"Echapper aux crises de la dette souveraine grâce à un prêteur en dernier ressort international...

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1 ÉCHAPPER AUX CRISES DES DETTES SOUVERAINES GRÂCE À UN PRÊTEUR EN DERNIER RESSORT INTERNATIONAL? Julien CAZALA * TABLE DES MATIÈRES I. Le prêteur en dernier ressort international : un ‘‘sauveur’’ sous contraintes ......................... A. Un cadre d’intervention limité ............................................................................................... 1. L’identification de la nature et de l’ampleur de la crise ......................................................... 2. La nécessité d’une action rapide et potentiellement illimitée ................................................ B. Des principes d’intervention circonscrits ............................................................................... 1. Aléa moral .............................................................................................................................. 2. La nécessité d’un régulateur disposant d’un pouvoir de qualification et de sanction ............ II. La consécration partielle du rôle de prêteur en dernier ressort international du FMI ............ A. L’inadéquation partielle des Statuts du FMI .......................................................................... B. L’échec de 1999 : la ligne de crédit contingente .................................................................... C. La réalisation partielle de 2008 : la ligne de crédit modulable .............................................. Résumé : Le prêteur en dernier ressort soutient les agents solvables confrontés à une crise de liquidité. La transposition à l’ordre international de cette notion dont la logique a été pensée dans la cadre des * Maître de conférences (Université d’Orléans) détaché en qualité d’Expert technique international du ministère des Affaires étrangères auprès de l’Université Galatasaray (Istanbul).

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ÉCHAPPER AUX CRISES DES DETTES SOUVERAINES GRÂCE À UN PRÊTEUR EN

DERNIER RESSORT INTERNATIONAL?

Julien CAZALA*

TABLE DES MATIÈRES

I. Le prêteur en dernier ressort international : un ‘‘sauveur’’ sous contraintes .........................

A. Un cadre d’intervention limité ...............................................................................................

1. L’identification de la nature et de l’ampleur de la crise .........................................................

2. La nécessité d’une action rapide et potentiellement illimitée ................................................

B. Des principes d’intervention circonscrits ...............................................................................

1. Aléa moral ..............................................................................................................................

2. La nécessité d’un régulateur disposant d’un pouvoir de qualification et de sanction ............

II. La consécration partielle du rôle de prêteur en dernier ressort international du FMI ............

A. L’inadéquation partielle des Statuts du FMI ..........................................................................

B. L’échec de 1999 : la ligne de crédit contingente ....................................................................

C. La réalisation partielle de 2008 : la ligne de crédit modulable ..............................................

Résumé :

Le prêteur en dernier ressort soutient les agents solvables confrontés à une crise de liquidité. La

transposition à l’ordre international de cette notion dont la logique a été pensée dans la cadre des

* Maître de conférences (Université d’Orléans) détaché en qualité d’Expert technique international du ministère des

Affaires étrangères auprès de l’Université Galatasaray (Istanbul).

2

marchés internes pose de nombreuses difficultés. L’une des principales réside dans le

développement de l’aléa moral. Pourtant, malgré des limites encore persistantes, le Fonds

monétaire international (FMI) apparaît de plus en plus en mesure de jouer ce rôle au bénéfice

d’un nombre encore restreint d’États membres.

La recherche de la littérature consacrée au prêteur en dernier ressort (PDR) nous permet

de faire un survol de l’historique des crises. Pour nous limiter à la période la plus récente on

constate que la fin des années 1990 a été une période faste pour la production doctrinale

consacrée à cette notion qui, après quelques années de relative discrétion, retrouve une place de

choix dans la recherche économique et juridique à partir de 2008. À chaque fois, l’apparition

d’une crise économique et financière majeure semble porter ce regain d’intérêt doctrinal.

Ancienne, la notion de prêteur en dernier ressort apparaît à la fin du XVIIIe siècle sous la

plume de Baring (1797), sera développée par Thornton (1802) avant d’être popularisée par

Bagehot (1873)1. Le principe est assez simple : il s’agit de considérer qu’en cas de crise bancaire

une institution doit prêter librement à tous les établissements solvables qui en font la demande.

Au-delà de cette activité de prêt, le prêteur en dernier ressort joue également un rôle de

gestionnaire de crise en coordonnant les actions d’urgence menées pour sauvegarder un système.

La notion est donc apparue dans le cadre des crises financières à travers l’intervention d’un acteur

interne, la banque centrale, qui injectera des liquidités, soit sur le marché, soit au bénéfice de

destinataires définis. « L’intervention d’un prêteur en dernier ressort correspond à la suspension

1 Sur les aspects historiques de la doctrine relative à cette notion : David LAIDLER, « Two Views of the Lender of

Last Resort : Thornton and Bagehot », The Lender in Last Resort, Conference held in Paris, September 2002, 27

pages. En ligne: <http://economics.uwo.ca/faculty/laidler/workingpapers/twoviews.pdf>.

Tous les auteurs mentionnés n’utilisent pas l’expression « prêteur en dernier ressort » mais étudient la fonction.

3

de la discipline de marché, car il est disposé à prêter dans des situations où personne d’autre ne le

fera sur le marché »2 à des conditions supportables pour l’emprunteur. Dans certaines

circonstances, le défaut de liquidité des banques ne peut être totalement surmonté par la banque

centrale nationale. Ce sera spécialement le cas lorsque les agents locaux sont endettés en devises

étrangères dans des proportions qui excèdent les réserves mobilisables de la banque centrale. Se

pose alors la question d’un prêteur en dernier ressort international.

La crise financière récente invite à s’interroger à nouveau sur la possibilité de création

d’un prêteur en dernier ressort international. Les principes encadrant la notion dans le cadre

interne sont-ils adaptables à l’ordre international? La doctrine est partagée mais il est constant de

considérer « que son exercice dans le cadre international soulève d’autres défis que l’intervention

du PDR dans l’ordre domestique »3. On peut en outre se demander s’il est possible d’adapter à la

crise des dettes souveraines un mécanisme élaboré pour soulager les banques et les

établissements financiers. L’idée fait son chemin et certaines évolutions récentes vont dans le

sens d’une consécration partielle du Fonds monétaire international en tant que prêteur en dernier

ressort international 4

malgré des oppositions doctrinales toujours vives5.

2 Curzio GIANNINI, « Le FMI et la fonction de prêteur en dernier ressort », (1999) 36 Finances & Développement

24. 3 Christian DE BOISSIEU, « Introduction », dans Conseil d’analyse économique, Crise de la dette : prévention et

résolution, Paris, La Documentation française, 2003, p. 1, à la page 5. 4 Jari JOHN, Tobias KNEDLIK, « New IMF Lending Facilities and Financial Stability in Emerging Markets »,

(2011) 41 Economic Analysis & Policy 232; William R. CLINE, « The Case for a Lender-of-Last-Resort Role for the

IMF », dans Edwin M. TRUMAN (ed.), Reforming the IMF for the 21st Century, Washington D.C., Institute for

International Economics, 2006, p. 295 à 314. 5 Gregor IRWIN, Chris SALMON, « The Case Against the IMF as a Lender of Final Resort », dans Edwin M.

TRUMAN (ed.), Reforming the IMF for the 21st Century, Washington D.C., Institute for International Economics,

2006, p. 315 à 328.

4

Nous présenterons les nombreuses difficultés encadrant la reconnaissance d’un prêteur en

dernier ressort international (I) même si certaines réalisations récentes du FMI le rapprochent

sensiblement de l’exercice partiel de cette fonction (II).

I. Le prêteur en dernier ressort international : un ‘‘sauveur’’ sous contraintes

Dans l’ordre interne, l’instauration d’un prêteur en dernier ressort n’est pas exempte de

difficultés. Elles apparaissent décuplées dès lors que l’on imagine confier cette fonction à une ou

des institutions au-delà du cadre national. D’une part, le prêteur en dernier ressort intervient dans

un cadre limité (A), d’autre part, son intervention obéit à des principes strictement circonscrits

(B).

A. Un cadre d’intervention limité

Le prêteur en dernier ressort n’agit que dans des cas de crises de liquidité (1) par

l’injection rapide et potentiellement illimitée de liquidités (2).

1. L’identification de la nature et de l’ampleur de la crise

Parfois négligée dans l’analyse, le prêteur en dernier ressort a une fonction

d’identification de la nature de la crise. Il doit effectuer un diagnostic le plus précis possible afin

de justifier son intervention et de mesurer tant l’ampleur que la cible exacte de celle-ci.

5

Le prêteur en dernier ressort doit opérer la distinction entre crise de liquidité et crise de

solvabilité. Il n’a vocation à intervenir que dans le cas de survenance des premières. En théorie la

distinction est simple, la crise de liquidité correspond à la situation dans laquelle un agent

solvable n’a pas la possibilité de lever des capitaux sur le marché pour assurer le service de sa

dette déjà constituée. Ce peut être le cas lorsque pour finaliser son investissement l’emprunteur

solvable a besoin de renouveler une ligne de crédit qui mobilise plusieurs créanciers. Si un de ces

créanciers craint d’être le seul à accorder le renouvellement de la ligne de crédit, il y aura un

risque de contagion aux autres créanciers sur le fondement de ce que chacun pense que l’autre va

faire. C’est l’exemple type de la crise de confiance à laquelle l’État peut être particulièrement

sensible dans la mesure où sa dette est répartie entre de nombreux créanciers, aucun n’ayant

individuellement la capacité de consentir un prêt permettant de régler à lui seul une crise de

liquidité pour assurer le service de la dette. La nature de la crise justifie le type d’intervention.

« C’est pour gérer les situations où les pays ont à souffrir d’un manque de confiance non justifié par une

crise des fondamentaux que le PDR est utile. C’est pour gérer les situations où la dette n’est plus en

rapport avec les fondamentaux que les procédures de mise en faillite ou de réduction de dette sont

essentielles »6.

La dichotomie semble nette mais il est toujours très délicat d’opérer une telle distinction,

spécialement lorsqu’une décision d’intervention doit être prise rapidement et que l’accès à des

données statistiques fiables n’est pas pleinement assuré. La mission du prêteur en dernier ressort

suppose au minimum deux qualités : une connaissance du système et la capacité à mobiliser des

6 Daniel COHEN, Richard PORTES, « Crise souveraine : entre prévention et résolution », dans Conseil d’analyse

économique, Crise de la dette : prévention et résolution, Paris, La Documentation française, 2003, p. 7, à la page 10.

6

capitaux7. Ainsi, la crédibilité du prêteur en dernier ressort dépendra non seulement des

ressources disponibles mais également de la qualité de l’information collectée et mobilisée. Pour

exercer pleinement son rôle de gestionnaire de crise, le prêteur en dernier ressort doit avoir à sa

disposition des instruments fiables d’évaluation et de diagnostic de la situation afin de déterminer

les moyens devant être mis en œuvre pour y faire face ; c'est-à-dire rétablir la confiance du

marché. Dans les systèmes internes, la banque centrale a un accès complet à l’information. Il est

évidemment plus délicat, pour une institution étrangère ou internationale, d’avoir un accès à une

information exhaustive et fiable sur la situation d’un État indiquant être en proie à une crise de

liquidité. Cette difficulté sera renforcée lorsque la réalité de la crise a pu être niée par cet État

pour préserver artificiellement et provisoirement son accès aux marchés.

2. La nécessité d’une action rapide et potentiellement illimitée

Le prêteur en dernier ressort doit pouvoir injecter immédiatement des liquidités en

quantité potentiellement illimitée. Rapidité et ampleur de l’intervention justifient que les banques

centrales jouent dans leurs systèmes domestiques respectifs le rôle du prêteur en dernier ressort.

Elles ont seules une capacité d’accès générale à l’information concernant le marché et surtout

disposent de la capacité de création monétaire qui permet de monétiser la dette.

Ainsi, dans une conception stricte, il ne peut exister de prêteur en dernier ressort

international en l’absence d’une institution pouvant émettre de la liquidité internationale ultime.

Les interventions traditionnelles du FMI sous la forme de prêts ou les créations de liquidités par

7 Hélène KOUYATÉ, L’encadrement juridique international du secteur bancaire – Entre recherche du réalisme et

confrontation à la réalité, Thèse Paris I – Panthéon-Sorbonne, 2010, p. 167.

julien cazala
Texte surligné
Remplacer par : dispose d'informations complètes
julien cazala
Texte surligné
remplacer par : du pouvoir exclusif

7

des banques centrales étrangères (au premier chef par la FED) seraient au mieux des « formes

souples de PDRI »8.

Cette intervention ne pourra en principe se faire sans obtenir des garanties sur la

solvabilité de l’emprunteur. Le principe est que le prêteur en dernier ressort doit obtenir des

collatéraux de qualité en garantie de son prêt.

B. Des principes d’intervention circonscrits

L’existence d’un aléa moral consubstantiel de toute activité de couverture de risque (1)

entraîne la nécessaire reconnaissance d’un rôle de régulateur accolé à la fonction de prêt en

dernier ressort (2).

1. L’aléa moral

Dès lors que l’on évoque l’hypothèse d’un prêteur en dernier ressort apparaît son

corollaire, sa face obscure, l’aléa moral. On parle d’aléa moral lorsqu’en fournissant une

assurance contre un risque déterminé, sont encouragés des comportements qui augmentent la

probabilité de réalisation de ce risque9.

8 Michel AGLIETTA, Caroline DENISE, « Les dilemmes du prêteur en dernier ressort international », (1999) 14

Revue française d’économie 46; Michel AGLIETTA, « Réflexions sur la gouvernance internationale », dans Régis

CHEMAIN (dir.), La refondation du système monétaire et financier international – Évolutions réglementaires et

institutionnelles, Paris, Pedone, 2011, p. 343, à la page 346. 9 Michel AGLIETTA, Caroline DENISE, Le prêteur en dernier ressort international, Journées internationales

d’économie monétaire et bancaire, Poitiers, 1999, p. 7.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : prêteur

8

Deux éléments permettent de limiter, mais pas de faire disparaître cet aléa moral. Le

prêteur en dernier ressort doit encadrer son intervention d’une certaine ambiguïté et ne doit prêter

qu’à un taux pénalisant afin de ne pas inciter l’emprunteur à se reposer sur lui plutôt que de

chercher à maintenir ou reconquérir la confiance des marchés. On comprend les avantages de

l’ambiguïté constructive, mais celle-ci ne peut être trop étendue. Ainsi :

« [l]orsque l’intervention du prêteur en dernier ressort est vraiment incertaine, son ambiguïté n’est pas

constructive, étant donné qu’elle a pour effet d’aggraver la panique des agents financiers et peut aboutir à

une crise auto réalisatrice »10

.

Il convient donc de trouver un équilibre subtil entre transparence des conditions de son

intervention et responsabilisation par crainte de son abstention. « Ne pas afficher a priori son

comportement, mais en même temps ne pas trop jouer des effets de surprise et ne pas multiplier

les attitudes volatiles : tels devraient être les principes de base du PDR international »11

.

Dans la présentation traditionnelle du prêteur en dernier ressort, son intervention ne peut

se faire qu’à un taux de pénalité. L’imposition de ce taux vise un double objectif. Il s’agit, d’une

part, d’inciter les banques à limiter au strict minimum leur demande de monnaie centrale et à les

inciter à rembourser leurs emprunts dans les meilleurs délais. L’intervention du prêteur en dernier

ressort doit ainsi revêtir un caractère exceptionnel. Malgré l’affirmation constante de sa

dimension classique, on relève que cette condition est rarement remplie, tant la pratique abonde

10

H. KOUYATÉ, préc., note 7, p. 180. 11

Michel AGLIETTA, Christian DE BOISSIEU, « Le prêteur en dernier ressort international », dans Conseil

d’analyse économique, Architecture financière internationale, Paris, La Documentation française, 1999, p. 97, à la

page 116.

9

d’interventions à des taux inférieurs ou équivalents à ceux du marché12

. Ce sera spécialement le

cas lorsqu’on se confronte à une entité à laquelle on reconnaît le bénéfice du principe too big to

fail qui renforce considérablement le risque d’aléa moral dans la mesure où le prêteur en dernier

ressort national pourra être tenté de sauver un établissement dont la solvabilité est douteuse,

accordant ainsi à celui-ci un statut fortement privilégié.

2. La nécessité d’un régulateur disposant d’un pouvoir de qualification et de sanction

On a vu que l’aléa moral reflète le fait que l’existence d’un filet de sécurité pourrait être

contre-productive dans la mesure où elle inciterait l’emprunteur à prendre trop de risques. Dans le

cas des banques, ce risque est encadré par le développement de contraintes (ratio de liquidités,

ratio de fonds propres, ratio de ressources stables, etc.) et par l’existence d’un ou de plusieurs

régulateurs (national, Comité de Bâle, autorité bancaire européenne, notamment). Envisager la

même approche dans le cadre de l’instauration d’un prêteur en dernier ressort international pour

aider les États solvables à faire face à une crise de liquidités impliquerait une réforme profonde

du système international. Nous savons toutes les difficultés qu’entraînent les contrôles par un

organe extérieur à l’État de son endettement public, de sa dépense publique, de ses déficits

publics et plus largement de sa discipline budgétaire. Ce n’est pourtant qu’à cette condition que

l’on peut imaginer un prêteur en dernier ressort international. À défaut le « problème lancinant de

l’aléa moral »13

parasitera tout projet d’instauration d’un tel système. Dans le cadre européen, la

nature de ce ‘‘régulateur’’ a donné lieu à d’âpres débats entre les partisans d’une autorité

12

H. KOUYATÉ, préc., note 7, p. 181. 13

M. AGLIETTA, C. DENISE, préc., note 8, 58.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : des risques inconsidérés

10

politique (France) et d’une autorité technique indépendante (Allemagne)14

. Il apparaît ainsi que

l’existence d’un tel régulateur, indispensable à la crédibilité du prêteur en dernier ressort

international, est très largement hors d’atteinte dans un cadre à vocation universelle.

Ce régulateur doit pouvoir poser des règles préventives ou curatives, de bonnes pratiques

que l’emprunteur potentiel devra respecter. Il convient également que le prêteur puisse obtenir un

remboursement rapide des liquidités libérées. Cette exigence est particulièrement nécessaire dans

le cas d’un prêteur en dernier ressort international dans la mesure où celui-ci, on le verra, plus

que le prêteur en dernier ressort national, est soumis à une limitation des liquidités qu’il peut

injecter sur le marché15

. Ainsi, pour éviter que l’exercice de la fonction de prêteur en dernier

ressort soit paralysé par des ressources engagées par ailleurs, une incitation forte à un

remboursement rapide (mais pas prématuré, au risque de réactiver rapidement la crise de

confiance) doit être mise en place.

Dans la théorie traditionnelle du prêteur en dernier ressort, l’établissement non solvable

ne bénéficie pas de l’octroi de liquidités. Il sera en principe liquidé. Ce risque de sanction permet

d’encourager l’établissement à une gestion raisonnable et à ne pas s’exposer à des risques

inconsidérés en pensant qu’un prêteur en dernier ressort interviendra toujours pour

l’accompagner vers un retour sur le marché. Or, nous avons vu que dans le contexte de la crise

des dettes souveraines, il n’existe pas de mécanisme comparable à celui de la faillite16

. Dès lors,

le poids de l’aléa moral est décuplé dans la mesure où l’institution qui jouerait le rôle de prêteur

14

Sur la question de la dette souveraine dans le cadre régional européen voy. la contribution d’Olivier DELAS au

présent ouvrage. 15

W. R. CLINE, préc., note 4, 297. 16

Voir la contribution de Werner HOEFFNER au présent ouvrage.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : accompagner son
julien cazala
Note
Marked définie par julien cazala
julien cazala
Note
Marked définie par julien cazala

11

en dernier ressort n’est pas en mesure de faire supporter des pertes aux agents non solvables17

. Si

la situation de crise est évidemment pénalisante pour les gouvernants, l’absence de couperet

comparable à celui pouvant sanctionner les gestionnaires et actionnaires d’une banque ou d’une

entreprise n’incite pas à la prudence. Au contraire, certains considèrent que la responsabilité des

gouvernants devant les gouvernés peut les inciter à faire des choix risqués et donc exacerber la

crise18

. Or, pour une part importante de la doctrine, « [t]ant que l’aléa moral […] n’est pas traité

de manière précise, il sera difficile de prôner la création d’un prêteur en dernier ressort

international »19

. Il apparaît dès lors impossible de dissocier l’instauration d’un mécanisme de

faillite de la reconnaissance institutionnelle d’un prêteur en dernier ressort international. Les

débats initiés au début des années 2000 par Anne Krueger au sein du FMI à propos du

mécanisme de restructuration de la dette souveraine marquent bien ce lien entre prêteur en

dernier ressort et mécanisme de faillite20

. Le fait que ce projet n’ait pas été entériné est

évidemment un frein à la consécration d’un prêteur en dernier ressort international dans la mesure

où il prive partiellement d’effets la distinction entre crise de solvabilité et crise de liquidité.

Toutes ces contraintes ne sont néanmoins pas indépassables dans l’ordre juridique

international. Nous verrons qu’au moins une institution, le FMI, est très proche de satisfaire les

critères d’identification d’un prêteur en dernier ressort international ; au moins pour une part de

son action à l’égard d’un nombre restreint de ses membres.

17

C. GIANNINI, préc., note 2, 25. 18

G. IRWIN, C. SALMON, préc., note 5, 322. 19

Charles WYPLOSZ, « Un prêteur en dernier ressort mondial? », dans Conseil d’analyse économique, Crise de la

dette : prévention et résolution, Paris, La Documentation française, 2003, p. 83, à la page 88. 20

Anne KRUEGER, « International Financial Architecture for 2002: A New Approach to Sovereign Debt

Restructuring », Speech in Washington, 26 November 2001, en ligne : <http://www.imf.org>; William R. CLINE,

« Le rôle du secteur privé dans la résolution des crises financières : où en sommes-nous? », (2003) 73 Revue

d’économie financière 129, 145.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : on estime parfois

12

II. La consécration partielle du rôle de prêteur en dernier ressort international du FMI

Si les débats entourant le prêteur en dernier ressort international sont toujours vifs, il

apparaît un certain consensus pour reconnaître qu’en matière de crise de la dette souveraine,

l’opération de prêt en dernier ressort ne peut ignorer le FMI21

. Pour beaucoup, il apparaît être le

candidat naturel à l’exercice de cette fonction22

. Soit on considère qu’il peut agir seul pour

exercer les deux missions de gestionnaire et de prêteur, soit qu’il exerce uniquement ou

principalement un rôle de coordinateur d’une réponse multilatérale à la crise23

. Divers projets

exposés à la fin des années 1990 étaient particulièrement développés sur ce point. C’est

spécialement le cas des projets Meltzer24

et Fischer25

, qui, bien que parfois qualifiés d’impasses26

,

ont jeté les bases d’une réforme possible de l’intervention du FMI dans le contexte de la crise des

dettes souveraines.

On peut suivre une présentation essentiellement chronologique en identifiant

l’inadéquation – partielle – des Statuts du FMI à l’exercice de la fonction de prêteur en dernier

ressort international (A) puis l’échec d’une première tentative en 1999 (B) avant d’exposer les

évolutions récentes qui consacrent partiellement l’exercice de cette fonction par le FMI (C).

21

H. KOUYATÉ, préc., note 7, p. 176. Jean-Marc THOUVENIN, « La dette internationale. Entre gestion, crises et

contestation », dans Patrick DAILLIER, Géraud DE LA PRADELLE, Habib GHÉRARI (dir.), Droit de l’économie

internationale, Paris, Pedone, 2004, p. 301, à la page 306 ; Dominique CARREAU, Patrick JUILLARD, Droit

international économique, 5ème

éd., Paris, Dalloz, 2013, p. 689. On doit cependant mentionner les réserves du

ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble qui, dans une interview donnée au Frankfurter Allgemeine

Sonntagszeitung (16 juin 2013), ambitionne de voir l’Union européenne régler les crises de la dette souveraine en

Europe sans intervention du FMI. 22

Stanley FISCHER, « On the Need for an International Lender in Last Resort », (1999) 13 Journal of Economic

Perspective 85, 104 ; H. KOUYATÉ, préc., note 7, p. 183. 23

C’est la position défendue par Michel AGLIETTA, « Architecture financière internationale : Au-delà des

institutions de Bretton Woods », (2004) 97 Économie internationale 69. 24

IFIAC, Report of the International Financial Institution Advisory Commission, Washington DC, 2000. 25

S. FISCHER, préc., note 22, 85 à 104. 26

M. AGLIETTA, préc., note 23, 68.

13

A. L’inadéquation partielle des Statuts du FMI

Le texte de l’article VI (relatif aux transferts de capitaux) des Statuts du FMI montre bien

que les négociateurs de celui-ci ont souhaité éviter de lui confier le rôle de prêteur en dernier

ressort27

. Le mandat du FMI est de promouvoir la stabilité des changes et de corriger les

déséquilibres de balance des paiements. Il se traduit par une action de nature structurelle qui

s’exprima à titre principal par le développement progressif de la conditionnalité ex-post.

L’absence de référence à la qualité de prêteur en dernier ressort dans les Statuts du FMI

n’est pas un obstacle insurmontable à l’exercice de cette fonction. On peut notamment rappeler

que la très grande majorité des statuts des banques centrales jouant ce rôle dans les systèmes

internes reste silencieuse sur ce point. Le rôle de prêteur en dernier ressort de celles-ci apparaît

sous-entendu par la reconnaissance d’autres fonctions comme le maintien de la stabilité

financière et l’endiguement du risque systémique. Toutes choses n’étant pas égales par ailleurs,

nous pouvons néanmoins mentionner qu’un lien existe entre la crise de la dette et la balance des

paiements sur laquelle l’article IV de ses Statuts donne à l’organisation un pouvoir de

surveillance. Grâce à cette disposition, le FMI a une réelle capacité de diagnostic des crises et

remplit ainsi l’une des qualités essentielles du prêteur en dernier ressort : l’évaluation de la crise à

partir de données statistiques les plus fiables disponibles. On sait malheureusement que l’analyse

faite de ces données est parfois défaillante28

.

27

Sur la question : C. GIANNINI, préc., note 2, 25. 28

Voir : « Aide à la Grèce : Le FMI reconnait des échecs ‘‘notables’’ », Le monde, 6 juin 2013 et les contributions

de Daniel FLOREA et Mathias GOLDMAN au présent ouvrage.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : confier à l'institution

14

Au-delà, quelques auteurs estiment que le FMI a joué au cours des années 1990 et au

début des années 2000 le rôle de prêteur en dernier ressort international dans le cadre de crises de

la dette souveraine avec des résultats contrastés, notamment au bénéfice du Brésil, de la Russie,

de la Turquie, de la Corée ou de la Thaïlande29

. Cela donnerait raison à ceux qui considèrent que

l’article I des Statuts du FMI lui confère le droit d’exercer la fonction de prêteur en dernier

ressort30

. Pour mémoire, celui-ci dispose de manière très ouverte que l’un des buts du FMI est

de :

« [d]onner confiance aux États membres en mettant les ressources générales du Fonds temporairement à

leur disposition moyennant des garanties adéquates, leur fournissant ainsi la possibilité de corriger les

déséquilibres de leurs balances des paiements sans recourir à des mesures préjudiciables à la prospérité

nationale ou internationale ».

Malgré ce constat, plusieurs éléments militent fortement contre l’exercice par le FMI de la

fonction de prêteur en dernier ressort international. Ses Statuts le destineraient plus à des

financements à long terme qu’à la fourniture d’urgence de liquidités31

. En outre, de manière très

claire, les Statuts du FMI posent le principe selon lequel « [a]ucun État membre ne peut faire

usage des ressources générales du FMI pour faire face à des sorties de capitaux importantes ou

prolongées » (article IV, section 1, a). Quand bien même cet obstacle serait surmonté, le FMI ne

dispose pas des ressources lui permettant de jouer pleinement le rôle de prêteur en dernier ressort

dans son acception la plus classique. En effet, à la différence d’une banque centrale qui intervient

en prêtant de la monnaie qu’elle produit, le FMI ne peut qu’engager les fonds dont il dispose.

29

W. R. CLINE, préc., note 4, 300. 30

Curzio GIANNINI, « Towards a bankruptcy procedure and greater restraint in IMF lending. An interim

assessment », (2003) 56 Banca Nazionale del Lavoro Quarterly Review 3. 31

Michel AGLIETTA, « Le prêteur en dernier ressort et la réforme du FMI », dans Conseil d’analyse économique,

Crise de la dette : prévention et résolution, Paris, La Documentation française, 2003, p. 67, à la page 77.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : fourniture en urgence
julien cazala
Texte surligné
Ajouter : Alexander KERN, « International Economic Law and the Lender of Last Resort », dans Liber Amicorum Guido Alpa – Private Law Beyond the National System, London, British Insitute of International and Comparative Law, 2007, p. 24, à la page 46.

15

« L’existence d’une limite, […], renforce le caractère forcément fini des prêts ainsi consentis. […] Même

si en pratique, [la banque centrale] ne prête pas des montants infinis, le fait qu’elle puisse mettre en place

les moyens qui lui paraissent nécessaires constitue une différence primordiale »32

.

Un des aspects essentiels du prêteur en dernier ressort national est totalement absent de la

pratique du FMI : la garantie des prêts par des collatéraux. Cette difficulté est surmontée par

Stanley Fischer, qui considère que le statut de créancier privilégié constamment reconnu au FMI

se substitue à l’exigence de collatéraux33

et lui assure la sécurité du remboursement. Si le

principe est pleinement respecté, le FMI aura un droit au remboursement en priorité sur les

créanciers possédant les meilleures garanties. On peut, dans ce contexte, considérer que le FMI

peut exercer la fonction de prêteur en dernier ressort sans avoir à exiger la garantie du prêt par

des collatéraux de qualité. Il apparaît néanmoins évident que le débiteur pourrait refuser de

donner pleinement effet au statut de créancier privilégié du FMI.

Envisager de consacrer le FMI en tant que prêteur en dernier ressort international

nécessite plus un changement d’optique qu’une révision des Statuts. Il s’agit notamment de faire

en sorte que le FMI ne soit plus seulement un acteur de réaction aux crises mais un acteur en

amont, dans un rôle de prévention et de diagnostic des crises. Plusieurs réalisations depuis la fin

des années 1990 révèlent cette volonté de changement.

B. L’échec de 1999 : La ligne de crédit contingente

32

C. WYPLOSZ, préc., note 19, p. 86. 33

Voir sur ce point : G. IRWIN, C. SALMON, préc., note 5, 317.

16

Les propositions de la Commission Meltzer et de Stanley Fischer visaient à faire du FMI

le prêteur en dernier ressort international. Bien que ces deux propositions soient dissemblables, la

priorité à la limitation de l’aléa moral est commune34

. Pour ce faire, il conviendrait de s’assurer

que les candidats à une intervention immédiate du prêteur en dernier ressort soient bien des

emprunteurs solvables confrontés à une ‘‘simple’’ crise de liquidité. Il s’agirait de préqualifier en

fonction du respect de critères prudentiels, les États membres éligibles à un prêt du FMI agissant

en qualité de prêteur en dernier ressort. Ce système de préqualification vise également à réduire

les difficultés d’identification de la nature de la crise (liquidité / solvabilité). Cette proposition a

été reprise par le FMI avec l’adoption en 1999 de la Ligne de crédit contingente (Contingent

Credit Line) : parce qu’annoncée comme le « saint Graal »35

, l’échec fut total. Cette ligne ne fut

jamais sollicitée par un État membre, faisant douter de la capacité de l’organisation à se fondre de

manière crédible dans le moule du prêteur en dernier ressort international.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette désaffection des États membres du FMI. Il peut

notamment être mentionné le risque de stigmatisation associé à un recours à la ligne de crédit

contingente36

. Les LCC ont disparu mais on peut rapidement se demander si le mécanisme faisait

du FMI un prêteur en dernier ressort international. Le système devait bien permettre de se

substituer au marché lorsque celui-ci n’accepte plus de refinancer une dette sans hausse des taux

d’intérêt insupportable pour l’emprunteur, mais le volume des liquidités associées à cet

instrument était relativement faible (entre 300 % et 500 % des quotes-parts). Du point de vue de

34

Certains estiment que le problème de l’aléa moral dans l’action du FMI a été largement surestimé : W. R. CLINE,

préc., note 4, 303. 35

Michaël MUSSA, « Reflections on the Function and Facilities for IMF Lending », dans Edwin M. Truman (ed.),

Reforming the IMF for the 21st Century, Washington D.C., Institute for International Economics, 2006, p. 413, à la

page 441. De manière enthousiaste mais nettement plus mesurée : M. AGLIETTA, préc., note 8, p. 346. 36

J. JOHN, T. KNEDLIK, préc., note 4, 227 et 233 (donnant l’exemple du Mexique qui aurait refusé de négocier un

accord dans le cadre des CCL de peur d’une réaction hostile du marché suite à la crise brésilienne de 1998).

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : priorité accordée à
julien cazala
Texte surligné
ajouter une virgule (,) après préqualifier
julien cazala
Texte surligné
remplacer par : pour cet instrument élaboré par

17

la capacité à accorder des liquidités potentiellement illimitées, on restait donc très loin des

caractéristiques du prêteur en dernier ressort. En revanche, les garanties de remboursement

étaient élevées et le coût du crédit suffisamment haut pour que l’on puisse considérer que le

risque d’aléa moral était pour l’essentiel écarté37

.

Conscient des ressources limitées du FMI, Stanley Fischer suggérait que celui-ci puisse

créer ex nihilo des droits de tirage spéciaux pour les swapper (échanger) auprès des banques

centrales contre des liquidités. Cela reviendrait à « faire du FMI un embryon de banque centrale

mondiale »38

nécessitant une réforme des Statuts sur laquelle un accord apparaît hors de portée39

.

Cette proposition n’est pas totalement iconoclaste40

. Il fut envisagé, à la fin de l’année 1998, alors

que le FMI manquait de ressources pour aider le Brésil à faire face à la crise de lui ouvrir cette

possibilité41

. Sachant que la réalisation de cette proposition était difficilement accessible, Fischer

préconisait également de mettre en avant la capacité du FMI à assumer la fonction de prêteur en

dernier ressort, non pas dans sa dimension de prêteur mais plutôt dans son rôle de gestionnaire de

la crise (la fonction de prêteur étant laissée aux banques centrales étrangères). Même les auteurs

qui nient la possibilité pour le FMI d’être un prêteur en dernier ressort au sens classique lui

reconnaissent la possibilité d’être le « coordinateur en chef dans la gestion des crises

37

M. MUSSA, préc., note 35, p. 427. 38

M. AGLIETTA, préc., note 23, 69. 39

D. COHEN, R. PORTES, préc., note 6, 10. 40

On sait que ce projet était porté par John M. KEYNES lors des débats entourant la création du FMI et que

l’économiste anglais visait à faire exercer par cette banque centrale mondiale la fonction de prêteur en dernier ressort

international. Une présentation très claire des DTS dans Dominique CARREAU, Le Fonds monétaire international,

Paris, Pedone, 2009, p. 155 à 174. 41

Le Congrès américain ayant accepté de ratifier le projet d’augmentation des quotes-parts du FMI, le projet de

création de DTS ex nihilo ne fut pas possé plus avant.

18

financières » et le considèrent le mieux placé pour assurer ces fonctions de coordination42

. C’est

donc bien dans la fonction de prêteur que le défaut serait principalement constaté.

C. La réalisation partielle de 2008 : la ligne de crédit modulable

Suite à l’échec de la ligne de crédit contingente dont le mécanisme visait à rapprocher le

FMI de l’exercice de la fonction de prêteur en dernier ressort, il fut décidé d’aller au-delà avec la

création d’un nouvel instrument, la ligne de crédit modulable (Flexible Credit Line) qui, plus que

tout autre, semble, au moins pour les quelques pays éligibles, faire du FMI un prêteur en dernier

ressort international.

Les aspects essentiels de la ligne de crédit modulable peuvent être rapidement présentés.

Il s’agit tout d’abord d’un système qui vise à inciter les États à faire appel au FMI avant d’être au

cœur de la crise. Comme sa devancière (la LCC), elle s’adresse à des États pré-qualifiés grâce à

des fondamentaux sains. La conditionnalité ex-post, figure traditionnelle de l’intervention du

FMI, est ainsi remplacée par une conditionnalité ex-ante. Plusieurs éléments sont pris en compte

dans le processus de pré-qualification : la viabilité de sa situation extérieure, un compte de capital

dominé par des flux de capitaux privés, un accès aux marchés de capitaux à des conditions

favorables, une situation relativement confortable des réserves au moment de la demande, la

santé des finances publiques et notamment la viabilité de la dette publique, l’inflation maintenue

faible et stable grâce à une saine politique monétaire et de change, l’intégrité et la transparence

des données statistiques, le contrôle efficace du secteur financier, etc. Ces critères sont les mêmes

42

M. AGLIETTA, préc., note 31, 78 et 79.

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : bien dans l'exercice de

19

que pour la LCC et l’on n’exige pas de ces pays qu’ils soient irréprochables, mais il est attendu

qu’ils se conforment à des standards internationaux.

Ce système de pré-qualification permet de réduire considérablement l’aléa moral mais

aussi d’éviter que les pays soient stigmatisés par leur demande d’aide au FMI. En outre, dans la

mesure où les négociations entre le FMI et le candidat se déroulent sans publicité, un État qui

échouerait dans la tentative de qualification ne s’exposerait pas à une crise de confiance

autoréalisatrice. En cas de qualification, le système prévoit un réexamen de la situation du

Membre par le FMI à l’issue de la première année. Cela permet d’éviter que l’État perçoive son

nouveau statut comme un blanc-seing susceptible de l’entraîner vers des prises de risques

inconsidérés sur le marché international des capitaux.

Ces pays sont assurés d’avoir un accès potentiellement non plafonné aux ressources du

FMI sans conditionnalité ex-post. L’existence d’une limite d’accès aux ressources, qui était l’un à

des obstacles à la reconnaissance du FMI en tant que prêteur en dernier ressort international est

ainsi levé. La ligne de crédit modulable fonctionne comme une ligne de crédit renouvelable.

Lorsque l’État décide de tirer sur cette ligne, le remboursement doit être effectué sur une période

de 3,25 à 5 ans.

Deux autres obstacles sont levés : une fois qualifié, l’État peut bénéficier d’une délivrance

rapide de liquidités sans risque de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du prêteur. L’action

traditionnelle de prêt exercée par le FMI ne satisfaisait pas l’exigence de rapidité de l’opération

attachée au prêt en dernier ressort. L’attribution de droits de tirages spéciaux était soumise à

l’accord des membres et à une définition des conditions de l’attribution. Cela empêchait toute

julien cazala
Texte surligné
remplacer par : Ligne de crédit contingente
julien cazala
Texte surligné
remplacer par : internationaux élevés

20

possibilité d’une intervention d’urgence conforme à ce qui est attendu d’un prêteur en dernier

ressort souhaitant rétablir la confiance du marché43

. Le système de préqualification permet de

surmonter cette difficulté dans la mesure où après cette phase, l’État qualifié peut dans une

période de deux ans, tirer sur la ligne de crédit de manière quasi-instantanée.

On a vu que le prêteur en dernier ressort devait prêter à un taux de pénalité. Le système

mis en place par le FMI ne va pas au bout de cette logique (il ne diffère pas en cela de la pratique

des prêteurs en dernier ressort nationaux). Il convient en effet de trouver un point d’équilibre

entre deux fonctions : le taux d’intérêt doit fonctionner comme un taux de pénalité pour ne pas

encourager le recours abusif aux ressources du FMI, mais il ne doit pas non plus décourager les

débiteurs potentiels de se rapprocher de celui-ci44

.

Trois États ont rapidement demandé à être éligibles à cette nouvelle ligne de crédit. Le

Mexique en avril 2009, la Pologne et la Colombie en mai 2009. Le Mexique avait un accès dans

la limite de 1000 % de sa quote-part (soit 32 milliards de DTS), la Pologne 1000 % de sa quote-

part (soit 14 milliards de DTS)45

et la Colombie 900 % de sa quote-part (soit 7 milliards de DTS).

À part des niveaux d’accès différents, les conditions étaient exactement les mêmes pour les trois

États. La maturité du prêt est de 3,25 à 5 ans, le taux d’intérêt est celui des DTS plus une

surcharge de 200 points de base pour les prêts dont l’encours dépasse les 300 % et si l’encours

reste à ce niveau pendant plus de 3 ans, la surcharge passe à 300 points. À cela, s’ajoute la

traditionnelle commission de tirage de 50 points applicable à tous les décaissements du FMI.

43

Christian PFISTER, Gérard KREMER, « Quelles alternatives à un prêteur international en dernier ressort? »,

(2001) 52 Revue économique 433. 44

J. JOHN, T. KNEDLIK, préc., note 4, 230. 45

La ligne de crédit a été prolongée en 2011 pour deux ans et augmentée à 21 milliards de DTS (30 milliards de

dollars).

21

Du fait de la réaction positive des marchés, aucun des trois États n’a tiré sur sa ligne de

crédit. Cela rappelle que le prêteur en dernier ressort doit pouvoir intervenir assez tôt et assez vite

pour avoir un effet incitatif. Le FMI peut ainsi jouer un rôle « d’agent catalyseur de la

crédibilité »46

. S’il apporte une garantie crédible, le prêteur en dernier ressort n’aura pas à exercer

sa mission dans la mesure où les prêteurs publics ou privés pourront assumer cette fonction47

.

L’étude menée par Jari John et Tobias Knedlik montre que les trois États qualifiés en 2009 n’ont

pas subi de défiance de la part des marchés et que très peu d’effets négatifs semblent attachés au

recours à la ligne modulable de crédit48

.

La procédure de préqualification propre à la nouvelle ligne de crédit du FMI ne sera

crédible qu’à la condition que les pays non-qualifiés ne bénéficient pas du même soutien de la

part du FMI; or, il apparaît difficile à l’ensemble des États membres de prendre un tel

engagement49

. On concevrait mal que « la communauté internationale refuse de soutenir un pays

non-qualifié, en particulier, mais pas exclusivement, s’il existe un risque de contagion »50

. Mais

les formes de soutien peuvent être différentes, laissant notamment une place à la conditionnalité

ex-post. C’est ainsi que les États qui ne sont pas éligibles à la ligne modulable de crédit peuvent

faire appel à la ligne de précaution et de liquidité du FMI qui conserve une part de conditionnalité

ex post et dont le montant maximal du financement est de 250 % de la quote-part du bénéficiaire

pour une intervention de six mois, 500 % pour la première année et 1000 % en cumulé la

seconde.

46

C. GIANNINI, préc., note 2, p. 27. H. KOUYATÉ, préc., note 7, p. 184. 47

D. CARREAU, P. JUILLARD, préc., note 21, p. 686. 48

J. JOHN, T. KNEDLIK, préc., note 4, 233. 49

Sylviane GUILLAUMONT-JEANNENEY, « Commentaire », dans Conseil d’analyse économique, Crise de la

dette : prévention et résolution, Paris, La Documentation française, 2003, p. 59, à la page 60. 50

C. WYPLOSZ, préc., note 19, p. 88.

22

***

Le FMI se rapproche ainsi de l’exercice de la fonction de prêteur en dernier ressort, mais

il n’accepte de le faire qu’à l’égard d’un nombre très limité de ses membres de sorte que le

vocabulaire utilisé par les officiels du FMI marque la difficulté à franchir pleinement le pas.

Parmi divers exemples, nous pouvons mentionner le fait que Michaël Mussa, ancien économiste

en chef du FMI, qualifiait celui-ci en 2006 de prêteur en ressort final. Selon lui, la différence

entre les deux notions résulte du fait que le prêteur en ressort final prête des ressources limitées à

un taux d’intérêt raisonnable mais en faisant supporter des conditions et des contraintes

importantes à l’emprunteur51

. Les nouveaux systèmes de crédit mis en place par le FMI

permettent de repousser un peu cette difficulté, de sorte que l’on pourrait avancer que le FMI

exerce la fonction de prêteur en dernier ressort international sans avoir pleinement les qualités du

modèle classique. Dès lors, si le FMI ne peut s’adapter absolument au standard du prêteur en

dernier ressort, c’est la définition de ce dernier qui pourra être adaptée aux caractéristiques et

évolutions de l’ordre juridique international dans lequel on se propose de le voir se développer52

.

51

M. MUSSA, préc., note 35, p. 415, note de bas de page n° 3. 52

C. GIANNINI, préc., note 30, p. 4.