"Jouer et dé-jouer le genre. La question du genre dans les institutions programmatrices de...
-
Upload
xn--univ-lille2-ppaf -
Category
Documents
-
view
0 -
download
0
Transcript of "Jouer et dé-jouer le genre. La question du genre dans les institutions programmatrices de...
Elise Brunel Mai 2012
Mémoire encadré par Stéphanie Pryen
Jouer et dé-jouer le genre :
la question du genre dans les institutions programmatrices de théâtre
Mémoire Master 1 « management des institutions culturelles », Sciences Po Lille
Soutenu en présence de Stéphanie Pryen, sociologue, maître de conférences à l’université
de Lille III et Sylvie Cromer, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille 2
1
Remerciements :
Un grand merci à Stéphanie Pryen pour la qualité de son accompagnement.
Merci à Vincent Postel, Julie Postel, Maxime Sechaud ainsi qu'à Aurore Le Mat pour la
richesse des débats et idées échangées.
Merci également à Catherine Gilleron, Yannic Mancel, James Phil-Zanga et Didier Thibaut
pour les entretiens qu'ilLEs1 m'ont accordé.
1 Pour le choix de l'orthographe cf annexe n°1.
2
Table des matièresIntroduction ..............................................................................................................................4 Le genre comme processus performatif ................................................................................................. 4
Méthode d'analyse, plan et problématique ............................................................................................. 7
L'expression « Théâtre/Genre » ........................................................................................................... 11
I.Production : analyse des discours des programmateurs.trices de théâtre en perspective
d'une meilleure compréhension de leur manière d'aborder les liens théâtre/genre. .......14A. Un théâtre source de réflexions politiques, réflexions qui peuvent être axées sur la thématique du genre et du féminisme. James Phil-Zanga pour le Théâtre Massenet .................................................... 18
1.Théâtre Société Politique..........................................................................................................................192.Le festival « je(ux) de genre » : une conséquence de la vision du lien théâtre et politique exposée ci-dessus...........................................................................................................................................................22
B. Un théâtre de référence, miroir des problématiques qui traversent la société. Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord. ................................................................................................................................... 26
1. Philosophie du théâtre et conséquence sur la conception de la question théâtre-genre..........................26 2. Quels artistes pour quelle institution?.....................................................................................................30
C. La forme avant tout. Didier Thibaut pour La Rose des Vents .......................................................... 38 1.Une philosophie du théâtre qui place la forme au cœur de la réflexion....................................................402.Cette philosophie du théâtre est-elle compatible avec un théâtre qui aborde la question du genre?........44
D. Un théâtre qui travaille (avec) le réel. Catherine Gilleron pour Théâtre de la découverte à la Verrière. ................................................................................................................................................ 50
1. Le réel/l'irréel, le fond/la forme. ............................................................................................................51 2. La question du genre : entre miroir et masque........................................................................................55
II.Les représentations : analyse des pièces sous l'angle du système du genre...................64 A. « Le masculin n'est pas un sexe » .................................................................................................... 66
1. Un déséquilibre numérique....................................................................................................................67 2. Les hommes représentants de la société, les femmes représentantes de l'amour, la séduction ou la maternité.......................................................................................................................................................68
B. Quand la forme artistique masque un fond politique ....................................................................... 71 1. Des histoires qui transmettent un point de vue bioéthique particulier...................................................72 2. Une forme qui place le propos en second plan tout en le légitimant.....................................................74
C. Dé-jouer le genre : l'art comme espace de dé-marquage ................................................................. 77 1. Un jeu riche et consistant qui ne fait pas entrer en jeu les stéréotypes de genre. .................................77 2. Désigner les normes corporelles et les normes de genre comme un obstacle à la communication.......78
CONCLUSION........................................................................................................................82
ANNEXES................................................................................................................................86Annexe n°1. Note sur l'orthographe : ................................................................................................... 86
Annexe n°2. Chiffres extraits du rapport Reine Prat 2006. .................................................................. 87
Annexe n°3. Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production artistique dans les théâtre étudiés 2011-2012 ..................................................................................................................... 88
Annexe n°4. Questionnaire Théâtre/Genre envoyé aux artistes. .......................................................... 94
Annexe n°5. Personnages de sexe masculin/féminin dans Soleil Couchant et Le Suicidé .................... 95
3
Introduction
« Dans notre milieu, on ne perd jamais une occasion de tempêter contre l'industrie
audiovisuelle et de brandir fièrement résistance artisanale et bonne conscience de gauche,
mais la vérité, c'est qu'il y a beaucoup plus de personnages féminins intéressants dans les
séries télévisées américaines que dans le théâtre subventionné français »2
Cette remarque d'Irène Bonnaud, metteuse en scène, est révélatrice d'une certaine lassitude
des comédiennes à se retrouver sur scène à jouer « des rôles de femmes ». Le fait de « jouer la
femme » ou de « jouer l'homme » semble être, au théâtre mais aussi au sein de la société, un
acte de plus en plus questionné. « Jouer la femme » et « jouer l'homme » c'est jouer le genre.
Le genre, selon la vision développée notamment par Judith Butler, c'est un acte. « Un acte qui
a déjà été joué, exactement comme un texte survit aux acteurs particuliers qui s'en emparent,
mais requiert des acteurs individuels pour être à nouveau actualisé et reproduit en tant que
réalité »3.
Cette phrase compare le rôle social de sexe, performance du quotidien, au rôle de l'acteur au
théâtre. Le rôle social de sexe est un « acte qui a déjà été joué » dans le sens où ce rôle,
d'homme ou de femme, est sans cesse joué et répété dans la société, et chaque individuE
intègre alors l'un ou l'autre rôle et reproduit ainsi le système de genre. Avant d'exposer ici
l'angle sous lequel la question du théâtre et du genre va être abordée, il paraît indispensable
d'exposer la vision du concept de genre qui sous-tend le raisonnement qui va suivre.
Le genre comme processus performatif
Le genre est ici compris, de la même manière qu'il l'est dans les études sur le genre 4, comme
un système social. Ce système social organise la société autour d'une division binaire qui
classe d'un côté les hommes et le masculin, de l'autre, les femmes et le féminin. Ce système
social est complexe : il est composé d'un « ensemble de normes, croyances, pratiques, et
connaissances » au sein duquel « le féminin et le masculin sont socio-culturellement définis et
2 Irène Bonnaud in OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007, p. 823 Butler (J.), « Actes performatifs et constitution des genres : phénoménologie et théorie féministe », in Outre-scène n°9, Mai 2007, p 1424 Bereni (L.), Chauvin (S.), Jaunait (A.), Revillard (A.), Introduction aux gender studies. Manuel des études sur le genre, Editions de Boeck, 2008
4
construits, le Masculin étant plus valorisé que le Féminin »5. Le genre prend donc consistance
par le biais de ces deux processus : la différenciation des sexes et leur hiérarchisation.
Dans cette définition du genre comme système social, les sexes ne sont pas des données
immuables et la division binaire de la société n'est pas fondée sur une Nature détachée de tout
sens culturel. Dans cette conception du genre, le débat ne se situe alors plus dans le paradigme
Nature/Culture. Cette idée d'essence ou de nature se trouve en effet, dans ces théories
totalement remise en cause. Sur ce point, l'évolution des significations données au terme
« genre » est éclairant. Dans les années 1960, les féministes ont introduit la notion de genre
pour, d'une part insister sur la distinction entre le « sexe social » (le genre) et le « sexe
biologique » (le sexe) et d'autre part pour définir ce sexe social comme domaine autonome,
c'est-à-dire indépendant de données biologiques. Par cette distinction, s'opère un processus de
dénaturalisation qui met à bas l'idée que les inégalités hommes/femmes procèdent de
différences biologiques ou de la capacité des femmes à enfanter. Pour le dire le plus
simplement possible, cela permet de mettre au clair l'idée que la « capacité des hommes à
diriger » n'est pas, par nature, une capacité masculine et la « capacité des femmes à gérer un
foyer » n'est, par nature, une capacité féminine. Dans cette vision, il existe, par nature, des
hommes et des femmes mais la division sexuée des rôles n'est pas fondée sur la Nature mais
sur la Culture. Cependant, cette distinction s'est trouvée contestée par le fait qu'elle entretient
le mythe de l'existence d'une Nature, démarquée de toute culture. Or, ce que montre, les
théoricienNEs des gender studies comme Judith Butler6, c'est qu'on ne peut percevoir « la
Nature ». En effet, selon cette philosophe, les concepts de Nature et de Culture émergent
simultanément. La Nature est donc également un construit car nous n'avons pas accès à cette
notion en dehors de notre perception, perception déterminée par la Culture. Nous n'avons
accès à la « Nature » qu'à travers notre Culture ce qui signifie donc que ça n'est pas à la
Nature que nous avons accès mais à la Nature à travers le prisme de la Culture. Pour Judith
Butler, la distinction sexe/genre ne se fait plus en terme de Nature/Culture mais entre ce qui
est construit (le sexe) et ce qui est performé (le genre), les deux notions s'auto-construisant : le
genre élaborant le sexe, le sexe à son tour étant instrumentalisé comme justifiant le système
de genre :
5 Définition donnée à l'occasion d'une journée d'études intitulée « Pour une éducation sans préjugés », IUT B de Tourcoing, 15 mars 2012.
6 Butler (J.), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, éditions La découverte, Paris, 2005.
5
Que signifie alors cette idée de « genre performatif »? Pour Judith Butler, « la réalité du genre
est performative, ce qui signifie tout simplement qu'elle n'est réelle que dans le mesure où elle
est performée»7. Le genre n'a donc, dans cette vision, de réel que les actes qui le constituent.
On parle alors de performativité du genre. Le terme performativité est emprunté au domaine
de la linguistique dans lequel J.L Austin8 a utilisé ce terme pour désigner le fait que les
discours construisent la réalité qu'ils décrivent. Ici le genre construit la réalité dont il est censé
résulter. Il est comme le pouvoir chez Derrida c'est-à-dire « qu'il n'est fondé sur rien d'autre
qu'un appel à lui-même, par rien d'autre que par une auto-référence. Se prétendant fondé en
autorité, il se fonde»9. Par conséquent, pour que le genre existe, il faut sans cesse que des
actions viennent le fonder : le genre doit alors être sans cesse répété pour perdurer. L'idée de
performativité du genre est en effet caractérisée par le fait même que les individuEs répètent à
l'infini des actes qui vont créer une division binaire de la société en masculin d'un côté,
féminin de l'autre. Le genre est donc constitué par des actes réalisés dans le cadre d'une
« réitération »10 infinie de pratiques déterminées par la norme11. On est donc face à un système
de mimétisme qui conduit au fait que cette réitération devient une partie fondatrice de
l'identité de l'individuE. Cette identité, si elle n'est pas questionnée, va devenir à son tour, la
preuve qui viendra justifier l'idée que le genre est inscrit dans chaque individuE : la
performativité est donc un processus qui dissimule sa genèse.
En résumé, le genre est performatif dans le sens où il n'a pas d'existence par « essence », par
« nature » indépendamment des actes qui le constituent. Ces actes étant eux-même
7 Butler (J.), « Actes performatifs et constitution des genres : phénoménologie et théorie féministe », in Outre-scène n°9, Mai 2007, p.145
8 Austin (J.L), « Quand dire c'est faire », Éditions du Seuil, Paris, 1970 9 Ambroise (B), « Judith butler et la fabrique discursive du sexe », in Raisons politiques, 2003 n°12, p 99-12110 Judith Butler reprend ici le concept de réitération développé par Derrida11 Ces pratiques sur le plan individuel se concrétisent par la répétition d'actes déterminées par la norme comme
par exemple pour une femme, le fait de se maquiller, de moduler le son de sa voix, de s'épiler, de croiser les jambes quand elle est assise, etc.
6
Sexe =
construit
Genre=
performatif
créecrée
instrumentaliseinstrumentalise
performatifs c'est-à-dire que « l'essence ou l'identité qu'ils sont censés refléter sont des
fabrications, élaborées et soutenues par des signes corporels et d'autres moyens discursifs. »12.
Le genre est donc performatif dans le sens où il crée l'Identité même dont il est censé résulter.
Cette définition du genre influence la démarche de ce mémoire. En effet, dans cette
définition, si ce système social binaire se reproduit sans cesse c'est car l'être humain a une
grande propension à imiter le comportement de ses semblables. Nous imitons ce que nous
voyons/entendons/percevons, ce qui nous est donné à voir et cela forge nos pensées, nos
perceptions, nos comportements. Dans ce qui nous est donné à voir, on trouve bien sûr et
entre autres, les supports culturels. Les supports culturels sont d'importants vecteurs de
représentations, et donc de valeurs qui vont forger nos savoirs, nos identités et être source de
lien social ; toutes ces choses qui, à leur tour, vont être source de nos propres productions.
Nous partons donc de l'hypothèse, que les supports culturels ont une influence forte sur les
représentations, l'imagination et les pensées de ceux qui en usent.
Les conséquences de la présupposition de cette influence sont au cœur de ce mémoire. D'une
part, car cette présupposition donne une responsabilité aux personnes qui choisissent de
diffuser tel ou tel support culturel, donc ici telle ou telle pièce de théâtre. Elle donne donc une
responsabilité aux programmateurs.trices de théâtre. D'autre part, car, si les supports culturels
ont une influence sur l'imaginaire et la vision de ceux qui en usent, une analyse des normes,
valeurs, représentations données à voir dans ces supports apparaît comme pertinente. Sur ce
dernier point, la vision du genre comme étant un processus performatif donne encore plus
d'importance aux représentations qui sont données à voir en terme de masculinités et de
féminités.
Méthode d'analyse, plan et problématique
C'est dans cette logique que s'inscrit la démarche d'étudier le milieu théâtral sous l'angle de la
question du genre. Pour se faire, nous allons entreprendre une démarche sociologique inspirée
de la méthode entreprise par le sociologue Eric Macé pour étudier la télévision13. Il s'agit ici
d'expliquer cette méthode et de voir en quoi elle est pertinente pour le milieu que nous
voulons étudier.
A propos de l'objet télévisuel, Eric Macé part du principe que l'on peut analyser les objets
12 Butler (J.), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, éditions La découverte, Paris, 2005. p 259
13 Macé (E.) « Qu'est-ce qu'une sociologie de la télévision? Esquisse d'une théorie des rapports sociaux médiatisés. Les trois moments de la configuration médiatique de la réalité : production, usages, représentations », dans Réseaux, 2001/1 n°105, p 199-242.
7
techniques et artistiques comme « comme des objets qui gardent en eux la trace de ce que leur
contexte de production y a plié (par de multiples médiations, traductions, déplacements) et
qui, par le fait même de leur existence (leur diffusion), redéploient le contexte social et
symbolique dans lequel il est à nouveau traduit, déplacé, produit ; pour enfin, d'une manière
ou d'une autre, entrer dans les plis de nouvelles productions »14.
La démarche est donc d'étudier un domaine et d'analyser ce qui y est « plié ». Cette démarche,
telle que décrite par Eric Macé, fait tout à fait sens pour étudier un domaine artistique. C'est
ce que nous prouve les trois temps dégagés par Eric Macé, qui conviennent tout à fait aux
temps du support culturel théâtral. Le sociologue distingue trois temps dans l'étude
sociologique. Tout d'abord, le temps de la production, c'est-à-dire « l'observation ou la
reconstitution de ce qui est plié dans tel ou tel objet de la culture de masse (au-delà des
logiques des industries culturelles, le contexte national et international de production) »15.
Ensuite, le temps des usages, qui correspond à « l'analyse des formes d'appropriation et des
formes d'actions liées aux usages de ces objets (dans la mesure où les contextes de
« réception » sont ipso facto compris dans les contextes de « production ») »16. Enfin, le temps
des représentations c'est-à-dire « l'observation pour elles-mêmes des « traces » culturelles et
symboliques que sont ces objets (et ce qu'elles nous « disent » du monde qui les produit, sans
jamais permettre d'en déduire les usages qui en seront faits) »17.
Ces trois temps peuvent correspondre à trois temps que nous pouvons étudier dans une
institution programmatrice de théâtre. Nous avons choisi ici d'étudier quatre institutions
implantées dans la métropole lilloise. Il s'agit du Théâtre Massenet, du Théâtre du Nord, de la
Rose des Vents et du Théâtre de la Découverte à la Verrière. Le choix de ces institutions est
marqué par le fait qu'elles présentent toutes un statut, des missions et une démarche artistique
très différents : l'analyse de ce qui est « plié » dans la programmation nous donnera donc un
panorama assez représentatif des institutions programmatrices de théâtre en général.
Par conséquent, nous étudierons deux des trois temps de la manière suivante :
En ce qui concerne le premier temps, la « production », la démarche la plus pertinente
a été selon nous d'aller directement à la rencontre d'acteurs phares de la production dans une
institution culturelle afin de comprendre la façon dont ilLes abordent, ou non, la
problématique théâtre/genre. Nous avons donc réalisé des entretiens avec des personnes qui
prennent part aux choix de programmation dans les quatre institutions culturelles choisies :
14 Op.cit. p. 20315 Ibid.16 Ibid.17 Ibid.
8
James Phil-Zanga pour le Théâtre Massenet, Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord, Didier
Thibaut pour la Rose des Vents et Catherine Gilleron pour le Théâtre de la Découverte à la
Verrière.
Il s'agit alors de savoir si la question du genre dans le théâtre fait sens dans le paradigme de
ces personnes programmatrices. Pour comprendre cela, nous nous intéresserons aux
représentations qu'ilLES ont du théâtre : quelle conception ont-ilLEs de cet art, vers quel
théâtre tendent-ilLEs? Comment s'agencent l'esthétique et l'éthique dans leurs choix de
programmation? Une pièce de théâtre porte t-elle selon eux/elles un message? Font-ilLEs une
distinction entre le message esthétique et le message politique?
La réflexion autour de ces questions nous permettra de mieux comprendre le fait de
considérer ou non la question du genre comme une question importante dans le théâtre. Si l'art
est éminemment politique, veiller au non-sexisme des rapports sociaux qui sont donnés à voir
pourra être une idée plus compréhensible que si l'on considère que l'art n'a pas grand chose à
voir avec le politique. Si l'on considère l'art, le théâtre comme un domaine autonome, le plus
souvent détaché des réalités sociales, la question du genre peut paraître alors n'avoir aucune
importance. Si l'on considère que l'art doit nourrir les imaginaires, la question du genre pourra
apparaître en terme de : par quels rapports de genre, par quelles représentations des
masculinités et des féminités veut-on nourrir les imaginaires? Y a t-il la volonté de combattre
des stéréotypes racistes ou sexistes dans les représentations qui sont données à voir? Si ce
n'est pas de les combattre, y a t-il la volonté de les éviter? Est-il important selon eux de
diversifier les rôles féminins sur scène ?
Par ailleurs, si l'on considère que le théâtre est un témoin de notre société, un regard
particulier sur l'humanité, qu'il est chamboulé, travaillé par les questions qui traversent et
questionnent la société, vient-il alors de soi que les productions théâtrales d'aujourd'hui
questionnent la notion de genre, les normes de masculinités et de féminités?
Mais aussi, du côté de la maîtrise de la représentation, les programmateurs.trices interrogéEs
conçoivent-ilLEs comme un problème le fait que « 85% des textes que nous entendons aient
été écrits par des hommes »18, « 78% des spectacles que nous voyons aient été mis en scène
par des hommes »19? Si c'en est un, par quelles voies veulent-ilLEs que cela évolue, change?
Du côté de la direction des institutions culturelles, pensent-ilLEs que le fait que « 92% des
théâtres consacrés à la création dramatique soient dirigés par des hommes » est un problème?
Comment le régler selon eux?
18 Rapport Reine Prat, 2006.19 Ibid.
9
L'analyse de ce temps de production prend en compte le cadre dans lequel sont effectués les
choix de programmation. Ce cadre, c'est le contexte national voir international de production,
c'est le rôle et les missions attribuées à l'institution dans laquelle ilLEs exercent leur activité
de programmation mais aussi ce sont les réseaux qu'ilLEs ont créées et qui influencent leurs
logiques d'action. Cette philosophie du théâtre est également à comprendre dans le parcours
de la personne programmatrice, dans le contexte de sa socialisation.
Pour des raisons techniques, nous ne réaliserons pas d'analyse concernant le temps des
usages décrit par Eric Macé. Nous pourrions imaginer, par exemple, la concrétisation de
l'étude de ce temps par une analyse complexe de la réception de spectacles, grâce à l'interview
de spectateurs.trices (pour plusieurs spectacles avec plusieurs interviewés pour chaque
spectacle). Mais cela n'a pas été réalisé ici.
Nous nous pencherons cependant sur le troisième temps, celui de l'étude des
représentations. Il s'agit bien ici d'étudier ce qui nous est donné à voir en tant que tel. C'est là
la particularité de ce temps : saisir dans ce qui nous est donné, ce que ce support nous dit en
général sur la société et en particulier sur le monde qui l'a produit. Il ne s'agit pas d'en déduire
les intentions des programmateurs.trices, auteurEs, metteurs.ses en scène, ni de déduire quoi
que ce soit sur les usages qui en sont faits. Le regard portera sur les représentations véhiculées
en terme de masculinité et de féminité et sur le système du genre en général. Il s'agira alors de
voir quels sont les modèles de masculinités et de féminités présents sur scène. Ces modèles
sont-ils divers? Montrent-ils une large palette des « masculinités » et « féminités »?
Questionnent-ils ces catégories? Les remettent-ils en cause? Ou au contraire reproduisent-ils
les stéréotypes de genre? Les représentations véhiculent-elles l'image du masculin
« universel » et du féminin « particulier »? Et aussi, s'il y a reproduction des stéréotypes de
genre, est-ce tourné de manière critique? Les stéréotypes sont-ils tournés en dérision?
Nous avons fait le choix de nous pencher sur cette question de la manière suivante : nous
avons tenté une approche d'analyse des représentations des masculinités et des féminités dans
les pièces de théâtre diffusées au Théâtre du Nord et à la Rose des Vents pour une période
donnée, le mois de février. Le regard porté sur ces pièces mobilise nos lectures et notre
expérience en terme de gender studies et de féminisme. Cette analyse est un essai qui
comporte ses limites. La grille de lecture élaborée est une grille particulièrement souple et
large des représentations du genre dans les pièces analysées ; ce qui, d'un côté, nous a laissé la
possibilité de ne pas enfermer ce qui se déroulait sous nos yeux dans des catégories trop
restreintes mais d'un autre côté peut sembler souffrir d'un manque de rigueur scientifique. Par
ailleurs, afin de prendre du recul sur notre paradigme et nos catégories de pensée et ainsi ne
10
pas restreindre le sens des œuvres que nous analysons, ce travail demanderait à être fait de
manière collective. La limite de cette analyse tient aussi à l'espace-temps dans lequel elle a été
réalisée. Le choix des théâtres, le Théâtre du Nord et la Rose des Vents a été fait simplement
car ce sont les deux plus grandes salles lilloises, qui reçoivent le plus de spectateurs.trices à
l'année et que ce sont des scènes labellisées avec le label Centre Dramatique National pour le
Théâtre du Nord et Scène nationale pour la Rose des Vents. Elles sont donc plus fortement
légitimées sur le plan institutionnel que la Verrière ou le Théâtre Massenet, théâtres qui sont
par ailleurs également mes objets d'études dans les questionnements sur la programmation.
Dans l'idéal, l'analyse des représentations du genre aurait aussi été nécessaire pour les pièces
programmées dans ces théâtres. Par ailleurs, la durée sur laquelle l'analyse a été effectuée est
courte : un mois, le mois de février (choisi pour des raisons techniques). L'idéal aurait été bien
sûr de réaliser cette analyse sur toute la saison.
Avec cette démarche, il s'agira donc de comprendre, en deux temps distincts, celui de la
production et celui de la représentation, comment est traduite la question du genre dans le
milieu culturel théâtral lillois.
L'expression « Théâtre/Genre »
Avant de commencer, nous pouvons poser distinctement les liens qui unissent la question du
genre et celle du théâtre. Ces liens seront dans notre réflexion organisés autour de trois axes
reliés entre eux.
Tout d'abord, parler de la question du genre dans le milieu du théâtre c'est dresser le constat
dans ce milieu de fortes inégalités hommes/femmes. En effet, la direction des institutions, la
maîtrise de la production artistique et la disposition des moyens financiers sont réparties de
manière singulièrement inégale entre les hommes et les femmes. La mise en lumière de ce
déséquilibre s'est particulièrement faite lors de la diffusion du rapport Reine Prat en 200620.
Les chiffres diffusés dans ce rapport ont surpris les acteurs culturels. En effet, on trouve dans
ce document que : 92% des théâtres consacrés à la création dramatique sont dirigés par des
hommes, 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes, 78% des
spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes21. Ces chiffres sont à l'image
20 Prat (R.), « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant : pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation », Mission pour l'égalité et contre les exclusions (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°1, 2006
21 Pour plus de chiffres, se référer à l'annexe n°2
11
de la prédominance des hommes dans l'espace public, mais ils ont été d'autant plus reçus avec
surprise que le secteur culturel a dans la société une image de secteur avant-gardiste. La
spécificité de l'importance de ces chiffres dans ce secteur relève également du fait que,
comme nous l'avons vu plus haut, les supports culturels ont une influence forte sur les
représentations, l'imagination, les pensées de ceux qui en usent. Reine Prat exprime ainsi
l'enjeu : « il faut considérer l'effet d'entraînement qu'aurait sur l'ensemble de la société une
plus juste répartition des rôles et des responsabilités dans un secteur dont la fonction est de
solliciter et de nourrir les imaginaires : arts de la représentation, les arts du spectacle apportent
une contribution non négligeable au maintien du « système de dénigrement et de
dévalorisation du féminin [...] »22.
Il peut apparaître dans la démarche de Reine Prat une contradiction avec la façon dont
nous avons décrit le système de genre. En effet, porter attention aux inégalités hommes-
femmes, compter le pourcentage de femmes revient à mettre en avant une catégorie, « la
femme », que les études sur le genre peuvent être amenées à remettre en cause. Pourquoi alors
ici réutiliser et pointer les catégories même qui sont contestées (catégories « homme » et
« femme ») ? Serait-ce pour revendiquer une spécificité féminine de faire de l'art? Une
spécificité féminine de voir le monde? En aucun cas. Relever ces chiffres c'est montrer que les
inégalités hommes-femmes existent toujours. Vouloir ne pas en parler peut se faire au nom
d'innombrables principes dont les deux extrêmes sont, d'un côté, l'idée qu'en parler c'est
vouloir changer quelque chose qui est de l'ordre de la nature, et de l'autre côté, l'idée qu'en
parler c'est relever des catégories qui en fait ne sont pas pertinentes. Lors de nos recherches,
nous allons voir que ce qui se dégage du discours des actrices du milieu culturel
(comédiennes, metteuses en scène,...)23 c'est que les artistes femmes pensent que l'enjeu n'est
pas de réveiller/révéler/revendiquer une identité féminine mais l'enjeu est que leur travail
artistique soit jugé en tant que tel (ce qui implique donc un juge débarrassé de préjugés
sexistes) et mis en valeur autant que celui des hommes. Or, les chiffres du rapport Reine Prat
révèlent de manière évidente que ça n'est pas le cas. En somme, la question de la parité dans
le milieu culturel, donne à voir, à travers les chiffres qui montrent l'exclusion des femmes, la
masculinité du secteur culturel. « Ce que fait la parité, c'est donc de rendre visible les normes
22 Prat, 2006, p. 1523 Voir par exemple les recueils de témoignage dans elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection
du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009 ou dans les OutreScène : n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007 et n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011.
12
en tant que telles - de sorte que, paraissant moins « normale », la réalité qu'elles font percevoir
se révèle pour ce qu'elle est : normée »24.
Ensuite, analyser le secteur du théâtre sous l'angle du genre, c'est aussi porter une
attention particulière aux représentations des masculinités et féminités qui sont données à voir
sur le plateau. En effet, quelles sont les images de la masculinité et de la féminité qui sont
données à voir au.à la spectateur.trice? Dans quelles mesures les rôles proposés aux
acteurs.trices reproduisent-ils des stéréotypes de genre? Le théâtre peut-il être un lieu
d'émancipation des femmes et des hommes vis-à-vis des stéréotypes qui leur sont assignés?
Enfin, s'intéresser à la question du genre dans le théâtre c'est aussi, constater dans les
objets artistiques un retentissement des théories développées notamment par Judith Butler de
« trouble dans le genre ». En effet, ces questionnements sur l'identité de genre traversent
indubitablement la société. Ces questionnements mènent dans tous les domaines artistiques
(théâtre, danse, art plastique,...) à la production de modèles qui déplacent la vision
traditionnelle des catégories homme/femme comme des catégories claires et immuables dont
la remise en cause serait impossible. Il s'agit là de prendre en compte la force que l'art peut
avoir dans la déconstruction de schémas mentaux très ancrés dans la société. Françoit Frimat
dans son article « Danse avec le genre » exprime cela à propos du travail du chorégraphe
Raimund Hoghe : « Le spectateur du travail de Hoghe ne peut plus avoir de certitudes naïves
sur les universaux que prétendent parfois être le genre et le sexe et, confronté à une humanité
plus diverse et plus complexe, en arrive à reconnaître du familier dans ce qui lui semblait le
plus étrange. »25
En fait, plus que comme trois points distincts, nous verrons que concrètement, ces trois
points, inégalités hommes-femmes dans le théâtre, représentations des masculinités et des
féminités, représentations de modèles qui questionnent les normes de genre, sont intimement
liés. Au cours de ce texte, nous utiliserons l'expression théâtre/genre, l'expression contient
alors ces trois axes.
24 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303.
25 Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.
13
I. Production : analyse des discours des programmateurs.trices de
théâtre en perspective d'une meilleure compréhension de leur
manière d'aborder les liens théâtre/genre.
Analyser la production, ici, reviendra à analyser les discours sur les logiques d'action
qui déterminent la production. La production, ici, c'est la programmation de spectacles
vivants. Les acteurs principaux de cette production sont les « programmateurs.trices ». Les
programmateurs.trices, que ce soit dans leur mission d'aide à la création ou de diffusion,
produisent. IlLEs produisent dans le sens où ilLEs ont le pouvoir de décider si telle ou telle
pièce sera créée ou non, diffusée ou non, au sein de leur structure. L'état d'esprit qui va être
analysé ici par le biais des discours de programmateurs.trices s'inscrit dans un état d'esprit
plus large. Tout d'abord celui du monde du théâtre aujourd'hui (quels sont les courants, quels
sont les débats, qu'est-ce qui préoccupe dans la création théâtrale aujourd'hui ?) et aussi, bien
sûr, celui de l'institution culturelle dans laquelle le/la programmateur.trice exerce son activité.
Cette idée rejoint ce qu’Éric Macé nomme la double médiation/traduction de la réalité sociale.
Il écrit alors à propos de la télévision : « ce qui est « plié » dans la production des contenus de
la télévision est le produit d'une double médiation/traduction de la réalité sociale : celle de
l'espace public comme « arène » et « controverse », et celle des industries culturelles comme
« organisation » et comme « scène » »26.
Par ailleurs, le discours de la personne programmatrice, s'il nous dit quelque chose sur ces
états d'esprit qui règnent dans l'espace public et dans l'institution culturelle dans laquelle elle
exerce son activité, ce qu'il nous dit est également à situer sur un plan plus individuel. En
effet, le discours du/de la programmateur.trice est dépendant de la position à partir de laquelle
ilLE s'exprime. Comme l'explique Pierre Bourdieu, il existe une « correspondance entre les
structures sociales et les structures mentales, entre les divisions objectives du monde social et
les principes de vision et de division que les agents leur appliquent »27. Sans doute, ajoutera t-
il « les agents construisent-ils la réalité sociale, sans doute entrent-ils dans des luttes et des
transactions visant à imposer leur vision, mais ils le font toujours avec des points de vue, des
intérêts et des principes de vision déterminés par la position qu'ils occupent dans le monde
même qu'ils visent à transformer ou à conserver. »28
26 Macé (E.), p 204.27 Bourdieu (P.), « introduction », La noblesse d'État, Grandes écoles et esprit de corps, Collection « Le sens
commun », 198928 Ibid.
14
On tentera alors le plus possible dans l'analyse des discours tenus ici par les
programmateurs.trices de situer ces discours, avec les informations que nous possédons, par
rapport à l'institution dans laquelle ils sont produits, par rapport aux réseaux auxquels ils
appartiennent et par rapport à la position de l'individuE qui l'énonce.
Il est important de noter que, si ces discours sont marqués par un certain état d'esprit, cet état
d'esprit n'est pas pour autant stable et constant. Ce que nous allons analyser ici, ce ne sont pas
des pratiques qui posséderaient une certaine stabilité dans le fait même d'être appliquées et
répétées mais des discours, des discours qui sont le produit d'une certaine vision du monde.
Une partie du discours est amenée à changer, à évoluer, le discours de l'individuE étant sans
cesse confronté à des nouvelles expériences, de nouvelles interactions. Il ne s'agit donc pas de
dire dans cette analyse « voilà comment les gens pensent » considérant leur parole comme
retranscrivant parfaitement leur pensée et comme étant le produit d'une pensée destinée à
perdurer. Il s'agit d'essayer de dégager les grandes questions qui traversent les propos tenus
par les différentes personnes et d'essayer de comprendre dans quels paradigmes ces grandes
questions s'inscrivent. Ce qui va nous permettre de dégager ces grands traits, ce sont, en
partie, les différences de discours entre les différentEs programmateurs.trices. La lecture
régulière de revues théâtrales ou artistiques telles que Cassandre, La Scène ou Mouvement va
également beaucoup nous aider à replacer ces discours dans certaines mouvances. Aller
interviewer les programmateurs.trices, c'est tenter de voir l'état des questionnements sur la
définition du théâtre, son rôle, sa place dans la société, de recueillir les opinions sur son
évolution, à un endroit où ces supports culturels sont produits.
C'est aussi, dans notre démarche, aller voir si les questions sur le genre qui traversent la
société, traversent également ce milieu culturel. Est-ce que ces questions sont problématisées
dans la démarche des programmateurs.trices? Si oui de quelle manière ?
Quel est l'état des questionnements sur, d'une part, les représentations du genre dans les
supports culturels et, d'autre part, l'inégale distribution des tâches entre les hommes et les
femmes dans ce milieu, les hommes détenant une énorme majorité des postes à
responsabilité ?
Si nous avons pris le parti de ne pas présenter ce thème comme le sujet de la recherche
lors de nos entretiens, c'est que la question est ici de savoir si cette problématique fait sens
dans leur paradigme et si c'est une problématique qui mobilise leur réflexion, en dehors de
toute intervention extérieure. Annoncer le thème du genre empêcherait de constater si c'est
une problématique qui les préoccupe. En revanche, certaines de mes questions invitaient la
15
personne interrogée à aborder cette thématique, comme par exemple lors de mon entretien
avec Yannic Mancel : « vous avez parlé tout à l'heure d'une notion, "nourrir les imaginaires"
(oui) et par rapport à cette question là, est-ce que vous avez un souci de représentativité, de
montrer le plus possible de gens divers sur scène... 00:52:46-7 » .
Dans trois cas, le thème n'étant pas abordé malgré mes tentatives, des questions concernant
clairement soit les modèles de masculinités et de féminités proposés dans les spectacles, soit
les univers d'artistes qui donnent à voir une remise en question des catégories hommes-
femmes, soit les inégalités hommes-femmes dans le théâtre ou leur théâtre ont été directement
posées. Le quatrième cas, celui de l'entretien avec James Phil-Zanga, n'est pas significatif sur
ce point, car ayant été amenée quelques mois plus tôt à discuter avec le programmateur de
mon idée de mémoire, il savait que mes recherches portaient en partie sur la thématique du
genre29.
Dans tous les cas, il est intéressant de voir comment chacun réagira face à nos questions et de
voir que la manière de problématiser cette question est différente pour tous. Il ne s'agissait en
aucun cas dans la démarche de l'entretien de « prendre au dépourvu » les
programmateurs.trices mais bien de partir de questionnements généraux afin de voir si une
problématique concernant les rapports sociaux de genre pouvait émerger. Cependant, ce parti
pris comporte des avantages mais aussi des limites. Un deuxième travail consisterait en fait à
présenter aux programmateurs.trices interrogéEs les thématiques de recherches avant
l'entretien. On pourrait alors, dans la logique de la démarche entreprise dans les Outre-scène30,
envoyer quelques questions ou pistes de réflexion aux programmateurs.trices afin que l'on
puisse discuter de ce thème après qu'ilLEs y aient réfléchi.
En outre, nous avons pris le parti, lors des entretiens, d'opter pour une non-directivité,
non-directivité qui prendra fin lorsqu'il s'agira d'aborder les questions phares dans nos
recherches qui n'auront pas été abordées par la personne elle-même, c'est-à-dire
essentiellement lorsque nous aborderons la thématique genre/théâtre. Une partie de la posture
non-directive consiste ici à poser des questions très larges auxquelles on invite le/la
programmateur/trice à répondre comme il/elle le souhaite. Après ces expériences, nous
pouvons dire que cette question initiale comportait des failles. En effet, les
programmateurs.trices ont abordé à chaque fois la question du cadre dans lequel ilLEs sont
amenéEs à produire, ce qui était important pour mes recherches, mais, lorsqu'ilLEs
29 J'ai travaillé en tant que chargée de projets au Théâtre Massenet30 OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg,
mai 2007 et OutreScène n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011
16
commençaient à aborder des questions qui relèvent plus de la vision personnelle du théâtre
certainEs, comme Didier Thibaut, pensaient qu'ilLEs s'écartaient de mon sujet alors qu'en fait
ilLEs étaient au cœur même de mes questionnements. Au cours des entretiens il aura alors
fallu demander aux programmateurs.trices d'approfondir leur pensée lorsqu'ilLEs évoquaient
leur vision du monde social et théâtral.
Par ailleurs, la façon dont les programmateurs.trices interrogéEs paraissaient être dans
le flou sur ce sur quoi l'interview portait, tient aussi, on peut le supposer, au terme
« programmation ». Le terme « programmation », présent dans ma question initiale a, lors
des quatre entretiens été redéfini. Chacun s'est démarqué d'un sens du terme
« programmation » qui serait celui d'un « programmateur qui fait son marché » et tous voient
dans ce terme quelque chose de différent.
En outre, notre analyse souffre d'un manque d'informations concernant les individuEs
eux-mêmes. En effet, pour mener à bien une analyse sociologique plus complète, il aurait
fallu interroger les programmateurs.trices de manière spécifique sur leur parcours personnel,
professionnel, associatif, militant. Cependant, nous avons supposé que les acteurs allaient
mobiliser indirectement par eux-mêmes leur histoire personnelle pour expliquer la logique
qu'ils adoptaient. Cela a été le cas la plupart du temps, mais de manière imprécise. Lors de la
réalisation de l'analyse sociologique, nous avons pris conscience qu'une plus grande quantité
et qualité d'informations sur le parcours personnel de ces acteurs aurait été souhaitable. Cela
serait à rééquilibrer dans un travail futur en rencontrant de nouveau les acteurs et en les
interrogeant spécifiquement sur leur parcours afin d'évaluer « dans quelle mesure la
socialisation des programmateurs influe sur leur manière de programmer »31.
En résumé, ce que nous tenterons de faire dans cette première partie, c'est de montrer
en quoi la manière d'aborder et de concevoir les liens théâtre/genre dépend de la philosophie
du théâtre et de la conception du lien qu'il peut y avoir entre théâtre et politique de la personne
programmatrice ; cette philosophie dépend elle-même de l'opinion politique et artistique de la
personne, elle-même liée à la position sociale et à la socialisation de l'individuE mais aussi
inscrite et fortement dépendante du type d'institution culturelle dans laquelle il.elle exerce son
activité de programmation. Cette problématique ainsi formulée n'est pas l'hypothèse de départ.
C'est-à-dire que nous ne sommes pas alléEs à la rencontre des programmateurs.trices en
pensant démontrer cela. C'est en liant l'analyse de leur discussion et notre bibliographie que
31 Gaudubois (M.), Dans quelle mesure la socialisation des programmateurs influe sur leur manière de programmer, Mémoire en master 1 métiers de la culture encadré par Stéphanie Pryen, Université lille 3, 2011.
17
nous avons décidé d'orienter notre bilan de recherches selon cet angle d'attaque.
Dans cette partie, nous allons donc procéder de la manière suivante : chaque sous-
partie reportera et analysera les traits caractéristiques du discours tenu par unE
programmateur.trice lors de notre entretien, traits jugés caractéristiques au vu de nos lectures
et de la problématique du genre. Nous verrons, d'une manière différente en fonction des
spécificités de chaque cas, quelle est la philosophie du théâtre portée par le.la
programmateur.trice et caractéristique de l'institution (les deux étant liés) et plus précisément
la vision des liens qui relient les notions de théâtre, d'imaginaire, d'onirique, d'irrationnel aux
notions de société, politique, réel, rationnel. Dans quelles mesures alors cette philosophie
conditionne t-elle d'une part le fait que la question du genre soit abordée ou non et d'autre part
la manière spécifique de la problématiser ?
A. Un théâtre source de réflexions politiques, réflexions qui peuvent être axées
sur la thématique du genre et du féminisme. James Phil-Zanga pour le Théâtre
Massenet
L'entretien avec James Phil-Zanga s'est déroulé dans un café-restaurant. James Phil-
Zanga est l'actuel directeur-programmateur du Théâtre Massenet. Il a notamment une
formation en gestion de projets culturels (DESS médiation éducation culture) et il occupe ce
poste de directeur depuis la réouverture du lieu par la mairie de Lille en 2008. Le Théâtre
Massenet est une institution culturelle de taille modeste avec une jauge de 115 personnes. Il
est géré par l'association Théâtre Populaire du Nord (TPN). Cette association « regroupe des
compagnies professionnelles implantées dans la région Nord-Pas-de-Calais et a pour mission
de développer des actions de programmation au sein du Théâtre Massenet à Lille, dans le
quartier de Fives. Le TPN développe des actions de sensibilisation et de médiation autour de
la programmation, dans une démarche de théâtre populaire. »32. Les buts du Théâtre Massenet
peuvent être regroupés en deux catégories distinctes. Tout d'abord, la première catégorie se
compose des buts liés fortement aux missions et au statut du théâtre définis dans le cahier des
charges qui lie Massenet et la mairie de Lille. En somme, le but premier tel que décrit par le
directeur du théâtre est de promouvoir des artistes de la région qui ne sont pas soutenus par les
grosses structures. L'idée dominante est celle d'une aide apportée à l'émergence des jeunes
artistes ou troupes qui ont la volonté de se professionnaliser. Cette aide est une aide en termes 32 Site web du théâtre Massenet : http://www.theatre-massenet.com/association.php
18
de moyens techniques (possibilité de résidence et de représentation), mais aussi et surtout en
terme de visibilité. En effet, jouer au Théâtre Massenet assure aux jeunes troupes une
couverture médiatique (conférence de presse quasiment pour chaque spectacle) et un intérêt
institutionnel (venu de programmateurs.trices d'autres structures culturelles ou de
subventionneurs). L'autre partie des missions décrite par James Phil Zanga est la diffusion de
formes artistiques pluridisciplinaires ou la promotion de formes artistiques qui ne sont pas
(encore) valorisées par les structures plus importantes. Lors de notre entretien, James Phil
Zanga prit l'exemple du slam, forme soutenue par le Théâtre Massenet et le Zem Théâtre,
soutien qui a encouragé la construction de spectacles vivants avec ou autour du Slam. La
troisième mission est une mission de médiation sur le territoire de Fives. Ces trois principes
(aide à l'émergence, promotion de la pluridisciplinarité, médiation) liés au cahier des charges,
donc liés au statut institutionnel de la structure, vont influencer l'identité artistique et politique
de la structure telle qu'elle est aujourd'hui.
Cependant, le cahier des charges est singulièrement souple et large. Par conséquent, la
démarcation de cette institution par rapport aux autres, son identité, va donc être fortement
liée à la philosophie et la personnalité de la personne qui la gère. C'est cette philosophie et
cette personnalité que nous avons alors questionnées lors de notre entretien. Comme cela est
expliqué dans l'introduction à cette partie sur la production, les informations dégagées ici
comportent leurs limites car elles résultent d'un entretien d'une durée déterminée au cours
duquel il est impossible de saisir pleinement la complexité d'une pensée. Par ailleurs, il faut
rappeler que, contrairement aux autres personnes interviewées, l'interviewé connaissait notre
intérêt pour les questions liées au genre lors de cet entretien.
Cependant, cette discussion mise en relation avec mes lectures et comparée aux autres
interviews, me permet de situer son discours vis-à-vis de différentes conceptions du théâtre et
de dégager les grands traits qui caractérisent sa vision de l'art et du théâtre et plus
particulièrement, les liens qu'il voit entre le théâtre et le réel, le théâtre et la société, le théâtre
et la.le politique.
1. Théâtre Société Politique
La façon que le programmateur a de présenter l'art en général et le théâtre en
particulier relève d'une vision d'un art profondément inscrit dans la société. Un art qui non
seulement est marqué par les questionnements qui traversent la société mais qui a aussi un
19
rôle à jouer dans « la cité »33. Pour reprendre les termes énoncés dans les questionnements en
introduction, les mondes réels influencent fortement les mondes imaginaires. Mais aussi ce
qui est produit et représenté dans les mondes imaginaires vient nourrir cette réalité sociale.
Cette dialectique entre le réel et l'imaginaire se perçoit tout au long de notre entretien.
Le théâtre apparaît alors comme profondément lié au politique, le terme politique entendu ici
non seulement au sens « du politique » c'est-à-dire de ce qui traverse la cité, ce qui questionne
et préoccupe le vivre ensemble mais aussi perçu au sens de « la politique » c'est-à-dire comme
l'expression des rapports de force et des conflits d'opinions qui traversent la société (« peut-
être nous il faut qu'on soit défenseur de quelque chose à Massenet »).
Trois grands propos caractérisent le discours de la personne interviewée en ce qui concerne
les ponts qu'il peut y avoir entre le théâtre qu'il programme et la société/le politique/la
politique.
Tout d'abord, le programmateur constate l'émergence d'un mouvement d'artistes
fortement marqué et se nourrissant artistiquement des faits politiques et sociaux qui traversent
la société : « ces créations sont nourries de faits sociaux et politiques qui ont touché, blessé ou
interrogé » dit-il en décrivant les spectacles représentés durant le festival « Je(ux) de
genre »34. Le théâtre parle alors du monde dans lequel on vit car ces artistes sont connectés au
social : « ce qu'on peut accueillir comme proposition, c'est souvent des choses qui parlent
vraiment, qui sont vraiment inscrites dans un champ plus large de la société ».
Donc ici le programmateur présente cela tout d'abord comme une sorte de constat objectif : de
manière passive, c'est-à-dire en observant juste les propositions de créations faites par les
artistes à la structure, les formes artistiques proposées s'inspirent très souvent de faits sociaux
et politiques. Ces formes artistiques soulèvent donc en soi des questions sociales. Cependant
ce constat n'est pas simplement un constat objectif : c'est parce que le programmateur est
sensible à ces questions qu'il va, par son regard particulier, faire ressortir la portée politique et
sociale de ces œuvres d'art. En effet, unE autre programmateur.trice pourrait programmer ces
mêmes pièces mais pour d'autres raisons, des raisons qui ne s'appuieraient pas sur un regard
politique et social porté sur l'œuvre d'art.
Ensuite, le lien entre théâtre et société, théâtre et politique relève aussi d'une démarche
de la part du programmateur. Il s'agit pour James Phil-Zanga de ne pas se contenter
uniquement de ce qui est produit et créé dans le milieu du théâtre « officiel » c'est-à-dire par
des personnes qui sortent d'écoles de théâtre ou de conservatoires de théâtre et qui vont créer
33 Terme utilisé par l'enquêté34 Festival Je(ux) de genre, événement artistique/féminismes et gender studies, du 16 au 31 mars 2012, Théâtre
Massenet
20
en vue de se produire dans des salles de théâtre prévues à cet effet. On perçoit l'idée d'aller
chercher l'art en dehors des sentiers battus : « ça nécessite de repérer par exemple les jeunes
qui sont sortis d'écoles, et pas forcément que l'EPSAD. Des jeunes artistes (…) qui sont en
squat par exemple. Enfin voilà, qui sont parfois cachés et faut aller parfois les chercher, les
repérer. Parfois c'est des artistes qui sont dans le réseau militant ou dans le réseau associatif et
qui ont besoin, on va dire d'un accompagnement structurel pour pouvoir être un peu plus
visible ». En l'occurrence, James Phil-Zanga montre un intérêt pour les œuvres d'art qui sont
créées dans les milieux associatifs ou militants dans le but de promouvoir le développement et
la visibilité de cet art là.
Enfin, l'institution culturelle est vue ici comme un espace inscrit dans l'espace public
et qui a par conséquent un rôle social à jouer.
Ce rôle, c'est d'une part, être un lieu pour tous. James Phil-Zanga parle de tentative d'en faire
un lieu fréquenté par des gens qui n'ont pas forcément pour habitude de se rendre au théâtre.
Ce but, il y travaille d'une part lorsqu'il travaille en partenariat avec des associations (les
associations vont ramener leur public à eux) mais aussi en en faisant un lieu le plus simple et
le plus chaleureux possible.
« JPZ : la frontière à franchir pour, n'importe quel public, pour aller au théâtre et beaucoup
plus simple chez nous que dans un lieu baroque. T'as un contact avec le public qui est plus
franc, plus simple, avec beaucoup moins d'apparat et c'est souvent un lieu où les gens qui
n'ont pas l'habitude d'aller au théâtre se retrouvent généralement assez rapidement à l'aise. Et
du coup c'est quand même un élément qui est à prendre en considération et qu'on doit essayer
de valoriser (...)
EB : oui, d'accord. et ça tu l'expliques comment? qu'ils se sentent à l'aise?
JPZ : parce qu'on est une équipe jeune par exemple(...) on a une équipe aussi de bénévoles qui
sont soit des habitants du quartier ou des étudiants. On a un côté où on n'est pas dans une sorte
de mondanité (…) il n'y a pas des codes. On essaie un peu de dire, vous pouvez venir ici sans
avoir des codes de théâtre. » 00:21:21-1
On perçoit, chaque fois qu'il parle du lieu et des rapports avec le public, la volonté de casser le
plus possible les barrières à l'entrée, de faire de Massenet un théâtre accessible à tous,
affranchi de codes qu'il considère comme étant l'apanage d'une élite sociale et culturelle.
D'autre part, ce rôle de « lieu citoyen » est aussi caractérisé par la volonté de faire de ce lieu
un lieu de réflexion politique et sociale inscrit dans un territoire donné :
« ça peut peut-être nourrir certaines choses, ça peut être un lieu dans la cité c'est pas rien. Et
ça dépend aussi de ta vision que tu veux avoir de ta cité mais moi je crois à ces élans là et je
21
crois au rêve associatif »
Il paraît primordial pour le programmateur que le théâtre qu'il programme soit source de
questionnements politiques et source de débats.
En somme, on trouve dans les propos tenus lors de cet entretien un intérêt particulier pour le
théâtre comme « quelque chose d'inscrit dans le lien social, dans le champ social ». On
retrouve aussi une volonté de mettre en lumière le propos politique contenu dans les œuvres
d'art. C'est dans ce sens que l'on peut comprendre l'initiative de ce programmateur de réunir
des œuvres d'arts sous une thématique philosophique, sociale et politique telle que la question
du genre. Le théâtre apparaît donc comme un support de réflexions.
L'existence du festival « je(ux) de genre» se comprend tout à fait dans cette logique.
La démarche recoupe totalement les différents aspects de cette vision politisée du théâtre.
2. Le festival « je(ux) de genre » : une conséquence de la vision du lien théâtre et politique exposée ci-dessus
Il s'agit ici de comprendre la démarche dans laquelle s'inscrit l'élaboration du festival
« Je(ux) de genre ».
L'idée part d'abord de propositions artistiques :
« je sentais qu'il y avait beaucoup de propositions artistiques autour de cela (…) »
« il y avait un artiste que moi je suis depuis quasiment son début de parcours qui est Matthieu
Jedrazak, qui lui est plutôt dans le réseau lesbien-gay-trans mais qui a autour de son équipe
artistique des gens qui ont une sensibilité féministe ou des questionnements sur les gender
studies. Et j'ai eu ensuite Ratiba qui est quelqu'un que j'avais programmé il y a sept ans au
ZEM qui montait un spectacle autour du recueil de texte "mon corps est un champ de
bataille" ».
Il s'agit donc ici de soutenir des artistes qu'il suit depuis un moment et dont il apprécie le
travail et la démarche artistique. Ces spectacles « devaient se passer totalement de manière
éparse dans la saison ».
Puis, c'est la volonté du programmateur de travailler sur ces questions qui l'a alors
amené à chercher à réunir ces œuvres artistiques (cette même volonté a participé au fait qu'il
s'intéresse à ces artistes). A la volonté de travailler avec ces artistes s'ajoute l'idée qu'il est
légitime et souhaitable pour un théâtre de s'associer avec d'autres partenaires culturels. Cette
collaboration se fait avec une association, qui a un positionnement politique clair : Rencontres
22
féministes est féministe. Cette association porte une philosophie de l'art qui est celle de l'art
comme support de réflexion, d 'échanges et d'interrogations politiques. Pour James Phil-Zanga
la philosophie de cette association correspond à celle de Massenet : « et après il y a eu une
association Rencontres Féministes qui s'est crée à Lille qui avait monté un événement l'année
dernière qui s'appelait Désordres. Et c'est la première fois j'ai trouvé, enfin en tout cas sur
Lille, une volonté d'avoir un peu à son échelle une démarche sur ce que l'art pouvait apporter
sur des questions de société et qui avait une démarche un peu similaire à ce que nous on fait à
Massenet et qui avait aussi et avant tout, une volonté de faire partager ces questions là à de
nouvelles personnes, essayer un peu de rendre plus visible auprès des publics cette question
là. »
Réunir des artistes autour de la thématique sur laquelle ils travaillent, s'associer avec
une association culturelle féministe pour « essayer d'en faire un grand rendez-vous et de
fédérer un peu toutes ces énergies là, pour susciter, pour avoir déjà un peu plus de visibilité,
que ces questions là puissent rencontrer un public nouveau ».
On retrouve ici l'idée que les propos artistiques sont là et que son rôle à lui va être de
fédérer ces propositions. Par conséquent, en les réunissant ainsi sous une thématique, c'est le
propos politique contenu dans ces objets artistiques qui va être mis en avant. Il s'agit donc ici
d'une démarche militante : donner plus de visibilité à une cause qui lui tient à cœur.
Par conséquent, le théâtre va devenir selon lui, un lieu de débats et de réflexions
politiques tel qu'il en avait formulé la volonté lorsqu'il parlait de faire de Massenet un lieu
citoyen « inscrit dans la cité » :
« on avait des spectacles qui finissaient à 22h et les gens restaient débattre-échanger jusque
très tard le soir. Souvent on a fermé à 2-3h du matin. Quand tu sens cet engouement après
avoir vu une œuvre d'art tu te dis, ouais là on a réussi à la placer dans un champ qui est
intéressant(...) qui la rend pas plus riche ou je sais pas, l'œuvre d'art elle est ce qu'elle est en
tant que tel mais en tout cas elle peut servir de biais pour enclencher quelque chose de
citoyen »
Le programmateur met en avant, tout au long de notre entretien, l'intérêt du regard de
l'art sur des questions de société et l'intérêt de l'art dans la réflexion sur ces questions. L'intérêt
des œuvres artistiques qui questionnent la thématique du genre paraît particulièrement grande
dans son discours. Le programmateur envisage la possibilité de la spécialisation de lieux
culturels sur une thématique particulière comme cela peut se voir « à Montréal ou en
23
Allemagne ». Selon lui, le frein à cela est l'impossibilité pour les institutions de penser la
problématique de l'agencement entre l'art et les questions sociétales sous cet angle. « On a
trop besoin de compartimenter les choses en France (notes : compartimenter les choses ici
c'est dire « ça c'est culturel » et « ça c'est politique »), les questions de société peuvent être
entendues dans un lieu culturel mais un lieu culturel ne peut pas être dédié à une question de
société. »
Il insiste à plusieurs reprises sur le fait que l'art et le politique puisent être compatibles sans
que cela ne compromette en rien l'art. Le fait de recourir à plusieurs reprises à cette
affirmation est révélatrice du fait que cette affirmation ne fait pas consensus dans le milieu
artistique. « Tu peux être militant et savoir programmer quoi c'est pas incompatible loin de là.
Il y a plein de courants artistiques qui sont nés de ces courants militants ou d'une volonté de
défendre quelque chose, de valeurs ». Il affirme l'importance du fond, du message politique
sans que cela conditionne la forme, l'esthétique. « ça ne sera pas le message qui va ou qui
risque d'influencer plus que la qualité artistique sur la vue de la création. C'est un tout. »
On perçoit donc une volonté d'affirmer que l'art a un rôle sociétal, peut être support de
réflexions politiques, l'art n'est pas neutre et détaché des rapports de force qui traversent la
société et cette volonté va contre l'opinion qui l'assimilerait à une instrumentalisation de l'art à
des fins politiques. Dans ce positionnement on touche ici à la problématique de l'agencement
entre l'esthétique et l'éthique dans la programmation d'objets artistiques. Chaque interviewé en
parlera et exprimera une vision différente de cet agencement.
En résumé, on trouve dans ce premier cas étudié une forte corrélation entre les
caractéristiques objectives de l'organisation Théâtre Massenet et les dispositions socialement
constituées du programmateur qui y travaille. En effet, d'une part la structure en elle-même
permet une liberté au programmateur : « Nous ce qui nous permet d'être vraiment globalement
un peu différent, c'est qu'on n'a pas un cahier des charges ultra restrictif, donc imposé par nos
subventionneurs ». Et d'autre part, le programmateur a une volonté particulière : « moi ce qui
m'intéressait c'est de voir comment les jeunes artistes pouvaient se professionnaliser, en quoi
je pouvais les aider, qu'est ce que je pouvais leur apporter. C'était aussi comment on pouvait
créer un lieu qui soit, un lieu artistique autour du théâtre de proximité qui casse certaines
barrières, qui puisse être un lieu où on pouvait débattre, s'émouvoir, partager ça c'était super
important pour moi. Et que ça devienne un lieu de vie » et, de par sa socialisation, il est
devenu féministe : « ça fait bien 6-7 ans tu vois que j'ai pu côtoyer des mouvements
féministes ou fréquenter des gens qui étaient dans le milieu féministe et après j'ai lu des
24
études tout ça...enfin après là aussi ça vient un peu à la base de mon ressenti personnel ».
Par conséquent il va donc programmer des pièces qui viendront questionner la légitimité de la
division binaire de la société autour du « masculin » et du « féminin » comme ça été le cas
lors du festival « Je(ux) de genre ». Ces pièces sont révélatrices d'une tendance sociétale, qui
retentit dans le domaine artistique, de remise en cause de la pertinence des catégories
hommes-femmes comme catégories naturelles, nécessaires, légitimes et profitables, telles que
décrites dans l'introduction générale35. Mais aussi, la problématique de la représentation des
identités sexuées sur scène fait sens dans son paradigme « mais il y a peu de rôles super
intéressants pour les meufs. Comparativement aux rôles masculins. C'est aussi parce que le
milieu littéraire d'édition a été ultra et est encore ultra sexiste, c'est pareil pour les auteurs, les
romanciers ou les dramaturges actuels, c'est quand même que des mecs. Enfin voilà il y a
vraiment un temps de parole et un temps d'espace de la parole des meufs qui est ultra réduit
par rapport à une majorité qui est entièrement écrasée par les mecs, dans le monde culturel
que ça soit l'écriture ou la diffusion. C'est une évidence. ». Il est également sensible à la
problématique des inégalités hommes/femmes dans le milieu culturel telle que soulevée par le
collectif H/F « EB : c'est 78 % des spectacles programmés au niveau national qui sont mis en
scène par des hommes. JPZ : Oui oui...nous ça doit être quasiment l'inverse, on doit être
à...faudrait que je refasse les calculs mais je pense qu'on est à plus de 70% de metteuses en
scène accueillies » 01:07:17-1 .
Les différents sens de la question du lien entre genre et théâtre que j'ai pu évoquer dans
l'introduction, ont fait sens pour ce programmateur lors de notre entretien.
On voit donc ici que la manière de concevoir la question théâtre/genre est étroitement
liée à la conception des liens qui relient théâtre et politique, conception qui dépend elle-même
non seulement de la socialisation de l'individuE mais aussi du type d'institution culturelle dans
laquelle il exerce son activité de programmation.
35 cf. le genre comme processus performatif
25
B. Un théâtre de référence, miroir des problématiques qui traversent la société.
Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord.
La rencontre avec Yannic Mancel s'est faite dans une salle de réunion dans les bureaux
du Théâtre du Nord. Tout au long de notre entretien, Yannic Mancel présente une position
claire sur la vision qu'il a de la programmation et du théâtre et maîtrise l'art de la parole. Il
témoigne d'une aisance pédagogique, aisance qu'il a l'occasion de mettre en œuvre lors de
l'animation de « l'école du spectateur » du Théâtre du Nord. Il se place face à moi dans un rôle
de transmission, transmission à une nouvelle génération qui prendra, un jour, la relève.
Il s'agit ici de comprendre sa philosophie du théâtre et les conséquences que cette conception
a sur sa façon de problématiser la question théâtre-genre. Ces conceptions sont celles de
Yannic Mancel en tant que personne mais sont aussi une partie des conceptions portées par le
Théâtre du Nord. En effet, si Yannic Mancel est critique artistique au Théâtre du Nord c'est
parce qu'il a été appelé par Stuart Seide, l'actuel directeur artistique du Théâtre du Nord. Si
Stuart Seide a fait appel à lui c'est que sa pensée est considérée comme compatible avec les
normes et valeurs portées par le Théâtre du Nord. D'ailleurs, dans son discours, Yannic
Mancel emploie tantôt le « je », tantôt le « nous » et la frontière entre les deux n'est pas bien
déterminée. Lors de l'entretien, il parle en tant que représentant d'une institution et en tant que
personne – Yannic Mancel possédant sa socialisation propre. Il y a une interdépendance entre
la conception de Yannic Mancel et celle portée par le Théâtre du Nord. Donc ces propos ne
nous permettent pas de dire que ce sont les valeurs portées par le Théâtre du Nord mais, elle
nous donne des pistes de compréhension sur celles-ci.
1. Ph ilosophie du théâtre et conséquence sur la conception de la question théâtre-genre
La philosophie du théâtre de Yannic Mancel est marquée par les trois grands rôles qu'il
accorde au théâtre dans la société : donner de la joie, éveiller les consciences critiques et
nourrir les imaginaires. Beaucoup de ses propos croisent la philosophie brechtienne (Brecht,
1898-1956) du théâtre telle qu'expliquée par Gérard Noiriel dans « le moment Brecht »36. Si
Yannic Mancel fera lui-même référence au théâtre brechtien, l'analogie entre son discours et la
philosophie brechtienne relève de notre initiative.
Le premier rôle, c'est de donner de la joie : « Au théâtre il faut passer un bon moment, il faut
36 Noiriel (G.), Histoire Théâtre Politique, Agone, Marseille, 2009. Chapitre II
26
être diverti, il faut être, il faut éprouver de la joie, il faut être exalté »37. Cependant, il ne s'agit
pas d'un divertissement fondé sur la facilité, c'est-à-dire un divertissement qui s'appuierait sur
les préjugés des gens, les conforterait dans leurs certitudes. Yannic Mancel parle de la
nécessité d'un théâtre qui fasse réfléchir mais « pas qui fait réfléchir sur le moment c'est-à-dire
pas un théâtre prise de tête qui nous ennuierait dans l'instant, non. J'aime bien le théâtre qui
fait réfléchir après coup. Dans l'instant mais surtout après coup. Dans l'instant ce que j'attends
surtout du théâtre c'est qu'il procure de la joie et qu'il excite l'imagination. » 00:32:19-1
On retrouve ici la façon de lier l'intellect et l'émotion telle que Brecht la décrit. Il ne s'agit pas,
dans la théorie brechtienne, de proposer des spectacles qui font appel uniquement aux sens et
à l'émotion, théâtre qui placerait le.la spectateur.trice dans une position passive où il recevrait
ces sensations sans pour autant pouvoir prendre du recul et y réfléchir. Il ne s'agit pas non plus
dans la théorie brechtienne de faire un théâtre avec un propos clair et pédagogique, le théâtre
n'étant pas un discours politique ou moral. Il s'agit de donner du plaisir au.à la spectateur.trice,
de le.la captiver, en lui racontant des histoires, en le.la divertissant mais tout en lui donnant les
outils pour réfléchir par lui.elle-même : divertir sans absorber l'esprit critique. Le « théâtre
épique » permet, selon Brecht, cela. Il permet d'articuler la forme et le fond afin que le théâtre
à la fois plaise et instruise : fusionner les deux pour que « le spectateur comprenne
intellectuellement et sentimentalement son environnement social »38
Pour Yannic Mancel, la dimension de réflexion est, avec la transmission de la joie, au cœur du
rôle du théâtre :
« ensuite l'éveil de la conscience critique, ça c'est quelque chose de très important. Il faut
qu'un spectacle, comme un livre, comme un film, donne du grain à moudre pour développer la
conscience critique du sujet, du citoyen, de l'individuE. C'est-à-dire que ça doit lui donner des
armes et des outils pour avoir un meilleur rapport critique au monde. C'est à ça que sert une
représentation théâtrale. Une représentation théâtrale, c'est comme un réducteur de tête, c'est
un réducteur de monde. Ce qui se passe sur une scène de théâtre c'est une tranche de vie du
monde en plus petit, c'est cette fameuse figure de rhétorique qui s'appelle la métonymie. C'est
une métonymie du monde ce qui se passe sur la scène de théâtre. Donc que pendant deux
heures, le.la spectateur.trice soit invitéE à se concentrer sur cette petite réduction miniature du
monde et autour d'un de ses problèmes, des problèmes du monde, ça le rendra plus fort dans
sa propre vie, dans la vie réelle, pour débrouiller un problème, pour résoudre une interrogation
de conscience morale, etc. »
37 Toutes les phrases entre guillemets sans annotation présentes dans les paragraphes de cette première partie de mémoire sont extraites des entretiens réalisés avec les programmateurs.trices respectifs.
38 Bertolt Brecht cité in Noiriel (G.), Histoire,Théâtre Politique, édition Agone, 2009, Marseille. p.52
27
Ce qui va permettre à la fois la joie et la réflexion, c'est donc ce théâtre épique. Ce théâtre tel
que décrit par Brecht est présent ici dans le discours de Yannic Mancel. Le théâtre épique est
marqué par la distanciation. Celle-ci se différencie de l'identification. L'identification, serait le
fait que le.la spectateur.trice s'identifie aux personnages présents sur scène et ressente alors de
l'empathie. L'identification des spectateurs.trices aux personnages permet un déclenchement
des affects et une compréhension émotionnelle de ce qui se passe sur scène. Cette empathie
peut être par exemple de la pitié. Mais selon Brecht, l'identification qui provoquera crainte et
pitié chez le.la spectateur.trice est dangereuse car elle manipule les affects, en absorbant le.la
spectateur.trice dans l'émotion, elle le dépossède de sa raison. La distanciation se distingue de
cette identification : elle pose sur scène des individuEs et des situations qui sont assez
étrangères pour que le.la spectateur.trice ne s'y identifie pas mais assez ressemblantes pour
que le.la spectateur.trice ne soit pas perduE. La distanciation permet « l'étonnement, la
curiosité, le dépaysement »39. Ces étonnement, curiosité, dépaysement sont provoqués par des
scènes qui ne sont pas la réalité du.de la spectateur.trice telle qu'ilLE la voit mais qui y
ressemble fortement. Ainsi l'idée est donc de rendre étrange ce qui est perçu dans le quotidien
comme naturel et immuable. La distanciation permet de mettre en lumière les rapports
sociaux, les situations en montrant comment celles-ci sont déterminées par une histoire et des
mécanismes sociaux. Brecht pense qu'avec ce théâtre épique basé sur la distanciation
« désormais, le théâtre lui-même présente le monde pour qu'il.elle (le.la spectateur.trice) s'en
saisisse »40. C'est cette idée qui est exprimée par Yannic Mancel :
«EB : Est-ce que vous attendez que les spectateurs s'identifient aux acteurs? Est-ce que vous
recherchez quelque chose comme ça? 00:32:22-6
YM : Non pas forcément parce que j'aime bien le théâtre justement où il n'y a pas trop de
psychologie et où l'acteur avoue qu'il est un acteur, qu'il est un acteur qui joue un rôle.
Enfin là, de ce point de vue là, je suis plutôt brechtien, c'est-à-dire que j'aime bien qu'on sente
la présence de l'acteur, de l'être humain pas totalement occulté par son personnage. Non donc
moi l'identification, c'est pas... en revanche, que dans ce processus de réflexion, il y ait des
identifications à des situations à des catégories sociales, à des processus. Oui, ça oui. Que le
spectateur soit amené à partir du parcours d'un personnage ou de la place d'un personnage
dans une situation à se poser la question de savoir qui il est lui et dans quel monde il vit, ça
oui, ça ça m'intéresse. »
39 Ibid., p 54.40 Brecht cité Ibid.
28
Cette technique, dite de distanciation « permet (donc) au public de reconnaître un objet en
même temps qu'il prend une allure étrange »41. Un des éléments de cette technique consiste
alors souvent à situer la scène dans un autre espace-temps.
Il s'agit donc de déplacer un phénomène actuel dans un autre temps afin que ce phénomène
soit abordé avec recul. Par exemple, le Théâtre du Nord ne programmera pas un spectacle qui
met en lumière les aberrations de la politique migratoire de l'ex-président Nicolas Sarkozy
mais pourra par contre programmer une tragédie de l'époque d'Eschyle sur le droit d'asile qui
racontera l'histoire de migrants.tes qui, après avoir accompli un long périple en traversant la
mer Méditerranée vont se faire rejeter par la Grèce alors qu'ils.elles comptaient s'y réfugier.
Situer un phénomène social dans une autre époque permet de le rendre distant et permet ainsi
d'éviter le côté pédagogique et moralisateur. Dans cette optique, les spectateurs réfléchiront
eux-mêmes aux parallèles qu'ils peuvent faire et à ceux qu'ils ne peuvent pas faire. L'état des
lieux et l'explication de la situation actuelle ne sera pas faite directement sur scène mais
pourra être faite après coup par le.la spectateur.trice lui.elle-même.
Lorsque nous amènerons le thème du genre au théâtre aujourd'hui, Yannic Mancel nous
parlera immédiatement de pièces d'une autre époque qui traitent les problématiques de
l'homosexualité ou de la place des femmes dans la société. Il évoquera alors une pièce de la
saison prochaine qui est l'histoire de deux jeunes hommes amoureux confrontés à
l'homophobie en 1923 dans la République de Weimar frappée alors par la montée du nazisme.
Si l'artiste choisit de jouer cela c'est que cette question fait écho aujourd'hui, fait sens dans ce
qu'il perçoit du monde d'aujourd'hui. Il en va de même pour Marie Stuart de Schiller mis en
scène par Stuart Seide. Cette pièce parle de « qu'est-ce- que c'est qu'être femme au pouvoir
dans un monde géré par des hommes »42. La pièce se déroule donc au XVIème siècle dans une
société où le pouvoir est synonyme de masculinité. Yannic Mancel évoquera alors un
éditorialiste du « Monde » qui, en commentant cette pièce fera le parallèle avec les difficultés
rencontrées par Ségolène Royal ou Martine Aubry aujourd'hui. Si donc cette pièce a été
montée c'est que le fond, le propos, fait encore sens aujourd'hui dans la société, et c'est par ce
biais que le théâtre traite des problèmes d'aujourd'hui.
C'est ainsi que Yannic Mancel nous présentera les liens qu'il peut y avoir entre le théâtre et le
réel. Le réel transparaîtra forcément dans les pièces car les artistes, dit-il, sont « des éponges à
blessures », les blessures qui traversent la société. Les artistes seront forcément touchés par
41 Op.cit. , p 64.42 Interview de Stuart Seide au CDN de Saint-Denis : http://www.theatregerardphilipe.com/
29
les sujets sociétaux qui font mal. Ces sujets sont donc des sujets de débat, qui questionnent la
société. Sur ce point, le programmateur n'a rien à faire pour que ces sujets soient abordés dans
son théâtre. Il a juste à écouter, être très attentif à ce qui se fait et les questions de société
transparaîtront alors toutes seules dans l'art sans que le programmateur n'ait à initier quoi que
ce soit. C'est donc l'écoute du monde par l'artiste, le monde qui touche l'artiste qui va faire que
l'art va s'inscrire dans la réalité du quotidien de l'ensemble de la population. L'art est donc par
ce biais doté d'un pouvoir de réflexion sur la société d'aujourd'hui.
« les auteurs et les metteurs en scène sont eux-mêmes à la recherche du traitement par l'art,
des grandes blessures de ce monde »
Enfin, le dernier des trois rôles principaux du théâtre est désigné par Yannic Mancel
comme étant le fait de « nourrir les imaginaires ». Cette fonction est complémentaire des deux
autres (donner de la joie et éveiller les consciences critiques) et vient compléter la définition
du rôle du théâtre pour Yannic Mancel. Ainsi, le théâtre présente sur une scène différentes
combinaisons qui comportent toujours de l'onirique et du matériel, de la réalité. L'imaginaire
donné à voir sur scène est là entre réel et irréel et c'est ça qui donne la spécificité du sens de
l'art au sein de la société : « j'aurai tendance à dire dans ma pratique du théâtre que ça ne sert à
rien de penser sans rêver et que ça sert à rien de rêver sans penser ». Le théâtre ouvre des
portes de l'imaginaire et Yannic Mancel prône la diversité des formes esthétiques sur le
plateau de théâtre contre un rapport à l'imaginaire formaté par une seule vision du monde. Il
oppose à la diversité des univers présentés au théâtre, la monotonie des univers présentés dans
les jeux vidéos ou encore la place hégémonique que peut tenir « l'idéologie Walt Disney »
dans le rapport au conte que peuvent avoir les jeunes générations.
Le théâtre « ouvre l'imagination, à condition que bien sûr on veille à ce que plusieurs
esthétiques théâtrales variées se rencontrent dans une même programmation ».
2. Quels artistes pour quelle institution?
Dans le paradigme exprimé dans la première partie, ce qui relie le théâtre aux
thématiques de la société c'est le fait que les artistes soient des « éponges » des tourments de
la société. Par conséquent, le fait que l'on aborde telle ou telle question, et ici en particulier la
question du genre, dépend de deux choses.
Tout d'abord le fait que cette question tourmente la société. Dans l'article « cinq réflexions sur
30
la culture du temps »43 paru dans le magazine La Scène, le philosophe Christian Ruby fait un
état des lieux des faits majeurs qui préoccupent la société et transparaissent par conséquent
dans le théâtre et il évoque parmi eux le fait que l'on soit dans une époque de « trouble dans le
genre »44. Yannic Mancel est d'accord avec ce constat : le développement des thématiques sur
le genre (« travestissement , transsexualité, homosexualité, bisexualité ») est fulgurant. La
première condition (qui veut que le thème soit considéré comme une problématique qui
questionne la société d'aujourd'hui) pour que cette thématique soit abordée dans les pièces, est
remplie.
La deuxième condition est que les artistes légitiméEs par cette institution soient sensibiliséEs
à cette question. Les artistes légitiméEs par cette institution sont les « artistes de référence
nationale et internationale » définiEs selon les critères de la Critique :
« EB : "et du coup vous dites des spectacles de référence. Donc en général, ces normes de
références s'établissent au niveau national par...? 00:13:42-7
YM : oui par, oui c'est le temps qui fait les choses. C'est-à-dire que, quand les spectacles d'un
metteur en scène sont très demandés très programmés, que les critiques, les universitaires
s'intéressent à lui, font des thèses sur lui, que la critique dramatique le suit très favorablement.
Là on peut se dire que c'est quelqu'un qui est en train de creuser un sillon et d'acquérir une
identité... »
Il serait intéressant ici d'analyser quels sont ces critères et sur quoi ils reposent afin de
comprendre les mécanismes qui vont faire que telLE ou telLE artiste va être programméE
dans les structures labellisées. Les travaux des historiennes de l'art américaines et anglaises
depuis les années 1970 sont sur ce point, éclairants45. Sans entrer dans les explications, nous
pouvons comprendre la logique de leur recherche à travers ces trois questions résumées par
l'historienne Maria Antonietta Trasforini : « qu'est-ce que l'art défini comme tel et qu'est-ce
qui n'en est pas? », « qui est légitimement artiste ou, mieux, qui peut aspirer à ce statut? », et
enfin « Qui raconte/a raconté en toute légitimité l'histoire de ce domaine, et donc l'histoire de
ceux (celles) qui y ont leur place. » 46
Ici nous avons juste les moyens, par rapport à notre problématique du genre de savoir si ces
43 Ruby (C.), « Cinq réflexions sur la culture du temps » in La Scène, magazine des professionnels du spectacle, n°63, décembre 2011, Janvier-février 2012 p 32.
44 Titre du bouquin de Judith Butler considéré rétrospectivement comme fondateur du mouvement queer.45 Voir le travail de Rozsika Parker ou Griselda Pollock pour cette deuxième génération de chercheuses (années
1980).46 Trasforini (M.A), « Du génie au talent : quel genre pour l'artiste? », in Cahiers du genre, 2007/2, n°43, p 113-
131.
31
artistes de référence, ces artistes ayant franchi les différents obstacles, ayant réussi à jouer sur
une scène nationale, ces artistes d'excellence, sont questionnéEs par la question du genre et si
oui, comment?
Nous ne pouvons bien sûr par répondre de manière exhaustive. Nous allons donc nous
intéresser à deux artistes, programméEs au Théâtre du Nord cette saison ou la saison
prochaine, interpelléEs par la revue Outre-scène dans deux numéros consacrés à la question
du genre47. Il s'agit d'Irène Bonnaud (metteuse en scène associée au Théâtre du Nord), Joël
Pommerat (programmé au Théâtre du Nord cette saison).
Irène Bonnaud a répondu au questionnaire rédigé par Anne-Françoise Benhamou, mis
en annexe de ce mémoire48, qui vise à savoir « comment se pose - ou ne se pose pas - la
question de l'identité féminine dans leur geste de mise en scène? ».
Irène Bonnaud dit ne s'être posée la question de l'identité féminine qu'après avoir subi des
réflexions désobligeantes qui classaient son travail comme un travail « féminin », la féminité
étant moins valorisée dans notre société que la masculinité. Ce que Irène Bonnaud critique
c'est la binarité stéréotypée de la vision des rapports sociaux qui règne dans notre société. Au
théâtre, cela se traduit par des représentations de personnages féminins de manière non
seulement stéréotypée et discriminante mais aussi tout simplement fade, comme en témoigne
la phrase prononcée par Irène Bonnaud placée à la tête de ce mémoire49. Irène Bonnaud dit
alors chercher à favoriser dans sa mise en scène des personnages féminins complexes et non
stéréotypés. Elle veut les construire aussi complexes que les personnages masculins. Le
problème que la metteuse en scène pointe ici est le problème de l'universel masculin et du
particulier féminin50. En effet, comme nous allons le voir dans la deuxième grande partie de
ce mémoire sur l'analyse des représentations, les personnages complexes et profonds, qui
représentent l'Homme, au sens d'humanité, sont systématiquement personnifiés par des
personnages (et des acteurs) masculins alors que les personnages féminins apparaîtront pour
désigner le particulier, le féminin. Les personnages féminins contiennent alors un ensemble de
caractéristiques dites féminines, caractéristiques moins valorisées dans notre société que les
caractéristiques dites masculines.
47 OutreScène, n°9, Metteuses en scène, Le théâtre a t-il un genre?, Revue publiée par le théâtre national de Strasbourg en mai 2007 pour le questionnaire envoyé à Irène Bonnaud et Outre-scène n°12, Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, publiée par le théâtre de la Colline pour les interview d'Angélica Liddell et Joël Pommerat.
48 Cf annexe n°449 « Dans notre milieu, on ne perd jamais une occasion de tempêter contre l'industrie audiovisuelle et de brandir fièrement
résistance artisanale et bonne conscience de gauche, mais la vérité, c'est qu'il y a beaucoup plus de personnages féminins intéressants dans les séries télévisées américaines que dans le théâtre subventionné français »
50 Cf Wittig (M.), « Le point de vue universel ou particulier », in La Pensée Straight, Editions Amsterdam, Paris 2007. p. 89-95
32
Joël Pommerat a, lui, été interviewé par Thomas Boccon-gibod. Pour lui, au début de
l'entretien, les identités masculine et féminine ne sont pas des divisions pertinentes. Car il se
trouve plus proche de certains personnages féminins que certains personnages masculins et
que les personnalités et caractères sont déterminés par d'autres choses que le fait d'être homme
ou femme. Ça n'est donc pas selon lui un clivage central. Pour autant,il exprimera à la fin de
l'entretien, l'idée de l'importance de la représentation dans le travail du metteur en scène et de
l'auteur :
« forcément l'auteur-metteur en scène est sans cesse amené à se situer par rapport aux
représentations dominantes de la société dans laquelle il vit. Représentations des corps, qu'ils
soient masculins ou féminins. Soit il en fait une critique visible soit il en fait une citation, soit
il entre en discussion avec cette représentation, mais de toute façon ce n'est absolument pas
neutre »
En fait, dans le corpus d'interviews et de réponses aux questionnaires regroupés dans les deux
Outre-scène, on constate que tout le monde peut parler de la question de la masculinité et de
la féminité, de la représentation du masculin et du féminin,. Tout dépend ensuite de
l'importance qui y est accordée et de la façon dont c'est abordé. Ici, dans le discours de Joël
Pommerat, c'est une question parmi d'autres, sur laquelle il ne cherche pas particulièrement à
travailler car il n'est pas particulièrement touché par cette question.
A l'inverse, une personne comme Angélica Liddell, metteuse en scène évoquée par Yannic
Mancel lors de notre entretien, qui a vécu elle-même, dans sa chair, les oppressions d'une
société machiste, va être beaucoup plus déterminée sur cette question. Lors de son entretien
avec Christilla Vasserot, l'auteure, metteuse en scène et interprète de ses propres créations
parlera de sa conscience d'être socialement femme. Cette conscience est imposée par la
société et plus précisément par le machisme de la société dans laquelle nous vivons. « Il
faudrait vivre en dehors du monde ou être stupide pour ne pas se rendre compte de la position
occupée par les femmes dans notre société, qui est une société parfaitement misogyne, où
règne un paternalisme infect, même si parfois c'est à peine perceptible » dit-elle pour
commencer la discussion.
Ce sur quoi l'on peut réfléchir à partir de ces propos, c'est que les questions qui sont abordées
dans ce théâtre ne le sont pas parce qu'elles questionnent la société, traversent la société de
manière universelle. On peut considérer que les problèmes de ce monde ne sont pas
uniformes. Les problèmes de ce monde ne seront pas les mêmes pour tout le monde. Un
33
phénomène pourra être considéré comme un problème par certains et comme une solution ou
un fait sans importance pour d'autres. Yannic Mancel le dit bien :
« je pense qu'il y a chez tout artiste une blessure. Et que cette blessure qu'il a en lui est à
l'écoute de toutes les blessures du monde. Alors bon, ils ne peuvent pas tous les traiter, ils les
choisissent en fonction de leur sensibilité. »
La position de l'artiste dans la société n'est-elle pas influente pour définir cette sensibilité à
telle ou telle problématique? Angélica Liddell pourra paraître quelque peu violente dans ses
propos et dans ses mises en scène vis-à-vis de la société patriarcale. Mais, comme l'exprime
Yannic Mancel en abordant les propos de cette metteuse en scène, « on dit toujours d'un
fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui
l'enserrent » (citation de Bertoldt Brecht). Si Angélica Liddell tient ces propos c'est parce que
sa position de femme dans la société lui donne cette vision des choses.
La position de l'artiste dans la société amène à cette question : d'où parlent-ilLEs ? Tous les
artistes, et c'est la même problématique pour les chercheurs.ses ou même les individuEs en
général dans la société, parlent de quelque part et ce dont ilLEs parlent, ilLEs ne peuvent le
faire que de leur point de vue, autrement dit de leur position sociale, « les conditions de vie
(étant) aussi des conditions de vue »51. Nos positions sociales hommes/femmes mais aussi
blanc/racisé, riche/pauvre, hétérosexuel/homosexuel... déterminent ce que l'on peut voir.
C'est notamment à partir de ce point de vue que l'on peut considérer comme particulièrement
problématique le fait que les sensibilités et les points de vue exprimés soient très largement
ceux exprimés à partir d'une position sociale d'homme. En effet, au Théâtre du Nord, 81,25%
des metteurs-ses en scène programmés dans la saison 2011-2012 sont des hommes tandis que
100% des auteurEs sont des hommes52. On trouve donc ici une maîtrise de la production
artistique accaparée par une classe sexuelle. Par ailleurs, lors de l'accueil par le Théâtre du
Nord, du groupe d'étudiants de sciences po lille, Stuart Seide nous expliquait que les choix de
programmation étaient une décision collective, décision collective qui permettait une pluralité
de points de vue. Parmi ceux qui prennent part à ces décisions, on retrouve cinq personnes,
certes toutes de formations différentes, etc... mais toutes blanches et toutes de sexe masculin.
Après ce constat, il paraît important de rappeler l'analyse de Donna Haraway53. « L'objectivité
51 De la Bellacasa « Think we trust. Politiques féministes et construction des savoirs », thèse de doctorat, 2004, université libre de Bruxelles, faculté de philosophie et de lettres, p 190
52 Cf Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production artistique dans les théâtre étudiés en annexe n°3
53 Haraway Donna, « Savoirs situés-la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective
34
s'affirme comme une affaire d'encorporation particulière et spécifique (…) Seule la
perspective partielle assure une vision objective. »54 Par « perspective partielle » l'auteure
entend réhabiliter l'importance de la position occupée par celui qui porte un regard sur le
monde : « tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de
perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c'est-à-
dire, des manières de vivre »55. Ce qu'elle exprime ici fait réfléchir sur l'importance de la
représentation de la diversité au sein du groupe de personnes qui maîtrise la production
culturelle. Il n'est pas question ici de dire que tous les artistes programmés au Théâtre du Nord
occupent la même position dans la société mais que, en ce qui concerne la position dans le
système du genre, l'hégémonie de la position masculine est flagrante.
Cette hégémonie n'est pas l'exception du Théâtre du Nord mais elle reproduit en miniature ce
qui se passe dans le domaine plus large de la culture. Sur ce point, les chiffres du rapport
Reine Prat que nous pouvons rappelé ici, ont étonné et bousculé un certain nombre d'acteurs
culturels lors de leur diffusion56 : 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène
par des hommes, 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes, 92% des
théâtres consacrés à la création dramatique sont dirigés par des hommes57.
On peut penser que si ces chiffres ont étonné, c'est parce que la question de l'importance de la
position de l'artiste dont nous avons parlé plus haut n'est pas considérée. Sa non-prise en
compte mène à une absence de regard sur cette question et donc une vision erronée de la
réalité matérielle. On peut supposer que cette absence de conscience du problème est en partie
liée à l'idée d'universalité. L'universalité tend à dépasser ces questions d'identité de genre, de
sexe, de race, de classe, car on les considère comme secondaires par rapport à ce qui
rapproche les êtres humains. On ne les prend pas en compte dans l'idée que les prendre en
compte serait discriminant car cela mettrait en lumière des caractéristiques qui divisent, alors
que, dans l'idée on considère ces caractéristiques comme non-pertinentes. Le problème vient
donc quand, dans les faits ces positions sociales, se révèlent être discriminantes.
Les chiffres du Théâtre du Nord cités plus haut dressent, sous cet angle du genre, un constat
univoque et non nuancé de l'appropriation de la production par une catégorie d'individus au
détriment d'une autre. Cependant, sur le festival Prémices, festival des jeunes créations
organisé avec la Rose des Vents, les chiffres rétablissent un certain équilibre. En effet, lors de
partielle » in Manifeste cyborg et autres essais-sciences-fictions-féminismes, exils 2007. 54 Op.cit. p. 11755 Op.cit. p. 11856 Rapport Reine Prat57 Pour plus de chiffres se référer à l'annexe n°2
35
ce festival, 77,78% des auteurEs et 66,67% des metteurs-ses en scène sont des femmes.
Ensuite, dans l'analyse de ces chiffres, il est pertinent de se demander si cela signifie que la
future génération va renverser cet ordre établi dans lequel les hommes occupent de manière
hégémonique voire monopolistique les postes à responsabilités et la maîtrise de la
représentation ou si ces chiffres sont révélateurs du plafond de verre existant pour les femmes
dans ce milieu. Si cette question est posée ici, c'est aussi car les proportions d'auteurEs et
metteuses en scène sont plus grandes dans les petits théâtres. La question est alors de savoir si
ces chiffres qui renversent la moyenne nationale sont révélateurs d'un profond changement sur
la question d'une génération à une autre ou si ces chiffres s'expliquent en partie par le fait que
les jeunes auteures et metteuses en scène à un moment de leur carrière rencontrent des
obstacles liés à leur sexe qui les excluent de la catégorie des artistes dits de référence. Cette
question est explorée dans le rapport Reine Prat de 2009 :
« Pour s'en tenir au théâtre et à l'art de la mise en scène, on évoque volontiers un effet
générationnel : l'émergence de jeunes metteuses en scène (certaines ayant suivi des formations
qui n'existaient pas en France il y a dix ans) serait censée introduire enfin la mixité dans un
milieu jusqu'ici masculin. C'est en partie le cas dans divers festivals consacrés à la découverte
de « jeunes talents » ou de « nouvelles formes ». Mais ces jeunes femmes ne tardent pas à
constater que la course d'obstacles, pour sortir de ce cadre exigu et accéder à de vraies
programmations, de vrais moyens de production, et des scènes à la mesure de leurs ambitions
et de leur talent, se joue à deux vitesses et qu'elles en font rapidement les frais »58.
Par ailleurs, sur la question des textes, le fait que 100% des textes joués au Théâtre du
Nord soient écrits par des hommes est en partie lié au choix du type de théâtre programmé. En
effet, le Théâtre du Nord programme un théâtre de texte, un théâtre considéré comme le
patrimoine culturel français. Cette considération est fortement liée au statut de centre
dramatique national (CDN) du Théâtre du Nord, qui exige qu'il remplisse une « mission de
création théâtrale dramatique d'intérêt public »59. Cette mission d'intérêt public assumée par
les 33 CDN de France est comprise d'une manière spécifique : il s'agit en effet de diffuser
« des œuvres théâtrales de haut niveau »60. Or, l'appellation « de haut niveau » correspond aux
canons culturels qui ont traversé les siècles. Il s'agit pour ces centres de transmettre et diffuser
58 Rapport Reine Prat 2009, p 17. 59 Article premier du décret de 197260 Arrêté du 23 février 1995 fixant le contrat type de décentralisation dramatique [archive], JORF no 63 du 15
mars 1995, p. 3991–3994, NOR MCCG9500102A, sur Légifrance.
36
les grands classiques de la littérature française. Or, cela ajoute deux paramètres de réflexion
lorsque l'on veut traiter de la question du genre dans ce type de théâtre.
Tout d'abord, les auteurEs sont majoritairement des hommes : en partie car les textes ont été
produits dans une société encore plus patriarcale qu'aujourd'hui qui laissait encore moins de
possibilité aux femmes d'être écrivaines (cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existait pas
d'écrivaines !). Cela explique en partie le fort taux d'auteurs programmés, mais il n'explique
pas pour autant le 100% d'auteurs programmés (donc 0 % d'auteures).
Et ensuite, l'autre paramètre à prendre en compte est que les vieilles pièces contiennent des
stéréotypes de genre très flagrants et qui nous apparaissent aujourd'hui comme totalement
sexistes. Cela est problématique pour les actrices et les acteurs qui peuvent en avoir assez de
jouer sans cesse des rôles stéréotypés. Ce trop plein est exprimé en introduction de l'Outre-
scène n°12 lorsque, dans l'introduction, Anne-Françoise Benhamou rapporte la lassitude d'une
actrice face aux pièces misogynes et aux rôles sexistes et dépourvus de complexité qu'elle
était amenée à jouer (la castratrice, l'hystérique ou l'égérie, la Madone, la mère, la séductrice,
la putain, l'innocente victime, la femme de pouvoir, la femme qui veut un enfant, la femme
qui en aurait voulu,...). Face à cette problématique, Antoine Vitez dans sa leçon de théâtre
« L'ours ou Tchekhov est-il misogyne ? » énonçait l'idée qu'il fallait jouer la misogynie de
Molière « que la seule manière de ne pas être misogyne en le montant était d'aller très loin
dans la hantise que l'œuvre exprime (« la torture par les femmes » était d'ailleurs un des sous-
titres de sa tétralogie Molière) »61.
Enfin, on peut revenir sur l'idée développée plus haut, de l'intérêt de jouer une pièce
qui se passe dans un autre espace-temps que celui d'aujourd'hui. Nous disions que l'intérêt
d'une pièce qui se passe dans un autre temps, outre ce caractère de transmission du
patrimoine, est de faire en sorte que le.la spectateur.trice perçoive cette scène autre comme
étrangère mais qu'il puisse faire des parallèles entre ce qui se passe sur scène et des situations
auxquelles il a été confronté, est confronté ou sera confronté. Yannic Mancel prenait alors
l'exemple de la pièce mise en scène par Stuart Seide qui se déroule au XVIème siècle dans
laquelle on pouvait voir une image des difficultés rencontrées par Martine Aubry ou Ségolène
Royal, ou encore l'exemple de Lucrèce Borgia de Victor Hugo qui sera programmée la saison
prochaine et qui se déroule « dans l'Italie décadente de la Renaissance ». Cette dernière pose
le problème suivant :
« Comment dans l'Italie décadente de la Renaissance, affirmer un pouvoir au féminin, une
notoriété au féminin alors que tout est absolument verrouillé par des hommes... »
61 Outre-scène n°12, p.3
37
Cette pièce déclenchera peut-être une introspection au sein de l'équipe du Théâtre du Nord,
qui sera alors amenée à se questionner sur le fait que la maîtrise de la production exclut à ce
point les individuEs dominéEs dans le système du genre.
C. La forme avant tout. Didier Thibaut pour La Rose des Vents
L'entretien avec Didier Thibaut s'est déroulé dans son bureau à la Rose des Vents.
Comme lors de chaque entretien, le programmateur commence d'abord, pour aborder sa
conception de la programmation, par expliquer le cadre dans lequel se déroule ses choix de
programmation. Il est important ici de situer ce cadre pour comprendre la démarche de Didier
Thibaut. Ici le cadre de production est déterminé, d'une part par les missions confiées par
l'Etat aux structures ayant le label « scène nationale » et d'autre part par le contexte culturel
lillois. Selon la description du programmateur, on retrouve trois grandes missions. La
première, c'est celle d'être un lieu de création et de production artistique. La deuxième est
d'être un lieu de diffusion et la troisième est d'avoir une programmation cohérente avec le
territoire d'implantation. Pour le programmateur, la démarche de programmation va varier en
fonction de ces trois missions. Pour la mission de création artistique, Didier Thibaut parle de
« coups de cœur » car il s'agit de « faire confiance à un artiste, de programmer son spectacle
avant même qu'il soit créé, vous le programmez sur la base d'un choix ». Ensuite, pour la
mission de diffusion « on est sur l'idée d'aller choisir des spectacles dans d'autres théâtres » et
enfin, pour la troisième mission, là il s'agit de « penser à comment le spectacle peut-être reçu,
comment il doit être défendu pour pouvoir être reçu ». Cette dernière mission est
profondément déterminée par le contexte culturel lillois. En effet, la diversité des offres
culturelles sur Lille et la pluralité des formes théâtrales, chorégraphiques et musicales
proposées sur le territoire permettent selon Didier Thibaut, à la structure Rose des Vents de se
spécialiser. Cette spécialisation est basée sur une philosophie du théâtre qui mène non
seulement à la programmation de spectacles qui ne sont pas diffusés dans d'autres structures
mais aussi à une présentation différente des spectacles. La Rose des Vents possède donc une
identité propre.
Un théâtre contemporain
Le théâtre que propose la Rose des Vents est un théâtre contemporain. Que signifie
contemporain ici ? Est-ce simplement du théâtre d'aujourd'hui avec des textes d'écrivains
d'aujourd'hui ? Nous pouvons rapprocher la conception du théâtre contemporain telle qu'elle
38
est comprise dans les propos de Didier Thibaut de celle exposée dans la revue Théâtre/Public,
« Théâtre contemporain: écriture textuelle, écriture scénique » publiée en 200762. Dans ce
numéro, analysé par Gérard Noiriel dans Histoire Théâtre Politique63, le but est de « traiter
des écritures contemporaines dans leurs formes les plus « avancées » ou les plus
expérimentales ». L'introduction de cette revue est consacrée à une tentative de définir ce
qu'est le théâtre contemporain. Pour cela, l'auteure, Clyde Chabot, place au centre de la
réflexion le terme d'écriture. Pour elle, le texte est toujours présent mais il n'est plus au cœur
de l'écriture théâtrale. Le théâtre contemporain produit du sens, utilise un langage dont le texte
n'est qu'une partie. C'est également l'idée développée par Didier Thibaut :
« dans le théâtre d'aujourd'hui, le texte n'est plus le seul vecteur du sens, c'est-à-dire que ce
qui fait sens aujourd'hui dans le théâtre, c'est tout autant la scénographie, la musique et une
chose très forte qui fait sens aujourd'hui pour moi c'est la présence des corps, la question du
corps »
Sur la même idée, Clyde Chabot donne un nouveau sens au mot « écriture » : il ne s'agit plus
seulement dit-elle d'un « système de signes visibles, tracés, représentant le langage parlé ».
Elle distingue donc l'écriture qu'elle nomme « textuelle » de l'écriture qu'elle nomme « de
plateau ». Cette écriture de plateau désigne tous les autres vecteurs de sens décrits par Didier
Thibaut ci-dessus. Cette écriture de plateau, c'est l'ensemble de actes de la mise en scène. Ces
écritures doivent être innovantes dans leur manière de produire du sens. Et c'est la force de
l'innovation qui fera appartenir ces écritures à ce que Clyde Chabot désigne comme
contemporain, à savoir ce qui est « novateur, expérimental, en recherche ».
Si nous rapprochons ici le contenu de cette revue et les propos tenus par Didier Thibaut, ce
n'est pas car Didier Thibaut a fait lui-même référence à cette revue mais c'est que les idées
semblent se recouper et être significatives d'un état d'esprit du théâtre contemporain
aujourd'hui. En effet, cette mouvance, qui place au cœur de la réflexion la pluralité des sens
du terme « écriture » semble être répandue et, institutionnellement, très représentée chez les
critiques et les chercheurs. En témoigne, la mobilisation dans cette revue d'un grand nombres
d'artistes ou d'auteurEs qui rencontrent du succès aujourd'hui mais aussi le fait que, comme le
pointe Gérard Noiriel, cette revue soit soutenue financièrement par « le ministère de la
culture », « le conseil régional d'île-de-France », « le conseil général des Hauts-de-Seine » et
62 Théâtre/Public, N°187 « Théâtre contemporain : écriture textuelle, écriture scènique », Dossier conçu et réalisé par Clyde Chabot, CDN de Gennevilliers, janvier 2007
63 Noiriel (G.) chapitre III « Créateurs de plateaux et bricoleurs d'avenir » in Histoire Théâtre Politique
39
par «la ville de Gennevilliers »64. On peut donc penser que les propos tenus dans cette revue,
qui recoupent sur un grand nombre d'idées ceux tenus par Didier Thibaut lors de notre
entretien, illustrent une certaine mouvance dans le théâtre contemporain aujourd'hui.
1. Une philosophie du théâtre qui place la forme au cœur de la réflexion
Qu'est-ce qui compte alors dans ce théâtre pour Didier Thibaut? Le théâtre a t-il un rôle
particulier? Comment le remplit-il?
Il apparaît clairement dans le discours de Didier Thibaut que le théâtre est là pour déranger.
Déranger une vision du monde, déplacer des cadres de perception. Didier Thibaut oppose un
théâtre qui dérange à un théâtre qui conforte le spectateur dans sa vision du monde et dans ses
préjugés. Cet autre, ce support culturel qui conforte l'individuE dans son paradigme sans
l'interroger, c'est, selon lui, ce qui est diffusé dans le « théâtre de boulevard » ou dans la
majorité des « programmes de télévision ». Contrairement à ces démarches, le but de Didier
Thibaut lorsqu'il programme des pièces, c'est que le public sorte « bousculé, troublé,
dérangé ».
« l'idéal, le rêve, le fantasme du programmateur c'est les petits cailloux que vous allez semer
dans la tête du spectateur »
Les spectacles doivent surprendre ou du moins ne pas laisser indifférents les
spectateurs.trices. « Soit parce qu'ils ont détesté, soit parce qu'ils ont adoré (…) j'aime surtout
les spectacles qui dérangent, qui ne font pas consensus ». Ce dérangement ne doit pas passer
forcément par le malaise, il peut passer par le rire, le trouble ou la stupeur, explique Didier
Thibaut. Ce qui est absolument déterminant dans le fait qu'un spectacle puisse bousculer le.la
spectateur.trice ou non, c'est l'univers de l'artiste. L'univers de l'artiste est central dans la force
de la pièce de théâtre ou de la chorégraphie choisies par Didier Thibaut. L'univers de l'artiste
doit être hors-du-commun. Il doit rechercher l'inouï, et c'est cet univers singulier qui va
toucher le.la spectateur.trice. Pour produire cela, l'artiste lui-même doit avoir une sensibilité
hors-du-commun. Tout le monde ne peut pas être artiste, et Didier Thibaut opposera alors les
artistes et les « artisans ». Les artistes, eux, sont en perpétuelle recherche. Cette vision se
rapproche alors de la vision exprimée par Clyde Chabot lorsqu'elle essaie de mettre des mots
sur ce qui rassemble tous ces artistes, ces nouveaux.elles écrivainEs de plateaux : « certes, ils
64 Noiriel (G.), Histoire Théâtre Politique, Agone, 2007, p 86
40
sont différents les uns des autres, mais leurs écritures ont en commun de chercher l'inouï et de
se définir comme « expérimentales », le mot « expérimental » étant pris ici au sens que lui
donne Michel Corvin : 'exigence d'innovation systématique par subversion de tous les
codes'. ».
Dans la même logique, l'artiste doit produire et ne peut reproduire s'il veut provoquer ce que
Didier Thibaut appelle l'alchimie :
« le théâtre c'est une sorte de surprise. Ce qui fait qu'à un moment donné le miracle va se
produire, que l'alchimie va se produire c'est parce que le metteur en scène il réussit à faire du
théâtre. A faire qu'avec les moyens extrêmement limités qui ne sont pas le cinéma, qui ne sont
pas la télévision, qui ne sont pas le numérique etc, il arrive à créer un effet de trouble et de
surprise par le décalage, par le geste inattendu, quelque chose qui d'un seul fait appel à
l'intelligence du spectateur, fait appel à son humour, à son éveil, à sa conscience quoi. »
Cette alchimie, comme nous l'avons vu, ne se produit pas par le biais du texte. Mais
c'est un tout, un tout que Didier Thibaut rassemble sous le terme de « la forme ». Lorsqu'au
cours de l'entretien nous évoquions la possibilité d'une distinction entre le fond et la forme,
« EB : cette petite chose qui va faire que ça dérange le public, vous pensez qu'elle vient de la
forme artistique ? Est-ce qu'elle vient aussi du message qui peut être porté par la pièce ? »,
Didier Thibaut sera catégorique : ce qui importe au théâtre c'est la forme, pas le fond.
La recherche de l'artiste est avant tout une recherche de la forme la plus novatrice possible. Le
fond n'entre pas en considération dans la recherche artistique. Selon Gérard Noiriel, cette
façon d'envisager la création théâtrale aujourd'hui se rapproche sur certains aspects de la
vision d'un art possédant sa propre fin, c'est-à-dire l'idée de « l'art pour l'art » initialement
théorisée par Théophile Gautier. L'art n'a pas de fin autre que l'art lui-même et il contient et
érige ses propres règles. On ne peut juger l'art que d'un point de vue artistique.
Par conséquent, la question de la distinction entre le fond et la forme ne se pose plus pour ces
artistes. Cette thématique, qui distingue l'éthique de l'esthétique et tente de les concilier ne fait
plus sens. Les débats et divergences entre les artistes portent alors essentiellement sur quelles
formes privilégier. Gérard Noiriel distingue deux grands pôles au sein de ce courant : d'une
part « les littéraires qui défendent le théâtre poétique » (incarné aujourd'hui par Valère
Novarina, auteur dont les textes étaient présents à la Rose des vents avec Sortir du corps de
Cédric Orain) et d'autre part « les techniciens de l'image qui minimisent l'importance du
texte ». Plutôt que comme deux catégories distinctes, telles que décrites par Gérard Noiriel, on
41
peut voir ces postures comme deux pôles d'un même éventail sur lequel se situerait
graduellement les différents artistes. Il semble que beaucoup d'artistes de ce théâtre
contemporain sont à la recherche d'un équilibre entre ces deux conceptions. C'est le cas de
Julie Bérès artiste programmée à la Rose des Vents pour son spectacle Notre Besoin de
Consolation. Cette écrivaine de plateau écrit dans la description de sa démarche artistique :
« Je n’oppose pas un « théâtre visuel » à un « théâtre de texte ». Je tente de lier des éléments
polysémiques, où le texte apporte des éléments de sens sans en être le seul dépositaire »65.
L'importance de la forme est liée à l'importance de tous les dispositifs scéniques qui vont être
mobilisés pour marquer l'univers de l'artiste. Comme nous l'avons vu plus haut, il s'agit de
faire appel plus ou autant aux lumières, aux sons, aux costumes, aux objets, aux maquillages
ou même aux mots en tant que tels (c'est-à-dire pas forcément aux signifiés qui leur sont
attribués mais aussi à comment ils résonnent dans l'espace scénique) qu'au texte en tant que
porteur de sens. En mobilisant toutes ces choses, il s'agit de toucher le/la spectateur/trice dans
sa fragilité, son intimité, sa sensibilité. « Je cherche à lier les choses par l’intime, par le
subjectif plutôt que par le rationnel » dira Julie Bérès lors de cet interview.
Didier Thibaut, quant à lui, parle d' « épique de l'intime ou d'épique de l'individuE isoléE ».
Il s'agit donc de quitter le domaine du rationnel et des grandes idées. Pour tendre vers quoi ?
Vers l'irrationnel, le subjectif et l'individuel. Cet « intime », terme que l'on retrouve à
plusieurs reprises, et dans le discours de Didier Thibaut et dans les écrits publiés dans cette
revue Théâtre/Public sur les écritures contemporaines, est lié à une conception de l'art qui doit
se dégager des considérations politiques et sociales pour affirmer une certaine liberté. Dans la
revue Théâtre/public, Joël Pommerat développe cette idée d'artiste génie, hors-du-commun
doté d'une sensibilité libre et donc très singulière : « dans mes pièces, il est impossible
d'identifier d'où je parle (…) car je triche. J'invente mes propres règles du jeu ».
Cependant, et c'est là une grande différence avec les théoricienNEs de l'art pour l'art,
cette logique n'amène pas à dire que l'art est détaché totalement du réel mais que l'art propose
un point de vue sur le réel c'est-à-dire sur les faits sociaux, la politique, l'Histoire : « L'art
entend proposer un point de vue sur l'Histoire »66.
Le théâtre peut donc avoir et a la plupart du temps une portée politique, un regard
« révolutionnaire » sur un aspect de la société. Didier Thibaut, malgré le fait qu'il mette de
côté dans sa philosophie du théâtre, la question du politique, convient que le théâtre peut
65 Interview réalisé par Manuel Piolat Soleymat, publié dans Terrasses, le portail des arts vivants en France : http://www.journal-laterrasse.fr/julie-beres-1-3177.html
66 Joël Pommerat cité in Noiriel. p.91
42
porter un message :
« Du coup l'idée pour vous qu'une pièce de théâtre puisse porter un message politique c'est
plausible? 00:45:18-1
oui bien sûr, bien sûr. Mais ça doit d'abord être une œuvre avant d'être un discours, c'est-à-dire
que ce qui fera la force de ce discours c'est encore une fois la forme, pas le fond, pas le
discours lui-même. Ce qui créera la réceptivité au discours politique, c'est pas la virulence du
propos ou la pertinence du propos, c'est la pertinence de la forme dans ce propos. Sinon on
n'est pas au théâtre on est dans la conférence ou... 00:46:08-8 »
C'est sur ce point que ma question sur la distinction entre le fond et la forme comporte une
limite. En effet, la question posée de cette façon n'entre pas dans la logique de Didier Thibaut
car pour lui la problématique se pose autrement : la forme contient le fond. Le fond découlera
forcément de la forme. Lorsque la forme est sincèrement innovante, le propos ne peut que
l'être également. Si une forme est révolutionnaire, le propos ne peut être réactionnaire alors
que l'inverse est non seulement possible mais courant.
« EB : Et est-ce que ça vous est déjà arrivé qu'un spectacle vous plaise esthétiquement, sur la
forme, et que le message qui est porté dedans vous déplaise?
DT : silence...Non parce que pour moi dès lors que la forme...je pense qu'en art, l'essentiel
c'est la forme. C'est pas ce que ça raconte. Je pense que dès lors qu'une forme est innovante,
dès lors qu'elle est singulière, la force de son propos l'est aussi. Par contre ça m'est souvent
arrivé d'être devant un spectacle bien pensant et d'être profondément dérangé par la forme. De
trouver la forme profondément réactionnaire voire dangereuse »
Cette idée rejoint l'analyse de Gérard Noiriel, dans laquelle il explique que dans le paradigme
porté par ces « créateurs de plateau », « il suffit de travailler sur les formes pour être
politiquement subversif »67. Ainsi il cite un metteur en scène qui présente ses créations comme
un processus « d'auto-libération, de déchaînement des choses convenues »68. Il rapporte
ensuite les propos de Clyde Chabot qui conteste l'idée d'une « expérimentation comme une
recherche gratuite, sans impact politique et social. Comme s'il s'agissait d'une exploration
esthétique pure »69. Pour elle « sortir du cadre, déplacer des formes existantes, c'est aussi
67 Noiriel p. 9368 Ibid69 Ibid
43
modifier le cadre mental, augmenter l'acuité de la perception, élargir la sphère des possibles.
(…) on peut penser, comme Heiner Müller, qu'un théâtre militant manque sa cible s'il veut
toucher trop directement. Lorsque le message est parfaitement clair, on n'est plus à l'endroit de
l'art, qui se caractérise par le trouble, mais de l'information qui simplifie, nivelle, réduit sa
complexité. »70
On retrouve là l'idée contenue dans les propos de Didier Thibaut présentés plus haut, si le
message est trop clair, nous ne sommes plus dans le domaine de l'art et du théâtre mais dans le
domaine du pédagogique (de la conférence) ou du politique.
2. Cette philosophie du théâtre est-elle compatible avec un théâtre qui aborde la question du genre?
Rien n'empêche qu'une pièce de théâtre qui traite, de notre point de vue, de la question
du genre, soit programmée à la Rose des Vents. En effet, des pièces de théâtre jugées
innovantes par ces critères, c'est-à-dire jugées expérimentales sur le plan de l'écriture scénique
peuvent traiter de la question du genre. Et c'est le cas puisque cette thématique questionne
également les artistes contemporains. C'est d'autant plus vrai, qu'une grande partie des pièces
dont le propos est principalement axé sur la question du genre se déroule sous la forme de
performance. La forme « performance » est une forme que l'on retrouve dans des pièces
programmées par la Rose des Vents et dans des pièces d'artistes qui travaillent sur la question
du genre.
Mais si l'on retrouve des spectacles qui abordent la question du genre, ils ne proposeront pas
un traitement « engagé » de la question. On trouvera principalement une problématisation de
la question du genre d'un point de vue individuel, du point de vue par exemple d'un artiste qui
aura souffert de l'enfermement du corps dans l'une de ces catégories (mâle-femelle). Il faudra
alors que la démarche artistique convienne aux critères, c'est-à-dire qu'elle possède une forme
singulière et que le message ne soit pas jugeable comme étant trop direct, ce qui reviendrait
alors à un message politique. En fait, tout repose dans la présentation de l'œuvre. Un même
spectacle qui traite de la question du genre pourrait être présenté totalement différemment par
la Rose des Vents ou le Théâtre Massenet par exemple. Au Théâtre Massenet, on peut
imaginer que le propos de la pièce (dans le cadre d'un festival sur cette thématique par
exemple) sera mis en avant tandis qu'à la Rose des Vents, la forme sera mise en avant et le
70 Ibid
44
propos pourra être non relevé voire non perçu. On peut en effet, noter le fait que Didier
Thibaut et James-Phil Zanga, d'après les discours qu'ils ont tenus lors des entretiens,
pourraient apprécier un même spectacle mais pour des raisons différentes. L'un pourra
l'apprécier car il relève de l'épique de l'intime tandis que l'autre l'appréciera pour sa faculté à
soulever (d'une manière artistique qui correspond à ses critères de jugement) des
questionnements politiques.
Ce qui fait, entre autres, que l'on peut retrouver des spectacles qui traitent de la question du
genre au Théâtre Massenet et à la Rose des Vents c'est que la question du corps est, dans le
théâtre qui traite de la question du genre sous forme d'une performance et le théâtre proposé à
la Rose des Vents, centrale. De son côté, Didier Thibaut évoque à plusieurs reprises la
question du corps :
« pour moi dans le théâtre d'aujourd'hui, le texte n'est plus le seul vecteur du sens, (...) et une
chose très forte qui fait sens aujourd'hui pour moi c'est la présence des corps, la question du
corps. »
La pluridisciplinarité qui caractérise la Rose des Vents favorise aussi l'optique qui met en
avant le corps comme élément phare de rapport au monde :
« une des raisons pour lesquelles je suis attentif aux mélanges des formes entre la danse et
théâtre c'est justement cette question de remettre le corps, le corps de l'acteur, le corps en
général au cœur de la représentation ».
Notamment, lors de nos questions concernant le genre, Didier Thibaut axe ses pistes de
réflexions sur le rapport entre la question du genre et la question des corps. En effet, la
réaction de Didier Thibaut face aux questions reliant le théâtre et le genre a été une restriction
sur le traitement esthétique du corps. Par exemple, lorsque nous demandions s'il porte un
regard particulier sur les représentations des masculinités et des féminités qui sont données à
voir sur le plateau, il en est venu à une réflexion sur le corps nu de l'acteur sur le plateau.
Ainsi, des pièces qui abordent la question du genre pourront aisément être
programmées à la Rose des Vents. Didier Thibaut évoque après réflexion (car pour lui, la
question du genre ne caractérise pas cette pièce) un spectacle qui sera programmé la saison
prochaine :
« on décide pas à priori, tiens je vais faire une programmation sur cette thématique là. ça j'y
crois pas. (…)mais...on peut très bien programmer, par exemple la saison prochaine, ... enfin
voilà c'est un comédien qui a changé de sexe, enfin qui travaille là-dessus sur son
45
spectacle puisque tous ses spectacles sont toujours autobiographiques donc il raconte
dans des formes très poétiques, pas du tout...il raconte pas avec des mots, il raconte avec
des images ce passage, ce changement de genre. Mais j'ai pas choisi le spectacle sur le
propos »
On voit bien ici (passage en gras) où est le problème pour Didier Thibaut. Le problème serait
de programmer un spectacle sur le genre, qui parle trop directement du genre, avec des mots
et donc avec un message clair. Cette forme de spectacle est placée par Didier Thibaut dans la
catégorie (péjorativement connotée) du théâtre politique ou pédagogique ou alors dans la
catégorie de la conférence. Les phrases prononcées avant et après les passages en gras montre
bien cette distinction. S'il y a des pièces de théâtre qui abordent la question du genre, le fait
qu'elles l'abordent n'aura en rien déterminé le fait qu'elles soient programmées.
Plus simplement, le fait que la pièce traite de ce sujet n'influera pas en tant que tel sur les
choix de programmation, et même, le fait qu'elle traite de ces sujets peut ne pas être perçu
comme cela. En effet, lorsque je demande à Didier Thibaut si la thématique du genre – reliée
auparavant à une définition qui permet de penser le genre comme une construction
idéologique et politique – est une thématique qui touche le théâtre aujourd'hui et qui concerne
de près ou de loin le théâtre qu'il programme, il ne comprend pas le sens de ma question et dit
ne pas pouvoir y répondre. Il évoque alors des initiatives de théâtre qui ont organisé un
festival autour de ces thématiques mais ne me parle pas immédiatement de pièces qui traitent
de cela dans son propre théâtre (alors que pour moi il y en a). Didier Thibaut exprime alors
son profond désaccord avec une démarche qui organiserait une série de spectacles en fonction
de thématique sociétales.
C'est d'ailleurs seulement après un grand nombre de nos questions qui questionnent les liens
théâtre et genre qu'il me donnera cet exemple du spectacle d'un comédien qui parle de son
changement de sexe.
Cette incompréhension est en partie, selon notre analyse, due au fait que son regard sur
une œuvre d'art est détaché de toute considération politique. Comme nous l'avons vu plus
haut, c'est la forme qui fixera la valeur politique et esthétique d'un geste artistique,
uniquement la forme. Nous pouvons alors supposer que les questions sur le genre que nous
avons posé lors de notre entretien, reviennent, dans son paradigme, à transposer des
thématiques sociétales dans le domaine de l'art. Cette transposition se fait avec un regard
politique, or ce regard n'est pas pertinent lorsqu'il se porte sur une œuvre artistique. Comme
46
nous l'avons vu plus haut, cela ne veut pas dire que l'art est un domaine complètement coupé
du reste de la société, isolé des thématiques sociales et politiques qui traversent la société et
les artistes. Mais c'est que le regard artistique contient en lui-même une pensée politique. Le
politique ne peut pas traiter de l'art mais par contre l'art peut devenir politique. C'est ainsi que
nous pouvons comprendre l'idée qui dit qu'une œuvre révolutionnaire par la forme l'est aussi
dans son propos.
Cependant, on peut penser que cette opinion n'est tenable que dans la mesure où notre
regard de spectateur.trice sur le propos est plus laxiste que notre regard sur le forme. En effet,
dans le cadre de l'analyse des pièces en terme de représentations des masculinités et des
féminités qui sera exposée en deuxième partie, nous aborderons le spectacle Notre besoin de
consolation de Julie Bérès en portant sur cette pièce un regard particulier sur les
représentations des masculinités et des féminités et donc sur contenu de la pièce, sur les
propos tenus dans cette œuvre artistique. Dans notre perspective, cette pièce porte une opinion
claire sur la bioéthique. Les aspects de cette science mis en avant dans le spectacle, sont les
aspects qui, en général dans les débats sur les tenants et aboutissants de cette science, ont
traits au dangereux. La crainte exprimée quant à l'éloignement de l'homme de sa « nature »,
l'évocation non hiérarchisée de tous les aspects de la bioéthique (dont la procréation
artificielle possible pour deux personnes homosexuelles) représentaient une opinion très
singulière vis-à-vis de la bioéthique, opinion que nous pourrions qualifier dans notre système
de valeurs de profondément réactionnaire.
L'idée alors qu'une forme novatrice et expérimentale, aspect que nous ne remettons pas en
cause dans l'œuvre de Julie Bérès, ne puisse pas contenir un propos réactionnaire nous a alors
paru étrange. Au cours de notre discussion sur le fond et la forme, nous avons donc cité cet
exemple. Le fait que nous avions apprécié la forme mais que le message nous avait déplu ne
paraissait pas compréhensible pour Didier Thibaut. Le programmateur a sur cette pièce un
tout autre regard et garde en tête un tout autre souvenir. En effet, lorsque nous avons parlé du
« message », il demanda quel était ce message. Didier Thibaut avait beaucoup apprécié la
forme, mais n'avait pas porté attention au fond et ne l'avait pas retenu comme significatif
(« alors très sincèrement, autant vous avez raison, du moins j'aime beaucoup la forme de ce
spectacle, mais je ne me souviens quasiment pas du fond moi, le discours » 00:35:57-2). Alors
que pour nous, c'est une pièce qui porte un positionnement clair sur les questions de
bioéthique, la vision de Didier Thibaut était que cette pièce ne portait aucun jugement sur
quoi que ce soit. On peut alors penser que dire cela, c'est considérer la pièce dans la seule
47
sphère restreinte de l'esthétique, en-dehors de son contexte historique, social, de
représentation et de réception. C'est aussi placer l'artiste hors du monde des idées. C'est-à-dire
que l'artiste offrirait un regard sur les choses qui serait détaché de toute opinion. Pour Didier
Thibaut si la forme était terrifiante, c'est qu'« elle nous envoyait à des questions terrifiantes
pour l'humanité ». Donc l'artiste a la capacité de sentir ce qui est dangereux pour l'humanité
dans son entier sans pour autant porter un jugement. Cependant, il semble difficile de
concevoir l'existence d'un consensus général qui traverserait les différentes philosophie et
opinions politiques sur ce qui est bon ou mauvais pour l'humanité. De plus, si l'on imagine
qu'il y a des dangers objectifs pour l'humanité, pourquoi l'artiste serait plus à même qu'un
autre de percevoir ce danger ? Il semble que dans le discours tenu par Didier Thibaut, l'art et
l'artiste sont placés sur un piédestal. Et le fait que l'artiste soit, un être social, inscrit dans le
monde quotidien semble être éludé. Dire qu'un artiste peut présenter un sujet d'une manière
objective ou du moins non « partisane », c'est, on peut supposer, oublier que sa position
sociale l'amène à avoir une opinion sur les choses, opinion qui est alors une opinion politique.
Il s'agit pour nous de resituer l'artiste dans la société et ne pas considérer son regard comme
un regard au-delà des considérations partisanes, au-delà des opinions. L'artiste vit dans le
même monde que toutE autre individuE, il.elle a, par conséquent une position sociale qui
l'amène à avoir un point de vue particulier sur le monde, un point de vue qui contient autant
ses limites que celui d'un.e autre citoyen.ne. Le fait qu'il.elle adopte une forme artistique pour
s'exprimer ne fait pas de cette expression une expression détachée du monde des idées. Sur ce
point, nous pourrions faire la même référence à Donna Haraway que celle faite dans l'analyse
de Yannic Mancel71.
On peut également penser que c'est cette même conception d'un domaine de l'art à part de la
société, d'un artiste à part de la société qui fait que la question de la parité n'est pas pertinente
pour Didier Thibaut dans le domaine de l'art. Lors de l'évocation des questions soulevées par
le collectif H/F, Didier Thibaut a d'abord approuvé le constat pour les postes de directions et
d'administration des théâtres. Cependant, pour les chiffres concernant les metteurs-ses en
scène et auteurEs, il s'est dit très sceptique quant à la réalité de ces chiffres :
« ça c'est le rapport du ministère. Je serais curieux de voir la réalité. Je suis un peu sceptique
sur ces chiffres 00:55:36-5
ah oui? 00:55:36-5
71 Donna Haraway. « L'objectivité s'affirme comme une affaire d'encorporation particulière et spécifique (…) Seule la perspective partielle assure une vision objective. » Par « perspective partielle » l'auteur entend réhabiliter l'importance de la position occupée par celui qui porte un regard sur le monde : « tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c'est-à-dire, des manières de vivre ».
48
oui c'est le rapport de Reine Prat 00:55:36-5
oui 00:55:40-3
que j'ai lu. voilà c'est pareil, moi je ne...ça serait absurde d'introduire des quotas en la matière.
Je suis violemment contre. Autant en termes politiques, qu'il y ait 50 % de femmes députées,
ça me...mais autant, artistiquement, c'est pas plaidable de dire on fait des quotas de femmes et
d'hommes quoi. enfin. ou d'auteurs ou de... 00:56:15-2
Comme ça été le cas lors de l'entretien avec Yannic Mancel, à l'évocation des chiffres du
rapport Reine Prat, les deux programmateurs soulèvent la problématique des quotas. Or, citer
ces chiffres, ça n'est pas forcément demander des quotas en la matière. Didier Thibaut ici,
après évocation de ces chiffres, s'oppose à cette démarche qu'il voit comme la prise en compte
de critères non-artistiques pour définir ce qui pourrait être programmé dans tel ou tel théâtre.
Nous évoquons alors l'idée que la question n'est pas tant les quotas qu'une réflexion sur les
préjugés sexistes présents dans le monde de la culture.
« EB : après je pense que ce qu'ils demandent aussi c'est que l'on questionne nos préjugés
pour que ensuite, le fait que les metteuses en scène soient moins aidées pour leur création et
tout ça soit remis cause. 00:56:26-2
DT : Mais je ne suis pas sûr du tout que les metteuses en scène soit moins aidées...enfin
je...dès lors qu'on franchit...autant dans l'égalité sociale, dans l'égalité salariale, je l'entends,
autant, effectivement à l'évidence, il faut s'interroger sur les préjugés, effectivement est-ce
qu'il y a, est-ce que le regard des programmateurs est influencé par leurs préjugés enfin par
des préjugés je...très sincèrement je préfère travailler avec des femmes qu'avec des
hommes...je veux bien regarder ma programmation, enfin je ne sais même pas d'ailleurs, ma
programmation à la Rose des Vents, mais je pense qu'il y a beaucoup de... 00:57:24-0 »
On voit très bien dans ce passage que la problématique qui surgit lorsque l'on introduit la
thématique des inégalités hommes-femmes dans le théâtre est liée au fait que le domaine de
l'art est placé, dans ce paradigme, dans une autre sphère que le domaine politique ou le monde
du travail.
Par ailleurs, après avoir regardé la programmation, Didier Thibaut qualifiera lui-même sa
saison de « très macho ». En effet, si l'on prend les pièces de théâtre présentées dans la saison
de la Rose des Vents (hors festivals) on trouve 100% d'auteurs et 83,34% de metteurs en
scène. Le festival « Next » présentera des chiffres similaires avec 80% de metteurs en scène.
49
Ces chiffres sont contrastés par ceux du festival « Prémices » comme nous l'avons développé
plus haut avec l'exemple du Théâtre du Nord. L'analyse de la situation est donc identique à
celle faite plus haut pour le Théâtre du Nord.
En résumé, la question du genre en tant que telle est difficile à déceler et étudier
indépendamment dans la démarche intellectuelle de Didier Thibaut. Cela n'empêche pas que
des pièces programmées à la Rose des Vents abordent la question du genre. A cette différence
près que cela ne sera pas mis en avant comme tel puisque considérer une œuvre d'art par
rapport à une thématique sociétale n'est pas une option pour la Rose des Vents. L'art et l'artiste
appartiennent à un monde particulier, qui est régi par ses propres règles. La forme est tout, le
reste n'est que secondaire. Par conséquent parler de théâtre politique est un non-sens.
De la même manière, se préoccuper de questions sociales, ici les inégalités hommes-femmes,
dans le milieu de la culture, c'est transposer les problèmes du monde matériel dans le monde
artistique. Or c'est également non envisageable pour Didier Thibaut, puisque cela reviendrait à
réguler l'art par des questions politiques. Ce qui ressort de cet entretien c'est l'affirmation de
l'art comme domaine à part. Non pas qu'il ne puisse avoir des retentissements sociaux ou ne
puisse être touché par les faits sociaux, mais il a un langage propre qu'il s'agit de considérer
indépendamment de tout autre langage.
D. Un théâtre qui travaille (avec) le réel. Catherine Gilleron pour Théâtre de la
découverte à la Verrière.
L'entretien avec Catherine Gilleron s'est déroulé dans la salle de réunion de la Verrière.
Catherine Gilleron, a commencé l'entretien, pour répondre à ma question sur la manière de
concevoir la programmation et le sens qui y est mis, par me retracer l'histoire de la compagnie
et du lieu. En effet, c'est l'histoire du lieu (la Verrière) et surtout l'histoire de la compagnie (le
Théâtre de la Découverte) qui déterminent leur manière de programmer. Ce lieu n'a pas
d'existence juridique en tant que telle. C'est la compagnie de théâtre, le Théâtre de la
Découverte, qui porte le statut juridique, à savoir association loi de 1901 qui lui permet de
recevoir des subventions. C'est donc à l'origine une compagnie de théâtre dont fait partie
l'actuel directeur, Dominique Sarrazin, à qui on a proposé un lieu et qui a accepté car elle
avait besoin d'un plan de travail, d' « une boîte à outils ». La troupe a fait le choix de partager
« cette boîte à outils » en permettant à d'autres troupes de pouvoir faire des résidences de
travail et des représentations. La programmation est donc déterminée par la volonté dans ce
50
théâtre, de permettre à d'autres troupes de venir jouer, mais la structure n'a pas les moyens
d'acheter des spectacles pour les programmer : « on est pas un lieu au sens lieu d'accueil et de
programmation parce qu'on en a pas les moyens ». #00:01:37-2# . Le lieu a été ouvert en
1992. C'est donc un lieu qui a maintenant 20 ans. L'idée est de faire de ce lieu, un lieu inscrit
sur le territoire, c'est-à-dire un lieu ouvert « à d'autres choses, à des rendez-vous, à des
réunions, à des rencontres, des débats, des choses qui soient un petit peu ouvertes, au-delà,
j'allais dire de l'activité théâtrale artistique pure même si pour nous c'est très important, on va
dire un peu un lieu d'engagement cit...enfin un lieu citoyen puisque installé comme ça dans
une rue, dans un lieu qui n'était pas un théâtre au début »
La DRAC, la région puis le département et la ville subventionnent ce lieu mais c'est au
Théâtre de la Découverte que ces subventions sont versées pour que la troupe fasse vivre ce
lieu. Jusque récemment, le Théâtre de la Découverte à la Verrière était une structure
conventionnée par l'Etat, elle disposait donc d'un contrat qui la liait pour une durée de trois
ans, renouvelable. Cependant la Verrière a été déconventionnée au motif que « puisque le
Théâtre de la Découverte est une équipe artistique et que les règles aujourd'hui des
conventions pour les équipes artistiques c'est beaucoup de diffusion nationale voir
internationale, vendre beaucoup de spectacles au réseau institutionnel et que nous nous
n'avons plus cela, effectivement depuis plusieurs années et bien nous n'avons plus le droit à
être conventionnés. ». Le Théâtre de la Découverte à la Verrière dispose donc aujourd'hui de
conventions avec l'Etat mais pour une année seulement, ce qui place la structure dans une
situation d'insécurité. En revanche, le lieu reste conventionné par la Région et la Ville.
La programmation se fait en équipe à partir de leur réseau, des rencontres et des
dossiers de propositions de projets reçus. L'équipe porte une attention particulière à la
démarche artistique plus qu'à la pièce à proprement parlé. C'est un lieu dédié au théâtre, plutôt
aux troupes et plutôt aux écritures contemporaines. Écritures contemporaines entendues
comme des écritures qui s'interrogent sur : « Qu'est-ce-qui se passe ici maintenant, autour de
nous et comment le théâtre en prend, prend en compte ces préoccupations? Comment l'art,
l'écriture, les artistes prennent en compte ces préoccupations? ».
1. Le réel/l'irréel, le fond/la forme.
La discussion avec Catherine Gilleron a été marquée par les questionnements que
peuvent provoquer la question de l'agencement entre le réel et l'irréel. Comment le théâtre se
préoccupe du réel ? A quels degrés ? Sous quelle forme ? Dans son discours, elle semble
51
distinguer trois façons différentes d'envisager le rapport du théâtre au réel. Ces trois grandes
catégories se distinguent dans leur façon d'appréhender, de s'imprégner du réel et dans la
façon de l'agencer avec l'imaginaire, l'onirique, l'artistique. Elle part du principe que les
artistes, qu'ilLEs le veuillent ou non sont de toute façon marquéEs par le réel. En effet, la
figure de l'Artiste détachéE des conditions matérielles d'existence est, selon Catherine
Gilleron, un mythe. Tout artiste s'inspire forcément du réel pour créer.
Cependant il peut y avoir différentes manières de le faire.
Tout d'abord, Catherine Gilleron évoque une démarche artistique qui refuserait ou du
moins mettrait de côté le réel. « C’est vrai que certains artistes ne veulent pas travailler le réel.
Ils sont travaillés par le réel et ils ne veulent pas travailler le réel ». IlLEs recherchent alors à
produire de l'irréel de l'onirique et parfois, mais pas toujours, en affirmant que ça n'est que de
l'irréel, de l'onirique et que l'on peut analyser dans leur objet artistique une vision particulière
du réel. Catherine Gilleron exprime alors l'importance que ce type de démarche existe mais
insiste sur le fait que ça ne correspond pas au théâtre auquel elle aspire.
Ensuite, on peut, du discours de Catherine Gilleron, dégager une autre catégorie de
démarche artistique : celle où l'artiste accepte qu'il est travaillé par le réel. Il est, de sa
position, traversé par le réel, traversé par ce qui l'entoure. Il s'agit alors pour lui de parler du
réel qui le concerne en tant que personne, du réel lié à sa condition (par exemple pour les
thématiques qui nous intéressent : condition d'individuE homosexuelLE dans une société
hétéro-centrée, condition de femme dans une société patriarcale, condition de
consommateur.trice dans une société capitaliste, condition d'artiste dans une société...). Par
conséquent l'artiste dit « « oui, moi je suis travailléE par le réel et donc quand j’écris, quand je
parle, ou quand je fais, je n’ai pas besoin d’aller en plus interroger le réel. M’y baigner,
dedans. ». Il ne s'agit pas de se pencher sur un autre réel, de s'y baigner pour en témoigner
mais il s'agit de rapporter sur scène son vécu à soi, sa perception propre, sa réalité. Cette
démarche peut se traduire par des formes artistiques basées sur le récit de vie, le témoignage
mais aussi beaucoup d'autres formes. Ce rapport au réel est souvent basé sur l'idée que
l'expérience d'un être humain si elle est restituée sur scène avec profondeur et sincérité a de
fortes chances de résonner dans le réel et la réalité des spectateurs. On a donc un agencement
avec le réel qui se fait de cette manière : l'artiste est nourri et se nourrit du réel et plus
précisément de sa réalité (on retrouve là l'idée des « artistes éponges » de Yannic Mancel) et
ce récit, ce témoignage individuel peut résonner dans le réel et la réalité du spectateur présent
dans la salle.
Enfin, la troisième manière d'agencer le réel et l'artistique, c'est de chercher à
52
témoigner d'un réel qui n'est pas forcément celui de l'artiste. Par conséquent, cet agencement
implique que l'artiste aille s'immerger, s'imprégner d'un milieu social sur lequel il voudrait
témoigner. Par conséquent l'artiste doit mettre en place un échange étroit avec les gens. Il doit
écouter, discuter, échanger, faire l'effort de comprendre, faire de la collecte de témoignage :
« Parce que nous on dit, « de là où on est, de là où on vit, je sais pas exactement ce que c'est,
alors qu’est-ce que je vais raconter ? » et c’est pas pour autant que je vais m’interdire de
raconter, et je pourrais raconter sans aller les voir. Sauf que moi, je trouve que ma démarche
artistique, elle est d’aller les voir, elle est d’aller raconter à partir de ce que j’ai vécu, ressenti
avec eux. Et que j’ai besoin de m’en nourrir, de ce réel là. Parce que c’est pas un réel que je
connais, et ça m’intéresse pas de parler que du réel que je connais. (...)»
Ce rapport au réel peut correspondre en partie à ce que l'on désigne communément sous le
terme de « théâtre documentaire ». Le terme « théâtre documentaire » englobe les démarches
artistiques qui cherchent à avoir une matière première profondément ancrée dans le réel pour
le script (témoignages, articles de journaux, archives, rapports gouvernementaux,...). Le
théâtre documentaire tel que décrit par Catherine Gilleron, avant d'être une forme artistique,
est une démarche artistique.
Cette démarche artistique est celle dont l'équipe du Théâtre de la Découverte à la Verrière
semble être le plus proche. En effet, le Théâtre de la Découverte à la Verrière porte un intérêt
particulier aux démarches artistiques inscrites dans un territoire. Ces démarches d'artistes qui
vont travailler avec un milieu particulier sont soutenues par la Verrière lorsque celle-ci
favorise ces artistes dans ses choix de programmation.
Dans cette démarche, il ne s'agit pas pour l'artiste d'analyser le milieu comme un sociologue
par exemple le ferait. Lorsque nous interrogerons Catherine Gilleron sur la posture qu'elle
adopte lorsqu'elle réalise son travail dans le foyer de travailleurs immigrés, elle sera
catégorique : c'est une posture d'artiste. Elle y va avec sa sensibilité artistique au risque de
faire des choses « que les sociologues ne supporteraient pas ». La démarche de l'artiste qui va
se plonger dans un milieu pousse l'artiste à accepter un temps de se plonger dans la réalité
matérielle de l'existence d'un Autre. En se plongeant dans la réalité matérielle, il laisse un
temps de côté l'irréel, l'imaginaire, l'onirique. L'artiste va devoir faire un travail important
avec la matière et la transformer en un objet artistique. Du langage quotidien, il va faire un
langage artistique. A partir de là, de la matière, les formes artistiques peuvent être multiples et
c'est cela qui préoccupe Catherine Gilleron. Elle voudrait en effet que l'on s'interroge sur la
façon de restituer artistiquement un travail réalisé à partir du réel. L'interrogation de Catherine
Gilleron sur l'agencement entre la matière première et la forme artistique transparaît à travers
53
les projets qu'elle souhaite mettre en œuvre. L'an prochain, elle souhaite lancer différentes
initiatives qui pousseront les artistes, les universitaires et les citoyens en général à s'interroger
sur cette question du : « collectage de paroles, du lien entre théâtre et réel, entre théâtre et
documentaire, entre théâtre et sociologie, entre théâtre et recherche ».
Tout d'abord, elle souhaite rendre visible ces démarches artistiques en réalisant une
plaquette dans laquelle seraient regroupées toutes les démarches artistiques axées sur le
collectage de paroles sur le territoire. Ensuite, il s'agit de s'interroger avec ces artistes « avec
les équipes artistiques qui travaillent sur ce sujet, qui travaillent à partir de collectage de
paroles, qui travaillent à partir du territoire, de notre présence sur des territoires avec des
habitants des populations » : « comment les artistes font résonner ce travail préalable, cette
présence artistique avec des habitants ? Comment le font-ils résonner dans leur objet, qui est
la création artistique... donc quelle résolution esthétique, justement ? Pourquoi ? Pour qui on
travaille quand on fait ça ? ». Catherine Gilleron problématise cette question de la façon
suivante : si on fait du collectage de parole, si on travaille avec une population particulière,
quel sens cela a-t-il de faire un produit artistique qui sera déconnecté du milieu dans lequel on
l'a produit ?
« Les problèmes d’esthétique sont aussi liés à ce que tu portes. La résolution esthétique… Et
d’ailleurs, je veux organiser, à la rentrée, en novembre décembre, une rencontre – parce que
moi-même, dans une autre équipe, je suis amenée à faire un travail à partir des travailleurs
migrants. Ton travail, c’est un travail de collectage de paroles, un travail avec les gens. Et tu
veux créer, artistiquement, quelque chose à partir de ces données-là, mais dans un aller et
retour entre ces gens, et ta création artistique. Il est bien évident que ça pose des questions.(...)
Est-ce que tu dois forcément rendre compte du réel tel qu’il est ? Sans rien apporter, sans
apporter ton regard d’artiste, ou des artistes qui transcrivent la chose ? Non. Mais en même
temps, les gens que tu vas toucher sont pas habitués à certains codes… Ils n’ont pas toutes les
clefs. Donc comment on articule ça ? Comment on articule ce travail avec les gens dans la
résolution esthétique de ça ? Sachant que liée à la résolution esthétique, il y a la résolution
concrète et pragmatique des endroits où tu vas diffuser ça. (...) C’est difficile de trouver cet
équilibre entre une résolution esthétique qui prenne en charge ta conception du travail que tu
fais avec les gens qui sont sur un territoire, et je veux qu’on s’interroge là-dessus et qu’on en
débatte entre différents artistes qui font ça mais qui ont pris des chemins différents pour le
faire, et qui ont des moyens différents pour le faire. Parce qu’aujourd’hui beaucoup de gens
font ce type de travail, beaucoup d’artistes se préoccupent de la Cité, et tous n’ont pas les
54
mêmes réponses. »
Ensuite, elle souhaite organiser des rencontres avec des chercheurs.ses universitaires
autour de ces questions. En effet, le phénomène qui fait que certainEs chercheurs.ses, comme
Gérard Noiriel ou Frédéric Lordon mobilisent des supports culturels, en l'occurrence le théâtre
pour parler de leurs recherches l'interroge. Pourquoi veulent-ilLEs faire cela? En quoi les
questionnements de ces chercheurs.ses qui vont adopter une démarche artistique et les
questionnements des artistes qui font ces démarches préalables de recherches ou d'écoute sur
le terrain peuvent-ils se recouper?
Ces problématiques correspondent donc à ce qu'elle explore dans son travail d'artiste.
Elles correspondent aussi aux questionnements que se pose « l'institution », la compagnie
« Théâtre de la découverte » en portant une attention particulière aux démarches artistiques
qui s'inscrivent dans le territoire et cherchent à « travailler avec les gens ». Ces
questionnements correspondent à sa démarche artistique actuelle : depuis 2008 avec la
compagnie l'Indépendante, elle travaille avec les travailleurs immigrés des foyers de Lille et
des environs et souhaite créer une œuvre artistique à partir des témoignages recueillis.
Il est intéressant de voir que cette démarche est singulière. Elle correspond à une certaine idée
du théâtre, une certaine idée d'agencement entre le réel et l'irréel. Cette démarche semble être
radicalement différente de celle engagée par Didier Thibaut. En effet, ici le fond a une place
centrale alors que chez Didier Thibaut c'est la forme qui est centre.
Dans la même logique, si Didier Thibaut était sceptique quant aux questions théâtre/genre
c'était car ces questions portent sur le fond alors que pour lui l'art doit s'intéresser avant tout à
la forme. En revanche, si Catherine Gilleron présente également un relatif scepticisme vis-à-
vis des questions théâtre/genre, ça n'est pas, comme Didier Thibaut parce que cette question
questionne le fond au lieu de questionner la forme. Si Catherine Gilleron affiche ce relatif
scepticisme c'est car la question du genre comporte selon elle des limites...
2. La question du genre : entre miroir et masque
Lorsque l'on abordera les questions qui lient théâtre et genre Catherine Gilleron aura
une opinion sur ces questions marquantes, et dans sa démarche artistique, et dans son parcours
associatif et militant.
Tout d'abord, Catherine Gilleron rappellera que c'est que une question très importante car dans
55
« nos sociétés aujourd’hui, y compris notre société dite « civilisée, organisée, intelligente et
tout ça » », la réalité c'est un salaire pour les femmes de plus de 20% inférieur à celui des
hommes, c'est les difficultés rencontrées par les femmes sur le terrain, c'est aussi les
difficultés rencontrées par les personnes homosexuelles à faire accepter leur sexualité, les
difficultés rencontrées par les personnes transgenres, etc. Catherine Gilleron témoigne donc
d'une conscience féministe forte. Ces problèmes rencontrés dans la société sont aussi des
problèmes rencontrés dans le milieu culturel et plus précisément dans le milieu du théâtre : les
auteurEs favoriséEs sont majoritairement des hommes, les metteurs.ses en scène favoriséEs
sont majoritairement des hommes, les rôles proposés aux comédienNEs sont trop souvent
sexistes. Sur ce point, Catherine Gilleron témoignera des difficultés rencontrées par ses amies
comédiennes : « Quand tu sors, que t'es une très bonne petite comédienne de 20-30 ans ça va
et après, plus tu vieillis plus ça se restreint. Les rôles se restreignent et t'as 40-45 ans, t'as
beaucoup joué et puis tu es déprimée parce que tu n'as plus d'appel. Et 50 ans alors là je ne te
dis pas. ».
Toute cette conscience féministe est liée à son passé. En effet, je « militais au planning
familial » explique t-elle, j'étais « dans les manifs, j'ai toujours été une militante. Et je lisais
toute la littérature qui est sortie à cette époque là et oh combien importante et intéressante
qu'on pouvait lire depuis Beauvoir jusqu'à...voilà... toutes les femmes qui ont écrit sur la
domination masculine, et les éditions des femmes et tout ce qui est né à cette époque là c'était
hyper-riche. Et j'étais là-dedans ». Catherine Gilleron a donc une expérience d'un féminisme
qui s'inscrit dans des mouvements sociaux, dans une démarche militante, dans une démarche
revendicative. Le féminisme pour Catherine Gilleron, est lié à son militantisme dans les
années 1970-80, c'est le planning familial, c'est des revendications collectives, des
mouvements collectifs. Cette expérience du féminisme se comprend dans un rapport
particulier à la politique, aux mouvements sociaux : issue d'un milieu modeste, ouvrier, avec
la volonté de s'émanciper par l'école, par le savoir, par les livres, par la culture etc... Sa
socialisation politique est marquée à gauche. Elle était adhérente et militante au parti
communiste puis récemment se présente sur une liste « Vraiment à gauche » pour des
élections municipales, mouvement qui s'alliera au Front de gauche.
Cette socialisation marque sa vision d'un théâtre inscrit dans les thématiques de la société,
d'un théâtre comme lieu de vie et de réflexion, d'un théâtre comme support de réflexions et de
débats. Cette socialisation de gauche et féministe conditionne également sa façon de penser
les problématiques de genre dans le milieu du théâtre. Les problèmes de genre dans le monde
du théâtre sont le fait d'un monde encore sexiste. Elle est donc adhérente au collectif H/F, le
56
Théâtre de la Découverte à la Verrière est également adhérent au collectif H/F. L'équipe a
programmé des pièces qui « traitent des femmes » puis là elle va accueillir un spectacle « qui
traite de ça très spécifiquement, de la question du genre » et programmer des œuvres qui
entrent en résonance avec les problématiques posées par le collectif H/F, etc...
Donc pour elle et pour le Théâtre de la Découverte à la Verrière, c'est une question qui fait
sens. Mais, Catherine Gilleron exprimait un certain scepticisme vis-à-vis de la
problématisation du genre et surtout de l'ampleur que cette question prend dans la société.
On va alors constater une rupture entre d'une part ses pensées et ses démarches féministes, et
d'autre part, le scepticisme témoigné à l'égard de la question du genre, de son écho au sein de
la société mais aussi au théâtre :
« c’est une question qui n’est pas réglée, qui est loin d’être réglée, qui est du réel, qui
correspond à des réalités sociales, socio-économiques etc,... et qui résonne énormément
aujourd’hui. Mais que quand on le transforme en "question du genre", tu vois? »
La question que nous posons ici dans un premier temps est alors, qu'est-ce que signifie
« transforme(r) en "question du genre" » ? En quoi cette « question du genre » se différencie t-
elle des idées qui dénoncent les inégalités hommes-femmes dans le milieu de la culture par
exemple ? Il s'agit donc de se demander ce que représente la question du genre pour Catherine
Gilleron?
Qu'est-ce qui éloigne cette question de sa socialisation militante d'une part et de sa vision du
théâtre, d'autre part ? Par ailleurs, pourquoi dit-elle avoir pris du recul par rapport à cette
question et ne pas vouloir à proprement parler, militer pour cette cause? Qu'est ce que cela
signifie? Et en quoi cette réflexion est révélatrice d'une certaine manière d'aborder la question
du genre dans le milieu du théâtre?
Nous verrons tout d'abord que le « théâtre de genre » s'éloigne de sa manière de traiter du réel
dans le théâtre et ensuite qu'elle s'éloigne de la manière de considérer les problèmes politiques
et sociaux.
Comment est connoté l'expression « théâtre qui traite du genre » pour Catherine
Gilleron? Qu'est ce que ça veut dire dans sa vision du théâtre et dans son constat?
D'après le discours tenu, les associations d'idées faites lorsque nous avons introduit la
thématique théâtre et genre, « le théâtre qui traite de la question du genre » représente
principalement pour elle le théâtre axé sur un discours individualisant. Celui qui fait que les
artistes vont être amenéEs à parler sur scène de leur expérience personnelle, de leur rapport
aux normes du genre, aux normes corporelles : pièces qui traitent de la question des poils
57
(Éloge du poil72), de la question de l'oppression des normes de genre sur l'individuE (La jeune
fille et la morve73). On est donc là dans des démarches d'artistes qui vont exposer leur réalité
sur un sujet en espérant que cette réalité résonne dans celle des spectateurs.trices. Dans la
typologie vue plus haut, celle qui distinguait trois façons d'agencer le réel et l'irréel dans la
démarche artistique, cela correspond à la deuxième catégorie. C'est-à-dire à la catégorie des
artistes qui vont chercher à parler du réel qui les concerne, donc déterminé par leur position
sociale. Or Catherine Gilleron se démarque de cette démarche, et l'on peut rappeler ce passage
qui illustre ce démarquage :
« Parce que nous on dit, « de là où on est, de là où on vit, je sais pas exactement ce que sais,
alors qu’est-ce que je vais raconter ? »et c’est pas pour autant que je vais m’interdire de
raconter, et je pourrais raconter sans aller les voir. Sauf que moi, je trouve que ma démarche
artistique, elle est d’aller les voir, elle est d’aller raconter à partir de ce que j’ai vécu, ressenti
avec eux. Et que j’ai besoin de m’en nourrir, de ce réel là. Parce que c’est pas un réel que je
connais, et ça m’intéresse pas de parler que du réel que je connais »
Cette manière de faire du théâtre en partant de la personne-artiste mène à une forme axée sur
l'individuE en tant que tel. On peut considérer que cette démarche de l'artiste est politique
dans le sens où il.elle va dire : regarder comme les normes de genre sont absurdes pour moi et
donc cela mène à une critique et au questionnement de la légitimité de ces normes chez le
spectateur. Mais cette démarche politique n'est pas la même démarche politique que celle de
Catherine Gilleron qui va aller dans un centre de travailleurs immigrés. Chez elle, l'aspect
revendication collective est plus grande : on montre une forme de domination telle qu'elle
s'applique à toute une catégorie d'individuEs. Cela correspond à son vécu en tant que
féministe dans des mouvements sociaux (« j'étais dans les manifs,... ») et en tant que militante
dans des mouvements de gauche. Dans ces mouvements, la démarche est plus de synthétiser
le problème pour le visibiliser en tant que problème global et social alors que l'autre tend plus
à focaliser le problème sur l'individuE. Donc déjà, cette démarche artistique du théâtre de
genre s'éloigne et de la démarche artistique qu'elle trouve la plus pertinente et de sa manière
de faire du féminisme. C'est donc là une première explication de ce scepticisme envers la
question du genre en général et telle que problématisée dans le théâtre en particulier.
72 Éloge du poil par Jeanne Mordoj, mis en scène par Pierre Meunier, Théâtre du Grand Bleu du 8 au 10 décembre 2011
73 Poirier (A.) et Jedrazak (M.), La jeune fille et la morve, théâtre Massenet dans le cadre du festival je(ux) de genre, 23 mars 2012
58
Ensuite, on peut poser cette question : à qui parle le théâtre de genre? Chez qui fait-il
résonance ? Et qu'est-ce que cela révèle sur cette question du genre?
« je pense malgré tout qu’aujourd’hui, dans une certaine partie de la société, c’est un masque.
Pour les questions sociales. »
« Mais en même temps pour moi, elle n'est qu'un "cache-sexe", c'est le cas de le dire, aux
réalités concrètes sociales et culturelles dans les sociétés aujourd'hui. »
La question du genre telle que problèmatisée aujourd'hui est une problématique qui a une
résonance en particulier dans les milieux sociaux privilégiés. Cette thématique est reprise et se
voit réappropriée par les universitaires ou les gens bien placés économiquement dans la
société mais pas par les milieux ouvriers.
« (...) mais tu sais bien que cette révolution là elle est faite dans les classes dirigeantes. ça ne
pose pas de problème dans les classes dominantes d'être homo un couple homo, ça ne pose
pas de problème. Mais ça en pose toujours dans les classes dominées et ça continuera d'en
poser tant qu'on utilisera ça comme un cheval de bataille qui n'ira pas pointer exactement là
où ça fait mal. Moi je trouve. Maintenant il faut se battre, quand même parce que
concrètement, socialement, les femmes gagnent 20% de salaires en moins, parce que
concrètement, socialement, un couple homo ne peut pas se marier (...) »
Sur ce point, Catherine Gilleron se dit très marquée par le récit de Didier Eribon, Retour à
Reims74. Dans ce roman, Didier Eribon raconte son histoire personnelle. Issu d'un milieu très
prolétaire il a été rejeté par sa famille pour son homosexualité. Il s'est consacré pendant des
années, en tant que philosophe et sociologue à la recherche sur la question du genre. A
l'occasion de la mort de son père il retourne « voir d'où il vient », il retourne dans sa ville
d'origine et, dit Catherine Gilleron « je trouve ce texte magnifique parce qu'il repose les
questions à l'envers. Il dit à force d'avoir travailler la question du genre, de s'être battu là-
dessus(...) » il a oublié d'où il venait et les difficultés rencontrées dans son milieu d'origine.
Son milieu d'origine est un milieu marqué par la domination de classe, et les problèmes qu'il a
rencontré avec l'homosexualité sont marqués par un régime social hétérocentré, structuré par
la domination masculine. Il s'agit alors pour Catherine Gilleron de s'interroger sur les
mécanismes de domination en général et non pas de se focaliser sur un type de domination
comme la domination masculine. Cette réflexion est fortement marquée par le travail
74 Eribon (D.), Retour à Reims, Flammarion, 2010
59
artistique qu'elle fait dans les foyers de travailleurs immigrés : « quels sont les mécanismes
de domination sociale qui font qu'on a obéré des mécanismes de domination. masculine si on
veut. en tous les cas ces mécanismes de domination masculine aujourd'hui moi je demande à
les interroger, je les interroge, non pas en tant que tels, parce que justement quand je vais
travailler avec les messieurs dans les foyers de travailleurs immigrés, quand je vais voir ces
hommes, ces hommes, souvent maghrébins pour certains, d'accord, qui sont quand même on
va dire, le summum du symbole de la domination masculine, dans cette humiliation qui est la
leur aujourd'hui, dans ce vécu humiliant qu'est d'être célibataire pour plusieurs raisons, de pas
pouvoir rentrer chez eux, dans cette humiliation là, comment ça s'articule ce mécanisme de
domination masculine, pour ces hommes là ».
Brandir l'étendard de la problématique du genre pour Catherine Gilleron, comporte le risque
d'oublier de questionner les mécanismes de domination en général en se focalisant de manière
revendicative sur la domination masculine. Les questions que pose Catherine Gilleron
peuvent être recoupées avec les questionnements des universitaires qui réfléchissent en terme
d'intersection entre les différentes formes de domination. L'intersectionnalité, pour reprendre
le termes de l'universitaire féministe Kimberlé Crenshaw75, désigne le fait que les formes de
domination et de discrimination s'entremêlent et forment un tout. Les démarches qui tentent
de comprendre ces formes de domination séparément, d'un point de vue ou de la race, ou de la
classe sociale, ou du sexe, ou du genre, ou de la sexualité sont lacunaires. Les rapports de
domination entre classes, le racisme, le sexisme et l'homophobie présentent des
fonctionnements similaires. Il s'agit alors pour ces universitaires d'étudier les intersections
entre ces différentes dominations.
Pour répondre à nos questions initiales, dans le « quand on le transforme en question du
genre » : on peut résumer que tout d'abord, « transformer en la question du genre », c'est
risquer de transformer une problématique sociale en une problématique centrée sur
l'individuE. Cette transformation va à l'encontre de sa socialisation associative et militante.
Ensuite « le transformer en la question du genre », c'est lui donner le sens que cette question a
aujourd'hui, un sens compris et approprié par les classes dominantes, rejeté ou incompris par
les classes populaires. Enfin, le « transformer en la question du genre », c'est lui donner une
place centrale qui masque l'importance d'aborder les formes de domination liées au genre
75 Crenshaw (K.), « cartographie des marges : intersectionnalité, politiques de l'identité et violences contre les femmes de couleur », in les Cahiers du genre, n°39, 2005
60
comme des formes liées à d'autres types de domination.
Cette vision là des choses influence et est influencé par son travail d'artiste, de
programmatrice, travail lui-même marqué par sa socialisation et par l'institution dans laquelle
elle travaille.
En somme, pour Catherine Gilleron, la question du genre dans le théâtre est importante. Elle
est importante car elle touche à des réalités concrètes et matérielles qui font que les femmes
sont discriminées dans le milieu de la culture. Elle est importante car le théâtre est un support
culturel qui a vocation à faire écho dans la société et que la société est marquée par le sexisme
et l'homophobie qui sont à combattre. Mais elle ne doit pas devenir LA préoccupation car
dans ce cas, elle fonctionnerait comme un « cache-sexe » d'autres questions sociales, d'autres
types de domination.
La manière d'aborder la question du genre au théâtre chez Catherine Gilleron est à
comprendre dans cet ensemble de questionnements. Son parcours individuel, sa démarche
artistique, l'évolution de son rapport au féminisme (du militantisme au relativisme),
l'évolution du féminisme (du féminisme à la question du genre), tout cela va expliquer la
spécificité de sa conception de la question théâtre/genre.
Avant de conclure en mettant en avant les questions transversales qui se dégagent de
cette analyse, nous pouvons peut-être insister sur un fait qui transparaît en filigrane dans ce
développement mais n'est pas clairement énoncé. Ce fait c'est que la logique d'action de
touTEs ces programmateurs.trices est inscrite dans un contexte plus large que celui de la
structure en elle-même. Les programmateurs.trices décident leur programmation en fonction
de leur appartenance à des réseaux. Ces réseaux peuvent être de type institutionnel comme le
réseau Scène Nationale auquel appartient La Rose des Vents ou le réseau Centre Dramatique
National auquel appartient le Théâtre du Nord. Par exemple, sur ce dernier, le fait d'appartenir
à ce réseau joue énormément sur les choix de programmation : tout CDN se doit d'accueillir
les créations des directeurs artistiques des autres CDN. Ces réseaux peuvent aussi résulter des
relations sociales et professionnelles que les programmateurs.trices ont été amenées à nouer
au cours de leur activité. Par exemple, au Théâtre Massenet ou au Théâtre de la Découverte à
la Verrière, le réseau est particulièrement marqué par la fidélité dans le suivi de certains
artistes ou troupes. Ou encore, comme l'expliquait la programmatrice du Théâtre de la
Découverte à la Verrière, l'équipe artistique va être amenée à choisir de programmer des
61
troupes car ces troupes les ont programmé à un autre moment. La logique de « don contre
don » est particulièrement à considérer pour comprendre les choix entrepris par les différents
programmateurs.trices. Les logiques de concurrence sont également à prendre en compte :
certains théâtres chercheront à être à la pointe, à avoir une programmation qui rassemblera ce
que « la Critique »76 considérera comme le meilleur. Chaque structure a donc ses propres
réseaux, réseaux régis des règles, explicites ou implicites, spécifiques.
Si nous avons choisi de restituer nos recherches sous cet angle, c'est-à-dire en consacrant une
partie à chaque programmateur.trice c'est car ilLEs ont chacun un profil particulièrement
singulier : chaque structure a un réseau singulièrement différent de celui des autres, une
conception du théâtre et de son lien avec le réel singulièrement différente des autres, une
approche sur la question du genre singulièrement différente de celle des autres.
Cependant, nous pouvons dégager des liens transversaux. En effet, sur un point particulier,
une institution va, par exemple, se rapprocher d'une et s'éloigner des autres. Nous pouvons
distinguer des grandes tensions qui vont rapprocher ou éloigner les structures entre elles.
Tout d'abord, c'est le rapport que les structures peuvent avoir avec le territoire :
l'ambition de la structure est-elle de rayonner au niveau local, national ou international ou a t-
elle plutôt une démarche de proximité? Ce rapport avec le territoire est profondément lié au
réseau institutionnel auquel les structures appartiennent ou non. Sur ce point, nous pouvons
aisément regrouper les structures en deux grands pôles : d'un côté, le Théâtre Massenet et le
Théâtre de la Découverte à la Verrière et d'un autre le Théâtre du Nord et la Rose des Vents.
Le Théâtre du Nord et la Rose des Vents appartiennent à d'importants réseaux nationaux en
lien étroit avec l'Etat. Ces institutions sont donc porteuses de normes artistiques qui sont
profondément liées à celles que l'Etat promeut : on trouve alors « des spectacles de référence
nationale voir internationale »77. En revanche le Théâtre de la Découverte à la Verrière et le
Théâtre Massenet ont, eux, une démarche de proximité : ce sont des plus petites structures qui
programment essentiellement des artistes locaux. Ces structures n'ont pas les mêmes critères
de référence et alors que les grosses structures chercheront « l'excellence » ces petites
structures programmeront plus des artistes de différents niveaux qui présentent des démarches
diverses qui ne correspondent pas forcément aux canons culturels. La programmatrice du
Théâtre de la Découverte à la Verrière parlera « d'autoroutes » (les grosses structures inscrites
76 Terme que nous avons explicité lors de notre partie sur le Théâtre du nord. 77 Expression tirée de l'entretien avec Yannic Mancel
62
dans de gros réseaux) et de « petits chemins » (les petites structures ayant une démarche de
proximité). Ces autoroutes et ces petits chemins peuvent apparaître en opposition mais aussi
comme complémentaires : « réussir à faire en sorte qu’on ait des autoroutes et aussi des petits
chemins, et qu’on comprenne que pour qu’il y ait des autoroutes il faut aussi qu’il y ait des
petits chemins qui y mènent, et que pour que les petits chemins continuent d’exister, eh bien il
faut quand même quelque fois quelques autoroutes »78.
Ensuite, on va pouvoir dégager différents pôles en fonction de la conception que les
programmateurs.trices nous ont exposé à propos du lien entre théâtre et réel et donc théâtre et
politique et dans une autre mesure théâtre et genre. On trouve donc sur ce point trois positions
distinctes.
La première position est celle du Théâtre Massenet et du Théâtre de la Découverte à la
Verrière. Ici, le politique est perçu comme une question centrale dans l'art. Une question qui
doit être traitée et prise en compte dans la démarche artistique. L'art apparaît ici comme un
support de débat citoyen. Lorsque ces théâtres programment des pièces qui ont un propos
politique qui peut être un propos sur le genre, le propos aura alors influencé le fait que cette
pièce soit programmée. Ces deux structures accordent donc un intérêt particulier au message,
au fond, à l'éthique du spectacle et au fait que le théâtre provoque des débats au sein de la
« Cité »79.
La deuxième position est celle de la Rose des Vents. Ici, le politique est perçu comme
secondaire. Il se peut que des pièces contenant un propos politique ou plus spécifiquement sur
le genre soit programmées dans ce théâtre mais cela ne sera pas mis en avant. Lier
ouvertement et directement art et politique paraît dans cette position comme quelque chose de
menaçant pour la qualité artistique. La Rose des Vents est une Scène Nationale qui
programme du théâtre (et de la danse, et de la musique) contemporain qui met en lumière
avant tout la Forme.
La troisième position est celle du Théâtre du Nord. On a une conception de la politique dans
le sens « éclairer le citoyen », lui fournir les armes pour comprendre la société. Le théâtre, en
le divertissant, en questionnant la société, en nourrissant son imaginaire, a un rôle politique.
Mais cette vision du politique n'est pas la même que celle analysée dans le premier pôle. Ici la
vision du politique est plus celle d'un « vivre ensemble » autour de normes et valeurs
communes que celle d'une espace de débats et de conflits dans lequel se jouent des rapports de
78 Extrait de l'entretien avec Catherine Gilleron. 79 Terme utilisé par le programmateur du Théâtre Massenet lors de notre entretien.
63
force. Le Théâtre du Nord est avant tout en effet une institution de transmission du
patrimoine.
Pour les deux derniers, si la question du genre est abordée c'est qu'elle est traitée par
les artistes « légitimes ». Sinon elle ne sera pas abordée. Ils ne sont pas à la recherche de l'art
« en dehors des sentiers battus »80, des canaux officiaux.
En revanche le premier groupe présente une volonté de traiter des questions politiques dans
l'art et donc va être amené à rechercher des démarches qui correspondent à cette volonté.
Donc si la question du genre est une question pertinente pour eux (elle l'est de manière
différente chez les deux personnes interrogées), cette question va être mise en avant.
Dans cette première partie, nous avons traité le premier temps décrit par Eric Macé,
celui de la production. Dans la partie qui suit nous traiterons du deuxième temps, celui des
représentations.
II. Les représentations : analyse des pièces sous l'angle du système du
genre
Dans cette deuxième partie, il s'agira, pour reprendre les termes d'Eric Macé
d'observer « pour elles-mêmes des « traces » culturelles et symboliques que sont ces objets. Il
s'agira alors de considérer l'objet culturel, ici la pièce de théâtre en tant que telle c'est-à-dire
d'analyser ce qui nous est donné à voir sur le plan des rapports sociaux de sexe sans pouvoir
en déduire, ni l'intention de l'auteurE ou du/de la metteur.se en scène, ni les différentes façons
dont cette pièce pourrait être reçue par les spectateurs. Nous excluons donc de déduire de ce
regard porté sur le système de genre qui nous est donné à voir, d'une part l'intentionnalité et
d'autre part les usages qui pourraient en être faits. Méthodologiquement il s'agit donc de
considérer la pièce de théâtre comme un « monde social relativement autonome » qui nous
dira une réalité des représentations collectives du moment sur les rapports sociaux de sexe. Il
s'agit ici d'une analyse qualitative qui sera faite « au regard d'une théorie générale des rapports
sociaux contemporains» de sexe.
80 Ibid.
64
L'analyse des représentations est ici réalisée dans le cadre de l'hypothèse de départ décrite
dans l'introduction et dans le cadre de la définition du genre donnée dans l'introduction.
L'hypothèse de départ est que les supports culturels ont une place dans la création,
l'entretien et la reproduction des représentations du monde, des imaginaires. En l'occurrence,
le système de genre, qui présente une réalité matérielle et concrète violente (domination
masculine, homophobie, transphobie) est soutenu, entretenu par une multitude de choses dont
des schèmes mentaux qui touchent à l'imaginaire et à l'onirique. Ces schèmes mentaux sont à
la fois produits et reproduits par la réalité mais aussi ils produisent et reproduisent la réalité.
Les supports culturels, l'art, par cette spécificité de se situer entre le réel et l'irréel peut
reproduire des schémas opprimants présents dans la société mais est aussi un lieu privilégié
d'émancipation, de libération et de déconstruction de ces schémas. L'art, dispose, pour
reprendre les termes de Dominique Bourque, d'un espace de jeu, c'est un lieu privilégié pour
les stratégies de dé-marquage81. L'art a la possibilité de proposer « de nouvelles façons
d'appréhender la réalité dans toute sa complexité »82.
La pertinence de cette démarche est profondément accentuée par la vision du genre
telle que décrite dans l'introduction générale c'est-à-dire la vision du genre comme processus
performatif. En effet, le caractère performatif du genre nous montre quelque chose
d'important en ce qui concerne l'analyse des représentations des masculinités et des féminités
dans les supports culturels et en particulier ici dans les pièces de théâtre.
C'est d'une part, l'importance des modèles. Car les modèles créent cet idéal normatif vers
lequel les individuEs tendent. Les modèles (physiques, comportementaux) donnent à voir les
différentes possibilités de se comporter, donnent une base au comportement mimétique.
D'autre part, c'est la possibilité, la marge de manœuvre laissée par le fait que le genre soit
performatif. Si le genre est performatif alors il existe une possibilité de le détourner, de le
remettre en cause, de le troubler.
Ces deux éléments sont d'autant plus intéressants dans le domaine de l'art que l'art présente
cette marge de manœuvre laissée par l'imaginaire, que l'art est à la croisée entre le réel et
l'irréel, le réel et le possible, le réel et ce qui n'existe pas encore mais pourrait bientôt exister...
Et enfin, si le genre est une performance, ce qui implique que « l'homme » et la « femme »
jouent un rôle, alors au théâtre on joue un personnage qui joue un personnage. Si tout est rôle
alors le théâtre ne représente pas une réalité, il représente une performance. Le théâtre est en
81 Le marquage, dans le vocabulaire de Dominique Bourque (professeure à l'Institut d'études des femmes, université d'Ottawa) est le fait d'être associé à une identité dite donnée et le démarquage est le refus du rapport de force que peut recouvrir cette identité. Bourque (D.), « L'échappée du dé-marquage. Ouvrir la question identitaire », in Relais-Femmes, n°38, septembre 2010
82 Ibid.
65
lui même une performance. Et cette performance est, comme toute performance, constitutive
de la réalité. Dans ce cas, comme l'exprime Eric Fassin « représenter, ce n'est pas refléter, c'est
produire. ».
Nous reprendrons pour notre analyse la définition du terme représentation telle qu'utilisée
dans les études de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles : les représentations sont une « forme
de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la
construction d'une réalité commune à un ensemble social »83.
Ces sociologues ont étudié les représentations sexuées dans les supports culturels à
destination des enfants : lectures de référence à l'école84 comprenant un large spectre de
manuel y compris les manuels de mathématique85, la littérature enfantine86, presse et théâtre
pour enfant87, les spectacles jeune public. Pour cela, elles ont élaboré des méthodes à la fois
qualitative et quantitative qui leur permettent d '« appréhender le système de représentation de
la différence des sexes entendue comme la construction sociale de relations de pouvoir, à
l'intersection d'autres rapports sociaux »88. Ces méthodes varient selon les spécificités de
chaque support culturel. Nous n'allons pas ici développer ces méthodes car nous n'avons pas
les moyens de les utiliser pour notre travail car cela demanderait un champ d'investigation
plus large que nos six pièces de théâtre analysées. Cependant, nous nous inspirerons des
résultats de ces recherches notamment pour notre première partie. La deuxième et la troisième
partie quant à elles, tenteront une analyse des normes et valeurs qui sont diffusées à l'égard du
système du genre dans les pièces de théâtre analysées.
A. « Le masculin n'est pas un sexe »89
Sur le corpus de pièces étudiées, nous en avons ici sélectionné deux qui illustrent un
constat établi par Sylvie Cromer dans ses études réalisées sur la presse pour enfants et les
83 Jodelet 1989 p.53 in Op.cit. p.1084 Brugeilles (C.), Cromer (S.), Panissal (N.), « le sexisme au programme? Représentations sexuées dans les
lectures de référence à l'école », Travail, Genre et sociétés, 2009/1, n°21, p107-129. 85 Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels
scolaires, in CePeD, Paris, 2005.86 Brugeilles (C.) « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la
littérature enfantine contribue à élabore le genre », in Population, 2002/2 voil. 57, p 261-292.87 Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour
enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49, p 97-115.88 Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et
résistances », en cours de publication. 89 Titre de l'article de Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le
théâtre pour enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49, p 97-115.
66
spectacles jeune public : « le masculin n'est pas un sexe ». Les deux pièces analysées ici sont
deux pièces diffusées au mois de février au Théâtre du Nord. Il s'agit de Soleil Couchant,
texte d'Isaac Babel, mis en scène par Iréne Bonnaud et Le Suicidé, texte de Nicolaï Erdmann,
mis en scène par Patrick Pineau. Ce qui relie ici ces deux pièces aux spectacles étudiés par
Sylvie Cromer et qui nous permet de les analyser sous cet angle, c'est que ces deux pièces
racontent une histoire. Par conséquent, le.la spectateur.trice a sous les yeux différents repères.
Tout d'abord, un contexte spatial, ici dans les deux cas, la Russie, avec pour Soleil Couchant
un quartier juif d'Odessa en 1913 et pour Le Suicidé, un village russe sous Staline. Ensuite, on
trouve des personnages avec des rôles biens définis. Dans les deux cas, le personnage
principal est un homme. Soleil Couchant est en effet une saga axée autour du pouvoir du
patriarche, Mendel Krik et Le Suicidé met en scène un chômeur, Sénia, dont l'idée de se
suicider va susciter l'intérêt de tout le village russe (chacun tentera de persuader le personnage
principal de se suicider pour telle ou telle cause). Dans les deux cas, on a une trame narrative.
Dans Soleil Couchant l'élément perturbateur, c'est le patriarche qui veut liquider l'entreprise
familiale afin de s'échapper avec son amante (« sa maison, sa vie, ses chevaux il a tout jeté
aux pieds d'une fille »90), et dans Le Suicidé c'est Mache, la femme de Sénia qui, pensant que
son mari veut se suicider, alerte le voisinage.
En quoi peut-on dire ici que « le masculin n'est pas un sexe »?
1. Un déséquilibre numérique
Tout d'abord, on trouve un déséquilibre numérique entre les personnages masculins et
féminins. Soleil Couchant compte 31,57% de personnages féminins et 68,42% de personnages
masculins et Le Suicidé compte 20,83% de personnages féminins et 79,16% de personnages
masculins.91
On trouve donc un déséquilibre numérique au profit des personnages masculins, déséquilibre
numérique d'autant plus regrettable lorsque les pièces sont présentées comme étant
représentatives de la société : « On a l'impression que l'humanité entière s'est rassemblée à
Odessa et que raconter Odessa, c'est tout raconter »92.
A moins que la société russe compte 22% de femmes en moins que les autres sociétés, la
présence démesurée d'hommes par rapport aux femmes, n'est pas représentative de la société
russe. Elle est par contre représentative d'une tendance générale dans les supports culturels à
90 Réplique de Soleil Couchant, Isaac Babel. 91 Pour plus de détails se référer aux tableaux de l'annexe n°592 Irène Bonnaud, descriptif de Soleil Couchant in programme saison 2011-2012 du Théâtre du Nord
67
sous-représenter la gente féminine.
« l'humanité fictive n'a jamais vraiment deux sexes, le masculin est toujours hégémonique, la
minorisation numérique du féminin systématique. »93
Le déséquilibre constaté ici fait un effet écho aux études déjà réalisées. Dans son analyse sur
le spectacle jeune public, Sylvie Cromer aboutit en effet au même constat avec 69% des
personnages de sexe masculin et donc seulement 31 % de personnages de sexe féminin.
Ces chiffres viennent appuyer les propos de Catherine Gilleron vus plus haut, qui exprimaient
les grandes difficultés auxquelles les comédiennes sont confrontées pour trouver un rôle dans
les pièces.
2. Les hommes représentants de la société, les femmes représentantes de l'amour, la séduction ou la maternité
En outre, ce déséquilibre en tant que tel est certes révélateur mais c'est surtout
l'explication de ce déséquilibre, que nous allons voir ici en nous attachant aux rôles donnés
aux personnages féminins et masculins, qui est à réfléchir. En effet, quant est-il maintenant de
la répartition des rôles sur le plateau entre les personnages féminins et les personnages
masculins? Et plus précisément, « quelles sont les normes, les valeurs, les opinions diffusées
quant aux identités, aux rôles, aux statuts de sexe, ainsi qu'au commerce entre les sexes?
Autrement dit quel système de genre est montré, c'est-à-dire quels sont « l'ensemble des rôles
sociaux sexués et le système de représentations définissant le masculin et le féminin »94.
Tout d'abord, on constate que les personnages féminins existent systématiquement par
rapport aux personnages masculins alors que l'inverse n'est pas vrai. La présentation des
personnages de Soleil couchant dans le descriptif suffit pour comprendre cela :
Du côté des personnages de sexe masculin Ceux de sexe féminin
Gangster Maitresse de Mendel Krik
Apprenti forgeron Cuisinière chez les Krik
Marieur et shames de la synagogue des charretiers Femme de Mendel Krik
Hussard Marchande de poulets
93 Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants », Cahiers du Genre, 2010/2 n°49, p 103.
94 Thébaud 2005 in Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires in CePeD, Paris, 2005.
68
Gangster Soeur de Benai Krik, Mme Popiatnik chanteuse à la
taverne de l'ours noir
Charretier au service de Mendel Krik
Serveur
Chantre de la synagogue des laitiers
Banquier
Homme d'affaires
Rabin (jouée par une femme, Laurence Mayor, celle
qui joue la femme de Mendel Krik)
Propriétaire de l'entreprise
Avocat véreux
Exportateur de céréales
Paysan
Un étudiant d'une école talmunique
Musicien
Patron d'une entreprise de transport
Marchand de bétail
Les personnages masculins ici sont définis majoritairement par leur activité professionnelle.
Les personnages féminins, en plus d'être en sous-représentation numérique sont représentés
par rapport à la relation qu'ils ont avec un homme (exception faite de la marchande de
poulets). Par conséquent, on peut dire que, dans ce descriptif, les hommes ne sont définis par
personne d'autre qu'eux-mêmes, ils ont une existence sociale en tant que telle, tandis que les
femmes ne sont définies que par leur relation avec un homme et n'ont pas d'existence sociale
autonome.
Dans Le Suicidé, la subordination des personnages féminins aux personnages masculins est
illustrée par un trio de personnages. Il s'agit de Sénia, le Suicidé, de Mache décrite dans le
descriptif des personnages comme son épouse et de Sima décrite comme la belle-mère. Toute
l'histoire tourne autour de Sénia et les deux femmes sont alors des satellites du personnages,
positions quelque peu rééquilibrées par leur fort caractère. Cependant toutes leurs actions
tournent autour de Sénia (« on fait tout pour toi, on te cuisine tout ce que tu aimes »95). Elles
sont là pour donner de la consistance au personnage principal, au personnage masculin.
Ensuite, et c'est là que l'expression « le masculin n'est pas un sexe » prendra tout son
sens : les rôles masculins sont des rôles d'être humain, les rôles féminins sont des rôles de
femmes. Ce phénomène se retrouve dans les deux pièces. Dans Soleil couchant, nous avons
95 Réplique de la pièce Le Suicidé de Nicolaï Erdman, mis en scène par Patrick Pineau. Théâtre du Nord.
69
vu que le descriptif des personnages définit les personnages masculins par rapport à leur
travail. Ils représentent, au-delà de la catégorie de sexe, une diversité remarquable : tous les
milieux sociaux y sont présents, toutes les sphères de la société y sont présentes : du gangster
au banquier en passant par le paysan et le rabbin. Les personnages féminins, eux, ne
représentent pas la société. Ils représentent la maternité, l'amour ou la séduction. En effet,
Dvoira Krik - dont on notera qu'elle est définie dans le descriptif comme la sœur de Benai
Krik alors qu'elle est dans la pièce un personnage plus important que Benai Krik (Benai Krik
étant défini dans le descriptif par son travail) - est dans cette pièce avant tout, la vieille fille.
Celle qui n'est toujours pas mariée, qui n'attend que ça et pense exclusivement à ça. C'est
aussi l'amoureuse et la rêveuse « il m'enlaçait dans ses beaux bras... »96. Nehama Krik décrite
comme la femme de Mendel Krik, est cette mère et épouse tiraillée entre la peur de son mari
et l'amour de ses enfants. La jeune amante de Mendel Krik est, quant à elle, le stéréotype idéal
de la jeune fille séductrice et intéressée (par le patrimoine matériel de Mendel Krik).
Dans Le Suicidé on retrouve exactement cette dichotomie entre d'un côté les personnages
masculins représentants de la société, représentants de l'universel, de l'autre, les personnages
féminins représentants une gente féminine dotée de caractéristiques associées au féminin
(maternité, beauté, séduction, amour) et existante à travers les personnages masculins. Ce
constat est particulièrement visible dans le défilé de personnages auquel va être confronté le
suicidé : « Il (le suicidé) va rencontrer dans son délire une galerie de personnages
représentatifs de la société russe de l’époque »97. Chaque personnage représente une catégorie
de la population russe98. Aristarque Dominiquovitch Grand-Skoubik, c'est l'intellectuel
mégalomane, il représente l'intelligentsia, Nikifor Arsentiévitch Pougatchov est boucher, il
représente la « catégorie socio-professionnelle » des « petits commerçants », Viktor
Viktorovitch est écrivain et représente les artistes, le père Elpidy est le prêtre orthodoxe, il
incarne la religion. Donc pour chaque catégorie de la population nous avons un représentant
de sexe masculin. Les deux femmes quant à elles ne représentent pas une catégorie de la
population, elles ne sont pas marquées par leur statut professionnel ou leur fonction au sein de
la société. Les deux femmes représentent la fonction qu'elles ont auprès de la gente
masculine : la séduction. Elles apparaissent dans la pièce en compétition pour se faire aimer
par les hommes.
96 Réplique de Soleil couchant d'Isaac Babel, mis en scène par Irène Bonnaud. Théâtre du Nord. 97 Stéphane CAPRON, Le théâtre forain de Patrick Pineau, 8 juillet 2011 : http://www.sceneweb.fr/2011/07/le-
theatre-forain-de-patrick-pineau/ 98 Analyse faite dans Pièce (dé) montée, Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau
SCÉRÉN en partenariat avec le Festival d’Avignon. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris, n°31, juin 2011 : http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/pdf/le-suicide_avant.pdf
70
En outre, on peut noter que les personnages féminins ne sont pas pour autant fades.
Dans Soleil Couchant, la fille de Mendel Krik, Dvoira Krik a une personnalité détonante. Son
caractère affirmé la fait parler fort et tenir des propos colorés « à celui qui osera m'aimer sans
se faire buter » (par mon père). De la même façon, dans le Suicidé, l'épouse et la mère ne
seront en rien effacées et n'hésiteront pas à exprimer leur avis. Ce sont donc des personnages
féminins qui ont une forte personnalité mais ces personnalités restent très marquées par la
féminité. Ces personnalités n'échappent donc pas au système du genre.
En résumé on peut donc dire que les pièces produisent dans les deux cas des
stéréotypes qui s'inscrivent dans le genre, c'est-à-dire dans un système social de polarisation
d'un « masculin » et d'un « féminin » et de hiérarchisation avec un « masculin » dominant le
« féminin ». L'homme est donc placé en représentant de l'universel la femme en représentante
d'une gente féminine marquée par sa relation avec les hommes. La division des rôles est claire
: aux femmes l'amour et la séduction (en général cantonnées à la sphère privée), aux hommes
le reste (les causes politiques et sociétales, tout ce qui touche à la sphère publique en général).
Les personnages masculins ne sont donc pas marqués par le fait d'être mâle tandis que les
personnages féminins sont systématiquement marqués par le fait d'être femelle.
Même s'ils ne sont pas identiques du fait d'un champ d'investigation différent, les constats
tirés de l'analyse de ces deux pièces peuvent être mis en parallèle avec l'étude de Sylvie
Cromer. Dans son analyse des brochures explicatives des spectacles (« 990 notices analysées,
issues de 82 programmations, représentant 729 spectacles »99), au premier constat de
déséquilibre numérique entre les personnages masculins et les personnages féminins, l'étude a
mené à deux autres constats. Tout d'abord les personnages masculins sont « les plus décrits et
les plus richement caractérisés. On peut imaginer qu'ils retiennent davantage l'attention et
l'intérêt, en étant ainsi singularisés. En revanche, les personnages féminins sont mieux
« dotés » que les masculins pour ce qui relève de l'apparence physique et des stéréotypes ».
Ensuite « il y a une asymétrie du point de vue des actions entre personnages féminins et
personnages masculins : les personnages masculins équilibrent leur champ d'action entre vie
professionnelle et vie personnelle, à l'inverse des personnages féminins, nettement plus
impliqués dans le quotidien et l'intime que dans la vie professionnelle. ».
B. Quand la forme artistique masque un fond politique
99 Cromer (S.) in « Les grands entretiens. Sylvie Cromer », entretien réalisé par Claire Rannou, juillet 2010, in Continu(um) Masculin/féminin n°2, ANRAT, octobre 2010
71
Dans le corpus de pièces étudiées, nous ne pouvons pas axer notre regard sur une
même grille de lecture du fait de la diversité des formes proposées. Ici, nous n'allons pas
analyser spécifiquement les représentations de genre à travers les rôles qu'ont les personnages
comme nous venons de le faire mais le discours qui est tenu de manière générale. Nous optons
ici pour cet angle car la pièce ne raconte pas d'histoire avec des personnages aux
caractéristiques identifiables. Cependant cette pièce garde tout son intérêt dans l'analyse des
représentations véhiculées concernant le genre puisque cette pièce, malgré le fait que cela ne
soit pas présenté comme cela, tient un discours. Elle tient un discours qui contient l'opposition
nature/culture critiquée par les genders studies et qui dresse un portrait négatif de tout ce qui
concernerait un éloignement de la nature, comme par exemple tous les moyens d'avoir un
enfant d'une manière non traditionnelle (coït homme-femme).
1. Des histoires qui transmettent un point de vue bioéthique particulier...
Ce spectacle est axé autour de questions de bioéthique. Il a pour ambition affichée de
questionner l'homme dans l'évolution de son rapport à la vie et à la mort. Pour bien
comprendre ce que nous voulons exprimer ici, il est nécessaire de retracer les grandes étapes
du spectacle.
Le spectacle part d'un monsieur K. Ce monsieur est né sous X, il aimerait savoir « d'où il
vient » mais la banque de sperme refuse de lui délivrer l'identité du donneur. Cet homme va
être confronté à différentes situations liées aux manipulations génétiques. La première
situation est un cas de clonage. Ce cas est tiré d'une histoire vraie100, celle de Jaime Wallace
qui après le suicide de sa fille a demandé à des scientifiques de relever ses ADN afin de la
faire cloner. Une voix off questionne alors le.la spectateur.trice : « cette mère a t-elle le droit
de vouloir cloner sa fille qui a choisi de se suicider? », « un corps et son visage suffisent-ils à
remplacer une personne? », « la science peut-elle rassasier notre besoin de consolation? »,
etc. Ces questions ne sont pas de réelles questions : à la manière dont elles sont tournées, les
questions contiennent les réponses. Le cas du clonage n'est pas creusé et on passe à un cas de
cryogénisation101. De la même manière ce cas est tiré d'une histoire vraie, celle du docteur 100Notons que le fait que ces histoires soient tirées d'histoires vraies ou non n'est pas clairement exprimée dans
la pièce (la volonté de la metteuse en scène étant de « laisser le spectateur entre ce qui est vrai ce qui ne l'est pas encore, ce qui est de l'anticipation,... » (interview de Julie Bérès in http://www.youtube.com/watch?v=dI8Irg35TcE)). Les informations précises quant aux faits réels desquels sont tirés les situations représentées sont disponibles dans leur dossier de presse : http://www.theatrelesalmanazar.fr/upload/event/document/4.pdf
101Congélation de tout ou partie d'un être vivant dans l'espoir de le ressusciter plus tard.
72
Raymond Martinot. Ce médecin a choisi de congeler sa femme après la mort de cette dernière.
En fond sonore est diffusé une interview de ce médecin qui dit vouloir débarrasser l'humanité
de la mort. L'évocation de ce cas n'est, par la mise en scène, pas faite de manière neutre.
L'ensemble de cette démarche scientifique est ridiculisée par la manière dont elle est
présentée (un homme va visiter sa femme dans un congélateur). Le cas n'est pas expliqué et
on passe directement au cas de parents qui souhaitent choisir le physique, les qualités, les
défauts et le sexe de leur enfant. Ce couple de riches américains ont alors ce genre de débat : « l'homme : celui là je trouve la couleur intéressante
la femme : ah non c'est un peu clair, j'aimais mieux la teinte qu'on avait, tu sais tout à l'heure, un peu plus foncé
l'homme : oh regarde la suite
la femme : c'est difficile...mais ils mettent que c'est recommandé pour l'équilibre de l'enfant. Bon, il faut qu'on en
choisisse trois, on a qu'à prendre tes défauts à toi
l'homme : pourquoi les miens? Non on partage, c'est mieux qu'il puisse se reconnaître dans nous deux (…)
la femme : bon écoute on va quand même pas laisser faire le hasard, faut bien qu'on choisisse. Non mais regarde
ça, ils demandent de choisir le sexe, c'est dingue ça, la question du genre c'est complétement dépassé aujourd'hui
non? (…) total du panier 90 000...
l'homme : oh oui là en effet, on n'a pas les moyens. Tu ne veux vraiment pas le porter? Ça serait moins cher
quand même!
la femme : on en a déjà parlé. Ces histoires d'instincts maternels et tout c'est des conneries. »102
Le discours tenu et la situation en elle-même paraissent ridicules : deux parents en train de
choisir les caractéristiques de leur futur enfant. L'ensemble des paroles échangées apparait,
par la manière dont il est présenté, comme ridicule. Plus que ridicules, les propos, par
l'ambiance dans laquelle ils sont déclamés (scène sombre, lumière blanche inquiétante, deux
personnes dans une sorte de bulle) apparaissent comme dangereux pour l'humanité : y
compris les phrases évoquant la remise en cause de l'instinct maternel et la désuétude du
genre.
Encore une fois, le propos n'est pas creusé et nous est présenté sur scène un quatrième cas :
celui des mères porteuses. Celles-ci par leur nombre, par leur uniformité, par leur
standardisation (elles se ressemblent toutes, sont toutes habillées de la même façon) sont
déshumanisées. Un personnage placé plus haut que tous les autres (il est assis sur une chaise
en dessous de laquelle défilent ces corps engrossés) apparaît comme le summum de cette
inhumanité, le summum de la contre-nature : c'est un homme enceinte. Par la mise en scène,
ces corps mettent mal à l'aise le.la spectateur.trice, ils font peur. Cinquième et dernier cas
102Extrait du spectacle de Julie Bérès, Notre besoin de consolation tiré de la « chronique de Sophie Joubert», in France culture, émission du 15 novembre 2010.
73
abordé par la metteuse en scène pour traiter des questions de bioéthique : le cas d'enfants nés
sous X qui souffrent de ne pas connaître leur « Origine ». Le cas est traité de la manière
suivante : une ribambelle d'enfants est sous les yeux des spectateurs, ils sont vêtus de manière
uniforme et répètent d'une façon robotique des poèmes d'écoliers dont le contenu est le
suivant : « ils nous disent que nos parents, ce sont ceux qui nous ont élevé, c'est tout. Ils nous
disent tu dois créer ton identité à partir de ce que tu es. L'arbre généalogique n'existe pas,
seule la famille sociale existe ». Ce discours sort de la bouche d'un enfant bien dressé, à qui
l'on a extrait la liberté d'expression. Par conséquent, les propos tenus sur le parent social sont
dénoncés comme ne laissant pas la parole à l'enfant et comme mettant de côté un besoin
présenté comme naturel de savoir d'où il vient biologiquement. C'est ici un discours ultra
biologisant : ces enfants n'ont plus d'identité car ne savent plus d'où ils viennent
biologiquement, ce sont des robots façonnés de toutes pièces par la culture pour lesquels il ne
reste rien de naturel et comme il ne reste rien de naturel, ils n'ont pas d'identité. Pour finir, le
spectacle termine sur une voix off qui tient un discours sur l'arbre généalogique et sur l'origine
de la vie « il y a deux milliards d'années avec les premières cellules animales et de
plantes »103.
En prenant du recul sur l'œuvre artistique en tant que telle, et en l'analysant on perçoit
clairement que le propos est un propos situé, engagé, positionné. Il contient un point de vue
bioéthique très orienté. Le danger ici présenté est l'éloignement de l'être humain de sa nature.
En effet, dans tous les cas, on retrouve dans chaque cas traité (le clonage, la cryogénisation, la
programmation génétique, les mères porteuses, les enfants nés sous X) la même manière de
problématiser la question : cette manière est basée sur une opposition entre la nature et la
culture. Ce qui est critiqué et présenté comme un danger (pas forcément par le discours mais
par l'esthétique de la pièce) est tout ce qui s'éloignerait de la « Nature ». La Nature nous est
présentée comme bonne et saine tandis que la culture (ici la science) est présentée comme le
danger.
2. Une forme qui place le propos en second plan tout en le légitimant
Cependant, ce spectacle n'est pas présenté comme étant l'expression d'une opinion d'une
artiste qui voudrait s'exprimer sur les ressentis qu'elle a concernant les dangers que peuvent
comporter les manipulations génétiques. Le discours tenu est en fait légitimé, dans la
présentation du spectacle par la démarche de l'artiste. En effet, Julie Bérès met en avant le fait
103Tiré du spectacle Notre besoin de consolation
74
de s'inspirer du réel, de partir de faits concrets pour penser son spectacle. Son travail part
d'enquêtes de terrain au cours desquelles elle a interrogé des personnes impliquées dans des
pratiques interrogées par la bioéthique. On a donc « Linda Avay, fondatrice de l’entreprise
américaine 23&me, une société de décodage génétique, basée dans la Silicon Valley ;
Raymond Martinot, ancien chargé de cours à la Faculté de médecine de Paris, un pionnier de
la cryogénisation ; Ole Schou, directeur de Cryos, la première banque de sperme au monde
basée au Danemark ; Jaime Wallace, citoyenne américaine, qui milite pour l’autorisation du
clonage reproductif ; le docteur Pathel, directrice d’une clinique indienne basée à Anan,
spécialisée dans les mères porteuses »104.
Durant le spectacle, le recours a des passages d'interviews de ces personnages fait gage de
scientificité du propos tenus et donc d'une certaine objectivité. Avec ce mélange entre le réel
et l'imaginaire, pour lequel le.la spectateur.trice ne sait pas bien ce qui relève de l'un ou
l'autre, la metteuse en scène prétend donc questionner le public sur « un enjeu contemporain »
d'une manière pertinente car tirée de situations réelles. Cependant, elle ne questionne pas, elle
donne un avis sans donner les outils qui permettent de débattre. Ce recours au terrain vient
légitimer, en donnant l'impression de la réalisation de recherches approfondies sur la question,
son travail artistique. En effet, le terrain choisi ne pouvait que mener l'artiste, transformée
pour quelques temps en journaliste ou en chercheuse, vers un discours catastrophiste. En effet,
elle a choisi d'aller interroger les personnes citées plus haut et n'a pas choisi par exemple, de
suivre un couple homosexuel qui grâce à la procréation artificielle vont avoir un enfant ou un
cancérologue qui affirme que le clonage pourra permettre de guérir plus facilement cette
maladie ou autre.
La démarche de terrain est mise en avant dans le spectacle, elle vient légitimer le discours.
C'est une démarche qui ne se veut pas celle d'unE scientifique ou celle d'unE chercheur.se
mais qui prétend poser des questions qu'unE scientifique ou unE chercheur.se poserait.
Cependant, pour prétendre cela, il aurait soit fallu opter pour une position la plus neutre
possible (en étudiant des terrains représentatifs de la diversité des opinions, etc) soit situer son
discours dans le champ des idées. Ici aucune des deux démarches n'est choisies et le propos,
alors qu'il est profondément orienté est présenté comme objectif : il s'agit là de « recherche sur
les enjeux contemporains de la bioéthique »105. Le fait que les discours de personnages
interrogés soit présentés comme gage de la réalité du propos général du spectacle (par rapport
à la part d'imaginaire que l'on y trouve) mène à ne pas questionner la démarche d'enquête
104 Dossier de presse du spectacle : http://www.theatrelesalmanazar.fr/upload/event/document/4.pdf 105 Descriptif du spectacle dans le programme 2011-2012 de la Rose des Vents.
75
mise en œuvre.
En somme, l'esthétique du spectacle, les moyens mis en œuvre et la forme des discours
(questionnements, interviews,...) ont tendance à donner l'impression aux spectateurs d'un
spectacle qui réfléchit sur la question. En réalité, la fécondation in-vitro, la critique de
l'instinct maternel, la critique sur les questionnements liés au genre sont mis au même plan
que le clonage, la programmation génétique, l'eugénisme des nazis, la commercialisation des
corps, la volonté de standardiser l'être humain dans un questionnement général. On notera sur
ce point la projection durant le spectacle d'une vidéo affichant des chiffres sur les causes de la
procréation d'enfants : « tant de % de commande de couples riches qui ne veulent pas
s'embêter à porter un enfant, tant de % de lesbiennes, tant de % de femmes célibataires,... ».
Le regroupement de tous ces thèmes les noie dans un discours général apeurant au sein duquel
les enjeux spécifiques de chaque processus sont totalement laissés de côté.
De plus dans ce contexte, ce qui importe ici, c'est la forme. En effet, l'artiste metteuse en
scène a choisi de déployer un dispositif scénique absorbant. Le recours à une plasticienne, une
circassienne, un scénographe, chorégraphe, danseur,...met en avant l'aspect visuel de ce
spectacle. C'est un spectacle que la metteuse en scène nomme « théâtre sensoriel ». Une
grande attention est en effet portée à la scénographie : décors dignes d'un studio de cinéma de
science fiction (scène mouvante, sur plusieurs étages avec par exemple un « sous-sol » en
verre,...), éclairages et sons qui jouent sur les émotions des spectateurs (crainte, peur,...) grâce
à, du côté de l'éclairage, une ambiance lumineuse sombre alternée par de grandes lumières
blanches, du côté du son, de nombreuses voix off qui semblent sortir de nul part.
On a donc une forme qui veut faire appel à l'émotion des spectateurs, faire appel « à tous les
sens » des spectateurs. Or, que transmet ce spectacle sur le plan émotionnel/sensoriel : de la
peur, de la méfiance et de la crainte. Donc au final le.la spectateur.trice absorbéE par la forme
ne fait pas attention au fond. Cette forme artistique, comme nous l'avons vu plus haut avec les
concepts brechtiens de distanciation par exemple, n'est pas favorable à la réflexion, du moins
elle ne fait pas appel à la raison. Le spectacle transmet donc une émotion, une sensation face à
un phénomène de société.
Cette émotion transmise, en l'occurrence la peur, la crainte ou du moins la méfiance, concerne
un sujet de société, et cette émotion est légitimée par le fait que l'artiste se soit documentée,
qu'elle soit allée à la rencontre de personnes concernées par ce sujet.
En somme, le propos se trouve objectivé par les spécificités de son genre théâtral, genre pour
76
lequel c'est la forme qui compte. Donner son avis, aussi réactionnaire qu'il soit n'est bien sûr
pas le problème. Le problème c'est qu'il soit ainsi présenté. Cet avis est inséré dans un support
pour lequel l'avis n'est pas important et le débat sur le contenu paraît alors déplacé. Il aurait
été extrêmement intéressant d'avoir recours à la deuxième étape de l'étude d'un support
culturel décrite par Eric Macé c'est-à-dire l'étude de la réception du spectacle pour ce cas.
Qu'en tire les spectateurs.trices? Ont-ilLEs l'impression d'avoir vu un spectacle présentant un
point de vue?
Lorsque nous discuterons de l'agencement entre le fond et la forme avec le programmateur de
ce spectacle, il confirmera l'idée de ce type de spectacle oriente le regard sur la forme.
Lorsque nous lui exposerons notre avis sur ce spectacle, à savoir que la forme nous avait
impressionné mais que nous n'adhérions pas du tout au message, il nous demandera d'abord
de lui rappeler le fond puis nous dira qu'il a beaucoup apprécié la forme mais qu'il ne se
« souvient quasiment pas du fond, du discours ».
Cela pose alors la question de l'agencement entre un tel support culturel (pour lequel tout est
concentré sur la forme) et un propos politique. Ici on a un discours contenant une idéologie
particulière sur les concepts de genre, de nature, de science sans qu'il y ait d'espace pour
discuter, contester le propos. Ce spectacle se présente comme un spectacle qui interroge sur
des sujets de société. Or il n'interroge pas, à proprement parler, c'est-à-dire sur le plan de la
raison, mais glisse un ressenti négatif.
C. Dé-jouer le genre : l'art comme espace de dé-marquage
1. Un jeu riche et consistant qui ne fait pas entrer en jeu les stéréotypes de genre.
Tempête sous un crâne106 est une adaptation des Misérables de Victor Hugo. La pièce
est en deux parties, la première se passe à l'époque des Misérables, la deuxième est adaptée à
l'époque d'aujourd'hui. L'analyse du système de genre dans ce spectacle peut juste pointer le
fait, que pour donner de la profondeur et de la consistance aux personnages, il n'est pas
forcément utile de recourir aux caractéristiques dites masculines ou féminines.
En effet, l'originalité du spectacle est marquée par les choix de mises en scène : dans une
première partie, l'ensemble des personnages du roman est joué par deux interprètes, ils seront
cinq dans la seconde partie. Ils jouent tour à tour Javert, Fantine, Jean Valjean, Cosette,
106 Tempête sous un crâne, d'après les Misérables de Victor Hugo, mis en scène par Jean Bellorini, Théâtre du Nord. Mardi 14 février 20h.
77
Gavroche ou encore Les Thénardiers. Peu importe le sexe du/de la comédienne, peu importe
le sexe du personnage joué. Les comédiennes n'ont pas des rôles de filles, les comédiens n'ont
pas des rôles de garçons. Tous, pourtant, ont en tant qu'acteur une personnalité et une présence
très forte, mais aucun n'a recours plus aux valeurs du masculin qu'aux valeurs du féminin ou
vice-versa. Le fait qu'ils racontent tous les personnages d'un seul et même corps, les jeux de
genre s'effacent pour laisser transparaître des jeux humains, dénués de tous stéréotypes
sexistes.
On sera marqué sur ce point par le jeu de Clara Mayer. En effet, cette comédienne présente
dans les deux parties, joue tantôt Gavroche, tantôt Jean Valjean, tantôt Faustine et à aucun
moment elle ne semble trouver nécessaire de faire appel aux artifices du genre pour rendre
plus réel ses personnages. Elle donne de la consistance aux personnages, de la profondeur et
de la force, le tout en semblant laisser de côté la performance du sexe.
2. Désigner les normes corporelles et les normes de genre comme un obstacle à la communication.
Il s'agit ici du spectacle, Sortir du Corps, mis en scène par Cédric Orain et programmé
à la Rose des Vents. Cette pièce est basée sur différents textes de Valère Novarina. C'est un
spectacle de la Compagnie de l'Oiseau-Mouche, troupe permanente basée à Roubaix, formée
de comédiens professionnels, en situation de handicap mental. Sortir du corps compte 2
comédiennes (Florence Decourcelle et Valérie Szmigielski) et 3 comédiens (Lothar Bonin,
François Daujon, Clément Delliaux).
Les thématiques de ce spectacle sont l'acteur, le théâtre, le texte mais aussi et surtout le corps.
Ce spectacle explore les liens entre la parole et le corps. Quand un corps vient sur cette scène,
c'est toute la mécanique du corps humain qui est mise en avant : par où ça passe quand on dit
un texte « voir la parole sortir du corps. Pour voir par où ça passe, comment ça circule, par où
ça pousse, comment ça s'expulse des corps là-bas sur le plateau. Pour voir tout ce qu'il y a
d'invisible dans le corps, tout ce qui est sans nom, qui vient du fond du ventre et qui jaillit là-
bas sous les pleins feux »107. Il s'agit aussi d'explorer les corps qui s'approprient le texte et de
se demander « est-ce que la parole change le corps? »108.
C'est une vision qui interroge un corps, un corps qui n'est présenté ni comme de la
simple matière, ni comme l'humain dans son entier. La catégorie corps est constamment
107 Orain (C.) texte de présentation du spectacle Sortir du corps d'après Valère Novarina in programme de la saison 2011-2012 de la Rose des Vents, p 43.
108 Ibid.
78
questionnée, remise cause jusqu'à ce que le.la spectateur.trice ne sache plus ce qu'est le corps,
qui devient alors une entité abstraite. Peut-être la vision exprimée dans ce spectacle se
rapproche de celle développée par Antonin Artaud : le corps apparaît paradoxalement, d'une
part sans importance, à dépasser, mais d'autre part il s'avère être le vecteur phare par lequel
l'esprit peut-être atteint. En fait, le corps et l'esprit ne sont pas conçus comme deux entités
distinctes, et « c'est par la peau qu'on fera entrer la métaphysique dans les esprits »109.
L'interrogation sur ce qu'est le corps se traduit aussi par une remise en cause des modèles
corporels. Le modèle social commun s'envole. Les acteurs, dans une scène cruciale,
présentent leurs corps à nu, sans la volonté de les conformer par les attitudes corporels, les
présentations de soi dans les normes du modèle du corps « parfait » élaboré par notre société.
Cet acte nous fait penser aux propos tenus par le chorégraphe, R. Hoghe, propos cités par
François Frimat dans son article Danse avec le genre : « Voir sur scène des corps qui
s’éloignent de la norme est important, non seulement du point de vue de l’histoire, mais aussi
du point de vue de l’évolution actuelle qui tend à rabaisser le statut de l’homme à celui
d’artefacts ou d’objets design. »110 Ici, si le genre et le sexe sont mis en question, ce n’est pas
tant comme identificateurs biologiques que comme codes inauthentiques qui altèrent les
possibilités d’échange et de rapports émotionnels entre les êtres »111.
Sortir du corps c'est donc aussi sortir des normes. Les normes donnent à voir le corps
selon des critères tels que malade ou sain, équilibré ou déséquilibré, beau ou moche ou encore
masculin ou féminin. Ce sont de toutes ces normes assignées au corps que les personnages
veulent s'échapper. Ils revendiquent une humanité qui va au-delà des catégories assignées aux
individuEs en fonction de leur corps.
Ainsi, la question du genre apparaît ici comme une question qui a besoin d'être dépassée, une
question liée aux normes, une norme dont les personnages veulent se détacher :
« car un homme n'aspire qu'à ça : changer le corps donné. C'est la seule passion qui nous
anime sortir du corps (…) changer de sexe... »112
Le jeu du théâtre est présenté comme modifiant le corps. Dans un monologue, Florence
Decourcelle déclame « l'acteur qui joue sait bien que ça lui modifie réellement le corps, que
ça le tue à chaque fois ». Le jeu d'acteur est ici présenté comme « protestation contre le corps
109 Artaud (A.), Le théâtre et son double, Folio/essais n°14, 1985110 Propos de R. Hoghe in Philippe Noisette, Danse Contemporaine, mode d’emploi, Paris, Flammarion, 2010,
p. 218 in Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89. 111 Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.112Novarina (V.) in Sortir du Corps pièce tirée des textes Lettre aux acteurs, Pour Louis de Funès (in Le
Théâtre des proles, Ed. P.O.L, 1989) l'Opérette imaginaire (ED. P.O.L, 1988) mise en scène par Cédric Orain, Compagnie de l'Oiseau-Mouche. En représentation à la Rose des Vents du 14 au 17 février 2012.
79
humain »113.
Dans l'image finale, tous les acteurs se présentent dénudés. Parmi eux un homme porte une
prothèse mammaire. Le message est clair : on est un acteur car on refuse de se mettre dans le
corps imposé. Imposé ici contient aussi bien le handicap que le sexe.
Dans les deux cas décrits ici, la volonté initiale d'analyser les représentations du
système du genre dans ces pièces a été déplacée par le fait que ces pièces, par un moyen ou un
autre, consciemment ou inconsciemment, déjouent le système du genre. La première pièce le
déjoue car elle ne reprend pas sur le plateau les codes que le système de genre implique. Les
acteurs sont de manière presque paritaire autant des hommes que des femmes et le fait que
l'acteur en jeu soit de sexe masculin ou féminin n'influence en rien, d'une part le choix de
jouer tel ou tel personnage et d'autre part, la manière stéréotypée ou non de les jouer. La
deuxième pièce, le déjoue car en présentant les corps de manière non sexuée et en affirmant
vouloir sortir du corps et sortir du sexe, elle montre d'une part, l'obsolescence du système de
genre et d'autre part son rôle d'artifice.
Dans cette seconde partie du mémoire, nous avons tenté de faire une typologie des
différentes pièces que nous avons vu en fonction des représentations données à voir sur le
système de genre. Nous avons donc vu que la pièce de théâtre peut (re)produire des
stéréotypes liés au système de genre. Cependant il faut aussi penser le propos de la pièce dans
son ensemble et cette pensée peut mener à relativiser l'idée que la pièce reproduit sans mettre
en lumière le système de genre et son caractère artificiel. Quand Iréne Bonnaud met sur scène
des caractères féminins très marqués, des personnages aux personnalités très affirmées et
qu'en même temps cette pièce met clairement en lumière un système social, le patriarcat, cela
ne met-il pas en lumière certains mécanismes du système de genre? Le fait de mettre en
lumière à la fois le patriarcat et la forte personnalité des personnages ne mène t-il pas à l'idée
que, si ces personnages féminins sont consignés à la sphère privée, ça n'est pas car leur
caractère les pousse, par essence à ne pas s'affirmer dans la sphère publique mais bien que
c'est le patriarcat qui les confine ainsi dans cette sphère privée. Dans cette pièce on voit bien
que c'est le système du patriarcat qui confine les femmes à une certaine position sociale et non
leur manque de caractère et de volonté.
Ensuite, nous avons aussi vu qu'une pièce de théâtre peut, par son caractère d'œuvre d'art, être
113Novarina (V.) Ibid.
80
presque dispensée de jugement sur le message qu'elle porte. Si elle n'en est pas forcément
dispensée elle amène tout de même, par sa démarche, à ne pas y porter attention. Ce
phénomène nous a mené à dire que la forme d'une œuvre peut masquer son fond ou plutôt que
le regard porté uniquement sur la forme en masque le fond. On peut cependant se demander si
la pièce a été reçue et réfléchie en fonction du message qu'elle portait. Peut-être les
spectateurs.trices étaient conscients du message porté par la pièce? Cela demanderait une
analyse sur la réception de ce spectacle.
Enfin, nous avons aussi vu qu'une pièce de théâtre peut déjouer le genre. Elle peut d'une part
se passer ou du moins rendre minime, les règles du genre qui organisent les rapports sociaux.
Elle peut d'autre part, clamer la désuétude du classement des individuEs dans telle ou telle
catégorie.
L'art produit donc des images qui peuvent influencer la vision du monde au quotidien.
Au cours de cette analyse on voit bien le caractère politique des images produites par
les artistes. Créer une œuvre artistique c'est proposer un regard particulier sur le monde. C'est
donc aussi donner une représentation des rapports sociaux et des rapports de sexe. « Les
représentations ne sont pas le reflet de la réalité, mais « donnent à voir » une mise en forme,
voire une mise en ordre de la réalité, pour expliciter un ordre social établi, mais aussi pour le
légitimer. Ainsi les productions « symboliques », outre des vecteurs de transmission de
connaissances ou de formation des goûts, sont des productions normatives sur ce
qu'est/devrait être/doit être un vrai homme, une vraie femme, un vrai petit garçon, une vraie
petite fille, et le « commerce » convenable entre les sexes, en sachant que le masculin et le
féminin ne sont jamais sur un pied d'égalité. »114.
Un autre point est primordial à souligner lorsque l'on analyse les productions
artistiques sous l'angle des représentations du système de genre qu'elles donnent à voir. Dans
la plupart des rôles qui sont joués par les acteurs, en particulier lorsque ces rôles sont dotés de
stéréotypes de sexe, une partie consiste à jouer un sexe. En effet, les acteurs sont amenés à
doter leurs personnages d'attributs de sexe. Par exemple, un acteur qui va jouer son
personnage va être amené à signifier que ce personnage est masculin : il va donc adopter des
positions masculines, parler de façon masculine, s'habiller de façon masculine. Il en va de
même lorsqu'il s'agit de jouer un personnage féminin : pour signifier qu'il est du sexe féminin,
l'acteur ou l'actrice va être amené à adopter des codes qui feront que le personnage sera vu
114 Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et résistances », en cours de publication. p.10
81
comme un personnage féminin : positions féminines, façon de parler féminine, façon de
s'habiller féminine, etc. Les acteurs et actrices jouent donc un sexe afin de le rendre réel aux
yeux des spectateurs.trices. Ce jeu est à la base de l'idée de genre comme performance. En
effet, dire que le genre est une performance, c'est dire que pour être réel, il a besoin d'être
performé. Il a donc besoin d'actes qui viendront lui donner sa réalité. Ces actes, ce sont des
« performances du quotidien » (adopter une position masculine ou féminine, parler de façon
masculine ou féminine, s'habiller de façon masculine ou féminine) qui sont en fait semblables
à celles que réalise l'acteur lorsqu'il dote son personnage d'un sexe. En somme, le jeu de
l'actrice ou de l'acteur qui va jouer une femme ou qui va jouer un homme met en lumière le
fait que le genre est une performance. Ces jeux peuvent donc être, s'ils sont mis en lumière, à
la base d'une subversion du système du genre. En effet, si le fait d'« être » un homme ou d'
« être » une femme relève d'un jeu quotidien, alors il existe des pistes pour déjouer ce jeu.
Mettre au jour cela, ce n'est pas penser que le corps n'a pas de réalité matérielle115, mais c'est
penser que le corps n'est rien sans les actes qui viennent le mettre en jeu.
CONCLUSION
Les différentes manières d'aborder la question du genre deviennent compréhensibles
lorsque l'on replace la question du genre dans une vision politique plus générale. Ainsi, nous
avons vu que la façon de concevoir la question théâtre/genre dépend de la philosophie du
théâtre et de la conception du lien qu'il peut y avoir entre théâtre et politique de la personne
programmatrice. Nous avons vu que cette philosophie dépend elle-même de l'opinion
politique et artistique de la personne programmatrice, opinion elle-même liée à la position
sociale et à la socialisation de l'individuE mais aussi dépendante du type de règle (implicite et
explicite) en vigueur dans l'institution dans laquelle il.elle exerce son activité de
programmation.
Ensuite, si l'analyse des représentations du genre dans les pièces de théâtre, par son
faible champ d'investigation ne nous permet pas de faire des liens de causes à effet entre les
discours produits par les programmateurs et les représentations données à voir, met en avant
l'intérêt d'analyser les représentations du système de genre dans les pièces. Les productions
des artistes ne sont pas neutres, elles diffusent des normes et valeurs. Dans le système du
115 Critique adressée à Judith Butler suite à son ouvrage Trouble dans le Genre à laquelle elle a répondu par la publication d'un autre ouvrage : Ces corps qui comptent, de la matérialité et des limites discursives du « sexe », Éditions Amsterdam, Paris, 2009.
82
genre, ces normes et valeurs ont une importance phare car elles viennent s'inscrire dans les
référents du processus mimétique du genre.
En outre, on constate, à travers nos enquêtes de terrain et nos lectures, que la sensibilisation
des acteurs culturels (des programmateurs.trices aux acteurs.trices en passant par les
metteurs.ses en scène) à ces questions théâtre/genre a sensiblement progressé depuis, d'une
part, la diffusion des rapports Reine Prat et d'autre part depuis la création des collectifs H/F.
Lors des entretiens avec les programmateur.trices, touTEs connaissaient le collectif H/F Nord-
pas-de-calais et savaient situer, plus ou moins bien selon les cas, leur discours.
Enfin, si nous avons pu montrer que la question du genre s'inscrit dans un ensemble
plus large, il n'empêche que la sensibilisation à cette question peut faire évoluer les opinions
et d'une part, sur la partie (le genre) et d'autre part sur l'ensemble (la vision du monde, la
conception du théâtre).
En effet, par le biais de cette question du genre, des réflexions phares peuvent être engagées :
réflexion sur la position de l'artiste dans le monde, réflexion sur l'importance d'une plus
grande représentativité des différentes catégories sociales (sexe, race, classe), réflexion sur
l'importance des modèles donnés. Réflexion aussi sur la norme car pour reprendre les termes
d'Eric Fassin, « l'insertion de la question de la parité vient rendre visible les normes en tant
que telles - de sorte que, paraissant moins « normale », la réalité qu'elles font percevoir se
révèle pour ce qu'elle est : normée »116.
Ainsi, provoquer des débats sur la question théâtre/genre ne peut qu'enrichir le milieu culturel
et le domaine des recherches en gender studies...
« C'est à partir de la représentation théâtrale que le genre lui-même peut-être appréhendé
comme performance. Le théâtre devient alors l'image d'un renversement de la représentation,
qui n'apparaît plus tant comme le miroir que comme une performance constitutive de la
réalité. Représenter, ce n'est pas refléter, c'est produire. Du coup, le sexe de l'acteur de
théâtre, comme le sexe de l'acteur politique, ou encore de l'auteur, en matière de littérature ou
d'art garde toute son importance-non plus comme la vérité fondatrice de l'œuvre, mais comme
la trace faisant ressortir une performance qui n'est pas reflet mais production de vérité. »117
116 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303.
117 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection
83
Bibliographie
Sociologie : -Bourdieu (P.), La noblesse d'État, Grandes écoles et esprit de corps, Collection « Le sens commun », 1989, introduction.-Briant-Froidure (B.), « Musiques actuelles : les femmes sont-elles des hommes comme les autres?, » Mémoire en master direction de projets culturels encadré par Jean-Olivier Majastre, Université Pierre Mendès France, Grenoble, 2011. -Gaudubois (M.), « Dans quelle mesure la socialisation des programmateurs influe sur leur manière de programmer », Mémoire en master métiers de la culture encadré par Stéphanie Pryen, Université Lille 3, 2011.-Goffman (E.), La mise en scène de la vie quotidienne, Tome 1, La présentation de soi, Broché, 1996-Macé (E.) « Qu'est-ce qu'une sociologie de la télévision? Esquisse d'une théorie des rapports sociaux médiatisés. Les trois moments de la configuration médiatique de la réalité : production, usages, représentations », dans Réseaux, 2001/1 n°105, p 199-242.
Genre :- Ambroise (B), « Judith butler et la fabrique discursive du sexe », in Raisons politiques, 2003/3 n°12, p 99-121. -Bereni (L.), Chauvin (S.), Jaunait (A.), Revillard (A.), Introduction aux gender studies. Manuel des études sur le genre, Editions de Boeck, 2008. -Bourque (D.), « L'échappée du dé-marquage. Ouvrir la question identitaire », in Relais-Femmes, n°38, septembre 2010-Butler (J.), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, éditions La découverte, Paris, 2005. -Crenshaw (K.), « cartographie des marges : intersectionnalité, politiques de l'identité et violences contre les femmes de couleur », in les Cahiers du genre, n°39, 2005-Foucault (M.), Histoire de la sexualité I, La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976-Wittig (M.), La Pensée Straight, Éditions Amsterdam, Paris 2007
extraits de : -De la Bellacasa « Think we trust. Politiques féministes et construction des savoirs », thèse de doctorat, 2004, université libre de Bruxelles, faculté de philosophie et de lettres, p 190-Haraway Donna, « Savoirs situés-la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle » in Manifeste cyborg et autres essais-sciences-fictions-féminismes, exils 2007.
Théâtre : -Noiriel (G.), Histoire Théâtre Politique, Agone, Marseille, 2009.-Rancière (J.), « L’art politique est-il réactionnaire ? », entretien réalisé par Marion Rousset, in Regards n°58 janvier 2009. -Ruby (C.), « Cinq réflexions sur la culture du temps » in La Scène, magazine des professionnels du spectacle, n°63, décembre 2011, Janvier-février 2012 p 32.-Théâtre/Public, N°187 « Théâtre contemporain : écriture textuelle, écriture scénique », Dossier conçu et réalisé par Clyde Chabot, CDN de Gennevilliers, janvier 2007.
Art (principalement théâtre) /Genre : -Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303. - Frimat (F.) , « Danse avec le genre », Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.
du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 302.
84
-OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007-OutreScène n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011-Pollock (G.), « des canons et des guerres culturelles », in Cahier du Genre, 2007/2 n°43, p. 45-69.-Prat (R.), « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant : pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation », Mission pour l'égalité et contre les exclusions (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°1, 2006-Prat (R.), « Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique : De l'interdit à l'empêchement », Mission pour l'égalité h/f (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°2, 2009
Analyse des représentations : -Brugeilles (C.) « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la littérature enfantine contribue à élabore le genre », in Population, 2002/2 vol. 57, p 261-292.-Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires in CePeD, Paris, 2005.-Brugeilles (C.), « le sexisme au programme? Représentations sexuées dans les lectures de référence à l'école », Travail, Genre et sociétés, 2009/1, n°21, p107-129.-Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49-Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et résistances », en cours de publication.
Conférences/Festival : -Festival Je(ux) de genre, événement artistique/féminismes et gender studies, Théâtre Massenet, du 16 au 31 mars 2012-Assemblée constitutive du collectif H/F Nord-pas-de-calais, réunion publique, Le Prato, 30 janvier 2012. -Buscatto (M.), Eclairer le "plafond de verre" en art. Réflexions autour des obstacles et des transgressions artistiques, conférence donnée lors de la journée de débat "Les inégalités femmes/hommes dans l'art", organisée par EfiGiEs (Études Féministes, Genre et Sexualités), Pavillon Carré de Baudouin, Paris, 3 mars 2012
85
ANNEXES
Annexe n°1. Note sur l'orthographe :
Le choix de l'orthographe ne relève pas d'une méconnaissance des règles d'orthographe
française. La démarche témoigne d'une part, d'un refus d'adopter la règle grammaticale du
« masculin qui l'emporte » et d'autre part, de la volonté de ne pas se contenter de féminiser les
mots.
Ainsi au lieu d'écrire « ils et elles » nous choisissons de contracter les deux pronoms ce qui
donne « ilLEs ». Par ce choix, l'idée est de tendre vers un langage libéré de la binarité
systématique « homme » ou « femme ». Par ce biais, « ilLEs », peut en effet, être utilisé
autant pour désigner un groupe de personnes désigné comme masculin, féminin, mixte,
indéterminé.
L'idée ici n'est pas de proposer des règles d'orthographe pérennes mais bien d'ouvrir une
réflexion un langage non sexiste et non genré.
86
Annexe n°2. Chiffres extraits du rapport Reine Prat 2006.
En totalité sur : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/prat/egalites.pdf
une situation fortement inégalitaire...Dans cet ensemble, la situation des femmes et des hommes est fortementinégalitaire.
Qui dirige les institutions ?Ce sont des hommes qui dirigent :– 92% des théâtres consacrés à la création dramatique.– 89% des institutions musicales.– 86% des établissements d'enseignement.– 78% des établissements à vocation pluridisciplinaires.– 71% des centres de ressources.– 59% des centres chorégraphiques nationaux.
Qui a la maîtrise de la représentation ?– 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont étécomposées par des hommes.– 94% des orchestres programmés sont dirigés par des hommes.– 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes.– 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes.– 57% ont été chorégraphiés par un homme.
Qui dispose des moyens financiers ?– En 2003, la moyenne des subventions attribuées aux scènes nationales parl’ensemble de leurs partenaires était de 2.096.319 €.– Quand elles étaient dirigées par un homme, cette moyenne s’élevait à2.347.488 €.– Quand elles étaient dirigées par une femme, la moyenne des subventionsperçues était de 1.764.349 €.
87
Annexe n°3. Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production
artistique dans les théâtre étudiés 2011-2012
I. Tableau récapitulatif. Mise en scène.
Théâtre Massenet hors festivals 50,00%Avec festival Je(ux) de Genre 63,17 % ♀
36,83% ♂
Théâtre du Nord Hors festival 18,75% ♀81,25% ♂
Avec festival Prémices 36 % ♀
64% ♂
La Rose des Vents (Spectacle catégorisé tout ou partie en théâtre)
Hors festivals 16,66 % ♀
83,34% ♂
Avec festival Prémices et festival Next
34,62 % ♀
65,38% ♂
Le Théâtre de la Découverte à la Verrière
46,15 % ♀
53,85 % ♂
88
II. Théâtre Massenet
Saison Théâtre Massenet
Titre AuteurEs (textuel et/ou scènique)
Metteurs-metteuses en scène
Médée Euripide Marion LaboulaisOnnagata Léo Lequeuche Léo LequeucheLes femmes à barbe bleue Priscillia Sombret, Audrey
ChaponDéguisés pour le paradis Violaine Debarge Violaine DebargeCabaret foireux Julie Canadas, Audrey et
Stéphanie ChamotJulie Canadas, Audrey et Stéphanie Chamot
L'histoire de la terrible Baba Yaga, sorcière de son Etat!
Emmanuel Plovier
Immortelles Laurent Petit François GodartCarte Blanche à l'association pour un Théâtre d'Oklahoma
Hanokh Levin Olivier Chantraine
La mort d'Olivier Bécaille Emile Zola Maxence CambronLa Princesse et l'Homme sans cœur
Juliette Dollé Juliette Dollé
Burlesque, bidules en suspension et catastrophes de synthèse
Edouard Cuvelier, Valentin Duhamel, Jacques Schuler
Hamlet Machine(s) Heiner Müller Lola Lebreton6 auteurs sur 9=♂. 66,67% des auteurEs sont des hommes
6 des metteurs-metteuses en scène sur 12 =50%
Festival Je(ux) de genre
Titre Conception et mise en scèneMinotaure Johanna Classe, Charles Compagnie, Ellénore
Lemattre, Julia RagainPrincesse Audrey Robin et Amélie PoirierUne femme-fragments Pauline Van Lancker (texte de Pauline Annie
Ernaux)Tirées d'une histoire vraie, pute! Pauline Brottes et Emilie Sri Hartati CombetLa jeune fille et la morve Amélie Poirier (et Matthieu Jedrazak)Mon corps est un champs de bataille Ratiba Mokri
89
Presque 100%
III. Théâtre du Nord
Saison Théâtre du Nord.
Titre de la pièce AuteurEs Metteurs.ses en scèneLes âmes mortesLos hijos se han dormidoDom JuanLes amis du présidentJours souterrainsSoleil couchantTempête sous un crâneLe suicidéMa chambre froideMy secret gardenLa balade des noyésOhneLa bonne âme du Se-Tchouan
Nikolaï GogolDaniel VeroneseMoliéreAlain GautrèArne Lygre ♂Isaac babelVictor hugoNicolaï ErdmanJoël PommeratFalk RichterCarlos Eugenio LopezDominique WittorskiBertolt brecht
Anton KouznetsovDaniel VeroneseJulie BrochenPierre Pradinasjacques vinceyIrène BonnaudJean BelloriniPatrick PineauJoël PommeratStanislas Nordey, Falk RichterEva Vallejo et Bruno SoulierVincent Dhelin et Olivier MenuStuart Seide
=13hommes sur 13=100% des auteurs sont des hommes
= 3 femmes sur 16 =81,25% sont des hommes
Festival Prémices (Théâtre du Nord et Rose des Vents)
Titre de la pièce Auteurs auteures Metteurs-metteuses en scèneTristesse animal noirQuand les fous affolent la mortSoundStop the tempoLes Grands plateauxAbattoirIt's so niceCréation 2012
Anja Hilling Ghérasim LucaMaud LeroyGianina carbunariuDenis LachaudBernadette AppertBarbara Sylvain et Lula BéryTiphaine Raffier
Julien Gosselincollectif mené par S. AmblardMaud LeroyCaroline MounierJean-Philippe NaasBernadette AppertBarbara Sylvain et Lula BéryTiphaine Raffier
=2 hommes sur 9.=22,22% des auteurs sont des hommes
=3 hommes sur 9.=33,3% des auteurs sont des hommes
90
IV. Rose des Vents
Saison Rose des Vents : uniquement là où il y a théâtre. Titre AuteurEs (textuelle, scénique) Metteurs.ses en scènePrometheus-Landscape II. Jan Favre (conept, mise en
scène et scènographie)Du fond des gorges Pierre NeunierLe signal du promeneur Romain david, jérôme de Falloise, David
Murgia, Benoit Piret, Jean babptiste Szezot
Britannicus Françoise DelrueNotre besoin de consolation Julie BérèsSortir du Corps Valère novarina Cédric OrainBloed&rozen Tom Lanoye Guy CassiersUne histoire dite par un idiot Christophe Piret Christophe PiretMonkey Stef Lernous (mec)Outrage au public Peter Handke Peter Van den EedeLes quatre jumelles Copi (auteur argentin, leader
mvt gay)Jean-Miche Rabeux
Appassionatamente Werner schwab (dramaturge autrichien)
Maurizio Lupinelli
6 sur 6 des auteurs = 100% hommes
2 sur 12 des metteurs-ses en scène= 16,66%♀ 83,34%♂
Rose des Vents : Danse
Titres Chorégraphes
Kohkuma 7° sud Serge Aimé Coulibaly
Nuda Vita Caterina sagna et Carlotta Sagna
confluence Chorégraphe : Akram Khan (masculin)
Messiah Run Hans Van den Broeck
Au-delà Koen Augustijnen (masculin)
Les derviches tourneurs de Konya
rouge Olivier Dubois
Teach Us to outgrow our madness Erna Omarsdottir
2 Sur 7 chorégraphes= femmes28,57% de femmes, 71, 43 d'hommes
Festival Next liant cinq théâtre : Rose des vents, Kortrijk Schouwburg (B), Kunstencentrum Buda Kortrijk (B), Espace Pasolini-Théâtre international de Valenciennes, la maison de la culture à Tourani (B.)
91
Land's End Groupe Berlin : bart baele et Yves Degryse
Los Hijos se han dormido Anton Tchekhov Daniel VeroneseHabit(u)ation Anne-cécile VandalemBefore your very Eyes Collectif d'artistesL'avare Molière Ivo van HoveOn the concept of the face Romeo Castelluci
1 sur 5 des metteurs-ses = femmes20% de femmes. 80% hommes
Danse Festival Next
Kiss and Cry Michele Anne de Mey, Jaco Van Dormael
JJ's Voices Benoit Lachambre
Révolution Olivier Dubois
Oedipus/bêt noir Wim Vandekeybus
1 sur 5 des chorégraphes= femmes20% femmes, 80% hommes.
92
V. Théâtre de la découverte à la Verrière
Titre AuteurEs Metteurs-metteuses en scèneMa révérence Michel Quint Dominique SarrazinTerreur Torero Ricardo Montserrat/Pedro
LemebelEsther Mollo
Heureux qui comme Ulysse Jean Pierre Vernant/Homère Vincent DhelinCombat Gilles Granouillet Jacques DescordeL'homme qui... Peter Brook/marie-Hélène
EstienneFrançois Godart (création son et vidéo : Juliette Galamez)
Ce jour-là ils décidèrent, chacun à sa manière, qu'ils en avaient assez
Joseph O'Connor, Michael Collins, Colum McCann
Yves Brulois
Bérénice dolorosa, une passion
Ludovic Longevin d'après Racine
Ludovic Longevin
Mademoisselle Maria K dans Médée de Sénèque
Cécile Gheerbrant d'après Sénèque
Cécile Gheerbrant
C'est qui, Médée? Autour du Médée de Franca Rame
Catherine Gilleron
Médée Euripide Marion LaboulaisLa peau de l'eau Fatiha Nacer Fatiha NacerAprès le déluge Thomas Piasecki Thomas PiaseckiLa nuit de l'ours Ignacio del Moral
4 auteurEs sur 16 sont des femmes = 25 % d'auteurEs sont des femmes, 75% des hommes
Agathe Alexis
6 metteurs.ses en scène sur 13 sont des femmes = 46, 15% de metteurs-ses en scène sont des femmes, 53,85% sont des hommes.
93
Annexe n°4. Questionnaire Théâtre/Genre envoyé aux artistes.
In OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007
1. A votre avis, le fait d'être une femme influe-t-il sur vos choix de répertoire, sur votre rapport aux œuvres, aux auteurs, aux personnages? D'une façon générale, diriez-vous que votre travail (ses objets, ses méthodes) est lié à un rapport féminin au monde (de la même façon que la loi sur la parité a pu être défendue au nom d'une complémentarité des points de vue des hommes et des femmes et de leurs façons différentes d'agir)?
2. Dans le choix que vous faites des actrices, dans la direction de travail que vous leur donnez, le fait que vous soyez une femme joue-t-il? Les images stéréotypées de la féminité sont-elles pour vous un problème au théâtre (en tant que spectatrice)? Essayez-vous de les déplacer dans votre propre travail?
3. Jusqu'au XIXe siècle, en raison de réalités sociologiques, la plupart des pièces du passé mettent en scène des destinées très différentes pour les hommes et les femmes, quand elles n'opposent pas carrément un univers masculin et un univers féminin. A partir de notre monde occidental moderne où de telles oppositions se sont estompées, comment regardez-vous ces pièces? Pensez-vous par exemple, comme le disait Antoine Vitez, qu'il faut montrer la misogynie de Tchekhov et celle de Molière?
4. Sur le plan imaginaire cette fois, et non plus historique ou sociologique, l'opposition du masculin et du féminin-la différence sexuelle-vous semble-t-elle une opposition structurante qui oriente votre perception du monde et des textes? Diriez-vous que la différence sexuelle est un thème du théâtre que vous faites?
5. On dit couramment que les artistes hommes expriment une féminité dans la création, que les acteurs ont une part de féminité, etc. Reconnaissez-vous dans votre place de metteuse en scène et votre travail une forme de masculinité?
6. Certaines théories actuelles abordent les normes de genre (l'obligation de se définir soit par rapport à la masculinité, soit par rapport à la féminité, et la perception binaire du monde qui en découle) comme des constructions idéologiques et politiques, et s'intéressent de plus en plus aux individus qui ne se reconnaissent pas dans ces identifications. Est-ce que ce type de réflexion, qui remet radicalement en cause l'opposition masculin/féminin comme structurante et sous certains aspects (ceux de la vie psychique par exemple) indépassable concerne peu ou prou le théâtre que vous faites?
94
Annexe n°5. Personnages de sexe masculin/féminin dans Soleil Couchant118 et Le
Suicidé119
Soleil Couchant : 79,16% de personnages masculins contre 20,83% de personnages féminins.
Du côté des personnages de sexe masculin Ceux de sexe féminingangster Maitresse de Mendel KrikApprenti forgeron Cuisinière chez les KrikMarieur et shames de la synagogue des
charretiers
Femme de Mendel Krik
hussard Marchande de pouletsgangster Soeur de Benai Krik, Mme Popiatnik
chanteuse à la taverne de l'ours noirCharretier au service de Mendel KrikserveurChantre de la synagogue des laitiersbanquierHomme d'affairesRabin (jouée par une femme, Laurence
Mayor, celle qui joue la femme de Mendel
Krik)Propriétaire de l'entrepriseAvocat véreuxExportateur de céréalepaysanUn étudiant d'une école talmuniquemusicienPatron d'une entreprise de transportmarchand de bétail
118 Soleil Couchant, texte d'Isaac Babel, mis en scène par Irène Bonnaud, Théâtre du Nord, du 2 au 8 février 2012
119 Le Suicidé, texte de Nicolaï Erdman, mis en scène par Patrick Pineau, Théâtre du Nord, du 15 au 23 février 2012
95
Le Suicidé : 68; 42% de personnages masculins, 31, 57% de personnages féminins.
Acteurs/actrices Personnages masculins Personnages fémininsAnne Alvaro Sérafima Ilinitchna, La belle-
mère de SémionovitchLouis Beyler Le père Elpidy, le prêtreNicolas Bonnefoy Pougatchov, Nikifor
Arsentiévitch, le boucherHervé Briaux Grand-Skoubik, Aristarque
DominiquovitchDavid Bursztein Oleg LéonidovitchCatalina carrio fernandez Raïssa FilippovnaLaurence Cordier Cleopatra MaximovnaNicolas Daussy Un musicienJérôme Derre Podsékalnikov, Sémione
Sémionovitch (personnage principal)
Nicolas Gerbaud Un musicien, un jeune homme muet, un serveur, un diacre
Aline Le Berre Péresvétova, Margarita Ivanovna
Manuel Le Lièvre Iégoroutchka, légor Timoféïévitch
Laurent Manzoni Kalabouchkine, Alexandre Pétrovitch, le voisin
Babacar M'Baye Fall Viktor Viktorovitch, l'écrivainSylvie Orcier Maria Loukianovna, l'épouse
de Sémione SémionovitchFlorent Fouquet Un musicienRenaud Léon Un hommeCharlotte Merlin Une femmeEliott Pineau Orcier Un homme
96