantes dans cette situation crépusculaire entre ordre et conflit que constitue l’occupation, ou à propos du débat sur le rapprochement entre régime applicable aux conflits armés internationaux et non-internationaux.

Des considérations similaires surgissent pour plusieurs des acteurs que l’on envisagera dans ce chapitre, ce qui crée des tensions avec l’objectif purement humanitaire.

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Il existe bien entendu une catégorie d’acteurs qui bénéficient d’emblée de la plus grande reconnaissance du droit international humanitaire comme « participants » : les Etats. En tant que sujets à part entière du droit international et donc du droit de la guerre, les Etats sont des acteurs légitimes des conflits armés (au point de vue humanitaire), qu’ils soient internationaux ou non-internationaux, et ce quelle que soit la licéité de leur cause. Les Etats ne sont bien sûr pas libres d’avoir recours à n’importe quel moyen pour mener une guerre, mais le fait de violer allègrement et systématiquement le droit de la guerre ne remettra jamais en cause leur qualité de partie à un conflit. Le droit international est bien

3 L’article 3 commun parle bien de « parties » à un conflit. En outre, l’étude du CICR sur le droit international coutumier tend à parler de « combattants », par analogie avec le droit applicable aux conflits amés internationaux. J. M. HENCKAERTS & L. DOSWALD-BECK, CUSTOMARY INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW (2005).. 4 On pense notamment à l’idée, déterminante, que des crimes de droit international peuvent être commis tant en conflit armé international que non-international. T. Meron, International criminalization of internal atrocities, 89 AMERICAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 554-577 (1995). 5 Bien entendu, l’applicabilité de l’article 3 et du Protocole II aux groupes rebelles est plus problématique puisque ceux-ci ne bénéficient pas de la personnalité internationale et ne sont pas parties à ces instruments. Voir A. Clapham, Human rights obligations of non-state actors in conflict situations, 88 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED

CROSS 491-523 (2007). 6 Typiquement présentée comme “progressiste” car rendant applicable le régime réputé plus protecteur des conflits armés internationaux aux conflits non-internationaux, ce rapprochement n’en porte pas moins en lui le potentiel d’un déplacement significatif des droits de l’homme au niveau interne par une « sur-conflictualisation » de la lecture de certains événements.

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trop pétri de considérations d’effectivité pour cela, et le déni de la qualité de partie ne ferait de toute façon que saboter l’objectif humanitaire. Qu’un Etat puisse être partie à un conflit, bien sûr, n’implique pas qu’il le soit ou ne le soit pas de manière toujours dépourvue d’ambiguïté. Certains Etats sont sans aucun doute des parties à un conflit armé, et ne le nieront pas ; d’autres souhaiteront au contraire faire partie de ces acteurs qui « participent sans participer »,7 c'est-à-dire, se présentent comme des Etats tiers alors qu’ils ont un rôle suffisamment direct dans un conflit pour que les conditions de leur participation tombent sous le coup de la régulation humanitaire. La Cour internationale de justice mais surtout, pour les besoins de l’application du droit de la guerre, le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie ont établi des critères de rattachement des Etats à certains conflits.8

Même si cette problématique est emblématique du genre de questions dont souhaite traiter ce chapitre au sens où elle met en avant le caractère en même temps ontologique et circonstanciel de la notion de participation, on voudra s’intéresser ici à la réinvention de la qualité de parties au conflit provoquée par la multiplication des acteurs au-delà de l’Etat. Cette multiplication est à n’en point douter complexe : elle recouvre tant des composantes rattachables mais à la limite de l’Etat (forces spéciales, paramilitaires), que des émanations d’organes supranationaux (opérations de maintien de la paix), que des organisations transnationales et internationales neutres (les organismes humanitaires), que des acteurs privés par nature (compagnies de sécurité, groupes terroristes). Les questions qui nous intéresseront seront donc en même temps tactiques (la notion de « participation directe aux hostilités ») et stratégiques (la notion de « partie »), étant entendu que les deux se rejoignent dans certaines hypothèses.

On envisagera dans cet essai en quoi « participants » et « tiers » sont des notions assez relatives qui doivent être conçues comme opérant sur un continuum (I). Dans un second temps, on s’interrogera sur la menace que font peser certains acteurs au statut particulièrement ambigu sur la distinction entre parties et tiers (II).

I. Participants et tiers : pôles plus que dichotomie

On n’envisagera pas ici un certain nombre de participants ou tiers « classiques » et déjà largement prévus par le droit de la guerre. On s’intéressera plutôt à un certain nombre de « nouveaux acteurs » au statut intermédiaire et quelque peu mystérieux, car non explicitement prévu par les grands instruments du droit humanitaire. On gardera notamment à l’esprit que si certains acteurs ont sans doute plus tendance à être « parties » ou « tiers », tous le sont moins par nature que par destination, et donc une certaine fluidité entre les catégories est inévitable.

7 Voir à ce propos le remarquable Ruth Jamieson & Kieran McEvoy, State Crime by Proxy and Juridical Othering, 45 BR J CRIMINOL 504-527 (2005). 8 A. Cassesse, “The Nicaragua and Tadi Tests Revisited in Light of the ICJ Judgment on Genocide in Bosni,” The European Journal of International Law 18, no. 4.

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A. « Plutôt participants » : les faux tiers

Les faux tiers sont donc ces acteurs qui tendent à participer à des conflits, même s’ils créent par leurs activités créent une équivoque, ou cherchent à apparaître comme y étant extérieurs.

Les forces spéciales Les Etats font à l’occasion appel à des forces spéciales pour des missions, la plupart du temps clandestines, sur le territoire d’autres pays. Ces forces peuvent agir dans le cadre d’un conflit armé ou pas. Elles sont typiquement distinctes des forces régulières, même si elles peuvent leur être rattachées. Elles peuvent également relever directement d’agences de renseignements, voir opérer dans l’ignorance des propres forces régulières de leur pays. Si les opérations des forces spéciales sont souvent clandestines, certaines sont en outre secrètes au sens où tout est fait pour éviter que soit établi un lien avec le gouvernement les ayant envoyées en territoire ennemi. La CIA s’est particulièrement distinguée pour son recours fréquent à des opérations spéciales, de la Baie des cochons au Laos, de Mogadiscio à l’invasion de l’Afghanistan. Dans le cadre de leurs missions, on sait que les forces spéciales ou les services de renseignements ont parfois « omis » de porter l’uniforme pour mieux se fondre dans la population locale, ou porté des versions « indigènes » de leur uniforme ordinaire (« non standard uniform »). Certaines de leurs missions sont tout à fait atypiques au regard de la notion classique de conflit armé (assassinats, par exemple), et leur caractère secret se prête mal à un contrôle extérieur.

Les forces spéciales sont clairement rattachables à l’Etat qui les envoie, quel que soit leur statut interne juridiquement et opérationnellement. En soi, le fait d’être des forces « spéciales » selon une catégorisation propre à l’Etat de rattachement est a priori sans incidence pour le droit humanitaire. En revanche, le fait d’appartenir à l’armée ou à un service « musclé » de renseignement civil peut créer des équivoques.9 A ce titre, il n’est pas évident que les espions « civils » puissent, même en situation de conflit armé, être considérés comme appartenant aux forces armées si ce n’est clairement pas le cas,10 et sans doute encore moins être assimilés à des milices (puisque par définition ils ne portent pas l’uniforme). Pour les militaires, le fait de ne pas porter l’uniforme ou de porter un uniforme tronqué (sans parler du fait de porter l’uniforme de l’ennemi), en revanche, peut être considéré comme relevant de la perfidie. Surtout, il risque de priver les forces spéciales du statut de combattant en faisant d’elles des « espions ».11

9 M. McAndrew, Wrangling in the Shadows: The Use of United States Special Forces in Covert Military Operations in the War on Terror, 29 BOSTON COLLEGE INTERNATIONAL AND COMPARATIVE LAW REVIEW 153 (2006).

L’espionnage, parfois présenté comme avant tout une tactique non chevaleresque, met aussi en danger la sécurité des civils. Un membre des forces spéciales infiltré comme espion et identifié comme tel pourra notamment, à l’intérieur des règles ordinaires du droit humanitaire, pris pour cible comme n’importe quel combattant, mais pourra par la suite se voir dénier le statut de

10 Ce qui ne change rien à leur statut –ils auront encore moins le droit au statut de prisonnier de guerre que des militaires capturés en train d’espionner – mais modifie en revanche les conséquences juridiques de leur capture. Un militaire qui « espionne » (car il porte des vêtements civils) commet un crime de guerre, là où un civil qui espionne viole vraisemblablement principalement le droit interne de l’Etat. 11 Règlement de la Haye de 1907, article 29 ; Protocole I, article 46. Peter Rowe, The Use of Special Forces and the Laws of War, XXXIII REVUE DE DROIT MILITAIRE ET DE DROIT DE LA GUERRE 209 (1994).

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prisonnier de guerre. L’espion cumule ainsi en quelque sorte les inconvénients de la participation, sans en tirer aucun des avantages.

Quoiqu’il en soit, le débat demeure complexe du fait de l’absence d’une définition en droit de ce que constitue un « uniforme » ou des « signes distinctifs ».12 Certains accoutrements locaux peuvent être adoptés par les troupes pour nul autre raison que leur meilleure adaptation à l’environnement et au climat. En outre, la distinction entre le camouflage (une ruse de guerre légitime) et la perfidie sera parfois ténue dans un environnement où les civils portent volontiers le treillis et où les signes reconnaissables chez le combattant ne seront identifiables, le cas échéant, qu’en conditions de très grande proximité (c'est-à-dire trop tard pour les besoins du combat). Cependant, même si les forces spéciales ne portent pas l’uniforme de l’Etat dont elles ressortent, on peut se demander si le port des vêtements caractéristiques des groupes qu’elles viennent, le cas échéant, soutenir et conseiller (on pense par exemple aux troupes américaines se mêlant à l’Alliance du Nord dans les premiers temps de l’attaque de l’Afghanistan) ne suffirait pas pour les identifier comme combattants, dès lors que les groupes en question sont eux-mêmes identifiables.13

Les conseillers militaires

Plus qu’un test objectif (port ou non-port de l’uniforme), c’est un test subjectif global (l’adversaire saurait-il, en fonction de toutes les circonstances, qu’il a affaire à des troupes ennemies) qu’il faudrait privilégier pour les besoins opérationnels, et un test subjectif pour les besoins de la détermination du statut d’une personne détenue (le soldat avait-il l’intention de tromper en se faisant passer pour un civil ?).

La question de la participation aux conflits armés est également une question qui se pose pour un type particulier de militaires, ceux dépêchés comme conseillers – du Rwanda au Nicaragua, de l’Angola à l’Afghanistan - par des Etats.14

Le Commentaire du Protocole I précise à ce titre que ne seront pas considérés comme combattants « les conseillers et techniciens militaires étrangers que l'on trouve aujourd'hui dans de très nombreux pays (…) aussi longtemps que ces experts ne prennent aucune part directe aux hostilités ». La justification

Le statut de telles forces pose des problèmes à partir du moment où, tout en prenant soin de rester en arrière, elles s’engagent sur la voie de la participation. Les Conventions de Genève parlent uniquement des forces armées d’une Partie au conflit, ou de certaines milices ou autres membres de corps volontaires. Or le seul fait pour un Etat X d’envoyer des conseillers militaires dans un Etat Y en guerre contre un Etat Z, ne fait pas de l’Etat X une partie à un conflit avec l’Etat Z. A défaut de provenir d’un Etat partie au conflit, on peut en revanche penser que dans certains cas le « secondement » de troupes puisse revenir à les intégrer à la structure d’un autre appareil militaire, si les liens avec l’armée d’accueil sont assez étroits. Il reste alors à remplir les critères de la participation directe aux hostilités. On sait par exemple que l’imbrication des conseillers militaires français et des Forces armées rwandaises était intense, incluant des réunions régulières à maints niveaux, et une aide matérielle, logistique et de renseignement.

12 W. H. Parks, Special Forces' Wear of Non-Standard Uniforms, 4 CHICAGO JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 493 (2003). 13 Voir en ce sens M. BOTHE, K. J. PARTSCH & W. A. SOLF, NEW RULES FOR VICTIMS OF ARMED CONFLICTS: COMMENTARY ON THE

TWO 1977 PROTOCOLS ADDITIONAL TO THE GENEVA CONVENTIONS OF 1949 257 (1982). 14 Il est d’ailleurs curieux que la question des mercenaires et des compagnies de sécurité monopolise à ce point les débats que ce problème des conseillers militaires « étatiques » n’est pratiquement jamais abordé.

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apportée par le CICR est assez ténue puisque l’on se contente de remarquer que « le caractère de plus en plus perfectionné des armes modernes, répandues, dans le monde entier, à une cadence accélérée, exige la présence de ces spécialistes, que ce soit pour la formation du personnel militaire, son entraînement ou l'entretien correct de l'armement ».15 Il semblerait que le caractère « nécessaire » de ces spécialistes milite justement pour leur reconnaissance comme combattants. Il y a en effet une certaine ironie à considérer que le conseiller militaire qui enseigne lors d’un conflit le fonctionnement d’une batterie d’artillerie inutilisable sans son expertise ne soit pas un combattant, alors que ceux qui l’utilisent dans la foulée le sont. On comprendra donc que dans certains cas la formation ou le soutien « rapprochés » puissent être assimilés à une « participation ». La simple présence opérationnelle de conseillers militaires lors de combats devrait suffire à faire d’eux des participants, si par exemple, tout en ne donnant pas d’ordres, ils évaluent la performance des troupes sous leur formation en conditions réelles. Le fait d’avoir planifié ou aidé à planifier des opérations en des termes autres que théoriques devrait également faire basculer le simple conseiller dans une fonction combattante.16

Les paramilitaires

Une stratégie de conflit a consisté, depuis plusieurs années, notamment en Colombie, en Irlande, en ex-Yougoslavie ou encore au Pakistan, à sous-traiter certaines « basses-œuvres » à des groupes paramilitaires. L’Etat tente ainsi de se dédouaner de certaines obligations et des répercussions négatives de violations du droit de la guerre. Parallèlement, là où les milices classiques ont des liens organiques avec l’Etat (par exemple en Suisse), les groupes paramilitaires tels que les Servicios de Vigilancia y Seguridad Privada (CONVIVIR) et les Autodefensas Unidas de Colombia (AUC, une alliance de sept groupes paramilitaires) se présentent volontiers eux-mêmes comme clairement distincts de l’Etat. En outre, ils prétendent assurer une sécurité rapprochée à certaines communautés (la fameuse « autodefensa ») et non pas participer aux conflits. Leurs liens avec des intérêts privés (grands propriétaires, clubs sportifs, narco-traffic), ainsi que l’aspect de relative faible intensité des conflits dans le contexte desquels ils opèrent, contribuent à brouiller les lignes entre la participation à un conflit armé et la criminalité ordinaire.

Ces « armées privées » posent des questions complexes en droit humanitaire que l’on se situe en conflit armé non-international (plus vraisemblablement) ou international. La question du rapport à l’Etat, tout d’abord, est problématique. Certaines organisations paramilitaires bénéficient de liens forts avec le gouvernement (quant bien même celui-ci les nierait), qui leur fournit des armes et avec lequel certaines opérations font l’objet d’une coordination. Leur ampleur parfois nationale (on pense à l’ACCU colombienne) milite également pour un lien ne serait-ce que par l’inaction (et donc l’approbation tacite) de l’Etat à leur égard. En cas de rattachement de facto, l’on peut dire que les paramilitaires peuvent participer au conflit armé qui oppose l’Etat à des mouvements rebelles, au même titre que n’importe quelle milice. Ces liens seront cependant souvent difficiles à établir, même si la position du gouvernement lui-même sera révélatrice (par exemple, depuis que le gouvernement colombien a 15 Y. Sandoz & Z. Swinarski, ur.(1986) Commentaire des Protocoles additionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949, HAGUE-BOSTON-LONDON: MARTINUS NIJHOFF PUBLISHERS, 1806. 16 Ces questions sont largement théoriques au cours des combats dans la mesure où il sera très difficile pour les troupes ennemies d’en connaître la réponse à l’avance. Elles ont néanmoins toute leur importance au moment d’attribuer un statut aux individus capturés.

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déclaré les groupes paramilitaires illégaux, on peut considérer qu’il n’est pas possible d’établir un lien de jure). Il n’existe en outre pas à proprement parler de statut des « milices » en conflit armé non-international, ce qui rend l’identification de leur statut délicat.

Une deuxième difficulté, notamment si un lien avec la structure militaire de l’Etat ne peut pas être établi de manière conclusive, a trait à la nature des activités des groupes paramilitaires. Cela devrait-il faire une différence que ces activités sont principalement, comme aiment à le proclamer certains groupes « d’auto-défense », de nature défensive ? Si les activités paramilitaires se cantonnent à des missions essentiellement civiles ou s’apparentant à un travail de police, elles pourraient en effet ne pas relever de la participation directe au conflit armé. Le caractère plus ou moins défensif d’une action armée, cependant, ne lui ôte pas nécessairement son aspect de participation au conflit.17 Les éléments de rattachement organiques doivent ici être complétés par une analyse de l’inscription dans un effort militaire plus large et notamment la question de savoir si, tout en étant indépendants de l’Etat, les groupes paramilitaires ne doivent pas être conçus comme suppléant son usage de la force militaire.18

On peut en effet considérer que, dans de nombreux cas (Colombie, ex-Yougoslavie), les actions des paramilitaires ont dépassé largement le cadre de la sécurité privée et comportent des offensives complexes et organisées. Dans ce cas, les éléments de collusion objective avec l’Etat pourront être déterminants. Le scenario le plus simple est celui où les groupes paramilitaires sont suffisamment proches de l’Etat pour lui être rattachables, que l’on soit dans un conflit armé international ou non-international, puisque à un certain niveau la notion de groupe para-militaire s’entend de groupes « pro-étatiques ». On remarquera à ce titre que, s’agissant des conflits armés internationaux, la troisième Convention de Genève exige des forces irrégulières qu’elles montrent patte blanche en quelque sorte avant de se voir reconnaître le statut de combattant. Si le fait d’avoir une personne responsable ou de porter ouvertement les armes sont des caractéristiques qui ne devraient pas poser problème, le fait de se conformer aux lois et coutumes de la guerre risque de constituer une pierre d’achoppement,

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Mais il est aussi possible d’imaginer que les groupes paramilitaires deviennent des parties à un conflit de leur propre fait, contre ces autres groupes non-étatiques que sont les rebelles. On sait en effet que de nombreux groupes paramilitaires, tout en se réclamant de l’agenda de l’Etat, sont des entrepreneurs de la violence à bien des égards entrés dans une certaine dissidence. Par exemple, les AUC colombiennes disposent d’une certaine autonomie, d’un commandement distinct et de sources d’armement propres. Encore faut-il que de tels groupes remplissent les conditions du Protocole II pour que celui-ci soit applicable, notamment au minimum l’inscription dans un conflit dépassant les simples troubles, ainsi que le contrôle d’un territoire, l’existence d’un commandement responsable, etc. La Commission inter-américaine parle notamment de situations où les « actes d’hostilité contre l’adversaire » de ponctuels

dès lors que les paramilitaires sont souvent des forces auxiliaires chargées, précisément, d’accomplir les basses œuvres de l’armée.

17 Le Protocole I est clair sur ce point puisque qu’il décrit une attaque comme « des actes de violence contre l'adversaire, que ces actes soient offensifs ou défensifs ». PI, article 49. 1. 18 Par exemple, est-ce que l’activité de sécurité locale est une activité qui serait normalement assurée par l’armée et qui, confiée à des supplétifs, permet de libérer des troupes pour aller au front. 19 Troisième Convention de Genève, article 4. 2)

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deviennent « leur activité quotidienne principale ».20

L’exigence de contrôle du territoire sera sans doute difficile à établir puisque les paramilitaires opèrent à la tolérance de l’Etat et que donc ils ne contrôlent pas le territoire stricto sensu (à moins de devenir à leur tour des mouvements rebelles, ce qui n’est pas exclu, mais rend alors inadéquate l’étiquette de « paramilitaire »). Dans tous les cas, l’action autonome des paramilitaires en conflit armé non-international, même si elle fait d’eux des « participants » aux combats, sera illégale et punissable comme telle selon le droit interne.

B. « Plutôt tiers » : les vrais non-combattants

Là où les « faux tiers » sont souvent des nouveaux types d’acteurs, les vrais non-combattants sont des acteurs plus traditionnels, mais dont les fonctions ont changé au gré des dernières décennies, au point de parfois menacer de remettre en cause leur qualification présomptive.

L’assistance humanitaire Depuis que l’assistance et la protection humanitaires existent ses acteurs ont vu dans leur capacité à se distinguer des participants à un conflit armé une clef de la possibilité même de venir au secours des civils. On peut dire que tout « l’espace humanitaire », comme il est convenu de l’appeler, dépend de la capacité des acteurs humanitaires à pouvoir assumer un rôle spécifique sans devenir des parties. Or on sait que les parties sont traditionnellement méfiantes à l’égard d’une assistance qui n’a pas toujours été neutre, et qui si même si elle cherche à l’être peut être détournée par certaines parties, ou tout simplement avoir des effets « distributifs » et indirectement bénéficier à certaines parties aux conflits. Le droit international tend donc à définir et encadrer les conditions de la « non-participation » par les organismes humanitaires aux conflits armés afin de les préserver, si cela est justifié, de soupçons qui interdiraient fondamentalement leur action. Par la même occasion, il permet de distinguer l’authentique action humanitaire fondée sur les seuls besoins, de l’action partisane, voir franchement participative.

L’assistance humanitaire, notamment celle qui ne bénéficie pas d’un mandat international explicite comme le CICR, trouve ici une protection de son cadre juridique international qu’elle soit destinée aux civils sous l’emprise d’une puissance ennemie (IVème Convention de Genève), ou même aux propres ressortissants d’une partie à un conflit (Protocole I), voir aux victimes d’un conflit armé non-international (Protocole II). Malgré de significatives différences entre ces régimes, tous visent à protéger l’authentique assistance humanitaire de tout soupçon de « participation ». L’article 23 de la quatrième Convention de Genève avait déjà indiqué que « Chaque Haute Partie contractante accordera le libre passage de tout envoi de médicaments et de matériel sanitaire ainsi que des objets nécessaires au culte », même lorsque destinés à la « population civile d’une (…) Partie contractante (…) ennemie ».21

20 THIRD REPORT ON THE HUMAN RIGHTS SITUATION IN COLOMBIA 1999, (1999), http://www.cidh.oas.org/countryrep/Colom99en/table%20of%20contents.htm., para. 60.

Le Protocole I reprend l’idée que les parties au conflit « autoriseront et faciliteront le passage rapide et sans encombre » les opérations en cause, « même si cette aide est destinée à la population civile de la

21 Article 23.

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Partie adverse ». Enfin, le Protocole II, dans un langage moins contraignant, prévoit que seront « entreprises » des opérations humanitaires, avec le consentement de la Haute Partie contractante concernée ».22

Le critère principal en la matière est que « la population civile d'un territoire sous le contrôle d'une Partie au conflit, autre qu'un territoire occupé, (soit) insuffisamment approvisionnée en matériel et denrées »,

23 ou qu’elle « souffre de privations excessives par manque des approvisionnements essentiels à sa survie ».24 Il faut en outre que l’action humanitaire respecte elle-même un critère d’impartialité et soit « conduite sans aucune distinction de caractère défavorable ».25 En d’autres termes, on ne saurait désigner comme partiale et refuser une aide qui est attribuée uniquement en fonction du besoin. A ce titre, la Partie obligée d’accorder le libre passage peut s’assurer de n’avoir aucune raison de craindre que « les envois puissent être détournés de leur destination, ou (…) que le contrôle puisse ne pas être efficace, ou (…) c) que l'ennemi puisse en tirer un avantage manifeste pour ses efforts militaires ou son économie”. Ce troisième et dernier risque se comprend comme celui qu’une partie « substitu(e) (les) envois (humanitaires) à des marchandises qu'il aurait autrement dû fournir ou produire, ou en libérant des matières, produits ou services qu'il aurait autrement dû affecter à la production de telles marchandises”.26

En outre, des possibilités de contrôle sont prévues dans chacun de ces cas, tels que la supervision de la Puissance protectrice ou du CICR.

En d’autres termes, l’assistance humanitaire, quoiqu’il en soit, doit avoir un effet « neutre » sur la poursuite des hostilités, c'est-à-dire ne faciliter l’action ni d’une partie ni d’une autre.

27 L’important est cependant que si toutes ces conditions sont respectées, « Les offres de secours (…) ne seront considérées ni comme une ingérence dans le conflit armé, ni comme des actes hostiles ».28 Le cadre d’une « non participation » et de ses privilèges se trouve ainsi tracé et protégé, du moins en théorie. La qualité de tiers des organisations humanitaires est néanmoins régulièrement mise en danger, tant par certaines organisations elles-mêmes, que par certains parties au conflit ou que certaines ambiguïtés nées des circonstances des conflits contemporains. Premièrement, il est indéniable que toutes les organisations ne respectent pas les principes de la neutralité humanitaire. Certaines « GONGOS » (dans le jargon onusien, des fausses organisations non-gouvernementales en réalité contrôlées par des gouvernements),29

22 Protocole II, Article 18. 2.

par exemple, sont très engagées dans une aide sinon entièrement partiale du moins qui s’accommode bien des limitations qui lui imposent certains Etats. En outre, un certain nombre d’initiatives d’assistance privées ouvertement militantes, même lorsqu’elles ne font que soutenir la population civile, risquent de profondément brouiller les mécanismes humanitaires en ne secourant qu’une partie de la population.

23 Protocole I, Article 70. 24 Protocole II, article 18. 2. 25 Protocole I, article 70. Protocole II, article 18. 26 4ème Convention de Genève, article 23. c. 27 Protocole I, article 18. 28 M. S. Parry, Phyrric Victories and the Collapse of Humanitarian Principles, 94 JOURNAL OF HUMANITARIAN ASSISTANCE 1-16 (2002). 29 Littéralement, “Government Organized NGO”.

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Deuxièmement, ce sont bien entendu souvent les parties aux conflits elles-mêmes qui ont souhaité, parfois de mauvaise foi, considérer les travaux d’assistance de certaines organisations humanitaires comme relevant de la « participation ». Il faut dire que certaines méthodes de guerre – on pense notamment aux sièges – créent une imbrication telle entre les besoins des combattants et des non-combattants, qu’il devient parfois difficile de distinguer l’aide apportée à une population de celle apportée, plus ou moins indirectement, à une force armée.30

Troisièmement, le contexte de certaines opérations humanitaires est tel que des organisations ont été appelées sinon à s’armer, du moins à recruter les services de personnels de sécurité. Une telle possibilité est prévue par le droit humanitaire à condition qu’elle revête un caractère strictement défensif. Mais on sait que même si certaines grandes organisations tel que le CICR ont eu recours à des escortes armées dans certains pays tel que la Somalie, c’est en quelque sorte « le cœur lourd » et conscients de sacrifier une apparence symbolique. En outre, la possibilité d’organiser une protection plus lourde de certaines opérations humanitaires par le recours à des compagnies de sécurité, si elle est suggérée de temps à autre, pourrait créer des conditions de perception telles que la neutralité s’en trouverait durablement compromise.

Rappelons que pendant la Seconde guerre mondiale, c’était le Royaume Uni qui s’était un temps opposé à l’approvisionnement par la Croix rouge de la Grèce, au motif que le Reich en aurait bénéficié, qu’il capte l’assistance ou que celle-ci le dégage du poids de son obligation de subvenir aux besoins de la population occupée. Dans une situation comme le siège de Sarajevo, où la population est défendue par les propres troupes de l’Etat (et non pas occupée), il est encore plus douteux que l’aide puisse n’aller qu’aux non-combattants. Ceux-ci souhaiteront peut être même que leurs défenseurs soient nourris et soignés avant eux, étant entendu que l’on ne mourrait pas à Sarajevo de faim mais bien des balles des snipers. On peut donc dire que dans certaines situations les conditions mêmes du combat rendent très difficile la distribution d’une assistance humanitaire exclusivement destinées aux civils.

31 Enfin, le fait que l’intervention militaire par certains Etats ou coalitions d’Etats se soit de plus en plus présentée sous un jour humanitaire (la fameuse « intervention humanitaire »)32

Les journalistes

a encore un peu plus obscurci la question puisque l’humanitaire est présenté comme la cause et la raison d’être d’une participation à un conflit armé, plutôt qu’une simple manière de l’accompagner afin d’en minimiser les effets.

Les journalistes font sans doute partie des catégories de populations qui ont le plus été menacées en conflit armé par la réelle ambiguïté entourant leur statut. Cette incertitude fut longtemps proprement normative et de principe. Ainsi, tant le Règlement de 1907 que la IIIème Convention de Genève assimilaient les journalistes aux personnes « suivant » les forces armées sans en faire partie, catégorie dans laquelle on retrouvait les personnels civils des armées ou encore les aumôniers. Les journalistes « capturés » devaient ainsi se voir conférer le statut de prisonnier de guerre, tout en n’étant point traités comme des combattants. Très avantageux en termes de protection et compréhensible s’agissant

30 R. A. Stoffels, Legal regulation of humanitarian assistance in armed conflict: achievements and gaps, 86 IRRC 515 (2004) 522-523. 31 T. Vaux et al., humanitarian action and private security companies, LONDON: INTERNATIONAL ALERT (2002). 32 L. MINEAR ET AL., SOLDIERS TO THE RESCUE: HUMANITARIAN LESSONS FROM RWANDA (1996).

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de correspondants de guerre travaillant pour le compte de l’armée, il s’agissait cependant là d’une conception qui faisait bien peu de cas, le cas échéant, de l’indépendance des journalistes. Ceux-ci n’étaient en effet envisagés que sous l’angle, sinon du soutien à la guerre, du moins du service commandé. L’émergence de nouvelles générations de journalistes de guerre, surtout après la Seconde guerre mondiale, travaillant de manière indépendante ou pour des grands groupes de presse eux-mêmes indépendants, exigeait que ce statut soit repensé. L’article 79 du Protocole I offre depuis une vision plus conforme à l’image qu’on se fait du journaliste indépendant, à savoir que celui-ci doit être traité comme un civil.

Dans ce cadre, le fait que les journalistes prennent position pour une partie ou pour une autre du conflit, y-compris de manière tout à fait partiale, fait peut être d’eux des mauvais journalistes au regard de certains canons de la profession, mais ne saurait faire d’eux des participants. En effet, là où la qualité de non-participant pour les humanitaires est strictement dépendante de leur neutralité, elle est tout à fait indépendante pour les femmes et les hommes de presse de la nature de leurs positions. C’est sans doute qu’ici droit humanitaire et droits de l’homme se mêlent pour créer un statut particulier pour le journaliste en temps de guerre, fondé tant sur les bénéfices humanitaires que l’on peut tirer de la dénonciation de violations que sur la liberté d’expression et le droit à l’information. En revanche, le statut des journalistes est tout de même grevé d’une hypothèque relativement lourde puisqu’il ne leur est accordé qu’« à la condition de n'entreprendre aucune action qui porte atteinte à leur statut de personnes civiles ». Quelles pourraient être ces actions compromettantes n’est pas indiqué, ce qui n’est pas sans créer quelque incertitude.

Un certain nombre de facteurs viennent en outre compliquer la donne. D’une part, la tendance de certains Etats à considérer que l’appareil de propagande de l’adversaire est une cible légitime, à une époque d’intensification de la guerre psychologique, a poussé à ce que des institutions a priori journalistiques soient prises pour cible. On pense notamment au bombardement par l’OTAN des locaux de la radio/télévision RTS à Belgrade.33 Or il n’y a aucun doute que les journalistes remplissent parfois un rôle de propagande, sans compter qu’ils peuvent disposer d’installations (radiophoniques notamment) qui peuvent être utilisées à des fins militaires. Même si la propagande seule ne fait pas des journalistes des combattants (la notion de propagande est sans doute un peu trop opérationnalisable en situation de conflit armé), une propagande poussant à la commission de violations graves du droit de la guerre posera incontestablement des questions délicates.34

D’autre part, l’abus par certains combattants du statut de journaliste, certains terroristes n’ayant pas hésité à se faire passer pour tel afin de mieux atteindre leurs victimes (on pense par exemple à l’attentat contre Massoud), n’a certainement rien fait pour dissiper les suspicions occasionnelles des combattants. Enfin, une tendance de certains journalistes eux-mêmes, du fait de pressions exercées par les forces en présence ou parfois du fait d’une recherche de leur propre sécurité ou de l’accès à des sites de bataille autrement inatteignables, à devenir « embedded », c'est-à-dire à voyager « en compagnie de »

33 P. Benvenuti, The ICTY Prosecutor and the Review of the NATO Bombing Campaign against the Federal Republic of Yugoslavia, 12 EUROPEAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 503-530 (2001), notamment pages 522-524. 34 A. Balguy-Gallois, Protection des journalistes et des médias en période de conflit armé, INTERNATIONAL REVIEW-RED CROSS. 37-68 (2004).

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combattants, mais aussi immanquablement « sous leur protection »,35

a pu faire craindre pour l’exceptionnalité du statut de journaliste en guerre. Cet ensemble de facteurs fait donc naître un réel risque d’ambiguïté sur le statut du journaliste en situation de conflits armés, là où les journalistes ne sauraient sans doute avoir un rôle positif pour le droit humanitaire que comme tiers aux conflits.

Les opérations de maintien de la paix Les opérations de maintien de la paix constituent un autre exemple de la difficulté qu’il y a parfois à maintenir une étanchéité entre tiers et participants aux conflits armés. Par nature et par vocation, les opérations de maintien de la paix sont conçues comme étant tout sauf des parties, leur rôle étant traditionnellement d’aider à la mise en œuvre d’accords de paix. Un des principes fondateurs de telles opérations post-Suez est que celles-ci opèrent avec le consentement des parties, dans un esprit de stricte neutralité et impartialité. Le fait que les opérations de maintien de la paix soient des opérations militaires ne devait en théorie rien changer à la donne. L’armement était typiquement léger et défensif, et uniquement destiné, traditionnellement, à protéger les participants au maintien de la paix.

L’attachement de l’ONU au statut de « tiers » des opérations de maintien de la paix se traduit par une résistance qui dura longtemps à considérer que les troupes déployées sous l’autorité du Chapitre VI devaient être soumises au droit international humanitaire.36 Or un des arguments forts régulièrement invoqué à ce propos était précisément que les opérations de maintien de la paix ne sauraient jamais être parties à un conflit, puisque par hypothèse elles n’opéraient que lorsqu’il n’y avait plus (ou presque plus) de conflit, et qu’elles ne le faisaient que pour empêcher la résomption d’un conflit.37 Cet argument avait fini par être ébranlé face à l’évidence que, si elles ne sont en effet la plupart du temps pas des parties à un conflit, les troupes de l’ONU pouvaient commettre des abus graves.38

En outre, le rôle des Nations Unies dans la résolution politique des conflits avait pu parfois déjà mettre en cause l’idée d’une parfaite impartialité. Cependant, la mutation beaucoup plus profonde qu’ont connu dans les deux dernières décennies les opérations de paix a fortement ébranlé les certitudes à cet égard, et notamment l’idée que les opérations de l’ONU ne participeraient jamais à des combats. On sait en effet que le Conseil de sécurité a fait substantiellement évoluer les opérations de maintien de la paix vers une protection de plus en plus « musclée » de l’action humanitaire dans un premier temps, mais également dans un second temps de la paix elle-même. C’est d’abord les conditions de la légitime

35 Il peut s’agir, dès lors, d’une protection chère payée, puisque le « bouclier » militaire se paie d’un plus grand risque d’être la victime d’un tir contre les combattants, voir d’être confondus avec eux. On peut se demander, à ce titre, si la pratique consistant à pour les combattants à se déplacer avec ces « civils » que sont des journalistes, n’est pas en flagrante contradiction avec le droit international humanitaire, et notamment l’obligation de ne pas se mélanger aux civils. 36 Robert Kob, “Droit humanitaire et opérations de paix internationales.” 37 D. Shraga, UN Peacekeeping Operations: Applicability of International Humanitarian Law and Responsibility for Operations-Related Damage, AMERICAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 406-412 (2000). 38 S. Razack, From the" Clean Snows of Petawawa": The Violence of Canadian Peacekeepers in Somalia, CULTURAL

ANTHROPOLOGY 127-163 (2000). L. Sion, " Too Sweet and Innocent for War"?: Dutch Peacekeepers and the Use of Violence, 32 ARMED FORCES & SOCIETY 454 (2006).

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défense qui ont été étendues (on ne parlait plus de la seule défense des troupes, mais également des civils, voir de la mission), avant que les opérations de paix ne se retrouvent enserrées dans des logiques de force allant du soutien aérien jusqu’à l’appui massif de troupes certes distinctes mais néanmoins amies et coordonnées, chargées de rétablir la paix (que l’on songe, par exemple, à l’action de l’OTAN en marge de la FORPRONU). Ces évolutions n’ont pas peu fait pour brouiller le statut des opérations de maintien de la paix vers le « peace enforcement », au gré d’une traslation du chapitre VI de la Charte vers le Chapitre VII.

S’ajoutent à ces considérations opérationnelles, des modifications profondes du paysage normatif et donc des pressions croissantes sur la neutralité des opérations de paix. On sait notamment que paix et justice sont de plus en plus perçues au niveau international comme n’allant pas l’une sans l’autre, au point que certaines « mauvaises paix » soient perçues comme méritant moins d’être préservées. Face à la commission d’atrocités qualifiables de crimes de droit international, on a donc de plus en plus eu tendance à demander des casques bleus qu’ils interviennent pour empêcher des massacres, plutôt que de se retrancher derrière l’hypocrisie d’une neutralité qui refuserait de faire la différence entre bourreaux et victimes.39 Cette revalorisation de la justice comme composante de la paix a également, dans un registre plus mineur, abouti à ce que l’on exige de plus en plus des soldats de l’ONU qu’ils servent d’accessoires à la justice pénale internationale, qu’il s’agisse d’arrêter des fugitifs recherchés à la Haye ou d’y témoigner en tant que militaire ayant été témoin d’exactions.40

Un régime juridique humanitaire nouveau devait donc s’appliquer et ce fut chose faite, un peu tardivement, avec l’adoption par le Secrétaire général en 1999 d’une circulaire à cet effet, laquelle soulignait bien que les Nations Unies étaient liées par le droit humanitaire « lorsque, dans les situations de conflit armé, elles participent activement aux combats, dans les limites et pendant la durée de leur participation ».

Aussi légitimes que puissent être ces demandes par ailleurs, on concevra qu’elles aient parfois jeté une certaine confusion chez les protagonistes des conflits (lesquels n’ont de toute façon souvent pas besoin de se faire prier pour imputer aux Nations Unies une quelconque partialité).

41 Les opérations de maintien de la paix ont donc un statut tout à fait particulier, puisque leurs membres sont susceptibles de passer du statut de non-combattant à celui de combattant en toute légalité. En revanche, les Nations Unies obtenaient de n’être pas traitées comme n’importe quelle partie et ne se voyaient obligées d’appliquer la Troisième convention de Genève que mutatis mutandis, c'est-à-dire en traitant certes les personnes détenues de manière humanitaire, mais sans être tenues par exemple de leur accorder un statut de prisonnier de guerre. En outre, il est peu probable que l’on puisse considérer que les Nations Unies soient jamais une puissance occupante au sens traditionnel du droit de la guerre.42

39 S. W. Brinsmead & J. Cerone, Do UN Peacekeepers Have a Duty to Prevent Humanitarian Violations?, , http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1002921.

Les Nations Unies sont donc suffisamment une partie pour être tenue par l’essentiel du droit

40 A. L. Chaumette, The ICTY's Power to Subpoena Individuals, to Issue Binding Orders to International Organisations and to Subpoena Their Agents, 4 INTERNATIONAL CRIMINAL LAW REVIEW 357-429 (2004). 41 Circulaire du Secrétaire général des Nations Unies, "Respect du droit international humanitaire par les forces des Nations Unies", ST/SGB/1999/13, 6 août 1999, paragraphe 1.1. 42 S. Vité, L'applicabilite du droit international de l'occupation militaire aux activites des organisations internationales, INTERNATIONAL REVIEW-RED CROSS. 9-36 (2004).

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humanitaire lorsque leurs troupes combattent effectivement, mais restent des tiers par nature lorsqu’elles se cantonnent à des opérations de maintien de la paix plus classiques.

Les forces de police Les forces de police sont généralement considérées comme civiles. Il en résulte que les actes de maintien de l’ordre ordinaire ne sauraient relever de la participation aux hostilités même si, comme cela est tout à fait plausible, ils impliquent l’usage de moyens de contrainte. Pas plus que le maintien de l’ordre, le fait de se défendre tactiquement contre une attaque lancée par la partie ennemie ne fait a priori perdre aux policiers leur statut de civils par nature. Si par exemple dans un conflit armé non-international, des policiers sont pris pour cible par un mouvement rebelle, on peut considérer (même si les moyens policiers mis en œuvre sont important et, en termes opérationnels, quasi-militaires) qu’il s’agit là d’une extension, même extrême, de leur activité ordinaire de maintien de la paix.

La question est plus complexe en cas de conflit armé international. Le Protocole I fait permission à une partie au conflit d’incorporer ses forces de police en renfort aux forces armées, mais elle est dans ce cas obligée de le déclarer.43 Ne s’agissant que d’une option, on peut considérer que la position de défaut est que sauf notification contraire ou incorporation de fait non-déclarée, les policiers conservent leur statut de civils. Dans ce contexte, les policiers ont le droit d’utiliser leurs armes à tout le moins en légitime défense sans que leur statut de non-combattant ne soit remis en question. 44 Bien entendu, dans des contextes de conflit urbain extrêmement denses, la distinction entre une réaction en légitime défense et une volonté de participer aux hostilités sera pour le moins difficile à maintenir, ce qui n’est pas étranger à certaines controverses. Elle reposera sur un certain nombre de critères subjectifs et objectifs dont il sera difficile de s’assurer de la vérification en temps réel. On notera qu’une des accusations formulées à l’encontre de la police de Gaza est qu’elle servait d’auxiliaire de fait aux forces de police.45

Si une telle assertion était vérifiée, elle justifierait sans doute des attaques contre les policiers combattants, même en dehors du moment ponctuel de leur participation combattante. Une incorporation « de fait » ne saurait cependant être présumée à la légère et devrait notamment s’appuyer sur la constatation d’actions hostiles répétées de la part de la police, mettant en évidence un degré minimum d’organisation voire une coordination avec l’armée. Le fait de prendre pour cible des forces de police civiles par nature tant que par destination revient à s’en prendre à des civils.

43 Article 43(3). 44 On peut faire ici une analogie avec le statut des personnels non-combattants des forces armées (Protocole I, article 43(2), comme les aumôniers ou les membres du service juridique. Ceux-ci n’ont pas le droit de prendre les armes (et donc ne peuvent pas être pris pour cible), mais ont le droit de se défendre s’ils sont attaqués (Convention de Genève I, article 22(1); Convention II, article35(1), Protocole I, article 13(2)(a)) 45 On laisse de côté ici la question rarement discutée de savoir si cela a un sens de parler de la « police de Gaza », alors que Gaza n’est pas un Etat, même si le Hamas se comporte à certains égards comme un gouvernement. On notera simplement que si le Hamas est un mouvement insurgé sous occupation, ou un mouvement rebelle dans un conflit armé non-international, alors l’idée qu’il puisse avoir une « police » qui serait distincte de ses forces armées n’a pas grand sens, de même qu’on ne parlerait pas d’une « police » des FARC ou de l’ETA.

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Les « boucliers humains » Peut être un des développements les plus troublants de la conflictualité moderne, qu’il s’agisse de l’Irak ou des territoires occupés ou encore de la Serbie, concerne les « boucliers humains ».46 Les boucliers humains peuvent être de plusieurs types, mais on retiendra surtout qu’ils peuvent être contraints ou libres. Dans le premier cas – on pense à l’utilisation qu’en firent Saddam Hussein après l’invasion du Kuwait ou les serbes de Bosnie après avoir capturé des casques bleus – les boucliers sont bien entendu utilisés contre leur gré. Il s’agit de civils et l’obligation des forces ennemies de ne pas les prendre pour cibles doit être considérée comme absolue,47 même si l’on voit bien que dans la pratique ce genre de tactique risque de conférer un avantage militaire indu à ceux qui y recourent. Ceux qui usent de tels procédés s’exposent quoiqu’il en soit à des accusations graves de violation du droit de la guerre.48

La question des « boucliers volontaires » est plus complexe, car elle pose réellement la question de la participation.

49 Contrairement à certaines forces irrégulières, les boucliers humains ne cherchent pas à se dissimuler ou user de la force, mais bien à user (abuser, diraient certains) de leur statut de civils à des fins politiques. Le moindre problème est celui où ils utilisent leurs tactiques pour protéger d’autres civils (mais, par exemple, porteurs de passeports moins « avantageux » politiquement). Dans un tel cas, la présence de civils étrangers ne fait que confirmer le statut de civil de la zone menacée et le droit international humanitaire ne trouvera sans doute rien à redire. Dans une optique très « décentralisée » de la mise en œuvre du droit international, il n’est pas inconcevable que les individus se fassent les interprètes de l’obligation de « respecter ou faire respecter le droit international humanitaire », surtout face à de graves absence de l’Etat ou de la communauté internationale.50

Le problème devient cependant nettement plus complexe lorsque les « boucliers » tentent de s’interposer entre les forces d’un Etat et d’un autre Etat ou d’un groupe rebelle afin de protéger l’une des parties. Dans ce cas là, une telle action créera des problèmes certains. Il se peut dans la pratique que la partie « bénéficiant de la protection » en tire un avantage militaire significatif (protection d’installations militaires, sursis pour se préparer). Quoiqu’il en soit, le fait que l’acte de « protéger » une partie n’ait une dimension que défensive ne lui ôte pas son caractère éventuel de participation aux

Il va de soi que le fait de protéger des civils contre des attaques illégales n’est pas en soi contraire au droit de la guerre. La question connaîtrait peut être d’une réponse différente, en revanche, si par exemple les « boucliers » tentaient de s’opposer à des actions légitimes d’une puissance occupante, dans l’exercice de ses pouvoirs au titre des Conventions de Genève, même des actions impliquant une contrainte raisonnable (par exemple pour éloigner les civils d’une zone de combat).

46 R. Lyall, Voluntary Human Shields, Direct Participation in Hostilities and the International Humanitarian Law Obligations of States, 9 MELBOURNE JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 313 (2008). 47 Protocole I, article 51(2). Voir en ce sens S. B. de Belle, Chained to cannons or wearing targets on their T-shirts: human shields in international humanitarian law, 90 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED CROSS 883-906 (2009). 48 Convention de Genève IV, article 28 ; Protocole I, article 51(7). 49 Contrairement à ce qui est parfois suggéré (de Belle, supra note___., le droit humanitaire n’interdit pas à notre sens de manière évident les boucliers civils. L’article 51(7) du Protocole I envisage clairement les situations où les civils sont utilisés par d’autres (cela est sous-entendu : on ne « s’utilise pas soi même ») et non pas la situation relativement nouvelle de l’interposition volontaire. 50 Sur cette question, voir plus généralement F. Mégret, Civil Disobedience and International Law: Sketch for a Theoretical Argument, CANADIAN YEARBOOK OF INTERNATIONAL LAW (2009).

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hostilités, puisqu’il est entendu que l’on combat bien autant en défendant qu’en attaquant.51 Les « boucliers humains » n’en deviendront pas pour autant nécessairement des cibles légitimes, mais on conviendra que dans une telle hypothèse, la distinction entre participants et non-participants aux hostilités puisse tenir à des facteurs subtils, voir imperceptibles, qui compliqueront grandement l’application du droit humanitaire. Le fait que la partie bénéficiant de cette protection la tolère ou l’encourage, outre qu’elle aura des implications pour cette partie elle-même,52 pourra également avoir un impact sur le statut des boucliers, qui seront plus facilement perçus comme des participants à un titre ou à un autre (civils accompagnant les armées, par exemple). On peut cependant penser que les « boucliers » ne devraient pas avoir à « payer » pour une tolérance dont ils bénéficient peut être par ailleurs, mais qu’ils n’ont pas nécessairement demandé, voir qu’ils dénoncent comme une récupération.53

Une distinction utile qui a été proposée est celle entre participation « subjective » et « objective » au conflit. Un bouclier humain qui entend subjectivement

54 « aider » une armée en la « protégeant » renonce à son immunité contre les attaques, quand bien même il n’entendrait contribuer à l’effort de guerre que de manière limitée et quant bien même l’apport militaire serait, en fait, inexistant.55 Il n’en devient pas pour autant un combattant au sens large du terme, sa participation étant plutôt une participation « illégale » au conflit,56 qui lui ôte son immunité des combats et pour laquelle il peut être jugé selon le droit humanitaire.57

51 A ce titre, la distinction établie par le CICR entre le fait pour les « boucliers volontaires » de créer un obstacle « physique » ou « juridique » (via « l’imposition » d’un test de proportionnalité dont il sera plus difficile de s’acquitter) nous paraît assez spécieuse car dans la pratique les deux se mêleront. Melzer, supra note___ at 56-57. Les civils empêcheront rarement qu’une attaque ait lieu par leur seule présence physique (au sens où ils agiraient, littéralement, comme un bouclier), mais bien plutôt parce qu’ils obligeront toujours le commandant militaire enclin à respecter le droit humanitaire à réfléchir par deux fois avant de lancer une attaque en violation du principe de distinction et/ou proportionnalité.

On pense cependant pour notre part que le fait qu’une telle personne

52 On ne s’intéressera pas ici aux implications pour la partie au conflit pertinente, pour n’aborder la question que sous l’angle du statut des « boucliers » eux-mêmes. 53 Parrish, R. , 2004-03-17 "The International Legal Status of Voluntary Human Shields" Paper presented at the annual meeting of the International Studies Association, Le Centre Sheraton Hotel, Montreal, Quebec, Canada Online <.PDF>. 2009-05-26 from http://www.allacademic.com/meta/p74057_index.html 54 Cette approche est notamment défendue par Michael N. Schmitt, Human Shields in International Humanitarian Law, 47 COLUMBIA JOURNAL OF TRANSNATIONAL LAW (2009). 55 Voir la décision de la Cour suprême israélienne en ce sens, PCATI (2006) HCJ 769/02, [36] (Israel), <http://elyon1.court.gov.il/eng/home/index.html> 56 En effet, le « bouclier humain » ne porte pas d’insignes reconnaissables, ne porte pas les armes librement, etc. Mais en réalité, on peut se demander si ces exigences sont bien adaptées à ce qui est avant tout une manifestation de résistance non-violente et pour laquelle ces critères sont décalés. Le « bouclier humain » n’est pas un belligérant de fait déchu de ce titre car ne respectant pas les règles du droit de la guerre, mais quelqu’un qui n’a jamais été un belligérant. 57 On notera qu’ici pacifisme et humanitarisme sont tout à fait en tension. Là où l’action non-violente contre la guerre peut être plébiscitée par certains activistes comme un mode d’action particulièrement adapté, le pragmatisme humanitaire aboutit à les écarter du champ de bataille au motif qu’ils risquent de brouiller les frontières de la participation. C’est également un cas de tension intéressante entre droit humanitaire et droits humains, ces derniers militant sans doute pour le maintien de la liberté d’expression, y-compris par des moyens radicaux, là où le droit humanitaire n’a pour ainsi dire rien à dire sur la question. L’incapacité dans les écrits humanitaires sur la question à prendre en compte plus que le seul droit humanitaire attire l’attention sur le besoin

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apporte objectivement un avantage militaire à une partie ne devrait pas suffire à en faire une cible légitime, si telle n’est absolument pas son intention.58

Un « bouclier humain » qui, par exemple, n’entend nullement apporter une aide militaire mais uniquement empêcher un combat est plus clairement un non-participant. Les pacifistes, en quelque sorte, ne prennent partie que contre la guerre, même si le fait de retarder la guerre peut plus avantager une partie qu’une autre. Ceci étant dit, si une personne raisonnable se rendrait à l’évidence que, sous couvert d’empêcher les combats lato sensu, la « protection » ainsi conférée permettait à une armée d’acquérir un avantage militaire, alors la frontière entre participation et non-participation se ferait très fine.

II. « En même temps tiers et participants » ?

S’il est difficile d’établir la qualité de participants ou de tiers une fois pour toute pour un certain nombre de groupes, du moins ceux-ci sont-ils par nature plus l’un ou plus l’autre et leur qualité ne changera qu’en fonction de leurs activités. Mais il est certain groupes qui rendent particulièrement problématique la catégorisation en fonction du droit humanitaire car leur nature même semble incompatible, du moins dans certaines circonstances, tantôt avec la qualité de participant et tantôt avec celle de tiers. Ces groupes ont vraisemblablement en commun d’être des manifestations diverses de la privatisation de la violence59

A. Les mercenaires et les compagnies de sécurité

et, au-delà, de la remise en question de la notion même de guerre ou de conflit armé.

L’exclusion des mercenaires Le droit international humanitaire n’interdit pas en soi les mercenaires,60 mais leur dénie le statut de combattant et donc de prisonniers de guerre en conflit armé international, alors même qu’un des critères de leur définition est qu’ils participent directement aux hostilités.61

d’un cadre normatif intégratif permettant de résoudre ces conflits de normes à un niveau plus élevé que celui de chaque « branche » du droit international.

Les mercenaires sont définis par le Protocole I notamment comme toute personne « spécialement recrutée dans le pays ou à

58 En ce sens le rejet des facteurs subjectifs par la troisième réunion du CICR sur la participation aux hostilités, même s’il nous semble légitime du point de vue de la mise en œuvre opérationnelle du droit humanitaire, pose problème au sens où l’on ne saurait être à notre sens être « combattant à son insu ». ICRC, Third Expert Meeting on the Notion of Direct Participation in Hostilities (ICRC Summary Report, October 2005) 19–20 <http://www.icrc.org/Web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/participation-hostilities-ihl-311205> 59 K. Fricchione, Casualties in Evolving Warfare: Impact of Private Military Firms' Proliferation on the International Community, 23 WIS. INT'L LJ 731 (2005). 60 Convention de la Haye de 1907, article 6. Il existe bien entendu plusieurs instruments de droit international non spécifiquement humanitaires qui s’attellent à cette tâche. Voir par exemple la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires, 4 décembre 1989. 61 Protocole I, article 47(2).

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l'étranger pour combattre dans un conflit armé », prenant part aux hostilités « essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel », et « qui n'est ni ressortissant d'une Partie au conflit ».62

Un mercenaire cumule donc les inconvénients d’être un combattant, sans en tirer aucun des avantages. En d’autres termes, il ne saurait se voir conférer le statut de prisonnier de guerre mais sera, durant les hostilités, traité comme un combattant, plutôt qu’un civil éconduit. On est donc face à un type d’acteur qui ne peut pas par nature devenir un combattant au sens normatif, ce qui reflète sans doute plus un tabou international contre l’usage privé de la violence

63 couplé à un mépris de l’aventurisme et de l’appât du gain des « chiens de guerre », qu’une véritable impossibilité humanitaire.64

Si le mercenariat de l’ère des décolonisations est une activité largement en voie de disparition aujourd’hui, ce n’est pas le cas d’un certain nombre d’activités qui évitent soigneusement le risque d’être qualifiées de mercenariat, même si elles s’en rapprochent à certains égards. On remarquera qu’est mercenaire celui qui est recruté pour « combattre ». Mais qu’en est-il de la personne qui ne fait que conseiller ou former ? A quel stade la tierce partie devient-elle une partie participante ? Il semble bien que les activités de simple formation ne suffisent pas à faire des formateurs des combattants, car la formation n’est pas une « participation directe aux hostilités ». En revanche, le conseil, notamment lorsqu’il revêt une dimension opérationnelle, pose des questions plus délicates. Ces ambiguïtés ont préparé le terrain pour l’émergence de nouveaux acteurs plus sophistiqués sous la forme des dites « compagnies de sécurité ».

Même le respect éventuel par le mercenaire du droit de la guerre n’assure aucunement sa rédemption, et n’empêchera pas que son rôle soit considéré comme criminel.

Le statut ambigu de la violence privatisée L’émergence du phénomène des compagnies de sécurité a comme trame de fond le régime applicable aux mercenaires, mais constitue néanmoins un phénomène distinct, plus complexe et protéiforme.65 Les compagnies de sécurité présentent peut être de ce fait un des plus grand défis contemporains à la distinction entre parties et tiers. Ce phénomène revêt une importance inégale selon les pays et les théâtres d’opération, mais l’on peut d’ores et déjà constater qu’il n’a jamais été poussé aussi loin que dans le cadre de l’exercice de la puissance américaine. Simon Chesterman considère par exemple que 60% des activités de la CIA, y-compris certaines activités clandestines hautement sensibles, sont « outsourcées » au secteur privé.66

62 Protocole I, article 47.

En Iraq, en 2003, les entreprises privées représentaient le deuxième

63 Pour une dénonciation récente de l’ordre libéral minimal manifesté par le recours croissant aux compagnies de sécurité, voir W. Clive & W. Dave, Contracting Out War?: Private Military Companies, Law and Regulation in the United Kingdom, 54 INTERNATIONAL AND COMPARATIVE LAW QUARTERLY 651-689 (2008). 64 Pour preuve, les mouvements de libération nationale (auréolés, il est vrai, de la légitimité de leur cause) ou encore les mouvements de résistance peuvent devenir des combattants sous certaines conditions, alors même qu’ils ne remplissent a priori pas plus (et peut être moins) les critères du combattant que les mercenaires. 65 K. Fallah, Corporate actors: the legal status of mercenaries in armed conflict, 88 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED

CROSS 599-611 (2007). 66 S. Chesterman, 'We Can't Spy... If We Can't Buy!': The Privatization of Intelligence and the Limits of Outsourcing'Inherently Governmental Functions', 19 EUROPEAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 1055 (2008). On notera

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fournisseur de troupes, après les Etats Unis, et donc avant la Grande Bretagne.67 D’aucuns vont même jusqu’à suggérer que les compagnies de sécurité pourraient à terme s’acquitter de missions de maintien de la paix dans lesquelles les Etats rechignent à s’impliquer.68

Les compagnies de sécurité, dans la mesure où elles opèrent notamment en territoire occupé et tombent sous le coup des Conventions de Genève et du Protocole I relèvent donc potentiellement du régime relatif au mercenarisme. On remarquera qu’un grand nombre de personnels desdites compagnies ont la nationalité d’une partie au conflit (Royaume Uni et Etats Unis notamment), ce qui prive cependant d’emblée d’effet les dispositions pertinentes du Protocole I, qui semblent avoir eu plus à l’esprit le problème de l’interférence étrangère que le phénomène de la privatisation de la violence en tant que tel.

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Le problème est cependant rendu compliqué par le fait que, précisément, les Etats ont recours aux compagnies privées pour s’affranchir d’un certain nombre de contraintes (pas seulement normatives, d’ailleurs) qui pèsent sur leurs troupes régulières.

Par nature, définition et dessein, les compagnies de sécurité privées, même si elles fournissent des services à une partie combattante étatique, ne font pas partie des forces armées, et ne sauraient y être assimilées (comme ce serait le cas, par exemple pour une milice). Il n’en demeure pas moins que peuvent exister des conditions d’osmose telles entre un Etat et certaines compagnies de sécurité que celles-ci doivent être considérées comme suffisamment rattachées aux forces de l’Etat pour que leurs membres soient considérés comme combattants « par nature ». Plusieurs critères devraient permettre de mettre en évidence ce lien, dont la preuve sera notamment à trouver dans la nature des engagements contractuels existant entre Etat et sous-traitants. Le fait que les sous-traitants soient soumis à la discipline et la justice militaire, qu’ils fassent partie de la chaine de commandement militaire ou de la hiérarchie, ou qu’ils revêtent des uniformes seront tous des éléments clefs, encore que pas strictement nécessaires. On remarquera à ce sujet que le droit international humanitaire n’est pas un droit formaliste et que les modalités d’incorporation dans les forces armées sont laissées à la liberté des Etats. Or à partir du moment où les soldats réguliers s’engagent eux-mêmes de plus en plus largement sur un mode contractuel (spécifique, certes), on peut considérer que le procédé consistant à recruter contractuellement une organisation entière, même s’il n’est pas identique, relève d’une logique voisine.

70 C’est donc sans surprise qu’on aura des difficultés à établir le caractère de membres des forces armées par nature des employés des compagnies privées de sécurité.71

que ce phénomène avait commencé avec l’assistance aux contras du Nicaragua, qui se faisait par l’intermédiaire d’entreprises privées de sécurité, travaillant pour le compte de la CIA.

Cela sera particulièrement le cas lorsque la compagnie ou les individus recrutés sont des

67 Ian Traynor, The Privatization of War, The Guardian, 10 décembre 2003. 68 C. Deutscher, Privatizing Peacekeeping: The Regulatory Preconditions for an International Legal Regime on the Use of Private Military Firms in United Nations Peace Operations, . 69 On remarquera que, de ce fait, les personnels d’une même compagnie de sécurité peuvent tantôt être considérés comme des mercenaires tantôt pas, en fonction de leur nationalité. Dans les conditions contemporaines (où notamment des membres des forces armées des Etats Unis ne disposent pas de la nationalité américaine), cela peut paraître quelque peu arbitraire et marquer un attachement trop grand au critère de l’appartenance étatique. 70 Jennifer Martin, The Role of the Non State Actor, Contracting for Wartime Actors: The Limits of the Contract Paradigm, 14 NEW ENG. J. INT’L COMP. L. 11 (2007). 71 US Department of Defence instruction 2005:6.1.1)

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étrangers qui, selon le droit national, ne pourraient pas faire partie des forces armées nationales. On pense également à la nature des activités entreprises par les compagnies de sécurité et la question de savoir si elles auraient été accomplies par des militaires si des personnels privés n’avaient pas été recrutés (la sécurité de l’ambassade américaine en Irak par l’entreprise Blackwater, par exemple). Certaines missions de renseignement, par exemple, même organisées à des fins de police et de lutte contre le terrorisme, paraissent suffisamment s’intégrer à la logique militaire et régalienne pour être insusceptibles de délégation au privé. Les exactions commises dans la prison d’Abu Ghraib demeurent peut être l’exemple le plus éclatant des dérives auxquelles peut mener la privatisation de la violence lorsque sont déléguées des fonctions qui demeurent très teintées de souveraineté.72

Plus donc que leur statut, c’est l’activité des compagnies militaires de sécurité qui doit sans doute fournir le critère de leur qualité de participant ou tiers à un conflit armé. Une distinction est généralement proposée entre activités de sécurité et activités paramilitaires. Dans le premier cas, les compagnies fournissent un type de service qui est par nature non-combattant, et pourrait par exemple être le fait des personnels civils de l’armée (lesquels ont droit au statut de prisonnier de guerre, mais ne sont pas considérés comme des combattants lors des combats). L’analogie serait ici avec les travailleurs d’une usine de munitions, considérés comme des civils en droit international humanitaire. On pense également aux « personnes accompagnant les forces armées »,

Or il est avéré que des contractants privés, opérant à bien des égards dans un régime plus flou que celui qui eut été applicable à des militaires dans la même situation, ont été chargé de mener à bien certains interrogatoires. Il va sans dire que, dans le cadre d’un combat anti-insurrectionnel, de telles opérations s’intègrent tout naturellement dans un effort d’occupation militaire, et ne sauraient être apparentées à de simples fournitures de services civils.

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En revanche, les activités impliquant une participation directe aux hostilités risque de faire basculer le travail des compagnies de sécurité dans le mercenarisme, si les individus en cause remplissent les critères du Protocole I,

label qui pourrait couvrir les personnels de compagnies privées travaillant à l’entretien de certains matériels, ou à la formation à leur utilisation (les divers « service contractors »). En réalité, il faut sans doute penser que les compagnies de sécurité ne sont pas, dans ce cas, autre chose que des civils – bien armés et ressemblant superficiellement à des militaires, mais des civils tout de même du fait de la nature non-combattante de leurs activités.

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72 M. W. Bina, Private Military Contractor Liability and Accountability after Abu Ghraib, 38 JOHN MARSHALL LAW

REVIEW 1237 (2004).

ou quoiqu’il en soit dans une forme de participation illégale à la guerre. La distinction entre fonctions « de sécurité » et « combattantes » risque néanmoins de s’avérer difficile à maintenir dans la pratique. La fourniture de services de sécurité aux ambassades et aux organisations internationales, par exemple, semble en effet relever d’une logique assez classique de fourniture de services (approvisionnement, etc). A l’extrême opposé, les actes de pur mercenariat relèvent incontestablement d’opérations militaires conçues et souvent revendiquées comme telles. Il existe entre ces deux situations toute une série de configurations intermédiaires qui se laissent difficilement

73 Troisième Convention de Genève, article 4A(4)). 74 Protocole I, article 47(2).

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appréhender par le droit. On a à l’esprit des missions telles que la protection de bases ou de convois militaires ou de militaires et personnalités politiques. Fournir de la « sécurité » à une base militaire, par exemple (contrairement à des installations civiles) reviendrait sans doute ni plus ni moins à participer à une opération militaire défensive tant est grande l’affinité avec la mission de combat (à moins que le service de sécurité ne soit, par exemple, tourné uniquement vers la protection contre le vol). Un des dangers est que les Etats cherchent justement – et perfidement – à jeter l’équivoque en faisant garder des structures par des individus au statut ambigu (ce qui pourrait à tout le moins dissuader un adversaire particulièrement scrupuleux). En outre, toute activité en elle-même non-combattante peut basculer dans la participation au conflit dès lors que des contractants, par exemple, utilisent plus que la force requise à la légitime défense.

L’attitude à tenir à l’égard de ces compagnies est compliquée par le fait que plusieurs considérations d’ordre non-humanitaire interviennent dans le débat. Tout d’abord, un certain nombre d’Etats décolonisés associent volontiers toujours les compagnies de sécurité aux mercenaires qui furent déployés pour mater certaines insurrections légitimes, ou faire main basse sur des ressources naturelles. La défiance s’abreuve ici à une certaine continuité, puisque la « protection » de ces ressources a constitué un des principaux fonds de commerce des compagnies de sécurité nouvelle manière émergées après la fin de la Guerre froide.75 En outre, une partie des réserves à l’égard des compagnies de sécurité s’enracine dans une suspicion plus large à l’égard d’un projet hégémonique libéral issu de la mondialisation, et dont les objectifs paraissent incompatibles avec les droits de l’homme et l’auto-détermination.76

Enfin, une troisième source de craintes relève plutôt des questions de sécurité et notamment de l’impact perçu comme négatif des mercenaires et apparentés sur la poursuite et l’intensification des hostilités. Quoique l’on pense de ces divers points de vue, on est obligé de remarquer que, même s’ils ne s’insèrent que très peu dans le registre proprement humanitaire, ils limitent de manière significative la capacité des compagnies de sécurité à jamais être des participants – même si par ailleurs les conditions effectives de leur présence les poussent dans ce sens.

B. Les insurgés et les groupes terroristes

Etre ou ne pas être civil Les civils sont a priori des non-combattants par excellence. Cette qualité de non-combattant n’est pas remise en cause par toute une série d’activités de participation « indirecte » qui ne posent pas de danger immédiat aux forces combattantes, qu’il s’agisse de faire commerce avec les forces armées, d’approuver la cause qu’elles défendent, ou de ne pas s’opposer à leur avancée. 77

75 M. H. Foaleng, Private Military and Security Companies and the Nexus Between Natural Resources and Civil Wars in Africa, PRIVATE SECURITY PRIVATE SECURITY IN AFRICA IN AFRICA 39.

Comme l’a souligné le CICR, étendre la notion de participation aux hostilités « à la totalité de l’effort de guerre serait trop

76 J. L. G. del Prado, Private Military and Security Companies and the UN Working Group on the Use of Mercenaries, 13 JOURNAL OF CONFLICT AND SECURITY LAW 429 (2008). 77 Bothe, Partsch, and Solf, supra note___ at 303.

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large car, dans une guerre moderne, toute la population participe, dans une certaine mesure, à l’effort de guerre, mais indirectement ».78

La réponse du droit international humanitaire à cette question, en dehors de cas de figures très particuliers tels que la levée en masse, est quelque peu contrastée selon les hypothèses. En cas de conflit armé non-international, les groupes rebelles auront vraisemblablement un statut hybride, entre groupes criminels devant être arrêtés et groupes militaires devant être combattus (et donc étant des « participants » à un conflit).

Mais que se passe-t-il si un civil par nature (quelqu’un qui n’est intégré à aucune structure de commandement militaire) fait usage des armes au cours d’un conflit armé ou dans une situation d’occupation ?

79 Les civils insurgés dans un conflit armé international peuvent plus clairement être pris pour cible, car l’Etat attaqué est typiquement moins contraint par les droits de l’homme. D’un côté, le combattant « illégal » n’est pas suffisamment un combattant pour avoir le droit au statut de prisonnier de guerre et peut être poursuivi pour son usage illégal de la violence. D’un autre côté, le combattant ponctuel en est suffisamment un pour qu’il constitue une cible légitime, certainement pendant, voire juste avant et après avoir pris partie à une action armée.80

La logique d’un tel raisonnement tient notamment en ce que le civil retourné à des activités civiles ne pose aucune menace directe pour les combattants mais que, inversement, les combattants qu’il prend pour cible ont le droit (humanitairement parlant) de se défendre lorsqu’ils sont attaqués. En outre, un raisonnement prudentiel recommande sans doute d’empêcher que, sous prétexte de se protéger de civils qui pourraient « devenir combattants à n’importe quel instant », l’on aboutisse à abolir toute distinction avec les combattants. Sans doute ne devrait-il être légitime de prendre des insurgés pour cible que dans des conditions où leur rôle peut être clairement établi, chose qui sera rarement aisée dans l’intensité des conflits. Il n’en reste pas moins que le combattant occasionnel ou « opportuniste » constitue une véritable menace non seulement pour ses ennemis mais également pour la population civile dont il est issu et qu’il contribue, par la force des choses, à mettre en danger. Le fait de s’en prendre à ces « combattants occasionnels » lorsqu’ils sont « retournés à la vie civile », dès lors, peut certes être présenté comme une menace au statut de civil en général, mais pourrait aussi au contraire exercer un effet dissuasif à l’égard de ceux tentés par l’alternance des rôles.

Enfin, les situations d’occupation créent des difficultés particulières qui empruntent tant au registre du maintien de l’ordre que, parfois, de celui des opérations de combat. Si une insurrection atteint des proportions importantes confinant au conflit armé (hypothèse dite de la « résomption des hostilités), il y a peu de doute que les insurgés pourront être des « participants » à ce conflit.

78 Sandoz and Swinarski, supra note___ at 1679. 79 A condition sans doute de bien distinguer, par une sorte d’analogie avec la règlementation des conflits armés internationaux, ceux qui participent directement aux hostilités, de ceux qui ne le font pas. 80 PI, article 51(3). Voir par exemple, troisième rapport sur la Colombie, paragraphe 55. Certains auteurs considèrent néanmoins qu’il faut dans ce cas qu’il ait représenté une menace directe pour l’ennemi. Gasser, H P 1995. Protection of the civilian population. In D Fleck (ed), The handbook of humanitarian law in armed conflict. Oxford: Oxford University Press. Gasser, H P 1995. Protection of the civilian population. In D Fleck (ed), The handbook of humanitarian law in armed conflict. Oxford: Oxford University Press.

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On remarquera que dans de nombreux conflits contemporains, la distinction entre « civils combattant occasionnellement » et « combattants retournant occasionnellement à la vie civile » risque fort d’être spécieuse. Le CICR considère que « la participation directe aux hostilités implique un lien direct de cause à effet entre l'activité exercée et les coups qui sont portés à l'ennemi, au moment où cette activité s'exerce et là où elle s'exerce ».81 Mais il n’est pas évident que cette notion soit tenable dans la pratique et elle devra sans doute le céder à une conception plus lâche s’agissant de groupes organisés agissant largement en amont et en aval d’actions tactiques spécifiques et à travers la coordination de multiples individus. En outre, la détermination de la qualité de participant direct dépendra souvent de critères assez imperceptibles et donc peu opérationnalisables : comment distinguer, en effet, un acte équivoque d’un acte de préparation ?82 L’individu qui use d’une arme en vêtements civils est-il un combattant commettant le crime de guerre de perfidie, ou un civil violant l’interdiction de recourir à la force ? Ce type d’incertitude a amené à une approche quelque peu casuistique du problème, le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie allant jusqu’à souligner dans l’affaire Tadic qu’« il est inutile de définir exactement la ligne qui sépare les personnes participant directement aux hostilités de celles qui n’y participent pas. Il suffit d’examiner les faits pertinents intéressant chaque victime et d’évaluer si, pour chaque circonstance particulière, cette personne participait directement aux hostilités au moment pertinent ».83

Le refus de respecter le droit humanitaire comme caractéristique fondatrice

Un tel aveu d’impuissance à tracer des lignes directrices générales au niveau judicaire semble fait pour créer le doute sur la marche à suivre au niveau opérationnel.

La question se complique lorsque l’on est confronté à des groupes non-étatiques qui entendent mener des opérations militaires de manière systématique ou à chaque fois qu’ils en ont l’occasion et font profession de ne pas respecter le droit de la guerre. Les groupes terroristes cristallisent à ce titre toutes les équivoques autour de la question de participation. On pense ici aux groupes terroristes impliqués dans des conflits armés au sens du droit humanitaire, mais la notion même de conflit armé (et donc l’identité de ceux qui y participent) semble être souvent remise en question. Ces groupes ne sont en effet pas des groupes qui violent accidentellement le droit de la guerre, mais bien des groupes dont la vocation est précisément d’entreprendre des actions meurtrières contre les non-combattants.

L’hypothèse classique est celle du cadre interne, où un Etat est opposé à un groupe rebelle ayant recours à des moyens terroristes (attaques systématiques de civils, etc). L’article 3 commun exige très peu de choses pour qu’un conflit existe (et donc qu’un groupe y participe), puisqu’il faut seulement que le niveau de violence distingue le conflit de simples « troubles internes ». On peut donc penser que tout groupe suffisamment organisé pour faire franchir à un conflit ce seuil, y sera « partie », même si comme on l’a vu être une partie à un conflit au sens de l’article 3 n’implique pas de conséquences juridiques très claires. Dans l’optique plus lourde du Protocole II, un certain nombre de critères sont exigés qui posent plus problème. Il faudra notamment que le groupe en question contrôle une partie du territoire et exerce des « opérations militaires et continues » sous un commandement « responsable ». Si ces

81Sandoz and Swinarski, supra note___ at 1679. 82 C’est là tout le problème des barrages en Irak et du grand nombre de personnes y ayant perdu la vie, souvent car elles n’avaient pas compris les instructions qui leur étaient adressées. 83 Le Procureur c. Dusko Tadic, Jugement, 7 mai 1997, para. 616.

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conditions peuvent être remplies de fait par de nombreux groupes rebelles, il est en revanche plus douteux que les groupes terroristes soient en mesure de « respecter le Protocole II », condition exigée par celui-ci.

Le statut d’une telle exigence n’est pas absolument clair. Mais il est possible de considérer qu’il s’agit là d’une condition constitutive de l’existence même d’un conflit, plus que de la qualité de partie.84 Dans ce cas, le fait qu’un groupe rebelle ait décidé de ne « pas jouer le jeu du droit de la guerre », infirmerait l’idée même qu’il existe un conflit armé non-international (faute, en quelque sorte, de parties). Ce résultat rarement évoqué n’est pas si absurde, et correspond à la situation que connaissent de nombreux Etats face à des groupes terroristes opérant sur leur territoire et à l’égard desquels il n’a jamais été question d’appliquer le droit humanitaire, par opposition par exemple au droit interne ou aux droits de l’homme.85

L’internationalisation de la violence privée a donné lieu, depuis quelques décennies, à l’apparition de mouvements terroristes opérant cette fois-ci transnationalement, qui posent de manière légèrement différente la question de la participation. Le scenario le plus simple, car il évoque encore la conflictualité classique, est sans doute celui d’un conflit armé international entre Etats au gré duquel un groupe terroriste se livre à des actes de violence. C’est là l’hypothèse d’Al Qaeda en Afghanistan, groupe qui recourut à la force de manière systématique contre les troupes alliées. Si un tel groupe bénéficie d’un rattachement à l’Etat, il peut a priori se comporter comme une véritable milice, dont la participation est envisagée par le droit de la guerre. On pense également aux « mouvements de résistance organisée » opérant dans le contexte d’une occupation, en Afghanistan, en Irak ou dans les territoires palestiniens, et qui tombent sous le coup des Conventions de Genève.

Il est donc possible d’envisager un scenario intermédiaire où la conflictualité atteint a priori le seuil « quantitatif » critique pour l’applicabilité du droit humanitaire (article 3 et Protocole II), mais où les conditions « qualitatives » minimales ne sont pas réunies pour que celui-ci s’applique dans son intégralité (Protocole II). On pourra certes tenter d’interpréter cette exigence d’une capacité à respecter le Protocole II comme celle d’une capacité plus théorique que réelle, mais on peut se demander si un acteur refusant par principe de respecter le droit de la guerre peut jamais être « en mesure » de le respecter.

Le problème est que le défaut de volonté de respecter le droit humanitaire est fatal à la prétention à être traité comme un participant au conflit.86

84 Voir article 1, Protocole II (Le présent Protocole (…) s'applique à tous les conflits armés (…) et qui se déroulent sur le territoire d'une Haute Partie contractante entre ses forces armées et des forces armées dissidentes ou des groupes armés organisés qui, sous la conduite d'un commandement responsable, exercent sur une partie de son territoire un contrôle tel qu'il leur permette de mener des opérations militaires continues et concertées et d'appliquer le présent Protocole ». C’est nous qui soulignons.

Les terroristes participent dans les faits aux conflits, mais ils n’y sont pas parties normativement. Ils devront donc être traités comme des civils lorsqu’ils sont capturés, participant illégalement à une guerre à laquelle ils n’avaient jamais eu le droit (humanitairement parlant) de se joindre. Le respect du droit humanitaire, en d’autres termes, est une

85 On peut même penser que dans ces cas il y a un véritable danger à appliquer avec trop d’empressement le droit de la guerre au détriment du droit normalement applicable, car on « militarise » ainsi le traitement par l’Etat de groupes fondamentalement civils. 86 Troisième Convention de Genève, article 4 A. 2).

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condition constitutive de la qualité de participant à un conflit armé international. On est donc confronté à des acteurs qui sont suffisamment des combattants pour être des cibles légitimes pendant les combats, mais qui par définition ne pourront jamais se voir reconnaître le statut de prisonniers de guerre. Ceci ne relève nullement les Etats confrontés à des acteurs non-étatiques de leurs propres obligations, mais transforme profondément la nature de la conflictualité. Dans une telle configuration, la guerre, au sens normatif du terme, devient une activité unilatérale : l’Etat est tenu de faire la guerre, même face à un groupe terroriste qui « ne lui fait pas la guerre », et serait plutôt engagé à son encontre dans une sorte de violence informe et sans limite.

Face à cette asymétrie, il est tentant pour certains Etats de tourner le discours humanitaire à leur avantage. Tout se passe en effet comme si les Etats cherchaient souvent à imposer aux acteurs non-étatiques les inconvénients de leur statut, sans leur en reconnaître les bénéfices. D’un côté, par exemple, les Etats-Unis ont traité les personnes capturées présumées appartenir à ce groupe comme des combattants illégaux, au lieu de leur accorder le statut de prisonniers de guerre. En réalité, la notion de « combattant illégal » a été « réinventée » comme un statut du droit de la guerre, là où elle n’est au mieux qu’une assez mauvaise manière de décrire une infraction pénale (la « participation illicite aux conflits armés », qui n’existe souvent pas comme telle dans les codes pénaux et à laquelle se substituent dans la pratique des accusations de droit commun). D’un autre côté, il ne fait aucun doute que ces mêmes terroristes ont bien été traités comme des cibles légitimes (car combattantes) en Afghanistan, et pas uniquement lorsqu’ils prenaient les armes, comme ce serait avec le cas avec des civils ordinaires.87 En outre, comme des prisonniers de guerre, les membres d’Al Qaeda sont détenus jusqu’à la fin hypothétique de la « guerre contre le terrorisme », là où leur statut de « civils combattant illégalement » mériterait qu’ils soient jugés pour le fait même de leur participation par l’Etat du for. Les terroristes se retrouvent donc dans cette situation particulièrement ambigüe de n’être pas suffisamment des combattants pour se voir conférer le statut de prisonnier de guerre, mais d’être suffisamment des combattants pour être pris pour cibles même en dehors de toute action militaire.88

Ces abus ne doivent pas faire oublier que la participation non-conventionnelle aux conflits armés crée de véritables difficultés conceptuelles et non simplement pratiques pour le droit humanitaire. Dès lors en effet que la qualité de participant pour les acteurs non-étatiques est liée à un certain niveau de respect du droit humanitaire, on peut considérer que les « terroristes » ne font que donner l’illusion de participer à un conflit. Cette illusion est à son comble quand le groupe terroriste se rattache à, contrôle ou investit un Etat et combat de manière militairement organisée mais tout en se refusant de se plier aux règles du droit international. En réalité, il semble parfois que les conditions traditionnelles d’application envisagées par le droit humanitaire sont si loin d’être remplies qu’on peut se demander si

87 Ceci est conforme à l’analyse qu’en fait le CICR qui parle de l’existence d’une « fonction de combat continue » (Melzer, supra note___ at 31-34.) comme justifiant une certain viscosité du statut. Un simple civil isolé ne perd son immunité dans les combats que juste avant, pendant, et juste après sa participation. Il ne faudrait pas, en revanche, que des groupes organisés et fondamentalement engagés dans la voie des combats tirent profit de cette flexibilité pour faire de fréquents aller-retours entre statuts. Cette possibilité doit leur être déniée au motif que leur participation aux combats ne revêt pas un caractère « spontané » ou ad hoc. 88 F. Megret, Justice in Times of Violence, 14 EUROPEAN JOURNAL OF INTERNATIONAL LAW 327-345 (2003).

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cette branche du droit international est bien encore la plus naturellement applicable à de nombreuses situations de violence asymétrique.89

Une alternative, face à ce type de situations hors normes, serait de concevoir les actions contre des groupes terroristes comme relevant plus de l’opération de police, gouvernée par les principes applicables en matière de droits de l’homme bien plus que le droit de la guerre,

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et dont le but premier serait de protéger les populations civiles tant contre ceux qui les prennent subjectivement ou objectivement en otage que ceux qui prétendent les secourir. On se débarrasserait ainsi complètement de la notion de « participation », au même titre qu’il serait absurde de dire qu’un groupe de criminels « participe » à l’action violente de la police visant à l’appréhender. Le paradoxe serait alors qu’en droit international on dût utiliser plus de précautions contre un groupe ne respectant pas les usages du droit humanitaire, qu’avec un groupe qui les respecterait (et serait donc partie à un conflit qui émergerait de ce fait). Mais après tout il s’agit là d’une asymétrie bien connue du maintien de l’ordre en droit interne : on attend de la police qu’elle prenne toutes les précautions nécessaires pour préserver la vie des innocents et même des criminels, quant bien même ces derniers se soucient peu de la vie de leurs adversaires. D’aucuns déploreront sans doute la perte de réciprocité qui découle de l’application d’une telle exigence, tout en soulignant que en théorie normative stricte celle-ci devrait être indifférente. Mais à partir du moment où cette réciprocité est de toute façon illusoire, on peut se demander s’il n’y a pas lieu de re-conceptualiser entièrement l’exercice de la violence normativement asymétrique.

Conclusion

Quelle que soit la catégorie d’acteurs, on est surpris de la remarquable unicité de la problématique qui relie pour tous la question de la participation aux hostilités. Les points de départ diffèrent puisque, par nature, certains seront plus des participants et d’autres plus des tiers, mais aucun espace normatif n’est infranchissable, et le droit humanitaire a autant vocation à réguler les changements de statut qu’à cimenter leur assise. L’insistance inlassable sur le maintien de la distinction entre participants et tiers aux conflits armés est dans ce contexte bien entendu légitime. Mais on peut se demander si ce n’est pas

89 Pour une suggestion contraire, voir A. Paulus & M. Vashakmadze, Asymmetrical war and the notion of armed conflict–a tentative conceptualization, 91 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED CROSS 95-125 (2009). 90 Ces questions connaissent un intérêt croissant, notamment en matière de conflit armé non-international, où on peut penser que les droits humains ont un rôle plus évident et naturel. M. Sassòli & L. M. Olson, The relationship between international humanitarian and human rights law where it matters: admissible killing and internment of fighters in non-international armed conflicts, 90 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED CROSS 599-627 (2009). Mais on peut aussi se demander si les droits humains n’ont pas un rôle significatif à jouer dans des situations « internationales » par nature mais par ailleurs profondément atypiques du point de vue du droit humanitaire. Voir notamment L. Doswald-Beck, The right to life in armed conflict: does international humanitarian law provide all the answers?, 88 INTERNATIONAL REVIEW OF THE RED CROSS 881-904 (2007). N. Prud'homme, SPECIAL ISSUE: PARALLEL APPLICABILITY OF INTERNATIONAL HUMANITARIAN LAW AND INTERNATIONAL HUMAN RIGHTS LAW: LEX SPECIALIS: OVERSIMPLIFYING A MORE COMPLEX AND MULTIFACETED RELATIONSHIP?, 40 ISR. L. REV. 356-842 (2007).

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le droit international humanitaire et, au-delà, la notion de guerre elle-même qui sont entrés dans une crise profonde. Tout se passe en effet comme si l’espace interstitiel entre combattants et non-combattants - et qui devait en théorie être extrêmement réduit - était en passe de devenir durablement habité ; comme si les acteurs de la violence s’étaient adaptés à la norme et à ses apories afin d’en exploiter les contradictions ; comme si, en définitive, de moins en moins d’acteurs voulaient « jouer » à la guerre dans ce que son acception a de classique. Or si le statut de combattant ou de non-combattant doit dépendre de facteurs aussi ténus que l’intentionnalité des acteurs où le contexte dans lequel ils s’insèrent, on peut se demander si la promesse humanitaire n’est pas menacée de dégénérescence, dans un contexte ou des décisions de vie ou de mort doivent être prises opérationnellement dans l’instant.91

S’il en est ainsi, c’est peut être d’abord et avant tout car certains acteurs ont décidé que l’on ne pourrait facilement les déloger de leur position en marge de la légalité humanitaire et que, somme toute, ils y trouvaient leur intérêt. Au fil du temps, il est vrai que chacun s’intéresse moins à comment il peut respecter les normes, qu’au profit qu’il peut en tirer. C’est vrai dans les combats asymétriques, notamment ceux opposant des groupes peu scrupuleux à des Etats qui demeurent malgré tout plus explicitement et directement tenus par le droit international humanitaire. Mais il faut bien convenir que si la guérilla irrégulière (qui se rapproche du terrorisme) est un formidable moyen de réduire la lisibilité des conflits, alors les forces privées de sécurité sont également la parade que les Etats ont trouvé pour brouiller les lignes de leur propre participation aux combats.

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Les grandes victimes de cette ambiguïté sont – sans ambiguïté, cette fois – avant tout les non-combattants. Les non-combattants font en effet les frais disproportionnés du mélange des genres et de la propension de tout un chacun à être tour à tour incarné dans la figure du participant ou du tiers. Ceci étant dit, les combattants pâtissent également de cette situation, ne serait-ce que par la vulnérabilité que paient ceux qui veulent malgré tout s’en tenir aux exigences du droit humanitaire ou la souffrance de ceux qui devront vivre avec le fait d’avoir pris improprement pour cible des innocents.

A chacun son camouflage juridique.

Dans ce contexte, on peut s’interroger sur les stratégies qui seraient à même de réintroduire une certaine discipline « dans les rangs ». L’un d’elles serait incontestablement que les civils, conscients de l’enjeu, insistent eux-mêmes auprès des forces irrégulières qu’ils soutiennent peut-être par ailleurs, de ne pas faire d’eux les otages d’une guerre mal menée, une guerre criminelle. Il est des « protections » dont on se passerait bien lorsque, sous couvert de se « battre » pour une population, elles ne font en fait que la rendre plus vulnérable. Les groupes terroristes empruntent souvent ici au registre mafieux. Une approche mêlant droit humanitaire et théories normatives et démocratiques essaierait du moins de mettre en évidence à quel point les civils sont réellement disposés à payer par l’affaiblissement de leur protection humanitaire un éventuel surcroît de réussite militaire ou de satisfaction sacrificielle.93

91 S. Oeter, Comment: Is the Principle of Distinction Outdated?, .

92 Erin Louise Palmer L. Palmer, US Hypocrisy in the Treatment of Non-State Actors in the War on Terror, SWODS

AND PLHOUGHSARES (2007). 93 Bien entendu, on sait qu’historiquement certains civils du moins – mais était-ce la majorité ? – ont considéré que leur plus grande vulnérabilité humanitaire du fait de l’utilisation de tactiques non-conventionnelles par un groupe

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On pourrait en outre songer à accorder un rôle accru aux tiers dans le maintien de la distinction entre participants et tiers par des moyens innovants. On pense notamment au rôle des « boucliers humains » comme stratégie certes avant tout de lutte contre la guerre elle-même (au sens d’une stratégie pacifiste), mais qui pourrait se redéployer comme une stratégie humanitaire, aidant à circonscrire et donc protéger des zones civiles. On pense également par exemple à la mise au point de procédés technologiques permettant une meilleure identification des civils par un balisage adéquat et qui seraient dans les mains des civils eux-mêmes, ou en tous les cas de tiers bien intentionnés. Bien entendu, l’existence de tels moyens n’empêche pas qu’ils soient manipulés, mais on peut se demander si la communauté internationale ne devrait pas s’adresser plus aux civils qui ont tout à gagner d’une meilleure protection humanitaire, et moins à des groupes qui n’ont de toute façon aucune intention de respecter le droit de la guerre.

Un deuxième axe de réflexion remettrait en cause l’étatisme latent du droit international et la grande différence de statut qui caractérise acteurs étatiques et non-étatiques comme incompatible in fine avec l’exigence humanitaire.94

Pis : toute confiance dans la capacité a priori des Etats à mieux respecter le droit humanitaire contre des acteurs non-étatiques perçus comme par nature « voyous » dès lors qu’ils s’immiscent dans les combats mérite d’être questionnée. On sait en effet que le bilan de respect des us et coutumes de la guerre par ces mêmes Etats est extrêmement contrasté, là où il est loin d’être impossible de penser que des compagnies de sécurité modernes, par exemple, opérant selon les préceptes du marché et de leur intérêt bien compris pourraient dans certains cas être à la hauteur des obligations humanitaires qu’on voudrait bien leurs imposer. Notons qu’un fort mouvement se dessine en ce sens visant pour les compagnies de sécurité à adopter elles-mêmes et collectivement des « codes de bonne conduite », là où l’ordre juridique international semble encore incapable de leur concevoir un rôle réel.

Le droit de la guerre demeure en effet un droit profondément légitimiste en la matière : là où les forces armées étatiques participeront au conflit même si elles ne respectent pas le droit humanitaire, les groupes non-étatiques ne participent au conflit que s’ils respectent le droit humanitaire. Ce distinguo se fonde largement sur la nécessité de sauvegarder le statut de sujet privilégié de l’Etat en droit international bien plus que sur la nécessité de protéger les non-combattants. Or peut être le temps est-il venu en la matière de moins idéaliser l’Etat et de bien prendre la mesure de ce que, si l’Etat reste a priori un allié indispensable de la régulation internationale, il est loin d’être le seul.

95 Les efforts visant à « intéresser » les mouvements rebelles au respect du droit humanitaire vont dans le même sens.96

auquel ils s’identifiaient était un prix à payer. Mais il faut également convenir que cette volonté de « payer le prix » fut souvent contrainte, et que les exemples où une population est otage des menées de groupes terroristes sont nombreuses.

Le déni trop facile du statut de combattant dans certains cas peut aboutir à « désintéresser »

94 Voir par exemple K. Watkin, Warriors Without Rights? Combatants, Unprivileged Belligerents, and the Struggle Over Legitimacy, 2 OCCASIONAL PAPER (2005). 95 C. Holmqvist, Private Security Companies, 9 THE CASE FOR REGULATION, SIPRI POLICY PAPER (2005). 96 A. Cassese, The Status of Rebels under the 1977 Geneva Protocol on Non-International Armed Conflicts, 30 INTERNATIONAL AND COMPARATIVE LAW QUARTERLY 416-439 (1981).

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certains combattants non-conventionnels au respect du droit humanitaire,97 même s’il est aussi important de ne pas sur-légitimer certains acteurs en leur accordant un statut auquel ils n’ont aucun droit.98

Une troisième stratégie consisterait à exiger un « sursaut humanitaire » de la part des acteurs « responsables » de la violence, c'est-à-dire ceux qui demeurent malgré tout prioritairement concernés par le respect des normes. Les Etats à ce titre, semble avoir un rôle irremplaçable à jouer du fait de leur remarquable pouvoir régulateur, tant interne qu’international. On a ailleurs défendu l’idée que ceux qui se targuent d’intervenir de manière humanitaire ou « de n’avoir rien contre une population, juste contre ses dirigeants » ne peuvent pas user de moyens qui contredisent cette intention.

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En d’autres termes, on ne saurait « libérer », « sauver » ou « protéger » tout en tuant de manière indiscriminée. Le sursaut humanitaire dont on parle impliquerait que les Etats (et pourquoi pas les groupes non-étatiques) réellement engagés dans la logique humanitaire ne se cachent pas derrière l’inanité de leur adversaire pour excuser leurs propres erreurs, et au contraire cherchent, y-compris par des moyens tout à fait non-conventionnels au regard de la conduite militaire des opérations, à minimiser les pertes civiles de l’adversaire « indigne ».

97 C’est ce qui amène d’ores et déjà certains à plaider pour une grande gradation dans les statuts. E. T. Jensen, Combatant Status: It Is Time for Intermediate Levels of Recognition for Partial Compliance, 46 VIRGINIA JOURNAL OF

INTERNATIONAL LAW 209 (2005). C. J. Mandernach, Warriors Without Law: Embracing a spectrum of Status for Military Actors, 7 APPALACHIAN JL 137-305 (2007). 98 M. E. O'Connell, Enhancing the Status of Non-State Actors through a Global War on Terror, 43 COLUMBIA JOURNAL

OF TRANSNATIONAL LAW 435 (2004). 99 Frédéric Mégret, Jus In Bello as Jus Ad Bellum, 100 AMERICAN SOCIETY OF INTERNATIONAL LAW PROCEEDINGS 121-123.