Nappe patio pdf

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Lucie CURMI Master Habitat et Energies école d’architecture de Marne-la-Vallée mémoire de Master 2 encadré par Paul LANDAUER 6 janvier 2012 Habiter une nappe de logements à patio, entre collectif et individuel Ecole d'architecture de la ville & des territoires à Marne-la-Vallée Document soumis au droit d'auteur

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Lucie CURMIMaster Habitat et Energies

école d’architecture de Marne-la-Valléemémoire de Master 2 encadré par Paul LANDAUER

6 janvier 2012

Habiter une nappe de logements à patio, entre

collectif et individuel

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PREAMBULE

Du haut de mes 24 ans, j’ai eu la chance de parcourir l’Inde, le monde arabe, une partie de l’Europe, le Brésil, le Québec, etc. Je pense que tous ces voyages m’ont amenée à me questionner sur les différentes façons de vivre, m’ont permis de découvrir les nombreuses façons d’appréhender la densité, la mitoyenneté… et de constater la diversité des types d’habitat autres que les modèles français et européens. C’est la raison pour laquelle les théories de Riken Yamamoto ont particulièrement retenu mon attention. Dans son article, Cell CIty, la ville cellulaire, édité par l’Institut français d’architecture en 1999, cet architecte japonais compare les villes arabe et occidentale. Pour lui, la ville arabe serait une ville cellulaire, originelle, où les vides sont de l’ordre de l’espace privé, tandis que la ville occidentale serait linéaire, construite autour de vides formés par l’espace public. Les questionnements de Riken Yamamoto m’ont conduite à réfléchir sur les projets de logements en « mini-nappes », semblables à des morceaux de médinas, réalisés en Europe ou hors du monde arabe. Ces projets m’ont interpelée, car ils sont porteurs d’un fort décalage vernaculaire.

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SOMMAIRE

CONCLUSION

INTRODUCTION

Bibliographie

2. Quelle densité pour quel espace urbain?a . Existe-t-il une densité idéale pour ce type de projet?b . Quel est le rapport de ces «nappes» à l’espace urbain? c . Les limites spatiales de ces «nappes»

3. Quel avenir pour ce type d’habitat?a . Pourquoi ce type de projet existe-t-il?b .A qui correspond le mieux ce type d’habitat?c . Quel avenir pour les maisons à patio en nappe?

1.état des lieux de l’habitat individuel dense à patio

b . Quels logements dans ces maisons à patio?

a . Aux origines des nappes de maisons à patio

Interview de Sophie Delhay, architecte et collaboratrice au sein de l’agence Boskop Architectes

Interview de Patrick Hernandez, architecte bordelais

Interview de Josep Lluis Mateo, architecte espagnol

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INTRODUCTIONFaut-il encore opposer l’habitat individuel à la densité ? Dans le contexte actuel où il devient nécessaire de lutter au maximum contre l’étalement urbain, le modèle de la maison à patio dans l’habitat individuel à haute densité pourrait peut-être constituer une des réponses à la question. En effet, il semble favoriser une certaine intimité et une individualité dans un contexte souvent très urbain. Mais, entre collectif et individuel, il existe des catégories à dépasser… Par ailleurs, ces nappes de maisons portent un fort paradoxe, car ces formes d’habitat ne sont ni strictement individuelles (elles doivent être moins disséminées) ni strictement collectives (voulues plus individualisées)… La densité de ces projets est favorable aux objectifs environnementaux et ce type d’habitat est plus rentable pour les promoteurs. Porteurs de l’héritage du modernisme et se situant dans un rapport à la ville arabe, ces objets vernaculaires hors de propos posent question ? Ces projets veulent suggérer une ville conçue de façon aléatoire, une ville « cellulaire » comme la théorise Riken Yamamoto, mais ils s’intègrent dans des villes planifiées, linéaires... Cette forme d’habitat individuel dense est très présente dans les pays méditerranéens, mais beaucoup moins familière en Europe. Les exemples cités dans ce mémoire montrent des réminiscences de l’habitat proliférant ou des villes méditerranéennes, mais à une échelle de quelques dizaines de maisons seulement. Il convient donc, tout d’abord, d’interroger le fonctionnement de ces projets, et les typologies qu’ils créent. Comment fonctionnent ces « mini-nappes » ? Dans quelle catégorie placer les systèmes de regroupement dense de maisons en « nappe » ? Comment habite-t-on une nappe en R+2 ? L’architecture « proliférante » fonctionne-t-elle à l’échelle des quelques dizaines de logements?

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L’insertion urbaine de ces nappes de logements semble particulière : créent-elles des opérations fermées ou poreuses ? D‘une densité extrême, les îlots se présentent comme des plaques extrudées de minuscules patios et terrasses. À ce niveau de densité, certains architectes n’hésitent pas à parler d’« ensembles collectifs de maisons », voire d’ « immeubles couchés ». Quelle est la densité idéale pour ces nappes ? Jusqu’à quel point ces nouvelles formes d’habitat sont-elles susceptibles de créer un urbanisme différent ? Quel rapport à la ville ont ces nouvelles opérations? Autant de questions qu’il convient de se poser. S’il semble que ces nappes deviennent des objets à part entière, posés dans la ville comme pourraient l’être des immeubles, il faut cependant se demander comment l’espace public interagit avec ces objets et si il existe un type d’espace urbain où ce genre d’opération s’intègre mieux qu’ailleurs. Quelles sont les difficultés pour insérer cette typologie à la ville occidentale?

Pourquoi ces opérations existent-elles en Europe? Quels sont leurs obstacles, leurs défauts? Qui sont les acteurs de ces projets de nappes : de quelle volonté première naissent ces projets ? Est-ce d’une volonté atypique des maîtres d’ouvrage ou bien une fantaisie de la part de certains arhitectes? Cette typologie ne semble pas être en lien direct avec une époque, car elle revient plutôt sur plusieurs époques ponctuellement... Enfin, pour amener le questionnement vers les usagers, quel est le potentiel de séduction de ce type de projet auprès d’une population dont les pratiques et les aspirations semblent évoluer vers davantage d’urbanité ?

Quarante ans après les travaux de Jean Renaudie ou Michel Andrault et Pierre Parat, ce type d’habitat pose de nouveau la question de l’architecture proliférante, mais à plus petite échelle. Et ces projets semblent porter un fort paradoxe : ils fabriquent de l’habitat individuel, donc « anti-communautaire », mais la typologie créée semble plutôt communautaire !

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l’accession à la propriété et pour l’autre moitié à la location.

L. C. : Les promoteurs ne sont-ils pas effrayés par la trop grande mitoyenneté de ces typologies individuelles groupées en matière d’accession à la propriété ? S. D. : On nous demande de ne pas superposer un logement en accession au-dessus d’un logement en location, mais c’est vrai qu’il y a des histoires de copropriété. En tant qu’architecte, je défends l’idée que la ville doit être dense et que de construire de l’intermédiaire est une manière de proposer une qualité de vie qui rivalise avec celle de la campagne. La ville se construit densément, c’est une obligation. On ne laisse pas tellement le choix au maître d’ouvrage. Il a toujours le dernier mot, mais c’est à l’architecte de lui expliquer les vraies raisons pour lesquelles il participe à un projet écologique…

L. C. : Vous utilisez le mot « nappe » ? S. D. : Oui, on dit « nappe ». On a développé tout un vocabulaire avec ça à l’agence : on a la nappe (la typologie), le patern (le motif ), le tetris (la pièce, le petit objet).

L. C. : En général, dans quel type d’espace urbain se situent vos projets ? Avez-vous déjà travaillé en centre-ville ou le faites-vous uniquement en zone suburbaine ? S. D. : On ne peut pas faire de généralités, mais pour l’instant, je ne travaille qu’en site urbain. Avec la coopérative d’architectes Boskop, nous avons fait le projet de la Bottière à Nantes, mais on a aussi fait un projet de logements à la campagne, à Cintré (35). Le site se trouvait entre bourg et campagne.

Nous défendons l’idée que la ville doit être dense et que de construire de l’intermédiaire est une manière de proposer une qualité de vie qui rivalise avec celle de la campagne. La ville se construit densément, pour nous c’est une obligation. On ne laisse pas tellement le choix au maître d’ouvrage.

Interview de Sophie Delhay, architecte et collaboratrice au sein de

l’agence Boskop ArchitectesLucie Curmi : Comment qualifierez-vous le type d’habitat sur lequel vous travaillez ? Sophie Delhay : Aujourd’hui, à cause des réglementations, la séparation des catégories entre l’individuel et le collectif est très complexe. Dans certains projets, il y a un entremêlement de logements pour atteindre des densités assez fortes, alors que chacun rentre chez soi depuis l’extérieur avec un jardin intime à l’extérieur qui n’est pas partagé, comme du logement individuel. Parfois, par simplification ou par astuce ou pour contourner les réglementations, on fait un « collectif à l’horizontal ». Réglementairement, c’est du collectif. En plus, la réglementation change d’année en année (handicapés, incendie, etc.), et aujourd’hui par exemple, si tu mets un logement sur un autre, c’est deux maisons individuelles, mais si tu mets un logement sur deux logements, c’est du collectif...

L C : La limite est donc très floue… S. D. : Oui, et on est continuellement en train de jouer avec ces catégories, car elles transforment la typologie des logements. A chaque fois la réglementation est particulière. C’est très technique, mais par exemple, dans une maison individuelle, les handicapés demandent une cellule de vie, c’est-à-dire qu’au rez-de-chaussée, de plain-pied, tu dois trouver le séjour, la cuisine et la salle de bain ; si tu es en maison individuelle, tu n’as pas de chambre au rez-de-chaussée, tu peux dire que ta chambre se fera dans le séjour ; par contre, si tu es classé en collectif, il faut que tu aies une chambre en plus...

L. C. : Les projets d’individuel groupé sont-ils davantage destinés à de la location ou à de la vente ? S. D. : Les deux. Dans un projet de logement intermédiaire que l’on vient de rendre, les logements sont pour moitié destinés à

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S. D. : Oui, peut-être…L. C. : Si j’ai bien compris, le projet de la Bottière à Nantes était un exercice au départ ? S. D. : Oui ! C’est une histoire longue et compliquée. Pour le concours, on nous a donné un site en nous disant que le lauréat construira, mais pas sur ce site-là… Ils l’ont donc juste proposé comme objet d’étude, mais en nous disant : « Attention, comprenez bien qu’on va vous juger sur votre capacité à vous intégrer dans un quartier, puisque vous aurez à le faire plus tard d’une autre manière ; mais surtout, on attend de vous une vraie prise de position sur ce qu’est le logement innovant et expérimental. » Le sujet n’était pas le logement

intermédiaire ni la nappe ; la question était posée de manière très bizarre : c’était « le logement urbain, dense, individualisé, expérimental et innovant », façon détournée de ne pas dire « intermédiaire ». On nous posait une question sans nous mettre dans des schémas. On nous laissait complètement libre d’inventer, c’était une question très intelligente, je

trouve. Le bailleur social, la Nantaise d’Habitation, est très impliqué sur les questions de développement durable, mais aussi très inquiet pour ses locataires. Aujourd’hui, les locataires de logements sociaux rêvent tous de vivre à la campagne, mais pour sauvegarder l’emploi et l’intégration de ces populations qui sont un peu en difficulté, le bailleur veut garder les habitants dans les centres-villes pour qu’ils soient près des pôles d’emploi et des activités. Il fallait donc faire en sorte qu’ils soient heureux en ville et donc, quelque part, proposer une alternative à la qualité de vie à la campagne en plein centre-ville, donc dans des conditions de densité fortes, pour rentrer dans le marché du logement. Quand on est arrivés sur le vrai site, il n’y avait rien. Les 55 logements sont sur un site en pente, et en contrebas, il y avait un futur un parc. On a proposé d’avoir cinq « doubles barrettes » de logements avec deux passages publics pour traverser l’opération. La typologie crée de nombreuses relations entre le parc et la zone pavillonnaire.

Le sujet n’était pas le logement intermédiaire ni la nappe, la question était posée de manière très bizarre, c’était « le logement urbain, dense, individualisé, expérimental et innovant », façon détournée de ne pas dire « intermédiaire ».

L. C. : Pour vous, est-il difficile plus d’intégrer des nappes de logements à la campagne, ou en ville ? S. D. : Ce n’est pas plus facile ou plus difficile… C’est ce qui nous inspire qui est le plus facile. Une campagne peut nous inspirer ou ne pas nous inspirer, pour la ville c’est pareil. Il y a des sites urbains qui sont fabuleux, celui de notre projet récent à Lille est un site urbain dont je suis amoureuse parce qu’il est très mixte, mais en ce moment, on travaille sur un autre quartier où on ne sait pas trop à quoi peut ressembler la densité en terme de vivre ensemble, car il n’y a pas encore de vie… J’aime travailler dans les quartiers vivants, mais ça peut tout à fait se passer à la campagne.

L. C. : Car ce type d’habitat est très lié à la ville arabe, et donc à l’origine plutôt fait pour être intégré dans un contexte très urbain et déjà très dense… S. D. : En effet, je dis souvent que ces projets sont comme des « petites médinas ». Quand on me dit que c’est super dense, je réponds : « Oui, mais attention, c’est le même plaisir de vivre que dans une médina…»

L. C. : Quand on regarde le projet de Peter Barber à Londres, on a vraiment une impression d’OVNI architectural… par la couleur blanche, par la forme urbaine en plein Londres… Qu’en pensez-vous ? S. D. : Oui, mais si on avait à la place des logements collectifs « type 2010 », on aurait aussi cette impression d’OVNI ! C’est l’écriture architecturale contemporaine dans un quartier ancien qui te fait dire ça…

L. C. : Oui, mais à Londres, Peter Barber a pu utiliser de la brique, par exemple, pour mieux se fondre au paysage urbain… S. D. : Oui, la nappe peut être faite en brique comme tu le dis, mais la nappe en soit n’est pas un OVNI. Ce n’est pas lié à la typologie, je pense…

L. C. : C’est plus la couleur blanche qui donne cette impression d’OVNI…

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centre de l’opération. Il paraît qu’en été, les gens vivent tellement bien que les portes entre les logements (après la grille sécurisée) restent ouvertes. Il y a une confiance qui s’est développée dans l’opération.

L. C. : Quelle est la densité à l’hectare de ce projet ? S. D. : La densité nette est la densité sur la parcelle : ici, on est à 120 logements à l’hectare, ce qui est très dense. Sauf qu’ici on ne s’inscrit pas dans un site dense. Si le site avait été plus dense, sans le parc en contrebas, je ne sais pas si on aurait fait un projet aussi dense. C’est pour ça qu’on parle aussi de densité brute, qui considère l’espace extérieur à la parcelle, qui nous a permis de créer cette très forte densité. Ici, elle est de 80 logements à l’hectare, ce qui est bien supérieur à du logement pavillonnaire. Il faut relativiser cette performance de 120 logements à l’hectare, car qu’on est sur un site qui borde un parc qu’on peut l’atteindre. Dans le projet de Peter Barber à Londres par exemple, la densité nette est égale à la densité brute.

L. C. : À l’époque où vous avez construit le projet de la Bottière, les normes PMR étaient-elles moins exigeantes que maintenant ? S. D. : Non, pas tellement… Les normes PMR étaient tellement contraignantes

qu’on a dû refaire tout le projet… Au départ, on était en individuel, il n’y avait pas de superposition. Mais on a dû passer en collectif pour des raisons PMR, c’est pour cela qu’il y a des logements avec des cellules de vie en bas. Et comme on a beaucoup occupé le RDC pour atteindre le

L. C. : La forme qui apparaît à la Bottière semble « fermée »… S. D. : Effectivement, la forme de la Bottière est trapue ; les dix bandes de logements s’inscrivent sur un site en pente. En haut, il y a du pavillonnaire des années 80 et, en bas, il y a un grand parc. Il n’y a rien autour, c’est le premier projet de la ZAC, on a eu tout à créer... Lorsque nous avons gagné le concours, le bailleur nous a dit qu’ils avaient trouvé le terrain, on a donc retravaillé sur les typologies du premier projet, mais aussi dans le sens de l’économie, car le projet coûtait un peu trop cher… il a fallu se limiter.

L.C : En fait, vous avez évité tous les vis-à-vis entre les logements, mais vous avez fait en sorte que les habitants puissent se rencontrer… S. D. : Oui, on a proposé les rapprochements. On peut partager une cour commune avec plaisir si on a la possibilité d’avoir un autre espace extérieur privatif, d’être seul dehors si on en a envie. Par contre, si on va dans la cour commune, c’est qu’on est plutôt disposé à partager l’espace.

L. C. : Quel est le statut de ces cours communes au niveau de la propriété ? Au niveau du calcul des surfaces…? S. D. : C’est très compliqué parce que la cour commune doit être comptée dans les surfaces à partir du moment où c’est une surface construite ; donc cela dépend si la cour est en pleine terre ou si elle est sur une dalle. Pour l’opération de Nantes, il y avait les deux cas de figure, mais le maître d’ouvrage a été conciliant. Au final, dans ce projet, il y a 11 logements qui n’ont pas de cour commune, donc tous ces logements ont un balcon en plus.

L. C. : Les venelles publiques sont accessibles à tout le monde. Comment se passent les usages de ces espaces publics encastrés au sein de l’opération ? S. D. : Il y a une hiérarchie au sein de passages communs. Les deux grandes venelles sont publiques, et après, il y a des grilles avec un badge pour les plus petits passages piétons de 1,20 mètre de large. Parfois, il y a des venelles qui passent sous des bâtiments. Et les deux grandes venelles sont reliées par un petit passage public au

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accessible, à tout l’ensemble, des hauteurs et des vues sur la ville.

L. C. : Dans ce projet, est-ce que le maître d’ouvrage vous avait aussi demandé de dépasser des catégories ? S. D. : Non, au début, on devait faire un bâtiment en R+3 en U avec un jardin au cœur. Mais on a pensé que de faire du R+3 dans ce quartier-là était une hérésie, car c’est un quartier magnifique, très populaire, avec de toutes petites maisons et des grosses usines. On a donc fait deux bâtiments jumeaux, un petit, ciselé, en relation avec les maisons, et en face, un bâtiment à 21 mètres, hauteur maximum autorisée. On a aussi désenclavé le jardin au centre pour le rendre plein sud et traversant, et qui s’offrait à la rue, très minérale. Tout le monde rentre par ce jardin et tout le monde voit ce jardin depuis son logement.

L. C. : Pour vous, ce bâtiment est donc une « nappe verticale » ? S. D. : Oui, c’est pareil, c’est le même Rubik’s cube pas possible pour réussir à connecter les logements les uns aux autres. On vient de rendre un concours pour un projet dans un quartier très populaire à Lille où il fallait faire un collectif et une nappe. Le projet se situe dans un quartier à courées, avec des mondes intérieurs incroyables. Ce sont des lieux de voisinage protégés, il y a parfois une vie intense, les gamins jouent, les tables sont dehors… Ces courées ont une capacité à « faire un vivre ensemble » très intéressante. L’intérieur de notre îlot est donc sur une échelle beaucoup plus basse, très entremêlée, avec des maisons à patio. Il y a des logements de RDC et des logements de R+1. On a réinterprété le principe de courée en offrant à chacun un jardin intime et un jardin partagé. Les cuisines connectent les logements aux espaces partagés, car ce sont des lieux de convivialité et les jardins des lieux de repas en commun, où il peut y avoir du bruit… 4 logements ont leur propre jardin privatif et leurs 4 cuisines donnent sur un jardin partagé. On entre chez soi par le jardin intime. Aux étages, il y a des logements plus petits avec les cuisines en balcons sur les jardins partagés. Les habitants peuvent rejoindre les voisins en descendant l’escalier. L’îlot est traversant. Dans les cours communes, les types de

nombre de logements souhaité, on a dû ajouter un escalier individuel pour monter aux logements en R+1. On a dû réinventer tout notre plan.

L. C. : Et au niveau des normes écologiques ? S. D. : Aujourd’hui, on ne pourrait plus faire le projet de la Bottière pour des raisons écologiques. Les bâtiments mesurent 4,60 mètres de large ; déjà à l’époque c’était rare, sauf dans les projets d’Alvaro Siza au Portugal… Aujourd’hui, ce projet ne passerait jamais les contraintes thermiques… Il faut faire beaucoup plus compact. Je peux te montrer un autre projet qui est un « re-travail » de la Bottière. À l’agence, on fait aussi des « nappes verticales »… En fait, ce qui m’intéresse dans la nappe, ce n’est pas tellement de faire de l’intermédiaire ou pas. Ce que j’aime dans le logement, c’est quand on habite plus que chez soi, quand on a l’impression de faire partie d’un tissu, de quelque chose qui nous dépasse un peu… quand on est pris dans un système beaucoup plus vaste. Dans un de nos projets à Lille qui est un immeuble collectif assez simple, il y a un système de coursives alternées (pour éviter un mur de coursives d’un côté et pas de l’autre). Quand on fait des coursives, il faut avoir une bonne raison de le faire. Ici tous les logements sont traversants, y compris les T2. On a voulu donner la même qualité à tous les logements. Ils auront tous une double vue, sur un jardin d’un côté et sur la ville de l’autre. Il y a une multiplicité de relations avec l’extérieur, ça fait partie de la qualité de vie. À chaque étage, au lieu d’avoir 7 logements, il n’y en a que 6. On a sculpté un vide à l’intérieur à la place de ce logements, ce qui crée, à chaque niveau, un espace extérieur protégé, commun à tous les habitants de l’étage. Ensuite, on a fait communiquer ces espaces d’un étage à un autre ; en haut, il y a une terrasse panoramique. À l’intérieur de cet espace, il y a une vue vers le bas et une vue vers le haut, il y a des co-visibilités entre espaces. C’est une manière de faire en sorte que tout habitant puisse connaître les situations que l’immeuble connaît et que son logement ne connaît pas. Dans un immeuble vertical, on trouve toujours dommage d’habiter au RDC parce qu’on aimerait avoir la vue depuis les étages… on rend

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logements sont mixés, il y a des petits et des grands logements qui donnent sur la même cour. L’idée est de ne pas toucher aux limites de la parcelle. Le mur de contour est un peu comme un écrin dans lequel on vient se glisser. Le projet n’est pas fini, il n’est pas proliférant.

L. C. : Est-ce un projet de logements sociaux ? S. D. : C’est assez compliqué, il y a de la mixité. Je voulais que, dans chaque cour, il y ait des propriétaires de logements en accession et des locataires… mais il a été décidé de ne pas faire de superposition de locataires avec des propriétaires. Les locataires sont au-dessus des locataires et les propriétaires au-dessus des propriétaires. Pour faire plaisir au maître d’ouvrage, on a essayé de ne pas faire de cour commune à des locataires et des propriétaires en même temps. Il y a un hall commun à tous les types d’habitants, locataires, propriétaires…

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1.état des lieux de l’habitat individuel

dense à patioa . Aux origines des nappes de maisons à patio

b . Quels logements dans ces maisons à patio? Emile Aillaud, quartier des Patios à

Grigny, 1970

Candilis Josic Woods, projets

pour les carrières centrales à

Casablanca

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a . Aux origines des nappes de maisons à patioEn matière d’habitat « collectif et individualisé », la référence de l’immeuble villa de Le Corbusier, projet datant de 1922, vient tout de suite à l’esprit. Ces appartements sont conçus comme des petites maisons avec leur terrasse. Les nappes de maisons rappellent aussi les bastides d’Aquitaine ou les médinas d’Afrique du Nord...

Ce type de projet est en quelque sorte un modèle hérité du modernisme et du colonialisme. Le travail de l’agence Candilis Josic Woods est un bon exemple : dans un premier temps, en 1955, l’équipe a exploré l’habitat proliférant dans le projet pour les carrières centrales à Casablanca, où l’on retrouve des maisons à patio et des logements collectifs. C’est l’époque du modernisme et Candilis s’est intéressé aux modèles arabes et a ensuite transposé le type de projet en Europe. Le travail d’Émile Aillaud au quartier des Patios à Grigny en 1970 est une autre illustration de ce lien entre ces deux modèles : Aillaud réalise des maisons à patio de 5 pièces et 6 pièces. Il avait conçu le même projet pour le Maroc. Conjointement au projet de Toulouse Le Mirail, en 1969, Candilis, Josic et Woods réalisent le quartier expérimental de Bellefontaine à Toulouse, appliquant trois différents systèmes d’assemblage de logements : - en grands immeubles linéaires de hauteurs variables (articulés à 90° ou 120° autour d’un noyau de circulation verticale), - en petits immeubles de 2 à 4 étages articulés à 90° autour d’un escalier, - en villas-patio. Selon eux, « ces trois systèmes de groupement de logements correspondent à trois conditions de vie familiale, et permettent aux utilisateurs de choisir. […] Les villas-patio groupées dans un système horizontal de faible densité (25-30 logements à l’hectare) provoquent des conditions de vie familiale plus fermées vers l’extérieur. Les patios/espaces extérieurs privatifs participent uniquement à l’épanouissement de la vie d’une famille. Les équipements et espaces collectifs jouent dans ce cas un rôle secondaire. » En avant propos de l’ouvrage qu’ils ont écrit à trois intitulé Toulouse le Mirail, la naissance d’une ville nouvelle, et paru en 1975 aux éditions Karl Krämer Verlag, Georges Candilis écrit : « Depuis la fin de la guerre 1939/45, en Europe et dans le monde entier, une construction

Candilis, Josic, Woods, quartier expérimental de Bellefontaine

à Toulouse, 1969, 25 à 30 logements à l’hectare

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vue aérienne actuelle du quartier de Bellefontaine

Jean Renaudie, logements Danielle

Casanova (80 logements ILN), Ivry-sur-Seine,

1972, plan du 3ème étage

constamment croissante a pris une ampleur extraordinaire. Le processus de la conception, les conditions légales et économiques et l’attitude des responsables, techniciens ou administrateurs, sont restés dans la plupart des cas, prisonniers d’un cadre technocratique conformiste. On a utilisé les mêmes méthodes pour réaliser une ville entière, que celles employées pour la construction de groupements de maisons plus ou moins importants. (…) Actuellement, nous construisons des villes avec un aspect fatalement figé, artificiel et impersonnel, même si elles sont sérieusement programmées, calculées et étudiées. Depuis douze ans, nous essayons à Toulouse Le Mirail, de faire mieux, de donner surtout un âme, une identité à la future ville. Notre longue expérience nous démontre que les architectes, seuls, sont incapables de résoudre toute la complexité du problème, mais ils peuvent peut-être provoquer des conditions favorables pour l’avenir. » Dans ce projet, les maisons à patio s’intégraient dans l’urbanisme qu’ils avaient imaginé au sein d’une hiérarchie de type d’habitat collectif, intermédiaire et individuel. Le Mirail tout entier est conçu par ces architectes qui varient les échelles pour donner une âme au quartier.

En Suisse, le projet de l’Atelier 5 à Halen (1955/1961) revêt une valeur d’icône pour l’habitat intermédiaire. Il fait référence aux immeubles de rapport de la vieille ville de Berne : parcelles très denses, inclinées vers la rivière, dont l’étroitesse ne permet qu’une seule pièce et un couloir. Situé dans un bois, sur le sommet d’une colline, il représente à la fois un village et une banlieue, et affiche la volonté de mettre la voiture dehors. Une seule rue piétonne le traverse. Halen est inspiré de deux projets de Le Corbusier jamais réalisés : la Cité Permanente de la Sainte-Baume (1948) et Roq et Rob à Roquebrune-Cap-Martin (1949). La grille des loggias de Halen est une copie à l’identique de celle de l’unité de Marseille. On peut mettre en regard la Cité Radieuse et Halen, l’une étant une cité verticale près de la mer et l’autre une cité horizontale dans la montagne. Halen est d’une certaine manière une cité expérimentale où les architectes ont procédé à un recherche de standards.

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atelier 5 à Halen, Suisse, 1955/1961,80 logements en propriété individuelle +

équipements en copropriété

Dans l’héritage de ces projets, citons également toute la vague de logements proliférants des années 70, avec leurs grandes terrasses individualisées : Andrault et Parat à Évry, logements « intermédiaires » en gradins des banlieues «rouges» de l’AUA, immeuble en étoile de Jean Renaudie... Les architectes de l’époque cherchaient à concilier les avantages reconnus des deux familles d’habitat : collectif et individuel. Les premières études s’orientèrent vers un type de « maisons appartements » organisée autour d’une vaste terrasse, espace libre, territoire donné à la famille. Un petit nombre de logement s’organisait dans un volume pyramidal intégrant en son centre les garages et les locaux techniques. Ce type d’habitat, à moyenne densité, permettait de restituer la totalité des espaces extérieurs aux piétons et d’assurer une meilleure continuité entre l’habitat individuel et collectif.

Plus récemment, le japonais Riken Yamamoto, dans son article intitulé Cell City, la ville cellulaire, paru en 1999 à l’occasion d’une exposition à l’IFA, comparant ville arabe et ville occidentale, théorise le principe de ville cellulaire et explique les origines des maisons à patio en se basant sur l’exemple de la ville « marocaine » de Ceuta (en territoire espagnol) : vaste labyrinthe, dédale, ruelles étroites, passages souterrains, impressions de surprise.... « À chaque pas, le décor change à un rythme vertigineux. En passant à travers ces différents espaces, on en vient presque à percevoir la respiration de la ville. […] S’il existe une ville originelle, c’est celle-ci. Elle a tout ce que nos villes ont perdu. Elle ne ressemble pas aux cités grecques ou romaines, ni à celles de l’âge de la Renaissance ni, bien évidemment, à celles des temps modernes. Impossible d’imaginer un plan d’ensemble. Rien ne suggère l’intervention d’un urbaniste réalisant un dessein. Tout est improvisé. Rien, dans ce décor en constante mutation, ne trahit l’existence d’un plan préconçu. Photographiée depuis les airs, une ville arabe ressemble à un amas de cellules vues au microscope. Les maisons bâties autour de leur cour intérieure ressemblent à des noyaux cellulaires. Au cœur de ces grappes de cellules résidentielles, il reste juste assez de place pour caser des mosquées, des petites places et des centres commerciaux. Dans les villes occidentales, priorité est donnée au plan d’ensemble. On

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commence par concevoir la vision globale de la cité et les bâtiments sont simplement considérés comme ses composants. La ville arabe se présente d’une manière totalement différente. Les composants y sont prioritaires. Bien que le développement de la ville paraisse improvisé, le fait est que chaque bâtiment, chaque cellule porte des « gènes » dotés de mémoire. Ainsi, au fur et à mesure que les cellules se multiplient, le tissu urbain se développe de façon naturelle. La ville occidentale progresse de façon linéaire vers sa forme définitive et se trouve à chaque instant à un stade intermédiaire de son développement. Elle n’a pas de grande capacité à s’adapter au changement, car elle suit une direction bien tracée. Tout événement brutal ou imprévisible peut remettre en cause l’intégralité de son plan tout entier. [...] Je crois que la flexibilité des villes arabes montre les limites de l’approche occidentale en matière d’urbanisme, fondée sur la priorité donnée au plan d’ensemble. » Cet article montre bien l’héritage oriental du modernisme, de toute la période du logement proliférant et au final des petites nappes de maisons à patio qu’on retrouve aujourd’hui.

accès

zones humides

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espaces extérieursprivatifs (patios)espaces communs partagés

Emile Aillaud, quartier des Patios à Grigny, 1970

atelier 5 à Halen, Suisse, 1955/1961,80 logements en propriété individuelle +

équipements en copropriété

Candilis, Josic, Woods, quartier expérimental de Bellefontaine

à Toulouse, 1969, 25 à 30 logements à l’hectare

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b . Quels logements dans ces maisons à patio?Qui habite dans ces nappes de maisons à patio? Quelle est la taille de ces logements? Constate-t-on une certaine mixité de type de logements ou bien ces projets sont-il monotypes? Comment sont gérés la mitoyenneté et le rapport entre les espaces partagés et les espaces privatifs? Une analyse typologique et chronologique du corpus de ce mémoire s’impose...

Entre 1955 et 1961, à Halen, en Suisse, l’Atelier 5 a aménagé des ruelles, des places, des lieux qui facilitent la vie sociale, au sein de 80 habitations en propriété individuelle et des installations communes en copropriété. On y retrouve une volonté d’intimité et de confort, associée à un caractère « bourgeois libertaire » de ses occupants (copropriété, voitures parquées à l’entrée du site, équipements collectifs, piscine...), une hiérarchie des distributions, avec des protections murées des jardins et rôle essentiel de la végétation. Les maisons sont disposées sur 3 niveaux avec un jardin privatif et des pièces principales qui font face à la vue, une absence de façade et des pièces communes qui occupent le niveau intermédiaire. À Halen, l’entrée se fait donc au niveau intermédiaire, des escaliers descendent vers les chambres et les jardins, et montent vers la pièce principale. Les architectes de l’Atelier 5 expliquent que si les logements individuels « en tapis » doivent nécessairement être introvertis, ils doivent aussi être ouverts au monde extérieur à certains points clés : ici, l’ouverture vers l’extérieur est au niveau des pièces communes, ainsi les pièces de sommeil sont au calme, loin des accès.

En 1969, Candilis, Josic et Woods réalisent le quartier de Bellefontaine, au sein de Toulouse Le Mirail. Il s’agit d’une nappe de maisons à patio sur deux niveaux, avec un rez-de-chaussée continu et un étage ponctuel. Tout est fait pour que les habitants se croisent le moins possible, alors que la densité est très forte, ils ne sont en contact qu’avec leur voisins très proches (les seuils sont communs à trois maisons), mais les jardins ne communiquent pas entre eux ; il y a toujours des éléments bâtis qui les séparent. L’imbrication des logements, organisés de NEXUS WORLD HOUSING, OMA,

Fukuoka, Japon, 1991, 24 maisons

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plan du second étage

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manière concentrique, est particulièrement compliquée pour éviter au maximum trop de mitoyenneté.

A la même époque, en 1970, Emile Aillaud réalise le quartier des patios à Grigny, au sein du quartier de la Grande Borne. Ici, les logements à patio de plain-pied sont organisés en bandes épaisses avec des patios placés en quinconce pour éviter qu’ils communiquent entre eux. Chaque bande regroupe environ huit maisons. La partie jour du logement s’ouvre sur la venelle. Chaque maison dispose d’un large patio, aux dimensions proches d’un jardin. Ici la densité se ressent moins grâce aux espaces publics entre les bandes de bâti et à la faible hauteur des constructions.

La résidence NEXUS WORLD HOUSING (Fukuoka, Japon, 1991) est une réponse d’OMA, agence occidentale, à la question : « introduire un nouveau style de vie au Japon ». Les logements sont ici des unités accolées pour produire une nappe sans espace vide. Chaque maison possède un patio privatif qui fait entrer lumière et espace à l’intérieur de chaque unité. Il y a deux unités de 12 logements, toutes deux encerclées par une enceinte épaisse, un mur « cyclopéen ». Les logements sont en triplex et disposent de deux escaliers : l’un monte, l’autre descend. Deux typologies d’étage coexistent : 2 pièces + sdb + vide sur patio (disposition en L) et 3 pièces + sdb + vide sur patio (disposition en U). Les vides des patios sont répartis régulièrement dans la trame. Les logements sont sur trois niveaux, et sont tous orientés de la même façon, ce qui permet de conserver une certaine intimité puisqu’il n’y a pas de vis-à-vis. Les courbes de la toiture en débord apportent de l’ombre aux heures chaudes de la journée. Il n’y a pas d’espace public, pas de lieu de rencontre spontanée entre habitants (à part les parkings en sous-sol...).

À Amsterdam, dans le projet de l’agence MAP Architectos réalisé en 2000, à l’occasion de l’aménagement de ma péninsule de Bornéo, chaque maison dispose d’une entrée indépendante, d’une terrasse et d’un patio. La densité est très forte, (même si les architectes ont

Patrick Hernandz, Pessac-Candau, 2003, 34 maisons

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espaces extérieursprivatifs (patios)espaces communs partagés

MAP Architectos, Amsterdam, NL, 2000, 26 maisons

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construit un peu moins de logements que ce qui était demandé) mais les usagers sont satisfaits par la bonne isolation phonique, et la luminosité des logements. En revanche, la terrasse en verre étant très mal isolée thermiquement, il fait trop froid dans le patio. Le rez-de-chaussée est surélevé et il y a beaucoup d’escaliers. Ce projet très compact pose également un autre problème : tous les logements sont mono-orientés, mais beaucoup de lumière naturelle émane du patio. Cet ensemble de logements apparaît donc comme un objet clos, le traitement relativement uniforme des façades renforçant cet effet. Il ne dispose pas d’espace public en son sein, mais sa situation au bord de l’eau permet certainement des rencontres entre les habitants : l’espace public des berges encercle l’ensemble des logements et est propice à la socialisation. Ce modèle d’habitation en bande offre une possibilité de multiplication à l’infini. Les logements sont ponctués de patios et de pièces « en plus » à l’arrière des patios, permettant la modularité de l’ensemble. L’effet de nappe est bien présent et donne l’impression d’un ensemble clos.

Dans la nappe de logements réalisée par l’architecte Bordelais Partick Hernandez en 2003 à Pessac-Candau, il y a des espaces semi-publics à l’intérieur de la nappe. Dans le projet voulu par l’architecte, des venelles publiques traversent la nappe du nord au sud, mais elles sont aujourd’hui closes par des portails. Les maisons font référence à l’habitat traditionnel de l’île de Ré, avec ces maisons blanches, organisées autour d’une cour pour se protéger du vent. Toutes les maisons sont en L ou en U selon leur taille.

En 2005, en créant le Donnybrook Quarter à Londres, Peter Barber a souhaité, quant à lui, rompre avec une approche trop conservatrice du logement. Il a voulu un quartier célébrant la vie publique. Pour Peter Barber, le rôle social prépondérant des espaces publics est un catalyseur des activités humaines. L’îlot est conçu comme un morceau de ville, rues et habitat mêlés. Les accès aux logements se font directement depuis l’espace public. Aujourd’hui les habitants ont cloisonné leurs seuils, comme pour se protéger et recréer les entrées typiques des

espace public

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espaces extérieursprivatifs (patios)espaces communs partagés

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escalier privatif?commerce/atlier espace privé espace privé

escalier privatif?espace public rue

espace publicespace privé espace privé

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escalier privatif?espace public rue

Peter BARBER, Londres, UK, 2007, 41 logements+ateliers

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logements à l’anglaise. Les maisons sont sur deux ou trois niveaux et certains disposent d’atelier. Les terrasses sont inscrites dans les creux de la nappe, souvent placées entre deux murs.

Pour le projet de la Bottière à Nantes, l’agence Boskop Architectes a développé cinq points expérimentaux pour répondre à la demande originale du maître d’ouvrage. 1) Les pièces sont de tailles identiques, des carrées d’environ 4 m par 4 m. L’idée est que l’habitant puisse inventer son propre logement afin que la part créative ne soit pas réduite à l’architecte, mais soit aussi partagée par l’habitant. Le modèle se veut très flexible et appropriable. Chaque pièce possède une orientation au soleil et un rapport à l’extérieur différent. 2) Ces pièces sont appropriables et organisées autour d’un jardin central intime ou d’une terrasse. Le jardin est au centre du logement, et constitue comme une sixième pièce. L’habitation elle-même dispose de quatre pièces d’un côté, et d’une qui est isolée du logement, de l’autre côté du jardin. Cette dernière, appelée la « pièce de vis-à-vis », reprend l’idée d’un « ailleurs chez soi », qui permet d’avoir, dans le logement, des lieux où l’on peut s’extraire. 3) On entre dans les logements par le jardin. Les logements, qui se veulent toujours très ouverts, se déploient dans la longueur, dans la largeur et dans la hauteur, et se développent en trois dimensions. 4) Le quatrième point expérimental est le fait que les habitants puissent se stabiliser dans leur logement. Quand la famille change, on peut « rendre une pièce ». L’opération comporte 100 % de T3, avec des pièces qui peuvent permuter d’un logement à un autre. Le maître d’ouvrage a accepté d’essayer ce système sur 18 logements, c’est-à-dire sur un tiers de l’opération. Il y a donc en tout 6 « pièces + », qui peuvent basculer vers trois logements différents, et 18 logements qui sont « mobiles ». EDF a mis en place des compteurs interchangeables d’un logement à l’autre. 5) Tout le projet fonctionne sur des doubles bandes de logements avec une bande de jardins privatifs entre et séparées par une bande de jardin semi-public. Il existe également des cours communes pour que

accès

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la Sècherie, ZAC de la Bottière, Nantes,

Boskop Architectes, 2008, 55 logements

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les locataires puissent faire connaissance, car ils ont des accès à leurs logements qui ne se croisent pas… « Ils sont complètement les uns sur les autres, mais ils ne se croisent jamais, ce ne sont pas des voisins de palier » dit Sophie Delhay… On compte donc 4 « portes secrètes » – chacune dans un logement –, qui donnent sur une cour commune partagée par ces 4 logements. Pour Sophie Delhay, on partage mieux un espace commun quand on a par ailleurs la possibilité de jouir d’un espace extérieur privatif. Les architectes ne voulaient pas « laisser les habitants indifférents » au fait de vivre ensemble.

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Lucie Curmi : Comment qualifierez-vous le type d’habitat que vous avez réalisé à Candau ? Patrick Hernandez : Ce n’est ni de la maison individuelle, ni de l’habitat intermédiaire, pour moi c’est vraiment un « hameau ». Ce projet s’inscrit dans un espace urbain assez particulier : une sorte de « semi-campagne », un tissu pavillonnaire assez aéré avec une faculté pas loin. J’ai voulu réaliser un hameau qui regroupe des maisons, une sorte de contraction de l’habitat pavillonnaire sur une petite surface.

L.C : Assumez-vous l’inspiration que l’on pourrait qualifier « d’orientale » de ce projet ? P. H. : Non, pas du tout ! En fait, l’inspiration se trouve plutôt du côté de l’île de Ré. Si vous regardez l’habitat typique de l’île de Ré, vous reconnaitrez ce type de maisons orientées sur des patios, protégées du vent ; c’est vraiment une architecture climatique adaptée au Sud-Ouest. Vous pouvez voir dans mon projet qu’il n’y a pas de toit plat : on est donc loin de la médina… Il y a par contre des avant-toits pour se protéger de la pluie ou du soleil. C’est peut-être la couleur blanche qui donne cette impression ; en même temps, les maisons de l’île de Ré sont elles aussi très blanches.

L.C : Avez-vous eu des retours sur la façon d’habiter ce projet ? P. H. : Pas tellement… C’était un projet destiné à la location, et pour des personnes ayant des revenus très bas qui, pour la plupart, avaient été transplantées là et venaient de grands ensembles de logements. Elles étaient donc ravies de se retrouver dans une « maison individuelle » lors de l’inauguration. La façon d’habiter ici est beaucoup plus « douce » qu’en banlieue. J’ai appris que les espaces communs étaient souvent investis par les enfants et qu’ils présentaient l’avantage de la facilité de surveillance depuis les logements. Des rencontres entre voisins se font souvent dans les cours communes. Mais globalement, les

Interview de Patrick Hernandez,architecte bordelais

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gens n’investissent pas leur maison, car ils sont locataires, ou seulement très peu d’entre eux.

L.C : Aujourd’hui on parle beaucoup de « résidentialisation ». Avez-vous eu écho de difficultés quant aux venelles qu’on peut traverser librement ? P. H. : Au départ, ces venelles n’étaient pas complètement publiques : il y avait des portails qui devaient rester ouverts. Aujourd’hui, il me semble qu’ils sont la plupart du temps fermés.

L.C : Est-ce le maître d’ouvrage qui vous a orienté vers ce type de projet ? P. H. : Non, pas du tout. Au début du projet, sur la parcelle, il y avait une ancienne maison de retraite, style « mini-cité radieuse » avec tous les avantages que cela peut composer… On était supposés transformer ce bâtiment en logements de qualité. Mais il y avait trop de contraintes avec le POS de l’époque ; on ne pouvait pas épaissir le bâtiment ni construire à plus de cinq mètres de hauteur. Il y avait donc trop de contraintes pour une telle réhabilitation. J’ai donc proposé ce « hameau ». J’ai montré au maître d’ouvrage, DOMOFRANCE, qu’en rassemblant toutes les maisons alentours on pouvait réaliser cette forme urbaine.

L.C : Pour réaliser cette forme de projet et atteindre les objectifs de densité voulus par le maitre d’ouvrage, vous avez donc été obligé de détruire l’existant ? P. H. : Ils ne parlaient pas de « densité » ; ce qu’ils attendaient, c’était des solutions.

L.C : Ce projet est-il devenu un « point de repère » dans le quartier ? P. H. : Oui, en quelque sorte. Je voulais structurer le quartier, c’est devenu un lieu bien identifiable.

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2. Quelle densité pour quel espace urbain?

a . Existe-t-il une densité idéale pour ce type de projet?

b . Quel est le rapport de ces «nappes» à l’espace urbain?

c . Les limites spatiales de ces «nappes»

MAP Architectos, Amsterdam, NL, 2000, 26 maisons

la Sècherie, ZAC de la Bottière, Nantes, BOSKOP & DELHAY, 2008, 55 logements

locatifs sociaux

Emile Aillaud, Grigny, plan d’ensembl e de la Grande Borne avec en bas à droite, les maisons à patio

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a . Existe-t-il une densité idéale pour ce type de projet?

Toulouse, 25 à 30 logements à l’hectare, 1969

Japon, 24 logements, 1991

Londres, 41 logements et ateliers, 2007

Nantes, 55 logements sociaux, 2008

Grigny, 206 logements, 1952

Quel est le nombre de logements idéal pour ce type de projet ? Existe-t-il un nombre minimum ou maximum de logements possible ? Contrairement à l’habitat proliférant qui pouvait s’étaler et atteindre plus de 200 logements, ces projets ont une ceinture, une limite.

Dans les projets des années 60/70, il semble que l’exercice était de réaliser des nappes d’une densité maximum en faisant des logements individuels à patio qui communiquaient le moins possible : le quartier de patios à Grigny par Emile Aillaud et le quartier de Bellefontaine à Toulouse par Candilis, Josic et Woods en sont des bons exemples. Dans les exemples des années 90/2000, la densité est légèrement moins forte, mais les objectifs des concepteurs sont différents : on voit apparaître de nouveau des espaces communs partagés, des venelles semi-publiques… Aujourd’hui, l’échelle de ces projets est d’environ une petite trentaine de logements pour les résidences privées et destinées à la vente, tandis que les projets de logements sociaux locatifs ou en accession en regroupent le plus souvent une cinquantaine. À Nantes, par exemple, les logements individuels à patio de l’agence Boskop sont groupés en bande. La densité atteinte est très forte (100 logements/ha). Ces projets sont peut-être issus de la volonté de certains architectes de créer des monuments résidentiels, des objets, à travers ces blocs compacts de maisons à patio. En effet, un projet de logement est beaucoup moins monumental qu’un équipement par exemple. En rendant un ensemble de logements compact, en en faisant une nappe, on lui donne un allure d’objet-icône, d’œuvre monolithique… Dans ce type de projet relativement dense, il faut bien distinguer la

Candilis, Josic, Woods, quartier expérimental de Bellefontaine à Toulouse, 1969, 25 à 30 logements à l’hectare

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densité brute de la densité nette. La densité brute prend en compte l’espace extérieur à la parcelle, un espace vide, de respiration, qui peut permettre à la parcelle d’être très dense. La densité nette est celle qui est calculée uniquement sur les marges de la parcelle. A Nantes par exemple, pour le projet de la Bottière, une telle densité a été possible grâce à la présence d’une grande coulée verte en contrebas : la densité brute prend en compte la surface de ce parc. A Fukuoka par contre, le projet d’OMA s’inscrit dans un contexte beaucoup plus urbain et il n’y a pas d’espace de respiration : la densité brute est égale à la densité nette. A Londres, grâce à la générosité de l’espace public au sein de la parcelle, la densité est un peu moindre. Il est également intéressant de préciser que ce type de projet est moins cher à l’exploitation, et il offre une densité quasiment équivalente au petit collectif (sous réserve que la place de la voiture soit bien réglée), avec beaucoup moins de parties communes, donc beaucoup moins de charges et d’entretien de ces espaces.

NEXUS WORLD HOUSING, OMA, Fukuoka, Japon, 1991, 24 maisons

Patrick Hernandz, Pessac-Candau, 2003, 34 maisons

vue aérienne d’une médina

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b . Quel est le rapport de ces «nappes» à l’espace urbain?

Ces projets de petites nappes s’inscrivent à l’échelle de l’îlot, pour mieux s’intégrer, mais cette échelle les sert et les pénalise en même temps... Le rapport à l’espace public immédiat et lointain de ces projets est toujours délicat, et il est devient alors nécessaire de se questionner sur le traitement des limites de ce type de projet.

Ces nappes apparaissent ainsi comme des objets autonomes, dans une place normalement réservée aux équipements. Cette échelle de l’immeuble, de l’équipement, met aussi en valeur le décalage vernaculaire et le manque de porosité de ce type d’habitat. Riken Yamamoto parle du monumentalisme. Pour lui, « c’est vouloir resplendir tout seul dans le noir. C’est penser qu’un bâtiment isolé peut constituer un tout complet. Le fait est que tout bâtiment finit par être trahi par sa relation avec l’environnement. [...] Je veux des bâtiments qui soient des éléments de construction urbaine, des cellules. Faire de l’architecture, quelle qu’elle soit, c’est s’impliquer directement dans la ville.» Il existe peu ou pas d’espace public dans ces typologies… mais, est-ce un principe de précaution afin d’éviter le face-à-face et les problèmes d’insécurité, ou est-ce seulement la très forte densité qui empêche la présence d’un quelconque espace public du fait du manque d’espace? À quel espace urbain ce type de projet correspond-il le mieux?

Dans le projet de l’agence OMA à Fukuoka au Japon, Nexus World Housing (1991), constitué de 24 maisons, le mur d’enceinte reprend les vagues de la toiture, comme une adaptation au contexte urbain ou la prolongation de la métaphore montagneuse des alentours de la ville. Mais ce projet présente un gros problème de porosité : du fait de la densité, la congestion est très forte, et plus aucun espace n’est laissé à la rencontre (pas d’espace de stockage pour les vélos, non plus). Le rez-de-chaussée est très minéral et peu accueillant.

Peter BARBER, Londres, UK, 2007, 41 logements+ateliers

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Le projet de Peter Barber, à Londres (2007), regroupe 41 logements, des ateliers et des surfaces commerciales en bordure de l’îlot. Cette « nappe », aérée sur deux niveaux, contraste vraiment avec la ville de Londres, et donne une impression d’îlot grec ou méditerranéen en plein milieu de cette ville grise et pluvieuse. Comment s’insère-t-elle dans le tissu urbain en tant qu’objet si différent du reste ? Un réel décalage a été voulu par l’architecte qui veut sortir des clichés architecturaux victoriens de son pays. Le contraste est renforcé par l’utilisation des murs blancs, par le vocabulaire architectural de la nappe aux angles arrondis. A la vue de tels objets architecturaux, comme les nappes de Pessac-Candau ou de Londres, la première sensation urbaine éprouvée est sûrement de l’étonnement.

Pour Sophie Delhay, c’est le traitement matériel de ces nappes et non pas leur forme urbaine qui crée un tel contraste urbain. Elle explique que des logements intermédiaires contemporains, non construits en nappe, fabriqueraient un même décalage dans la ville traditionnelle. Dans ses récents projets, Sophie Delhay souhaite mixer les habitants, faire vivre ensemble propriétaires et locataires… une idée qui n’est pas simple à réaliser, car les maîtres d’ouvrage posent leurs conditions. S’ils l’acceptent, des distances doivent cependant être observées : pas les mêmes accès, pas de cour commune partagée par des propriétaires et des locataires... Peter BARBER, Londres, UK, 2007,

41 logements+ateliers

Peter BARBER, Londres, UK, 2007, 41 logements+ateliers

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c . Les limites spatiales de ces «nappes»La question des limites est-elle la même que dans l’architecture proliférante des années 60 ? Ici, c’est l’échelle de l’îlot qui est davantage utilisée pour s’intégrer dans la ville actuelle, mais, de ce fait, on observe une fabrication de petits « ilôts-nappe » en décalage, avec un rapport au vernaculaire environnant inapproprié : une architecture proliférante, mais de petite taille et ceinte par une limite...

Ce type de projet questionne de nouveau le rapport de l’individu au groupe, en créant des ensembles d’habitation par opposition au cocon familial barricadé d’hier. La vision que porte Riken Yamamoto sur la famille, au sein de l’habitat, examine également la notion de limite d’un ensemble de logements en fonction de la cellule familiale : il parle de la « solitude des familles ». Selon lui, « toute famille est solitaire parce que limitée dans son étendue.» « La maison abrite une entité appelée famille. [...] Nous sommes dans une impasse. Nous dessinons des habitations pour des cellules familiales, alors que celles-ci ne sont plus à même de remplir leur fonction d’unités sociales de base. [...] De fait, la conception de projets résidentiels collectifs implique une contradiction. Si une famille unique vivant dans une habitation unique constitue effectivement une unité sociale autosuffisante, il n’existe aucune raison évidente, inhérente à cette unité, pour constituer un ensemble avec d’autres unités. D’un autre côté, s’il existe une raison inhérente à l’unité elle-même de constituer un tel ensemble, cela signifie qu’une famille seule vivant dans une habitation unique a cessé dans une certaine mesure d’être autosuffisante. La conception de projets résidentiels collectifs se fonde sur le postulat de l’autosuffisance de l’habitation/cellule familiale. Si une habitation constitue une entité, le concepteur cherche des raisons de constituer un ensemble non pas dans l’unité elle-même, mais à l’extérieur de celle-ci. [...] Dans une telle situation, toute tentative visant à créer de force des espaces collectifs ne réussit qu’à aggraver les choses. Des espaces, de nature un tant soit peu collective, sont complètement superflus tant que l’illusion d’une habitation/cellule familiale autosuffisante se maintient. Exprimer le

MAP Architectos, Amsterdam, NL, 2000, 26 maisons

la Sècherie, ZAC de la Bottière, Nantes, Boskop Architectes, 2008, 55

logements locatifs sociaux

NEXUS WORLD HOUSING, OMA, Fukuoka, Japon, 1991, 24 maisons

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besoin d’espace collectif reviendrait à admettre que l’habitation/cellule familiale n’est plus autosuffisante. […] Des problèmes surgissent lorsque les habitations/cellules familiales interfèrent les unes avec les autres, remettant en question leur autosuffisance. Les unités sont forcées d’entrer en relation alors qu’elles ne possèdent pas les ressources internes nécessaires. […] L’idée selon laquelle, dans la planification de complexes résidentiels, on doit rechercher la multiplication des rencontres est contradictoire en soi. Si la famille constitue une communauté autosuffisante, alors un ensemble de famille ne peut former une nouvelle communauté. [...] En toute logique, un ensemble de familles ne peut se transformer en une grande communauté tant que ces familles conservent leur autosuffisance. Or ce postulat de l’autosuffisance de la famille prévaut aujourd’hui et constitue le principe de tout projet résidentiel collectif. Mais ce postulat n’a qu’une vérité de principe. Car parallèlement, l’incapacité croissante de la famille à fonctionner en tant qu’unité sociale est bien réelle. Ce déficit ouvre la possibilité d’une communauté collective. […] L’autosuffisance est un des préalables d’une cellule urbaine. » Yamamoto sous-entend que pur que de tels projets de nappe fonctionnent, il faudrait que les cellules familiales soient remises en question.

Dans les projets de Nantes et de Pessac, malgré les objectifs de porosité prévus par les architectes, on ne peut pas, aujourd’hui, entrer dans les nappes à cause de la résidentialisation : des portails ont été installés à l’entrée des venelles qui devaient être semi-publiques. Mais, les principes de vie entre les logements semblent fonctionner à l’intérieur de la nappe à la Bottière. Le projet de Londres est peut-être celui qui est le plus réussi: La porosité urbaine est possible grâce à la présence de commerces en rez-de-chaussée. De plus, les espaces urbains à l’intérieur de la nappe sont très larges. La situation urbaine de l’îlot, dans un carrefour, favorise aussi son interactivité avec son contexte urbain. À Amsterdam, les limites, inhérentes au site, sont formées par l’eau, tandis qu’à Fukuoka, la nappe réalisée est très imperméable, et l’effet est renforcé par le mur d’enceinte cyclopéen... Les limites de ces projets servent-elles à cacher ce qu’il se passe à l’intérieur des nappes ? à protéger les habitants ? Cette volonté de protection serait contradictoire avec le côté communautaire de ces logements. De plus, comme les limites de ces projets sont très fortement marquées, il n’y a aucune possibilité d’extension, contrairement à l’architecture proliférante des années 70, ce qui fige le modèle et le rend peu flexible.

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Dans cette interview réalisée en 2002 par Sabine DREY à Barcelone, la revue Detail interroge l’architecte sur les différences culturelles qu’il a pu constater en matière de construction, de chantier et de type d’habitat.« La coopération étroite entre les autorités publiques, l’urbaniste, le maître d’ouvrage et l’architecte est ce qui a permis à l’aménagement urbain de la péninsule de Bornéo à Amsterdam d’être un projet aussi exceptionnel – un projet où deux nationalités aux traditions et aux mentalités différentes se rencontrent. Josep Lluis Mateo nous a permis de venir jeter un œil sur ses méthodes de travail, son processus de construction et les différences de culture qui existent entre les Pays-Bas et l’Espagne. »

« Detail : Comment est organisée votre agence ?Mateo : Il faut d’abord que je vous explique comment l’agence s’est formée. J’ai commencé à travailler en tant qu’architecte au début de la vingtaine, mais pendant les dix premières années, j’ai principalement travaillé comme critique d’architecture et éditeur en chef de la revue « Quaderns » (revue Catalane, ndlr). L’agence était très petite au début, et nous travaillions avec beaucoup d’engagement personnel. Aujourd’hui, je suis toujours aussi impliqué, même si l’agence est plus

Interview de Josep Lluis Mateo,architecte espagnol

Revue détail, 2002, numéro 3, pp.266-267.traduite de l’anglais par l’étudiante

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grande et a une structure organisée professionnellement. Mon associé, Marta Cervello, prend en charge le management et l’organisation de l’agence. Il y a également 4 ou 5 chefs de projets qui gèrent des équipes de 4 ou 5 architectes assistants.

Detail : Comment se passe la conception au sein de votre agence?Mateo : Depuis le tout début, nous travaillons avec des maquettes et des croquis. Initialement, les maquettes étaient très petites, embryonnaires, sculpturales. Ensuite, elles ont grandi et ont acquéri une définition technique. A un certain point, elles atteignent une telle taille que nous créons des prototypes – d’éléments de façades, par exemple. Une autre approche est le travail sur les photos de maquettes.

Detail : Pouvez-vous nous expliquer l’approche conceptuelle du projet de Bornéo ?Mateo : L’idée était des créer un monolithe distinct qui aurait l’apparence d’une sculpture – avec les vides des patios intérieurs. Les limites sont clairement définies, et le monolithe est entouré par l’eau sur trois côtés. C’est un peu un bâtiment proue d’un côté, avec les vues ouvertes sur l’eau. Le monolithe est plus haut et plus fermé au nord, et plus bas au sud pour permettre à la lumière d’entrer dans les patios. La structure porteuse est articulée par un système strict de refends parallèles, tandis que la géométrie intérieure est cachée et donne au schéma son côté magique.

Detail : Quels sont les particularités urbaines de ce bâtiment ?Mateo : La ville avait choisi l’urbaniste, Adriaan Geuze, pour superviser le projet ; Il a été notre partenaire pour la négociation. Notre collaboration a été extrêmement positive. Il ne nous a pas seulement aisé à réaliser le projet, il a aussi jouer un rôle de médiateur pour nous.

Detail : Quelles ont été les contraintes urbaines et constructives sur ce projet ?Mateo : Le nombre maximum d’appartements était spécifié. En fait, on en a réalisé un peu moins. Les logements devaient prendre la forme de

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maisons mitoyennes, et chacun devait avoir son propre espace extérieur privatif : un patio, une terrasse ou une loggia. Toutes les maisons devaient avoir des toits plats, et seuls quelques cas exceptionnels devait dépasser les 3 niveaux, et le rez-de-chaussée devaient être haut de 3,50m. Des façades en brique étaient demandées pour toute la péninsule. Bien que la brique soit une évidence ici, j’ai réussi à créer une façade en bois pour établir un lien avec les bateaux – et parce que le client avait aussi une entreprise de charpente. Les Néerlandais sont prêts à faire des compromis. C’est une nation de commerçants.

Detail : Comment s’est déroulée la collaboration avec le maître d’ouvrage néerlandais?Mateo : En général, les associés étrangers sont un peu nos représentants locaux. Nous profitons de leur savoir-faire, mais c’était aussi important pour nous de participer à toutes les décisions clé du processus, comme les discussions à propos des dimensions. Le fait que nous ayons des assistants à l’étranger ne veut pas dire que nous les laissons prendre toutes les décisions.

Detail : Dans quelles proportions êtes-vous impliqué dans le processus de construction dans vos projets espagnols?Mateo : Nous essayons de maintenir des liens étroits lors du processus de construction dans tous les projets sur place et à l’étranger. Pour moi, l’architecture n’est pas juste un problème conceptuel, c’est aussi une question de design de matériaux et de construction. C’est ce qui forge un lien entre les idées et la réalité physique. Le concept doit être proche et lié de manière logique à l’exécution. Les problèmes qui apparaissent au stade du chantier sont aussi source d’idées, qu’on peut utiliser pour intensifier le design ou parfois le repenser. Ce processus m’a toujours intéressé. Je veux être impliqué dans toutes les décisions prises par les ingénieurs et avoir l’opportunité de les influencer.

Detail : Avez vous eu besoin de modifier beaucoup de vos idées de départ afin de répondre aux contraintes constructives à l’étranger?Mateo : Je considère ce type de modifications comme des sources

d’inspiration. En Espagne, l’architecte est traditionnellement intégré étroitement dans l’ensemble du planning et de la phase de chantier. Il supervise le projet jusqu’à la livraison. Je suis convaincu que c’est important pour l’architecte d’être impliqué de cette façon. Dans ce monde de spécialistes, personne d’autre n’est capable de diriger le processus dans son ensemble. Si l’architecte ne le fait pas, personne ne le fera.

Detail : Quelle forme a pris le phasage du projet pour Bornéo?Mateo : Le complexe de logements à Bornéo est un cas spécial. Le phasage a été fait à Barcelone. Toutes les questions constructives étaient discutées ensemble. L’équipe Néerlandaises venait une fois par mois à Barcelone, et nous allions, en échange, une fois par mois au Pays-Bas. Un prototype de la façade a été développé dans des conditions industrielles. Nous l’avons analysé et modifié ensemble. Le résultat est un projet avec un très haut standard d’exécution.

Detail : Aurait-il été possible de construire la même structure en Espagne?Mateo : Non, je ne pense pas, Nous n’avons pas la tradition du bois en Espagne. Les matériaux traditionnels sont la brique et la pierre. Les projets spécifiques requièrent des solutions constructives spécifiques, même en ces temps de globalisation.

Detail : Est ce que les détails de construction auraient été les mêmes en Espagne?Mateo : Notre climat est différent, et donc le traitement de l’isolation n’est pas le même. L’isolation dans la façade de notre projet à Bornéo prend la forme d’une peau continue. C’est comme une couche hermétique sans pont thermique. On ne fait pas ça en Espagne. Nous construisons de manière beaucoup plus monolithique. Malgré tout, je ne me vois pas comme un architecte local. Toutes ces choses sont des conventions que nous devons exploiter pour atteindre nos fins. Dans beaucoup de cas, je me sens tout aussi étranger à Barcelone que dans un autre pays. Dans notre travail, il y a une balance étrange entre distance et proximité.

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Detail : Pensez-vous que c’est possible de faire migrer simplement une maison à patio – qui est plus typique du sud- au Pays-Bas?Mateo : Au final, le concept de maison à patio n’est pas spécifique à une certaine culture. C’est une sorte de paradigme de la maison individuelle, ce qui explique peut-être pourquoi nous avons autant de bons retours de la part des occupants au Pays-Bas. A Bornéo, l’idée des cours intérieures venait de Adriaan Geuze. Ce qui est différent à Bornéo par rapport à la maison à patio espagnol typique, c’est la grande quantité de lumière qui entre dans les maisons. Ça reflète une mentalité très nordique. Ces cours avec des toits en verre, par exemple, seraient difficile à imaginer en Espagne. Dans le sud, le patio sert de protection et régule l’humidité. A Borneo, le toit terrasse, la petite échelle de l’espace domestique, correspondent très bien à la tradition collective de la culture hollandaise. Les gens ne se cachent pas des autres, une certaine ouverture est donc créée.

Detail : De tels espace collectifs ne pourraient pas exister en Espagne?Mateo : Tout y est organisé sur une base beaucoup plus privée. Les maisons seraient conceptuellement beaucoup plus divisées les unes des autres et le toit terrasse serait séparé des autres résidents pas des murs de division. Il y a des domaines privés au Pays-Bas aussi, mais ils sont beaucoup plus ouverts. Personne ne s’inquiète si un voisin regarde dans la maison.

Detail : Est ce que le principe d’espaces communs a été déterminé par l’urbaniste Adriaan Geuze ?Mateo : C’est moi qui est voulu cette articulation, au moins à l’échelle intermédiaire, dans d’autres mots, j’ai décidé de l’articulation entre ce que la maison est – l’intimité qu’elle offre- et ce que la ville est : de l’espace public. Il y a aussi une troisième échelle, plus petite, qui fonctionne comme un espace commun. Cette solution me semble être très attractive pour les occupants. Le paysage miniature distinct est une sculpture artificielle juxtaposée avec le vaste paysage de la rivière et de la mer. »

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3. Quel avenir pour ce type d’habitat?

a . Pourquoi ce type de projet existe-t-il?

b .A qui correspond le mieux ce type d’habitat?

c . Quel avenir pour les maisons à patio en nappe?

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a . Pourquoi ce type de projet existe-t-il?De quelle volonté première naît ce genre de projet ? Est-ce de celle des urbanistes, des maîtres d’ouvrage ou plutôt, est-on en présence d’un bâtiment-objet, œuvre de l’architecte?

Comme il a déjà été souligné, Riken Yamamoto théorise la différence entre l’urbanisme des villes modernes et de la ville cellulaire arabe, qui est selon lui la « ville originelle ». Mais les architectes et urbanistes contemporains ont-ils conscience de leur désir de retour à cette « ville originelle » décrite par Yamamoto ? Le rapport de tous ces projets à l’urbanisme moderniste, héritier de la colonisation, est très prégnant. On peut se demander si les architectes assument de poser un modèle arabe et donc un modèle post-colonial en Europe. Patrick Hernandez, lui, refuse cette comparaison, car il situe les inspirations de son projet de Pessac dans l’habitat vernaculaire de l’île de Ré, tandis que Sophie Delhaye, de l’agence Boskop, admet cette relation à la ville arabe. Pour elle, il y a le même plaisir à vivre dans ces nappes de logements que dans une médina. Dans les projets qu’elle réalise aujourd’hui, elle accorde une très grande importance aux espaces communs qui font respirer la nappe : les cuisines des logements s’ouvrent sur des cours partagées par quelques logements... Son rêve serait de pouvoir apporter une mixité sociale au sein de ces nappes en R+1...

Dans le cas de l’opération de la Bottière à Nantes, c’est le maître d’ouvrage, La Nantaise d’Habitation, qui avait reçu une demande particulière – réaliser du logement « urbain, dense, individualisé, expérimental et innovant » – et, avant toute chose, avait demandé aux architectes de concevoir un véritable exercice typologique. À Fukuoka, la demande était également spécifique, à savoir proposer une nouvelle façon de vivre en ville, au Japon. Le projet nous propose la réponse d’un architecte européen : OMA, pour sortir des standards de l’habitat et trouver des alternatives à la densité, à l’immeuble. Pour le projet d’Amsterdam, la volonté première de l’urbaniste de l’ensemble de la péninsule de Bornéo, Adriaan Geuze, était de créer des ilots de

à la Bottière, des cours communes sont partagées entre 4 logements, mais les seules qui fonctionnent

sont celles qui donnent sur des cuisines.

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logements très denses avec des espaces ouverts intérieurs. L’urbaniste avait déterminé les hauteurs d’étages. L’architecte espagnol Josep Lluis Mateo a ensuite réalisé un projet monolithique où il réadapte la maison à patio au climat et à la culture des Pays-Bas. Pour lui, le patio n’est pas propre à une culture du sud. Il y a plein de façons de le construire, selon si on veut qu’il apporte de la lumière ou de l’ombre, de la chaleur ou de la fraîcheur… Il explique également que le fait que les toits terrasses communiquent reflète bien la culture nordique.

à Fukuoka, la mitoyenneté est très intense, mais tout semble fait pour éviter les rapports entre logements: il n’y a pas d’espace commun au RDC et les patios ne

communiquent absolument pas entre eux.

à Londres, il y a beaucoup d’espaces publics partagés, et chaque logement bénéficie d’un espace extérieur

privatif, mais la limite entre les deux n’est pas très bien travaillée...

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b .A qui correspond le mieux ce type d’habitat?Qui sont les habitants de ce type de logement ? Des familles, des couples, des personnes seules ? Ce modèle d’habitat et de partage/non-partage correspond-il bien aux attentes et aux modes de vie de la société citadine contemporaine ? À quelle culture s’adapte-t-il le mieux ? Au mode de vie ou à la culture d’un pays, ou d’un autre?

La plupart du temps, ces opérations sont issue d’une demande spécifique et originale d’un maître d’ouvrage, dans un contexte urbain spécifique : c’est le cas du projet de Fukuoka, d’Amsterdam ou de Nantes. Ces projets sont ensuite beaucoup publiés et deviennent des exemples, des laboratoires de l’habitat individuel à patio. Le projet de la Bottière à Nantes par l’agence Boskop architectes est un peu un laboratoire des pratiques micro-urbaines au sein d’une nappe de maisons à patio, car les architectes ont mis en place de nombreux points expérimentaux qui proposent de nouvelles façon de partager les espace, privés ou communs… Malheureusement, peu d’études sont réalisés par la suite sur les usages.

Ce modèle semble plutôt correspondre à une famille alors que la cellule familiale est aujourd’hui très éclatée dans l’habitat. Il prône la cellule familiale fonctionnant sur elle-même, sans trop d’ouverture sur l’espace public. Le postulat de certains sociologues serait que le logement n’est plus le lieu de protection du cocon familial mis à distance du monde extérieur, mais l’endroit où l’identité de chacun se fabrique dans le réglage à la distance d’autrui, comme l’explique Christine Jaillet. Ces associations de logements, ces superpositions, ces regroupements interrogent l’habitation en fonction d’un nouveau paradigme : les rapports de l’individu au groupe par opposition au cocon familial fermé sur lui-même tel qu’il existait auparavant. Riken Yamamoto fait état de cette relation dans ses écrits. La question est donc de savoir jusqu’à quel point ces « nouvelles » formes d’habitat sont susceptibles de créer un urbanisme différent, et quel est leur potentiel de séduction auprès

Ce schéma montre les intentions de Candilis, Josic, Woods pour le quartier de Bellefontaine à Toulouse et

illustre bien l’idée de «proximité spatiale et distance sociale»: la densité et la mitoyenneté sont très fortes,

mais on peut entrer dans son logement en ne croisant que deux de ses voisins... Il n’y a pas d’espace public

partagé.

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d’une population dont les pratiques et les aspirations semblent se tourner vers plus d’urbanité. Cet habitat n’est ni strictement individuel ni strictement collectif ; mais il faut qu’il soit synonyme de confort individuel dans une très grande densité, se situant dans une « proximité spatiale et distance sociale » (Jean-Claude Chamboredon, Madeleine Lemaire, 1970). Cette expression, issue d’un article fondateur de la sociologie urbaine, met en lumière toutes les stratégies d’évitement utilisées par les habitants, leur gestion presque intuitive de la différence. Le logement est l’endroit où l’identité de chacun se fabrique dans le réglage à la distance d’autrui ; ces nappes très denses sont donc censées régler la mitoyenneté, les flux, et les rencontres, de la meilleure manière qui soit. Ces logements sont également, pour la plupart, destinés aux primo-accédants. Certains fonctionnent aussi très bien en locatif social, comme à Nantes ou à Pessac, mais Patrick Hernandez pointe du doigt le fait que les locataires s’approprient beaucoup moins leur logement, et donc se sentent certainement moins impliqués dans la vie collective de la nappe...

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Riken Yamamoto, Pangyo Housing, 2011

c . Quel avenir pour les maisons à patio en nappe?Quelles questions posent ces modèles sur l’avenir des opérations d’habitat ?

Ce type de modèle pose un grand paradoxe : celui de vivre ensemble dans un tissu dense, mais dans une unité fermée et cloisonnée, fonctionnant de façon indépendante. De plus, ces bâtiments sont très peu flexibles – on ne peut pas envisager un autre usage que du logement – ; ils ne pourront donc certainement pas être voués à un autre usage que celui de l’habitat et seront plus facilement détruits… Enfin, aujourd’hui, il serait très difficile de construire des maisons à patio sur plusieurs niveaux en France à cause des contraintes d’accessibilité pour les personnes handicapées... A part à Nantes, ce type de projet s’adapte peu aux évolutions de la famille et du style de vie. Ces modèles sont peut-être un peu trop rigides pour être utilisés plus souvent par les architectes, le manque de flexibilité et de diversité typologique pourrait l’empêcher de perdurer… Malgré des volontés de départ d’ouverture à la ville de la part des architectes, aujourd’hui les venelles qui se voulaient publiques et porteuses de porosité sont bloquées par des portails. Pour le projet « Pangyo Housing » créé en 2011, Riken Yamamoto parle de « clusters ». Chaque cluster, 9 au total, regroupe 9 à 13 unités résidentielles, disposés sur 3 ou 4 étages. La dalle commune au second niveau est connectée avec l’espace traversant appelé « Shiki ». Le « Shiki » est un large espace lumineux qui peut être utilisé comme une salle de dessin, un bureau ou un atelier... Il permet à l’ensemble de se confondre dans l’espace environnant, et ajoute un usage supplémentaire à cet ensemble de logements. Peut-être, est-ce cet usage qui pourrait sauver ce type de projet : pour éviter un trop grand repli, dans le cas d’un îlot uniquement constitué de logements, il ajoute des activités qui rendent cet ensemble poreux.

Au final, la question que pose ce modèle d’habitat est celle de savoir dans quel type de logement a-t-on envie d’habiter aujourd’hui.

Quels rapports veut-on entretenir avec nos voisins ? Ce modèle pose question sur l’avenir de la ville : avec la résidentialisation, on arrivera peut-être un jour à une ville encore plus hermétique qu’aujourdhui, constituée uniquement d’objets clos. Il faut donc continuer les tentatives d’intégration de la ville dans ces ilots-nappes, peut-être en diversifiant leurs usages…

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Pourquoi et comment habiter une nappe de maisons à patio dans un contexte urbain aujourd’hui ?

L’architecture de l’habitat individuel dense des années 60/70 est fortement marquée par le proliférant, avec certaines opérations icônes (comme Habitat 67 à Montréal (1967, lors de l’exposition universelle) et Halen (1955/1961) en Suisse), inspirées du Modernisme et portée par des architectes comme Emile Aillaud ou Georges Candilis. Dans les années 90, les architectes ont essayé de revenir vers cette « densité polémique », mais avec des échelles de projets plus petites, comme le montre le projet de MAP Architectos à Amsterdam, ou celui d’OMA à Fukuoka. Avec les projets de Pessac-Candau ou de Nantes, les années 2000 marquent un retour vers une densité plus sage, vers un habitat dense, à patio, mais interrompu par des venelles ou des placettes. De telles densités sont parfois juste une démonstration (comme à Halen), ou la réponse à un concours (comme à Fukuoka). Ces projets portent un grand décalage vernaculaire, et sont comme des objets posés, là, sans accroche urbaine ni typologique, souvent sans résonnance avec le vernaculaire existant. Ils semblent être porteurs d’une certaine nostalgie du proliférant mais contrairement aux années 70, ils sont inscrits dans un contexte ceint et créent une plus grande individualité. Pourquoi ce type d’habitat existe-t-il ? Il semble qu’il réponde, par sa compacité, à certaines contraintes thermiques très actuelles, et offre de l’individualité et de la densité dans un contexte qui peut être très urbain...

Mais il difficile de l’intégrer dans la ville. D’ailleurs, les projets étudiés dans ce mémoire présentent le plus souvent des façades extérieures très hermétiques. Avec ce type d’opérations, les questions de la limite et de la porosité avec la ville sont alors posées. On peut y voir la volonté de créer un microcosme, mais est-il possible d’utiliser ce modèle dans un rapport poreux à la ville ou bien est-il définitivement cloisonné ? Certains y répondent en mixant les usages au sein de ces projets afin de les rendre poreux, comme à Londres. Mais dans la plupart de ces nappes de maisons à patio, la résidentialisation a eu raison des venelles qui se

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voulaient collectives... Si ces nappes de logements sont un peu trop « hermétiques » avec l’extérieur, mais que l’on peut y vivre de manière collective, à l’intérieur, une grande avancée vers un « vivre ensemble » est alors atteinte... L’avenir de ces nappes de logements peut aussi se trouver dans la conjugaison de divers types de logements, locatifs sociaux et accession, en mixant socialement les populations... De toute façon, ce type d’habitat n’est pas conforme aux volontés d’accessibilité aux personnes handicapées, et en France, ces typologies n’ont que peu d’avenir...

Enfin, il reste à aborder une question d’ordre plus politique : la qualité de vie est-elle compatible avec la densité ? Dorénavant, l’architecte et l’urbaniste doivent apprendre à optimiser ensemble les paramètres d’urbanité, de densité, de confort de vie résidentielle, et à tirer des conséquences positives et citoyennes de la cohabitation. Le grand challenge de ces typologies reste leur insertion urbaine dans la ville « linéaire » occidentale... en évitant de fermer la communauté et en mixant les habitants. Mais, ces nappes sont peut-être trop petites pour cet objectif, et il se pose également un problème culturel. Le manque de fonctionnement vient aussi sans doute de la mixité d’usage : si ces nappes comportaient d’autres espaces que du logement, ou des logements avec des tailles très variées, la porosité pourrait être conservée... Il faut retrouver et maintenir cette porosité pour aller au-delà des rêves des architectes...

Cette typologie marquera peut-être la fin d’une opposition entre l’habitat individuel et la ville…

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