Le discernement avec St François d'Assise

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Le discernement est un processus essentiel dans le choix de vie et les décisions. En quoi St François a-t-il été un précurseur en ce domaine, avant St Ignace de Loyola et quelle est l’originalité du discernement avec les frères et sœurs ? Le discerneme nt franciscai Abbé Bernard Schubiger

Transcript of Le discernement avec St François d'Assise

Le discernement est un processusessentiel dans le choix de vie et lesdécisions. En quoi St François a-t-il

été un précurseur en ce domaine,avant St Ignace de Loyola et quelleest l’originalité du discernement

avec les frères et sœurs ?

Lediscernementfranciscai

Abbé Bernard Schubiger

1LE DISCERNEMENT SPIRITUEL AVEC ST FRANÇOIS

A partir de 2 articles :José Kohler OFM cap : vie franciscaine et discernement, A partird’une lecture des Admonitions de Saint François1.Max Wasseige, OFM : Une lecture du discernement à partir de StBonaventure la legenda major, LM XII 1,22

J’ai essayé de faire une synthèse pour dégager ce que Françoisnous apporte, également comme spécificité (en particuliers encomparaison avec le discernement ignatien).1. LA VISION – LE BUT : CHEMINEMENT VERS LE ROYAUME ENFAISANT LA VOLONTÉ DE DIEU

Dans les admonitions la vision globale est le cheminement vers leRoyaume : les points de départ et d’arrivée sont théocentriques(cf. Adm 1° et dernière Adm 28). On part du Christ : « Voie,Vérité, Vie » (Adm 1), pour aboutir au Très Haut », là où l’onaura « thésaurisé » tous les biens (Adm 28, 1) ; entre départ etarrivée on place des jalons à soumettre à la purification et àconfronter à la promesse du bonheur.Dans la question que St François pose à ses frères : « Queconseillez-vous, frères, que préconisez-vous ? », dit-il. « Dois-je vaquer à l'oraison, ou bien aller et venir pour prêcher ? » (LM12,1), il y a un refrain qui revient sans cesse dans ce texte,c'est la recherche de la volonté de Dieu, de ce qui est agréable àDieu. François semble appliquer la parole de St Paul Rm 12,1-3 :« 1 Je vous exhorte donc, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps –votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là,pour vous, la juste manière de lui rendre un culte.  2 Ne prenez pas pour modèle le mondeprésent, mais transformez-vous en renouvelant votre façon de penser pour discernerquelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui estparfait. » Mais François ne cite jamais ce passage3.La volonté de Dieu est le fil d'or de tout le texte (LM12) :«  François, afin d'accomplir fidèlement et parfaitement toutes choses, se livrait depréférence à ces exercices des vertus, qu'il savait, sous la dictée de l'Esprit sacré, plairedavantage à son Dieu. » LM 12,1

1 Voir http://www.fratgsa.org/pdf/2013-2014/admonitions.pdf 2 Sur le même sujet :http://www.clarissesval.ca/DISCERNEMENT%20ET%20ACCOMPAGNEMENT%20SPIRITUELS%20%282%29.pdf 3 Il faudrait chercher dans les lectionnaires de l’époque si ce passage del’Ecriture était présent. Car François cite la Bible à partir de ce qu’il entendà la messe !

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2Claire elle-même priant avec les autres sœurs, elle recherchât sur ce point la volonté duSeigneur4. Or par une révélation de l'Esprit d'en haut, le vénérable prêtre et la viergevouée à Dieu concordèrent admirablement en cela même que le bon plaisir divin étaitque, héraut du Christ, il sorte pour prêcher5. LM 12,2Cette recherche de la volonté de Dieu est le souci constant deFrançois :"9 Mais maintenant, après que nous avons quitté le monde, nous n'avons rien d'autre àfaire si ce n'est d'être soucieux de suivre la volonté du Seigneur et de lui plaire." 1Rg 22,9.

2. COMMENT DISCERNER L’ACTION DE L’ESPRIT : ADM 12

2.1 LA DISTINCTION DE L’EXALTATION DE SOI ET DE L’HUMILITÉDE LA DÉSAPPROPRIATION L’admonition 12 donne des critères très explicites entredistinguant l’exaltation de soi et l’humilité de ladésappropriation :«  1 Voici comment on peut connaître si un serviteur de Dieu possède de l'esprit duSeigneur  : 2 quand le Seigneur opérerait par lui quelque bien, sa chair ne s'en exalteraitpas, elle qui est toujours contraire à tout bien, 3 mais il se tiendrait plutôt pour plus vil àses propres yeux et s'estimerait plus petit6 que tous les autres hommes. » Adm 12Il s’agit bien ici de discernement car le serviteur de Dieu faitle bien, mais sous la motion de quel « esprit »fait-il le bien ?L’exaltation de soi ou la désappropriation de soi (l’orgueil oul’humilité, la pauvreté, la minorité) qui suit le fait de faire lebien est révélateur du « bon esprit » ou du « mauvais esprit » quihabite l’auteur du bien réalisé. Le signe indubitable, pourFrançois, de la présence de l’esprit du mal c’est l’orgueil(s’exalter) qui est le signe que l’homme s’approprie les dons deDieu puisque Dieu est la source de tout bien : l’admonition 2donne la clef : «  1 Le Seigneur dit à Adam7  : « Mange de tout arbre du paradis, mais tu ne devras pasmanger de l'arbre de la science du bien et du mal8.  » 2 Il pouvait manger de tout arbre duparadis, car, tant qu'il n'alla pas à l'encontre de l'obéissance, il ne pécha pas. 3 Il mange,en effet, de l'arbre de la science du bien9, celui qui s'approprie sa volonté et qui s'exalte du

4 Voir Lc 12 47.5 L'avis est d'autant plus frappant qu'il est donné de concert par deux tenantsde la vie contemplative : l'ermite et la vierge cloîtrée.6 Littéralement, « mineur ». Voir 1Reg 7 2.7 À noter que François ne fait aucune mention d'Ève, comme si Adam résumaitl'humanité et exonérait la femme du poids spécifique de la faute. L'Adam dont ilest question est celui de Gn 1 27 : « Dieu créa Adam à son image, à l'image deDieu il le créa, masculin et féminin il les créa. »8 Voir Gn 2 16-17.9 Notons l'absence du mal.

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3bien que le Seigneur dit et opère en lui10  ; 4 et c'est ainsi que, par la suggestion du diableet la transgression du commandement, la pomme est devenue pour lui la pomme de lascience du mal. 5 Dès lors, il faut qu'il en supporte la peine. » Adm 2

2.2 LA PROGRESSION DU MAL DANS LE CŒUR ET LA VIE DE L’HOMMEDans cette admonition 2, toute la progression du mal dans le cœurde l’homme est décrite avec beaucoup de finesse et de profondeur :

1°. s’approprier sa volonté, c’est-à-dire ne pas chercher lavolonté de Dieu : ce qui est bien, ce qui lui plaît, ce quiest parfait, l’amour (Cf Rm 12,1-3). Contre cela Françoisinsiste sur la désappropriation de soi.

2°. S’exalter du bien que le Seigneur donne, et dont vienttout Bien.

3°. Se laisser tenter par le mal (diable) en le laissant noussuggérer un mal pour un bien encore meilleur

4°. Transgresser lecommandement et effectuerle mal (= mange le fruitdéfendu)

5°. Ce mal devient alorsla science du mal,aveuglement de la raisonet de la volonté

6°. Conséquence il doiten supporter la peine :sa volonté et sa raisonson déréglée et le fruitest amer alors qu’il était présenté comme plus doux etappréciable

Cela reprend le cycle de l’Alliance et du pardon dans la Bible,l’A.T. (fig ci-contre)

2.3 PREMIER CRITÈRE DE DISCERNEMENT : LA DÉSAPPROPRIATIONAinsi se dégage un premier critère fondamental de discernementfranciscain. La présence de l’esprit du Seigneur se manifeste parune attitude fondamentale de désappropriation, et la présence del’esprit du mal par une attitude d’appropriation.Vivre l’Evangile de Notre Seigneur Jésus Christ…, Suivre sestraces…, ce n’est pas seulement imiter la pauvreté humaineextérieure de Jésus de Nazareth mais épouser le mouvement de «kénose », d’abaissement, de désappropriation de NSJC « lui qui decondition divine n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais ils’est dépouillé, prenant la condition de serviteur… » (Phil 2, 6-11 : jamais cité par

10 Voir MARTIN DE, LEÓN, Sermo VI, dans PL, vol. 208, col. 557-558.document.docx

4François parce que toujours vécu lui-même !11) ; lui qui « de richequ’il était, s’est fait pauvre, pour nous enrichir de sa pauvreté… » (2 Co 8, 9 cité en Rb 6,3et 2Lfid 5).Et nous retrouvons la fine intuition théologique de l’Adm 1 : seull’esprit du Seigneur peut nous faire discerner dans l’abaissementeucharistique, comme dans l’abaissement de l’Incarnation laprésence de NSJC.«  17 chaque jour, il vient lui-même à nous sous une humble apparence  ; 18 chaque jour, ildescend du sein du Père sur l'autel dans les mains du prêtre. 19 Et de même qu'il semontra aux saints apôtres dans une vraie chair, de même maintenant il se montre aussi ànous dans le pain sacré. 20 Et de même qu'eux12, par le regard de leur chair, voyaientseulement sa chair, mais, contemplant avec les yeux de l'esprit, croyaient qu'il est Dieu, 21

de même nous aussi, voyant du pain et du vin avec les yeux du corps, voyons et croyonsfermement qu'ils sont son très saint corps et son sang vivant et vrai.  » (Adm 1)Ces deux attitudes fondamentales de la vie spirituelle,désappropriation et appropriation peuvent être discernées danstous les domaines de la vie des frères :

Domaine de l’obéissance : « Bien des religieux, malheureusement,s’imaginent découvrir qu’il y a mieux à faire que ce qu’ordonnent leurs supérieurs  ;ils regardent en arrière et retournent à leur volonté propre.  » (Adm 3)

Domaine de l’autorité : « S’ils se troublent plus de la perte de la charge desupérieur que de la perte de laver les pieds, c’est comme s’ils amassaient un magotau péril de leur âme. » (Adm 4) Invitation au service.

Domaine du savoir : «  Ils sont vivifiés par l’esprit de la sainte Ecriture, ceuxqui n’attribuent pas à leur corps toute lettre qu’ils savent et désirent savoir, maisqui, par la parole et l’exemple, rendent cela au Très Haut Seigneur à qui appartienttout bien. » (Adm 7). Le savoir est donné pour rendre grâce

Domaine des relations fraternelles : «  L’Apôtre dit  : personne ne peutdire  : Jésus est Seigneur, sinon dans l’Esprit saint  ; et il n’y a personne qui fasse lebien, il n’y en a pas un seul. Par conséquent quiconque envie son frère à proposd’un bien que le Seigneur dit et fait en lui relève du péché de blasphème, parce qu’ilenvie lui-même qui dit et fait tout bien. » (Adm 8). Contre la jalousie, lajoie fraternelle.

Il faudrait aussi parler de l’attitude envers les frèresmalades, pécheurs ou absents, de l’attitude envers lesennemis ou ceux qui méprisent… Est-on devenu « propriétaire »des autres ou de l’image que l’on a de soi ? Or Françoisaffirme : « Autant vaut l’homme devant Dieu, autant il vaut et pas plus… »(Adm. 19) Tout le reste n’est qu’illusion et le malin n’est-ilpas le maître de l’illusion ?

11 Il faudrait bien sûr chercher dans les lectionnaire que St François avait à sadisposition si ce passage des Philippiens était lu à la messe ; puisque Françoiscite les Écritures avant tout à partir de ce qu’il entend à la messe.12 Les disciples.

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52.4 L’ATTITUDE DE DÉSAPPROPRIATION PEUT SE VÉRIFIER DEDIFFÉRENTES MANIÈRES.François est un homme du Moyen Age, il ne fait ni introspection nipsychologie mais dans la ligne de la grande tradition spirituelleil note les sentiments qui agitent ou habitent le cœur de l’hommeselon qu’il est animé par l’esprit du mal ou l’esprit du Seigneur.C’est le domaine où Ignace de Loyola a développé l’observation desconsolations et des désolations en décrivant comment l’esprit dumal agissait dans chacune de ces circonstances. François lui secontente d’une observation plus concrète. Là où Ignace fait uneintrospection, François observe surtout l’attitude et l’humeurvisible par tout un chacun. Pour lui :

o L’esprit du mal se reconnaît à la colère, au trouble, au faitd’être perturbé, scandalisé… (jusqu’à nous faire participerau mal d’autrui)

o L’esprit du Seigneur se reconnaît à l’attitude d’humilité, depatience, de bienveillance…au sentiment de joie etd’allégresse, d’action de grâce, de paix…qui se développentdans la vie du serviteur de Dieu.

o Le discernement des esprits s’opère aussi en vérifiant lerapport entre les actes et la parole : « Malheur au religieux qui negarde pas dans son cœur et ne montre pas aux autres en actes les biens que leSeigneur lui montre, mais sous prétexte d’une récompense, désire plutôt lesmontrer aux autres en paroles. » (Adm 21)

o Le discernement s’opère aussi en vérifiant la qualité desrelations fraternelles : La présence de l’esprit du Seigneurse reconnaît au fait de : respecter son frère, le chérir,l’aimer, de ne pas se couper de ses frères, de ne pas seréjouir de ses fautes et péhcés,… Au sujet de l’obéissance,cela est particulièrement clair : si un supérieur donnait unordre contraire à la conscience personnelle, il ne faudraitpas obéir mais ne pas non plus se séparer de lui : «Telle estl’obéissance de charité, parce qu’elle satisfait à Dieu et au prochain… » (Adm 3)

2.5 LE DISCERNEMENT SE FAIT SOUVENT DANS LES MOMENTSD’ÉPREUVE.Le grand danger de la vie spirituelle c’est l’illusion ; l’épreuvepeut devenir un révélateur de ce qui se cache dans le cœur del’homme. L’épreuve peut donc être un moment important pour lediscernement : « Le serviteur de Dieu ne peut connaître ce qu’il a de patience etd’humilité en lui tant qu’il obtient satisfaction. Mais que vienne le temps où ceux quidevraient lui donner satisfaction lui font le contraire, alors autant il a de patience etd’humilité, autant en a-t-il et pas plus » (Adm 5)13

13 A partir de l’excellent texte du frère José Kohler, ofm cap :document.docx

6L’épreuve (contradiction, échec, dépression, maladie, souffranceou tristesse) ramène l’homme à sa réalité profonde en révélant lesdésirs qui habitent son cœur. Elle est toujours une purificationactive ou passive qui le fait davantage grandir et progresser dansla voie de la désappropriation, de l’humilité et de la pauvreté.Car elle met en lumière dans la réaction intérieure et extérieurequ’elle suscite (acceptation, rejet ou refus) ce qu’il y a encored’orgueil (au lieu d’humilité), de retour sur soi (au lieu de dontotal), d’affirmation illusoire de sa propre richesse (au lieu dela reconnaissance et acceptation volontaire de nos proprespauvretés). L’épreuve nous fait passer d’une liberté factice à lavraie liberté qui est réconciliation avec la réalité, et choixvolontaire de ce que nous n’avons pas choisi (=l’épreuve) parnous-même mais qui nous est donné de vivre.Jésus a été parfaitement libre sur la croix ; il avait choisilibrement d’offrir sa vie à Dieu son Père en se livrantvolontairement aux hommes, l’accusant et le condamnantinjustement. Par, dans et avec amour Jésus a ainsi vaincu le mal,qui est toujours opposition, révolte, ou refus du Bien qui vientde la source de tout Bien, Dieu.

2.6 DEUXIÈME ET TROISIÈEME CRITÈRE DE DISCERNEMENT : LARECHERCHE DU BIEN EN TOUTE CIRCONTSTANCE = DIEU = VRAIE ETSEULE LIBERTÉAinsi nous pouvons dégager 2 autres critères de discernement :2° la recherche du Bien3° la vraie et seule liberté L’épreuve met en lumière le désir du fond du cœur de l’homme quiaspire à l’unique Bien, Dieu. François l’exprime à de multitude dereprise en parlant de Dieu de qui vient tout Bien : « dans la prièreencore, la purification des affections intérieures et l'union à l'un, au vrai et au souverainbien14  » LM 12,1..au très haut Seigneur Dieu à qui est tout bien15 Adm 7,4Bienheureux le serviteur qui rend tous ses biens au Seigneur Dieu16, Adm 18,2Bienheureux le serviteur qui thésaurise dans le ciel17 les biens que lui montre leSeigneur et qui ne désire pas les manifester aux hommes sous prétexte d'une rétribution  ;Adm 18,1

http://www.fratgsa.org/pdf/2013-2014/admonitions.pdf 14 L'un, le vrai et le bien sont les trois transcendantaux, à savoir ce quiest présent en tout être en tant qu'être ; voir BONAVENTURE, Breviloquium, 1, 6,2, p. 215a; BONAVENTURE, Breviloquium, 1, La Trinité de Dieu, Paris, 1967, P. 95.15 Voir BERNARD DE CLAIRVAUX, In Cantica, XXXVI, 3, dans ID., Sermons sur leCantique, Paris, coll. « Sources chrétiennes », n° 452, 2000, p. 112-117.16 Voir Tb 13 12.17 Voir Mt 6 20.

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7Ainsi le bien (pouvoir) que nous faisons, les biens (avoir) quenous recevons et gérons, le bien (être) que nous sommes pour lesautres, trouve leur source en Dieu, unique BIEN, et sontl’expression de notre communion avec Lui.Pour entrer dans cette recherche de l’unique BIEN, Dieu, l’hommeest invité à user de sa liberté pour l’orienter vers Dieu en toutecirconstance. La vraie liberté devient ainsi bien davantage unedésappropriation de soi, choisissant librement de souscrire dansune obéissance consentie et une oblation voulue même et surtoutpour ce que nous n’avons pas choisi mais que les circonstances dela vie nous fait vivre. N’est-ce pas là le sens profond desstigmates de St François, se laisser tant brûler du désir decorrespondre au Bien suprême, qu’il vient transpercer tout l’êtrede l’homme, dans sa liberté toute entière soumise, donnée etofferte à Dieu.C’est le résultat positif et profond de l’épreuve ; chez François,l’épreuve de la remise de son ordre aux frères, de sa maladie desyeux et de ses autres souffrances connues et cachée.

3. PROCESSUS DU DISCERNEMENT A PARTIR DE LM 12,1-2

LM 12,1-2 Totum p 2350 : «  1 Serviteur réellement fidèle18 et ministre du Christ, François, afin d'accomplir fidèlementet parfaitement toutes choses, se livrait de préférence à ces exercices des vertus, qu'ilsavait, sous la dictée de l'Esprit sacré, plaire davantage à son Dieu.À ce propos19, il lui arriva de tomber dans un grand dilemme que, revenant de la prièreaprès plusieurs jours, il soumettait à ses frères les plus intimes pour le résoudre  : « Queconseillez-vous, frères, que préconisez-vous ? », dit-il. « Dois-je vaquer à l'oraison, ou bienaller et venir pour prêcher ? Car moi qui suis tout petit, simple20 et inexpérimenté enparole21, j'ai reçu une grâce plus grande pour prier que pour parler. Il semble aussi qu'il yait dans la prière un gain et une accumulation des grâces, dans la prédication unecertaine distribution des dons reçus du ciel  ; dans la prière encore, la purification desaffections intérieures et l'union à l'un, au vrai et au souverain bien22 accompagnées de larevigoration de la vertu  ; dans la prédication, l'empoussiérage des pieds spirituels23, ladistraction en beaucoup de choses et le relâchement de la discipline. Dans la prière enfin,

18 BERNARD de CLAIRVAUX, Sermons sur le Cantique, 13, 3, éd. J. Leclercq, H.Rochais et C.-H. Talbot, Paris, coll « SC », n°414, 1996, p. 287.19 Bonaventure est le seul témoin littéraire de cet épisode, qui se présentecomme la répétition de LM 4 2.20 Voir Test 29.21 Voir 2Co 11 6.22 L'un, le vrai et le bien sont les trois transcendantaux, à savoir ce quiest présent en tout être en tant qu'être ; voir BONAVENTURE, Breviloquium, 1, 6,2, p. 215a; BONAVENTURE, Breviloquium, 1, La Trinité de Dieu, Paris, 1967, P. 95.23 Voir Lc 10 11.

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8nous parlons à Dieu et l'écoutons et, menant en quelque sorte la vie angélique, nousvivons parmi les anges  ; dans la prédication, il faut user d'une grande condescendanceenvers les hommes et, en vivant humainement parmi eux, penser, voir, dire et entendredes choses humaines24. Mais il existe un argument contraire, qui devant Dieu semblel'emporter sur eux tous, à savoir que le Fils unique de Dieu25, qui est la suprême sagesse26,descendit du sein du Père27 pour le salut des âmes, en sorte qu'informant le monde parson exemple, il adressa la parole du salut aux hommes qu'il racheta du prix de son sangsacré et précieux, purifia du bain28 et sustenta de la coupe de ce sang29, ne se réservantabsolument rien30 qu'il ne dépensât généreusement en vue de notre salut. Et parce quenous devons faire toutes choses selon le modèle31 de ce que nous voyons en lui comme surla montagne32 sublime, il plaît davantage à Dieu, semble-t-il, qu'interrompant la quiétude,je sorte dehors pour travailler33.  » Et comme avec ses frères il ruminait des paroles de cegenre durant plusieurs jours, il était incapable de percevoir avec certitude laquelle de cesconduites il devait élire comme la plus recevable en vérité par le Christ. Tandis qu'il savaiten effet des choses admirables par l'esprit de prophétie, il n'était pas en mesure de mettrepar lui-même cette question au clair  : Dieu prévoyait mieux, afin que soit manifesté lemérite de sa prédication par un oracle d'en haut et que soit préservée l'humilité duserviteur du Christ.2 Vrai « mineur », il ne rougissait pas de demander de petites choses aux plus petits34, luiqui avait appris de grandes choses du Maître suprême. Par une application particulière, ilavait en effet l'habitude de rechercher par quelle voie et de quelle manière il pouvait plusparfaitement se consacrer à Dieu selon son bon plaisir. Telle fut sa suprême philosophie,tel fut son suprême désir aussi longtemps qu'il vécut  : chercher auprès des sages et dessimples, des parfaits et des imparfaits, des jeunes et des vieux de quelle manière il étaitcapable de parvenir plus efficacement au sommet de la perfection. Prenant donc deux deses frères, il les envoya à frère Sylvestre - celui qui avait vu une croix sortant de sabouche35 et qui vaquait alors continuellement à la prière sur la montagne au-dessusd'Assise36 - pour rechercher à un tel doute la réponse divine, qu'il lui transmettrait de la

24 Voir 1Reg 16 6.25 Voir Jn 1 18.26 Voir 1Co 1 24 et 30.27 Voir Jn 1 18.28 Voir Ep 5 26.29 Bonaventure mentionne ici les sacrements du baptême et de l'eucharistie.30 Voir LOrd 29.31 La créature imite son Créateur, qui en est le modèle ou « l'archétypeexemplaire », et cela dans toutes ses dimensions : nature (LM 9 1), vertu (LM 13, 12 1), grâce (LM 5 7, 15 1) et gloire (LM 15 1).32 Voir Ex 25 40.33 Voir Mc 1 38.34 Jeu de mots fréquent depuis Thomas de Celano entre « mineur » et « pluspetit », tous deux « minor » en latin. En l'occurrence, le jeu de mots estcomplété par une opposition avec les « grandes choses » (« magna ») et le« Maître (« Magistro », même radical que « magnus ») suprême ».35 Voir LM 3 5.36 Probablement à l'ermitage des Carceri, sur les pentes du mont Subasio.

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9part du Seigneur. Il en chargea la vierge sacrée Claire37 afin que, par l'entremise d'unevierge particulièrement pure et simple parmi les vierges vivant sous sa discipline38, elle-même priant avec les autres sœurs, elle recherchât sur ce point la volonté du Seigneur39.Or par une révélation de l'Esprit d'en haut, le vénérable prêtre et la vierge vouée à Dieuconcordèrent admirablement en cela même que le bon plaisir divin était que, héraut duChrist, il sorte pour prêcher40. Aussi, lorsque les frères revinrent et indiquèrent la volontéde Dieu conformément à ce qu'ils avaient reçu, se levant sur-le-champ il se ceignit41 et,sans absolument le moindre retard, il prit la route. Pour exécuter l'ordre divin, il allaitavec tant de ferveur et il courait si rapidement qu'on aurait dit que la main du Seigneuravait été sur lui42 et que, du haut du ciel, il avait été revêtu d'une nouvelle vertu. » LM12,1-2

Il est intéressant de rechercher dans ce texte comment Françoiss'y prend pour dépasser "son doute angoissant", pour arriver à uneconviction ferme et de se mettre à la réalisation de ce qu'il acru être la volonté de Dieu.C'est sans doute une relecture de Bonaventure mais elle est faitedans une ambiance toute franciscaine

3.1) "L'ESPRIT LUI SIGNALAIT"François n'est pas enfermé en lui-même, empêtré dans ses proprescontradictions. Il est d'abord travaillé par l'Esprit. Il estvisité par l'Esprit (cfr 3S 7)Avant de parler de doute, de recherche de discussion, il y a unhomme travaillé, visité par l'Esprit.

3.2) LE DOUTE ANGOISSANT = GRAND DILEMNELe mot « doute « est dérivé du latin "dubitare" de la même familleque « duo ». Le doute est une attitude de l'esprit, partagé entre2 ou plusieurs positions. (cfr LM 13,4 à propos des stigmates43).

37 Voir LM 4 6.38 Selon une procédure habituelle aux Pauvres Dames ; voir CLAIRE D'ASSISE, Règle,4, 17-18, EAD., ÉCRITS, Paris, coll. « SC », n° 325, 1985, p. 137 : « souvent eneffet le Seigneur révèle ce qui est meilleur à la plus petite ».39 Voir Lc 12 47.40 L'avis est d'autant plus frappant qu'il est donné de concert par deux tenantsde la vie contemplative : l'ermite et la vierge cloîtrée.41 Voir Jn 21 7.42 2R 3 15.43 « 4 Le serviteur du Christ, voyant que les stigmates si nettement imprimés à la chair ne pouvaient êtrecachés à ses compagnons familiers, craignant néanmoins de rendre public le secret du Seigneur, fut placédans un grand dilemme : fallait-il dire ou bien taire ce qu'il avait vu ? Il appela donc certains des frères et,parlant en termes généraux, il exposa son doute devant eux et requit leur conseil . Mais un des frères,Illuminé par la grâce et par le nom, comprenant qu'il avait vu certaines choses merveilleuses pour la raisonqu'il semblait totalement frappé de stupeur, dit au saint homme : « Frère, sache que ce n'est pas seulementpour toi, mais aussi pour les autres que te sont parfois montrés les mystères divins. Il est à craindre, à juste

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10Ici (LM 12) François est partagé entre :

la consécration à la prière et le cheminement de ville en ville pour prêcher.

Ce doute est décrit comme angoissant. Il y a une notiond'inquiétude profonde, de souffrance : « pour rechercher à un tel doute laréponse divine, qu'il lui transmettrait de la part du Seigneur » LM 12,2C'est une situation qui rend les gens sans énergie, il y a undésir contradictoire qui paralyse et qui déprime. Quand Françoisaura dépassé son doute angoissant, il retrouvera son énergie." Ilva retrouver un regain de force".Remarquons que les « Fioretti 16 » parleront de "grande réflexionet grande perplexité sur ce qu'il devait faire". Ces termessemblent moins forts.Le doute est non seulement angoissant mais dure fort longtemps. Lanotion de durée renforce encore l'angoisse.

3.3) FRANÇOIS POSE CLAIREMENT LE CHOIXFrançois doit choisir entre 2 Biens : contemplation ouprédication, il a déjà éliminé tous les autres choix qui neviennent pas de Dieu. Il a dépassé le stade de ce qui est bon, ilcherche ce qui est capable de plaire à Dieu, ce qui est parfait.44

Pour cela François commence à mettre face à face les argumentspour l’un et l’autre choix, procédant comme Ignace de Loyola lepréconisera après lui.45

Contemplation : vaquer àl'oraison

Prédication : aller etvenir pour prêcher

Arguments pour

reçu une grâce plus grandepour prier que pour parler

la prière un gain et uneaccumulation des grâce

la purification desaffections intérieures etl'union à l'un, au vrai etau souverain bienaccompagnées de larevigoration de la vertu 

la vie angélique, nousvivons parmi les anges

la prédication unecertaine distributiondes dons reçus du ciel

Argument le Fils unique de Dieu, qui moi qui suis touttitre semble-t-il, qu'à cause de cela, dans le cas où tu tiendrais caché ce que tu as reçu d'utile au plus grandnombre, tu ne sois jugé répréhensible pour avoir caché ton talent . » LM 13,444 Rm 12,2 : « discerner quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce quiest capable de lui plaire, ce qui est parfait. »45 Ignace s’est-il inspiré du discernement de François ? Probablement pas ?

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11s contre est la suprême sagesse,descendit du sein du Père.

Et parce que nous devonsfaire toutes choses selon lemodèle de ce que nousvoyons en lui comme sur lamontagne sublime, il plaîtdavantage à Dieu, semble-t-il, qu'interrompant laquiétude, je sorte dehorspour travailler (à laprédication)

petit, simple etinexpérimenté en parole

l'empoussiérage despieds spirituels, ladistraction enbeaucoup de choses etle relâchement de ladiscipline

user d'une grandecondescendance enversles hommes et, envivant humainementparmi eux, penser,voir, dire et entendredes choses humaines

Bonaventure parle également à propos de ce dilemme de Françoiscomme plus tard Ignace d’élection :«  Il était incapable de percevoir avec certitude laquelle de ces conduites il devait élirecomme la plus recevable en vérité par le Christ ».Elire c’est d’avantage que choisir et c’est le résultat de tout leprocessus de discernement. Elire46 signifie une décision dont Dieuest lui-même l’auteur. Dans les exercices spirituels de St Ignacec’est le cœur et le but de la retraite :« l’élection est un travail qui a pour principale fonction dedisposer (l'exercitant) à reconnaître et accueillir ce que Dieului-même inspire, donne et confirme. Le véritable auteur del'élection est Dieu. Autrement, (l'exercitant) ne trouve pas sadécision, -- (il) l'invente. »47

François a donc conscience que cette décision est décisive etorientera toute sa vie, il s’agit d’élire ce que le Seigneurdésire pour lui. L’élection concerne tout l’être et pas seulement

46 Elire, verbe transitif (latin populaire exlegere, du latin classique eligere,choisir) Choisir, nommer par voie de suffrage la personne qui remplira telle fonction,

qui occupera tel poste, qui portera tel titre ; Choisir, nommer par voie de suffrage les membres d'un groupe, celui, celle

qui fera partie de ce groupe Littéraire. Choisir quelqu'un, quelque chose de préférence aux autres : Elle

l'avait élu pour confident. Prédestiner au salut, en parlant de Dieu. (Larouse).http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/%C3%A9lire/28423 §47 Jacques Lewis , Connaissance des Exercices de saint Ignace, Bellarmin,Montréal,1981, p. 129 in GAËTANGirard, Discernement Ignatien dans l'accompagnement spirituel : http://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk3/ftp05/mq25313.pdf

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12l’acte à poser, le choix à faire ou la décision à prendre ; c’esten cela qu’elle se distingue d’un simple discernement portant surune action à accomplir.L’élection signifie que le processus de discernement est plusimportant que le choix de la décision.48

3.4) "IL FINIT PAR SOUMETTRE LE DILEMME À SES COMPAGNONSHABITUELS"Après avoir prié, François décide de sortir de lui-même, de sondoute angoissant. Il ne va pas chercher un spécialiste dudiscernement ou un mage charismatique, un gourou ou un grand sage,mais va soumettre son doute à ses compagnons habituels, ceux avecqui il vit, qui connaissent François à partir de sa vie.Ce pas que François fait, est en cohérence avec toute saspiritualité, il fait partie de l'obéissance mutuelle "les frèress'obéissent mutuellement", c’est de l’ordre de la soumissionfraternelle49, si difficilement acceptée aujourd’hui.Les « Fioretti 16 » partiront de l'humilité de François ; maisc'est fausser la perspective: "l'humilité qui était en lui ne lui permettait pas dese fier à lui-même ni à ses prières, il eut la pensée de rechercher la volonté divine aumoyen des prières des autres." C'est très réducteur comme perspective.Chez St Benoît (Rg V) l'obéissance est le premier degré del'humilité. Chez St François elle est rattachée à la charité :"Dame sainte charité, que le Seigneur te sauve avec ta sœur sainte obéissance" (Salutationdes vertus 3). "Par la charité de l'Esprit qu'ils se servent et s'obéissent mutuellement" (Adm3,6). Claire parlera de l'obéissance par Amour (Rg 4.9  ; Test 62)

3.5) PENDANT PLUSIEURS JOURS IL POURSUIVIT AVEC SES FRÈRESLA DISCUSSIONBien sûr que François faisait prier les autres pour connaître lavolonté "Allez et priez le Seigneur, qu'il me donne de choisir le pays où je travaillerai lemieux à sa gloire" (LP 79)Il faisait prier ceux qui lui paraissaient amis de Dieu (LP 93).Mais ici il y a discussion dans la prière, et pas simplement un

48 Trop souvent en Eglise les responsables insistent sur la décision à prendre(toujours urgente semble-t-il particulièrement dans les nominations) sans dutout tenir compte du processus de discernement nécessairement lent, bien plusimportant que la décision elle-même. Le résultat est probant le plus souvent ladécision prise même si en soi est bonne n’a pas été intégrée en profondeur pourque celui qui l’a prise puisse y souscrire de tout son être. Cette précipitationet ce manque de profondeur occasionne : dépression, déprime ou simplement manquede dynamisme ! C’est là certainement aussi un critère de discernement pouraujourd’hui.49 Ep 5,20-21 : « À tout moment et pour toutes choses, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, rendezgrâce à Dieu le Père. Par respect pour le Christ, soyez soumis les uns aux autres ; »

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13conseil donné de sa propre sagesse. Il y a discussion où chacundonne son point de vue. Il y a débat, pour chercher ensemble etsincèrement la volonté de Dieu en se mettant ensemble dans unclimat de prière à l’écoute de l’unique Esprit qui travailleégalement dans le cœur de chacun."Le mouvement franciscain s'enracine non pas dans une expérience monolithique d'unhomme exemplaire mais d'un homme qui a cherché avec ses frères, questionné, hésité,inventé" (Michel Hubeau)Tout comme la règle n'a pas été dictée, mot à mot, par le Christcomme le laissent entendre les sources tardives (LP 113) il y a euréflexion de vie, consultation, discussion, rédaction etapprobation, qui sont le résultat de l’œuvre de l’Esprit-Saint enFrançois et ses frères. Et François poursuit la discussion50

pendant plusieurs jours.Le discernement prend du temps :

parce que le choix n'est pas facile parce que les frères sont différents parce Satan brouille les cartes.

Et même, après plusieurs jours, François n'arrive pas à se forgerune conviction certaine sur le choix qui serait le plus agréableau Christ. Bonaventure fait alors une petite note intéressante quireste bien actuelle " Lui qui recevait des révélations merveilleuses grâce à sonesprit de prophétie n'arrivait pas à s'éclairer lui-même". C’est le danger del'illuminisme qui existe toujours, retour sur soi (s’éclairer soi-même) au lieu d’être ouverture à Dieu et aux autres seuls capablesde nous illuminer. Tout discernement véritable51 demande l’aide,l’accompagnement, l’illumination et la confirmation d’un ouplusieurs frère(s) et sœur(s).François qui "mettait à jour ce qui était caché dans les cœurs et fouillait dans lesconsciences " 1C 48 n'en sortait pas quand il s'agissait de lui. Etc’est le cas pour tout homme. Par lui-même le chrétien pour lesdécisions importantes le concernant directement (orientation devie = élection) ne peut pas s’en sortir, il a besoin de frères etsœurs.Le Père Charmot, sj, dit très justement:" La personne la plus éclairée, la plus consolée, la plus transfigurée dans son intelligence,dans sa sensibilité, dans son cœur ne peut être sûr immédiatement qu'elle n'est pastrompée par une fiction diabolique" (Christus n° 153 p. 98)52

50 Il s’agit de bien comprendre ses termes discussions, débats, car il y a ausside vaines discussions suscitées par l’esprit du malin. Pour François tout baignedans la prière et les mots échangés doivent jaillir non de soi mais de l’Esprit-Saint en soi.51 Lorsqu’il porte sur un sujet important, qui mérite élection, c’est à-direorientation fondamentale de tout l’être.

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14François va se comporter en vrai mineur et demander l’aide de sesfrères et sœurs. En cela il est un exemple pour nous qui avonstoujours tendance à vouloir nous débrouiller par nous-mêmes,quitte à nous fourvoyer ! Il ne choisit pas non plus le cheminclassique du père spirituel.

3.6) IL DEMANDAIT À TOUS COMME UN VRAI « MINORES » :CHERCHER AUPRÈS DES SAGES ET DES SIMPLESLM 12,2 nous montre François qui va plus loin. Comme un vrai« minores »53 ,il se soumet, c’est–à-dire se met sous ses frères,les considérant supérieur et plus capable que lui pour écoute lavoix de l’Esprit-Saint, lui indiquer la volonté de Dieu. Il vademander à d'autres mais pas à n'importe qui. Nous avons lescaractéristiques des personnes à qui il demande, il « cherche auprèsdes sages et des simples » et demande en priorité à Frère Sylvestre,puis à sœur Claire et ses consœurs. François fait appel au prêtreet aux vierges, au séculier et à la moniale, et à travers eux àtoute l’Eglise.Ici le critère n'est pas la science mais la perfection. Ceux quisont déjà sur le chemin de la perfection et ceux qui commencent cemême unique chemin. Les uns (sages) par le chemin accompli etl’expérience acquise, les autres (simples) compétent par lasimplicité de leur cœur et la naïveté de leur innocence selaissent éclairer par l’unique Esprit qui seul fourni la réponseadéquate, de la volonté de Dieu.Nous pouvons évoquer le dilemme de Sainte Thérèse d'Avila. Faut-ilun directeur pieux ou savant? Dans le chemin de la perfection,elle dira "vous devez consulter des personnes spirituelles et savantes". Enplusieurs endroits, Thérèse rappellera le mal que lui firent ces"demi-savants" qui ne surent pas lui expliquer les chemins de Dieu.Mais François va demander à tous, il n’oppose pas pieux etsavants, simples et sages, il fait appel à chacun, pour chercherdans la prière et l’écoute de l’Esprit-Saint, par leur concordancel’unique volonté de Dieu :

3.61 AUX JEUNES ET VIEUX

52 Parce que" le diable émet sur une fréquence très proche de celle de l'EspritSaint" dira le Pasteur Hartnagel.53 « Vrai « mineur », il ne rougissait pas de demander de petites choses aux pluspetits » LM 12,2

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15Bonaventure va ajouter ces deux catégories à ce que dit Celano (cfr1C 9154 : « chercher auprès des simples et des savants, des parfaits et des imparfaitscomment il pouvait prendre la voie de la vérité et parvenir à un projet plus grand »)Le jeune qui apportera la nouveauté, la naïveté, la créativité, ladésinstallation. Saint Benoît dira dans sa Rg ch III : "Le Seigneurrévèle souvent au plus jeune ce qu'il y a de mieux à faire", à la plus petite, diraClaire (Rg IV 18). Le vieux apportera la sagesse, l'expérience et la stabilité. Lesuns et les autres chercheront dans la prière l’unique volonté deDieu.

3.62 LES DEUX CONTEMPLATIFS: SYLVESTRE ET CLAIRE : LE PRÊTREET LA VIERGESylvestre est décrit par les biographes comme un homme d'unegrande simplicité et sainteté, c’est lui qui avait reçu deFrançois l’argent qu’il réclamait pour les pierres de St-Damien ets’était converti la nuit suivante voyant le Christ en croix luiapparaître55.Et Claire comme la vierge sainte.La simplicité (sans pli), qualité de celui qui est déplié devantDieu, est une vertu qui revient souvent dans la spiritualitéfranciscaine. Bonaventure (LM 11,14) dira que Dieu révèlehabituellement ses mystères aux simples et aux petits (Mat 11,25).Pour Claire il y a une précision importante, elle doit en conféreravec la plus pure et la plus sainte de ses sœurs et prier avectoutes les autres. De nouveau nous retrouvons le climat defraternité et de prière. Il y a aussi des femmes qui entrent dansle jeu du discernement.C’est tout le peuple de Dieu qui est mobilisé à travers ses 2figures pour participer au discernement en se laissant conduirepar l’unique Esprit.

3.7) L'UNANIMITÉ FUT MERVEILLEUSE.Après le doute angoissant, l'intense recherche fraternelle, laprière des frères et des sœurs l'unanimité fut merveilleuse,l'éclaircie se fait; François doit aller prêcher.

54 « Ce fut toujours là le sommet de sa philosophie, c'est ce désir suprême quibrûla toujours en lui tant qu'il vécut : chercher auprès des simples et dessavants, des parfaits et des imparfaits comment il pouvait prendre la voie de lavérité et parvenir à un projet plus grand. 92 En effet, comme il était le plusparfait des parfaits, il niait être parfait et se jugeait totalement imparfait.Car il avait goûté et vu comme était doux, suave et bon le Dieu d'Israël envers ceux qui ont le cœurdroit et le cherchent d'une simplicité pure et d'une pureté véritable. » (1C 91c-92a)55 3S 30-32 

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16Remarquons que cela ne va pas dans le sens des préférences deFrançois. Bonaventure le dit plus doué pour la prière que pour laprédication. L’unanimité est le signe visible et probant que touset chacune et chacun se sont laissé éclairer, conduire et inspirerpar l’unique Esprit.Si toutefois il y a des divergences, il faudrait mesurer d’oùelles viennent et ne pas conclure trop rapidement à un échec dudiscernement ou établir la décision en fonction du nombre. Seulel’unanimité, il faudrait dire la quasi-unanimité56 est le garant del’action de l’Esprit, les hésitations et les dissensions sonttoujours l’œuvre de l’autre esprit (le nôtre ou celui du mal).4. LES OBSTACLES AU DISCERNEMENT

Ils sont bien sûr nombreux mais le principal et d’abord ladifficulté de se mettre vraiment à l’écoute de l’Esprit duSeigneur et dépasser voire quitter tous les bons conseils que l’onpourrait donner de par l’expérience acquise ou la science reçue.François insiste beaucoup sur ce climat de prière et d’écoute seulcapable de favoriser un vrai discernement. C’est d’ailleurs ce climat qui manque le plus souvent en Egliseaujourd’hui dans bien des décisions, avec le risque d’attacherplus d’importance à la décision à prendre que le climat et lafaçon dont elle doit être prise.Un autre obstacle souligné par François et l’appropriation. Voirece qui a été dit au sujet du premier critère de discernement57.

5. LES FRUITS DU DISCERNEMENT

Le premier fruit du discernement signalé par Bonaventure est laforce et le dynamisme pour accomplir ce qu’il a décidé et que Dieului a montré :François se levant sur-le-champ il se ceignit et, sans absolument le moindre retard, il pritla route. Pour exécuter l'ordre divin, il allait avec tant de ferveur et il courait si rapidementqu'on aurait dit que la main du Seigneur avait été sur lui et que, du haut du ciel, il avaitété revêtu d'une nouvelle vertu. »( LM 12,2d) Un deuxième fruit qui lui est moins immédiat est la paix. Une paixintérieure profonde, que seul Dieu peut provoquer. Une paix quiest le fruit non seulement de la décision prise mais surtout parcequ’elle correspond à l’être profond réconcilié d’abord avec lui-même puis avec les autres, l’univers et Dieu.

56 Quasi-unanimité dans un vote ou une consultation marque la liberté de chacunet l’approximation d’un discernement dont seul les fruits et les effets peuventêtre la confirmation de l’action de Dieu.57 Voir 2.3 Le premier critère de discernement : la désappropriation.

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17C’est le troisième fruit : François devient toujours plus le frèreuniversel. Juste après la mise en route pour la prédication,Bonaventure, rapporte l’événement de la prédication aux oiseaux àBevagna. (LM 12,358)Cette fraternité universelle qui est le signe visible de laréconciliation profonde de tout l’être de François.

6. COMMENT VIVRE LE DISCERNEMENT FRANCISCAIN AUJOURD’HUI

Ce que François a vécu d’une manière exemplaire comment pouvons-nous le reprendre de manière ordinaire pour grandir dans la viespirituelle aujourd’hui ?

6.1 LES CRITÈRES DE DISCERNEMENT UTILES POUR LA VIESPIRITUELLETout d’abord nous pouvons reprendre les 3 critères de discernementque nous avons dégagé :1°. La désappropriation au lieu de l’appropriation : considérer

que tout vient de Dieu.2°. La recherche du bien et du seul Bien, Dieu en toute

circonstance3°. Grandir dans la seule et vraie liberté, la souscription par

avance à tous les événements non choisi.Pour la confirmation du discernement les fruits évoqués : La force et le dynamisme pour accomplir l’action ou

l’orientation discernée La paix profonde La réconciliation de tout l’être.

6.2 LE PROCESSUS DE DISCERNEMENTC’est surtout dans ce domaine que se trouve l’originalitéfranciscaine, ne pas se contenter d’un discernement individuel etpersonnel, mais faire appel aux frères et sœurs de tout état devie, de tout genre de compétence (simple et savants), de tout âge(jeunes et vieux).Pour vivre cet appel à l’ensemble du peuple de Dieu il y acertainement plusieurs façons de le vivre :

58 « Comme donc il s'approchait de Bevagna , il arriva en un lieu où une très grande multitude d'oiseauxd'espèces diverses s'était assemblée. Lorsque le saint de Dieu les vit, il courut au lieu avec allégresse et lessalua comme des êtres participant de la rai-son. Comme ils étaient tous dans l'expectative et se tournaientvers lui de telle façon que, lorsqu'il approchait d'eux, ceux qui étaient sur les arbres, ayant incliné leurs têtes,tendaient vers lui de manière insolite, il alla jusqu'à eux et avec sollicitude les enjoignit tous d'écouter laparole de Dieu, disant : « Mes frères les oiseaux , vous devez beau-coup louer votre Créateur qui vous arecouverts de plumes et vous a attribué des pennes pour voler, vous a concédé la pureté de l'air et vousgouverne sans que vous ayez à vous en préoccuper. » LM 23,3

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18 Soit en demandant soi-même à différentes personnes leur

discernement Soit en posant la question et le choix dans un groupe (de

prière, de partage,…) Soit en demandant à une ou plusieurs communautés de prière à

cette intention Soit … peut-être faudrait-il devenir inventif

6.3 L’IMPORTANCE DE L’ACCOMPAGNEMENTLe discernement fait partie de l’accompagnement qui aujourd’huiest souvent oublié, négligé, omis. Particulièrement chez lesresponsables de l’Eglise il est indispensable. Il est inquiétantde constater que beaucoup d’agent pastoraux (prêtres, baptisésengagés professionnellement,…) ne vivent aucun accompagnement ouun compagnognage déficient ou aléatoire59. Or seul l’accompagnementpermet un véritable travail de conversion constant et fidèle, à labase de toute vie chrétienne.Les besoins et le style d’accompagnement change selon les étapesde notre vie : au commencement on a souvent besoin d’un directeur spirituel

(homme ou femme, prêtre ou baptisé), qui nous éduque, nous formeet nous guide avec des indications précises et utiles.L’important c’est de ne pas en faire un gourou auquel on estattaché, mais au contraire savoir dépasser cette étape. Grandirc’est gagner en autonomie (même relative) et en liberté, endétachement et fraternité.

Puis l’accompagnement spirituel : (le plus souvent un(e)baptisé(e) sauf s’il est lié à la confession) qui est davantageun miroir pour prendre conscience de ce qui se passe en soi etpermet de grandir et approfondir les mouvements de l’Esprit ennous. Le frère ou la sœur par son écoute, son accueil, sonémerveillement favorise la reconnaissance des grâces reçues etl’action de grâce.

Le compagnage fraternel est très proche mais moins structuré.Avec le frère ou la sœur choisie, il s’agit de partagermutuellement les grâces reçues, les événements vécus et lesrelire à la lumière de la Parole de Dieu, pour grandir danscette écoute de l’action de Dieu en nous.

59 Bien souvent ce manque ou cette absence d’accompagnement spirituel estl’origine des difficultés dans les équipes pastorales, les groupes de paroisses,… Car l’intégration en profondeur de la responsabilité exercée ne se fait pas.Ainsi ce qui n’a pas été assumé personnellement rejaillit (souventinconsciemment) sur le groupe, par des expressions de frustration, de prise depouvoir, de jalousie et autre.

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19 Avec le père spirituel (ou la mère spirituelle) il s’agit d’une

relation de filiation, où l’accompagné et l’accompagnateur secomplète mutuellement, comme un père envers son fils et un filsenvers son père.

Il ne faudrait pas opposer discernement communautaire ou fraternelà la manière franciscaine et accompagnement spirituel individuel,il faudrait choisir l’un et l’autre.Le discernement fraternel est particulièrement adéquat pour lesélections, choix, et décisions importantes en lien avecl’accompagnement spirituel qui lui est utile pour le quotidienhabituel et constant.Dans tout accompagnement la grâce peut

6. UNE SYNTHÈSE DU CHEMIN SPIRITUEL : ADM 27

Adm 27 est une synthèse lumineuse de tout ce cheminement du cheminspirituel qui passe par la désappropriation : remise de tout notreêtre à celui de qui vient tout Bien, Dieu.1 Où est charité et sagesse,là ni crainte ni ignorance.2 Où est patience et humilité,là ni colère ni trouble.3 Où est pauvreté avec allégresse,là ni cupidité ni avarice.4 Où est quiétude et méditation,là ni souci ni errance.5 Où est la crainte du Seigneur pour garder son foyer,là l'ennemi ne peut trouver place pour entrer.6 Où est miséricorde et discernement,là ni récrimination ni endurcissement.

Adm 27 présente une petite somme théologique bien orchestrée ;mais il lègue aussi un héritage contenant une spiritualité et unemorale. Le contenu sait respecter l’heureux commerce entrel’expérience personnelle et communautaire.Ce regard nous laisse devant une sorte de « Cantique de laminorité ou encore un petit évangile franciscain, pour cheminervers le Royaume. »

7. CONCLUSIONS – ORIGINALITÉ DU DISCERNEMENT FRANCISCAIN

En guise de conclusions essayons de dégager l’originalité dudiscernement tel qu’il se dégage de l’expérience de St François :

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20 François ne choisit pas entre accompagnateur sage et

intelligents ou pieux et simple. Au contraire François faitappel à tous les conseillers, demandant à chacun non point delui donner un conseil mais de demander au Seigneur ce qu’ildésire pour lui.

François se soumet dans son discernement aux avis de ses frèreset sœurs, attendant de leur unanimité le signe et laconfirmation de la volonté de Dieu.

Le discernement en groupe, en fraternité, en communauté, estcertainement l’originalité franciscaine. Mais il s’agit dedécouvrir et d’inventer comment bien le vivre concrètementaujourd’hui.

Mais surtout l’expérience de François est une invitation àdécouvrir, redécouvrir ou approfondir le discernement etl’accompagnement spirituel, seuls à même de nous aider à nousconvertir. N’est-ce pas un appel urgent pour que nous vivionscette conversion au cœur de notre de vie de chrétien et commeprincipe fondateur de l’Eglise ?

Abbé Bernard Schubiger. 17 novembre 2014, en la fête de SteElisabeth de Hongrie, tertiaire franciscaine et sainte patronne dema mère Ilse.

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