"Jouer et dé-jouer le genre. La question du genre dans les institutions programmatrices de...

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Elise Brunel Mai 2012 Mémoire encadré par Stéphanie Pryen Jouer et dé-jouer le genre : la question du genre dans les institutions programmatrices de théâtre Mémoire Master 1 « management des institutions culturelles », Sciences Po Lille Soutenu en présence de Stéphanie Pryen, sociologue, maître de conférences à l’université de Lille III et Sylvie Cromer, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille 2 1

Transcript of "Jouer et dé-jouer le genre. La question du genre dans les institutions programmatrices de...

Elise Brunel Mai 2012

Mémoire encadré par Stéphanie Pryen

Jouer et dé-jouer le genre :

la question du genre dans les institutions programmatrices de théâtre

Mémoire Master 1 « management des institutions culturelles », Sciences Po Lille

Soutenu en présence de Stéphanie Pryen, sociologue, maître de conférences à l’université

de Lille III et Sylvie Cromer, sociologue, maître de conférences à l'université de Lille 2

1

Remerciements :

Un grand merci à Stéphanie Pryen pour la qualité de son accompagnement.

Merci à Vincent Postel, Julie Postel, Maxime Sechaud ainsi qu'à Aurore Le Mat pour la

richesse des débats et idées échangées.

Merci également à Catherine Gilleron, Yannic Mancel, James Phil-Zanga et Didier Thibaut

pour les entretiens qu'ilLEs1 m'ont accordé.

1 Pour le choix de l'orthographe cf annexe n°1.

2

Table des matièresIntroduction ..............................................................................................................................4 Le genre comme processus performatif ................................................................................................. 4

Méthode d'analyse, plan et problématique ............................................................................................. 7

L'expression « Théâtre/Genre » ........................................................................................................... 11

I.Production : analyse des discours des programmateurs.trices de théâtre en perspective

d'une meilleure compréhension de leur manière d'aborder les liens théâtre/genre. .......14A. Un théâtre source de réflexions politiques, réflexions qui peuvent être axées sur la thématique du genre et du féminisme. James Phil-Zanga pour le Théâtre Massenet .................................................... 18

1.Théâtre Société Politique..........................................................................................................................192.Le festival « je(ux) de genre » : une conséquence de la vision du lien théâtre et politique exposée ci-dessus...........................................................................................................................................................22

B. Un théâtre de référence, miroir des problématiques qui traversent la société. Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord. ................................................................................................................................... 26

1. Philosophie du théâtre et conséquence sur la conception de la question théâtre-genre..........................26 2. Quels artistes pour quelle institution?.....................................................................................................30

C. La forme avant tout. Didier Thibaut pour La Rose des Vents .......................................................... 38 1.Une philosophie du théâtre qui place la forme au cœur de la réflexion....................................................402.Cette philosophie du théâtre est-elle compatible avec un théâtre qui aborde la question du genre?........44

D. Un théâtre qui travaille (avec) le réel. Catherine Gilleron pour Théâtre de la découverte à la Verrière. ................................................................................................................................................ 50

1. Le réel/l'irréel, le fond/la forme. ............................................................................................................51 2. La question du genre : entre miroir et masque........................................................................................55

II.Les représentations : analyse des pièces sous l'angle du système du genre...................64 A. « Le masculin n'est pas un sexe » .................................................................................................... 66

1. Un déséquilibre numérique....................................................................................................................67 2. Les hommes représentants de la société, les femmes représentantes de l'amour, la séduction ou la maternité.......................................................................................................................................................68

B. Quand la forme artistique masque un fond politique ....................................................................... 71 1. Des histoires qui transmettent un point de vue bioéthique particulier...................................................72 2. Une forme qui place le propos en second plan tout en le légitimant.....................................................74

C. Dé-jouer le genre : l'art comme espace de dé-marquage ................................................................. 77 1. Un jeu riche et consistant qui ne fait pas entrer en jeu les stéréotypes de genre. .................................77 2. Désigner les normes corporelles et les normes de genre comme un obstacle à la communication.......78

CONCLUSION........................................................................................................................82

ANNEXES................................................................................................................................86Annexe n°1. Note sur l'orthographe : ................................................................................................... 86

Annexe n°2. Chiffres extraits du rapport Reine Prat 2006. .................................................................. 87

Annexe n°3. Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production artistique dans les théâtre étudiés 2011-2012 ..................................................................................................................... 88

Annexe n°4. Questionnaire Théâtre/Genre envoyé aux artistes. .......................................................... 94

Annexe n°5. Personnages de sexe masculin/féminin dans Soleil Couchant et Le Suicidé .................... 95

3

Introduction

« Dans notre milieu, on ne perd jamais une occasion de tempêter contre l'industrie

audiovisuelle et de brandir fièrement résistance artisanale et bonne conscience de gauche,

mais la vérité, c'est qu'il y a beaucoup plus de personnages féminins intéressants dans les

séries télévisées américaines que dans le théâtre subventionné français »2

Cette remarque d'Irène Bonnaud, metteuse en scène, est révélatrice d'une certaine lassitude

des comédiennes à se retrouver sur scène à jouer « des rôles de femmes ». Le fait de « jouer la

femme » ou de « jouer l'homme » semble être, au théâtre mais aussi au sein de la société, un

acte de plus en plus questionné. « Jouer la femme » et « jouer l'homme » c'est jouer le genre.

Le genre, selon la vision développée notamment par Judith Butler, c'est un acte. « Un acte qui

a déjà été joué, exactement comme un texte survit aux acteurs particuliers qui s'en emparent,

mais requiert des acteurs individuels pour être à nouveau actualisé et reproduit en tant que

réalité »3.

Cette phrase compare le rôle social de sexe, performance du quotidien, au rôle de l'acteur au

théâtre. Le rôle social de sexe est un « acte qui a déjà été joué » dans le sens où ce rôle,

d'homme ou de femme, est sans cesse joué et répété dans la société, et chaque individuE

intègre alors l'un ou l'autre rôle et reproduit ainsi le système de genre. Avant d'exposer ici

l'angle sous lequel la question du théâtre et du genre va être abordée, il paraît indispensable

d'exposer la vision du concept de genre qui sous-tend le raisonnement qui va suivre.

Le genre comme processus performatif

Le genre est ici compris, de la même manière qu'il l'est dans les études sur le genre 4, comme

un système social. Ce système social organise la société autour d'une division binaire qui

classe d'un côté les hommes et le masculin, de l'autre, les femmes et le féminin. Ce système

social est complexe : il est composé d'un « ensemble de normes, croyances, pratiques, et

connaissances » au sein duquel « le féminin et le masculin sont socio-culturellement définis et

2 Irène Bonnaud in OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007, p. 823 Butler (J.), « Actes performatifs et constitution des genres : phénoménologie et théorie féministe », in Outre-scène n°9, Mai 2007, p 1424 Bereni (L.), Chauvin (S.), Jaunait (A.), Revillard (A.), Introduction aux gender studies. Manuel des études sur le genre, Editions de Boeck, 2008

4

construits, le Masculin étant plus valorisé que le Féminin »5. Le genre prend donc consistance

par le biais de ces deux processus : la différenciation des sexes et leur hiérarchisation.

Dans cette définition du genre comme système social, les sexes ne sont pas des données

immuables et la division binaire de la société n'est pas fondée sur une Nature détachée de tout

sens culturel. Dans cette conception du genre, le débat ne se situe alors plus dans le paradigme

Nature/Culture. Cette idée d'essence ou de nature se trouve en effet, dans ces théories

totalement remise en cause. Sur ce point, l'évolution des significations données au terme

« genre » est éclairant. Dans les années 1960, les féministes ont introduit la notion de genre

pour, d'une part insister sur la distinction entre le « sexe social » (le genre) et le « sexe

biologique » (le sexe) et d'autre part pour définir ce sexe social comme domaine autonome,

c'est-à-dire indépendant de données biologiques. Par cette distinction, s'opère un processus de

dénaturalisation qui met à bas l'idée que les inégalités hommes/femmes procèdent de

différences biologiques ou de la capacité des femmes à enfanter. Pour le dire le plus

simplement possible, cela permet de mettre au clair l'idée que la « capacité des hommes à

diriger » n'est pas, par nature, une capacité masculine et la « capacité des femmes à gérer un

foyer » n'est, par nature, une capacité féminine. Dans cette vision, il existe, par nature, des

hommes et des femmes mais la division sexuée des rôles n'est pas fondée sur la Nature mais

sur la Culture. Cependant, cette distinction s'est trouvée contestée par le fait qu'elle entretient

le mythe de l'existence d'une Nature, démarquée de toute culture. Or, ce que montre, les

théoricienNEs des gender studies comme Judith Butler6, c'est qu'on ne peut percevoir « la

Nature ». En effet, selon cette philosophe, les concepts de Nature et de Culture émergent

simultanément. La Nature est donc également un construit car nous n'avons pas accès à cette

notion en dehors de notre perception, perception déterminée par la Culture. Nous n'avons

accès à la « Nature » qu'à travers notre Culture ce qui signifie donc que ça n'est pas à la

Nature que nous avons accès mais à la Nature à travers le prisme de la Culture. Pour Judith

Butler, la distinction sexe/genre ne se fait plus en terme de Nature/Culture mais entre ce qui

est construit (le sexe) et ce qui est performé (le genre), les deux notions s'auto-construisant : le

genre élaborant le sexe, le sexe à son tour étant instrumentalisé comme justifiant le système

de genre :

5 Définition donnée à l'occasion d'une journée d'études intitulée « Pour une éducation sans préjugés », IUT B de Tourcoing, 15 mars 2012.

6 Butler (J.), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, éditions La découverte, Paris, 2005.

5

Que signifie alors cette idée de « genre performatif »? Pour Judith Butler, « la réalité du genre

est performative, ce qui signifie tout simplement qu'elle n'est réelle que dans le mesure où elle

est performée»7. Le genre n'a donc, dans cette vision, de réel que les actes qui le constituent.

On parle alors de performativité du genre. Le terme performativité est emprunté au domaine

de la linguistique dans lequel J.L Austin8 a utilisé ce terme pour désigner le fait que les

discours construisent la réalité qu'ils décrivent. Ici le genre construit la réalité dont il est censé

résulter. Il est comme le pouvoir chez Derrida c'est-à-dire « qu'il n'est fondé sur rien d'autre

qu'un appel à lui-même, par rien d'autre que par une auto-référence. Se prétendant fondé en

autorité, il se fonde»9. Par conséquent, pour que le genre existe, il faut sans cesse que des

actions viennent le fonder : le genre doit alors être sans cesse répété pour perdurer. L'idée de

performativité du genre est en effet caractérisée par le fait même que les individuEs répètent à

l'infini des actes qui vont créer une division binaire de la société en masculin d'un côté,

féminin de l'autre. Le genre est donc constitué par des actes réalisés dans le cadre d'une

« réitération »10 infinie de pratiques déterminées par la norme11. On est donc face à un système

de mimétisme qui conduit au fait que cette réitération devient une partie fondatrice de

l'identité de l'individuE. Cette identité, si elle n'est pas questionnée, va devenir à son tour, la

preuve qui viendra justifier l'idée que le genre est inscrit dans chaque individuE : la

performativité est donc un processus qui dissimule sa genèse.

En résumé, le genre est performatif dans le sens où il n'a pas d'existence par « essence », par

« nature » indépendamment des actes qui le constituent. Ces actes étant eux-même

7 Butler (J.), « Actes performatifs et constitution des genres : phénoménologie et théorie féministe », in Outre-scène n°9, Mai 2007, p.145

8 Austin (J.L), « Quand dire c'est faire », Éditions du Seuil, Paris, 1970 9 Ambroise (B), « Judith butler et la fabrique discursive du sexe », in Raisons politiques, 2003 n°12, p 99-12110 Judith Butler reprend ici le concept de réitération développé par Derrida11 Ces pratiques sur le plan individuel se concrétisent par la répétition d'actes déterminées par la norme comme

par exemple pour une femme, le fait de se maquiller, de moduler le son de sa voix, de s'épiler, de croiser les jambes quand elle est assise, etc.

6

Sexe =

construit

Genre=

performatif

créecrée

instrumentaliseinstrumentalise

performatifs c'est-à-dire que « l'essence ou l'identité qu'ils sont censés refléter sont des

fabrications, élaborées et soutenues par des signes corporels et d'autres moyens discursifs. »12.

Le genre est donc performatif dans le sens où il crée l'Identité même dont il est censé résulter.

Cette définition du genre influence la démarche de ce mémoire. En effet, dans cette

définition, si ce système social binaire se reproduit sans cesse c'est car l'être humain a une

grande propension à imiter le comportement de ses semblables. Nous imitons ce que nous

voyons/entendons/percevons, ce qui nous est donné à voir et cela forge nos pensées, nos

perceptions, nos comportements. Dans ce qui nous est donné à voir, on trouve bien sûr et

entre autres, les supports culturels. Les supports culturels sont d'importants vecteurs de

représentations, et donc de valeurs qui vont forger nos savoirs, nos identités et être source de

lien social ; toutes ces choses qui, à leur tour, vont être source de nos propres productions.

Nous partons donc de l'hypothèse, que les supports culturels ont une influence forte sur les

représentations, l'imagination et les pensées de ceux qui en usent.

Les conséquences de la présupposition de cette influence sont au cœur de ce mémoire. D'une

part, car cette présupposition donne une responsabilité aux personnes qui choisissent de

diffuser tel ou tel support culturel, donc ici telle ou telle pièce de théâtre. Elle donne donc une

responsabilité aux programmateurs.trices de théâtre. D'autre part, car, si les supports culturels

ont une influence sur l'imaginaire et la vision de ceux qui en usent, une analyse des normes,

valeurs, représentations données à voir dans ces supports apparaît comme pertinente. Sur ce

dernier point, la vision du genre comme étant un processus performatif donne encore plus

d'importance aux représentations qui sont données à voir en terme de masculinités et de

féminités.

Méthode d'analyse, plan et problématique

C'est dans cette logique que s'inscrit la démarche d'étudier le milieu théâtral sous l'angle de la

question du genre. Pour se faire, nous allons entreprendre une démarche sociologique inspirée

de la méthode entreprise par le sociologue Eric Macé pour étudier la télévision13. Il s'agit ici

d'expliquer cette méthode et de voir en quoi elle est pertinente pour le milieu que nous

voulons étudier.

A propos de l'objet télévisuel, Eric Macé part du principe que l'on peut analyser les objets

12 Butler (J.), Trouble dans le genre. Le féminisme et la subversion de l'identité, éditions La découverte, Paris, 2005. p 259

13 Macé (E.) « Qu'est-ce qu'une sociologie de la télévision? Esquisse d'une théorie des rapports sociaux médiatisés. Les trois moments de la configuration médiatique de la réalité : production, usages, représentations », dans Réseaux, 2001/1 n°105, p 199-242.

7

techniques et artistiques comme « comme des objets qui gardent en eux la trace de ce que leur

contexte de production y a plié (par de multiples médiations, traductions, déplacements) et

qui, par le fait même de leur existence (leur diffusion), redéploient le contexte social et

symbolique dans lequel il est à nouveau traduit, déplacé, produit ; pour enfin, d'une manière

ou d'une autre, entrer dans les plis de nouvelles productions »14.

La démarche est donc d'étudier un domaine et d'analyser ce qui y est « plié ». Cette démarche,

telle que décrite par Eric Macé, fait tout à fait sens pour étudier un domaine artistique. C'est

ce que nous prouve les trois temps dégagés par Eric Macé, qui conviennent tout à fait aux

temps du support culturel théâtral. Le sociologue distingue trois temps dans l'étude

sociologique. Tout d'abord, le temps de la production, c'est-à-dire « l'observation ou la

reconstitution de ce qui est plié dans tel ou tel objet de la culture de masse (au-delà des

logiques des industries culturelles, le contexte national et international de production) »15.

Ensuite, le temps des usages, qui correspond à « l'analyse des formes d'appropriation et des

formes d'actions liées aux usages de ces objets (dans la mesure où les contextes de

« réception » sont ipso facto compris dans les contextes de « production ») »16. Enfin, le temps

des représentations c'est-à-dire « l'observation pour elles-mêmes des « traces » culturelles et

symboliques que sont ces objets (et ce qu'elles nous « disent » du monde qui les produit, sans

jamais permettre d'en déduire les usages qui en seront faits) »17.

Ces trois temps peuvent correspondre à trois temps que nous pouvons étudier dans une

institution programmatrice de théâtre. Nous avons choisi ici d'étudier quatre institutions

implantées dans la métropole lilloise. Il s'agit du Théâtre Massenet, du Théâtre du Nord, de la

Rose des Vents et du Théâtre de la Découverte à la Verrière. Le choix de ces institutions est

marqué par le fait qu'elles présentent toutes un statut, des missions et une démarche artistique

très différents : l'analyse de ce qui est « plié » dans la programmation nous donnera donc un

panorama assez représentatif des institutions programmatrices de théâtre en général.

Par conséquent, nous étudierons deux des trois temps de la manière suivante :

En ce qui concerne le premier temps, la « production », la démarche la plus pertinente

a été selon nous d'aller directement à la rencontre d'acteurs phares de la production dans une

institution culturelle afin de comprendre la façon dont ilLes abordent, ou non, la

problématique théâtre/genre. Nous avons donc réalisé des entretiens avec des personnes qui

prennent part aux choix de programmation dans les quatre institutions culturelles choisies :

14 Op.cit. p. 20315 Ibid.16 Ibid.17 Ibid.

8

James Phil-Zanga pour le Théâtre Massenet, Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord, Didier

Thibaut pour la Rose des Vents et Catherine Gilleron pour le Théâtre de la Découverte à la

Verrière.

Il s'agit alors de savoir si la question du genre dans le théâtre fait sens dans le paradigme de

ces personnes programmatrices. Pour comprendre cela, nous nous intéresserons aux

représentations qu'ilLES ont du théâtre : quelle conception ont-ilLEs de cet art, vers quel

théâtre tendent-ilLEs? Comment s'agencent l'esthétique et l'éthique dans leurs choix de

programmation? Une pièce de théâtre porte t-elle selon eux/elles un message? Font-ilLEs une

distinction entre le message esthétique et le message politique?

La réflexion autour de ces questions nous permettra de mieux comprendre le fait de

considérer ou non la question du genre comme une question importante dans le théâtre. Si l'art

est éminemment politique, veiller au non-sexisme des rapports sociaux qui sont donnés à voir

pourra être une idée plus compréhensible que si l'on considère que l'art n'a pas grand chose à

voir avec le politique. Si l'on considère l'art, le théâtre comme un domaine autonome, le plus

souvent détaché des réalités sociales, la question du genre peut paraître alors n'avoir aucune

importance. Si l'on considère que l'art doit nourrir les imaginaires, la question du genre pourra

apparaître en terme de : par quels rapports de genre, par quelles représentations des

masculinités et des féminités veut-on nourrir les imaginaires? Y a t-il la volonté de combattre

des stéréotypes racistes ou sexistes dans les représentations qui sont données à voir? Si ce

n'est pas de les combattre, y a t-il la volonté de les éviter? Est-il important selon eux de

diversifier les rôles féminins sur scène ?

Par ailleurs, si l'on considère que le théâtre est un témoin de notre société, un regard

particulier sur l'humanité, qu'il est chamboulé, travaillé par les questions qui traversent et

questionnent la société, vient-il alors de soi que les productions théâtrales d'aujourd'hui

questionnent la notion de genre, les normes de masculinités et de féminités?

Mais aussi, du côté de la maîtrise de la représentation, les programmateurs.trices interrogéEs

conçoivent-ilLEs comme un problème le fait que « 85% des textes que nous entendons aient

été écrits par des hommes »18, « 78% des spectacles que nous voyons aient été mis en scène

par des hommes »19? Si c'en est un, par quelles voies veulent-ilLEs que cela évolue, change?

Du côté de la direction des institutions culturelles, pensent-ilLEs que le fait que « 92% des

théâtres consacrés à la création dramatique soient dirigés par des hommes » est un problème?

Comment le régler selon eux?

18 Rapport Reine Prat, 2006.19 Ibid.

9

L'analyse de ce temps de production prend en compte le cadre dans lequel sont effectués les

choix de programmation. Ce cadre, c'est le contexte national voir international de production,

c'est le rôle et les missions attribuées à l'institution dans laquelle ilLEs exercent leur activité

de programmation mais aussi ce sont les réseaux qu'ilLEs ont créées et qui influencent leurs

logiques d'action. Cette philosophie du théâtre est également à comprendre dans le parcours

de la personne programmatrice, dans le contexte de sa socialisation.

Pour des raisons techniques, nous ne réaliserons pas d'analyse concernant le temps des

usages décrit par Eric Macé. Nous pourrions imaginer, par exemple, la concrétisation de

l'étude de ce temps par une analyse complexe de la réception de spectacles, grâce à l'interview

de spectateurs.trices (pour plusieurs spectacles avec plusieurs interviewés pour chaque

spectacle). Mais cela n'a pas été réalisé ici.

Nous nous pencherons cependant sur le troisième temps, celui de l'étude des

représentations. Il s'agit bien ici d'étudier ce qui nous est donné à voir en tant que tel. C'est là

la particularité de ce temps : saisir dans ce qui nous est donné, ce que ce support nous dit en

général sur la société et en particulier sur le monde qui l'a produit. Il ne s'agit pas d'en déduire

les intentions des programmateurs.trices, auteurEs, metteurs.ses en scène, ni de déduire quoi

que ce soit sur les usages qui en sont faits. Le regard portera sur les représentations véhiculées

en terme de masculinité et de féminité et sur le système du genre en général. Il s'agira alors de

voir quels sont les modèles de masculinités et de féminités présents sur scène. Ces modèles

sont-ils divers? Montrent-ils une large palette des « masculinités » et « féminités »?

Questionnent-ils ces catégories? Les remettent-ils en cause? Ou au contraire reproduisent-ils

les stéréotypes de genre? Les représentations véhiculent-elles l'image du masculin

« universel » et du féminin « particulier »? Et aussi, s'il y a reproduction des stéréotypes de

genre, est-ce tourné de manière critique? Les stéréotypes sont-ils tournés en dérision?

Nous avons fait le choix de nous pencher sur cette question de la manière suivante : nous

avons tenté une approche d'analyse des représentations des masculinités et des féminités dans

les pièces de théâtre diffusées au Théâtre du Nord et à la Rose des Vents pour une période

donnée, le mois de février. Le regard porté sur ces pièces mobilise nos lectures et notre

expérience en terme de gender studies et de féminisme. Cette analyse est un essai qui

comporte ses limites. La grille de lecture élaborée est une grille particulièrement souple et

large des représentations du genre dans les pièces analysées ; ce qui, d'un côté, nous a laissé la

possibilité de ne pas enfermer ce qui se déroulait sous nos yeux dans des catégories trop

restreintes mais d'un autre côté peut sembler souffrir d'un manque de rigueur scientifique. Par

ailleurs, afin de prendre du recul sur notre paradigme et nos catégories de pensée et ainsi ne

10

pas restreindre le sens des œuvres que nous analysons, ce travail demanderait à être fait de

manière collective. La limite de cette analyse tient aussi à l'espace-temps dans lequel elle a été

réalisée. Le choix des théâtres, le Théâtre du Nord et la Rose des Vents a été fait simplement

car ce sont les deux plus grandes salles lilloises, qui reçoivent le plus de spectateurs.trices à

l'année et que ce sont des scènes labellisées avec le label Centre Dramatique National pour le

Théâtre du Nord et Scène nationale pour la Rose des Vents. Elles sont donc plus fortement

légitimées sur le plan institutionnel que la Verrière ou le Théâtre Massenet, théâtres qui sont

par ailleurs également mes objets d'études dans les questionnements sur la programmation.

Dans l'idéal, l'analyse des représentations du genre aurait aussi été nécessaire pour les pièces

programmées dans ces théâtres. Par ailleurs, la durée sur laquelle l'analyse a été effectuée est

courte : un mois, le mois de février (choisi pour des raisons techniques). L'idéal aurait été bien

sûr de réaliser cette analyse sur toute la saison.

Avec cette démarche, il s'agira donc de comprendre, en deux temps distincts, celui de la

production et celui de la représentation, comment est traduite la question du genre dans le

milieu culturel théâtral lillois.

L'expression « Théâtre/Genre »

Avant de commencer, nous pouvons poser distinctement les liens qui unissent la question du

genre et celle du théâtre. Ces liens seront dans notre réflexion organisés autour de trois axes

reliés entre eux.

Tout d'abord, parler de la question du genre dans le milieu du théâtre c'est dresser le constat

dans ce milieu de fortes inégalités hommes/femmes. En effet, la direction des institutions, la

maîtrise de la production artistique et la disposition des moyens financiers sont réparties de

manière singulièrement inégale entre les hommes et les femmes. La mise en lumière de ce

déséquilibre s'est particulièrement faite lors de la diffusion du rapport Reine Prat en 200620.

Les chiffres diffusés dans ce rapport ont surpris les acteurs culturels. En effet, on trouve dans

ce document que : 92% des théâtres consacrés à la création dramatique sont dirigés par des

hommes, 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes, 78% des

spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes21. Ces chiffres sont à l'image

20 Prat (R.), « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant : pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation », Mission pour l'égalité et contre les exclusions (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°1, 2006

21 Pour plus de chiffres, se référer à l'annexe n°2

11

de la prédominance des hommes dans l'espace public, mais ils ont été d'autant plus reçus avec

surprise que le secteur culturel a dans la société une image de secteur avant-gardiste. La

spécificité de l'importance de ces chiffres dans ce secteur relève également du fait que,

comme nous l'avons vu plus haut, les supports culturels ont une influence forte sur les

représentations, l'imagination, les pensées de ceux qui en usent. Reine Prat exprime ainsi

l'enjeu : « il faut considérer l'effet d'entraînement qu'aurait sur l'ensemble de la société une

plus juste répartition des rôles et des responsabilités dans un secteur dont la fonction est de

solliciter et de nourrir les imaginaires : arts de la représentation, les arts du spectacle apportent

une contribution non négligeable au maintien du « système de dénigrement et de

dévalorisation du féminin [...] »22.

Il peut apparaître dans la démarche de Reine Prat une contradiction avec la façon dont

nous avons décrit le système de genre. En effet, porter attention aux inégalités hommes-

femmes, compter le pourcentage de femmes revient à mettre en avant une catégorie, « la

femme », que les études sur le genre peuvent être amenées à remettre en cause. Pourquoi alors

ici réutiliser et pointer les catégories même qui sont contestées (catégories « homme » et

« femme ») ? Serait-ce pour revendiquer une spécificité féminine de faire de l'art? Une

spécificité féminine de voir le monde? En aucun cas. Relever ces chiffres c'est montrer que les

inégalités hommes-femmes existent toujours. Vouloir ne pas en parler peut se faire au nom

d'innombrables principes dont les deux extrêmes sont, d'un côté, l'idée qu'en parler c'est

vouloir changer quelque chose qui est de l'ordre de la nature, et de l'autre côté, l'idée qu'en

parler c'est relever des catégories qui en fait ne sont pas pertinentes. Lors de nos recherches,

nous allons voir que ce qui se dégage du discours des actrices du milieu culturel

(comédiennes, metteuses en scène,...)23 c'est que les artistes femmes pensent que l'enjeu n'est

pas de réveiller/révéler/revendiquer une identité féminine mais l'enjeu est que leur travail

artistique soit jugé en tant que tel (ce qui implique donc un juge débarrassé de préjugés

sexistes) et mis en valeur autant que celui des hommes. Or, les chiffres du rapport Reine Prat

révèlent de manière évidente que ça n'est pas le cas. En somme, la question de la parité dans

le milieu culturel, donne à voir, à travers les chiffres qui montrent l'exclusion des femmes, la

masculinité du secteur culturel. « Ce que fait la parité, c'est donc de rendre visible les normes

22 Prat, 2006, p. 1523 Voir par exemple les recueils de témoignage dans elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection

du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009 ou dans les OutreScène : n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007 et n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011.

12

en tant que telles - de sorte que, paraissant moins « normale », la réalité qu'elles font percevoir

se révèle pour ce qu'elle est : normée »24.

Ensuite, analyser le secteur du théâtre sous l'angle du genre, c'est aussi porter une

attention particulière aux représentations des masculinités et féminités qui sont données à voir

sur le plateau. En effet, quelles sont les images de la masculinité et de la féminité qui sont

données à voir au.à la spectateur.trice? Dans quelles mesures les rôles proposés aux

acteurs.trices reproduisent-ils des stéréotypes de genre? Le théâtre peut-il être un lieu

d'émancipation des femmes et des hommes vis-à-vis des stéréotypes qui leur sont assignés?

Enfin, s'intéresser à la question du genre dans le théâtre c'est aussi, constater dans les

objets artistiques un retentissement des théories développées notamment par Judith Butler de

« trouble dans le genre ». En effet, ces questionnements sur l'identité de genre traversent

indubitablement la société. Ces questionnements mènent dans tous les domaines artistiques

(théâtre, danse, art plastique,...) à la production de modèles qui déplacent la vision

traditionnelle des catégories homme/femme comme des catégories claires et immuables dont

la remise en cause serait impossible. Il s'agit là de prendre en compte la force que l'art peut

avoir dans la déconstruction de schémas mentaux très ancrés dans la société. Françoit Frimat

dans son article « Danse avec le genre » exprime cela à propos du travail du chorégraphe

Raimund Hoghe : « Le spectateur du travail de Hoghe ne peut plus avoir de certitudes naïves

sur les universaux que prétendent parfois être le genre et le sexe et, confronté à une humanité

plus diverse et plus complexe, en arrive à reconnaître du familier dans ce qui lui semblait le

plus étrange. »25

En fait, plus que comme trois points distincts, nous verrons que concrètement, ces trois

points, inégalités hommes-femmes dans le théâtre, représentations des masculinités et des

féminités, représentations de modèles qui questionnent les normes de genre, sont intimement

liés. Au cours de ce texte, nous utiliserons l'expression théâtre/genre, l'expression contient

alors ces trois axes.

24 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303.

25 Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.

13

I. Production : analyse des discours des programmateurs.trices de

théâtre en perspective d'une meilleure compréhension de leur

manière d'aborder les liens théâtre/genre.

Analyser la production, ici, reviendra à analyser les discours sur les logiques d'action

qui déterminent la production. La production, ici, c'est la programmation de spectacles

vivants. Les acteurs principaux de cette production sont les « programmateurs.trices ». Les

programmateurs.trices, que ce soit dans leur mission d'aide à la création ou de diffusion,

produisent. IlLEs produisent dans le sens où ilLEs ont le pouvoir de décider si telle ou telle

pièce sera créée ou non, diffusée ou non, au sein de leur structure. L'état d'esprit qui va être

analysé ici par le biais des discours de programmateurs.trices s'inscrit dans un état d'esprit

plus large. Tout d'abord celui du monde du théâtre aujourd'hui (quels sont les courants, quels

sont les débats, qu'est-ce qui préoccupe dans la création théâtrale aujourd'hui ?) et aussi, bien

sûr, celui de l'institution culturelle dans laquelle le/la programmateur.trice exerce son activité.

Cette idée rejoint ce qu’Éric Macé nomme la double médiation/traduction de la réalité sociale.

Il écrit alors à propos de la télévision : « ce qui est « plié » dans la production des contenus de

la télévision est le produit d'une double médiation/traduction de la réalité sociale : celle de

l'espace public comme « arène » et « controverse », et celle des industries culturelles comme

« organisation » et comme « scène » »26.

Par ailleurs, le discours de la personne programmatrice, s'il nous dit quelque chose sur ces

états d'esprit qui règnent dans l'espace public et dans l'institution culturelle dans laquelle elle

exerce son activité, ce qu'il nous dit est également à situer sur un plan plus individuel. En

effet, le discours du/de la programmateur.trice est dépendant de la position à partir de laquelle

ilLE s'exprime. Comme l'explique Pierre Bourdieu, il existe une « correspondance entre les

structures sociales et les structures mentales, entre les divisions objectives du monde social et

les principes de vision et de division que les agents leur appliquent »27. Sans doute, ajoutera t-

il « les agents construisent-ils la réalité sociale, sans doute entrent-ils dans des luttes et des

transactions visant à imposer leur vision, mais ils le font toujours avec des points de vue, des

intérêts et des principes de vision déterminés par la position qu'ils occupent dans le monde

même qu'ils visent à transformer ou à conserver. »28

26 Macé (E.), p 204.27 Bourdieu (P.), « introduction », La noblesse d'État, Grandes écoles et esprit de corps, Collection « Le sens

commun », 198928 Ibid.

14

On tentera alors le plus possible dans l'analyse des discours tenus ici par les

programmateurs.trices de situer ces discours, avec les informations que nous possédons, par

rapport à l'institution dans laquelle ils sont produits, par rapport aux réseaux auxquels ils

appartiennent et par rapport à la position de l'individuE qui l'énonce.

Il est important de noter que, si ces discours sont marqués par un certain état d'esprit, cet état

d'esprit n'est pas pour autant stable et constant. Ce que nous allons analyser ici, ce ne sont pas

des pratiques qui posséderaient une certaine stabilité dans le fait même d'être appliquées et

répétées mais des discours, des discours qui sont le produit d'une certaine vision du monde.

Une partie du discours est amenée à changer, à évoluer, le discours de l'individuE étant sans

cesse confronté à des nouvelles expériences, de nouvelles interactions. Il ne s'agit donc pas de

dire dans cette analyse « voilà comment les gens pensent » considérant leur parole comme

retranscrivant parfaitement leur pensée et comme étant le produit d'une pensée destinée à

perdurer. Il s'agit d'essayer de dégager les grandes questions qui traversent les propos tenus

par les différentes personnes et d'essayer de comprendre dans quels paradigmes ces grandes

questions s'inscrivent. Ce qui va nous permettre de dégager ces grands traits, ce sont, en

partie, les différences de discours entre les différentEs programmateurs.trices. La lecture

régulière de revues théâtrales ou artistiques telles que Cassandre, La Scène ou Mouvement va

également beaucoup nous aider à replacer ces discours dans certaines mouvances. Aller

interviewer les programmateurs.trices, c'est tenter de voir l'état des questionnements sur la

définition du théâtre, son rôle, sa place dans la société, de recueillir les opinions sur son

évolution, à un endroit où ces supports culturels sont produits.

C'est aussi, dans notre démarche, aller voir si les questions sur le genre qui traversent la

société, traversent également ce milieu culturel. Est-ce que ces questions sont problématisées

dans la démarche des programmateurs.trices? Si oui de quelle manière ?

Quel est l'état des questionnements sur, d'une part, les représentations du genre dans les

supports culturels et, d'autre part, l'inégale distribution des tâches entre les hommes et les

femmes dans ce milieu, les hommes détenant une énorme majorité des postes à

responsabilité ?

Si nous avons pris le parti de ne pas présenter ce thème comme le sujet de la recherche

lors de nos entretiens, c'est que la question est ici de savoir si cette problématique fait sens

dans leur paradigme et si c'est une problématique qui mobilise leur réflexion, en dehors de

toute intervention extérieure. Annoncer le thème du genre empêcherait de constater si c'est

une problématique qui les préoccupe. En revanche, certaines de mes questions invitaient la

15

personne interrogée à aborder cette thématique, comme par exemple lors de mon entretien

avec Yannic Mancel : « vous avez parlé tout à l'heure d'une notion, "nourrir les imaginaires"

(oui) et par rapport à cette question là, est-ce que vous avez un souci de représentativité, de

montrer le plus possible de gens divers sur scène... 00:52:46-7 » .

Dans trois cas, le thème n'étant pas abordé malgré mes tentatives, des questions concernant

clairement soit les modèles de masculinités et de féminités proposés dans les spectacles, soit

les univers d'artistes qui donnent à voir une remise en question des catégories hommes-

femmes, soit les inégalités hommes-femmes dans le théâtre ou leur théâtre ont été directement

posées. Le quatrième cas, celui de l'entretien avec James Phil-Zanga, n'est pas significatif sur

ce point, car ayant été amenée quelques mois plus tôt à discuter avec le programmateur de

mon idée de mémoire, il savait que mes recherches portaient en partie sur la thématique du

genre29.

Dans tous les cas, il est intéressant de voir comment chacun réagira face à nos questions et de

voir que la manière de problématiser cette question est différente pour tous. Il ne s'agissait en

aucun cas dans la démarche de l'entretien de « prendre au dépourvu » les

programmateurs.trices mais bien de partir de questionnements généraux afin de voir si une

problématique concernant les rapports sociaux de genre pouvait émerger. Cependant, ce parti

pris comporte des avantages mais aussi des limites. Un deuxième travail consisterait en fait à

présenter aux programmateurs.trices interrogéEs les thématiques de recherches avant

l'entretien. On pourrait alors, dans la logique de la démarche entreprise dans les Outre-scène30,

envoyer quelques questions ou pistes de réflexion aux programmateurs.trices afin que l'on

puisse discuter de ce thème après qu'ilLEs y aient réfléchi.

En outre, nous avons pris le parti, lors des entretiens, d'opter pour une non-directivité,

non-directivité qui prendra fin lorsqu'il s'agira d'aborder les questions phares dans nos

recherches qui n'auront pas été abordées par la personne elle-même, c'est-à-dire

essentiellement lorsque nous aborderons la thématique genre/théâtre. Une partie de la posture

non-directive consiste ici à poser des questions très larges auxquelles on invite le/la

programmateur/trice à répondre comme il/elle le souhaite. Après ces expériences, nous

pouvons dire que cette question initiale comportait des failles. En effet, les

programmateurs.trices ont abordé à chaque fois la question du cadre dans lequel ilLEs sont

amenéEs à produire, ce qui était important pour mes recherches, mais, lorsqu'ilLEs

29 J'ai travaillé en tant que chargée de projets au Théâtre Massenet30 OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg,

mai 2007 et OutreScène n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011

16

commençaient à aborder des questions qui relèvent plus de la vision personnelle du théâtre

certainEs, comme Didier Thibaut, pensaient qu'ilLEs s'écartaient de mon sujet alors qu'en fait

ilLEs étaient au cœur même de mes questionnements. Au cours des entretiens il aura alors

fallu demander aux programmateurs.trices d'approfondir leur pensée lorsqu'ilLEs évoquaient

leur vision du monde social et théâtral.

Par ailleurs, la façon dont les programmateurs.trices interrogéEs paraissaient être dans

le flou sur ce sur quoi l'interview portait, tient aussi, on peut le supposer, au terme

« programmation ». Le terme « programmation », présent dans ma question initiale a, lors

des quatre entretiens été redéfini. Chacun s'est démarqué d'un sens du terme

« programmation » qui serait celui d'un « programmateur qui fait son marché » et tous voient

dans ce terme quelque chose de différent.

En outre, notre analyse souffre d'un manque d'informations concernant les individuEs

eux-mêmes. En effet, pour mener à bien une analyse sociologique plus complète, il aurait

fallu interroger les programmateurs.trices de manière spécifique sur leur parcours personnel,

professionnel, associatif, militant. Cependant, nous avons supposé que les acteurs allaient

mobiliser indirectement par eux-mêmes leur histoire personnelle pour expliquer la logique

qu'ils adoptaient. Cela a été le cas la plupart du temps, mais de manière imprécise. Lors de la

réalisation de l'analyse sociologique, nous avons pris conscience qu'une plus grande quantité

et qualité d'informations sur le parcours personnel de ces acteurs aurait été souhaitable. Cela

serait à rééquilibrer dans un travail futur en rencontrant de nouveau les acteurs et en les

interrogeant spécifiquement sur leur parcours afin d'évaluer « dans quelle mesure la

socialisation des programmateurs influe sur leur manière de programmer »31.

En résumé, ce que nous tenterons de faire dans cette première partie, c'est de montrer

en quoi la manière d'aborder et de concevoir les liens théâtre/genre dépend de la philosophie

du théâtre et de la conception du lien qu'il peut y avoir entre théâtre et politique de la personne

programmatrice ; cette philosophie dépend elle-même de l'opinion politique et artistique de la

personne, elle-même liée à la position sociale et à la socialisation de l'individuE mais aussi

inscrite et fortement dépendante du type d'institution culturelle dans laquelle il.elle exerce son

activité de programmation. Cette problématique ainsi formulée n'est pas l'hypothèse de départ.

C'est-à-dire que nous ne sommes pas alléEs à la rencontre des programmateurs.trices en

pensant démontrer cela. C'est en liant l'analyse de leur discussion et notre bibliographie que

31 Gaudubois (M.), Dans quelle mesure la socialisation des programmateurs influe sur leur manière de programmer, Mémoire en master 1 métiers de la culture encadré par Stéphanie Pryen, Université lille 3, 2011.

17

nous avons décidé d'orienter notre bilan de recherches selon cet angle d'attaque.

Dans cette partie, nous allons donc procéder de la manière suivante : chaque sous-

partie reportera et analysera les traits caractéristiques du discours tenu par unE

programmateur.trice lors de notre entretien, traits jugés caractéristiques au vu de nos lectures

et de la problématique du genre. Nous verrons, d'une manière différente en fonction des

spécificités de chaque cas, quelle est la philosophie du théâtre portée par le.la

programmateur.trice et caractéristique de l'institution (les deux étant liés) et plus précisément

la vision des liens qui relient les notions de théâtre, d'imaginaire, d'onirique, d'irrationnel aux

notions de société, politique, réel, rationnel. Dans quelles mesures alors cette philosophie

conditionne t-elle d'une part le fait que la question du genre soit abordée ou non et d'autre part

la manière spécifique de la problématiser ?

A. Un théâtre source de réflexions politiques, réflexions qui peuvent être axées

sur la thématique du genre et du féminisme. James Phil-Zanga pour le Théâtre

Massenet

L'entretien avec James Phil-Zanga s'est déroulé dans un café-restaurant. James Phil-

Zanga est l'actuel directeur-programmateur du Théâtre Massenet. Il a notamment une

formation en gestion de projets culturels (DESS médiation éducation culture) et il occupe ce

poste de directeur depuis la réouverture du lieu par la mairie de Lille en 2008. Le Théâtre

Massenet est une institution culturelle de taille modeste avec une jauge de 115 personnes. Il

est géré par l'association Théâtre Populaire du Nord (TPN). Cette association « regroupe des

compagnies professionnelles implantées dans la région Nord-Pas-de-Calais et a pour mission

de développer des actions de programmation au sein du Théâtre Massenet à Lille, dans le

quartier de Fives. Le TPN développe des actions de sensibilisation et de médiation autour de

la programmation, dans une démarche de théâtre populaire. »32. Les buts du Théâtre Massenet

peuvent être regroupés en deux catégories distinctes. Tout d'abord, la première catégorie se

compose des buts liés fortement aux missions et au statut du théâtre définis dans le cahier des

charges qui lie Massenet et la mairie de Lille. En somme, le but premier tel que décrit par le

directeur du théâtre est de promouvoir des artistes de la région qui ne sont pas soutenus par les

grosses structures. L'idée dominante est celle d'une aide apportée à l'émergence des jeunes

artistes ou troupes qui ont la volonté de se professionnaliser. Cette aide est une aide en termes 32 Site web du théâtre Massenet : http://www.theatre-massenet.com/association.php

18

de moyens techniques (possibilité de résidence et de représentation), mais aussi et surtout en

terme de visibilité. En effet, jouer au Théâtre Massenet assure aux jeunes troupes une

couverture médiatique (conférence de presse quasiment pour chaque spectacle) et un intérêt

institutionnel (venu de programmateurs.trices d'autres structures culturelles ou de

subventionneurs). L'autre partie des missions décrite par James Phil Zanga est la diffusion de

formes artistiques pluridisciplinaires ou la promotion de formes artistiques qui ne sont pas

(encore) valorisées par les structures plus importantes. Lors de notre entretien, James Phil

Zanga prit l'exemple du slam, forme soutenue par le Théâtre Massenet et le Zem Théâtre,

soutien qui a encouragé la construction de spectacles vivants avec ou autour du Slam. La

troisième mission est une mission de médiation sur le territoire de Fives. Ces trois principes

(aide à l'émergence, promotion de la pluridisciplinarité, médiation) liés au cahier des charges,

donc liés au statut institutionnel de la structure, vont influencer l'identité artistique et politique

de la structure telle qu'elle est aujourd'hui.

Cependant, le cahier des charges est singulièrement souple et large. Par conséquent, la

démarcation de cette institution par rapport aux autres, son identité, va donc être fortement

liée à la philosophie et la personnalité de la personne qui la gère. C'est cette philosophie et

cette personnalité que nous avons alors questionnées lors de notre entretien. Comme cela est

expliqué dans l'introduction à cette partie sur la production, les informations dégagées ici

comportent leurs limites car elles résultent d'un entretien d'une durée déterminée au cours

duquel il est impossible de saisir pleinement la complexité d'une pensée. Par ailleurs, il faut

rappeler que, contrairement aux autres personnes interviewées, l'interviewé connaissait notre

intérêt pour les questions liées au genre lors de cet entretien.

Cependant, cette discussion mise en relation avec mes lectures et comparée aux autres

interviews, me permet de situer son discours vis-à-vis de différentes conceptions du théâtre et

de dégager les grands traits qui caractérisent sa vision de l'art et du théâtre et plus

particulièrement, les liens qu'il voit entre le théâtre et le réel, le théâtre et la société, le théâtre

et la.le politique.

1. Théâtre Société Politique

La façon que le programmateur a de présenter l'art en général et le théâtre en

particulier relève d'une vision d'un art profondément inscrit dans la société. Un art qui non

seulement est marqué par les questionnements qui traversent la société mais qui a aussi un

19

rôle à jouer dans « la cité »33. Pour reprendre les termes énoncés dans les questionnements en

introduction, les mondes réels influencent fortement les mondes imaginaires. Mais aussi ce

qui est produit et représenté dans les mondes imaginaires vient nourrir cette réalité sociale.

Cette dialectique entre le réel et l'imaginaire se perçoit tout au long de notre entretien.

Le théâtre apparaît alors comme profondément lié au politique, le terme politique entendu ici

non seulement au sens « du politique » c'est-à-dire de ce qui traverse la cité, ce qui questionne

et préoccupe le vivre ensemble mais aussi perçu au sens de « la politique » c'est-à-dire comme

l'expression des rapports de force et des conflits d'opinions qui traversent la société (« peut-

être nous il faut qu'on soit défenseur de quelque chose à Massenet »).

Trois grands propos caractérisent le discours de la personne interviewée en ce qui concerne

les ponts qu'il peut y avoir entre le théâtre qu'il programme et la société/le politique/la

politique.

Tout d'abord, le programmateur constate l'émergence d'un mouvement d'artistes

fortement marqué et se nourrissant artistiquement des faits politiques et sociaux qui traversent

la société : « ces créations sont nourries de faits sociaux et politiques qui ont touché, blessé ou

interrogé » dit-il en décrivant les spectacles représentés durant le festival « Je(ux) de

genre »34. Le théâtre parle alors du monde dans lequel on vit car ces artistes sont connectés au

social : « ce qu'on peut accueillir comme proposition, c'est souvent des choses qui parlent

vraiment, qui sont vraiment inscrites dans un champ plus large de la société ».

Donc ici le programmateur présente cela tout d'abord comme une sorte de constat objectif : de

manière passive, c'est-à-dire en observant juste les propositions de créations faites par les

artistes à la structure, les formes artistiques proposées s'inspirent très souvent de faits sociaux

et politiques. Ces formes artistiques soulèvent donc en soi des questions sociales. Cependant

ce constat n'est pas simplement un constat objectif : c'est parce que le programmateur est

sensible à ces questions qu'il va, par son regard particulier, faire ressortir la portée politique et

sociale de ces œuvres d'art. En effet, unE autre programmateur.trice pourrait programmer ces

mêmes pièces mais pour d'autres raisons, des raisons qui ne s'appuieraient pas sur un regard

politique et social porté sur l'œuvre d'art.

Ensuite, le lien entre théâtre et société, théâtre et politique relève aussi d'une démarche

de la part du programmateur. Il s'agit pour James Phil-Zanga de ne pas se contenter

uniquement de ce qui est produit et créé dans le milieu du théâtre « officiel » c'est-à-dire par

des personnes qui sortent d'écoles de théâtre ou de conservatoires de théâtre et qui vont créer

33 Terme utilisé par l'enquêté34 Festival Je(ux) de genre, événement artistique/féminismes et gender studies, du 16 au 31 mars 2012, Théâtre

Massenet

20

en vue de se produire dans des salles de théâtre prévues à cet effet. On perçoit l'idée d'aller

chercher l'art en dehors des sentiers battus : « ça nécessite de repérer par exemple les jeunes

qui sont sortis d'écoles, et pas forcément que l'EPSAD. Des jeunes artistes (…) qui sont en

squat par exemple. Enfin voilà, qui sont parfois cachés et faut aller parfois les chercher, les

repérer. Parfois c'est des artistes qui sont dans le réseau militant ou dans le réseau associatif et

qui ont besoin, on va dire d'un accompagnement structurel pour pouvoir être un peu plus

visible ». En l'occurrence, James Phil-Zanga montre un intérêt pour les œuvres d'art qui sont

créées dans les milieux associatifs ou militants dans le but de promouvoir le développement et

la visibilité de cet art là.

Enfin, l'institution culturelle est vue ici comme un espace inscrit dans l'espace public

et qui a par conséquent un rôle social à jouer.

Ce rôle, c'est d'une part, être un lieu pour tous. James Phil-Zanga parle de tentative d'en faire

un lieu fréquenté par des gens qui n'ont pas forcément pour habitude de se rendre au théâtre.

Ce but, il y travaille d'une part lorsqu'il travaille en partenariat avec des associations (les

associations vont ramener leur public à eux) mais aussi en en faisant un lieu le plus simple et

le plus chaleureux possible.

« JPZ : la frontière à franchir pour, n'importe quel public, pour aller au théâtre et beaucoup

plus simple chez nous que dans un lieu baroque. T'as un contact avec le public qui est plus

franc, plus simple, avec beaucoup moins d'apparat et c'est souvent un lieu où les gens qui

n'ont pas l'habitude d'aller au théâtre se retrouvent généralement assez rapidement à l'aise. Et

du coup c'est quand même un élément qui est à prendre en considération et qu'on doit essayer

de valoriser (...)

EB : oui, d'accord. et ça tu l'expliques comment? qu'ils se sentent à l'aise?

JPZ : parce qu'on est une équipe jeune par exemple(...) on a une équipe aussi de bénévoles qui

sont soit des habitants du quartier ou des étudiants. On a un côté où on n'est pas dans une sorte

de mondanité (…) il n'y a pas des codes. On essaie un peu de dire, vous pouvez venir ici sans

avoir des codes de théâtre. » 00:21:21-1

On perçoit, chaque fois qu'il parle du lieu et des rapports avec le public, la volonté de casser le

plus possible les barrières à l'entrée, de faire de Massenet un théâtre accessible à tous,

affranchi de codes qu'il considère comme étant l'apanage d'une élite sociale et culturelle.

D'autre part, ce rôle de « lieu citoyen » est aussi caractérisé par la volonté de faire de ce lieu

un lieu de réflexion politique et sociale inscrit dans un territoire donné :

« ça peut peut-être nourrir certaines choses, ça peut être un lieu dans la cité c'est pas rien. Et

ça dépend aussi de ta vision que tu veux avoir de ta cité mais moi je crois à ces élans là et je

21

crois au rêve associatif »

Il paraît primordial pour le programmateur que le théâtre qu'il programme soit source de

questionnements politiques et source de débats.

En somme, on trouve dans les propos tenus lors de cet entretien un intérêt particulier pour le

théâtre comme « quelque chose d'inscrit dans le lien social, dans le champ social ». On

retrouve aussi une volonté de mettre en lumière le propos politique contenu dans les œuvres

d'art. C'est dans ce sens que l'on peut comprendre l'initiative de ce programmateur de réunir

des œuvres d'arts sous une thématique philosophique, sociale et politique telle que la question

du genre. Le théâtre apparaît donc comme un support de réflexions.

L'existence du festival « je(ux) de genre» se comprend tout à fait dans cette logique.

La démarche recoupe totalement les différents aspects de cette vision politisée du théâtre.

2. Le festival « je(ux) de genre » : une conséquence de la vision du lien théâtre et politique exposée ci-dessus

Il s'agit ici de comprendre la démarche dans laquelle s'inscrit l'élaboration du festival

« Je(ux) de genre ».

L'idée part d'abord de propositions artistiques :

« je sentais qu'il y avait beaucoup de propositions artistiques autour de cela (…) »

« il y avait un artiste que moi je suis depuis quasiment son début de parcours qui est Matthieu

Jedrazak, qui lui est plutôt dans le réseau lesbien-gay-trans mais qui a autour de son équipe

artistique des gens qui ont une sensibilité féministe ou des questionnements sur les gender

studies. Et j'ai eu ensuite Ratiba qui est quelqu'un que j'avais programmé il y a sept ans au

ZEM qui montait un spectacle autour du recueil de texte "mon corps est un champ de

bataille" ».

Il s'agit donc ici de soutenir des artistes qu'il suit depuis un moment et dont il apprécie le

travail et la démarche artistique. Ces spectacles « devaient se passer totalement de manière

éparse dans la saison ».

Puis, c'est la volonté du programmateur de travailler sur ces questions qui l'a alors

amené à chercher à réunir ces œuvres artistiques (cette même volonté a participé au fait qu'il

s'intéresse à ces artistes). A la volonté de travailler avec ces artistes s'ajoute l'idée qu'il est

légitime et souhaitable pour un théâtre de s'associer avec d'autres partenaires culturels. Cette

collaboration se fait avec une association, qui a un positionnement politique clair : Rencontres

22

féministes est féministe. Cette association porte une philosophie de l'art qui est celle de l'art

comme support de réflexion, d 'échanges et d'interrogations politiques. Pour James Phil-Zanga

la philosophie de cette association correspond à celle de Massenet : « et après il y a eu une

association Rencontres Féministes qui s'est crée à Lille qui avait monté un événement l'année

dernière qui s'appelait Désordres. Et c'est la première fois j'ai trouvé, enfin en tout cas sur

Lille, une volonté d'avoir un peu à son échelle une démarche sur ce que l'art pouvait apporter

sur des questions de société et qui avait une démarche un peu similaire à ce que nous on fait à

Massenet et qui avait aussi et avant tout, une volonté de faire partager ces questions là à de

nouvelles personnes, essayer un peu de rendre plus visible auprès des publics cette question

là. »

Réunir des artistes autour de la thématique sur laquelle ils travaillent, s'associer avec

une association culturelle féministe pour « essayer d'en faire un grand rendez-vous et de

fédérer un peu toutes ces énergies là, pour susciter, pour avoir déjà un peu plus de visibilité,

que ces questions là puissent rencontrer un public nouveau ».

On retrouve ici l'idée que les propos artistiques sont là et que son rôle à lui va être de

fédérer ces propositions. Par conséquent, en les réunissant ainsi sous une thématique, c'est le

propos politique contenu dans ces objets artistiques qui va être mis en avant. Il s'agit donc ici

d'une démarche militante : donner plus de visibilité à une cause qui lui tient à cœur.

Par conséquent, le théâtre va devenir selon lui, un lieu de débats et de réflexions

politiques tel qu'il en avait formulé la volonté lorsqu'il parlait de faire de Massenet un lieu

citoyen « inscrit dans la cité » :

« on avait des spectacles qui finissaient à 22h et les gens restaient débattre-échanger jusque

très tard le soir. Souvent on a fermé à 2-3h du matin. Quand tu sens cet engouement après

avoir vu une œuvre d'art tu te dis, ouais là on a réussi à la placer dans un champ qui est

intéressant(...) qui la rend pas plus riche ou je sais pas, l'œuvre d'art elle est ce qu'elle est en

tant que tel mais en tout cas elle peut servir de biais pour enclencher quelque chose de

citoyen »

Le programmateur met en avant, tout au long de notre entretien, l'intérêt du regard de

l'art sur des questions de société et l'intérêt de l'art dans la réflexion sur ces questions. L'intérêt

des œuvres artistiques qui questionnent la thématique du genre paraît particulièrement grande

dans son discours. Le programmateur envisage la possibilité de la spécialisation de lieux

culturels sur une thématique particulière comme cela peut se voir « à Montréal ou en

23

Allemagne ». Selon lui, le frein à cela est l'impossibilité pour les institutions de penser la

problématique de l'agencement entre l'art et les questions sociétales sous cet angle. « On a

trop besoin de compartimenter les choses en France (notes : compartimenter les choses ici

c'est dire « ça c'est culturel » et « ça c'est politique »), les questions de société peuvent être

entendues dans un lieu culturel mais un lieu culturel ne peut pas être dédié à une question de

société. »

Il insiste à plusieurs reprises sur le fait que l'art et le politique puisent être compatibles sans

que cela ne compromette en rien l'art. Le fait de recourir à plusieurs reprises à cette

affirmation est révélatrice du fait que cette affirmation ne fait pas consensus dans le milieu

artistique. « Tu peux être militant et savoir programmer quoi c'est pas incompatible loin de là.

Il y a plein de courants artistiques qui sont nés de ces courants militants ou d'une volonté de

défendre quelque chose, de valeurs ». Il affirme l'importance du fond, du message politique

sans que cela conditionne la forme, l'esthétique. « ça ne sera pas le message qui va ou qui

risque d'influencer plus que la qualité artistique sur la vue de la création. C'est un tout. »

On perçoit donc une volonté d'affirmer que l'art a un rôle sociétal, peut être support de

réflexions politiques, l'art n'est pas neutre et détaché des rapports de force qui traversent la

société et cette volonté va contre l'opinion qui l'assimilerait à une instrumentalisation de l'art à

des fins politiques. Dans ce positionnement on touche ici à la problématique de l'agencement

entre l'esthétique et l'éthique dans la programmation d'objets artistiques. Chaque interviewé en

parlera et exprimera une vision différente de cet agencement.

En résumé, on trouve dans ce premier cas étudié une forte corrélation entre les

caractéristiques objectives de l'organisation Théâtre Massenet et les dispositions socialement

constituées du programmateur qui y travaille. En effet, d'une part la structure en elle-même

permet une liberté au programmateur : « Nous ce qui nous permet d'être vraiment globalement

un peu différent, c'est qu'on n'a pas un cahier des charges ultra restrictif, donc imposé par nos

subventionneurs ». Et d'autre part, le programmateur a une volonté particulière : « moi ce qui

m'intéressait c'est de voir comment les jeunes artistes pouvaient se professionnaliser, en quoi

je pouvais les aider, qu'est ce que je pouvais leur apporter. C'était aussi comment on pouvait

créer un lieu qui soit, un lieu artistique autour du théâtre de proximité qui casse certaines

barrières, qui puisse être un lieu où on pouvait débattre, s'émouvoir, partager ça c'était super

important pour moi. Et que ça devienne un lieu de vie » et, de par sa socialisation, il est

devenu féministe : « ça fait bien 6-7 ans tu vois que j'ai pu côtoyer des mouvements

féministes ou fréquenter des gens qui étaient dans le milieu féministe et après j'ai lu des

24

études tout ça...enfin après là aussi ça vient un peu à la base de mon ressenti personnel ».

Par conséquent il va donc programmer des pièces qui viendront questionner la légitimité de la

division binaire de la société autour du « masculin » et du « féminin » comme ça été le cas

lors du festival « Je(ux) de genre ». Ces pièces sont révélatrices d'une tendance sociétale, qui

retentit dans le domaine artistique, de remise en cause de la pertinence des catégories

hommes-femmes comme catégories naturelles, nécessaires, légitimes et profitables, telles que

décrites dans l'introduction générale35. Mais aussi, la problématique de la représentation des

identités sexuées sur scène fait sens dans son paradigme « mais il y a peu de rôles super

intéressants pour les meufs. Comparativement aux rôles masculins. C'est aussi parce que le

milieu littéraire d'édition a été ultra et est encore ultra sexiste, c'est pareil pour les auteurs, les

romanciers ou les dramaturges actuels, c'est quand même que des mecs. Enfin voilà il y a

vraiment un temps de parole et un temps d'espace de la parole des meufs qui est ultra réduit

par rapport à une majorité qui est entièrement écrasée par les mecs, dans le monde culturel

que ça soit l'écriture ou la diffusion. C'est une évidence. ». Il est également sensible à la

problématique des inégalités hommes/femmes dans le milieu culturel telle que soulevée par le

collectif H/F « EB : c'est 78 % des spectacles programmés au niveau national qui sont mis en

scène par des hommes. JPZ : Oui oui...nous ça doit être quasiment l'inverse, on doit être

à...faudrait que je refasse les calculs mais je pense qu'on est à plus de 70% de metteuses en

scène accueillies » 01:07:17-1 .

Les différents sens de la question du lien entre genre et théâtre que j'ai pu évoquer dans

l'introduction, ont fait sens pour ce programmateur lors de notre entretien.

On voit donc ici que la manière de concevoir la question théâtre/genre est étroitement

liée à la conception des liens qui relient théâtre et politique, conception qui dépend elle-même

non seulement de la socialisation de l'individuE mais aussi du type d'institution culturelle dans

laquelle il exerce son activité de programmation.

35 cf. le genre comme processus performatif

25

B. Un théâtre de référence, miroir des problématiques qui traversent la société.

Yannic Mancel pour le Théâtre du Nord.

La rencontre avec Yannic Mancel s'est faite dans une salle de réunion dans les bureaux

du Théâtre du Nord. Tout au long de notre entretien, Yannic Mancel présente une position

claire sur la vision qu'il a de la programmation et du théâtre et maîtrise l'art de la parole. Il

témoigne d'une aisance pédagogique, aisance qu'il a l'occasion de mettre en œuvre lors de

l'animation de « l'école du spectateur » du Théâtre du Nord. Il se place face à moi dans un rôle

de transmission, transmission à une nouvelle génération qui prendra, un jour, la relève.

Il s'agit ici de comprendre sa philosophie du théâtre et les conséquences que cette conception

a sur sa façon de problématiser la question théâtre-genre. Ces conceptions sont celles de

Yannic Mancel en tant que personne mais sont aussi une partie des conceptions portées par le

Théâtre du Nord. En effet, si Yannic Mancel est critique artistique au Théâtre du Nord c'est

parce qu'il a été appelé par Stuart Seide, l'actuel directeur artistique du Théâtre du Nord. Si

Stuart Seide a fait appel à lui c'est que sa pensée est considérée comme compatible avec les

normes et valeurs portées par le Théâtre du Nord. D'ailleurs, dans son discours, Yannic

Mancel emploie tantôt le « je », tantôt le « nous » et la frontière entre les deux n'est pas bien

déterminée. Lors de l'entretien, il parle en tant que représentant d'une institution et en tant que

personne – Yannic Mancel possédant sa socialisation propre. Il y a une interdépendance entre

la conception de Yannic Mancel et celle portée par le Théâtre du Nord. Donc ces propos ne

nous permettent pas de dire que ce sont les valeurs portées par le Théâtre du Nord mais, elle

nous donne des pistes de compréhension sur celles-ci.

1. Ph ilosophie du théâtre et conséquence sur la conception de la question théâtre-genre

La philosophie du théâtre de Yannic Mancel est marquée par les trois grands rôles qu'il

accorde au théâtre dans la société : donner de la joie, éveiller les consciences critiques et

nourrir les imaginaires. Beaucoup de ses propos croisent la philosophie brechtienne (Brecht,

1898-1956) du théâtre telle qu'expliquée par Gérard Noiriel dans « le moment Brecht »36. Si

Yannic Mancel fera lui-même référence au théâtre brechtien, l'analogie entre son discours et la

philosophie brechtienne relève de notre initiative.

Le premier rôle, c'est de donner de la joie : « Au théâtre il faut passer un bon moment, il faut

36 Noiriel (G.), Histoire Théâtre Politique, Agone, Marseille, 2009. Chapitre II

26

être diverti, il faut être, il faut éprouver de la joie, il faut être exalté »37. Cependant, il ne s'agit

pas d'un divertissement fondé sur la facilité, c'est-à-dire un divertissement qui s'appuierait sur

les préjugés des gens, les conforterait dans leurs certitudes. Yannic Mancel parle de la

nécessité d'un théâtre qui fasse réfléchir mais « pas qui fait réfléchir sur le moment c'est-à-dire

pas un théâtre prise de tête qui nous ennuierait dans l'instant, non. J'aime bien le théâtre qui

fait réfléchir après coup. Dans l'instant mais surtout après coup. Dans l'instant ce que j'attends

surtout du théâtre c'est qu'il procure de la joie et qu'il excite l'imagination. » 00:32:19-1

On retrouve ici la façon de lier l'intellect et l'émotion telle que Brecht la décrit. Il ne s'agit pas,

dans la théorie brechtienne, de proposer des spectacles qui font appel uniquement aux sens et

à l'émotion, théâtre qui placerait le.la spectateur.trice dans une position passive où il recevrait

ces sensations sans pour autant pouvoir prendre du recul et y réfléchir. Il ne s'agit pas non plus

dans la théorie brechtienne de faire un théâtre avec un propos clair et pédagogique, le théâtre

n'étant pas un discours politique ou moral. Il s'agit de donner du plaisir au.à la spectateur.trice,

de le.la captiver, en lui racontant des histoires, en le.la divertissant mais tout en lui donnant les

outils pour réfléchir par lui.elle-même : divertir sans absorber l'esprit critique. Le « théâtre

épique » permet, selon Brecht, cela. Il permet d'articuler la forme et le fond afin que le théâtre

à la fois plaise et instruise : fusionner les deux pour que « le spectateur comprenne

intellectuellement et sentimentalement son environnement social »38

Pour Yannic Mancel, la dimension de réflexion est, avec la transmission de la joie, au cœur du

rôle du théâtre :

« ensuite l'éveil de la conscience critique, ça c'est quelque chose de très important. Il faut

qu'un spectacle, comme un livre, comme un film, donne du grain à moudre pour développer la

conscience critique du sujet, du citoyen, de l'individuE. C'est-à-dire que ça doit lui donner des

armes et des outils pour avoir un meilleur rapport critique au monde. C'est à ça que sert une

représentation théâtrale. Une représentation théâtrale, c'est comme un réducteur de tête, c'est

un réducteur de monde. Ce qui se passe sur une scène de théâtre c'est une tranche de vie du

monde en plus petit, c'est cette fameuse figure de rhétorique qui s'appelle la métonymie. C'est

une métonymie du monde ce qui se passe sur la scène de théâtre. Donc que pendant deux

heures, le.la spectateur.trice soit invitéE à se concentrer sur cette petite réduction miniature du

monde et autour d'un de ses problèmes, des problèmes du monde, ça le rendra plus fort dans

sa propre vie, dans la vie réelle, pour débrouiller un problème, pour résoudre une interrogation

de conscience morale, etc. »

37 Toutes les phrases entre guillemets sans annotation présentes dans les paragraphes de cette première partie de mémoire sont extraites des entretiens réalisés avec les programmateurs.trices respectifs.

38 Bertolt Brecht cité in Noiriel (G.), Histoire,Théâtre Politique, édition Agone, 2009, Marseille. p.52

27

Ce qui va permettre à la fois la joie et la réflexion, c'est donc ce théâtre épique. Ce théâtre tel

que décrit par Brecht est présent ici dans le discours de Yannic Mancel. Le théâtre épique est

marqué par la distanciation. Celle-ci se différencie de l'identification. L'identification, serait le

fait que le.la spectateur.trice s'identifie aux personnages présents sur scène et ressente alors de

l'empathie. L'identification des spectateurs.trices aux personnages permet un déclenchement

des affects et une compréhension émotionnelle de ce qui se passe sur scène. Cette empathie

peut être par exemple de la pitié. Mais selon Brecht, l'identification qui provoquera crainte et

pitié chez le.la spectateur.trice est dangereuse car elle manipule les affects, en absorbant le.la

spectateur.trice dans l'émotion, elle le dépossède de sa raison. La distanciation se distingue de

cette identification : elle pose sur scène des individuEs et des situations qui sont assez

étrangères pour que le.la spectateur.trice ne s'y identifie pas mais assez ressemblantes pour

que le.la spectateur.trice ne soit pas perduE. La distanciation permet « l'étonnement, la

curiosité, le dépaysement »39. Ces étonnement, curiosité, dépaysement sont provoqués par des

scènes qui ne sont pas la réalité du.de la spectateur.trice telle qu'ilLE la voit mais qui y

ressemble fortement. Ainsi l'idée est donc de rendre étrange ce qui est perçu dans le quotidien

comme naturel et immuable. La distanciation permet de mettre en lumière les rapports

sociaux, les situations en montrant comment celles-ci sont déterminées par une histoire et des

mécanismes sociaux. Brecht pense qu'avec ce théâtre épique basé sur la distanciation

« désormais, le théâtre lui-même présente le monde pour qu'il.elle (le.la spectateur.trice) s'en

saisisse »40. C'est cette idée qui est exprimée par Yannic Mancel :

«EB : Est-ce que vous attendez que les spectateurs s'identifient aux acteurs? Est-ce que vous

recherchez quelque chose comme ça? 00:32:22-6

YM : Non pas forcément parce que j'aime bien le théâtre justement où il n'y a pas trop de

psychologie et où l'acteur avoue qu'il est un acteur, qu'il est un acteur qui joue un rôle.

Enfin là, de ce point de vue là, je suis plutôt brechtien, c'est-à-dire que j'aime bien qu'on sente

la présence de l'acteur, de l'être humain pas totalement occulté par son personnage. Non donc

moi l'identification, c'est pas... en revanche, que dans ce processus de réflexion, il y ait des

identifications à des situations à des catégories sociales, à des processus. Oui, ça oui. Que le

spectateur soit amené à partir du parcours d'un personnage ou de la place d'un personnage

dans une situation à se poser la question de savoir qui il est lui et dans quel monde il vit, ça

oui, ça ça m'intéresse. »

39 Ibid., p 54.40 Brecht cité Ibid.

28

Cette technique, dite de distanciation « permet (donc) au public de reconnaître un objet en

même temps qu'il prend une allure étrange »41. Un des éléments de cette technique consiste

alors souvent à situer la scène dans un autre espace-temps.

Il s'agit donc de déplacer un phénomène actuel dans un autre temps afin que ce phénomène

soit abordé avec recul. Par exemple, le Théâtre du Nord ne programmera pas un spectacle qui

met en lumière les aberrations de la politique migratoire de l'ex-président Nicolas Sarkozy

mais pourra par contre programmer une tragédie de l'époque d'Eschyle sur le droit d'asile qui

racontera l'histoire de migrants.tes qui, après avoir accompli un long périple en traversant la

mer Méditerranée vont se faire rejeter par la Grèce alors qu'ils.elles comptaient s'y réfugier.

Situer un phénomène social dans une autre époque permet de le rendre distant et permet ainsi

d'éviter le côté pédagogique et moralisateur. Dans cette optique, les spectateurs réfléchiront

eux-mêmes aux parallèles qu'ils peuvent faire et à ceux qu'ils ne peuvent pas faire. L'état des

lieux et l'explication de la situation actuelle ne sera pas faite directement sur scène mais

pourra être faite après coup par le.la spectateur.trice lui.elle-même.

Lorsque nous amènerons le thème du genre au théâtre aujourd'hui, Yannic Mancel nous

parlera immédiatement de pièces d'une autre époque qui traitent les problématiques de

l'homosexualité ou de la place des femmes dans la société. Il évoquera alors une pièce de la

saison prochaine qui est l'histoire de deux jeunes hommes amoureux confrontés à

l'homophobie en 1923 dans la République de Weimar frappée alors par la montée du nazisme.

Si l'artiste choisit de jouer cela c'est que cette question fait écho aujourd'hui, fait sens dans ce

qu'il perçoit du monde d'aujourd'hui. Il en va de même pour Marie Stuart de Schiller mis en

scène par Stuart Seide. Cette pièce parle de « qu'est-ce- que c'est qu'être femme au pouvoir

dans un monde géré par des hommes »42. La pièce se déroule donc au XVIème siècle dans une

société où le pouvoir est synonyme de masculinité. Yannic Mancel évoquera alors un

éditorialiste du « Monde » qui, en commentant cette pièce fera le parallèle avec les difficultés

rencontrées par Ségolène Royal ou Martine Aubry aujourd'hui. Si donc cette pièce a été

montée c'est que le fond, le propos, fait encore sens aujourd'hui dans la société, et c'est par ce

biais que le théâtre traite des problèmes d'aujourd'hui.

C'est ainsi que Yannic Mancel nous présentera les liens qu'il peut y avoir entre le théâtre et le

réel. Le réel transparaîtra forcément dans les pièces car les artistes, dit-il, sont « des éponges à

blessures », les blessures qui traversent la société. Les artistes seront forcément touchés par

41 Op.cit. , p 64.42 Interview de Stuart Seide au CDN de Saint-Denis : http://www.theatregerardphilipe.com/

29

les sujets sociétaux qui font mal. Ces sujets sont donc des sujets de débat, qui questionnent la

société. Sur ce point, le programmateur n'a rien à faire pour que ces sujets soient abordés dans

son théâtre. Il a juste à écouter, être très attentif à ce qui se fait et les questions de société

transparaîtront alors toutes seules dans l'art sans que le programmateur n'ait à initier quoi que

ce soit. C'est donc l'écoute du monde par l'artiste, le monde qui touche l'artiste qui va faire que

l'art va s'inscrire dans la réalité du quotidien de l'ensemble de la population. L'art est donc par

ce biais doté d'un pouvoir de réflexion sur la société d'aujourd'hui.

« les auteurs et les metteurs en scène sont eux-mêmes à la recherche du traitement par l'art,

des grandes blessures de ce monde »

Enfin, le dernier des trois rôles principaux du théâtre est désigné par Yannic Mancel

comme étant le fait de « nourrir les imaginaires ». Cette fonction est complémentaire des deux

autres (donner de la joie et éveiller les consciences critiques) et vient compléter la définition

du rôle du théâtre pour Yannic Mancel. Ainsi, le théâtre présente sur une scène différentes

combinaisons qui comportent toujours de l'onirique et du matériel, de la réalité. L'imaginaire

donné à voir sur scène est là entre réel et irréel et c'est ça qui donne la spécificité du sens de

l'art au sein de la société : « j'aurai tendance à dire dans ma pratique du théâtre que ça ne sert à

rien de penser sans rêver et que ça sert à rien de rêver sans penser ». Le théâtre ouvre des

portes de l'imaginaire et Yannic Mancel prône la diversité des formes esthétiques sur le

plateau de théâtre contre un rapport à l'imaginaire formaté par une seule vision du monde. Il

oppose à la diversité des univers présentés au théâtre, la monotonie des univers présentés dans

les jeux vidéos ou encore la place hégémonique que peut tenir « l'idéologie Walt Disney »

dans le rapport au conte que peuvent avoir les jeunes générations.

Le théâtre « ouvre l'imagination, à condition que bien sûr on veille à ce que plusieurs

esthétiques théâtrales variées se rencontrent dans une même programmation ».

2. Quels artistes pour quelle institution?

Dans le paradigme exprimé dans la première partie, ce qui relie le théâtre aux

thématiques de la société c'est le fait que les artistes soient des « éponges » des tourments de

la société. Par conséquent, le fait que l'on aborde telle ou telle question, et ici en particulier la

question du genre, dépend de deux choses.

Tout d'abord le fait que cette question tourmente la société. Dans l'article « cinq réflexions sur

30

la culture du temps »43 paru dans le magazine La Scène, le philosophe Christian Ruby fait un

état des lieux des faits majeurs qui préoccupent la société et transparaissent par conséquent

dans le théâtre et il évoque parmi eux le fait que l'on soit dans une époque de « trouble dans le

genre »44. Yannic Mancel est d'accord avec ce constat : le développement des thématiques sur

le genre (« travestissement , transsexualité, homosexualité, bisexualité ») est fulgurant. La

première condition (qui veut que le thème soit considéré comme une problématique qui

questionne la société d'aujourd'hui) pour que cette thématique soit abordée dans les pièces, est

remplie.

La deuxième condition est que les artistes légitiméEs par cette institution soient sensibiliséEs

à cette question. Les artistes légitiméEs par cette institution sont les « artistes de référence

nationale et internationale » définiEs selon les critères de la Critique :

« EB : "et du coup vous dites des spectacles de référence. Donc en général, ces normes de

références s'établissent au niveau national par...? 00:13:42-7

YM : oui par, oui c'est le temps qui fait les choses. C'est-à-dire que, quand les spectacles d'un

metteur en scène sont très demandés très programmés, que les critiques, les universitaires

s'intéressent à lui, font des thèses sur lui, que la critique dramatique le suit très favorablement.

Là on peut se dire que c'est quelqu'un qui est en train de creuser un sillon et d'acquérir une

identité... »

Il serait intéressant ici d'analyser quels sont ces critères et sur quoi ils reposent afin de

comprendre les mécanismes qui vont faire que telLE ou telLE artiste va être programméE

dans les structures labellisées. Les travaux des historiennes de l'art américaines et anglaises

depuis les années 1970 sont sur ce point, éclairants45. Sans entrer dans les explications, nous

pouvons comprendre la logique de leur recherche à travers ces trois questions résumées par

l'historienne Maria Antonietta Trasforini : « qu'est-ce que l'art défini comme tel et qu'est-ce

qui n'en est pas? », « qui est légitimement artiste ou, mieux, qui peut aspirer à ce statut? », et

enfin « Qui raconte/a raconté en toute légitimité l'histoire de ce domaine, et donc l'histoire de

ceux (celles) qui y ont leur place. » 46

Ici nous avons juste les moyens, par rapport à notre problématique du genre de savoir si ces

43 Ruby (C.), « Cinq réflexions sur la culture du temps » in La Scène, magazine des professionnels du spectacle, n°63, décembre 2011, Janvier-février 2012 p 32.

44 Titre du bouquin de Judith Butler considéré rétrospectivement comme fondateur du mouvement queer.45 Voir le travail de Rozsika Parker ou Griselda Pollock pour cette deuxième génération de chercheuses (années

1980).46 Trasforini (M.A), « Du génie au talent : quel genre pour l'artiste? », in Cahiers du genre, 2007/2, n°43, p 113-

131.

31

artistes de référence, ces artistes ayant franchi les différents obstacles, ayant réussi à jouer sur

une scène nationale, ces artistes d'excellence, sont questionnéEs par la question du genre et si

oui, comment?

Nous ne pouvons bien sûr par répondre de manière exhaustive. Nous allons donc nous

intéresser à deux artistes, programméEs au Théâtre du Nord cette saison ou la saison

prochaine, interpelléEs par la revue Outre-scène dans deux numéros consacrés à la question

du genre47. Il s'agit d'Irène Bonnaud (metteuse en scène associée au Théâtre du Nord), Joël

Pommerat (programmé au Théâtre du Nord cette saison).

Irène Bonnaud a répondu au questionnaire rédigé par Anne-Françoise Benhamou, mis

en annexe de ce mémoire48, qui vise à savoir « comment se pose - ou ne se pose pas - la

question de l'identité féminine dans leur geste de mise en scène? ».

Irène Bonnaud dit ne s'être posée la question de l'identité féminine qu'après avoir subi des

réflexions désobligeantes qui classaient son travail comme un travail « féminin », la féminité

étant moins valorisée dans notre société que la masculinité. Ce que Irène Bonnaud critique

c'est la binarité stéréotypée de la vision des rapports sociaux qui règne dans notre société. Au

théâtre, cela se traduit par des représentations de personnages féminins de manière non

seulement stéréotypée et discriminante mais aussi tout simplement fade, comme en témoigne

la phrase prononcée par Irène Bonnaud placée à la tête de ce mémoire49. Irène Bonnaud dit

alors chercher à favoriser dans sa mise en scène des personnages féminins complexes et non

stéréotypés. Elle veut les construire aussi complexes que les personnages masculins. Le

problème que la metteuse en scène pointe ici est le problème de l'universel masculin et du

particulier féminin50. En effet, comme nous allons le voir dans la deuxième grande partie de

ce mémoire sur l'analyse des représentations, les personnages complexes et profonds, qui

représentent l'Homme, au sens d'humanité, sont systématiquement personnifiés par des

personnages (et des acteurs) masculins alors que les personnages féminins apparaîtront pour

désigner le particulier, le féminin. Les personnages féminins contiennent alors un ensemble de

caractéristiques dites féminines, caractéristiques moins valorisées dans notre société que les

caractéristiques dites masculines.

47 OutreScène, n°9, Metteuses en scène, Le théâtre a t-il un genre?, Revue publiée par le théâtre national de Strasbourg en mai 2007 pour le questionnaire envoyé à Irène Bonnaud et Outre-scène n°12, Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, publiée par le théâtre de la Colline pour les interview d'Angélica Liddell et Joël Pommerat.

48 Cf annexe n°449 « Dans notre milieu, on ne perd jamais une occasion de tempêter contre l'industrie audiovisuelle et de brandir fièrement

résistance artisanale et bonne conscience de gauche, mais la vérité, c'est qu'il y a beaucoup plus de personnages féminins intéressants dans les séries télévisées américaines que dans le théâtre subventionné français »

50 Cf Wittig (M.), « Le point de vue universel ou particulier », in La Pensée Straight, Editions Amsterdam, Paris 2007. p. 89-95

32

Joël Pommerat a, lui, été interviewé par Thomas Boccon-gibod. Pour lui, au début de

l'entretien, les identités masculine et féminine ne sont pas des divisions pertinentes. Car il se

trouve plus proche de certains personnages féminins que certains personnages masculins et

que les personnalités et caractères sont déterminés par d'autres choses que le fait d'être homme

ou femme. Ça n'est donc pas selon lui un clivage central. Pour autant,il exprimera à la fin de

l'entretien, l'idée de l'importance de la représentation dans le travail du metteur en scène et de

l'auteur :

« forcément l'auteur-metteur en scène est sans cesse amené à se situer par rapport aux

représentations dominantes de la société dans laquelle il vit. Représentations des corps, qu'ils

soient masculins ou féminins. Soit il en fait une critique visible soit il en fait une citation, soit

il entre en discussion avec cette représentation, mais de toute façon ce n'est absolument pas

neutre »

En fait, dans le corpus d'interviews et de réponses aux questionnaires regroupés dans les deux

Outre-scène, on constate que tout le monde peut parler de la question de la masculinité et de

la féminité, de la représentation du masculin et du féminin,. Tout dépend ensuite de

l'importance qui y est accordée et de la façon dont c'est abordé. Ici, dans le discours de Joël

Pommerat, c'est une question parmi d'autres, sur laquelle il ne cherche pas particulièrement à

travailler car il n'est pas particulièrement touché par cette question.

A l'inverse, une personne comme Angélica Liddell, metteuse en scène évoquée par Yannic

Mancel lors de notre entretien, qui a vécu elle-même, dans sa chair, les oppressions d'une

société machiste, va être beaucoup plus déterminée sur cette question. Lors de son entretien

avec Christilla Vasserot, l'auteure, metteuse en scène et interprète de ses propres créations

parlera de sa conscience d'être socialement femme. Cette conscience est imposée par la

société et plus précisément par le machisme de la société dans laquelle nous vivons. « Il

faudrait vivre en dehors du monde ou être stupide pour ne pas se rendre compte de la position

occupée par les femmes dans notre société, qui est une société parfaitement misogyne, où

règne un paternalisme infect, même si parfois c'est à peine perceptible » dit-elle pour

commencer la discussion.

Ce sur quoi l'on peut réfléchir à partir de ces propos, c'est que les questions qui sont abordées

dans ce théâtre ne le sont pas parce qu'elles questionnent la société, traversent la société de

manière universelle. On peut considérer que les problèmes de ce monde ne sont pas

uniformes. Les problèmes de ce monde ne seront pas les mêmes pour tout le monde. Un

33

phénomène pourra être considéré comme un problème par certains et comme une solution ou

un fait sans importance pour d'autres. Yannic Mancel le dit bien :

« je pense qu'il y a chez tout artiste une blessure. Et que cette blessure qu'il a en lui est à

l'écoute de toutes les blessures du monde. Alors bon, ils ne peuvent pas tous les traiter, ils les

choisissent en fonction de leur sensibilité. »

La position de l'artiste dans la société n'est-elle pas influente pour définir cette sensibilité à

telle ou telle problématique? Angélica Liddell pourra paraître quelque peu violente dans ses

propos et dans ses mises en scène vis-à-vis de la société patriarcale. Mais, comme l'exprime

Yannic Mancel en abordant les propos de cette metteuse en scène, « on dit toujours d'un

fleuve emportant tout qu'il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui

l'enserrent » (citation de Bertoldt Brecht). Si Angélica Liddell tient ces propos c'est parce que

sa position de femme dans la société lui donne cette vision des choses.

La position de l'artiste dans la société amène à cette question : d'où parlent-ilLEs ? Tous les

artistes, et c'est la même problématique pour les chercheurs.ses ou même les individuEs en

général dans la société, parlent de quelque part et ce dont ilLEs parlent, ilLEs ne peuvent le

faire que de leur point de vue, autrement dit de leur position sociale, « les conditions de vie

(étant) aussi des conditions de vue »51. Nos positions sociales hommes/femmes mais aussi

blanc/racisé, riche/pauvre, hétérosexuel/homosexuel... déterminent ce que l'on peut voir.

C'est notamment à partir de ce point de vue que l'on peut considérer comme particulièrement

problématique le fait que les sensibilités et les points de vue exprimés soient très largement

ceux exprimés à partir d'une position sociale d'homme. En effet, au Théâtre du Nord, 81,25%

des metteurs-ses en scène programmés dans la saison 2011-2012 sont des hommes tandis que

100% des auteurEs sont des hommes52. On trouve donc ici une maîtrise de la production

artistique accaparée par une classe sexuelle. Par ailleurs, lors de l'accueil par le Théâtre du

Nord, du groupe d'étudiants de sciences po lille, Stuart Seide nous expliquait que les choix de

programmation étaient une décision collective, décision collective qui permettait une pluralité

de points de vue. Parmi ceux qui prennent part à ces décisions, on retrouve cinq personnes,

certes toutes de formations différentes, etc... mais toutes blanches et toutes de sexe masculin.

Après ce constat, il paraît important de rappeler l'analyse de Donna Haraway53. « L'objectivité

51 De la Bellacasa « Think we trust. Politiques féministes et construction des savoirs », thèse de doctorat, 2004, université libre de Bruxelles, faculté de philosophie et de lettres, p 190

52 Cf Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production artistique dans les théâtre étudiés en annexe n°3

53 Haraway Donna, « Savoirs situés-la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective

34

s'affirme comme une affaire d'encorporation particulière et spécifique (…) Seule la

perspective partielle assure une vision objective. »54 Par « perspective partielle » l'auteure

entend réhabiliter l'importance de la position occupée par celui qui porte un regard sur le

monde : « tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de

perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c'est-à-

dire, des manières de vivre »55. Ce qu'elle exprime ici fait réfléchir sur l'importance de la

représentation de la diversité au sein du groupe de personnes qui maîtrise la production

culturelle. Il n'est pas question ici de dire que tous les artistes programmés au Théâtre du Nord

occupent la même position dans la société mais que, en ce qui concerne la position dans le

système du genre, l'hégémonie de la position masculine est flagrante.

Cette hégémonie n'est pas l'exception du Théâtre du Nord mais elle reproduit en miniature ce

qui se passe dans le domaine plus large de la culture. Sur ce point, les chiffres du rapport

Reine Prat que nous pouvons rappelé ici, ont étonné et bousculé un certain nombre d'acteurs

culturels lors de leur diffusion56 : 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène

par des hommes, 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes, 92% des

théâtres consacrés à la création dramatique sont dirigés par des hommes57.

On peut penser que si ces chiffres ont étonné, c'est parce que la question de l'importance de la

position de l'artiste dont nous avons parlé plus haut n'est pas considérée. Sa non-prise en

compte mène à une absence de regard sur cette question et donc une vision erronée de la

réalité matérielle. On peut supposer que cette absence de conscience du problème est en partie

liée à l'idée d'universalité. L'universalité tend à dépasser ces questions d'identité de genre, de

sexe, de race, de classe, car on les considère comme secondaires par rapport à ce qui

rapproche les êtres humains. On ne les prend pas en compte dans l'idée que les prendre en

compte serait discriminant car cela mettrait en lumière des caractéristiques qui divisent, alors

que, dans l'idée on considère ces caractéristiques comme non-pertinentes. Le problème vient

donc quand, dans les faits ces positions sociales, se révèlent être discriminantes.

Les chiffres du Théâtre du Nord cités plus haut dressent, sous cet angle du genre, un constat

univoque et non nuancé de l'appropriation de la production par une catégorie d'individus au

détriment d'une autre. Cependant, sur le festival Prémices, festival des jeunes créations

organisé avec la Rose des Vents, les chiffres rétablissent un certain équilibre. En effet, lors de

partielle » in Manifeste cyborg et autres essais-sciences-fictions-féminismes, exils 2007. 54 Op.cit. p. 11755 Op.cit. p. 11856 Rapport Reine Prat57 Pour plus de chiffres se référer à l'annexe n°2

35

ce festival, 77,78% des auteurEs et 66,67% des metteurs-ses en scène sont des femmes.

Ensuite, dans l'analyse de ces chiffres, il est pertinent de se demander si cela signifie que la

future génération va renverser cet ordre établi dans lequel les hommes occupent de manière

hégémonique voire monopolistique les postes à responsabilités et la maîtrise de la

représentation ou si ces chiffres sont révélateurs du plafond de verre existant pour les femmes

dans ce milieu. Si cette question est posée ici, c'est aussi car les proportions d'auteurEs et

metteuses en scène sont plus grandes dans les petits théâtres. La question est alors de savoir si

ces chiffres qui renversent la moyenne nationale sont révélateurs d'un profond changement sur

la question d'une génération à une autre ou si ces chiffres s'expliquent en partie par le fait que

les jeunes auteures et metteuses en scène à un moment de leur carrière rencontrent des

obstacles liés à leur sexe qui les excluent de la catégorie des artistes dits de référence. Cette

question est explorée dans le rapport Reine Prat de 2009 :

« Pour s'en tenir au théâtre et à l'art de la mise en scène, on évoque volontiers un effet

générationnel : l'émergence de jeunes metteuses en scène (certaines ayant suivi des formations

qui n'existaient pas en France il y a dix ans) serait censée introduire enfin la mixité dans un

milieu jusqu'ici masculin. C'est en partie le cas dans divers festivals consacrés à la découverte

de « jeunes talents » ou de « nouvelles formes ». Mais ces jeunes femmes ne tardent pas à

constater que la course d'obstacles, pour sortir de ce cadre exigu et accéder à de vraies

programmations, de vrais moyens de production, et des scènes à la mesure de leurs ambitions

et de leur talent, se joue à deux vitesses et qu'elles en font rapidement les frais »58.

Par ailleurs, sur la question des textes, le fait que 100% des textes joués au Théâtre du

Nord soient écrits par des hommes est en partie lié au choix du type de théâtre programmé. En

effet, le Théâtre du Nord programme un théâtre de texte, un théâtre considéré comme le

patrimoine culturel français. Cette considération est fortement liée au statut de centre

dramatique national (CDN) du Théâtre du Nord, qui exige qu'il remplisse une « mission de

création théâtrale dramatique d'intérêt public »59. Cette mission d'intérêt public assumée par

les 33 CDN de France est comprise d'une manière spécifique : il s'agit en effet de diffuser

« des œuvres théâtrales de haut niveau »60. Or, l'appellation « de haut niveau » correspond aux

canons culturels qui ont traversé les siècles. Il s'agit pour ces centres de transmettre et diffuser

58 Rapport Reine Prat 2009, p 17. 59 Article premier du décret de 197260 Arrêté du 23 février 1995 fixant le contrat type de décentralisation dramatique [archive], JORF no 63 du 15

mars 1995, p. 3991–3994, NOR MCCG9500102A, sur Légifrance.

36

les grands classiques de la littérature française. Or, cela ajoute deux paramètres de réflexion

lorsque l'on veut traiter de la question du genre dans ce type de théâtre.

Tout d'abord, les auteurEs sont majoritairement des hommes : en partie car les textes ont été

produits dans une société encore plus patriarcale qu'aujourd'hui qui laissait encore moins de

possibilité aux femmes d'être écrivaines (cela ne signifie pas pour autant qu'il n'existait pas

d'écrivaines !). Cela explique en partie le fort taux d'auteurs programmés, mais il n'explique

pas pour autant le 100% d'auteurs programmés (donc 0 % d'auteures).

Et ensuite, l'autre paramètre à prendre en compte est que les vieilles pièces contiennent des

stéréotypes de genre très flagrants et qui nous apparaissent aujourd'hui comme totalement

sexistes. Cela est problématique pour les actrices et les acteurs qui peuvent en avoir assez de

jouer sans cesse des rôles stéréotypés. Ce trop plein est exprimé en introduction de l'Outre-

scène n°12 lorsque, dans l'introduction, Anne-Françoise Benhamou rapporte la lassitude d'une

actrice face aux pièces misogynes et aux rôles sexistes et dépourvus de complexité qu'elle

était amenée à jouer (la castratrice, l'hystérique ou l'égérie, la Madone, la mère, la séductrice,

la putain, l'innocente victime, la femme de pouvoir, la femme qui veut un enfant, la femme

qui en aurait voulu,...). Face à cette problématique, Antoine Vitez dans sa leçon de théâtre

« L'ours ou Tchekhov est-il misogyne ? » énonçait l'idée qu'il fallait jouer la misogynie de

Molière « que la seule manière de ne pas être misogyne en le montant était d'aller très loin

dans la hantise que l'œuvre exprime (« la torture par les femmes » était d'ailleurs un des sous-

titres de sa tétralogie Molière) »61.

Enfin, on peut revenir sur l'idée développée plus haut, de l'intérêt de jouer une pièce

qui se passe dans un autre espace-temps que celui d'aujourd'hui. Nous disions que l'intérêt

d'une pièce qui se passe dans un autre temps, outre ce caractère de transmission du

patrimoine, est de faire en sorte que le.la spectateur.trice perçoive cette scène autre comme

étrangère mais qu'il puisse faire des parallèles entre ce qui se passe sur scène et des situations

auxquelles il a été confronté, est confronté ou sera confronté. Yannic Mancel prenait alors

l'exemple de la pièce mise en scène par Stuart Seide qui se déroule au XVIème siècle dans

laquelle on pouvait voir une image des difficultés rencontrées par Martine Aubry ou Ségolène

Royal, ou encore l'exemple de Lucrèce Borgia de Victor Hugo qui sera programmée la saison

prochaine et qui se déroule « dans l'Italie décadente de la Renaissance ». Cette dernière pose

le problème suivant :

« Comment dans l'Italie décadente de la Renaissance, affirmer un pouvoir au féminin, une

notoriété au féminin alors que tout est absolument verrouillé par des hommes... »

61 Outre-scène n°12, p.3

37

Cette pièce déclenchera peut-être une introspection au sein de l'équipe du Théâtre du Nord,

qui sera alors amenée à se questionner sur le fait que la maîtrise de la production exclut à ce

point les individuEs dominéEs dans le système du genre.

C. La forme avant tout. Didier Thibaut pour La Rose des Vents

L'entretien avec Didier Thibaut s'est déroulé dans son bureau à la Rose des Vents.

Comme lors de chaque entretien, le programmateur commence d'abord, pour aborder sa

conception de la programmation, par expliquer le cadre dans lequel se déroule ses choix de

programmation. Il est important ici de situer ce cadre pour comprendre la démarche de Didier

Thibaut. Ici le cadre de production est déterminé, d'une part par les missions confiées par

l'Etat aux structures ayant le label « scène nationale » et d'autre part par le contexte culturel

lillois. Selon la description du programmateur, on retrouve trois grandes missions. La

première, c'est celle d'être un lieu de création et de production artistique. La deuxième est

d'être un lieu de diffusion et la troisième est d'avoir une programmation cohérente avec le

territoire d'implantation. Pour le programmateur, la démarche de programmation va varier en

fonction de ces trois missions. Pour la mission de création artistique, Didier Thibaut parle de

« coups de cœur » car il s'agit de « faire confiance à un artiste, de programmer son spectacle

avant même qu'il soit créé, vous le programmez sur la base d'un choix ». Ensuite, pour la

mission de diffusion « on est sur l'idée d'aller choisir des spectacles dans d'autres théâtres » et

enfin, pour la troisième mission, là il s'agit de « penser à comment le spectacle peut-être reçu,

comment il doit être défendu pour pouvoir être reçu ». Cette dernière mission est

profondément déterminée par le contexte culturel lillois. En effet, la diversité des offres

culturelles sur Lille et la pluralité des formes théâtrales, chorégraphiques et musicales

proposées sur le territoire permettent selon Didier Thibaut, à la structure Rose des Vents de se

spécialiser. Cette spécialisation est basée sur une philosophie du théâtre qui mène non

seulement à la programmation de spectacles qui ne sont pas diffusés dans d'autres structures

mais aussi à une présentation différente des spectacles. La Rose des Vents possède donc une

identité propre.

Un théâtre contemporain

Le théâtre que propose la Rose des Vents est un théâtre contemporain. Que signifie

contemporain ici ? Est-ce simplement du théâtre d'aujourd'hui avec des textes d'écrivains

d'aujourd'hui ? Nous pouvons rapprocher la conception du théâtre contemporain telle qu'elle

38

est comprise dans les propos de Didier Thibaut de celle exposée dans la revue Théâtre/Public,

« Théâtre contemporain: écriture textuelle, écriture scénique » publiée en 200762. Dans ce

numéro, analysé par Gérard Noiriel dans Histoire Théâtre Politique63, le but est de « traiter

des écritures contemporaines dans leurs formes les plus « avancées » ou les plus

expérimentales ». L'introduction de cette revue est consacrée à une tentative de définir ce

qu'est le théâtre contemporain. Pour cela, l'auteure, Clyde Chabot, place au centre de la

réflexion le terme d'écriture. Pour elle, le texte est toujours présent mais il n'est plus au cœur

de l'écriture théâtrale. Le théâtre contemporain produit du sens, utilise un langage dont le texte

n'est qu'une partie. C'est également l'idée développée par Didier Thibaut :

« dans le théâtre d'aujourd'hui, le texte n'est plus le seul vecteur du sens, c'est-à-dire que ce

qui fait sens aujourd'hui dans le théâtre, c'est tout autant la scénographie, la musique et une

chose très forte qui fait sens aujourd'hui pour moi c'est la présence des corps, la question du

corps »

Sur la même idée, Clyde Chabot donne un nouveau sens au mot « écriture » : il ne s'agit plus

seulement dit-elle d'un « système de signes visibles, tracés, représentant le langage parlé ».

Elle distingue donc l'écriture qu'elle nomme « textuelle » de l'écriture qu'elle nomme « de

plateau ». Cette écriture de plateau désigne tous les autres vecteurs de sens décrits par Didier

Thibaut ci-dessus. Cette écriture de plateau, c'est l'ensemble de actes de la mise en scène. Ces

écritures doivent être innovantes dans leur manière de produire du sens. Et c'est la force de

l'innovation qui fera appartenir ces écritures à ce que Clyde Chabot désigne comme

contemporain, à savoir ce qui est « novateur, expérimental, en recherche ».

Si nous rapprochons ici le contenu de cette revue et les propos tenus par Didier Thibaut, ce

n'est pas car Didier Thibaut a fait lui-même référence à cette revue mais c'est que les idées

semblent se recouper et être significatives d'un état d'esprit du théâtre contemporain

aujourd'hui. En effet, cette mouvance, qui place au cœur de la réflexion la pluralité des sens

du terme « écriture » semble être répandue et, institutionnellement, très représentée chez les

critiques et les chercheurs. En témoigne, la mobilisation dans cette revue d'un grand nombres

d'artistes ou d'auteurEs qui rencontrent du succès aujourd'hui mais aussi le fait que, comme le

pointe Gérard Noiriel, cette revue soit soutenue financièrement par « le ministère de la

culture », « le conseil régional d'île-de-France », « le conseil général des Hauts-de-Seine » et

62 Théâtre/Public, N°187 « Théâtre contemporain : écriture textuelle, écriture scènique », Dossier conçu et réalisé par Clyde Chabot, CDN de Gennevilliers, janvier 2007

63 Noiriel (G.) chapitre III « Créateurs de plateaux et bricoleurs d'avenir » in Histoire Théâtre Politique

39

par «la ville de Gennevilliers »64. On peut donc penser que les propos tenus dans cette revue,

qui recoupent sur un grand nombre d'idées ceux tenus par Didier Thibaut lors de notre

entretien, illustrent une certaine mouvance dans le théâtre contemporain aujourd'hui.

1. Une philosophie du théâtre qui place la forme au cœur de la réflexion

Qu'est-ce qui compte alors dans ce théâtre pour Didier Thibaut? Le théâtre a t-il un rôle

particulier? Comment le remplit-il?

Il apparaît clairement dans le discours de Didier Thibaut que le théâtre est là pour déranger.

Déranger une vision du monde, déplacer des cadres de perception. Didier Thibaut oppose un

théâtre qui dérange à un théâtre qui conforte le spectateur dans sa vision du monde et dans ses

préjugés. Cet autre, ce support culturel qui conforte l'individuE dans son paradigme sans

l'interroger, c'est, selon lui, ce qui est diffusé dans le « théâtre de boulevard » ou dans la

majorité des « programmes de télévision ». Contrairement à ces démarches, le but de Didier

Thibaut lorsqu'il programme des pièces, c'est que le public sorte « bousculé, troublé,

dérangé ».

« l'idéal, le rêve, le fantasme du programmateur c'est les petits cailloux que vous allez semer

dans la tête du spectateur »

Les spectacles doivent surprendre ou du moins ne pas laisser indifférents les

spectateurs.trices. « Soit parce qu'ils ont détesté, soit parce qu'ils ont adoré (…) j'aime surtout

les spectacles qui dérangent, qui ne font pas consensus ». Ce dérangement ne doit pas passer

forcément par le malaise, il peut passer par le rire, le trouble ou la stupeur, explique Didier

Thibaut. Ce qui est absolument déterminant dans le fait qu'un spectacle puisse bousculer le.la

spectateur.trice ou non, c'est l'univers de l'artiste. L'univers de l'artiste est central dans la force

de la pièce de théâtre ou de la chorégraphie choisies par Didier Thibaut. L'univers de l'artiste

doit être hors-du-commun. Il doit rechercher l'inouï, et c'est cet univers singulier qui va

toucher le.la spectateur.trice. Pour produire cela, l'artiste lui-même doit avoir une sensibilité

hors-du-commun. Tout le monde ne peut pas être artiste, et Didier Thibaut opposera alors les

artistes et les « artisans ». Les artistes, eux, sont en perpétuelle recherche. Cette vision se

rapproche alors de la vision exprimée par Clyde Chabot lorsqu'elle essaie de mettre des mots

sur ce qui rassemble tous ces artistes, ces nouveaux.elles écrivainEs de plateaux : « certes, ils

64 Noiriel (G.), Histoire Théâtre Politique, Agone, 2007, p 86

40

sont différents les uns des autres, mais leurs écritures ont en commun de chercher l'inouï et de

se définir comme « expérimentales », le mot « expérimental » étant pris ici au sens que lui

donne Michel Corvin : 'exigence d'innovation systématique par subversion de tous les

codes'. ».

Dans la même logique, l'artiste doit produire et ne peut reproduire s'il veut provoquer ce que

Didier Thibaut appelle l'alchimie :

« le théâtre c'est une sorte de surprise. Ce qui fait qu'à un moment donné le miracle va se

produire, que l'alchimie va se produire c'est parce que le metteur en scène il réussit à faire du

théâtre. A faire qu'avec les moyens extrêmement limités qui ne sont pas le cinéma, qui ne sont

pas la télévision, qui ne sont pas le numérique etc, il arrive à créer un effet de trouble et de

surprise par le décalage, par le geste inattendu, quelque chose qui d'un seul fait appel à

l'intelligence du spectateur, fait appel à son humour, à son éveil, à sa conscience quoi. »

Cette alchimie, comme nous l'avons vu, ne se produit pas par le biais du texte. Mais

c'est un tout, un tout que Didier Thibaut rassemble sous le terme de « la forme ». Lorsqu'au

cours de l'entretien nous évoquions la possibilité d'une distinction entre le fond et la forme,

« EB : cette petite chose qui va faire que ça dérange le public, vous pensez qu'elle vient de la

forme artistique ? Est-ce qu'elle vient aussi du message qui peut être porté par la pièce ? »,

Didier Thibaut sera catégorique : ce qui importe au théâtre c'est la forme, pas le fond.

La recherche de l'artiste est avant tout une recherche de la forme la plus novatrice possible. Le

fond n'entre pas en considération dans la recherche artistique. Selon Gérard Noiriel, cette

façon d'envisager la création théâtrale aujourd'hui se rapproche sur certains aspects de la

vision d'un art possédant sa propre fin, c'est-à-dire l'idée de « l'art pour l'art » initialement

théorisée par Théophile Gautier. L'art n'a pas de fin autre que l'art lui-même et il contient et

érige ses propres règles. On ne peut juger l'art que d'un point de vue artistique.

Par conséquent, la question de la distinction entre le fond et la forme ne se pose plus pour ces

artistes. Cette thématique, qui distingue l'éthique de l'esthétique et tente de les concilier ne fait

plus sens. Les débats et divergences entre les artistes portent alors essentiellement sur quelles

formes privilégier. Gérard Noiriel distingue deux grands pôles au sein de ce courant : d'une

part « les littéraires qui défendent le théâtre poétique » (incarné aujourd'hui par Valère

Novarina, auteur dont les textes étaient présents à la Rose des vents avec Sortir du corps de

Cédric Orain) et d'autre part « les techniciens de l'image qui minimisent l'importance du

texte ». Plutôt que comme deux catégories distinctes, telles que décrites par Gérard Noiriel, on

41

peut voir ces postures comme deux pôles d'un même éventail sur lequel se situerait

graduellement les différents artistes. Il semble que beaucoup d'artistes de ce théâtre

contemporain sont à la recherche d'un équilibre entre ces deux conceptions. C'est le cas de

Julie Bérès artiste programmée à la Rose des Vents pour son spectacle Notre Besoin de

Consolation. Cette écrivaine de plateau écrit dans la description de sa démarche artistique :

« Je n’oppose pas un « théâtre visuel » à un « théâtre de texte ». Je tente de lier des éléments

polysémiques, où le texte apporte des éléments de sens sans en être le seul dépositaire »65.

L'importance de la forme est liée à l'importance de tous les dispositifs scéniques qui vont être

mobilisés pour marquer l'univers de l'artiste. Comme nous l'avons vu plus haut, il s'agit de

faire appel plus ou autant aux lumières, aux sons, aux costumes, aux objets, aux maquillages

ou même aux mots en tant que tels (c'est-à-dire pas forcément aux signifiés qui leur sont

attribués mais aussi à comment ils résonnent dans l'espace scénique) qu'au texte en tant que

porteur de sens. En mobilisant toutes ces choses, il s'agit de toucher le/la spectateur/trice dans

sa fragilité, son intimité, sa sensibilité. « Je cherche à lier les choses par l’intime, par le

subjectif plutôt que par le rationnel » dira Julie Bérès lors de cet interview.

Didier Thibaut, quant à lui, parle d' « épique de l'intime ou d'épique de l'individuE isoléE ».

Il s'agit donc de quitter le domaine du rationnel et des grandes idées. Pour tendre vers quoi ?

Vers l'irrationnel, le subjectif et l'individuel. Cet « intime », terme que l'on retrouve à

plusieurs reprises, et dans le discours de Didier Thibaut et dans les écrits publiés dans cette

revue Théâtre/Public sur les écritures contemporaines, est lié à une conception de l'art qui doit

se dégager des considérations politiques et sociales pour affirmer une certaine liberté. Dans la

revue Théâtre/public, Joël Pommerat développe cette idée d'artiste génie, hors-du-commun

doté d'une sensibilité libre et donc très singulière : « dans mes pièces, il est impossible

d'identifier d'où je parle (…) car je triche. J'invente mes propres règles du jeu ».

Cependant, et c'est là une grande différence avec les théoricienNEs de l'art pour l'art,

cette logique n'amène pas à dire que l'art est détaché totalement du réel mais que l'art propose

un point de vue sur le réel c'est-à-dire sur les faits sociaux, la politique, l'Histoire : « L'art

entend proposer un point de vue sur l'Histoire »66.

Le théâtre peut donc avoir et a la plupart du temps une portée politique, un regard

« révolutionnaire » sur un aspect de la société. Didier Thibaut, malgré le fait qu'il mette de

côté dans sa philosophie du théâtre, la question du politique, convient que le théâtre peut

65 Interview réalisé par Manuel Piolat Soleymat, publié dans Terrasses, le portail des arts vivants en France : http://www.journal-laterrasse.fr/julie-beres-1-3177.html

66 Joël Pommerat cité in Noiriel. p.91

42

porter un message :

« Du coup l'idée pour vous qu'une pièce de théâtre puisse porter un message politique c'est

plausible? 00:45:18-1

oui bien sûr, bien sûr. Mais ça doit d'abord être une œuvre avant d'être un discours, c'est-à-dire

que ce qui fera la force de ce discours c'est encore une fois la forme, pas le fond, pas le

discours lui-même. Ce qui créera la réceptivité au discours politique, c'est pas la virulence du

propos ou la pertinence du propos, c'est la pertinence de la forme dans ce propos. Sinon on

n'est pas au théâtre on est dans la conférence ou... 00:46:08-8 »

C'est sur ce point que ma question sur la distinction entre le fond et la forme comporte une

limite. En effet, la question posée de cette façon n'entre pas dans la logique de Didier Thibaut

car pour lui la problématique se pose autrement : la forme contient le fond. Le fond découlera

forcément de la forme. Lorsque la forme est sincèrement innovante, le propos ne peut que

l'être également. Si une forme est révolutionnaire, le propos ne peut être réactionnaire alors

que l'inverse est non seulement possible mais courant.

« EB : Et est-ce que ça vous est déjà arrivé qu'un spectacle vous plaise esthétiquement, sur la

forme, et que le message qui est porté dedans vous déplaise?

DT : silence...Non parce que pour moi dès lors que la forme...je pense qu'en art, l'essentiel

c'est la forme. C'est pas ce que ça raconte. Je pense que dès lors qu'une forme est innovante,

dès lors qu'elle est singulière, la force de son propos l'est aussi. Par contre ça m'est souvent

arrivé d'être devant un spectacle bien pensant et d'être profondément dérangé par la forme. De

trouver la forme profondément réactionnaire voire dangereuse »

Cette idée rejoint l'analyse de Gérard Noiriel, dans laquelle il explique que dans le paradigme

porté par ces « créateurs de plateau », « il suffit de travailler sur les formes pour être

politiquement subversif »67. Ainsi il cite un metteur en scène qui présente ses créations comme

un processus « d'auto-libération, de déchaînement des choses convenues »68. Il rapporte

ensuite les propos de Clyde Chabot qui conteste l'idée d'une « expérimentation comme une

recherche gratuite, sans impact politique et social. Comme s'il s'agissait d'une exploration

esthétique pure »69. Pour elle « sortir du cadre, déplacer des formes existantes, c'est aussi

67 Noiriel p. 9368 Ibid69 Ibid

43

modifier le cadre mental, augmenter l'acuité de la perception, élargir la sphère des possibles.

(…) on peut penser, comme Heiner Müller, qu'un théâtre militant manque sa cible s'il veut

toucher trop directement. Lorsque le message est parfaitement clair, on n'est plus à l'endroit de

l'art, qui se caractérise par le trouble, mais de l'information qui simplifie, nivelle, réduit sa

complexité. »70

On retrouve là l'idée contenue dans les propos de Didier Thibaut présentés plus haut, si le

message est trop clair, nous ne sommes plus dans le domaine de l'art et du théâtre mais dans le

domaine du pédagogique (de la conférence) ou du politique.

2. Cette philosophie du théâtre est-elle compatible avec un théâtre qui aborde la question du genre?

Rien n'empêche qu'une pièce de théâtre qui traite, de notre point de vue, de la question

du genre, soit programmée à la Rose des Vents. En effet, des pièces de théâtre jugées

innovantes par ces critères, c'est-à-dire jugées expérimentales sur le plan de l'écriture scénique

peuvent traiter de la question du genre. Et c'est le cas puisque cette thématique questionne

également les artistes contemporains. C'est d'autant plus vrai, qu'une grande partie des pièces

dont le propos est principalement axé sur la question du genre se déroule sous la forme de

performance. La forme « performance » est une forme que l'on retrouve dans des pièces

programmées par la Rose des Vents et dans des pièces d'artistes qui travaillent sur la question

du genre.

Mais si l'on retrouve des spectacles qui abordent la question du genre, ils ne proposeront pas

un traitement « engagé » de la question. On trouvera principalement une problématisation de

la question du genre d'un point de vue individuel, du point de vue par exemple d'un artiste qui

aura souffert de l'enfermement du corps dans l'une de ces catégories (mâle-femelle). Il faudra

alors que la démarche artistique convienne aux critères, c'est-à-dire qu'elle possède une forme

singulière et que le message ne soit pas jugeable comme étant trop direct, ce qui reviendrait

alors à un message politique. En fait, tout repose dans la présentation de l'œuvre. Un même

spectacle qui traite de la question du genre pourrait être présenté totalement différemment par

la Rose des Vents ou le Théâtre Massenet par exemple. Au Théâtre Massenet, on peut

imaginer que le propos de la pièce (dans le cadre d'un festival sur cette thématique par

exemple) sera mis en avant tandis qu'à la Rose des Vents, la forme sera mise en avant et le

70 Ibid

44

propos pourra être non relevé voire non perçu. On peut en effet, noter le fait que Didier

Thibaut et James-Phil Zanga, d'après les discours qu'ils ont tenus lors des entretiens,

pourraient apprécier un même spectacle mais pour des raisons différentes. L'un pourra

l'apprécier car il relève de l'épique de l'intime tandis que l'autre l'appréciera pour sa faculté à

soulever (d'une manière artistique qui correspond à ses critères de jugement) des

questionnements politiques.

Ce qui fait, entre autres, que l'on peut retrouver des spectacles qui traitent de la question du

genre au Théâtre Massenet et à la Rose des Vents c'est que la question du corps est, dans le

théâtre qui traite de la question du genre sous forme d'une performance et le théâtre proposé à

la Rose des Vents, centrale. De son côté, Didier Thibaut évoque à plusieurs reprises la

question du corps :

« pour moi dans le théâtre d'aujourd'hui, le texte n'est plus le seul vecteur du sens, (...) et une

chose très forte qui fait sens aujourd'hui pour moi c'est la présence des corps, la question du

corps. »

La pluridisciplinarité qui caractérise la Rose des Vents favorise aussi l'optique qui met en

avant le corps comme élément phare de rapport au monde :

« une des raisons pour lesquelles je suis attentif aux mélanges des formes entre la danse et

théâtre c'est justement cette question de remettre le corps, le corps de l'acteur, le corps en

général au cœur de la représentation ».

Notamment, lors de nos questions concernant le genre, Didier Thibaut axe ses pistes de

réflexions sur le rapport entre la question du genre et la question des corps. En effet, la

réaction de Didier Thibaut face aux questions reliant le théâtre et le genre a été une restriction

sur le traitement esthétique du corps. Par exemple, lorsque nous demandions s'il porte un

regard particulier sur les représentations des masculinités et des féminités qui sont données à

voir sur le plateau, il en est venu à une réflexion sur le corps nu de l'acteur sur le plateau.

Ainsi, des pièces qui abordent la question du genre pourront aisément être

programmées à la Rose des Vents. Didier Thibaut évoque après réflexion (car pour lui, la

question du genre ne caractérise pas cette pièce) un spectacle qui sera programmé la saison

prochaine :

« on décide pas à priori, tiens je vais faire une programmation sur cette thématique là. ça j'y

crois pas. (…)mais...on peut très bien programmer, par exemple la saison prochaine, ... enfin

voilà c'est un comédien qui a changé de sexe, enfin qui travaille là-dessus sur son

45

spectacle puisque tous ses spectacles sont toujours autobiographiques donc il raconte

dans des formes très poétiques, pas du tout...il raconte pas avec des mots, il raconte avec

des images ce passage, ce changement de genre. Mais j'ai pas choisi le spectacle sur le

propos »

On voit bien ici (passage en gras) où est le problème pour Didier Thibaut. Le problème serait

de programmer un spectacle sur le genre, qui parle trop directement du genre, avec des mots

et donc avec un message clair. Cette forme de spectacle est placée par Didier Thibaut dans la

catégorie (péjorativement connotée) du théâtre politique ou pédagogique ou alors dans la

catégorie de la conférence. Les phrases prononcées avant et après les passages en gras montre

bien cette distinction. S'il y a des pièces de théâtre qui abordent la question du genre, le fait

qu'elles l'abordent n'aura en rien déterminé le fait qu'elles soient programmées.

Plus simplement, le fait que la pièce traite de ce sujet n'influera pas en tant que tel sur les

choix de programmation, et même, le fait qu'elle traite de ces sujets peut ne pas être perçu

comme cela. En effet, lorsque je demande à Didier Thibaut si la thématique du genre – reliée

auparavant à une définition qui permet de penser le genre comme une construction

idéologique et politique – est une thématique qui touche le théâtre aujourd'hui et qui concerne

de près ou de loin le théâtre qu'il programme, il ne comprend pas le sens de ma question et dit

ne pas pouvoir y répondre. Il évoque alors des initiatives de théâtre qui ont organisé un

festival autour de ces thématiques mais ne me parle pas immédiatement de pièces qui traitent

de cela dans son propre théâtre (alors que pour moi il y en a). Didier Thibaut exprime alors

son profond désaccord avec une démarche qui organiserait une série de spectacles en fonction

de thématique sociétales.

C'est d'ailleurs seulement après un grand nombre de nos questions qui questionnent les liens

théâtre et genre qu'il me donnera cet exemple du spectacle d'un comédien qui parle de son

changement de sexe.

Cette incompréhension est en partie, selon notre analyse, due au fait que son regard sur

une œuvre d'art est détaché de toute considération politique. Comme nous l'avons vu plus

haut, c'est la forme qui fixera la valeur politique et esthétique d'un geste artistique,

uniquement la forme. Nous pouvons alors supposer que les questions sur le genre que nous

avons posé lors de notre entretien, reviennent, dans son paradigme, à transposer des

thématiques sociétales dans le domaine de l'art. Cette transposition se fait avec un regard

politique, or ce regard n'est pas pertinent lorsqu'il se porte sur une œuvre artistique. Comme

46

nous l'avons vu plus haut, cela ne veut pas dire que l'art est un domaine complètement coupé

du reste de la société, isolé des thématiques sociales et politiques qui traversent la société et

les artistes. Mais c'est que le regard artistique contient en lui-même une pensée politique. Le

politique ne peut pas traiter de l'art mais par contre l'art peut devenir politique. C'est ainsi que

nous pouvons comprendre l'idée qui dit qu'une œuvre révolutionnaire par la forme l'est aussi

dans son propos.

Cependant, on peut penser que cette opinion n'est tenable que dans la mesure où notre

regard de spectateur.trice sur le propos est plus laxiste que notre regard sur le forme. En effet,

dans le cadre de l'analyse des pièces en terme de représentations des masculinités et des

féminités qui sera exposée en deuxième partie, nous aborderons le spectacle Notre besoin de

consolation de Julie Bérès en portant sur cette pièce un regard particulier sur les

représentations des masculinités et des féminités et donc sur contenu de la pièce, sur les

propos tenus dans cette œuvre artistique. Dans notre perspective, cette pièce porte une opinion

claire sur la bioéthique. Les aspects de cette science mis en avant dans le spectacle, sont les

aspects qui, en général dans les débats sur les tenants et aboutissants de cette science, ont

traits au dangereux. La crainte exprimée quant à l'éloignement de l'homme de sa « nature »,

l'évocation non hiérarchisée de tous les aspects de la bioéthique (dont la procréation

artificielle possible pour deux personnes homosexuelles) représentaient une opinion très

singulière vis-à-vis de la bioéthique, opinion que nous pourrions qualifier dans notre système

de valeurs de profondément réactionnaire.

L'idée alors qu'une forme novatrice et expérimentale, aspect que nous ne remettons pas en

cause dans l'œuvre de Julie Bérès, ne puisse pas contenir un propos réactionnaire nous a alors

paru étrange. Au cours de notre discussion sur le fond et la forme, nous avons donc cité cet

exemple. Le fait que nous avions apprécié la forme mais que le message nous avait déplu ne

paraissait pas compréhensible pour Didier Thibaut. Le programmateur a sur cette pièce un

tout autre regard et garde en tête un tout autre souvenir. En effet, lorsque nous avons parlé du

« message », il demanda quel était ce message. Didier Thibaut avait beaucoup apprécié la

forme, mais n'avait pas porté attention au fond et ne l'avait pas retenu comme significatif

(« alors très sincèrement, autant vous avez raison, du moins j'aime beaucoup la forme de ce

spectacle, mais je ne me souviens quasiment pas du fond moi, le discours » 00:35:57-2). Alors

que pour nous, c'est une pièce qui porte un positionnement clair sur les questions de

bioéthique, la vision de Didier Thibaut était que cette pièce ne portait aucun jugement sur

quoi que ce soit. On peut alors penser que dire cela, c'est considérer la pièce dans la seule

47

sphère restreinte de l'esthétique, en-dehors de son contexte historique, social, de

représentation et de réception. C'est aussi placer l'artiste hors du monde des idées. C'est-à-dire

que l'artiste offrirait un regard sur les choses qui serait détaché de toute opinion. Pour Didier

Thibaut si la forme était terrifiante, c'est qu'« elle nous envoyait à des questions terrifiantes

pour l'humanité ». Donc l'artiste a la capacité de sentir ce qui est dangereux pour l'humanité

dans son entier sans pour autant porter un jugement. Cependant, il semble difficile de

concevoir l'existence d'un consensus général qui traverserait les différentes philosophie et

opinions politiques sur ce qui est bon ou mauvais pour l'humanité. De plus, si l'on imagine

qu'il y a des dangers objectifs pour l'humanité, pourquoi l'artiste serait plus à même qu'un

autre de percevoir ce danger ? Il semble que dans le discours tenu par Didier Thibaut, l'art et

l'artiste sont placés sur un piédestal. Et le fait que l'artiste soit, un être social, inscrit dans le

monde quotidien semble être éludé. Dire qu'un artiste peut présenter un sujet d'une manière

objective ou du moins non « partisane », c'est, on peut supposer, oublier que sa position

sociale l'amène à avoir une opinion sur les choses, opinion qui est alors une opinion politique.

Il s'agit pour nous de resituer l'artiste dans la société et ne pas considérer son regard comme

un regard au-delà des considérations partisanes, au-delà des opinions. L'artiste vit dans le

même monde que toutE autre individuE, il.elle a, par conséquent une position sociale qui

l'amène à avoir un point de vue particulier sur le monde, un point de vue qui contient autant

ses limites que celui d'un.e autre citoyen.ne. Le fait qu'il.elle adopte une forme artistique pour

s'exprimer ne fait pas de cette expression une expression détachée du monde des idées. Sur ce

point, nous pourrions faire la même référence à Donna Haraway que celle faite dans l'analyse

de Yannic Mancel71.

On peut également penser que c'est cette même conception d'un domaine de l'art à part de la

société, d'un artiste à part de la société qui fait que la question de la parité n'est pas pertinente

pour Didier Thibaut dans le domaine de l'art. Lors de l'évocation des questions soulevées par

le collectif H/F, Didier Thibaut a d'abord approuvé le constat pour les postes de directions et

d'administration des théâtres. Cependant, pour les chiffres concernant les metteurs-ses en

scène et auteurEs, il s'est dit très sceptique quant à la réalité de ces chiffres :

« ça c'est le rapport du ministère. Je serais curieux de voir la réalité. Je suis un peu sceptique

sur ces chiffres 00:55:36-5

ah oui? 00:55:36-5

71 Donna Haraway. « L'objectivité s'affirme comme une affaire d'encorporation particulière et spécifique (…) Seule la perspective partielle assure une vision objective. » Par « perspective partielle » l'auteur entend réhabiliter l'importance de la position occupée par celui qui porte un regard sur le monde : « tous les yeux, y compris nos propres yeux organiques, sont des systèmes de perception actifs, intégrés dans des traductions et des manières particulières de voir, c'est-à-dire, des manières de vivre ».

48

oui c'est le rapport de Reine Prat 00:55:36-5

oui 00:55:40-3

que j'ai lu. voilà c'est pareil, moi je ne...ça serait absurde d'introduire des quotas en la matière.

Je suis violemment contre. Autant en termes politiques, qu'il y ait 50 % de femmes députées,

ça me...mais autant, artistiquement, c'est pas plaidable de dire on fait des quotas de femmes et

d'hommes quoi. enfin. ou d'auteurs ou de... 00:56:15-2

Comme ça été le cas lors de l'entretien avec Yannic Mancel, à l'évocation des chiffres du

rapport Reine Prat, les deux programmateurs soulèvent la problématique des quotas. Or, citer

ces chiffres, ça n'est pas forcément demander des quotas en la matière. Didier Thibaut ici,

après évocation de ces chiffres, s'oppose à cette démarche qu'il voit comme la prise en compte

de critères non-artistiques pour définir ce qui pourrait être programmé dans tel ou tel théâtre.

Nous évoquons alors l'idée que la question n'est pas tant les quotas qu'une réflexion sur les

préjugés sexistes présents dans le monde de la culture.

« EB : après je pense que ce qu'ils demandent aussi c'est que l'on questionne nos préjugés

pour que ensuite, le fait que les metteuses en scène soient moins aidées pour leur création et

tout ça soit remis cause. 00:56:26-2

DT : Mais je ne suis pas sûr du tout que les metteuses en scène soit moins aidées...enfin

je...dès lors qu'on franchit...autant dans l'égalité sociale, dans l'égalité salariale, je l'entends,

autant, effectivement à l'évidence, il faut s'interroger sur les préjugés, effectivement est-ce

qu'il y a, est-ce que le regard des programmateurs est influencé par leurs préjugés enfin par

des préjugés je...très sincèrement je préfère travailler avec des femmes qu'avec des

hommes...je veux bien regarder ma programmation, enfin je ne sais même pas d'ailleurs, ma

programmation à la Rose des Vents, mais je pense qu'il y a beaucoup de... 00:57:24-0 »

On voit très bien dans ce passage que la problématique qui surgit lorsque l'on introduit la

thématique des inégalités hommes-femmes dans le théâtre est liée au fait que le domaine de

l'art est placé, dans ce paradigme, dans une autre sphère que le domaine politique ou le monde

du travail.

Par ailleurs, après avoir regardé la programmation, Didier Thibaut qualifiera lui-même sa

saison de « très macho ». En effet, si l'on prend les pièces de théâtre présentées dans la saison

de la Rose des Vents (hors festivals) on trouve 100% d'auteurs et 83,34% de metteurs en

scène. Le festival « Next » présentera des chiffres similaires avec 80% de metteurs en scène.

49

Ces chiffres sont contrastés par ceux du festival « Prémices » comme nous l'avons développé

plus haut avec l'exemple du Théâtre du Nord. L'analyse de la situation est donc identique à

celle faite plus haut pour le Théâtre du Nord.

En résumé, la question du genre en tant que telle est difficile à déceler et étudier

indépendamment dans la démarche intellectuelle de Didier Thibaut. Cela n'empêche pas que

des pièces programmées à la Rose des Vents abordent la question du genre. A cette différence

près que cela ne sera pas mis en avant comme tel puisque considérer une œuvre d'art par

rapport à une thématique sociétale n'est pas une option pour la Rose des Vents. L'art et l'artiste

appartiennent à un monde particulier, qui est régi par ses propres règles. La forme est tout, le

reste n'est que secondaire. Par conséquent parler de théâtre politique est un non-sens.

De la même manière, se préoccuper de questions sociales, ici les inégalités hommes-femmes,

dans le milieu de la culture, c'est transposer les problèmes du monde matériel dans le monde

artistique. Or c'est également non envisageable pour Didier Thibaut, puisque cela reviendrait à

réguler l'art par des questions politiques. Ce qui ressort de cet entretien c'est l'affirmation de

l'art comme domaine à part. Non pas qu'il ne puisse avoir des retentissements sociaux ou ne

puisse être touché par les faits sociaux, mais il a un langage propre qu'il s'agit de considérer

indépendamment de tout autre langage.

D. Un théâtre qui travaille (avec) le réel. Catherine Gilleron pour Théâtre de la

découverte à la Verrière.

L'entretien avec Catherine Gilleron s'est déroulé dans la salle de réunion de la Verrière.

Catherine Gilleron, a commencé l'entretien, pour répondre à ma question sur la manière de

concevoir la programmation et le sens qui y est mis, par me retracer l'histoire de la compagnie

et du lieu. En effet, c'est l'histoire du lieu (la Verrière) et surtout l'histoire de la compagnie (le

Théâtre de la Découverte) qui déterminent leur manière de programmer. Ce lieu n'a pas

d'existence juridique en tant que telle. C'est la compagnie de théâtre, le Théâtre de la

Découverte, qui porte le statut juridique, à savoir association loi de 1901 qui lui permet de

recevoir des subventions. C'est donc à l'origine une compagnie de théâtre dont fait partie

l'actuel directeur, Dominique Sarrazin, à qui on a proposé un lieu et qui a accepté car elle

avait besoin d'un plan de travail, d' « une boîte à outils ». La troupe a fait le choix de partager

« cette boîte à outils » en permettant à d'autres troupes de pouvoir faire des résidences de

travail et des représentations. La programmation est donc déterminée par la volonté dans ce

50

théâtre, de permettre à d'autres troupes de venir jouer, mais la structure n'a pas les moyens

d'acheter des spectacles pour les programmer : « on est pas un lieu au sens lieu d'accueil et de

programmation parce qu'on en a pas les moyens ». #00:01:37-2# . Le lieu a été ouvert en

1992. C'est donc un lieu qui a maintenant 20 ans. L'idée est de faire de ce lieu, un lieu inscrit

sur le territoire, c'est-à-dire un lieu ouvert « à d'autres choses, à des rendez-vous, à des

réunions, à des rencontres, des débats, des choses qui soient un petit peu ouvertes, au-delà,

j'allais dire de l'activité théâtrale artistique pure même si pour nous c'est très important, on va

dire un peu un lieu d'engagement cit...enfin un lieu citoyen puisque installé comme ça dans

une rue, dans un lieu qui n'était pas un théâtre au début »

La DRAC, la région puis le département et la ville subventionnent ce lieu mais c'est au

Théâtre de la Découverte que ces subventions sont versées pour que la troupe fasse vivre ce

lieu. Jusque récemment, le Théâtre de la Découverte à la Verrière était une structure

conventionnée par l'Etat, elle disposait donc d'un contrat qui la liait pour une durée de trois

ans, renouvelable. Cependant la Verrière a été déconventionnée au motif que « puisque le

Théâtre de la Découverte est une équipe artistique et que les règles aujourd'hui des

conventions pour les équipes artistiques c'est beaucoup de diffusion nationale voir

internationale, vendre beaucoup de spectacles au réseau institutionnel et que nous nous

n'avons plus cela, effectivement depuis plusieurs années et bien nous n'avons plus le droit à

être conventionnés. ». Le Théâtre de la Découverte à la Verrière dispose donc aujourd'hui de

conventions avec l'Etat mais pour une année seulement, ce qui place la structure dans une

situation d'insécurité. En revanche, le lieu reste conventionné par la Région et la Ville.

La programmation se fait en équipe à partir de leur réseau, des rencontres et des

dossiers de propositions de projets reçus. L'équipe porte une attention particulière à la

démarche artistique plus qu'à la pièce à proprement parlé. C'est un lieu dédié au théâtre, plutôt

aux troupes et plutôt aux écritures contemporaines. Écritures contemporaines entendues

comme des écritures qui s'interrogent sur : « Qu'est-ce-qui se passe ici maintenant, autour de

nous et comment le théâtre en prend, prend en compte ces préoccupations? Comment l'art,

l'écriture, les artistes prennent en compte ces préoccupations? ».

1. Le réel/l'irréel, le fond/la forme.

La discussion avec Catherine Gilleron a été marquée par les questionnements que

peuvent provoquer la question de l'agencement entre le réel et l'irréel. Comment le théâtre se

préoccupe du réel ? A quels degrés ? Sous quelle forme ? Dans son discours, elle semble

51

distinguer trois façons différentes d'envisager le rapport du théâtre au réel. Ces trois grandes

catégories se distinguent dans leur façon d'appréhender, de s'imprégner du réel et dans la

façon de l'agencer avec l'imaginaire, l'onirique, l'artistique. Elle part du principe que les

artistes, qu'ilLEs le veuillent ou non sont de toute façon marquéEs par le réel. En effet, la

figure de l'Artiste détachéE des conditions matérielles d'existence est, selon Catherine

Gilleron, un mythe. Tout artiste s'inspire forcément du réel pour créer.

Cependant il peut y avoir différentes manières de le faire.

Tout d'abord, Catherine Gilleron évoque une démarche artistique qui refuserait ou du

moins mettrait de côté le réel. « C’est vrai que certains artistes ne veulent pas travailler le réel.

Ils sont travaillés par le réel et ils ne veulent pas travailler le réel ». IlLEs recherchent alors à

produire de l'irréel de l'onirique et parfois, mais pas toujours, en affirmant que ça n'est que de

l'irréel, de l'onirique et que l'on peut analyser dans leur objet artistique une vision particulière

du réel. Catherine Gilleron exprime alors l'importance que ce type de démarche existe mais

insiste sur le fait que ça ne correspond pas au théâtre auquel elle aspire.

Ensuite, on peut, du discours de Catherine Gilleron, dégager une autre catégorie de

démarche artistique : celle où l'artiste accepte qu'il est travaillé par le réel. Il est, de sa

position, traversé par le réel, traversé par ce qui l'entoure. Il s'agit alors pour lui de parler du

réel qui le concerne en tant que personne, du réel lié à sa condition (par exemple pour les

thématiques qui nous intéressent : condition d'individuE homosexuelLE dans une société

hétéro-centrée, condition de femme dans une société patriarcale, condition de

consommateur.trice dans une société capitaliste, condition d'artiste dans une société...). Par

conséquent l'artiste dit « « oui, moi je suis travailléE par le réel et donc quand j’écris, quand je

parle, ou quand je fais, je n’ai pas besoin d’aller en plus interroger le réel. M’y baigner,

dedans. ». Il ne s'agit pas de se pencher sur un autre réel, de s'y baigner pour en témoigner

mais il s'agit de rapporter sur scène son vécu à soi, sa perception propre, sa réalité. Cette

démarche peut se traduire par des formes artistiques basées sur le récit de vie, le témoignage

mais aussi beaucoup d'autres formes. Ce rapport au réel est souvent basé sur l'idée que

l'expérience d'un être humain si elle est restituée sur scène avec profondeur et sincérité a de

fortes chances de résonner dans le réel et la réalité des spectateurs. On a donc un agencement

avec le réel qui se fait de cette manière : l'artiste est nourri et se nourrit du réel et plus

précisément de sa réalité (on retrouve là l'idée des « artistes éponges » de Yannic Mancel) et

ce récit, ce témoignage individuel peut résonner dans le réel et la réalité du spectateur présent

dans la salle.

Enfin, la troisième manière d'agencer le réel et l'artistique, c'est de chercher à

52

témoigner d'un réel qui n'est pas forcément celui de l'artiste. Par conséquent, cet agencement

implique que l'artiste aille s'immerger, s'imprégner d'un milieu social sur lequel il voudrait

témoigner. Par conséquent l'artiste doit mettre en place un échange étroit avec les gens. Il doit

écouter, discuter, échanger, faire l'effort de comprendre, faire de la collecte de témoignage :

« Parce que nous on dit, « de là où on est, de là où on vit, je sais pas exactement ce que c'est,

alors qu’est-ce que je vais raconter ? » et c’est pas pour autant que je vais m’interdire de

raconter, et je pourrais raconter sans aller les voir. Sauf que moi, je trouve que ma démarche

artistique, elle est d’aller les voir, elle est d’aller raconter à partir de ce que j’ai vécu, ressenti

avec eux. Et que j’ai besoin de m’en nourrir, de ce réel là. Parce que c’est pas un réel que je

connais, et ça m’intéresse pas de parler que du réel que je connais. (...)»

Ce rapport au réel peut correspondre en partie à ce que l'on désigne communément sous le

terme de « théâtre documentaire ». Le terme « théâtre documentaire » englobe les démarches

artistiques qui cherchent à avoir une matière première profondément ancrée dans le réel pour

le script (témoignages, articles de journaux, archives, rapports gouvernementaux,...). Le

théâtre documentaire tel que décrit par Catherine Gilleron, avant d'être une forme artistique,

est une démarche artistique.

Cette démarche artistique est celle dont l'équipe du Théâtre de la Découverte à la Verrière

semble être le plus proche. En effet, le Théâtre de la Découverte à la Verrière porte un intérêt

particulier aux démarches artistiques inscrites dans un territoire. Ces démarches d'artistes qui

vont travailler avec un milieu particulier sont soutenues par la Verrière lorsque celle-ci

favorise ces artistes dans ses choix de programmation.

Dans cette démarche, il ne s'agit pas pour l'artiste d'analyser le milieu comme un sociologue

par exemple le ferait. Lorsque nous interrogerons Catherine Gilleron sur la posture qu'elle

adopte lorsqu'elle réalise son travail dans le foyer de travailleurs immigrés, elle sera

catégorique : c'est une posture d'artiste. Elle y va avec sa sensibilité artistique au risque de

faire des choses « que les sociologues ne supporteraient pas ». La démarche de l'artiste qui va

se plonger dans un milieu pousse l'artiste à accepter un temps de se plonger dans la réalité

matérielle de l'existence d'un Autre. En se plongeant dans la réalité matérielle, il laisse un

temps de côté l'irréel, l'imaginaire, l'onirique. L'artiste va devoir faire un travail important

avec la matière et la transformer en un objet artistique. Du langage quotidien, il va faire un

langage artistique. A partir de là, de la matière, les formes artistiques peuvent être multiples et

c'est cela qui préoccupe Catherine Gilleron. Elle voudrait en effet que l'on s'interroge sur la

façon de restituer artistiquement un travail réalisé à partir du réel. L'interrogation de Catherine

Gilleron sur l'agencement entre la matière première et la forme artistique transparaît à travers

53

les projets qu'elle souhaite mettre en œuvre. L'an prochain, elle souhaite lancer différentes

initiatives qui pousseront les artistes, les universitaires et les citoyens en général à s'interroger

sur cette question du : « collectage de paroles, du lien entre théâtre et réel, entre théâtre et

documentaire, entre théâtre et sociologie, entre théâtre et recherche ».

Tout d'abord, elle souhaite rendre visible ces démarches artistiques en réalisant une

plaquette dans laquelle seraient regroupées toutes les démarches artistiques axées sur le

collectage de paroles sur le territoire. Ensuite, il s'agit de s'interroger avec ces artistes « avec

les équipes artistiques qui travaillent sur ce sujet, qui travaillent à partir de collectage de

paroles, qui travaillent à partir du territoire, de notre présence sur des territoires avec des

habitants des populations » : « comment les artistes font résonner ce travail préalable, cette

présence artistique avec des habitants ? Comment le font-ils résonner dans leur objet, qui est

la création artistique... donc quelle résolution esthétique, justement ? Pourquoi ? Pour qui on

travaille quand on fait ça ? ». Catherine Gilleron problématise cette question de la façon

suivante : si on fait du collectage de parole, si on travaille avec une population particulière,

quel sens cela a-t-il de faire un produit artistique qui sera déconnecté du milieu dans lequel on

l'a produit ?

« Les problèmes d’esthétique sont aussi liés à ce que tu portes. La résolution esthétique… Et

d’ailleurs, je veux organiser, à la rentrée, en novembre décembre, une rencontre – parce que

moi-même, dans une autre équipe, je suis amenée à faire un travail à partir des travailleurs

migrants. Ton travail, c’est un travail de collectage de paroles, un travail avec les gens. Et tu

veux créer, artistiquement, quelque chose à partir de ces données-là, mais dans un aller et

retour entre ces gens, et ta création artistique. Il est bien évident que ça pose des questions.(...)

Est-ce que tu dois forcément rendre compte du réel tel qu’il est ? Sans rien apporter, sans

apporter ton regard d’artiste, ou des artistes qui transcrivent la chose ? Non. Mais en même

temps, les gens que tu vas toucher sont pas habitués à certains codes… Ils n’ont pas toutes les

clefs. Donc comment on articule ça ? Comment on articule ce travail avec les gens dans la

résolution esthétique de ça ? Sachant que liée à la résolution esthétique, il y a la résolution

concrète et pragmatique des endroits où tu vas diffuser ça. (...) C’est difficile de trouver cet

équilibre entre une résolution esthétique qui prenne en charge ta conception du travail que tu

fais avec les gens qui sont sur un territoire, et je veux qu’on s’interroge là-dessus et qu’on en

débatte entre différents artistes qui font ça mais qui ont pris des chemins différents pour le

faire, et qui ont des moyens différents pour le faire. Parce qu’aujourd’hui beaucoup de gens

font ce type de travail, beaucoup d’artistes se préoccupent de la Cité, et tous n’ont pas les

54

mêmes réponses. »

Ensuite, elle souhaite organiser des rencontres avec des chercheurs.ses universitaires

autour de ces questions. En effet, le phénomène qui fait que certainEs chercheurs.ses, comme

Gérard Noiriel ou Frédéric Lordon mobilisent des supports culturels, en l'occurrence le théâtre

pour parler de leurs recherches l'interroge. Pourquoi veulent-ilLEs faire cela? En quoi les

questionnements de ces chercheurs.ses qui vont adopter une démarche artistique et les

questionnements des artistes qui font ces démarches préalables de recherches ou d'écoute sur

le terrain peuvent-ils se recouper?

Ces problématiques correspondent donc à ce qu'elle explore dans son travail d'artiste.

Elles correspondent aussi aux questionnements que se pose « l'institution », la compagnie

« Théâtre de la découverte » en portant une attention particulière aux démarches artistiques

qui s'inscrivent dans le territoire et cherchent à « travailler avec les gens ». Ces

questionnements correspondent à sa démarche artistique actuelle : depuis 2008 avec la

compagnie l'Indépendante, elle travaille avec les travailleurs immigrés des foyers de Lille et

des environs et souhaite créer une œuvre artistique à partir des témoignages recueillis.

Il est intéressant de voir que cette démarche est singulière. Elle correspond à une certaine idée

du théâtre, une certaine idée d'agencement entre le réel et l'irréel. Cette démarche semble être

radicalement différente de celle engagée par Didier Thibaut. En effet, ici le fond a une place

centrale alors que chez Didier Thibaut c'est la forme qui est centre.

Dans la même logique, si Didier Thibaut était sceptique quant aux questions théâtre/genre

c'était car ces questions portent sur le fond alors que pour lui l'art doit s'intéresser avant tout à

la forme. En revanche, si Catherine Gilleron présente également un relatif scepticisme vis-à-

vis des questions théâtre/genre, ça n'est pas, comme Didier Thibaut parce que cette question

questionne le fond au lieu de questionner la forme. Si Catherine Gilleron affiche ce relatif

scepticisme c'est car la question du genre comporte selon elle des limites...

2. La question du genre : entre miroir et masque

Lorsque l'on abordera les questions qui lient théâtre et genre Catherine Gilleron aura

une opinion sur ces questions marquantes, et dans sa démarche artistique, et dans son parcours

associatif et militant.

Tout d'abord, Catherine Gilleron rappellera que c'est que une question très importante car dans

55

« nos sociétés aujourd’hui, y compris notre société dite « civilisée, organisée, intelligente et

tout ça » », la réalité c'est un salaire pour les femmes de plus de 20% inférieur à celui des

hommes, c'est les difficultés rencontrées par les femmes sur le terrain, c'est aussi les

difficultés rencontrées par les personnes homosexuelles à faire accepter leur sexualité, les

difficultés rencontrées par les personnes transgenres, etc. Catherine Gilleron témoigne donc

d'une conscience féministe forte. Ces problèmes rencontrés dans la société sont aussi des

problèmes rencontrés dans le milieu culturel et plus précisément dans le milieu du théâtre : les

auteurEs favoriséEs sont majoritairement des hommes, les metteurs.ses en scène favoriséEs

sont majoritairement des hommes, les rôles proposés aux comédienNEs sont trop souvent

sexistes. Sur ce point, Catherine Gilleron témoignera des difficultés rencontrées par ses amies

comédiennes : « Quand tu sors, que t'es une très bonne petite comédienne de 20-30 ans ça va

et après, plus tu vieillis plus ça se restreint. Les rôles se restreignent et t'as 40-45 ans, t'as

beaucoup joué et puis tu es déprimée parce que tu n'as plus d'appel. Et 50 ans alors là je ne te

dis pas. ».

Toute cette conscience féministe est liée à son passé. En effet, je « militais au planning

familial » explique t-elle, j'étais « dans les manifs, j'ai toujours été une militante. Et je lisais

toute la littérature qui est sortie à cette époque là et oh combien importante et intéressante

qu'on pouvait lire depuis Beauvoir jusqu'à...voilà... toutes les femmes qui ont écrit sur la

domination masculine, et les éditions des femmes et tout ce qui est né à cette époque là c'était

hyper-riche. Et j'étais là-dedans ». Catherine Gilleron a donc une expérience d'un féminisme

qui s'inscrit dans des mouvements sociaux, dans une démarche militante, dans une démarche

revendicative. Le féminisme pour Catherine Gilleron, est lié à son militantisme dans les

années 1970-80, c'est le planning familial, c'est des revendications collectives, des

mouvements collectifs. Cette expérience du féminisme se comprend dans un rapport

particulier à la politique, aux mouvements sociaux : issue d'un milieu modeste, ouvrier, avec

la volonté de s'émanciper par l'école, par le savoir, par les livres, par la culture etc... Sa

socialisation politique est marquée à gauche. Elle était adhérente et militante au parti

communiste puis récemment se présente sur une liste « Vraiment à gauche » pour des

élections municipales, mouvement qui s'alliera au Front de gauche.

Cette socialisation marque sa vision d'un théâtre inscrit dans les thématiques de la société,

d'un théâtre comme lieu de vie et de réflexion, d'un théâtre comme support de réflexions et de

débats. Cette socialisation de gauche et féministe conditionne également sa façon de penser

les problématiques de genre dans le milieu du théâtre. Les problèmes de genre dans le monde

du théâtre sont le fait d'un monde encore sexiste. Elle est donc adhérente au collectif H/F, le

56

Théâtre de la Découverte à la Verrière est également adhérent au collectif H/F. L'équipe a

programmé des pièces qui « traitent des femmes » puis là elle va accueillir un spectacle « qui

traite de ça très spécifiquement, de la question du genre » et programmer des œuvres qui

entrent en résonance avec les problématiques posées par le collectif H/F, etc...

Donc pour elle et pour le Théâtre de la Découverte à la Verrière, c'est une question qui fait

sens. Mais, Catherine Gilleron exprimait un certain scepticisme vis-à-vis de la

problématisation du genre et surtout de l'ampleur que cette question prend dans la société.

On va alors constater une rupture entre d'une part ses pensées et ses démarches féministes, et

d'autre part, le scepticisme témoigné à l'égard de la question du genre, de son écho au sein de

la société mais aussi au théâtre :

« c’est une question qui n’est pas réglée, qui est loin d’être réglée, qui est du réel, qui

correspond à des réalités sociales, socio-économiques etc,... et qui résonne énormément

aujourd’hui. Mais que quand on le transforme en "question du genre", tu vois? »

La question que nous posons ici dans un premier temps est alors, qu'est-ce que signifie

« transforme(r) en "question du genre" » ? En quoi cette « question du genre » se différencie t-

elle des idées qui dénoncent les inégalités hommes-femmes dans le milieu de la culture par

exemple ? Il s'agit donc de se demander ce que représente la question du genre pour Catherine

Gilleron?

Qu'est-ce qui éloigne cette question de sa socialisation militante d'une part et de sa vision du

théâtre, d'autre part ? Par ailleurs, pourquoi dit-elle avoir pris du recul par rapport à cette

question et ne pas vouloir à proprement parler, militer pour cette cause? Qu'est ce que cela

signifie? Et en quoi cette réflexion est révélatrice d'une certaine manière d'aborder la question

du genre dans le milieu du théâtre?

Nous verrons tout d'abord que le « théâtre de genre » s'éloigne de sa manière de traiter du réel

dans le théâtre et ensuite qu'elle s'éloigne de la manière de considérer les problèmes politiques

et sociaux.

Comment est connoté l'expression « théâtre qui traite du genre » pour Catherine

Gilleron? Qu'est ce que ça veut dire dans sa vision du théâtre et dans son constat?

D'après le discours tenu, les associations d'idées faites lorsque nous avons introduit la

thématique théâtre et genre, « le théâtre qui traite de la question du genre » représente

principalement pour elle le théâtre axé sur un discours individualisant. Celui qui fait que les

artistes vont être amenéEs à parler sur scène de leur expérience personnelle, de leur rapport

aux normes du genre, aux normes corporelles : pièces qui traitent de la question des poils

57

(Éloge du poil72), de la question de l'oppression des normes de genre sur l'individuE (La jeune

fille et la morve73). On est donc là dans des démarches d'artistes qui vont exposer leur réalité

sur un sujet en espérant que cette réalité résonne dans celle des spectateurs.trices. Dans la

typologie vue plus haut, celle qui distinguait trois façons d'agencer le réel et l'irréel dans la

démarche artistique, cela correspond à la deuxième catégorie. C'est-à-dire à la catégorie des

artistes qui vont chercher à parler du réel qui les concerne, donc déterminé par leur position

sociale. Or Catherine Gilleron se démarque de cette démarche, et l'on peut rappeler ce passage

qui illustre ce démarquage :

« Parce que nous on dit, « de là où on est, de là où on vit, je sais pas exactement ce que sais,

alors qu’est-ce que je vais raconter ? »et c’est pas pour autant que je vais m’interdire de

raconter, et je pourrais raconter sans aller les voir. Sauf que moi, je trouve que ma démarche

artistique, elle est d’aller les voir, elle est d’aller raconter à partir de ce que j’ai vécu, ressenti

avec eux. Et que j’ai besoin de m’en nourrir, de ce réel là. Parce que c’est pas un réel que je

connais, et ça m’intéresse pas de parler que du réel que je connais »

Cette manière de faire du théâtre en partant de la personne-artiste mène à une forme axée sur

l'individuE en tant que tel. On peut considérer que cette démarche de l'artiste est politique

dans le sens où il.elle va dire : regarder comme les normes de genre sont absurdes pour moi et

donc cela mène à une critique et au questionnement de la légitimité de ces normes chez le

spectateur. Mais cette démarche politique n'est pas la même démarche politique que celle de

Catherine Gilleron qui va aller dans un centre de travailleurs immigrés. Chez elle, l'aspect

revendication collective est plus grande : on montre une forme de domination telle qu'elle

s'applique à toute une catégorie d'individuEs. Cela correspond à son vécu en tant que

féministe dans des mouvements sociaux (« j'étais dans les manifs,... ») et en tant que militante

dans des mouvements de gauche. Dans ces mouvements, la démarche est plus de synthétiser

le problème pour le visibiliser en tant que problème global et social alors que l'autre tend plus

à focaliser le problème sur l'individuE. Donc déjà, cette démarche artistique du théâtre de

genre s'éloigne et de la démarche artistique qu'elle trouve la plus pertinente et de sa manière

de faire du féminisme. C'est donc là une première explication de ce scepticisme envers la

question du genre en général et telle que problématisée dans le théâtre en particulier.

72 Éloge du poil par Jeanne Mordoj, mis en scène par Pierre Meunier, Théâtre du Grand Bleu du 8 au 10 décembre 2011

73 Poirier (A.) et Jedrazak (M.), La jeune fille et la morve, théâtre Massenet dans le cadre du festival je(ux) de genre, 23 mars 2012

58

Ensuite, on peut poser cette question : à qui parle le théâtre de genre? Chez qui fait-il

résonance ? Et qu'est-ce que cela révèle sur cette question du genre?

« je pense malgré tout qu’aujourd’hui, dans une certaine partie de la société, c’est un masque.

Pour les questions sociales. »

« Mais en même temps pour moi, elle n'est qu'un "cache-sexe", c'est le cas de le dire, aux

réalités concrètes sociales et culturelles dans les sociétés aujourd'hui. »

La question du genre telle que problèmatisée aujourd'hui est une problématique qui a une

résonance en particulier dans les milieux sociaux privilégiés. Cette thématique est reprise et se

voit réappropriée par les universitaires ou les gens bien placés économiquement dans la

société mais pas par les milieux ouvriers.

« (...) mais tu sais bien que cette révolution là elle est faite dans les classes dirigeantes. ça ne

pose pas de problème dans les classes dominantes d'être homo un couple homo, ça ne pose

pas de problème. Mais ça en pose toujours dans les classes dominées et ça continuera d'en

poser tant qu'on utilisera ça comme un cheval de bataille qui n'ira pas pointer exactement là

où ça fait mal. Moi je trouve. Maintenant il faut se battre, quand même parce que

concrètement, socialement, les femmes gagnent 20% de salaires en moins, parce que

concrètement, socialement, un couple homo ne peut pas se marier (...) »

Sur ce point, Catherine Gilleron se dit très marquée par le récit de Didier Eribon, Retour à

Reims74. Dans ce roman, Didier Eribon raconte son histoire personnelle. Issu d'un milieu très

prolétaire il a été rejeté par sa famille pour son homosexualité. Il s'est consacré pendant des

années, en tant que philosophe et sociologue à la recherche sur la question du genre. A

l'occasion de la mort de son père il retourne « voir d'où il vient », il retourne dans sa ville

d'origine et, dit Catherine Gilleron « je trouve ce texte magnifique parce qu'il repose les

questions à l'envers. Il dit à force d'avoir travailler la question du genre, de s'être battu là-

dessus(...) » il a oublié d'où il venait et les difficultés rencontrées dans son milieu d'origine.

Son milieu d'origine est un milieu marqué par la domination de classe, et les problèmes qu'il a

rencontré avec l'homosexualité sont marqués par un régime social hétérocentré, structuré par

la domination masculine. Il s'agit alors pour Catherine Gilleron de s'interroger sur les

mécanismes de domination en général et non pas de se focaliser sur un type de domination

comme la domination masculine. Cette réflexion est fortement marquée par le travail

74 Eribon (D.), Retour à Reims, Flammarion, 2010

59

artistique qu'elle fait dans les foyers de travailleurs immigrés : « quels sont les mécanismes

de domination sociale qui font qu'on a obéré des mécanismes de domination. masculine si on

veut. en tous les cas ces mécanismes de domination masculine aujourd'hui moi je demande à

les interroger, je les interroge, non pas en tant que tels, parce que justement quand je vais

travailler avec les messieurs dans les foyers de travailleurs immigrés, quand je vais voir ces

hommes, ces hommes, souvent maghrébins pour certains, d'accord, qui sont quand même on

va dire, le summum du symbole de la domination masculine, dans cette humiliation qui est la

leur aujourd'hui, dans ce vécu humiliant qu'est d'être célibataire pour plusieurs raisons, de pas

pouvoir rentrer chez eux, dans cette humiliation là, comment ça s'articule ce mécanisme de

domination masculine, pour ces hommes là ».

Brandir l'étendard de la problématique du genre pour Catherine Gilleron, comporte le risque

d'oublier de questionner les mécanismes de domination en général en se focalisant de manière

revendicative sur la domination masculine. Les questions que pose Catherine Gilleron

peuvent être recoupées avec les questionnements des universitaires qui réfléchissent en terme

d'intersection entre les différentes formes de domination. L'intersectionnalité, pour reprendre

le termes de l'universitaire féministe Kimberlé Crenshaw75, désigne le fait que les formes de

domination et de discrimination s'entremêlent et forment un tout. Les démarches qui tentent

de comprendre ces formes de domination séparément, d'un point de vue ou de la race, ou de la

classe sociale, ou du sexe, ou du genre, ou de la sexualité sont lacunaires. Les rapports de

domination entre classes, le racisme, le sexisme et l'homophobie présentent des

fonctionnements similaires. Il s'agit alors pour ces universitaires d'étudier les intersections

entre ces différentes dominations.

Pour répondre à nos questions initiales, dans le « quand on le transforme en question du

genre » : on peut résumer que tout d'abord, « transformer en la question du genre », c'est

risquer de transformer une problématique sociale en une problématique centrée sur

l'individuE. Cette transformation va à l'encontre de sa socialisation associative et militante.

Ensuite « le transformer en la question du genre », c'est lui donner le sens que cette question a

aujourd'hui, un sens compris et approprié par les classes dominantes, rejeté ou incompris par

les classes populaires. Enfin, le « transformer en la question du genre », c'est lui donner une

place centrale qui masque l'importance d'aborder les formes de domination liées au genre

75 Crenshaw (K.), « cartographie des marges : intersectionnalité, politiques de l'identité et violences contre les femmes de couleur », in les Cahiers du genre, n°39, 2005

60

comme des formes liées à d'autres types de domination.

Cette vision là des choses influence et est influencé par son travail d'artiste, de

programmatrice, travail lui-même marqué par sa socialisation et par l'institution dans laquelle

elle travaille.

En somme, pour Catherine Gilleron, la question du genre dans le théâtre est importante. Elle

est importante car elle touche à des réalités concrètes et matérielles qui font que les femmes

sont discriminées dans le milieu de la culture. Elle est importante car le théâtre est un support

culturel qui a vocation à faire écho dans la société et que la société est marquée par le sexisme

et l'homophobie qui sont à combattre. Mais elle ne doit pas devenir LA préoccupation car

dans ce cas, elle fonctionnerait comme un « cache-sexe » d'autres questions sociales, d'autres

types de domination.

La manière d'aborder la question du genre au théâtre chez Catherine Gilleron est à

comprendre dans cet ensemble de questionnements. Son parcours individuel, sa démarche

artistique, l'évolution de son rapport au féminisme (du militantisme au relativisme),

l'évolution du féminisme (du féminisme à la question du genre), tout cela va expliquer la

spécificité de sa conception de la question théâtre/genre.

Avant de conclure en mettant en avant les questions transversales qui se dégagent de

cette analyse, nous pouvons peut-être insister sur un fait qui transparaît en filigrane dans ce

développement mais n'est pas clairement énoncé. Ce fait c'est que la logique d'action de

touTEs ces programmateurs.trices est inscrite dans un contexte plus large que celui de la

structure en elle-même. Les programmateurs.trices décident leur programmation en fonction

de leur appartenance à des réseaux. Ces réseaux peuvent être de type institutionnel comme le

réseau Scène Nationale auquel appartient La Rose des Vents ou le réseau Centre Dramatique

National auquel appartient le Théâtre du Nord. Par exemple, sur ce dernier, le fait d'appartenir

à ce réseau joue énormément sur les choix de programmation : tout CDN se doit d'accueillir

les créations des directeurs artistiques des autres CDN. Ces réseaux peuvent aussi résulter des

relations sociales et professionnelles que les programmateurs.trices ont été amenées à nouer

au cours de leur activité. Par exemple, au Théâtre Massenet ou au Théâtre de la Découverte à

la Verrière, le réseau est particulièrement marqué par la fidélité dans le suivi de certains

artistes ou troupes. Ou encore, comme l'expliquait la programmatrice du Théâtre de la

Découverte à la Verrière, l'équipe artistique va être amenée à choisir de programmer des

61

troupes car ces troupes les ont programmé à un autre moment. La logique de « don contre

don » est particulièrement à considérer pour comprendre les choix entrepris par les différents

programmateurs.trices. Les logiques de concurrence sont également à prendre en compte :

certains théâtres chercheront à être à la pointe, à avoir une programmation qui rassemblera ce

que « la Critique »76 considérera comme le meilleur. Chaque structure a donc ses propres

réseaux, réseaux régis des règles, explicites ou implicites, spécifiques.

Si nous avons choisi de restituer nos recherches sous cet angle, c'est-à-dire en consacrant une

partie à chaque programmateur.trice c'est car ilLEs ont chacun un profil particulièrement

singulier : chaque structure a un réseau singulièrement différent de celui des autres, une

conception du théâtre et de son lien avec le réel singulièrement différente des autres, une

approche sur la question du genre singulièrement différente de celle des autres.

Cependant, nous pouvons dégager des liens transversaux. En effet, sur un point particulier,

une institution va, par exemple, se rapprocher d'une et s'éloigner des autres. Nous pouvons

distinguer des grandes tensions qui vont rapprocher ou éloigner les structures entre elles.

Tout d'abord, c'est le rapport que les structures peuvent avoir avec le territoire :

l'ambition de la structure est-elle de rayonner au niveau local, national ou international ou a t-

elle plutôt une démarche de proximité? Ce rapport avec le territoire est profondément lié au

réseau institutionnel auquel les structures appartiennent ou non. Sur ce point, nous pouvons

aisément regrouper les structures en deux grands pôles : d'un côté, le Théâtre Massenet et le

Théâtre de la Découverte à la Verrière et d'un autre le Théâtre du Nord et la Rose des Vents.

Le Théâtre du Nord et la Rose des Vents appartiennent à d'importants réseaux nationaux en

lien étroit avec l'Etat. Ces institutions sont donc porteuses de normes artistiques qui sont

profondément liées à celles que l'Etat promeut : on trouve alors « des spectacles de référence

nationale voir internationale »77. En revanche le Théâtre de la Découverte à la Verrière et le

Théâtre Massenet ont, eux, une démarche de proximité : ce sont des plus petites structures qui

programment essentiellement des artistes locaux. Ces structures n'ont pas les mêmes critères

de référence et alors que les grosses structures chercheront « l'excellence » ces petites

structures programmeront plus des artistes de différents niveaux qui présentent des démarches

diverses qui ne correspondent pas forcément aux canons culturels. La programmatrice du

Théâtre de la Découverte à la Verrière parlera « d'autoroutes » (les grosses structures inscrites

76 Terme que nous avons explicité lors de notre partie sur le Théâtre du nord. 77 Expression tirée de l'entretien avec Yannic Mancel

62

dans de gros réseaux) et de « petits chemins » (les petites structures ayant une démarche de

proximité). Ces autoroutes et ces petits chemins peuvent apparaître en opposition mais aussi

comme complémentaires : « réussir à faire en sorte qu’on ait des autoroutes et aussi des petits

chemins, et qu’on comprenne que pour qu’il y ait des autoroutes il faut aussi qu’il y ait des

petits chemins qui y mènent, et que pour que les petits chemins continuent d’exister, eh bien il

faut quand même quelque fois quelques autoroutes »78.

Ensuite, on va pouvoir dégager différents pôles en fonction de la conception que les

programmateurs.trices nous ont exposé à propos du lien entre théâtre et réel et donc théâtre et

politique et dans une autre mesure théâtre et genre. On trouve donc sur ce point trois positions

distinctes.

La première position est celle du Théâtre Massenet et du Théâtre de la Découverte à la

Verrière. Ici, le politique est perçu comme une question centrale dans l'art. Une question qui

doit être traitée et prise en compte dans la démarche artistique. L'art apparaît ici comme un

support de débat citoyen. Lorsque ces théâtres programment des pièces qui ont un propos

politique qui peut être un propos sur le genre, le propos aura alors influencé le fait que cette

pièce soit programmée. Ces deux structures accordent donc un intérêt particulier au message,

au fond, à l'éthique du spectacle et au fait que le théâtre provoque des débats au sein de la

« Cité »79.

La deuxième position est celle de la Rose des Vents. Ici, le politique est perçu comme

secondaire. Il se peut que des pièces contenant un propos politique ou plus spécifiquement sur

le genre soit programmées dans ce théâtre mais cela ne sera pas mis en avant. Lier

ouvertement et directement art et politique paraît dans cette position comme quelque chose de

menaçant pour la qualité artistique. La Rose des Vents est une Scène Nationale qui

programme du théâtre (et de la danse, et de la musique) contemporain qui met en lumière

avant tout la Forme.

La troisième position est celle du Théâtre du Nord. On a une conception de la politique dans

le sens « éclairer le citoyen », lui fournir les armes pour comprendre la société. Le théâtre, en

le divertissant, en questionnant la société, en nourrissant son imaginaire, a un rôle politique.

Mais cette vision du politique n'est pas la même que celle analysée dans le premier pôle. Ici la

vision du politique est plus celle d'un « vivre ensemble » autour de normes et valeurs

communes que celle d'une espace de débats et de conflits dans lequel se jouent des rapports de

78 Extrait de l'entretien avec Catherine Gilleron. 79 Terme utilisé par le programmateur du Théâtre Massenet lors de notre entretien.

63

force. Le Théâtre du Nord est avant tout en effet une institution de transmission du

patrimoine.

Pour les deux derniers, si la question du genre est abordée c'est qu'elle est traitée par

les artistes « légitimes ». Sinon elle ne sera pas abordée. Ils ne sont pas à la recherche de l'art

« en dehors des sentiers battus »80, des canaux officiaux.

En revanche le premier groupe présente une volonté de traiter des questions politiques dans

l'art et donc va être amené à rechercher des démarches qui correspondent à cette volonté.

Donc si la question du genre est une question pertinente pour eux (elle l'est de manière

différente chez les deux personnes interrogées), cette question va être mise en avant.

Dans cette première partie, nous avons traité le premier temps décrit par Eric Macé,

celui de la production. Dans la partie qui suit nous traiterons du deuxième temps, celui des

représentations.

II. Les représentations : analyse des pièces sous l'angle du système du

genre

Dans cette deuxième partie, il s'agira, pour reprendre les termes d'Eric Macé

d'observer « pour elles-mêmes des « traces » culturelles et symboliques que sont ces objets. Il

s'agira alors de considérer l'objet culturel, ici la pièce de théâtre en tant que telle c'est-à-dire

d'analyser ce qui nous est donné à voir sur le plan des rapports sociaux de sexe sans pouvoir

en déduire, ni l'intention de l'auteurE ou du/de la metteur.se en scène, ni les différentes façons

dont cette pièce pourrait être reçue par les spectateurs. Nous excluons donc de déduire de ce

regard porté sur le système de genre qui nous est donné à voir, d'une part l'intentionnalité et

d'autre part les usages qui pourraient en être faits. Méthodologiquement il s'agit donc de

considérer la pièce de théâtre comme un « monde social relativement autonome » qui nous

dira une réalité des représentations collectives du moment sur les rapports sociaux de sexe. Il

s'agit ici d'une analyse qualitative qui sera faite « au regard d'une théorie générale des rapports

sociaux contemporains» de sexe.

80 Ibid.

64

L'analyse des représentations est ici réalisée dans le cadre de l'hypothèse de départ décrite

dans l'introduction et dans le cadre de la définition du genre donnée dans l'introduction.

L'hypothèse de départ est que les supports culturels ont une place dans la création,

l'entretien et la reproduction des représentations du monde, des imaginaires. En l'occurrence,

le système de genre, qui présente une réalité matérielle et concrète violente (domination

masculine, homophobie, transphobie) est soutenu, entretenu par une multitude de choses dont

des schèmes mentaux qui touchent à l'imaginaire et à l'onirique. Ces schèmes mentaux sont à

la fois produits et reproduits par la réalité mais aussi ils produisent et reproduisent la réalité.

Les supports culturels, l'art, par cette spécificité de se situer entre le réel et l'irréel peut

reproduire des schémas opprimants présents dans la société mais est aussi un lieu privilégié

d'émancipation, de libération et de déconstruction de ces schémas. L'art, dispose, pour

reprendre les termes de Dominique Bourque, d'un espace de jeu, c'est un lieu privilégié pour

les stratégies de dé-marquage81. L'art a la possibilité de proposer « de nouvelles façons

d'appréhender la réalité dans toute sa complexité »82.

La pertinence de cette démarche est profondément accentuée par la vision du genre

telle que décrite dans l'introduction générale c'est-à-dire la vision du genre comme processus

performatif. En effet, le caractère performatif du genre nous montre quelque chose

d'important en ce qui concerne l'analyse des représentations des masculinités et des féminités

dans les supports culturels et en particulier ici dans les pièces de théâtre.

C'est d'une part, l'importance des modèles. Car les modèles créent cet idéal normatif vers

lequel les individuEs tendent. Les modèles (physiques, comportementaux) donnent à voir les

différentes possibilités de se comporter, donnent une base au comportement mimétique.

D'autre part, c'est la possibilité, la marge de manœuvre laissée par le fait que le genre soit

performatif. Si le genre est performatif alors il existe une possibilité de le détourner, de le

remettre en cause, de le troubler.

Ces deux éléments sont d'autant plus intéressants dans le domaine de l'art que l'art présente

cette marge de manœuvre laissée par l'imaginaire, que l'art est à la croisée entre le réel et

l'irréel, le réel et le possible, le réel et ce qui n'existe pas encore mais pourrait bientôt exister...

Et enfin, si le genre est une performance, ce qui implique que « l'homme » et la « femme »

jouent un rôle, alors au théâtre on joue un personnage qui joue un personnage. Si tout est rôle

alors le théâtre ne représente pas une réalité, il représente une performance. Le théâtre est en

81 Le marquage, dans le vocabulaire de Dominique Bourque (professeure à l'Institut d'études des femmes, université d'Ottawa) est le fait d'être associé à une identité dite donnée et le démarquage est le refus du rapport de force que peut recouvrir cette identité. Bourque (D.), « L'échappée du dé-marquage. Ouvrir la question identitaire », in Relais-Femmes, n°38, septembre 2010

82 Ibid.

65

lui même une performance. Et cette performance est, comme toute performance, constitutive

de la réalité. Dans ce cas, comme l'exprime Eric Fassin « représenter, ce n'est pas refléter, c'est

produire. ».

Nous reprendrons pour notre analyse la définition du terme représentation telle qu'utilisée

dans les études de Sylvie Cromer et Carole Brugeilles : les représentations sont une « forme

de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la

construction d'une réalité commune à un ensemble social »83.

Ces sociologues ont étudié les représentations sexuées dans les supports culturels à

destination des enfants : lectures de référence à l'école84 comprenant un large spectre de

manuel y compris les manuels de mathématique85, la littérature enfantine86, presse et théâtre

pour enfant87, les spectacles jeune public. Pour cela, elles ont élaboré des méthodes à la fois

qualitative et quantitative qui leur permettent d '« appréhender le système de représentation de

la différence des sexes entendue comme la construction sociale de relations de pouvoir, à

l'intersection d'autres rapports sociaux »88. Ces méthodes varient selon les spécificités de

chaque support culturel. Nous n'allons pas ici développer ces méthodes car nous n'avons pas

les moyens de les utiliser pour notre travail car cela demanderait un champ d'investigation

plus large que nos six pièces de théâtre analysées. Cependant, nous nous inspirerons des

résultats de ces recherches notamment pour notre première partie. La deuxième et la troisième

partie quant à elles, tenteront une analyse des normes et valeurs qui sont diffusées à l'égard du

système du genre dans les pièces de théâtre analysées.

A. « Le masculin n'est pas un sexe »89

Sur le corpus de pièces étudiées, nous en avons ici sélectionné deux qui illustrent un

constat établi par Sylvie Cromer dans ses études réalisées sur la presse pour enfants et les

83 Jodelet 1989 p.53 in Op.cit. p.1084 Brugeilles (C.), Cromer (S.), Panissal (N.), « le sexisme au programme? Représentations sexuées dans les

lectures de référence à l'école », Travail, Genre et sociétés, 2009/1, n°21, p107-129. 85 Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels

scolaires, in CePeD, Paris, 2005.86 Brugeilles (C.) « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la

littérature enfantine contribue à élabore le genre », in Population, 2002/2 voil. 57, p 261-292.87 Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour

enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49, p 97-115.88 Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et

résistances », en cours de publication. 89 Titre de l'article de Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le

théâtre pour enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49, p 97-115.

66

spectacles jeune public : « le masculin n'est pas un sexe ». Les deux pièces analysées ici sont

deux pièces diffusées au mois de février au Théâtre du Nord. Il s'agit de Soleil Couchant,

texte d'Isaac Babel, mis en scène par Iréne Bonnaud et Le Suicidé, texte de Nicolaï Erdmann,

mis en scène par Patrick Pineau. Ce qui relie ici ces deux pièces aux spectacles étudiés par

Sylvie Cromer et qui nous permet de les analyser sous cet angle, c'est que ces deux pièces

racontent une histoire. Par conséquent, le.la spectateur.trice a sous les yeux différents repères.

Tout d'abord, un contexte spatial, ici dans les deux cas, la Russie, avec pour Soleil Couchant

un quartier juif d'Odessa en 1913 et pour Le Suicidé, un village russe sous Staline. Ensuite, on

trouve des personnages avec des rôles biens définis. Dans les deux cas, le personnage

principal est un homme. Soleil Couchant est en effet une saga axée autour du pouvoir du

patriarche, Mendel Krik et Le Suicidé met en scène un chômeur, Sénia, dont l'idée de se

suicider va susciter l'intérêt de tout le village russe (chacun tentera de persuader le personnage

principal de se suicider pour telle ou telle cause). Dans les deux cas, on a une trame narrative.

Dans Soleil Couchant l'élément perturbateur, c'est le patriarche qui veut liquider l'entreprise

familiale afin de s'échapper avec son amante (« sa maison, sa vie, ses chevaux il a tout jeté

aux pieds d'une fille »90), et dans Le Suicidé c'est Mache, la femme de Sénia qui, pensant que

son mari veut se suicider, alerte le voisinage.

En quoi peut-on dire ici que « le masculin n'est pas un sexe »?

1. Un déséquilibre numérique

Tout d'abord, on trouve un déséquilibre numérique entre les personnages masculins et

féminins. Soleil Couchant compte 31,57% de personnages féminins et 68,42% de personnages

masculins et Le Suicidé compte 20,83% de personnages féminins et 79,16% de personnages

masculins.91

On trouve donc un déséquilibre numérique au profit des personnages masculins, déséquilibre

numérique d'autant plus regrettable lorsque les pièces sont présentées comme étant

représentatives de la société : « On a l'impression que l'humanité entière s'est rassemblée à

Odessa et que raconter Odessa, c'est tout raconter »92.

A moins que la société russe compte 22% de femmes en moins que les autres sociétés, la

présence démesurée d'hommes par rapport aux femmes, n'est pas représentative de la société

russe. Elle est par contre représentative d'une tendance générale dans les supports culturels à

90 Réplique de Soleil Couchant, Isaac Babel. 91 Pour plus de détails se référer aux tableaux de l'annexe n°592 Irène Bonnaud, descriptif de Soleil Couchant in programme saison 2011-2012 du Théâtre du Nord

67

sous-représenter la gente féminine.

« l'humanité fictive n'a jamais vraiment deux sexes, le masculin est toujours hégémonique, la

minorisation numérique du féminin systématique. »93

Le déséquilibre constaté ici fait un effet écho aux études déjà réalisées. Dans son analyse sur

le spectacle jeune public, Sylvie Cromer aboutit en effet au même constat avec 69% des

personnages de sexe masculin et donc seulement 31 % de personnages de sexe féminin.

Ces chiffres viennent appuyer les propos de Catherine Gilleron vus plus haut, qui exprimaient

les grandes difficultés auxquelles les comédiennes sont confrontées pour trouver un rôle dans

les pièces.

2. Les hommes représentants de la société, les femmes représentantes de l'amour, la séduction ou la maternité

En outre, ce déséquilibre en tant que tel est certes révélateur mais c'est surtout

l'explication de ce déséquilibre, que nous allons voir ici en nous attachant aux rôles donnés

aux personnages féminins et masculins, qui est à réfléchir. En effet, quant est-il maintenant de

la répartition des rôles sur le plateau entre les personnages féminins et les personnages

masculins? Et plus précisément, « quelles sont les normes, les valeurs, les opinions diffusées

quant aux identités, aux rôles, aux statuts de sexe, ainsi qu'au commerce entre les sexes?

Autrement dit quel système de genre est montré, c'est-à-dire quels sont « l'ensemble des rôles

sociaux sexués et le système de représentations définissant le masculin et le féminin »94.

Tout d'abord, on constate que les personnages féminins existent systématiquement par

rapport aux personnages masculins alors que l'inverse n'est pas vrai. La présentation des

personnages de Soleil couchant dans le descriptif suffit pour comprendre cela :

Du côté des personnages de sexe masculin Ceux de sexe féminin

Gangster Maitresse de Mendel Krik

Apprenti forgeron Cuisinière chez les Krik

Marieur et shames de la synagogue des charretiers Femme de Mendel Krik

Hussard Marchande de poulets

93 Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants », Cahiers du Genre, 2010/2 n°49, p 103.

94 Thébaud 2005 in Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires in CePeD, Paris, 2005.

68

Gangster Soeur de Benai Krik, Mme Popiatnik chanteuse à la

taverne de l'ours noir

Charretier au service de Mendel Krik

Serveur

Chantre de la synagogue des laitiers

Banquier

Homme d'affaires

Rabin (jouée par une femme, Laurence Mayor, celle

qui joue la femme de Mendel Krik)

Propriétaire de l'entreprise

Avocat véreux

Exportateur de céréales

Paysan

Un étudiant d'une école talmunique

Musicien

Patron d'une entreprise de transport

Marchand de bétail

Les personnages masculins ici sont définis majoritairement par leur activité professionnelle.

Les personnages féminins, en plus d'être en sous-représentation numérique sont représentés

par rapport à la relation qu'ils ont avec un homme (exception faite de la marchande de

poulets). Par conséquent, on peut dire que, dans ce descriptif, les hommes ne sont définis par

personne d'autre qu'eux-mêmes, ils ont une existence sociale en tant que telle, tandis que les

femmes ne sont définies que par leur relation avec un homme et n'ont pas d'existence sociale

autonome.

Dans Le Suicidé, la subordination des personnages féminins aux personnages masculins est

illustrée par un trio de personnages. Il s'agit de Sénia, le Suicidé, de Mache décrite dans le

descriptif des personnages comme son épouse et de Sima décrite comme la belle-mère. Toute

l'histoire tourne autour de Sénia et les deux femmes sont alors des satellites du personnages,

positions quelque peu rééquilibrées par leur fort caractère. Cependant toutes leurs actions

tournent autour de Sénia (« on fait tout pour toi, on te cuisine tout ce que tu aimes »95). Elles

sont là pour donner de la consistance au personnage principal, au personnage masculin.

Ensuite, et c'est là que l'expression « le masculin n'est pas un sexe » prendra tout son

sens : les rôles masculins sont des rôles d'être humain, les rôles féminins sont des rôles de

femmes. Ce phénomène se retrouve dans les deux pièces. Dans Soleil couchant, nous avons

95 Réplique de la pièce Le Suicidé de Nicolaï Erdman, mis en scène par Patrick Pineau. Théâtre du Nord.

69

vu que le descriptif des personnages définit les personnages masculins par rapport à leur

travail. Ils représentent, au-delà de la catégorie de sexe, une diversité remarquable : tous les

milieux sociaux y sont présents, toutes les sphères de la société y sont présentes : du gangster

au banquier en passant par le paysan et le rabbin. Les personnages féminins, eux, ne

représentent pas la société. Ils représentent la maternité, l'amour ou la séduction. En effet,

Dvoira Krik - dont on notera qu'elle est définie dans le descriptif comme la sœur de Benai

Krik alors qu'elle est dans la pièce un personnage plus important que Benai Krik (Benai Krik

étant défini dans le descriptif par son travail) - est dans cette pièce avant tout, la vieille fille.

Celle qui n'est toujours pas mariée, qui n'attend que ça et pense exclusivement à ça. C'est

aussi l'amoureuse et la rêveuse « il m'enlaçait dans ses beaux bras... »96. Nehama Krik décrite

comme la femme de Mendel Krik, est cette mère et épouse tiraillée entre la peur de son mari

et l'amour de ses enfants. La jeune amante de Mendel Krik est, quant à elle, le stéréotype idéal

de la jeune fille séductrice et intéressée (par le patrimoine matériel de Mendel Krik).

Dans Le Suicidé on retrouve exactement cette dichotomie entre d'un côté les personnages

masculins représentants de la société, représentants de l'universel, de l'autre, les personnages

féminins représentants une gente féminine dotée de caractéristiques associées au féminin

(maternité, beauté, séduction, amour) et existante à travers les personnages masculins. Ce

constat est particulièrement visible dans le défilé de personnages auquel va être confronté le

suicidé : « Il (le suicidé) va rencontrer dans son délire une galerie de personnages

représentatifs de la société russe de l’époque »97. Chaque personnage représente une catégorie

de la population russe98. Aristarque Dominiquovitch Grand-Skoubik, c'est l'intellectuel

mégalomane, il représente l'intelligentsia, Nikifor Arsentiévitch Pougatchov est boucher, il

représente la « catégorie socio-professionnelle » des « petits commerçants », Viktor

Viktorovitch est écrivain et représente les artistes, le père Elpidy est le prêtre orthodoxe, il

incarne la religion. Donc pour chaque catégorie de la population nous avons un représentant

de sexe masculin. Les deux femmes quant à elles ne représentent pas une catégorie de la

population, elles ne sont pas marquées par leur statut professionnel ou leur fonction au sein de

la société. Les deux femmes représentent la fonction qu'elles ont auprès de la gente

masculine : la séduction. Elles apparaissent dans la pièce en compétition pour se faire aimer

par les hommes.

96 Réplique de Soleil couchant d'Isaac Babel, mis en scène par Irène Bonnaud. Théâtre du Nord. 97 Stéphane CAPRON, Le théâtre forain de Patrick Pineau, 8 juillet 2011 : http://www.sceneweb.fr/2011/07/le-

theatre-forain-de-patrick-pineau/ 98 Analyse faite dans Pièce (dé) montée, Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau

SCÉRÉN en partenariat avec le Festival d’Avignon. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris, n°31, juin 2011 : http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/pdf/le-suicide_avant.pdf

70

En outre, on peut noter que les personnages féminins ne sont pas pour autant fades.

Dans Soleil Couchant, la fille de Mendel Krik, Dvoira Krik a une personnalité détonante. Son

caractère affirmé la fait parler fort et tenir des propos colorés « à celui qui osera m'aimer sans

se faire buter » (par mon père). De la même façon, dans le Suicidé, l'épouse et la mère ne

seront en rien effacées et n'hésiteront pas à exprimer leur avis. Ce sont donc des personnages

féminins qui ont une forte personnalité mais ces personnalités restent très marquées par la

féminité. Ces personnalités n'échappent donc pas au système du genre.

En résumé on peut donc dire que les pièces produisent dans les deux cas des

stéréotypes qui s'inscrivent dans le genre, c'est-à-dire dans un système social de polarisation

d'un « masculin » et d'un « féminin » et de hiérarchisation avec un « masculin » dominant le

« féminin ». L'homme est donc placé en représentant de l'universel la femme en représentante

d'une gente féminine marquée par sa relation avec les hommes. La division des rôles est claire

: aux femmes l'amour et la séduction (en général cantonnées à la sphère privée), aux hommes

le reste (les causes politiques et sociétales, tout ce qui touche à la sphère publique en général).

Les personnages masculins ne sont donc pas marqués par le fait d'être mâle tandis que les

personnages féminins sont systématiquement marqués par le fait d'être femelle.

Même s'ils ne sont pas identiques du fait d'un champ d'investigation différent, les constats

tirés de l'analyse de ces deux pièces peuvent être mis en parallèle avec l'étude de Sylvie

Cromer. Dans son analyse des brochures explicatives des spectacles (« 990 notices analysées,

issues de 82 programmations, représentant 729 spectacles »99), au premier constat de

déséquilibre numérique entre les personnages masculins et les personnages féminins, l'étude a

mené à deux autres constats. Tout d'abord les personnages masculins sont « les plus décrits et

les plus richement caractérisés. On peut imaginer qu'ils retiennent davantage l'attention et

l'intérêt, en étant ainsi singularisés. En revanche, les personnages féminins sont mieux

« dotés » que les masculins pour ce qui relève de l'apparence physique et des stéréotypes ».

Ensuite « il y a une asymétrie du point de vue des actions entre personnages féminins et

personnages masculins : les personnages masculins équilibrent leur champ d'action entre vie

professionnelle et vie personnelle, à l'inverse des personnages féminins, nettement plus

impliqués dans le quotidien et l'intime que dans la vie professionnelle. ».

B. Quand la forme artistique masque un fond politique

99 Cromer (S.) in « Les grands entretiens. Sylvie Cromer », entretien réalisé par Claire Rannou, juillet 2010, in Continu(um) Masculin/féminin n°2, ANRAT, octobre 2010

71

Dans le corpus de pièces étudiées, nous ne pouvons pas axer notre regard sur une

même grille de lecture du fait de la diversité des formes proposées. Ici, nous n'allons pas

analyser spécifiquement les représentations de genre à travers les rôles qu'ont les personnages

comme nous venons de le faire mais le discours qui est tenu de manière générale. Nous optons

ici pour cet angle car la pièce ne raconte pas d'histoire avec des personnages aux

caractéristiques identifiables. Cependant cette pièce garde tout son intérêt dans l'analyse des

représentations véhiculées concernant le genre puisque cette pièce, malgré le fait que cela ne

soit pas présenté comme cela, tient un discours. Elle tient un discours qui contient l'opposition

nature/culture critiquée par les genders studies et qui dresse un portrait négatif de tout ce qui

concernerait un éloignement de la nature, comme par exemple tous les moyens d'avoir un

enfant d'une manière non traditionnelle (coït homme-femme).

1. Des histoires qui transmettent un point de vue bioéthique particulier...

Ce spectacle est axé autour de questions de bioéthique. Il a pour ambition affichée de

questionner l'homme dans l'évolution de son rapport à la vie et à la mort. Pour bien

comprendre ce que nous voulons exprimer ici, il est nécessaire de retracer les grandes étapes

du spectacle.

Le spectacle part d'un monsieur K. Ce monsieur est né sous X, il aimerait savoir « d'où il

vient » mais la banque de sperme refuse de lui délivrer l'identité du donneur. Cet homme va

être confronté à différentes situations liées aux manipulations génétiques. La première

situation est un cas de clonage. Ce cas est tiré d'une histoire vraie100, celle de Jaime Wallace

qui après le suicide de sa fille a demandé à des scientifiques de relever ses ADN afin de la

faire cloner. Une voix off questionne alors le.la spectateur.trice : « cette mère a t-elle le droit

de vouloir cloner sa fille qui a choisi de se suicider? », « un corps et son visage suffisent-ils à

remplacer une personne? », « la science peut-elle rassasier notre besoin de consolation? »,

etc. Ces questions ne sont pas de réelles questions : à la manière dont elles sont tournées, les

questions contiennent les réponses. Le cas du clonage n'est pas creusé et on passe à un cas de

cryogénisation101. De la même manière ce cas est tiré d'une histoire vraie, celle du docteur 100Notons que le fait que ces histoires soient tirées d'histoires vraies ou non n'est pas clairement exprimée dans

la pièce (la volonté de la metteuse en scène étant de « laisser le spectateur entre ce qui est vrai ce qui ne l'est pas encore, ce qui est de l'anticipation,... » (interview de Julie Bérès in http://www.youtube.com/watch?v=dI8Irg35TcE)). Les informations précises quant aux faits réels desquels sont tirés les situations représentées sont disponibles dans leur dossier de presse : http://www.theatrelesalmanazar.fr/upload/event/document/4.pdf

101Congélation de tout ou partie d'un être vivant dans l'espoir de le ressusciter plus tard.

72

Raymond Martinot. Ce médecin a choisi de congeler sa femme après la mort de cette dernière.

En fond sonore est diffusé une interview de ce médecin qui dit vouloir débarrasser l'humanité

de la mort. L'évocation de ce cas n'est, par la mise en scène, pas faite de manière neutre.

L'ensemble de cette démarche scientifique est ridiculisée par la manière dont elle est

présentée (un homme va visiter sa femme dans un congélateur). Le cas n'est pas expliqué et

on passe directement au cas de parents qui souhaitent choisir le physique, les qualités, les

défauts et le sexe de leur enfant. Ce couple de riches américains ont alors ce genre de débat : « l'homme : celui là je trouve la couleur intéressante

la femme : ah non c'est un peu clair, j'aimais mieux la teinte qu'on avait, tu sais tout à l'heure, un peu plus foncé

l'homme : oh regarde la suite

la femme : c'est difficile...mais ils mettent que c'est recommandé pour l'équilibre de l'enfant. Bon, il faut qu'on en

choisisse trois, on a qu'à prendre tes défauts à toi

l'homme : pourquoi les miens? Non on partage, c'est mieux qu'il puisse se reconnaître dans nous deux (…)

la femme : bon écoute on va quand même pas laisser faire le hasard, faut bien qu'on choisisse. Non mais regarde

ça, ils demandent de choisir le sexe, c'est dingue ça, la question du genre c'est complétement dépassé aujourd'hui

non? (…) total du panier 90 000...

l'homme : oh oui là en effet, on n'a pas les moyens. Tu ne veux vraiment pas le porter? Ça serait moins cher

quand même!

la femme : on en a déjà parlé. Ces histoires d'instincts maternels et tout c'est des conneries. »102

Le discours tenu et la situation en elle-même paraissent ridicules : deux parents en train de

choisir les caractéristiques de leur futur enfant. L'ensemble des paroles échangées apparait,

par la manière dont il est présenté, comme ridicule. Plus que ridicules, les propos, par

l'ambiance dans laquelle ils sont déclamés (scène sombre, lumière blanche inquiétante, deux

personnes dans une sorte de bulle) apparaissent comme dangereux pour l'humanité : y

compris les phrases évoquant la remise en cause de l'instinct maternel et la désuétude du

genre.

Encore une fois, le propos n'est pas creusé et nous est présenté sur scène un quatrième cas :

celui des mères porteuses. Celles-ci par leur nombre, par leur uniformité, par leur

standardisation (elles se ressemblent toutes, sont toutes habillées de la même façon) sont

déshumanisées. Un personnage placé plus haut que tous les autres (il est assis sur une chaise

en dessous de laquelle défilent ces corps engrossés) apparaît comme le summum de cette

inhumanité, le summum de la contre-nature : c'est un homme enceinte. Par la mise en scène,

ces corps mettent mal à l'aise le.la spectateur.trice, ils font peur. Cinquième et dernier cas

102Extrait du spectacle de Julie Bérès, Notre besoin de consolation tiré de la « chronique de Sophie Joubert», in France culture, émission du 15 novembre 2010.

73

abordé par la metteuse en scène pour traiter des questions de bioéthique : le cas d'enfants nés

sous X qui souffrent de ne pas connaître leur « Origine ». Le cas est traité de la manière

suivante : une ribambelle d'enfants est sous les yeux des spectateurs, ils sont vêtus de manière

uniforme et répètent d'une façon robotique des poèmes d'écoliers dont le contenu est le

suivant : « ils nous disent que nos parents, ce sont ceux qui nous ont élevé, c'est tout. Ils nous

disent tu dois créer ton identité à partir de ce que tu es. L'arbre généalogique n'existe pas,

seule la famille sociale existe ». Ce discours sort de la bouche d'un enfant bien dressé, à qui

l'on a extrait la liberté d'expression. Par conséquent, les propos tenus sur le parent social sont

dénoncés comme ne laissant pas la parole à l'enfant et comme mettant de côté un besoin

présenté comme naturel de savoir d'où il vient biologiquement. C'est ici un discours ultra

biologisant : ces enfants n'ont plus d'identité car ne savent plus d'où ils viennent

biologiquement, ce sont des robots façonnés de toutes pièces par la culture pour lesquels il ne

reste rien de naturel et comme il ne reste rien de naturel, ils n'ont pas d'identité. Pour finir, le

spectacle termine sur une voix off qui tient un discours sur l'arbre généalogique et sur l'origine

de la vie « il y a deux milliards d'années avec les premières cellules animales et de

plantes »103.

En prenant du recul sur l'œuvre artistique en tant que telle, et en l'analysant on perçoit

clairement que le propos est un propos situé, engagé, positionné. Il contient un point de vue

bioéthique très orienté. Le danger ici présenté est l'éloignement de l'être humain de sa nature.

En effet, dans tous les cas, on retrouve dans chaque cas traité (le clonage, la cryogénisation, la

programmation génétique, les mères porteuses, les enfants nés sous X) la même manière de

problématiser la question : cette manière est basée sur une opposition entre la nature et la

culture. Ce qui est critiqué et présenté comme un danger (pas forcément par le discours mais

par l'esthétique de la pièce) est tout ce qui s'éloignerait de la « Nature ». La Nature nous est

présentée comme bonne et saine tandis que la culture (ici la science) est présentée comme le

danger.

2. Une forme qui place le propos en second plan tout en le légitimant

Cependant, ce spectacle n'est pas présenté comme étant l'expression d'une opinion d'une

artiste qui voudrait s'exprimer sur les ressentis qu'elle a concernant les dangers que peuvent

comporter les manipulations génétiques. Le discours tenu est en fait légitimé, dans la

présentation du spectacle par la démarche de l'artiste. En effet, Julie Bérès met en avant le fait

103Tiré du spectacle Notre besoin de consolation

74

de s'inspirer du réel, de partir de faits concrets pour penser son spectacle. Son travail part

d'enquêtes de terrain au cours desquelles elle a interrogé des personnes impliquées dans des

pratiques interrogées par la bioéthique. On a donc « Linda Avay, fondatrice de l’entreprise

américaine 23&me, une société de décodage génétique, basée dans la Silicon Valley ;

Raymond Martinot, ancien chargé de cours à la Faculté de médecine de Paris, un pionnier de

la cryogénisation ; Ole Schou, directeur de Cryos, la première banque de sperme au monde

basée au Danemark ; Jaime Wallace, citoyenne américaine, qui milite pour l’autorisation du

clonage reproductif ; le docteur Pathel, directrice d’une clinique indienne basée à Anan,

spécialisée dans les mères porteuses »104.

Durant le spectacle, le recours a des passages d'interviews de ces personnages fait gage de

scientificité du propos tenus et donc d'une certaine objectivité. Avec ce mélange entre le réel

et l'imaginaire, pour lequel le.la spectateur.trice ne sait pas bien ce qui relève de l'un ou

l'autre, la metteuse en scène prétend donc questionner le public sur « un enjeu contemporain »

d'une manière pertinente car tirée de situations réelles. Cependant, elle ne questionne pas, elle

donne un avis sans donner les outils qui permettent de débattre. Ce recours au terrain vient

légitimer, en donnant l'impression de la réalisation de recherches approfondies sur la question,

son travail artistique. En effet, le terrain choisi ne pouvait que mener l'artiste, transformée

pour quelques temps en journaliste ou en chercheuse, vers un discours catastrophiste. En effet,

elle a choisi d'aller interroger les personnes citées plus haut et n'a pas choisi par exemple, de

suivre un couple homosexuel qui grâce à la procréation artificielle vont avoir un enfant ou un

cancérologue qui affirme que le clonage pourra permettre de guérir plus facilement cette

maladie ou autre.

La démarche de terrain est mise en avant dans le spectacle, elle vient légitimer le discours.

C'est une démarche qui ne se veut pas celle d'unE scientifique ou celle d'unE chercheur.se

mais qui prétend poser des questions qu'unE scientifique ou unE chercheur.se poserait.

Cependant, pour prétendre cela, il aurait soit fallu opter pour une position la plus neutre

possible (en étudiant des terrains représentatifs de la diversité des opinions, etc) soit situer son

discours dans le champ des idées. Ici aucune des deux démarches n'est choisies et le propos,

alors qu'il est profondément orienté est présenté comme objectif : il s'agit là de « recherche sur

les enjeux contemporains de la bioéthique »105. Le fait que les discours de personnages

interrogés soit présentés comme gage de la réalité du propos général du spectacle (par rapport

à la part d'imaginaire que l'on y trouve) mène à ne pas questionner la démarche d'enquête

104 Dossier de presse du spectacle : http://www.theatrelesalmanazar.fr/upload/event/document/4.pdf 105 Descriptif du spectacle dans le programme 2011-2012 de la Rose des Vents.

75

mise en œuvre.

En somme, l'esthétique du spectacle, les moyens mis en œuvre et la forme des discours

(questionnements, interviews,...) ont tendance à donner l'impression aux spectateurs d'un

spectacle qui réfléchit sur la question. En réalité, la fécondation in-vitro, la critique de

l'instinct maternel, la critique sur les questionnements liés au genre sont mis au même plan

que le clonage, la programmation génétique, l'eugénisme des nazis, la commercialisation des

corps, la volonté de standardiser l'être humain dans un questionnement général. On notera sur

ce point la projection durant le spectacle d'une vidéo affichant des chiffres sur les causes de la

procréation d'enfants : « tant de % de commande de couples riches qui ne veulent pas

s'embêter à porter un enfant, tant de % de lesbiennes, tant de % de femmes célibataires,... ».

Le regroupement de tous ces thèmes les noie dans un discours général apeurant au sein duquel

les enjeux spécifiques de chaque processus sont totalement laissés de côté.

De plus dans ce contexte, ce qui importe ici, c'est la forme. En effet, l'artiste metteuse en

scène a choisi de déployer un dispositif scénique absorbant. Le recours à une plasticienne, une

circassienne, un scénographe, chorégraphe, danseur,...met en avant l'aspect visuel de ce

spectacle. C'est un spectacle que la metteuse en scène nomme « théâtre sensoriel ». Une

grande attention est en effet portée à la scénographie : décors dignes d'un studio de cinéma de

science fiction (scène mouvante, sur plusieurs étages avec par exemple un « sous-sol » en

verre,...), éclairages et sons qui jouent sur les émotions des spectateurs (crainte, peur,...) grâce

à, du côté de l'éclairage, une ambiance lumineuse sombre alternée par de grandes lumières

blanches, du côté du son, de nombreuses voix off qui semblent sortir de nul part.

On a donc une forme qui veut faire appel à l'émotion des spectateurs, faire appel « à tous les

sens » des spectateurs. Or, que transmet ce spectacle sur le plan émotionnel/sensoriel : de la

peur, de la méfiance et de la crainte. Donc au final le.la spectateur.trice absorbéE par la forme

ne fait pas attention au fond. Cette forme artistique, comme nous l'avons vu plus haut avec les

concepts brechtiens de distanciation par exemple, n'est pas favorable à la réflexion, du moins

elle ne fait pas appel à la raison. Le spectacle transmet donc une émotion, une sensation face à

un phénomène de société.

Cette émotion transmise, en l'occurrence la peur, la crainte ou du moins la méfiance, concerne

un sujet de société, et cette émotion est légitimée par le fait que l'artiste se soit documentée,

qu'elle soit allée à la rencontre de personnes concernées par ce sujet.

En somme, le propos se trouve objectivé par les spécificités de son genre théâtral, genre pour

76

lequel c'est la forme qui compte. Donner son avis, aussi réactionnaire qu'il soit n'est bien sûr

pas le problème. Le problème c'est qu'il soit ainsi présenté. Cet avis est inséré dans un support

pour lequel l'avis n'est pas important et le débat sur le contenu paraît alors déplacé. Il aurait

été extrêmement intéressant d'avoir recours à la deuxième étape de l'étude d'un support

culturel décrite par Eric Macé c'est-à-dire l'étude de la réception du spectacle pour ce cas.

Qu'en tire les spectateurs.trices? Ont-ilLEs l'impression d'avoir vu un spectacle présentant un

point de vue?

Lorsque nous discuterons de l'agencement entre le fond et la forme avec le programmateur de

ce spectacle, il confirmera l'idée de ce type de spectacle oriente le regard sur la forme.

Lorsque nous lui exposerons notre avis sur ce spectacle, à savoir que la forme nous avait

impressionné mais que nous n'adhérions pas du tout au message, il nous demandera d'abord

de lui rappeler le fond puis nous dira qu'il a beaucoup apprécié la forme mais qu'il ne se

« souvient quasiment pas du fond, du discours ».

Cela pose alors la question de l'agencement entre un tel support culturel (pour lequel tout est

concentré sur la forme) et un propos politique. Ici on a un discours contenant une idéologie

particulière sur les concepts de genre, de nature, de science sans qu'il y ait d'espace pour

discuter, contester le propos. Ce spectacle se présente comme un spectacle qui interroge sur

des sujets de société. Or il n'interroge pas, à proprement parler, c'est-à-dire sur le plan de la

raison, mais glisse un ressenti négatif.

C. Dé-jouer le genre : l'art comme espace de dé-marquage

1. Un jeu riche et consistant qui ne fait pas entrer en jeu les stéréotypes de genre.

Tempête sous un crâne106 est une adaptation des Misérables de Victor Hugo. La pièce

est en deux parties, la première se passe à l'époque des Misérables, la deuxième est adaptée à

l'époque d'aujourd'hui. L'analyse du système de genre dans ce spectacle peut juste pointer le

fait, que pour donner de la profondeur et de la consistance aux personnages, il n'est pas

forcément utile de recourir aux caractéristiques dites masculines ou féminines.

En effet, l'originalité du spectacle est marquée par les choix de mises en scène : dans une

première partie, l'ensemble des personnages du roman est joué par deux interprètes, ils seront

cinq dans la seconde partie. Ils jouent tour à tour Javert, Fantine, Jean Valjean, Cosette,

106 Tempête sous un crâne, d'après les Misérables de Victor Hugo, mis en scène par Jean Bellorini, Théâtre du Nord. Mardi 14 février 20h.

77

Gavroche ou encore Les Thénardiers. Peu importe le sexe du/de la comédienne, peu importe

le sexe du personnage joué. Les comédiennes n'ont pas des rôles de filles, les comédiens n'ont

pas des rôles de garçons. Tous, pourtant, ont en tant qu'acteur une personnalité et une présence

très forte, mais aucun n'a recours plus aux valeurs du masculin qu'aux valeurs du féminin ou

vice-versa. Le fait qu'ils racontent tous les personnages d'un seul et même corps, les jeux de

genre s'effacent pour laisser transparaître des jeux humains, dénués de tous stéréotypes

sexistes.

On sera marqué sur ce point par le jeu de Clara Mayer. En effet, cette comédienne présente

dans les deux parties, joue tantôt Gavroche, tantôt Jean Valjean, tantôt Faustine et à aucun

moment elle ne semble trouver nécessaire de faire appel aux artifices du genre pour rendre

plus réel ses personnages. Elle donne de la consistance aux personnages, de la profondeur et

de la force, le tout en semblant laisser de côté la performance du sexe.

2. Désigner les normes corporelles et les normes de genre comme un obstacle à la communication.

Il s'agit ici du spectacle, Sortir du Corps, mis en scène par Cédric Orain et programmé

à la Rose des Vents. Cette pièce est basée sur différents textes de Valère Novarina. C'est un

spectacle de la Compagnie de l'Oiseau-Mouche, troupe permanente basée à Roubaix, formée

de comédiens professionnels, en situation de handicap mental. Sortir du corps compte 2

comédiennes (Florence Decourcelle et Valérie Szmigielski) et 3 comédiens (Lothar Bonin,

François Daujon, Clément Delliaux).

Les thématiques de ce spectacle sont l'acteur, le théâtre, le texte mais aussi et surtout le corps.

Ce spectacle explore les liens entre la parole et le corps. Quand un corps vient sur cette scène,

c'est toute la mécanique du corps humain qui est mise en avant : par où ça passe quand on dit

un texte « voir la parole sortir du corps. Pour voir par où ça passe, comment ça circule, par où

ça pousse, comment ça s'expulse des corps là-bas sur le plateau. Pour voir tout ce qu'il y a

d'invisible dans le corps, tout ce qui est sans nom, qui vient du fond du ventre et qui jaillit là-

bas sous les pleins feux »107. Il s'agit aussi d'explorer les corps qui s'approprient le texte et de

se demander « est-ce que la parole change le corps? »108.

C'est une vision qui interroge un corps, un corps qui n'est présenté ni comme de la

simple matière, ni comme l'humain dans son entier. La catégorie corps est constamment

107 Orain (C.) texte de présentation du spectacle Sortir du corps d'après Valère Novarina in programme de la saison 2011-2012 de la Rose des Vents, p 43.

108 Ibid.

78

questionnée, remise cause jusqu'à ce que le.la spectateur.trice ne sache plus ce qu'est le corps,

qui devient alors une entité abstraite. Peut-être la vision exprimée dans ce spectacle se

rapproche de celle développée par Antonin Artaud : le corps apparaît paradoxalement, d'une

part sans importance, à dépasser, mais d'autre part il s'avère être le vecteur phare par lequel

l'esprit peut-être atteint. En fait, le corps et l'esprit ne sont pas conçus comme deux entités

distinctes, et « c'est par la peau qu'on fera entrer la métaphysique dans les esprits »109.

L'interrogation sur ce qu'est le corps se traduit aussi par une remise en cause des modèles

corporels. Le modèle social commun s'envole. Les acteurs, dans une scène cruciale,

présentent leurs corps à nu, sans la volonté de les conformer par les attitudes corporels, les

présentations de soi dans les normes du modèle du corps « parfait » élaboré par notre société.

Cet acte nous fait penser aux propos tenus par le chorégraphe, R. Hoghe, propos cités par

François Frimat dans son article Danse avec le genre : « Voir sur scène des corps qui

s’éloignent de la norme est important, non seulement du point de vue de l’histoire, mais aussi

du point de vue de l’évolution actuelle qui tend à rabaisser le statut de l’homme à celui

d’artefacts ou d’objets design. »110 Ici, si le genre et le sexe sont mis en question, ce n’est pas

tant comme identificateurs biologiques que comme codes inauthentiques qui altèrent les

possibilités d’échange et de rapports émotionnels entre les êtres »111.

Sortir du corps c'est donc aussi sortir des normes. Les normes donnent à voir le corps

selon des critères tels que malade ou sain, équilibré ou déséquilibré, beau ou moche ou encore

masculin ou féminin. Ce sont de toutes ces normes assignées au corps que les personnages

veulent s'échapper. Ils revendiquent une humanité qui va au-delà des catégories assignées aux

individuEs en fonction de leur corps.

Ainsi, la question du genre apparaît ici comme une question qui a besoin d'être dépassée, une

question liée aux normes, une norme dont les personnages veulent se détacher :

« car un homme n'aspire qu'à ça : changer le corps donné. C'est la seule passion qui nous

anime sortir du corps (…) changer de sexe... »112

Le jeu du théâtre est présenté comme modifiant le corps. Dans un monologue, Florence

Decourcelle déclame « l'acteur qui joue sait bien que ça lui modifie réellement le corps, que

ça le tue à chaque fois ». Le jeu d'acteur est ici présenté comme « protestation contre le corps

109 Artaud (A.), Le théâtre et son double, Folio/essais n°14, 1985110 Propos de R. Hoghe in Philippe Noisette, Danse Contemporaine, mode d’emploi, Paris, Flammarion, 2010,

p. 218 in Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89. 111 Frimat (F.) , « Danse avec le genre » , Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.112Novarina (V.) in Sortir du Corps pièce tirée des textes Lettre aux acteurs, Pour Louis de Funès (in Le

Théâtre des proles, Ed. P.O.L, 1989) l'Opérette imaginaire (ED. P.O.L, 1988) mise en scène par Cédric Orain, Compagnie de l'Oiseau-Mouche. En représentation à la Rose des Vents du 14 au 17 février 2012.

79

humain »113.

Dans l'image finale, tous les acteurs se présentent dénudés. Parmi eux un homme porte une

prothèse mammaire. Le message est clair : on est un acteur car on refuse de se mettre dans le

corps imposé. Imposé ici contient aussi bien le handicap que le sexe.

Dans les deux cas décrits ici, la volonté initiale d'analyser les représentations du

système du genre dans ces pièces a été déplacée par le fait que ces pièces, par un moyen ou un

autre, consciemment ou inconsciemment, déjouent le système du genre. La première pièce le

déjoue car elle ne reprend pas sur le plateau les codes que le système de genre implique. Les

acteurs sont de manière presque paritaire autant des hommes que des femmes et le fait que

l'acteur en jeu soit de sexe masculin ou féminin n'influence en rien, d'une part le choix de

jouer tel ou tel personnage et d'autre part, la manière stéréotypée ou non de les jouer. La

deuxième pièce, le déjoue car en présentant les corps de manière non sexuée et en affirmant

vouloir sortir du corps et sortir du sexe, elle montre d'une part, l'obsolescence du système de

genre et d'autre part son rôle d'artifice.

Dans cette seconde partie du mémoire, nous avons tenté de faire une typologie des

différentes pièces que nous avons vu en fonction des représentations données à voir sur le

système de genre. Nous avons donc vu que la pièce de théâtre peut (re)produire des

stéréotypes liés au système de genre. Cependant il faut aussi penser le propos de la pièce dans

son ensemble et cette pensée peut mener à relativiser l'idée que la pièce reproduit sans mettre

en lumière le système de genre et son caractère artificiel. Quand Iréne Bonnaud met sur scène

des caractères féminins très marqués, des personnages aux personnalités très affirmées et

qu'en même temps cette pièce met clairement en lumière un système social, le patriarcat, cela

ne met-il pas en lumière certains mécanismes du système de genre? Le fait de mettre en

lumière à la fois le patriarcat et la forte personnalité des personnages ne mène t-il pas à l'idée

que, si ces personnages féminins sont consignés à la sphère privée, ça n'est pas car leur

caractère les pousse, par essence à ne pas s'affirmer dans la sphère publique mais bien que

c'est le patriarcat qui les confine ainsi dans cette sphère privée. Dans cette pièce on voit bien

que c'est le système du patriarcat qui confine les femmes à une certaine position sociale et non

leur manque de caractère et de volonté.

Ensuite, nous avons aussi vu qu'une pièce de théâtre peut, par son caractère d'œuvre d'art, être

113Novarina (V.) Ibid.

80

presque dispensée de jugement sur le message qu'elle porte. Si elle n'en est pas forcément

dispensée elle amène tout de même, par sa démarche, à ne pas y porter attention. Ce

phénomène nous a mené à dire que la forme d'une œuvre peut masquer son fond ou plutôt que

le regard porté uniquement sur la forme en masque le fond. On peut cependant se demander si

la pièce a été reçue et réfléchie en fonction du message qu'elle portait. Peut-être les

spectateurs.trices étaient conscients du message porté par la pièce? Cela demanderait une

analyse sur la réception de ce spectacle.

Enfin, nous avons aussi vu qu'une pièce de théâtre peut déjouer le genre. Elle peut d'une part

se passer ou du moins rendre minime, les règles du genre qui organisent les rapports sociaux.

Elle peut d'autre part, clamer la désuétude du classement des individuEs dans telle ou telle

catégorie.

L'art produit donc des images qui peuvent influencer la vision du monde au quotidien.

Au cours de cette analyse on voit bien le caractère politique des images produites par

les artistes. Créer une œuvre artistique c'est proposer un regard particulier sur le monde. C'est

donc aussi donner une représentation des rapports sociaux et des rapports de sexe. « Les

représentations ne sont pas le reflet de la réalité, mais « donnent à voir » une mise en forme,

voire une mise en ordre de la réalité, pour expliciter un ordre social établi, mais aussi pour le

légitimer. Ainsi les productions « symboliques », outre des vecteurs de transmission de

connaissances ou de formation des goûts, sont des productions normatives sur ce

qu'est/devrait être/doit être un vrai homme, une vraie femme, un vrai petit garçon, une vraie

petite fille, et le « commerce » convenable entre les sexes, en sachant que le masculin et le

féminin ne sont jamais sur un pied d'égalité. »114.

Un autre point est primordial à souligner lorsque l'on analyse les productions

artistiques sous l'angle des représentations du système de genre qu'elles donnent à voir. Dans

la plupart des rôles qui sont joués par les acteurs, en particulier lorsque ces rôles sont dotés de

stéréotypes de sexe, une partie consiste à jouer un sexe. En effet, les acteurs sont amenés à

doter leurs personnages d'attributs de sexe. Par exemple, un acteur qui va jouer son

personnage va être amené à signifier que ce personnage est masculin : il va donc adopter des

positions masculines, parler de façon masculine, s'habiller de façon masculine. Il en va de

même lorsqu'il s'agit de jouer un personnage féminin : pour signifier qu'il est du sexe féminin,

l'acteur ou l'actrice va être amené à adopter des codes qui feront que le personnage sera vu

114 Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et résistances », en cours de publication. p.10

81

comme un personnage féminin : positions féminines, façon de parler féminine, façon de

s'habiller féminine, etc. Les acteurs et actrices jouent donc un sexe afin de le rendre réel aux

yeux des spectateurs.trices. Ce jeu est à la base de l'idée de genre comme performance. En

effet, dire que le genre est une performance, c'est dire que pour être réel, il a besoin d'être

performé. Il a donc besoin d'actes qui viendront lui donner sa réalité. Ces actes, ce sont des

« performances du quotidien » (adopter une position masculine ou féminine, parler de façon

masculine ou féminine, s'habiller de façon masculine ou féminine) qui sont en fait semblables

à celles que réalise l'acteur lorsqu'il dote son personnage d'un sexe. En somme, le jeu de

l'actrice ou de l'acteur qui va jouer une femme ou qui va jouer un homme met en lumière le

fait que le genre est une performance. Ces jeux peuvent donc être, s'ils sont mis en lumière, à

la base d'une subversion du système du genre. En effet, si le fait d'« être » un homme ou d'

« être » une femme relève d'un jeu quotidien, alors il existe des pistes pour déjouer ce jeu.

Mettre au jour cela, ce n'est pas penser que le corps n'a pas de réalité matérielle115, mais c'est

penser que le corps n'est rien sans les actes qui viennent le mettre en jeu.

CONCLUSION

Les différentes manières d'aborder la question du genre deviennent compréhensibles

lorsque l'on replace la question du genre dans une vision politique plus générale. Ainsi, nous

avons vu que la façon de concevoir la question théâtre/genre dépend de la philosophie du

théâtre et de la conception du lien qu'il peut y avoir entre théâtre et politique de la personne

programmatrice. Nous avons vu que cette philosophie dépend elle-même de l'opinion

politique et artistique de la personne programmatrice, opinion elle-même liée à la position

sociale et à la socialisation de l'individuE mais aussi dépendante du type de règle (implicite et

explicite) en vigueur dans l'institution dans laquelle il.elle exerce son activité de

programmation.

Ensuite, si l'analyse des représentations du genre dans les pièces de théâtre, par son

faible champ d'investigation ne nous permet pas de faire des liens de causes à effet entre les

discours produits par les programmateurs et les représentations données à voir, met en avant

l'intérêt d'analyser les représentations du système de genre dans les pièces. Les productions

des artistes ne sont pas neutres, elles diffusent des normes et valeurs. Dans le système du

115 Critique adressée à Judith Butler suite à son ouvrage Trouble dans le Genre à laquelle elle a répondu par la publication d'un autre ouvrage : Ces corps qui comptent, de la matérialité et des limites discursives du « sexe », Éditions Amsterdam, Paris, 2009.

82

genre, ces normes et valeurs ont une importance phare car elles viennent s'inscrire dans les

référents du processus mimétique du genre.

En outre, on constate, à travers nos enquêtes de terrain et nos lectures, que la sensibilisation

des acteurs culturels (des programmateurs.trices aux acteurs.trices en passant par les

metteurs.ses en scène) à ces questions théâtre/genre a sensiblement progressé depuis, d'une

part, la diffusion des rapports Reine Prat et d'autre part depuis la création des collectifs H/F.

Lors des entretiens avec les programmateur.trices, touTEs connaissaient le collectif H/F Nord-

pas-de-calais et savaient situer, plus ou moins bien selon les cas, leur discours.

Enfin, si nous avons pu montrer que la question du genre s'inscrit dans un ensemble

plus large, il n'empêche que la sensibilisation à cette question peut faire évoluer les opinions

et d'une part, sur la partie (le genre) et d'autre part sur l'ensemble (la vision du monde, la

conception du théâtre).

En effet, par le biais de cette question du genre, des réflexions phares peuvent être engagées :

réflexion sur la position de l'artiste dans le monde, réflexion sur l'importance d'une plus

grande représentativité des différentes catégories sociales (sexe, race, classe), réflexion sur

l'importance des modèles donnés. Réflexion aussi sur la norme car pour reprendre les termes

d'Eric Fassin, « l'insertion de la question de la parité vient rendre visible les normes en tant

que telles - de sorte que, paraissant moins « normale », la réalité qu'elles font percevoir se

révèle pour ce qu'elle est : normée »116.

Ainsi, provoquer des débats sur la question théâtre/genre ne peut qu'enrichir le milieu culturel

et le domaine des recherches en gender studies...

« C'est à partir de la représentation théâtrale que le genre lui-même peut-être appréhendé

comme performance. Le théâtre devient alors l'image d'un renversement de la représentation,

qui n'apparaît plus tant comme le miroir que comme une performance constitutive de la

réalité. Représenter, ce n'est pas refléter, c'est produire. Du coup, le sexe de l'acteur de

théâtre, comme le sexe de l'acteur politique, ou encore de l'auteur, en matière de littérature ou

d'art garde toute son importance-non plus comme la vérité fondatrice de l'œuvre, mais comme

la trace faisant ressortir une performance qui n'est pas reflet mais production de vérité. »117

116 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303.

117 Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection

83

Bibliographie

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extraits de : -De la Bellacasa « Think we trust. Politiques féministes et construction des savoirs », thèse de doctorat, 2004, université libre de Bruxelles, faculté de philosophie et de lettres, p 190-Haraway Donna, « Savoirs situés-la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle » in Manifeste cyborg et autres essais-sciences-fictions-féminismes, exils 2007.

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Art (principalement théâtre) /Genre : -Fassin (E.), « Le genre en représentations », in elles@centrepompidou. Artistes femmes dans la collection du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 300-303. - Frimat (F.) , « Danse avec le genre », Cités, 2010/4 n° 44, p. 77-89.

du Musée national d’art moderne, du Centre de création industrielle [catalogue de l’expo-collection présentée au Centre Pompidou à partir du 27 mai 2009], Éditions du Centre Pompidou, Paris, 2009, p 302.

84

-OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007-OutreScène n°12 Contemporaines? Rôles féminins dans le théâtre d'aujourd'hui, La revue de la Colline, mai 2011-Pollock (G.), « des canons et des guerres culturelles », in Cahier du Genre, 2007/2 n°43, p. 45-69.-Prat (R.), « Pour une plus grande et une meilleure visibilité des diverses composantes de la population française dans le secteur du spectacle vivant : pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, à la maîtrise de la représentation », Mission pour l'égalité et contre les exclusions (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°1, 2006-Prat (R.), « Pour l'égal accès des femmes et des hommes aux postes de responsabilité, aux lieux de décision, aux moyens de production, aux réseaux de diffusion, à la visibilité médiatique : De l'interdit à l'empêchement », Mission pour l'égalité h/f (MCC, DMDTS), rapport d'étape n°2, 2009

Analyse des représentations : -Brugeilles (C.) « Les représentations du masculin et du féminin dans les albums illustrés ou comment la littérature enfantine contribue à élabore le genre », in Population, 2002/2 vol. 57, p 261-292.-Brugeilles (C.) et Cromer (S.), Analyser les représentations du masculin et du féminin dans les manuels scolaires in CePeD, Paris, 2005.-Brugeilles (C.), « le sexisme au programme? Représentations sexuées dans les lectures de référence à l'école », Travail, Genre et sociétés, 2009/1, n°21, p107-129.-Cromer (S.), « Le masculin n'est pas un sexe : prémices du sujet neutre dans la presse et le théâtre pour enfants », Cahiers du genre, 2010/2 n°49-Cromer (S.) in « Les spectacles pour le jeune public au regard de l'égalité des sexes : conscience et résistances », en cours de publication.

Conférences/Festival : -Festival Je(ux) de genre, événement artistique/féminismes et gender studies, Théâtre Massenet, du 16 au 31 mars 2012-Assemblée constitutive du collectif H/F Nord-pas-de-calais, réunion publique, Le Prato, 30 janvier 2012. -Buscatto (M.), Eclairer le "plafond de verre" en art. Réflexions autour des obstacles et des transgressions artistiques, conférence donnée lors de la journée de débat "Les inégalités femmes/hommes dans l'art", organisée par EfiGiEs (Études Féministes, Genre et Sexualités), Pavillon Carré de Baudouin, Paris, 3 mars 2012

85

ANNEXES

Annexe n°1. Note sur l'orthographe :

Le choix de l'orthographe ne relève pas d'une méconnaissance des règles d'orthographe

française. La démarche témoigne d'une part, d'un refus d'adopter la règle grammaticale du

« masculin qui l'emporte » et d'autre part, de la volonté de ne pas se contenter de féminiser les

mots.

Ainsi au lieu d'écrire « ils et elles » nous choisissons de contracter les deux pronoms ce qui

donne « ilLEs ». Par ce choix, l'idée est de tendre vers un langage libéré de la binarité

systématique « homme » ou « femme ». Par ce biais, « ilLEs », peut en effet, être utilisé

autant pour désigner un groupe de personnes désigné comme masculin, féminin, mixte,

indéterminé.

L'idée ici n'est pas de proposer des règles d'orthographe pérennes mais bien d'ouvrir une

réflexion un langage non sexiste et non genré.

86

Annexe n°2. Chiffres extraits du rapport Reine Prat 2006.

En totalité sur : http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/rapports/prat/egalites.pdf

une situation fortement inégalitaire...Dans cet ensemble, la situation des femmes et des hommes est fortementinégalitaire.

Qui dirige les institutions ?Ce sont des hommes qui dirigent :– 92% des théâtres consacrés à la création dramatique.– 89% des institutions musicales.– 86% des établissements d'enseignement.– 78% des établissements à vocation pluridisciplinaires.– 71% des centres de ressources.– 59% des centres chorégraphiques nationaux.

Qui a la maîtrise de la représentation ?– 97% des musiques que nous entendons dans nos institutions ont étécomposées par des hommes.– 94% des orchestres programmés sont dirigés par des hommes.– 85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes.– 78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes.– 57% ont été chorégraphiés par un homme.

Qui dispose des moyens financiers ?– En 2003, la moyenne des subventions attribuées aux scènes nationales parl’ensemble de leurs partenaires était de 2.096.319 €.– Quand elles étaient dirigées par un homme, cette moyenne s’élevait à2.347.488 €.– Quand elles étaient dirigées par une femme, la moyenne des subventionsperçues était de 1.764.349 €.

87

Annexe n°3. Tableaux répartition hommes-femmes pour la maîtrise de la production

artistique dans les théâtre étudiés 2011-2012

I. Tableau récapitulatif. Mise en scène.

Théâtre Massenet hors festivals 50,00%Avec festival Je(ux) de Genre 63,17 % ♀

36,83% ♂

Théâtre du Nord Hors festival 18,75% ♀81,25% ♂

Avec festival Prémices 36 % ♀

64% ♂

La Rose des Vents (Spectacle catégorisé tout ou partie en théâtre)

Hors festivals 16,66 % ♀

83,34% ♂

Avec festival Prémices et festival Next

34,62 % ♀

65,38% ♂

Le Théâtre de la Découverte à la Verrière

46,15 % ♀

53,85 % ♂

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II. Théâtre Massenet

Saison Théâtre Massenet

Titre AuteurEs (textuel et/ou scènique)

Metteurs-metteuses en scène

Médée Euripide Marion LaboulaisOnnagata Léo Lequeuche Léo LequeucheLes femmes à barbe bleue Priscillia Sombret, Audrey

ChaponDéguisés pour le paradis Violaine Debarge Violaine DebargeCabaret foireux Julie Canadas, Audrey et

Stéphanie ChamotJulie Canadas, Audrey et Stéphanie Chamot

L'histoire de la terrible Baba Yaga, sorcière de son Etat!

Emmanuel Plovier

Immortelles Laurent Petit François GodartCarte Blanche à l'association pour un Théâtre d'Oklahoma

Hanokh Levin Olivier Chantraine

La mort d'Olivier Bécaille Emile Zola Maxence CambronLa Princesse et l'Homme sans cœur

Juliette Dollé Juliette Dollé

Burlesque, bidules en suspension et catastrophes de synthèse

Edouard Cuvelier, Valentin Duhamel, Jacques Schuler

Hamlet Machine(s) Heiner Müller Lola Lebreton6 auteurs sur 9=♂. 66,67% des auteurEs sont des hommes

6 des metteurs-metteuses en scène sur 12 =50%

Festival Je(ux) de genre

Titre Conception et mise en scèneMinotaure Johanna Classe, Charles Compagnie, Ellénore

Lemattre, Julia RagainPrincesse Audrey Robin et Amélie PoirierUne femme-fragments Pauline Van Lancker (texte de Pauline Annie

Ernaux)Tirées d'une histoire vraie, pute! Pauline Brottes et Emilie Sri Hartati CombetLa jeune fille et la morve Amélie Poirier (et Matthieu Jedrazak)Mon corps est un champs de bataille Ratiba Mokri

89

Presque 100%

III. Théâtre du Nord

Saison Théâtre du Nord.

Titre de la pièce AuteurEs Metteurs.ses en scèneLes âmes mortesLos hijos se han dormidoDom JuanLes amis du présidentJours souterrainsSoleil couchantTempête sous un crâneLe suicidéMa chambre froideMy secret gardenLa balade des noyésOhneLa bonne âme du Se-Tchouan

Nikolaï GogolDaniel VeroneseMoliéreAlain GautrèArne Lygre ♂Isaac babelVictor hugoNicolaï ErdmanJoël PommeratFalk RichterCarlos Eugenio LopezDominique WittorskiBertolt brecht

Anton KouznetsovDaniel VeroneseJulie BrochenPierre Pradinasjacques vinceyIrène BonnaudJean BelloriniPatrick PineauJoël PommeratStanislas Nordey, Falk RichterEva Vallejo et Bruno SoulierVincent Dhelin et Olivier MenuStuart Seide

=13hommes sur 13=100% des auteurs sont des hommes

= 3 femmes sur 16 =81,25% sont des hommes

Festival Prémices (Théâtre du Nord et Rose des Vents)

Titre de la pièce Auteurs auteures Metteurs-metteuses en scèneTristesse animal noirQuand les fous affolent la mortSoundStop the tempoLes Grands plateauxAbattoirIt's so niceCréation 2012

Anja Hilling Ghérasim LucaMaud LeroyGianina carbunariuDenis LachaudBernadette AppertBarbara Sylvain et Lula BéryTiphaine Raffier

Julien Gosselincollectif mené par S. AmblardMaud LeroyCaroline MounierJean-Philippe NaasBernadette AppertBarbara Sylvain et Lula BéryTiphaine Raffier

=2 hommes sur 9.=22,22% des auteurs sont des hommes

=3 hommes sur 9.=33,3% des auteurs sont des hommes

90

IV. Rose des Vents

Saison Rose des Vents : uniquement là où il y a théâtre. Titre AuteurEs (textuelle, scénique) Metteurs.ses en scènePrometheus-Landscape II. Jan Favre (conept, mise en

scène et scènographie)Du fond des gorges Pierre NeunierLe signal du promeneur Romain david, jérôme de Falloise, David

Murgia, Benoit Piret, Jean babptiste Szezot

Britannicus Françoise DelrueNotre besoin de consolation Julie BérèsSortir du Corps Valère novarina Cédric OrainBloed&rozen Tom Lanoye Guy CassiersUne histoire dite par un idiot Christophe Piret Christophe PiretMonkey Stef Lernous (mec)Outrage au public Peter Handke Peter Van den EedeLes quatre jumelles Copi (auteur argentin, leader

mvt gay)Jean-Miche Rabeux

Appassionatamente Werner schwab (dramaturge autrichien)

Maurizio Lupinelli

6 sur 6 des auteurs = 100% hommes

2 sur 12 des metteurs-ses en scène= 16,66%♀ 83,34%♂

Rose des Vents : Danse

Titres Chorégraphes

Kohkuma 7° sud Serge Aimé Coulibaly

Nuda Vita Caterina sagna et Carlotta Sagna

confluence Chorégraphe : Akram Khan (masculin)

Messiah Run Hans Van den Broeck

Au-delà Koen Augustijnen (masculin)

Les derviches tourneurs de Konya

rouge Olivier Dubois

Teach Us to outgrow our madness Erna Omarsdottir

2 Sur 7 chorégraphes= femmes28,57% de femmes, 71, 43 d'hommes

Festival Next liant cinq théâtre : Rose des vents, Kortrijk Schouwburg (B), Kunstencentrum Buda Kortrijk (B), Espace Pasolini-Théâtre international de Valenciennes, la maison de la culture à Tourani (B.)

91

Land's End Groupe Berlin : bart baele et Yves Degryse

Los Hijos se han dormido Anton Tchekhov Daniel VeroneseHabit(u)ation Anne-cécile VandalemBefore your very Eyes Collectif d'artistesL'avare Molière Ivo van HoveOn the concept of the face Romeo Castelluci

1 sur 5 des metteurs-ses = femmes20% de femmes. 80% hommes

Danse Festival Next

Kiss and Cry Michele Anne de Mey, Jaco Van Dormael

JJ's Voices Benoit Lachambre

Révolution Olivier Dubois

Oedipus/bêt noir Wim Vandekeybus

1 sur 5 des chorégraphes= femmes20% femmes, 80% hommes.

92

V. Théâtre de la découverte à la Verrière

Titre AuteurEs Metteurs-metteuses en scèneMa révérence Michel Quint Dominique SarrazinTerreur Torero Ricardo Montserrat/Pedro

LemebelEsther Mollo

Heureux qui comme Ulysse Jean Pierre Vernant/Homère Vincent DhelinCombat Gilles Granouillet Jacques DescordeL'homme qui... Peter Brook/marie-Hélène

EstienneFrançois Godart (création son et vidéo : Juliette Galamez)

Ce jour-là ils décidèrent, chacun à sa manière, qu'ils en avaient assez

Joseph O'Connor, Michael Collins, Colum McCann

Yves Brulois

Bérénice dolorosa, une passion

Ludovic Longevin d'après Racine

Ludovic Longevin

Mademoisselle Maria K dans Médée de Sénèque

Cécile Gheerbrant d'après Sénèque

Cécile Gheerbrant

C'est qui, Médée? Autour du Médée de Franca Rame

Catherine Gilleron

Médée Euripide Marion LaboulaisLa peau de l'eau Fatiha Nacer Fatiha NacerAprès le déluge Thomas Piasecki Thomas PiaseckiLa nuit de l'ours Ignacio del Moral

4 auteurEs sur 16 sont des femmes = 25 % d'auteurEs sont des femmes, 75% des hommes

Agathe Alexis

6 metteurs.ses en scène sur 13 sont des femmes = 46, 15% de metteurs-ses en scène sont des femmes, 53,85% sont des hommes.

93

Annexe n°4. Questionnaire Théâtre/Genre envoyé aux artistes.

In OutreScène n°9 Metteuses en scène, le théâtre a-t-il un genre?, La revue du théâtre national de Strasbourg, mai 2007

1. A votre avis, le fait d'être une femme influe-t-il sur vos choix de répertoire, sur votre rapport aux œuvres, aux auteurs, aux personnages? D'une façon générale, diriez-vous que votre travail (ses objets, ses méthodes) est lié à un rapport féminin au monde (de la même façon que la loi sur la parité a pu être défendue au nom d'une complémentarité des points de vue des hommes et des femmes et de leurs façons différentes d'agir)?

2. Dans le choix que vous faites des actrices, dans la direction de travail que vous leur donnez, le fait que vous soyez une femme joue-t-il? Les images stéréotypées de la féminité sont-elles pour vous un problème au théâtre (en tant que spectatrice)? Essayez-vous de les déplacer dans votre propre travail?

3. Jusqu'au XIXe siècle, en raison de réalités sociologiques, la plupart des pièces du passé mettent en scène des destinées très différentes pour les hommes et les femmes, quand elles n'opposent pas carrément un univers masculin et un univers féminin. A partir de notre monde occidental moderne où de telles oppositions se sont estompées, comment regardez-vous ces pièces? Pensez-vous par exemple, comme le disait Antoine Vitez, qu'il faut montrer la misogynie de Tchekhov et celle de Molière?

4. Sur le plan imaginaire cette fois, et non plus historique ou sociologique, l'opposition du masculin et du féminin-la différence sexuelle-vous semble-t-elle une opposition structurante qui oriente votre perception du monde et des textes? Diriez-vous que la différence sexuelle est un thème du théâtre que vous faites?

5. On dit couramment que les artistes hommes expriment une féminité dans la création, que les acteurs ont une part de féminité, etc. Reconnaissez-vous dans votre place de metteuse en scène et votre travail une forme de masculinité?

6. Certaines théories actuelles abordent les normes de genre (l'obligation de se définir soit par rapport à la masculinité, soit par rapport à la féminité, et la perception binaire du monde qui en découle) comme des constructions idéologiques et politiques, et s'intéressent de plus en plus aux individus qui ne se reconnaissent pas dans ces identifications. Est-ce que ce type de réflexion, qui remet radicalement en cause l'opposition masculin/féminin comme structurante et sous certains aspects (ceux de la vie psychique par exemple) indépassable concerne peu ou prou le théâtre que vous faites?

94

Annexe n°5. Personnages de sexe masculin/féminin dans Soleil Couchant118 et Le

Suicidé119

Soleil Couchant : 79,16% de personnages masculins contre 20,83% de personnages féminins.

Du côté des personnages de sexe masculin Ceux de sexe féminingangster Maitresse de Mendel KrikApprenti forgeron Cuisinière chez les KrikMarieur et shames de la synagogue des

charretiers

Femme de Mendel Krik

hussard Marchande de pouletsgangster Soeur de Benai Krik, Mme Popiatnik

chanteuse à la taverne de l'ours noirCharretier au service de Mendel KrikserveurChantre de la synagogue des laitiersbanquierHomme d'affairesRabin (jouée par une femme, Laurence

Mayor, celle qui joue la femme de Mendel

Krik)Propriétaire de l'entrepriseAvocat véreuxExportateur de céréalepaysanUn étudiant d'une école talmuniquemusicienPatron d'une entreprise de transportmarchand de bétail

118 Soleil Couchant, texte d'Isaac Babel, mis en scène par Irène Bonnaud, Théâtre du Nord, du 2 au 8 février 2012

119 Le Suicidé, texte de Nicolaï Erdman, mis en scène par Patrick Pineau, Théâtre du Nord, du 15 au 23 février 2012

95

Le Suicidé : 68; 42% de personnages masculins, 31, 57% de personnages féminins.

Acteurs/actrices Personnages masculins Personnages fémininsAnne Alvaro Sérafima Ilinitchna, La belle-

mère de SémionovitchLouis Beyler Le père Elpidy, le prêtreNicolas Bonnefoy Pougatchov, Nikifor

Arsentiévitch, le boucherHervé Briaux Grand-Skoubik, Aristarque

DominiquovitchDavid Bursztein Oleg LéonidovitchCatalina carrio fernandez Raïssa FilippovnaLaurence Cordier Cleopatra MaximovnaNicolas Daussy Un musicienJérôme Derre Podsékalnikov, Sémione

Sémionovitch (personnage principal)

Nicolas Gerbaud Un musicien, un jeune homme muet, un serveur, un diacre

Aline Le Berre Péresvétova, Margarita Ivanovna

Manuel Le Lièvre Iégoroutchka, légor Timoféïévitch

Laurent Manzoni Kalabouchkine, Alexandre Pétrovitch, le voisin

Babacar M'Baye Fall Viktor Viktorovitch, l'écrivainSylvie Orcier Maria Loukianovna, l'épouse

de Sémione SémionovitchFlorent Fouquet Un musicienRenaud Léon Un hommeCharlotte Merlin Une femmeEliott Pineau Orcier Un homme

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