2011 Guthmann E. et Arbogast R.-M. Des reliefs de banquets au Néolithique moyen ? Les vestiges de...

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RHIN MEUSE MOSELLE MONOGRAPHIES D’ARCHÉOLOGIE DU GRAND EST Nécropoles et enceintes danubiennes du V e millénaire dans le Nord-Est de la France et le Sud-Ouest de l’Allemagne Sous la direction de Anthony Denaire, Christian Jeunesse et Philippe Lefranc Actes de la table ronde internationale de Strasbourg organisée par l’UMR 7044 (CNRS et Université de Strasbourg) Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace (MISHA), 2 juin 2010 Université de Strasbourg 2011

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RHIN MEUSE MOSELLE

MONOgRApHIES d’ARcHÉOLOgIE dU gRANd ESt

Nécropoles et enceintes danubiennesdu V e millénaire dans le

Nord-Est de la France et leSud-Ouest de l’Allemagne

Sous la direction deAnthony Denaire, Christian Jeunesse et Philippe Lefranc

Actes de la table ronde internationale de Strasbourgorganisée par l’UMR 7044 (cNRS et Université de Strasbourg)

Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme-Alsace(MISHA), 2 juin 2010

Université de Strasbourg2011

SOMMAIRE

Anthony DenaireChronologie absolue de la séquence Hinkelstein-Grossgartach-Roessen-Bischheim dans le sud de la plaine du Rhin supérieur et le nord de la Franche-Comté à la lumière des dernières données .............................................................................................. p. 9

Christian JeunesseEnceintes à fossé discontinu et enceintes à pseudo-fossé dans le Néolithique d’Europe centrale et occidentale ............................................................................................... p. 31

Bertrand PerrinL’enceinte à pseudo-fossé Roessen de Meistratzheim (Bas-Rhin) .................................................. p. 73

Philippe LefrancDeux enceintes de type « Rosheim » de la seconde moitié du V e millénaireà Entzheim « Les Terres de la Chapelle » et Duntzenheim « Frauenabwand » (Bas-Rhin)Premiers résultats .................................................................................................................... p. 85

Emilie guthmann et Rose-Marie ArbogastDes reliefs de banquets au Néolithique moyen ? Les vestiges de faune des sites à enceinte cérémonielle de Duntzenheim et de Meistratzheim (Alsace) ...................................... p. 103

Cécile Leprovost et Marine QueyrasLa nécropole d’Entzheim (Bas-Rhin) : nouvelles données sur le Néolithique moyen alsacien .......................................................................................... p. 115

Saskia DornheimJechtingen « Humbergäcker » : Ein mittelneolithisches Gräberfeld am Kaiserstuhl (Jechtingen « Humbergäcker » : une nécropole du Néolithique moyen près du Kaiserstuhl) ............................. p. 127

Ute SeidelOberderdingen-Großvillars, Lkr. Karlsruhe, eine Siedlungsstelle des Bischheimer Horizonts und der Michelsberger Kultur(Oberderdingen-Großvillars, Lkr. Karlsruhe, un habitat de l’horizon Bischheim et de la culture de Michelsberg) ... p. 143

des relieFs de banquets au néolithique moyen ? les Vestiges de Faune des sites à

enCeinte Cérémonielle de duntzenheim et de meistratzheim (alsaCe)

Emilie gUtHMANN1 et Rose-Marie ARBOgASt2

Résumé : L’étude des lots de faune provenant des sites à enceintes de Meistratzheim « Station d’épuration intercommunale » (67) et de Duntzenheim « Frauenabwand » (67), attribués au Néolithique moyen, apporte un éclairage original à la réflexion sur le fonctionnement de ce type de structures. Les restes de faune provenant d’une fosse située à l’intérieur de l’enceinte de Meistratzheim présentent des caractéristiques qui permettent de les considérer comme des reliefs issus de l’exploitation simultanée de plusieurs suinés et de quartiers de bovins. Ils renvoient à des pratiques de type banquet, impliquant un grand nombre de participants réunis autour du partage d’animaux et de leur consommation. La composition de cet ensemble recouvre une grande partie des carcasses à l’exception notable des mandibules. Celles-ci forment au contraire l’essentiel des ossements d’animaux associés au comblement du fossé de Duntzenheim, où elles sont réparties à intervalles réguliers dans les différents segments de l’enceinte. Ces pièces sélectionnées, pour la plupart entières, se rapportent à une douzaine d’animaux parmi lesquels sont attestés des jeunes ainsi que des bêtes adultes. L’interprétation proposée est qu’il s’agit de restes soigneusement conservés, chargés d’une fonction de représentation des animaux et de rappel des festins au cours desquels toutes les autres parties des animaux ont été consommées. Il se pourrait ainsi que les deux lots de faune se rapportent, de façon différente mais complémentaire, à des pratiques qui consistent à se réunir autour de la consommation d’animaux à proximité des structures d’enceinte. Les activités mobilisant les animaux sur ces sites contribuent à souligner la dimension collective et cérémonielle de ces structures ainsi que l’inscription de leur fonctionnement dans la durée. En participant à créer des liens en dehors et au delà de la sphère domestique, cette consommation contribue à affirmer l’unité d’une communauté et confère à ces sites et aux pratiques auxquelles elles servent de cadre, une dimension sociale fédératrice.

Zusammenfassung  :Die Untersuchung einer Auswahl der Fauna der mittelneolithischen Erdwerken von Meistratzheim „Station d’épuration intercommunale“ und Duntzenheim „Frauenabwand“ (beide Bas-Rhin) liefert neue Informationen über die Funktionsweise solcher Strukturen. Die tierknochen aus einer sich im Innenbereich der Anlage befindlichen grube setzen sich aus den Resten von mehreren Schweinen und

1 ANtEA-Archéologie / UMR 7044 du CNRS.2 CNRS, UMR 7044 du CNRS.

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Rinderhälften zusammen. Sie weisen auf Handlungen hin, die als Festmahle mit zahlreichen teilnehmern gedeutet werden können, bei denen tiere geteilt und konsumiert werden. Die Zusammensetzung dieses Knochenensembles umfasst ein grossteil des Skelettes mit Ausnahme der Kiefer. Diese sind hingegen in der Verfüllung des grabens von Duntzenheim überrepräsentiert, wo sie gleichmässig über die ganze Anlage verteilt sind. Die Kiefer sind mehrheitlich intakt und gehören zu ca. 12 sowohl jungen als auch erwachsenen tieren. Es scheint sich um sorgfältig aufbewahrte Stücke zu handeln, die möglicherweise das ganze tier repräsentieren und an das Festmahl erinnern sollen, bei dem das tier verzehrt wurde. So würden sich beide Fundkomplexe auf unterschiedliche Weise auf Handlungen beziehen, bei denen sich Menschen im Bereich des Erdwerkes versammelten und die übrigen tierpartien verzehrt wurden. Der Nachweis von Handlungen im Bereich von diesen Fundstellen, bei denen das gemeinsame Verzehren von tieren eine Rolle spielt, führt uns dazu, für diese Anlagen eine langfristige im Kollektiven und Rituellen zu suchende Nutzung zu postulieren. Bei solchen Festmahlen werden Verbindungen jenseits des Haushaltes gepflegt, die dazu beitragen, die Einheit einer gemeinschaft zu stärken. Damit wird diesen Anlagen und den in diesem Rahmen ausgeübten Handlungen eine soziale Dimension verliehen.

Mots-clés : faune, enceinte, rituel, Néolithique, banquet.

Schlüsselwörter : Hinkelstein, Erdwerk, Ritual, Neolithikum, Festessen.

1. Introduction

Cette contribution a pour objet les restes osseux d’animaux associés aux sites de Meistratzheim « Station d’ épuration intercommunale » (67) et de Duntzenheim « Frauenabwand » (67) attribués au Néolithique moyen, respectivement à la culture de Roessen et au groupe de Bruebach-Oberbergen (horizon Bischheim rhénan / Bruebach-Oberbergen). Sur ces deux sites, les vestiges de faune recueillis proviennent tant des fosses situées à l’intérieur de l’emprise de l’enceinte que des fossés constitutifs de l’enceinte proprement dite (Lefranc ce volume, Perrin ce volume). Dans la perspective de nourrir le débat sur la compréhension des sites à enceintes, considérés tour à tour comme des habitats fortifiés, des lieux de rassemblement, de marché, de parcage des animaux, ou encore comme des monuments à vocation cérémonielle, nous nous attacherons à cerner la nature des assemblages osseux que recelaient ces différentes structures et à reconstituer les activités dont découlent ces vestiges ainsi que leurs liens avec le fonctionnement de ce type de monuments.

2. Les données : caractéristiques des lots de faune

Les vestiges osseux forment des ensembles aux effectifs assez modestes, entre une vingtaine et un peu plus d’une centaine des restes déterminés pour les enceintes, et entre près de 200 et 500 pour les fosses de chacun des sites (tab. 1). Ces vestiges se présentent dans un état de conservation qui, du fait de la présence fréquente de concrétions calcaires assez envahissantes, ne peut être qualifié d’optimal. A quelques exceptions près il s’agit aussi d’ossements isolés, fragmentés, marqués de stigmates qui renvoient à diverses opérations d’exploitation des carcasses (désarticulation, décarnisation, extraction de la moelle, cuisson) et permettent de les identifier, pour la plupart, comme des rejets culinaires caractérisés. Leur dispersion entre les diverses structures, sous forme de très petits lots constitués le plus souvent de quelques fragments isolés, confère à ces ensembles un caractère résiduel très marqué. Ces restes se rapportent en majorité à des suinés et des bovinés dont le

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statut n’a, par précaution, volontairement pas été déterminé plus précisément en raison de l’importance des animaux jeunes et de l’existence d’une variabilité morphologique qui paraît particulièrement accentuée. A quelques exceptions près, les caractéristiques métriques des pièces mesurables s’inscrivent systématiquement aux limites de la variabilité connue pour la forme domestique, raison pour laquelle nous les comptabiliserons comme domestiques tout en laissant ouverte la question de leur statut. Les restes osseux attribuables à la faune sauvage sont peu nombreux et révèlent la présence des espèces les plus couramment attestées à cette période comme le cerf et le chevreuil.

L’importance des suinés peut être retenue comme le trait le plus caractéristique de ces ensembles qui se retrouve tant pour les lots de faune issus des fosses des deux sites que pour ceux provenant du fossé de Duntzenheim. Seul le fossé de Meistratzheim, qui n’a toutefois livré qu’une vingtaine de vestiges, recelait des restes de bovins en plus grand nombre que ceux de suinés (tab. 1 et 2). L’importance des deux composantes que représentent les suinés et les bovins, et la discrétion des petits ruminants retranscrivent des choix qui

tableau 1 : Décompte des restes de faune des sites de Duntzenheim et de Meistratzheim pour les différents types de structures (fosses et fossés).

tableau 2 : Décompte des restes osseux de la fosse n° 116 de Meistratzheim (en nombre et en poids des restes).

Fossé Autres restes Fossé Autres

restesBovinés 20 25 12 143Suinés 77 101 8 279Chèvre 0 1 0 3Mouton 1 2 0 0Caprinés 6 59 0 12Chien* 2 0 0 0Aurochs 0 0 0 5Cerf** 0 1 1 0Chevreuil 0 3 0 0Grands ruminants 3 5 0 1Petits ruminants 3 0 0 15

Total déterminés 112 197 21 458Indéterminés 12 92 13 556TOTAL 124 289 34 1014* 2 parties de squelettes en connexion**fossé de Duntzenheim : + 1 pointe d'andouiller et 1 fragment de bois de chute non inclus dans les décomptes

Duntzenheim MeistratzheimNombre de restes

Str. 116 NR PR (gr.)Bovinés 123 5211Suinés 258 6182Chèvre 3 96Caprinés 11 159Aurochs 5 992Petites ruminants 13 104

Total déterminés 413 12744Indéterminés 420 1274TOTAL 833 14017

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ne semblent guère différents de ceux qui, sur des habitats contemporains de la région comme Entzheim «In de Klamm», geispolsheim «Schwobendeld» (Croutsch et al., 2008), Lingolsheim « Sablières Modernes » (Hachem 1997) et Rosheim « Mittelweg » (Jeunesse et Arbogast, 1996) structurent le recours aux différentes ressources disponibles dans le cadre de l’approvisionnement carné et qu’il est plausible de considérer comme représentatifs de caractéristiques plus générales des économies du début du Néolithique moyen.

Cependant certains aspects, qui touchent à la sélection des parties anatomiques des animaux et aux modalités de préparation et de rejet, incitent à considérer que ces vestiges ne correspondent pas à des rejets tout à fait ordinaires. Les restes de suinés provenant du fossé de Duntzenheim et ceux issus de la structure n° 116 de Meistratzheim (tab. 2) attirent, à ce titre, plus précisément l’attention. Les distributions anatomiques notamment s’avèrent assez particulières. Dans le cas du fossé de Duntzenheim, les ossements de suinés proviennent principalement de mandibules qui apparaissent nettement surreprésentées. Le décalage par rapport aux autres parties des carcasses voire même par rapport aux parties supérieures du crâne, qui font presque complètement défaut, esttrès prononcé (fig. 1). Dans la structure 116 de Meistratzheim, des décalages également assez importants se reportent sur d’autres parties. L’excédent des parties crâniennes dans cette structure est principalement dû à la présence de nombreux maxillaires et de prémaxillaires ainsi que d’un crâne sub-complet, alors que les mandibules, si nombreuses dans le fossé de Duntzenheim, font presque entièrement défaut. A l’exception des vertèbres et des côtes peu abondantes, les autres parties du squelette sont attestées selon des proportions identiques à celles des restes exhumés dans les fosses de l’habitat de Duntzenheim. La bonne concordance avec les proportions du squelette complet de référence suggère qu’aux rejets de mandibules et de crânes, qui marquent de façon préférentielle les deux ensembles issus du fossé de Duntzenheim et de la fosse 116 de Meistratzheim, s’ajoutent des reliefs de consommation non sélectionnés.

Figure 1 : Distributions anatomiques des restes de suinés en pourcentages du poids des restes pour chaque type de structure, comparées à celle d’un squelette complet de référence.

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squelette de référence Meistratzheim Str.116

Duntzenheim enceinte Duntzenheim habitat

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Les mandibules se rapportent à douze individus parmi lesquels peuvent être identifiés 6 femelles, un mâle et 5 individus dont le sexe n’a pu être déterminé. La distribution des âges (fig. 2) est marquée par des prélèvements qui interviennent jusqu’à 10 mois et après deux ans, avec une interruption entre 10 et 24 mois. Cet échelonnement qui épargne les animaux au meilleur de leur rendement boucher est assez peu typique d’une exploitation motivée par des raisons économiques et n’a pas grand chose à voir avec celui que retranscrivent la plupart des sites d’habitat contemporains. Les restes crâniens de la fosse 116 de Meistratzheim permettent d’identifier 7 individus (fig. 3) dont les âges se répartissent principalement entre 16 et 20 mois, soit les classes d’âges les moins sollicitées sur le site de Duntzenheim. L’importance des animaux jeunes, reflète une sélection concentrée sur des bêtes au meilleur de leur rendement pondéral, cohérente avec une exploitation principalement bouchère des animaux. Ces divergences dans la répartition des âges entre les deux structures renvoient à des valorisations ou à des types d’utilisation bien distincts. L’échelonnement, des abattages sur l’un des sites, de part et d’autre des classes d’âges les plus touchées sur l’autre site, peut aussi être considérée comme révélatrice de modes d’exploitation différenciés, voire complémentaires, selon les sites, leur fonction…

Les mandibules du fossé de Duntzenheim correspondent, pour la plupart, à des pièces entières ou peu fragmentées, formées des deux hémi mandibules non fendues au niveau de la symphyse contrairement à ce qui semble être la règle dans le cadre d’une découpe bouchère (fig. 4). La présence de marques de découpe sur les branches montantes ou leur fracturation à ce niveau atteste par ailleurs de gestes de désarticulation rapportables à l’acquisition de ces pièces. Les autres parties représentées ne semblent pas non plus soumises à une fragmentation très poussée (fig. 5). Celle-ci est, dans tous les cas, d’intensité moindre quecelle enregistrée pour les restes associés aux structures d’habitat de ce même site. La présence parmi les ossements de la fosse n° 116 de Meistratzheim, d’un calvarium entier et de parties crâniennes plus ou moins conséquentes reflète de même une fragmentation réduite. De la même manière, la fracturation assez sommaire de la plupart des os (fig. 6), simplement cassés en deux, maximum trois, segments participe d’une découpe qui contourne les zones articulaires les plus tenaces comme la liaison sacro iliaque, pour ménager des grands quartiers. La concentration des marques d’incisons liées à l’appui des principales zones articulaires (coude, genou)

Figure 2  : Distribution des âges d’abattage des suinés de l’enceinte de Duntzenheim et de la structure 116 de Meistratzheim d’après les données sur l’état d’éruption et d’usure dentaires (Horard-Herbin 1997).

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Meistratzheim Str.116 (n=50) Duntzenheim enceinte (n=73)

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Figure 3 : Distribution anatomique des restes de suinés de la structure 116 de Meistratzheim en NMI.

NMIf = 7

NMIf = 6 ou 5

NMIf = 4 ou 3

NMIf = 2 ou 1

NMIf = 0

Fréquence des parties anatomiques

Figure 4 : Vue de mandibules de suinés provenant de l’enceinte de Duntzenheim (cliché P. Disdier).

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peut être rapportée à la désarticulation de ces segments tandis que la fracturation des côtes, en tronçons réguliers, participe plutôt d’un portionnement plus détaillé. La présence de zones de coloration brunâtre et de desquamations de la surface autour des zones de fracturation est le résultat de l’exposition des ossements à une source de chaleur, afin sans doute de faciliter l’ouverture des diaphyses et permettre l’extraction de la moelle (Binford, 1981). Des traces, sous forme de points d’impact, résultant de l’usage d’un outil contondant utilisé en percussion, souvent superposées à ces zones chauffées se rapportent aussi à cette finalité (fig. 7).Une part assez importante des restes de suinés (6%) de cette structure sont engagés dans des remontages ou des recollages ce qui suggère qu’il s’agit d’un lot de restes peu dispersés, provenant de quelques animaux, dont la préparation et la consommation s’échelonnent sur un faible laps de temps de même que l’évacuation des reliefs qui intervient probablement assez directement après la consommation. L’absence des mandibules dans

cet ensemble, qui semble par ailleurs peu touché par les effets de la conservation différentielle, ne peut être attribuée à des facteurs d’origine taphonomique, mais relève plus plausiblement des effets d’une sélection. Elle est en quelque sorte le témoin négatif de prélèvements qui touchent exclusivement cette partie mais dont aucune trace directe ne subsiste sur le site même. Cette expression de l’intérêt particulier porté à cette partie du squelette est tout aussi manifeste dans la sélection que révèlent les mandibules associées au fossé de Duntzenheim. La disposition de ces pièces, à espaces réguliers dans les divers segments de l’enceinte, inscrit leur prélèvement dans des modalités cependant assez différentes (Lefranc ce volume). En effet, contrairement à ce qui s’observe dans la fosse 116 de Meistratzheim, l’accumulation progressive de ces pièces dans le fossé suggère des activités répétitives qui s’inscrivent dans la durée et qui jalonnent la vie du fossé et autour du fossé.

Figure 5 : Fragmentation des principaux os longs de suinés du site de Duntzenheim etde la fosse 116 de Meistratzheim.

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Meistratzheim Str. 116 Duntzenheim enceinte Duntzenheim fosses

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Aux restes de suinés issus de la fosse 116 de Meistratzheim, s’ajoutent ceux de bovins provenant principalement de segments supérieurs des membres dont la fragmentation, les marques d’exposition à la chaleur, les possibilités de recollages et de remontages articulaires peuvent être rapportées à des modalités de préparation assez similaires. Quoique moins nombreux que ceux des suinés, mais provenant principalement des segments les plus charnus des carcasses, ces restes soulignent l’importance de l’intégration des bovins dans cette forme d’exploitation des animaux. Aux mandibules des suinés du fossé de Duntzenheim sont associés des restes de deux chiens (1 jeune et 1 adulte) représentés par des parties en connexion anatomique (crânes, membres antérieurs, tronçon de vertèbres lombaires…) qui, par l’absence de fragmentation, ne souscrivent pas aux caractéristiques habituelles de restes détritiques. Leur présence ainsi que celle d’une vertèbre cervicale humaine contribue au caractère particulier qui s’attache à l’assemblage osseux issu de cette structure et qui conduit à s’interroger sur son origine et sa nature.

Les parallèles, tout comme les divergences qui peuvent être établis entre les vestiges issus de ces deux sites ouvrent des pistes intéressantes pour la compréhension et l’interprétation de ces sites et de leurs monuments.

Figure 6 : Fracturation des os longs de suinés de la structure 116 de Meistratzheim (cliché E. guthmann).

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3. Interprétation

Les caractéristiques particulières qui s’attachent à chacun de ces deux ensembles recouvrent, du point de vue de leur origine et des modalités qui président à leur formation, des situations très différentes. La grande cohésion du lot d’ossements de la fosse 116 de Meistratzheim s’oppose au caractère épars et dispersé qui s’attache généralement aux reliefs culinaires issus de la consommation ordinaire, résultant d’une gestion régulière des déchets. Elle plaide pour une évacuation rapide et simultanée de l’ensemble des rejets issus de la consommation de carcasses et de quartiers de plusieurs animaux. La lacune des mandibules mise à part, les caractéristiques qui s’attachent à ces vestiges sont bien celles de déchets culinaires, mais l’intensité moindre de la fragmentation ainsi qu’une découpe peu détaillée, sont autant d’indices qui plaident en faveur de la préparation de grandes pièces fournissant de la viande en abondance et dont la consommation, avec celle de la moelle, se prête au partage entre un grand nombre de participants sous la forme de repas communs de type banquet ou festin.

Même si une relation étroite entre cette structure et l’enceinte à fossé interrompu découverte sur le même site ne peut être assurée, il est vraisemblable que ces reliefs sont ceux de pratiques de consommation spécifiques qui participent du statut et du fonctionnement particuliers du site dans son ensemble. Le prélèvement des mandibules, qui seul peut rendre compte de manière satisfaisante de l’absence systématique de cette partie, peut se rapporter à l’intérêt particulier dont elle est investie comme représentative de l’animal, porteuse de son identité, ce qui lui vaudrait d’échapper au sort des déchets de consommation pour une utilisation non déterminée mais au sujet de laquelle la découverte des mandibules dans le fossé de Duntzenheim contribue à lever un coin du voile. Associées au comblement des différentes fosses de l’enceinte dégagée sur cette occupation, ces pièces ont fait l’objet d’un prélèvement soigneux pour être disposées à intervalles réguliers comme des dépôts successifs jalonnant en quelque sorte la vie de ces structures. On peut s’interroger sur la disposition originelle des mandibules : sous forme de dépôts dans les segments du fossé ou d’éléments exhibés,

Figure 7 : Localisation des diverses traces liées à la découpe et à l’extraction de la moelle sur les ossements de suinés de la structure 116 de Meistratzheim.

Local (rouge)

Noir

Traces de feu

Point d'impactTailladéInciséFendu

Traces de découpe

Tranché

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en guise de rappels, sur des supports, palissade, poteaux…. La composition de cet ensemble se présente ainsi comme l’exact négatif de celle des vestiges de la fosse de Meistratzheim, comme une autre expression de la valorisation dont ces pièces sont investies et dont diverses manifestations sont attestées sur d’autres sites comparables comme à Balloy (Mordant et Simonin 1997, tresset 1996). Eléments insignes de l’identité des animaux, notre hypothèse est que ces mandibules sont des restes significatifs des animaux sacrifiés pour être consommés lors de manifestations particulières, dont elles sont en quelque sorte la mémoire. Leur présence dans les segments du fossé peut s’expliquer par cette fonction de rappel, comme une sorte de comptabilité des festins au cours desquels toutes les autres parties des animaux ont été consommées.

Cette consommation a pu mobiliser des masses de viande assez considérables, surtout si l’on tient compte des quartiers de bovins qui, sur le site de Meistratzheim, s’ajoutent à ceux des suinés et qui ont pu considérablement accroître les masses de viande consommées à ces occasions. L’association répétée de mandibules de suinés aux différentes fosses de l’enceinte témoigne d’une continuité dans le fonctionnement de cette structure et lui confère une dimension commémorative. La dimension collective révélée par les restes d’une des fosses situées à l’intérieur de l’enceinte de Meistratzheim contribue à conforter le fonctionnement de ces sites comme lieux de rassemblements et de pratiques cérémonielles. En participant à créer des liens en dehors et au delà de la sphère domestique, cette consommation contribue à affirmer l’unité d’une communauté et confère à ces sites une dimension sociale fédératrice. La place des suinés dans ces pratiques peut aussi être considérée comme révélatrice de l’importance de cet animal pour ces communautés, que soulignent les taux élevés de ses restes qui caractérisent les contextes d’habitat de la même période.

4. conclusion 

Les données archéozoologiques qui font l’objet de cette contribution éclairent deux facettes différentes du fonctionnement des enceintes à fossés interrompus. Les vestiges osseux, et plus particulièrement ceux associés au fossé de Duntzenheim et à la fosse n° 116 de Meistratzheim présentent des caractéristiques qui permettent d’établir un lien étroit entre ces structures et des pratiques de consommation à caractère rituel. Reliefs d’une consommation collective, collectés et évacués dans une fosse associée à l’espace circonscrit par l’enceinte, et parties représentatives des animaux dont se sont régalées les communautés se réunissant sur ces sites, ces vestiges apportent un éclairage inédit à la compréhension des sites à fossés d’enceinte. Ils soulignent le caractère collectif de leur fonctionnement par la mise en évidence de restes issus d’une consommation impliquant un grand nombre de participants. Parallèlement, la sélection et l’association répétée de mandibules au fossé de l’enceinte de Duntzenheim, sont à la fois la manifestation et l’une des constituantes de pratiques qui s’inscrivent sur un laps de temps assez long qui relient les participants entre eux autour du partage d’animaux, mais également à leurs prédécesseurs et successeurs. Comme l’organisation et le fonctionnement de ces structures (Jeunesse, 1996), les activités mobilisant les animaux renvoient à des pratiques qui accompagnent l’évolution de ces monuments au Néolithique récent avec un important déploiement rituel impliquant des manipulations de corps animaux et humains (guthmann 2010) d’une grande diversité, mais dont la nature ne diffère pas fondamentalement de celles mises en évidence sur ces sites.

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5. Bibliographie

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