Albian Charophytes discovered in the Kebar Formation (Central Tunisia): Palaeoecological and...

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Annales de Paléontologie 96 (2010) 117–133 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Découverte de charophytes de l’Albien dans la Formation Kebar (Tunisie centrale) : implications paléoécologiques et paléobiogéographiques Albian Charophytes discovered in the Kebar Formation (Central Tunisia): Palaeoecological and palaeobiogeographical implications Khaled Trabelsi a,,e , Jamel Touir b , Ingéborg Soulié-Märsche c , Carles Martín-Closas d , Mohamed Soussi e , Jean-Paul Colin f,g a Faculté des sciences de Sfax, université de Sfax, UR/99/10-04, CP 2092, Sfax, Tunisie b Laboratoire 3 E, faculté des sciences de Sfax, université de Sfax, Sfax, Tunisie c UMR CNRS 5554, paléoenvironnements, université Montpellier II, Cc 061, place E.-Bataillon, 34095 Montpellier cedex 5, France d Departament d’Estratigrafia, Paleontologia i Geociències marines, Facultat de Geologia, Universitat de Barcelona, 08028 Barcelona, Catalogne, Espagne e Faculté des sciences de Tunis, université de Tunis El Manar, UR/99/10-04, CP 2092, Tunis, Tunisie f Universidade de Lisboa, Faculdade de Ciências, Centro de Geologia, Campo Grande, C-6, 3 1749-016 Lisboa, Portugal g 3, impasse des Biroulayres, 33610 Cestas, France Disponible sur Internet le 18 mai 2011 Résumé En Tunisie centrale, le passage Aptien-Albien est marqué, en domaine de plate-forme, par une lacune stra- tigraphique majeure dont la durée n’est pas connue avec précision. Celle-ci est accompagnée, localement au Jebel Kebar (Tunisie centrale), par le développement des dépôts de la Formation Kebar. La découverte d’une association de charophytes formée de Sphaerochara verticillata, Atopochara trivolvis trivolvis et Clavator harrisii zavialensis, permet de dater cette Formation de l’Aptien supérieur-Albien moyen, avec une plus grande probabilité pour l’Albien inférieur. Une nouvelle variété de charophytes, Sphaerochara verticillata var. kebariensis, est décrite pour la première fois. Du point de vue biogéographique, l’association floristique identifiée est très similaire à celle du même âge décrite sur la marge nord de la Téthys dans la Péninsule Ibérique. L’environnement de dépôt de la Formation Kebar, considéré auparavant exclusivement continental, Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (K. Trabelsi). 0753-3969/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpal.2011.04.001

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Annales de Paléontologie 96 (2010) 117–133

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Article original

Découverte de charophytes de l’Albien dans laFormation Kebar (Tunisie centrale) : implications

paléoécologiques et paléobiogéographiques

Albian Charophytes discovered in the Kebar Formation (Central Tunisia):Palaeoecological and palaeobiogeographical implications

Khaled Trabelsi a,∗,e, Jamel Touir b, Ingéborg Soulié-Märsche c,Carles Martín-Closas d, Mohamed Soussi e, Jean-Paul Colin f,g

a Faculté des sciences de Sfax, université de Sfax, UR/99/10-04, CP 2092, Sfax, Tunisieb Laboratoire 3 E, faculté des sciences de Sfax, université de Sfax, Sfax, Tunisie

c UMR CNRS 5554, paléoenvironnements, université Montpellier II, Cc 061,place E.-Bataillon, 34095 Montpellier cedex 5, France

d Departament d’Estratigrafia, Paleontologia i Geociències marines, Facultat de Geologia,Universitat de Barcelona, 08028 Barcelona, Catalogne, Espagne

e Faculté des sciences de Tunis, université de Tunis El Manar, UR/99/10-04, CP 2092, Tunis, Tunisief Universidade de Lisboa, Faculdade de Ciências, Centro de Geologia, Campo Grande, C-6,

3◦ 1749-016 Lisboa, Portugalg 3, impasse des Biroulayres, 33610 Cestas, France

Disponible sur Internet le 18 mai 2011

Résumé

En Tunisie centrale, le passage Aptien-Albien est marqué, en domaine de plate-forme, par une lacune stra-tigraphique majeure dont la durée n’est pas connue avec précision. Celle-ci est accompagnée, localement auJebel Kebar (Tunisie centrale), par le développement des dépôts de la Formation Kebar. La découverte d’uneassociation de charophytes formée de Sphaerochara verticillata, Atopochara trivolvis trivolvis et Clavatorharrisii zavialensis, permet de dater cette Formation de l’Aptien supérieur-Albien moyen, avec une plusgrande probabilité pour l’Albien inférieur. Une nouvelle variété de charophytes, Sphaerochara verticillatavar. kebariensis, est décrite pour la première fois. Du point de vue biogéographique, l’association floristiqueidentifiée est très similaire à celle du même âge décrite sur la marge nord de la Téthys dans la PéninsuleIbérique. L’environnement de dépôt de la Formation Kebar, considéré auparavant exclusivement continental,

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (K. Trabelsi).

0753-3969/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annpal.2011.04.001

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oscille entre le milieu continental et le margino-littoral (lagunaire) comme en témoigne l’association descharophytes et des ostracodes décrite.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Charophytes ; Paléoécologie ; Paléobiogéographie ; Formation Kebar ; Crétacé inférieur ; Tunisie

Abstract

In Tunisia, in the platform domain, the Aptian-Albian transition is associated with a major stratigraphicgap not precisely dated, which is related to the subaerial exposure of the Aptian Orbata platform. Locally,in central Tunisia (Jebel Kebar), this gap is substituted by the sedimentary records of the Kebar Formation.This formation provided a rich association of fossil charophytes, formed by Atopochara trivolvis trivolvis,Clavator harrisii zavialensis and Sphaerochara verticillata which allows attributing it to the late Aptian–earlyAlbian interval (most probably early Albian). In addition, a new variety, Sphaerochara verticillata var.kebariensis, is described. The charophyte assemblage shows significant biogeographic affinities with acoeval flora found in the Iberian Peninsula. The Kebar Formation was previously regarded as exclusivelynonmarine, but the presence of the assemblage of charophytes and associated ostracods described ratherindicates a fluctuation between margino-littoral (lagoonal) and continental environments.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Charophytes; Palaeoecology; Palaeobiogeography; Kebar Formation; Lower Cretaceous; Tunisia

1. Introduction

Comme sur la rive nord de la Téthys, sur la rive sud en Tunisie centrale, le passage Aptien-Albien est marqué par une lacune stratigraphique très importante au niveau des domaines deplate-forme. Cette lacune englobe l’intervalle Aptien supérieur jusqu’à l’Albien supérieur. Néan-moins, dans ce domaine paléogéographique, existe localement un enregistrement sédimentaired’environnement margino-littoral, dont on ne connaissait pas de fossiles à signification biostrati-graphique auparavant. L’absence de fossiles avait rendu difficile, voire impossible, non seulementla datation de cette formation, mais aussi sa corrélation avec les formations marines équivalentessituées au nord de la Tunisie. Cette difficulté de corrélation est liée aussi à une paléogéographieparticulière de la Tunisie caractérisée par une transition brutale et serrée entre le domaine de plate-forme et le domaine de bassin, contrôlée par un contexte tectono-structural local (Ben Youssef,1999 ; Chaabani et Razgallah, 2006 ; M’Rabet, 1981 ; Rigane et al., 2009).

Sur le flanc Nord du Jebel Kebar (Tunisie centrale), les niveaux marneux et calcaires de la For-mation Kebar ont livré des charophytes fossiles. Le présent travail permet d’apporter de nouvellesdonnées biostratigraphiques et des interprétations paléoécologiques et paléobiogéographiques surcette flore de charophytes, par comparaison avec des flores de charophytes du Crétacé Inférieurconnues dans le monde.

2. Situation géologique

Le Jebel Kebar est situé en Tunisie centrale (Région de Sidi Bouzid), à 250 km environ au sudde Tunis (Fig. 1). Cette zone correspond à une structure anticlinale de l’Atlas tunisien central,allongé suivant une direction NE-SW, sur 20 km de long et 5 à 6 km de large et culmine à 793 m. LaFormation Kebar apparaît exclusivement sur le flanc Nord du Jebel Kebar (Fig. 2 (1)) (N 38◦ 82’ ;

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Fig. 1. Cadre géographique et géologique du secteur étudié.Geographical and geological setting of the Jebel Kebar.

E 7◦ 86’) où elle est d’une épaisseur totale de 165 m. Elle repose en discordance sur la barredolomitique, d’âge Aptien supérieur, probablement Bédoulien (Formation Orbata) (M’Rabet,1981 ; Masse, 1984). Ce passage matérialise une discontinuité régionale majeure très connue enTunisie centrale (Ben Youssef, 1999 ; M’Rabet, 1981 ; Masse, 1984). La Formation Kebar estsurmontée directement par les marnes et calcaires transgressifs de la Formation Zebbag d’âgeAlbien supérieur (zone à Stoliskaia dispar, d’après Ben Youssef, 1999), ce qui permet d’encadrerstratigraphiquement la Formation Kebar dans l’intervalle, Aptien supérieur–Albien supérieur.

La variation verticale des lithofaciès et le mode d’empilement des dépôts dans la coupe princi-pale WBT, levée à l’ouest d’une butte témoin sur le flanc Nord de Jebel Kebar (Fig. 2 (2)), permetde découper la Formation Kebar en cinq unités lithostratigraphiques indiquant des environnementssédimentaires distincts, mais qui sont dans l’ensemble paraliques (Trabelsi, 2006) :

• unité 1 (30 m d’épaisseur environ) : représentée par des alternances marnocalcaires développéesdans un environnement laguno-lacustre. Dans cette unité, les bancs carbonatés d’épaisseur

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Fig. 2. Affleurement principal de la Formation Kebar. 1. Vue générale de la Formation Kebar à l’ouest de la « buttetémoin » ; la flèche indique la position des niveaux à Charophytes. 2. Vue de la butte témoin repère.Main out-crup of the Kebar Formation. 1. The Kebar Formation as seen west from the landmark hillock; with charophyte-rich levels arrowed. 2. General view showing the landmark hill, a field marker of the Kebar Formation.

centimétrique sont formés de calcaires fins micritiques à ostracodes et charophytes, intercalésde passées centimétriques de marnes et d’argiles verdâtres à grisâtres ou encore bariolées.C’est dans cette unité basale que nous avons découvert la flore de charophytes, notamment lesniveaux K5 (marneux) et K6 (calcaire), qui ont livré d’importantes quantités de fructifications(gyrogonites et utricules) (Fig. 3) ;

• unité 2 (10 m d’épaisseur) : il s’agit essentiellement d’une alternance de paléosols à calcrèteset de calcaires fins indiquant un milieu paralique à palustre, témoignant d’un domaine émergé,temporairement inondé et exondé ;

• unité 3 (15 m d’épaisseur) : formée par des alternances de paléosols à calcrètes et de calcaireslaminés à microbialites, plus ou moins karstifiés, traduisant un milieu péritidal temporairementexondé (supratidal) ;

• unité 4 (40 m d’épaisseur) : représentée par des alternances de paléosols à calcrètes et deconglomérats polygéniques, indiquant un milieu émergé soumis épisodiquement à des apportsalluviaux ;

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• unité 5 (70 m d’épaisseur) : représentée par une unité de sable intercalée avec des niveauxd’argiles, traduisant l’installation d’un environnement fluviatile dans la région d’étude.

3. Méthodologie

La découverte de charophytes dans la Formation Kebar a demandé de nombreuses missions deterrain à la recherche des niveaux les plus riches en charophytes, jusqu’à présent inconnus dans lesséries sédimentaires de Tunisie. L’échantillonnage des spécimens de cette flore a été effectué aussibien dans les niveaux carbonatés que marneux et argileux, dans la coupe WBT, levée à l’Ouest de labutte témoin, sur le flanc Nord de Jebel Kebar (Fig. 3). Deux niveaux (K5 et K6) de la FormationKebar ont livré les plus importantes quantités de fructifications (gyrogonites et utricules) decharophytes, en bon état de conservation. Pour les échantillons marneux prélevés du niveau K5,le sédiment est traité selon la méthode usuelle basée sur une attaque du sédiment à une dissolutionaqueuse de l’eau oxygénée suivie d’un lavage sur tamis (1 à 2 mm, 0,5 mm et 0,25 mm). Leséchantillons prélevés dans le niveau calcaire K6 sont traités selon la technique de désagrégationde la roche par une attaque préliminaire à l’acide. Elle consiste à prendre l’échantillon de roche

Fig. 3. Log lithostratigraphique de l’unité 1 de la Formation Kebar avec localisation des niveaux à charophytes dans lefaciès basal (coupe WBT).Lithostratigraphic log of the lowermost unit (U1) of the Kebar Formation with location of the charophyte-rich levels atthe base of section WBT.

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calcaire, parfaitement sèche et morcelée en fragments aussi petits que possible, auxquels on ajoutel’acide acétique anhydre avec le sulfate de cuivre anhydre (attaque acide). Après neutralisationdu milieu par l’ammoniaque, le résidu est passé aux ultrasons, puis lavé et rincé. De plus, leséchantillons calcaires ont fait l’objet de confection de nombreuses lames minces. Le matérielétudié est déposé au service de paléontologie et sédimentologie de l’Office nationale des minesde Tunisie sous la référence SPSONMT Trab., J. Keb. 0001-0017.

4. Paléontologie systématique

Division CHAROPHYTA Migula, 1897.Classse CHAROPHYCEAE Smith, 1938.Ordre CHARALES Lindley, 1836.Famille CHARACEAE (Richard ex C. Agardh, 1824) emend. Martín-Closas et Schudack,

1991.Genre Sphaerochara (Mädler, 1952) emend. Soulié-Märsche, 1989.Sphaerochara verticillata (Peck, 1937) Peck, 1957.Fig. 4 (1–4)

Fig. 4. Gyrogonites de Sphaerochara verticillata provenant du niveau K5 de la Formation Kebar. 1–2. Vue latérale. 3.Vue apicale. 4. Vue basale.Sphaerochara verticillata gyrogonites from level K5 of the Kebar Formation. 1–2. Lateral view. 3. Apical view. 4. Basalview.

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Fig. 5. Diagramme de comparaison de la taille des gyrogonites de Sphaerochara verticillata du niveau K5 et deS. verticillata var. kebariensis du niveau K6 de la Formation Kebar mesurée respectivement sur 50 individus ; valeursdes longueurs (en Y) ; largeurs (en X).Comparative graph of the size of the gyrogonites of Sphaerochara verticillata from level K5 and S. verticillata var.kebariensis from level K6 measured on 50 individuals respectively; length (Y axis); width (X axis).

1937 Chara verticillata Peck n. sp. – Peck, p. 84, figs 30–33.1957 S. verticillata (Peck) emend. – Peck, p. 36, Pl. 7, figs 1–12.1962 Peckisphaera verticillata (Peck) nov. comb.– Grambast, p. 78.1995 P. verticillata (Peck) Grambast, 1962 – Feist, Lake et Wood, p. 420, Pl. 2, figs 22–27.2000 S. verticillata (Peck, 1937) Peck, 1957 – Martín-Closas, p. 66–67, Pl. 4, figs 7–12.Matériel : 93 gyrogonites ont été récoltées de l’échantillon marneux K5 de la Formation Kebar,

dont 50 spécimens ont fait l’objet d’une étude biométrique.Localité : coupe à l’ouest de la butte témoin (flanc Nord de Jebel Kebar) de la Formation Kebar

(Fig. 2).Description : gyrogonites généralement subsphériques à ovoïdes ou encore globuleuses,

ayant 330 à 480 �m de long et 315 à 390 �m de large. La forme est caractérisée par unindex d’isopolarité (Isopolarity Index, ISI) de 107 à 120. La base est plus ou moins arron-die montrant un pore basal pentagonal obturé normalement par la plaque basale visible del’extérieur. Le sommet lisse est légèrement effilé, de forme conique, caractère observé régu-lièrement sur toutes les gyrogonites. Latéralement, 8 à 9 tours de spires (rarement 7 ou 10)sont bien visibles, lisses et arrivant jusqu’au sommet sans ondulations ni modifications de lar-geur des spires. Les crêtes séparant ces spires sont peu saillantes et se rejoignent sur l’apexfermé.

Remarques : les individus récoltés forment une population très homogène qui peut être consi-dérée comme monospécifique (Fig. 5, Tableau 1). Il faut souligner, comme l’a fait Peck (1957), quela description originale de Peck (1937) était basée sur du matériel mal conservé et peu abondant,« originally described from several poorly preserved specimens ». La description de référenceest donc celle de Peck (1957) qui admet une grande variabilité de la forme des gyrogonites. Demême, le développement des sutures intercellulaires et de l’apex est soumis à des variations dansles différents travaux ayant cité cette espèce.

Distribution : selon les travaux antérieurs, S. verticillata marque sa présence depuis leKimmeridgien-Tithonien en Amérique (Peck, 1937, 1957), et s’étend jusqu’au Crétacé supérieurde Mongolie (Karcewska et Ziembinska-Twordzydlo, 1970).

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Tableau 1Comparaison des paramètres biométriques de Sphaerochara verticillata et de S. verticillata var. kebariensis nov. var.Comparison between biometric parameters of Sphaerochara verticillata and S. verticillata var. kebariensis nov. var.

n Moy Min Max Int. Conf. s2 V (%)

Sphaerochara verticillata (niveau K5)Longeur (L) 50 398 330 480 392–403 768,51 6,9Largeur (I) 50 347 300 390 342–351 461,48 6,2ISI (100 × L/I) 50 115 104 132 114–116 45,39 5,9

Sph. verticillata var. kebariensis (niveau K6)Longeur (L) 50 601 540 630 597–605 371,11 3,2Largeur (I) 50 456 345 495 451–461 606,12 5,4ISI (100 × L/I) 50 132 109 161 131–134 65,38 6,1

n : nombre de mesures ; Moy : moyenne ; Min : valeur minimale ; Max : valeur maximale ; Int. Conf. : intervalle de confianceà 95 % ; s2 : variance ; V (%) : coefficient de variation.

S. verticillata var. kebariensis Trabelsi nov. var.Fig. 6 (1–3)Origine du nom : en référence à la localité-type, le Jebel Kebar, Tunisie centrale.Holotype : spécimen SPSONMT Trab., J. Keb. 0001 (Fig. 6 (1)).Paratypes : spécimens SPSONMT Trab., J. Keb. 0002-0008 (Fig. 6 (2–3)), déposés au service

de paléontologie et sédimentologie à l’Office nationale des mines de Tunisie (collection Trabelsi,J. Kebar, 2010).

Localité-type : coupe à l’ouest de la butte témoin (flanc Nord de Jebel Kebar) de la FormationKebar. Coordonnées N 38◦ 82’ ; E 7◦ 86’ (Fig. 2).

Niveau-type : niveau calcaire K6, de l’unité basale (U1) de la Formation Kebar (Fig. 3).Matériel : 135 gyrogonites ont été isolées à partir des échantillons calcaires du niveau K6 de la

Formation Kebar, dont 50 spécimens (les mieux conservés) ont fait l’objet d’une étude biométrique(Fig. 5, Tableau 1).

Fig. 6. Sphaerochara verticillata var. kebariensis nov. var. 1. Holotype, vue latérale. 2–3. Paratypes ; 2 : vue latérale ; 3 :vue basale.Sphaerochara verticillata var. kebariensis nov. var. 1. Holotype, lateral view. 2–3. Paratypes; 2: lateral view; 3: basalview.

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Diagnose : S. verticillata var. kebariensis se distingue de la variété type S. verticillata var.verticillata par une taille plus grande et une forme plus allongée. Les spires sont lisses et planes.La forme des gyrogonites est ellipsoïdale avec un ISI entre 109 et 160.

Description : gyrogonites de forme généralement ellipsoïde, parfois ovoïde, de taille moyenneà grande (longueur de 540 à 630 �m ; largeur de 345 à 495 �m) avec un ISI compris entre 109 et160. Les cinq cellules spiralées arrivent jusqu’à la zone apicale sans aucune modification. L’apexet la base sont bien arrondis. Le sommet fermé est généralement tronqué et non étiré. La basemontre un pore assez large au fond duquel la plaque basale est nettement visible de l’extérieur.En vue latérale, 10 à 11 tours de spires sont visibles, généralement plans ou faiblement convexeset séparés par des sutures simples légèrement saillantes. Ces dernières montrent à la base desgyrogonites une légère ondulation.

Remarques : la morphologie générale de la population de la nouvelle variété de Sphaerocharadu niveau K6 est plus allongée par rapport à celle de S. verticillata en général, et en particulier dela population décrite du niveau K5. Cet allongement est cependant compatible avec la variationpopulationnelle chez le genre Sphaerochara comme il a été montré pour l’espèce Sphaerocharaedda du Tertiaire (Soulié-Märsche et al., 1991) et ne justifie pas l’établissement d’une nouvelleespèce. Du point de vue du nombre de tours de spires (Tableau 1), nos spécimens se rapprochentde Sphaerochara paragranulifera Wang, 1965 du Crétacé de Chine, qui possède typiquement10–11 tours de spires (rarement 9 ou 12). Par contre, la longueur de la gyrogonite est plus petite(426–525 �m) pour S. paragranulifera. Les spécimens du niveau K6 se rapprochent de l’espèceSphaerochara elongata Grambast-Fessard, 1980a, du Paléocène de Mons (Belgique) par la tailledes gyrogonites, qui sont également longs de 550–625 �m, mais le nombre de tours de spiresdans la population type de cette espèce (8–9) est légèrement inférieur à celui de la forme étudiéeici. Les valeurs de l’ISI (Tableau 1) des gyrogonites la nouvelle variété, avec une moyenne de132, sont nettement plus élevées par rapport à celles des autres espèces de Sphaerochara, où lesISI ne dépassent guère la valeur de 120 (Soulié-Märsche, 1971).

Famille CLAVATORACEAE Pia, 1927.Sous-famille ATOPOCHAROIDAE (Grambast, 1968) emend. Martín-Closas ex Schudack,

1993.Genre Atopochara Peck, 1938.Atopochara trivolvis Peck, 1938.A. trivolvis var. trivolvis, Peck, 1938.Fig. 7 (1–3)1938 A. trivolvis Peck n. sp. – Peck, p. 173–176, fig. 1, pl. 28, figs 5–12.1968 A. trivolvis subsp. trivolvis – Grambast, p. 8, pl. 3, fig. 16.2000 A. trivolvis var. trivolvis Peck, 1938 – Martín-Closas, p. 113–116, pl. 9, figs 9–10.Matériel : 18 gyrogonites ont été isolées des échantillons calcaires du niveau K6 de la formation

Kebar.Localité : coupe à l’ouest de la butte témoin (flanc Nord de Jebel Kebar) de la formation Kebar

(Fig. 2).Description : utricule de taille très variable (entre 650 et 950 �m de diamètre) ayant une struc-

ture plus ou moins condensée avec des cellules nettement serrées (ou jointives). Sur la base, ilexiste un pore plus ou moins large et légèrement évasé. La présence d’une plaque basale a étédécrite par Martín-Closas (1988) dans des oospores organiques conservées exceptionnellementà l’intérieur de l’utricule, la gyrogonite n’étant pas calcifiée dans cette sous-famille. L’apex del’utricule montre un grand pore apical. Les éléments végétatifs de l’utricule se disposent en symé-

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Fig. 7. Clavatoracées de la Formation Kebar. 1–4. Atopochara trivolvis var. trivolvis ; 1 : profil de l’utricule avec la marqueanthéridiale, très petite, signalée avec « a » ; 2 : vue basale montrant le pore basal (flèche) ; 3 : vue latérale montrant lepore apical (flèche) ; 4 : fragment de thalle de Clavatoraxis avec rosette aciculaire. 5–9. Clavator harrisii var. zavialensis ;5 : profil de la gyrogonite ; 6 : base ; 7 : sommet ; 8 : utricule de type « clavatorites » à couche noduleuse conservée ; 9 :bourrelet de petits lobes sur la zone apicale traduisant la calcification tubulaire des cellules.Clavatoraceae of the Kebar Formation. 1–4. Atopochara trivolvis var. trivolvis; 1: lateral view of the utricle with antheri-dial cast marked with “a”; 2: view of the basal pore (arrow); 3: apical view showing the apical pore (arrow); 4: portionof Clavatoraxis thallus with spine-cell rosette. 5–9. Clavator harrisii var. zavialensis; 5: profile of the gyrogonite; 6:base; 7: apex; 8: “Clavatorites”-type utricle showing the nodular layer; 9: apical zone with ring of spiral cells showingannular calcification.

trie d’ordre trois assurée par la répétition de trois groupes de bractées qui partent directement dela base pour se ramifier par la suite en trois trifurcations successives. La première trifurcation partdirectement de la base. Les deux cellules de gauche de cette trifurcation basale se ramifient denouveau en trois cellules, dont deux cellules allongées et spiralées et une petite cellule qui resteau niveau équatorial de l’utricule. La cellule de droite de la première trifurcation se divise en troiscellules courtes, dont une porte les marques d’un écusson anthéridial (Fig. 7 (1)). Un fragment dethalle, associé à ces fossiles, montre une structure particulière, dite en « rosette aciculaire » qui estcaractéristique du genre-organe de thalle Clavatoraxis Martín-Closas et Diéguez, 1998 (Fig. 7 (4)).

Remarques : l’ensemble des caractères de ces microfossiles permet de rattacher les spécimensde Kebar à l’espèce A. trivolvis var. trivolvis. Notamment l’absence d’un périmètre triangulaire,la haute condensation des cellules, ainsi que la petite taille des marques anthéridiales permettentde les distinguer aisément de l’espèce A. trivolvis var. triquetra Grambast, 1967.

Distribution : plusieurs études ont montré la valeur chronostratigraphique des différentstaxons de la lignée du genre Atopochara pour la datation des séries sédimentaires du Crétacé.

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Fig. 8. Histogrammes de la variation de la longueur et de la largeur des gyrogonites chez Clavator harrisii var. zavialensis,mesurée sur 50 individus provenant du niveau K6 de la Formation Kebar.Histogram of variation of the Clavator harrisii var. zavialensis gyrogonites in length and width, measured on 50 specimensfrom level K6 of the Kebar Formation.

Une synthèse détaillée des travaux antérieurs sur la lignée des Atopochara a été déjà élaboréepar Martín-Closas et Wang (2008). Selon ces auteurs, le morphotype A. trivolvis var. trivolvis estcaractéristique de l’intervalle Aptien-Albien inférieur à moyen, période durant laquelle l’espèceest enregistrée dans de nombreux sites du monde.

Sous-famille CLAVATOROIDAE (Grambast, 1969) emend. Martín-Closas ex Schudack, 1993.Genre Clavator Reid et Groves, 1916 emend. Martín-Closas ex Schudack, 1993.Clavator harrisii Peck, 1941.C. harrisii var. zavialensis (Grambast-Fessard, 1980) emend. Martín-Closas, 1996.1980 Stenochara zavialensis n. sp. - Grambast-Fessard, p. 44, pl. 3, figs 10–13.1996 C. harrisii var. zavialensis (Grambast-Fessard, 1980) emend. Martín-Closas comb. nov.

– Martín-Closas, p. 278–279, fig. 12.2000 C. harrisii var. zavialensis (Grambast-Fessard, 1980) comb. nov. Martín-Closas, 1996 –

Martín-Closas, p. 149, pl. 15, figs 8–9.2005 Luzochara zavialensis nov. comb. – Pereira and Cabral, p. 176.Matériel : 182 gyrogonites ont été isolées des échantillons calcaires du niveau K6 de la for-

mation Kebar, dont 50 spécimens (les mieux conservés) ont fait l’objet d’une étude biométrique.Localité : coupe ouest butte témoin (flanc Nord de Jebel Kebar) de la Formation Kebar (Fig. 2).Description : gyrogonites très petites, de forme ellipsoïde (Fig. 7 (5)). Les dimensions sont de

390–510 �m pour la longueur et de 300–345 �m pour la largeur, avec un ISI de 117–155 (Fig. 8,Tableau 2). La base, plus ou moins arrondie, montre un pore normalement obturé par une plaquebasale pentagonale. L’apex est légèrement effilé formant un col court et généralement tronqué,au milieu duquel s’observe un pore comparable à celui des Porocharaceae. Au niveau de la zoneapicale, les extrémités des cellules spiralées, qui sont concaves au niveau de l’équateur, deviennentnettement convexes et tubulaires formant un bourrelet de petits lobes en forme de virgules (Fig. 7(9)), critère anagénétique distinctif de la variété zavialensis (Martín-Closas, 1996).

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Tableau 2Paramètres biométriques de Clavator harrisii var. zavialensis.Biometric parameters of Clavator harrisii var. zavialensis.

n Moy Min Max Int. Conf. s2 V (%)

Clavator harrisii var. zavialensis (niveau K6)Longeur (L) 50 453 390 510 448–459 829,19 6,3Largeur (I) 50 322 300 360 319–325 259,07 5,0ISI (100 × L/I) 50 141 117 155 138–143 113,76 7,6

n : nombre de mesures ; Moy : moyenne ; Min : valeur minimale ; Max : valeur maximale ; Int. Conf. : intervalle de confianceà 95 % ; s2 : variance ; V (%) : coefficient de variation.

Remarques : par l’ensemble de leurs caractères génériques, ces gyrogonites ressemblent super-ficiellement au genre Stenochara de Grambast (1962), mais déjà Rey et Ramalho (1974) ontsignalé leur similitude avec ceux des Clavatoracées. Cependant, Grambast-Fessard (1980) a décritl’espèce Stenochara zavialensis comme appartenant aux Porocharacées bien qu’elle indique quesa nouvelle espèce « pourrait effectivement correspondre à des gyrogonites sans utricules de Cla-vatoraceae ». Martín-Closas (1996, 2000) a justifié finalement cette hypothèse par des argumentsmorphologiques et évolutifs (anagénétiques). En effet, du point de vue morphologique, certainesdes gyrogonites de cette espèce, dans des populations de la Péninsule Ibérique, montrent une par-tie de l’utricule de C. harrisii. En même temps, toutes les gyrogonites de cette espèce montrentune calcification de la zone apicale en forme de tube, ce qui est bien caractéristique des Clavato-racées (calcification en « Ringstruktur » décrite par Schudack, 1993). Du côté évolutif, il existeune tendance bien appréciable dans la lignée des C. harrisii à la diminution de la calcification del’utricule qui atteint son état moins calcifié dans le stade évolutif de la variété zavialensis. Pereiraet Cabral (2005) ont créé le nouveau genre Luzochara, pour ce morphotype de fructification peucalcifiée de C. harrisii. Bien que du point de vue strictement taxonomique cette proposition soitvalable, elle n’est pas justifiée étant donnée que nous connaissons avec certitude l’appartenancede ce type de fructification à C. harrisii.

Distribution : il est tenu compte ici du concept que le stade évolutif de chaque forme deC. harrisii reflète la position chronostratigraphique de l’espèce (Martín-Closas, 1996). Selon lestravaux antérieurs, C. harrisii var. zavialensis est caractéristique de l’Aptien supérieur-Albien(Grambast-Fessard, 1980 ; Martín-Closas, 1996, 2000).

5. Discussion

5.1. Biostratigraphie

La flore de charophytes, décrite dans le présent travail, permet pour la première fois de daterla Formation Kebar de facon directe par des fossiles significatifs. En effet, parmi les charophytestrouvées, les espèces C. harrisii var. zavialensis, forme la plus évoluée de la lignée des C. harrisiiet A. trivolvis var. trivolvis, sont des marqueurs biostratigraphiques. Ces deux formes de Cla-vatoraceae sont associées dans le même niveau K6 de l’unité basale de la Formation Kebar, àS. verticillata var. kebariensis. L’association de ces trois espèces permet de proposer des préci-sions sur l’âge par comparaison avec une flore similaire signalée par Martín-Closas (2000) dansla Formation Escucha, Chaîne Ibérique Orientale (Espagne), où les trois espèces du Jebel Kebarsont associées à Clavator grovesii lusitanicus (Grambast-Fessard, 1980). Cette flore appartientà la biozone Lusitanicus de Riveline et al. (1996) qui est attribuée à l’Aptien supérieur–Albien

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moyen. Cependant la Formation Escucha, formée de sables et lignites paraliques, a pu être corré-lée récemment avec des ammonites de la biozone de Leymeriella tardefurcata indiquant un âgeAlbien inférieur (Moreno-Bedmar et al., 2008). En conséquence avec les données précédentes,nous pouvons attribuer la Formation Kebar à l’Aptien supérieur–Albien moyen, avec une plusgrande probabilité pour l’Albien inférieur. Cette attribution chronostratigraphique est compatibleavec le fait que la Formation Kebar est encadrée par l’Aptien supérieur (Bédoulien-Gargasiensupérieur) de la Fm Orbata à la base, et l’Albien supérieur (Vraconien) de la Fm Zebbag ausommet (Ben Youssef, 1999 ; M’Rabet, 1981).

5.2. Taphonomie et paléoécologie

Suite à la régression fini-aptienne mise en évidence sur la plate-forme carbonatée (dite Orbata)(Kadri, 1988 ; M’Rabet, 1981 ; Masse, 1984), une grande partie de la Tunisie centrale, y compris lesecteur étudié (Sidi Bouzid), fut entièrement émergée. Cette émersion due à une chute eustatique,a été vraisemblablement couplée à un épisode tectonique (Chaabani et Razgallah, 2006 ; Kadri etBen Ayed, 1987 ; Ouali et al., 1986) et un diapirisme triasique (Rigane et al., 2009). Une consé-quence de ces activités dynamiques était l’installation d’une première cuvette ou « vallée incisée »dans laquelle se sont accumulés les produits de la sédimentation continentale marquée par desconglomérats polygéniques englobant des éléments d’âge jurassique apportés à l’affleurement,probablement suite à l’activité du diapir du Jebel Rhéouis situé juste à l’Est du Jebel Kebar (Fig. 1).Les alternances marno-calcaires de la première unité de la Formation Kebar correspondraient audébut de la transgression albienne. Cette sédimentation indique un milieu marin peu profond et defaible énergie hydrodynamique, témoigné par le microfaciès mudstone à wackstone, à débris delamellibranches, ostracodes et pellets du calcaire du niveau K4 (Trabelsi, 2006). Cette premièrephase de sédimentation a été probablement contrôlée par un climat relativement aride commeen témoigne la prédominance de l’illite dans les marnes du niveau K3. C’est à partir du niveaumarneux K5 qu’un « paléo-lac » avait commencé à s’individualiser dans la cuvette de Kebar,marqué par la présence des charophytes. L’abondance, ainsi que le bon état de conservation desgyrogonites, récoltées dans les marnes du niveau K5, reflète bien l’absence de transport ou deremaniement au cours de la sédimentation (fossilisation in situ). La population monospécifique etautochtone de S. verticillata traduit des conditions favorables pour le développement et la crois-sance de ce groupe de charophytes mais non pour d’autres. L’influence marine reste encore nonnégligeable, vu l’association de ces charophytes avec une population d’ostracodes du genre Per-issocytheridea, typiquement lagunaire. En complément, cette paléoflore de charophytes indiqueque cet environnement saumâtre se trouvait aussi sous l’influence d’apports d’eau douce. Parconséquent, le niveau marneux K5 de la Formation Kebar traduit une sédimentation à l’interfacemer-continent (margino-littorale), dans un environnement laguno-lacustre, peu profond, assezcalme et bien éclairé. Dans ce milieu, les variations périodiques des taux de salinité semblentreprésenter un paramètre restrictif ayant permis uniquement le développement des S. verticillata.Le niveau K6 contient une association beaucoup plus variée de charophytes, formée de C. harrisiivar. zavialensis, A. trivolvis var. trivolvis et S. verticillata var. kebarensis nov. var. et des fructi-fications d’une clavatoracée à couche noduleuse (appelée de facon informelle « clavatorites »)appartenant probablement à C. harrisii var. zavialensis aussi. Du point de vue taphonomique,l’abondance ainsi que le bon état de conservation des trois espèces témoignent d’une fossilisationin situ. L’importante quantité de gyrogonites de charophytes de différents genres, livrée par ceniveau calcaire K6, permet de le considérer comme étant un niveau fossilifère repère dans laFormation Kebar.

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La variété de l’assemblage des charophytes dans les calcaires K6 traduit bien que les conditionsécologiques étaient plus favorables à la croissance de communautés plus riches, probablementen milieu d’eau douce. Schudack (1993), par comparaison avec d’autres indicateurs biologiques,a considéré A. trivolvis comme une espèce halophobe et indiqué par ailleurs que l’intervallede tolérance de la salinité pour C. harrisii était inférieur à 3–5 ‰. Cette gamme de salinité estcompatible avec les conditions ayant permis le développement de la végétation de charophytes duniveau K6. D’autres arguments sont en faveur de cette hypothèse : (i) l’association de cette dernièremicroflore avec des ostracodes limniques du genre Metacypris, caractéristique des environnementsd’eau douce ; (ii) la différenciation morphologique observée dans la population des S. verticillata,où la gyrogonite montre un allongement exceptionnel, et qui peut refléter la diminution du tauxde salinité dans le milieu (Soulié-Märsche, 1989, 2002). En effet, l’allongement des gyrogonitesen réponse à des conditions d’eau douce a été documenté en particulier sur des populations del’espèce S. edda du Tertiaire (Soulié-Märsche et al., 1991).

5.3. Paléobiogéographie

Les flores trouvées dans la Formation Kebar, d’âge Albien en Tunisie centrale, apportent denouvelles informations sur la paléobiogéographie des charophytes. La présence du genre Sphae-rochara dans l’Albien est relativement rare dans le monde. Néanmoins, des formes albiennes dece genre ont été décrites en Amérique du Nord (Formation Dakota) par Martín-Closas et Dilcher

Fig. 9. Distribution biogéographique d’Atopochara trivolvis trivolvis, Clavator harrisii zavialensis et du genre Sphaero-chara à l’Albien. Carte paléogéographique modifiée de Blakey (2010). Gris foncé : marin profond ; gris clair : marin peuprofond à transitionnel ; blanc : émergé.Biogeographic distribution of Atopochara trivolvis trivolvis, Clavator harrisii zavialensis and genus Sphaerochara duringthe Albian. Palaeogeographic map modified from Blakey (2010). Dark grey: deeper marine; light grey: shallow marineto transitional; white: exposed.

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(2009), en Espagne dans la Formation Escucha (Martín-Closas, 2000) et en Chine dans le bassinXinjiang, Jiangxi Province (Wu, 1995). Par conséquent, ces Sphaerochara ont marqué leur exten-sion, au cours de l’Albien, sur tout l’hémisphère Nord (Martín-Closas et Dilcher, 2009). Ainsi,pour la même époque, nous apportons dans ce travail les premiers indices de l’enregistrement dece genre sur la marge sud-téthysienne, plus précisément dans le bassin atlasique tunisien. Commedans le cas du bassin albien de la Chaîne Ibérique en Espagne (Martín-Closas, 2000), dans lesecteur d’étude également, S. verticillata est associé à des Clavatoraceae, A. trivolvis trivolviset C. harrisii zavialensis. La présence d’une telle association de charophytes dans le bassin deKebar (Atlas tunisien) vient donc élargir la gamme de dispersion paléobiogéographique de cetteassociation, pour atteindre la rive sud de la Téthys (Fig. 9). La découverte de ces charophytes surla marge tunisienne de la Téthys témoigne d’échanges floristiques et suggère l’existence de voiesde communication entre les grandes îles téthysiennes (l’Europe occidentale actuelle) et l’Afriquedu Nord, pendant l’Albien. Ceci en dépit de contraintes défavorables, comme l’élévation duniveau marin et la radiation des angiospermes aquatiques, plantes compétitives des charophytes(Martín-Closas, 2003 ; Martín-Closas et Serra-Kiel, 1991).

6. Conclusions

La Formation Kebar en Tunisie centrale renferme une flore de charophytes attribuée à l’Albieninférieur, décrite pour la première fois dans les enregistrements sédimentaires du Crétacé sur la rivetunisienne de la Téthys. L’étude micropaléontologique de cette flore nous a permis de déterminerdeux groupes de charophytes : Characeae et Clavatoraceae. Les Characeae sont représentées ici,d’une part, par S. verticillata en population monospécifique et, d’autre part, par S. verticillata var.kebarensis nov. var., en association avec des Clavatoraceae notamment C. harrisii var. zavialensiset A. trivolvis var. trivolvis.

La découverte de ces charophytes a apporté de nouvelles précisions sur l’âge et les conditionspaléoécologiques dans le milieu sédimentaire de la Formation Kebar, et au-delà, dans l’ensembledu bassin atlasique tunisien (marge sud-téthysienne). L’environnement de dépôt de cette Forma-tion, considéré auparavant exclusivement continentale, oscille entre le milieu continental et lemargino-littoral (lagunaire) comme en témoigne l’association des charophytes et des ostracodes.Du point de vue paléobiogéographique, la découverte de ces formes de charophytes en Afriquedu Nord met en évidence l’affinité de la flore de la Formation Kebar avec les flores albiennes de laPéninsule Ibérique, ce qui élargit de facon sensible l’extension de ces espèces connue jusqu’alors.

Remerciements

Nous remercions M. Claude Grill (université de Montpellier II, France) et M. Fakhfakh Zouhair(université de Sfax, Tunisie) pour la réalisation des photos de MEB. Chaâbane Chokri (facultédes Sciences de Sfax, Tunisie) pour son aide dans les missions de terrain. Ce travail a bénéficié dusupport financier UR/99/10-04 (faculté des Sciences de Tunis, Tunisie) et Interbiostrat (CGL2008-00809) du ministère de Science et Innovation de l’Espagne.

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