Facing the Future: NATO's basket of Choices and the Riga summit

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Les Cahiers du RMES Volume III, numéro 2, hiver 2006 La réflexion au service de l’opinion et de la décision Vers une politique intégrée de l’énergie : quelles stratégies énergétiques pour l’Union européenne ? Par Raphaël Mathieu et Eugnio Incoronato Running to Capharnaüm : Quelques leçons de l’opération Changement de direction (Liban, juillet-août 2006) Par Joseph Henrotin Espace, sécurité et défense : les conditions d’existence d’une stratégie européenne Par Alain de Neve Facing the Future: NATO summit in Riga and the relations between NATO and Russia. Par Marios P. Efthymiopoulos Washington et l’enjeu géostratégique de la région du détroit de Malacca Par Tanguy Struye de Swielande The « life cycle » of the Responsibility to Protect, a new norm in the human security field Par Eva Haeverans La revue du Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques Site Internet : http://www.rmes.be

Transcript of Facing the Future: NATO's basket of Choices and the Riga summit

Les Cahiers du RMES

Volume III, numéro 2, hiver 2006

La réflexion au service de l’opinion et de la décision

Vers une politique intégrée de l’énergie : quelles stratégies énergétiques pour l’Union européenne ?

Par Raphaël Mathieu et Eugnio Incoronato

Running to Capharnaüm : Quelques leçons de l’opération Changement de direction (Liban, juillet-août 2006)

Par Joseph Henrotin

Espace, sécurité et défense : les conditions d’existence d’une stratégie européenne

Par Alain de Neve

Facing the Future: NATO summit in Riga and the relations between NATO and Russia.

Par Marios P. Efthymiopoulos

Washington et l’enjeu géostratégique de la région du détroit de Malacca

Par Tanguy Struye de Swielande

The « life cycle » of the Responsibility to Protect, a new norm in the human security field

Par Eva Haeverans

La revue du Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques

Site Internet : http://www.rmes.be

Cahiers du RMES, Volume III, numéro 2, hiver 2006

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Directeur de la rédaction et rédacteur en chef des Cahiers du RMES : Tanguy Struye de Swielande

Rédacteur en chef adjoint des Cahiers du RMES : Alain De Neve

Ont collaboré à ce numéro : Alain De Neve, Marios P. Efthymiopoulos, Eva Haeverans, Joseph Henrotin, Eugnio Incoronato, Raphaël Mathieu et Tanguy Struye de Swielande

Site Internet : http://www.rmes.be/lescahiersdurmes

ISSN :

Cahiers du RMES, Volume III, numéro 2, hiver 2006

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Cahiers du RMES, Volume III, numéro 2, hiver 2006

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Table des matières

Vers une politique intégrée de l’énergie : quelles stratégies énergétiques

pour l’Union européenne ? 6

Par Raphaël Mathieu et Eugnio Incoronato

At the global level as well as at the EU level energy is now an integrant part of the evolution of our society. Energy consumption is now so obvious for us that we are now in an area characterized by what Ludovic Mons call the “privilege of forgetting”. However global changes have modified the market structure. The demand is increasing while the production is reducing. Moreover, the production is facing two challenges: the cost and the technical difficulties are growing and the regional instabilities and tensions jeopardize the flow of energy at all level. In order to tackle those issues, the EU is developing an energy strategy in order to improve the internal market structure, find new solutions to improve our energy consumption and to develop a common foreign policy on energy. This article aims to describe the genesis of the European energy policy as well as the new ambitions of the last green paper.

De Running to Capharnaüm : Quelques leçons de l’opération Changement de

direction (Liban, juillet-août 2006) 16

Par Joseph Henrotin

Israeli operations in Lebanon during Summer 2006 could be considered as a hard return to hybrid conventionnal/guerrilla operations for Tsahal. A number of lessons have been drawn during “Change of direction”, that will probably affect US and European forces regarding the use of tanks and airpower. But, ultimately, the operations have seen a substate actor effectively deploying and using modern weapon systems furnished by States. The article argues, on behalf of a socio-strategical approach of the operations, that they could be the sign a revival of the 80’s concepts of techno-guerrillas.

Espace, sécurité et défense : les conditions d’existence d’une stratégie

européenne 51

Par Alain de Neve

Does Europe have a space strategy? This question is at the core of the present reflection. By arguing that it constitutes a space actor and, in some respect, a space power, Europe – and more precisely, the European Union and the European Commission – paradoxically neglect to draw a truly and innovative space strategy. Europe lacks a clear vision of its role in space and fails to define the way it will generate the necessary means to become a “competitive partner”. As it will be argued, a coherent space strategy represents a crucial step in order to anchor Europe in the future. This implies that a number of issues are to be urgently addressed, i.e.: an objective assessment of geostrategic balances between space powers, a revision of procedural links between institutions and agencies that in the European landscapes are in charge of space activities, a better cooperation between states regarding space programs and a solid increase of budgets.

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Facing the Future: NATO summit in Riga and the relations between NATO and

Russia. 73

Par Marios P. Efthymiopoulos

NATO’s continued efforts are ongoing. Yet it is widely believed that NATO is lacking in setting up robust goals. Should a political basket for negotiations be offered? If so what would the implications be towards its ongoing constructive relations with Russia?

Washington et l’enjeu géostratégique de la région du détroit de Malacca 79

Par Tanguy Struye de Swielande

Since a few years the centre of gravity in international relations is moving towards the Pacific Region. The Strait of Malacca has become a real issue for a lot of regional powers: India, Japan, the United States and China. The article examines roughly the policy of the United States towards the Strait of Malacca in its regional context.

The « life cycle » of the Responsibility to Protect, a new norm in the human

security field 86

Par Eva Haeverans

The International Commission on Intervention and State Sovereignty (ICISS) launched in December 2001 its report The Responsibility to Protect. Nowadays it is perceived as a new developing norm in the human security area. It is the aim of this article to describe the « life cycle » of the Responsibility to Protect norm by using a constructivist approach. The three successive stages in the life of a norm will be applied on the Responsibility to Protect: (1) norm emergence ; (2) norm cascade ; (3) norm internalization/institutionalization.

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Vers une politique intégrée de l’énergie : quelles stratégies énergétiques pour l’Union européenne ?1

RAPHAËL MATHIEU

Chargé de recherches au Centre d’Etudes de Défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense (Bruxelles) et membre fondateur du Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques (RMES).

EUGNIO INCORONATO

Licencié en Sciences Politiques (Italie)

INTRODUCTION

Tant au niveau mondial qu’à l’échelle de l’Union Européenne (UE), il est indéniable que l’énergie fait partie intégrante du processus de développement de nos sociétés. L’énergie est en effet le bien de base nous permettant de nous chauffer et de nous déplacer. Mais, fondamentalement, elle est surtout devenue la garante du fonctionnement de l’intégralité de notre système économique et social. Cette dépendance est à présent tellement évidente et naturelle que nous sommes entrés dans une époque caractérisée par ce que Ludovic Mons appelle le « privilège de l’oubli »2. Ce privilège demeure toutefois uniquement l’apanage des sociétés les plus riches, la moitié de la consommation énergétique mondiale étant due à seulement 15% de l’humanité. A ce déséquilibre de consommation en répond un autre : celui de la possession des réserves mondiales de gaz et de pétrole. Cette situation se trouve en outre aggravée dans la mesure où les états les plus pourvus en énergies fossiles sont, pour leur grande majorité, situés dans des zones caractérisées par les crises, l’instabilité ou encore par la menace de conflits (Moyen-Orient, Asie, CEI,…).

Si les données de cette équation complexe sont connues depuis des décennies, il convient cependant d’en analyser les évolutions récentes. Ainsi, en addition de l’augmentation sensible de la consommation énergétique mondiale, ces dernières années auront été marquées par une prise de conscience de plus en plus large de la réalité inhérente à la fin de l’ère dite de l’« easy oil »3. En effet, plusieurs pays sont devenus des importateurs absolus tandis que d’autres, qui pouvaient jusqu’à présent encore assurer leur propre approvisionnement, n’en sont maintenant plus capables. Enfin, l’augmentation de la

1 Le présent article est extrait d’une publication à paraître dans la série Sécurité et Stratégie sous le titre « Quelle politique de l’énergie pour l’Union européenne ? L’option de la mer Caspienne ».

2 Mons, L. « Les enjeux de l’énergie. Pétrole, nucléaire, et après ? », Larousse, 2006.

3 Foroohar, R., Fossil-Fluid Worries, Newsweek, February, 2006.

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demande énergétique des pays émergents comme la Chine, qui a plus que triplé sa consommation entre 1990 et 2006, ou encore l’Inde, posera inéluctablement la question du partage intégral des ressources énergétiques planétaires.

Ces changements globaux modifient durablement la structure du marché mondial des énergies. Au niveau de la demande, outre une augmentation du nombre de consommateurs, les grands états, énergétivores, tentent d’assurer leur approvisionnement pour le long terme. Pour l’offre, par contre, nous observons une diminution des capacités mondiales de production des énergies fossiles, liée à la fois aux difficultés techniques d’exploitation mais aussi, de manière plus conjoncturelle, à l’instabilité régionale. Il en résulte une forte fluctuation du prix des énergies : le baril de pétrole passe de 10 dollars au début des années nonante à plus de 70 dollars au début 2006. Bien que sa structure soit différente, car plus régionalisée, le constat est similaire pour le marché du gaz. Ainsi, l’UE fut la victime indirecte de la « guerre du gaz » fin 2005 qui vit s’opposer Moscou et Kiev sur la question des tarifs à appliquer, il en est de même en ce début 2007 dans le cadre du contentieux opposant la Russie et la Biélorussie.

Face à cette situation, les états membres de l’UE tentent d’apporter des réponses communes. Rappelons que l’Europe s’est en effet bâtie à l’origine en partie sur la signature des accords de la CECA et de l’EURATOM. Mais, au-delà de ces évènements historiques et malgré la récente prise de conscience qu’une unification des politiques énergétiques nationales aurait pour effet de faire de l’UE un acteur plus cohérent dans le jeu énergétique mondial, les premières initiatives de l’UE furent timides. En effet, les spécificités et les intérêts économiques de chaque état continuent toujours de prévaloir : au multilatéral est souvent préféré le bilatéral et l’établissement d’une « relation privilégiée » avec un Etat producteur. Cela étant, si les premières réponses furent timorées, vont-elles pour autant le rester dans les prochaines années ? Si la réponse à cette question se trouve, en partie, dans les ambitions affichées dans le dernier Livre vert sur l’énergie de la Commission, elle le sera, pour l’essentiel, dans l’application concrète de ces dernières.

L’ÉTABLISSEMENT PROGRESSIF D’UNE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, il était nécessaire de rétablir économiquement l’Europe. C’est dans cette optique que, le 3 avril 1948, est mis en place le Plan Marshall, voulu par le secrétaire d’état américain du même nom et par le président Truman afin de soutenir la reconstruction européenne. En l’occurrence, le Plan Marshall est fondé sur le don et le prêt de dollars américains aux économies détruites durant la Seconde Guerre Mondiale. Afin de préparer le Programme Européen de Relèvement subséquent, un groupe d’hommes politiques, d’industriels, d’intellectuels et de représentants des milieux religieux européens, se réunit, le 16 avril 1948, en congrès à La Haye pour créer l’Organisation Européenne de Coopération Economique (OECE), qui deviendra en 1962 l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE) et qui sera élargie aux Etats-Unis, au Canada et au Japon. A l’origine, l’objectif de cette organisation était d’assurer la réalisation du Plan Marshall en concomitance avec la libéralisation des secteurs primordiaux, comme la production de matières premières. Sous l’impulsion de

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Staline et par effet miroir, émergera en 1949 du bloc soviétique la COMECON (ou CAEM1) qui perdurera jusque 1991, avec le même objectif d’assistance économique mais cette fois en faveur des différents états du bloc communiste.

En dehors des activités établies au sein de l’OECE, la première organisation communautaire dans le domaine strictement économico-énergétique demeure toutefois la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), créée le 18 avril 1950, un an après la proposition de son établissement par Robert Schuman, alors Ministre français des Affaires étrangères. En réaction aux affrontements fratricides entre états voisins d’Europe de l’Ouest, l’enjeu de la CECA était de créer une solidarité et une coopération entre les secteurs-clefs de l’économie européenne. Le traité instaurait ainsi un marché commun du charbon et de l'acier et surtout, il supprimait l’ensemble des mesures discriminatoires, des aides, des subventions et des droits de douanes qui était accordé par les états signataires à leurs producteurs nationaux.

Le 25 mars 1957, avec la signature du traité de Rome instituant la CEE, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Benelux signaient pour une durée illimitée le traité EURATOM2 avec pour objectif de coordonner et de développer les programmes de recherche nucléaire et d’assurer la diffusion des connaissances techniques dans ce domaine. Depuis sa naissance, l’EURATOM gère donc les conditions nécessaires tant à la formation qu’à la croissance des industries nucléaires, mais aussi à l'élévation du niveau de vie dans les états membres et au développement des échanges avec les autres pays. L’EURATOM assure également la libre circulation des capitaux pour les investissements nucléaires et la liberté d'emploi des spécialistes. L’organisation définit également des normes de sécurité uniformes pour la protection sanitaire de la population et des travailleurs du secteur nucléaire.

Une nouvelle étape sera franchie le 8 avril 1965 à Bruxelles avec la signature du Traité de Fusion des Exécutifs des trois Communautés par les six états signataires des traités de la CEE, de la CECA et de l’EURATOM. Un Conseil ainsi qu’une Commission unique (l’ancienne Haute Autorité dans le cadre de la CECA), partageant un même budget et siégeant à Bruxelles furent ainsi institués. Au niveau mondial, le premier choc pétrolier eut lieu en 1973 il était consécutif à la décision prise par les états membres de l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole (OPEP)3 durant la Guerre d’Octobre 73 (dite aussi guerre du Kippour), d’augmenter le prix du pétrole et de décréter l’embargo sur les exportations aux pays qui soutenaient Israël. Après l’éclatement de ce premier choc pétrolier, l’industrie européenne, qui s’était reconstruite en partie à la faveur d’un prix du pétrole faible et stable, entre en crise. En réaction, certains états de la CEE comme la France et la Belgique, vont adapter leur stratégie énergique en augmentant la variété de leurs sources

1 Conseil d’Assistance Economique Mutuelle.

2 European Atomic Energy Community, ou Communauté Européenne de l’Energie Atomique (CEEA). Site internet : http://www.euratom.org/

3 L’OPEP (Organization of the Petroleum Exporting Countries ou OPEC en anglais), est composée de l’Algérie, du Gabon, de la Libye, du Nigeria, de l’Iran, de l’Iraq, du Koweït, du Qatar, de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Indonésie (cette dernière envisage d’ailleurs de se retirer de l’organisation), de l’Equateur, du Venezuela. Le Canada, les Etats-Unis, le Mexique, Oman, la Russie et la Norvège bien que pays producteurs de pétrole n’en font pas partie.

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d’approvisionnement, ce qui se traduira notamment par la construction de nouvelles centrales nucléaires.

En 1979 éclata le second choc pétrolier en conséquence cette fois de la révolution iranienne et de la guerre opposant l’Iran et l’Irak. Avec l’arrêt des exportations pétrolières iraniennes, le prix du pétrole se voit alors approximativement multiplié par trois. En réaction, les pays occidentaux tentent de modifier leurs comportements nationaux en matière de consommation énergétique et multiplient leurs sources d'approvisionnements afin de ne plus être totalement dépendants du pétrole. Ce ralentissement de la consommation de la part des pays industrialisés débute en 1980 et s’arrêtera un an plus tard à la faveur d’une réapparition de la stabilité au niveau mondial et du retour du pétrole à son prix antérieur. Toutefois, le second choc pétrolier aura une nouvelle fois été la preuve de la nécessité d’établir une politique de diversification des sources d’approvisionnement dont le développement ne pouvait se concevoir qu’à une échelle dépassant le niveau national et même européen. C’est dans cette perspective qu’en 1986, suite au discours de Mikhaïl Gorbatchev lors du Sommet de Genève1, les Etats-Unis, la CEE, le Japon et l’Union soviétique s’accordent sur la recherche et la construction de nouveaux réacteurs exploitant la fusion nucléaire dans le cadre du projet International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER), placé sous l’autorité de l’AIEA2. Cependant, déjà à l’époque, il n’existait pas de consensus européen sur l’utilisation du nucléaire comme énergie de substitution au pétrole. Ainsi, concomitamment aux engagements pris dans le cadre d’ITER et suite à l’accident nucléaire de Tchernobyl et à l’importance grandissante de la question des déchets radioactifs, plusieurs pays européens, comme l’Autriche et l’Italie, décidèrent d’empêcher la production énergétique nucléaire et la construction de nouvelles centrales sur leurs territoires nationaux respectifs.

Dès lors, à la fin des années 80, on ne pouvait pas encore réellement évoquer l’existence d’une réelle culture énergétique européenne. Ce ne sera en effet qu’en 1992, avec la mise en place du programme Energy Star3ayant comme objectif l’économie d’énergie dans les bureaux et les infrastructures publiques, que l’Europe posera les premiers jalons d’une politique énergétique plus coordonnée. Si au départ ce programme afférait aux activités du secteur public, avec la montée croissante des préoccupations environnementales dans les opinions publiques, en majeure partie liée à l’augmentation sensible de la pollution et des changements climatiques, les acteurs du secteur privé s’impliqueront ensuite à leur tour dans le programme.

1 Les propositions faites par Mikhaïl Gorbatchev avaient pour ambition principale de réaliser un programme international pour construire une nouvelle génération de tokamak (chambre de confinement magnétique destinée à contrôler un plasma nécessaire à la production d'énergie par fusion nucléaire).

2 L’Agence Internationale de l'Energie Atomique, dont la création fut approuvée le 23 octobre 1956 par 81 Etats, est une organisation apparentée à l'ONU. Elle promeut les usages pacifiques de l'énergie nucléaire et limite le développement de ses applications militaires ; elle est également en charge de la sécurité et de la protection des personnes ainsi que du transfert des technologies nucléaires.

3 Programme international initié par l’Agence américaine pour la protection de l’environnement ayant pour objectif de réaliser des économies d’énergie. Site internet : http://www.energystar.gov

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C’est dans cet esprit que, le 16 avril 1998, entrent en vigueur le traité et le protocole sur la Charte de l’Energie en vue de la promotion de politiques visant à l'efficacité énergétique et compatibles avec le développement durable en créant les conditions susceptibles d'inciter les producteurs et les consommateurs à utiliser l'énergie de la manière la plus économique, la plus efficace et la plus saine possible pour l'environnement. Le traité, signé par l’ensemble des États d’Europe de l’Ouest (UE et non-UE) ainsi que par les États de l’ex-URSS, fixe les bases légales d'un marché de l'énergie ouvert et compétitif, garant d'un approvisionnement sûr et abordable pour les consommateurs. Ce dernier prescrit, en conséquence, la libre circulation de l'énergie et des matières énergétiques à travers les pays membres ; il souligne également la nécessité d’une coopération multilatérale dans le domaine du développement et de la gestion de réseaux économiquement viables pour la transmission de l’énergie (les oléoducs, les gazoducs et les lignes à haute tension). Une nouvelle étape sera franchie le 15 mars 1999 à Kyoto au Japon avec la signature du dorénavant célèbre protocole éponyme sur la diminution des émissions de dioxyde de carbone afin de combattre le réchauffement climatique.

Dans le cadre de la politique étrangère énergétique de l’UE, un Dialogue Energétique UE-Russie sera institué lors du Sommet de Paris le 30 octobre 20001. Ce dernier consiste en un partenariat énergétique stratégique afin de garantir la stabilité des marchés énergétiques, la croissance des exportations et des importations ainsi que la fiabilité des approvisionnements. Cet engagement mutuel implique aussi de nouveaux projets concernant le développement des infrastructures de production et de transport de l’énergie. Le partenariat implique enfin une coopération dans les domaines de la technologie et du changement climatique. En conséquence de la croissance des dépendances européennes vis-à-vis des importations, du changement climatique et de la hausse des prix du pétrole et du gaz, la Commission européenne publie, le 29 novembre 2000, le premier Livre vert2 sur l’énergie intitulé « Vers une stratégie européenne d’approvisionnement énergétique »3. Ce Livre vert servira alors de base commune pour la politique énergétique européenne. Toutefois, l’entré en vigueur, le 16 février 2005, du protocole de Kyoto entraîne un nouvelle adaptation de la politique énergétique de l’UE.

Le 17 juillet 2005, la Commission européenne lance sa campagne de sensibilisation pour l’énergie durable. L’Union européenne se fixe alors pour objectif d’accroître les sources d’énergies renouvelables à 12% du total d’ici 2010 en économisant, dans le même temps, l’énergie dans le respect du programme Energy Star et du Protocole de Kyoto. Il est prévu, par ailleurs, que ces sources s’élèvent à 20% d’ici 2020. Le 27 septembre 2005 à Hampton Court, lors de la Présidence anglaise de la Commission européenne, le Premier Ministre Tony Blair exprime la nécessité d’une politique énergétique commune, d’une coopération

1 Disponible à l’adresse internet suivante : http://www.ec.europa.eu/energy/russia/joint_progress/doc/ progress1_fr.pdf

2 Suivant l’acceptation européenne, un livre vert est un ensemble d’idées, non encore abordées par les politiques européennes, qui a pour objet d’initier, à l’échelle européenne, une consultation ou un débat sur une thématique précise. Tous les acteurs du secteur sont d’ailleurs invités à exprimer leur propre avis.

3 Disponible aux adresses Internet suivantes : http://ec.europa.eu/comm/energy_transport/library/press-kit-lv-fr.pdf et http://ec.europa.eu/comm/energy_transport/fr/lpi_lv_fr1.html

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dans l’approvisionnement du gaz, de l’échange des données sur la sécurité d’approvisionnement et du respect de l’environnement et du protocole de Kyoto.

La fin de l’année 2005 est marquée par ce qui est désormais appelé la crise du gaz russo-ukrainienne. Durant plusieurs mois, la Russie et l’Ukraine se sont opposées sur les tarifs à appliquer pour les exportations gazières. La crise elle-même correspond au moment où la Russie décide unilatéralement de suspendre les livraisons vers l’Ukraine, jusqu’à sa résolution dans la nuit du 4 janvier 2006 à la faveur d’un accord entre les entreprises en énergie Gazprom et Naftogaz sur le nouveau prix des livraisons de gaz dans l'ancien pays soviétique. Toutefois, plusieurs états membres de l'UE ont également souffert de ce blocus du fait d'une brève suspension de leur approvisionnement en gaz. Cet évènement aura pour effet de cristalliser la problématique de la dépendance énergétique européenne1 et d’accélérer le débat sur l’établissement d’une nouvelle stratégie énergétique. C’est dans cette perspective qu’en mars 2006 la Commission Européenne publie un second Livre vert sur l’énergie intitulé « Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable ». Cette future politique énergétique commune devra s’articuler selon trois axes principaux : l’ouverture et la libéralisation du marché intérieur, la perspective environnementale et les énergies renouvelables et, enfin, l’approvisionnement et les relations extérieures.

LES APPORTS DU LIVRE VERT

Andris Pielbags, commissaire européen pour l’énergie, affirmait lors de la présentation publique du Livre vert à la Fondation Robert Schuman à Bruxelles le 28 mars 2006 : « la publication du Livre expose les nouvelles réalités énergétiques auxquelles l’Europe et ses états membres sont confrontés et propose une tentative d’établissement d’une stratégie énergétique pour l’UE » 2. Cette future stratégie énergétique comprend trois objectifs :

• sur le court terme, l’établissement d’un marché intérieur de l’énergie et l’établissement de solidarités européennes afin que les avantages de l’ouverture du marché de l’énergie profitent à tous les consommateurs ;

• sur le moyen et le long terme, la mise en place d’une politique globale dans le cadre du développement d’énergies renouvelables et compétitives à faible teneur en carbone, et la diversification énergétique ;

• Enfin, une dimension externe ayant pour objectif d’assurer la sécurité de l’approvisionnement de l’UE pour le moyen et le long terme afin de pouvoir faire face à la dépendance accrue de l’UE envers les importations.

1 En réaction, la Commission organisera une réunion exceptionnelle du Groupe de coordination pour le gaz (qui réunit des représentants des états membres, de l'industrie et des consommateurs) le 4 janvier 2006.

2 Piebalgs, A., « Présentation du Livre Vert », Conférence « Quelles stratégies énergétiques pour l’Europe? », Fondation Robert Schuman, Bruxelles, 28 mars 2006.

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Pour permettre la réalisation de ces trois objectifs, la Commission européenne a fixé, le 8 mars 2006, six domaines prioritaires d’action :

• l’énergie pour la croissance et l’emploi en Europe par la réalisation des marchés intérieurs européens de l’électricité et du gaz ;

• un marché intérieur de l’énergie qui garantit la sécurité d’approvisionnement et la solidarité entre les états membres ;

• la sécurité, la compétitivité de l’approvisionnement en énergie et un mix énergétique plus durable, efficace et diversifié ;

• une approche intégrée pour lutter contre le changement climatique ;

• l’encouragement de l’innovation à la faveur d’un plan européen pour les technologies énergétiques stratégiques ;

• le développement d’une politique extérieure cohérente en matière d’énergie.

Même si dans le futur il sera primordial pour la bonne réalisation de ces objectifs d’agir de manière intégrée, à l’heure actuelle chaque Etat membre conserve le pouvoir de choisir, sur la base de ses propres préférences nationales, les orientations de sa politique énergétique1. Pourtant, avec plus de 450 millions de consommateurs et le rang de second marché de l’énergie au monde, l’UE dispose de moyens adéquats pour être un acteur international : elle a non seulement la taille requise, mais aussi le potentiel politique adéquat pour s’intégrer dans un paysage énergétique mondial dont les mutations se sont accélérées ces dernières années. Ainsi, si les états membres de l’UE mettent réellement en place une politique énergétique commune leur permettant de parler d’une seule voix sur ces enjeux, ils se donneront les moyens à la fois de conduire la nécessaire recherche mondiale de solutions énergétiques alternatives et de garantir leur approvisionnement en énergie fossile pour les années à venir.

Concernant le premier objectif relatif à l’approvisionnement intérieur, à l’ouverture des marchés et à l’établissement de solidarités européennes, le Livre vert recommande la création d’un cadre législatif et réglementaire efficace qui pourrait par la suite être appliqué concrètement afin d’assurer le respect rigoureux des règles en matière de concurrence sur l’ensemble de l’espace européen. Toutefois, la réalisation de cette politique nécessitera de créer une seule et unique politique énergétique européenne. En effet, avec un tel objectif, une approche qui resterait fondée sur 25 politiques énergétiques nationales différentes ne serait plus suffisante. Le Livre vert affirme également que l’ouverture des marchés de l’électricité et du gaz véritablement concurrentiels se traduira par une baisse des prix, une amélioration de la sécurité d’approvisionnement et un renforcement de la compétitivité. Cela étant, si en 2007 tous les consommateurs de l’UE auront légalement le droit d’acheter leur électricité et leur gaz auprès de n’importe quel fournisseur dans l’UE, plusieurs différences existent toujours entre états membres en matière de degré d’ouverture des marchés, de compétences des autorités de régulation, de régimes d’équilibrage et de stockage du gaz. Ces différenciations sont dans la majorité des cas liées à l’existence d’opérateurs historiques

1 Les divergences qui existent entre, par exemple, la France et l’Italie en matière de nucléaire civil sont révélatrices de cette situation.

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possédant des contrats de monopole à long terme pour l’électricité et le gaz dans leur Etat respectif.

En conséquence, de nouvelles mesures seront également définies au niveau communautaire, notamment dans l’optique d’une meilleure utilisation des instruments du réseau transeuropéen. Pour que ces investissements soient rapides et durables, le marché devra fonctionner de manière satisfaisante et, par là même, créer les conditions nécessaires en matière de politique tarifaire, d’incitations, de stabilité réglementaire et d’accès aux ressources financières. Pour être optimale, la politique énergétique européenne devra donc favoriser les choix présentant le meilleur rapport coût/efficacité et se fonder sur une analyse économique approfondie des différentes options possibles et de leur incidence sur les prix de l’énergie et sur le coût environnemental. La garantie de disposer de ressources énergétiques à des tarifs abordables sera une condition indispensable de cette politique énergétique, de même que l’existence de marchés de l’électricité et du gaz intégrés et concurrentiels, présentant le moins de perturbations possible. Enfin, l’UE devra s’interroger sur la meilleure manière d’assurer une coordination efficace entre la Commission, les autorités nationales de régulation dans le domaine de l’énergie et les autorités nationales chargées de la concurrence. Toutefois, pour qu’un véritable marché européen de l’électricité et du gaz puisse se développer, l’UE devra établir un réseau européen unique qui favoriserait l’émergence de conditions d’accès au réseau harmonisées, ou au moins équivalentes, ce qui se refléterait dans la pratique par des règles communes sur les problèmes de régulation lesquels ont souvent une incidence fâcheuse sur les échanges transfrontaliers mais reviennent à poser la question de l’indépendance des autorités nationales en matière régulation.

La solidarité entre les états membres se traduirait quant à elle par une amélioration de la sécurité de l’approvisionnement sur le marché intérieur étatique en réduisant la possibilité d’une crise énergétique dans un pays de l’Union Européenne. Cependant, face à l’impossibilité actuelle de l’Europe et de ses états membres de faire face à d’éventuelles ruptures d’approvisionnement à brève échéance, la nouvelle réglementation pourrait également comprendre une proposition relative aux stocks de gaz qui concéderait à l’UE les moyens de réagir selon le principe de la solidarité entre les états membres en cas de situation d’urgence provoquée par une rupture d’approvisionnement, tout en tenant compte des différences de capacités de stockage dans les différentes régions de l’UE. De surcroît, si le marché est transparent et prévisible, la solidarité entraînera un système de concurrence dans lequel les entreprises renforceront mutuellement leurs propres investissements. Enfin, il est envisagé que ce mécanisme puisse être ciblé pour organiser et assurer des actions rapides de solidarité et d’assistance ainsi que des normes ou des mesures communes, lorsqu’un pays est confronté par exemple à une destruction d’une partie de ses infrastructures essentielles. Néanmoins, comme l’affirmait le commissaire européen à l’énergie, « ces investissements ne viendront pas si [l’UE] ne peut pas garantir un environnement transparent et sûr pour les investissements, si les mécanismes de marché ne fonctionnent pas et si les infrastructures ne sont pas appropriées »1.

1 Piebalgs, A. idem.

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Le deuxième objectif vise, quant à lui, la mise en place d’une compétitivité des énergies renouvelables et d’une politique de diversification énergétique. Cet objectif est essentiellement motivé par la volonté européenne de faire face aux changements climatiques en utilisant des ressources énergétiques à faible émission de CO2. L’Union Européenne s’est ainsi engagée d’ici 2012, dans le respect du protocole de Kyoto, à réduire ses émissions de 15%, et si possible jusqu’à 50% par rapport aux niveaux de 1990 tout en adoptant les objectifs de Lisbonne de décembre 2004, visant à faire de l’Union « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » d'ici à 2010. L’union développerait ainsi une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale.

L’Union européenne développe un projet qui devra donc concilier à la fois une approche du développement orientée vers la performance et un respect accru des normes environnementales. Pour relever ce défi, le Livre vert évoque plusieurs pistes. En ce qui concerne l’accroissement de l’utilisation des sources d’énergies renouvelables la Commission a décidé en 2001 que l’utilisation de ces dernières devait s’accroître de plus de 25% d’ici 2010. De surcroît, en 2003, la décision a également été prise que 5,75% de la consommation d’essence et/ou de gazole devaient être progressivement remplacés par l’introduction sur le marché et la consommation à plus grande échelle de biocarburants dans le but de réduire la dépendance européenne à l’égard des importations de combustibles fossiles. Pour cela, l’UE devra trouver un équilibre subtil entre promotion des initiatives en matière d’innovations, harmonisation et respect de la concurrence. Il n’en reste pas moins que la réalisation d’un « seuil optimal d’efficacité énergétique » revient pour l’UE à produire efficacement tout en consommant moins. Pour cela, la Commission, en vue de rédiger un plan d’action fin 2006, a rappelé la nécessité d’une collaboration étroite avec l’AIE et la Banque Mondiale, tout en favorisant l’adoption d’accord internationaux et l’extension de l’accord « Energy Star ». Le domaine des transports, particulièrement énergétivore, devra également faire l’objet de recherches poussées en cette matière. Sur ce sujet, l’ONG Les Amis de la Terre, rappelle d’ailleurs que le transport, qui utilise entre 70% et 80% de l'ensemble des importations de pétrole, est totalement absent du Livre vert. Fondamentalement, cette ONG critique la position de la Commission qu’elle juge comme non objective et non concrète. Face à ces critiques, la Commission indique que les économies d'énergie seraient le moyen le plus rapide et le plus économique pour permettre à l'UE de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et donc de réaliser ses engagements dans le cadre du protocole de Kyoto sur le changement climatique. De plus, comme l’a souligné le Commissaire Piebalgs lors de la réunion de l’IEA en mai 20051, l’Europe sait que les mesures en faveur de l’efficacité énergétique peuvent réduire la consommation globale, expérience acquise lors des premiers chocs pétroliers. De surcroît, vu l’étroite marge de manœuvre dont bénéficie l’UE en matière d’approvisionnement, le renforcement de la politique énergétique européenne devra passer par des efforts du côté de la demande.

Enfin, l’Union Européenne devra encourager l’innovation dans le domaine des technologies énergétiques stratégiques et leur diversification, c’est-à-dire la création d’un éventail de ressources, comme l’hydrogène, la fission nucléaire avancée ou l’énergie photovoltaïque. Pour ce faire, l’UE devra développer un plan stratégique de haut niveau pour les technologies énergétiques et leur gestion. Il faudra par exemple trouver des solutions

1 Agence Internationale de l’Energie (IEA) réunie à Paris le 2 mai 2005.

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durables dans le domaine du piégeage du carbone1 et dans celui du stockage géologique, pour réduire les taux d’émission et encourager la recherche et l’utilisation de ces techniques surtout dans les pays qui utilisent encore le charbon comme principale source d’énergie. Durant la présidence autrichienne du premier semestre 2006, le Ministre autrichien de l’Energie, Martin Bartenstein, a d’ailleurs rappelé l’importance de la promotion des sources renouvelables, de l’efficacité énergétique et de développement des nouvelles technologies comme le biogaz et la biomasse. Dans cette perspective, il n’est pas inutile de signaler la politique en la matière soutenue par le Conseil Européen de l'industrie chimique (Cefic) qui souhaite que la Commission s'exprime d'une seule voix sur la problématique de l'énergie et qui encourage également la diversification des sources énergétiques. De même, le 8 mars 2006, Peter Claes, président de la Commission Energie du Cefic, recommande et souhaite que l’UE dispose d’un accès à toutes les sources d'énergies fiables et abordables, surtout dans un secteur à forte intensité énergétique tel que l'industrie chimique2. Cet avis est également partagé par le Conseil européen qui incite l’UE à élaborer une stratégie sur le long terme pour les énergies renouvelables, notamment la biomasse, ainsi que pour le développement et l’exploitation des ressources disponibles3. Plus prosaïquement, il est un fait que les différents acteurs du secteur auront tendance à développer un lobbying favorisant telle ou telle énergie ; c’est le cas par exemple de Foratom, l’association des industries nucléaires européennes, qui, même si elle a bien noté la pertinence de considérer toutes les sources énergétiques, souligne que le Livre vert ne donne pas assez de place pour le nucléaire surtout au moment même où plusieurs états4 ont choisi de développer ou, parfois, de (re)développer ce secteur. Dans une réaction contrastée, l’ONG Les Amis de la Terre estime quant à elle que le Livre vert accorde une place disproportionnée au nucléaire. Ferran Tarradellas, porte-parole du Commissaire UE pour l’énergie et les transports, a répondu à ces critiques qu’il ne serait pas donné plus de moyens pour le nucléaire au détriment des énergies renouvelables même s’il a affirmé qu’il existait un fonds pour le nucléaire en raison de l’importance historique d’un combustible qui, depuis les années 50, est considéré par beaucoup comme la source d’énergie de l’avenir et aussi parce que de nombreux états l’utilisent encore et en font un symbole de leur souveraineté. Enfin, la commission estime que l’énergie renouvelable qui présente l’avantage d’être produite au niveau européen, constitue par conséquent un facteur important dans la réduction de la dépendance énergétique et qu’une coopération européenne dans le domaine de l’éolien est plus bénéfique au niveau environnemental et de l’emploi que l’importation de pétrole saoudien ou russe5. Notons enfin que des ONG comme le World Wildlife Fund (WWF) ont reproché aux propositions de la Commission d'être exclusivement motivées par des préoccupations relatives à la sécurité d'approvisionnement et au maintien d’une politique tarifaire

1 Ce système vise à « piéger » le CO² issu de la combustion du charbon ou du pétrole en le faisant passer à travers un dispositif le maintenant sous terre afin d’éviter qu’il ne se répande dans l’atmosphère.

http://www.manicore.com/documentation/serre/sequestration.html 2 http://www.cefic.org/Files/NewsReleases/PR-EU-EnergyGreenPaper.pdf

3 Projet de texte écrit à Bruxelles le 2 mars 2006 par le Conseil de l’Union Européenne. http://register.consilium.eu.int/pdf/en/06/st06/st06878.en06.pdf

4 Site de l’organisation disponible à l’adresse Internet suivante : http://www.foratom.org/

5 Source : Agenzia Nazionale Stampa Associata.

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avantageuse en négligeant les problématiques de long terme telles que la question du réchauffement climatique1.

Au final, les mesures qui seront prises dans le cadre du Livre vert et de la stratégie énergétique européenne, devraient permettre non seulement de lutter contre le changement climatique, mais aussi de limiter la dépendance de l’UE vis-à-vis des importations d’énergie. Toutefois, en dehors de la volonté déclaratoire du Livre vert et de ses six objectifs, l’absence d’une réelle et profonde interconnexion entre les états et surtout le manque de solidarité empêchent le développement du consensus nécessaire à l’établissement d’une stratégie énergétique commune. L’UE se trouve donc confrontée à des obstacles et devra, dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique énergétique et de la création d’un marché européen, prendre des mesures pour amoindrir l’écart entre les intérêts communautaires et les stratégies étatiques. A ce propos, d’après le Conseil de l'Union Européenne, les initiatives communautaires devraient pleinement respecter la souveraineté des états membres quant aux choix des sources d'énergie et de leur combinaison. En effet, pour l’UE, il importe que ces différentes actions se développent à la fois au niveau communautaire et au niveau national, en intégrant les secteurs public et privé dans le cadre de recherches pluridisciplinaires. De là découlera la possibilité d’une diversification du bouquet énergétique et de l’approvisionnement ainsi que le développement d’une solidarité et d’une politique énergétique commune diminuant l’impact d’éventuelles crises extérieures sur l’approvisionnement européen en énergies fossiles. Au final, même si l’UE essaye de développer les secteurs des énergies renouvelables et non polluantes, il reste toutefois nécessaire, dans le même temps, de développer, d’amplifier et de renforcer les stratégies européennes d’approvisionnements énergétiques. C’est à ce titre que le Livre vert souligne la nécessité d’une « politique énergétique extérieure » commune aux 25 qui serait étendue aux voisins proches comme les pays de l’AELE2, pour faire face aux risques de rupture d’approvisionnement, qu’ils soient liés à des catastrophes naturelles ou encore à l’instabilité géopolitique.

1 European Policy Office du WWF le 8 mars 2006.

http://www.panda.org/about_wwf/where_we_work/europe/what_we_do/epo/index.cfm?uNewsID=62700

2 Association Européenne de Libre-échange regroupant la Suisse, l'Islande, la Norvège et le Liechtenstein.

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Running to Capharnaüm : Quelques leçons de l’opération Changement de direction (Liban, juillet-août 2006)

JOSEPH HENROTIN

Chargé de recherche au Centre d’Analyse et de Prévision des Risques Internationaux (CAPRI, Aix en Provence), rédacteur en chef adjoint de Défense & Sécurité Internationale et Technologie & Armement, membre du RMES.

Extraire quelques-unes des leçons découlant d’opérations militaires ayant récemment eu lieu, en l’occurrence, l’engagement des forces israéliennes au Liban contre le Hezbollah durant l’été 2006, est toujours un exercice périlleux qui ne peut prétendre à l’exhaustivité. C’est pourtant, au regard des catégories d’enjeux recouvertes, une tâche plus que nécessaire. Ces enjeux peuvent être groupés en plusieurs catégories. La première recouvre les évolutions des Transformations occidentales, lesquelles peuvent être comprises comme des processus interdépendants et itératifs permettant de définir les espaces d’inscription stratégiques de la technologie. Par définition, ces processus se déroulant durant des périodes où les innovations techno-stratégiques se bousculent, ils deviennent naturellement interdépendants dès lors que l’expérience joue – ou plutôt, devrait jouer – un rôle fondamental dans leur mise en œuvre1 et l’expérience israélienne est d’autant plus indicative qu’elle a souvent été prise en exemple2.

Deuxième catégorie d’enjeux, hautement symbolique, le fait que Tsahal ait été engagée contre le Hezbollah, une organisation à la fois transnationale – nous verrons que ses liens avec l’Iran comme avec la Syrie sont plus complexes qu’initialement perçus – et subétatique, en ce que l’appareil de mobilisation du Hezbollah est, à juste titre, décrit comme « un Etat dans l’Etat », certaines estimations considérant en outre qu’il est le premier employeur au Liban3. Or, cet appareil se développe et combat dans un Etat, le Liban, considéré comme faible et qui aurait pu être un de ces « Etats en faillite » que les débats sur les relations internationales pointent comme étant un des probables, sinon sanctuaires d’organisations terroristes, du moins comme pouvant être un foyer d’où irradie l’insécurité et où seraient engagées les forces européennes4. Troisième catégorie d’enjeux, l’évolution de Tsahal en tant

1 Desportes, V. (interview), « La Transformation en difficulté. Vers l’adaptation, nouveau paradigme ? », Défense & Sécurité Internationale, n°20, novembre 2006. 2 A la fois dans la définition des référents de l’OTAN en matière de combat blindé (notamment lorsque les « réformateurs » américains du milieu des années 1970 tiraient les leçons de la guerre du Kippour pour nourrir la réflexion qui allait conduire aux différentes éditions du FM-100.5) mais aussi plus récemment. Les engagements israéliens dans les Territoires palestiniens ont été attentivement observés aux Etats-Unis (où ils inspireront l’utilisation des blindés dans Bagdad durant la guerre d’Irak) mais aussi en France et en Allemagne. 3 CDEF, La guerre de juillet. Analyse à chaud de la guerre israélo-Hezbollah (juillet-août 2006), CDEF, Paris, 2006. 4 Samaan, J.-L. « De l’effondrement de l’Etat au State building : penser la sécurité internationale depuis 1989 », Les Cahiers du RMES, Vol.3, n°1, été 2006.

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que sédimentation armée de l’Etat d’Israël et, au vu de la sociologie propre de l’Etat israélien, un acteur sociopolitique comme géopolitique en soi dont l’action influe une situation politique passablement complexe1.

Le propos de cet article, s’il embrassera donc un champ pour le moins étendu, ne saurait être compris ni comme prenant un parti pris quelconque ni comme tentant d’analyser l’ensemble des actions liées aux enjeux ici cernés. Il tentera, par contre, de mettre en exergue un certain nombre de leçons aux plans stratégique et technologique – le second n’étant que la continuation du premier – découlant d’une opération Changement de direction, considérée comme une guerre de 34 jours, dont le champ temporel est défini comme allant du 12 juillet au 16 août 2006. Les opérations ont été complexes et leur résultat aura des impacts durables, montrant que l’emploi de forces militaires, s’il n’est jamais innocent, est également un enjeu politique en soi, au service des intérêts des uns et des autres. A cet égard, le moindre de leur paradoxe n’a pas été qu’elles auront mobilisé les opinions publiques occidentales comme arabes d’une façon inédite depuis la guerre d’Irak, alors même que l’on peut considérer que Changement de direction sacre le concept de guerre perceptuelle.

LE CONTEXTE STRATÉGIQUE DE CHANGEMENT DE DIRECTION

Chacun se rappellera la polarisation des débats, lors du commencement des opérations, sur la proportionnalité de la force engagée par Tsahal à l’égard du Hezbollah. Rapidement, à la perception d’une réaction justifiée face à l’enlèvement des soldats israéliens par la milice chiite au cours d’une opération menée sur le territoire israélien, succédèrent des débats portant sur la légitimité de la réaction israélienne. Pratiquement, les débats manqueront de prendre en compte un certain nombre de paramètres pourtant importants, du point de vue israélien. Le premier est le contexte dans lequel prennent lieu les enlèvements. Quelques jours auparavant, l’enlèvement du caporal Shalid, à proximité de la bande de Gaza, a entraîné une importante opération de Tsahal afin de le libérer, sans succès. Le contexte politique israélien est alors complexe, déchiré entre la demande d’une intervention – Tsahal ayant toujours considéré l’abandon d’un de ses soldats comme une trahison à son égard et, par répercussion, à l’égard de la société israélienne – et les pressions de franges de la société civile demandant la poursuite d’une trêve précaire à l’égard des Territoires palestiniens.

Or, la stratégie israélienne se positionne en faveur de la première option. Les retraits du Liban, en 2000, comme celui de Gaza, en 2005, étaient partie d’une stratégie unilatérale finalement ambiguë. Les retraits ont eu lieu sans négociation, ni avec le Hezbollah, ni avec une autorité palestinienne qui, avec l’accession au pouvoir du Hamas (après ce retrait), sera considérée comme tout aussi politiquement infréquentable que le premier. En conséquence, si les retraits ont eu lieu, ils seront rapidement interprétés, tant par le Hamas que par le Hezbollah, comme des victoires politiques, alors qu’ils laisseront pendants une série de non-dits aux conséquences importantes. Israël, en se retirant, n’exposait plus ses soldats mais restait exposé à la possibilité d’attaques – terroristes ou par l’intermédiaire des roquettes Qassam – et d’incursions. Aussi, en même temps qu’auront lieu les retraits, des barrages tactiques seront mis en place, qu’il s’agisse de la barrière de capteurs mise en place sur la frontière avec le Liban ou du « mur/barrière » de sécurité, le long de la frontière avec la

1 Razoux P., Tsahal. Nouvelle histoire de l’armée israélienne, Paris, Perrin, 2006.

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Cisjordanie. Autre non-dit, le fait qu’Israël se réservait le droit d’engager de nouvelles opérations si les Palestiniens ou le Hezbollah n’adoptaient pas le comportement attendu, soit le status quo et l’abstention de toute opération. Dans le même temps et dans la foulée des réflexions découlant de Desert Storm, Tsahal poursuivait elle-même un processus de modernisation envisageant d’en faire une force crédible non seulement face à la traditionnelle Syrie mais également face à l’Iran, tout en cherchant à tirer les leçons de l’engagement dans les Territoires palestiniens.

Ce processus de socialisation de Tsahal aux nouvelles structures stratégiques de son théâtre d’opérations sera éminement complexe. Barrages tactiques, opérations urbaines dans la bande de Gaza et Jénine, y compris impliquant des tactiques élaborées d’emploi du swarming ou d’emploi de la puissance aerurbaine1, sont autant de figure de la mutation de Tsahal dans les années 1990 et 2000. Habituée à vaincre de façon décisive dans des opérations d’une nature classique, les forces israéliennes se trouvent engagées dans des conflits attritionnels, sans vraie porte de sortie politique2. Peu à peu, la cohésion de l’armée s’effritera, des officiers – y compris des pilotes et des membres des Sayarot3 – refusant de combattre dans les Territoires palestiniens. Le consensus au sein de la population sur la conduite des opérations, alors qu’il était très élevé durant les guerres des 6 jours ou du Kippour, s’effrite lui aussi. Malgré l’adaptation rapide de Tsahal à la nouvelle donne, d’un point de vue doctrinal et matériel, les remises en question sont douloureuses. La culture de l’institution s’adapte ainsi moins rapidement que l’organisation en tant que telle. Mais les opérations se succèdent également à un rythme rapide et, globalement, bien maîtrisé par les forces israéliennes. Cependant, ces dernières, comme tous les acteurs du conflit israélo-palestinien, sont engoncées dans une escalade dont l’enlèvement du caporal Shalid n’est, a priori, qu’un épisode. Cependant, il intervient également quelques jours avant une embuscade sur le territoire israélien lui-même, qui permettra au Hezbollah de faire 2 soldats prisonniers, 8 autres soldats étant tués et un char Merkava détruit (avec un Improvised Explosive Device de 300 kg), au cours d’un raid soigneusement préparé4.

Israël riposte alors en lançant une offensive aérienne sur le Liban et refuse de négocier avec le mouvement chiite pour récupérer ses hommes. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert accuse le Liban de s’être livré à un « acte de guerre » tandis que le chef d’état-major israélien indique que Tsahal va ramener le Liban « 20 ans en arrière ». Dans la nuit, l’aviation effectue une quarantaine de raids sur le Liban, visant les centres décisionnels du Hezbollah et des positions de la milice sur la frontière. En fait, en Israël, la suprise est grande. Si le Hezbollah avait déjà procédé à des enlèvements de soldats, la plupart des analystes ne considéraient pas qu’un nouvel enlèvement soit probable, en particulier dès lors que le Hezbollah avait pu constater les effets de l’enlèvement du caporal Shalid. Certains observateurs indiquent toutefois que la riposte israélienne a suscité une grande surprise chez Hassan Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah, qui aurait sous-estimé le contexte politique israélien et qui n’aurait cherché qu’à négocier la libération de plusieurs prisonniers. Dans le même temps,

1 Sur cette question et l’expérience israélienne en la matière : Henrotin J., « Bienvenue en ville. Le passé, le présent et le futur des opérations aerurbaines », Les Cahiers du RMES, Vol.3, n°1, été 2006. 2 Van Creveld M., The Sword and the Olive. A Critical History of the Israeli Defense Forces, New York : Public Affairs, 1998. 3 Avec les parachutistes, les Sayarot sont considérées comme l’élite des forces terrestres israéliennes. 4 Il aurait été préparé au moyen de renseignements obtenus par le Hezbollah par un pénétration informatique sur l’intranet de Tsahal.

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peu de commentateurs considéraient que le Hezbollah et les factions palestiniennes les plus dures désiraient coordonner leurs stratégies respectives, prenant en étau Israël en l’obligeant à mener des opérations sur deux fronts. En réalité, ce débat sur la coordination – se situant dans un spectre allant de l’« action d’opportunité » aux actions combinées et délibérées – entre le Hezbollah et les factions palestiniennes sera quelque peu occulté par celui portant sur les opérations elles-mêmes, avant (nous le verrons plus loin) de reprendre dans le courant du mois d’octobre.

Or, rapidement, il apparaît aussi que l’Iran et la Syrie jouent un rôle particulier à l’égard du Hezbollah. Certes, les rencontres entre des responsables de ce dernier et des ministres iraniens sont – relativement – fréquentes. Mais les moyens que les Israéliens rencontreront sur le terrain seront tels que l’Iran sera rapidement mis en cause. Des Pasdarans iraniens seront également observés au Liban, jouant manifestement un rôle de conseillers militaires auprès du Hezbollah. Une centaine d’entre eux auraient été dénombrés. Israël, à cet égard, est moins surpris, à tout le moins au début du conflit. Le niveau et la qualité des équipements de la milice (nous y reviendrons), le degré de résistance et l’organisation de ses combattants sera tel qu’un général israélien déclarera que « nous ne sommes pas en train de nous battre contre le Hezbollah. Nous sommes en train de nous battre contre les forces spéciales iraniennes ». De même un rapport de l’ONU indiquera que 700 combattants somaliens relevant de l’union des tribunaux islamiques ont été envoyé au Liban, dès juillet1. Si les rôles exacts de l’Iran et de la Syrie ainsi que leur degré de connaissance des plans du Hezbollah restent incertains, force est de constater que Changement de direction a permis de détourner l’attention occidentale de la question du nucléaire iranien. A la conclusion du cessez-le-feu, la perception d’une « victoire divine » du Hezbollah renforcera, indéniablement, la position de Téhéran (comme de Hassan Nasrallah) dans l’ensemble du Moyen Orient. Alors que la menace de raids israéliens sur les installations iraniennes, constamment entretenue au travers de « fuites » savamment orchestrées (tant à Tel Aviv qu’à Washington) n’était pas à exclure, la victoire perçue du Hezbollah signifiait concrètement que l’Iran disposait d’un moyen de représailles supplémentaire, avec ses missiles Shahab-3, pour y répondre.

LES ZWECK ET ZIEL ISRAÉLIENS

Assez paradoxalement, on a souvent critiqué les décisions israéliennes en indiquant qu’elles procédaient d’une mauvaise définition des objectifs de Changement de direction, tout en pointant le fait que Tsahal comme le niveau politique, avaient préparé de longue date des opérations majeures contre le Hezbollah sur le sol libanais. Ce paradoxe n’est toutefois apparent que lorsque l’on revient sur les motivations profondes de l’état-major israélien lors de la conduite des opérations, montrant in fine son impréparation à mener une stratégie à buts multiples en sortant des schémas théoriques qu’il avait construits par le passé et partiellement expérimenté2. En théorie, le retrait du Liban s’accompagnait d’un corollaire d’une portée insoupçonnée, celui de la génération d’une dissuasion conventionnelle. Jouant sur l’incertitude et l’ambiguïté, postures centrales dans la rhétorique stratégique israélienne, l’état-major de Tsahal comptait générer un effet dissuasif du fait du positionnement de ses

1 Défense & Sécurité Internationale, n°22, janvier 2007. L’envoi de ces combattants, toujours selon l’ONU, est le résultat d’un accord avec l’Iran qui aurait fourni en échange des armes à l’union des tribunaux islamiques. 2 En juin 2006, un exercice au niveau de l’état-major de Tsahal avait été conduit, avec comme scénario l’anéantissement du Hezbollah à la suite de l’enlèvement d’un soldat israélien.

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troupes à la frontière avec le Liban mais aussi du fait de survols du Sud-Liban par l’aviation. Ces formes de présences, couplées à la disposition des barrières de sécurité avaient une portée sémiotique sensée indiquer que tout acte dépassant un seuil fixé par Tel Aviv entraînerait des opérations de grande envergure. Cependant, un tel schéma conceptuel est d’emblée problématique, à deux égards. D’une part, la stratégie israélienne de dissuasion conventionnelle aurait gagné à être explicitée. D’autre part, le seuil de tolérance de Tel Aviv a constamment évolué, s’élevant ou s’abaissant en fonction des contraintes de politique intérieure et des changements gouvernementaux. Là aussi, l’explicitation, l’isolation rhétorique, de ce seuil n’a jamais été réalisée. En d’autres termes, Israël ne s’est pas complètement soumis aux « lois du facteur tactique constant » clausewitiziennes, lesquelles sont autant formelles qu’informelles. Tel Aviv a, de ce point de vue, agit par trop unilatérallement.

Des déficits dans la définition des objectifs dans la guerre

Lorsque les deux soldats israéliens sont enlevés, et au vu du contexte, la riposte ne peut être qu’importante. Mais la stratégie manque d’être appliquée correctement. Les enlèvements signent l’échec de la dissuasion israélienne qui, selon l’état-major, doit être rétablie dans l’après-opération. Tsahal change donc fondamentalement de posture dès que les premiers appareils décollent, passant de la dissuasion à la coercition. L’opération doit alors expliciter par la pratique les non-dits d’une politique fondamentalement ambiguë. De ce point de vue, les débats sur la proportionnalité de la risposte israélienne ont certes un fondement juridique mais ils manquent de prendre sérieusement en compte les contraintes politiques et stratégiques pesant sur le système stratégique de la zone. Mais ce but premier, ce Zweck, soit l’objectif de la guerre, se double – rapidement et dans le chaos d’un processus décisionnel très particulier – des questions inhérentes au Ziel, soit les buts dans la guerre. Se pose en effet, concrètement et ce afin de rétablir une dissuasion, la question de savoir où, qui et comment frapper. C’est en cela que les forces israéliennes manquent de définir des objectifs concrets, tandis qu’elles sont structurellement influencées par deux facteurs que nous pouvons considérer comme perturbateurs. Le premier est que Dan Halutz, chef d’état-major, est un ancien de la Heyl Ha’Havir (force aérienne) et tend à surestimer les effets de la puissance aérienne, comme les membres des services de renseignement. Le second est que le premier ministre comme le ministre de la défense cherchent à impressionner par leur détermination un establishment militaire dont ils ne sont pas issus, là où leurs prédécesseurs en provenaient, souvent d’ailleurs avec des états de service prestigieux1.

Cette problématique de la détermination des objectifs dans la guerre, qui aura varié dans le temps, aura des répercussions importantes. Toutefois, sans doute peut-on considérer que ces fluctuations s’articulent dans un réseau de désirs stratégiques israéliens. Incontestablement, Tel Aviv entend réduire la puissance du Hezbollah, mais encore faut-il définir ce qu’elle est et comment y arriver. Aussi, dans un premier temps, Israël entend-il anéantir le Hezbollah, au risque de s’engager dans une véritable guerre de longue durée. Mais il se ravise et déclare chercher à diminuer significativement la puissance du Hezbollah. Cette articulation particulière cherche ultimement, selon A. H. Cordesman, à casser le « commandement iranien de l’ouest » et ce, avant que Téhéran ne dispose d’une arme nucléaire qui sanctuariserait

1 Ben Meir Y., « Israeli Government Policy and the War’s Objective », Strategic Assessment, Vol. 9, n°2, August 2006.

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définitivement l’Iran1. Bien plus que les missiles iraniens, le Hezbollah est un moyen de pression directe important pour l’Iran. En effet, Israël conduit depuis le début des années 1990 des programmes particulièrement avancés en matière de défense antimissiles, tandis qu’il dispose d’une dissuasion nucléaire efficiente, générant un système dissuasif avec un éventuel Iran nucléaire. Dans ce cadre, la possibilité qu’a Téhéran de lancer des roquettes depuis une zone-tampon dans laquelle le seul autre acteur militaire est une FINUL alors impuissante, est un véritable levier de puissance, dont la portée est considérable au vu des effets psychologiques générés par les tirs palestiniens de Qassam.

Le désir d’image

Mais cette même articulation entre anéantissement et réduction ne constitue qu’un cadre structurant d’autres désirs, parmis lesquels ceux inhérents à l’image d’Israël. L’opération Paix en Galilée, les deux Intifada et les opérations menées jusqu’au retrait du Liban, dont Raisins de la colère, en 1996, ont considérablement terni l’image de Tsahal comme d’Israël. La confrontation aux « vraies guerres » a considérablement effrité le mythe de l’invincibilité, de la bravoure, du professionnalisme de l’armée israélienne, comme le principe lui-même de la « pureté des armes », qui forme le code de conduite du soldat israélien. Or, ces représentations s’établissent à différents niveaux qui entrent tous en ligne de compte durant Changement de direction. Le premier est politique et concerne l’établissement d’une légitimité de l’intervention au sein de la population israélienne. Dans le courant des opérations au Liban, ont peut estimer que le consensus au sein de la population sera important, en partie du fait des attaques menées par le Hezbollah sur les populations israéliennes elles-mêmes. Par la suite, ce consensus s’amollira, du fait de la perception d’une mauvaise planification des opérations.

Le second niveau est stratégique et vise à contrer l’image de faiblesse d’Israël à l’égard des pays de la zone, à la suite de ses retraits unilatéraux2. Le rétablissement de la dissuasion conventionnelle sert alors directement la stratégie d’influence israélienne comme elle nourrit les objectifs politiques de Tel Aviv. Le développement, par le Hamas et le Hezbollah de stratégies d’influence extrêmement complexes a, en effet, transformé des succès israéliens tactiques (opérer un retrait sans pertes est, traditionnellement, très difficile) en succès politiques arabes. Le troisième niveau est opératif et porte sur la légitimité de la conduite d’une intervention, cette fois à l’échelle internationale3. Deux phases, dans ce cadre, sont à isoler. La première, malgré les critiques inhérentes à la disproportionnalité de la riposte est, globalement, favorable à Israël. La tendance s’inversera durant la seconde phase, notamment après des tirs sur des populations civiles dans Cana et, plus généralement, après les nombreuses frappes sur les quartiers chiites de Beyrouth. C’est notamment dans ce cadre qu’il faut replacer un effort de communication assez inhabituel de la part de Tsahal en direction des médias occidentaux4 ; mais aussi l’efflorescence de nombreux blogs et sites

1 Cordesman A.H., Preliminary Lessons of the Israeli-Arab War, Washington D.C. : CSIS, 17 August 2006. 2 Cordesman A.H., op cit. 3 Ce niveau est placé en troisième position dans la mesure où, comme nous l’indiquait un officier israélien, « si notre politique de communication est mauvaise, nous ne cherchons pas non plus l’appui international. Le Hezbollah et le Hamas sont les plus forts à ce jeu. Et nous nous en fichons ». 4 Notamment par l’adoption de la pratique américaine de l’incorporation de journalistes dans les unités de combat ou des invitations à visiter des bases aériennes et à interviewer leurs pilotes. Ce sont autant de pratiques inhabituelles dans un pays où la censure militaire est particulièrement forte.

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internet. Ajoutons-y un activisme important dans la presse européenne. Pour ne reprendre que les différentes op-eds parues dans le journal La Libre Belgique, une très importante polarisation a été observée entre les « pros » et les « contre », très souvent, dans les deux cas, jusqu’à la caricature.

Dernier niveau, tactique, celui de l’application de la stratégie d’influence. Tsahal a ainsi entamé une réflexion sur les stratégies utilisées en la matière par le Hezbollah, notamment au travers de sa radio et de sa télévision, Al Manar, remarquablement instrumentalisée par la milice. Ainsi, interceptant les communications des unités israéliennes – friandes de l’utilisation de GSM – rapportant à leur hiérarchie leurs pertes (morts et blessés), le Hezbollah était en mesure d’envoyer directement sur zone des journalistes d’Al Manar, qui filmaient la scène, avant qu’elle ne soit retransmise dans tout le Moyen Orient. De même, des journalistes occidentaux ont été encadrés par des membres de la milice et, dans certains cas, ont été obligés de filmer certaines scènes, d’autres leur étant interdites1. À terme, certains en Israël estiment ainsi qu’il sera nécessaire de pouvoir brouiller les satellites de communication, afin d’annuler l’avantage médiatique du Hezbollah. Durant Changement de direction, les attaques physiques et électroniques menées par Israël n’auront en effet pas permis de couper les transmissions de la chaîne, qui décentralisait ses émissions2. De même, il est avéré que des équipes du Hezbollah filmaient un certain nombre de scènes pour les diffuser sur Internet, utilisant également massivement les blogs, jouant d’un phénomène de swarming/mobbing d’influence3.

Toujours dans le registre de l’image, Tsahal a fait l’objet de plusieurs accusations portant sur l’utilisation de munitions à uranium appauvri, notamment reprises par plusieurs médias et responsables gouvernementaux européens, montrant une totale méconnaissance de la question. Si, officiellement, seuls les États-Unis et la Grande-Bretagne disposent de ce type d’équipement4, Israël pourrait effectivement en détenir. Cependant, une enquête menée par l’OMS n’a révélé aucune trace de radioactivité dans la zone d’opérations alors que plusieurs observateurs notaient que, vu le type de confrontation menée, les obus flèches n’étaient d’aucune utilité5. Plus surprenant, des experts militaires israéliens mettront en cause les pertes des blindages, de même que la structure des missiles antichars utilisés tant par le Hezbollah et Tsahal6. Plus largement, les accusations d’utilisation d’armements « sales » visent régulièrement Israël.

1 Koch S., « Les guerres modernes se gagnent d’abord dans les opinions », Défense Nationale et Sécurité Collective, n°10, octobre 2006. 2 Certains observateurs indiquent toutefois que brouiller quelques canaux – sans altérer d’autres signaux ou les transmissions passant par d’autres satellites – est un réel défi technologique. 3 Koch S., op cit. 4 L’uranium appauvri est utilisé dans la fabrication d’obus flèches, destinés à des frappes antichars. 5 Devant la persistance des accusations, une nouvelle enquête sera conduite et ne révélera aucun élément radioactif. 6 S’il est vrai que l’uranium appauvri peut être utilisé pour le blindage des chars (cas du M-1 américain), le cas du Merkava est plus atypique. Il semble étonnant que des experts israéliens – généralement officiers généraux – s’expriment sur un sujet qui a toujours été considéré comme un secret-défense en Israël. La question des missiles antichars est elle aussi surprenante. En raison d’une vitesse initiale insuffisante (contrairement aux obus), les missiles antichars ne comptent que secondairement sur l’énergie cinétique pour réaliser une pénétration de blindage. Pour une synthèse

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Il en a ainsi été « d’attaques chimiques » menées au Liban – en fait, l’utilisation du système de déminage de zone Carpet (arme Fuel Air Attack) – mais aussi, plus récemment, d’accusations d’utilisation de bombes au phosphore blanc dans Gaza1. Il est par contre avéré que des armes à fragmentation ont été utilisées. Inefficaces, elles n’explosaient pas à l’impact, constituant un danger majeur en cas de manipulation par des civils. Face à ces accusations, Israël ne réagit généralement que peu ou pas, ne cherchant pas à obtenir de rectifications des informations parues. Comme l’indiquait un officier de Tsahal, « à quoi cela sert-il ? L’information fait la une, la rectification est dans la petite colonne de la page 20…Et vous vous battez durant des jours pour cela. Durant un conflit, même le journaliste le plus honnête prend position. Il cherche rarement à se remettre en question. Nous sommes une démocratie, nous n’avons pas à leur dire quoi penser »2. Cependant, plusieurs commentateurs indiquent aussi que cette stratégie de non-communication de la part de Tsahal (alors qu’elle est mieux maîtrisée par le ministère des affaires étrangères) pourrait, à terme, évoluer vers une attitude plus offensive en envisageant la mise en place d’une stratégie qui dépasserait les actuelles cyber-frappes visant les sites internet palestiniens ou du Hezbollah.

Le désir de stabilité politique du Liban

Le troisième désir stratégique israélien provient de l’inquiétude que suscite la position politique particulière du Hezbollah au Liban. Officiellement, les responsables israéliens considéraient ainsi que l’élimination des attributs de la puissance du Hezbollah était de nature à affaiblir sa base populaire au Liban. De fait, la position du gouvernement libanais était délicate. Le fait qu’en vertu des accords de Taëf de 1989 la milice n’ait pas été désarmée renforçait son influence politique, non dans un jeu démocratique où elle ne dispose, à l’heure actuelle, « que » de deux ministres mais bien dans l’équilibre général des forces politiques, mais aussi sociales. Une stratégie d’assistance aux populations particulièrement élaborée a très fortement renforcé la légitimité de la milice et son assise sociale, offrant des canaux de recrutement à sa branche militaire mais décrédibilisant également un peu plus l’Etat libanais. A cet égard, la grande crainte de Tel Aviv est de voir un écrasement des autres minorités/factions par le Hezbollah, le Liban reposant sur un équilibre pour le moins précaire, de sorte que Changement de direction a été rapidement vu, également, comme un facteur de rééquilibrage du Liban. Pour autant, les implications d’une telle vision (risques de réanimation des tensions entre factions, avenir d’un Etat libanais peu présent dans le champ social) s’avéraient particulièrement complexes et l’on peut douter qu’Israël, pris dans le processus de légitimation des opérations, ait réellement développé plus avant sa stratégie en la matière.

Or, il est évident que l’opération aura abouti exactement au contraire de ce que désirait Israël. La distribution d’une aide financière massive aux populations dont les habitations

de la vision des experts des télévisions israélienne sur la question : Serge DUMONT, « Armes à uranium : l’ONU enquête », Le Soir, 2 octobre 2006. 1 L’expérience historique tend à montrer que ces armes, extrêmement meurtrières dans des environnements aussi densément peuplés que la Bande de Gaza, serait plus qu’improbable dans cette zone. Une seule bombe de ce type causerait immédiatement la mort de plusieurs dizaines de personnes. Or, aucun rapport en ce sens n’est paru. Il semble par contre plus probable que des armes thermobariques aient été utilisées. 2 Conversation téléphonique avec un officier, 15 septembre 2006.

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avaient été détruites, l’Iran fournissant des garanties, en témoigne directement, au même titre que les importantes manifestations pro-Hezbollah voyant notamment Hassan Nasrallah prendre la parole en public. Poursuivant dans l’après-opération sa stratégie d’influence de façon exemplaire, la milice fera afficher des centaines de panneaux commémorant la « victoire divine ». Le terme de « résistance » sera de plus en plus systématiquement présent dans les lexiques aussi bien populaires que médiatiques, éliminant de la sorte la charge « militaire » que pouvait avoir le Hezbollah et renforçant, in fine, sa légitimité comme son assise sociale. Face à ces évolutions, la milice apparaît certes comme gagnante. Toutefois, un des objectifs corollaires de la recherche israélienne d’un rééquilibrage politique du Liban, à savoir le déploiement de l’armée libanaise au Sud-Liban, qui en était absente depuis 30 ans, a bel et bien été atteint. Pour l’heure, cependant, Tel Aviv ne considère ce déploiement dans ce que d’aucuns qualifient de « Hezbollaland » que comme transitoire. Très rapidement après les opérations de juillet-août, des forces du Hezbollah récupéreront ainsi leurs positions, ses structures sociales prenant également en charge les populations locales. Aussi, le déploiement libanais dans le Sud n’aurait-il pas dû se limiter aux seules forces armées mais aussi au déploiement de l’Etat lui-même.

Paradoxalement, si Israël considère que la fragilité du Liban est source d’insécurité, peu d’actions ont été entamées pour répondre à cette situation. A bien des égards, si la stratégie israélienne était d’ordre militaire, elle aurait gagné à être transversale, en cherchant à contrer l’emprise sociale du Hezbollah. Or, durant le conflit, des populations libanaises initialement défavorables au Hezbollah – et qui constituaient des leviers de puissance potentiels pour Israël – ont fini par être excédées par les dégâts collatéraux, là où elles pouvaient monter sur les toits des quartiers de Beyrouth pour applaudir les attaques israéliennes durant les premiers jours1. Finalement, Tel Aviv, piégée par une stratégie de communication de ses intentions stratégiques déficitaire, a considéré que l’aide internationale était seule en mesure de contrer l’influence du Hezbollah. Or, ce dernier a habilement contré l’aide occidentale en s’appuyant, massivement, sur l’Iran. Au final, la question de l’aptitude du gouvernement libanais à gérer l’influence grandissante du Hezbollah reste une inconnue de taille.

L’INADAPTATION DE TSAHAL AUX CONDITIONS OPÉRATIONNELLES

Si Tsahal aura, globalement, prévalu tactiquement, malgré des manquements stratégiques graves, force est aussi de constater qu’à l’instar des exemples irakien ou afghan, une réussite militaire est loin d’équivaloir en soi à une réussite politique, même si elle peut en être la condition. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte dans l’explication de la lente érosion des aptitudes tactiques israéliennes, durant la conduite des opérations. Bien évidemment, les hésitations stratégiques israéliennes – les critiques en Israël même parlent de tâtonnements –, entre appui sur la seule puissance aérienne et opérations terrestres, ont joué un rôle majeur. De même, certains au sein de Tsahal souligneront le manque de préparation des opérations. Dans plusieurs cas, des unités terrestres seront ainsi déployées devant des positions du Hezbollah à grand renfort de moyens sans, finalement, recevoir l’ordre de les prendre ou encore sans recevoir d’ordres clairs et précis. En tout état de cause, la stratégie à buts multiples qu’élaborait le gouvernement en même temps que se déroulaient les opérations n’a pas été convertie en plans et ordres clairs.

1 Diverses conversations avec des envoyés spéciaux et des rapatriés européens et libanais.

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Une croyance excessive en les capacités de la puissance aérienne

Dans un premier temps, l’appui sur les seules opérations aériennes et les barrages d’artillerie, de même que les blocus aériens et navals du Liban sont considérés comme suffisants par l’état-major. Toutefois, dans le courant même de la campagne, l’efficience de la Heyl Ha’Havir est réévaluée et, devant la poursuite des attaques à la roquette sur Israël, des forces terrestres ont été engagées sur le sol libanais. Dès ce moment, des analystes mettront en évidence le manque de préparation des plans israéliens, indiquant qu’un mouvement idéal offrant une possibilité de sortie de crise impliquerait une opération terrestre de grande envergure et menée sur un haut tempo opérationnel jusqu’aux berges du Litani. Les forces, appuyées par l’aviation, se retireraient alors progressivement, nettoyant les positions du Hezbollah et capturant ses armes. Mais l’état-major préfère poursuivre ses opérations aériennes selon deux axes. Le premier consiste à éliminer les positions connues du Hezbollah sur la ligne de front et jusqu’au Litani, tout en tentant de détruire les principaux centres de commandement de la milice. Le deuxième cherche à faire pression sur le Liban – notamment en bombardant l’aéroport de même qu’une centrale électrique – dans le cadre d’une stratégie de coercition par punition.

Il s’agit alors autant de rétablir la dissuasion israélienne que de punir le Liban pour n’avoir pas mieux contrôlé la montée en puissance du Hezbollah. Ultimement, il s’agit également de le forcer à s’engager dans un processus de désarmement du Hezbollah et dans une reprise de contrôle du sud-Liban. Dans les deux cas, toutefois, l’impact de la puissance aérienne aura été limité pour plusieurs raisons. La première est le manque de renseignements. Malgré un emploi intensif de drones souvent présentés comme les garants d’une conscience situationnelle étendue, les tactiques déployées par le Hezbollah auront eu raison des efforts israéliens. La milice aura, en effet, employé toutes les mesures possibles et imaginables en matière de C3D2 (Cover, Camouflage, Concealment, Denial, Deception), positionnant ses combattants dans des réseaux de bunkers enterrés et dispersant les hommes qui n’étaient pas immédiatement impliqués dans les combats ; cachant ses munitions y compris dans des habitations civiles ; et utilisant à son profit la mobilité de ses unités (jusqu’à les transporter dans des ambulances). In fine, seule une partie des mouvements de troupes et de munitions du Hezbollah seront repérés par les Israéliens. Le Hezbollah, de même, préférera utiliser des estafettes utilisant des scooters plutôt que de s’appuyer sur les communications radio et téléphoniques. Tsahal ne sera pas ainsi en mesure d’utiliser ses coûteux (et très avancés) moyens de renseignement électroniques. A cet égard, une des évolutions les moins remarquées du conflit qui a opposé Israël et le Hezbollah est l’adoption par le mouvement chiite d’un mode de combat fondé sur la techno-guérilla1.

Cette dernière était conceptualisée par des auteurs comme H. Afheldt ou le commandant Brossolet, à la charnière entre les années 1970 et 1980, lesquels préfiguraient à bien des égards les actuelles publications sur le concept d’asymétrie2. Dans leurs optiques, il s’agissait alors de mettre en place une « défense défensive » (NOD – Non Offensive Defense) contre une éventuelle attaque du Pacte de Varsovie. Les modèles testés envisageaient alors des forces variablement mobiles mais organisées et opérant de façon décentralisée, avec une autonomie

1 Henrotin J., « Israël-Hezbollah : la guerre des technologies », Les Controverses, 10 août 2006, http://www.rmes.be/C2005-112.htm. 2 Sur cette question: Afheldt H., Pour une défense non-suicidaire en Europe, Paris : La Découverte, « Cahiers Libres », 2006 ; Brossolet G., Essai sur la non-bataille, Paris : Belin, 1975.

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logistique, dotées d’une puissance de feu appréciable (et technologiquement avancée), sans pour autant mener d’opérations offensives sur le territoire adverse. En fait, prenant au comptant la position clausewitzienne de la supériorité de la défensive, ils l’exploitaient à leur profit en cherchant à attirer l’adversaire dans un combat attritionnel. Toutefois, à la différence des auteurs contemporains travaillant sur l’asymétrie, les auteurs se plaçant dans ce mouvement demandaient un très haut degré de technicisation des forces, par une utilisation massive des missiles antichars, voire d’hélicoptères de combat, comme dans le modèle le plus avancé, celui du spider in web1. De facto, les combattants du Hezbollah avaient un mode de combat décentralisé, largement appuyé sur leur initiative et ne demandant que peu de communication avec leurs échelons supérieurs. Mais le combat est d’autant plus complexe, du point de vue israélien, que les objectifs définis ne sont pas clairs. Il ne s’agit pas uniquement de détruire les positions de la milice mais aussi d’effectuer un nettoyage en règle des caches de roquettes.

In fine, si la force aérienne pourra annoncer avoir détruit plus de 90% des lanceurs de roquettes lourdes dans les minutes suivant un lancement, elle devra par contre avouer son impuissance en regard des roquettes plus légères – les plus nombreuses. Dans certains cas, ces dernières étaient transportées dans des véhicules civils, les combattants se ruant ensuite dans des habitations d’où elles seraient tirées, pour ensuite repartir aussi vite. A cet égard, l’expérience du Liban confirme les expériences antérieures (comme l’Irak de 1991 ou l’opération Crossbow, en Normandie, en 1944) : seul un nettoyage systématique, par la voie terrestre, est en mesure d’assurer un degré relatif de certitude quant à l’élimination des capacités balistiques d’un adversaire. Certes, la disposition d’une capacité persistante de surveillance aura été utile. Mais plusieurs membres de Tsahal indiqueront que la résolution des capteurs embarqués sur les drones comme sur les appareils était insuffisante, en particulier dès lors que les combattants du Hezbollah cherchaient à adopter des comportements et des habitudes vestimentaires identiques à ceux des populations libanaises. Cette question est d’autant plus problématique que les équipements israéliens sont en moyenne meilleurs que ceux utilisés en Europe ou aux Etats-Unis2. Tsahal prendra une posture sage à l’égard de cet échec, considérant que ce n’était pas tant l’efficience d’une catégorie de systèmes qui importait que la combinaison de l’ensemble des systèmes de renseignement (optique, humain, électronique).

En effet, en se désengageant du Liban en 2000, Tsahal a également exfiltré un certain nombre de forces alliées mais aussi « d’honorables correspondants », membres ou non des milices chrétiennes, auparavant utilisés pour des missions de renseignement humain. Le retrait a donc généré un processus d’érosion des capacités de renseignement humain israéliennes au Liban. Or, considérant que la couverture informationnelle était virtuellement parfaite du fait d’une croyance excessive en l’efficience de ses systèmes optiques, l’état-major a été surpris de constater non seulement que les tirs de roquettes se poursuivaient mais aussi que les unités combattantes du Hezbollah n’étaient pas aussi réduites qu’il le pensait. Pourtant, si Dan Halutz considérait le 27 juillet que la milice avait subi « des dommages stratégiques énormes », l’état-major confirmait également que certaines frappes ne rencontraient pas le succès espéré, citant l’exemple d’un bunker enterré visé avec 23 tonnes de munitions « classiques »3. Dans

1 Voir également Möller B., Dictionnary of Alternative Defense, Boulder : Lynne Rienner, 1995. 2 Cordesman, A. H., op cit. 3 « Israel’s Military Stunned by the Failure of its Air War », World Tribune.com, 21 July 2006.

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la foulée, un certain nombre de décisions ont été remises en cause, comme le rejet d’un achat de munitions de pénétration, qu’une partie de l’état-major considérait pourtant comme une priorité dans le traitement d’objectifs en Syrie ou en Iran.

En fait, malgré les livraisons massives d’armements iraniens au Hezbollah, Israël ne semble pas avoir révisé sa position initiale, selon laquelle le Hezbollah ne serait pas en mesure de tenir plus d’une semaine de guerre, une estimation plus que datée, remontant au milieu des années 1990. Peut-être plus encore que de renseignements tactiques sur les positions du Hezbollah, Israël semble avoir manqué d’une estimation à jour de ce qu’était la nature profonde de la milice, allant jusqu’à sous-estimer le nombre de combattants entraînés, de même que leur niveau d’entraînement. Les répercussions de cet échec patent du renseignement seront importantes. Plutôt que de fonder sa doctrine sur une estimation correcte de la situation, Tsahal a légitimé ses rapports de renseignement sur base de sa vision doctrinale, inversant causes et conséquences. En effet, après avoir développé une doctrine des opérations dans les Territoires palestiniens qui rencontrera un certain succès – notamment en matière d’élimination ciblée des chefs des factions prônant la violence – Israël semble l’avoir appliqué au Hezbollah sans guère d’autres adaptations. En a résulté une sous-estimation très nette des objectifs mais aussi des capacités, tant opérationnelles qu’en matière de moyens, de ce qu’était le Hezbollah1.

L’échec est donc stratégique. La Transformation de Tsahal envisageait en effet un modèle radical, appuyé sur la disposition de forces spéciales soutenues par les forces aériennes. Cette dernière, recevant 60% des budgets d’investissements des forces israéliennes, a imposé des sous-investissements chroniques, notamment au niveau de l’entraînement des réservistes et, plus généralement, au niveau des forces terrestres. A cet égard, le Hezbollah, en adoptant sa posture doctrinale et organisationnelle, a parfaitement contré la puissance aérienne israélienne, validant (partiellement toutefois) la proposition des auteurs ayant travaillé sur la défense défensive selon laquelle ils pouvaient contrer les forces aériennes adverses2. Quant à la stratégie de coercition sur le Liban, ses effets seront plus que mitigés. Très rapidement, des dégâts collatéraux seront à déplorer dans la population libanaise, alors que les coupures d’électricité seront indiscriminées. En conséquence, des populations ne soutenant initialement pas le Hezbollah seront aussi atteintes, ouvrant la voie à ce qu’elles puissent le soutenir. Si Israël avait cherché à mettre en œuvre des Effects-Based Operations, sa doctrine semblant les prendre en considération, c’est, dans une large mesure, un échec. Par ailleurs, si peu d’observateurs indiqueront que la nature de certains morts libanais était discutable, des membres du Hezbollah étant naturellement mêlés aux populations, la majorité des pertes seront libanaises et civiles :

1 Amidror Y., and Diker D. , A Strategic Assessment of the Hizballah War: Defeating the Iranian-Syrian Axis in Lebanon, Jerusalem : Institute for Contemporary Affairs, 19 July 2006. 2 Ont peut peut-être même aller plus loin et poser l’hypothèse que la stratégie adoptée par le Hezbollah est une stratégie aérienne en soi – ou plutôt contre-aérienne – qui n’est pas sans rappeler certains des enseignements de la théorie de l’asymétrie aérienne que proposait V.K. NAÏR.

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Tableau 1. Pertes découlant de Changement de direction au 16 août 2006

Morts Blessés

Hezbollah entre 58*, 74** et 465*** ?

Civils libanais entre 707**** et 1 100 morts*****

3 700

Militaires libanais 34 ?

Civils israéliens 39 1 000

Militaires israéliens 119 450

Source : Le Soir, AP, 16 août 2006, sauf indications contraires.

* : chiffres du Hezbollah

** : estimation libanaise

*** : estimation israélienne

**** : sources gouvernementales libanaises

***** : source AFP

La campagne de coercition aura été à l’image de Changement de direction et sera affectée par une définition des objectifs déficiente, de sorte que, selon des officiels américains, « il n’y a pas de Shock and Awe ici »1. C’est d’autant plus le cas que les cadres les plus importants du Hezbollah se sont dispersés, leur protection semblant avoir mobilisé beaucoup de ressources de la milice, empêchant la mise en œuvre de toute stratégie de décapitation. Pour autant, la campagne aérienne permettra d’atteindre un certain nombre de résultats. Le premier est l’interdiction partielle de l’approvisionnement du Hezbollah, lorsque les routes et autoroutes menant vers la Syrie seront coupées, au risque, lorsque le couvre-feu sera décrété, de causer des dommages collatéraux. A cet égard, le problème auquel a fait face Israël est que, pour obtenir ces résultats somme toute tactiques (au vu des stocks déjà disponibles sur le sol libanais avant le commencement des opérations), il a dû viser des infrastructures stratégiques. La configuration du pays forçait en effet le ravitaillement du Hezbollah à passer par les routes et autoroutes. Il en a très rapidement résulté que la proportionnalité de la riposte aérienne a été remise en question. Dans la foulée, la pression sur les populations libanaises potentiellement amies ou neutres s’est renforcée.

Le second résultat de la campagne aérienne, sujet à caution et hypothétique, concerne la décision libanaise de déployer les troupes de l’armée dans le Sud-Liban, une décision capitale qui débloquera les discussions conduites à l’ONU sur le déploiement d’une FINUL au mandat renforcé. On peut, en effet, se demander si une campagne limitée au seul Sud aurait produit un effet similaire. Reste, cependant, que le Hezbollah ripostera durement aux attaques israéliennes, en se positionnant d’emblée au niveau stratégique par la campagne de lancement de roquettes, confirmant les lois d’actions réciproques clausewitziennes. On peut

1 « US Military on Israel Campaign : « No Shock and Awe Here » », World Tribune.com, 21 July 2006.

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également se poser des questions sur le choix israélien des moyens utilisés, Changement de direction ayant eu un rôle révélateur des manquements en la matière. Ainsi, les pods de ciblage et désignation utilisés par l’aviation avaient, dans certains cas, une capacité de discrimination insuffisante, avec pour résultat de causer des dégâts collatéraux. De même, les bombes guidées par GPS JDAM de 227 kg se sont, parfois, avérées à la fois trop puissantes – engendrant des pertes civiles – et ayant des capacités de pénétration insuffisantes. On a également parlé du manque de munitions à forte capacité de pénétration.

In fine, si l’emploi de la puissance aérienne pouvait a priori être considéré comme pertinent, il l’était moins dès lors qu’elle était utilisée afin de ne pas impliquer les forces terrestres. Partant du principe que la Heyl Ha’Havir pouvait très rapidement dominer le ciel libanais – Tsahal ne perdra, de fait que 2 hélicoptères du fait de l’adversaire (un AH-64A et un CH-531) pour un total de 12 000 sorties conduites – mais surestimant les solutions techniques choisies et malfré 7 000 frappes, la force aérienne devra se remettre lourdement en question. Ainsi, le Hezbollah a mis en œuvre des drones Misrad-1 (d’origine iranienne) dans le cadre de missions de reconnaissance. Peu sophistiqués2, ils sont également difficiles à détecter. Toutefois, un F-16C israélien en a abattu un le 7 août. Jusqu’ici, un total de 3 vols de drones au-dessus d’Israël a été détecté mais il semble probable qu’ils aient été plus nombreux, les radars traditionnellement utilisés pour la surveillance aérienne du pays s’étant montrés inefficaces3. Le recours à des drones n’a pas pour autant été systématique mais le survol d’Israël par des appareils du Hezbollah a été interprété par ce dernier comme une victoire tactique contre Tsahal mais aussi comme un facteur de pression psychologique à l’encontre de la population israélienne. Là aussi, disposer d’une capacité antidrone persistante sera déterminante à l’avenir, notamment du fait que plusieurs analystes indiquaient que les drones utilisés par le Hezbollah auraient pu avoir une capacité limitée d’emport d’armement.

La riposte : la roquette, arme politico-stratégique

Face aux frappes de Tsahal, l’utilisation offensive et intensive de roquettes sur les villes israéliennes a surpris Israël. Mais, comme le soulignent avec raison plusieurs analystes, les roquettes sont ici essentiellement des armes ayant une valeur politique bien plus importante que leur valeur militaire. Leur imprécision est importante. Malgré un ciblage des villes et l’utilisation de charges à fragmentation et malgré une moyenne de 180 à 200 roquettes lancées (les estimations portant sur une fourchette comprise entre 3 970 et 4 228), le nombre de morts restera relativement faible (39 morts), au contraire des blessés (1 000). La stratégie des moyens du Hezbollah4 devait compter, théoriquement sur les roquettes Katiousha. Cette terminologie, qui s’est largement diffusée en Israël, recouvre en réalité divers types d’armes, depuis des Grad (BM-21) jusqu’aux Type-64 chinois en passant par des systèmes indigènes, analogues aux Qassam utilisés dans les Territoires palestiniens. En fait, 95% des roquettes utilisées avaient un calibre de 122mm.

1 Il faut y ajouter deux AH-64 et un F-16 perdus par accidents. 2 Les opérateurs devant garder, apparemment, leur appareil dans leur champ de vision. 3 On évoque cependant la possibilité qu’un radar de contre-batterie ait été utilisé dans l’urgence afin de détecter les drones du Hezbollah. 4 Le terme se référait traditionnellement à des États ; il faudra, sans doute, l’appliquer également à des groupes sub/transétatiques.

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Tableau 2. Types de roquettes utilisés sur la zone de bataille

Nom Calibre (mm)

Masse (kg)

Masse de la tête (Kg)

Portée (mini/maxi)

Type de tête Remarques

Chinese Rockets 12 tubes, tractés, montés sur jeep ou portable

Type 63 (Fadjr-1) 107 18,8 Approx. 5 8.500 m Explosive, fragmentation

Origine chinoise

Grad Système BM-21 à 40 tubes

9M22U 122 66,2 19,4 1.500 m – 20.389 m

Fragmentation, fumigène, incendiaire

Version basique

9M22M 122 66 18,4 1.500 m – 20.000 m

9M2B 122 45 19,4 2.500 m –10.800 m

Utilisée par les forces spéciales

9M217 122 70 25 30.000 m Nouvelle génération

9M218 122 70 25 40.000 m

9M521 122 70 21 37.500 m

Uragan BM 9P140 Sur camion ZIL 135, 16 tubes

9M27F 220 280 100 10.000 – 35.000 m

Explosive, fragmentation, sous-munitions

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Nom Calibre (mm)

Masse (kg)

Masse de la tête (kg)

Portée Minimum - Maximum (m)

Remarques

Lanceurs iraniens divers

Fajr-3 240 407 90 17.000 – 43.000 12 tubes, sur camion

Fajr-5 333 915 175 75.000 4 tubes, sur jeep

Falaq-1 240 111 50 10.000 4 tubes, sur jeep

Falaq-2 333 255 120 10.800 1tube, sur jeep

Zelzal-2 610 3.400 600 210.000 Sur jeep

Source : Tiftah Shapir, “Artillery Rockets: Should Means of Interception be Developped?”, Strategic Assessment, Vol. 9, n°2, August 2006.

Le Hezbollah s’est toutefois orienté vers une stratégie plus ambitieuse, s’appuyant sur les apports iraniens comptant des roquettes Fajr mais aussi des Zelzal-2 mais aussi la mise en place par Téhéran d’un centre de ciblage. Ces engins, annoncés comme disponibles, n’ont toutefois pas été utilisés. Lorsque Hassan Nasrallah indiquait que les bombardements sur Beyrouth pouvaient entraîner une attaque au cœur même d’Israël, la menace d’utiliser des Zelzal était à peine voilée, entraînant une riposte israélienne rhétorique menaçant d’anéantir toutes les infrastructures libanaises. De façon assez intéressante, un phénomène de dissuasion à l’intérieur même du conflit (intrawar deterrence) pourrait ainsi s’être construit, que renforçait la publication de fourchettes pour le moins larges quant à l’état des stocks de roquette du Hezbollah (des stocks compris entre 10 000 et 15 000 roquettes étant généralement annoncés)1.

Ces discussions sur les stocks du mouvement sont intéressantes pour l’analyste, montrant qu’elles étaient intégrées dans les manœuvres des uns et des autres. Ces polémiques servaient l’intérêt du parti chiite, en créant une incertitude sur sa force et sur le temps durant lequel il pourrait rester en opération, affaiblissant la position de certains partisans israéliens « mous » des opérations mais aussi envoyant un message aux partis politiques libanais, signifiant par là que le parti chiite était bien plus efficace que l’armée libanaise. Mais ces discussions servaient également l’intérêt de Tsahal, qui pouvait ainsi fournir des indications sur l’état d’avancement d’une opération aux objectifs ambivalents quant à « l’état final recherché » du Hezbollah. Dans ce cadre, les chiffres donnés permettaient de justifier l’action, de même qu’une stratégie assez rapidement critiquée. La poursuite des frappes du Hezbollah sur le nord d’Israël a fourni une motivation extrêmement puissante à la poursuite des opérations, agissant comme un facteur de cohésion sur la société israélienne et qui

1 Henrotin J., « Vraies roquettes et faux missiles. La problématique des LCRs », Défense & Sécurité Internationale, n°22, janvier 2007.

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influera grandement sur la détermination à mener des opérations au Liban. Par ailleurs, on peut également se poser la question de savoir si l’utilisation prolongée d’un équipement clairement identifié comme iranien n’aurait pas abouti à une extension du conflit, Téhéran pouvant alors être perçu comme « allant trop loin ».

Or, Tsahal n’avait engagé qu’une fraction de ses forces aériennes dans les opérations au Liban, les 3 sous-marins de la Heyl Ha’Yam (marine), équipés de missiles de croisière, restant disponibles pour une frappe sur l’Iran1. Là comme ailleurs, seule une analyse menée avec le recul du temps permettra de confirmer cette hypothèse. Au-delà, notons également qu’une polémique sur les capacités israéliennes à détruire les roquettes adverses a émergé. Partenaire d’un programme de laser tactique THEL (Tactical High Energy Laser) qui s’était montré efficace au cours de plusieurs essais (y compris contre des roquettes du Hezbollah)2, Israël s’en est retiré, en raison de coûts excessifs, il y a environ un an. Conséquence directe, le THEL n’aura pas été employé durant la campagne de 2006, même si Northrop Grumann annonçait, au moment même du déclenchement des opérations, que son système ne tarderait pas à être opérationnel3. Plusieurs officiers regretteront ce retrait et la relance du programme antibalistique israélien sera considérée comme une priorité mais il se focalisera essentiellement sur l’achat de missiles Arrow (Hetz), inutiles dans ce type de confrontation4. Pourtant, le doublement des commandes de missiles Arrow (co-développés avec les Etats-Unis) est incompatible avec une défense contre les roquettes du Hezbollah. Si certains évoquaient une nouvelle entrée dans le programme THEL, d’autres mettent également en évidence des options plus techniquement raisonnables, comme l’emploi de canons multiples Phalanx sur des camions5.

Les opérations terrestres : la surprise

Lorsque Israël s’engage dans des opérations terrestres, il le fait en escomptant réduire par ce fait les déficits de la puissance aérienne, via l’emploi de l’artillerie et l’engagement de troupes au sol. Mais la stratégie choisie, si elle ambitionne une action décisive contre les forces du Hezbollah, n’est guère suivie de ces effets et peut, tout au plus, chercher à réduire la menace des lanceurs de roquettes les plus proches de la frontière. Ainsi, les forces terrestres israéliennes, sur injonction politique, ne s’engageront-elles que sur une frange peu profonde du territoire libanais, variant de 2 à 5km, là où la portée des roquettes est de loin supérieure. L’emploi assez rapide de l’artillerie, devant compenser le manque de précision de l’aviation, ne donnera toutefois pas complètement satisfaction. Le fait que les tirs soient effectués sur coordonnées plutôt qu’en utilisant des munitions de précision à guidage laser infligera certes une pression psychologique aux combattants du Hezbollah mais ne produira pas de résultats significatifs. La disposition par le Hezbollah de bunkers dont certains ont été

1 On apprendra par ailleurs, en septembre, que la marine israélienne commandait à l’Allemagne (qui les financera à hauteur d’un tiers) 2 sous-marins U-212 dotés d’une propulsion anaérobie. 2 Selon les officiels du programme, le laser aurait permis la destruction successive de 5 obus. 3 Northrop Grumman nous confirmait toutefois que le système n’a pas été employé durant les opérations. 4 Les Arrow ont été conçus afin de faire face à des missiles d’une portée plus importante. Sa manoeuvrabilité comme la résolution du radar Green Pine ne lui permet pas d’intercepter des engins aux tailles, portées et vitesse de rentrée inférieure au SS-1 Scud. 5 Une solution que les industriels israéliens avaient développée dans les années 1990, dans l’optique d’une défense contre les tirs de mortiers.

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conçus par des ingénieurs iraniens, sont enterrés et bien protégés, aura permis à la milice d’encaisser sans trop de problèmes les frappes.

Avec une précision moyenne de 10 mètres, remarquable en soi, ces tirs ne parvenaient pas à détruire ces positions, pour certaines capables d’encaisser des tirs à bout portant. C’était d’autant plus le cas qu’installés à proximité de villages ou en leur sein, ces bunkers n’étaient pas ciblés par des volées continues d’artillerie, alors que le manque de renseignement, là aussi, ne permettra pas de viser les positions occupées par des combattants de la milice. Par ailleurs, comme le note justement Ralph Peters, le Hezbollah avait des objectifs de campagne clairs et réalistes, se résumant au fait de « tenir » face à la poussée israélienne en tirant parti d’un terrain qu’il maîtrise depuis 30 ans et non à prendre des portions de territoire israélien1. A cet égard, la stratégie alternant dispersion de forces mobiles et affectées à des embuscades sur les forces israéliennes et positionnement de ces forces dans des positions enterrées permettront de laisser glisser des frappes israéliennes considérées comme une riposte en soi, là où elles auraient dû être vues comme un appui aux forces terrestres. Si A.H. Cordesman considérera qu’une des leçons de l’opération est de ne pas entrer dans le jeu de l’adversaire, force est de constater qu’une opération qui ne mettrait pas directement aux prises Tsahal et le Hezbollah est condamnée d’avance à la stagnation stratégique et à la victoire du second.

Du point de vue de l’engagement de troupes au sol, des réservistes auront ainsi été rapidement mobilisés, les forces, appuyées par des blindés et un système de guerre réseaucentrée, se tenant à la frontière, le plus généralement dans les bases israéliennes. Elles seront toutefois obligées de se disperser assez rapidement, les frappes de roquettes du Hezbollah visant également les bases de Tsahal. Mais Tsahal fera là aussi face à un certain nombre de surprises, auxquelles ses services de renseignement ne semblent pas l’avoir préparé. La posture de techno-guérilla adoptée par le Hezbollah s’est appuyée sur une diversification de ses approvisionnements. Dans les années 1980, le parti alignait des armes de petits calibres et de soutien (RPG-7), disposait d’une capacité à produire des mines antipersonnel et antichars. De la sorte, le Hezbollah était associé, en termes capacitaires, aux différentes factions combattantes palestiniennes. Mais, durant la campagne de Tsahal, le Hezbollah a mis en œuvre des IED (Improvised Explosive Devices) nettement plus puissants que par le passé et permettant, dans certains cas, de détruire des chars aussi lourds que les Merkava – dans le cas de l’embuscade ayant suivi l’enlèvement des deux soldats israéliens, on parle d’un IED de 300 kg (!)2. La milice a également mis en œuvre des RPG plus évolués (des RPG-29 ont été identifiés sur zone) mais aussi contre les AT-13 Metis-M et les AT-14 Kornet – des missiles entrés en service en Russie au début des années 1990 et dotés d’une double charge en tandem – que la Syrie semble lui avoir fourni.

Face à ces moyens, Israël s’engage au Liban avec des moyens équivalents à ceux utilisés dans les Territoires palestiniens : chars Merkava et véhicules de transport de troupes surblindés Nagmachon, Achzarit, Puma et autres chars reconvertis en transports de troupes (HAPC – Heavy Armoured Personnel Carrier). Surblindés, ils semblent offrir une protection suffisante aux forces israéliennes. Mais, in fine, un septième des Merkava engagés auraient été touchés,

1 Peters R., « Lessons from Lebanon. The New Model Terrorist Army », Armed Forces Journal, October 2006. 2 Une charge parfaitement inhabituelle, signe, avec une grande probabilité, d’une préparation minutieuse de l’attaque.

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de même qu’un nombre inconnu d’autres blindés, toutefois moins exposés au combat que les premiers. En fait, il semble bien que le Hezbollah soit parvenu à pénétrer, y compris avec des moyens iraniens, les réseaux de communication israéliens ou, à tout le moins, à les trianguler. Le travail de renseignement du Hezbollah aurait ainsi permis de prendre connaissance d’un certain nombre d’axes de progression des chars, facilitant leur interception. Ceci dit, la version la plus évoluée du char (Mk.4), apparemment abondamment utilisée par Tsahal, s’est montrée la plus résistante. La disposition du plus fort blindage actuellement disponible dans le monde de même que de contre-mesures actives (comme le Trophy)1 ont permis de largement limiter les dégâts. Ainsi, certaines estimations indiquent que seul un quart des missiles utilisés auraient réussi à percer les blindages et à blesser/tuer des équipages. Ce taux peut être considéré comme relativement faible pour les missiles de cette génération. Crédités d’une probabilité d’atteinte de 0,9 et utilisés par un belligérant connaissant le terrain, ils auraient logiquement dû causer des dégâts plus lourds.

Aussi, les pertes en chars israéliens, estimées à 14 sur 50 touchés2 (d’autres parlent de 21 sur 503), certes non-négligeables, d’autant plus que 350 chars ont été engagés4, sont-elles à relativiser à l’aune non seulement de l’histoire militaire mais aussi de la violence des combats, notamment dans une localité comme Bint Jbeïl (20 000 habitants), qui ne sera jamais prise par Tsahal, malgré plusieurs assauts répétés. Dans plusieurs cas, des chars ont été ciblés par plusieurs missiles, sans même blesser l’équipage, le char devant toutefois être remorqué. On cite également le cas d’un Merkava qui, ayant été touché à 7 reprises par des AT-3 et des AT-4, aurait continué le combat. Surtout, aussi paradoxale que cette estimation puisse paraître au lecteur, le char de combat confirme son utilité en tant que base de feu mobile et omnirôle5. L’emploi du Lahat, une munition à guidage laser et à tir déporté, semble ainsi avoir donné satisfaction dans la destruction de bunkers. Des munitions adaptées au traitement de l’infanterie ont également été utilisées avec succès.

Surtout, les opérations du Liban confirment que les chars doivent être utilisés en conjonction avec l’infanterie. Ainsi, lorsque c’était possible, Tsahal envoyait ainsi ses snipers en éclaireurs, parfois sur la base d’informations fournies par des drones, à proximité des zones susceptibles de voir s’installer des postes de tir du Hezbollah, avant d’éliminer les servants puis de capturer les missiles. Mais cette utilisation doit se faire également suivant des modalités qui seront considérées comme à revoir pour Tsahal. Des membres des troupes blindées seront ainsi frustrés de constater que l’emploi de ces chars s’est effectué comme dans les Territoires palestiniens, dans le cadre de missions de police. Utilisés comme armes

1 Le système couple un radar permettant au moment opportun d’éjecter une charge qui, en explosant, produira un nuage de débris qui déchiquetteront le missile assaillant. Aucune estimation ne semble avoir été publiée concernant des véhicules qui auraient été dotés d’une protection active, domaine dans lequel Israël est considéré comme étant en pointe. Tsahal a toutefois annoncé qu’elle allait accélérer son déploiement. 2 Des chiffres donnés à l’auteur par des officiers israéliens s’exprimant sous le couvert de l’anonymat. Notons que l’Iran a d’abord estimé ses pertes à 130, une estimation ayant été reprise dans les talk-show militaires chinois. 3 CDEF, op cit. 4 Eshel, D., « School of Hard Knocks », Defense Technology International, September/October 2006. 5 A titre de comparaison, des Stryker utilisés en Irak, et fondés sur le Piranha utilisé par plusieurs armées européennes, ont été détruits d’emblée par un seul RPG-29. Face aux missiles antichars utilisés au Liban, de tels véhicules n’auraient eu absolument aucune chance.

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d’appui de l’infanterie, ils étaient dispersés au long de la ligne de front. De ce fait, ils n’auraient pas été réellement en mesure de riposter aux tirs de missiles antichars du Hezbollah. Par ailleurs, s’enfonçant en territoire libanais, les chars comme les unités d’infanterie ont pu voir leurs approvisionnements interrompus, certaines de leurs lignes logistiques étant rompues par le Hezbollah, nécessitant des approvisionnements par voie aérienne. Plus tard durant le conflit, les chars seront utilisés seuls. Ne disposant pas de protection active, ils seront plus facilement pris pour cible, n’étant pas appuyés par l’infanterie1.

Pour autant, la vision qu’a l’état-major israélien du char de bataille aura connu une évolution singulière après les opérations du Liban. Surestimant ses possibilités en fonction de l’expérience des Territoires palestiniens, des unités de chars ont pu être déployées sans soutien/protection de l’infanterie. Surveillant les progressions israéliennes, les forces du Hezbollah étaient alors en mesure de tendre des embuscades, profitant d’un terrain complexe. Dans un cas, une unité de char a du être secourue par des parachutistes, qui tomberont eux-mêmes dans une embuscade, imposant l’envoi d’une seconde mission de secours. Ces erreurs tactiques, couplées à des techniques de neutralisation antichars basiques (utiliser des snipers pour viser les optiques des chars, indispensables dès lors qu’ils avancent tourelles fermées) seront à l’origine d’une réévaluation de la place du char de bataille. Ainsi, contrairement à ce qui a pu être dit, la production du Merkava ne sera pas arrêtée définitivement. Mais une nouvelle version, le Merkava V, serait d’ores et déjà en cours de conception, permettant de mettre en œuvre un certain nombre de leçons. C’est le cas en ce qui concerne la mobilité, le rapport poids-puissance du Merkava ayant été jugé comme déficitaire, la protection du char et de son équipage ayant, en son temps, été préférée à sa mobilité. Les contre-mesures actives seraient, en outre, fortement utilisées. A cet égard, Tsahal estime que la protection de ses forces doit rester, fondamentalement, le cœur de la conception de ses matériels et considère qu’un autre type d’approche aurait causé plus de pertes à ses propres troupes.

Mais l’infanterie israélienne a également eu son lot de surprises. L’équipement individuel des combattants du Hezbollah incluait des gilets pare-balles, des jumelles de vision nocturne, des télémètres lasers ou des systèmes de réduction de la signature IR, de même que des uniformes israéliens. Le Hezbollah disposait également d’un système de communications assez élaboré. De même, ses positions semblent avoir connu des aménagements bien pensés, eu égard à ses missions militaires. L’enterrement d’un certain nombre d’entre elles rend leur détection plus difficile, notamment par les drones. C’est d’autant plus le cas que certaines de ces positions, construites sur deux lignes de défense (Badr et Nasser) sont reliées entre elles. Les combattants du Hezbollah disparaissaient via une position et réapparaissaient via d’autres. Même les capteurs IR ne semblent pas suffisamment précis pour donner des indications supplétives aux capteurs TV traditionnels. De ce point de vue, le lancement des opérations en été a joué en faveur du Hezbollah, le contraste des images IR étant légèrement plus défavorable aux forces israéliennes. Surtout, le Hezbollah, s’il a soigneusement planifié ses opérations, semble aussi avoir engagé des troupes très entraînées et qui ont fait preuve d’un grand courage et d’une grande maîtrise de leur équipement. Tous les rapports ont ainsi fait état d’un assez haut niveau de préparation des combattants de la milice, de même que d’un très bon moral. Combattant dans une optique défensive, les membres du Hezbollah

1 CDEF, op cit.

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mèneront aussi des offensives tactiques leur permettant d’utiliser des missiles AT-3 Sagger, plus anciens et inutiles contre les blindés israéliens, afin de viser des positions dans lesquelles s’étaient installés des soldats israéliens, avec un certain succès.

Plus largement, c’est la conception même de l’Israeli Security Revolution (ISR) – l’équivalent israélien de la RMA américaine – qui est remise en question. La numérisation du champ de bataille, en cours en Israël et mobilisant la majeure partie des investissements consentis dans le domaine terrestre, sera considérée comme problématique. D’une part, parce que les soldats n’avaient pas le temps de mettre à jour les cartes à leur disposition sur leurs PDA militarisés, n’utilisant pas le système. D’autre part, un brigadier général israélien indiquera aussi que les investissements faits dans le Tsayad (le système de guerre réseaucentrée israélien)1 ne l’avaient pas été dans l’entraînement, de sorte que « nous voyons maintenant les résultats nous exploser à la figure ». A cet égard, le concept du soldat-capteur répercutant ce qu’il voit aux échelons supérieurs est plus que remis en cause et certains évoquent la possibilité que le Tsayad n’ait pas autant de fonctionnalités qu’initialement prévu. De même, les réseaux de capteurs installés sur les frontières avec les Territoires palestiniens et le Liban – considérés comme permettant d’alléger le nombre de rappels de réservistes et, corrélativement de moins peser sur la croissance israélienne – ont également été contournés, qui par le Hamas, qui par le Hezbollah.

Au demeurant, l’utilisation de ces capteurs comme des drones ou du système de guerre réseaucentrée aura eu des conséquences délétères. Il semblerait ainsi que le Hezbollah ait, au cours des opérations de juillet-août, disposé d’une capacité d’intrusion dans les réseaux de communication israéliens. L’information a de quoi surprendre a priori. Les communications militaires sont un des domaines traditionnellement les mieux maîtrisés par Israël, tandis que Tsahal utilise massivement des systèmes à saut de fréquence s’appuyant notamment sur le SINCGARS2, système avec lequel sont compatibles nombre de réseaux européens et qui est considéré comme la norme en la matière aux Etats-Unis. Pourtant, des spécialistes du Hezbollah, probablement appuyés par des systèmes et des formateurs iraniens, ont pénétré un certain nombre de systèmes, dont les réseaux de téléphones mobiles ou des radios n’utilisant pas de systèmes de cryptage, utilisées lorsque la bande passante des systèmes sécurisés était encombrée par les flux d’informations en imagerie notamment. Dans ce cas, les systèmes de capteurs choisis ont mis en danger la sécurité des troupes. Dans d’autres cas, les Israéliens n’auraient pas suivi les protocoles de sécurité en vigueur, considérant que le Hezbollah ne disposait pas de moyens d’écoute sophistiqués et, là encore, l’auront sous-estimé.

In fine, le niveau de préparation des appelés israéliens sera considéré comme très largement déficitaire, tandis que très peu nombreux sont les soldats ayant été engagés en opérations au Liban en 1982. Si des critiques indiqueront que la culture, la doctrine et les tactiques découlant des opérations dans les Territoires palestiniens éloigneront Tsahal des missions de combat de haute intensité, force est également de constater que l’armée israélienne a perdu un certain nombre de leçons qu’elle avait durement acquises au cours des guerres précédentes. Pire, dans certains cas, l’équipement des réservistes israélien remontait aux

1 Kenyon H.S., « Israel Targets Network Centricity », Signal, May 2005. 2 Single Channel Ground and Airborne Radio System.

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années 1970, de sorte que, selon le CDEF français, les miliciens du Hezbollah, paradoxalement, pouvaient être mieux équipés, notamment en matière de gilets pare-balles. In fine, la combattavité des unités de réservistes a largement été remise en question, tranchant avec celle des unités d’active. Les réservistes ont en outre été appelés de façon précipitée et désorganisée. Plus largement, il semble que la réduction du nombre de jours de rappel dans l’armée a impacté la qualité de l’entraînement des hommes1.

Du blocus naval au déploiement d’une stratégie d’interdiction par le Hezbollah

La disposition de missiles antinavires C-802 (guidage radar, lancé depuis des positions côtières, de construction chinoise et dont le seul client à l’exportation est l’Iran) par le Hezbollah a, également, surpris les Israéliens comme les observateurs, marquant d’autant plus les esprits que le navire visé était qualifié de furtif2. Selon des rapports en provenance d’Israël, deux de ces missiles à guidage radar auraient été tirés contre l’INS Hanit, une corvette de la classe Saar V. Détectant le premier missile, la corvette aurait utilisé ses contre-mesures et engagé des manœuvres de dégagement. En conséquence, selon le rapport, le premier missile aurait poursuivi sa route, atteignant un navire égyptien 40 km plus loin. Toutefois, le second missile n’aurait pas été détecté, la corvette le prenant sur la ligne de flottaison, tuant 4 marins, le navire étant ensuite remorqué. Plusieurs analystes estiment que ces missiles auraient – le conditionnel reste de mise – été lancés avec l’appui du radar de l’aéroport de Beyrouth ce qui, du point de vue israélien, aurait justifié son bombardement dans les premiers jours de la guerre. La leçon, à l’heure où les marines se tournent vers la guerre littorale sera, à n’en pas douter, significative, même si elle confirme des craintes ayant déjà fait l’objet de réflexions3.

Plusieurs de ces missiles seraient toujours dans les mains de la milice. Facilement camouflables dans des camions, leur lancement serait relativement aisé. Le Hezbollah, bien que ne disposant pas de navires, serait ainsi en mesure de déployer une véritable stratégie navale. Là comme dans le domaine terrestre, la frappe contre le Hanit sera l’occasion d’un déploiement important de solutions technologiques. Les bâtiments pourraient ainsi se voir dotés de radars tridimensionnels, offrant théoriquement une meilleure protection des navires à la mer4. Surtout, il semble que la frappe ait induit un nouvel intérêt de la part des Israéliens pour leur marine, traditionnellement déconsidérée en tant qu’instrument de stratégie conventionnelle, notamment par un intérêt – datant d’avant le conflit – pour le Littoral Combat Ship (LCS) américain. Ceci dit, l’efficacité du blocus décrété par Israël peut être considérée comme bonne. En disposant de plusieurs corvettes équipées de missiles d’une portée de 80 km, l’aptitude à interdire les côtes libanaises était, a priori, excellente. Toutefois, le brouillard de la guerre, là aussi, laissait peser certaines incertitudes. Plusieurs officiers de marine français engagés dans l’opération d’évacuation des ressortissants européens

1 CDEF, op cit. 2 Les Saar V ont été les premiers navires qualifiés de furtifs, la tête de classe entrant en service en 1993. Henrotin J., « Les Eilat/Sa’ar V, bâtiments de guerre littorale avant l’heure », Défense & Sécurité Internationale, n°12, février 2006. 3 Cf. la position de G. Till. TILL G. (interview), « Stratégie navale : une radicalisation permanente », Défense & Sécurité Internationale, n°19, octobre 2006. 4 Ce qui reste relatif. Un tel type de radar fait du navire un émetteur. Pour peu qu’un adversaire dispose de systèmes ESM (Electronic Support Measures) suffisamment avancés, la furtivité du navire ne lui sera plus d’aucun secours.

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indiqueront ainsi leur totale ignorance des conditions tactiques et indiquaient qu’il existait une certaine probabilité d’être visé, une situation que le dégagement de couloirs humanitaires n’a pas totalement permis de résoudre.

LES RETOMBÉES DE LA CRISE

Les retombées régionales

Au-delà du déploiement (massif, au regard de la superficie couverte par le mandat) d’une FINUL II dont les officiers ont affirmé qu’il serait difficile de procéder à des actions de désarmement du Hezbollah, la question de la puissance d’un Hezbollah, qui sera ensuite soutenu par le général Aoun, reste posée. Plusieurs commentateurs avouent ainsi leur pessimisme quant au processus de désarmement de la milice que la FINUL II est sensée permettre, compte tenu de la perception de cette force par le Hezbollah1. La puissance de cette force, indéniable et inédite, a surtout été présentée comme de nature défensive, cherchant à protéger les hommes déployés, de sorte que si le mandat est « robuste », ce n’est pas pour désarmer le mouvement, ce que confirme la régulation de la force par le Chapitre IV de la Charte, et non par le Chapitre VII. Aussi, si la guerre n’aura nullement permis de régler la « question libanaise », il est peu probable que la FINUL y parvienne in fine. C’est d’autant plus le cas que l’assassinat de Pierre Gemayel augure d’une complexification de la situation, le Liban s’engonçant dans une crise sans précédent avec la démission des ministres chiites du gouvernement.

Surtout, il est absolument indéniable que le Hezbollah a considérablement renforcé son influence sur l’échiquier politique libanais comme régional, posant, au passage, la question de sa laïcisation ou, au contraire, du maintien de sa ligne politico-religieuse actuelle, au risque de perdre une partie du soutien dont il bénéficie de la part de la rue arabe. Force est déjà de constater qu’en la gardant, il est devenu un formidable facteur de renforcement de l’influence comme de l’image iranienne dans la région. C’est d’autant plus le cas qu’au même moment, la question du nucléaire iranien perdure et que Téhéran comme le Hezbollah jouent la carte d’une représentation imaginaire où le « grand » Iran fait face aux « grands » Etats-Unis, alors que le « petit » Hezbollah fait échec au « petit » Israël2. De ce point de vue, le

1 Voir ainsi : Cann F., « Bis repetita placent ou le lugubre chant des sirènes libanaises », Défense Nationale et Sécurité Collective, n°10, octobre 2006.

2 Ce sera d’autant plus le cas que les Etats-Unis, selon Seymour Hersh, auraient été impliqués de près dans la planification de l’attaque (Seymour M. HERSH, « Watching Lebanon », the New Yorker, 21 August 2006). On peut toutefois se demander si, au vu des résultats, cette contribution à la planification a réellement eu lieu. Les Américains ont étudié d’extrêmement près les différentes guerres israélo-arabes et maintiennent le Hezbollah sous une surveillance poussée. Autrement dit, si des consultations dans le cadre d’une planification avaient été menées, les premiers conseils donnés auraient certainement été de calmer le techno-enthousiasme israélien : techno-enthousiasme dont ils reviennent eux mêmes, suite à l’expérience irakienne. Notons que la crédibilité d’Hersh peut être remise en question après qu’il ait annoncé à plusieurs reprises des frappes préemptives imminentes sur l’Iran, options qui auraient inclus l’emploi d’armes nucléaires. La collaboration entre Washington et Tel Aviv n’est pourtant pas à nier, bien au contraire, et aurait très bien pu inclure des informations données aux Etats-Unis sur la nature de la riposte, en vue d’une coordination des politiques étrangères des deux pays. Mais au vu de la plus grande implication du Pentagone dans les affaires de

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mouvement libanais est bien plus que le « commandement ouest » de l’Iran. Il est également un facteur de légitimation de l’ensemble de la politique étrangère iranienne. C’est particulièrement le cas au regard d’un Moyen Orient où Téhéran, constatant l’enlisement américain, a entrevu une fenêtre d’opportunité historique, apte à établir un véritable leadership sur la zone.

En tout état de cause, le rapprochement/glissement sémantique rapidement effectué entre « résistance » et « Hezbollah » (le premier tendant à remplacer le second dans la rhétorique des cadres et des militants du mouvement) est symptomatique de sa montée en puissance dans le dispositif sécuritaire libanais. Ce qui, après-coup et même compte tenu de l’aide militaire américaine accordée au Liban, tend à confirmer la position de Magnus Ranstorp, selon lequel le Hezbollah allait tâcher, après le conflit, de se positionner comme la principale force de réserve de l’armée libanaise1. Mais, au-delà de ces questionnements propres au Liban et qui risquent de passablement plomber son futur politique, se pose aussi la problématique d’un essaimage du modèle tactico-stratégique mis en place par le Hezbollah. Le Mossad indique ainsi que les Territoires palestiniens sont le théâtre d’une translation du modèle de techno-guérilla de la milice. En particulier, au cours des dernières opérations menées par Tsahal dans la Bande de Gaza, les Israéliens auraient été visés par des missiles antichars de la dernière génération.

Transitant vers Gaza par des tunnels partant du Sinaï, ces engins auraient été utilisés à plusieurs reprises, tandis que des personnels palestiniens étaient formés à leur utilisation2. Dans le même temps, les Etats-Unis faisaient pression sur l’Egypte, dont les services de sécurité ne seraient pas capables d’intercepter les chargements d’explosifs et de matériels à destination des mouvements palestiniens. Le gouvernement égyptien lui-même semble préoccupé par la situation. Notons en outre qu’un accord aurait été signé entre le Hamas et l’Iran, les militants y effectuant des stages d’une durée de 6 semaines3. A tous ces égards, Changement de direction aura radicalisé les positions des uns et des autres. L’arrivée, au sein du gouvernement israélien d’A. Lieberman – qui indiquait qu’il fallait utiliser dans les Territoires palestiniens les mêmes méthodes que l’armée russe – et qui travaillera notamment sur le délicat dossier iranien, en témoigne tout autant que les accords et transferts de technologies au profit du Hamas.

Tsahal et ses dirigeants

En Israël, la conduite des opérations a été plus que contestée. On pourra y parler de crise morale majeure, la légitimité des autorités politiques et militaires étant remise en question4. L’armée aura été frustrée de ne pas pouvoir conduire les opérations à leur terme, tandis que

sécurité observée ces derniers mois, on se demande bien pourquoi il n’aurait pas émis un certain nombre de (saines) recommandations à l’attention de Tsahal.

1 Sur cette question, voir, entre autres, Ranstorp M. (interview), « Désarmer le Hezbollah ? », Défense & Sécurité Internationale, n°18, septembre 2006.

2 Défense & Sécurité Internationale, n°21, décembre 2006.

3 Défense & Sécurité Internationale, n°22, janvier 2007.

4 Razoux, P. (interview), « Tsahal : la crise ? », Défense & Sécurité Internationale, n°18, septembre 2006.

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plusieurs soldats indiquaient que le commandement avait manqué de pédagogie dans l’explication/explicitation des objectifs de guerre. Or, cette guerre aura été inédite en matière de communication de la part des combattants israéliens. La disposition des nouvelles technologies de communication, de blogs, de téléphones portables et du MMS aura permis de connecter le front au cœur du pays comme jamais auparavant – ce qui, a priori, représentait une formidable opportunité en terme de facteur moral. Mais, in fine, les frustrations des soldats auront été rapidement perceptibles dans la population, qui les relayera partiellement. Plusieurs observateurs confirment, de même, la dynamique des médias israéliens autour du conflit, ouvrant des débats complexes pouvant remettre en question la pertinence des opérations.

Mais force est aussi de constater que l’ensemble de ces dynamiques donnera rapidement l’impression d’une stratégie brouillonne, ne rendant pas hommage au courage des combattants israéliens sur le terrain. Or, dans le même temps, il existait un consensus certain dans la société israélienne, en faveur de la conduite de la guerre. Il en résultera un divorce en bonne et due forme entre la population et les dirigeants politiques comme de Tsahal, sans « égal depuis la fin de la guerre du Kippour, en 1973 » - qui avait vu un très sérieux échec du renseignement, débouchant sur une guerre coûteuse – pour P. Razoux1. Les propositions de mise en œuvre de commissions diverses qui auraient dû permettre de mettre en évidence les échecs des uns et des autres ne tempéreront guère l’amertume de la population autant que celle de nombreux cadres et soldats de Tsahal. Alors que les opérations dans les Territoires palestiniens, dans les années 1990 et 2000, auront été contestées au cœur même des forces israéliennes et motiveront le phénomène des refuzniks, les opérations au Liban ne permettront sans doute pas de rendre à Tsahal ses forces morales.

EN GUISE DE CONCLUSION

La conduite des opérations militaires contemporaines est éminemment complexe : aux facteurs militaires classiques s’adjoignent désormais des considérations inhérentes à l’image, que ce soit celle de l’adversaire, la sienne, ou celle que l’on donne à sa propre population voire à celle de ses forces armées. Changement de direction, de ce point de vue, aura été aussi violent qu’exemplaire. L’opération est exemplaire de ce que d’aucuns qualifieront de « guerre postmoderne »2, montrant une imbrication extrêmement complexe de facteurs internes et externes, dans lesquels la technologie (de l’image, du combat, de la mobilisation des populations, à l’échelle globale comme locale) a une fonction d’actant, tant elle influe sur les positionnements et les actions des uns et des autres. La donnée, au sein du débat sur la guerre asymétrique, paradoxalement redécouvert alors qu’il forme plutôt la norme au sein de l’histoire militaire mondiale, mérite l’attention. A bien des égards, au vu de la prolifération de nouvelles technologies à la disposition de toute une gamme d’acteurs non-étatiques, Changement de direction pose la question de la généralisation d’un nouveau modèle de conflit. A bien des égards, toutefois, il est encore trop tôt pour disposer d’un recul permettant de confirmer ce qui ne reste qu’une hypothèse.

1 Razoux, P. (interview), op cit., p. 51.

2 Voir par exemple Gray, C.H., Postmodern War. The New Politics of Conflict, London : Routledge, 1997.

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Au-delà de cette rupture, Changement de direction confirme un certain nombre de continuités. Comme l’indiquaient plusieurs auteurs ayant travaillé sur le thème de la contre-insurrection, une guérilla gagne lorsqu’elle résiste, y compris au prix de pertes élevées, alors qu’une force classique ne gagne pas tant que ce n’est pas de façon décisive. Les armées occidentales, baignées dans des processus de Transformation qu’elles ont engagés et qui promettent trop facilement des résultats (trop) rapides, doivent sans doute définitivement oublier le concept même de victoire et, tout au plus, envisager celui de succès. Il en découle que la notion d’action décisive, prégnante dans le discours stratégique des Etats-Unis comme d’Israël depuis la fin des années 1990, doit également être remise en question. Plus généralement, en effet, les opérations contemporaines sacrent plutôt la notion d’attrition/usure. Or, cette dernière est foncièrement dérangeante pour nos sociétés, baignées dans le culte économico-technologiquement centré de la rapidité/facilité. En d’autres termes, il faut cesser de considérer que la guerre se conduit comme une opération boursière, comme il faut cesser de considérer les armées comme des entreprises, une tendance malheureusement lourde ces dernières années, en bonne partie issue d’une dérive technocratique découlant d’une éducation aux questions stratégiques totalement déficitaire.

Tsahal a souvent été considérée comme un modèle stratégique, en partie sur base de sa mythification, remontant à ce que nous pourrions considérer comme ses « guerres d’indépendance » - durant lesquelles sa survie était menacée – avant ses « guerres de consolidation » (visant à stabiliser unilatéralement ses abords immédiats). Ses expériences de la guerre des blindés ou de la guerre urbaine ont été examinées de près et une bonne partie des doctrines américaines en la matière en découlent. Par ricochet, les doctrines européennes ont également été affectées par la doctrine israélienne, directement ou par l’intermédiaire de l’influence américaine – à certains égards, c’est aussi le cas pour les forces chinoises ou indiennes. Mais l’action du Hezbollah a ouvert la voie à une nouvelle forme de synthèse entre l’utilitarisme technologique du monde occidental et l’introspection stratégique du monde oriental, synthèse qui apparaît d’emblée comme socio-stratégiquement supérieure et qui semble confiner au dépassement ultime du débat primautaire1. Ce que fait le Hezbollah, pour le dire autrement, c’est de forger un nouvel art de la guerre en redistribuant les cartes, les briques élémentaires, de la stratégie théorique. Ou, plutôt, il fait évoluer l’art de la guerre, en le plaçant dans une autre perspective, à la fois plus élaborée et plus efficiente.

En cela, l’expérience israélienne doit être considérée comme un avertissement aux forces armées occidentales, y compris celles engagées dans la FINUL II. Changement de direction représente ainsi, par certains aspects, le dernier stade d’échec d’une forme de techno-croyance occidentale se heurtant aux réalités de l’itérativité des conflits afghans, irakiens et maintenant, libanais. Comment, en effet, ne pas se poser la question de notre (in-)adaptation aux conflits contemporains ? Comment ne pas comprendre que des résultats tactiques probants – indéniables dans le cas israélien – ne suffisent pas à générer un effet stratégico-politique et peuvent même aboutir à un échec dont personne n’est en mesure de saisir les conséquences à plus long terme ? Aussi et in fine, Changement de direction constitue un

1 Sur ce dernier, perçu comme la dialectique jamais conclue par une synthèse entre les facteurs matériels (technologies, armemements) et idéels (stratégie, doctrine, moral, implications des sociétés), voir Henrotin J., L’Airpower au 21ème siècle. Enjeux et perspectives de la stratégie aérienne, Coll. « Réseau Multidisciplinaire d’Etudes Stratégiques », Bruxelles : Bruylant, 2005 et Henrotin J., RMA. La technologisation du discours stratégique américain, à paraître.

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véritable concentré des questions ayant animé l’évolution de la stratégie au travers des siècles. Rien de moins et, au vu des spécificités du conflit comme de ses acteurs, rien de plus.

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ANNEXE : CHRONOLOGIE DES OPÉRATIONS1

12 juillet : Le Hezbollah capture deux soldats de Tsahal sur le sol d’Israël et en tue huit autres, détruisant un char Merkava, au cours d’un raid soigneusement préparé. Israël riposte en lançant une offensive aérienne sur le Liban et refuse de négocier avec le mouvement chiite. Le Premier ministre israélien Ehud Olmert accuse le Liban de s’être livré à un « acte de guerre » tandis que le chef d’état-major israélien indique que Tsahal va ramener le Liban « 20 ans en arrière ». Dans la nuit, l’aviation effectue une quarantaine de raids sur le Liban.

13 juillet : Tsahal bombarde l’aéroport de Beyrouth et mène des raids aériens contre 21 ponts, la route Beyrouth-Damas, des bases du Hezbollah et de l’armée libanaise. Au moins 46 civils sont tués. Le Hezbollah riposte et tire des dizaines de roquettes sur le nord d’Israël. Deux roquettes de longue portée tombent pour la première fois sur Haïfa (40 km de la frontière) ; le Hezbollah dément toute responsabilité. Israël impose un blocus aérien et maritime sur le Liban.

14 juillet : Raids aérien et naval sur l’aéroport et la banlieue sud de Beyrouth. Intensification du blocus. E. Olmert pose trois conditions à un cessez-le-feu : la libération des soldats, l’arrêt des tirs de roquettes et l’application de la résolution 1 559 de l’ONU sur le désarmement du Hezbollah. Plus de 100 roquettes tirées sur Israël. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui échappe à des raids israéliens, proclame une « guerre ouverte ». La corvette INS Hanit est touchée par un C-802 : 4 marins tués. Depuis le 12 juillet, le Hezbollah a tiré environ 700 roquettes sur Israël.

15 juillet : Raids israéliens à la frontière libano-syrienne et sur les ports de Beyrouth, Jounyeh et Tripoli (nord). Le QG du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth, est détruit. Tibériade (nord-est d’Israël) est touchée par des roquettes. La Ligue arabe estime que le processus de paix au Proche-Orient est « mort » et s’en remet aux Nations unies. Le Premier ministre libanais, Fouad Siniora, appelle à « un cessez-le-feu immédiat et global sous l’égide de l’ONU ».

16 juillet : Poursuite des raids israéliens, notamment sur la banlieue sud de Beyrouth. Tsahal appelle la population à évacuer le Sud Liban. H. Nasrallah menace d’utiliser « tous les moyens » contre Israël. Javier Solana se rend au Liban. À Beyrouth, une délégation de l’ONU appelle à la cessation des hostilités, à la protection des civils et à la libération des soldats israéliens. Les pays du G8 demandent un arrêt de l’offensive israélienne et la fin des bombardements du Hezbollah. Ils proposent l’envoi d’une force d’interposition au Liban sud. Ali Khamanei, guide suprême de la révolution, indique que le Hezbollah « ne désarmera jamais ».

17 juillet : Raids aériens, notamment sur Baalbeck, autre bastion du Hezbollah. Des roquettes s’abattent sur Saint Jean d’Acre, Safed, près de Nazareth, et sur Haïfa. Visite du

1 Cette dernière est initialement parue dans Joseph HENROTIN et Philippe LANGLOIT, « Liban : chronologie d’une guerre de 34 jours », Défense & Sécurité Internationale, n°18, septembre 2006.

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Premier ministre français Dominique de Villepin à Beyrouth, qui appelle à « une trêve humanitaire immédiate ». Un ferry affrété par Paris évacue un premier groupe de 900 personnes, dont 750 Français, alors que des centaines d’autres ressortissants étrangers continuent de fuir les bombardements. Olmert dénonce « l’axe du mal » Téhéran-Damas.

18 juillet : Raids contre plusieurs casernes de l’armée libanaise. Accélération des évacuations d’étrangers. Le Hezbollah a tiré 1 500 roquettes sur Israël selon Shimon Peres. Les émissaires de l’ONU se rendent à Jérusalem, Olmert écartant un cessez-le-feu. Selon le Guardian, les États-Unis laisseraient à Israël une fenêtre d’opportunité d’une semaine pour conduire ses opérations au Liban. L’ONG Human Rights Watch dénonce l’utilisation d’armes à sous-munitions et à fragmentation par le Hezbollah comme par Israël.

19 juillet : Intensification des raids israéliens. Le cabinet de sécurité israélien autorise la poursuite des opérations au Liban « sans limite dans le temps », le Hezbollah répliquant qu’il peut viser Israël « pendant des mois ». Premières roquettes sur Nazareth. À la frontière, accrochages entre combattants du Hezbollah et soldats israéliens infiltrés au Liban. Première évacuation massive d’Américains.

20 juillet : Nouveaux accrochages entre le Hezbollah et des soldats israéliens en territoire libanais. Nombreux appels au cessez-le-feu, notamment du Vatican et de Moscou. Intensification des évacuations. Nasrallah affirme qu’il ne libérera pas les deux soldats sans conditions.

21 juillet : Raids israéliens sur Baalbeck et Tyr. Deux salves de roquettes sur Haïfa. Le Hezbollah rejette le plan de l’ONU, qui propose un arrêt immédiat des hostilités et la libération des deux soldats israéliens.

22 juillet : Plus de 70 roquettes tirées par le Hezbollah sur le nord d’Israël. Des tirs de l’aviation israélienne détruisent des installations de communication au Liban. Une dizaine de blindés israéliens traversent la frontière. L’armée israélienne contrôle un village tenu par le Hezbollah, Maroun al-Ras.

23 juillet : Ehud Olmert se dit favorable au déploiement au Liban d’une force militaire « formée par des pays de l’Union européenne ». Le bilan des victimes atteint 361 personnes depuis le début de l’offensive. Tir de roquettes sur Haïfa. Le secrétaire général adjoint de l’ONU accuse Israël de « violer le droit humanitaire ».

24 juillet : Condoleezza Rice est à Jérusalem après une visite à Beyrouth, où elle a exprimé sa « profonde préoccupation » concernant le sort des Libanais, les États-Unis annonçant une aide humanitaire de 30 millions de dollars pour le Liban.

25 juillet : Les troupes israéliennes bouclent Bint Jbeïl. Nouvelles frappes aériennes sur Beyrouth. Quatre observateurs de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban) sont tués dans un raid israélien dans le sud du pays du Cèdre, à Khiam. Kofi Annan se dit

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« choqué » et soupçonne Tsahal d’avoir « apparemment délibérément » visé la position de la FINUL. Poursuite des tirs de roquettes sur Israël. Le ministre israélien de la Défense Amir Peretz annonce qu’Israël va créer une zone de sécurité dans le sud du Liban jusqu’à l’arrivée d’une force internationale.

26 juillet : Conférence internationale sur le Liban à Rome en présence de représentants d’une quinzaine de pays, de l’ONU, de l’UE et de la Banque mondiale, qui conviennent de travailler à un cessez-le-feu et soutiennent l’idée d’un déploiement d’une force internationale sous l’égide de l’ONU au Sud Liban. Jacques Chirac annonce que la France dégage 15 millions d’euros à l’aide humanitaire. E. Olmert veut qu’Israël mette en place une zone de 2 kilomètres de large au Sud Liban. Il exprime son « profond regret » après la mort des quatre observateurs de l’ONU le 25 juillet mais rejette l’accusation de Kofi Annan. Les soldats israéliens se heurtent à une vive résistance des combattants du Hezbollah dans le secteur de Bint Jbeïl. Révision des objectifs israéliens : de l’élimination de la branche armée du Hezbollah, Tsahal passe à la recherche de la dégradation de ses capacités.

27 juillet : L’aviation israélienne bombarde la plaine de la Bekaa et le Liban sud. Le bureau d’un responsable du Hezbollah a été détruit à Tyr. Pour Dan Haloutz, chef d’état-major israélien, le Hezbollah subit des « dommages stratégiques énormes ». Intensification des frappes israéliennes et nouvelles mobilisations de réservistes. Le ministre israélien de la Justice estime qu’Israël a obtenu « l’autorisation de continuer » suite à la conférence de Rome. Interprétation récusée par Romano Prodi, qui exerce la présidence de l’UE et qui rencontre Mahmoud Abbas. Ayman al Zawahiri, numéro 2 d’Al-Qaida, menace Israël de représailles dans une vidéo. Des officiels du parti libanais chiite Amal indiquent que le Hezbollah désire un cessez-le-feu.

28 juillet : George W. Bush annonce le retour de C. Rice au Proche-Orient et se prononce pour l’envoi « rapide » d’une force multinationale.

29 juillet : Retrait israélien de Bint Jbeil. Un raid sur la centrale électrique de Jiyyeh a entraîné une marée noire, 15 000 tonnes de carburant se déversant en Méditerranée, sur 80 km de côtes. Israël rejette la trêve humanitaire demandée par l’ONU et refuse de fixer la date de fin de son offensive.

30 juillet : Israël bombarde le village de Cana (Liban sud) : 28 morts (après une estimation initiale de 54 morts). Israël suspend ses attaques aériennes pour une durée de 48 heures mais poursuit ses opérations terrestres. Fouad Siniora exclut toute négociation sans un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. À Jérusalem, Condoleezza Rice annule sa visite prévue à Beyrouth mais estime qu’un cessez-le-feu est plus que jamais à l’ordre du jour. Des officiels israéliens indiquent qu’ils ne désirent pas ouvrir de nouveau front mais que Tsahal est préparée à se battre contre les forces syriennes si elles attaquaient.

31 juillet : Israël rejette un cessez-le-feu immédiat. L’aviation intervient contre le Hezbollah dans le secteur de Taibé (sud), soutenant les troupes au sol. Deux raids israéliens sur un poste frontière entre le Liban et la Syrie. Condoleezza Rice se prononce pour « un cessez-le-feu urgent et un règlement durable ». Le Conseil de sécurité de l’ONU prolonge d’un mois le

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mandat de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL). Le cabinet israélien approuve l’extension de l’opération terrestre de l’armée au Sud Liban.

1 août : Très violents accrochages à Aïta al-Chaab, au Sud Liban, avec les combattants du Hezbollah. Tsahal affirme avoir tué 400 combattants du Hezbollah depuis le début de l’offensive. Le vice-Premier ministre israélien, Eli Yishaï, annonce que l’armée reprendra le lendemain matin ses frappes aériennes. Les États-Unis ont offert d’entraîner et d’équiper l’armée libanaise et font passer leur aide aux forces de 1,5 à 11,5 millions de dollars. Raid sur l’hôpital de Dar Al Hikma, où sont basés des membres du Hezbollah. Après 4 heures de combat et des raids de F-16, les Israéliens se replient sans pertes, les miliciens chiites ayant perdus une dizaine de membres.

2 août : Amir Peretz annonce que son gouvernement ne cédera pas à la pression internationale et mettra un terme à son offensive contre le Hezbollah au Liban une fois que ses objectifs seront atteints. L’armée israélienne entre massivement au Liban par la voie terrestre, engageant trois divisions (parachutiste à la frontière sud-ouest, Golani au centre et Nahal frontière orientale), alors que trois divisions de réserve sont rappelées. À ce moment, les estimations israéliennes tablent sur une réussite qui nécessitera entre 10 jours et 2 semaines.

3 août : L’aviation frappe la banlieue sud de Beyrouth. Hassan Nasrallah affirme : « si vous bombardez notre capitale, nous bombarderons la capitale de votre entité agressive ». Un haut responsable israélien répond que son État anéantira toutes les infrastructures du Liban si Tel-Aviv est touché. Des dizaines de raids aériens visent la plaine de la Békaa et le nord du pays, près de la frontière syrienne. Le Hezbollah tire plus de 200 roquettes sur le nord d’Israël et le plateau du Golan. Le ministre de la Justice israélien Haïm Ramon évoque les alentours du 12 août pour la fin de l’offensive. Selon Tsahal, 25% des roquettes du Hezbollah seraient concentrées dans une bande d’environ 5 km de long attenante à Israël. Selon des sources libanaises, 80 combattants du Hezbollah auraient été tués depuis le début des opérations, contre 300 selon les estimations israéliennes.

4 août : Israël pilonne des régions chrétiennes jusque-là épargnées au nord de Beyrouth. Au moins 26 civils, en majorité des ouvriers syriens, sont tués dans l’enceinte des douanes libanaises, visée par des missiles à Qaa dans l’est du Liban, à la frontière syrienne. 7 personnes périssent dans un bombardement à Taïbé, au Liban sud. 5 civils sont tués dans des raids contre 4 ponts au nord de Beyrouth. Un soldat libanais est tué au sud de la capitale. Le Hezbollah tire environ 220 roquettes sur le nord d’Israël, qui tuent 3 civils. L’armée israélienne continue son avancée au Liban sud et perd 3 soldats. 4 ponts indispensables au trafic entre le Liban et la Syrie sont bombardés, dont deux détruits, par l’aviation, dans une région chrétienne. Ces bombardements coupent l’acheminement de l’aide humanitaire et des équipements du Hezbollah. L’Iran admet avoir fourni des roquettes Zelzal-2 au Hezbollah.

5 août : En 7 heures, l’armée israélienne effectue 250 raids aériens et tire 4 000 obus. Israël a détruit 73 ponts, 72 bretelles et 6 800 unités d’habitations depuis le début de l’offensive au Liban, selon le Haut Comité de Secours libanais. Les hôpitaux du Liban n’ont plus qu’une

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semaine de carburant, selon le ministre de la Santé. L’envoyé américain à Beyrouth, David Welch, plaide pour le déploiement d’une force internationale et un accord politique. Ehud Olmert n’exclut pas que Tsahal élimine Hassan Nasrallah.

6 août : Le Liban rejette le projet franco-américain de résolution prévoyant une cessation des hostilités, un accord politique entre toutes les parties et l’envoi d’une force internationale de l’ONU, et le juge inadapté, arguant qu’il ne stipule pas le retrait des forces israéliennes du Liban. L’aviation israélienne bombarde 3 routes reliant la plaine de la Békaa à Beyrouth, et 2 ponts au nord de Beyrouth. Le président syrien al-Assad téléphone au président iranien Ahmadinejad, pour envisager les moyens de soutenir le Liban. L’Iran juge « injuste » le plan franco-américain. Le chef de la diplomatie syrienne déclare que son pays est prêt à une guerre régionale. Shimon Peres estime que le cessez-le-feu, n’est « pas une affaire de jours mais de semaines ». Thomas Ricks, du Washington Post, indique sur CNN que des analystes militaires pensent que, dans sa progression, Tsahal laisse volontairement derrière elle des poches desquelles le Hezbollah peut lancer des roquettes. Cette manœuvre permettrait de légitimer la poursuite des opérations. Reuters retire de la circulation des photos de Beyrouth « retouchées » par un de ses correspondants.

7 août : Plus de 1 000 morts au Liban depuis le début des hostilités, parmi lesquels 928 civils et 30% d’enfants de moins de 12 ans (selon des sources libanaises). Bint Jbeil n’est toujours pas sécurisée. La Heyl Ha’Havir détruit en vol un drone Mirsad-1. Fouad Siniora implore, en larmes, l’aide des pays arabes pour obtenir un cessez-le-feu immédiat et un soutien dans sa volonté de « corriger » le projet de résolution. Les ministres des Affaires étrangères des 22 membres de la Ligue arabe, réunis à Beyrouth, lui apportent un soutien total, et envoient une délégation à New York. L’armée israélienne décrète un couvre-feu après 22 heures aux Libanais vivant au sud du Litani, dans la perspective d’une « extension des opérations contre le Hezbollah au Liban sud ». Le gouvernement libanais se déclare prêt à déployer 15 000 soldats au Liban sud, dès le retrait des forces israéliennes.

8 août : Israël avertit la population libanaise qu’il bombardera « tout véhicule circulant au sud du fleuve Litani », région incluant la ville de Tyr. Les agences de l’ONU suspendent totalement leurs livraisons d’aide au sud du Liban. Ehud Olmert estime que la proposition du gouvernement libanais de déployer 15 000 de ses soldats est « un pas intéressant ».

9 août : Israël autorise une extension de ses opérations terrestres, qui pourrait durer 30 jours. Jacques Chirac, qui réclame toujours un « cessez-le-feu immédiat », estime qu’y renoncer serait « la plus immorale des solutions ». De son côté, la Ligue arabe met l’ONU en garde sur les risques de « guerre civile » en cas d’adoption d’une résolution non contraignante. Les raids nocturnes israéliens sur le Liban ont fait 30 morts.

10 août : Israël a demandé aux derniers habitants de la banlieue sud de Beyrouth, à majorité chiite, de partir. L’État hébreu, qui s’est emparé du village de Marjayoun, 7 km à l’intérieur du Liban, commence à rentrer plus profondément dans les terres. Les tractations entre la France et les États-Unis continuent pour tenter de parvenir à une résolution commune. Le président libanais prosyrien Emile Lahoud estime dans une interview publiée par Le Point que « le pouvoir français a des intérêts qui consistent » à ne « pas fâcher les États-Unis ».

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Selon une première évaluation du ministère de la Défense, la campagne lancée le 12 juillet a coûté 1,6 milliard de dollars à Israël. Durant la bataille de Marjayoun, une colonne de 21 chars israéliens est prise en embuscade et est contrainte de se replier, avant que la ville ne soit effectivement prise avec l’appui de l’infanterie.

11 août : Invoquant l’absence de progrès dans les discussions aux Nations unies sur une trêve, Ehud Olmert a ordonné vendredi 11 août l’extension de l’offensive militaire terrestre au Liban. Sur le terrain, des centaines de soldats et de civils libanais ont évacué le Sud Liban. Le gouvernement libanais a décidé d’évacuer 350 soldats et gendarmes de la caserne de Marjayoun, occupée par les Israéliens. Les combats entre le Hezbollah et l’armée israélienne se sont poursuivis sur d’autres fronts, tandis que l’aviation israélienne lançait des dizaines de raids sur le nord et l’est du pays et sur la banlieue de Beyrouth. Le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité la résolution 1 701.

12 août : Malgré le vote de la résolution, les raids israéliens se poursuivent. Selon le général israélien Alon Friedman, l’opération au Liban pourrait durer plusieurs semaines et aller jusqu’au Litani. L’armée israélienne compte 30 000 hommes dans la région. Les routes vers la Syrie sont bombardées. 4 raids sont lancés sur Saïda. Les Israéliens prennent le village de Ghandouriye situé à 22 km à l’est de Tyr et qui surplombe le Litani. Troisième jour de bombardements à Khiam et à Tebnine (Liban). Le Hezbollah tire une vingtaine de roquettes sur le nord d’Israël. La résolution de l’ONU est adoptée par le gouvernement libanais à l’unanimité. Hassan Nasrallah s’engage à « respecter toute cessation des hostilités ». La communauté libanaise accueille avec soulagement la résolution. Pour l’Iran, elle constitue un « nouvel échec » pour Israël. Selon Philippe Douste-Blazy, les premiers ministres Fouad Siniora et Ehud Olmert s’engagent à respecter la résolution.

13 août : Kofi Annan annonce qu’Israël et le Liban ont conclu un accord pour cesser les hostilités lundi 14 août à 05H00 GMT. Amir Peretz justifie l’offensive terrestre en affirmant qu’elle visait à préparer le terrain au déploiement d’une force internationale. La résolution de l’ONU est approuvée par le gouvernement israélien. Selon le Haaretz, Israël serait prêt à examiner la libération d’éventuels prisonniers du Hezbollah en échange de celle des deux soldats israéliens enlevés début juillet. La ministre israélienne des Affaires étrangères Tzipi Livni appelle la communauté internationale à faire preuve de fermeté, réclamant un déploiement immédiat de l’armée libanaise au Sud Liban, et demandant le démantèlement du Hezbollah en tant qu’organisation armée. De son côté, la Syrie « appuie » la décision prise par le gouvernement libanais d’approuver la résolution 1701. Le chef d’état-major Dan Haloutz déclare que l’armée israélienne arrêtera son offensive lundi matin mais conservera son droit à l’autodéfense. Le journaliste américain Seymour Hersh affirme que les États-Unis étaient au courant du plan d’opération israélien et qu’ils l’auraient approuvé. L’article est toutefois critiqué pour ne s’appuyer que sur des sources anonymes. Au cours des opérations, la moitié des Merkava engagés par les Israéliens auraient été touchés. Tsahal encaisse 20% de ses pertes ce jour.

14 et 15 août : Peu avant l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, Israël conduit une série de raids sur Beyrouth et d’autres villes. Malgré le cessez-le-feu, le Hezbollah tire une vingtaine de roquettes sans faire de dégâts. Le fils d’Uri Grossman, un des auteurs israéliens les plus respectés, est tué dans son char par un missile du Hezbollah. Au moins un bataillon israélien

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(Tsahal semble avoir engagé 6 brigades) se retire du Sud Liban. Hassan Nasrallah indique que les opérations au Liban se soldent par une victoire « stratégique, historique » du Hezbollah, ajoutant que les soldats israéliens étaient des « couards ». Des diplomates européens expriment leurs doute sur la force internationale devant épauler l’armée libanaise au Sud Liban, indiquant que sa mise en place pourrait prendre des mois. Plusieurs commentaires d’officiers dans la presse israélienne dénoncent l’arrêt des opérations mais aussi la stratégie choisie qui aurait dû, selon eux, permettre une progression rapide jusqu’au Litani, avant que Tsahal n’amorce un retrait en « nettoyant » les positions du Hezbollah. D’autres critiquent une utilisation déraisonnable de l’aviation, imputant notamment de trop grandes espérances de succès au chef d’état-major, lui-même ancien commandant de la Heyl Ha’Havir. Devant les critiques, Shimon Peres estime que 600 membres du Hezbollah ont été tués et 600 autres blessés, de sorte que, selon lui, « 50 % de la milice chiite » a été atteinte.

16 août : Plus de 6 000 réfugiés libanais prennent le chemin du retour. Selon des estimations du Centre for Economic Research libanais, la reconstruction nécessiterait 7 milliards de dollars, auxquels il faut ajouter 100 millions de dollars pour le nettoyage de la marée noire causée par la destruction de la centrale électrique de Jiyyeh. Plus de 94 routes et 70 ponts ont été détruits par l’offensive israélienne. Plus de 900 commerces ont été détruits. Le Hezbollah estime que 15 000 unités d’habitations ont été détruites, d’autres indiquant que 10 000 est un chiffre plus raisonnable. Le ministre de la Défense nomme Amnon Lipkin, ancien chef d’état-major, à la tête d’une commission chargée d’enquêter sur les erreurs commises durant la campagne libanaise tandis que la polémique sur la cohérence des décisions politico-militaires croît. Des incidents sporadiques se produisent toujours, la FINUL indiquant que 4 membres du Hezbollah ont été tués par Tsahal.

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Espace, sécurité et défense : les conditions d’existence d’une stratégie européenne1

ALAIN DE NEVE

Chargé de recherches au Centre d’Etudes de Défense de l’Institut Royal Supérieur de Défense (Bruxelles) et Directeur de rédaction de la revue EuroFuture (http://www.eurofuture-press.com).

C’est en dat Les opérations modernes de gestion des crises répondent, plus que jamais, à des impératifs de permanence, de précision et de réactivité. Elles supposent comme condition de leur efficacité une maîtrise intégrée de l’information, de l’espace et du temps. Dans ce contexte, les technologies spatiales représentent une gamme d’instruments incontournables dans le soutien des activités de défense.

Les technologies spatiales s’inscrivent aujourd’hui dans une large variété de services à la destination des décideurs et des opérationnels. On citera, de manière non exhaustive, les missions de télécommunication, de transfert de données, de renseignement et de surveillance, de localisation et de navigation, d’écoute électromagnétique ou d’alerte avancée. Outre le soutien qu’ils offrent à nos forces, conduites, plus que jamais, à opérer dans un univers informationnel réseaucentré (Opérations réseau-centrées - ORC), les capacités spatiales participent aussi pleinement à l’appréciation en amont des situations de crise – qu’elles résultent de l’action de l’homme ou de désastres naturels – et, en aval, à la mise en œuvre des réponses qu’il convient de leur apporter.

La maîtrise dans les phases de développement et d’emploi des technologies spatiales exige l’existence d’une base industrielle solide. L’Europe dispose, il est vrai, d’une communauté de scientifiques, d’ingénieurs et de développeurs qui se situent à la pointe des progrès techniques. Elle se doit, cependant, de préserver cette situation et de maintenir la compétitivité de ses équipes ; un défi sans cesse plus difficile à relever au gré de la venue sur le marché spatial (lanceurs, satellites, etc.) de nouveaux entrants (Inde, Israël, Chine, Brésil). Le secteur spatial européen, requiert donc, pour optimiser ses chances de réussite, un soutien indéfectible des pouvoirs publics à son endroit. L’histoire montre qu’à chaque fois qu’elles ont pu bénéficier d’une volonté politique claire et d’un cadre juridique approprié, nos équipes scientifiques et industrielles ont toujours obtenu des résultats probants. Comme l’exprime, en effet, Xavier Pasco, la prouesse technique n’est rien si elle n’est pas appuyée

1 Communication présentée le 17 novembre 2006 dans le cadre de la table ronde « Espace, sécurité et défense » du colloque « Politique spatiale et souveraineté européenne » organisé par PanEurope France, sous le haut patronage de Monsieur Jacques Chirac, Président de la République, et de Monsieur Philippe Douste-Blazy, Ministre des Affaires Etrangères et Président du Grand Toulouse.

L’auteur souhaiterait remercier Monsieur Théo Pirard, journaliste, rédacteur des éditions successives des clusters info de Wallonie Espace.

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par une volonté politique de conduire des entreprises concrètes1. En effet, la technologie, à elle seule, ne peut fournir des succédanés de solutions politiques. Or, malgré le haut degré d’expertise de ses ingénieurs, l’Europe semble manquer, dans certains segments, la transformation de ses connaissances en véritables leviers de souveraineté. Cette difficulté, si elle devait persister, pourrait porter un grave préjudice à la place qu’occupe l’Europe face à ses concurrents mais aussi affaiblir sa crédibilité dans les coopérations stratégiques qu’elle a engagées avec des acteurs spatiaux confirmés (Etats-Unis, Russie) ou émergents (Chine).

Si elle constitue incontestablement un acteur spatial, si elle s’affirme comme l’une des puissances incontournables et dispose, à ce titre, d’une politique relative à la gestion de ce secteur (cf. Livre blanc), l’Europe ne peut, cependant, prétendre disposer d’une stratégie au sens strict du terme en la matière. Quelles en sont les raisons ? Quelles peuvent être les pistes à suivre en vue de combler ce déficit ? Nous nous proposons de fournir quelques modestes suggestions qui, nous l’espérons, pourront s’avérer autant de pistes de réflexion.

CONDUIRE UNE ANALYSE SANS CONCESSION DES RELATIONS INTERNATIONALES ET STRATÉGIQUES DANS SES ASPECTS RELATIFS AU SECTEUR SPATIAL

« La notion de leadership, souligne Isabelle Sourbès-Verger, est un élément essentiel dans l’élaboration d’une politique spatiale. Domaine de haute technologie, doté d’une forte valeur de prestige, l’espace offre aux Etats qui entreprennent de l’occuper une caisse de résonnance efficace à l’échelon international de leurs ambitions de puissance.2 » Qu’il consiste en la maîtrise de segments technologiques ou de domaines applicatifs globaux, le leadership qui guide l’action d’un Etat dans le secteur spatial nécessite au préalable une évaluation des risques liés à cette prétention de puissance. Il s’agit certes de risques technologiques, mais aussi de risques de déstabilisation dans le jeu d’équilibre des forces entre puissances historiques et prétendantes. C’est à ce niveau d’analyse que se situe la réflexion stratégique et politique. En s’orientant progressivement vers des applications dans les domaines de la sécurité et de la défense, l’Europe se doit d’établir une radiographie des principaux enjeux et menaces susceptibles de remettre en cause son statut de puissance spatiale qui, ne le sous-estimons pas, peut être – et sera ! – l’objet de convoitises. Cet exercice s’avère tout autant impératif qu’impérieux. Tout récemment, la revue Defense News ne rapportait-elle pas que la Chine était parvenue à illuminer un satellite américain à l’aide d’un générateur laser terrestre ? Cette annonce, confirmée plus tard par Donald Kerr, Directeur de l’US National Reconnaissance Office, a alimenté, une fois de plus, des polémiques relatives au degré de protection qu’il convenait de conférer aux plates-formes et réseaux spatiaux avec, en guise toile de fond, la résurgence du débat sur l’arsenalisation de l’espace. Combien de temps l’Europe pourra-t-elle encore éluder une véritable réflexion stratégique de fond entourant ses activités spatiales ?

Cette réflexion stratégique ne saurait, en outre, être limitée à des considérations d’équilibres militaires régionaux ou planétaires mais se devra d’envisager, au-delà, les conséquences

1 Intervention de Pasco, X., Vers une nouvelle Europe spatiale, colloque organisé en date du 17 juin 2005 par la Fondation Robert Schuman, Paris, cf. http://www.robert-schuman.org/actualite/actes_colloque_spatiale2005.pdf.

2 Sourbès-Verger, I., « L’activité spatiale dans le monde », dans Anne-Marie Malavialle, Xavier Pasco et Isabelle Sourbès-Verger, Espace et puissance, Paris, Ellipses & Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), coll. « Perspectives stratégiques », 1999, p. 13.

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fortuites de la globalisation du secteur industriel spatial et aéronautique depuis la fin de la guerre froide. Parce qu’elle s’insère, pour un certain nombre d’applications, dans un marché de l’armement aujourd’hui particulièrement transnational, l’industrie spatiale, en étroite concertation avec les pouvoirs publics nationaux et européens, doit sereinement aborder les risques d’apparition de nouveaux foyers de prolifération technologique duale pouvant impacter sur les équilibres militaires globaux1 et au développement desquels elle aurait indirectement contribué. En d’autres termes, une stratégie spatiale européenne ne pourra faire l’économie d’un débat sur les coopérations établies avec d’autres puissances spatiales, à l’instar de la Russie ou de la Chine.

A cet égard, deux thématiques dont les enjeux semblent, à notre sens, peu ou mal appréhendés se doivent d’être évoquées. La première est celle de la coopération internationale sur les lanceurs et pose la question de l’indépendance de l’accès à l’espace ; la seconde concerne les prises de participation hors Europe dans Galileo et les scénarios d’emploi potentiellement envisageables de la constellation européenne de radionavigation par satellites. Cette dernière illustration pose la question de la maîtrise des conditions d’emploi des technologies.

L’indépendance de l’accès à l’espace

Le Livre blanc de la Commission européenne (Espace : une nouvelle frontière européenne pour une Union en expansion – Plan d’action pour la mise en œuvre d’une politique spatiale européenne) affirme, fort opportunément, que le « préalable stratégique à la mise en œuvre de toute politique spatiale dans l’Union est l’existence et le maintien d’un accès indépendant à l’espace. » Il est, toutefois, aujourd’hui un lieu commun de rappeler que contrairement aux Etats-Unis, les lanceurs européens ne peuvent s’appuyer sur un niveau confortable de commandes gouvernementales de telle sorte que ces dernières puissent atténuer les effets d’une baisse conjoncturelle des commandes commerciales. Dernièrement, la récession du marché commercial (principalement dans le segment des télécommunications) a fragilisé la filière Ariane. Aussi, et parallèlement au programme EGAS2, le recours de l’Europe aux fusées russes Soyouz, que l’on sait approximativement 20% moins chères que le prix fixé par le marché, et qui se sont révélées indispensables pour le lancement de certains de nos satellites (à l’instar de Giove-A, le démonstrateur technologique du système de navigation et de datation par satellites Galileo3), se devra d’être évalué à l’aune des risques de dépendance

1 Cf. Bitzinger, R., « The Globalization of the Arms Industry. The Next Proliferation Challenge », International Security, Vol. 19, No. 2, Fall 1994, pp. 170 – 198.

2 Le programme EGAS (European Guaranteed Access to Space) repose sur une enveloppe budgétaire qui doit permettre d’assurer à l’Europe l’accès à l’espace en attendant l’arrivée d’une nouvelle génération de lanceurs. EGAS. Cette enveloppe budgétaire vise à palier le différentiel existant entre, d’une part, le prix du marché (porté à la baisse du fait de l’arrivée de nouveaux entrants dans le marché des lanceurs) et, d’autre part, le niveau de prix plus élevé du lanceur Ariane.

3 Satellite démonstrateur technologique qui devait impérativement être placé en orbite avant juin 2006 en vue d’occuper les fréquences attribuées par l’UIT. Contrairement à ce qui avait été prévu, le second démonstrateur technologique de la constellation Galileo, dénommé Giove-B, ne pourra être lancé dans le cours final de l’année 2006, son lancement étant désormais reporté à 2007. Nombre de commentateurs soulignent en outre l’inéluctabilité des dépassements de coûts, l’enveloppe initiale de 3,4 milliards d’euros devant être largement augmentée.

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que comportera à terme une telle solution1. La récente décision de privilégier nos propres lanceurs (c’est-à-dire européens) pour le déploiement de nos satellites les plus sensibles est la formulation heureuse d’une réponse à la question délicate de l’autonomie de nos systèmes spatiaux. Elle devra, cependant, être évaluée à l’aune des capacités budgétaires de l’ESA et, plus généralement, de l’ensemble des acteurs politiques du spatial européen. On ne peut, cependant, que se féliciter de l’évolution de cette question.

La maîtrise des applications tirées de nos outils technologiques

Il est à rappeler que, en dépit des discours ventant les mérites de Galileo en ce que le susdit projet attesterait de la volonté effective d’une autonomie technologique européenne, une part importante des composants des éléments du système seront développés aux Etats-Unis à l’aide de technologies américaines. Aussi, est-il compréhensible que l’incorporation de la Chine dans le programme Galileo – au travers de l’Entreprise commune Galileo – a pu, un temps, susciter le frémissement de quelques experts militaires (notamment américains) à l’endroit des perspectives de transferts de technologies (volontaires ou non) qu’aurait pu supposer cette relation2. Cette coopération avait, on s’en rappelle, généré des critiques acerbes de la part de Washington qui, outre les problèmes de superposition des signaux sécurisés de Galileo avec ceux du GPS, dénonçait la légèreté avec laquelle une telle collaboration sino-européenne avait été envisagée. On sait, aujourd’hui, que l’Europe a décidé de ne pas permettre à la Chine de disposer d’une représentation au sein de l’Autorité européenne de Supervision GNSS3 dont la création mettrait un terme, selon toute vraisemblance, à l’Entreprise commune Galileo4. De même, l’Europe n’a-t-elle pas souhaité permettre à Pékin d’accéder au signal PRS de son système de navigation, et ce pour des conditions évidentes de sécurité et de confidentialité. La réaction immédiate de la Chine a consisté en une déclaration faisant état de sa décision de développer sa propre constellation de navigation par satellites, baptisée COMPASS, dédiée, pour sa part, à des fins prioritairement – voire, exclusivement – militaires. Les 21 satellites qui devraient constituer le système chinois intégreraient des horloges atomiques au rubidium (fabriquées en Suisse !) susceptibles de fonctionner dans des bandes de fréquence proches de ou identiques à celles de Galileo et générer, de la sorte, des risques d’interférence.

Il importe, néanmoins, de faire preuve d’une grande prudence dans la lecture que nous pouvons avoir de la politique de défense de la Chine ; et de nous interroger : l’annonce relative à COMPASS relève-t-elle de l’esbroufe ou d’une détermination réelle ? Si l’on suppose que l’engagement de la Chine dans son propre système de radionavigation repose

1 Certains observateurs envisageaient l’hypothèse d’une restriction d’emploi des fusées russes à l’instar des restrictions décidées unilatéralement par la Russie dans le cadre de la crise gazière qui avait touché l’Ukraine et l’Europe.

2 Nardon, L., et Messerelin, P., Les Etats-Unis face au défi spatial chinois, Paris, Institut Français des Relations Internationales (Centre Français sur les Etats-Unis), juin 2004, cf. http://www.ifri.org/files/CFE/US_defi_spatial_chinois.pdf.

3 Appelée également Global Navigation Satellite System Supervisory Authority/Agency (GSA).

4 L’Autorité européenne de Surveillance GNSS est appelée à signer le contrat de concession du système de navigation Galileo. La création de cette nouvelle entité au niveau du paysage institutionnel spatial européen conduit à la disparition progressive de l’Entreprise commune Galileo.

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sur un choix réel d’investir dans une alternative à Galileo, il est manifestement impensable que la décision chinoise n’ait pas, au préalable, exigé un long et minutieux travail d’exploration et de planification, dont les prémisses remontent assurément au temps même où Pékin collaborait ouvertement avec l’Union européenne sur le projet Galileo. La décision chinoise emboîte aussi le pas à la décision du gouvernement fédéral indien visant à investir dans son propre programme de radionavigation par satellites IRNSS (appelé à devenir opérationnel dès la prochaine décennie). L’équilibre géopolitique asiatique conduit tout logiquement la Chine à ne pas se laisser distancer par son voisin indien qui, au passage, continue officiellement de coopérer avec l’Europe dans le programme Galileo1. L’Europe, à son tour, ne peut se permettre d’ignorer les soubresauts géopolitiques régionaux dans le calcul de son intérêt bien compris.

UNE APPROCHE VOLONTAIREMENT ÉVOLUTIVE ET PRUDENTE… MAIS QUI MONTRE SES LIMITES

Face aux dissensions qu’ont suscitées les aspects militaires liés à l’exploitation de l’espace, l’Europe a délibérément choisi d’introduire la dimension défense par l’entremise des problématiques liées à la « sûreté civile » et à la « sécurité du citoyen ». Plus globales dans leurs abords, ces approches ont, il est vrai, présenté le mérite d’éveiller moins d’aversions dans le chef des acteurs nationaux, sourcilleux quant au maintien de leur souveraineté en matière de défense, tout en permettant des avancées pragmatiques sur le chemin de réalisations technologiques permettant de répondre à des demandes gouvernementales.

Un exemple révélateur de cet « équilibrisme du verbe » peut être trouvé au travers du programme GMES, qui associe la Commission européenne et l’Agence spatiale européenne (European Space Agency – ESA). Les promoteurs du Global Monitoring for Environment and Security, qui témoigne pourtant d’une prise de conscience européenne quant à la nécessité d’harmoniser les capacités existantes et futures d’observation de la Terre détenues par les Etats, ont dû baser l’argumentation de la nécessité d’un tel programme en mettant l’accent sur l’apport du GMES pour la sécurité civile, la prévention et l’explication des catastrophes naturelles et, plus généralement, l’observation de l’environnement (dans la foulée de la signature du protocole de Kyoto). Or, on sait l’importance stratégique que revêtent les technologies d’observation de la Terre dans le domaine militaire2.

Si la prise en compte de la dimension « défense » apparaît aujourd’hui confirmée – la contribution de GMES aux missions dites de Petersberg ayant été explicitement affirmée dans un rapport issu d’un groupe de travail conjoint établi entre la Commission européenne et l’ESA –, la mesure réelle des implications que suscite la conduite d’un programme à finalité duale reste encore au cœur de multiples controverses. En dépit de la formulation initiée par les 6 pays de la Lettre d’Intention d’un Besoin Opérationnel Commun (BOC) (désormais reprise dans un cadre européen plus large), des difficultés surgissent du fait des

1 L’Inde a, en effet, très tôt marqué son intérêt dans une prise de participation claire au sein de l’Entreprise commune Galileo. Un accord, daté du 7 septembre 2005, fixait les modalités de cette coopération à venir.

2 Une cartographie détaillée de certaines zones du globe revêtant un intérêt stratégique certain permet, par exemple, de réaliser des bases de données pour la navigation et le guidage de missiles (analyse comparative de terrain pour les missiles de croisière).

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limites que pose sur l’exploitation civile et commerciale des systèmes d’observation de la Terre, la spécificité des besoins exprimés par les instances militaires. Les préoccupations des militaires concernent pour l’essentiel trois demandes. Tout d’abord, l’interdiction d’accès à une puissance hostile aux informations issues des technologies GMES ; ensuite le maintien de la confidentialité dans les demandes de programmation du système (les demandes de prise de vue émises par un Etat devant être maintenues secrètes) ; enfin, la confidentialité au sujet des performances mêmes du système. On comprendra aisément que ces exigences seront amenées à difficilement cohabiter avec les demandes visant à faire de GMES un outil spatial destiné à une utilisation et à une diffusion aussi large que possible.

Certes, comme l’indiquait le rapport du groupe de personnalités dans le domaine de la recherche en matière de sécurité1, les technologies spatiales constituent une illustration parfaite du continuum existant entre les domaines de la défense, de la sécurité et des applications civiles. Il en résulte que toute décision venant à décréter l’emploi des technologies spatiales à des fins de sécurité et de défense vient à dépendre davantage de considérations politiques que d’arguments techniques. Il n’en demeure pas moins que les institutions de défense et de sécurité civile se devront toujours de faire valoir la spécificité de leurs demandes.

UN MEILLEUR FINANCEMENT DES ACTIVITÉS SPATIALES EUROPÉENNES

Il est, dans le domaine des capacités militaires, un lieu commun de souligner le différentiel de financement existant entre les Etats-Unis et les Etats européens. « Boostés » par une Révolution dans les Affaires Militaires (Revolution in Military Affairs – RMA, récemment rebaptisée Transformation) qui constitue tout autant un instrument conceptuel censé doper l’industrie américaine de défense qu’un outil de rayonnement doctrinal en direction des pays amis et alliés, les Etats-Unis se démarquent par une forte mobilisation autour des activités de recherches & technologies. Mais il vrai aussi que l’existence de différences – voire de divergences – entre les Américains et les Européens explique ce fossé. Toutefois, à l’heure où la récession budgétaire qui la frappe ne permet pas à l’Europe de nourrir l’ambition de grands projets technologiques spatiaux sans une coopération avec les Etats-Unis, une mise en perspective des investissements consentis au spatial s’avère de rigueur.

Au-delà des chiffres, c’est la comparaison des efforts qui se doit d’être mise en emphase. Pour ce qu’il s’agit du secteur militaire en général, la différence existant entre les Etats-Unis et l’Europe en matière d’investissement est de 30:12. En ce qui concerne le spatial dans son ensemble, cet écart est ramené à 7:1. En d’autres termes, « quand l’Europe investit 15 euros par habitant et par an, les Etats-Unis en injectent 110 »3. Mais c’est la comparaison des parts d’investissement des pouvoirs publics, aux Etats-Unis et en Europe, dans l’espace militaire qui atteste d’un écart préoccupant entre les deux rives de l’Atlantique avec un rapport de 20:1 (cf. Tableau 1). L’écart transatlantique dans le domaine spatial se doit d’être résorbé, non

1 Report of the Group of Personalities in the Field of Security Research, Research for a Secure Europe, Luxembourg, Office for Official Publications of the European Communities, 2004, p. 12.

2 John CHAPMAN, Tracking European Space Policies. Have We Got the Civil – Military Balance Right?, New Defence Agenda, 17 October 2005. Cf. http://www.forum-europe.com.

3 Jean-François AUGEREAU et Jérôme FÉNOGLIO, « L’Europe spatiale en panne », Le Monde, édition du 6 décembre 2005.

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au motif que l’Europe se doit d’inscrire sa stratégie dans une compétition avec les Etats-Unis, mais en vue de maximiser les chances pour nos scientifiques et industriels de coopérer sur une base équitable et équilibrée avec les instances scientifiques et industrielles américaines. L’objectif réside donc dans la constitution d’une masse critique de savoirs et de connaissances exploitables pouvant être mise en liaison avec les recherches conduites par les équipes outre-Atlantique. Dans le cas où les perspectives d’une telle coopération transatlantique se révèleraient infructueuse car déséquilibrée1, l’Europe devra néanmoins conserver un niveau de financement tel qu’il permette de garantir une certaine souveraineté européenne. Autrement dit, il s’agira tout à la fois de sauvegarder les acquis technologiques européens et de préparer nos équipes à relever les défis scientifiques et techniques de demain.

En effet, la politique industrielle des Etats-Unis dans le domaine spatial, telle qu’exposée au travers de la récente U.S. National Space Policy, est particulièrement claire sur les conditions qui, selon Washington, devront être réunies en vue d’engager des coopérations multilatérales dans le domaine spatial. Les Etats-Unis n’accepteront de coopérer avec des nations ou des consortiums étrangers qu’aux seules conditions que ces collaborations s’avèrent avantageuses pour la réalisation des objectifs des Etats-Unis et n’affectent en rien les intérêts de sécurité nationale du pays. Ceci implique, en seconde lecture, que toute coopération technologique sera scrupuleusement examinée à l’aune des risques qu’elle pourrait générer pour la sécurité des Etats-Unis mais aussi pour la sauvegarde des intérêts industriels américains.

Tableau 1: Dépenses en matière de défense et d'activités spatiales aux Etats-Unis et en Europe (en milliards d'euros)

Etats-Unis Europe Rapport

Budgets de défense estimés

354 146 <3

Espace militaire 15,1 0,75 >20

Part de l’espace militaire dans le budget de défense

4% 0,5% /

John Chapman (Rapporteur), Tracking European Space Policies. Have We Got the Civil – Military Balance Right?, New Defence Agenda, 17 October 2005. Cf. http://www.forum-europe.com.

1 C’est là la perspective que laisse transparaître le contenu de la nouvelle Directive politique américaine sur le spatial.

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Tableau 2 : Dépenses gouvernementales spatiales aux Etats-Unis exprimées en millions de dollars (1994)

Année NASA Department of Defense (DoD)

1994 17.498 15.812

1995 16.288 12.514

1996 15.987 13.258

1997 15.488 13.249

1998 15.154 13.723

1999 14.978 14.484

2000 14.728 14.013

2001 15.104 15.206

2002 15.417 16.321

2003 15.641 19.738

2004 15.351 20.019

Source : NASA, Aeronautics and Space Report to the President. Fiscal Year 2004 Activities, cf. http://history.nasa.gov/presrep2004.pdf.

Les montants exprimés correspondent à des autorisations de budgets.

ORGANISER LA COMMUNAUTÉ DES UTILISATEURS CIVILS, COMMERCIAUX ET MILITAIRES DE L’ESPACE

Ce serait, à l’évidence, commettre une grave méprise que de considérer que seule une hausse des financements dédiés au spatial puisse, d’une part, résoudre la crise de laquelle peine à sortir l’Europe et, d’autre part, émanciper l’action de cette dernière dans les domaines politique et de sécurité (en ce compris le domaine militaire). Une coordination des besoins exprimés par les utilisateurs civils/commerciaux et par les pouvoirs publics est la condition qui doit permettre d’assurer une meilleure rentabilité des systèmes existants. Les applications issues du spatial concernent deux grandes catégories d’utilisateurs : d’une part, l’utilisateur public, l’Etat, qui joue – et jouera encore demain – un rôle déterminant dans l’organisation des activités et des services spatiaux, d’autre part, le secteur privé qui, du fait de l’absence d’un cadre juridique et réglementaire clair et cohérent, voit ses activités issues

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du spatiales trop limitées par rapport aux niveaux théoriques d’utilisation auxquels il pourrait accéder dans l’hypothèse d’existence d’un corpus réglementaire fiable1.

Un dialogue se doit donc d’être établi entre les communautés d’utilisateurs. Sans doute, conviendrait-il d’envisager plus concrètement la prise en compte des besoins de la communauté militaire dès la conception des systèmes2. La logique (en particulier, celle de GMES) qui consiste à imaginer, dans un premier temps, un projet technologique pour, dans un second temps seulement, développer une communauté d’utilisateurs inexistante ou qui s’ignore ne pourra raisonnablement être réitérée à l’avenir. A l’heure où la succession des dispositifs existants – ou prochainement opérationnels – (Pléiades, SAR-Lupe, Cosmo-Skymed, Galileo, GMES, Skynet 5, Syracuse III) est débattue, il convient de réfléchir à une meilleure intégration des spécifications formulées par les militaires dans le développement de la nouvelle génération d’infrastructures spatiales à finalité duale.

Figure 1 : Graphique comparatif des budgets institutionnels consacrés au spatial civil et militaire en Europe et aux Etats-Unis (montants exprimés en milliards de dollars américains)

1 Oborne, M., L’espace à l’horizon 2030 : relever les défis de la société de demain, discours prononcé à l’occasion de la première présentation de la publication nouvellement parue de l’OCDE et du rapport du Projet sur l’avenir, Château de Betzdorf, Luxembourg, 6 juillet 2005, cf. http://www.oecd.org/dataoecd/35/27/35127001.pdf.

2 L’espace au service de la défense. Une vision européenne, rapport présenté par le groupe sectoriel des Commissions Espace et Défense de l’ANAE et par l’atelier « Espace Défense » de la Commission Internationale de la Défense, p. 8.

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UNE HARMONISATION DES PROCÉDURES ET INSTITUTIONS RELATIVES À LA PROBLÉMATIQUE SPATIALE

Il est un truisme d’affirmer que le secteur des activités spatiales constitue actuellement un domaine « éclaté » au niveau européen. Cette situation se greffe à une hétérogénéité extraordinaire des initiatives nationales prises en matière spatiale. Il est, en effet, regrettable de constater les gaspillages de temps, d’énergie et, surtout, de budgets que peut générer la coexistence de programmes aux finalités similaires en Europe. Ceci est particulièrement vrai en ce qui relève des applications militaires, notamment dans le domaine des télécommunications. Et ce n’est là, hélas, qu’un aperçu des réflexes nationaux qui persistent dans un domaine où l’interopérabilité devrait, aujourd’hui, constituer la pierre angulaire des opérations modernes de gestion de crise. Le Parlement européen, dans sa résolution sur la Stratégie européenne de sécurité du 14 avril 2005, a souligné le manque d’efficience résultant de la coexistence de plusieurs programmes de télécommunication et de renseignement à l’échelle européenne, invitant même les systèmes français Helios et allemand SAR-Lupe de s’intégrer, à terme, dans la recherche européenne en matière de sécurité.

Pays

Communications

/nombre de satellites

maître d’oeuvre

(opérationnel depuis)

[date prévue]

Observations de la Terre

/nombre de satellites

maître d’oeuvre

(opérationnel depuis)

[date prévue]

"Intellligence" (*)

/nombre de satellites

maître d’oeuvre

(opérationnel depuis)

[date prévue]

Allemagne

BW-Satcom /2 EADS Services/Astrium [2008-2009]

proposé pour le contrat NATO Satcom-2000 system

**SAR-Lupe /5 OHB-System [2006-2007]

Coopération avec France pour une mise en oeuvre dans E-SGA des systèmes Helios-2, SAR-Lupe et Pleïades [2008-2010].

Belgique

-Segment terrestre Bemilsatcom L3 Communications & VitroCiset EPB (avec les satellites Intelsat et Eutelsat depuis 1999)

-Projet Athena-FIDUS avec la France and l’Italie ?

Partenaire du système Helios-2 (depuis 2004, avec centre de réception et de traitement à Evere, près de Bruxelles/EADS Astrium + Spacebel)

Espagne

Charge utile bande-X des Hispasat-1A/1B /2 EADS Astrium (depuis 1992)

"Made in USA" SpainSat/Hisdesat /1 Space Systems Loral (depuis 2005) et XTAR-EUR /1 Space Systems Loral ( 2006)

Partenaire de la France pour Helios 1 (depuis 1995), Helios 2 [en 2004], Pleïades [en 2009]

France

-Charge utile bande X Syracuse-1/-2 sur les Telecom-1 /3 et -2 /4 EADS Astrium (dès 1984)

*Helios-1A & 1B EADS Astrium (dès 1995)

*Helios-2A & 2B EADS Astrium

-Essaim-COMINT /constellation de 4 microsatellites EADS Astrium (depuis décembre 2004)

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-Syracuse-3A & -3B /2

Alcatel Alenia Space (2005) [2008] partenaire du contrat NATO Satcom-2000 system

-Syracuse-3C à l’étude ou projet Athena-FIDUS? /Alcatel Alenia Space avec l’Italie et la Belgique ? [2009-2010]

(depuis 2004), inter-opérable avec SAR-Lupe en Allemagne dans le cadre d’E-SGA

*Pleïades HR-1 and -2 EADS Astrium + Alcatel Space [en 2009] pour le système ORFEO (Optical and Radar Federated Earth Observation) avec Cosmo-SkyMed en Italie [2008-2010].

-SPIRALE (Système Préparatoire Infra-Rouge pour l'Alerte/Preparatory system for IR Early Warning) avec 2 microsatellites de 120 kg développés par EADS Astrium [pour un lancement en 2008]

-ELISA (Electronic Intelligence Satellite) avec 4 microsatellites de 130 kg développés par EADS Astrium & Thales [pour un lancement en 2010]

Italie

-SICRAL-1A /1 Alcatel Alenia Space (depuis 2001)

Hardened SICRAL-1B ou -2 /1 Alcatel Alenia Space [2008 ?] partenaire du contrat NATO Satcom-2000 system

-Projet Athena-FIDUS ? Alcatel Alenia Space?

Partenaire de la France pour les systèmes Helios-1 (depuis 1995) et Helios-2 (depuis 2004)

**Cosmo-SkyMed /4 Alcatel Alenia Space [en 2007-2009]

Coopération avec France pour le système ORFEO constitué de Cosmo-SkyMed et Pleïades [en 2008-2010]

Norvège Utilisation via Telenor Satellite des systèmes Intelsat, Inmarsat et Thor.

NSat-1? /1 FFI & Terma ? microsatellite ou charge utile additionnelle pour surveiller le trafic maritime par la détection des signaux radar AIS (Automatic Identification System)

OTAN

-NATO-4A & -4B EADS Astrium (depuis 1991)

-NATO Satcom-2000 system:

Utilisation possible de l’imagerie des satellites espions qui sont mis en oeuvre par le Département

Utilisation possible de des satellites d’écoute et d’alerte avancée qui sont mis en oeuvre par le Département américain de

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- Services SHF & UHF avec un consortium anglo-franco-italien (Skynet + Syracuse 3 + SICRAL)

- Services EHF avec des milsatcom américains

américain de la Défense.

la Défense.

Royaume-Uni

"Made in USA" Skynet-1A & -1B/-2A- & -2B Ford Aerospace (depuis 1969)

Skynet-4 /6 EADS Astrium (depuis 1990)

Skynet-5 /3 EADS Astrium développé et mis en oeuvre par Paradigm Services/Secure Communications, EADS Space (en 2005, avec le système Skynet-4) [en 2007-2008], partenariat pour le contrat NATO Satcom-2000 system

*TOPsat /1 microsatellite à usage dual développé par QinetiQ avec SSTL et mis en oeuvre par Infoterra Ltd (depuis 2005)

**Projet de minisatellite AstroSAR/1 proposé par EADS Astrium avec SSTL et QinetiQ [2010 ?]

Utilisation possible de des satellites d’écoute et d’alerte avancée qui sont mis en oeuvre par le Département américain de la Défense.

Suède

*Projet Svea de mini-satellite d’observation haute résolution à usage militaire Swedish Space Corporation avec des partenaires en Europe ? [2010 ?]

Turquie

Charge utile Bande X sur Türksat-2A/1 Alcatel Alenia Space (depuis 2002).

*Projet Gokturk de mini-satellite de télédétection à usage dual/1 Tübitak-Bilten [en 2010 ?]

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Depuis la déclaration du sommet franco-britannique informel de Saint-Malo de 1998 et, à sa suite, le Conseil européen d’Helsinki de 1999, le principe d’une entité européenne de défense ayant à sa disposition des capacités militaires « crédibles » est résolument acquis. Le processus diplomatique qui a suivi cet événement fondateur de la politique européenne de sécurité et de défense a donné lieu au lancement du Plan d’action européen sur les capacités (European Capabilities Action Plan) dans le cadre duquel un groupe de projet « Espace », sous présidence française, a déposé auprès du Comité militaire de l’UE, un document intitulé Space systems needs to support ESDP1.

La politique spatiale européenne est actuellement administrée par trois commissaires :

1. le commissaire allemand Günter Verheugen (Entreprises & Industries) est responsable de la politique spatiale européenne. Pour les aspects sécurité & défense, il est appuyé par une Unité Espace & Sécurité ;

2. le commissaire français Jacques Barrot en charge du Transport (système Galileo de navigation et datation par satellites) ;

3. le commissaire slovène Janez Potochnik, en charge de la Science et de la Recherche (7ème programme cadre de recherche et développement technologique).

Parallèlement à ces politiques, et tout en constituant un ensemble d’initiatives lancé par la Commission européenne (mais situé en dehors du cadre formel des Programmes cadres), le Programme européen de recherche en matière de sécurité (PERS) représente une avancée majeure dans l’étude de l’apport des sciences et des nouvelles technologies pour la sécurité intérieure et internationale, mais hypothèque un peu plus la lisibilité de la politique spatiale européenne2. La préparation du PERS a consisté dans le lancement d’une Action préparatoire pour la recherche en matière de sécurité (PARS3). Celle-ci résulte d’une initiative de la Commission mais demeure en dehors du programme-cadre de recherche communautaire. La PARS, qui a débuté il y a trois ans, verra son terme à la fin de l’année 2006. la PARS comporte,

1 Groupe de travail « Espace » des associations EuroDéfense, « Une politique spatiale pour la défense européenne », Défense Nationale et Sécurité Collective, édition spéciale « Salon du Bourget », 61ème année, juin 2005, p. 49. Voyez aussi Jean-Guy Branger, Maîtrise des armements et non-prolifération : les moyens satellitaires de vérification, rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, 51ème session, document C/1902, 12 mai 2005, p. 14.

2 Plus précisément, les objectifs du PERS sont : (1) le développement d’une culture européenne de la sécurité appuyée sur une industrie crédible, (2) le développement de synergies entre recherches civile et militaire et secteur public et privé, (3) la cohérence et la coordination des efforts en vue de réduire les risques de fragmentation et de duplications ; (4) l’interopérabilité et la mise en réseau des systèmes, (5) un meilleur investissement dans la technologie au service de la sécurité (contribution à l’objectif des 3% du PIB européen pour la recherche). Jean-Pierre Masseret, Rapport d’information fait au nom des délégués élus par le Sénat sur les travaux de la délégation française à l’Assemblée de l’Union de l’Europe Occidentale au cours de la seconde partie de la 50ème session ordinaire (2004) de cette assemblée, Sénat, session ordinaire de 2004 – 2005, numéro 132, p. 16, cf. http://www.senat.fr/rap/r04-132/r04-1321.pdf.

3 PARS : Preparatory Action for Research in Security.

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plus précisément, deux volets. Le premier regroupe des « projets » dans lesquels les composants applicatifs spatiaux occupent une place considérable, sinon « première » :

1. TERASEC vise l’étude de moyens avancés de détection d’armes, d’explosifs et d’agents biologiques ;

2. CRIMSON (Crisis Simulation System) constitue un programme de simulation des scénarios de situations de crises dans le cadre duquel les données issues des capacités spatiales d’imagerie satellitaire serviront à l’élaboration de réalités virtuelles en trois dimensions pour la simulation d’environnements d’intervention urbaine ;

3. SUPHICE (Secure Unplanned Provisionning of High Integrity Communications Across Europe) repose sur un programme de démonstration technologique visant la définition harmonisée de moyens de chiffrement pour garantir avec un très faible préavis l’accès aux forces publiques et aux organisations militaires à des capacités de communication sécurisée ;

4. ASTRO+ (Advanced Space Technologies to Support Security Operations), qui s’inscrit en soutien de la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD), vise à évaluer et à illustrer l’apport des moyens spatiaux (télécommunication, observation de la Terre, reconnaissance, radionavigation, etc.) pour l’appui aux infrastructures et services œuvrant au bénéfice d’opérations extérieures ou aux fins de défense du territoire ;

5. ISCAPS (Integrated Surveillance of Crowded Areas for Public Security), comme son intitulé l’indique, a pour objectif de développer des technologies de surveillance des foules principalement établies sur une architecture informationnelle en temps réel et largement automatisée ;

6. VITA (Vital Infrastructures Threats and Assurance) s’articule sur le développement, à titre expérimental, d’une plate-forme de jonction des technologies (en ce compris spatiales) devant permettre de garantir au mieux la sécurité des infrastructures critiques et vitales de nos sociétés humaines.

Le second volet de la PARS regroupe des activités de soutien que sont :

1. CREW/GEODATA (étude d’un système d’alerte précoce des crises appuyé par des données d’origine géospatiale) ;

2. ESSRT (programme général de recherche en matière de sécurité) ;

3. TIARA (gestion de crise européenne dans le domaine du nucléaire) ;

4. SENTRE (plan stratégique de la recherche en matière de sécurité).

Si l’on conçoit aisément que cette répartition des compétences puisse effectivement répondre tout à la fois à la spécificité institutionnelle européenne et à la complexité de la matière spatiale, il importe tout autant de mesurer les effets d’une telle « dispersion » des centres

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décisionnels sur la cohérence d’action des institutions européennes en la matière. C’est ici la question de la gouvernance des affaires spatiales qui est au cœur du débat. Elle représente, à dire vrai, la principale épine sur la voie d’une vision cohésive du spatial. Le manque de rationalisation de la gouvernance spatiale privera, à terme, l’Europe d’une approche commune, concertée et cohérente qu’il importera pourtant de faire valoir à l’échelle internationale.

La question de la gouvernance peut être posée à l’endroit de plusieurs relationnels. La coopération entre l’ESA et la Commission de Bruxelles n’a pas effacé les différences de sensibilité sur le rôle du spatial1. En matière de financement, par exemple, la Commission marque une préférence claire pour une stratégie « low cost » en vue de mettre l’espace à portée de l’Union en lui donnant accès à des produits moins chers et des services immédiats dont le financement pourrait s’appuyer sur des partenariats public/privé (PPP). L’ESA, pour sa part, bien qu’elle ne rejette pas systématiquement le principe du PPP, tend à démontrer les limites d’une stratégie « low cost » qu’elle ne considère pas adaptée à toutes les formes de besoin dans le domaine spatial2. De même, sur la délicate question des finalités d’emploi du spatial et, plus précisément, sur les perspectives d’usage dual, l’ESA affiche un ton assurément plus avant-gardiste tout en veillant à ménager les sensibilités de quelques nations3. A l’inverse, sur cet aspect, la Commission européenne se montre plus réservée quant à l’idée d’une certaine forme de « militarisation » des technologies développées pour le spatial. Ces divergences, qui ne peuvent que s’avérer dommageables pour l’établissement d’une ligne directrice claire et cohésive pour le spatial européen, s’expliquent fort mal, au demeurant, au regard du rôle que joue l’espace au profit de l’action politique de la Commission. Le caractère fondamentalement dual de l’ensemble du secteur aérospatial et l’importance des fonds de R&D qui les concernent permettent, en effet, à la Commission d’agir indirectement sur les secteurs de la sécurité et de la défense par le truchement du cadre réglementaire auquel doivent obéir les restructurations industrielles qui concernent ces

1 À l’occasion de la réunion ministérielle de l’ESA de novembre 2001, il fut décidé de consacrer l’Agence spatiale européenne comme institution au service de l’Union. Cette décision a abouti à la création d’un Conseil de l’espace européen, créé entre les deux structures que sont l’UE et l’ESA.

2 Comme l’indique Michel Courtois, Directeur de l’ESTEC à l’ESA, l’objectif de la recherche applicative dans le domaine spatial ne consiste pas à détenir les innovations technologiques du moment, mais bien d’accéder aux ruptures qui apparaîtront dans les cinq à dix prochaines années. Cf. intervention de Michel Courtois à l’occasion de la table ronde « Espace, sécurité et défense » du présent colloque.

3 L’article 2 de la Charte fondatrice de l’ESA énonce que les activités de l’organisation s’attacheront à la réalisation d’applications à des fins pacifiques. Cette disposition, souvent perçue – à tort – comme une restriction pure et simple à toute orientation des activités de l’ESA vers des fins d’emploi dual laisse, cependant, une certaine latitude dans son interprétation.

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domaines1. Il est, dès lors, étonnant de constater que la Commission place des réserves quant aux perspectives d’expansion du spatial européen dans le domaine sécuritaire alors même que le spatial représente pour elle le vecteur d’une plus grande influence institutionnelle.

La recherche d’une meilleure cohérence organisationnelle passe également par l’établissement d’un dialogue minimum entre l’ESA et l’Agence européenne de défense (European Defence Agecy – EDA) sur la finalité du spatial (aspect que nous avons déjà effleuré). L’EDA, fraîchement établie (depuis 2005) dans le paysage institutionnel européen, a pour objectif de soutenir les Etats membres et le Conseil européen dans les efforts que ces derniers conduisent en vue de développer des capacités communes dans le domaine de la gestion des crises et, plus généralement, d’appuyer la définition des moyens devant servir à la politique européenne de sécurité et de défense. Dans cette optique, serait-on tenté de penser, l’espace représente pour l’EDA un domaine dont elle ne saurait se distraire. Or, l’EDA reste, par de trop nombreux aspects, à l’écart des problématiques de défense liées au spatial. L’espace, comme le laisse entendre le Général Pierre Hougardy (responsable de la Direction « Capacités » de l’EDA) représente-t-elle une « dimension » avant de constituer une « capacité » ? Sans nul doute. Mais là n’est pas, au vrai, la question centrale à laquelle les institutions européennes se doivent de répondre. Le véritable enjeu, pensons-nous, concerne l’édification d’une coopération inter-agences qui puisse dépasser les hermétismes artificiels ; des hermétismes qui entretiennent, au demeurant, peu ou pas de similitude avec la réalité opérationnelle à l’heure où les forces armées agissent dans un univers réseaucentré. Il est à regretter que sur ce point l’institution de l’Agence européenne de défense se situe en recul par rapport à la vision du rapport Barnier. Ce dernier envisageait, en effet, une « Agence européenne de l’armement et de la recherche stratégique » qui englobe le domaine du spatial militaire2. Les fondements de l’actuelle EDA se situent, indiscutablement en-deçà des ambitions qui ont été initialement affichées lors d’approches exploratoires.

1 Masson, H., « La politique européenne de l’armement : la méthode des “petits pas” », Annuaire stratégique et militaire, Paris, Odile Jacob et Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), texte également disponible en ligne, cf. http://www.frstrategie.org.

2 Rapport final du groupe de travail VIII sur la défense présidée par Michel Barnier, Bruxelles, 16 décembre 2002. Son titre « E », au point III, précisait : “The Agency’s initial task would be to ensure the fulfilment of operational requirments by promoting a policy of harmonizied procurement by the member states, and to support research into defence technology, including military space systems.”.

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INSCRIRE LE SPATIAL DANS UNE VISION UNIQUE ET L’ALIMENTER D’UNE RÉFLEXION DOCTRINALE ORIGINALE

Quels que soient les critiques qui peuvent être formulées à l’endroit des Etats-Unis (notamment en matière de choix de politique étrangère), il est un atout indéniable de cette nation qui explique les générations d’avance dont elle dispose dans le domaine militaire : celui de la recherche constante d’une vision systémique en matière d’intégration des technologies dans un cadre doctrinal. En d’autres termes, et sans qu’il s’agisse de nier les spécificités de son environnement physique, le spatial est non pas perçu comme un milieu hermétique, détaché des trois dimensions opérationnelles que sont l’air, l’eau et la terre, mais bien comme un continuum appuyant l’ensemble des systèmes de forces dans leur action stratégique, sinon comme le lieu d’une arsenalisation nouvelle1.

Le débat stratégique des années 1990 a été essentiellement marqué, aux Etats-Unis, par la question de savoir si une révolution dans les affaires militaires était réellement en cours du fait de l’introduction et de l’exploitation des nouvelles technologies informationnelles. Les technologies des ordinateurs et des réseaux sont-ils à l’origine d’un changement paradigmatique de la guerre et de sa conduite ? On peut certes contester les arguments avancés par les défenseurs d’une RMA technologisante ; on ne peut, cependant, nier l’apport des moyens spatiaux avancés pour la fourniture de renseignements instantanés, précis et exploitables au bénéfice de l’action des forces armées. Ces moyens spatiaux représentent, par ailleurs, l’une des conditions fondamentales de l’implémentation de la RMA. Il ne fait aucun doute que la rupture informationnelle intervenue dans le domaine de la défense résulte de la militarisation croissante du milieu spatial. Cette militarisation, précisons-le, ne signifie pas pour autant une « arsenalisation » (weaponization) de l’espace2, même si plusieurs éléments indiquent que cette éventualité n’a jamais été écartée par les Etats-Unis.

1 Dupont, A.,« Intelligence for the Twenty-First Century », in Wesley K. Wark (ed.), Twenty-First Century Intelligence, London & New York, coll. “Studies in Intelligence”, 2006, p. 15. Concernant la problématique de la militarisation de l’espace, voyez l’excellent rapport rédigé par Alan Meale, Le déploiement d’armements dans l’espace, rapport présenté au nom de la Commission technique et aérospatiale de l’Assemblée interparlementaire européenne de sécurité et de défense de l’Assemblée de l’Union de l’Europe occidentale, 52ème session, document C/1932. Cf. http://www.assembly-weu.org/fr/documents/sessions_ordinaires/rpt/2006/1932.pdf.

2 Alan Meale, Ibid. Contrairement à la militarisation de l’espace qui repose sur l’existence de satellites employés en vue de soutenir les opérations militaires sans être proprement armés, l’arsenalisation implique le déploiement « d’armes en orbite permanente dans l’intention de lancer des attaques depuis cette orbite contre des cibles basées dans l’espace ou au sol. » Cf. également Michael O’Hanlon, The State of Space : From Strategic Reconnaissance to Tactical Warfighting to Possible Weaponization, Testimony before the Subcommittee on Strategic Forces, Committee on Armed Services, U.S. House of Representatives, 21 June 2006, http://www.brookings.edu/views/testimony/ohanlon/20060621.pdf.

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En dehors des dérives « technologisantes » qui ont pu la caractériser, l’école de la RMA (et, aujourd’hui, le courant de la Transformation) a abouti à des concepts opérationnels, qui sans être proprement révolutionnaires sur le plan de l’histoire de la guerre, attestent néanmoins d’un rayonnement doctrinal certain. Les concepts de Network-Centric Warfare ou d’Effect-Based Operations se révèlent des outils doctrinaux particulièrement puissants en venant aujourd’hui structurer la modernisation des systèmes stratégiques européens (Opérations réseau-centrées françaises, Network-Based Capabilities britanniques, Network-Based Defence suédoise, etc.).

Il va de soi qu’une attitude de mimétisme qui consisterait à intégrer la vision américaine du spatial dans la réalité institutionnelle et opérationnelle de l’Europe s’avérerait, à terme, contre-productrice. La culture stratégique américaine, largement inspirée par une conception logisticienne héritée des écrits de Jomini, se présente comme un creuset idéal pour l’implémentation d’une stratégie spatiale où, on le sait, la dimension technologique est omniprésente. La culture stratégique européenne, considérablement empreinte d’une pensée clausewitzienne mettant l’accent sur l’importance des « forces morales » dans la conduite des opérations militaires, apparaît sans doute moins appropriée à l’adoption de solutions à haute capacité technologique.

Consciente de sa particularité culturelle, l’Europe pourra-t-elle un jour s’accorder sur une vision du spatial dans les affaires militaires ? Cette question suscite débat. En effet, les défenseurs d’un certain optimisme abondent d’arguments soulignant que le spatial se situe au cœur des préoccupations des acteurs politiques, institutionnels et militaires européens, précisant que l’importance du spatial est régulièrement rappelée dans les différents forums traitant des aspects capacitaires de la PESD. Ces multiples invocations du spatial ne sauraient cependant tenir lieu de doctrine dans la mesure où elles ne portent pas, par définition, une orientation claire, concise, efficace et opératoire d’une stratégie spatiale européenne. Cette situation contraste singulièrement avec l’état de maturité doctrinale dont bénéficie, aujourd’hui, le spatial. En dépit des tensions interservices et interarmes qui peuvent subsister, il apparaît néanmoins que les Etats-Unis tendent à une rationalisation en profondeur de la gouvernance du spatial, en confiant, par exemple, ce domaine à une gestion quasi-exclusive assurée par l’U.S. Air Force. En outre, la récente réédition de la politique spatiale américaine illustre la capacités des Etats-Unis à élaborer de façon précise et succincte un ensemble de directives appelées à promouvoir la préséance, voire la supériorité incontestée et incontestable dans l’espace au niveau global.

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CONCLUSION

Si l’apport des moyens satellitaires au profit des opérations de gestion de crise et de combat ne fait, actuellement, pas l’ombre d’un doute, sa traduction en instrument politique et doctrinal efficace fait, cependant, gravement défaut en Europe. Plusieurs raisons, comme nous l’avons observé, expliquent cette faillite partielle. On citera, tout d’abord, la spécificité des cultures stratégiques européennes qui, outre d’être caractérisées par une étonnante diversité, reposent essentiellement sur une vision terrienne de la sécurité. Nous, Européens, persistons à penser qu’il n’est pas de raisons de déployer un satellite comme il nous faudrait déployer un char ou un groupe aéronaval. En d’autres termes, et pour reprendre les propos du Général Bernard Mollard, les moyens spatiaux sont seulement considérés comme ressortant du « Nice to Have ». C’est là commettre incontestablement une méprise qui pourrait se révéler coupable dans le long terme.

L’hétérogénéité extraordinaire des institutions européennes en charge du spatial (de manière principale ou accessoire) permettent, ensuite, de comprendre l’absence d’unité de vue dans la définition et l’allocation des moyens spatiaux. Toutefois, cet hermétisme politique n’entretient que peu de rapport avec la réalité opérationnelle. La faiblesse relative des investissements consentis au spatial en Europe risque, à terme, d’empêcher nos chercheurs et industriels de disposer de la masse d’expertise nécessaire en vue de prendre part, au titre de partenaire, dans des programmes technologiques spatiaux d’envergures (civils ou militaires). Il s’agirait, dans ce cas, de figure d’un décrochage pur et simple de l’Europe par rapport aux avancées techniques des Etats-Unis dans un domaine que chacun juge stratégique, avec en guise de toile de fond, la montée en puissance de nouveaux acteurs spatiaux (Chine, Inde, Brésil, etc.).

Au-delà des aspects que nous avons explorés et qui viennent d’être rappelés, c’est la conception même des liens entre l’espace, la sécurité et la défense en Europe qui devront être réévalués à l’aune des objectifs opérationnels vers lesquels veulent tendre les institutions de l’UE. Il fut une erreur de croire, pensons-nous, que la PESD (et notamment son Agence européenne de défense) ait pu disposer, après le « non » prononcé par la France et les Pays-Bas au projet de Constitution européenne, d’une fenêtre d’opportunité pour des réalisations futures tandis que la politique spatiale européenne, appelée, selon le texte de la Constitution à devenir une compétence communautaire, restait prisonnière de l’échec de sensibilisation des opinions. Une PESD crédible ne pourra se réaliser et acquérir, de ce fait, sa pleine autonomie sans une politique spatiale européenne forte se donnant les moyens de ses ambitions qui, convenons-en, restent encore à définir pour une grande part.

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Nouvelles publications du RMES

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Negotiating the Future: The Basket of Choices, NATO and NATO-Russia Relations.

MARIOS P. EFTHYMIOPOULOS

PhD candidate of the University of Crete, Former Special Envoy of the Greek Foreign Ministry at the NATO Defense College, Rome Italy, Scholar of the Alexander S. Onassis Foundation.

In the immediate aftermath of the NATO Summit in Riga, where NATO allies have enhanced in a multiplicity of ways the inspirations and moral ideals of the North Atlantic Organisation1, the relations between NATO and Russia continue to evolve.

During the course of this text, we will portray in a descriptive but also in analytical way the political basket for diplomatic negotiations which should continue to follow both within NATO but also on the level of NATO-Russia relations.

In the article, several proposals and recommendations that are presented in the text do not represent or reflect official policies of any country, government or ministries, relevant with the policies of the North Atlantic Organisation. The points that will be put forward are solely based on personal judgements made as a result of a conducted research and the personal experience of the author as a representative at NATO.

As decisions are taken in an official collective meeting of 26 member states, this paper proposes only several issues that have to be taken in consideration.

ESTABLISHING THE POLITICAL BASKET OF NEGOTIATIONS.

In NATO’s current political basket for diplomatic and therefore political negotiations there are three key subjects for discussion:

1) The first point relates to the policy of partnerships: Do we enhance the current ones, do we improve them or do we create new ones? These are the core questions on the subject. In regards to the Partnership for Peace (PfP) framework Policy, NATO will not take any further steps onto this matter. NATO will probably neither improve nor create new PfP partnerships except those that already exist. It will however enhance the PfP program by approving politically, both the methods and the means to succeed the conditional and unofficial steps of the PfP members joining NATO.

1 The Official Riga Summit meeting of NATO http://www.rigasummit.lv/en/

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Yet an important question in relation to partnerships still remains: Is NATO in need of new partners? And if so, what does this make NATO look like? Will NATO become a global partner in the political-security arena? If NATO does in fact become a global partner and player what will be the criteria to create new and global partners? How should these partnerships evolve?

The reality of the matter is that NATO does require new partners. As first and foremost new partners enhance the capability and the dignity of the alliance as an organization. Secondly new partners bring in new ideas and money that is so much required, once one agrees that NATO is in fact lacking of the necessary funds to go global. NATO also requires the appropriate partnership qualities in developing new technologies to help NATO troops for their future operations. The meaning of new partners does not necessarily imply new members. It does however imply less political, financial and military burden than the existing operations in Kosovo, FYROM, Iraq and Afghanistan and more multilateral co-operation under NATO’s flag.

Once new partnerships are accepted, some proposals could be offered, in regards to the progress of a new political-military dialogue between NATO states and the new possible partners. We propose in this regard an Ad hoc strategic military and political dialogue on the issue of interoperability which is considered to be the cornerstone policy of the new and transformed NATO. It will provide the organization new and robust forms and ways of common and joint operations and exercises, as common training and education for senior military officials.

2) The second point for discussion is the policy of enlargement. Diplomatic protocol requires that NATO keeps its “open minded policy” and therefore its “open door policy”. NATO’s open door policy will remain on NATO’s political agenda, as long as there are states that are keen to join NATO. Is NATO however keen to enlarge and to accept new member states? NATO’s Membership action plan (MAP) and the Partnership for Peace (PfP) will go on according to the current strategic plan, up to the moment that both the MAP and PfP states conclude the cycle and are ready for further co-operation. This equally means that NATO does not provide any “allied quality” assistance in countries that are neither PfP nor MAP related.

On this matter there are some important points that need to be stressed: First and foremost, NATO heads of States have yet to examine both the impact and the geographical limits of the alliance. Simultaneously, NATO needs to look at the impact of common operations or tasks in different regions. E.g.: Africa (Darfur), Pakistan, USA, Kosovo, Afghanistan. By examining the current and past cases of operations it could improve existing policies and create new ways of co-operation between NATO and possible new allies. At this given moment and time, we can be certain that NATO is again in demand. NATO is needed as a security guarantor and also as a security architect in this global and unstable political, military and economic environment.

NATO is changing and is changing constantly. As agreed in Prague in November 2002 NATO should constantly “transform”. By the time of Riga’s Summit in November 2006, NATO had

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already reached its goal on transforming it self politically and militarily as well as administratively. That does not imply that NATO will not continue to evolve and progress. It entails only that NATO is ready to face short-term goals and to establish longer-term perspectives concerning global challenges.

3) The third point on the political front are NATO’s operations and in particular the current operation of NATO in Afghanistan. The International Security Assistance Force (ISAF) which operates under the auspices of NATO and the Allied Joint Force Command Brunssum is an UN-mandated Operation (United Nations Security Council Resolutions (UNSCRs) 1386, 1413 and 1444). Under the command of ISAF, which is located in Kabul, the operation in Afghanistan is ongoing, and aims towards a peaceful and democratized country. Yet, there are signs, which show that the operation in Afghanistan is not progressing well. At a recent international conference that was organized on NATO issues, there was a statement from a high official of the alliances’ political command that NATO is trying to improve the situation in Afghanistan. This in essence means that progress is yet to be made both at the political and operational sectors.

Politically, NATO needs to improve its “public face”. NATO needs to avoid high flying political rhetoric and improve its public relations and management. It needs to provide more attention on the presentation of the outcomes of its military operations and policy-making. At its operational level, what should be noted is that there is still progress to be made. NATO’s goal for enhanced capabilities should proceed further. Interoperability should be reached between national and allied forces. The prospect of further sharing information and intelligence gathering should also be increased. The newly created NATO Response Force (NRF) that is now officially declared as fully operational will provide NATO’s new look on political and military strategic thinking but also be the outcome of the newly transformed and enhanced NATO military forces. At this point we should also note that the current NRF is almost a fully deployable and therefore expeditionary force, which is able to counter the enemy on hostile land, for a specific time period that is yet to be confirmed and agreed by the military committee.

In concern to the effectiveness of NATO’s operations and the national interests of member states, there are few things that need to be addressed here as well. The opinion that NATO needs to evolve is a one all decision made by the heads of States at NATO level meetings. However, states at the same time do want to protect and promote their national interests both in bilateral and multilateral levels. Having said that, what is implied is that NATO depends very much on the decisions made by the heads of State. Accordingly, as long as states are reluctant towards their financial and military obligations, NATO will not reach its full capacity or capability as a political and military organization. That in essence means from the point of view of NATO officials that several national leaders do lack the political will to contribute what they should. Others consequently cannot offer more than expected for a variety of other political reasons that are not of importance in this article.

What we propose is for all the heads of States to firstly agree that there is a need for a new and collective way of collective decision making procedure that will not contrast any national

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interests of any of the member countries. What needs to be done in essence is to draft a collective interest paper that satisfies the national interests, according to ones’ security needs. Accordingly, once the collective interests are confirmed and in place, a new round of negotiations should be initiated, in order to reform the financial package of NATO, so as to improve the operational level with which NATO works. Member states should offer equally their share without tolerance for “free-riders”.

NATO-RUSSIA RELATIONS IN THE AFTERMATH OF THE RIGA SUMMIT.

NATO-Russia relations seem to be on the rise. At the council level of 26+1, NATO and Russia have still more things to share with each other than to disagree. The prospects for a closer co-operation in 2007 are laid down as NATO-Russia co-operation is moving forward. The NATO-Russia Council has according to a NATO official 17 working groups with the aim of having a closer co-operation. Currently, there are specific areas of co-operation which according to NATO are: a) Combating terrorism; b) Non-proliferation of Weapons of Mass Destruction; c) Theatre missile defense; d) Airspace management; e) Military-to-military cooperation; f) Crisis management; g)Defense reform; h) Logistics; i) Civil emergencies; j) Science; and k) Challenges of Modern Society. Recently there have been several new approaches concerning new issues, which are of the same importance as the aforementioned: a) Intelligence sharing; b) Anti-narcotics policy and c) Co-operation under Active Endeavour operation.

In the sector of public diplomacy, NATO and the Russian Federation agreed on an NATO-Russia public diplomacy and discussion rally that was held from the 11th to the 26th of May 2006 in nine major cities of Russia. The outcome of this rally proved to be most valuable as people learned more about NATO, and the NATO-Russia Council has been more easily accepted for this matter. Under the auspices of Active Endeavour (NATO Naval operation in the Mediterranean Sea), Russia agreed to make available its Russian Cruiser the Moscva. It also selected personnel from the Pytliviy and Smetliviy, to join NATO ships in Operation Active Endeavour. Recently as NATO Deputy Secretary General Dr. Baabst mentioned, Russia’s national flag flies under the NATO flag and the operation flag of Active Endeavour1.

Yet, there is also the negative side of the NATO-Russia Council. NATO and Russia do not work along in a specific range of issues: 1) Treaty on Conventional Forces in Europe (CFE treaty); 2) Russia’s foreign policy on its near abroad; 3) The issue of Chechnya.

With regards to the first issue, although NATO and Russia initially agreed for further discussions on the CFE after the agreement that was made in Istanbul in 2004, the CFE agreement as stated by the Defense minister of Russia Sergey Ivanov in 2005, has not progressed at all. Russia does not, according to NATO officials, respect the decisions it made.

1 Conference in September, under the Auspices of the Atlantic Forum of Rome, Atlantic Treaty Association.

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On the second matter, Russia’s foreign policy on it’s “near abroad” is considered as unacceptable to NATO. The recent boycott of Russia against Georgia has not improved neither the relations between NATO and Russia nor Russia and Georgia. For this purpose Russia should reconsider its foreign policy and its objectives. According to NATO officials, NATO agrees only to partners that promote the values and ethics of democracy, co-operation and dialogue.

Finally, concerning Chechnya, NATO is clear. The Alliance would like to internationalize the matter via possibly the UN. In contrast, Russia has clearly stated via its President over and over again that Chechnya is an internal matter and shall be dealt with by Russia “only”. Nevertheless, the Chechen problem still exists and the recent death (October 2006) of a known Ukrainian journalist and writer (Anna Politovskaya) of many articles on Chechnya, does not improve Russia’s position. NATO on this point wants to convince Russia to end the violent conflict and proceed in negotiating peace. Russia does not accept any comments or points made about that matter at the level of the NATO-Russia Council.

Finally worth mentioning is that in the immediate aftermath of the Riga Summit, it was agreed by the Council that, “under the aegis of the NATO-Russia Council (NRC), the Theatre Missile Defense Ad Hoc Working Group (TMD AHWG) would conduct the third joint NATO-Russia TMD Command Post Exercise (CPX) at the Russian Simulation Facility located in the Research and Development Center of the Ministry of Defense of the Russian Federation”1.

CONCLUSION

The aim of this article was to portray a few negotiating but key issues that we consider as the means to a positive result. We presented what could be a future clear protocol agenda of what

1 A NATO-Russia Exercise will take place in Moscow: “The purpose of this third CPX is to validate the Experimental Concept and associated Experimental Concept of Operations (CONOPS) developed by the joint NATO-Russia TMD Ad Hoc Working Group. Over sixty participants from eleven NATO nations and eighty participants from the Russian Federation are going to take part in CPX3. Additional support and participation will be provided by the NATO Military Authorities (NMAs), the International Staff (IS), the tri-national(1) Extended Air Defence Task Force (EADTF) and the Ministry of Defence of the Russian Federation. This is the third in a series of joint NATO-Russia TMD exercises. The initial CPX was conducted at the Joint National Integration Center (JNIC) in the United States in 2004. Last year The Netherlands hosted Cooperative Optic Windmill (CPX2) at De Peel Airbase. This third CPX will build on the work conducted previously and be a prelude for a first Field Training Exercise, provisionally scheduled for autumn 2007. The CPX is a computer-assisted, real time event that focuses on command and control of missile defence forces deployed in a specific theatre of operations. Together with a joint Interoperability Study being conducted under the lead of the NATO C3 Agency (NC3A) and the Ministry of Defence of the Russian Federation, the CPX is expected to provide the basis for future interoperability enhancements. This is an important step in the practical cooperation between NATO and the Russian Federation as foreseen in the Rome Declaration of 2002” http://www.nato.int/docu/pr/2006/p06-121e.htm .

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NATO members and partners should discuss. During the course of this paper we related these issues with the ongoing policies of co-operation between NATO and Russia at the level of 27 member states. We examined the reasons of change and we proposed new ways of amending NATO’s ideological and practical stance. NATO’s need of transformation is a reality, but also a request, for the well-being of the Alliance. At the same time, we estimate that NATO and Russia relations should continue to improve at all levels for the sake of peace, prosperity, democracy, dialogue and co-operation.

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Washington et l’enjeu géostratégique de la région du détroit de Malacca

TANGUY STRUYE de SWIELANDE

Chercheur Senior au Centre d’Etudes des Crises et Conflits Internationaux (CECRI) et chargé de cours aux Facultés catholiques universitaires de Mons et à l'Ecole Royale Militaire.

Le détroit de Malacca connecte l’Océan Indien à la mer de Chine par la mer d’Andaman au Nord et par le détroit de Singapour au Sud. Chaque année plus de 60 000 navires passent par le détroit de Malacca. Près de 25 % du pétrole et 2/3 du gaz transitent par ce détroit, qui ne mesure que 2,4 km de large à son point le plus étroit. Il offre en outre une voie de passage très importante militairement parlant, pour des pays comme le Japon, la Corée du Sud et les Etats-Unis. Il permet de la sorte d’acheminer des troupes américaines du Pacifique vers l’Océan Indien et le Moyen-Orient. Les routes alternatives sont le détroit de Sunda et de Lombok-Makassar. Le premier est un détroit dont la profondeur n’est pas très importante rendant le passage des gros navires porte conteneurs et tankers impossible. Le détroit de Lombok est quant à lui facilement navigable mais rend les trajets plus longs de 3 à 4 jours. En cas d’obstruction de ces détroits, il faudrait passer par les côtes australiennes, rendant le trajet plus long de plus ou moins 15 jours. Le détroit de Malacca constitue par conséquent une route maritime essentielle en Asie du Sud.

Il forme de même le lieu de rencontre des puissances montantes : l’Inde, le Pakistan, le Japon et surtout la Chine. Si cette dernière parvenait par exemple à dominer les différents détroits de la région, elle réduirait fortement le champ de manœuvre des puissances régionales, ainsi que celui des Etats-Unis. En janvier 2002, la Chine, à travers les compagnies CNOOC et PetroChina a d’ailleurs acheté des gisements indonésiens, ce qui lui permettra plus facilement à l’avenir de légitimer sa présence (militaire) dans le détroit. Une présence qui ne fera que se renforcer dans les années à venir quand on sait qu’en 2004, la quantité de pétrole importée par la Chine du Moyen-Orient, de l’Afrique, de l’Asie-Pacifique frôle les 90% du volume global de son importation et que la majeure partie transite par le détroit de Malacca. La Chine n’a dans ces conditions pas hésité à s’installer au Myanmar (bases, infrastructures, etc.) et dans le golfe de Bengale (ex. îles Coco), contrôlant, observant les va et vient dans le détroit. Selon un rapport intitulé “ Energy Futures in Asia”, la Chine adopterait ainsi une stratégie du « collier de perles » composée de bases et de liens diplomatiques s’étendant de la mer de Chine au Moyen-Orient. Elle inclut parmi d’autres une station électronique à Gwadar (Pakistan), surveillant le trafic maritime dans le détroit d’ Hormuz et la mer Arabe, la construction d’un port à Chittagong (Bangladesh) et le contrôle des ports Akyab, Cheduba et Bassein (Myanmar). La Chine a également signé un accord militaire en novembre 2003 avec le Cambodge pour fournir un entraînement et un équipement aux forces cambodgiennes. La politique chinoise par rapport au détroit s’inscrit dans le prolongement de la loi maritime de 1992 qui place la plus grande partie de la mer de Chine sous souveraineté chinoise. Cette loi définit Taiwan, les îles Pescadores, Sensaku, Pratas, Paracels, Macclesfield et Spratley comme partie intégrante du territoire souverain et inaliénable chinois. Selon la perception chinoise, la mer de Chine est un lac intérieur, dont la pointe la plus extrême serait Zengmu Ansha (James shoal), localisée à peu près à 160 kilomètres au Nord de Sarawak (Malaisie). Pour les pays riverains de la Chine ; Taiwan, Viêt-Nam, Brunei, Philippines, Malaisie, etc., l’ensemble

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de cette zone est également un objet de convoitise. Les îles Pescadores sont disputées par la Chine et Taiwan ; les îles Shenkaku par Taiwan, la Chine et le Japon ; les îles Paracels par la Chine et le Viêt-Nam et, enfin, les îles Spratley, par Taiwan, la Chine, le Viêt-Nam, la Malaisie, les Philippines et le Brunei. D’où différents accrochages concernant, par exemple les îles Spratley entre le Viêt-Nam et la Chine en 1988 et 1994 ou relatifs à l’occupation chinoise du Mischief Reef en 1995, revendiqué, quant à lui par les Philippines et la Chine. Aussi n’est-il pas surprenant, comme mentionné précédemment, si la Chine construit depuis plus d’une décennie des relations stratégiques le long des routes maritimes allant du Moyen-Orient à la Mer de Chine.

L’enjeu de la région ne s’arrête toutefois pas là. Majoritairement musulmane, une infime minorité dans la région s’est radicalisée et s’est relativement liée au réseau Al Qaeda (ex. Abu Sayyaf dans les Philippines, le Laskar Jihad en Indonésie ou le Jemaah Islamiyah en Indonésie, Malaisie et Singapore). Or, le risque de voir cette minorité acquérir une certaine audience est réel, étant donné les conséquences de la crise économique asiatique à la fin des années 90 et la présence de nombreux mouvements séparatistes (ex. en Indonésie et aux Philippines). Le danger qu’une partie de l'Asie du Sud-Est ne devienne un refuge pour Al Qaeda, après le démantèlement partiel de ses réseaux en Asie centrale est par conséquent une réalité dont il faut tenir compte.

Enfin, le long des côtes indonésiennes la piraterie a fait un retour remarqué depuis une dizaine d’années. Des centaines d’incidents ont lieu chaque année, faisant des dizaines de morts. Cette situation risque de s’aggraver, car les pirates se professionnalisent, possèdent des vedettes rapides, des téléphones satellites et sont armés jusqu’aux dents. Ils font en général parti du crime organisé, mais l’islamisme radical s’y intéresse de plus en plus. C’est une activité très rentable, qui permet de remplir les caisses de ces organisations. Les dommages causés (pertes de navires, des cargaisons et assurances) montent au demeurant à 16 milliards de dollars par an1. Les navires sont d’ailleurs de plus en plus pris pour cible en tant que tel. Il suffit à ce sujet de penser aux conséquences politiques économiques et écologiques que pourrait avoir une attaque contre un navire-citerne dans le détroit de Malacca2. Le danger est d’autant plus considérable que les pirates agissent dans la région depuis de nombreuses années en quasi toute impunité, les marines indonésiennes et malaisiennes, responsables de la sécurité du détroit, étant dans l’incapacité de garantir quelconque sécurité ayant une marine vétuste et un manque criant de navires et autres moyens de surveillance.

Sous les pressions exercées conjointement par Tokyo et Washington, ces pays ont toutefois pris certaines mesures puisque l’Indonésie, la Malaisie et Singapour organisent des patrouilles maritimes communes depuis 2004 et depuis août 2005 l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et la Thaïlande ont décidé d’organiser des patrouilles aériennes communes (initiative Eyes in the Sky). Les quatre pays ont d’ailleurs établi fin 2005 une série de procédures communes quand ils patrouillent le Détroit. Dorénavant, chacun des quatre pays peut poursuivre des navires suspects dans les eaux territoriales de l’autre. Cela étant ces pays continuent à s’opposer à toute présence permanente de l’US Navy dans le détroit, estimant cela une enfreinte à leur souveraineté. Devant ces difficultés, Washington a offert à ces pays de les aider à accroître leurs capacités de surveillance et parraine également l’initiative Regional Maritime Security Initiative (RMSI), entre l’Australie, la Thaïlande, la

1 Luft G., Korin A., « Terrorism Goes to Sea », Foreign Affairs, November/December 2004. 2 Rappelons-nous, l’attaque du navire-citerne français le Limbourg.

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Malaisie, le Brunei, l’Indonésie, les Philippines et Singapour pour sécuriser les droits de navigations sur les SLOCs1. Cette initiative se donne encore comme objectif de combattre les menaces transnationales dans les détroits de Malacca et de Singapour en introduisant des mécanismes de partage d’informations et de coopération.

Depuis le 11 septembre 2001, les Etats-Unis ont de surcroît renforcé leur collaboration bilatérale avec les pays de la région, en particulier avec les Philippines, la Thaïlande, Singapour et le Brunei mais également, de manière plus discrète, avec l’Indonésie et la Malaisie. Si les Etats-Unis se verront dans l’obligation de fermer leurs bases militaires de Clark et Subic Bay en 1991 après le refus par le sénat philippin de ratifier le traité sur le renouvellement du bail des bases militaires américaines, l’armée américaine a depuis les attentats du 11 septembre fait un retour discret sur l’archipel, plus particulièrement au Sud, sur l’île de Mandanao. Elle projetterait même de s’installer à moyen terme dans le complexe aéroportuaire de General-Santo, situé dans une baie bien abritée de l'île. Les Philippines ont d’ailleurs obtenu le statut d’allié majeur non-membre de l’OTAN en octobre 2003, ce qui démontre encore l’importance portée par Washington à ce pays.

La Thaïlande bénéficie du même statut depuis décembre 2003. Afin d’éviter le détroit de Malacca, la Thaïlande envisage de construire le Strategic Energy Land Bridge, une route alternative passant par l’Isthme de Kra, qui sépare la mer d’Andaman du Golfe de Thaïlande. Le projet, soutenu entre autres par Washington et Tokyo, comprend deux terminaux de pétrole et un oléoduc de plus de 200 km vers le Golfe de Thaïlande, où attendront les navires-citernes. Cette nouvelle voie énergétique permettrait de cette manière de raccourcir de 900 km la distance entre le Moyen-Orient et l’Asie du Sud-Est2, tout en rendant une partie du commerce international moins dépendant du détroit de Malacca.

Bien que la relation entre Washington et Jakarta sera très tendue durant les années 90 en raison de la situation au Timor oriental, les canaux entre militaires des deux pays resteront ouverts de façon quasi ininterrompue, malgré les tensions politiques entre les deux pays et une série de lois votées par le Congrès américain, dont l’amendement Leahy interdisant le transfert d’armement et l’entraînement des forces indonésiennes. Ici encore depuis le 11 septembre 2001, la donne a fortement changé. L’administration Bush a très vite compris qu’en imposant des sanctions à l’Indonésie, cela ne ferait que pousser cette dernière dans la sphère d’influence chinoise. Aussi Washington a repris officiellement ses contacts entre militaires, ce qui a été accompagné d’une aide financière de plusieurs millions de dollars. Par son soutien à l’Indonésie, les Etats-Unis espèrent pouvoir garantir la stabilité du pays, tout en essayant d’éviter tout excès des forces militaires indonésiennes dans leur lutte contre différents groupes indépendantistes. L’Indonésie formant le passage entre l’Océan Pacifique et l’Océan Indien, une Indonésie stable, démocratique et prospère est indispensable pour le commerce mondial et pour les Etats-Unis. Si Washington bénéficie également d’excellents rapports avec le Brunei et Singapour3, relatifs entre autres à l’accès aux ports, une évolution intéressante dans la région pourrait bien être le rapprochement entre les Etats-Unis et le Viêt-

1 Sea lines of communications. 2 Luft G., Korin A., « Terrorism Goes to Sea », Foreign Affairs, November/December 2004. 3 En juillet 2005, les Etats-Unis et Singapour ont renforcé leur collaboration dans les domaines de la lutte anti-terroriste, la contre prolifération, le partage de technologies et l’échange de militaires ( Strategic Framework Agreement).

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Nam. Ce dernier se caractérise déjà aujourd’hui par des relations de militaires à militaires, il est vrai modestes mais progressives1.

Washington a également renforcé ses liens avec l’Inde, les deux pays ayant une série d’intérêts convergents : garantir la sécurité maritime dans l’Océan Indien et l’accès aux matières premières (pétrole, gaz), lutter contre le terrorisme (islamisme radical), explorer la défense antimissile, s’opposer à la prolifération et contenir la Chine. Washington considère d’ailleurs l’Inde comme une puissance globale émergente et un partenaire potentiel dans la gestion de l’ordre global. Fin juin 2005, New Delhi et Washington concluront du reste un accord de défense sur dix ans mettant l’accent sur un programme de développement des relations militaires entre l'Inde et les Etats- Unis. L’Inde a, pour sa part, consolidé ses relations avec l’ASEAN et a renforcé sa présence dans le golfe de Bengale, plus particulièrement sur les îles Nicobar2 et Andaman3, considérant l’Océan Indien comme son « périmètre de sécurité légitime », lequel s’étend du détroit de Malacca au détroit d’Hormuz, et des côtes africaines aux côtes occidentales de l’Australie. Pas étonnant, dès lors, si l’Inde investit massivement dans sa marine (porte-avions, frégates, sous-marins et avions P-3 Orion).

L’Australie est, enfin, devenue ces dernières années le principal allié des Etats-Unis dans la région. Canberra et Washington partagent les mêmes craintes concernant l’arc de crises dans le Pacifique : le Timor Oriental, les îles Solomon, la question nord-coréenne, la présence de groupes islamistes radicaux, la piraterie, etc. Fin 2004 un accord bilatéral entre les deux pays sera par conséquent logiquement conclu permettant à Washington d’utiliser trois bases militaires australiennes. Il existe au demeurant un embryon d’une alliance stratégique entre le Japon, l’Australie et les Etats-Unis à travers le Dialogue Stratégique Trilatéral (Trilateral Strategic Dialogue), qui pourrait bien se développer dans les prochaines années.

Si ce regain d’intérêt de la part de Washington pour la région de l’Asie du Sud s’explique par l’importance géostratégique et géoéconomique du détroit de Malacca, cette politique s’inscrit également, dans un contexte plus large qui est celui de la politique américaine envers la Chine. Les Etats-Unis voient dans la politique chinoise dans cette région, des intentions expansionnistes de nature à remettre non seulement en question le libre passage des nombreuses voies maritimes, mais également la Pax Americana dans la région du Pacifique. Dans ce contexte, la zone s'étendant de la mer du Japon au Golfe du Bengale est une région d’importance croissante pour la sécurité américaine, laquelle permet une surveillance élevée de la façade maritime de la Chine. Cette politique suit d’une certaine façon les préceptes défendus par le géopoliticien américain Alfred Thayer Mahan (1840-1914). Ce dernier préconisait aux Etats-Unis de maîtriser de manière stratégique la mer. Afin d’atteindre cet objectif, il convient de s’assurer de points d’appui, de positions solides sur les détroits et les routes de commerce, ainsi qu’une flotte présente sur toutes les mers et capable de se déplacer vers les points stratégiques. Etant donné que d’un continent à un autre, la projection stratégique est quasi toujours indirecte, il faut posséder ou conquérir les îles qui avoisinent avec le continent sur lequel on veut se projeter. Bref, la pensée de Mahan peut se résumer à la

1 Première visite d’un Premier ministre viêtnamien, en l’occurrence Phan Van Khai à Washington en juin 2005, depuis plusieurs décennies. 2 Depuis 2004, l’Inde et l’Indonésie patrouillent conjointement les eaux entre les ïles Nicobar et Aceh. 3 D’ici 2012, l’Inde devrait avoir construit quelques bases et postes d’observation dans les différentes îles, financés partiellement par Washington. New Delhi compte y stationner des sous-marins et des navires de guerre.

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phrase du navigateur W. Raleigh, à la fin du XVIème siècle : « Qui tient la mer tient le commerce du monde, tient la richesse du monde : qui tient la richesse du monde tient le monde lui-même »1.

Aussi, si la présence américaine dans le Nord-Est du Pacifique a toujours été impressionnante - Guam (le point d’appui de la 7è flotte), Pearl Harbour (le point d’appui de la 3è flotte), le Japon, la Corée du Sud - la présence américaine au Sud-Ouest, depuis la fermeture des bases militaires aux Philippines à la fin de la guerre froide ne permettait plus à Washington de défendre suffisamment ses intérêts. Nous assistons dès lors à un début d’une refonte des équilibres dans le Pacifique. Comme le notait D. Rumsfeld lui-même en février 2005, Washington et ses alliés se replacent sur l’échiquier de l’Océan Pacifique à travers « un réseau de relations ».

On observe en conclusion que la région autour du détroit de Malacca est un théâtre d’opération à multiple facettes potentiellement instable et volatile : piraterie, terrorisme, islamisme radical, mouvements séparatistes, disputes territoriales et nationalismes. L’objectif pour Washington est de prévenir la montée d’une puissance régionale remettant en question la position dominante des Etats-Unis, de conserver l’équilibre régional, d’éviter toute instabilité par les mouvements islamistes radicaux et de garantir le libre accès des mers et des routes maritimes. Les Etats-Unis demeurent, en dernière analyse, une puissance du Pacifique, qui compte en Asie du Sud principalement sur des accords bilatéraux et régionaux pour défendre ses intérêts, maintenant de la sorte plutôt une position de recul sans pour cela négliger sa projection de puissance.

1 Moreau –Defarges, P., Introduction à la géopolitique, Paris, Seuil, 1994, p. 49.

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The « life cycle » of the Responsibility to Protect, a new norm in the human security field

EVA HAEVERANS

Master in History from the University in Leuven and Madrid. Postgraduate study in International Politics at the 'Université Libre de Bruxelles'.

INTRODUCTION

« It is only a matter of time before reports emerge again from somewhere of massacres, mass starvation, rape, and ethnic cleansing. And then the question will arise again in the Security Council, in political capitals, and in the media: What do we do? This time around the international community must have the answers »1.

Gareth Evans and Mohamed Sahnoun are referring to the answers formulated in the 2001 report The Responsibility to Protect of the International Commission on Intervention and State Sovereignty (ICISS) which they presided. This report was an effort to forge unity around external military interventions for human protection purposes. In both cases, when they took place –as in Somalia, Bosnia and Kosovo- and when they failed to happen, humanitarian interventions were seen as controversial. « State fighters » considered them as breaches of their sovereign rights while « human righters » welcomed such interventions or with the words of two senior UN officials: « To its proponents, it marks the coming of age of the imperative of action in the face of human rights abuses, over the citadels of state sovereignty. To its detractors, it is an oxymoron, a pretext for military intervention often devoid of legal sanction, selectively deployed and achieving only ambiguous ends. As some put it, there can be nothing humanitarian about a bomb »2. So the ICISS tried to reconcile the contrary visions of both parties by establishing a new humanitarian norm, or in other words, a new standard of appropriate behavior in the human security field. This norm was called the Responsibility to Protect, the study object of this article.

Why is it so important to study humanitarian norms? Because they are key factors in explaining why humanitarian interventions take place. After 1840 the first references to humanitarian interventions began to appear in the international legal literature. So humanitarian interventions are nothing new, but they changed over time because the

1 Evans G. and Sahnoun M., “The Responsibility to Protect”, Foreign Affairs, vol. 81, n°5, 2002, p. 100. 2 Quoted in The International Commission on Intervention and State Sovereignty, Research essays, 2001, p. 23. http://www.iciss.ca/pdf/Supplementary%20Volume,%20Section%20A.pdf

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underlying norms evolved. So were the interventions of the Cold War rather the products of strategic calculations. Therefore they can be clearly explained by the realist school. But after the Cold War a new type of humanitarian intervention emerged, not driven by strategic concerns but by shared principles about when the use of force is legitimate and appropriate. According to the realist school, intervening states obtain geostrategic or political advantages while the neoliberals regard economic or trade advantages as the driving forces behind humanitarian interventions. But in most post-1989 cases like in Somalia and Cambodia such advantages or interests can hardly be identified. So neither the realist nor the neoliberal school can explain correctly the reasons for the humanitarian interventions after the Cold War1. Why then do states intervene? This article will argue that norms are the key to this question because they shape standards of appropriate ends and means of military interventions. So instead of the realist or neoliberal theory, a constructivist approach will be used in this article as theoretical frame. Martha Finnemore and Kathryn Sikkink used already this constructivist approach to study humanitarian norms in their article “International Norm Dynamics and Political Change”. It includes a useful theoretical grid about the « life cycle » of norms. Three stages can be distinguished in the life of a norm: norm emergence, norm cascade/acceptance and norm internalization. The evolution between those stages are produced by different actors, motives and mechanisms of influence. This theoretical grid will be applied on the Responsibility to Protect.

Stages of norms2

Stage Stage 1:

Norm emergence

Stage 2:

Norm cascade/acceptance

Stage 3:

Internalization

Actors Norm entrepreneurs with organizational platforms

States

IOs

Networks

Law

Professions

Bureaucracy

Motives Altruism/empaty/ideational commitment

Legitimacy/reputation/esteem/socialization

Conformity

Habit

Dominant mechanisms

Persuasion Institutionalization

Demonstration effects

Institutionalization

1 Finnemore M., “Constructing norms of humanitarian intervention” in Katzenstein P. J., ed. The Culture of National Security: Norms and Identity in World Politics, Columbia University Press, New York, 1996, p. 154. 2 Copied from Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization, vol. 52, n° 4, 1998, p. 893.

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NORM EMERGENCE OF THE RESPONSIBILITY TO PROTECT

Norm entrepreneurs, persuasion and organizational platforms

The first stage of norm emergence takes place in a highly contested normative space. To convince the adversary to adopt a new norm like the Responsibility to Protect, strong norm advocacy is needed. In most cases of norm emergence, there are norm entrepreneurs who try to convince as many states as possible to subscribe the new norm1. Who were the norm entrepreneurs in the case of the Responsibility to Protect norm? Several norm entrepreneurs can be forwarded in the case of the Responsibility to Protect. First of all Francis Deng, the Secretary-General’s special representative on internally displaced persons, can be regarded as an early one. He advocated for the shift of sovereign immunity to responsibility already in the beginnings of the 1990s. The very concept of sovereignty as responsibility was for the first time formulated in 1993 in its book about the protection of internally displaced persons2. He articulated its vision about sovereignty as follows: « Sovereignty should no longer be seen as protection against external interference in a state’s internal affairs. Rather the state must be held accountable to domestic and external constituencies »3.

Kofi Annan can be seen as another important norm entrepreneur. Like Francis Deng he propagated the notion of sovereignty as responsibility. The most famous and often cited article in which he did so is his article about two concepts of sovereignty in the Economist. He argued as well that a state has responsibilities to its population4. Not very surprisingly the article is written in the aftermath of the Kosovo war in 1999. Moreover Kofi Annan refers explicitly to the tragedy of Kosovo and the need for an international intervention when states are unable or unwilling to stop large scale deaths of citizens. This timing matches very well with the normative theory that states, that historical events can press a normative issue5. In order to avoid tragedies like Kosovo and Rwanda, Annan thinks that the international community has to reach a consensus about when, how and who has to intervene in cases of systematic human rights violations. So he challenged the General Asssembly to think of a solution. A year later in 2000 he repeated his quest to the Millennium Summit of 2000: « [I]f humanitarian intervention is, indeed, an unacceptable assault on sovereignty, how should we respond to a Rwanda, to a Srebrenica- to gross and systematic violations of human rights that affect every precept of our common humanity »6? So on several occasions during 1999 and 2000 Kofi Annan requested the international community to develop a principle that would once and for all solve the inconsistent, too late and too little international responses to humanitarian crises.

How did the norm entrepreneur Kofi Annan tried to convince the heads of states and governments of the importance of such a new norm? First of all an important mechanism

1 Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op. cit., pp. 892-893. 2 Deng F. M., Protecting the Dispossessed: A Challenge for the International Community, The Brookings Institution, 1993. 3 Deng F. M., Sovereignty as Responsibility: Conflict Management in Africa, The Brookings Institution, Washington, 1996, p. VII. 4 Annan K. “Two Concepts of Sovereignty”, Economist, Sept. 18, 1999. http://www.un.org/News/ossg/sg/stories/kaecon.html 5 Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op. cit., p. 898. 6 Quoted in The International Commission on Intervention and State Sovereignity, The responsibility to protect, 2001, p. 18. http://www.responsibilitytoprotect.org/

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that Annan -like every norm entrepreneur- uses, is persuasion. He speaks very directly to its audience like: what would you do if there are states willing to prevent genocide but the Security Council has not authorized the mission. Those moral dilemmas appeal to every human being. Would you sit aside and do nothing if a genocide is looming? So in very sharp and short sentences Annan captures the international controversy surrounding humanitarian intervention. Norm entrepreneurs at the international level like Annan use organizational platforms from which and through which to promote norms. Finnemore and Sikkink distinguish two sorts of platforms. The first are set up specifically for the purpose of promoting the norm, the second are existing international organizations1. As Secretary-General of the UN it is obvious that Annan will try to use the UN as platform. But what was the result following his initial calls in 1999 and 2000 the debates in the General Assembly even deepened the gap between « state fighters » and « human righters »2.

While Annan was persuading the General Assembly, the Danish, Dutch and Swedish governments all commissioned studies which focused on the problematic of humanitarian intervention3. Again it is remarkable that all those studies are produced in the aftermath of the Kosovo conflict, another indication of the importance of this historic event for the normative debate concerning humanitarian intervention. But despite the efforts, the academic reports weren’t very influential. In contrast to their rather unsuccessful effort, it was Canada, acting as norm entrepreneur, that brought an essential normative shift. In response to the challenge of Kofi Annan at the Millennium Summit in 2000, the Canadian Prime Minister Jean Chrétien established the International Commission on Intervention and State Sovereignty (ICISS). This was not an existing international organization, but a new organizational platform created for a specific purpose. This independent international body was namely mandated to reconcile « the international community's responsibility to act in the face of massive violations of humanitarian norms while respecting the sovereign rights of states […] »4. The hope was expressed that the Commission would reconcile those seemingly irreconcilable visions like the Brundtland Commission on Environment and Development did5.

1 Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op. cit., pp. 893-894. 2 Chesterman S., ‘Responsibility to Protect’ discussed at New York Seminar, International Peace Academy Report, 2002, p.1. http://www.ipacademy.org/PDF_Reports/UNDIP-IPA.pdf; Evans G., “The Responsibility to Protect: Humanitarian Intervention in the 21st century”, Wesson Lecture in International Relations Theory and Practice, Stanford University, 2002, p. 1. http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=2288&l=1 3 Danish Institute of International Affairs, Humanitarian intervention: legal and political aspects, Copenhagen, 1999. In 2005 an extension on this report was published, namely one that considers the political and legal aspects of the possibilities for military intervention in situations where the new threats in the shape of global terrorism or the proliferation of weapons of mass destruction threaten international peace and stability ; Advisory Council on International Affairs and Advisory Committee on Issues of Public International Law, Humanitarian Intervention, The Hague, 2000 ; Independent International Commission on Kosovo, The Kosovo Report: Conflict, International Response, Lessons Learned, Oxford University Press, New York, 2000. All three reports are mentioned in Evans, The responsibility to protect, pp. 1-2. http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=2288&l=1 4 The International Commission on Intervention and State Sovereignty, The responsibility to protect, 2001. http://www.iciss.ca/mandate-en.asp 5 Ibid., http://www.iciss.ca/progress-en.asp

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Canada took its function as norm entrepreneur very seriously. It provided the ICISS with a Canadian Secretariat, took care of the fund-raising, the roundtable consultations and Commissioners' meetings, the publication and distribution of the Commission's report and background research. Moreover diplomatic efforts were made to engage governments and build political support for the debate. Even after the release of the report The Responsibility to Protect Canada wanted to lead the follow up efforts. First of all by giving the good example such as in the case of Congo in 2003. It was argued that Canada should provide troops to the UN Force in Congo by arguing: « Canada has been in the forefront calling for the international community to do more to protect civilians in humanitarian emergencies. We’re a leader in a number of important policy debates, at the UN and elsewhere. Now is the time for our deeds to match our words »1. Moreover it kept on funding the follow-up efforts after the release of the report2. On the Canadian Foreign Affairs and Trade webpage different projects are mentioned that Canada effectively supported to promote the Responsibility to Protect: regional conferences in Africa, campaigns to engage civil society, studies about the operational capacity for civilian protection etc.3.

The norm entrepreneur Canada used like Kofi Annan persuasion mechanisms to convince an as broad public as possible. Therefore knowledge about the process of coalition building is essential like seeking alliances and using this alliance to convince other more sceptical parties4. In the case of the Responsibility to Protect norm convincing the hesitant and suspicious Third World countries was the greatest challenge for Canada. How could Canada avoid that the ICISS would have been refused by naming it a western project? The answer was, getting on board as much diverse commission members as possible. In August 2000, the government of Canada invited Gareth Evans, former foreign minister of Australia, and the Algerian Mohamed Sahnoun, Special Advisor to the UN Secretary-General to head the Commission. Later on in September 2000 the Co-Chairs helped to appoint ten additional Commissioners from diverse regional and professional backgrounds5. The Co-Chair Gareth Evans was well aware of the importance to unite a very broad public around the controversial humanitarian intervention:

« The objectives of the Commission were essentially threefold, although we never quite got around to

articulating them in such stark terms. […]

- not likely to be rejected out of hand by either North or South, the permanent five members of the Security Council or any other major international constituency – in other words, be capable of acceptance in principle by governments as a framework for action; and capable in practice of actually motivating action and mobilising support when a situation demanding such action arises »6.

The concern to reach a broad public in order to gain support for an international consensus was not only clear by the composition and the objectives of the Commission, but as well by

1 World Federalists of Canada, “Preventing crimes against humanity: Canada should provide troops to UN Force in Congo”, Canada, May 23, 2003. http://www.worldfederalistscanada.org/congo.htm 2 Ibid. 3 Foreign Affairs and International Trade Canada, The Responsibility to Protect, 2006. http://www.dfait-maeci.gc.ca/foreign_policy/outreach-en.asp 4 Knight A. W., “The responsibility to protect as an evolving international norm”, Notes for Canadian Peacebuilding Coordinating Committee Meeting, Ottawa Conference Centre, 22 September 2003, pp. 2-3. 5 Short biographies of the Commissioners are available on http://www.iciss.ca/members-en.asp 6 Evans G., “The Responsibility to Protect”, p. 2. http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=2288&l=1

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the composition of the Advisory Board and the several consultations that were held. National and regional officials, representatives of civil society, academic institutions and think-thanks all had the possibility to express their points of view in consultations1.

Factors to increase the normative success: the activist network and the characteristics of the issue

We just looked and mentioned that the activist network to think of the Responsibility to Protect is very widespread. That will increase the chances of normative success according to the normative theory. It says that several conditions for success in developing a norm can be forwarded like the characteristics of the issue, the targets and the activists. How exactly should the activist network operate? First of all domestic groups will have to be linked with transnational activists2. That’s what is happening for example in the consultations. Ministers of Foreign Affairs, philosophers, UN representatives, professors, nongovernmental and international organization’s representatives all sit together and link their visions. The final report of the ICISS was not yet produced, but by incorporating and gathering the opinions of a very diverse population at the initial stage, the chance of a relatively broad acceptance of the final report increased. Of course just being consulted isn’t enough, the Commission members had to effectively integrate the visions of the ones being consulted in their final report.

Another successful component of a good activist network is combining groups who give moral authority and others whose authority resides in their knowledge and objective expertise like UNICEF, Human Rights Watch…3 Both groups were represented in the consultations. The last source of authority is representation by internal transparency or external representativeness. I do think that both conditions were met in the process of norm developing. So were the results of all the consultations made transparent by releasing the reports of it4. And I discussed already the external representativeness by arguing that North and South were represented for example. So literally everything was done to give the developing norm the best chances to survive in the highly contested normative space: a good activist or coalition network was built. In the aftermath of the release of the report Gareth Evans showed to be quite happy with the network that was built. « [I]t is by far the most representative and consultative exercise yet attempted in this area. The Commission had a high profile and high quality membership, evenly divided between developed and developing countries. From the South there was Mohamed Sahnoun, Fidel Ramos, Cyril Ramaphosa, Eduardo Stein and Ramesh Thakur; from the North, in addition to me, there was Lee Hamilton, Gisele Cote-Harper, Michael Ignatieff and Klaus Naumann; with, in addition, Vladimir Lukin from Russia, and the former head of the ICRC Cornelio Sommaruga, whom our Chinese friends might describe as a Northerner with Southern characteristics. And we travelled endlessly and consulted our heads off: the Commission met in Asia and Africa as well as North America and Europe, and held roundtables and other consultations in Latin America, the Middle East, Russia and China »5.

1 An overview of the consultations and participants can be viewed at http://www.iciss.ca/pdf/Supplementary%20Volume,%20Background.pdf 2 Project Ploughshares, “Norms and the Responsibility to Protect: Meeting Report”, Canadian Conference Centre, Ottawa, 7 April 2003, pp. 4-5. 3 Ibid. 4 http://www.iciss.ca/pdf/Supplementary%20Volume,%20Background.pdf 5 Evans G., “The Responsibility to Protect”, op. cit., p. 3.

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Beside a good activist network another important ingredient of normative success is –like I already mentioned- the characteristics of the issue itself. Scholars that study norms can be divided between those who focus on the substance of the norm and the issues it addresses (content) and those who stress the formulation of the norm (its clarity and specificity). When regarding to the Responsibility to Protect, both topics can be investigated. I will start with the content of the Responsibility to Protect norm. Norm’s research has discovered that norms addressing bodily harm or legal equality of opportunity have the best chances to find transnational support1. Those two conditions were met in the case of the Responsibility to Protect. First of all it wants effectively to protect the more vulnerable groups. Moreover- in line with the equality of all human beings- the norm has to remove the inconsistent and selective approach of the UN interventions.

The central message of the Responsibility to Protect is that sovereign states have the primary responsibility to protect their own citizens from avoidable catastrophe, but that when they are unwilling or unable to do so, that responsibility must be borne by the broader community of states. In those cases the principle of non-intervention yields to the international responsibility to protect. The report of the ICISS says that this responsibility includes the responsibility to prevent, to react and to rebuild. Because this article is focusing on military intervention for humanitarian purposes, I will focus on the responsibility to react. This international duty can also be exercised by non-military measures like sanctions and international prosecution. Only in extraordinary cases, the use of force can be an option. The ICISS developed six general principles for military intervention: just cause threshold, right intention, last resort, proportionality, reasonable prospects and right authority. Gareth Evans declared openly after the release of the report that this terminology goes back to just war theory. « But being a very PC kind of Commission –claiming to articulate universal values rather than any particular cultural subset- we decided that when it came to emphasising that particular Christian and Euro-Centric connection, discretion was the better part of valor »2. A good quotation that illustrates ones again the Commission’s concern to appeal to every one, especially North and South.

Let’s take a closer look to the content of the six principles. The just cause threshold defines two categories for which military intervention for human protection purposes can be justified, namely large scale loss of life and large scale ethnic cleansing3. What is especially remarkable, is the explicit indication that military action can be legitimate as an anticipatory measure: the killing or ethnic cleansing may be « actual or apprehended ». So it provides the international community the possibility to intervene military before the first acts of large scale-killing or ethnic cleansing started. The right intention criteria is formulated by the ICISS as follows: « The primary purpose of the intervention, whatever other motives intervening States may have, must be to halt or avert human suffering. Right intention is better assured with multilateral operations, clearly supported by regional opinion and the victims concerned »4. This

1 Finnemore M. and Sikkink K. , “International Norm Dynamics”, op.cit., p. 897. 2 Evans G., “The Responsibility to Protect”, op.cit., p. 5. 3 The International Commission on Intervention and State Sovereignty , The Responsibility to Protect, p. XII. http://www.iciss.ca/pdf/Commission-Report.pdf 4 Ibid.

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criterion appears to be an answer to the challenges raised by the Kosovo tragedy. First of all, it is already a clear indication that the Kosovo principle, a justified unilateral military action for humanitarian purposes, formulated by the Independent International Commission on Kosovo would not get wide support. Secondly the ICISS recognizes that mixed motives for humanitarian interventions are the reality. National interests of the intervening states cannot be excluded from the motives to intervene. But the primary purpose has to be the halting or averting of human suffering1. In the case of the Kosovo intervention there are critics who argue that the political interests of NATO member states were the real motivation for the intervention. If this is true, then the NATO intervention could not have been justified by the Responsibility to Protect norm2.

The third principle for military intervention is « last resort ». This means that the military option cannot be the first. All previously diplomatic and non-military options for the prevention or peaceful resolution of the crisis have to be explored. Often there is not the time to literally try every measure. However there must be reasonable grounds for believing that if the measure had been attempted it would not have succeeded3. Again this criterion can be seen as an answer to the normative challenge raised by the Kosovo question. The Independent Commission on Kosovo believed that nonmilitary measures were not sufficiently explored: « The negotiations conducted before March 24, 1999, although extensive, were enmeshed in threat diplomacy and ambiguous offers of negotiation, and thus failed to satisfy fully the legal requirements associated with the obligation to pursue the peaceful settlement of all international disputes »4. So the older rule of the use of force as last resort to provide legality was reconfirmed by the ICISS.

Proportional means was the fourth criteria formulated by the Commission: « The scale, duration and intensity of the planned military intervention should be the minimum necessary to secure the defined human protection objective »5. This minimum use of force was not applied in the Kosovo case. The massive bomb campaign targeted for instance more civilians then a ground troop would have done. By using this tactic NATO suffered zero casualties while the death number of local civilians increased. The means weren’t commensurate with the ends. The fifth principle for military action was called « reasonable prospects ». Military intervention can only be justified if there is a reasonable chance of success in halting or averting human suffering. The consequences of action may not likely to be worse than the consequences of inaction6. Again the Kosovo case can be questioned by this criterion. Some critics argue that the intervention actually increased the violence as the study of Matthew Perault demonstrated. Jiri Diensbier, UN Special Investigator for the Former Yugoslavia

1 Evans G., “The Responsibility to Protect”, op.cit., p. 3. 2Perault M., “Moving beyond Kosovo: Envisioning a Coherent Theory of Humanitarian Intervention”, Journal of Public and International Affairs, vol. 16, 2005, p. 8. http://www.princeton.edu/~jpia/pdf2005/Chapter%201%20Perault.pdf 3 The International Commission on Intervention and State Sovereignty, The Responsibility to Protect, p. XII and pp. 36-37. http://www.iciss.ca/pdf/Commission-Report.pdf 4 Quoted in Perault M., “Moving beyond Kosovo”, op.cit., p 11. 5 ICISS, Responsibility to Protect, p. XII. http://www.iciss.ca/pdf/Commission-Report.pdf 6 Ibid., 37.

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wrote in his March 2000 report: « The bombing hasn’t solved any problems. It only multiplied the existing problems and created new ones »1.

The last and most controversial principle was that of the « right authority ». With Gareth Evans’ words: « When it comes to authorizing military intervention for human protection purposes, the argument is compelling that the United Nations, and in particular the Security Council, should be the first port of call. The difficult question- starkly raised by Kosovo- is whether it should be the last »2. First of all according to the ICISS the Security Council should be the first port of call. So proponents of military intervention should seek Security Council authorization prior to any action. Moreover this organ should respond to any request for authority to intervene. The Commission even recommended that « the Permanent Five of the Security Council should agree not to apply their veto power, in matters where their vital state interests are not involved, to obstruct the passage of resolutions authorizing military intervention for human protection purposes for which there is otherwise majority support »3.

What if the Security Council is unable or unwilling to act in a case crying out for intervention like another Rwanda or Kosovo? Two institutional solutions are possible. One is to consider the matter by the General Assembly in Emergency Special Session under the « Uniting for Peace » procedure, used in the cases of Korea in 1950, Egypt in 1956 and Congo in 1960. The other is action within an area of jurisdiction by regional or subregional organizations under Chapter VIII of the UN Charter, subject to their seeking subsequent authorization from the Security Council. The West African interventions in Liberia in the early 1990s and Sierra Leone in 1997 are examples of this procedure. Coming to the most difficult question of all; what if the Security Council was the first port of call, but failed to fulfil its own responsibility to protect? Should it be the last port or can other states military intervene without Security Council authorization? The ICISS expressed the thought that if the Security Council does fail to discharge its responsibility in tragic cases like Kosovo, it is possible that individual states will act without Security Council authorization. However those interventions run the risk to be conducted without the right reasons or without the commitment to the precautionary principles outlined above4.

Not only is the content of the norm important for its success, but as well its formulation (clarity and specificity). There are scholars who question this clarity and specificity by naming the military principles for intervention not clear and concrete enough. What is meant by « large scale» for example in the notions of large scale loss of life and ethnic cleansing. But what appears to me as a more interesting linguistic aspect from normative view is the change in rhetoric. The debate on humanitarian intervention was paralyzed at the end of the 1990s. The right to intervene for humanitarian purposes stood straight in front of the sovereignty/non-intervention norm. But the ICISS came up with a solution for this normative clash, namely a shift in the normative debate. Instead of speaking of the right to intervene, it focused on the responsibility of states to protect their populations. Secretary-

1 Quoted in Perault M., “Moving beyond Kosovo”, op.cit., p. 13. 2 Evans G., “The Responsibility to Protect”, op.cit., p. 7. 3 ICISS, Responsibility to Protect, p. XIII. http://www.iciss.ca/pdf/Commission-Report.pdf 4 ICISS, Responsibility to Protect, pp. 47-55. http://www.iciss.ca/pdf/Commission-Report.pdf

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General Kofi Annan was very grateful for this shift: « I admire your diplomatic skill in redirecting the debate […]. I wish I had thought of this myself. It would have saved me quite a few explanations of just what I was proposing in my speech. I say this because your title really describes what I was talking about: the fact that sovereignty implies responsibilities as well as powers; and that among those responsibilities, none is more important than protecting citizens from violence and war »1.

The shift in debate was crucial in moving the norm forward. From a normative clash the debate was turned into a normative fit. The responsibility to protect was not perceived by states as an unacceptable assault on their sovereignty. Normative theory acknowledges the importance of the terminology for the normative debate. In similar cases rhetoric changes helped the embracing of a new norm. One example of this is the debate about female genital mutilation. When the opponents called it « female circumcision », little attention was paid to it because male circumcision is often a positively valued practice. It is when they changed the terminology to female genital mutilation and campaigned under the banner « violence against women » that the campaign got successful2.

NORM CASCADE OF THE RESPONSIBILITY TO PROTECT

On December 18, 2001 the Canadian Minister of Foreign Affairs John Manley and the Canadian Permanent Representative to the United Nations, Paul Heinbecker presented together with members of the ICISS the Commission’s final report The Responsibility to Protect to Secretary-General Kofi Annan. So the report was released, but would it have an impact on the international community or would it become a rather non influential report like those commissioned by the Danish, Dutch and Swedish governments? The phase of norm creation was completed, but the diffusion stage or norm cascade still had to begin. To achieve the cascading or tipping effect, the network of norm entrepreneurs would have to convince states and international organizations to incorporate the norm. According to Finnemore and Sikkink socialization is the most appropriate mechanism to provoke this norm cascade because states adhere to norms because they are members of an international society. Three concrete motivations for norm following can be forwarded: legitimation, conformity and esteem3.

Nongovernmental consultations

First of all, were the nongovernmental organizations convinced enough to adopt the Responsibility to Protect norm? Following the release of the ICISS report, The Responsibility to Protect, the norm entrepreneur Canada invited the World Federalist Movement - Institute for Global Policy (WFM-IGP) to take a leading role in gauging civil society support for the concepts contained in the report. Consultations with civil-society organizations were set up to determine which principles of the report could be useful to civil society. Humanitarian organizations like CARE International, Oxfam International and World Vision; human-rights organizations, such as Amnesty International and Human Rights Watch; and faith-based

1 Quoted in Chesterman, Responsibility to Protect, op.cit., p 2. http://www.ipacademy.org/PDF_Reports/UNDIP-IPA.pdf 2 FInnemore M. , and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op.cit., p. 898. 3 Ibid., p. 895.

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organizations like Quakers, Mennonites and Unitarians all participated in roundtables which the WFM-IGP organized. As William Pace and Nicole Deller stated in their article, the NGOs were prepared to promote only a part of the Responsibility to Protect norm, namely the change in terminology from « a right of humanitarian intervention » to a « responsibility to protect »; the continuum of appropriate responses from prevention to reaction to rebuilding, the priority of preventive measures; and maybe the need for principles for military intervention. This latter was regarded as controversial and therefore needed to evolve slowly: « Civil society representatives consulted overwhelmingly held the view that while the development of norms is very important, this process must be allowed sufficient time to evolve. The clear response was that the codification of norms should be a long-term goal. Nevertheless, it was emphasized that the time does not appear ripe to move towards the development of principles for military intervention »1.

The overall rejection of the use of force outside the Security Council appears to me as the second important difference with the report The Responsibility to Protect. As we argued in the previous section, the ICISS argued for other forms of authority if the Security Council failed to fulfil its responsibility to protect, namely by the General Assembly or (sub)regional organizations. In contrast the NGOs were more skeptical about the use of force by « coalitions of the willing » without Security Council approval: « Response by a group of countries might seem favorable in the case of a potential genocide when the Security Council failed to act due to domestic political considerations of its members. Nevertheless, most would agree on the extreme dangers of legitimizing the sidestepping of the United Nations when it refuses to endorse military intervention, reflection world opinion (as was the case with Iraq for example) »2. So, civil society contested the humanitarian norm as formulated by the ICISS. Two tracks are therefore possible, either an adjustment of the norm to convince all parties like civil society or a reconfirmation of the norm as it was already proposed. The first will be followed as we will see.

A more secure world: our shared responsibility

In Kofi Annan’s speech to the General Assembly in September 2003, he challenged again the member states. This time about the divisions among the member states about the nature of threats in current era. Therefore the Secretary-General convened a High-level Panel on Threats, Challenges and Change composed of sixteen eminent persons. Annan asked the group for instance to address the failure of the international community to prevent genocide and other massive violations of human rights. Its report entitled A more secure world: our shared responsibility was released in December 2004. To improve the international security framework, the Panel suggested the endorsement of the Responsibility to Protect. Moreover it called that norm an « emerging norm »3.

1 WFM-IGP, “Civil society perspectives”, p. 3. 2 WFM-IGP, “Civil society perspectives”, p. 15. http://www.responsibilitytoprotect.org/index.php/pages/20 3 High-level Panel on Threats, Challenges and Change, A More Secure World: Our Shared Responsibility, 2004, UN document A/59/565, p. 57. http://www.un.org/secureworld/report.pdf

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More specifically how did the Panel define the ‘Responsibility to Protect’-norm? Perfectly in line with that promulgated by the ICISS or were there differences as in the case of the study on the civil society perspectives? First of all, it is clear that the High-level Panel on Threats, Challenges and Change regarded the Security Council as the source of authority for legitimizing military interventions. It did not mention alternative sources like the ICISS-report did. So it rather agreed to the civil society perspective that only the Security Council can authorize military intervention for human purposes. What was the attitude of the panel towards the principles for military interventions for human protection purposes that the ICISS outlined, but the civil society not fully adopted? The panel proposed five basic criteria: seriousness of threat, proper purpose, last resort, proportional means and balance of consequences1. Although the panel report names the principles in another way, they are pretty similar to those formulated by the ICISS. Only the scope differs, while the approach of the High-level Panel is more general by incorporating all threats, the ICISS focuses on large scale loss of life and ethnic cleansing.

So both civil society and the High-level Panel regarded the norm of the Responsibility to Protect as very important. But their views didn’t correspond exactly with that outlined by the ICISS. Especially the rejection of other sources of authority than the Security Council is a striking difference. Moreover civil society showed hesitancy to incorporate the principles for military intervention. In contrast, the High-level Panel formulated similarly criteria to those of the ICISS. So the big question remains the same. How and in which form will the norm of the ‘Responsibility to Protect’ become incorporated by states and international organizations? In the original form or in an adapted form: without alternative sources of authority and with/without principles for military intervention?

In larger freedom

To prepare the World Summit of September 2005 Kofi Annan wrote a report In larger freedom to make suggestions about the agenda of highest priorities for the September Summit. Significantly, it urges Heads of State and Government to recommit them supporting the rule of law, human rights and democracy. According to Annan one of the things that states should do is to: « Embrace the “responsibility to protect” as a basis for collective action against genocide, ethnic cleansing and crimes against humanity […] »2. So the norm entrepreneur Kofi Annan addresses specifically the target, namely the states, with the request to incorporate the norm of the Responsibility to Protect. Remember again that the dominant mechanism of norm diffusion is socialization. States want to adhere to norms for reasons that relate to their identities as members of an international society. So when the Secretary-General asks the member states to embrace this new norm, the socialization mechanism can work to produce norm following.

How exactly does this process work? First of all there is the motivation of legitimation to incorporate a norm. International sources of legitimation like the UN shape patterns of appropriate state behavior. The reason why is because perceptions of domestic legitimacy

1 Ibid., p. 85. 2 Annan K. A., In Larger Freedom: Towards Security, Development and Human Rights for All, New York, UN Press, A/59/2005, 21 March 2005, p. 59. http://www.un.org/largerfreedom/

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are intimately intertwined with international legitimacy. If international legitimacy is accorded to a state, then the citizens of that state will be more inclined to value higher the domestic legitimacy. So the label of international legitimacy is a good thing to promote the domestic legitimacy1. In the case of the Responsibility to Protect, nor the Security Council nor the General Assembly of the UN had yet officially shown to be in favor of that norm. But the Secretary-General did. So the international source of legitimation was the person of Kofi Annan who called the states to embrace the norm. Beside the motivation of legitimation, there are two more reasons for norm following: conformity and esteem. The first refers to the psychological need of a state to be party of a group2. In this case, the intergovernmental UN can be regarded as the group to which states like to be part of. The last motivation of « esteem » suggests that heads of states take into account the image of the state. Following norms becomes then a way to let others think well of the state.

The special attention of Kofi Annan for the target, namely the states, is clear by his direct call to the states to endorse the emerging norm. But a maybe clearer example is the following as William Pace and Nicole Deller in their article already noticed. The High-level Panel discussed the Responsibility to Protect under the section titled « Collective security and the use of force: using force, rules and guidelines »3. Under this heading many governments felt uncomfortable with the recommendations about the Responsibility to Protect. It sounded again like the older rhetoric about humanitarian intervention and the right to intervene. But the report of Kofi Annan In larger freedom showed that the Secretary-General learned lessons from the past, namely that a shift in terminology can open the normative debate. He separated the normative aspects of the responsibility from the discussion of the use of force. Moreover he stressed that the Responsibility to Protect was not exclusively about the use of force, but was rather about –with the words of Pace and Deller- « a normative and moral undertaking requiring a state to protect its own civilians »4. So by separating the use of force from the normative aspect of the Responsility to Protect, I think that Kofi Annan repeated the terminology shift. Like the ICISS earlier he readressed the debate from « the right to intervene » to « the responsibility to protect ».

This was a very good maneuvre of Kofi Annan because he knew the vital concerns of the states. The Secretary-General’s reframing of the Responsibility to Protect – not under the heading of « the use of force »- made the issue more acceptable to the target. Previously I noticed already that normative theory says that the success of a norm is dependant on the activist network, the issue itself and the target audience. Was the attention for the target a factor that promoted the norm diffusion of the Responsibility to Protect norm? Yes it was. After the recharacterization of the Responsibility to Protect, the debates in the General Assembly weren’t any longer paralyzed. Governments and civil society in all regions were more and more inclined to embrace the norm. However there remained a few adversaries who feared the codification of humanitarian intervention: Belarus, Cuba, India, Pakistan,

1 Finnemore M and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op.cit., p. 895. 2 Ibid. 3 Deller and Pace, “Preventing Future Genocides”, op.cit., p.25; High-Level Panel on Threats, Challenges and Change, A More Secure World: our Shared Responsibility, 2004, UN document A/59/565, p.85. http://www.un.org/secureworld/report.pdf 4 Deller and Pace, “Preventing Future Genocides”, op.cit., p. 25.

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Russia and Venezuela. Different degrees of resistance were present. Some governments wanted to remove every reference to the concept of the responsibility to protect. Others expressed their doubts about the utility of the norm1.

The most important outlier –again- was the United States2. It tried to weaken the text by proposing that governments should accept that they have a « moral » responsibility to protect. This would imply that the Responsibility to Protect would not be a political commitment and therefore not imposing obligations on the states to protect other states’ populations. Pace and Deller noticed in their article that this was an American maneuver to prevent that the Responsibility to Protect would limit the United States’ ability to undertake unilateral action in regions of their national interest3. This American rejection of the Responsibility to Protect as a political commitment could seriously harm its diffusion. As normative theory says, it matters which states adopt a norm: « Norms held by states that are widely viewed as succesful and desirable models are thus likely to become prominent and diffuse »4. So bringing on board the skeptical United States was a big challenge to diffuse the Responsibility to Protect norm.

The importance of pressing issues will already be clear by now because the case of Kosovo illustrated it. But in this stage of norm diffusion other historical events with a strong impact on the reception of the Responsibility to Protect can be forwarded. First of all the terrorist attacks of September 11 shifted the international debate. Preventing terrorist attacks and the proliferation of weapons of mass destruction became the hot topics of the international debate instead of military interventions for human protection purposes. Those pressing issues slowed down the cascading effect. But still more devastating for the norm diffusion was the 2003 invasion in Iraq. This intervention was motivated with arguments of human protection and increased the fear of the smaller developing countries that the Responsibility to Protect was a way to erode their sovereignty. One of the Co-Chairs of the ICISS, Gareth Evans, wrote that the argument that the invasion of Iraq was based on protecting Iraqis against the tyranny of Saddam Hussein « almost choked at birth» the emerging norm of the responsibility to protect5.

While September 11 and the Iraq war diminished the cascading effect, the crisis in Darfur brought the contrary about. Military action to prevent humanitarian crises wasn’t any longer a remote consideration, it was an urgent need. Groups like Human Rights Watch, the International Crisis Group and the norm entrepreneur Kofi Annan itself forwarded the application of the Responsibility to Protect norm as a solution for handling the crisis in Darfur6.

1 Ibid., 25-26. 2 The United States has not ratified three of six core treaties. Those three are about protecting economic, cultural and social rights, children’s rights and eliminating discrimination against women. 3 Deller and Pace, “Preventing future genocides”, op.cit., p. 26. 4 Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization, vol. 52, n° 4, 1998, p. 897. 5 Quoted in Deller and Pace, “Preventing Future Genocides”, op.cit., p. 21. 6 Ibid., 22.

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NORM INTERNALIZATION/INSTITUTIONALIZATION OF THE ‘RESPONSIBILITY TO PROTECT’

September 2005 World Summit

The last phase in the « life cycle » of norms is that of internalization and institutionalization. During this stage the majority of actors in a system accepts certain norm, in this case the Responsibility to Protect. Therefore the norm becomes the guideline for good international behavior. The highly contested normative space ceases - temporarily- to exist and the new standard of appropriate behavior is internalized by the international community1. In September 2005 all member states agreed finally on the World Summit that there is a national and international Responsibility to Protect. This appears to be a very important step to the internalization of the norm as Barbara Crossette noted: « Only five years ago, Secretary-General Kofi Annan drew a storm of protest from developing nations when he talked about the ‘right to intervene’. He jokes now that ‘responsibility to protect’ is more diplomatic. But the point that matters is that in one revolutionary step, the UN membership has tempered the long-held view that national sovereignty is inviolate when a population is abused »2.

Many goals of the September Summit were not reached, but the one considering the Responsibility to Protect meant a true success. However the original message was less strong formulated than the Secretary General, the High-level Panel and many NGO’s had been asking for. Especially the position of the United States made it hard for the World Summit to produce a stronger statement or –with the words of Nicholas D. Kristof-: « Mr. Bush’s position in the UN negotiations got little attention. But in effect the United States successfully blocked language in the declaration saying that countries have an ‘obligation’ to respond to genocide. In the end the declaration was diluted to say that ‘We are prepared to take collective

action […] on case by case basis’ to prevent genocide »3. So in order to get a really international consensus about the norm, the formulation was a little bit weakened so that all the targets, the states, would agree to embrace the concept.

I talked already about the re-characterization of the Responsibility to Protect norm. The NGO’s, the report A more secure world and the Outcome document endorsed a different form of the original norm. In which form did the World Summit accept the Responsibility to Protect? First of all alternative sources of authority are not explored in the Outcome document: « [W]e are prepared to take collective action, in a timely and decisive manner, through the Security Council, in accordance with the Charter, including Chapter VII »4. Only cooperation with regional organizations are mentioned as a possibility. Secondly the precautionary principles about the use of force did not appear in the Outcome document. However the Secretary-General and the High-level Panel had requested the Security Council to « adopt a resolution setting out these principles [seriousness of threat, right intention, last resort, proportional means, and

1 Finnemore M. and Sikkink K., “International Norm Dynamics”, op.cit. p. 896. 2 Crossette B., “Post-Summit Reaction: The Good News”, The Interdependent (UNA-USA), October 2005. http://www.unausa.org/site/pp.asp?c=fvKRI8MPJpF&b=1053633 3 Kristof N. D., “A Wimp on Genocide”, The New York Times, September 18, 2005. 4 United Nations, General Assembly, 2005 World Summit Outcome, N Press, A/60/L.1, Sept. 15, 2005, p. 31.

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likelihood of success] and expressing its intention to be guided by them when deciding whether to authorize or mandate the use of force »1. Again this was the price paid to convince all the targets to endorse the norm. Early drafts of the Outcome document urged still consideration of principles on the use of force, but the final draft didn’t incorporate any reference to those criteria. Maybe in the future the form, in which the Responsibility to Protect norm is accepted, can be contested again by norm entrepreneurs who advocate attaching the principles to the norm. A future redefinition and reshaping of the norm by incorporating more formally those principles is a possibility.

Resolution 1674 of the Security Council

So after four years of struggle to get the norm internalized, all the heads of the member states of the UN endorsed the Responsibility to Protect in the World Summit. But the engagement to adopt the norm by the Security Council was still missing. Nevertheless this was essential for a good institutionalization because it is the organ of the UN that mostly deals with breaches of international peace and security. On April 28, 2006, the Security Council unanimously adopted Resolution 1674 on the Protection of Civilians in Armed Conflict. Rather late, but the step under the form of Resolution 1674 was taken2.

Nevertheless it was expected that the resolution would earlier pass the Security Council, namely in December 2005. But –again- the reference to the Responsibility to Protect caused disagreement during the negotiations. Some members of the Security Council refused a further codification of the norm. The endorsement of the Responsibility to Protect by the World Summit should be enough. Very similarly to the discussions leading up to the World Summit, the final resolution was not as strong formulated as the original draft resolution in order to convince all the members. Resolution 1674 only reaffirmed « the provisions of paragraphs 138 and 139 of the 2005 World Summit Outcome Document regarding the responsibility to protect populations from genocide war crimes, ethnic cleansing and crimes against humanity »3. The original draft resolution added that individual states and the whole international community are held responsible to fulfil this commitment to protect those populations. Again the normative theory behind this shift, is the knowledge that a success of a norm depends on the targets who embrace the norm. Better a weaker formulated norm endorsed by all the targets than a stronger formulated norm not supported by all the targets.

The protection of civilians became connected with the Responsibility to Protect by resolution 1674 in April 2006. But earlier steps of the Security Council surrounding this protection can be traced. Two earlier resolutions on this topic were respectively released on 17 September, 1999 – another indication of the importance of the Kosovo tragedy- and 19 April, 20004. Both

1 Quoted in Deller and Pace , “Preventing Future Genocides”, op.cit. p. 28. 2 United Nations, Security Council Resolution 1674 on the protection of civilians in armed conflict, UN Press, S/RES/1674 (2006), 28 April 2006. 3 Ibid., p. 2. 4 United Nations, Security Council Resolution 1265 on protection of civilians in armed conflict, UN Press, S/RES/1265 (1999), 17 September 1999 ; United Nations, Security Council Resolution 1296 on protection of civilians in armed conflict, UN Press, S/RES/1296 (2000), 19 April 2000.

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address the needs of vulnerable populations including refugees, internally displaced persons, women and children. This human protection concern is also clear by a comparative study of the mandates. Since 1999 the « protection of civilians » was explicitly included as a task in the mandates of several peacekeeping operations. In earlier missions like in Somalia, Rwanda, the Balkans and East Timor protecting civilians was a part of the mission, but the language in the mandates didn’t explicitly refer to it. The first real reference in the mandate to the « protection of civilians » was in the UNAMSIL mission in Sierra Leone. Other missions like in Burundi, Cote d’Ivoire, Darfur, the Democratic Republic of Congo, Haiti, Liberia…all contain such explicit references to the protection of civilians1.

So the increased interest of the Security Council in civilian protection was clear from 1999 by the explicit references in the mandates and two resolutions on this topic. However, the real break through was resolution 1674 of last April. It signified a reaffirmation of the commitment made at the September Summit and further codifies the Responsibility to Protect norm into the UN system. So the normative story seems to end with a happy ending. After decades of a normative battle between « state fighters » and « universal righters », the victory was obtained by the latter. All the heads of states endorsed the principle of the Responsibility to Protect during the September Summit and the Security Council released in April 2006 a resolution that confirmed the norm. The life-cycle of the Responsibility to Protect was completed or wasn’t it?

« What we have seen in Darfur since early 2003 is slow motion ethnic cleansing taking place before the world’s eyes. More than 200,000 have died in the conflict, most from conflict-related disease and malnutrition. More than 2 million have been forced from their homes, and over 200,000 Sudanese are refugees in neighboring Chad. To put these awful figures into perspective, that’s as though half the population of Oslo (540,000) had died as a result of the conflict, and half the population of Norway (4,6m) had been driven from their homes »2.

It is clear that there are plenty of reasons to implement the Responsibility to Protect into the case of Sudan. The Sudanese government is not fulfilling its sovereign duty to protect its civilians. Nevertheless the international community failed to take its responsibility while having agreed and expressed its commitment to it. A clear sign, that the new standard of appropriate behavior is not yet fully internalized by the international community. The process of internalization doesn’t mean only agreeing conceptually with the principle, but also acting according to it.

CONCLUSION

By subscribing the Responsibility to Protect, the international community tried to remove an important barrier to the protection of human life, namely the sovereignty norm. Despite this historic gesture, the case of Sudan is probably the clearest example of the fact that there are still other barriers to humanitarian intervention. Two groups of obastacles appear to me as

1 For an overview of such missions and the language of the mandates, see Holt V. K., The responsibility to protect: considering the operational capacity for civilian protection (Stimson Occasional Papers and Reports), The Henry L. Stimson Center, Washington, 2005, pp. 45-56. 2 Quotation of Grono Nick, “Early warning and the responsibility to prevent conflicts”, Speech at the Conference on Conflict and Good Governance in Africa, Oslo, 24 April 2006, p. 2. http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?id=4082&l=1

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the most important ones; a lack of political will and insufficient operational capacities. In order to appeal to all the states, the strong original version of the Responsibility to Protect had to be weakened in several stages. Maybe even too weak as the late and insufficient answer of the international community to Darfur’s slow motion genocide shows. Even with the Responsibility to Protect endorsed by the General Assembly and the Security Council, it is « on a case by case basis » that the latter can decide whether to act or not. So the political will of member states remains crucial. Attempts to weaken this influence by refraining to the use of the veto in instances of genocide, war crimes, crimes against humanity and ethnic cleansing failed. The second barrier, namely the operational capacities to implement the Responsibility to Protect is studied by Victoria Holt in her article “Considering the operational capacity for civilian protection”. She argues for example that training programs, simulation and gaming exercises are not yet adapted to the civilian protection missions1. In the case of Sudan, the lack of operational capacity of the African Union is clear. Fuel shortages and impossibility of night flying limit for instance the capacities of the air force2. It is a challenge for the future to remove those –hopefully last- barriers so that the Responsibility to Protect can be fully internalized.

1 Holt, The Responsiblity to Protect, op.cit., pp. 45-56. 2 International Crisis Group, “The AU’s mission in Darfur: bridging the gaps”, Africa Briefing, n° 28, 6 July 2005, pp. 6-8.