Bosnian War, Russian Perception

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- 1 - Université Paris-IV Sorbonne Mémoire de recherche Master 2 UFR d’Histoire Session de Septembre 2012 Perception Russe de Figure 1 : photo prise le 15 octobre 1991, à gauche Slobodan Milosevic et à droite Boris Eltsine Author : CBS News Staff Credit : AP Photo/Alexander Zemlianichenko Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

Transcript of Bosnian War, Russian Perception

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Université Paris-IV Sorbonne

Mémoire de recherche Master 2

UFR d’Histoire

Session de Septembre 2012

Perception Russe de

Figure 1 : photo prise le 15 octobre 1991, à gauche Slobodan Milosevic et à droiteBoris Eltsine

Author : CBS News StaffCredit : AP Photo/Alexander Zemlianichenko

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 2 -

La Guerre De Bosnie

Aspects Militaires, Diplomatiques et leRôle de l’Opinion Publique

Université Paris-IV Sorbonne

Mémoire de master 2

UFR d’Histoire

Session de Septembre 2012

Perception Russe de

la Guerre De Bosnie

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Aspects Militaires, Diplomatiques et

le Rôle de l’Opinion Publique

Clément Scherer – Juin 2012Sous la direction de M. Olivier Forcade

Clément Scherer 2 Bis rue Winston Churchill 91300 Massy [email protected]

Remerciements

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Je tiens à remercier tout d’abord mon directeur de recherche, Monsieur Olivier Forcade, pour le soutien apporté à ma rechercheEn second lieu, mes pensées vont à mes professeurs derusse de l’INALCO pour leur gentillesse et pour leur aide.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Entre déterminisme civilisationnel et anarchiecaractérielle, quelle politique russe enBosnie ?

1. Introduction……………………………………………………………………………5

Première Partie : La recomposition de l’appareil

diplomatique russe, quelle politique et quels

acteurs ?...................................................

............................................................

......10

I. Evolution des intérêts russes dans les Balkans, une

histoire de « civilisation » ?...........10

II. La recomposition de l’appareil diplomatique russe après

la guerre froide……………22

Deuxième Partie : La presse et l’opinion publique, une

perception déformée ?..............37

I. La formation d’une opinion publique russe, entre

désintérêt et crispations…………....37

II. De « l’homme de la rue », à Vladimir Jirinovski

jusqu’aux mercenaires……………..51

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Troisième Partie : Les relations russo-américaines pendant

la guerre de Bosnie, l’association sans

l’intégration…………………………………………………………...60

I. La Russie conciliante…………………………………………………………………..60

II. La collaboration militaire américano-

russe…………………………………………...74

1. Conclusion……………………………………………………………………………84

Liste des abréviations

CEE : Communauté économique européenne.

CEI : Communauté des Etats Indépendants.

CFE : Traité sur les forces conventionnelles en Europe.

CSCE : Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe.

FORPRONU : Force de Protection des Nations Unies.

IFOR : Implementation Force.

JNA : Armée populaire yougoslave.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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KPRF : Parti communiste de la Fédération de Russie.

LDPR : Parti libéral démocrate de Russie.

ONU : Organisation des Nations Unies.

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord.

PRES : Parti de l’unité et de l’accord russe.

RFY : République fédérale de Yougoslavie.

RSK : Armée de la Krajina.

SFOR : Stabilization Force.

URSS : Union des Républiques soviétiques socialistes.

VSR : Armée de la République Sprska.

Introduction

1.1 Etat du débat historiographique.

L’histoire des relations entre la Russie et les Balkans

est l’histoire asymétrique de la Russie Impériale, dont les

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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désirs d’expansion vers la mer Egée au XIXe siècle se heurtent

à « l’homme malade de l’Europe », l’Empire Ottoman, ainsi

nommé par le prince Alexandre Gorchakov, chancelier du tsar

Alexandre II et les pays qui composent les Balkans. Si cette

étude n’a pas pour vocation de dresser l’histoire complète des

relations entre la Russie et les Etats balkaniques, certains

événements méritent d’être rappelés, non que leur évocation

soit une explication intangible des relations internationales

à la fin du XXe siècle mais plutôt, à l’inverse, pour se

prémunir d’interprétations abusives de l’Histoire qui

conduisirent certains théoriciens, à défaut d’être historiens,

à exacerber les liens d’amitié entre la Serbie et la Russie, à

exagérer la solidarité orthodoxe, lui faisant porter le lourd

fardeau de « Choc des civilisations ». Le plus célèbre d’entre

eux est Samuel Huntington. La Bosnie en est pour lui le cas

exemplaire. Pour Samuel Huntington, la fin de la guerre froide

n’annonce pas à l’inverse de Fukuyama, « une fin de

l’Histoire1 » mais l’avènement des guerres de civilisations2.

Ainsi il écrit que « la rivalité entre grandes puissances est remplacée par le

choc des civilisations 3» et « les conflits culturels les plus dangereux sont ceux qui

ont lieu aux lignes de partage des civilisations 4». La Bosnie, de fait selon

Huntington, se dresse comme la ligne de partage entre mondes

orthodoxe, chrétien et musulman. Son embrasement, inéluctable,

est bien la preuve qu’il existe des civilisations. Pour que le

paradigme soit entièrement clos et indéfectible, il faut que

1 Francis Fukuyama, La fin de l’Histoire et le dernier Homme, Flammarion, 14 septembre1993, 448p.2 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1996, 545p. 3 Ibid, 23. 4 Ibid, 23.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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s’exerce une solidarité entre Etats de même religion, de même

culture, bref que les Etats partageant une même civilisation

ne se désolidarisent pas de ce concept premier de civilisation.

L’étude de la perception russe du conflit bosnien devient un

élément clé pour contredire la théorie d’Huntington qui

affirme que « la violence entre les Etats et les groupes appartenant à différentes

civilisations comporte un risque d’escalade si d’autres Etats ou groupes appartenant

à ces civilisations se mettent à soutenir leurs « frères » 1», non pas que cette

affirmation soit fausse en théorie, mais les faits et la

pratique de la diplomatie russe démentent l’idée de « frères

slaves ». En créant une métaphysique des relations

internationales, Huntington souhaite, de la même manière

qu’Aristote, prouver par l’évidence que les civilisations sont

l’horizon indépassable des relations entre Etats, comme l’est

la « nature humaine » pour Aristote. Pourtant, la position

russe sur le conflit bosnien semble obéir à une logique

principale, qui n’est pas celle de la solidarité, mais celle

de la confrontation avec l’OTAN, une organisation qui n’est

donc pas une civilisation. La logique civilisationnelle, en

plus de faire croire à un continuum historique et culturel,

paraît inapplicable en pratique en relations internationales,

trop exigeante, trop contraignante, elle ne répond pas

toujours aux intérêts égoïstes des Etats. Huntington n’hésite

d’ailleurs pas à détourner les raisons de la guerre de Bosnie

pour conférer une teinte civilisationnelle aux actes des

Etats. La Serbie et la Croatie, appartenant selon Huntington à

deux civilisations différentes, se sont cependant rejointes

pour envahir la Bosnie, « la Serbie, voulant s’affirmer comme le défenseur1 Ibid, 23.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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de la chrétienté contre les Turcs, envahit la Bosnie. La Croatie s’associe à cette

action 1». Les civilisations catholiques et orthodoxes

s’effacent au profit d’une seule et même civilisation

chrétienne transformant le paradigme strict de départ en un

paradigme mou. Huntington invente des intérêts et des raisons

supérieures à cette guerre qui opposa majoritairement des

milices sanguinaires qui obéissaient à des chefs de guerre

dont les motivations supérieures s’arrêtaient parfois au

simple plaisir de tuer son voisin d’antan. Un plaisir de tuer

qui ne se soucie guère d’une quelconque logique de

civilisation.

L’histoire des relations entre les Balkans et la Russie est

chargée de conceptions qui déforment la réalité historique

pour n’utiliser que certains faits élevés au rang d’évidences.

Cette étude aura pour ambition d’analyser la perception russe de

ce conflit, d’étudier les faits et le contexte global qui ont

déterminé le choix de la politique et de la diplomatie russe

dans les Balkans. Il est aussi nécessaire de rappeler qu’il ne

s’agit pas d’une analyse comparative entre la Serbie et la

Russie, mais bien de la perception d’un conflit et des menaces

potentielles qu’il engendre.

1 Ibid, 475.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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I.2 Problématique et structureMon approche consiste à recentrer la guerre de Bosnie dans

une relation plus globale entre la Russie et les Etats

balkaniques et ne se résume pas à une analyse des relations

entre la Serbie et la Russie, ce qui serait s’inscrire

pleinement dans le paradigme d’Huntington. Il ne s’agit pas

non plus de nier les solidarités et le facteur religieux, qui

dans cette guerre joue un rôle important, ni de passer sous

silence les quelques centaines de mercenaires russes partis en

Bosnie pour des raisons d’ailleurs assez diverses, et qui ont

combattu contre les partisans d’Izetbegovic. La première

partie de mon étude nous étudierons les relations

diplomatiques entre les pays balkaniques et la Russie, celle-

ci faisant face à une recomposition de ses intérêts

stratégiques et militaires. Nous interrogerons notamment la

part de l’héritage soviétique dans la diplomatie russe post-

guerre froide et les positions russes durant le conflit. Dans

un second temps nous analyserons les réactions de l’opinion

publique. Des études très précises ont été conduite pour

évaluer l’état de l’opinion entre 1992 et 1995 sur les

questions de défense, de la politique étrangère, notamment

celle vis-à-vis de l’OTAN et plus particulièrement celle menée

pendant la guerre en Bosnie. Il ressort brièvement de ces

études une indifférence d’une grande partie de la population

sur ces questions extérieures, mais parmi les classes les

mieux informées on observe des convictions contraires, soit

pro-occidentales soit anti-OTAN. Dans un deuxième temps,

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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l’étude de la presse nous indique une forte présence d’anti-

occidentalisation et un rejet de la politique étrangère russe

conduite par Kozyrev. On pourrait résumer schématiquement par

la formule consacrée « Aujourd’hui la Serbie, demain la Russie 1 ».

Enfin, le troisième moment de ma recherche m’a conduit à

m’interroger sur la participation de la Russie dans

l’application militaire du traité de Dayton, cette

intervention obéissant à un paradigme déjà employée en 1945 à

l’occasion de la partition de Berlin en zones occupées par les

alliés. Cependant du fait de l’infériorité manifeste de la

Russie face aux Etats-Unis on peut se demander si cette

indépendance n’est pas feinte, voire même si elle n’obéit pas

à des préoccupations électoralistes.

I.3 MéthodologieMon approche méthodologique a tout d’abord consisté à

m’intéresser aux principaux acteurs russes du conflit. Les

livres de mémoires de Boris Eltsine et de son homologue

américain, Bill Clinton m’ont ainsi délivré une première

perception du conflit en Bosnie. Je me suis ensuite intéressé

aux déclarations publiques de Kozyrev, à la réaction à ces

déclarations dans l’opinion occidentale et russe. Il

s’agissait pour moi de cerner les moments de rupture dans la1 Pravda, 14 septembre 1995, p.1 et 3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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diplomatie russe et d’interroger leur portée. La redéfinition

des concepts stratégiques et de défense méritaient également

d’être traitée, la question était de savoir dans quelle mesure

les déclarations et les actes des principaux acteurs de la

politique étrangère russe s’inscrivaient dans ces concepts de

« sécurité collective », de « monde multipolaire » et

« d’étranger proche ». Enfin, grâce à des ouvrages et à des

sources russes (issues des différents journaux russes et de

sondages) il m’a été permis d’analyser l’opinion publique

russe lors de la crise de Bosnie.

Les sources de première main d’origine russe sont à l’heure

d’aujourd’hui impossible à obtenir, ma bibliographie s’est

donc appuyée sur des sources majoritairement américaines, du

Département d’ Etat américain, de l’ONU mais aussi sur des

rapports de la Douma.

I.4 NotesEn 2011 est publié Limonov d’Eric Carrère, livre remarquable

qui raconte l’histoire de cet aventurier, poète et romancier

dont l’engagement en politique au côté des nationalistes

russes ne lui apporta qu’un court réconfort au désespoir de

voir s’écrouler l’URSS. Comme l’écrit Eric Carrère « il aime mieux

être le chef d’un parti de trois personnes que le féal de quelqu’un qui rassemble des

millions 1». Il partage avec Malaparte ce désir de guerre, assez

irrationnel, difficile à traiter pour l’historien qui préfère

1 Eric Carrère, Limonov, PO.L, 2011, p.367.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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les raisons politiques aux raisons personnelles, qui amena son

engagement dans la République serbe de Krajina. Aux idées

politiques, il choisit la violence, la guerre, car elle révèle

les hommes loin des milieux intellectuels qui discutent sans

connaître. Plus que l’intention de « choquer le bourgeois »,

comme son ami Jean-Edern Allié, il s’agit bien d’une « co-

naissance » dans la guerre, sa vie d’avant n’étant qu’une mort

lente, sans gloire.

Impossible de faire une sociologie complète de ceux qui ce

sont engagés en Serbie, et plus particulièrement des Russes,

on peut juste supposer que ces hommes ce sont engagés au nom

d’un « pan-slavisme » plus ou moins mythique, d’une amitié

entre les nationalismes portés en Russie par le nationaliste

Jirinovski qui rassembla sous sa bannière, néo-fascistes,

nationalistes et nostalgiques d’une « Grande Russie »

impériale ou communiste.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Première Partie : la recomposition de

l’appareil diplomatique russe, quelle

politique et quels acteurs ?

I. Evolution des intérêts russes dans les

Balkans, une histoire de « civilisation » ?

I.1] Les intérêts stratégiques russes dans les

Balkans de l’époque moderne à l’époque

contemporaine.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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La Russie partagea avec d’autres grandes puissances telles

que la France, l’Angleterre, l’Empire Austro-hongrois des

intérêts dans les Balkans, au détriment de « l’homme malade de

l’Europe », l’Empire Ottoman, qui depuis le siège de Vienne en

1683 ne cessait de perdre du terrain. Ce recul « fut le fait de deux

puissances, l’Autriche et la Russie, la seconde envisageant froidement la disparition

de l’empire du Sultan 1». Que désirait la Russie ? La Russie

désirait « s’ouvrir une porte sur la mer », selon les mots de

Pierre le Grand, car cette grande puissance continentale qu’il

gouvernait était écartée de la Mer Noire et de la Mer

Méditerranée par l’Empire Ottoman. L’Empire russe n’hésita

pas, pour fragiliser l’Empire Ottoman, à envoyer des agents

dans les Balkans, souvent Grecs, dont la mission était

d’exciter les nationalismes, une mission qui eut un certain

écho au Monténégro où le vladika Danilo Ier Petrović proclama le

tsar « champion de la liberté 2». La Russie, à la fois par

intérêt, mais aussi par compassion pour les Slaves entretint

certains liens avec des principautés alliés comme le

Monténégro. Ces liens ne résistèrent cependant pas aux

marchandages qui eurent lieu en 1782 entre Catherine II et

Joseph II, la Russie choisissant le khanat de Crimée plutôt que

les Balkans occidentaux laissés à l’Empire Austro-hongrois. En

1826 et en 1829 la Convention d’Ackermann et la Paix

d’Andrinople permirent de consolider la Serbie comme Etat,

cependant la Serbie pesait peu de chose aux yeux de la Russie,

au contraire de la Grèce et de la Bulgarie. La guerre de

Crimée entre 1853 et 1856 confirme que des intérêts supérieurs

1 Georges Castellan, Histoire des Balkans, Fayard, 1991, p.194. 2 Ibid, 200.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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dictaient la conduite de la Russie tsariste, il s’agissait

avant tout d’exploiter le mécontentement des sujets chrétiens

pour fragiliser un peu plus l’Empire Ottoman. La Porte, grâce

à son commerce florissant avec l’Angleterre, pu s’assurer le

soutien de cette dernière et ne survit pendant ces décennies

que par le bon vouloir du trône d’Angleterre. La victoire

militaire de la coalition franco-anglo-turque aboutit au

traité de Paris le 30 mars 1856 qui confirma la relégation de

l’Empire Ottoman au rang d’Empire en sursis, « l’intégrité du

territoire ottoman placé sous la garantie des Puissances, neutralisait la Mer Noire,

ouverte à tous les navires marchands, internationalisait le Danube et son delta,

obligeait le sultan à l’application complète des réformes promises depuis 18391 ».

Même si la guerre de Crimée n’est pas un souvenir ou un

héritage que les nationalistes serbes rappellent lors de la

guerre de Bosnie, il est frappant de constater que la

domination ottomane, certains parlent de « joug », et « le

jeu » des grandes puissances au XIXe siècle ont inspiré les

nationalistes serbes en 1990. Ainsi, John Morrison affirma que

Karadzić « définit le conflit comme la guerre anti-impérialiste en Europe. Il

affirme avoir pour mission d’effacer les dernières traces de l’Empire Ottoman2 ».

Une affirmation qui démontre toute l’étendue de l’amalgame

créé par la récupération politique de faits historiques. En

effet, la Russie de la tsarine Catherine II avait également

des visées impérialistes dans les Balkans, à ceci près que la

Russie prit parti contre l’Empire Ottoman pour son propre

compte avec pour ambition une expansion vers la Mer

1 Ibid, 288.2John Morrison, « Pereyaslav and After: The Russian-UkrainianRelationship », International Affairs, 69, octobre 1993, p.677.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Méditerranée. Cette volonté de démembrer l’Empire Ottoman

trouva un écho dans la petite principauté serbe alors sous

protectorat russe, dont la survie dépendait essentiellement de

la Russie. Néanmoins, cette petite principauté ne rassemblait

pas tous les Serbes, certains vivaient en Hongrie et leur sort

fut bien différent, notamment lors de la Révolution hongroise

de 1848. La proclamation d’une Voijvodine autonome en mai 1849

ne fut pas acceptée par l’Empire Austro-hongrois soutenu par

la Russie, cette révolte, tuée dans l’œuf, ne démontre pas des

intérêts orthodoxes ou panslaves supérieurs aux intérêts de la

Russie. La guerre serbo-turque de 1877, qui répondait à

l’insurrection bulgare, fut un succès militaire pour Belgrade,

qui par la suite réclama le sandjak de Novi Pazar, le Kosovo,

une partie de la Macédoine et le port de Vidin, sur le Danube1.

En 1878, le conflit entre la Russie et l’Empire ottoman tourna

à l’avantage des Russes qui obtinrent lors du traité de Di

Stephano la création d’un Royaume indépendant de Bulgarie et

la reconnaissance par l’Empire Ottoman de l’indépendance de la

Serbie et de la Roumanie2. La Russie préféra néanmoins

récompenser territorialement la Bulgarie plutôt que la Serbie

lors de la paix de San Stefano. La Russie semblait plus

facilement s’accommoder d’une « Grande Bulgarie » que d’une

« Grande Serbie ».

A la fin du XIXe siècle la Serbie était déjà divisée entre

austrophiles et russophiles avant qu’elle ne bascule

totalement dans le camp des russophiles lorsque Pašić amena le

1 Georges Castellan, Histoire des Balkans, Fayard, 1991, p.327.2 Frederic P.Miller, Relations entre la Russie et la Serbie, IphascriptPublishing, p.18.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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parti radical à la tête de la Serbie avec 80% des suffrages1,

cette orientation ne changea pas malgré son assassinat en

1903. La Serbie privilégia elle aussi une politique étrangère

nettement prorusse. En 1904, après la défaite de la Russie

face au Japon, les Balkans devirent un intérêt prédominant

dans la diplomatie russe2. En 1912, pendant la guerre

balkanique la Serbie et la Bulgarie scellèrent une alliance

dont les modalités territoriales, en cas de victoire, furent

par la même occasion entérinées. Jusqu’à la première guerre

mondiale les alliances balkaniques dominèrent les relations

internationales dans cette région et le jeu des grandes

puissances ne se réveilla que le 28 juin 1914, date de

l’assassinat de l’archiduc Ferdinand. Le jeu mécanique des

alliances amena la France et la Russie à prendre position pour

la Serbie mais l’objectif n’était pas tant la défense de

Belgrade que la chute de Constantinople et le contrôle du

Détroit des Dardanelles. Pour la Russie, le Détroit des

Dardanelles représentait même un intérêt stratégique de

premier ordre, notamment pour son commerce de céréales et son

développement économique de manière générale3. En 1917, lorsque

les Bolcheviks prirent le pouvoir, l’intérêt pour les

Dardanelles ne fut pas abandonné et les Balkans demeurèrent un

enjeu majeur jusqu’à la Seconde Guerre mondiale comme

l’atteste la demande du ministre des Affaires étrangères

russe, Vyacheslav Molotov à Hitler au sujet des Dardanelles.1 Ibid, 329.2 “Russian involvement with the Balkans has run very deep and developed intoa central theme of Russian foreign relation”, Ivo Lederer, Russian ForeignPolicy, Yale University Press, p.412. 3 Voir également sur cette question, Barbara Jelavich, The Ottoman Empire, theGreat Powers and the Straits Questions 1870-1887.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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Molotov affirma que les Dardanelles faisaient partie de la

« zone de sécurité 1» de la Russie et demanda à installer des

bases navales dans le Bosphore et les Dardanelles2.

La Seconde guerre mondiale a affermi les relations

soviéto-yougoslaves par la lutte commune contre l’envahisseur

nazi mais pendant toute la Guerre Froide, l’allié privilégié

demeura la Bulgarie, éternelle rivale de la Serbie dans les

Balkans, avec à sa tête le dirigeant communiste Todor Zhivkov

qui fut loyal à l’URSS jusqu’à sa chute en 1989. La relation

entre Staline et Tito fut plus délicate, ce dernier fut exclu

du Kominform en 1948 et la Yougoslavie rejoignit le Mouvement

des Non-alignés en 1964. Cette rupture avec le giron

communiste poussa Moscou à renforcer son influence sur la

Bulgarie devenue dépendante des aides économiques de l’URSS3.

Néanmoins, l’URSS n’abandonna pas l’idée de faire revenir la

Yougoslavie dans la sphère d’influence communiste pour une

raison stratégique, les ports de l’Adriatique offraient la

possibilité à l’URSS d’exercer son influence dans la Mer

Méditerranée, et pour une raison idéologique d’autre part, la

Yougoslavie proposant un modèle alternatif dangereux à l’URSS.

En effet, on constate qu’à l’annonce de l’exclusion de Tito du

Kominform en 1948 des luttes de clans eurent lieu en Bulgarie

déstabilisant un pays pourtant bien ancré à la sphère

communiste4. Le titisme devient un prétexte à l’épuration des

membres du Parti (environ 20% des effectifs). La politique

1 Stephen Larrabee, “Russia and the Balkans: old themes and new challenges”in Russia and Europe the Emerging Security Agenda, p. 390. 2 Lederer, note 2 p.423. 3 J.F Bown, Bulgaria under communist rule, pp.297-300.4 Georges Castellan, Histoire des Balkans, Fayard, 1991, p482.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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étrangère de Gorbatchev, plus souple, conjuguée à la mort de

Tito, favorisa les mouvements nationalistes constituant la

Yougoslavie, amenant celle-ci à se désintégrer dans les années

1990-1991.

D’un point de vue stratégique contrôler les Balkans

représentait toujours pour la diplomatie russe un moyen de se

protéger contre une agression maritime ou terrestre, certes

très hypothétique du fait de la dissuasion nucléaire. A cet

enjeu stratégique s’ajoute un enjeu économique relativement

faible mais qu’il convient de traiter. La Russie fut en effet

moins affectée par la crise yougoslave que les pays européens,

pour des raisons économiques tout d’abord, la scission entre

Staline et Tito ayant affecté les transactions économiques

entre les deux Fédérations et pour l’accueil des réfugiés, qui

fut plus important en Europe de l’Ouest. La Russie conservait

des intérêts économiques dans certains domaines tels

l’électricité, le gaz, l’industrie lourde et les

communications, des domaines qui jouèrent un rôle dans

certaines négociations, on peut penser notamment à celles

concernant Gazprom pour le rétablissement de l’électricité et

du gaz à Sarajevo. D’un point de vue géostratégique, les

Balkans représentent un enjeu pour la Russie qui doit trouver

des alliés face à la Turquie et à l’Iran qui eux, cherchent à

s’imposer comme des puissances régionales et qui utilisent

leur influence auprès des pays musulmans de l’ex-URSS. La

Russie, elle, se tourne vers la Serbie, la Macédoine, la Grèce

et en Bulgarie dans le but de lutter face à la montée de

nouveaux acteurs dans les Balkans. Cette course d’influence

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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est disputée également avec les pays européens qui cherchent à

inclure progressivement les pays des Balkans à l’intérieur

d’une CEE en construction. Néanmoins, la Russie et l’Europe ce

sont souvent retrouvées d’accord concernant la volonté de

conserver les frontières de la Yougoslavie au contraire de

l’Allemagne qui reconnut très tôt la Slovénie et la Croatie

car elle pouvait « bénéficier » de l’éclatement de la

Yougoslavie pour développer son influence vers ces nouveaux

pays et ainsi déplacer le centre de l’Europe de la France vers

elle. Enfin, la Yougoslavie est le lieu de confrontations

entre la nouvelle Russie et les Etats-Unis qui cherchent à

ancrer leur influence dans cette région par le biais de

l’OTAN. C’est bien l’OTAN qui cristallisa l’attention des

élites russes, partagée entre soutenir l’allié traditionnel

serbe et la coopération avec l’Occident, pour, d’une certaine

manière, illustrer la bonne volonté de la Russie à rejoindre

les pays dits « libéraux » par des actes.

I.2] Le panslavisme : perception et réalité.Le panslavisme est une idée développée à partir du XVe

siècle sous l’impulsion de Vinkó Pribojević qui trouva un écho

dans la diplomatie étrangère russe dans la deuxième moitié du

XIXe siècle. Le panslavisme propose une sorte de confédération

de tous les peuples slaves dont les modalités demeurent

contradictoires, doit-il s’agir d’une confédération

démocratique et égalitaire ou bien d’une confédération sous

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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domination russe ? Bakounine fut l’un des seuls représentants

russes de ce mouvement panslave au XIXe siècle, il demandait

la création d’une Union panslave en dehors de la Russie

tsariste, ce régime empêchant le libre déploiement de ce

mouvement1. Cette conception s’oppose frontalement à ceux qui

voient le panslavisme comme un « bloc », une conception

unitaire partagée par tous les Slaves. C’est le cas de Samuel

Huntington dont la vision du panslavisme refuse les

contradictions inhérentes au mouvement. En effet, il est bien

difficile d’imaginer ce type d’union de manière concrète au

sein d’un Etat confédéral. Il reste la théorie de « l’amitié

entre les civilisations » et de la solidarité entre les

peuples. Ce principe, selon Huntington, trouve son plein

déploiement dans la guerre de Bosnie. Pourtant on constate en

analysant l’histoire de la Russie que ce n’est pas tant l’idée

de peuple slave qui domine au sein des élites russes mais bien

l’impérialisme, ce sentiment d’appartenir à une « Grande

Russie » dominée par la religion orthodoxe. Certes, Huntington

ne définit pas de civilisation slave mais ces solidarités

justifient, selon lui, l’idée de « choc des civilisations ».

Le panslavisme, bien que minoritaire, fut repris par des

personnalités comme Ziouganov, alors premier secrétaire du

parti communiste en 1993, comme moyen pour la Russie de

retrouver son influence en Europe et de s’opposer aux Etats-

Unis, en se basant sur la théorie selon laquelle le

panslavisme du XIXe siècle a favorisé une politique étrangère

1 J.B Duroselle, Revue belge de philologie et d'histoire, 1954, Volume 32, Numéro 32-4,pp.1202-1204.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

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russe active sur les frontières occidentales sans esquiver les

tensions inévitables d’une telle politique avec l’Europe1.

Cette démarche civilisationnelle Sergei Stankevich, alors

premier conseiller en politique étrangère du président Boris

Eltsine, l’endosse. Pour lui la politique étrangère russe doit

se focaliser sur les territoires de l’ancienne URSS où les

liens ethniques sont les plus forts, notamment là où résident

des minorités russes. La démarche aboutissant à la création de

la CEI, cette « maison commune », pourrait s’expliquer

également par la volonté de certains dans l’administration de

Eltsine, à créer une communauté d’intérêts slaves qui pourrait

par la même occasion régler le problème des Russes de

l’étranger. Il s’agit en quelque sorte de combattre la

mondialisation et le libéralisme économique par le repli

civilisationnel et émotionnel. A la raison émotionnelle,

s’adosse la raison plus pragmatique de l’existence d’une

diplomatie russe discordante de celle des Etats-Unis, question

incessante à laquelle les diplomates russes vont opposer

plusieurs stratégies dont celle de l’identité commune, slave

et orthodoxe. Ainsi les racines slaves, plus ou moins

mythiques, deviennent un alibi pour poursuivre une stratégie

plus large, contre l’élargissement de l’OTAN, une

préoccupation beaucoup plus prégnante que le sort des Serbes,

et pour justifier l’engagement de la Russie dans les Balkans.

En 1993, une étude révèle d’ailleurs que 52% de l’élite russe

s’identifie comme « Westernizers » et 45% comme « Slavophiles »2,1 Bobo Lo, Russian Foreign Policy, Reality, Illusion and Mythmaking, Palgrave Macmillian, 2002, p.15.2 Suzanne Crow, “Why Has Russian foreign policy changed?” RFE/RL Research Report 3, 6 mai 1994, 6.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 25 -

ces derniers demandant un changement d’orientation de la

politique étrangère conduite par Kozyrev. La question du

panslavisme, loin d’être centrale, est un écran de fumée qui

dissimule une politique étrangère plus réaliste, plus encline

au compromis, mais qui pour des raisons à la fois

traditionnelles et électoralistes se teinte d’un discours

slavisant. Parmi ceux s’identifiant comme « Slavophiles » il

faut comprendre que ceux-ci se définissent surtout par

opposition aux « Westernizers » et qu’ils désirent suivre une

autre route que celle menant à l’économie de marché. Ces

personnes vont se définir par opposition, mais vont également

embrasser des conceptions en politique étrangères assez

différentes, certains néoréalistes pensaient qu’il était

nécessaire de privilégier une alliance slave pour forger et

entretenir des amitiés et des partenariats durables tandis que

d’autres, à l’instar de la théorie civilisationnelle de Samuel

Huntington, souhaitaient privilégier un slavisme

panorthodoxe.

De même, il convient de discuter cette idée transformée en

axiome selon laquelle la Russie serait « l’allié

traditionnel et naturel» de la Serbie alors qu’au contraire de

la Bulgarie la Yougoslavie n’était pas dans l’orbite de l’URSS

et que la Russie a eu une position jusqu’en 1993 très hostile

à la Serbie. Comme le démontrent les tractations entre

Catherine II et Joseph II ou entre Molotov et Hitler, la

Russie n’a pas hésité à marchander, voire à instrumentaliser

son influence dans les Balkans pour gagner des points

stratégiques et ainsi augmenter sa puissance. La solidarité

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 26 -

panslave devenait ainsi un moyen de puissance mais pas une fin

en soi, il s’agissait d’un double langage en fonction des

« échelons » des pays, pour reprendre l’expression

d’Huntington. L’influence devient un mode de marchandage avec

les autres grandes puissances, Autriche-Hongrie, Allemagne et

Etats-Unis, non pas pour protéger les « alliés traditionnels »

mais pour augmenter sa puissance sur le continent européen.

Cette volonté de puissance va de pair avec une peur du déclin,

la Yougoslavie étant perçue par certains analystes comme une

« petite Russie », son éclatement inquiéta beaucoup Moscou.

Mais plus que la peur c’est sans doute l’opportunité de

réaffirmer sa position dans une zone traditionnellement sous

influence russe qui domina pendant la crise bosniaque. La

perception d’une identité panslave a elle bien existé au sein

des comités de rédaction des grands journaux comme la Pravda.

Plusieurs journalistes ont ainsi mis en exergue la nécessaire

solidarité entre la Russie et la Serbie. On peut citer le

numéro de la Pravda du 23 Janvier 1992 où le journaliste Youry

Bychkov exprima son désir de voir la solidarité panslave se

réaliser « les Serbes sont merveilleux et des gens amicaux, qui sont proches de

nous 1». Si ces commentaires demeurent marginaux, il n’empêche

que la presse communiste dans son ensemble, plus par réalisme

politique que par conviction, joue de cet argument pour

déstabiliser le déjà peu populaire Andrei Kozyrev2. On observe

donc un décalage entre la realpolitik du ministre des affaires

étrangères russe, dont l’ambition consiste à apaiser les

1 Youry Bychkov, Pravda, 23 Janvier 1992.2 Eric Shiraev, “Russian Decision-Making Regarding Bosnia” in InternationalPublic Opinion and the Bosnian Crisis, p.158.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 27 -

relations avec l’Ouest, et une certaine frange de l’opinion

publique, très minoritaire, mais qui fait entendre sa voix en

utilisant l’idée du « frère slave » comme argument politicien

plus qu’idéologique.

I.3] La « civilisation orthodoxe », alibi

politique ou réalité manifeste ?Samuel Huntington reprend la théorie d’Edward Mortimer

selon laquelle « la religion est de plus en plus en passe de faire intrusion dans

les affaires internationales 1». La religion orthodoxe, plus qu’une

religion, serait une civilisation, autrement dit elle

regrouperait des Etats et des peuples au sein d’un même

ensemble. Cette création ne serait pas le résultat de la

volonté des peuples, ou la résurgence inconsciente d’une

histoire mais serait bien la volonté de la Russie, « la Russie crée

un bloc formé d’un territoire orthodoxe qu’elle dirige et entouré d’Etats musulmans

relativement faibles qu’elle dominera 2». Il s’agirait d’un système que

la Russie tenterait d’imposer au monde occidental, qui

dépasserait « l’étranger proche » pour créer un horizon

lointain de solidarité. D’ailleurs, les dirigeants américains

comme Strobe Talbott, alors Secrétaire d’Etat adjoint, affirme

que la politique menée par les Etats-Unis à l’égard de la

Serbie rencontra un écho très défavorable en Russie du fait de

leur « très longue sympathie pour les Serbes qui sont, comme la plupart des

1 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, p.65.2 Ibid, 238

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 28 -

Russes, des Orthodoxes slaves 1» et d’ajouter que « le panslavisme était en

train de faire son retour en Russie 2».

Pourtant, il est difficile de concevoir que Boris Eltsine

et Andreï Kozyrev aient eu pour volonté de créer un tel réseau

de solidarité, pour une raison évidente et électoraliste : les

personnes se revendiquant du panslavisme étaient dans leur

grande majorité des opposants de longue date à la politique de

Boris Eltsine. Strobe Talbott insiste sur ce point et révèle

que la grande inquiétude de Kozyrev concernait la politique

intérieure de la Russie et que chaque vote des résolutions du

Conseil de Sécurité de l’ONU était conditionné par la crainte

de voir se généraliser le populisme et la xénophobie. La

politique conduite par Eltsine et Kozyrev, voire même leurs

convictions profondes, s’opposent frontalement aux généralités

de Samuel Huntington affirmant que « les guerres d’ex-Yougoslavie ont

également produit le ralliement quasi unanime du monde orthodoxe derrière la

Serbie 3». Il nous faut donc pour contredire Huntington

distinguer les aspects fondamentaux de la pratique de la

politique étrangère russe. Tout d’abord il nous faut rappeler

la déclaration de Gorbatchev lors du Discours d’ouverture du

Forum pour un monde dénucléarisé, « plus que jamais notre politique

étrangère est déterminée par notre politique intérieure 4», une déclaration

qui ne faisait que confirmer la désidéologisation des

relations internationales depuis Brejnev notamment. Cette

désidéologisation se poursuit entre 1992 et 1993 avec comme

1 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, p.73.2 Ibid, 73. 3 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, p.427.4 Jean-Christophe Romer, « La politique étrangère sous Boris Eltsine »,Annuaire Français de Relations Internationales, p.49.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 29 -

point d’orgue les « Principes de la politique étrangère »,

adopté le 23 avril 19931 qui met en exergue trois objectifs

principaux, à la fois établir des relations avec les membres

de la CEI qui formeront  « l’étranger proche », une sorte de

doctrine Monroe qui aurait pour but de limiter l’influence de

l’Ouest sur les pays sortis de l’URSS, éviter la création

d’une « zone tampon » la privant de relations directes avec

l’Ouest, et enfin développer des relations avec les grands

pays occidentaux et le reste du monde. Favoriser les pays

selon leurs croyances ne fait donc pas partie des priorités

établies par le Ministère des Affaires Etrangères russe, du

moins de manière officielle. En réalité il y a une constance

dans la diplomatie russe, celle exprimée par Gorchakov à

l’Empereur Alexandre II, « nos politiques doivent poursuivre un double

objectif. Premièrement, préserver la Russie d’un engagement dans n’importe quel

type de complications externes qui pourrait dévier nos efforts de notre

développement interne. Deuxièmement nous devons mettre tous nos efforts pour

assurer qu’il n’y aura pas de changements – ni territorial ni un basculement

d’influence ou de puissance – en Europe qui pourrait sérieusement endommager nos

intérêt ou la situation politique 2».

Cette constance ne doit pas pour autant masquer le rôle

réel de l’Eglise orthodoxe dans la politique étrangère russe.

Selon une étude menée en Russie en 1996, 72% des Russes

accordent leur confiance à cette institution3. Le théologien

Dietrich Bonhoeffer insiste d’ailleurs sur la relation unique1 Nezavisimaja Gazeta, 29 avril 1993. 2 Igor S. Ivanov, The New Russian Diplomacy, Brookings/Nixon Center, pp.26-273 “72 per cent of respondents in Russia expressed great confidence in theChurch”, Cem C. Oguz, “Orthodoxy and re-emergence of the Church in Russianpolitics”, Journal of International Affairs, décembre-janvier 1999 Volume 4 Numéro4.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 30 -

entre l’Eglise orthodoxe et l’Etat russe « l’Eglise orthodoxe est

l’organe spirituel de l’Etat et le protecteur spécial de l’ethnos1 ». L’entrée du

Patriarche dans le déroulement de la politique étrangère

exerça une influence certaine sur la politique étrangère russe

sans pour autant mettre au cœur de ce conflit la question de

l’Islam. La question ne doit donc pas porter uniquement sur

l’influence de l’Eglise orthodoxe sur le peuple russe mais

aussi sur son rôle politique original, semi gouvernemental et

transnational comme toute religion. L’Eglise orthodoxe est

d’autant plus transnationale que la chute de l’URSS a fait

émerger des Eglises nationales concurrentes, elle prétend

ainsi, tout comme le gouvernement russe, garder son influence

sur « l’étranger proche ». Plus encore, l’Eglise orthodoxe

entretient un rapport à la nation fort ambigu, elle se veut à

la fois en dehors des réalités de frontières et de la

contingence politique tout en « profitant » des crises, « Il se

nourrit de la crise socioculturelle de la Russie et des bouleversements des années

1990 dans la mesure où il permet de penser la continuité en dehors des accidents du

politique2. L’orthodoxie se veut la religion d’une patrie sans

frontières politiques, le visage d’un peuple dispersé à

travers l’ancien Empire soviétique. Kathy Rousselet pose

d’ailleurs une question déterminante « la perception orthodoxe de

l'homme et la congruence d'un peuple, d'un territoire et d'une Église permettraient-

elles de désigner une civilisation slave-orthodoxe ? ». L’Eglise défend très

clairement une démarche civilisationnelle, perçue par nombre

1 Vigen Guroian, Ethics After Christendom: Toward an Ecclesial Christian Ethic (William B.Eerdmans, Grand Rapids, MI, 1994), p. 5.2 Kathy Rousselet, « L'Église orthodoxe russe et le territoire » in Revued’études comparatives Est-Ouest. Volume 35, 2004, N°4. Religions, identités etterritoires. pp. 149-171.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 31 -

de croyants comme naturelle et légitime, mais l’Eglise

orthodoxe a-t-elle les moyens de créer une « civilisation » ?

Suffit-il de dire pour que la réalité soit ? Dans le cadre de

la guerre de Bosnie ce sont les Etats qui vont agir ou ne pas

agir, ce sont eux qui perçoivent les menaces et qui agissent

en fonction de leurs intérêts, les peuples peuvent suivre ou

s’insurger, ils peuvent influencer mais jamais ils ne

décident.

Il convient de s’interroger sur la place de l’Eglise

orthodoxe en Serbie, sur sa place dans la société serbe et sur

les liens qu’elle entretient avec l’Eglise orthodoxe russe. La

crise économique, la guerre en Bosnie a ramené dans le giron

de l’Eglise orthodoxe serbe des jeunes ne croyant plus dans la

politique, en 1996 « sur un peu plus de 10 millions d'habitants, l'actuelle

Yougoslavie (Serbie et Monténégro) compte près de 7 millions d'orthodoxes, dont 42

% de pratiquants en 1993, contre seulement 25 % en 1975 1». L’influence de

la religion est indéniable, à l’instar du rôle de l’Eglise

orthodoxe en Russie, celle-ci a une place autonome et une

autorité qui dépasse les contingences politiques. L’Eglise

orthodoxe serbe pris néanmoins position en faveur de Slobodan

Milosevic lorsque celui-ci arriva au pouvoir. L’Eglise

reconnaissait en cet homme le vrai garant des intérêts serbes,

celui qui pourrait unifier une « Grande Serbie ». De l’autre

côté, Slobodan Milosevic savait que l’appui de l’Eglise

demeure le levier fondamental pour espérer convaincre son

peuple à le suivre. Ainsi, disparaît progressivement l’image

d’un Slobodan Milosevic héritier du titisme, peu soucieux de

1 Nicolas Miletitch, « L'Eglise orthodoxe serbe » in Politique étrangère N°1,1996, 61e année, pp. 191-203.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 32 -

l’Eglise orthodoxe, au profit d’images spectaculaires qui

montrent l’exhumation des victimes de la Seconde Guerre

mondiale avec un message clair : « peut-on vivre avec ces Croates et ces

Musulmans qui ont massacré des Serbes il y a 50 ans et qui, aujourd'hui,

revendiquent une indépendance annonciatrice de nouvelles tueries ? 1». La

rupture avec Milosevic se fit lorsque celui-ci, à partir de

1993 fit pression sur les Serbes de Pale pour qu’ils acceptent

le plan Vance-Owen et lorsque la Serbie imposa un embargo sur

les Serbes de Pale en août 1994. Cette rupture amena l’Eglise

orthodoxe serbe à se rapprocher de Karadzic, pourtant isolé

sur la scène internationale. Les liens avec l’Eglise orthodoxe

russe existent mais ils sont minces. Il faut insister sur le

fait que l’Eglise orthodoxe serbe a un fonctionnement séparé

de son équivalente russe, « l'Eglise serbe — autocéphale — ne dépend pas

d'une autorité extérieure et son existence est profondément liée à l'idée de nation

serbe 2». La théorie d’une religion orthodoxe transnationale

pouvant former une civilisation est battue en brèche par les

divisions internes à l’Eglise orthodoxe et par le

fonctionnement autonome d’entités religieuses nationales et

nationalistes. Lors de sa rencontre avec le patriarche russe

Alexis II, le patriarche Pavle critiqua à nouveau le plan du

Groupe de contact et réaffirma son soutien aux Serbes de

Bosnie, soulignant que l'Eglise « ne peut accepter que les Serbes de

Bosnie aient moins de droit que les deux autres peuples 3». Pour autant, le

patriarche russe tint un discours différent à Karadzic,

l’enjoignant à un règlement pacifique du conflit : « ma visite ici

1 Ibid, 193.2 Ibid, 192.3 Politika, 15 octobre 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 33 -

est une modeste contribution en faveur de la paix dans l'espoir que tous les conflits

puissent être résolus à la table de négociation et pas sur le champ de bataille 1».

Certes, le patriarche Alexis II a bien condamné l'offensive

croate contre les Serbes de Krajina comme aucune autre

personnalité religieuse ne l’a fait et a même déclaré en juin

1995 que « la Yougoslavie et la Serbie peuvent toujours compter sur l'aide de la

Russie 2». Est-ce néanmoins suffisant pour annoncer, à la

manière de Samuel Huntington et de François Thual dans la

Géopolitique de l’Orthodoxie,  « la formation d'un bloc orthodoxe qui bouscule les

héritages de l'histoire puisqu'on y voit côte à côte la Roumanie, la Serbie et la Grèce

former une espèce de triangle d'acier contre les puissances occidentales, leurs alliés

et bien entendu contre toute forme d'islam 3». Dans les faits la

solidarité russo-serbe ne s’est pas manifestement faite au

travers de la religion, malgré également des discours et des

déclarations qui vont dans le sens de la formation d’un bloc

de valeurs orthodoxes. Une assemblée de l'Eglise orthodoxe

russe regroupant 350 délégués venus de Russie et de l'étranger

s'est d’ailleurs prononcée, en décembre 1995, pour le

rétablissement de « l'unité historique des trois peuples

frères, biélorusse, russe et ukrainien ».

1 Reuters, « Patriarche et pèlerinages… », Lesoir.be, mercredi 18 mai 1994.2 Nicolas Miletitch, « L'Eglise orthodoxe serbe » in Politique étrangère N°1,1996, 61e année, p.198.3 François Thual, Géopolitique de l'orthodoxie, Dunod, Paris, p. 108-109.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 34 -

II. La recomposition de l’appareil diplomatique

russe après la guerre froide.

II.1] La position de Gorbatchev à l’aube de

l’éclatement yougoslave et de la guerre de

Bosnie.

Comme le souligne avec emphase Lenard J. Cohen la

Yougoslavie constitue pour Mikhail Gorbatchev l’une des

priorités et l’un des « challenges » les plus importants dans

les dernières années de l’URSS1. Gorbatchev est favorable à la

préservation de la Yougoslavie telle que l’a conçu Tito, ce

qui impliquait le maintien d’une cohésion entre les peuples,

une solidarité pourtant ébranlée par les discours

nationalistes de Tudjman et de Milosevic. Si cette position

politique concorde avec la position européenne et américaine

du début de l’année 1990, il convient de s’interroger sur la

perception de Gorbatchev de la montée au pouvoir au sein de la

ligue communiste de Serbie de Milosevic. Gorbatchev n’a pas

pesé sur les événements en Yougoslavie autant qu’il a semblé

1 “The violent aftermath of Yugoslavia’s dissolution was one of MikhailGorbatchev’s main foreign policy challenges during the last five years ofthe Soviet regime” Lenard J.Cohen, “Russia and the Balkans: pan-Slavism,partnership and power”, International Journal, Vol. 49, No. 4, Russia's Foreign Policy,Automne 1994, p.814.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 35 -

le vouloir, certes il a condamné la montée des nationalismes,

accentuant les différences et menaçant la totalité de la

Yougoslavie mais il resta néanmoins assez neutre lorsque des

conflits à l’intérieur de la Ligue Communiste éclatèrent1.

Milosevic écarta des cadres du parti, notamment Stambolic,

pourtant très proche de Milosevic en terme d’idées mais jugé

trop lent dans les réformes. Lors de la visite de Gorbatchev

en Yougoslavie en mars 1988, Milosevic salua sa venue par ces

mots « malgré toutes les difficultés que l’on rencontre la base du socialisme

actuellement et historiquement est la société la plus progressive de notre

époque 2». Par ces mots Milosevic tente de teinter sa politique

nationaliste par un discours rassurant et pro soviétique, mais

Gorbatchev n’est pas dupe, pour lui toute remise en cause de

l’ordre communiste tel qu’institué est une menace pour l’URSS

même. Sa visite, la première depuis 1980, avait pour but de

réaffirmer les liens politiques et économiques qui unissent

les deux pays. Il jugea qu’une excessive décentralisation et

une libéralisation trop grande pouvaient avoir des effets

néfastes pour l’intégrité d’un pays, notamment en accroissant

les inégalités. De ce constat découlent des réformes

nécessaires en Yougoslavie pour réduire l’importance des

nations au sein d’un pays multiethnique dont le fonctionnement

même se base sur une représentativité des nations. Pour

Gorbatchev, la nation doit être le communisme et même s’il

reconnaît qu’en ignorant les difficultés ethniques « les

problèmes se sont accumulés », il ajoute « dites-moi l’endroit où il n’y a pas

1 Ibid, 816. 2 Slavoljub Djukic, Izmedju Slave I Anateme: Politicka Biografija SlobonadaMilosevica, Filip Visnjic, 1994, p.103.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 36 -

de problèmes, nommez moi un tel pays 1». Tout le paradoxe de la

position de Gorbatchev à l’égard de la Yougoslavie peut

s’exprimer ainsi, à la fois la prise de conscience que nier

les nations serait fatal pour l’URSS et le refus du

nationalisme et du populisme. Milosevic en jouant de la corde

nationaliste usait d’une tactique dangereuse pour Gorbatchev

mais celui-ci déclara « les meilleurs représentants russes ont toujours vu la

lutte pour la libération des Slaves du Sud avec une profonde sympathie et sont venus

pour les aider lors des moments cruciaux... dans le cœur de chaque Russe et Serbe,

dans leur mémoire génétique pour ainsi dire réside une bienveillance mutuelle et une

propension à l’amitié 2». Pour autant Gorbatchev ne devint pas

l’allié de Milosevic, une idée développée après le soutien de

ce dernier lors du coup d’Etat orchestré contre Boris Eltsine,

mais il ne devint pas pour autant un adversaire. Gorbatchev

soutint les réformes de Markovic, pourtant libérales, car

elles réduisaient la notion d’ethnicité en apportant un niveau

de vie meilleur aux Yougoslaves. On peut discuter cette idée,

la Yougoslavie dans les années 1980 subissait un tel niveau

d’endettement et un tel délitement de son économie que

certaines des Républiques commerçaient plus avec les pays de

l’Ouest qu’entre elles. Doit-on voir la visite de Gorbatchev

comme une énième tentative de l’URSS de ramener la Yougoslavie

dans le giron de Moscou pour des raisons économiques ? Dans

tous les cas la « thérapie de choc » de Markovic, bien aidée

par le sabotage de Milosevic, ne réussit qu’à aggraver une

situation sociale déjà bien préoccupante3. D’autre part, on

1 Foreign Broadcast Information Service/Soviet Union, 16 Mars 1988, p.23.2 Foreign Broadcast Information Service/Soviet Union, 17 Mars 1988, p.21. 3 Jens Stilhoff Sorensen, State Collapse and Reconstruction in the Periphery: Political Economy, Ethnicity and Development in Yugoslavia, Serbia and Kosovo, Berghahn Books,

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 37 -

constate que malgré les discours, Gorbatchev a plus ou moins

accepté l’idée d’une Yougoslavie indépendante, et qu’il

renonça dans les grandes lignes à la doctrine Brejnev qui

prône une souveraineté limitée des Etats périphériques à

l’URSS. Un renoncement progressif mais qui ne s’est pas

démenti, comme lors du 27e Congrès du Parti communiste de 1986

où Gorbatchev insista sur l’idée que plusieurs voies mènent au

socialisme, et plus radicalement encore le 7 décembre 1988 aux

Nations Unies lorsqu’il déclara que « la liberté de choix est un

principe universel. Il ne devrait pas y avoir d'exception 1».

La visite de Gorbatchev en 1988 annonça d’une certaine

manière la libéralisation du marché yougoslave et la

révolution vers le pluralisme en mars et avril 1990 en Croatie

et en Slovénie. Ces deux pays virent la montée du nationalisme

et l’anti-communisme se confirmer par les résultats du vote,

suivi ensuite par la Bosnie et la Macédoine et l’élection de

nationalistes communistes en Serbie et au Monténégro. Un

détachement s’opéra encore plus nettement avec la politique de

l’URSS, les partis nationalistes yougoslaves intensifièrent

leurs liens avec les ultranationalistes russes et avec les

soutiens au panslavisme au détriment de la politique étrangère

officielle de Gorbatchev rejetée en bloc. Si paradoxalement la

libéralisation politique profita aux partis nationalistes,

ceux-ci ne sont pas pour autant devenus des partisans du

pluralisme et de la démocratie, surtout en Serbie, ce qui les

rapprochent d’autant plus d’une certaine frange de politiques

p.139.1 Tony Judt, Après-guerre: une histoire de l'Europe depuis 1945, Éd. Grand Pluriel, 2005, p. 707.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 38 -

russes. Lenard Cohen évoque également l’arrivée de membres de

la JNA en mars 1991 à Moscou pour négocier l’achat d’armes1, et

des informations plus précises nous révèlent que Gorbatchev

perdait petit à petit le contrôle de son gouvernement. Le

ministre de la Défense, Dimitri Yazov, donna son accord, sans

l’autorisation de Gorbatchev, le 10 et 11 août 1991 à une

vente d’armes représentant deux milliards de dollars incluant

des tanks, des hélicoptères de guerre et des lance-roquettes2.

Le commandant de l’armée de l’air yougoslave, le général Anton

Tus négocia également l’achat d’un escadron de MIG-29 avec

Dimitri Yazov ; l’ensemble de la transaction fut la plus

importante pour la Russie depuis 19883.

La politique étrangère de Gorbatchev s’effrite, malgré la

déclaration commune de Bush et Gorbatchev au sommet de Moscou

en juillet 1991 condamnant l’usage de la violence en Krajina

et exigeant le respect des Droits de l’Homme des deux côtés4.

Les efforts de l’Administration russe, fortement divisée,

restèrent vains, le ministre des Affaires étrangères de l’URSS

Alexander Bessmertnykh déclara qu’un Etat unique et

indépendant de Yougoslavie était « un élément important pour la

stabilité des Balkans et de l’Europe comme un tout 5». Il rencontra également

le Secrétaire d’Etat américain James A.Baker à Berlin dans le

but d’éviter une désintégration violente de la Yougoslavie,

pour les diplomates américains comme russes la question du

1 Politika : The International Weekly (Belgrade) 80 (28 Septembre 4 Octobre 1991), p.7.2 Glenny 1996: 61.3 Podgorica weekly "Monitor", March 15, 1996.4 Mike Bowker, Russia, America and the Islamic World, Ashgate, 19 Octobre 2007, p.52. 5 Pravda, 29 Juin 1991 : 1.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 39 -

maintien de la Yougoslavie intégrée n’était déjà plus

d’actualité. Gorbatchev jugea très négativement l'engagement

de l'OTAN dans les Balkans car selon lui il est marqué par un

manque de respect pour la Russie qui ne fut pas consultée

avant les bombardements. « La preuve de ce changement drastique »,

écrit-il, « est notamment le fait que le Conseil de Sécurité des Nations Unies

s'est mis aux ordres de l'OTAN en signant avec l'OTAN un mémorandum secret pour

prolonger le mandat de cette organisation »1. Il considère qu'une telle

approche est extrêmement dangereuse car la Russie ne pourra se

remettre d'une telle humiliation. M. Gorbatchev appelle de ses

vœux que la Russie et l’Europe construisent ensemble un

nouveau système de sécurité sans l’OTAN. Il signale qu’une

nouvelle Guerre Froide n’est pas à exclure si la Russie est

ainsi mise hors-jeu et si l’OTAN poursuit son élargissement à

l’Est.

II.2] Yugoslavia, “an horror mirror”?2

Les comparaisons entre la Russie et la Yougoslavie,

voire avec la Serbie ont été nombreuses ; les amalgames

également. Pour de nombreux analystes russes, l’exemple de la

Yougoslavie peut réveiller les craintes d’une dissolution de

l’URSS dans le sang. C’est cette peur que souligne N. Arbatova

lorsqu’elle écrit que « l’expérience yougoslave a eu de fortes répercussions

sur la politique étrangère russe à la fois sur l’étranger proche que sur l’étranger plus

1 Moscow News, Septembre 22-28 1995, p.1 et p.2.2 N. Arbatova, “Horror Mirror : Russian perception of the Russian Conflict”,chapitre 16 in A. Arbatov, A.H. Chayes, A.H Chayes et L. Olson, Managing Conflict in the former Soviet Union. Russian and American Perspectives, Cambridge, MA: MIT Press, 1997.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 40 -

lointain. L’effet miroir a eu de manière générale des effets positifs : la Russie a sans

doute vu, dans l’effusion de sang, la destruction, et dans cette atmosphère de haine

et de méfiance, son avenir avec effroi. 1». Si la chute de l’URSS ne s’est

pas faite sans morts, s’il y eut bien des conflits en

Azerbaïdjan, en Moldavie, en Géorgie et dans la Fédération

russe elle-même, le nombre de victimes fut sans commune mesure

avec le nombre de morts provoqués par les guerres de Slovénie,

de Croatie, de Bosnie et du Kosovo entre 1991 et 1999. Boris

Eltsine explique même que pour lui « La guerre dans l’Ex-Yougoslavie,

c’est la plaie de l’Europe et du monde entier 2» et ajoute que « la Yougoslavie

est un modèle réduit de l’Union soviétique ». Dans son dernier livre de

mémoires il narre sa crainte de voir s’installer des généraux

à la tête de la Russie, « je reste absolument persuadé convaincu que

durant toutes ces années, de 1990 et 1996, l’ombre de la guerre civile a plané sur la

Russie. La plupart des Russes, totalement désespérés, pensaient que tout finirait de

cette façon – un nouveau coup d’Etat militaire, l’établissement d’une junte, la

partition du pays en une multitude de petites républiques, à l’instar de ce qui s’est

passé en Yougoslavie 3». Cette gémellité effraie bien entendu

l’opinion, d’autant plus consciente après l’effondrement du

bloc soviétique qu’un tel éclatement pourrait se produire dans

la nouvelle République russe.

On peut comparer ces deux Fédérations selon plusieurs

critères, tout d’abord la question de la diaspora russe après

la chute de l’URSS représente environ 25 millions de

personnes4, ce qui causa des troubles en Moldavie, en

1 Ibid, 35. 2 Boris Eltsine, Sur le fil du rasoir. 3 Boris Eltsine, Mémoires, Flammarion, 2000, 96.4 James Headley, Russia and the Balkans, foreign policy from Yeltsin to Putin, Columbia University Press, 61.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 41 -

particulier en Transnistrie où une minorité de russophones

réclama l’indépendance tandis que la Moldavie tenta de

récupérer ce territoire en 1992 face à la XIVe armée du

général Lebed. Parallèlement à l’effondrement de l’URSS, celui

de la RFY laissa une minorité serbe importante en Croatie dans

la Krajina, qui, à l’instar des russophones de Moldavie,

établirent leur propre république indépendante. Le problème

survint également en Bosnie-Herzégovine où la minorité serbe

réclama la création d’une République autonome. A ces diasporas

s’ajoutent des minorités internes qui causent des problèmes

similaires d’intégration. La Russie doit donc composer avec la

minorité tchétchène tandis que la Serbie réclame le Kosovo,

une terre où vit une majorité d’Albanais (environ 90%) qui

demande l’indépendance. La question qui se pose c’est de

savoir si de telles similitudes peuvent pousser la Russie à

soutenir la Serbie car celle-ci, schématiquement, ferait face

aux mêmes « problèmes ». James Headley répond à cette question

en hiérarchisant les priorités de la diplomatie russe,

première priorité : les frontières de la nouvelle Fédération

russe, ensuite, l’étranger proche. En suivant cet ordre des

priorités la Russie est plus inquiète de voir la Tchétchénie

modifier les frontières de la Russie que du sort des diasporas

russes. Ce raisonnement impliquerait donc plutôt une volonté

de stabiliser les frontières, que ce soit en Croatie, en

Bosnie au sujet des minorités serbes ou en Serbie avec le

Kosovo et non de soutenir les minorités serbes ce qui pourrait

avoir des répercussions dans ses propres frontières. Difficile

en effet de soutenir le droit des peuples à disposer d’eux-

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 42 -

mêmes quand au sein de ses propres frontières des peuples

réclament le même droit.

La comparaison entre les deux pays est néanmoins

pertinente en ce que ces deux pays sont des Fédérations

multinationales orthodoxes ayant connu un régime communiste.

Ces deux pays sont dotés d’un sentiment national qui

outrepasse les frontières étatiques, la Serbie et la Russie

considèrent qu’ils ont un droit de regard sur certains

territoires extérieurs voire même un droit historique à

posséder des territoires de leurs étrangers proches. Ces deux

pays font également face à des menaces intérieures, des

populations non serbes ou non russes qui demandent plus

d’autonomie au risque d’aller jusqu’à la sécession. D’autre

part « la situation de la Russie est la seule qui ressemble à la Serbie 1» à cause

du nouveau tracé des frontières de la Russie qui laisse de

nombreux Russes à l’extérieur de l’Etat national, des

populations dispersées que l’on appelle « pieds-rouges ». Avec

l'éclatement de l'URSS, de nombreux Russes vivant dans les

Républiques périphériques se sont retrouvés dans des Etats

nouvellement indépendants dont ils ne parlaient pas la langue

et auxquels ils ne s'identifiaient pas. La crainte de lois

répressives, notamment sur l’obligation de parler les langues

nationales des nouveaux Etats ont poussé entre 5 et 6 millions

d’entre eux à revenir ou, pour certains, à venir dans une

Russie dans laquelle ils n'ont jamais habité mais qu'ils

voient comme leur patrie naturelle. Le retour se tasse

cependant au milieu des années 1990. Evalués à 23 millions à

1 Jean-Pierre Maury, « La nouvelle perception des menaces: l’ex-bloc soviétique et la Yougoslavie », Afers Internacionals, núm. 27, 40.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 43 -

la fin des années 1980, 18 millions de Russes vivraient encore

dans les républiques d’ex-URSS. Cependant, l’étude rappelle

que les Serbes de Croatie ont connu avec les Oustachis pendant

la Seconde Guerre Mondiale, un moment sans équivalent en

Russie, de même qu’il existe en Serbie un sentiment

d’injustice extrêmement prégnant lorsque les Albanais

« usurpèrent » les terres sacrées du Kosovo. L’auteur souligne

surtout que la « Serbie et la Russie peuvent être des Empires et des

démocraties, mais pas les deux 1». Pourtant, force est de constater

que Boris Eltsine ne fut pas Slobodan Milosevic, et si on peut

contester le clientélisme et la montée des mafias financières

sous sa présidence, il ne partage absolument pas cette

conception du pouvoir autoritaire et belliciste. La presse est

pluraliste, elle peut critiquer le pouvoir en place, les

élections sont libres, ce qui distingue très largement la

Russie de la Serbie. De fait, l’état d’avancement du

« fascisme » n’est pas le même dans les deux pays. En 1991,

Jirinovski réunit sous sa candidature environ 8% des suffrages

soit plus de six millions d’électeurs russes, plus inquiétant

cependant son parti, le LDPR, remporta 23% des suffrages lors

des élections de la Douma en 1993. Ces scores ne donnèrent pas

une majorité à Jirinovski, mais il est intéressant de

constater que ces résultats infléchirent la politique

étrangère de Kozyrev, auparavant nettement pro-occidentale. La

Russie « se comporta comme un allié politique et un protecteur militaire de la

Serbie fasciste 2» à partir d’avril 1994, selon l’auteur de cette

1 Richard Johnson, “Serbia and Russia: U.S. Appeasement and the Resurrectionof the Fascism”, National War College, 28 avril 1994, 6. 2 Ibid, 10.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 44 -

étude. Le succès militaire de la Serbie apporterait aux

nationalistes russes un succès idéologique qui permettrait de

contester l’autorité de Kozyrev et d’Eltsine. A la différence

de Samuel Huntington, qui perçoit dans la solidarité panslave

un trait civilisationnel, l’analyse de Richard Johnson

implique une solidarité idéologique et politique.

Malgré, ou à cause de ces différences, des nationalistes

ont considéré le régime serbe de Milosevic avec respect et

envie, accusant le gouvernement russe d’abandonner à la fois

les « Frères slaves » et les Russes de l’étranger, ces

accusations, nous l’avons vu, ont autant pour objectif de

saper les réformes libérales de Boris Eltsine que d’obtenir

des compensations après l’échec du coup d’Etat. Certains n’ont

d’ailleurs pas frémi d’horreur devant les atrocités commises

par la JNA à Vukovar ou devant le siège de Sarajevo. Edouard

Limonov, dont Eric Carrère a brossé le portrait dans son livre

éponyme, a par ailleurs déclaré devant la BBC en anglais,

« Vous êtes un peuple très courageux : malgré ce qu’il y a contre vous, une grande

puissance. Quinze pays sont contre vous, et vous résistez... Et je le répète encore,

nous Russes, devons prendre exemple sur vous. Vous, peuple de mon sang, de ma

religion. Je vous admire vraiment... J’ai trouvé le mot juste à présent, c’est

« admiration » 1». L’extrême droite et l’extrême gauche, la

coalition rouge et brune, bien qu’informelle, partage cette

admiration pour le courage serbe, et beaucoup regrettent que

la politique étrangère russe soit trop conciliante avec les

intérêts américains. La montée de cette coalition va de pair

avec la montée de la xénophobie, du racisme et d’un sentiment

national exacerbé. Une étude américaine du National War1 P. Pawlikowski, « Serbian Epics », BBC, Bookmark, 1992.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 45 -

College explique le renforcement des forces politiques dites

« fascistes » en Russie et en Serbie par le laxisme des Etats-

Unis. Par un jeu de miroir, les fascismes se renforcent

mutuellement ce qui conduit à la formation d’un cercle vicieux

favorisé par l’inaction des Etats-Unis.

Il est intéressant de contrebalancer cette analyse par

cette assertion du vice-ministre des Affaires étrangères

russes, Vitaly Churkin, qui, le 16 mars 1994, déclara que « pour

être honnête, lorsque je travaillais sur ce problème [la guerre de Bosnie] la

principale chose que j’essayais d’empêcher c’était une humiliation nationale pour la

Russie 1». En d’autres termes, la politique étrangère de la

Russie ne devait cesser d’être guidée par des considérations

intérieures, cette « humiliation » dont parle Vitaly Churkin,

pouvait justement renforcer la coalition rouge et brune, ce

qui n’était pas dans l’intérêt de Boris Eltsine. Cette étude

est néanmoins intéressante en ce qu’elle renverse le paradigme

énoncé par Gorbatchev, qui souligne que la politique étrangère

russe est d’avantage guidée par des obligations intérieures.

En effet, la politique étrangère nationaliste et panslave de

la Russie se nourrirait de cette même politique, exacerbée en

Serbie, ce qui aurait des conséquences internes, sur le

fonctionnement et l’idéologie du Ministère des Affaires

étrangères russe.

II.3] La Russie et la peur de l’islamisme, quel

rôle dans la guerre de Bosnie ?

1 Eric Shiraev, Deone Terrio, “Russian Decision-making Regarding Bosnia: Indifferent Public and Feuding Elites” in International Public Opinion and the BosnianCrisis, Lexington Books, 135.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 46 -

Dans sa logique civilisationnelle, Huntington affirme que la

« solidarité musulmane » fut la plus universellement active et

efficace, « l’aide vint d’une variété de sources, publiques et privées ; les

gouvernements musulmans, plus particulièrement ceux de l’Iran et de l’Arabie

Saoudite, rivalisèrent dans le soutien et pour tenter de gagner l’influence que celui-ci

générait 1». Effectivement, ces deux pays apportèrent un soutien

aux Musulmans de Bosnie, l’Arabie Saoudite en envoyant de

l’argent et une aide humanitaire comprenant nourriture et

soins médicaux tandis que l’aide de l’Iran incluait des armes.

Il ne s’agit pas ici de discuter de la véracité de telles

affirmations mais de constater que la solidarité, plus ou

moins fantasmée, a donné l’impression à la Russie que se

créait en Bosnie un front musulman contre « la civilisation

orthodoxe ». Si, comme l’affirme Shireen Hunter la religion n’a

pas joué un grand rôle dans la politique étrangère russe

pendant la guerre de Bosnie, ou tout du moins si ce rôle a été

exagéré, la possible création d’un Etat islamique a inquiété

l’élite politique russe2. La guerre de Bosnie ne provoqua pas

de réelles réactions au sein de la communauté musulmane de

Russie, notamment à partir de la guerre de Tchétchénie en

1994, où la préoccupation bosniaque passe au second plan, à

l’exception d’une conférence organisée par le gouvernement

turc en 1994 « la Monde et la tolérance religieuse » dont le

principal sujet était la Bosnie et où participa le mufti Ravil

Gainutdin, de Moscou. Néanmoins, la Russie fut attentive à la

tournure radicale que prirent les événements avec le massacre1 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Odile Jacob, 1996, 430.2 “Clearly Russia did not want to see a truly viable Muslim State emerge inthe heart of the Balkans” Shireen Hunter, Islam in Russia: The Politics of Identity and Security, New edition, 2004, 395.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 47 -

de musulmans en Bosnie qui provoquèrent l’indignation et la

révolte des pays arabes. Le schéma civilisationnel étant dans

tous les esprits, certains condamnèrent un front orthodoxe

proserbe, dont la Russie fait bien évidemment partie,

s’opposant à un front musulman mené par l’Iran, l’Arabie

Saoudite et la Turquie. Ces insinuations poussèrent Sergei

Shakhrai, vice ministre des affaires étrangères et autrefois

responsable des minorités vivant en Russie, à condamner

fermement certains médias russes coupables d’exagérer la

proximité slave et orthodoxe. Il dénonça notamment

l’insistance des médias russes à décrire la Russie « comme un

Etat antimusulmans à cause de son inclinaison envers les Serbes qui partagent une

foi orthodoxe avec la Russie » et « de délibérément surestimer l’importance des

15 millions de Musulmans vivant en Russie 1». Serguei Shakhrai, par la

voix de son parti, le Party of Russian Unity and Accord (PRES), ajouta

« qu’on a l’impression que quelqu’un veut transformer le conflit local de Bosnie en

une confrontation globale entre les civilisations Orthodoxes et Musulmanes ». Ces

déclarations visèrent à dénoncer un climat « anti-musulman » se

répandant dans le pays et accusèrent « les médias de vouloir un choc

avec les pays musulmans de la CEI et avec les alliés traditionnels de la Russie dans le

monde arabe 2».

II.4] Le renouvellement du personnel

diplomatique.

1 Ibid, 395.2 Ibid, 395.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 48 -

Les années 1991-1992 montrent une volonté radicale de

changer de politique étrangère. Ce changement passe par une

incarnation nouvelle de la politique étrangère, par des

visages neufs et occidentalistes. Ce changement de conception

des relations internationales fut amorcé par Gorbatchev lui-

même. La politique étrangère sous Gorbatchev fut en grande

partie déterminée par la volonté de créer un monde plus sûr,

donc de terminer la Guerre Froide, sans pour autant renoncer

au communisme. Il appelait à « accélérer le processus

d’intégration » au sein du camp socialiste et à « renforcer la

coopération entre partis frères »1. La « Nouvelle Pensée »,

entend repousser la guerre technologique et la course à

l’armement, pour mieux concentrer les efforts de l’URSS en vue

de créer un monde en paix qui lui permettrait de retrouver la

prospérité. Iakovlev, un des proches collaborateurs de

Gorbatchev, attend de l’URSS qu’elle change son orientation

vis-à-vis des Etats-Unis, pour se concentrer sur une

compétition de nature idéologique, sociale et politique2. Dès

1985 on peut constater que Gorbatchev a procédé à une

rénovation du personnel diplomatique, à Vladivostok, il

déclara que « l’étape en cours pour le développement de la civilisation [...] est

dictée par un besoin urgent d’une rupture radicale avec beaucoup des approches

conventionnelles en politique étrangère, une rupture avec la tradition de la pensée

politique 3». Une telle rupture ne peut s’effectuer avec le même

personnel que celui qui a obéi à Andropov. Le changement de1 Mikhail Gorbatchev, Perestroïka i novoe mychlenie dlia nacheï strany i dlia vsevo mira, Moscou, Politizdat, 1987, pp. 170, 173, 166 (trad. française Perestroïka, Paris, Flammarion, 1987).2 Pierre Hassner, « Gorbatchev à l’Ouest », Pouvoirs, 45, 1988, p.110. Disponible aussi aux éditions CERI. 3 Dmitri K. Simes, “Gorbachev: A New Foreign Policy?” Foreign Affairs, 1986.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 49 -

doctrine en matière de politique étrangère en vue de la

constitution d’un monde multipolaire ne s’est cependant pas

effectué dans le cadre législatif. La plupart des prérogatives

en matière de politique étrangère demeurent dans le cadre

exécutif. La Constitution de 1993 confère au président russe

les mêmes avantages que lors de la période soviétique, ne

donnant à la branche législative qu’un rôle secondaire. Le

monde multipolaire voulu par Kozyrev ne se traduit donc pas

par une véritable décentralisation du pouvoir1.

Ce renouvellement se poursuit naturellement avec Boris

Eltsine, lorsque celui-ci décida de s’entourer, à l’instar de

ses prédécesseurs du XIXe, de personnalité occidentalistes,

généralement plus jeunes, tels Andreï Kozyrev, G. Burbulis,

l’un de ses principaux conseillers et le Premier ministre Egor

Gaïdar. Ces personnalités entendaient faire table rase du

passé soviétique pour faire entrer la Fédération de Russie

dans un nouveau monde, multipolaire et démocratique. Egor

Gaïdar conduisit la réforme économique, « la thérapie de

choc », qui consistait en réalité en une libération des prix

et de l’activité et en une tentative de réduction du déficit.

Kozyrev, lui, fut nommé en octobre 1990, lorsque Boris Eltsine

était encore président du Soviet Suprême. La nomination de

Gennadi Burbulis comme premier adjoint à Andreï Kozyrev par1 “When a large part of the Soviet’s Union foreign policy function devolved to Russia in 1992 the Soviet pattern of centralizing foreign policy continued. The Russian constitution of 1993 gives the executive branch the chief role in making foreign policy, with the legislative branch occupying a distinctly subsidiary role. In the years since 1993, President Yeltsin has formed various organizations in the executive branch to assist him in formulating foreign policy. The mechanism of policy making has remained unwieldy, however, and the increasingly nationalistic parliament has used every power it commands to influence policy making.” Glenn E. Curtis, Russia:A Country Study, Washington: GPO for the Library of Congress, 1996.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 50 -

Boris Eltsine, a instauré une compétition entre les deux

hommes. Le premier jouissait d’une véritable confiance de la

part du président russe, et ce jusqu’en 19921. Son rôle,

coordonner la politique étrangère russe, lui accordait en

réalité une primauté sur Kozyrev. Un peu plus tard, furent

créés pour déterminer la politique étrangère russe, deux corps

exécutifs, le Conseil de Sécurité et la Commission

Interdépartementale de politique étrangère, dont l’efficacité,

faute de moyens, s’en trouva limitée. Le pouvoir diplomatique

échut donc plutôt à la Défense, dirigée par Pavel Gratchev et

au premier ministre Viktor Tchernomyrdine.

La volonté d’une politique étrangère pro-occidentale avait

un double objectif, tout d’abord rejeter Gorbatchev à droite

de l’échiquier politique russe, et deuxièmement mettre en

œuvre le redressement de la Russie selon un modèle libéral. Le

risque pris avec le démembrement de l’URSS était de reléguer

la puissance russe au deuxième plan. Cette politique pro-

occidentale subit dès le début de la crise yougoslave quelques

accrocs notamment avec le surprenant discours de Kozyrev à la

CSCE à Stockholm le 14 décembre 19922 qui condamnait les

sanctions à l’égard de la Serbie et les manœuvres des pays

occidentaux vers les Etats Baltes. Cette prise de position fut

interprétée comme une tentative de compromis avec les forces

intérieures, conservatrices, proserbes, lui-même déclara en

« off » qu’il s’agissait d’une manœuvre tactique mais que

Boris Eltsine n’avait absolument aucune envie d’appliquer ces

1 Eric Shiraev, Deone Terrio, “Russian Decision-making Regarding Bosnia: Indifferent Public and Feuding Elites” in International Public Opinion and the BosnianCrisis, Lexington Books, 138.2 Peter Truscott, Russia First: Breaking with the West, 1997, p.38.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 51 -

idées1. Vitaly Churkin, lui, fut vice-ministre des Affaires

étrangères entre 1992 et 1994 et envoyé spécial du Président

chargé de la question bosniaque, ce qui montre l’intérêt de la

Russie pour cette problématique. Ce fut le cas notamment en

1994 lorsque Vitaly Churkin négocia dans les quartiers

généraux serbes l’arrivée des troupes russes à Sarajevo en

échange du retrait des armes lourdes2. Les Serbes enlevèrent

rapidement les armes lourdes de « l’exclusion zone » le 20

février. Vitaly Churkin fut remplacé par Igor Ivanov, qui fut

ambassadeur à Madrid en 1991 avant d’être nommé vice-ministre

des Affaires étrangères en 1994. Cet homme est décrit par

Strobe Talbott comme un homme « solide, un diplomate

professionnel d’humeur égale », il ajoute qu’il a servi

Chevardnadze comme cadre du Ministère des Affaires étrangères.

Cet antécédent montre bien qu’après une période de

renouvellement au sein du ministère des Affaires étrangères,

la pression des nationalistes poussa Boris Eltsine à encadrer

Andreï Kozyrev d’un homme expérimenté et qui a servi sous

Gorbatchev. Cette nomination est assez symptomatique d’un

revirement conservateur à partir de 1993-1994. Un cran en

dessous, on distingue Gorgi Mamedov, un homme dont Talbott dit

qu’ils ont en commun un héritage musulman (Mamedov étant la

version slavisée de Mohammed). La discussion entre Mamedov et

Sacirbey du 20 Septembre 1995 reflète bien les échanges

diplomatiques entre la Russie et les Etats-Unis à cette1 Robert H. Donaldson, Joseph L. Logee, The Foreign Policy of Russia: Changing Systems, Enduring Interests, Fourth Edition, 2009, 114. 2 Un témoignage vidéo de Vitaly Churkin qui explique brièvement les négociations aboutissants à ce « succès » diplomatique : http://www.firstpost.com/topic/person/vitaly-churkin-churkin-in-bosnia-video-JNiiYv9yoxo-61544-2.html

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 52 -

période. Le premier dit à Mamedov qu’il est donc l’un des

leurs puisqu’il est musulman, Mamedov répliqua qu’il était de

Bakou. Sacirbey s’exclama et dit qu’il est donc plus

communiste que musulman. Mamedov continua et dit qu’il y a

beaucoup de Musulmans et beaucoup de communistes en Russie, ce

à quoi Sacirbey répondit qu’il y a environ vingt millions de

musulmans et qu’il n’a donc rien à craindre d’eux. Mamedov

répliqua « peut-être est-ce pourquoi nous avons peur de vous 1». A la

Douma, le député et président du Comité mixte sur les Affaires

étrangères et les relations économiques du Soviet suprême,

Yevgeny Ambartsumov fut l’auteur de nombreuses déclarations au

sujet de la guerre de Bosnie, celui-ci regrettait que chacune

des positions russes soit identique à celles des Américains2.

Le renouvellement du personnel diplomatique fut donc limité et

n’eut lieu que dans une période très courte, il convient

d’insister sur la longévité du ministre des affaires

étrangères, Andreï Kozyrev, qui survécut à son impopularité

jusqu’en 1995.

II.5] Le temps de la redéfinition des priorités

stratégiques : changement de doctrine militaire

et diplomatique.La Russie en 1991 est un Etat sans Constitution, qui, bien

que sans principes institutionnels clairement définis, se1 La retranscription en anglais de cet échange est disponible sur Internet :http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB171/ch06.pdf2 Izvestia, June 29, 1992, 3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 53 -

fonde sur le rejet de l’ancienne URSS et par la conviction,

notamment au sein des élites russes, qu’un ralliement au

libéralisme économique et à un système démocratique

s’imposent. Tout reste donc à transformer, voire à créer, de

l’armée au bon fonctionnement de la démocratie en passant par

la libéralisation de l’économie. La période, extrêmement

courte, de décembre 1991 au 12 décembre 1993, date à laquelle

fut adoptée par référendum la Constitution de la Fédération de

Russie, est riche en nouveaux concepts stratégiques et en

discussions, qu’Igor S. Ivanov, ministre des affaires

étrangères russe en 1998, qualifie lui-même de « pointues et

argumentatives 1». Ces discussions portent notamment sur les

intérêts stratégiques russes, « les intérêts vitaux » ainsi

que le concept de « monde multipolaire » qui devaient

permettre à la Russie renaissante de retrouver l’influence qui

était la sienne avant l’émergence de l’hyper puissance états-

unienne. A ces premiers phénomènes, Igor S. Ivanov ajoute une

autre caractéristique propre à la période, « la privatisation de

l’ensemble des secteurs concernant les relations internationales qui étaient formelle

sous contrôle gouvernemental, c’est le cas dans l’économie et la coopération

commerciale, l’investissement, les échanges culturels et scientifiques etc. 2». C’est

avec enthousiasme et espoir que la Russie s’engage sur le

chemin d’une libéralisation, qui, selon ses dirigeants et en

premier lieu Boris Eltsine, devait attirer les investisseurs

étrangers en grand nombre. Economiquement, la Russie prend un

virage radicalement libéral, et cette idée, bien que

1 “pointed and argumentative”, Igor Ivanov, The New Russian Diplomacy, p. 32 “The privatization of whole sectors concerning foreign relations”, Igor Ivanov, Op. cit., p. 11.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 54 -

vigoureusement combattue par le parti communiste, est

largement acceptée par les élites russes au pouvoir dans la

première moitié des années 1990.

La formation d’une politique étrangère russe cohérente est

donc concomitante à l’établissement d’un ordre socioéconomique

nouveau, volontairement libéral. Les enjeux stratégiques, eux,

n’ont pas connu la même unanimité dans leur appréciation. Il y

a clairement une ambivalence entre une hostilité manifeste

vis-à-vis du bloc occidental, une vision catalysée dans le

bureau de l’Etat-major où les généraux Pavel Gratchev et

Rodionov se succèdent entre 1992 et 1997, et la volonté de

rejoindre un rang équivalent à celui de l’URSS qui permettrait

à la Russie de demeurer un acteur incontournable dans les

sommets internationaux, et ce même au détriment d’intérêts

nationaux russes. Igor Ivanov l’affirme, l’intérêt de la

Russie est de se porter garant des Russes de l’étranger et de

changer la politique russe vis a vis de l’Europe de l’Est et

Centrale1, mais ce qui réellement affecte la rédaction d’une

nouvelle doctrine militaire c’est la nécessité de redéfinir la

notion de menace. Existe-t-il des adversaires menaçant

l’existence même de la Russie ou des ses intérêts vitaux ?

Quels sont-ils ? Comment combattre et restreindre cette

menace ? Quel rôle donner à l’utilisation de l’arme

nucléaire ? La fin d’un monde manichéen, d’un monde divisé en

deux blocs bouleverse complètement la notion de menace, de

bien et de mal. L’ennemi d’hier devient le modèle idéologique

1 “It was necessary to defend the rights of Russians who now found themselves outside Russia’s borders, and to lay a new political foundation for relations with Central and Eastern European countries”, Igor Ivanov, The New Russian Diplomacy, p.13.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 55 -

à suivre. Les réponses à ces questions vont diverger, deux

lignes vont s’opposer au sein du ministère de la Défense

provoquant ainsi une paralysie et un retard considérable dans

l’adoption de ce texte qui n’a eu lieu que le 2 Novembre 1993

par décret présidentiel1. Les deux priorités énoncées

concernent « l’étranger proche », zone stratégique s’il en

est, dont l’objectif, à terme, serait de rétablir l’influence

russe par d’autre biais que l’impérialisme communiste mais à

des degrés plus ou moins équivalents. L’autre priorité réside

dans la « menace » ressentie concernant l’élargissement de

l’OTAN à l’Est. Pour beaucoup de dirigeants russes

traditionalistes ayant exercé des fonctions pendant l’URSS,

l’OTAN est le vestige du passé, il n’existait qu’en raison du

Pacte de Varsovie, oubliant ainsi que l’OTAN a vu le jour bien

avant le Pacte de Varsovie, le 4 Avril 1949. C’est le cas de

Rodionov, qui était à la tête d’un groupe important et très

influent au sein de l’administration militaire2 qui soutenait

que les principales directions stratégiques en matière de

défense sous l’URSS devaient être conservées, avec le maintien

des Etats-Unis comme ennemi et l’augmentation en conséquence

de l’armement stratégique, autrement dit nucléaire. Cette

position reste toutefois minoritaire au sein du Conseil de

Sécurité en 1993 qui considère de manière réaliste une

réduction des forces combattantes et une redéfinition des

menaces réelles3. Dès 1992 il apparaît très nettement dans le

1« Fondements de doctrine militaire de la Fédération de Russie », Krasnaïa Zvezda, 19 novembre 1993. 2 Yves Boyer et Isabelle Facon, La politique de sécurité de la Russie, entre continuité et rupture, Ellipses, 77.3 Kraznaïa Zvezda, 28 janvier 1997.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 56 -

« Concept de sécurité militaire des Etats membres de la CEI »

que la « menace d’une guerre mondiale engageant l’arme nucléaire est très peu

probable actuellement ». Il reste cependant « un grand danger à voir

apparaître des conflits militaires ou autre débouchant sur des guerres locales 1».

En cela l’approche militaire et stratégique traduit une

nécessité imposée par le contexte, l’armée russe doit être

réformée et cela avant même qu’une doctrine ne soit clairement

énoncée. Il s’agit sans doute d’une première réponse à

l’absence, à priori, de cohérence dans la politique étrangère

de la Russie. Se subdivisant en trois parties : politique,

militaire et économique, le « Concept de sécurité militaire

des Etats membres de la CEI » insiste dans sa partie militaire

sur l’importance des conflits d’ordre conjoncturel, sont pris

en exemple le conflit en Yougoslavie, le Haut Karabakh,

l’Abkhazie et le Tadjikistan. Ces conflits périphériques

devaient entraîner une riposte immédiate de la part de Moscou

pour maximiser les chances d’une résolution pacifique du

conflit. Ce document montre que la Russie reconsidère son

approche vis-à-vis de l’Occident, Pavel Gratchev écrivit

d’ailleurs « que la confrontation militaire entre l’Est et l’Ouest avec sa

considérable composante nucléaire et qui se nourrissait de l’existence même des

arsenaux nucléaires stratégiques et substratégiques énormes accumulés pendant la

guerre froide a été éliminée au cours des dernières années 2». Pavel Gratchev

redéfinit la notion de menace autour du terrorisme « qui inquiète

toute la planète », du nationalisme et des haines religieuses car

il craint que « l’Humanité ne se débarrasse pas aussi vite qu’elle le

1 Ibid.2 Nezavisimaïa Gazata, 8 juin 1993.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 57 -

souhaiterait de ce fardeau hérité du passé 1». Pourtant, l’armée russe

dans la première moitié des années 1990 demeure très largement

inadaptée aux contraintes et aux défis ainsi énoncés dans ces

doctrines. Ces inquiétudes liées à l’espace post-soviétique

vont de pair avec la diminution des craintes concernant une

agression de la Fédération de Russie, ainsi, la Russie ne

« considère aucun Etat comme son ennemi ». On peut relever également

dans les Fondements de la doctrine militaire de la Fédération

de Russie que « la menace immédiate d’une agression contre la Fédération de

Russie, a, dans les conditions actuelles, fortement diminué». La guerre de

Bosnie n’est pas une réelle menace pour la Fédération de

Russie, son impact et sa perception par les élites militaires,

politiques et diplomatiques nous révèlent que plus qu’une

question de sécurité collective il s’agit de maintenir

l’influence de la Russie dans la résolution de conflits

proches de ses frontières. Ainsi, les notions de « sécurité »

et « d’influence » sont adroitement liées par certains

militaires qui craignent qu’avec une redéfinition radicale

des menaces et de la sécurité, l’armée soit saignée à blanc au

profit d’autres secteurs. La guerre de Bosnie a donc été

l’occasion d’interprétations alarmistes sur la menace

occidentale, une manière pour le corps des officiers généraux

de défendre leurs intérêts (économiques et politiques) et ceux

de l’armée.

1 Nezavisimaïa Gazata, 9 juillet 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 58 -

Deuxième Partie : La presse et

l’opinion publique, une perception

déformée ?

I. La formation d’une opinion publique russe,

entre désintérêt et crispations.

I.1] La naissance de l’opinion publique après

la chute de l’URSS.La chute du mur de Berlin et la progressive destruction de

l’ensemble du système communiste vit un premier décalage,

intéressant dans le cadre de la guerre de Bosnie, se créer

entre l’opinion publique russe et les dirigeants russes, les

élites financières et culturelles qui massivement virent d’un

très bon œil la disparition du régime communiste. A l’inverse,

l’opinion publique dans sa majorité fut pessimiste quant à la

disparition de l’URSS. A la fois inquiète de la perte

d’influence de la Russie face aux Etats-Unis et aux grandes

puissances émergentes, préoccupée par la situation économique

de la Fédération de Russie, l’opinion publique s’inscrit, dès

la première moitié des années 1990, dans le pessimisme et la

défiance. Un sondage mené par VIsIOM en 1994 révèle que 76%

des Russes pensent que la chute de l’Union soviétique produit

plus de dommages que de bonnes choses. Seuls 7% pensent le

contraire et 17% d’autres jugent que la chute de l’Empire

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 59 -

soviétique n’a pas de conséquences bonnes ou négatives1.

Paradoxalement, ce sentiment de rejet envers le libéralisme ne

s’accompagne aucunement d’un sentiment d’attachement à l’URSS.

Très peu seraient prêts à se sacrifier pour un retour à

l’ordre ancien, une situation très bien définie par le général

populiste Lebed, « Et l’URSS n’est plus. Ceux qui ne regrettent pas l’URSS

manquent de cœur, mais ceux qui pensent que l’on peut la recréer dans sa forme

originelle manquent d’intelligence 2». Il convint d’examiner ces

chiffres à la lueur des déclarations d’Andreï Kozyrev

d’octobre 1991 lorsqu’il annonça dans Izvestia la volonté des

dirigeants russes à mener la Russie dans le sillon des Etats-

Unis. Un vrai décalage semble exister entre une certaine

« euphorie 3» des leaders et l’attentisme teinté de défiance du

peuple russe. L’URSS n’est plus, et le pays qui le remplace se

cherche des frontières, une constitution et peut-être aussi

une idéologie. A cela l’opinion est sensible, d’autant plus

qu’elle doit se confronter à des crises consécutives, la crise

constitutionnelle de 1992-1993, l’utilisation de la force par

Eltsine pour dissoudre le Soviet Suprême en septembre-octobre

1993, les victoires de l’opposition en 1993 et 1995 et la

guerre de Tchétchénie en 1994. Les difficultés économiques de

la Russie vont en partie la guider à se réfugier dans le giron

américain, les Etats-Unis proposant une aide à la Russie. La

guerre de Bosnie survint donc dans cet environnement déjà

alourdi par les crises et se présente comme le premier défi de

1 Igor Zevelev, NATO’s Enlargement and Russian Perceptions of Eurasian Political Frontiers, EAPC, 2000, 9.2 Ibid, 10.3 Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 136.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 60 -

la diplomatie russe. La société civile prend progressivement

conscience qu’elle peut jouer un rôle dans les décisions

prises par la Russie, cependant l’assimilation de certaines

valeurs « occidentales », ou considérées comme telles (la

démocratie, le libéralisme, le pluralisme…) n’a été en réalité

effective qu’au sein des élites, la guerre de Bosnie montre

bien que les crispations de la Guerre Froide n’ont pas

totalement disparu.

L’attitude du peuple russe pendant la guerre de Bosnie

doit également être jugée par le prisme de la situation

internationale, la question doit donc porter sur le regard que

porte la société civile sur les Etats-Unis et sur l’Europe en

construction. Les réponses apportées à ces questions ont un

impact direct sur la manière d’appréhender une crise telle que

celle de Bosnie. Une première étude intéressante1 prouve que

« l’homo sovieticus » n’est qu’un mythe et qu’en réalité un Russe

n’est pas foncièrement différent en terme de comportement

économique qu’un Américain, leurs attentes diffèrent cependant

de celles des Américains au sujet des problématiques

internationales. Les études ont souvent porté sur

l’élargissement de l’OTAN et sur la relation qu’entretient la

Russie avec son étranger proche, la question bosniaque reste

donc secondaire par rapport à ses problématiques, même si pour

les élites ces sujets peuvent être liés. Pourtant la guerre en

Bosnie fut couverte par des journaux communistes, comme la

1 Robert J.Shiller, Maxim Boycko, Vladimir Korobov, “Popular Attitudes Toward Free Markets: The Soviet Union and the United States Compared”, American Economic Review, 81, N°3, 1991, 385-400.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 61 -

Pravda, le quotidien des communistes fondé en 1912 par Lénine

et

tiré à 150 000 exemplaires ou Izvestia, qui commentèrent

quotidiennement les événements. Les autres journaux firent de

même, avec peut-être moins d’assiduité, une situation que l’on

peut expliquer par la position défendue par les journaux, plus

contrastée et moins critique de l’action de Boris Eltsine. La

couverture télévisuelle fut plus discrète et ménagea plus le

pouvoir que ne le firent les journaux pour des raisons de

conflits d’intérêts entre les magnats de la télévision et le

pouvoir en place. La logique de la diffusion de l’information

se déroule donc, contrairement à aujourd’hui, selon une

logique horizontale : des élites au peuple. L’opinion publique

peut donc difficilement se faire une opinion autre que celle

des élites qui pensent à leur place. Notre méthodologie va

donc consister à partir des élites et des journaux pour

ensuite considérer les convictions et parfois l’indifférence

de l’opinion publique russe.

I.2] La couverture médiatique du conflit

bosniaque.Cette couverture du conflit fut donc en grande partie

l’œuvre de journaux communistes, en comparaison, les journaux

d’analyse comme Argumenty i facty ne publièrent que trois articles

dans la période de 1991 à 19961. Pour des raisons éditoriales,1Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 143.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 62 -

le public ne s’intéressant que très modérément aux affaires

politiques internationales, les articles d’analyse ne sont pas

légions. Nuzgar Betaneli, directeur de l’Institut de

Sociologie du Parlementarisme estima à 10 ou 12% la

population russe active politiquement1. Néanmoins, l’année 1995

est une année décisive, aux yeux de l’opinion occidentale : le

bombardement du marché de Sarajevo le 28 août 1995, révèle la

culpabilité des Serbes dans ce conflit. Cet attentat devient

un argument pour expliquer les raids de l'OTAN en Bosnie,

argument vivement contesté notamment dans le quotidien de

l'Armée russe Krasnaja Zvezda, organe officiel du Ministère de la

Défense, source d’information révélatrice des orientations

politiques du pouvoir central russe sur la sécurité

européenne. Ces contestations prirent de l’ampleur avec les

déclarations du colonel Demurenko, représentant des forces de

maintien de la paix de l'ONU dans le secteur de Sarajevo,

accusant les Bosniaques musulmans d’avoir orchestré cet

attentat. Pour lui, la chance est infime que les Serbes

puissent toucher, en se trouvant à quatre kilomètres de là,

une artère de neuf mètres de large, sans avoir de canons

120mm2. Il contredit ainsi les experts de l’ONU qui dans un

rapport accusaient explicitement les Serbes de cet attentat,

pour lui la trajectoire du tir au mortier ne peut correspondre

à celle invoquée par l’ONU. Il déclara « Personne au monde ne peut

dire que les documents de la Commission onusienne disent la vérité 3». Ces

déclarations jettent le trouble sur l’opinion publique russe

1 Ogonyok, N°12, Mars 1998, 6.2 AFP, 2 septembre, 1995.3 Ibid.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 63 -

d’autant plus que selon le colonel Demurenko, ces documents

falsifiés ont servi la décision politique d’engager la Force

de Réaction Rapide et le bombardement des Serbes. L’ONU ne

tarda pas à réagir en contredisant catégoriquement les

accusations du colonel par leur porte-parole Chris Vernon.

Néanmoins, le débat dura un certains nombre de jours, les

analyses du colonel furent diffusées en boucle sur la chaîne

de télévision serbo-bosniaque et provoquèrent l’ire des

militaires américains. Il est évidemment difficile de juger

l’impact de telles images et de telles informations sur

l’opinion publique russe déjà peu encline à s’intéresser à

l’extérieur, mais il est clair que cela renforça chez

certaines élites russes bien informées l’idée d’un acharnement

contre les Serbes, voire même contre les Russes. L’information

fut d’ailleurs reprise par l’historienne de l'Institut

d'Etudes Slaves et Balkaniques de l'Académie des Sciences de

Russie, Elena Gus'kova, qui écrivit un article dans le journal

Krasnaja Zvezda daté du 1er septembre 1995 et intitulé « L'OTAN

commence la guerre dans les Balkans 1». Sa théorie consiste à

accréditer la thèse d’un complot des Occidentaux visant à

remplacer l’ONU par l’OTAN, et des Musulmans pour qui les

négociations de paix d’étaient pas favorables. Elle souligne

que le Groupe de Contact s’est réuni à Paris et qu’il approuva

les frappes aériennes contre la Serbie. Plusieurs journaux,

comme Vek, qui propose dans la semaine du 8 au 14 septembre

1995, le compte-rendu d'un entretien d'un correspondant de

l'agence ITARTASS avec le colonel Demurenko, tente de montrer

la forte probabilité selon laquelle le bombardement du marché1 Krasnaja Zvezda, 1er septembre 1995, p.3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 64 -

aurait été mené par les Musulmans et non par les Serbes.

L'article précise aussi que l'enquête privée menée par

Demurenko a immédiatement attisé la colère des structures

onusiennes et musulmanes. D’une manière plus générale, les

déclarations du colonel Demurenko ont interpelés les Russes

sur le sort fait aux Serbes. Il se dégage à la lecture des

principaux journaux russes une critique de « l’unilatéralité »

des décisions de l’ONU contre la Serbie et le manque de

soutien de l’OTAN quand c’est elle qui est attaquée, notamment

lors de l’attaque par les Croates en août 1995 qui

provoquèrent le départ d’environ 300 000 Serbes hors de leurs

terres ainsi que par le bombardement de ces mêmes réfugiés1. Du

côté des journaux communistes, la Pravda dénonça le 7 septembre

1995 en première page « le tabassage des Serbes continue : la barbarie

civilisée 2», le 21 septembre « Entrée interdite aux Serbes 3» et le 26

septembre « Ils mettent la faute sur le dos des Serbes 4». Ces titres,

outre qu’ils insistent sur « l’injustice » dont serait victime

les Serbes, remettent en cause l’action de la Russie dans

cette crise, coupable de ne pas assez soutenir « les frères

slaves ». On peut s’interroger sur la volonté réelle de ses

journaux à alerter l’opinion sur ce qu’il se passe en

Yougoslavie d’un point de vue moral et non politicien. Ces

journaux exercent une sorte de contre-pouvoir, d’opposition

constante et systématique à la politique de Boris Eltsine qui,

jusqu’à aujourd’hui, lui reproche d’avoir maintenu Andreï

1 Ibid. 2 Pravda, 7 septembre 1995, p.1.3 Ibid, 3.4 Ibid, 3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 65 -

Kozyrev et d’avoir soutenu une politique d’apaisement envers

les Etats-Unis.

I.2] La perception russe de l’OTAN pendant la

guerre de Bosnie par le prisme de la presse

russe et des intellectuels.Le conflit en Bosnie devint progressivement, aux yeux de

la presse russe, comme un enjeu pour l’influence de la Russie

au sein de son « étranger proche » et même au-delà. La presse

russe dénonce ainsi une instrumentalisation du conflit par les

puissances occidentales qui, en intervenant militairement dans

ce conflit, redonnerait un but et une raison d’exister à

l’OTAN. Plus encore, c’est l’élargissement de l’OTAN vers

l’Est qui inquiète les Russes. Ainsi, comme le fait remarquer

Ana Pouvreau, le terme de « terrain de manœuvre » est utilisé

pour désigner la guerre de Bosnie, autrement dit celle-ci ne

serait qu’une répétition générale ou un entrainement en vue

d’une avancée vers l’Est. Cette « paranoïa » se nourrit d’une

réalité géopolitique, Richard Holbrooke confiait en début de

son livre qu’il avait deux objectifs, le premier consistait à

ramener la paix en Bosnie et le second à redonner un but à

l’OTAN qui depuis la fin de la Guerre Froide était contesté1.

Plusieurs articles de la Pravda mentionnent cette expression de

« terrain de manœuvre », le 13 septembre 1995 dans la Pravda2

1 Richard Holbrooke, To end a war, Random House. 1999. 432 p.2 Pravda, 13 septembre 1995, p.7.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 66 -

ou encore dans un article publié dans Krasnaja Zvezda intitulé «

L'OTAN utilise les missiles Tomahawk sur le terrain de manœuvres européen.

L'escalade du conflit bosniaque alarme de plus en plus les Russes 1». La Pravda

du 23 septembre se montre encore plus explicite, « Qui a dégagé la

route à la machine de guerre de l'OTAN? 2», et le 18 octobre « L'OTAN

avance à l'Est 3». Enfin, Krasnaja Zvezda du 6 octobre titre, « L'OTAN

décide ce qu'il faut faire en Bosnie et comment se comporter avec la Russie 4».

L’équilibre précaire de la position russe consistant à blâmer

l’action de l’OTAN pour satisfaire l’électorat nationaliste et

la relative collaboration des dirigeants russes avec les

Américains pendant les premières années de guerre est sur le

point de se briser. La voix populiste et nationaliste enfle

avec le déploiement en juin de la Force de Réaction Rapide et

les bombardements de Zepa et de Srebrenica. La presse, à ce

moment du conflit se scinde distinctement en deux tendances

lourdes, par ailleurs déjà présentes avant que les

bombardements n’aient eu lieu, entre les journaux pro-

occidentaux et slavophiles. Il faut bien comprendre que

derrière ce mot de « slavophile », qui implique une

solidarité, se cache un antiaméricanisme à peine voilé.

L’enjeu pour ces journaux n’est pas tant la dénonciation d’une

injustice faite aux Serbes, qui n’intéresse que peu de gens en

Russie, mais la dénonciation des positions de Boris Eltsine et

d’Andreï Kozyrev en vue d’un changement de pouvoir en Russie.

L’incapacité de l’ONU à prendre en mains les opérations

1 Krasnaja Zvezda, 13 septembre 1995, p.1.2 Pravda, 23 septembre 1995, p.2.3 Pravda, 18 octobre 1995, p.3.4 Krasnaja Zvezda, 6 octobre 1995, p.3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 67 -

militaires en Bosnie, « faute d’avoir la force de son droit1 » comme le

fait remarquer justement le général Cot, profite à l’OTAN. Une

situation que s’empresse de dénoncer Elena Gus’kova qui, dès

le 1er Septembre, estimait que les organisations

internationales, et en particulier l'ONU, avaient globalement

renoncé à leurs fonctions en faveur de l'OTAN qui prit le

parti des Croates et des Musulmans. Le véritable transfert

d’autorité entre l’ONU et l’OTAN a lieu le 19 décembre 1995,

après de multiples différends, la seconde reprochant à la

première sa « timidité ». Le centre névralgique de la prise de

décision bascule de la politique vers le militaire, ce que

condamnent les Russes par l’intermédiaire de la presse mais

aussi de manière officielle, car un tel basculement remet en

cause l’idée de monde multipolaire.

Elena Gus'kova considère que grâce à la Russie et à

l'Ukraine, on s'était acheminé vers une solution politique de

la crise en Bosnie, tandis que l'Ouest s'était déjà

unilatéralement orienté vers une activation de l'OTAN dans le

but de forcer les Serbes à se retirer par la force. Cette

affirmation ne se base en réalité que sur les succès relatifs

de la diplomatie russe, lors de du retrait des armes lourdes

serbes de Sarajevo en Février 1994, le porte-parole russe

déclara d’ailleurs que « sans un seul tir, sans effrayer personne, sans

mettre la vie de soldats en danger, sans dépenser un rouble, la Russie a

effectivement remporté une bataille importante pour son statut dans le monde 2».1Nicole Gnesotto, « La puissance et l'Europe », Politique étrangère, 1999, Volume 64, Numéro 1, pp. 159-161.2Carey Goldberg, “Yeltsin 'Victory' Gives Russia That Old Superpower Feeling: Bosnia: The Kremlin leader's Sarajevo initiative is a rare foreignpolicy triumph. It offsets failures in former Soviet republics.” Los Angeles Times, 22 février 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 68 -

Ce succès, mis en exergue par la diplomatie russe, ne doit pas

masquer la réalité des pressions exercées par l’OTAN qui

permirent le retrait des armes lourdes. Ainsi, ce sont les

pressions de l’OTAN, ici dénoncées par Elena Gusk’ova, qui

donnèrent un nouveau rôle à la diplomatie russe. Elena

Gus'kova est néanmoins critique du rôle joué par la Russie et

de Boris Eltsine car cette position fut « comme toujours peu claire

et contradictoire 1» et c’est cette ambigüité qui fit que la Russie

fut écartée du règlement de la crise bosniaque. Dans le

conflit bosniaque, Elena Gus'kova considère que l'Amérique

confirme son leadership et dicte les négociations

exclusivement selon sa propre vision du monde. Elle écrit à

cet égard que « l'Occident met à exécution ce qu'il pense. L'idée de la

préservation d'un Etat serbe fort dans les Balkans est exclue de ses projets, d'autant

plus lorsqu'il est question d'une alliance potentielle avec la Russie. Ils conseillent

ouvertement aux Serbes d'abandonner leur rêve d'une Grande Serbie et ils les

préviennent que la crise ne sera pas réglée tant que leur potentiel militaire ne sera

pas détruit 2». Elena Gus'kova cite une déclaration de Warren

Christopher lors d'une conférence de presse: « Les accords que nous

avons atteints ne dépendent pas de l'accord donné par les Russes », et écrit

qu'« à l'Europe toute entière, la démocratie américaine a donné sa leçon selon

laquelle la logique de la force dicte l'obéissance ». Ce qui incite Elena

Gus'kova à conclure, sur le même ton que la Pravda qui titrait

«Aujourd'hui la Serbie, demain la Russie », qu' « il n'est pas difficile de deviner

qui prochainement refusera de se soumettre comme l'ont fait les Serbes... ».

Cette méfiance, manifeste à l’égard de l’OTAN exprimée par les

journaux russes, n’est marginale que par son excès, néanmoins

1 Krasnaja Zvezda, 1er septembre 1995, p.3.2 Ibid.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 69 -

de nombreuses interrogations sur le rôle de l’OTAN sont

portées par des alliés des Etats-Unis comme la France qui par

la voix d’Hubert Védrine déclara que François Mitterrand

« considère l’OTAN comme un organisme militaire efficace, mais d’exécution, et qui

ne doit agir que sur base d’une décision politique1 ». Une défiance

évidemment amplifiée par la difficulté qu’éprouve la Russie à

jouer son rôle de médiateur avec la Serbie du fait de

l’affaiblissement de son armée. Ces différents journaux

évoqués par Ana Pouvreau témoignent d’une volonté d’égalité

entre la Russie et les Etats-Unis, une volonté qui n’est plus

conforme à la réalité. D’une certaine manière, à l’instar de

ce qu’a écrit Hubert Védrine, la crise des Balkans est arrivée

à un moment charnière où ni la Russie ni l’Europe n’ont les

moyens, pour des raisons différentes, l’Europe se cherchant

une identité politique après Maastricht et la Russie

s’employant à faire des réformes libérales pour se

reconstruire, de concurrencer les Etats-Unis devenus seule

hyper puissance. Pour autant la Russie tente d’affirmer son

indépendance, de même que la France, en refusant de se

soumettre inconditionnellement au commandement de l’OTAN.

L’organisation cristallise les critiques au sein des pays

européens mais essentiellement de la Russie qui, par le biais

de l’ancien général Alexander Ivanovich Lebed, réclame la

nécessité d’un contrepoids à celui de l’OTAN, « les sanctions de

l’OTAN poussent les anciens pays de l’URSS, et pas uniquement la Russie, à créer un

nouveau bloc pour les protéger. L’image qui me vient à l’esprit est celle d’un grand

hooligan soul dans un jardin d’enfants. Il est le seul adulte et il pense qu’il peut faire

1 Hubert Védrine, Les Mondes de François Mitterrand, Fayard, 1996, p.652.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 70 -

ce qu’il veut. Le monde a besoin d’un contrepouvoir 1». La menace d’un

élargissement de l’OTAN amène un débat dans la presse sur la

création d’un nouveau système de sécurité en Europe dont la

Russie ne serait pas écartée. Le journal Krasnaja Zvezda s’empara

de ce débat juste après les bombardements de l'OTAN en Bosnie

le 14 septembre dans un article écrit pas Aleksandr Gol'c

intitulé: « L'OTAN scinde l'Europe. Discussions sur la sécurité sur fond de ruines

bosniaques 2». L'article fait référence à une conférence

organisée à Bonn par la fondation Friedrich Ebert et par

l'Académie des Sciences militaires sur le thème de la sécurité

européenne. Cette conférence eut lieu pendant la semaine des

bombardements par l'OTAN en Bosnie. On y parla de la question

de l'élargissement de l'OTAN à l'Est ou de manière plus

voilée, comme le fait remarquer l'auteur, de « l'ouverture à

l'Est ». L'hypothèse de base restant celle de l'OTAN comme

seul garant de la stabilité sur le continent.

I.3 Les débats à la Douma, de la crispation à

l’indignation.De 1992 à 1993, Eltsine s’efforça de passer outre les

tentatives de l’Assemblée visant à influencer le vote de la

Russie au Conseil de Sécurité de l’ONU au sujet des sanctions

économiques et militaires contre la Serbie. Ces critiques de

plus en plus fortes amenèrent Boris Eltsine à dissoudre le

1 Michael O. Beale, “Bombs over Bosnia: the role of airpower in Bosnia-Herzegovina”, School of advanced airpower studies, 1996.  2 Krasnaja Zvezda, 14 septembre 1995, p.3.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 71 -

Parlement en Septembre. La nouvelle Constitution ratifiée en

Décembre 1993 partagea l’Assemblée Fédérale en deux chambres,

la Douma qui compte 450 députés et la chambre haute qui en

compte 178. En 1993, les élections législatives voient Eltsine

arriver en tête avec 175 députés élus contre 125 sièges

occupés par les communistes. Enfin, le parti de Jirinovski, le

LDP, place 64 députés à la Douma, ce qui confère à cette

Assemblée une tonalité antilibérale et très opposée à Eltsine.

Le rôle joué par la Douma dans la prise de décision en termes

de politique étrangère doit être discuté. Pour beaucoup la

période Boris Eltsine a correspondu à l’avènement d’une

politique étrangère russe plus « démocratique ». L’éclatement

des acteurs et le rôle de l’opinion publique a été ainsi

souligné, mettant en lumière le chemin démocratique parcouru

par ce jeune pays en comparaison de son aîné communiste.

Ainsi, Lukin souligna que la politique étrangère russe était

« plus ouverte, plus conflictuelle, et un plus grand nombre d’acteurs avec des

intérêts différents qui n’avait pas encore maitrisé l’art bénéfique de l’interaction

mutuelle 1». Le jeu démocratique et le jeu de l’élection avaient

pour but d’amener Moscou à prendre des décisions concertées et

à empêcher l’autoritarisme. L’intérêt porté par les Russes aux

affaires extérieures demeure néanmoins limité, même en période

d’élection. Une première explication pourrait résider dans les

réformes économiques entreprises par Igor Gaïdar qui

malmenèrent une grande partie de la population, les poussant à

s’intéresser bien plus à leurs affaires qu’à celles engageant

la Russie hors de sa sphère d’influence. L’absence

1 Lo Bobo, Russian Foreign Policy, Reality, Illusion and Mythmaking, Palgrave Macmillan, 2002, 27.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 72 -

d’organisations sociales explique également la difficulté

qu’éprouvèrent ceux qui souhaitaient se faire entendre. D’une

manière générale les décisions de politique étrangère

concernant la Bosnie ne furent que très peu dictée par la

« pression populaire », de même que le succès du parti de

Jirinovski aux élections de 1993 peut s’expliquer, certes par

la défiance envers la politique étrangère pro-occidentale de

Boris Eltsine et d’Andreï Kozyrev, mais surtout par la peur

des réformes économiques. La Douma, dite chambre basse, a donc

ce rôle d’amplificateur de l’opinion, voire même de

déformation, d’instrumentalisation. Alex Pravda définit son

rôle dans la prise de décision en politique étrangère comme

étant « moins un corps exerçant une responsabilité reconnue que comme un

forum articulant et amplifiant les opinions qui affecte le climat politique dans lequel

les décisions politiques sont prises 1». Toutes les tentatives de la Douma

pour prendre le pas sur l’Administration pour influencer les

décisions prises en politique étrangère n’ont néanmoins pas

abouti et ont, au contraire, plutôt affaibli celle-ci. Eltsine

n’a que peu consulté les autres organes pour conduire les

discussions avec ses interlocuteurs ou pour signer des

traités.

La Douma, bien que peu influente en réalité, est une

source d’inquiétude pour les Américains, car en se faisant

l’écho des nombreux journaux le Parlement russe rejette

fortement l’expansion de l’OTAN à l’Est et les mesures visant

à sanctionner la Serbie. Ce rejet pourrait affecter les

relations même entre Bill Clinton et Boris Eltsine car, comme

le signale Dimitri Gornostayev dans le journal Nezavisimaya Gazeta1 Ibid, 29.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 73 -

« les Républicains ont toujours réagi plus calmement à Moscou que les

Démocrates 1». Pour lui, les élections de mi-mandat côté

américain pourraient, si elles tournaient à l’avantage des

Démocrates, refroidir les relations entre le Congrès américain

et la Douma. Lukin, alors président du comité aux Affaires

étrangères du Parlement, déclara cependant que Washington

ferait moins attention qu’avant à l’impact des décisions

prises en politique étrangère sur les députés de la Douma. Les

exemples sont nombreux où la Douma tenta d’influencer la

politique étrangère interne à la Russie voire même à l’Europe

et aux Etats-Unis.

En 1995, M. Glotov (invité spécial de la Russie) prit la

parole le 9 Juin au Conseil de l’Europe pour énoncer les

recommandations de la Douma au sujet du conflit bosniaque2. Le

plan de la Douma à ce stade du conflit consiste en plusieurs

points. Le premier concerne la Serbie qui « s’abstiendra de toute

action hostile à l’égard des forces de maintien de la paix des Nations unies. Tous les

otages seront libérés et l’artillerie lourde évacuée […]. Simultanément sera instauré

un moratoire relatif au bombardement des positions serbes par l’aviation de l’OTAN,

tandis que les enclaves musulmanes sous protection de l’ONU seront démilitarisées,

et un contrôle établi sur toute tentative de livraison d’armes aux Musulmans et aux

Croates 3». Ces premières dispositions montrent bien la volonté

de la Douma à influencer le conflit dans le sens serbe alors

que du côté américain, la stratégie de « fin de partie » de

Tony Lake met l’accent sur des sanctions plus fermes à l’égard

1 Steven Erlanger, « The Election and the Kremlin”, The New York Times, 13 Novembre 1994. 2 Compte rendus des débats, session de 1995 (troisième partie), Tome III, séances 17-24, 26-30 juin 1995, p.676. (Disponible sur internet)3Ibid.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 74 -

des Serbes et sur la levée de l’embargo qui pour le moment

favorisait plutôt les Serbes. Deuxièmement, le Parlement russe

propose une trêve entre les belligérants à durée indéterminée,

pour faire gagner du temps aux Serbes de Bosnie. Le troisième

point met sur la table des négociations de paix « sous l’égide du

groupe de Contact entre Karadzic et Izetbegovic avec l’éventuelle participation de

Milosevic et Tudjman 1». Cette demande est particulière et

révélatrice à plus d’un titre, tout d’abord cette volonté de

négocier montre que les députés russes rejettent toute

tentative de renversement de la situation militaire, une

conception qui s’oppose à celle de Richard Holbrooke qui

considère qu’une négociation ne pouvait avoir lieu qu’après

une avancée militaire significative des forces croates et

bosniaques. Le choix des interlocuteurs interpelle, pour la

Russie ces négociations doivent avoir lieu entre Karadzic,

poursuivi par un mandat d’arrêt international et Izetbegovic.

Milosevic et Tudjman, ayant pourtant des responsabilités dans

ce conflit ne pourraient être que consultés et seulement s’ils

le désirent. Dans ce refus d’internationaliser le conflit, le

parlement russe fait le pari d’un arrangement local, niant

toutes implications d’acteurs extérieurs. Quatrièmement, la

Serbie devra accepter la division territoriale de la Bosnie

comme base aux négociations et celles-ci devront respecter

l’égalité des droits des participants. Les structures

constitutionnelles devront être négociées en même temps que

les négociations de frontières. Lors des négociations à Dayton

les Américains procédèrent bien différemment, Richard

Holbrooke sectionna les négociations en six parties et procéda1Ibid.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 75 -

par « petits pas » dans le but de parvenir à un découpage du

territoire selon le principe dogmatique du 49/51. Les Russes

demandent également comme condition sine qua non au commencement

des négociations l’arrêt des sanctions contre Belgrade à

l’inverse de Richard Holbrooke qui utilisa la menace des

sanctions contre Milosevic pour que celui-ci « abandonne » les

Serbes de Bosnie à cause de la pression populaire qui

commençait à se faire ressentir après des années d’embargo. Le

dernier point concerne le désengagement des troupes

bosniaques, croates et serbes pour qu’ils restent sur leurs

positions. En quelque sorte par cette proposition, les Russes

mettent l’accent sur un droit dicté par l’état de fait et non

par une possible remise en cause des avancées militaires

serbes ou croates. Le Président du Conseil de l’Europe

répondit d’ailleurs de manière catégorique aux points émis par

les Russes, « l’heure est venue de comprendre que les partis ne doivent pas être

traités à égalité ; force est de constater qu’il y a un gouvernement légitime et

internationalement reconnu qui se défend contre un agresseur, l’armée serbe de

Bosnie 1». Le relativisme russe qui fut également celui de la

France pendant les premières années de la guerre est combattu

pendant l’été 1995. La nécessité d’identifier un ennemi, de

changer « l’équilibre », de faire basculer la situation

militairement entre les forces serbes et musulmanes, sont

évoqués par des parlementaires du Conseil de l’Europe tel M.

Eörsi pour la Hongrie. Cette intervention au Conseil de

l’Europe montre bien un certain décrochage du Parlement russe

sur la question bosniaque, qui ne semble plus au fait de

l’opinion publique mondiale ni du changement opéré chez les1 Ibid, 678.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 76 -

parlementaires, les diplomates européens et américains. Le

« plan » proposé par M. Glotov n’a, lors de l’été 1995, aucune

chance d’être retenu, car à l’heure où les dirigeants mondiaux

considèrent quasi-unanimement qu’il y a un agresseur, les

Russes tentent de jouer la carte du relativisme pour

contrecarrer une intervention contre les Serbes.

I.4] La Bosnie, quelle place dans les débats

aux élections législatives de 1995.Les élections de la chambre basse, de la Douma, permirent

au parti communiste de confirmer sa progression, déjà sensible

à partir de 1993 où le Parti de Jirinovski avait rassemblé 23%

des électeurs. En 1995 c’est le parti communiste qui profite

de l’impopularité des ministres de Boris Eltsine, mais la

dynamique semble être la même, un rejet de l’occidentalisation

de la Russie. Le rapport de la CSCE1 insiste sur cette montée

des partis nationalistes et communistes pendant ces élections,

notamment du KPRF dirigé par Ziouganov qui rassembla environ

22% des votes. Contrairement à ce que Boris Eltsine a dit lors

de son élection en 1992, le communisme n’est pas mort, il

redevient même la première force du pays. Les commentateurs de

ces élections partagent un avis assez consensuel sur le fait

que les réformes économiques, l’inflation et la chute du

rouble ont probablement amené les Russes à suivre une autre

voix que celle que le Président Eltsine proposait. La place de

1 “The Russian Duma Elections” 17 Décembre 1995, 104ème Congrès, 1ère Session.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 77 -

la Bosnie dans ce débat est donc mineure d’autant plus que la

situation en Tchétchénie est préoccupante, néanmoins elle

occupe une place non négligeable lorsque les adversaires de

Boris Eltsine souhaitent critiquer la « soumission » russe aux

intérêts américains. Avant ces élections Boris Eltsine prit le

parti de critiquer ouvertement son ministre des affaires

étrangères, Andreï Kozyrev, sans pour autant demander sa

démission. Conscient de l’impopularité de son ministre des

affaires étrangères, de l’échec de la guerre de Tchétchénie et

du manque de cohérence de la politique étrangère russe au

sujet de la Bosnie, Boris Eltsine tenta de se démarquer pour

être considéré en homme « au dessus de la mêlée ».

La question des « intérêts vitaux » de la Russie a été

débattue pendant la campagne des législatives, de même que

l’élargissement de l’OTAN et la prépondérance de la position

américaine sur la Bosnie1. Dans la principale revue de

politique étrangère russe, Mezhdunarodnaya Zhizn, quelques

interviews ont été données par les principaux dirigeants des

partis politiques s’affrontant dans cette campagne. Vladimir

Lukin, alors à la tête du Comité aux affaires internationales

à la Douma et député du parti libéral Yabloko (pomme en

russe), qualifia la politique de la Russie en Bosnie comme

étant « un fiasco 2». Alexei Mitrofanov, représentant du parti

LDPR (Parti libéral démocrate) dirigé par Jirinovski, critiqua

l’engagement de l’OTAN en Bosnie ainsi que sa politique

d’élargissement à l’Est, pour lui il s’agit « d’une agression

1 Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 162.2 Mezhdunarodnaya zhizn, N°4, 1995, 24.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 78 -

armée » et exigea un revirement de politique en ce qui

concerne la Bosnie pour une « vrai aide à la Serbie 1». Ce même

homme avait déclaré lors d’une rencontre avec Karadzic en mars

1994 que « les Etats-Unis avaient un intérêt à conserver cette source de

déstabilisation dans le centre de l’Europe 2». Cet intérêt, pour Jirinovski

et Mitrofanov, c’est l’élargissement de l’OTAN,

l’affaiblissement également d’une politique étrangère

européenne qui pourrait faire contrepoids et la volonté

américaine de s’opposer aux Russes. Alexander Shabanov et

Eduard Kovalev, vice-directeur et directeur de la presse du

KPRF (Parti communiste russe), furent également très critiques

à l’égard de la politique étrangère russe en Yougoslavie3. La

multiplication de ces déclarations confèrent à ces élections

une atmosphère de Guerre Froide, tandis que du côté américain,

certains analystes s’interrogent sur la nécessité d’un nouveau

containment envers ce changement radical de politique étrangère4.

Yuri Skokov, un allié du Général Lebed et président du Conseil

National du Congrès des Communautés de Russie (KRO), accusa

Kozyrev pour ce qu’il appela « son absence de politique étrangère » et

indiqua même que pour lui la guerre de Bosnie et

l’élargissement de l’OTAN sont des « menaces majeures 5». Le KRO

fit campagne sur le thème d’une nouvelle Russie, en

réutilisant la célèbre formule de Winston Churchill : « du sang,

1 Mezhdunarodnaya zhizn, N°4, 1995, 14-16.2Sonni Eefron, “In Russia, Bosnia Serb Leader Blasts U.S.”, Los Angles Times ,

3 Mars 1994. 3 Mezhdunarodnaya zhizn, N°4, 1995, 9-12. 4 Michael Mcfaul, “Russia’s Electoral Cycle and Foreign Policy” in Russia’s Many Foreign Policies, p.409. 5 Mezhdunarodnaya zhizn, N°4, 1995, 12-14.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 79 -

de la sueur et des larmes 1». La Russie, selon ce parti politique,

doit pouvoir rester maître de son destin, prônant ainsi une

politique étrangère isolationniste, en rupture avec la

coopération amorcée par Eltsine avec les Etats-Unis et surtout

très nationaliste. Le représentant du parti du gouvernement

Notre Maison la Russie (Nash Dom Rossiya), Sergueï Belyaev,

apporta bien sûr une voix discordante bien que peu audible sur

la Bosnie, celui-ci se contentant de rappeler que la paix en

Bosnie est essentielle et demandant la levée des sanctions

touchant la Yougoslavie2. Yevgenia Albats, journaliste à

Izvestia, prône un isolationnisme différent de celui proposé par

les partis politiques, pour elle la Russie n’a pas d’intérêts

vitaux en Yougoslavie, elle doit donc se désengager du conflit

et retirer ses troupes. Ces déclarations lors de cette

campagne législative ne constituent cependant pas un programme

mais juste des intentions, souvent électoralistes, dont

l’ambition est de démarquer autant que faire se peut les

partis nationalistes et communistes du gouvernement et

d’Eltsine. Pour beaucoup ces élections furent le premier tour

de l’élection présidentielle de 1996, elles marquèrent un

retour en force de la carte nationaliste dont chacun des

partis d’opposition se disputa la légitimité.

1 “Duma Elections Conference Summary”, Belfer Center Programs or Projects, 1996.2 Mezhdunarodnaya zhizn, N°4, 1995, 5-8.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 80 -

II. De « l’homme de la rue », à Vladimir

Jirinovski jusqu’aux mercenaires.

II.1] L’opinion publique russe, l’environnement

international et la guerre de Bosnie.La Bosnie, pour « l’homme de la rue », est un pays qui se

trouve assez loin de leurs préoccupations. La distance entre

Moscou et Belgrade est d’environ 1700 kilomètres, un gouffre,

qui, contrairement aux journaux occidentaux qui titrèrent sur

la proximité de l’horreur et la résurgence des camps de

concentration, ne fut jamais comblé. Rien à voir donc avec les

pays où se trouvent des pieds-rouges, ces minorités russes

vivant dans d’autres pays que la Russie après la chute de

l’URSS. Comment les Russes réagissent-ils face à cette

guerre ? Comme nous l’avons vu de nombreux journaux

s’expriment sur le sujet bosniaque néanmoins il faut se

demander si les lecteurs sont réceptifs à ces articles et

s’ils y accordent une grande importance. A l’évidence le

public n’accorde que peu d’intérêt à ce qui n’apparaît pour

eux que comme un sujet annexe à la politique étrangère globale

de la Russie. Plus généralement on peut affirmer que les

Russes sont peu enclins à s’intéresser aux relations

internationales dans les années 19901. Une étude menée par le

Centre Russe pour l’étude de l’opinion publique montre que 72%

des personnes interrogés considèrent que la priorité est aux

problèmes internes à la Russie tandis que 18% pensent que la

politique internationale prime sur le reste. Dans une autre1 Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 143.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 81 -

enquête de 1994, conduite par le Nouveau Baromètre III, la

question portait ici sur la menace que représentaient huit

pays, une enquête qui aboutit à un très haut pourcentage de

personnes ne sachant pas, par ignorance ou désintérêt pour ces

pays, s’ils représentaient une menace. De même la question de

l’élargissement de l’OTAN, qui on l’a vu préoccupe les élites,

les partis politiques et les journaux, laissent insensible une

grande partie de l’opinion. Nous nous attacherons donc à

considérer les réactions de l’opinion publique russe lors des

crises majeures du conflit, engageant en quelque sorte la

politique étrangère russe. Ce fut le cas au début de l’année

1994 lorsque l’OTAN menaça de frappes aériennes le camp serbe,

le Centre pour la Recherche Sociologique Internationale mena

au même moment une étude sur la menace que représentaient des

frappes aériennes sur la Bosnie. 77% des personnes interrogées

répondirent qu’ils étaient opposées aux frappes aériennes et

même 2/3 approuvèrent les déclarations de Jirinovski

concernant les bombardements qui déclara que si ces attaques

étaient effectivement lancées cela reviendrait à attaquer la

Russie1. Le contexte, celui des menaces aériennes, est

évidemment essentiel pour comprendre ces chiffres, il ne doit

pas pour autant laisser entendre que les Russes sont prêts à

une guerre pour la Serbie, il s’agit plus d’une réponse

émotionnelle et circonstancielle que d’une réponse guidée par

un sentiment proserbe véritablement ancré. Il faut également

ajouter comme motivation principale aux craintes d’un

bombardement, la peur de la guerre en elle-même, la peur de

l’instabilité qui toucha durement la Russie en 1993 et la peur1 Daily Telegraph, 18 Février 1994, 14

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 82 -

que ces bombardements déclenchent un véritable mouvement de

soutien aux ultranationalistes russes. Ceux qui s’opposent aux

frappes aériennes ne sont donc pas forcément des soutiens de

Jirinovski ni même du parti communiste, mais des personnes

inquiète que ces bombardements servent de prétexte à un

engagement plus fort de la Russie alors que celle-ci a déjà

fort à faire avec la Tchétchénie. Deux raisons qui viennent

confirmer cet argument, tout d’abord les élections

législatives de 1995, qui, certes consacrèrent le parti

communiste (KPRF), mais qui montrèrent une forte décrue de la

vague Jirinovski après les élections de 1993, ce qui

laisserait à entendre qu’un parti belliciste ne pouvait pas

remporter la majorité des suffrages. Le second argument

concerne l’ancrage du pacifisme, ou plutôt du refus de guerre

dans une grande partie de la population. Une étude menée juste

après l’invasion de la Tchétchénie montre que les Russes sont

majoritairement1 opposés à cette guerre, ce qui, malgré de

grandes différences entre ces conflits, exprime la grande

défiance des Russes face à la menace d’une guerre. Néanmoins,

il faut également souligner que les Russes n’obéissent pas,

pour ces questions tout du moins, à une logique idéologique ou

dogmatique, ainsi en octobre 1992 une étude menée par Romir

(institut de recherche russe) montra que 47% des personnes

affirmaient que si la sécurité de la Russie était en jeu elle

devrait envoyer des troupes dans « l’étranger-proche », tandis

que 40% répondirent que même en de telles circonstances la

1 Pour quatre Russes soutenant la guerre de Tchétchénie, environ dix s’y opposent, Lee Hockstader, “Russian General Says He Refuses to Attack; Leader of Drive on Rebel Chechens Is Embraced by Women Guarding City”, The Washington Post, 17 Décembre 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 83 -

Russie ne devrait pas intervenir et 14% n’exprimèrent aucune

opinion sur le sujet1. Cette étude nuance le « pacifisme »

russe qui aurait tendance à s’effriter lorsque la vie des

« pieds-rouges » est en jeu, tandis qu’à l’inverse en Bosnie,

ni les intérêts vitaux de la Russie ni des Russes de

l’étranger, à l’exception des mercenaires, ne sont en danger.

D’autre part, le contexte de 1992 n’est pas le même que celui

de 1995, la chute de l’URSS est récente et la nouvelle Russie

fédérale pas encore stabilisée, la crainte de voir l’étranger

proche menacé n’était donc pas une menace insensée.

Plus précisément, la question de la guerre de Bosnie fut

abordée en septembre 1995 par le Centre russe pour la

Recherche sur l’Opinion Publique et sur environ 1500 réponses

sur un ensemble de questions portant directement sur la Bosnie

pour savoir quel camp ils supportaient. Environ un tiers

répondit qu’il ne supportait aucun camp, 21% exprimèrent leur

sympathie pour les Serbes, et 2% pour les Croates et les

Musulmans2. Le fait qu’il y ait une part aussi importante de

personnes qui ne s’engagent pas dans le conflit démontre une

absence d’intérêt, par difficulté d’accès à l’information

(journaux trop spécialisés, une éducation trop faible etc.)

mais aussi par absence de raisons valables à s’engager.

L’année 1995 diffère en cela assez largement de février 1994

où la tension en Bosnie fut maximale avec l’engagement d’un

contingent russe à Sarajevo ce qui peut nous amener à conclure

que le sentiment proserbe était exacerbé par la tension

1 National Journal, “Opinion Outlook: Views on National Security”, Vol. 25 N°11, 654, 13 Mars 1993. 2 Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 145.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 84 -

internationale. Concernant la manière dont la Russie doit

s’engager dans le conflit, une série de questions fut

également posée1, pour 30% des personnes ayant répondu,

l’engagement de la Russie dans les Balkans devait se faire

sous forme d’aide humanitaire et d’assistance économique, bref

d’un engagement qui ne met pas la vie de Russes en jeu. 8%

pensent que la Russie doit agir conjointement avec l’ONU et

l’OTAN et 4% préconisent un blocus économique contre les

Serbes de Bosnie, ce qui contraste fortement avec le très

faible taux de Russes (6%) qui souhaitent que la Russie

approvisionne les Serbes de Bosnie en armes. Ces chiffres

mettent en lumière que les Russes sont partagés, lorsqu’ils

ont un avis sur la question, entre soutenir les Serbes ou au

contraire condamner leur attitude mais ils s’accordent sur une

conduite plutôt mesurée de la Russie dans les Balkans. L’étude

ne révèle pas non plus si des Russes étaient favorables à un

engagement armé de la Russie, par le biais de troupes ou

d’officiers. Environ 12% des personnes interrogées manifestent

une attitude clairement pro-occidentale en soutenant soit une

action conjointe de l’OTAN, de l’ONU et de la Russie (8%) soit

par un embargo (4%), ce qui démontre un intérêt pour la

question bosniaque et sans doute un soutien à la politique

d’Eltsine pendant les premières années du conflit. La grande

majorité de ceux désirant un soutien humanitaire pensent

néanmoins que cette action doit se faire de manière

indépendante des grandes organisations mondiales. En

conclusion, la majorité des personnes interrogées ne savent

1 Richard Sobel, Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 147.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 85 -

quelle position la Russie doit adopter (52%), cette majorité

silencieuse n’indique pas de positions fortes sur le conflit

ni même de sympathie pour un camp en particulier. Leurs

préoccupations demeurent proches de la vie quotidienne, des

questions économiques et sociales, reléguant les questions de

géopolitique et de relations internationales au second plan.

Pourquoi, cet « homme de la rue », ordinaire et sans intérêt

particulier pour les relations internationales, s’est-il

parfois mué en mercenaire prêt à combattre pour la cause

serbe ? Quels ont été les facteurs de ces engagements ?

II.2] Jirinovski, pensée et engagements. Les résultats du parti libéral-démocrate de Jirinovski

(23%) aux élections de 1993, provoquèrent un choc pour la

Russie et pour l’étranger. En Russie ces résultats montrèrent

un rejet, minoritaire mais virulent, de la politique

intérieure et extérieure de Boris Eltsine. Les invectives de

Vladimir Jirinovski ont surtout séduit les militaires

nostalgiques d’un ordre ancien1. Pour les Américains, les

« bons » résultats de Jirinovski aux élections rappellent que

la Russie n’est pas encore un Etat démocratique stable et que

l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir de Jirinovski en Russie

remettrait en cause les principales tentatives de

rapprochement esquissées depuis la fin du régime soviétique

(Partenariat pour la Paix, accord START II etc.) ainsi que les

1 Stephen J. Blank, “Does Russian Democracy has a future?” Earl H. Tilford, Jr. Editors, 1994, 5.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 86 -

aides économiques accordées par Washington. La guerre de

Bosnie n’est pas le facteur principal des résultats de

Jirinovski aux élections, mais plus la ramification d’un arbre

plus imposant. Néanmoins, c’est bien la guerre de Bosnie qui

va lui permettre d’exprimer son anti-occidentalisme et

particulièrement lors de sa visite à Bieljina en Bosnie côté

serbe, le 31 Janvier 1994 où il déclara notamment qu’« étant

leader du parti d’opposition, le parti qui a gagné les élections, je veux avertir tous les

gouvernements des pays occidentaux que bombarder une ville en Bosnie signifie

déclarer la guerre à la Russie 1». Cette déclaration, qui fit date,

n’a pas de réel écho dans l’opinion, car nous l’avons vu, en

1995 les sondés n’envisageaient pas l’intervention militaire

comme une solution crédible mais préféraient toujours une

solution humanitaire qui n’engageait pas véritablement la

Russie. Jirinovski utilise donc les circonstances pour à la

fois se poser en alternative crédible à Boris Eltsine et pour

passer des messages populistes à l’adresse des

ultranationalistes, des panslavistes et des militaires qui se

sont groupés sous sa bannière. C’est lors de cette visite que

Vladimir Jirinovski rencontra les principaux leaders serbes de

Bosnie comme Karadzic et qu’il plaida contre le « génocide des

Serbes 2». Lors de sa visite en Bosnie il se rendit également

dans la ville de Vukovar qui fut détruite par les tirs des

paramilitaires serbes en 1991. On ne peut pas dire que le

voyage de Jirinovski passant par la Bulgarie et la Slovénie se

soit passé sans encombre, les autorités ont essayé d’écourter

1 “Zhirinovsky Threatens War Over Bosnia”, Los Angeles Times, 31 Janvier 1994. 2 John Pomfret, “Russian Ultranationalist Spreads Hate Message in Bosnia”, Bangor Daily News, 1er Février 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 87 -

son passage dans chacun de ces pays. Il est intéressant de

noter que son voyage a été organisé par un homme d’affaire

viennois natif du Monténégro, Petar Ivanovic. Les propos de

Jirinovski sur la guerre de Bosnie illustrent assez bien sa

conception du monde, Serbes et Russes ont en commun d’avoir

des terres irrédentes où résident des minorités et leurs buts

est de faire la jonction, de créer ou de recréer un espace

commun. Jirinovski continua à brandir la menace d’une guerre

contre les Etats-Unis, notamment le 7 Juin 1995 où il déclara

à la Douma que l’engagement de l’OTAN dans les Balkans serait

le prélude à une troisième guerre mondiale1.

Ce politicien, souvent comparé à Adolf Hitler2, n’était au

début des campagnes législatives remarqué que pour ses

« bouffonneries » et ses bravades envers l’OTAN et les Etats-

Unis. Les résultats aux élections de 1993 révèlent que sa

pensée a un certain écho dans l’opinion publique, il convient

également de se demander si sa pensée et son influence ont

infléchi, voire radicalement changé, la politique étrangère

d’Andreï Kozyrev. En réalité la pensée de Jirinovski rejoint

sur certains points celle de Samuel Huntington, bien que le

premier nommé n’emploie guère le mot de civilisation. Leurs

conceptions d’un monde divisé en sphères d’influence pour

Jirinovski et en civilisations pour Samuel Huntington

s’opposent à celle d’un monde libéral et globalisé. Comme au

1 The Jamestown Foundation, “Zhirinovsky: NATO involvement in Bosnia a prelude to World War III”, Volume: 1 Issue: 29, 9 Juin 1995.2 “Like Adolf Hitler -- another energetic "geopolitician" with whom he is often compared -- Zhirinovsky views political life in purely Darwinian terms, recognizing neither God, nor conscience, nor morality”, John B. DUNLOP “Zhirinovsky's World”, Journal of Democracy, Volume 5, Number 2, April 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 88 -

temps de la guerre froide, Jirinovski pense que le monde

devrait être partagé en sphère d’influence où les Etats ou des

coalitions d’Etats pourraient agir comme bon leur semble. Le

cas de la Bosnie, bien que ne faisant pas partie de l’ancienne

URSS, s’inclurait dans un ensemble slave et orthodoxe où les

Etats-Unis et l’Europe n’auraient pas droit d’accès. Ses

déclarations et ses conceptions ont influencé la politique

étrangère d’Andreï Kozyrev qui déclara le 21 Janvier 1994 dans

le Washington Post que le Kremlin défendra les droits non

seulement des Russes mais aussi des russophones en dehors des

frontières de la Russie et que l’Ouest doit accepter la

compétence de la Russie dans l’Union soviétique comme une

réalité. Dans son livre The Final Thrust South, on peut remarquer

des passages intéressants sur la supériorité de la religion

orthodoxe sur les autres religions, notamment musulmanes « ce

sera une nouvelle Russie… dans laquelle la religion Orthodoxe jouera un rôle

dominant. Nous ne devons pas permettre que des religions étrangères brisent la

conscience de notre jeunesse, parce que cela ne rapproche pas les gens, et même

cela interfère avec leur compréhension du monde autour d’eux. Nous devons aider la

religion Orthodoxe russe à atteindre sa juste place 1». Pour lui la Russie

doit s’étendre jusqu’au Sud car c’est le « destin de la

Russie 2», ce qui correspond à une stratégie expansionniste de

la Russie dont la Bosnie ne serait qu’une étape.

1 “Zhirinovsky in his own words, excerpts from The Final Thrust South”, des passages traduits par Ariel Cohen et Salvatori Fellow, 4 Février 1994, p.72 “Zhirinovsky in his own words, excerpts from The Final Thrust South”, des passages traduits par Ariel Cohen et Salvatori Fellow, 4 Février 1994, p.6.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 89 -

II.3] Les mercenaires russes, des aventuriers à

la recherche de l’Orthodoxie perdue.Au-delà des discours et des pensées, des mercenaires

Russes se sont engagés dans ce conflit, quelques centaines

selon des estimations forcément difficiles à vérifier et même

700 selon le tribunal de la Haye1. La question doit porter sur

la responsabilité des kontrackiniki (mercenaires) dans la guerre

de Bosnie et dans les crimes de masse qui s’y déroulèrent. Ces

militaires russes ont tout d’abord été engagés dans les forces

aériennes car l’armée serbe manquait de pilotes compétents. Le

rapporteur spécial du Secrétaire général de l’ONU, Enrique

Bernales Ballesteros, ne découvrit qu’en 1994 que des Russes

servaient dans l’armée serbe depuis 1991, ce qui indique d’une

certaine manière leur discrétion sur le terrain et sans doute

leur faible nombre. L’année 1995 marque sans aucun doute un

tournant dans l’engagement des mercenaires russes dans la

guerre de Bosnie, on constate d’ailleurs que l’Assemblée

Générale des Nations Unies traita le sujet le 30 Juin 1995,

dans une lettre adressée au Rapporteur spécial de la

Commission des droits de l'homme sur la question de

l'utilisation de mercenaires par le Vice-Premier Ministre et

Ministre des affaires étrangères de la République de Croatie2.

Cette préoccupation en Bosnie va de pair avec la tendance

observée dans le conflit du Haut-Karabakh où environ 3000

combattants de l’ex-URSS ont combattu. L’ONU dispose

1 Stanislav Varykhanov, “The Fate of Russian Volunteers in Bosnia”, Pravda, 13 Octobre 2003. 2 Assemblée Générale des Nations Unies, « Droit des peuples à l’autodétermination », 50e Session, 29 août 1995.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 90 -

d’informations assez précises quant à l’arrivée de combattants

russes en Bosnie, «  Il est désormais prouvé que plusieurs ressortissants

russes ont été déployés à Mirkovci, leurs frais de voyage leur ont été remboursés, les

services qu'ils avaient rendus sur le plan militaire ont été rétribués et l'octroi d'un

terrain dans la région leur a été promis 1». Mirkovci, cette ville du sud-

est de la Croatie est connue pour avoir été le lieu où 107

Serbes avaient été tués par des Oustachis pendant la seconde

guerre mondiale.

Plusieurs officiers russes qui auparavant servaient dans

la FORPRONU se sont engagés aux côtés des Serbes de Bosnie à

Vukovar dans la République serbe de Krajina, c’est le cas du

colonel Vladimir Loginov qui, en 1995, est devenu conseiller

militaire de l’armée serbe de la République de Krajina affecté

à la formation et à la planification des opérations armées. De

même, le colonel Aleksandar Chromchenko, qui auparavant

commandait des troupes de la FORPRONU dans l'ex-secteur Est,

se trouve dans la région. En fin d’année 1993, ils avaient été

démis de leurs fonctions pour avoir vendu de l’essence

appartenant à la FORPRONU aux Serbes sur le marché noir2, ils

fournirent même des armes aux Serbes en échange de voitures de

luxe. Le colonel Chromchenko retourna en Russie et fut

remplacé par un autre colonel russe, tandis que le colonel

Loginov, bien que démis de ses fonctions, resta sur place,

mais dans le camp serbe. L’exemple de ces deux officiers pose

la question de la pertinence d’envoyer un contingent russe

dans un secteur particulièrement sensible et interroge sur la

1 Ibid. 2 Dusko Doder, “Russian commander in Croatia abruptly replaced 2 officers lose U.N. posts amid charges of corruption and collusion with Serbs”, The Baltimore Sun, 21 Février 1993.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 91 -

fiabilité des troupes russes et leur prétendue proximité avec

les Serbes. La volonté de l’OTAN et des Américains d’associer

les Russes dans la guerre de Bosnie puis dans le processus de

maintien de la paix se heurte à des dérives minoritaires de la

part de militaires russes, auxquels on pourrait ajouter les

cas d’Aleksandar Skrabov, ancien membre de l’infanterie navale

russe qui, après la fin de son mandat dans la FORPRONU devint

commandant des kontrackiniki de l’armée de la République Sprska

(VSR), jusqu’à sa mort sur le champ de bataille, près du

village de Gomolje en 19941. Ce fut le cas également du

Général russe Pereljakin qui, après avoir été démis de son

poste, fut nommé conseiller de la division de Baranja de

l’armée de Krajina (RSK). On constate qu’il s’agit

essentiellement d’officiers, de très hauts gradés ou des

vétérans ce qui, malgré le faible nombre de désertions et de

revirements, donne de l’importance à ces mercenaires qui par

ailleurs, selon l’ONU, sont à l’origine des pires atrocités,

« ce sont ces groupes qui ont commis les pires excès lors du nettoyage ethnique des

populations non serbes qui étaient demeurées dans les territoires occupés et dont ils

se sont acharnés à saccager le patrimoine culturel et historique 2». Il

semblerait que les Américains et l’OTAN aient choisi

d’associer les Russes aux combats davantage pour des raisons

d’ordre géopolitique que pour des raisons opérationnelles, les

revirements des hauts gradés n’ont d’ailleurs pas été ébruités

et la Russie n’a pas été « punie » puisque les colonels ayant

manqué à leur devoir ont été remplacé par des officiers1 Ali M. Koknar, “The Kontraktniki : Russian mercenaries at war in the Balkans”, Bosnian Institute, 14 Juillet 2003. 2 Assemblée Générale des Nations Unies, « Droit des peuples à l’autodétermination », 50e Session, 29 août 1995.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 92 -

russes. D’autre part, ces désertions sont révélatrices de la

rupture entre Boris Eltsine et son armée, comme nous l’avons

vu auparavant avec les résultats aux élections de Vladimir

Jirinovski, la plupart des militaires hauts gradés sont des

opposants à la politique étrangère conduite par Boris Eltsine

et Andreï Kozyrev. Il est donc surprenant de constater que des

hommes, n’ayant pas les mêmes opinions que les membres pro-

occidentaux du gouvernement, soient ainsi envoyés dans une

région aussi sensible. On peut même se demander si ce n’est

pas par pénurie de hauts gradés loyaux à Boris Eltsine que des

opposants ont été ainsi diligentés, ou même à une incapacité

des services de renseignement à comprendre les véritables

raisons pour lesquelles certains militaires ont accepté la

mission de la FORPRONU.

Les informations les plus nombreuses sur ces

« militaires » proviennent de la Pravda, mais à cause de son

parti-pris pour la cause de ces volontaires russes il est

difficile d’évaluer exactement la véracité des propos,

d’autant plus qu’ils se basent sur le récit très subjectif de

Mikhail Polikarpov, « historien » et participant à la guerre

de Bosnie1. Les troupes de mercenaires russes comptèrent

environ quatre unités. La première unité s’est formée en

Septembre 1992, non loin de la ville de Visegrad. C’était

Valery Vlasenko qui était le commandant de cette unité. La

seconde unité, les Tsarists Wolves, fut formée en novembre de la

même année et commandée par Alexander Mukharev, surnommé

« l’As ». Il y avait également une compagnie de Cossacks

1 Stanislav Varykhanov, “The Fate of Russian Volunteers in Bosnia”, Pravda, 13 Octobre 2003.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 93 -

commandée par Alexander Zagrebov, un ancien soldat de la

guerre d’Afghanistan, comme beaucoup des soldats russes partis

en Bosnie. Enfin, le dernier groupe fut commandé par le

Lieutenant Alexander Alexandrov qui avait combattu pendant les

guerres de Transnistrie et du Haut-Karabakh. En mai 1995, un

groupe de Russes et de Grecs sont arrivés dans la région de

Gacko-Avtovac à l’invitation du commandant de l’armée de

Sprska, dans le but d’organiser une « brigade internationale »

qui comptait environ 150 personnes1. Contrairement à ce

qu’affirme Mikhail Polikarpov, les volontaires russes sont

bien des mercenaires payés 200 marks allemands par mois et

dont les frais de transports ont été pris en charge par les

Serbes, on sait également que la paye de ces mercenaires

évoluait en fonction du territoire dont ils prenaient

possession. Ils étaient principalement engagés dans les

milices des « Tigres d’Arkan » de Željko Ražnatović et dans

les « Aigles Blancs » de Vojislav Šešelj. Ces mercenaires,

Grecs et Russes, ont eu un rôle dans la guerre de Bosnie où la

majeure partie des combats ont été le fait de milices, mais le

faible nombre de Russes s’étant engagés dans la bataille

rejoint le constat que cette solidarité fut faible en

comparaison des analyses mettant l’accent sur la proximité

religieuse et culturelle de ces pays.

1 Ali M. Koknar, “The Kontraktniki: Russian mercenaries at war in the Balkans”, Bosnian Institute, 14 Juillet 2003.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 94 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 95 -

Troisième Partie : Les relations russo-

américaines pendant la guerre de Bosnie,

l’association sans l’intégration.

I. La Russie conciliante.

I.1] L’ancrage de la Russie dans le camp

occidental et dans les institutions

internationales.La chute du mur de Berlin annonce une nouvelle ère pour la

Russie, une ère où l’idéologie ne serait plus déterminante

dans la conduite des affaires étrangères. L’effacement de

l’idéologie n’apparait cependant pas pour la première fois

lors du changement de régime politique, elle apparaissait déjà

en filigrane de la politique étrangère de Brejnev, mais la fin

de l’opposition entre capitalisme et communisme signifie de

nouvelles relations entre la Fédération de Russie et les

Etats-Unis. Ces derniers ont bien compris que plus la Russie

se stabilisait, plus elle était susceptible de s’arrimer à

l’ancien camp capitaliste. Des aides économiques ont été

octroyées par des pays occidentaux atteignant 113 milliards

entre 1990 et 1993 dont environ la moitié provenait

d’Allemagne1. Ces aides ont un impact sur la politique

étrangère de la Russie, difficile en effet de percevoir des1 Vladimir Baranowski, Russia and Europe: the Emerging Security Agenda, Sipri, 1997, 373.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 96 -

aides et pour autant continuer à se montrer critique envers

ceux qui investissent et qui aident. La notion de coopération

avec l’Ouest, développée par Mikhaïl Gorbatchev et sa Nouvelle

Pensée Politique, prend un autre tournant avec l’avènement de

la nouvelle Fédération de Russie le 1er janvier 1992. La

nouvelle administration dirigée par Boris Eltsine va

s’employer à transformer radicalement la Russie de telle sorte

que la coopération avec les Etats-Unis ait un même intérêt :

le triomphe du libéralisme et de la démocratie. Il s’agit ici

de bien comprendre, dans une démarche d’analyse inter

gouvernementaliste et libérale, que la politique extérieure

d’un Etat, et plus particulièrement nous l’avons vu au sujet

de la Russie, est guidée par des marchandages et des intérêts

internes. La politique extérieure de la Russie est donc « un

jeu à deux niveaux 1», une lame à double tranchant, car en plus

de la recherche d’un accord avec les partenaires

internationaux il faut également composer avec les attentes de

la société. Le rapprochement opéré par Eltsine vis-à-vis des

Etats-Unis a été un pari gagnant dans sa confrontation avec

Gorbatchev, le rejetant à la droite de l’échiquier politique.

Néanmoins, ce rapprochement doit-il être substantiel ou

conjoncturel ? La politique étrangère russe d’Andreï Kozyrev

est profondément liée à la réforme interne de la Russie, qui,

pouvant se transformer en Etat capitaliste, libéral et

démocratique aurait avec les Etats-Unis des intérêts

similaires : un monde plus transparent, plus démocratique et

plus libéral.

1 Dario Battistella, Théories des relations internationales, 3e éd. Mise à jour et augmentée, Paris : Presse de Sciences Po, 2009, 422.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 97 -

La première priorité pour Kozyrev est donc de faire entrer

la Russie « comme une grande puissance dans la famille des démocraties les

plus avancées avec des économies de marché, les dénommées sociétés

occidentales 1». Auparavant, Kozyrev avait même déclaré que les

Etats-Unis étaient « l’allié naturel de la Russie 2». Une déclaration

surprenante car à la lueur de leur histoire commune, Russie et

Etats-Unis n’ont été des alliés que de circonstance, pendant

les Guerres Mondiales et pendant la crise du Canal de Suez.

Cette attitude pro-atlantiste trouve cependant un écho dans

certains journaux, comme dans Argumenty i Fakty qui, durant cette

période (1990-1993), adopta une position atlantiste3. On

constate pourtant un décalage entre le traitement des journaux

et l’opinion publique, ainsi l’attitude pro-occidentale est

plus marquée chez une certaine génération (30-40 ans) tandis

que chez les jeunes et les plus âgés on remarque que

l’attitude est plutôt hostile aux Etats-Unis4. Ce constat peut

s’expliquer par la période Gorbatchev que certains ont vécue

comme une amorce de réformes visant à rapprocher l’URSS des

Etats-Unis, alors que les plus âgés y ont vu une menace pour

la souveraineté de l’URSS. Quant aux plus jeunes, qui n’ont

pas connu la période Gorbatchev, cette méfiance vis-à-vis des

1 Andreï Kozyrev, « Preobrazhenie ili kafkianskaia metamorfoza : Demokraticheskaia vneshniaia politika Rossii i ee prioritety », Nezavisimaia Gazeta, 20 août 1992.2 Andreï Kozyrev, Izvestia, 16 janvier 1992.3 Ce journal publia 54 articles sur les Etats-Unis, 32 articles contenaient des commentaires positifs sur les affaires, la politique et la situation interne aux Etats-Unis, 17 articles traitaient des célébrités américaines et seulement 9 articles étaient critiques sur la situation aux Etats-Unis, notamment les problèmes sociaux, cf. note 12 in Richard Sobel et Eric Shiraev, International Public Opinion and the Bosnia Crisis, Lexington Books, 2003, 169.4 Sergei Guriev, Maxim Trudolyubov et Aleh Tsyvinski, “Russian Attitude toward the West”, Centre for Economic and Financial Research at New Economic School, décembre 2008, 7.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 98 -

Etats-Unis peut s’expliquer par la difficulté des réformes

économiques à se mettre en place, n’ayant pas connu les crises

de la Guerre Froide, ils ne voient que l’aspect négatif d’un

rapprochement avec les Etats-Unis. Pour Kozyrev, bien que

conscient qu’une attitude pro-occidentale n’était pas la plus

populaire, l’important était de poursuivre la Nouvelle Pensée

de Gorbatchev consistant à soutenir les organisations

internationales telles que l’ONU ou la CSCE jugées

démocratiques, tandis que l’OTAN n’est pas reconnu comme étant

une sphère de discussion possible. Cette position légaliste de

la Russie sur les questions de sécurité internationale, visant

à toujours respecter les institutions, est surtout guidée par

le refus de laisser le champ libre à l’OTAN. Comme le souligne

Malcolm Neil, « il y eut un très fort écho de la Nouvelle Pensée Politique dans la

politique du gouvernement russe : l’attitude de Gorbatchev au sujet d’un conflit

régional avait été imprégnée de l’idée qu’en négociant, et essentiellement

politiquement, des solutions pourraient être trouvées pour faire cesser les conflits à

l’intérieur ou entre des Etats jusqu’à ce qu’une paix aboutisse. Eltsine et Kozyrev

ont semblé adopter une position similaire au sujet de la guerre de Bosnie1». Le

refus des sanctions et de s’engager dans le conflit est donc

tout autant la conséquence d’une certaine amitié pour les

Serbes, d’une crainte que l’OTAN profite de la guerre de

Bosnie comme un alibi à son élargissement, que d’une

conviction profonde en la diplomatie usant des canaux

légalistes et institutionnels. Dans sa volonté de coopération

la Russie a affirmé cependant, par la voix d’Andreï Kozyrev,

qu’il lui fallait participer à des opérations de maintien de

1 Malcolm Neil et Alex Pravda, Internal factors in Russian foreign policy, OUP Oxford,24 octobre 1996, pp. 57-69.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 99 -

la paix sous l’égide des Nations Unies, car pour lui, en tant

que grande puissance, la Russie a le devoir et la

responsabilité de travailler avec les autres grandes nations

pour maintenir la paix1. Dans les faits la participation de la

Russie dans les opérations de maintien de la paix après la

chute de l’URSS a été assez faible en comparaison de ses

moyens.

Entre la volonté russe de montrer un visage conciliant aux

Américains et aux Européens et la peur de s’engager trop

profondément dans une alliance ou des traités, s’esquisse une

troisième voie, celle de la « fausse-rupture ». Une rupture

d’apparence, qui, nous l’avons vu est essentiellement le fait

d’une pression intérieure. Cette pression n’éloigne que très

provisoirement la Russie de ses alliés américains et

européens. Cet éloignement est d’ailleurs plus le fait de

déclarations, de menaces que d’éléments concrets, tandis que

la signature du Partenariat Pour la Paix le 22 juin 1994 est

un pas supplémentaire de la Russie vers une collaboration, ou

tout du moins une cohabitation pacifique avec l’OTAN. La

signature de ce partenariat est d’autant plus surprenante

qu’elle fait suite à de très vives protestations de la part

des Russes après les bombardements des 10 et 11 avril 1994.

Que faut-il en conclure ? Il existe en réalité deux

hypothèses, soit la guerre de Bosnie, même lors d’événements

inquiétants pour les Russes, n’est pas une priorité pour la

diplomatie russe, soit, la collaboration avec les Etats-Unis

est plus importante que tout le reste. L’année 1994, surtout

1 Andreï Kozyrev, “Russia and Human Rights”, Slavic Review, N°51, 1992, pp. 287-293.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 100 -

après la victoire de Jirinovski et sa visite en République

Sprska, est l’année où la Bosnie occupe la place la plus

importante dans les préoccupations russes sur la sécurité

internationale avec la guerre de Tchétchénie et il convient de

rappeler que la signature du Partenariat Pour la Paix a été

retardée en grande partie du fait des bombardements de l’OTAN

en Bosnie, ce qui provoqua d’ailleurs une certaine stupeur

chez les diplomates américains pour qui la signature devait

être imminente en décembre 1994. On peut donc supposer que

malgré la gravité de la situation en Bosnie, Boris Eltsine a

choisi l’alliance qui lui semblait la plus naturelle ; celle

avec les Etats-Unis. La recherche de l’accord avec l’Ouest,

même tacite, est la clé de la politique étrangère russe en

Bosnie, même dans les moments de tensions il n’y eut pas de

rupture à l’instar de ce qui se passa pendant la crise du

Kosovo.

I.2] La diplomatie russe en Bosnie : les Etats-

Unis, l’OTAN et l’ombre du Parlement.La guerre de Bosnie représente un défi pour la communauté

internationale et pas seulement pour la Russie, il s’agit d’un

conflit international qui, de par sa proximité avec l’Europe

de l’ouest et les nouvelles Républiques de l’ex-URSS constitue

un enjeu majeur pour les diplomaties du monde entier. Les

sommets du G-7 de Vancouver et de Tokyo au printemps 1993

avaient pour but de traiter de différents problèmes, mais

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 101 -

comme le signale Strobe Talbott, « la plus sévère et récurrente source de

tensions était le conflit en Bosnie 1». Le constat, dès 1993, est que le

gouvernement de Boris Eltsine et peut-être lui-même se

trouvent en parfait désaccord sur la solution à appliquer pour

que la tension s’apaise entre les Serbes, les Croates et les

Bosniaques2. L’un des principaux points de désaccord concerne

l’usage de l’OTAN pour préparer et soutenir une intervention

militaire. Les Russes pensent que toute action doit passer par

l’ONU tandis que déjà en 1992, pendant la présidence de Bush,

l’Administration américaine ne considère que rien, ni la

négociation ni même l’intervention de l’ONU, sinon des

bombardements aériens ne peuvent faire plier les Serbes. Les

mémoires de Strobe Talbott sont intéressantes en ce qu’elles

proposent une analyse du refus russe selon le même paradigme

civilisationnel que Samuel Huntington : la solidarité panslave

et la peur de l’Islam. Avec le recul, il semble et nous avons

tenté de le démontrer que ces facteurs ne correspondent pas

aux convictions de Boris Eltsine et d’Andreï Kozyrev. Le refus

de la Russie, c’est avant tout un refus sur la méthode et une

véritable inquiétude, celle de l’élargissement de l’OTAN qui

pourrait être un angle d’attaque pour les forces nationalistes

de Russie. D’ailleurs, Strobe Talbott le reconnaît, la

préoccupation de Kozyrev est la dimension intérieure et le

risque d’une instrumentalisation d’une action de l’OTAN par la

coalition rouge et brune. Cette considération explique par

ailleurs les revirements successifs de la diplomatie russe sur

1 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, 2002, 72.2 Ibid, “But Yeltsin’s government and the U.S differed over what to do aboutMilosevic and the warlords he was abetting in Bosnia”, 73.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 102 -

ce dossier car, si on analyse l’ensemble des votes de la

Russie au Conseil de Sécurité de l’ONU, on constate que

l’année 1992, l’année avant les élections législatives, la

Russie a voté la plupart des résolutions de l’ONU1. La seule

contradiction à cette logique de vote est la résolution votée

par le Parlement russe le 26 juin 1992 critiquant les

sanctions contre la Serbie, l’embargo remettant en cause des

traités de vente d’essence à la Serbie2. En 1993, la situation

intérieure russe change avec la pression des communistes, les

Américains veulent que le Conseil de Sécurité de l’ONU vote

une résolution contre le non-respect de la no-fly zone

avertissant les Serbes qu’en cas de non respect de cette zone

l’OTAN procéderait à un bombardement, alors qu’Andreï Kozyrev

craint qu’une telle résolution fragilise encore plus Boris

Eltsine. Il déclara même que si la Russie accepte de voter la

résolution cela pourrait coûter des voix à Eltsine dans son

combat contre la procédure d’impeachment au deux tiers et souleva

la menace de la possible arrivée d’un « Milosevic russe au

Kremlin 3».

130 mai 1992 : A l’initiative des Etats-Unis, la Russie vote les sanctions économiques contre la Serbie.10 juillet 1992 : La Russie vote l’exclusion de la Yougoslavie de la CSCE (Conference for Security and Cooperation in Europe) 19 Septembre 1992 : La Russie vote la Résolution 777 du Conseil de Sécuritéde l’ONU qui déclare que la Yougoslavie a cessé d’exister en tant que République Fédérale de Yougoslavie, cependant la résolution ne reconnaît pas l’existence, encore moins l’indépendance de la Bosnie-Herzégovine.Octobre et novembre 1992 : La Russie approuve l’investigation concernant laviolation des lois internationales sur les droits de l’Homme et vote le renforcement de l’embargo contre la Serbie et le Monténégro. Cf. Chronologie en annexe. 2 Stanley Meisler, “Oil Embargo Against Serbia Pushed at U.N.”, Los Angeles Times, 29 mai 1992. 3 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, 2002, 74.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 103 -

Dans ses mémoires Bill Clinton raconte son soutien à Boris

Eltsine, malgré la préférence de celui-ci pour Georges Bush1.

Pour le président américain il s’agit d’un axe essentiel de la

politique étrangère américaine, un changement de président

pour augurer un changement de régime en Russie. Le sommet de

Vancouver était l’occasion pour Bill Clinton de convaincre

Boris Eltsine de voter positivement à la résolution de l’ONU

concernant la Bosnie, mais sa préoccupation majeure fut que le

président russe ne sombre pas alors qu’il était sous le coup

d’une mesure d’impeachment. La discussion porta donc

essentiellement sur le montant de l’aide américaine pour

renforcer les structures russes. En réalité, réaliser à la

fois le sauvetage de la Bosnie et celui de Boris Eltsine s’est

révélé contradictoire. Le président russe refusa de voter les

sanctions contre la Serbie, non par conviction, bien au

contraire, mais parce que dit il « les Serbes sont communistes et ils

sont en train de travailler avec nos communistes qui me tiennent à la gorge 2».

L’abstention de la Russie lors du vote de la résolution du

Conseil de Sécurité accentuant les sanctions contre les Serbes

constitue néanmoins l’aveu que la Russie de Boris Eltsine et

d’Andreï Kozyrev est bien plus proche des Etats-Unis que de la

Serbie. Les sanctions contre la Serbie n’eurent pas

immédiatement l’effet escompté puisque les Serbes continuèrent

à attaquer Srebrenica et Andreï Kozyrev s’obstina dans une

diplomatie non agressive vis-à-vis des Serbes et à défendre le

plan Vance-Owen, « Andreï Kozyrev a entamé dès ce week-end une semaine

décisive en s'entretenant avec les médiateurs Lord Owen et Thorvald Stoltenberg,

1 Bill Clinton, My Life, Knopf, 2004, 504.2 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, 2002, 74.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 104 -

réaffirmant sa détermination à mettre en œuvre le document approuvé par les

Nations unies et appelant à un renfort des forces de l'ONU sur place pour y

parvenir 1». Ce plan prenait acte de l’impossible partition en

trois cantons de la Bosnie-Herzégovine proposée par le plan

Carrington-Cutileiro, il gardait cependant comme principe la

partition ethnique en dix provinces (trois « serbes », trois

« croates », trois « bosniaques », et une « mixte » pour

l’agglomération de Sarajevo) et la décentralisation

(Présidence collégiale, gouvernement central, tribunal

constitutionnel2). Chaque province aurait eu un gouverneur

appartenant à l’ethnie « dominante » et deux vice- gouverneurs

représentants des minorités. La Bosnie-Herzégovine aurait été

démilitarisée et une force de police internationale aurait été

introduite pour faire respecter les accords. La Bosnie aurait

été sauvegardée sans toutefois posséder de « personnalité

juridique internationale » ou le pouvoir de signer des accords

avec des États étrangers.

Pour les Américains, Strobe Talbott et Bill Clinton en

tête, ce plan était trop compliqué et trop indulgent sur le

sort réservé aux Serbes. Radovan Karadzic accepta le plan de

l’ONU mais conditionna son effectivité au vote du Parlement

serbe de Bosnie qui rejeta finalement le plan Vance-Owen à

96%. Boris Eltsine et Vitaly Churkin se trompèrent sur la

volonté de Karadzic à faire accepter le plan de paix aux

Serbes de Bosnie, ils ne virent pas la manœuvre de Karadzic

qui, tout en tentant de montrer sa bonne volonté, ne pouvait

accepter un plan de paix quel qu’il soit sous peine de perdre

1 Edouard Van Velthem, « Les Balkans à l’heure russe », lesoir.be, 18 mai 1993.2 Xavier Bougarel, Bosnie anatomie d’un conflit, p.147.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 105 -

son autorité sur les milices serbes. Ce faisant le défenseur

de la partition, Boris Eltsine, considérant qu’il s’agissait

de la solution la plus viable1, ménageait l’opposition en

Russie, mais ce soutien resta lettre-morte puisqu’aucune aide

militaire ne fut apportée par la Russie avant février 1994.

Cet épisode montre bien néanmoins que la diplomatie russe ne

marche pas sur ses deux jambes, d’un côté les militaires et le

ministre de la Défense Pavel Gratchev préoccupés par la

possibilité d’un Etat musulman en Europe, « les Turcs et les Iraniens

gagneraient un appui sur le continent 2» et de l’autre Andreï Kozyrev

qui détestait tout autant l’idée d’un bombardement à

l’encontre des Serbes que de supporter Milosevic. Alors que le

ministre des Affaires étrangères russe veut encore croire dans

le plan de paix de l’ONU, Strobe Talbott a pour ambition de

lui faire adopter une ligne plus dure dans l’intérêt de la

Russie, « c’était dans les intérêts de la Russie de nous rejoindre dans des

représailles contre les Serbes, c’est la seule façon d’arrêter leurs assauts et de

prévenir l’escalade de la guerre à toute la région 3» dit il, ce à quoi

répliqua Kozyrev « c’est assez difficile comme ça d’avoir des gens qui nous

disent ce que l’on doit faire même si cela ne nous plait pas. N’ajoutez pas l’insulte à

la blessure en nous disant que c’est dans nos intérêts d’obéir à vos ordres 4».

Andreï Kozyrev sait pourtant pertinemment que la situation

n’est pas tenable, d’un côté les Serbes poursuivent les

massacres (l’attaque d’un stade à Sarajevo fit une douzaine de

morts et une centaine de blessés) et de l’autre la position

1 TV serbe, 29 juin 1993 et à la radio russe 30 Juin 1993 (SWB, SU/1730, 2 juillet 1993)2 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, 2002, 75.3 Ibid., 76.4 Ibid., 76.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 106 -

russe qui, par peur de la réaction des communistes et des

nationalistes, se retranche dans l’abstention, « les enjeux de la

politique intérieure priment sur la politique étrangère russe et rendent impossible

pour lui (Kozyrev) de soutenir les bombardements aériens 1».

Le 4 juin 1993, avant le sommet d’Athènes, les Russes

durent convenir qu’un déploiement d’hommes pour maintenir la

paix était nécessaire, mais par le biais de l’ONU. La

résolution 836 fut votée2, son objectif était de sanctuariser

six enclaves musulmanes (Srebrenica, Zepa, Gorazde, Tuzla,

Bihac et Sarajevo) et en conséquence l’ONU décida de l’envoi

de 1000 hommes supplémentaires, qui n’eurent cependant

l’autorisation de tirer qu’en cas de légitime défense. En un

mot il s’agissait d’introduire la paix dans un territoire

hostile sans faire usage de la force alors que celle-ci est

omniprésente. En réalité, l’ONU ne fut pas comme le réclamait

les Russes le seul organe de décision, l’OTAN eut un rôle de

coordination primordial à jouer car c’est la seule

organisation internationale à avoir une structure militaire

intégrée. Le 30 juin, au sommet d’Athènes, le président russe

menaça, après avoir pourtant voté la résolution décidant de

l’envoi de troupes supplémentaires en Bosnie, d’un veto de la

Russie si quelqu’un « insiste sur l’usage de la force, sur la levée de l’embargo

sur les armes 3». Cette déclaration faisait écho à l’échec du vote

d’une résolution concernant la levée de l’embargo sur les

armes soutenue par les Etats-Unis. Cependant, la Russie par

son représentant à l’ONU Iulii Vorontsov maintient son soutien1 Ibid., 76.2 Conseil de Sécurité des Nations Unies, S/RES/836 (1993), 4 juin 1993. 3 M. Iusin, « Sovet Bezopasnoti OON otkazalsia sniat’ embargo na postavki oruzhiia bosniiskim musulmanam » Izvestia, 1 juillet 1993.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 107 -

à la résolution dans le sens entendu par les Américains,

« Dorénavant, tout tentative d’attaque militaire, de tirs ou de pilonnage des zones de

sécurité, toute incursion dans ces zones de sécurité et toute obstruction à l’arrivée de

l’aide humanitaire sera arrêtée par l’utilisation de tous les moyens, dont l’usage de la

force 1». L’éclatement et l’incohérence de la diplomatie russe

pendant le conflit est révélé par les prises de position

contradictoires des représentants de Boris Eltsine. La réserve

d’Andreï Kozyrev est ainsi balayée par les propos de

Vorsontsov, ainsi que par le vote russe aux résolutions 770 et

836 qui dans un sens large autorisent, selon les Américains,

le bombardement des positions serbes pour protéger les zones

de sécurité et les casques bleus. La décision impliquant des

frappes aériennes doit être prise par le secrétaire général de

l’ONU après une consultation du Conseil de Sécurité expliqua

Karasin, toute action doit être véritablement l’œuvre de l’ONU

et non de l’OTAN.

Malgré le glissement opéré par la diplomatie russe vers

encore un peu plus de conciliation vis-à-vis des Etats-Unis,

la préoccupation majeure reste l’importance que pourrait

prendre l’OTAN suite à une opération en Bosnie. La crainte

pour les Russes réside dans le fait que les résolutions 770 et

836 puissent être détournées de leur sens strict pour

légitimer une action préventive contre les Serbes. Le 9 août

1995 l’OTAN pris le contrôle des opérations, à la fois de

contrôle et de commandement, réduisant le rôle de l’ONU à

celui de forum de discussion mais non de décision. L’ONU

transféra son autorité à l’OTAN le 19 décembre 1995 mais de

manière non officielle la plupart des décisions était déjà1 UN document S/PV.3228, 4 juin 1993, p.46.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 108 -

l’œuvre de l’OTAN durant l’année 1994. Strobe Talbott décrit

d’ailleurs son entretien avec Yuri Mamedov avec lequel il

aborda le sujet de l’expansion de l’OTAN qui, selon lui,

devrait avoir lieu dès le début de l’année 1994. Maemdov

répliqua que pour lui il fallait d’abord « se concentrer simplement

sur les travaux difficiles – comme la Bosnie et l’Ukraine – et pas nous attribuer une

Mission Impossible 1». Ceci montre bien qu’au sujet de la Bosnie,

la Russie est prête à négocier, mais que l’élargissement de

l’OTAN constitue pour elle une véritable menace. Malgré les

protestations de Moscou la perspective de bombardements

aériens eut un effet sur les troupes serbes de Bosnie qui

durent se replier de Sarajevo. Ce fut la première fois que

l’ONU et l’OTAN menacèrent réellement d’intervenir

militairement, et la Russie, bien que désapprouvant le

transfert d’autorité de l’ONU à l’OTAN se rallia à la position

américaine.

I.3] La Russie au sein du Groupe de Contact, de

la coordination diplomatique à la coordination

militaire.A Genève le 27 avril 1994, Alain Juppé, ministre français

des affaires étrangères, rencontre Andreï Kozyrev2 pour parler

de l’avenir de la diplomatie américano-russe et européenne au

sujet de la Bosnie. Il évoque la création du Groupe de Contact1 Strobe Talbott, The Russia Hand, Random House, 2002, 95.2 Discours du 27 avril 1994 à Genève, http://discours.vie-publique.fr/notices/943127100.html

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 109 -

et justifie sa création en ces termes, « [la création du

Groupe de Contact] va permettre d'unifier les positions entre les grandes

puissances intéressées par la situation en Bosnie, c'est-à-dire les Américains, les

Russes, les Européens, les Nations unies, de façon à progresser vers un règlement de

paix. Les bases de ce travail sont connues, ce sont les grands principes qui figurent

dans le plan d'action de l'Union européenne, enrichis par l'accord croato-musulman

du 18 mars et par le cessez-le-feu intervenu à la suite de la médiation russe en

Croatie dans la Krajina 1». Juppé définit deux objectifs, la

cessation des hostilités et la création d’une carte « qui définira

l'implantation de chacune des communautés ». Les Etats-Unis ne sont

pas favorables à une telle diplomatie informelle, « elle offre à

leurs yeux le triple désavantage de laisser sur le bord de la route la diplomatie

américaine, de l’isoler de l’Allemagne et de déplaire aux Bosniaques 2». Pour les

Russes, au contraire, ce Groupe de Contact permet à la Russie

de sortir d’un affrontement avec les Etats-Unis pour

rencontrer le soutien de certains pays comme la France dans la

dénonciation d’une politique étrangère américaine trop

unilatérale. Depuis son succès diplomatique à Sarajevo en

décembre 1994, Moscou s’implique davantage dans la résolution

du conflit bosniaque et cette forme originale de diplomatie

multilatérale, qui sort du schéma classique de légitimation

par l’ONU et du simple outil militaire pour l’OTAN, peut lui

permettre de gagner une influence inédite depuis la fin de

l’URSS. Pour les Américains cela correspond à un changement de

cap, depuis le succès russe de Sarajevo, comme le signale un

diplomate dans le Figaro du 28 avril 1994, les Américains

13 Discours du 27 avril 1994 à Genève, http://discours.vie-publique.fr/notices/943127100.html2 Francine Boidevaix, une diplomatie informelle pour l’Europe, le groupe de contact Bosnie, Fondation études défense, 1997, 51.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 110 -

pensaient « qu’ils trouveraient un accord en s’entendant directement avec les

Russes 1». D’ailleurs, à l’ambassade russe de Zagreb, Peter W.

Galbraith et Vitaly Churkin entamèrent des négociations en vue

d’un cessez-le-feu, conclu le 30 mars 1994. Néanmoins, les

discussions concernant la création d’une Fédération Croato-

bosniaque sur des territoires rétrocédés par les Serbes ne put

aboutir faute d’accord avec les Serbes. Les Russes, malgré

l’avantage qu’ils pouvaient espérer d’une organisation élargie

ne souhaitaient pas avoir à parlementer avec toute l’Europe

séparément, ainsi Boris Eltsine proposa l’idée d’une

conférence internationale à cinq le 24 février 1994, avec les

Etats-Unis, l’Angleterre, l’Allemagne et la France. Une

proposition qui fut rejetée mais qui confirme le retour de la

politique étrangère russe.

Lors du choix des représentants pour chaque pays, la

négociation fut rude, Pauline Neville-Jones souhaitait la

présence de Vitaly Churkin, envoyé spécial de la Russie en

Bosnie, grand instigateur de la victoire diplomatique de

Moscou lors du siège de Sarajevo et de Charles Redman, un

américain ayant rempli la fonction d’observateur auprès de la

Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie. Finalement,

Churkin refusa et ce fut Alexeï Nikiforov qui représenta la

Russie d’avril 1994 à mai 1995 avant d’être remplacé par

Alexander Zotov. Le premier représentant russe est encensé par

les autres représentants du Groupe de Contact, Lord Owen écrit

que « la connaissance du dossier yougoslave par l’expert du ministère des Affaires

étrangères russe, Alexeï Nikiforov était incomparable 2». De son côté la

1 Ibid, 56. 2 Ibid, 66.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 111 -

représentante britannique explique « qu’une part du succès du Groupe

de Contact va à la qualité de la coopération que nous avons eue avec le premier

représentant russe. Il a accepté d’utiliser ses contacts avec les Serbes pour mettre en

œuvre une politique commune. Nous avons eu beaucoup de chance 1». Cette

décision de Moscou d’envoyer un expert aussi reconnu montre

l’importance accordée à cette nouvelle diplomatie initiée par

le Groupe de Contact, en dépit des déclarations publiques

soutenant les Serbes. De par son influence culturelle et son

volontarisme la Russie devint un pivot à même de faire

accepter les décisions prises en amont, notamment grâce à la

France et à Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères

français. Pourtant, le volontarisme dont fait preuve Alexeï

Nikiforov à collaborer avec le Groupe de Contact souligne la

modération des Russes à défendre les Bosno-serbe, au point que

Lord Owen, dans une lettre adressée à Alain Juppé le 6 juillet

1995, expliqua que « Les Russes n’ont pas représenté les idées des Bosno-

serbes avec la même vigueur que les Etats-Unis mettent à défendre les intérêts des

Bosniaques 2». Le Groupe de Contact fut unifié au sujet d’un

découpage territorial de la carte selon des pourcentages 51-49

% en faveur des Bosniaques, malgré des réticences les

Américains finirent par accepter ce plan européen. Mais Ce qui

préserva l’unité du Groupe de Contact c’est avant tout le

sentiment qu’en dehors de ce groupe ad hoc aucune solution ne

pouvait être trouvée de manière unanime. Cette unité se trouva

menacée après le rejet du plan du Groupe de Contact par les

Serbes le 29 juillet 1994, les Russes souhaitaient des

sanctions graduelles tandis que les Américains voulaient au

1 Ibid, 66.2 Ibid, 75.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 112 -

contraire des sanctions immédiates et plus coercitives contre

les Serbes.

L’autre problématique sur laquelle les membres du Groupe

de Contact furent en désaccord concerne l’attitude à adopter

envers Slobodan Milosevic. Certains parlementaires russes

s’entêtèrent, après avoir pourtant voté la résolution sur les

sanctions économiques contre les Serbes le 30 mai 1992, à

demander la levée de toutes les sanctions économiques contre

la Serbie, d’autant plus que celle-ci a rompu officiellement

ses relations avec Pale en juillet 1994. Andreï Kozyrev admit

qu’il y avait des personnes siégeant au Parlement russe qui

défendaient la levée des sanctions, mais il les qualifia de

« têtes-brûlées 1». Moscou chercha à gagner du temps pour faire

accepter son plan de paix à Milosevic, il y eut néanmoins un

vrai paradoxe à reconnaître que la Serbie de Milosevic n’avait

plus de liens avec Pale mais à vouloir encore s’appuyer sur

cet homme pour s’en servir comme d’un pivot. Cette stratégie a

pour intérêt de dissocier clairement Milosevic des Serbes de

Pale, une stratégie reprise par les Américains et leur

représentant, Richard Holbrooke, lors des négociations à

Dayton. Une série de réunions entre août et décembre 1994

furent organisées avec Milosevic par le Groupe de Contact pour

négocier les sanctions à l’égard de la Serbie, aucun accord ne

fut trouvé mais, comme le signale Charles Redman, cette

effervescence fut positive pour l’image de la Russie qui se

montra avec des homologues européens et américains « Les Russes

étaient toujours très désireux de ce genre de réunions. Elles ne résolvaient pas

1 Ray Moseley, “Russian Influence Holds Key To Bosnia”, Chicago tribune, 4 août 1994.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 113 -

nécessairement les problèmes, mais elles procuraient un bénéfice politique à leurs

ministres d’être ainsi vus en travaillant avec leurs partenaires occidentaux 1».

Soutenus par les Européens, les Russes vont réussir à imposer

aux Etats-Unis récalcitrants l’adoption des principes

constitutionnels plus favorables aux Serbes et du principe

fondamental pour Pale qu’il n’y aurait pas de retrait de leurs

troupes avant un accord sur les ajustements territoriaux.

Cette victoire diplomatique ne doit pas masquer le torpillage,

à terme, des négociations entamées par le Groupe de Contact

par les Etats-Unis. Dans leur volonté de puissance et

d’influence sur le continent européen, Washington profita de

la division européenne, pour exiger des sanctions contraires à

toutes négociations. Le fond du problème est que les Etats-

Unis n’ont pas reconnu les solutions proposées par le Groupe

de Contact comme acceptables, ils les ont considéré comme

étant trop européennes, trop russes, et surtout pas assez

américaines. Pourtant le Groupe de Contact permit d’aboutir à

une négociation directe avec Milosevic, une voie qui mena à

Dayton mais qui laissa les autres pays du Groupe de Contact en

dehors des négociations.

I.4] La diplomatie de Richard Holbrooke, quelle

place pour la Russie ?Les bombardements de l’OTAN le 30 août 1995, leur arrêt le

1er septembre et la reprise des frappes aériennes le 5

1 Francine Boidevaix, une diplomatie informelle pour l’Europe, le groupe de contact Bosnie, Fondation études défense, 1997, 85.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 114 -

septembre bouleversent radicalement la diplomatie européenne

et russe. Le Groupe de Contact s’est mué en un Groupe

d’accompagnement à la négociation dirigé par un triumvirat, le

représentant américain Richard Holbrooke, Carl Bildt pour

l’Union européenne et Igor Ivanov pour la Russie, qui était

Premier vice-ministre des Affaires étrangères auprès de

Kozyrev et numéro deux de Vitaly Churkin en 1994. La

négociation directe avec Milosevic a pour conséquence de

sortir les Russes d’une diplomatie éclatée et multilatérale où

ils pouvaient faire entendre leur différence. L’effectivité

des bombardements a également sapé les arguments de la Russie,

prompte à réagir lorsque ceux-ci n’étaient que brandis. La

Conférence de Genève représenta une occasion pour la

diplomatie russe de ne pas donner l’impression qu’elle

abandonnait toute participation au processus de paix,

d’ailleurs Andreï Kozyrev demanda publiquement que la Russie

puisse être coprésidente de la réunion de Genève. Pour Richard

Holbrooke cette prétention à coprésider la Conférence de

Genève interroge sur le rôle que doit jouer la Russie dans le

processus de paix alors que celui-ci a pris une tournure plus

agressive, laisser une place trop importante à la Russie

mettrait, selon lui, en péril le processus de paix du fait de

ses affinités proserbes et l’écarter serait la retrancher dans

un isolement préjudiciable à la perspective d’un élargissement

de l’OTAN. Le négociateur américain juge d’ailleurs que la

volonté de Moscou n’est pas tant de diriger ou de faire

échouer les négociations que de retrouver un prestige, même

symbolique, qui montrerait que la position russe est influente

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 115 -

sur le monde1. Il accepta donc que celle-ci siège comme

coprésidente de la Conférence de Genève à égalité avec les

Etats-Unis et l’Union européenne. La conviction de Richard

Holbrooke rejoint celle de l’Administration Clinton sur

l’importance d’un partenariat russo-américain en vue d’un

accord sur la Bosnie et en vue de la nouvelle architecture de

la sécurité européenne dans laquelle la Russie devra trouver

sa juste place. Du côté américain, certains conservateurs ont

accusé l’Administration Clinton d’être trop tendre avec les

Russes, leur cible fut notamment Strobe Talbott, pourtant

considéré comme un grand spécialiste de la Russie, tandis que

du côté russe, la nomenklatura de l’ancienne URSS, pressa pour

une attitude intransigeante de la Russie face aux Etats-Unis.

Le siège de Sarajevo fut l’occasion, comme en février

1994, de remettre la Russie au centre des négociations. Les

bombardements de l’OTAN furent l’objet de critique de la

Serbie et de la Russie mais aussi de la France, dont la

position fut assez proche de celle de Moscou. Le 11 septembre

une rencontre eut lieu entre la France, l’Espagne, le Canada

et la Grèce pour critiquer le bombardement de l’ouest de la

Bosnie avec des missiles tomawaks, avant l’usage de telles

armes, le 7 septembre, le président Eltsine adressa une lettre

au président Clinton pour dire que les Russes ne peuvent pas

« être indifférents au destin des enfants de nos frères Slaves 2». Les Russes

menacèrent de se retirer du Groupe d’accompagnement à la

négociation, de même Pavel Gratchev, ministre de la Défense

russe appela William J. Perry pour avertir que les

1 Richard Holbrooke, To end a war, Random House, 1999, 117.2 Ibid, 143.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 116 -

bombardements mettaient en péril la perspective d’une

coopération militaire entre la Russie et l’OTAN et menaça

« d’aider les Serbes de manière unilatérale 1». La Russie tenta également

le lendemain de faire adopter à la hussarde une résolution du

Conseil de Sécurité de l’ONU condamnant les bombardements de

l’OTAN. Les tensions entre les Etats-Unis et la Russie

pouvaient compromettre, non les efforts pour maintenir la paix

lorsqu’elle sera signée, mais les efforts entrepris jusqu’ici

par les Américains pour associer Moscou dans un partenariat

stratégique, le Pragmatic Partnership. Les Forces russes pour les

Américains et leurs alliés n’étaient pas essentielles, tout au

plus les Serbes seraient moins enclins à se révolter si les

Russes participaient activement. Selon Perry, inclure la

Russie dans l’opération était plus important que l’opération

en elle-même et donc que la paix en Bosnie2. La coopération

russe sur le plan diplomatique se devait d’avoir une suite

militaire sous peine d’être perçue comme un geste

inconséquent.

II. La collaboration militaire américano-russe.

II.1] La participation russe en Bosnie : la

recherche d’un compromis dans un contexte

d’élections.Avancer vers un partenariat stratégique entre la Russie et

les Etats-Unis répond à une inquiétude des Américains : une

1 Ibid, 144. 2 “We believed that the reason to include Russia in the Bosnian peace force was bigger than the Bosnian operation and had to do with Russia itself” in Ashton B. Carter et William James Perry, Preventive Defense: a new security strategy forAmerica, Brookings Institution, 2000, 32.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 117 -

possible division du continent européen1. Contrairement à la

guerre du Golfe, les Américains ont saisi l’importance d’un

tel partenariat avec les Russes lors de la crise de Bosnie,

même si pour les deux anciens adversaires la tâche n’est pas

aisée. Il nous faut tout d’abord réfléchir aux avantages que

pourrait procurer une action commune à la diplomatie

américaine et plus largement à l’influence américaine dans le

monde. Premièrement, la coopération militaire aurait pour

incidence de réduire la propension russe à se démarquer de

manière systématique, du moins de manière officielle, de la

position américaine. Le deuxième enjeu concerne la sécurité en

Europe, une Russie dans le giron américain permettrait de

traiter différemment les tensions en Abkhazie et en Ukraine,

tandis qu’isoler la Russie c’est en réalité lui laisser les

mains libres pour agir. Enfin, rallier la Russie à la cause

américaine d’un point de vue militaire c’est aussi faire

valoir la supériorité américaine et de ses valeurs, celles

d’un monde libéral et global.

En janvier 1994, une adhésion au Partenariat pour la Paix

fut proposée à tous les pays de l’ex Union Soviétique et du

traité de Varsovie, « les partenaires verront les guerres ethniques comme

celle de la Bosnie comme un problème de sécurité commun et coopérerons en tant

que partenaires pour le résoudre 2». Le but est clair, réaliser une

Europe unie intégrée dans l’OTAN et l’établissement d’un

partenariat privilégié avec la Russie, jusqu’à une possible

adhésion. Progresser vers cet objectif exige des rencontres

1 “Its first post cold war security emergency would create a division of thecontinent”, Ashton B. Carter et William James Perry, Preventive Defense: a new security strategy for America, Brookings Institution, 2000, 23.2 Ibid., 24.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 118 -

régulières entre les Ministres de la Défense et leurs équipes

dans des séances bilatérales, Bilateral Working Group, qui débuta en

1993. Ces rencontres, sous les auspices du Vice président Al-

Gore et du Premier Ministre Viktor Tchernomyrdine, sont

racontées de manière détaillée par Ashton B. Carter, adjoint

au secrétaire de la Défense américaine de 1993 à 1996 et par

William J. Perry Secrétaire de la Défense américaine de 1994 à

1997. Les difficultés de compréhension entre les deux pays, du

fait de la langue certes, mais également d’une manière de

penser totalement différente et indépendante l’une de l’autre,

ont laissé augurer un dialogue difficile, ce qui fut le cas au

début. Pavel Gratchev est décrit comme un homme jeune, vétéran

de la guerre d’Afghanistan et soutien de Boris Eltsine, ce qui

le rendit impopulaire, et dont les relations avec son

homologue américain sont excellentes, « la meilleure voie pour réaliser

un travail sérieux avec les Russes 1». Une voie parallèle et

essentiellement militaire à celle de Yuri Mamedov et Strobe

Talbott, considérée par Richard Holbrooke comme étant

également la meilleure au sujet de la crise bosniaque. Ces

bonnes relations entre homologues ne dissimulent pas

l’inquiétude américaine quant à la réforme encore incomplète

de l’armée russe qui, bien que très fournie en armement

conventionnel et bénéficiant d’un stock d’armes nucléaires

considérable, n’est pas adaptée aux missions de maintien de la

paix, en atteste l’opération menée en Tchétchénie en décembre

1994 qui révéla au grand jour les carences de l’armée russe.

D’un point de vue purement opérationnel il était donc

nécessaire pour les Américains « que les unités russes qui sont allées en1 Ibid., 26.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 119 -

Bosnie soient familières aux tactiques de l’OTAN, qui incluent l’utilisation de moyens

non létaux pour contenir les armées ennemies de Bosnie et traiter avec les

populations civiles en colère1». Cette assimilation des tactiques de

l’OTAN se fit par des entrainements communs en vue d’une

action en Bosnie à Fort Kinley au Kansas en septembre 1994.

Plusieurs difficultés sont soulevées, des difficultés d’argent

notamment et une méfiance réciproque du fait de l’image de

l’OTAN en Russie. Le rôle du Partenariat pour la Paix consiste

d’ailleurs également à changer l’image de l’OTAN pour que

cette organisation ne soit plus perçue comme une alliance

antagoniste à la puissance russe mais comme le lieu de

l’interopérabilité entre des forces aux fonctionnements

différents en vue d’opérations ad hoc comme celle en Bosnie et

comme un lien entre l’Europe occidentale et l’Europe de l’Est.

La fin de l’année 1994 et le début de l’année 1995 furent

mouvementées lorsqu’en décembre 1994, par un communiqué, fut

annoncée officiellement l’expansion de l’OTAN, ce qui provoqua

de fortes réactions en Russie. Pour beaucoup d’analystes

américains la Russie réagit vis-à-vis de l’OTAN de manière

« egocentrique » voire paranoïaque, chaque déclaration, fait

ou geste sortant d’un responsable de l’Alliance Atlantique est

perçu négativement2. On peut néanmoins s’interroger sur le

bienfait d’une telle annonce alors que le conflit en Bosnie

fait rage et que la coopération de l’ensemble de la communauté

internationale, et plus particulièrement de la Russie, est

fondamentale. La question bosniaque reste un épiphénomène pour

1 Ibid., 27.2 Jean Callaghan et Mathias Schönbom, Warriors in Peacekeeping: points of tension in complex cultural encounters: a comparative study based on experiences of Bosnia, Lit Verlag, 472p. 359.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 120 -

l’opinion russe tandis que « la menace de l’OTAN » est un

thème récurrent depuis la Guerre Froide, lier les deux

thématiques c’est prendre le risque de conférer à la guerre de

Bosnie l’idée de « répétition » avant l’élargissement.

Certains militaires de l’OTAN et de l’armée américaine

n’étaient d’ailleurs pas favorables à l’association des forces

russes, pour eux une telle opération compliquerait la mission

sans apporter de contrepartie. Pourtant, la réunion de l’OTAN

à Williamsburg en Virginie, insista sur la nécessité

d’associer la Russie au processus de paix. Au début du mois

d’octobre Perry demanda à rencontrer Gratchev pour discuter de

la place de la Russie dans la force de paix internationale

envoyée en Bosnie, il choisit Genève, un lieu « neutre » au

sens politique mais chargé du passé de la Guerre Froide. Le

principal point de discussion concernait la chaîne de

commandement, et plus particulièrement le fait que les Russes

refusaient, pour des raisons symboliques et politiciennes,

d’être placés sous l’autorité de l’Alliance Atlantique. L’idée

qui prévaut dans les missions de maintien de la paix est celle

de l’unité de commandement qui permet d’éviter les ordres

contraires qui peuvent être fatals sur le terrain, ainsi,

chaque niveau de commande est lié à un seul supérieur.

L’exemple de la Somalie rappelle aux Américains l’importance

d’une telle mesure. Perry exigea tout d’abord des Russes

qu’ils reconnaissent que la force de paix en Bosnie devait

être une force atlantiste, ce qui fut refusé par les Russes.

Perry proposa ensuite à la Russie d’accepter d’engager des

hommes dans des actions de logistique non combattantes où une

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 121 -

chaîne de commandement parallèle pouvait être instaurée.

Gratchev déclina et expliqua qu’il demandait une pleine

participation de la Russie dans des actions combattantes. La

question bosniaque souleva des questions plus anciennes comme

celle du traité des Forces Conventionnelles en Europe dont les

dispositions annexes, pour éviter un affrontement entre les

troupes du Pacte de Varsovie et les troupes de l’OTAN,

empêchaient la Russie de mouvoir ses troupes et ses tanks

comme elle le souhaitait. Perry affirme que les Etats-Unis ont

été ouverts sur ce sujet mais que Pavel Gratchev les mit en

face de deux options irrecevables révélatrices de l’irritation

de Boris Eltsine sur l’attitude de l’OTAN, soit la Russie

passait outre les annexes du traité soit elle ne respecterait

plus le traité dans son ensemble. Puis, Gratchev remit

également en cause la participation de la Russie à la

réduction des armes de destruction massive, nucléaires et

biologiques dans le cadre du Nunn-Lugar Cooperative Threat Reduction

Program. La participation russe à l’opération de paix en Bosnie

souleva donc des problèmes plus anciens ou des perspectives

qui dépassaient le cadre régional bosniaque et interroge plus

largement sur le cadre des relations entre la Russie et

l’OTAN. Pour sortir de cette impasse, Perry considéra que le

plus important n’était pas les points de désaccord entre la

Russie et les Etats-Unis mais la recherche d’un accord, même

partiel voire mineur, pour que la rencontre de Genève ne soit

pas un échec aux yeux du monde. Finalement, Perry proposa à

Gratchev d’organiser une rencontre au sein de la SACEUR

(Supreme allied commander in Europe) à Mons pour que les

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 122 -

officiers russes observent le travail fourni par les officiers

américains et qu’ils voient concrètement quelle aide ils

pourraient apporter à l’opération. Cette volonté de

démystifier l’OTAN est un signe majeur en faveur d’une rupture

complète avec le temps de la Guerre Froide. En donnant accès

aux quartiers généraux de l’OTAN Perry suscita à la fois de la

curiosité et du soulagement à Gratchev, car lui aussi

ressentait la pression du prochain sommet de Hyde Park entre

Bill Clinton et Boris Eltsine.

Le sommet de Hyde Park est attendu par beaucoup comme un

moyen de débloquer l’impasse dans laquelle se trouve la

coopération russo-américaine. Ce sommet du 23 octobre 1995

n’avait cependant pas pour vocation à régler tous les détails

sur lesquels leurs ministres de la défense respectifs

n’avaient pas trouvé de solution préalable. Le sommet de Hyde

Park est la neuvième rencontre entre les deux hommes1 et il

semblerait effectivement que les deux hommes s’apprécient,

malgré la préférence assumée de Boris Eltsine pour son

prédécesseur. Bill Clinton ne fut pas dupe des déclarations

d’un président russe la veille, pour lui elles ne sont

principalement qu’à destination des Russes eux-mêmes2. Le récit

fait par le président américain met en relief l’absence de

véritables discussions sur les sujets sensibles, ils

s’assirent sur les mêmes chaises que Roosevelt et Churchill

lors de la Seconde Guerre mondiale mais, malgré la dimension

symbolique d’un tel acte, les modalités d’une coopération

russo-américaine ne furent pas trouvées ce jour là. Lors de la

1 Bill Clinton, My life, Knopf, 2004, 675. 2 “Mostly for domestic consumption”, ibid, 675.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 123 -

conférence de presse, Bill Clinton assura qu’un pas important

avait été effectué au sujet de START II tandis que Boris

Eltsine défia les journalistes en disant : « Je suis plus optimiste en

repartant d'ici que lorsque je suis arrivé. Après mon discours d'hier, vous annonciez

que ma rencontre avec Bill serait un désastre. C'est vous qui êtes un désastre »1.

Sur la Bosnie, les présidents des deux pays furent plus

mesurés, annonçant que la question revenait à leurs ministres

de la Défense, Perry et Gratchev, et que c’était à eux de

trouver les solutions adéquates. Du fait des prochaines

élections, ils devaient faire face à leurs opinions publiques,

ce qui, en plus de la difficulté à trouver un compromis, à la

fois sur l’élargissement de l’OTAN comme sur la participation

russe à une opération en Bosnie, les mettait dans une

situation inextricable. D’un côté, Bill Clinton eut les pires

difficultés à faire accepter par le Congrès l’envoi de troupes

américaines en Bosnie sous commandement de l’OTAN, il est

certain que cet accord n’eut pas fonctionné si celui-ci avait

prévu un mandat sous l’autorité de l’ONU et de son côté le

président russe voyait s’approcher les élections

parlementaires ainsi que les élections présidentielles de 1996

ce qui ne lui laissait pas véritablement le choix, il fallait

qu’il montre sa fermeté et son engagement à défendre les

anciens pays satellites de l’URSS. Perry donne un compte rendu

plus détaillé de ce sommet qu’il qualifia de plus serein que

celui de Genève. Pour lui les discussions ont permis d’avancer

sur la coopération russo-américaine puisque des négociations

1 Ibid, 676. (Célèbre scène reprise par une publicité où l’on voit Boris Eltsine et Bill Clinton rire ensemble, ce qui rendra ce sommet décevant surle fond très connu sur la forme pour le moins inhabituelle)

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 124 -

eurent lieu sur le traité de la CFE concernant un changement

sur les annexes qui irritaient les Russes. Ce sommet permit

de faire valider par le président russe la prochaine visite de

Gratchev aux Etats-Unis fin octobre. De même, l’idée d’une

participation de la Russie dans des missions non combattantes

fut considérée par Eltsine comme envisageable si on les

qualifiait de « missions spéciales »1 pour une question

d’image. La réunion entre Gratchev et Perry eut lieu le 27

octobre 1995 à Fort Riley, là où s’entrainent les troupes

russes et américaines. Le but de la manœuvre consistait à

montrer à Gratchev que les troupes russes et américaines

pouvaient travailler ensemble efficacement sur le terrain et

qu’il ne restait plus aux dirigeants qu’à se mettre d’accord.

Le lendemain, ils assistèrent au sein de la Whiteman Air Force

Base à la destruction d’un stock d’armes nucléaires selon les

principes même du traité START I, puis Gratchev put monter

dans le cockpit d’un bombardier B-2, le premier russe à

approcher cet avion si secret. Toute l’énergie américaine

déployée pour satisfaire les Russes en vue d’un accord sur la

Bosnie doit être considérée à l’aulne des prochaines élections

où l’image compte autant, voire plus, que le contenu, ainsi,

de la visite de Gratchev, les Russes se souviendront de

l’image d’un ministre de la Défense activant le bouton

commandant à l’explosion du silo nucléaire et non des

discussions sur la Bosnie. Sur le fond, ces visites ne

servirent presqu’à rien mais elles permirent de rendre concret

ce qui auparavant pouvait apparaître comme très abstrait. A

1 Ashton B. Carter et William James Perry, Preventive Defense: a new security strategy for America, Brookings Institution, 2000, 42.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 125 -

Mons, dans les quartiers généraux de l’OTAN, il fut décidé que

l’officier russe prendrait le titre de « deputy commander of

Russian forces », le fait de choisir un titre avant les modalités

de l’opération montre bien qu’il s’agit pour les Russes de

faire bonne figure aux yeux de leur opinion publique. L’option

d’une opération non-combattante pour la Russie fut explorée

mais l’idée d’associer pleinement les Russes aux actions de

combat n’a pas été écartée puisque cette question revint aux

deux généraux, le général Joulwan et le général Chevtsov.

Les deux généraux vont mettre en place un schéma

opérationnel assignant à chacun un rôle, les Américains auront

en charge l’OPCON (ou contrôle opérationnel) tandis que les

Russes devront assurer le TACON (ou contrôle tactique). De

cette manière il était possible de distinguer des chaînes de

commande distinctes en apparence mais qui se rejoignaient au

final. Il est donc assez exagéré de dire, comme l’affirme

Perry, que les Américains ont eu ce qu’ils voulaient, c'est-à-

dire une unité de commandement et les Russes, un rôle « avec,

mais pas sous le commandement » de l’OTAN1. Les Russes avaient

à la fois autorité sur l’administration, sur l’ordre et la

discipline, mais en aucun cas la brigade russe n’avait

autorité sur l’ordre des missions, leur conception et leur

mise en application. L’OTAN est donc bien l’instance qui

dirige les opérations et l’autonomie russe est fort limitée,

mais l’essentiel est conservé : l’apparence de l’autonomie.

1 Ibid, 44.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 126 -

II.2] Le fonctionnement de la participation

russe à l’IFOR et à la SFOR.Après 1991 la Russie avait déjà engagé des missions de

maintien de la paix en Géorgie, en Moldavie et au Tadjikistan,

des opérations qui répondaient aux exigences de la Russie

concernant ses intérêts vitaux. Le Ministère de la Défense

créa même un Directorate of peacemaking operations dont le général

Eduard Vorobyev prit la tête, celui-ci considérait d’ailleurs

que la Russie était le seul pays capable d’amener les

belligérants à la table des négociations1. L’armée russe

souffre cependant de réelles difficultés à s’adapter aux

nouvelles contraintes de ces guerres localisées, de faible

intensité mais qui peuvent s’enliser et coûter la vie à de

nombreux soldats. La réforme de l’armée, lente et onéreuse, ne

donna pas les moyens nécessaires à la Russie pour régler ce

genre de conflit. La participation de la Russie à une

opération de maintien de la paix était donc risquée, d’autant

plus que l’opération de maintien de la paix en Tchétchénie

était un fiasco. C’est donc grâce au volontarisme américain

sur cette question et ce, malgré leur antagonisme originel,

que l’OTAN et la Russie sont parvenus à un compromis

opérationnel satisfaisant. Les soldats russes engagés pour

appliquer les accords de Dayton du 21 novembre 1995,

composaient la Russian Seperate Airborne Brigade (RSAB) au sein de la

division multinationale du Nord où se trouvent également deux

divisions américaines et une autre turque. Pour le général1 Jacob W. Kipp, Tarn Warren, “The Russian Separate Airborne Brigade – Peacekeeping in Bosnia-Herzegovina” in Regional Peacekeepers, the Paradox of Russian Peacekeepers, United Nations University, 1er juillet 2003, 36.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 127 -

Joulwan l’expérience commune de la coopération militaire en

Bosnie a été extrêmement positive, elle entérinait la fin de

la Guerre Froide définitivement et a mis la première pierre à

une construction solide d’un partenariat durable « Pendant l’IFOR

nos forces ont patrouillé ensemble, s’entrainaient ensemble et partageaient les

risques. Elles ont appris les unes des autres et ont appris à se respecter

mutuellement 1».

L’action du contingent russe fut dictée par le « Plan pour

la participation du contingent russe de maintien de la paix

dans l’opération onusienne en Bosnie-Herzégovine 2», qui

mettait en avant les actions à effectuer, le degré de risque,

les procédures, la coordination de ces actions et la chaîne de

commandement. La question du nombre de troupes russes à

envoyer fut largement débattue, d’un engagement au préalable

limité, le Ministre de la Défense russe approuva l’envoi de

troupes supplémentaires après les succès de Peacekeeper 1 et de

Peacekeeper 2 soit environ 1500 personnes, des troupes et des

officiers3. La question de la zone géographique fut également

un enjeu déterminant puisque Moscou a tout d’abord proposé que

ses troupes soient déployées à Brcko mais étant donné

l’importance de cette zone et l’absence de véritable consensus

sur cette question et du rôle stratégique du corridor de

Posavina, l’OTAN n’y fut pas favorable. Ce refus rencontra les

1 Georges A. Joulwan « Foreword » in Jacob W. Kipp (ed.), Lessons and conclusion on the Execution of IFOR Operations and prospects for a Future combined Security System: The Peace and Stability of Europe after IFOR, FMSO Special Study N°99-4, 1999, p. ii. 2 Jacob W. Kipp, Tarn Warren, “The Russian Separate Airborne Brigade – Peacekeeping in Bosnia-Herzegovina” in Regional Peacekeepers, the Paradox of Russian Peacekeepers, United Nations University, 1er juillet 2003, 50.3 Général Léonty P. Chevtsov, « La coopération militaire entre la Russie et l'OTAN en Bosnie, une base pour l'avenir ? », Revue de l’Otan, No. 2 Vol. 45, Mars. 1997, pp. 17-21

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 128 -

défiances des responsables russes de la mission qui avertirent

l’OTAN qu’ils n’accepteraient pas d’être marginalisés, et

d’être cantonnés à un « rôle fantôme » selon les termes du

colonel Andreï Demurenko1. La région d’Ugljevik fut donc

retenue, elle était occupée par des Serbes et des Musulmans.

Les troupes furent déployées après de nombreuses sorties

aériennes (75) et l’armée russe put accomplir son devoir le 2

février 1996, un an après la signature des accords de Dayton

et dans un moment de calme relatif. Leurs tâches consistaient

donc dans l’ensemble à s’interposer lorsque des conflits

mineurs pouvaient éclater pour les réduire par la discussion.

Le respect de la démocratie et la tenue des élections

municipales incombaient également aux soldats, ce qui, comme

le reconnaît le général Léonty Chevtsov, n’est pas tâche

aisée, « deux niveaux de la situation politique du pays peuvent être clairement

identifiés : au niveau gouvernemental les parties défendent leurs attachements aux

accords de Dayton, mais au niveau local (les chefs de communautés ou de cantons)

les accords sont constamment violés et ignorés »2. En ce qui concerne la

chaîne de commandement les militaires russes recevaient leurs

ordres de la SACEUR qui fixait les grands axes et de la

MND(N) au sein de la TACON pour le secteur russe. Le

commandant de la MD(N) (Division multinationale du Nord)

assignait les tâches à effectuer (FRAGOS : fragmentary

orders), fixait les priorités même s’il n’en avait pas, stricto

sensu, le droit. En théorie, la brigade russe pouvait donc ne

pas obéir aux ordres, en pratique, pendant cinq ans, les

1 Ibid, 50. 2 Général Léonty P. Chevtsov, « La coopération militaire entre la Russie et l'OTAN en Bosnie, une base pour l'avenir ? », Revue de l’Otan, No. 2 Vol. 45, Mars. 1997, pp. 17-21.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 129 -

Russes ne refusèrent que très peu de missions et quand ce fut

le cas l’explication résidait souvent dans les règles

d’engagement qui pouvaient être contraires à celles assignées

par le Ministre de la Défense à Moscou. Le déploiement des

troupes russes se fit sous l’égide de l’ONU et de la

résolution 1031 de décembre 19951, ainsi que d’un décret

présidentiel russe du 14 février 1996, d’un décret du Conseil

de la Fédération russe du 2 janvier 1996 et d’une Instruction

du ministère de la Défense du 9 janvier 1996.

Des études permettent de mieux cerner la réaction des

militaires à l’opération Joint Endeavour. Ces études concernent 45

officiers russes ayant participé à l’opération et des

officiers américains mais avant de rentrer dans les détails de

ces études, les réactions des principaux officiers russes et

américains laissent à penser que les satisfactions sont plus

nombreuses que les sources de discordes. Lors de l’annonce de

l’inclusion de troupes russes dans le secteur de la First Armor

Division, malgré le scepticisme de certains, le commandant de la

brigade, le colonel américain Fontenot, fit l’éloge du

commandant de la brigade russe, Lentsov, dont il dit « qu’il a des

capacités inégalables dans son domaine et demeure sans intérêt pour les intrigues

politiques ni pour son propre avancement de carrière ni pour quelque projet caché.

Je l’ai trouvé honnête, c’est un soldat franc et j’ai apprécié de le côtoyer 2». De

même, le général Léonty Chevtsov parle de manière élogieuse de

1 UN Security Council, Résolution 1031, 15 décembre 1995. 2 Georges A. Joulwan « Foreword » in Jacob W. Kipp (ed.), Lessons and conclusion on the Execution of IFOR Operations and prospects for a Future combined Security System: The Peace and Stability of Europe after IFOR, FMSO Special Study N°99-4, 1999, p. ii. ? Jacob W. Kipp, Tarn Warren, “The Russian Separate Airborne Brigade – Peacekeeping in Bosnia-Herzegovina” in Regional Peacekeepers, the Paradox of Russian Peacekeepers, United Nations University, 1er juillet 2003, 52.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 130 -

la relation entre le général William L. Nash et le colonel3

Lentsov qui s’entendaient à merveille depuis leur rencontre en

Allemagne sur presque tous les sujets, les deux hommes

reçurent d’ailleurs la médaille du mérite par la Russie et les

Etats-Unis. De manière plus précise, des études conduites

conjointement en Russie et aux Etats-Unis par le CMS (Russe)

et le FMSO (Américain) permettent de constater que les Russes

autant que les Américains sont d’accords sur le fait que les

missions multinationales doivent s’appuyer sur un plan

opérationnel fiable (CMSS 82.2% et FMSO 81%), sur

l’organisation de l’approvisionnement et la logistique (CMSS

80% et FMSO 77%), sur un commandement et un contrôle efficace

(CMSS 75.5% et FMSO 74%), sur une coordination permanente

(CMSS 75.5% et FMSO 84%) et dans un degrés différent les deux

parties s’accordent, pour le succès de la mission il faut une

coordination avec les différentes équipes des pays

participants et avec les agences civiles (CMSS 80% et FMSO

64%). L’importance de l’entrainement commun, dont on a vu

qu’il pouvait peut-être même infléchir des positions

politiques, est valorisé par les deux pays (CMSS 71.1% et FMSO

84%) de même que l’entrainement dans le domaine civil (CMSS

77.7% et FMSO 90%) mais on observe un léger décrochage en ce

qui concerne l’entrainement aux règles d’engagement (CMSS

64.4% et FMSO 100%) et un vrai sujet de différence en ce qui

concerne l’entraînement aux langues (CMSS 22.2% et FMSO 87%).

Des deux côtés on observe également un consensus négatif sur

le fait que l’OSCE pourrait avoir la responsabilité des

missions de maintien de la paix (CMSS 4,4% et 10% FMSO). On3 Le Colonel Lentsov fut promu Général après la guerre.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 131 -

peut conclure de manière attendue que la coopération et le

respect mutuel sont des aspects fondamentaux pour une mission

multinationale réussie. Le grand sujet de discorde concerne

néanmoins l’instance dirigeante des opérations de maintien de

la paix. Pour les Russes, qui ont pris part à l’UNPROFOR,

l’ONU demeure l’instance qui doit diriger les opérations (CMSS

77.7%) tandis que les Américains qui ont en mémoire la

Somalie, considèrent à une très large majorité que cela ne

doit pas être le cas (FMSO 10%). Ils plébiscitent par ailleurs

l’action de l’OTAN puisque pour eux c’est l’OTAN qui doit

mener ces opérations de maintien de la paix (FMSO 81%) et pour

les Russes seule une petite minorité se prononce pour l’OTAN

(CMSS 20%). En ce qui concerne l’opérationnel, on observe

également de grands décalages d’appréciation. Pour les

Américains le contrôle et le commandement opérationnel des

opérations multinationales peut se faire par des équipes

multinationales à tous les échelons (FMSO 90%) tandis que pour

les Russes, seule une petite minorité supporte cette idée

(CMSS 8,8%). Pour ce qui est du soutien économique et

financier à apporter par leur pays respectif on remarque un

profond décalage entre des Américains très favorables (FMSO

74%) et des Russes franchement opposés (CMSS 4.5%)1. Ces

chiffres s’expliquent par la crise économique qui touche la

Russie et par la catégorie de personnes interrogées car avant

l’engagement des Russes dans l’IFOR, les gens de la rue se

prononçaient très largement en faveur d’une participation

1 Dr. Jacob W. Kipp, “US-Russian Military Cooperation and the IFOR Experience: A Comparison of Survey Results”, non publié, septembre 1998.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 132 -

économique et financière de la Russie plutôt que par l’envoi

de matériel et d’hommes1. On peut regretter que certaines

questions plus spécifiques n’aient pas été posées :

Percevez-vous l’OTAN comme une instance alliée ?

Votre regard sur les pays ayant participé à l’opération

a-t-il changé ?

Considérez-vous que l’opération de l’UNPROFOR soit une

réussite ?

Nous pouvons néanmoins supputer que, bien que constituant un

précédent, cette opération n’a pas bouleversé la perception

russe de l’OTAN, elle a tout au plus infléchi une vision très

négative de cette organisation pendant une courte période

jusqu’à la crise du Kosovo.

II.3 La vie des soldats russes en Bosnie vue

par l’interprète du général Nash.L’interprète du général Nash dans ses relations avec le

colonel Lentsov, a écrit un journal de décembre 1995 à

novembre 1996 qui se révèle intéressant sur plusieurs aspects.

Tout d’abord il est révélateur des relations entre la brigade

américaine et la brigade russe et est surtout beaucoup plus

détaillé que les précédents comptes-rendus de Bill Perry et

d’Ashton B. Carter. On apprend de nombreuses informations sur

le parcours des militaires, sur leurs opinions politiques

voire même sur leurs salaires, toutes ces informations étant1 « Pour 30% des personnes ayant répondu, l’engagement de la Russie dans lesBalkans devait se faire sous forme d’aide humanitaire et d’assistance économique » Cf. chapitre 2 de la présente étude.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 133 -

mêlées aux plaisanteries russes récentes ou datant de l’URSS.

Les expériences antérieures de ces officiers sont

primordiales, ainsi du côté américain, le général Nash a, tout

comme Richard Holbrooke, vécu sa principale expérience au

Vietnam tandis que pour les Russes l’expérience marquante

réside surtout dans la guerre d’Afghanistan en 1980. Les

troupes russes sont parties de Moscou pour rejoindre Belgrade

afin de transiter par Brcko et le corridor de Posavina avant

de rejoindre Ugljevik près de Tuzla. L’opinion politique des

militaires russes est ici exposée de manière très directe, le

colonel Lentsov estime ne pas regretter la taille de l’URSS,

la Russie est déjà assez grande, et ne souhaite pas poursuivre

une idéologie coûte que coûte mais avoue n’avoir rien constaté

de défaillant dans le système politique communiste1. Pour lui,

Boris Eltsine est le fossoyeur de la démocratie, tout comme

Gorbatchev a été le fossoyeur du système communiste. A

l’inverse, on peut observer les remarques du colonel Denisov

qui lui considère que le plus important c’est la tenue des

élections en Russie, en 1996. Enfin, le colonel Ashkhimin,

expliqua son choix de voter communiste pour deux raisons,

premièrement pour le système d’aide sociale et médical, très

touché par les privatisations successives et deuxièmement, car

selon lui le parti communiste est le seul parti d’opposition

en capacité à diriger le pays. Concernant l’opération en elle-

même, des désaccords importants existent entre les officiers

russes et les officiers américains, notamment le colonel

1 James Nelson, Bosnia Journal: An American Civilian's Account of His Service With the 1st

Armored Division and the Russian Brigade, Infinity Publishing, 30 janvier 2005, 4.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 134 -

Denisov qui considère que le général Nash veut « tout régler

par la force » alors que pour lui il existe des forces autres

que celle de Milosevic à Belgrade. En d’autres termes, le

terrain est miné au propre et au figuré, ce qui signifie pour

les Russes de faire une plus grande œuvre de la diplomatie1. Un

autre incident eut lieu entre le général Nash et le général

Staskov au sujet de l’indépendance la brigade russe, le

général russe reprochant au général américain son désir de

tout commander. Ce journal nous apporte surtout des

informations de la vie quotidienne qui permettent de

reconstituer un camp où figurent 20 000 soldats. On apprend

que les officiers russes sont payés mille dollars par mois,

que les conditions de vie au sein de l’armée russe sont

difficiles, qu’il fait froid et que l’eau est presque

insalubre. En conclusion, la coopération vue de l’intérieur

montre quelques difficultés entre les Russes et les

Américains, des difficultés personnelles avec le général Nash

et des difficultés avec la répartition des tâches puisque pour

associer les deux pays il a fallu créer un cadre assez souple

pour satisfaire les Russes.

1 Ibid., 12.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 135 -

ConclusionLa Russie s’est positionnée tout au long du conflit en ex-

Yougoslavie comme un acteur incontournable au sein des

différentes institutions internationales, à l’ONU et dans le

Groupe de Contact. Son droit de veto au Conseil de Sécurité de

l’ONU lui a permit d’exercer des pressions pour que sa voix

soit entendue. Bien que parfois contradictoire et chaotique,

la politique étrangère de la Russie pendant cette période

n’est pas nulle en actes et en conséquences. Notre thèse de

départ a donc consisté à contredire dans un premier temps

l’analyse de Samuel Huntington qui vise à créer un paradigme

nouveau faisant de la solidarité culturelle et religieuse le

fondement des relations internationales. Dans une approche

plus réaliste, nous avons tenté de démontrer que les intérêts

premiers de la Russie n’étaient pas la solidarité mais la

notion d’intérêt national, ici substituée par les intérêts

nationaux, un concept largement débattu pendant la période

d’après Guerre Froide en Russie. Pour autant, nous ne nous

inscrivons pas dans une démarche néoréaliste qui consisterait

à sous-estimer voire à mépriser les acteurs non-étatiques, la

société civile et les enjeux économiques plus larges, ce qui

nous a amené à analyser également les opinions et la réaction

de ces acteurs à la suite de certains événements marquant

comme le siège de Sarajevo et le début des bombardements de

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 136 -

l’OTAN lors de l’été 1995. Les études très précises conduites

auprès des armées russes et américaines ainsi que les

différents sondages d’opinion au sujet de la guerre de Bosnie,

de l’élargissement de l’OTAN et de la sécurité de la Russie,

nous permirent de constater le décalage parfois très profond

entre la société civile russe et l’action du gouvernement de

Boris Eltsine. Aux études d’opinion il convient d’ajouter bien

entendu l’analyse des élections législatives russes qui ont

confirmé l’émergence de forces à vocation néo-fasciste qui

semblèrent influencer la politique étrangère russe.

Paradoxalement, malgré le décalage entre la politique du

gouvernement en matière de relations internationales et la

société, des analystes russes et américains ont souvent

qualifié la stratégie de Boris Eltsine et ses orientations en

politique étrangère d’électoralistes. En réalité, la

difficulté consiste à saisir le caractère apolitique des

Russes après la Guerre Froide, qui, pour beaucoup d’entres-eux

n’ont pas de convictions ancrées. Ils réagissent par humeur,

par mécontentement. Soutiennent-ils les réformes libérales de

Boris Eltsine ? Sans doute pas, mais ce dernier fut élu et

réélu malgré de sévères défaites et des sondages

particulièrement en sa défaveur. Ont-ils réellement adhéré aux

mouvements communistes et nationalistes ? Il s’agissait pour

la majorité de ces électeurs de manifester un mécontentement.

L’incohérence de la politique étrangère rejoint donc dans une

certaine mesure l’apolitisme des Russes. La deuxième source

d’incohérence, plus visible celle-ci, fut le décalage entre la

parole, parfois vindicative du président russe et l’acte.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 137 -

Boris Eltsine se distingua par des sorties médiatiques contre

les Etats-Unis et l’OTAN qui ne s’accompagnèrent cependant pas

de gestes de défiance significatifs, à l’exception de la

signature du Partenariat pour la Paix qui fut repoussée mais

qui eut bien lieu. Cette intoxication médiatique avait pour

but à la fois de satisfaire l’opinion russe, pourtant pas dupe

de la vrai attitude de Boris Eltsine à l’égard de l’Occident,

et d’affirmer la Russie comme soutien indéfectible des Serbes,

ce qui leur permettait d’occuper une position minoritaire mais

intéressante. Le troisième niveau d’analyse, plus consensuel,

concerne les négociations entre Américains et Russes au sujet

d’une opération commune en Bosnie. Les différentes liaisons

diplomatiques (Strobe Talbott et Grogi Mamedov) et militaires

(Perry et Gratchev) ainsi que la relation entre les généraux

(Georges Joulwan et Léonty Chevtsov) et enfin la relation

présidentielle entre Boris Eltsine et Bill Clinton nous ont

montré que les liens entre la Russie et les Etats-Unis ont été

très forts pendant la crise de Bosnie. Ces différents canaux

ont permit une concrétisation militaire qui fut saluée par

l’OTAN mais qui ne fut pas un précédent décisif dans la

collaboration entre la puissance russe et l’organisation

atlantique. Ces multiples niveaux d’analyse ont ainsi rétabli

une perception plus large de la crise de Bosnie et peut-être

plus objective que les articles très subjectifs traitant de

l’engagement des mercenaires russes dans les Balkans. Le

deuxième objectif de cette étude était de traiter du mimétisme

entre l’effondrement de l’ex Yougoslavie et celui de l’URSS,

d’analyser s’il y avait des points de comparaison dans

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 138 -

l’émergence des partis nationalistes russes avec le parti

communiste de Slobodan Milosevic. Ce type d’analyse n’est pas

très fréquent dans l’historiographie française, mais on pense

bien entendu aux œuvres d’Hanna Arendt, on retrouve plutôt ce

type d’approche dans la culture historique américaine. Ces

analyses souffrent malheureusement de raccourcis qui peuvent

nuire à la pertinence du discours, néanmoins la mise en

relation permet également de retrouver les grands axes de la

pensée occidentale sur le nationalisme. Enfin, cette étude

avait pour but de rétablir un certain équilibre de traitement

de la crise de l’ex-Yougoslavie, souvent abordée d’un point de

vue européen ou américain mais rarement d’un point de vue

russe, surtout pour la crise de Bosnie. En effet, la crise du

Kosovo, du fait d’un durcissement réel de la position russe, a

souvent fait l’objet d’une plus grande attention.

Index

Index des noms :Burbulis (Guennadi): 31.

Bush (Georges): 24, 63-64.

Chevtsov (Léonty): 78, 81, 85.

Churkin (Vitaly): 28-29, 32,

65, 69, 71.

Clinton (Bill): 8, 45, 64-65,

72, 77, 85.

Eltsine (Boris) : 8, 15, 17,

23, 25, 27-29, 31-34, 38, 41-

45, 48-54, 60-69, 72-78, 84-85.

Gaïdar (Igor) : 31, 45.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 139 -

Glotov : 46-47.

Gorbatchev (Mikhail): 13, 17,

22-25, 29-32, 60-62.

Gratchev (Pavel): 32, 34-35,

66, 72, 75-78, 85.

Holbrooke (Richard): 41, 46-47,

70-72, 75.

Ivanov (Igor): 18, 32-34, 44,

55, 71.

Izetbegovic (Alija): 7, 46-47.

Jirinovski (Vladimir): 9, 27-

28, 44-45, 48-49, 51-52, 54-55,

58, 62.

Joulwan (Georges): 78, 80-81,

85.

Karadzic (Radovan): 20, 46, 49,

54, 65.

Kozyrev (Andreï): 7-8, 15-17,

28, 31-33, 37, 41-42, 45, 48-

49, 55, 58, 61-68, 70-71.

Lebed (Alexander Ivanovich):

44, 49.

Lukin (Vladimir): 45-46, 48.

Mamedov (Gorgi): 32-33, 67, 75,

85.

Milosevic (Slobodan): 19-20,

22-23, 27-28, 46-47, 64, 66,

70-71, 85.

Mitterrand (François) : 43. Molotov: 12, 16.

Nash (William L.): 81.

Nikiforov (Alexeï): 69-70.

Perry (William James): 72-74,

76-79, 85.

Rodionov (Nikolaï): 34-35.

Sacirbey: 32-33.

Skokov (Yuri): 49.

Staline (Joseph): 13.

Talbott (Strobe): 17, 32, 63-

67, 72, 75, 85.

Tchernomyrdine (Vitkor): 32,

74.

Tito (Josip Broz): 13, 22.

Tudjman (: 22, 46-47.

Védrine (Hubert): 43.

Vorobyev (Eduard): 79.

Ziouganov (Guennadi):15, 48.

Zotov (Alexander): 69

Index des lieux :Abkhazie : 36, 75.

Angleterre: 10, 11, 69.

Allemagne : 14, 16, 60, 68-

69, 81.Bosnie : 5, 8, 11, 14, 19, 20,

22, 24, 26-29, 33, 36-39, 41,

44-49, 51-60, 62-69, 72-78, 84-

85.

Brcko : 81, 84.

Bulgarie : 10-13, 16, 55.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 140 -

Croatie : 6, 14, 24-27, 56-

57, 68.

Espagne : 32, 72.

France : 10, 12, 14, 43, 47,

68-69, 72.

Grèce : 10, 13, 20, 72.

Kosovo : 11, 25-27, 64, 84,

87.

Macédoine : 11, 13, 24.

Moldavie : 25-26, 80.

Monténégro : 10, 19, 24, 56.

Ugljevik : 81, 84.

Ukraine : 43, 68, 75.

URSS : 8, 13, 16, 18-19, 22-

27, 31-35, 37, 44, 51-53, 61-

63, 69, 72, 78, 85.

Sarajevo : 13, 28, 32, 40,

43, 54, 66-67, 69- 70, 73,

86.Serbie : 5-13, 16-17, 19-20,

22, 24-29, 32, 40, 43, 47, 49,

52, 64-65, 70, 72.

Tchétchénie : 26, 29, 39, 49,

53, 54, 64, 76, 80.

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Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 155 -

Table des Annexes

1)Chronologie de la diplomatie russe pendant la

guerre de Bosnie : p.98

2)Résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU :

p.100

3)Organigrammes : p.103

4)Cartes : p.105

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 156 -

Chronologie de la diplomatie russependant la guerre de Bosnie

Juin 1991 : Conflit pour l’indépendance de la Slovénie.

Août 1991 : Coup d’Etat en Russie.

Janvier 1992 : conflit pour l’indépendance de la Croatie.

30 mai 1992 : A l’initiative des Etats-Unis, la Russie vote

les sanctions économiques contre la Serbie.

10 juillet 1992 : La Russie vote l’exclusion de la Yougoslavie

de la CSCE (Conference for Security and Cooperation in

Europe).

19 septembre 1992 : La Russie vote la Résolution 777 du

Conseil de Sécurité de l’ONU qui déclare que la Yougoslavie a

cessé d’exister en tant que République Fédérale de

Yougoslavie, cependant la résolution ne reconnaît pas

l’existence, encore moins l’indépendance de la Bosnie-

Herzégovine.

Octobre et novembre 1992 : La Russie approuve l’investigation

concernant la violation des lois internationales sur les

droits de l’Homme et vote le renforcement de l’embargo contre

la Serbie et le Monténégro.

26 juin 1992 : Le Parlement russe vote une résolution

critiquant les sanctions contre la Serbie.

23 septembre 1992 : O.G Rumiantsev, président de la Commission

Constitutionnelle Russe, déclare que la politique menée contre

la Serbie est « une traîtrise aux intérêts russes ».

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 157 -

Déclaration qui coïncide avec le départ de mercenaires russes

en Yougoslavie.

14 décembre 1992 : Discours de Kozyrev à Stockholm qui marque

un tournant dans la position russe, le ministère des affaires

étrangères soutenant ouvertement la Serbie contre des mesures

unilatérales, « the present government can count on the

support of Great Russia ».

20 décembre 1992 : Elections présidentielles en Serbie, le

candidat défendu par la Russie Milan Panic est battu par

Slobodan Milosevic.

17-18 avril 1993 : Moscou s’abstient dans le vote de la

résolution 820 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui renforce

les sanctions contre Belgrade et demande à l’inverse des

sanctions contre les Croates après une offensive contre des

zones de l’ONU.

Mai 1993: première visite à Belgrade de Kozyrev après plus

d’un an.

29 juillet 1993 : Refus de la Russie d’une levée de l’embargo

pour la Bosnie-Herzégovine, ce qui de fait favorise la Serbie.

Octobre 1993 : Elections à la Douma remportées par

l’ultranationaliste Vladimir Jirinovski et son parti Liberal

Democratic Party.

31 janvier 1994 : Visite de Jirinovski à Bieljina en Bosnie

côté serbe.

Février 1994 : En visite à Belgrade Jirinovski déclare que

« la Russie et la Serbie ont uniquement deux ennemis, le

Catholicisme à l’Ouest et l’Islam à l’Est ». La Russie négocia

par ailleurs avec les Serbes de Bosnie pour que l’aide

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 158 -

humanitaire puisse arriver et que des observateurs russes

puissent assister à l’ouverture de l’aéroport de Tuzla.

5 février 1994 : L’attaque au mortier sur le marché de Markale

à Sarajevo fait 68 morts et 200 blessés.

11 février 1994 : L’OTAN et la Communauté Européenne adressent

un ultimatum aux Serbes menaçant de bombardements aériens si

les armes lourdes n’étaient pas retirées du périmètre de

Sarajevo. La Russie, et Eltsine en particulier, s’engage pour

que l’ultimatum soit respecté.

10-11 avril 1994 : Bombardements de l’OTAN contre les

positions serbes qui provoquèrent de très vives protestations

de la part des Russes.

Mai 1994 : Contribution des Russes à l’élaboration du Plan

Vance-Owen et tentatives pour le faire accepter par les Serbes

de Bosnie.

30 juillet 1994 : Rejet du plan de paix par les Serbes de

Bosnie après des négociations entre Moscou et Pale.

11 juillet 1995 : Bombardements pour empêcher la chute de

Srebrenica

12 juillet 1995 : La Douma vote une résolution à la quasi

unanimité qui engage la Russie à se retirer des sanctions

économiques contre la Yougoslavie. Ce même jour une procédure

d’impeachment contre Eltsine est repoussée, notamment en

raison de son opération du cœur.

28 août 1995 : Second attentat au mortier à Sarajevo,

30 août 1995 : Boris Eltsine demande une session d’urgence du

Conseil de Sécurité de l’ONU après les bombardements de

l’Otan.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 159 -

23 octobre 1995 : Sommet de Hyde Park entre Boris Eltsine et

Bill Clinton.

27 octobre 1995 : Rencontre entre Bill Perry et Pavel Gratchev

à Fort Kinley pour discuter des modalités d’une entente

militaire entre la Russie et l’OTAN.

21 novembre 1995 : Accords de Dayton qui mettent fin à la

guerre de Bosnie en séparant le territoire en deux entités

dirigées par un gouvernement central.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 160 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 161 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 162 -

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- 163 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 164 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

Pouvoir exécutifBoris Eltsine : Président de la

République Fédérale de RussieViktor

Tchernomyrdine : Premier MinistreIegor Gaïdar : Vice-premier Ministre

Pavel Gratchev : Ministre de la

DéfenseValeriy Mikhailov : vice-ministreAndreï Kokoshin : vice-ministre

Andreï Kozyrev : Ministre des Affaires EtrangèresVitaly Churkin : vice-ministre

Nicolaï Staskov: Général, commandant du contingent russe en Bosnie.Léonty Chevtsov: Général Viktor Denisov: Général, en charge du transport aérien.Aleksandr Lentsov: Colonel

Gennadia Burbulis : Premier adjoint du ministre des Affaires Etrangères.Gorgi Mamedov : Chargé des relations avec les Etats-Unis de 1991-2003.Vladimir Lukin : Chargé des relations internationales à la Douma.

Organigramme militaire et diplomatique sous Eltsine

- 165 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

Pouvoir exécutifBill Clinton :

Président des Etats-Unis

Al Gore : Vice-président des Etats-

Unis

William Perry : Secrétaire d’Etat à la DéfenseAshton B. Carter : premier assistant

Warren Christopher : Secrétaire d’Etat aux Affaires EtrangèresStrobe Talbott : premier assistant

William L. Nash : GénéralGeorge Joulwan : Général, commandant de la SACEURGregory Fontenot : Colonel

Charles Redman : Envoyé spécial en BosnieRobert Frasure : Chef de mission en BosnieRichard Holbrooke :DiplomateMadeleine Albright : Ambassadrice auprès de l’U.NRobert Frowick : Supervise les accords civils de Dayton

Organigramme militaire et diplomatique sous Clinton

- 166 -

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 167 -

1 Secteurs de la SFOR. Source: Université du Texas à Austin.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 168 -

2 Agrandissement de la zone d'Ugljevik. Source : Université du Texas à Austin.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2

- 169 -

3 Russie, les divisions administratives. Source : Université du Texas à Austin.

Perception Russe de la Guerre de Bosnie, chapitre 2