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Une histoire en Marche : Fougères et la Normandie au Moyen Âge (début XI e -milieu XIV e siècle) En 1151, à la cour de Raoul II de Fougères, l’abbaye de Savigny reçut à Montdenier, entre Valaine et Saint-James 1 , une terre dite « terre des contestations 2 […] située entre la Bretagne et la Normandie, elle était en permanence disputée et dévastée 3 ». Cet acte a le mérite de poser clairement les bases de l’article qui suit : en quelques lignes il reprend des données sur lesquelles nous aurons à revenir. Richard, prieur de l’abbaye de Savigny, se déplaça à la cour du seigneur de Fougères pour obtenir gain de cause à propos d’une terre que lui disputaient Payen de Saint- Brice et ses hommes. Le responsable du temporel de l’abbaye 1. Valaine : lieu-dit à cheval sur la limite communale actuelle du Ferré et de Montours (dép. Ille-et-Vilaine, cant. de Saint-Brice-en-Coglès) ; Saint-James (dép. Manche, ch.-l. cant.). 2. Terra de Calumpniis (Léon Maupillé, Notices historiques et archéologiques sur les paroisses du canton de Louvigné-du-Désert, dans Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine (désormais : B.M.S.A.I.V.), 1877, t. 11, p. 256-386, aux p. 352-353). 3. In calumpnia et vastitate inter Britanniam et Normanniam (Archives départementales d’Ille-et-Vilaine [désormais : Arch. dép. Ille-et-Vil.], 1F553 et Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, suivie de la Vita S. Vitalis primi abbatis Savigniensis et copies de chartes concernant l’abbaye manuscrit original vers 1690 [660 pages], Médiathèque de Fougères, fol. 119). savait qu’il aurait à Fougères une oreille attentive à son problème, Raoul II n’était-il pas le petit-fils de Raoul I er le fondateur de Savigny vers 1112-1113 ? La terre contestée se trouvait entre Saint-James, en Normandie, et Valaine, en Bretagne. Ce dernier site a aujourd’hui perdu de son importance, mais au Moyen Âge les seigneurs de Fougères semblent y avoir possédé un château, contrôlant un point de passage. Montdenier n’est pas situé précisément dans l’acte, alors que d’habitude on trouve l’expression : la terre X située dans la paroisse Y. On retrouve pourtant ce lieu-dit en Carnet 4 , dans le sud du département de la Manche, à la limite avec l’Ille-et-Vilaine, sur la frontière entre la Bretagne et de la Normandie. Mais si aujourd’hui ce lieu-dit est bel et bien normand, en ce milieu de XII e siècle, on notera qu’il y avait débat, à tel point que la région frontalière était « disputée et dévastée ». Les relations entre les deux duchés semblaient être conflictuelles, d’ailleurs ce problème de limites contestées se rencontre en d’autres points de la frontière 5 . Avant d’évoquer les relations entre Fougères et la Normandie, il convient de préciser, en introduction, la nature de chacun des pôles de cette communication, en effet, il y a en présence une ville et une région. Fougères 6 est une ville castrale médiévale. L’agglomération, qui se développa autour du château, naquit avant tout du fait de la présence de la forteresse. Le site castral de Fougères apparaît au cours de la décennie 1040. Quelques années plus tard, autour du château et de sa chapelle, apparaissent des bourgs, c’est-à-dire des lotissements où chaque parcelle, ou presque, adopte la même forme, une maison sur la rue et un jardin à l’arrière. Les habitants de ces quartiers étaient des bourgeois, ils pouvaient être artisans, 4. Dép. Manche, cant. Saint-James. 5. Henri Bourde de la Rogerie, La frontière de la Bretagne et de la Normandie près de l’embouchure du Couesnon, dans B.M.S.A.I.V., 1914, t. 44-1, p. 109-175 et t. 44-2, p. 299-347. 6. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

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Une histoire en Marche : Fougères et la Normandie au Moyen Âge (début XIe-milieu XIVe siècle)

En 1151, à la cour de Raoul II de Fougères, l’abbaye de

Savigny reçut à Montdenier, entre Valaine et Saint-James1, une terre dite « terre des contestations2 […] située entre la Bretagne et la Normandie, elle était en permanence disputée et dévastée3 ».

Cet acte a le mérite de poser clairement les bases de l’article qui suit : en quelques lignes il reprend des données sur lesquelles nous aurons à revenir. Richard, prieur de l’abbaye de Savigny, se déplaça à la cour du seigneur de Fougères pour obtenir gain de cause à propos d’une terre que lui disputaient Payen de Saint-Brice et ses hommes. Le responsable du temporel de l’abbaye !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

1. Valaine : lieu-dit à cheval sur la limite communale actuelle du Ferré et de Montours (dép. Ille-et-Vilaine, cant. de Saint-Brice-en-Coglès) ; Saint-James (dép. Manche, ch.-l. cant.).

2. Terra de Calumpniis (Léon Maupillé, Notices historiques et archéologiques sur les paroisses du canton de Louvigné-du-Désert, dans Bulletin et Mémoires de la Société archéologique et historique d'Ille-et-Vilaine (désormais : B.M.S.A.I.V.), 1877, t. 11, p. 256-386, aux p. 352-353).

3. In calumpnia et vastitate inter Britanniam et Normanniam (Archives départementales d’Ille-et-Vilaine [désormais : Arch. dép. Ille-et-Vil.], 1F553 et Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, suivie de la Vita S. Vitalis primi abbatis Savigniensis et copies de chartes concernant l’abbaye manuscrit original vers 1690 [660 pages], Médiathèque de Fougères, fol. 119).

savait qu’il aurait à Fougères une oreille attentive à son problème, Raoul II n’était-il pas le petit-fils de Raoul Ier le fondateur de Savigny vers 1112-1113 ? La terre contestée se trouvait entre Saint-James, en Normandie, et Valaine, en Bretagne. Ce dernier site a aujourd’hui perdu de son importance, mais au Moyen Âge les seigneurs de Fougères semblent y avoir possédé un château, contrôlant un point de passage. Montdenier n’est pas situé précisément dans l’acte, alors que d’habitude on trouve l’expression : la terre X située dans la paroisse Y. On retrouve pourtant ce lieu-dit en Carnet4, dans le sud du département de la Manche, à la limite avec l’Ille-et-Vilaine, sur la frontière entre la Bretagne et de la Normandie. Mais si aujourd’hui ce lieu-dit est bel et bien normand, en ce milieu de XIIe siècle, on notera qu’il y avait débat, à tel point que la région frontalière était « disputée et dévastée ». Les relations entre les deux duchés semblaient être conflictuelles, d’ailleurs ce problème de limites contestées se rencontre en d’autres points de la frontière5.

Avant d’évoquer les relations entre Fougères et la Normandie, il convient de préciser, en introduction, la nature de chacun des pôles de cette communication, en effet, il y a en présence une ville et une région.

Fougères6 est une ville castrale médiévale. L’agglomération, qui se développa autour du château, naquit avant tout du fait de la présence de la forteresse. Le site castral de Fougères apparaît au cours de la décennie 1040. Quelques années plus tard, autour du château et de sa chapelle, apparaissent des bourgs, c’est-à-dire des lotissements où chaque parcelle, ou presque, adopte la même forme, une maison sur la rue et un jardin à l’arrière. Les habitants de ces quartiers étaient des bourgeois, ils pouvaient être artisans, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

4. Dép. Manche, cant. Saint-James. 5. Henri Bourde de la Rogerie, La frontière de la Bretagne et de la Normandie

près de l’embouchure du Couesnon, dans B.M.S.A.I.V., 1914, t. 44-1, p. 109-175 et t. 44-2, p. 299-347.

6. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

commerçants, voire paysans. Fougères à ceci d’original, elle compta durant le Moyen Âge central plusieurs bourgs : le Bourg Vieil, le Bourg Neuf, le Marchix, le bourg Chevrel et le bourg de Rillé, ainsi que probablement le bourg de l’Échange, attesté par des documents modernes. Fougères est donc une agglomération d’origine castrale au XIe siècle et qui parvient au stade de ville – conscience urbaine de ses habitants, remparts, institutions communautaires... – au XIIIe siècle. Mais Fougères c’est aussi une famille seigneuriale qui apparaît en même temps que l’agglomération ; les deux étant intimement liées. Au milieu de la décennie 1040, un dénommé Main porte comme qualificatif le toponyme de « Fougères » ; dans un autre document de la même période, il cite ses ancêtres : Main, son grand-père, et Alfred, son père. Ce dernier pourrait être le premier membre du lignage à avoir choisi Fougères comme lieu de résidence, mais ce n’est qu’avec Main II que nous en avons la certitude. Si ce lignage est ancré en terres bretonnes, une large partie de ses rameaux et de ses racines sortira de ce cadre. La ville et la famille seigneuriale étant indissociables au cours des XIe-XIIIe siècles, nous envisagerons leurs relations avec le duché voisin : la Normandie.

Car le second pôle de notre communication n’est pas une famille de seigneurs, ni une ville, mais tout un duché, l’un des plus importants de l’Ouest français. En 911, avec le traité de Saint-Clair-sur-Epte, Rollon, chef scandinave, homme du Nord, Normand, reçut la province ecclésiastique de Rouen, cœur de la Normandie. Au cours des Xe-XIe siècles, la principauté ne cessa de s’étendre, notamment vers l’Ouest. En effet, si entre 867 et 933, le Cotentin et l’Avranchin furent bretons7, en ce début de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!7. André Chédeville et Hubert Guillotel, La Bretagne des saints et des rois, Ve-

Xe siècle (Rennes, Ouest-France, 1984) et plus particulièrement la deuxième partie « Le temps des rois IXe-Xe siècle », p. 191-408 ; ainsi que François Neveux, La fondation de la Normandie et les Bretons (911-933), dans Catherine Laurent, Bernard Merdrignac et Daniel Pichot, dir. Mondes de l’Ouest et villes du monde. Regards sur les sociétés médiévales. Mélanges en l’honneur d’André Chédeville

Xe siècle, l’autorité du duché de Bretagne n’était que nominale, les Normands et les Vikings étaient implantés dans cette partie de la Normandie, comme le prouve la toponymie scandinave. On gardera en mémoire que l’Avranchin et le Mortainais basculèrent un temps dans la sphère bretonne : une partie des liens entre le Fougerais et ces régions normandes remontent probablement à ces hautes époques. En 1066, avec la conquête de l’Angleterre, la Normandie passe « du rang de puissance régionale à celui de puissance internationale8. » Un siècle plus tard, à ce cœur anglo-normand allait s’ajouter les domaines Plantagenêt : Anjou, Maine et Touraine, ainsi que l’Aquitaine, acquise lors d’un mariage resté célèbre9. Mais en 1204, Philippe Auguste mit fin à cet « Empire », en s’emparant de la Normandie par la force, le roi !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!(Rennes, PUR et SHAB, 1998), p. 297-309. On rappellera brièvement qu’à plusieurs reprises le territoire entre la Sélune et le Tronçon a été sous la domination du Rennais. Ainsi, le territoire du peuple gallo-romain des Riedones se serait étendu jusqu’à la Sélune (Dominique Aupest-Conduché, Hypothèse sur la limite nord de la cité des Redones, dans B.M.S.A.I.V., t. 78, 1974, p. 9-16). Toutefois cette région aurait été évangélisée à partir d’Avranches, ce qui expliquerait son rattachement ultérieur. En 765, les localités de Flagé, de part et d’autre de l’embouchure de la Sélune et de Juilley sont dites in pago Rodonico, soit le Rennais (Jean-Pierre Brunterc’h, Le duché du Maine et les Marches de Bretagne, dans Hartmut Atsma, éd. La Neustrie, les Pays au Nord de la Loire de 650 à 850 [Sigmaren, J. Thorbecke, 1989], t. 1, p. 29-127, à la p. 76). Au Xe siècle, la région au sud de la Sélune relevait de la Bretagne, les Normands ne s’y seraient installés qu’au cours du premier tiers du XIe siècle (Hubert Guillotel, Le premier siècle du pouvoir ducal breton (936-1040), dans Actes du 103e Congrès national des Sociétés savantes (Nancy-Metz, 1978) [Paris, Bibliothèque nationale, 1979], p. 63-84, aux p. 81-83). On retrouve d’ailleurs la trace de Bretons grâce à l’onomastique (Lucien Musset, Essai sur le peuplement de la Normandie (VIe-XIIe siècle), dans Nordica et normannica : recueil d’études sur la Scandinavie ancienne et médiévale, les expéditions des Vikings et la fondation de la Normandie [Paris, Société des études nordiques, 1997], p. 389-402, à la p. 398.

8. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois Xe-XIIe siècle (Rennes, Ouest-France, 1998), p. 9.

9. Martin Aurell, L’Empire des Plantagenêt, 1154-1224 (Paris, Perrin, 2004 ; coll. Tempus).

de France changeait la donne dans l’Ouest. Le voisin normand tissait une large partie de ses réseaux bien au-delà de la simple région. La Normandie, durant ces trois siècles et demi ne resta pas seulement un duché, mais devint un enjeu de luttes dans l’Ouest, particulièrement entre les royaumes de France et d’Angleterre. Le sort de Fougères, de la ville comme du lignage, doit inclure ces données.

La séparation entre la seigneurie fougeraise et la région nor-mande était matérialisée par une frontière10. Mot banal, mais qui renvoie à diverses définitions, dont celle communément admise en France où le terme a connu une histoire forte depuis les « fron-tières naturelles » évoquées durant la période révolutionnaire. La définition la plus simple étant de faire de la frontière une ligne imaginaire séparant deux territoires, deux États. Cette approche est essentiellement politique et correspond à une vision franco-européenne. Sous l’influence nord-américaine, où la frontier n’était pas une ligne fixe de séparation, mais aussi un espace mouvant, à conquérir, la notion de frontière a été abordée comme une zone de transition entre des espaces plus ou moins peuplés, le politique restait présent, mais de plus en plus étaient intégrées des réflexions socio-économiques et culturelles. À l’idée d’une frontière comme zone de séparation s’est progressivement substituée celle de zone de contacts, de convergences, d’échanges… Car il faut le reconnaître, envisager les relations frontalières entre la seigneurie de Fougères et la Normandie uniquement sous l’angle militaire fausse considérablement la vision et la réalité. Nous y reviendrons, mais les moments de paix furent plus nombreux que les instants de guerres ; ce qui ne signifie pas que les Bretons et les Normands des XIe-XIIIe siècles n’avaient pas clairement conscience qu’une frontière les séparait, notamment au niveau du Couesnon. Du fameux dicton populaire !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

10. Les lignes qui suivent s’inspirent des travaux de Daniel Power, The Norman Frontier in the Twelfth and Early Thirteenth Centuries (Cambrigde University Press, 2004), p. 2 et suivantes.

est connu de tous (« Le Couesnon dans sa folie a mis le Mont en Normandie »), il existe aussi une continuation, moins célèbre, mais rappelant bien l’idée de frontière : « Quand le Couesnon aura retrouvé la raison Le Mont redeviendra Breton. »

Cet article a pour objet de traiter des relations entre, d’une part, les seigneurs de Fougères et le centre de leur seigneurie éponyme, et, d’autre part, une région, la Normandie. Outre le rapide exposé historique précédent, il conviendra de garder à l’esprit la situation géographique de Fougères, ville de marche, qui selon l’observateur peut être considérée comme un poste avancé de la Bretagne (point de vue breton) ou comme une porte d’entrée (point de vue normand). Les sources utilisées sont clas-siques, il s’agit pour l’essentiel d’actes des XIe-XIIIe siècles, char-tes et notices issues d’abbayes ligériennes, bretonnes ou norman-des. À partir du milieu du XIIe siècle, et de manière ponctuelle, nous pouvons compter sur quelques mentions dans les chro-niques anglo-normandes : Guillaume de Newburgh, Raoul de Dicet, Robert de Torigni, abbé du Mont Saint-Michel, et Roger de Hoveden. Ces chroniqueurs ont tous rédigé durant l’« âge d’or de l’historiographie savante à la cour d’Angleterre11 » et leur témoi-gnage, tout important qu’il soit, doit être pris avec précaution. En effet, il convient de garder à l’esprit le prisme déformant des sources. Un événement bien rapporté par les sources peut déformer notre analyse de toute une période ; l’histoire-bataille ou l’« agitation de surface », selon l’expression de Fernand Braudel, masque parfois l’histoire économique et sociale, « vagues de fond12 ». Les sources retiennent quelquefois l’exceptionnel au détriment du quotidien ; biais qu’il faut avoir à l’esprit. De plus, la situation frontalière de Fougères implique qu’en fonction du !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

11. Amaury Chauou, L’idéologie Plantagenêt. Royauté arthurienne et monarchie politique dans l’espace Plantagenêt (XIIe-XIIIe siècles) (Rennes, PUR, 2001), p. 62.

12. Fernand Braudel, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, t. I. « La part du milieu » (Paris, A. Colin, 1990), p. 13 (préface de la première édition en 1949).

contexte, le voisin normand représente une menace ou un mar-ché ; un ami, un allié ou un ennemi. Qu’il y ait une guerre et le Normand deviendra un adversaire, un danger ; que la situation frontalière soit apaisée, alors le même voisin normand pourra être vu comme un proche, un familier, un allié, un compère. Fou-gères, la ville, et les Normands du sud du duché, auront des rela-tions en fonction d’un contexte que la plupart du temps ils subiront.

Ces données – et précautions – étant posées, quelles furent les relations de Fougères avec le duché normand et avec les Nor-mands ? Quelle fut la nature de ces relations : amicales, conflic-tuelles et/ou économiques ? Les deux régions ne s’ignoraient pas au contraire, ce qui est bien différent de la situation actuelle. Comment évoluèrent ces relations durant le Moyen Âge central ?

Ce n’est qu’à partir du XIe siècle que notre enquête devient possible. En effet, Fougères, la ville et le lignage seigneurial du même nom, apparaît au cours de la décennie 1040, même si les textes attestent d’une origine légèrement plus ancienne. Nous verrons dans un premier temps que le XIe siècle fut celui de l’aris-tocratie, les seigneurs de Fougères semblent avoir hésité entre une répulsion pour la Normandie et une véritable attraction. La naissance du château de Fougères pourrait même être analysée sous cet unique biais. La politique de Guillaume de Normandie, devenu entretemps le Conquérant, a influencé les choix des seigneurs de Fougères. La disparition du duc-roi, mais plus encore une augmentation des textes montre un tournant à la fin du XIe siècle. La deuxième partie évoquera justement cette diver-sification des relations entre Fougères et la Normandie. Des années 1080 au milieu du XIIe siècle, les liens se renforcent et se diversifient, ce fut le temps des mariages, des acquisitions de terres normandes et anglaises et surtout de la fondation de l’ab-baye de Savigny. Des seigneurs bretons choisirent d’être inhumés en terre normande. Puis avec la Normandie incluse dans l’Empire Plantagenêt, le voisin devient, à la lecture des sources, une

menace. La troisième partie reviendra sur les guerres menées dans le Fougerais depuis la Normandie. Après le paroxysme des tensions au cours des années 1166-1173, nous verrons que les relations iront en s’apaisant. Les luttes entre les royaumes de France et d’Angleterre au cours de cette première guerre de cent ans conduiront les seigneurs de Fougères à louvoyer entre Plantagenêts et Capétiens, faisant de la seigneurie un terrain d’affrontement régulier. Au milieu du XIIIe siècle, la famille de Fougères disparaît, mais les relations se poursuivent, notamment par l’intermédiaire de l’immigration normande que l’on commence alors à percevoir.

Répulsion et attraction :

les seigneurs de Fougères et la Normandie (c. 1000-milieu du XIe siècle)

L’histoire tissée entre Fougères et la Normandie ne peut

commencer qu’à partir du moment où la localité naît. Et la naissance de l’agglomération fougeraise serait, pour certains intimement liée, à la menace non pas viking, mais normande. D’aucuns ont imaginé que Fougères avait été érigée comme forteresse face aux ducs normands. Nous reviendrons sur cette analyse, mais il faut d’emblée souligner que le sens de la réflexion dépend bien sûr de l’historien, mais aussi de l’époque durant laquelle il écrit. Certaines périodes ont privilégié les conflits, alors que d’autres ont insisté sur les relations apaisées ; en fait, les deux types de rapports eurent lieu et très souvent simultanément.

Nous nous interrogerons sur l’origine de Fougères et si celle-ci peut être mise en relation avec une menace normande. Une fois le site castral implanté, il sera alors temps d’étudier les liens qui se tissèrent entre Fougères, l’agglomération et la famille, et le duché voisin.

Le château de Fougères : un bastion contre le voisin normand ?

Fougères serait née d’une volonté de contrer l’ennemi

normand. Ainsi, selon cette lecture, les relations entre la ville et le duché serait d’emblée placées sous le sceau de la méfiance. Nous reviendrons tout d’abord sur les différents auteurs qui ont évoqué la naissance de Fougères, puis nous rappellerons le contexte « géopolitique » régional d’alors afin d’apporter un éclairage sur telle ou telle hypothèse. Puis dans un troisième temps, nous irons directement aux sources et aux premières mentions de Fougères et de son lignage. En ce milieu de XIe siècle, une ombre plane, celle de Guillaume le Conquérant, le duc-roi a-t-il tenu un rôle ne serait-ce qu’indirectement ?

Une forteresse comtale bretonne ?. – Ce point de vue a été

adopté, au moins depuis le XIXe siècle, par l’historiographie bretonne. Au départ, un chartiste vitréen, farouche défenseur de la Bretagne et de son identité : Arthur Le Moyne de La Borderie. Dans sa célèbre Histoire de Bretagne, l’historien breton écrivit au début du XXe siècle, qu’au tournant de l’an Mil, « la première nécessité était de créer à l’Est, du côté de la France, contre les attaques de la Normandie, du Maine, de l’Anjou, du Poitou, une solide frontière13. » L’importance de la zone frontalière était telle pour la survie de l’État breton qu’il fallait qu’elle soit confiée « à des hommes d’un dévouement à toute épreuve pour la cause de la Bretagne. […] [Il fallait] des hommes de pur sang breton venus

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!13. Arthur Le Moyne de La Borderie, Histoire de Bretagne (Rennes, J. Plihon

et L. Hervé ; Paris, A. Picard, 1899), t. 3, « De l’an 995 après J.-C. à l’an 1364 », p. 50.

directement de la Bretagne bretonnante14. » Dans ce cadre, le secteur nord-est fut confié à un dénommé Main.

Dans la lignée des écrits d’Arthur de La Borderie, Christian Le Bouteiller, historien local fougerais, notait, au début du XXe siècle, que Conan Ier le Tort, duc de Bretagne, chercha en 990 « à protéger sa frontière Nord et tourna ses regards du côté des Normands dont les incursions étaient toujours menaçantes15. » Or, ce serait précisément à cette date qu’apparaît Main, ancêtre de la famille seigneuriale de Fougères. Ce raisonnement s’appuie sur un acte de 990 qui est en fait un faux16. Toutefois, comme tout faux de l’époque médiévale, il comporte une part de vérité, nous y reviendrons ; cependant Main Ier fut bel et bien l’ancêtre du lignage fougerais, même si aucun document n’atteste de son lien avec la localité.

Cette hypothèse a récemment été reprise par Michel Brand’Honneur, qui replace la création du site castral dans un cadre plus général. Les ducs normands, depuis Richard II (996-1026) jusqu’à Guillaume le Conquérant et sa dernière tentative en 1076, auraient tenté d’annexer une partie du Rennais, particuliè-rement le secteur nord, plaçant le Dolois et le Fougerais en pre-mière ligne. Ainsi, « le château de Fougères est issu d’une volonté comtale17 » bretonne au cours des années 1040. Conan II et son

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!14. Ibid., p. 51, voir aussi id., Essai sur la géographie féodale de la Bretagne

(Rennes, Plihon-Hervé, 1889-1910), p. 9-10. 15. Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères

(Rennes, Plihon et Hommay, 1912 ; rééd. Bruxelles, Édition. Culture et Civilisation, 1976), t. 2, p. 9 et suivantes. L’auteur écrivait d’ailleurs Méen et non Main, poussant davantage encore le sentiment régionaliste, pensait-t-il à saint Méen ? Quoi qu’il en soit les documents médiévaux portent tous : Mainus.

16. André Chédeville et Hubert Guillotel, La Bretagne des saints, op. cit., p. 153. Sur la justification, voir Hubert Guillotel, Les actes des ducs de Bretagne. 944-1148 (thèse, dactylographiée, 1973), p. 21-30.

17. Michel Brand’Honneur, Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes. Habitat à motte et société chevaleresque (XIe-XIIe siècles) (Rennes, PUR, 1999), p. 109 et suivantes, citation p. 113.

oncle, Eudes, avec lequel il dirigeait la Bretagne, auraient réor-ganisés le « nord-est du Rennais afin de créer un pouvoir fort ca-pable d’endiguer une éventuelle invasion normande18. » Fougères trouvait là son origine.

Mais cette hypothèse n’est plus suivie aujourd’hui19. La créa-tion de l’agglomération castrale ne saurait se limiter à cette vision « militariste », d’autant plus que les relations entre la Bretagne et la Normandie, sans être totalement pacifiques, n’étaient pas non plus exclusivement martiales. Mais, d’une certaine manière, ce type de rapports n’a rien de particulier, on pourrait presque dire qu’il fut bien souvent la règle.

Pouvres Bretons […] soubz la puissance des Normans20 :

aperçu sur le contexte « géopolitique » régional. – Si l’on suit l’hypothèse d’Arthur de La Borderie, en partie reprise et davan-tage argumentée par Michel Brand’Honneur, Fougères serait née d’une « politique castrale du comte21 ». Il nous faut donc revenir sur le contexte de ce début de XIe siècle pour accréditer ou non cette supposition ; y avait-il une menace normande ? Le second postulat de La Borderie est que les « fiefs-frontières » avaient été confiés à des Bretons de souche ; qu’en est-il pour la famille de Fougères ? Était-elle véritablement bretonne ?

S’il y a un château, c’est donc qu’il y a une menace ou qu’il fallait militairement protéger la zone. Face à Fougères, le seul ennemi possible était la Normandie. Or, il vrai que les voisins ont !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

18. Ibid., p. 112-113. 19. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines : pouvoir local et enjeux

ecclésiaux à Fougères à l’époque grégorienne (milieu XIe-milieu XIIe siècle), dans Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest (désormais : A.B.P.O.), t. 113, n° 3, 2006, p. 105-135, à la p. 109 n. 26.

20. Citation tirée de René Merlet, éd. La chronique de Nantes (570 environ-1049) (Paris, A. Picard, 1896), p. 83, et reprise par Pierre Le Baud, Cronicques et ystoires des Bretons (1480 ; édition partielle Société des bibliophiles bretons et de l'histoire de Bretagne, 1907), p. 144.

21. Michel Brand’Honneur, Manoirs et châteaux, op. cit., p. 15.

eu une fâcheuse tendance à sortir de leur duché pour menacer la Bretagne et le Rennais, mais le tort ne leur revient pas uniquement. Michel Brand’Honneur montre qu’au cours de la décennie 1040, la Bretagne se trouvait dans une position plus forte que celle du duché normand. Certes, Conan II était mineur, mais son oncle, Eudes, avait participé au gouvernement et, une fois au pouvoir, il « consacra toute son énergie à empêcher le jeune Guillaume de prendre le pouvoir ducal en Normandie22. » Car du côté normand, Robert le Magnifique, mort en 1035, laissait un fils bien jeune, Guillaume, certes héritier mais il eut les pires difficultés à asseoir son pouvoir23. Ce serait donc durant cette les années 1040-1047 – ce qui correspond de surcroît avec les sources écrites, nous y reviendrons – que Main II s’installerait à Fougères, avec l’appui du comte de Bretagne24 ; l’objectif étant de faire de ce site un point fort, un verrou contre les menaces normandes.

En effet, depuis leur installation au début du Xe siècle, les Normands n’hésitaient pas à lorgner de l’autre côté du Couesnon. Certes, la zone entre le Tronçon et la Sélune était disputée, les deux parties eurent souvent maille à partir. On passera rapidement sur les détails, mais entre la fin du Xe siècle et 1030, Richard II de Normandie et Alain III de Bretagne s’affrontèrent pour le contrôle de l’abbaye du Mont Saint-Michel et du territoire allant jusqu’au Couesnon25. Le duc normand l’emporta, non sans que son rival n’entretienne quelques arrière-pensées. Ce contexte de tensions expliquerait la fondation castrale de Fougères.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!22. André Chédeville et Noël-Yves Tonnerre, La Bretagne féodale, XIe-

XIIIe siècle (Rennes, Ouest-France, 1987 ; rééd. 1994 ; coll. Université), p. 42. 23. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 106-120. 24. Michel Brand’Honneur, Manoirs et châteaux, op. cit., p. 113. 25. Ibid., p. 110 ; François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit.,

p. 76 et André Chédeville et Noël-Yves. Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit., p. 40-41.

Mais ce type de relation tendue entre deux provinces voisines était la règle. Si l’on se cantonne au début du Xe siècle, on a peut-être l’impression d’un paroxysme. Mais à une autre échelle, les raids et les combats qui eurent lieu durant ce demi-siècle paraissent presque classiques. En effet, tant que la Bretagne et la Normandie ne seront pas intégrées au même ensemble politique, les deux régions alterneront les périodes violentes avec d’autres plus apaisées. De l’aube du Xe siècle au crépuscule du XIIe siècle, les Normands n’ont cessé d’avancer leurs pions en direction de la Bretagne, faisant du nord-est du Rennais la zone la plus exposée. Et les raids furent légion. Sans revenir sur le détail, on rappellera qu’en 936, le duc Alain combattit une colonie normande installée dans le monastère de Dol-de-Bretagne26. En 944, Flodoard nota que les Normands profitèrent des conflits internes bretons pour s’emparer de Dol, dont l’archevêque fut tué au cours d’une bousculade dans sa cathédrale27. En 996, à la demande du duc Richard II, Olaf débarqua d’Irlande et des Hébrides, où il était roi, pour prendre, piller et incendier Dol28. À peine une quinzaine d’années plus tard, en 1014, Olaf Haraldson, une nouvelle fois en lien avec le duc normand, s’empara de la cité archiépiscopale29. Suit la période d’équilibre précaire entre Richard II et Alain III, évoquée plus haut, cette phase peut presque passer pour un

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!26. Arthur Le Moyne de La Borderie, Histoire de Bretagne, op. cit., 1898, t. 2,

p. 388. Dol-de-Bretagne, dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant. 27. Subsecuta mox Brittonum pernicies, qui discordia inter se principum

Berengarii et Alani divisi, a Nordmannis cum quibus pactum inierant, pervasi et magna sunt caede attriti. Civitas eorum, Dolus nomine, capta et episcopus ejusdem confugientium in aecclesiam multitudinum stipatione oppressus et enecatus est (Philippe Lauer, éd. Les Annales de Flodoard [Paris, Alphonse Picard et fils, 1905 ; coll. de textes pour servir à l’étude et à l’enseignement de l’Histoire], p. 94).

28. Jean-Christophe Cassard, Le siècle des Vikings en Bretagne (Paris, J.-P. Gisserot, 1996), p. 99.

29. René Couffon, À quelles dates Dol et Guérande ont-elles été ravagées par Olaf Haraldson ?, dans Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Bretagne (désormais : M.S.H.A.B.), t. 29, 1949, p. 25-33.

intervalle d’apaisement. En 1030, le prince breton se lança à l’assaut du sud Manche, sans succès. Trente ans plus tard, en 1064, Guillaume de Normandie attaqua Dol, cet épisode figure sur la Tapisserie de Bayeux30. Le Conquérant revint en 1076 et en 1086, sans plus de succès31. Nous aurons l’occasion de le rappeler plus tard, mais en 1166 et 1173, lors des conflits entre Henri II Plantagenêt et Raoul II de Fougères, Dol sera à nouveau au cœur des tensions ; et, en 1203, Jean sans Terre incendia la cathédrale. L’année suivante, la Normandie devenue française32, la menace cessa un temps.

Ce détour évènementiel vise à montrer que tous les vingt ou trente ans, les Normands menèrent des raids contre le nord-est de la Bretagne. S’il peut être aventureux d’apporter une hypothèse unique pour toutes ces attaques, on ne peut s’empêcher de penser qu’une telle fréquence suggère que les ducs normands ont pensé faire de ce secteur une marche, une zone tampon entre leur État et la province bretonne. La fondation de Fougères ne peut s’expli-quer uniquement par une politique comtale de fortification au cours de la décennie 1040 ; même s’il faut en convenir la première moitié du XIe siècle voit la construction de nombreuses forte-resses du côté normand. Ainsi, Robert le Magnifique fit ériger, entre 1027-1030, Carrucae, identifié à Charuel, non loin de Pontor-son33, ou Cherrueix, en Bretagne34 Les années 1040 connurent la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

30. François Neveux, L’expédition de Guillaume le Bâtard en Bretagne (vers 1064), dans Joëlle Quaghebeur et Sylvain Soleil, dir. Le pouvoir et la foi au Moyen Âge en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest. Mélanges en l’honneur du professeur Hubert Guillotel (Rennes, PUR, 2010), p. 619-637.

31. Michel de Boüard, Guillaume de Conquérant (Paris, Fayard, 1987), p. 222 et suivantes, ainsi que Henri Suhamy, Guillaume le Conquérant (Paris, Ellipses, 2008), p. 136 et 285.

32. Pour reprendre le titre de Roger Jouet, Et la Normandie devint française (Paris, Éditions Mazarine, 1983 ; rééd. Cully, Orep, 2004).

33. Lieu-dit en Sacey (dép. Manche, cant. Pontorson). Hypothèse de Hubert Guillotel, Le premier siècle du pouvoir ducal breton (936-1040), dans Principautés et territoires et études d’histoire lorraine. Actes du 103e Congrès National des Sociétés

difficile minorité de Guillaume, peu propice à l’érection de nouveaux châteaux. Puis le jeune duc jalonna sa frontière de points forts : Le Teilleul, la Chaise-Baudouin, Les Loges-Marchis, Saint-Hilaire-du-Harcouët et Saint-James35. Seuls les châteaux de Saint-James et de Pontorson36, édifié par Henri Ier et Henri II37, semblent revêtir un véritable rôle de forteresse.

Face à une telle concentration de châteaux, l’analyse d’Arthur de La Borderie, voulant que Fougères ait été une forteresse bretonne face à l’ennemi normand, pourrait se justifier. Mais cette hypothèse ne voit dans le château qu’un site de défense, or la plupart des citadelles castrales a connu beaucoup plus de temps de paix que de guerres. La raison d’être d’un château ne peut uniquement se limiter à l’attente d’une guerre. Il s’agit d’un « lieu de pouvoir38 », dont la finalité n’est pas exclusivement militaire. Un château permettait de dominer un territoire et d’ancrer un lignage en un lieu particulier. En cette première moitié de XIe siècle, les familles de l’élite quittèrent les cités épiscopales pour s’installer au cœur de leurs domaines, ceci ne signifiant pas nécessairement qu’elles rompaient avec l’autorité et qu’elles !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Savantes (Nancy-Metz, 1978) (Paris, Bibliothèque nationale, 1979), p. 63-84, à la p. 81.

34. Dép. Ille-et-Vilaine, cant. Dol-de-Bretagne. La localisation de Carrucae fait toujours débat : François Neveux, Normandie et Bretagne : le destin divergent des deux principautés (XIe-XVe siècle), dans Joëlle Quaghebeur et Bernard Merdrignac, dir. Bretons et Normands au Moyen Âge. Rivalités, malentendus, convergences (Rennes, PUR, 2008), p. 337-375, à la p. 340.

35. André Chédeville et Noël-Yves Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit., p. 57. Toutes ces localités se situent dans la Manche, arrondissement d’Avranches : Le Teilleul (ch.-l. cant.), La Chaise-Baudouin (cant. Brécey), Les Loges-Marchis (cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët), Saint-Hilaire-du-Harcouët (ch.-l. cant.) et Saint-James-de-Beuvron (ch.-l. cant.).

36. Saint-James, dép. Manche, ch.-l. cant. ; Pontorson, dép. Manche, ch.-l. cant.

37. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 446 et suivantes. 38. Florian Mazel, Féodalités – 888-1180 (Paris, Belin, 2010 ; coll. Histoire de

France), p. 74.

participaient allègrement à une anarchie féodale qui n’eut pas lieu. Fougères n’est pas née de la menace normande. Tout au long des Xe-XIIIe siècles, l’histoire des deux provinces fut rythmée par des guerres, mais ce sont là des faits presque banaux. Jean-Christophe Cassard a parlé de « frictions frontalières à répétition39 », frictions c’est-à-dire frottement, brouille, fâcherie… Les deux adversaires étaient loin d’être des ennemis irréconciliables. La frontière n’était pas un mur mais un point de rencontre, de contact, nous y reviendrons.

Des liens matrimoniaux. – La Bretagne et la Normandie ont dès

le Moyen Âge entretenu des liens très forts, déjà on se mariait de part et d’autre de la frontière. Nous n’en avons pas les preuves pour les plus modestes, mais l’aristocratie bretonne alla chercher des épouses de l’autre côté du Couesnon, les ducs de Bretagne et la famille de Fougères ont des origines normandes.

Tout d’abord le lignage ducal40. Vers 996, le duc Geoffroy (992-1108) épousa Havoise, fille de Richard Ier et sœur de Richard II ; ce dernier se maria à peu près au même moment avec la sœur de Geoffroy, Judith. Il s’agissait donc d’un « double » mariage selon l’expression de Joëlle Quaghebeur. En 1008, Geoffroy de Bretagne partit en pèlerinage à Jérusalem laissant ses deux fils, Alain et Eudes, sous la garde de Richard II et de leur mère, Havoise. Le duc breton disparu au cours de ce voyage. En 1008, la Bretagne vécut donc sous la « tutelle41 » de la Normandie jusqu’à la majorité d’Alain III, vers 1024-1025.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!39. Jean-Christophe Cassard, Le siècle des Vikings, op. cit., p. 100. 40. Joëlle Quaghebeur, Havoise, Constance et Mathilde, princesses de

Normandie et duchesses de Bretagne, dans Bretons et Normands au Moyen Âge, op. cit., p. 145-163.

41. François Neveux, Normandie et Bretagne, art. cit., p. 340.

Fig. 1. Généalogie simplifiée de la famille de Fougères

Et, en 1029, si Alain épousa Berthe, fille d’Eudes II de Blois, Havoise apparaît seule dans les actes jusqu’à sa disparition en 103442. Ceci indique l’influence qu’elle avait. Enfin, un dernier point mérite d’être souligné, lors de l’entrevue entre Geoffroy et Richard, ce dernier accepta de donner sa fille en mariage au prince breton avec l’accord des principaux aristocrates normands. Il était bien question d’une union politique qui allait avoir des conséquences sur les relations entre les deux provinces, particulièrement pour le secteur qui nous intéresse : le Fougerais.

En effet, d’une certaine manière le lignage de Fougères a des origines normandes, certes lointaines, mais qui durant le Moyen Âge ne pouvaient pas être oubliées. Dans un premier temps, plu-sieurs érudits et historiens ont pensé qu’Adélaïde, épouse de Main II de Fougères, était normande. Ainsi d’après l’abbé Tro-prée, elle aurait été une fille de Giffard de Bolbec de Longue-ville43 ; quant à Hubert Guillotel, il optait lui aussi pour une ori-gine normande, Adélaïde aurait été une fille de Girois, seigneur du pays d’Ouche44. Plus récemment ces hypothèses ont été revues et de manière convaincante. Pour comprendre, il faut revenir à arrière. Le duc Geoffroy (992-1108) eut deux fils de son mariage avec la Normande Havoise, Alain et Eudes. Ce dernier épousa Orguen, probable descendante de Nominoë45, le couple eut de nombreux enfants, pas moins de neuf : une fille et huit garçons46. Ce net déséquilibre en faveur des descendants masculins – il est fort probable que toutes les filles ne soient pas connues – a !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

42. Joëlle Quaghebeur, Havoise, Constance et Mathilde, art. cit., p. 156. 43. Jean-Baptiste Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de

Bretagne (Nantes, 1778-1780 ; complété et réédité par Alphonse Marteville et Pierre Varin, Éditions Molliex, Nantes et Rennes, 1843-1853), p. 284, n. 2.

44. Hubert Guillotel, Le poids historiographique d’Arthur de la Borderie, dans M.S.H.A.B., t. 80, 2002, p. 343-359, à la p. 355.

45. Joëlle Quaghebeur, La Cornouaille du IXe au XIIe siècle. Mémoire, pouvoirs, noblesse (Rennes, PUR, 2002), p. 61 et suivantes.

46. Stéphane Morin, Trégor, Goëlo, Penthièvre. Le pouvoir des Comtes de Bretagne du XIe au XIIIe siècle (Rennes, PUR, 2010), p. 55.

conduit Florian Mazel a proposé une hypothèse à propos d’Adélaïde, l’épouse de Main II de Fougères47. Plusieurs indices suggèreraient qu’elle était une fille du comte Eudes et donc petite-fille d’Havoise48. Les enfants du couple Adélaïde et Main II avaient du sang normand dans les veines et pas n’importe lequel, il était ducal. L’hypothèse d’Arthur de La Borderie voulant que la famille de Fougères ait été placée dans ce château de la Marche parce qu’elle était de « sang breton » est caduque.

Premières mentions de Fougères au cours de la décennie 1040. –

C’est justement avec le couple d’Adélaïde et de Main II que Fougères apparaît pour la première fois dans l’histoire au cours de la décennie 1040.

Main fut le premier membre du lignage à accoler à son prénom un nom qui reprend un toponyme, preuve d’un ancrage territorial caractéristique de l’aristocratie en ce milieu de XIe siècle. Main est cité dans une quinzaine d’actes49 et il apparaît dans les sources dès les années 1008 et 1030 – l’imprécision !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

47. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit., p. 109-110. 48. Florian Mazel avance les arguments suivants : Adélaïde est un prénom

que l’on retrouve dans le stock onomastique des Eudonides, l’une des sœurs de Eudes Porhoët s’appelait justement Adèle. Les enfants d’Adélaïde et de Main II abandonnèrent les noms du lignage de Fougères (Main et Alfred) pour ceux de la famille de leur mère : Eudes et Juhel, que l’on retrouve justement chez les Eudonides. D’ailleurs l’aîné ne porta pas le nom du grand-père, comme c’était la coutume, mais il se prénomma Eudes. Ce changement dans le stock onomastique au milieu du XIe siècle traduit un mariage hypergamique, l’épouse de Main II était d’un rang supérieur à ce dernier, ce qui était le cas si Adélaïde descendait d’Eudes, fils du comte de Bretagne. Enfin, dans nombre d’actes comtaux, les époux et leurs enfants figurent en bonne place, ce qui accrédite l’idée d’une proximité avec Conan II et Eudes. La famille de Fougères intégrait alors le lignage comtal breton et d’une certaine manière, le lignage ducal normand.

49.. Par exemple : Hubert Guillotel, Les actes des ducs, op. cit., actes n° 24, 46-47, 49-50 et 52.

chronologique venant de la difficulté à dater exactement certaines chartes médiévales. Dans ces premiers textes, il se fait appeler « Main, fils d’Alfred50 » et on le voit donner à l’abbaye touran-gelle de Marmoutier des biens en Louvigné-du-Désert, paroisse limitrophe de la Normandie, comme s’il balisait sa seigneurie. Ainsi il confirma au monastère, fondé par saint Martin, le don de l’église de Louvigné avec ses dépendances, ainsi que des terres qui l’entouraient, à l’exception toutefois du bourg qui se trouvait à l’extérieur du cimetière. Main ne fait que reproduire une au-mône de son grand-père, Main Ier, et de son père Alfred, tous les deux nommément cités ; d’ailleurs il souligna qu’il était la « troi-sième génération51 ». Cet acte est l’un des plus important pour connaître l’origine du lignage fougerais puisque Main II évoque ses ancêtres et précise que leur implantation dans ce secteur du Rennais était récente, probablement autour de l’an Mil. Enfin ce texte des années 1040-1047 est le premier dans lequel Main se qualifie « de Fougères52 », preuve qu’il s’est installé en ce lieu.

À peu près au même moment, un autre acte montre qu’il y a un château à Fougères. Entre 1040 et 1047, Main II octroya à Marmoutier l’église de Saint-Sauveur-des-Landes53, le texte s’inspire dans la forme et le vocabulaire des documents carolingiens, puisque cette dernière église apparaît dans la formulation suivante : « située dans le territoire de Rennes54 et dans le pagus du Vendellais, dédicacée à la mémoire du !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

50. Ibid., acte n° 24. 51. Mainonis avi mei, quam post ejus ab luce hac decessum Alfridus genitor meus

[…] efficeretur, ego in linea jam tertia positus (Ibid., acte n° 47). Louvigné-du-Désert, dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

52. De Filgerii (Ibid., acte n° 47). On ne peut revenir ici sur le détail des origines de la famille de Fougères, mais si Main II est le premier du lignage à porter comme nom celui « de Fougères », le site remonte probablement à son père, Alfred, fondateur d’une chapelle desservie par une communauté canoniale.

53. Saint-Sauveur-des-Landes, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Fougères-Sud. 54. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

Sauveur55 ». Il ajouta le don de trois maisons, la première située en Louvigné-du-Désert, la seconde en Bazouges-la-Pérouse et la dernière localisée « dans le castrum de Fougères56 ». Avec ce don, on perçoit les principaux centres du pouvoir de Main II qui se place sous l’autorité comtale, puisque les premiers témoins ne sont autres que Conan et Eudes, comtes, ainsi que la comtesse Berthe. Dans ce document, Main II ne se contenta pas de se faire appeler « de Fougères », car il apparaît d’abord comme « chevalier de la province de Rennes », puis dans la liste de témoins comme « fils d’Alfred ». En ce milieu de XIe siècle, ce document nous montre donc la famille établie à Fougères. Main II rappela ses origines familiales, avec Main Ier et Alfred, et ses attaches territoriales autour de Louvigné, Bazouges et Fougères, le nouveau cœur de sa seigneurie naissante. Ce document montre que Main gravitait dans l’entourage des comtes de Bretagne, mais d’autres textes indiquent tout autant qu’il lorgnait de l’autre côté du Tronçon.

Dans l’orbite du duc Guillaume Dans l’ouest, la principale personnalité de la seconde moitié

du XIe siècle fut Guillaume de Normandie ; ses liens avec la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

55. Mei dono aecclesiam, in Redonensi territorio atque Vendellensi pago sitam et in Salvatoris memoria dedicatam (Ibid., acte n° 46). Le pagus était le nom d’une circonscription territoriale rurale durant l’Antiquité, le terme s’est maintenu durant le haut Moyen Âge, mais le ressort territorial a bien souvent changé. Sur le Vendelais, voir Julien Bachelier, Saint-Sauveur-des-Landes. Histoire, habitats et société aux Xe-XIVe siècles, dans Bulletin et Mémoires de la Société d’Histoire et d’Archéologie du Pays de Fougères (désormais : B.M.S.H.A.F.), t. 47, 2009, p. 1-48, aux p. 5-8.

56. In castro Filgeria domum unam (Hubert Guillotel, Actes des ducs de Bretagne, op. cit., acte n° 46. Le terme de castrum peut être traduit par « château », mais aussi en fonction contexte par « agglomération castrale ». Bazouges-la-Pérouse, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Antrain.

Bretagne furent divers en fonction des rapports qu’il entretenait avec chacun des seigneurs. Une partie des Bretons fut parmi ses adversaires, pendant que d’autres le soutinrent, particulièrement à Hastings. L’histoire entre les deux provinces est notamment narrée sur la Tapisserie de Bayeux. Dans ce cadre, quelle fut la situation de Fougères ? Comment ses seigneurs gérèrent-ils leur situation en Marche de Bretagne ? Furent-ils alliés, ennemis ou indifférents vis-à-vis du Conquérant ?

1047-1057 : un tournant pour les relations entre Fougères et la

Normandie ?. – Durant cette décennie, le duc de Normandie, Guillaume, allait définitivement asseoir son autorité. Sa puissance faisait de lui l’un des principaux princes d’Occident, c’est probablement dans ce cadre que Main II bascula dans sa vassalité.

Alors que se constituait la seigneurie de Fougères, du côté normand, s’érigeait le comté de Mortain57. Ce face-à-face a parfois été analysé comme la constitution de deux puissantes baronnies frontalières58, mais il n’est pas sûr que Fougères ait été une citadelle bretonne face aux Normands. D’ailleurs les années 1046-1047 virent se produire un tournant.

En 1046, le jeune duc Guillaume fut confronté à un complot mené par les Richardides auquel les seigneurs du Cotentin parti-cipèrent activement. L’année suivante, au cours d’une terrible bataille, à Val-es-Dunes, Guillaume triompha des rebelles59. On ignore si des Bretons participèrent aux opérations militaires, même s’il est fort possible qu’Eudes, comte de Bretagne et farou-che opposant au jeune duc, ait soutenu les révoltés ; d’ailleurs un !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

57. Jacques Boussard, Le comté de Mortain au XIe siècle, dans Le Moyen Âge, t. 58, 1952, p. 253-279, aux p. 235-236.

58. Michel Brand’Honneur, Manoirs et châteaux, op. cit., p. 113. 59. Michel de Boüard, Guillaume le Conquérant, op. cit., p. 121 et suivantes ;

François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 112 et suivantes.

des rebelles, Néel de Saint-Sauveur, se réfugia en Bretagne60. Quelle fut la politique de Main II de Fougères ? Si l’on admet qu’il devait sa place aux comtes bretons, on pourrait imaginer qu’il ait participé au combat du côté des comploteurs, mais la suite de l’histoire suggère plutôt qu’il a opté pour une prudente neutralité, à moins que de nouvelles difficultés profitèrent au seigneur fougerais61. En effet, peu de temps après Val-es-Dunes, les Richardides posèrent d’autres problèmes. Ainsi, vers 1050, l’un d’eux, Guillaume Werlenc, comte de l’Avranchin et de Mortain, annonça imprudemment à un vassal l’imminence d’un nouveau soulèvement. Le duc Guillaume le destitua aussitôt et plaça son demi-frère, Robert, dont il était alors proche. De la même manière qu’il est difficile de voir en Fougères un pion comtal face à la Normandie, il semble que Guillaume pouvait difficilement s’appuyer sur le Mortainais62. On ne peut revenir ici sur toutes les oppositions rencontrées par le duc normand63, on se contentera de souligner qu’en 1057, la bataille de Varaville scella les tensions entretenues depuis 1054 entre, d’un côté, le roi de France et le comte d’Anjou, et de l’autre, le duc de Normandie. Comme le souligne François Neveux, à la suite de cette bataille, remportée par Guillaume, « la Normandie devenait sans conteste la première principauté de la France du Nord64 ».

Or, c’est à peu près durant ces années-là que l’on voit Main II de Fougères apparaître à la cour ducale. Guillaume de !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

60. Michel de Boüard, Guillaume le Conquérant, op. cit., p. 131. 61. Eudes, comte de Bretagne au nom de son neveu Conan, fut écarté du

pouvoir. Conan fut reconnu souverain peu de temps après l’échec du complot, soutenu par Eudes. Voir les allusions au sacre de Conan dans le cartulaire de l’abbaye de Redon (Aurélien de Courson, éd. Cartulaire de l'abbaye de Redon en Bretagne [Paris, Imprimerie impériale,1863 ; coll. de documents inédits sur l'Histoire de France], acte n° 294.

62. Michel de Boüard, Guillaume le Conquérant, op. cit., p. 187 et suivantes. 63. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 128 et

suivantes. 64. Ibid., p. 136.

Normandie, en plus d’être le principal prince de la région, devait se méfier du Cotentin et de l’Avranchin, il lui fallait voir plus loin et s’attacher des fidélités jusqu’en Bretagne, où certains rebelles s’étaient autrefois réfugiés. À deux reprises, vers 1056/1057-1060, Main II figura comme témoin dans l’entourage ducal65 ; dans un troisième document, aux alentours des années 1050-1055/1056, il donna l’église de Savigny-le-Vieux66 à l’abbaye de Marmoutier. Or dans ce dernier texte, il est clairement souligné que Savigny relevait des terres contrôlées par le duc de Normandie67.

Fut-ce Main qui se tourna vers la Normandie ou Guillaume le Bâtard qui progressa en direction du Rennais ? Sans s’opposer, les deux hypothèses sont au contraire conciliables. Un peu avant le milieu du XIe siècle, Guillaume céda à l’église cathédrale Saint-André d’Avranches plusieurs églises, dont celle de Saint-Ouen-la-Rouërie68, or quelques années plus tôt cette paroisse relevait du territoire contrôlé par le comte de Bretagne69. Guillaume progressait en direction du Rennais ; une partie des seigneurs bas-normands ne lui était pas véritablement fidèle et le duc trouva très certainement un terrain d’entente avec Main II, qui comprit qu’il y avait là un moyen de s’émanciper de la tutelle comtale bretonne et d’acquérir de nouvelles terres.

Il semblerait donc qu’à la suite des difficultés rencontrées entre 1046 et 1057 par le jeune duc Guillaume, Main II de Fougè-res profitât de la situation. Guillaume, solidement arrimé à la tête de la Normandie, attirait vers lui de nouveaux soutiens, Main II

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!65. Marie Fauroux, éd. Recueil des actes des ducs de Normandie de 911 à 1066

(Caen, Caron et Cie, 1961 ; Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. 36), actes n° 160 et 161.

66. Savigny-le-Vieux, dép. Manche, cant. Le Teilleul. 67. Recueil des actes des ducs de Normandie, op. cit., n° 162. 68. Ibid., n° 30. Saint-Ouen-la-Rouërie, dép. Ille-et-Vilaine, cant. d’Antrain. 69. Hubert Guillotel, Actes des ducs de Bretagne, op. cit., actes n° 57 et 65 et

Michel Brand’Honneur, Manoirs et châteaux dans le comté de Rennes, op. cit., p. 114.

entra en vassalité. Guillaume modifia d’ailleurs l’organisation de ce secteur durant cette période, le comté d’Avranches laissa place à celui de Mortain, le siège diocésain fut rétrogradé au rang de simple vicomté, dépendant de l’autorité de Robert, le demi-frère de Guillaume70. La famille de Fougères obtint des terres en Normandie dès cette époque71, nous y reviendrons. Si nous prenons en compte le fait que la grand-mère de l’épouse de Main II descendait des ducs normands, on constate que les liens devenaient de plus en plus forts. On ne peut donc plus accepter l’hypothèse du siècle précédent affirmant que le lignage fougerais était un rempart breton et de « pur sang breton72 » contre les menaces extérieures.

Bayeux, Hastings et Fougères : des rendez-vous manqués ?. – Si au

cours de la décennie 1050, Main II de Fougères se tourna vers la Normandie, comment évoluèrent les relations par la suite ?

En 1064, Guillaume mena une expédition en Bretagne, à la demande de Rivallon de Combourg73. La Tapisserie de Bayeux en montre les principales étapes avec les prises de Dol-de-Bretagne et Dinan74, le siège de Rennes apparaît moins clair. Tout le nord-est du Rennais fut affecté. Quelle fut la position de Main II ? Son absence de la célèbre broderie invite à envisager différentes !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

70. Claude Groud-Cordray et David Nicolas-Méry, Des comtes aux vicomtes d’Avranches et comtes de Mortain, du début du XIe siècle à 1066, Revue de l’Avranchin et du Pays de Granville (désormais : R.A.), t. 84, fasc. 413, 2007, p. 359-374.

71. Lucien Musset, Aux origines de la féodalité normande : l’installation par les ducs de leurs vassaux normands et bretons dans le comté d’Avranches, dans Revue historique de droit français et étranger, t. 29, 1951, p. 150 et id., L’aristocratie normande au XIe siècle, dans Philippe Contamine, dir. La noblesse au Moyen Âge, XIe-XVe siècles. Essais à la mémoire de Robert Boutruche (Paris, PUF, 1976), p. 71-96.

72. Arthur Le Moyne de La Borderie, Histoire de Bretagne, op. cit., t. 3, p. 51. 73. F. Neveux, L’expédition de Guillaume le Bâtard, art. cit. 74. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

pistes : fut-il du parti adverse et soutint-il Conan contre Guil-laume75 ? Ou bien opta-t-il pour la neutralité du fait de la possession de terres à cheval de part et d’autre d’une frontière décidément bien poreuse ? N’a-t-il eu qu’un rôle modeste, voire insignifiant, qui expliquerait ce premier rendez-vous manqué et le silence de la Tapisserie et des autres sources ?

Après cette expédition bretonne, les troupes de Guillaume conquièrent l’Angleterre. Main II a-t-il participé à la bataille de Hastings en 106676 ? C’est l’opinion des historiens fougerais77 qui peuvent s’appuyer sur plusieurs indices. Il est vrai – et nous avons précédemment vu – que les relations entre le duc de Nor-mandie et le seigneur de Fougères sont antérieures à cette célèbre bataille. Wace dans le Roman de Rou, rédigé au début de la seconde moitié du XIIe siècle citait le lignage de Fougères parmi ceux qui avaient reçus des récompenses de leur participation à Hastings :

Grant pris en out cil de Felgieres, Ki de Bretaigne out gent mult fieres78.

Certains chercheurs ont aussi accrédité cette idée, ainsi Léo-

pold Delisle a donné une liste où l’on trouve Guillaume de Fou-gères et Raoul de Fougères79, il s’est pour cela appuyé sur des chartes anglaises et normandes, ainsi que sur le Domesday Book, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

75. Option proposée par Augustin Dupaz dans une histoire manuscrite des seigneurs de la maison de Fougères, citée dans Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, op. cit., t. 2, p. 132-133.

76. David C. Douglas, Companions of the Conqueror, dans History, t. 28, 1943, p. 129-147.

77. Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, op. cit., t. 2, p. 134-135.

78. Robert Wace, Le Roman de Rou et des ducs de Normandie, Frédéric Pluquet éd. (Rouen, 1827), t 2, p. 231-232 (vers 13 496-13 497).

79. Léopold Delisle, Liste des compagnons de Guillaume-le-Conquérant à la conquête de l'Angleterre, en 1066, dans Bulletin monumental, 1862, p. 474-480, à la p. 476 et p. 478.

où apparaissent bien Guillaume et Raoul. Mais le lignage de Fougères ne propose aucun Guillaume ; quant à Raoul il ne peut être question du seigneur bien trop jeune en 1066 et connu plus tard sous le nom de Raoul Ier. Enfin le Domesday Book, que l’on peut traduire par Livre du Jugement dernier, a été rédigé en 1086, soit une vingtaine d’années après la conquête, les personnes y figurant eurent de multiples occasions de se voir gratifier d’un domaine, d’un manoir et de terres outre-Manche80. Ces deux compagnons du Conquérant n’ont peut-être aucun lien avec la famille de Fougères81. En l’absence de preuves, les historiens s’accordent aujourd’hui à penser que Main ne figurait pas aux côtés du Conquérant durant la bataille. Comment expliquer ce second rendez-vous manqué ?

Les textes de l’époque permettent d’expliquer l’absence des seigneurs de Fougères dans les sources lors des célèbres évènements des années 1064-1066. L’un des derniers textes où apparaît clairement Main II fut passé en Normandie, vers 1060, puis plus rien. Les rares actes de l’époque, également des années 1060, citent expéditivement Juhel, son fils et successeur, qui disparut lui aussi prématurément. Si les seigneurs de Fougères ne participèrent pas à l’expédition de Guillaume en Bretagne (1064), ni à la conquête de l’Angleterre et la bataille d’Hastings (1066), c’est peut-être tout simplement parce qu’ils n’en étaient pas capables. Main II était probablement mort, ses fils, Juhel et Raoul Ier, étaient jeunes, voire mineurs. Ce qui n’empêcha pas le lignage de poursuivre et d’approfondir ses liens avec la Normandie.

De la même manière, dix ans après Hastings, Guillaume le Conquérant mena une nouvelle expédition en direction de la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

80. Michael Jones, Notes sur quelques familles bretonnes en Angleterre, dans M.S.H.A.B., t. 58, 1981, p. 73-97, à la p. 79.

81. Katherine Keats-Rohan, Le rôle des Bretons dans la politique de colonisation normande de l’Angleterre (vers 1042-1135), dans M.S.H.A.B., t. 74, 1996, p. 181-215, à la p. 186, n. 21.

Bretagne. Ranulf, seigneur de Gaël, Montfort et Montauban82, et richement possessionné en Angleterre, participa à la révolte des earls (soit les comtes) en 1075 contre Guillaume83. Mais Ranulf fut contraint de se retirer en Bretagne, où il organisa une coalition en prévision de l’offensive du duc-roi. En 1076, Ranulf s’empara de Dol, Guillaume vint l’assiéger mais échoua face à une coalition comprenant le comte d’Anjou et le roi de France84. Une nouvelle fois, on ignore la politique des seigneurs de Fougères, leur absence dans les textes est-elle imputable à des problèmes de sources ou plus probablement à la minorité de Raoul Ier ?

Fougères et son lignage ne pouvaient rester indifférents au

duc-roi passé à la postérité sous le nom de Guillaume le Conquérant. Main II de Fougères eut l’habilité d’accepter de graviter dans l’orbite du prince le plus puissant du nord de la France. Certains refusèrent, Main y fut probablement conduit par des liens du sang, bientôt renforcés par des liens féodo-vassaliques. Car dès le milieu du XIe siècle, le lignage de Fougères a des terres en Normandie, et ceci n’a rien à voir avec la conquête de l’Angleterre puisque celle-ci fut postérieure à l’entrée en vassalité de Main II. Tôt disparu, ce seigneur ne combattit pas à Hastings et le cœur de sa seigneurie, le château de Fougères, ne figure pas sur la Tapisserie de Bayeux alors que les autres places fortes du Rennais – Dol, Dinan et Rennes – y furent brodées. Ces absences ne signifient pas que Fougères tournait dorénavant le dos à la Normandie, au contraire, les décennies suivantes montrent un approfondissement des relations tissées au cours de cette première moitié de XIe siècle. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

82. André Chédeville et Noël-Yves Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit., p. 63.

83. Michel de Boüard, Guillaume le Conquérant, op. cit., p. 392 et suivantes ; Henri Suhamy, Guillaume le Conquérant, op. cit., p. 280 et suivantes.

84. François Neveux, Normandie et Bretagne, art. cit., p. 344-345.

Approfondissement des relations

avec les Normands (fin XIe-mi-XIIe siècle) À l’image de nombreux seigneurs bretons, ceux de Fougères

possédaient des terres de l’autre côté du Tronçon, et même au-delà, en Angleterre. Quand en furent-ils dotés ? Cette question n’est pas anecdotique puisque le lignage fougerais choisi au début du XIIe siècle de reposer en terre normande, à Savigny, où Raoul Ier fonda une abbaye avec l’accord du duc de Normandie d’alors, Henri Ier.

Les terres normandes et anglaises des seigneurs de Fougères (XIe-XIIe siècles)

La famille de Fougères apparaît vers 1060 en possession de

terres en Normandie, puis quelques temps plus tard, des seigneurs « de Fougères » sont cités dans le Domesday Book dont la rédaction a été ordonnée par Guillaume le Conquérant en 1086, preuve qu’ils ont des possessions outre-Manche. Si ces derniers n’appartenaient pas au lignage fougerais, au XIIe siècle, plusieurs textes indiquent que la famille a des biens en Angleterre. Nous allons tout d’abord tenter d’identifier et de cartographier les domaines normands de la famille de Fougères, puis nous ferons de même pour ses possessions anglaises, avant d’essayer d’expliquer l’origine, ou plutôt les origines, de ces terres.

Identification et localisation des terres normandes de la famille de

Fougères. – Les seigneurs de Fougères possédèrent de nombreux terres et droits en Normandie. Il est parfois difficile de savoir à quand remontent ces concessions et possessions, c’est pourquoi, dans un premier temps, nous avons opté pour une présentation

géographique, en commençant par l’Avranchin, puis en basculant vers le Mortainais. Puis pour chaque localité, nous avons tenté de retrouver les plus anciennes mentions qui faisaient état d’un lien avec le lignage fougerais. Avant de commencer l’énumération, il convient de souligner que dans la majorité des cas les biens cités le sont lors de donations ou, plus souvent encore, de confirmations de dons des seigneurs de Fougères à diverses abbayes. Dans ce dernier cas – celui des confirmations – il est parfois bien difficile de savoir qui fut le donateur originel et à quand remonte le don en lui-même. Nous prendrons un exemple pour illustrer cette difficulté.

Nous sommes en 1163, Raoul II, seigneur de Fougères, décida de partir en croisade en Terre sainte. L’abbaye Saint-Pierre de Rillé85, fondée par son père Henri86, obtint alors une longue charte de confirmation. L’acte peut être fastidieux à citer mais il a le mérite d’exposer comment on peut retrouver les liens entre des localités et des seigneurs ; bien que long, nous avons choisi de citer presque in extenso l’acte, nous reviendrons plus loin sur les localisations. Ainsi, pour se limiter à la Normandie, Raoul confirma au couvent fougerais87 :

« à Moidrey, la redîme du grenier seigneurial, la dîme du four, du tonlieu et du cens ; à Contillé [aux Courtils], la dîme du tonlieu et du cens, et toute la dîme, sauf sur le sel ; à Verdun, la redîme du grenier seigneurial, celle du cens et du tonlieu, et deux parts de la dîme des gerbes seigneuriales ; à Hudimesnil, la dîme du moulin et

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!85. Abbaye Saint-Pierre de Rillé : com. Fougères, dép. Ille-et-Vilaine, 86. Julien Bachelier, La fondation de l’abbaye Saint-Pierre de Rillé en 1143, dans

Jean-Paul Gallais, dir. Élévation. Patrimoine des hauteurs – Pays de Fougères et de Vitré (Fougères, 2009), p. 27-31.

87. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. L’acte est en partie publié dans Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires pour servir de preuves à l’histoire civile et ecclésiastique de Bretagne tirés des archives de cette province, de celles de France et d’Angleterre, des recueils de plusieurs scavants antiquaires (Paris, 1742-1746, 3 tomes), t. 1. col. 650-653.

celle sur tous les fiefs militaires, ainsi que la dîme des moulins, celle du grenier du seigneur, du tonlieu, du cens, la dîme des vaches et des brebis qui partaient en transhumance, ainsi que la dîme de tous les lieux qui appartenaient au seigneur. En Brécey, le seigneur de Fougères confirma la dîme du marché, du tonlieu et du cens, et la redîme du grenier du seigneur, ainsi que deux parts sur les gerbes du seigneur, la dîme des tonlieux et du cens, deux parts des terres avec les noms de leurs possesseurs. À La Mancellière[-sur-Vire], Raoul II confirma à Rillé la possession de la dîme du moulin, celle de tous les revenus et deux gerbes seigneuriales dans le même moulin, ainsi que le quartier de froment qui revenait à Gautier Serlant. À Romagny, les chanoines de Fougères avaient la dîme du moulin, la redîme de la grange seigneuriale, deux parts sur les dîmes des gerbes du seigneur, s’y ajoutaient les dîmes du tonlieu et du cens, ainsi que des parts de dîmes sur plusieurs terres, celle de Gosbert88, Jugul Nosti, Jean de Lande89, Flucheus90, Robert fils de Dodelin, Huelon des Monts, Alelin, la métairie de Richard fils de Melle. [Le seigneur de Fougères continua en citant] la dîme des gerbes de Cruso, qui fut à Main de Fougères. À Villechien, les chanoines possédaient la dîme de moitié du moulin, qui avait appartenu à Main. À Martigny, Rillé avait la dîme du moulin du seigneur Main, ainsi que la redîme de la grange seigneuriale. À Savigny, Raoul certifia que l’abbaye Saint-Pierre possédait la dîme du passage et du moulin d’en bas, la redîme des granges seigneuriales, celle du tonlieu et celle du cens. Enfin, dans toute la Normandie, les chanoines avaient droit à la dîme de revenus de tous les domaines des seigneurs de Fougères. [Suivent divers autres droits en Bretagne ou en Angleterre.] »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!88. Probablement le lieu-dit La Gesberdière en Romagny. 89. Il existe plusieurs toponymes en Lande en Romagny : La Lande Dorée et

La Lande Mariais. 90. Pour La Frèche ?

Fig. 2. Possessions normandes de la Maison de Fougères (fin XIe-XIIe siècle)

Une telle énumération montre la diversité des biens possédés par les seigneurs de Fougères et cédés par eux à Saint-Pierre de Rillé ; on devine dans certains cas l’origine de ces terres, nous y reviendrons. Le même type d’acte existe pour l’abbaye de Savigny, nous aurons l’occasion de le citer dans les pages qui suivent.

Venons-en aux divers biens des seigneurs de Fougères, d’abord dans l’Avranchin, puis le Mortainais :

" Hudimesnil91 apparaît vers 1100, lorsque Raoul Ier et son

épouse Avicie remirent à Marmoutier tout le manse d’Hudimesnil pour les mille sous qu’ils avaient reçus, ils devaient, de surcroît, trois mille sous à la suite d’un prêt pour la construction des églises de Fougères92. Puis, vers 1130, on constate qu’ils leur restaient des biens car moines et chanoines de Fougères percevaient deux gerbes sur les dîmes93. Puis les chanoines de Saint-Pierre de Fougères se virent confirmer, en 1163, la possession des dîmes de la paroisse94. D’après l’abbé Jean-Jacques Desroches, les biens possédés par la famille de Fougères en Hudimesnil remonteraient à l’époque de Guillaume le Conquérant95. En 1235, cette paroisse faisait partie des fiefs du comte de Mortain, Raoul III de Fougères (1212-1256) céda

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!91. Dép. Manche, cant. Bréhal. 92. Sed etiam tria milia solidorum quos in aecclesiae Filgeriensis aedificationibus

reddere promiserant (Arthur Le Moyne de La Borderie et Paul de Labigne-Villeneuve, éd. Documents inédits sur l’histoire de la Bretagne. Chartes du prieuré de la Sainte-Trinité de Fougères, dans Bulletin archéologique de l’Association bretonne, 3e volume, deuxième partie (deuxième livraison), 1851, acte n° 10.

93. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 70-71. Il s’agit certainement des moines du prieuré de la Sainte-Trinité, installés au pied du château, et des chanoines de l’église Sainte-Marie, sise dans la forteresse.

94. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 95. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires et généalogiques du

pays d’Avranches ou de la toute Basse-Normandie (Caen, A. Hardel, 1856), p. 118.

d’ailleurs ses droits à Guy de Mauvoisin après une querelle d’héritage96.

" en Chavoy97, Raoul II devait, en 1154, à l'abbé du Mont Saint-Michel le service d'un chevalier pour la moitié de Bouillon et de Chavoy. Ce chevalier devait lui être fourni par Bertrand de Verdun98.

" en Jullouville99, au lieu-dit Bouillon existait une ancienne paroisse, pour laquelle Raoul II devait le chevalier évoqué ci-dessus.

" le lieu-dit Verdun est fréquemment cité, mais il est tout aussi courant dans la toponymie de la Manche… ainsi retrouve-t-on ce nom en Saint-Martin-des-Champs, Boucey, Moidrey, Vessey et Saint-Quentin-sur-le-Homme100, qui a notre préférence. En effet, dans cet acte, Henri de Fougères, alors qui prenait l’habit de Savigny pour ses derniers jours101 « donna une terre avec ses dépendances, située entre la vigne du Champ-du-Bout, le vieil étang de Verdun, Croillé, et le chemin de Pontaubault102 et d’Avranches, ainsi qu’une autre terre appelée Verdun103 ». Les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

96. Léopold Delisle, éd. Cartulaire normand de Philippe-Auguste, Louis VIII, saint Louis et Philippe-le-Hardi, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. 16, 1852, acte n° 416, p. 67-68.

97. Dép. Manche, cant. Avranches. 98. Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 2, col. 619. 99. Dép. Manche, cant. Sartilly et Granville. 100. Saint-Martin-des-Champs, dép. Manche, cant. Avranches ; Boucey,

Moidrey et Vessey, dép. Manche, cant. Pontorson ; Saint-Quentin-sur-le-Homme, dép. Manche, cant. Ducey.

101. Tempore estivo [...] quando adjutorio gracie Dei factus sum monachus ejusdem loci (Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, dans Mémoires de la Société des Antiquaires de Normandie, t. 20, 1854, p. 252-278, aux p. 259-260.

102. Dép. Manche, cant. Avranches. 103. Que est inter vineam eorum de Campobotri et vetus stagnus de Verdum et

inter Groleium et viam de Ponte Albundi et de Abrincis [...] concessi etiam eis in Verdum totam terram cum pertinentiis suis » (Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 259-260).

différents indices toponymiques indiquent que nous serions effectivement en Saint-Quentin-sur-le-Homme. La seule route reliant Avranches à Pontaubault longe l’actuelle commune de Saint-Quentin, près de laquelle on trouve le lieu-dit Cromel qui peut être rapproché de Groleium dans le texte latin original. Verdun devait se situer dans ce secteur. Enfin, mais l’indice a une faible valeur, à proximité de ces lieux-dits se trouve le toponyme de Fougerolles, est-ce un lointain souvenir des seigneurs de Fougères ? On retrouve Verdun à de nombreuses reprises dans des actes fougerais. Vers 1177-1182, Raoul II confirma à Savigny que l’abbaye y avait reçu un don de son père Henri, mais on en ignore la nature104. Toutefois, on devine que la famille de Fougères avait des droits depuis au moins la première moitié du XIIe siècle. En 1163, Raoul II réaffirma divers dons, là aussi non précisés, que Savigny avait à Verdun, il cita notamment les marais et ajouta tout ce qu’il y possédait105. Lors d’une confirmation des possessions des moines normands par le pape Alexandre III, on apprend que ces derniers contrôlaient presque tout à l’exception d’un moulin106. Enfin, comme à Moidrey, Savigny n’était pas le seul établissement religieux richement doté par le lignage de Fougères : Rillé, la communauté canoniale fougeraise se vit confirmer en 1163 les dîmes de Verdun, excepté un moulin que sa mère, Olive, avait en douaire, puisqu’elle fut remariée à Guillaume de Saint-Jean107.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!104. Delisle, Léopold et Berger, Élie, éd., Recueil des actes de Henri II roi

d’Angleterre et duc de Normandie concernant les provinces françaises et les affaires de France (Paris, Imprimerie nationale, 1920), t. 2, actes n° 591 et 592.

105. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F1626 (original) ; Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 137 et 137-138.

106. Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 260 ; id., Annales civiles et militaires, op. cit., p. 125.

107. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 137-138.

" aux Courtils108, les chanoines de la Lucerne, abbaye fondée par Hasculf de Subligny en 1143109, obtinrent en 1163 de Raoul II la dîme de son sel dans la paroisse de Courtils110, don rappelé en 1186 par une bulle pancarte du pape Urbain III111. La même année, le seigneur octroya à Rillé les dîmes de la paroisse112. Ce fut probablement le point de départ d’un conflit, qui se déroula entre la fin du XIIe siècle et le début du siècle suivant, avec le chapitre d’Avranches à propos justement de l’église des Courtils. Les parties s’accordèrent pour se partager le patronage de l’église et les dîmes de toute la paroisse, mais les religieux de Fougères conservèrent la dîme des deniers du seigneur de Fougères et trois acres et une vergée de terre de l’aumône de Hamon de Courtils, sur laquelle, cependant ils s’obligèrent de payer au chapitre cinq sous de rente113. On devine ici les tensions qui se font jour au cours du XIIe siècle avec la délimitation de plus en plus stricte du maillage paroissial, les autorités séculières voulant récupérer les droits ecclésiastiques qu’elles estimaient relever du diocèse. Comme l’illustre cet exemple, la négociation l’emporta le plus souvent.

" en Carnet114, au lieu-dit Montdenier la première mention remonte à 1163. À cette date, Raoul II confirma divers dons,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!108. Dép. Manche, cant. Ducey. 109. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 320-321. 110. Decimam salis mei de Cultilies canonicis de Lucerna qui me in sua

fraternitate susceperunt (Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 125).

111. Apud Cortis decimam salis totius reditus Radulphi de Fulgeriis de dono ejusdem (ibid., p. 125 et 178-179).

112. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 113. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 185. 114. Dép. Manche, cant. Saint-James.

notamment des bois, terres, prés et cours d’eau, ainsi que les huit jugères de terre cédées par Hugues du Rocher115.

" en Pontorson, localité limitrophe entre la Bretagne et la Normandie et emblématique des tensions frontalières, les seigneurs de Fougères possédaient de nombreux droits, particulièrement au lieu-dit Moidrey, ancienne paroisse. Plusieurs abbayes y reçurent des biens, comme si la propriété ecclésiastique permettait de soustraire ces terres aux tensions séculières. Quitte à voir ces terres disputées, autant les donner aux moines. La première mention de Moidrey remonte à 1154, Raoul II devait le tiers du service d’un chevalier pour cette terre116. En 1162, le même seigneur confirma – ce qui sous-entend un don précédent – à l’abbaye de Savigny le don de l’église de Moidrey et de ses dîmes117. L’année suivante, un acte nous apprend que ce même seigneur devait le tiers d’un chevalier au Mont Saint-Michel pour ce qu’il possédait en Moidrey et il confirma à Savigny les dîmes et le droit de présentation des chapelains118. L’acte fut répété vers 1180, cette fois-ci, le texte précise que les religieux de Savigny avaient, outre l’église et des droits ecclésiastiques, la possession des marais. Néanmoins une partie des dîmes devait revenir aux religieuses de Rennes119. Un autre document, passé sous l’autorité d’Henri II Plantagenêt, montre Raoul II céder une place (placia) et un jardin dans lequel les moines de Savigny pourront construire une grange120. Enfin, le pape Alexandre III (1159-1181), à la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!115. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 ; Claude Auvry (dom), Histoire de la

congrégation de Savigny, op. cit., fol. 136-137. On notera qu’il existe toujours un lieu-dit La Roche, près de Montdenier.

116. Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 2, col. 619. 117. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 123. 118. Ibid., p. 164, n. 2. 119. Recueil des actes de Henri II, op. cit., t. 2, acte n° 591. Ces religieuses

rennaises sont celles de l’abbaye Saint-Georges. 120. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F1626 (original) ; ; Claude Auvry (dom),

Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 137 137-138 ; Jean-Jacques

demande des moines dressa une liste de leurs biens, parmi lesquels ceux de Moidrey figurent en bonne place121. La dernière abbaye à posséder des biens en cette localité fut celle de Saint-Pierre de Rillé. En 1163, Raoul II confirma aux chanoines les dîmes qui leur revenaient122.

" à la limite de l’Avranchin et du Mortainais : Brécey123. La plus ancienne mention remonte à 1163, Raoul II, seigneur de Fougères (1150-c. 1194-1195) confirma à l’abbaye Saint-Pierre de Rillé les dîmes de la paroisse124. Un peu plus tard, l’évêque d’Avranches, Guillaume, rapporta une contestation qu’il y eut entre les moines de Savigny et Léon de Fougères, dominus, son fils Juhel, et son petit-fils, Léon, à propos de l’église de Brécey125. Ce lignage, bien qu’il portait parfois le toponyme de Fougères, n’était pas membre de la famille seigneuriale, il était possessionné surtout en Poilley126. Les abbayes de Rillé et Savigny reçurent fréquemment des biens dans les mêmes paroisses normandes ; dans le cas présent, Rillé possédait les dîmes depuis un certain temps, malheureusement impossible à évaluer, puisque Raoul II confirma un don précédent de lui-même ou de ses ancêtres.

" en Martigny127, les chanoines de Rillé avaient la dîme du moulin du seigneur Main, soit Main II de Fougères, ainsi que la redîme de la grange seigneuriale128.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 260.

121. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 125. 122. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 123. Dép. Manche, ch.-l. cant. 124. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 125. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 161. Acte passé sous l’autorité de Guillaume de Fougères, tuteur de Geoffroy, son neveu, seigneur de Fougères.

126. M. Brand’Honneur, Manoirs et châteaux, op. cit., p. 283. Poilley, dép. Manche, cant. Ducey.

127. Dép. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët.

" à Mortain129, lors de la fondation de la collégiale en 1082 par Robert, comte de Mortain et Mathilde son épouse, Raoul Ier de Fougères est cité. Guillaume le Conquérant donna son accord et le seigneur fougerais octroya un domaine non loin de Mortain, malheureusement non précisé130. En 1092, Raoul Ier fit des dons à Marmoutier, notamment divers droits dispersés en Bretagne et Normandie, là aussi non précisés. L’acte est confirmé par le comte de Mortain pour les biens donnés depuis Main II en Nor-mandie131.

" la famille de Fougères avait encore des biens dans le Val de Mortain, au moins depuis la seconde moitié du XIIe siècle, malheureusement non précisés. Ainsi Geoffroy de Fougères donna à sa sœur, Clémence, toutes les propriétés du Val de Mor-tain lors de son mariage avec Ranulf de Chester. Le texte souligne que le même domaine avait auparavant servi de dot pour le pre-mier mariage de Clémence de Fougères avec Alain de Dinan. Plus tôt encore, Olive, mère de Raoul II, l’avait déjà obtenu en dot pour son remariage, vers 1163, avec Guillaume de Saint-Jean, après des premières noces avec Henri de Fougères132. En 1198, les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

128. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. Saint-Pierre de Rillé fondera un prieuré-cure à Martigny.

129. Dép. Manche, ch.-l. cant. 130. Jacques Boussard, Le comté de Mortain, art. cit., p. 258-268 (vidimus de

1333) : Raoul de Fougères apparaît p. 263, voir une édition plus récente dans David Bates, éd. Regesta regum Anglo-Normannorum : the Acta of William I, 1066-1087 (Oxford, Clarendon Press, 1998), p. 682 : Hugo quoque de Diva dedit in eandem prebendam terram Pislonis a Canciolo de sub Rupe Hermenfredi per Montem Acutum usque ad terram Osberni Rufi, comitis assensu et Radulphi Filgeriarum a quo ipse tenebat. On soulignera simplement qu’il existe un lieu-dit appelé Pislon en Romagny, à l’ouest de Mortain.

131. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l’abbaye de Marmoutier concernant le prieuré de la Trinité de Fougères, XIe-XIIe siècles : édition et traduction, dans A.B.P.O., t. 113-3, 2006, p. 137-165, acte n° 3.

132. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 et Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 170 : totam terram quam antecessores mei possidebant in valle Moritonii ». Le fait que ces biens mortainais soient cédés en dot peut constituer

Rôles de l’Échiquier mentionne la somme de quarante livres que devait Raoul de Fougères dans le Val de Mortain, son frère, Guillaume était engagé à hauteur de 100 sous comme plège (caution) pour Raoul de Montfort et de quarante sous pour Robert Le Bouteiller133.

" en Virey134, mais le texte est moins clair, la famille de Fougères paraît avoir une certaine autorité. En 1130, Henri Ier, roi d’Angleterre, confirma la fondation du prieuré de Virey par les membres de la famille de ce lieu. Or les dons furent faits pour le salut des âmes du comte de Mortain, mais aussi d’Henri de Fougères, qui apposa, comme le roi d’ailleurs, son signum, sorte de signature135.

" Lapenty136 apparaît relativement tôt par rapport aux autres paroisses. Ainsi vers 1150, Henri de Fougères, dominus (seigneur), pour le salut de son âme, celle de son épouse, de ses ancêtres et de tous les chrétiens, donna divers biens à l’abbaye de Savigny, dont l’église de Lapenty avec son cimetière ainsi que des moulins137. La formulation laisse penser que le cimetière était habité, c’est là un fait presque classique en France, on en trouve des exemples en Normandie, Bretagne, mais aussi des régions plus méridionales138. L’aître offrait la protection de l’Église. En

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!un élément de compréhension, car bien souvent les dots étaient faites de terres excentrées ; dès lors, nous aurions ici une partie des possessions les plus éloignées des seigneurs de Fougères.

133. Ibid., p. 217 et suivantes. 134. Dép. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët. 135. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 70-71. 136. Dép. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët. 137. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 116-117. 138. Pour le cadre général, voir : Pierre Duparc, Le cimetière séjour des

vivants (XIe-XIIe siècle), dans Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1610) du comité des travaux historiques et scientifiques, actes du 89e Congrès national des Sociétés Savantes tenu à Lyon (1964), 1967, p. 483-504 ainsi que Michel Lauwers,

1150, Henri confirma à Savigny la donation faite par Raoul Ier, son père, du patronage de l’église de Lapenty avec les dîmes de la paroisse139, il semble qu’il s’agisse d’une confirmation d’un don fait par Robert de Lapenty, et dans cet acte Henri est qualifié de dominio suo, ce qui indique son autorité sur Robert et la paroisse140.

" aux Loges-Marchis141, en 1136, Henri de Fougères confirma le don du fief de La Boulouze, fait à Savigny142. On notera que l’abbaye Saint-Pierre de Rillé possédait un prieuré-cure aux Loges-Marchis, qui fut auparavant à Savigny143.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Naissance du cimetière. Lieux sacrés et terre des morts dans l’Occident médiéval (Paris, Aubier, 2005) ; pour la Normandie : Lucien Musset, Cimiterium ad refugium tantum vivorum non ad sepulturam mortuorum, dans Revue du Moyen Âge latin, t. 4, 1948, p. 56-60 ; pour la Bretagne : Hubert Guillotel, Du rôle du cimetière en Bretagne dans le renouveau du Xe et de la première moitié du XIe siècle, dans M.S.H.A.B., t. 52, 1972-1974, p. 5-26 ; pour le Roussillon : Aymat Catafau, Les celleres et la naissance du village en Roussillon (Xe-XVe siècles) (Canet, Presses Universitaires de Perpignan, 1997) ; pour la Catalogne : Pierre Bonnassie, Les sagreges catalanes : la concentration de l’habitat dans le ‘cercle de paix’ des églises (XIe s.), dans Michel Fixot et Élisabeth Zadora-Rio, dir. L’environnement des églises et la topographie religieuse des campagnes médiévales. Actes du IIIe congrès international d’archéologie médiévale (Aix-en-Provence, 28-30 sept. 1989) (Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme, 1994 ; DAF n° 46), p. 68-79.

139. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 121. 140. Ibid., p. 125. 141. Dép. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët. 142. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 75-76. Dom Claude Auvry estimait qu’il s’agissait d’un don localisé près de Rennes, en Parigné (dép. Ille-et-Vilaine, cant. Fougères-Nord), mais en fait les deux localités sont éloignées l’une de l’autre. La copie ne correspond pas tout à fait à la traduction de dom Auvry, il doit y avoir une autre version, puisqu’il parle de limites non citées dans sa version. Toutefois, il existe un lieu-dit La Boulouze aux Loges-Marchis.

143. Auguste François Lecanu, Histoire du diocèse de Coutances et Avranches (Coutances, Salettes, 1878), t. 2, p. 375.

" en Villechien144, les chanoines de Saint-Pierre de Rillé possédaient la dîme de moitié du moulin, qui avait appartenu à Main II145.

" en Moulines146, peu de temps avant de mourir en 1150 Henri de Fougères confirma à Savigny le don de Guillaume de Virey et de son épouse, Isabelle, de l’église de la paroisse147. Le don est confirmé en 1162 par Raoul II, soulignant que les dîmes étaient incluses148. En 1177-1182, sous l’autorité d’Henri II Plantagenêt, Raoul confirma un don de son père, malheureusement non précisé149.

" en Romagny150, aux portes de Mortain, la famille de Fougères contrôlait l’église et la chapelle Saint-Jean. Elles apparaissent vers 1150 et Henri précisa que son père, Raoul Ier, sous l’autorité du roi d’Angleterre, Henri Ier, les avait concédées à Savigny151. Puis Raoul II répéta le geste, cette fois-ci sous l’autorité d’un autre roi d’Angleterre, Henri II152. La famille de Fougères avait donc des biens en Romagny au moins depuis la première moitié du XIIe siècle, sous Henri de Fougères (vers 1120-1150), voire même avant avec Raoul Ier.

" en Savigny, Raoul Ier, a fondé l’abbaye vers 1112-1113, preuve qu’il contrôlait la paroisse, nous y reviendrons. Mais dès les années 1050-1060, la famille de Fougères possédait des biens en cette paroisse, Main II y fit divers dons en faveur de l’abbaye !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

144. Dép. Manche, cant. Mortain. 145. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 146. Dp. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët. 147. Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de

l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 259-260. 148. Id., Annales civiles et militaires, op. cit., p. 124. 149. Recueil des actes de Henri II, op. cit., actes n° 591 et 592. 150. Dép.Manche, cant. Mortain. 151. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 116-117 ; Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 259-260.

152. Recueil des actes de Henri II, op. cit., actes n° 591 et 592.

de Marmoutier, alors très liée aux seigneurs153. On retrouve ensuite de fréquentes mentions, comme en 1162, où une jeune femme, fille de Rual Bastard et veuve de Turgis de Ferrières, décida de devenir religieuse à Mortain et remit tout ce qu’elle possédait à Savigny à l’abbaye, notamment les dîmes. Raoul II donna son accord en tant que seigneur de cette terre154. Vers 1177-1182, la forêt de Savigny est citée mais dans un passage suspecté par Léopold Delisle155.

" au Teilleul156, le lieu-dit du Bois ou Sainte-Marie du Bois157 (Busco ou Busch), dans la bailli de Mortain, fut un temps à Guillaume de Fougères qui la tenait du roi158 (Rôles de 1203).

" La Mancellière-sur-Vire159, possession excentrée, est citée en 1163, lors d’une confirmation de don par Raoul II à Saint-Pierre de Rillé. Le seigneur de Fougères avait auparavant cédé à Rillé des droits sur la dîme du moulin, sur celle de tous les revenus et deux gerbes seigneuriales dans le même moulin, ainsi que le quartier de froment qui revenait à Gautier Serlant160.

Des érudits du XIXe siècle, bretons et normands, ont avancé d’autres noms161, comme Le Mesnil-Tôve, Cretteville, Égoville et !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

153. Recueil des actes des ducs de Normandie, op. cit., n° 162. 154. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 110 et 135. 155. Recueil des actes de Henri II, op. cit., acte n° 592. 156. Dép. Manche, ch.-l. cant. 157. Dép. Manche, cant. Le Teilleul (le lieudit est devenu par la suite

commune). 158. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 217 et

suivantes. 159. Dép. Manche, cant. Canisy. 160. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 161. Notamment : Amédée Bertin et Léon Maupillé, Notice historique et

statistique sur la baronnie, la ville et l’arrondissement de Fougères (Rennes, A. Marteville et Lefas, 1846 ; rééd. Bruxelles, Éditions. Culture et civilisation, 1987), p. 24, n. 1 ; Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, op. cit., t. 2, p. 134 et Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 69.

Gatigny162, mais sans justification. La commune des Loges est parfois évoquée, mais est-ce pour Les Loges-sur-Brecey ou -Marchis. Enfin, des vassaux des seigneurs de Fougères détenaient des terres également en Normandie, comme Léon de Poilley en Brécey163. À toutes ses possessions on peut ajouter l’autorité sur plusieurs familles de vassaux normands, tous possessionnés dans le sud du Mortainais, les familles Bastard, Lapenty, Saint-Brice-de-Landelles, Savigny et Serlant164.

De nombreux droits, terres et biens se devinent ; la très

grande majorité nous est connue lors de donations ou de confirmations à des établissements religieux, proches de la famille de Fougères, un peu dans les actes de Marmoutier et du Mont Saint-Michel, mais surtout dans ceux de Saint-Pierre de Rillé et de Savigny. On notera également une assez grande dispersion, on perçoit ici une politique suivie par les princes normands depuis Guillaume le Conquérant, éviter la concession de terres en un seul point, empêcher la constitution de vastes seigneuries, particulièrement en périphérie. Cette politique de dons de terres dispersées fut aussi de mise outre-Manche.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!162. Le Mesnil-Tôve, dép. Manche, cant. Juvigny-le-Tertre ; Cretteville,

dép. Manche, cant. La Haye-du-Puits ; Égoville, com. Isigny-sur-Mer ? (dép. Calvados, ch.-l. cant.), Gatigny, com. Saint-Pair-sur-Mer ? (dép. Manche, cant. Granville).

163. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 51-53 et 276. La famille normande de Saint-Brice et celle de Léon de Fougères étaient liées par mariage : Guillaume de Saint-Brice, le frère aîné de Ranulf de Virey, avait épousé Théophania, fille de Guerrehes et nièce de Léon de Fougères.

164. Jean Pouëssel, Les structures militaires du comté de Mortain (XIe et XIIe siècles), dans R.A., t. 58, fasc. 306, 1981, p. 11-74, et fasc. 307, p. 81-156, aux p. 87-93.

Des terres outre-Manche. – Pour retrouver les domaines anglais de la famille de Fougères, on s’expose à plusieurs difficultés. Tout d’abord l’éloignement par rapport aux sources : si certaines terres d’outre-Manche sont citées dans les actes concernant la famille de Fougères, les pièces sont conservées dans l’Ouest ou à Paris, mais il existe aussi des documents anglais que nous n’avons pu consulter. Encore plus que dans le cas normand, il y a des lacunes sur les possessions anglaises du lignage de Fougères. Outre cet éloignement par rapport aux originaux, il faut également souligner que certains auteurs ont mentionné des terres ou des droits, mais sans faire de référence à une quelconque source ce qui pose un problème sur l’authenticité de leurs écrits ; d’autres se sont contentés de recopier des listes prises ici et là, chez des érudits ou des chercheurs, les mêmes que les précédents. De plus, certains textes qui nous ont été accessibles évoquent seulement une région et pas une localité précise. Néanmoins, quelques donations et confirmations faites aux établissements religieux normands et bretons permettent de compléter certaines informations.

L’une des sources essentielle reste le Domesday Book, ouvrage dont la rédaction a été ordonnée par Guillaume le Conquérant durant l’hiver 1085-1086. Face à une menace danoise, le roi d’Angleterre exigea un serment de tous ses sujets et ordonna une enquête village par village. Guillaume voulait savoir l’étendue des surfaces cultivées, celle des bois, des prés et pâtures, mais aussi le nombre d’habitants et leur statut… Ce recensement permet de connaître les types de biens possédés par les seigneurs outre-Manche (types de terres, outils, hommes….). La documen-tation est donc moins nombreuse que dans la situation nor-mande, mais elle est surtout plus variée. Les fonds ecclésiastiques font référence à des biens religieux, tandis que le Domesday cite les biens séculiers. L’inventaire qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité, d’autant plus que les identifications ne sont pas

toujours certaines165, mais nous avons tenté de repérer les principales localités où les seigneurs de Fougères avaient des possessions. Les principaux domaines se localisaient166 :

" dans le Surrey167 à Headley, Raoul Ier de Fougères possédait, d’après le Domesday Book, des terres mises en culture dans la centaine168 de Copthorne, où il détenait une seigneurie, comprenant une charrue et peuplée d’une quinzaine de foyers (villageois, petits propriétaires et serfs169). Il avait aussi des droits sur un bois dans lesquels erraient quinze cochons170. Dans le même comté du Surrey, le seigneur de Fougères semble avoir reçu des biens dans la centaine de Wotton, dans le village de Westcott, où vivait une vingtaine de foyers, dotés de sept charrues. À cela s’ajoute un moulin, deux acres et demie de prés et un bois où étaient élevés trente porcs171.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!165. Certains chercheurs ont parfois proposé Feugères à la place de Fougères. 166. Voir une première présentation dans Julien Bachelier, Raoul II fut-il un

grand seigneur ?, dans Le Pays de Fougères, n° 146, novembre 2007, p. 3-7, carte p. 6 dressée notamment à partir de Katherine Keats-Rohan, Le rôle des Bretons, art. cit., p. 186, n. 21, et de Michael Jones qui y ajoute le Surrey (Notes sur quelques familles bretonnes, art. cit., p. 78).

167. Edward Wedlake Bradley, A topographical History of Surrey (Londres, Virtue and Co, 1841), p. 38. Sur la centaine de Copthorne, voir p. 250 et sur celle de Wotton, p. 248-256.

168. La centaine est une subdivision du comté en Angleterre, elle peut regrouper plusieurs villages (Katherine Keats-Rohan et David E. Thornton, Domesday Book, an Index of latin personal and places names in Domesday Book [Woodbridge, The Boydell Press, 1997], p. 155).

169. Dans le Domesday Book, le terme de servi, traduit littéralement par esclave, semble refléter diverses situations, néanmoins, le sens le plus proche serait celui de serfs, serviteurs attachés à la terre.

170. John Morris, éd. Domesday Book : Surrey (Chichester, Phillimore, 1975), p. 32.

171. Ibid.

Figure 3. Possessions anglaises de la Maison de Fougères (fin XIe-XIIe siècle)

" dans le Berkshire : dans la centaine de Kintbury, près d’In-glewood, dans le village d’Inkpen172, Raoul Ier possédait deux acres et demie de terres, quatre villageois et une charrue173.

" dans le comté du Devon : au sein de la centaine de Kers-well, au village d’Ipplepen, tenu directement du roi, le seigneur de Fougères avait un domaine déjà important comprenant plus d’une cinquantaine de foyers et une vingtaine de charrues. À cela s’ajoutent des terres tout autour : trente acres de prairies, une di-zaine de pâturage et un bois d’une demi-lieue. En 1086, l’élevage était relativement étendu avec cinq bovins, cinq porcs et surtout près de 250 moutons174. Il semble aussi avoir reçu des biens à Galmpton, où il aurait une seigneurie comprenant une demi-douzaine de charrues, deux esclaves et un village composé d’une quinzaine de foyers. Les terres étaient composées d’une acre de pré, de quatre acres de prairies et d’un bois relativement étendu où pouvaient être élevés deux porcs et une centaine de moutons. Ces deux manoirs étaient estimés à trente livres175. À Ipplepen, le seigneur de Fougères avait fait un don en faveur de la chapelle castrale Sainte-Marie. On en trouve trace quelques années plus tard sous la forme d’un prieuré dépendant de l’abbaye Saint-Pierre de Rillé176. D’ailleurs les chanoines de Rillé avaient reçus

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!172. Robin Fleming, Domesday Book and the Law : Society and Legal Custom in

Early Medieval England, (Cambridge, Cambridge University Press, 1998 ; rééd. 2003), p. 104.

173. John Morris, éd. Domesday Book : Berkshire (Chichester, Phillimore, 1979), p. 65 et 70.

174. John Morris, éd. Domesday Book : Devon (Chichester, Phillimore, 1992), p. 65.

175. The Devonshire association for the advancement of science, litterature, and art, éd. The Devonshire Domesday and Geld Inquest (Plymouth, W. brendon and Son, 1884-1892), t. 2, p. 908-909.

176. Les chanoines de Rillé formaient une première communauté canoniale dans le château, au service de la famille seigneuriale.

d’un seigneur de Fougères, la dîme de tous les revenus d’Ipplepen et de Galmpton177.

" dans le Buckinghamshire, Raoul de Fougères tenait, dans la centaine de Mow, le manoir de Twyford178, dont nous aurons l’occasion de reparler lors des affrontements entre Henri II Plan-tagenêt et Raoul II au cours des années 1166-1173. Là aussi l’agri-culture dominait largement : sur ces terres relativement étendues, le seigneur pouvait compter sur l’action de dix-huit charrues et d’un village comprenant plus de vingt foyers. L’élevage était pratiqué dans les bois où est mentionnée une centaine de porcs179. Dans le même secteur, Raoul possédait aussi le manoir de Charndon. Ce village d’agriculteurs était peuplé d’une vingtaine de foyers et équipé d’une dizaine de charrues.

" dans le comté du Norfolk, les terres étaient plus modestes. À Osmondiston180, se trouvait un petit village comprenant de mo-destes propriétaires et deux esclaves. La céréaliculture était pra-tiquée grâce à deux charrues et l’élevage comptait un cheval, deux bovins et dix porcs. Les prés couvraient quatre acres181. Les chanoines de Rillé avaient reçus en aumône la dîme de tous les revenus d’Osmondiston et ceci leur fut confirmé par Raoul II182.

" dans le comté du Suffolk, Raoul aurait possédé, dans la centaine de Hartismere, la localité de Stuston, où vivaient une douzaine de foyers paysans. Une nouvelle fois on notera la mention d’une charrue et celle d’une activité d’élevage porcin, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

177. Confirmation de Raoul II, voir : B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233. 178. Thomas Stapleton, éd. Magni Rotuli Scaccarii Normanniae sub Regibus

Angliae (Londres, Sumptibus Soc. Antiq. Londinensis, 1844), t. 2, p. 248 et plus récemment : Nicholas Vincent, Twyford under the Bretons, 1066-1250, dans Nottingham Medieval Studies, t. 41, 1991, p. 80-99.

179. John Morris, éd. Domesday Book : Buckinghamshire (Chichester, Phillimore, 1978), p. 35.

180. Robin Fleming, Domesday Book and the Law, op. cit., p. 375. 181. Philippa Brown et J. Morris, éd. Domesday Book : Norfolk (Chichester,

Phillimore, 1984), p. XIII. 182. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233.

relativement modeste, avec cinq cochons. Dans la même centaine, le seigneur de Fougères avait aussi des revenus sur le lieu-dit de Thrandeston comprenant six acres183.

La liste des terres et autres revenus tenus en 1086 outre-Man-che semble se limiter à cette liste. Mais les seigneurs de Fougères possédèrent d’autres biens. Ainsi, dans la ville de Winchester184, le seigneur de Fougères possédait une maison qui, auparavant, avait appartenu, durant le règne d’Édouard le Confesseur, à God-run Litteprot, puis vers 1110 Raoul de Fougères en fut investi. La demeure était alors occupée par quatre hommes qui fournissaient une rente de vingt-neuf sous185.

La plupart des autres biens tenus en Angleterre nous est con-nue par des donations à des établissements religieux bretons ou normands. Au milieu du XIIe siècle, Raoul II confirma à Savigny la dîme du manoir de Long-Bennington, dans le Lincolnshire186. Un manoir pouvait tout aussi bien s’étendre sur une partie d’un terroir villageois que sur plusieurs villages, dans le cas actuel on n’en sait pas plus. Cette localité, bien que modeste apparaît à de nombreuses reprises dans la documentation. Une nouvelle con-firmation est faite en 1163, à la veille d’un départ en croisade187. Vers 1166, le cousin de Raoul II qui n’était autre que le duc de Bretagne Conan IV, confirma ce don et souligna à cette occasion que l’église de Long-Bennington appartenait à la famille de Fou-!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

183. John Morris, éd. Domesday Book : Suffolk (Chichester, Phillimore, 1992), p. 208.

184. Angleterre, co. Hampshire. 185. Puis entre 1150 et 1194, le petit-fils de Raoul, Raoul II, accorda la terre

à Hamon Boterel, ce qui fut confirmé par Henri II. Entre 1168 et 1173, Hamon céda ce bien à l’abbaye de Missenden (Angleterre, co. Buckingamshire), Raoul y fut favorable, comme le suggère un document des années 1168-76. L’abbaye devant annuellement verser une rente en vin et une dîme sur la rente aux chanoines de Fougères (Derek Keene, Survey of medieval Winchester [Oxford, Clarendon Press, 1985), t. 2, p. 515, n° 91.

186. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 235. 187. Belintone dans Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F1626.

gères grâce à Olive, la mère de Raoul II, membre de la famille ducale188. D’ailleurs Olive rappela son don, en 1173, lors de son remariage avec Guillaume de Saint-Jean189. Et, vers 1183, Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, confirma lui-même, l’aumône faite par la famille de Fougères de l’église du lieu190. Ce manoir, fré-quemment cité, n’était pas seulement un appendice éloigné des terres de Fougères, les seigneurs y prêtèrent attention. Ainsi, en 1201, Guillaume, frère de Raoul II et tuteur de Geoffroy, se rendit sur place et donna à l’abbaye une rente annuelle de deux marcs d’argent à prendre sur ce manoir afin d’organiser un repas à l’abbaye lors de la Toussaint en sa mémoire. L’acte est passé dans la localité et parmi les témoins sont cités une partie des repré-sentants des intérêts fougerais en Angleterre. Outre quelques che-valiers qui accompagnèrent Guillaume, on trouve les mentions de Thomas de Tutford (Thetford,), sénéchal de Guillaume de Fou-gères, son fils, prénommé également Thomas, et deux prévôts, Guillaume de Fostond et Guillaume Bruno, qui devaient s’oc-cuper des terres manoriales de Long-Bennington et rendre des comptes auprès du seigneur de Fougères191.

Les autres domaines anglais sont moins connus. Émerge néan-moins la localité de Quinton192, où en 1158 Raoul II fit un don en faveur de Rillé. Il céda l’église du lieu avec toutes ses dépen-dances, il octroya aux manants qui travailleront pour les chanoi-nes divers droits : la pâture commune pour tous leurs animaux, tant les petits que les juments, ainsi que tout ce qui pouvait ap-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!188. Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de

l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 261 et Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 142.

189. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 149.

190. Ibid., fol. 142-143 (acte passé à Saumur, parmi les témoins : Guillaume, fils de Raoul II, peut-être était-il otage du roi d’Angleterre, nous y reviendrons).

191. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553. 192. Angleterre, co. Winchester.

partenir à la communauté sur les voies et les chemins, ainsi que dans les eaux, dans les bois, les plaines et tous les lieux193. Les autres localités évoquées par les actes fougerais le sont lors de la grande confirmation de 1163 faite en faveur des chanoines de Saint-Pierre de Rillé. Raoul II cita l’aumône des dîmes de tous les revenus de Quinton, d’Ipplepen, de Galmpton, d’Osmondiston, de Thetford194 et de Winchester, il ajouta la confirmation du don de l’église de Thetford, celui de la dîme de Nosteta et de Has-leya195, il souligna que son père, sa mère et lui-même avaient don de la dîme de Long-Bennington et qu’il avait cédé l’église de Quinton196.

Puis, passé cette seconde moitié du XIIe siècle, les mentions se font plus rares. On devine que la famille de Fougères conservait des droits outre-Manche puisqu’ils sont inclus dans les difficiles négociations de mariage opposant Geoffroy de Fougères, promis à la fille du comte Eudes, à son oncle et tuteur, Guillaume. Ce dernier obtint dans un premier temps, vers 1204, le tiers de la sei-gneurie de Fougères, l’accord stipulait qu’étaient incluses les pos-sessions anglaises, en était toutefois exclu ce que Guillaume pos-sédait à titre personnel, probablement du fait de son mariage197.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!193. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 236. 194. Ipplepen, Angleterre, co. Devon ; Thetford, Angleterre, co. Norfolk. 195. Ces deux localités n’ont pu être identifiées. Hasleya pourrait peut-être

correspondre à Astley, mais il existe au moins quatre lieux portant ce nom : dans le Lancashire, le Shropshire, le Warwickshire et le Worcestershire. Les seigneurs de Fougères ne semblent pas avoir posséder des biens dans ces comtés, même si leur manoir de Twyford se situe non loin, de même que Quinton.

196. In Anglia decimas omnium redditum de Quintonia, de Plenpema, Gaununtonia, Hosnudestionis, Theufort, Quincestria & Ecclesia de Theufort, & decimam de Nosteta & Hasleya, & dono patris mei, matris mee & meo decimam de Berintonya ; & ex dono meo Ecclesiam de Quinctonia (B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233).

197. Jacques Aubergé, éd. Le Cartulaire de la seigneurie de la Fougères connu sous le nom de cartulaire d’Alençon (Rennes, Oberthur, 1913), acte n° 41.

Un nouvel accord est passé, peu de temps après, et l’on devine que les seigneurs de Fougères considéraient com-me relevant de leur seigneurie les domaines anglais, puisque la transaction portait sur tout ce qui se trouvait « de ce côté-ci de la mer comme de l’autre côté198 ».

Enfin, on ne peut clore ces lignes sur les relations entre les seigneurs de Fougères et l’Angleterre sans évoquer Main III. Ce dernier, fils de Raoul Ier, n’est connu que par deux documents. Il apparaît furtivement, vers 1113-1124, dans une notice du prieuré de la Trinité de Fougères, où il reçoit l’« héritage paternel199 ». C’est sa seule action connue sur le continent, car le second texte qui évoque Main souligne que, lors d’une tournée d’inspection de ses domaines en Angleterre200, peu de temps après de nouvelles concessions royales, il mourut et fut inhumé dans l’église Saint-Swithun de Winchester201, aux côtés de son oncle maternel, Gil-bert202. Il y a donc un seigneur de Fougères qui repose sur des ter-res anglaises, alors que la grande majorité de sa famille gît en ter-re normande, à Savigny. Toutefois, avant de revenir sur la fonda-tion de cette abbaye, il convient de s’interroger sur l’origine de ces possessions anglo-normandes.

Depuis quand la famille de Fougères possédait-elle ces biens anglo-

normands ? – L’origine de ces droits en Normandie comme en An-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!198. Tam citra mare quam ultra in hunc modum pacifacata est (ibid., acte n° 42). 199. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de

Marmoutier, art. cit., acte n° 7. 200. Léon Maupillé dans Prosper-Jean Levot, dir. Biographie bretonne.

Recueil des notices sur tous les Bretons qui se sont fait un nom : depuis le commencement de l'ère chrétienne jusqu'à nos jours (Vannes, Cauderan ; Paris, Dumoulin, 1857), t. 2, p. 439.

201. Katherine Keats-Rohan, Le rôle des Bretons, art. cit., n. 48. 202. Léopold Delisle, Rouleaux des morts du IXe au XVe siècle (Paris, Société de

l’Histoire de France, 1856), n° 182, p. 336 : Orate et pro speciali fundatore aecclesiae nostrae domno Fransswalone et domno Kileberto Ricardi filio, aunculos ejus [...].

gleterre a été l’occasion de diverses hypothèses, plus ou moins crédibles.

La plus courante est d’estimer qu’un seigneur de Fougères a participé à la bataille d’Hastings203, le 14 octobre 1066. Généra-lement on s’accorde pour voir Raoul Ier chevaucher aux côtés de Guillaume le Conquérant contre Harold. En retour, le duc-roi aurait offert diverses possessions au seigneur de Fougères en Angleterre. Ces terres seraient celles citées en 1086 dans le Domesday Book, mais il y a vingt ans entre la rédaction de ce manuscrit et la célèbre bataille. Il faut également admettre un autre point : en 1066, on ignore qui se trouvait à la tête de la seigneurie de Fou-gères. Main II disparaît de la documentation au cours de la décennie 1060 ; deux de ses fils lui succédèrent, d’abord Juhel, de manière éphémère puisqu’il disparut peu de temps après son père, puis Raoul Ier. Mais au cours de cette décennie, ce dernier n’était qu’un enfant204. On peut d’emblée exclure une participation de Raoul, celle de Main paraît difficile, les derniers textes le mentionnant plaideraient plutôt pour une disparition vers 1060. Faut-il dès lors estimer que Juhel ait pu représenter les intérêts des Fougères outre-Manche ? Peut-être, mais lui aussi devait être bien jeune, car au cours de la décennie 1050, un acte de l’abbaye du Mont Saint-Michel le présente comme un enfant en bas âge hurlant à chaudes larmes lors d’une donation de ses parents205. S’il a participé à Hastings, il devait !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

203. Jean-Baptiste Ogée, Dictionnaire historique, op. cit., p. 285 et Léon Maupillé dans Prosper-Jean Levot, dir. Biographie bretonne, op. cit., p. 439 ; Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, op. cit., t. 2, p. 134. Et c’est encore une opinion répandue : Pierre Bouet, Hastings – 14 octobre 1066 (Paris, Tallandier, 2010), p. 60.

204. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de Marmoutier, art. cit., acte n° 7.

205. Cartulaire du Mont Saint-Michel. Fac-similé du manuscrit 210 de la Bibliothèque municipale d'Avranches (Le Mont Saint-Michel, Les Amis du Mont Saint-Michel, 2005), fol. 58v-60r : Juthalis puer filius eorum qui vagiens ad ductus inter amplexus matris ad Hernaldo monacho duodecim denariis pacificatus quievit.

être à peine sorti de l’adolescence. Si l’on accepte cette dernière hypothèse, sa rapide disparition des documents serait-elle liée à son décès au cours de cette bataille ? C’est peu probable, car il fut inhumé dans la nécro-pole familiale de Saint-Sauveur-des-Landes, aux côtés de son père206 ; s’il avait été tué en Angleterre, il aurait très certainement été enterré sur place. Il semble donc qu’il faille renoncer au lien entre les seigneurs de Fougères et la bataille d’Hastings.

En fait, la documentation suggère que le lignage de Fougères a reçu des droits de la part des ducs-rois à plusieurs moments, ce qui serait somme toute logique, le souverain réactualisant pério-diquement sa domination sur son vassal, qui, en échange d’un serment de fidélité, escomptait accroître les domaines familiaux.

Les premières possessions cédées aux seigneurs fougerais le furent dès le milieu du XIe siècle. Nous avons vu plus haut que Main II a fréquenté la cour de Guillaume de Normandie lors de la décennie 1050. C’est d’ailleurs dès cette époque que le seigneur de Fougères fit des dons à l’abbaye de Marmoutier en Savigny ; mais cette dernière paroisse ne fut pas la seule où le duc de Nor-mandie octroya des terres à Main II. De manière indirecte, la lon-gue charte de confirmation de Raoul II en faveur de l’abbaye Saint-Pierre de Rillé de Fougères (1163) évoque des revenus en trois autres endroits. Raoul II cita plusieurs dîmes, d’abord celle de Cruso « qui fut à Main de Fougères », puis la dîme de la moitié du moulin de Villechien, « qui avait appartenu à Main », et enfin celle du moulin « du seigneur Main » à Martigny. Ainsi pour ces trois localités207, on peut estimer que l’entrée en vassalité de Main II auprès du duc de Normandie fut l’occasion du don de ces biens, en une fois ou en plusieurs, rien ne permet de trancher. On peut aussi suivre Florian Mazel lorsqu’il souligne que tout ou !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

206. Voir : Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de Marmoutier, art. cit., acte n° 7.

207. L’abbé Jean-Jacques Desroches ajoutait Hudismesnil (Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 118).

partie de ces biens ont pu appartenir au lignage de Fougères avant la « poussée normande des années 1024-1030208 » et que le duc Guillaume les aurait restitués afin de s’adjoindre le soutien de Main II. Ce dernier a aussi pu bénéficier de donations à la suite des confiscations dont fut victime Guillaume de Werlenc, comte de Mortain, après 1050. Main II a probablement profité des restructurations menées par Guillaume au cours de la décennie 1050 dans ce secteur où le duc de Normandie a cherché à nouer des alliances avec des lignages frontaliers ; si la famille de Saint-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!208. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit. p. 111, n. 30 et F.

Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 92-93. On peut à cette occasion souligner que parmi les rares documents du haut Moyen Âge concernant le sud de l’Avranchin, on trouve un dénommé Raoul, vassus dominicus, c’est-à-dire vassal royal. Ce dernier avait reçu du roi Charles le Chauve, avant 867, le domaine de Patricliacus dans l’Avranchin (Arthur Giry et Maurice Prou, éd. Recueil des actes de Charles II le Chauve, roi de France [Paris, Imprimerie Nationale, 1952], t. 2, p. 611) : in pago quoque Abrincadino villa Patricliacus. L’identification a posé des problèmes non résolus. Ont été proposées les localités de Saint-Patrice-du-Désert (dép. Orne, arr. Alençon, cant. Carrouges), Lande-Patry (dép. Orne, arr. Argentan, cant. Flers-Sud), Patrilley (d’après Duine François-Marie, La métropole de Bretagne : Chroniques de Dol, composées au XIe siècle (Champion, 1916), p. 111, avec davantage de vraisemblance Parigny (dép. Manche, cant. Saint-Hilaire-du-Harcouët). Raoul l’avait donné pour le salut de son âme à l’abbaye de Corbion (diocèse de Chartres), mais avec l’avancée bretonne dans le Cotentin en 867, la villa passa à Salomon, qui la confia à un fidèle, Gurham, chargé de veiller à ce secteur (In pagum Abrincadinum, in villam quae dicitur Patricliatus : quam denique villam retroactis temporibus Radulfus vassus dominicus memorato Monasterio ob remedium animae suae contulerat, ipsamque olim gens Britannorum cum Principe suo Salomone, cum multis aliis possessionibus, Rege Carolo condonante, in possessionem receperat. Sed quoniam Princeps unus ejusdem patriae, nomine Gurhamius, eamdem villa a Salomone cum aliis multis possessionibus in dominium acceperat : cité dans Ex Translatione S. Launomari Blesas, dans Recueil des Historiens des Gaules et de la France [désormais : R.H.G.F.], t. 7, 1749, p. 365). On ne peut prétendre que ce vassus dominicus fut un ancêtre du lignage de Fougères, au sein duquel le nom Raoul fut fréquemment donné, car le hiatus chronologique est de plus d’un siècle. On se contentera de souligner ce curieux et intéressant hasard et surtout ceci est l’occasion de rappeler que Raoul était un prénom franc.

Hilaire n’est peut-être pas venue de Bretagne209, il n’en va pas de même pour Main. Le seigneur de Fougères était bien implanté en terres bretonnes, ses possessions normandes peuvent difficile-ment s’envisager autrement que dans un cadre politique, à moins qu’il ne s’agisse d’anciennes possessions patrimoniales remon-tant au premier tiers du XIe siècle ou au-delà. Toutefois, en ce mi-lieu de XIe siècle, les textes conservés laissent penser que les pos-sessions normandes du seigneur fougerais se limitent au sud du Mortainais.

Avec Raoul Ier, seuls sont cités Mortain et Romagny. Le lien avec le Mortainais semble se renforcer. Ces droits peuvent être hérités de son père, nous avons vu qu’on pouvait exclure sa parti-cipation à Hastings, on peut donc envisager une autre hypo-thèse : le mariage. Raoul Ier a épousé Avicia, fille de Richard, sei-gneur d’Orbec et de Bienfait, ou de Clare. Or, cette dernière des-cendait de manière illégitime du duc de Normandie, Richard Ier (942-996), mais aussi de Guillaume le Conquérant lui-même210. Il s’agissait donc pour le seigneur de Fougères d’un mariage impor-tant, à tel point que cette prestigieuse origine influença les pré-noms de ses enfants, avec notamment, chez les garçons, Guil-laume, Henri et Robert211. Les prénoms sont aussi une manière de faire de la politique ; les trois fils de Guillaume le Conquérant portaient ces prénoms : Robert Courteheuse, Guillaume le Roux et Henri Beauclerc. Guillaume peut difficilement cacher l’ancrage avec la Normandie, ce prénom fut bien sûr porté par le Con-quérant, mais aussi par d’autres membres de son lignage. Henri était aussi un nom normand. On soulignera d’ailleurs que lors des luttes entre les fils du Conquérant pour capter tout son héri-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!209. Claude Groud-Cordray, Les premiers seigneurs de Saint-Hilaire (fin XIe-

début XIIIe siècle), R.A., t. 88, fasc. 427, 2011, p. 137-191. 210. Katherine Keats-Rohan, The Bretons and Normans of England 1066-1154 :

the family, the fief and the feudal monarchy, dans Nottingham Mediaeval Studies, t. 36 1992, p. 42-78.

211. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit., p. 111, n. 31.

tage, le seigneur de Fougères, Raoul Ier prit parti pour Henri et participa probablement à la victoire de ce dernier lors de la ba-taille de Tinchebray, le 28 septembre 1106, en Normandie. Il cap-tura même l’un des principaux rivaux du roi anglais, Guillaume de Mortain et l’un de ses alliés, Gautier de Mayenne, qui fut sem-ble-t-il prisonnier à Fougères212. La participation de Raoul à cette bataille est probable, sans être certaine, étant donné qu’il était en bas âge durant la décennie 1060 et qu’il mourut un peu après 1113, il avait près d’une cinquantaine d’années en 1106 ; bien qu’avancé, cet âge n’était pas rédhibitoire pour combattre. En tout cas, il ne fut pas seul : un de ses fils au moins combattit aux côtés du roi Henri, Robert Giffard. À propos de ce dernier, on pourra d’ailleurs souligner la prégnance du lien avec la Norman-die. Car Robert reçut en héritage un surnom, Giffard, qui devait le porter sur les terres normandes. Surnommé comme son grand-oncle et son arrière-grand père maternels213, Il avait des terres en Angleterre, à Weare, dans le Devon214, où il a peut-être vécu. À lui seul, ce mariage – hypergamique – entre Raoul et Avicie ap-porte presque autant de renseignements sur la politique du sei-gneur de Fougères que tous les autres écrits conservés. On devine un fort tropisme en direction de la Normandie. Le mariage avec une parente des ducs-rois pourrait expliquer de nouvelles dona-tions, un peu plus au nord que les précédentes. Les biens reçus à Mortain et au sud de la ville pourraient remonter à la bataille de Tinchebray, le comte mortainais ayant combattu Henri, ce dernier

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!212. Ernest Laurain, éd. Cartulaire manceau de Marmoutiers (Laval,

Imprimerie A. Goupil, 1903), t. 2, p. 6, n. 4 ; Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 370-371 (l’auteur souligne qu’il reste des zones d’ombre sur cette question).

213. Elisabeth M. C. Van Houts, éd. The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumieges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni (Oxford University Press, 1995 ; rééd. 2003), t. 2, p. 270-271 et Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit., p. 111, n. 31.

214. Katherine Keats-Rohan, Le rôle des Bretons, art. cit., n. 75.

vainqueur aurait pu récompenser Raoul Ier en lui octroyant des terres sur celles de son ennemi.

Henri, quatrième fils de Raoul et d’Avicie, fut en possession de biens au sud de Mortain (Lapenty, Les Loges-Marchis, Mouli-nes et Virey), confirmant l’ancrage familial entamé depuis Main II. En 1139, Henri figurait d’ailleurs parmi les principaux té-moins d’Étienne, comte de Mortain215. Mais au cours des années 1120-1150, il avait aussi des droits dans l’Avranchin avec Hudi-mesnil (1130) et Saint-Quentin-sur-le-Homme (1150). On ne peut cette fois-ci invoquer un mariage avec une Normande, car le sei-gneur épousa Olive, fille d’Étienne de Penthièvre, descendant de la lignée comtale bretonne, mais surtout un puissant prince de l’Ouest français et « influent en Angleterre216 ». Or les biens en Long-Bennington, en Angleterre, venaient justement d’Olive217, nous voilà donc arrivés en outre-Manche, mais en passant non pas par la Normandie, mais la Bretagne septentrionale ; nous y reviendrons, mais ce ne fut pas la seule voie. Henri a peut-être re-çu des droits dans l’Avranchin de la part du duc-roi, mais nous avons peu de textes pour les années 1120-1150, il a aussi pu tout simplement en hériter. Quoi qu’il en soit les biens normands des Fougères se diversifient.

Avec Raoul II (1150-v. 1195), le Mortainais n’apparaît plus. Les biens normands se localisent essentiellement autour de la baie du Mont Saint-Michel et on peut les diviser en trois parts. Tout d’abord, des possessions marginales en La Mancellière-sur-Vire, au sud de Saint-Lô. Un deuxième ensemble est constitué de Chavoy, Bouillon et Moidrey, anciennes paroisses devenues

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!215. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 108. 216. Stéphane Morin, Le pouvoir des Comtes de Bretagne du XIe au XIIIe siècle,

op. cit., p. 122-123. 217. John Le Patourel, Henri II Plantagenêt et la Bretagne, dans Feudal

empires : Norman and Plantagenet (Londres, Hambledon Press, 1984) p. 112. Pour la pièce justificative, voir Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 142.

simples lieux-dits respectivement en Jullouville et Pontorson. Pour ces localités, Raoul II devait, en 1154, des services armés en faveur de l’abbaye du Mont Saint-Michel. Les seigneurs de Fou-gères avaient un lien particulier avec cette dernière, qui reçut des domaines au début du XIe siècle dans la région de Fougères218 : Villamée, Lillèle (en Villamée), Passilé (en Parigné) et Villeperdue (en Villamée)219. Elle apparaît très peu dans les documents fougerais, mais le cartulaire du Mont Saint-Michel nous montre tout le cérémonial qui entourait le seigneur de Fougères lorsqu’il venait rendre hommage à l’abbé du Mont pour ces quelques possessions. Ainsi, en 1188, Raoul II, relativement âgé, vint avec de nombreux vassaux. Là, il devait sonner dans l’abbaye les vêpres et les matines à la fête de la Saint-Michel (16 octobre) jusqu’à ce que les serviteurs de l’abbaye prissent de ses mains la corde de la cloche. Il devait aussi livrer un baril de vin. Le soir, on lui apportait une pelisse liée et apprêtée comme celle des moines ainsi qu’un soulier ( ?) ; il pouvait d’ailleurs dormir dans la ville du Mont, si tel était le cas, le seigneur de Macé était tenu de le réveiller avant les matines et de le conduire avec une lanterne au monastère. S’il était fatigué, Raoul pouvait aussi se reposer dans une des chambres de l’abbaye. Après la messe de la Saint-Michel, le seigneur de Fougères pouvait se restaurer avec trois ou quatre de ses chevaliers dans le réfectoire de l’abbaye, il mangerait à la droite de l’abbé. Quant aux vassaux, ils mangeraient dans la chambre ou en ville220. Enfin, Raoul II contrôlait un troisième ensemble composé de Brécey, de Carnet et des Courtils, paroisses dispersées dans l’Avranchin. Si l’on ignore la manière dont ces

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!218. Pierre Bouet, Le Mont Saint-Michel entre Bretagne et Normandie de 960 à

1060, dans Joëlle Quaghebeur et Bernard Merdrignac, dir. Bretons et Normands au Moyen Âge, op. cit., p. 165-200, à la p. 182.

219. Lillèle et Villeperdue, com. Villamée, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Louvigné-du-Désert ; Passilé, com. Parigné, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Fougères-Nord.

220. Cartulaire du Mont Saint-Michel, op. cit., fol. 125v-126r.

biens entrèrent en sa possession, on constate qu’avec Raoul II, le lignage de Fougères était richement doté dans tout le sud du département de la Manche, aussi bien dans le Mortainais, cœur historique de ces premières terres normandes, que dans l’Avranchin. Cette ouverture en direction de la baie serait-il le fruit du mariage de Raoul II avec Mathilde ? Nous ignorons à quelle famille elle appartenait, on pourrait juste souligner qu’elle portait un prénom normand221.

Après Raoul II, la documentation se tarit sur les terres normandes des seigneurs de Fougères. Tout juste peut-on évoquer la possession, évoquée rapidement en 1205, du Teilleul par Guillaume, frère de Raoul II et tuteur du jeune Geoffroy.

Pour les terres anglaises, on remarque à peu de choses près le même rythme, avec bien entendu le décalage de la conquête. Ainsi, il faut attendre 1086 pour trouver la première mention d’un seigneur de Fougères possessionné en Angleterre. La source principale étant le Domesday Book, mais les textes religieux fou-gerais ne disent mot sur l’Angleterre, ce qui indiquerait qu’avant cette date les domaines étant rares, sinon inexistants. Sur l’origine de ces biens anglais, nous avons seulement des mentions à propos de Long-Bennington, qui fit partie des possessions fouge-raises par le mariage d’Olive de Penthièvre et d’Henri de Fou-gères. Auparavant, Long-Bennington relevait du domaine comtal breton outre-Manche. Les terres, domaines et manoirs tenus par Raoul Ier dans le Domesday Book montrent une certaine dispersion, le seigneur a des biens dans six comtés (Surrey, Berkshire, Berk-shire, Buckinghamshire, Norfolk et Suffolk). On retrouve ici la main de Guillaume le Conquérant qui redistribua les terres des vaincus anglais, mais prit garde de créer de nouvelles seigneu-ries, lui qui avait eu des difficultés avec certains lignages solide-ment implantés dans le Cotentin au début du son règne. L’ori-!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

221. Plusieurs historiens se sont mépris sur l’épouse de Raoul II, la plupart estimant qu’il avait épousé Jeanne de Dol, qui fut simplement placée sous sa tutelle en 1162.

ginalité du dossier anglais vient du fait que le Domesday Book nous montre en quoi consistait ces biens : terres, revenus, droits sur les hommes, les forêts, les champs, les animaux… Il y a fort à parier qu’en Normandie et en Bretagne, les seigneurs de Fougères, comme leurs homologues disposaient des mêmes types de biens. Entre la fin du XIe siècle et début du XIIe siècle, Raoul reçut une maison dans le Hampshire, à Winchester ; puis, par le biais de son mariage, Henri s’installa dans le Lincolnshire ; enfin avec Raoul II apparaît, notamment, Quinton, dans le comté de Gloucester. Les biens étaient donc divers et surtout dispersés. Les successeurs du Conquérant ont donc continué sa politique de dons – afin d’entretenir et de réactiver périodiquement les relations féodo-vassaliques – et sa stratégie de dispersion ; si les seigneurs de Fougères avaient été des alliés, il fallait néanmoins s’en méfier, comme de tout vassal d’ailleurs. Les révoltes de Raoul II montreront les intérêts de cette prudence anglo-normande.

Ces possessions en Angleterre et surtout en Normandie ne sont pas anecdotiques, puisque les seigneurs de Fougères reposèrent à partir du début du XIIe siècle en terre normande, à Savigny, « leur » abbaye.

Savigny : nécropole familiale des seigneurs de Fougères

C’est en terre normande, à Savigny, que Raoul Ier de Fougères

va fonder la nécropole du lignage. Le choix est fort, puisqu’en choisissant cette abbaye comme probable lieu de sépulture, le seigneur va être à l’origine de toute une tradition qui se poursuivra jusqu’au milieu du XIIIe siècle. La famille de Fougères ne reposera pas dans sa ville castrale éponyme, comment expliquer ce choix ?

La rupture religieuse avec l’abbaye de Marmoutier. – Depuis les

débuts du XIe siècle, la famille de Fougères a tissé un lien particu-lier avec l’abbaye tourangelle de Marmoutier, l’une des plus pres-tigieuses de France, parfois comparée à Cluny. Le monastère était sous la protection du saint le plus populaire des Gaules, Martin. Les premiers dons furent réalisés à Louvigné-du-Désert par Main Ier, vers l’an Mil, puis en Saint-Sauveur-des-Landes par Main II, vers 1040-1047. Le fils de ce dernier, Raoul Ier a poursuivi cette politique en soutenant la fondation d’un prieuré au pied de son château à Fougères même222. Vers 1064-1076, le jeune sei-gneur fougerais encouragea la création d’un établissement placé sous l’invocation de Sainte-Trinité ; ses motivations étaient multi-ples. Dans l’acte de fondation, Raoul souligna son inquiétude pour sa vie dans l’au-delà et sa volonté de réaliser une aumône en faveur des moines. En leur donnant il espérait que saint Mar-tin intercédât en sa faveur. Il associa ses proches à ses donations : son père Main, sa mère Adélaïde, ainsi que ses frères déjà décé-dés Eudes et Juhel, et sa sœur Godehilde. S’ajoutèrent à ses pi-euses raisons, des motivations plus économiques, les moines re-çurent l’autorisation de construire un bourg, ils obtinrent aussi une terre, un moulin avec son étang, des droits sur le marché et les foires, des dîmes… Il ne s’agissait pas d’un modeste prieuré, mais d’un établissement monastique d’importance, d’ailleurs l’église sera l’un des bâtiments romans les plus vastes de Bre-tagne223. Marmoutier reçut de nombreux dons de la part des sei-gneurs fougerais, notamment en Normandie. Ainsi Main II céda, vers 1050-1055/1056, l’église de Savigny-le-Vieux224. L’abbaye tourangelle fut aussi la nécropole familiale du lignage par le biais !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

222. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de Marmoutier, art. cit., acte n° 1.

223. Henri Bourde de la Rogerie, L’ancienne église du prieuré de la Trinité de Fougères, dans B.M.S.A.I.V., t. 49, 1922, p. 293-308, aux p. 299-301 et 305.

224. Recueil des actes des ducs de Normandie, op. cit., acte n° 162.

de son prieuré en Saint-Sauveur-des-Landes qui accueillit les corps de Main II, Adélaïde et leur fils, Juhel225. Les moines de Marmoutier étaient chargés de la memoria de la famille et de son avenir dans l’au-delà. Pourtant, Raoul Ier et l’abbaye martinienne rompirent leur relation après deux conflits.

À proximité du château et du prieuré de la Trinité, se trouvait la plus ancienne église de Fougères, Saint-Sulpice, cédée par son prêtre, Albéric, à Marmoutier. Mais la cession ne se fit pas sans problème226. Une longue notice résume les mésaventures d’Albéric. Ce dernier fut accusé de nombreux défauts : nico-laïsme, simonie, vols de livres aux moines, incendie des bâti-ments monacaux, adultères… Les actes les plus graves con-cernaient ses profanations : il souilla d’excréments une croix et les linges liturgiques. De plus, il étala en présence de nombreux témoins son incompétence pastorale, ignorant ou méconnaissant le latin et les canons de la messe. Le portrait est tellement chargé que l’on peine à en croire chaque détail. Au cours des trois-quatre années où des tensions existèrent, le desservant de Saint-Sulpice put compter sur des soutiens illustrant que les moines de Marmoutier n’étaient pas les bienvenus. On notera rapidement que les prieurs successifs de la Trinité ne purent le démettre. Si Raoul Ier ne soutint pas activement Albéric, il s’en porta un temps garant. Bien que chassé, le desservant de Saint-Sulpice illustre les résistances rencontrées par les moines soucieux de diffuser la réforme grégorienne. La rupture entre Marmoutier et Raoul Ier n’était pas consommée, mais déjà entamée. Une seconde affaire scella cette méfiance et conduisit à la séparation.

Entre 1064 et 1076, Raoul Ier s’était engagé à offrir sa chapelle castrale Sainte-Marie aux moines tourangeaux227. En 1092, il tint !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

225. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de Marmoutier, art. cit., acte n° 7.

226. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit. 227. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de

Marmoutier, art. cit., acte n° 1.

sa promesse et céda Sainte-Marie avec ses biens228. Mais quelques temps plus tard, entre 1092 et 1096, le seigneur de Fougères revint sur sa donation et préféra donner sa chapelle à l’abbaye Saint-Florent de Saumur229. Alfred, grand-père de Raoul, avait assisté en tant que témoin à un don fait par les ducs de Bretagne à Saint-Florent vers 1013-1032230. Mais les liens entre la famille de Fougères et l’abbaye saumuroise s’intensifièrent à la fin du XIe siècle :la sœur de Raoul, Godehilde, avait épousé Jean de Dol-de-Bretagne, neveu de Guillaume, abbé de Saint-Florent. Outre ce lien familial, Raoul avait été témoin d’un don à cette abbaye en Tremblay231, à mi-chemin entre le Fougerais et le Combournais. Face à Saint-Florent, Marmoutier protesta aussitôt auprès de l’évêque de Rennes232. À l’encontre des préceptes grégoriens, les moines négocièrent un prêt de deux cent vingt cinq livres, qui était une vente déguisée233. Le pape Urbain II faisait justement une tournée en France en 1096 : il fustigea la simonie. Raoul Ier craignant une condamnation papale sembla avoir tenté de régu-lariser l’affaire en mai 1096 auprès de l’évêque de Rennes, Mar-bode, réformateur tout comme le pape. Le seigneur de Fougères restitua sa chapelle à Marmoutier et partit en pèlerinage à Rome pour expier son péché234. Mais entre 1099 et 1107, sans raison apparente, Raoul reprit la chapelle aux moines de Marmoutier, jurant de ne plus s’en dessaisir. Les religieux se plaignirent auprès du pape Pascal II qui jeta l’interdit sur les terres de Raoul !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

228. Ibid., acte n° 3. 229. Arch. dép. Ille-et-Vil., 6H16/I-IV, n° 10. 230. Hubert Guillotel, Les actes des ducs, op. cit., acte n° 13. 231. Dép. Ille-et-Vilaine, arr. Fougères-Vitré, cant. Antrain. 232. Arthur Le Moyne de La Borderie et Paul de Labigne-Villeneuve, éd.

Documents inédits sur l’histoire de la Bretagne, op. cit., actes n° 8 et 8bis. 233. Arch. dép. Ille-et-Vil., 6H16/I-IV, n° 10. 234. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de

Marmoutier, art. cit., acte n° 7 : Factum est autem in diebus illis ut Radulfus de Filgeriis, penitentia accepta propter impetrandam peccatorum, veniam Romam pergens, Majus monasterium devenisset.

et nomma un légat pour forcer le seigneur de Fougères à rendre leurs biens aux moines. Depuis Nantes, le légat papal menaça Raoul d’obéir dans les quinze jours, sinon il serait excommunié. Raoul céda, il rendit la chapelle aux moines, non pas directement, mais par l’intermédiaire de Damarhoc, son chanoine, qui la donna à l’évêque. Raoul avait auparavant juré de ne pas donner son église à Marmoutier, sa fierté mais surtout son serment l’obligèrent à passer par un intermédiaire. L’accord passé prévoyait aussi que les moines seraient remboursés de leur « prêt » dans les cinq ans, à défaut, les terres de Raoul seraient frappées d’interdit, sauf celles des moines235. Si à long terme les moines ne parvinrent pas à retrouver la possession de la chapelle236, l’affaire marqua la fin de la relation privilégiée entre le seigneur de Fougères et les moines tourangeaux.

Florian Mazel a parlé de « logique de substitution monastique237 ». L’intercession des moines restait indispensable, mais celle de Marmoutier ne convenant plus, Raoul fut un moment tenté par l’abbaye de Saint-Florent de Saumur, voire celle d’Évron, puis il opta pour des moines privilégiant une nouvelle spiritualité et ce fut la fondation de Savigny. L’affaire Albéric et celle concernant la chapelle Sainte-Marie avaient profondément marqué le seigneur fougerais, mais il faut aussi tenir compte de l’évolution de la spiritualité de cette époque et de celle de Raoul Ier en particulier.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!235. Arch. dép. Ille-et-Vil., 6H16, n° 16 (publié dans Arthur Le Moyne de

La Borderie et Paul de Labigne-Villeneuve, éd. Documents inédits sur l’histoire de la Bretagne, op. cit., actes n° 14).

236. Florian Mazel, Seigneurs, moines et chanoines, art. cit., p. 127-128. 237. Ibid., p. 128.

La fondation de l’abbaye de Savigny238 (c. 1112-1113). – Vers 1112-1113, à la suite de sa rupture avec l’abbaye de Marmoutier, Raoul fonda l’abbaye de Savigny. Cette fondation est connue par plusieurs textes rapportant peu ou prou les mêmes faits ; mais avant de les étudier, il convient de voir de quelle manière le seigneur de Fougères entra en contact avec un ermite normand : Vital.

Originaire du Bessin, Vital était issu d’une famille modeste, il poursuivit des études et devient chapelain du comte de Mortain, puis il fut tenté par l’érémitisme239. Les liens entre la famille de Fougères et le Mortainais peuvent avoir conduit à une ou plu-sieurs rencontres entre Raoul et Vital avant les années 1110 ; il est possible que les deux hommes se connaissaient. Ermite, recher-chant la solitude, Vital vivait fréquemment dans les bois240. Vers 1108-1110, il est déjà installé dans la forêt de Savigny, mais il n’avait pas encore organisé de communauté structurée241. L’une des raisons qui poussait alors certains religieux à fuir les monas-tères d’alors était que la règle bénédictine n’était plus suivie avec toute sa rigueur. Diffuseurs de la réforme, les moines noirs finissaient par être pris dans leurs contradictions. À peu près à la même époque, d’autres ermites erraient dans d’autres bois. Ainsi, vers 1112, Raoul Ier contraignit Bernard de Tiron à quitter la forêt de Fougères où ce dernier et d’autres solitaires ne cessaient de !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

238. Nous nous permettons de renvoyer aux futures contributions qui paraîtront à l’occasion du neuvième centenaire de la fondation de l’abbaye de Savigny à la suite des conférences du 28 janvier 2012 dans la Revue de l’Avranchin.

239. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 315-317. 240. Louis Raison et René Niderst, Le mouvement érémitique dans l'ouest de la

France à la fin du XIe siècle et au début du XIIe siècle, dans Annales de Bretagne, t. 55, 1948, p. 1-46.

241. Jaap Van Moolenbroek, Vital l’ermite, prédicateur itinérant, fondateur de l’abbaye normande de Savigny, (Assen, Van Gorcum, 1990 et dans R.A., t. 68, 1991, p. 1-395), p. 180 et pièce justificative n° 1, p. 257-258 (acte d’Henri Ier, roi d’Angleterre).

menacer les bois du fait de leurs défrichements, le seigneur ajoutant que les anachorètes effrayaient son gibier ; car, bien que recherchant la solitude, ils attiraient les foules242. Il les fixa dans la forêt de Savigny, où se trouvait Vital. Mais Bernard et Vital ne s’entendirent pas, le premier partit fonder un autre établissement à Tiron, tandis que le second demanda à Raoul Ier un acte de concession pour fonder une abbaye et renforcer sa position. La fondation est connue par plusieurs écrits complémentaires. Dans un premier texte, Raoul de Fougères donna avec sa femme Avicie, ses fils et ses filles (Guillaume, décédé, Raoul, Main Fransgalo, Henri et Robert) la forêt de Savigny et déclara qu’une abbaye en l’honneur de la Sainte-Trinité y sera construite par le frère Vital. Ce don fut notamment fait pour l’âme d’Henri Ier, roi d’Angleterre et duc de Normandie243. Ce dernier confirma peu de temps après la fondation244. Ce lien avec le duché voisin de Normandie remontait à Main II et, à sa manière, Raoul Ier a su l’entretenir.

Savigny sous la protection des seigneurs de Fougères. – Jusqu’à sa

disparition le lignage de Fougères resta proche des moines de Savigny. Les seigneurs firent de nombreux dons et furent imités par leurs vassaux. Bien qu’il soit difficile de dresser un inventaire complet des donations, les archives conservées permettent d’illustrer cette relation particulière qui unit durant plus d’un siècle et demi les Fougères à l’abbaye normande.

Raoul Ier semble être mort peu de temps après la fondation de Savigny, probablement au cours de la décennie 1110, mais il y a très peu de documents au début du XIIe siècle. Son troisième fils, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

242. Julien Bachelier, La forêt de Fougères du XIe au XIIIe siècle. Nouvelles observations et hypothèses, dans B.M.S.H.A.F., t. 46, 2009, p. 1-58, aux p. 30-31.

243. Jaap Van Moolenbroek, Vital l’ermite, op. cit., pièce justificative n° 2 (1113) et 10 (c. 1108-1113).

244. Ibid., n° 3.

Main surnommé Fransgalo, lui succéda, mais il mourut rapidement sans descendance. Il n’est connu que par deux allusions : une première où on le voit confirmer des dons à Marmoutier245, puis il est cité dans un rouleau mortuaire de Winchester, car il mourut outre-Manche, peut-être vers 1120 et il fut inhumé dans l’église Saint-Swithun de Winchester246, aux côtés de son oncle maternel, Gilbert247. Raoul Ier avait un quatrième fils qui aurait eu une relation particulière avec Savigny.

En effet, au moment de la fondation de l’abbaye, toute la famille de Fougères soutînt les ermites, à l’exception d’Henri ; c’est du moins ce que rapporta la vita de saint Vital. Henri s’op-posa aux donations, peut-être craignit-il que son héritage en fut d’autant réduit : il n’était que le quatrième fils de Raoul et avait peu de chance de se retrouver à la tête de la seigneurie. Henri aurait été touché par une maladie violente et soudaine ; en péril, il finit par donner son accord et se montra, par la suite, un fidèle soutien des moines248. Ainsi, vers 1130, il autorisa la fondation du prieuré de Virey, réalisée notamment pour le salut de son âme249. Henri est ensuite présent dans plusieurs actes de confirmation : on le voit ainsi assurer l’abbaye du don la forêt de Savigny par son père250 ; en 1136, il autorisa un don d’Hamelin de Louvigné-

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!245. Florian Mazel et Armelle Le Huërou, éd. Actes de l'abbaye de

Marmoutier, art. cit., acte n° 7. 246. Katherine Keats-Rohan, Le rôle des Bretons, art. cit., n. 48. 247. Léopold Delisle, Rouleaux des morts, op. cit., n° 182, p. 336. 248. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, Auguste

Laveille éd. (Rouen, A. Lestringant ; Paris, A. Picard et fils, 1896), t. 1, p. 147. 249. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 70-71. À Noter qu’il intervint car la famille de Virey avait donné des terres aux moines de Savigny et que Henri en était le seigneur, au même titre que le roi Henri Ier et le comte de Mortain ; on aperçoit ici la pyramide féodale. Les Virey avaient besoin de son accord pour des terres en Virey, Brécey, Mesnil-Tove et Cretteville.

250. Ibid., fol. 116-117.

du-Désert251 ; en 1150, il confirma le don du prêtre de l’église Saint-Léonard d’une maison sur le marché de Fougères252… En 1143, s’il entreprit de fonder à Fougères même une abbaye : Saint-Pierre de Rillé253, pour autant il ne rompit pas avec les moines de Savigny, au contraire, au moment de mourir il demanda à revêtir l’habit des religieux normands.

Avec son fils, Raoul II, l’abbaye normande reçut aussi de nombreuses aumônes. À peine un an après la disparition de son père, en 1151, Raoul confirma un don de ses vassaux à Montde-nier, terre entre Valaine (en Le Ferré) et Saint-James-de-Beu-vron254. En 1155, un jugement fut rendu en faveur des moines en sa présence et en sa cour, l’objet du litige était des terres situées à proximité de l’abbaye, en Monthault255 et Louvigné-du-Désert256. Comme à l’époque de Henri, on voit des vassaux réaliser des au-mônes, comme Hamon Cordon qui offrit un pré à Valaine257 ou Hugues du Rocher qui céda une terre en Montdenier258. En 1163, Raoul II partit en croisade, il dressa alors plusieurs actes dans les-quels il confirma les dons de ses ancêtres et de ses vassaux en fa-veur des moines259. Par son intermédiaire, Savigny s’implanta même en Angleterre, notamment à Bennington260. Et lorsqu’il fut

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!251. Ibid., fol. 75-76. 252. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553, n° 1 (acte de 1150). 253. Julien Bachelier, L’abbaye de Rillé – La fondation de Saint-Pierre de Rillé en

1143, dans Jean-Paul Gallais, dir. Patrimoine des hauteurs. Pays de Fougères et de Vitré (Fougères, 2009), p. 27-31.

254. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553, ainsi que Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., fol. 119.

255. Dép. Ille-et-Vilaine, cant. Louvigné-du-Désert. 256. Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 2, col. 623. 257. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553. 258. Ibid., voir aussi Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de

Savigny, op. cit., fol. 136-137. 259. Par exemple : Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de

Savigny, op. cit., fol. 137. 260. Ibid., fol. 142. Bennington, Angleterre, co. Lincolnshire.

sénéchal de Bretagne, le seigneur de Fougères continua à se montrer bienveillant envers l’abbaye normande261. Reprenant une tradition familiale, il choisit Savigny pour être inhumé.

Un contemporain de Raoul II, originaire de Fougères et peut-être de la famille seigneuriale, a aussi des liens particuliers avec l’abbaye normande : Étienne de Fougères. Connu pour avoir été le chapelain du roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt, chantre de la collégiale Saint-Évroult de Mortain, puis évêque de Rennes de 1168 à 1178, Étienne fut aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, dont le plus connu reste le Livre des Manières262, mais il rédigea aussi une vita de saint Vital et peut-être aussi celle de saint Firmat et de Geoffroy, le second abbé de Savigny263. Tout comme Étienne, Vital avait lui aussi été chanoine de Saint-Évroult de Mortain. Une nouvelle fois, on constate la proximité entre Fougères et la Normandie, Étienne était probablement issu de la famille seigneuriale, il pu entendre parler de Vital durant sa jeunesse fougeraise. Son intérêt pour le fondateur de Savigny peut venir du poste commun qu’ils ont l’un et l’autre occupés à Mortain, mais Étienne a aussi pu s’inspirer de toute une tradition familiale rapportant les origines de l’abbaye normande.

Le lignage de Fougères poursuivit sa politique de proximité avec Savigny. Le frère de Raoul II, Guillaume, tuteur de son jeune neveu Geoffroy, continua de préserver les biens de l’abbaye, ainsi vers 1200-1210, on le voit attester de l’abandon des plaintes de la famille de Pèlerine à l’encontre des moines pour leur terre à !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

261. Par exemple ibid., fol. 162, à propos de granges dans le Rennais, notamment à Acigné (dép. Ille-et-Vilaine, cant. Cesson-Sévigné) et probablement à Fayel, lieu-dit en Châteaubourg (dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.). Sur cette dernière voir l’étude de Daniel Pichot, La grange Fayel et la mise en valeur du pays de Vitré au XIIe siècle, dans B.M.S.A.I.V., t. 79, 1976, p. 21-30.

262. Étienne de Fougères, Le livre des manières, R. Anthony Lodge éd. (Genève, Droz, 1979 ; coll. Textes littéraires français, 275).

263. Jaap Van Moolenbroek, Vital l’ermite, op. cit., p. 52 et suivantes, ainsi que Auguste François Lecanu, Histoire du diocèse de Coutances et Avranches, op. cit., t. 2, p. 451 et suivantes.

Fougères264. On peut également souligner qu’à la même époque l’évêque de Rennes, Pierre de Fougères, peut-être membre de la famille, entretenait des liens avec les moines265.

Puis ce fut au tour de Geoffroy qui, une fois devenu majeur, continua à faire des dons à Savigny. Ainsi, en 1212, il donna une rente annuelle de vingt-cinq mines de froment sur le moulin de la Tronchay à Fougères « selon la mesure commune de la ville266 » ; la même année, le jeune seigneur fougerais prévoyait une autre rente pour que les moines célébrassent son anniversaire, c’est-à-dire le jour de sa mort267.

Le dernier seigneur de Fougères, Raoul III, a tenu à poursuivre le lien particulier tissé entre les moines de Savigny et sa famille. En 1239, on le voit donner dix livres de Tours de rente sur la prévôté de Fougères268. Mais ce sont surtout ses vassaux bretons et normands qui continuèrent de faire vivre l’abbaye et les moines, tels Henri du Châtellier en 1229 et 1236 qui céda des terres en Saint-Germain-en-Coglès269 ou les enfants d’Hamon Odie qui reconnurent les dons de leur père qui consistaient en terres autour de Montdenier270. Le 1er mai 1243, Raoul III se déplaça lors du transfert des reliques des saints de Savigny de la chapelle Sainte-Catherine, où elles étaient l’objet de vénérations

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!264. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553. 265. Ibid. 266. Ad communem mensuram ejusdem ville cité (ibid.). 267. Jusqu’aux XIVe-XVe siècles, dans l’Occident médiéval, l’anniversaire

correspondait au jour de la mort de l’intéressé et non celui de sa naissance (Jean-Claude Schmitt, L’invention de l’anniversaire [Paris, Arkhê, 2010]).

268. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 (acte de 1239). 269. Ibid. (actes de 1229 et 1236), sur cette famille nous nous permettons de

renvoyer à Julien Bachelier, Le plus ancien document des Archives Municipales de Fougères – Un don de 1259 à la Maison Dieu vidimé en 1308, dans B.M.S.H.A.F., t. 48, 2010, p. 75-101, aux p. 79-80. Saint-Germain-en-Coglès, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Saint-Brice-en-Coglès.

270. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 : vidimus de 1238, passé sous l’autorité de Guillaume de la Roche, sénéchal de Fougères.

depuis les années 1180, à la nouvelle basilique. À la suite de ce transfert, Raoul écrivit dès l’année suivante au pape Innocent IV pour demander que les saints de Savigny soient honorés dans toute la chrétienté et pas seulement à Savigny et dans les diocèses de Rennes et d’Avranches271. Les liens entre l’abbaye et Raoul III furent forts et importants, car ce sont les moines qui scrupuleusement notèrent les derniers feux du lignage de Fougères ; la Chronique de Savigny souligna que le 6 décembre 1235, l’épouse de Raoul III, Isabelle de Craon mit au monde un bébé mort-né272. Si le couple eut un autre enfant, Jeanne, Raoul III n’eut jamais de fils.

Le lien de fidélité si particulier entre le lignage de Fougères et l’abbaye de Savigny se clôt en mars 1256 par le décès de Raoul III. Mais la mission des moines vis-à-vis des successeurs de Raoul Ier se poursuivit par les prières qu’ils devaient faire pour ces derniers. Après les liens amicaux et terrestres, Savigny et les seigneurs fougerais continuèrent à être proches par des liens spirituels. C’était au tour des moines de veiller à leurs anciens protecteurs.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!271. Hippolyte Sauvage, Le Livre des Miracles des saints de Savigny (Mortain,

A. Leroy, 1899), p. 31-32. Les miracles ont été en partie publiés (Liber de Miraculis Sanctorum Savigniacensium, dans R.H.G.F., t. 23, 1876, p. 587-609). Nous en avons réalisé une rapide analyse dans Julien Bachelier, Miracles et miraculés au milieu du XIIIe siècle d’après le Livre des Miracles et des Saints de l’abbaye de Savigny, dans R.A., t. 88, fasc. 426, 2011, p. 21-59.

272. Ex Chronico Savigniacensi, dans R.H.G.F., t. 12, 1876, p. 781 et t. 23, 1894, p. 580-589, ici t. 23, p. 585.

« Pour l’amour de Dieu, le salut de mon âme, celles de mes ancêtres

et celles de mes successeurs273 » : des liens entretenus dans l’Au-delà

Bien avant les craintes liées au purgatoire qui se

développèrent à partir du milieu du XIIe siècle, les familles seigneuriales s’inquiétaient de leur devenir dans l’Au-delà274 : « L'ici-bas, au Moyen Âge, ne se conçoit pas sans l'Au-delà275. » Afin d’arriver au Ciel, elles avaient contractées des liens étroits avec les moines, véritables spécialistes des prières puisque leurs journées étaient rythmées par les célébrations liturgiques. Les moines bénédictins de Marmoutier avaient longtemps fait office de « meilleurs intercesseurs », le prieuré de Saint-Sauveur-des-Landes accueillit ainsi les sépultures de Main II, Juhel et Adélaïde276. Puis, après les différends qui opposèrent Raoul Ier à Marmoutier, le seigneur fougerais dut souhaiter que la memoria familiale soit confiée à d’autres moines ; après les bénédictins de Marmoutier, le relais fut pris par les Cisterciens, ordre auquel Savigny adhéra en 1147. La famille de Fougères confia donc la mémoire de ses membres aux moines normands et elle choisit même de reposer en terre normande ! On est bien loin de l’image

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!273. On retrouve fréquemment cette formulation en tête des chartes de

donations, par exemple en 1142 pour un don de Henri de Fougères en faveur de Savigny, voir Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 2, col. 585.

274. Jacques Le Goff, La naissance du purgatoire (Paris, Gallimard, 1981). L’auteur souligne notamment le rôle des Cisterciens dans la diffusion de cette nouvelle « géographie de l’Au-delà », le culte de la Trinité se diffusa alors et on rappellera l’attachement particulier dans l’espace fougerais à ce culte avec le prieuré castral de Fougères et l’abbaye de Savigny. Ainsi que Jérôme Baschet, Les justices de l'au-delà. Les représentations de l'enfer en France et en Italie (XIIe-XVe siècle) (Rome, École française de Rome, 1993).

275. Citation de Jérôme Baschet, La civilisation féodale : de l'an mil à la colonisation de l'Amérique (Paris, Aubier, 2004 ; Collection Historique).

276. Julien Bachelier, Saint-Sauveur-des-Landes, art. cit., p. 9.

de seigneurs bretons défendant coûte que coûte une frontière qu’ils n’ont cessé de franchir. Savigny devint donc la nécropole familiale des seigneurs de Fougères277.

Bien que nous n’en n’ayons pas la preuve, Raoul Ier a très probablement été le premier membre du lignage de Fougères à choisir d’être inhumé dans l’abbaye de Savigny, d’aucuns ont pensé qu’il avait passé ses derniers jours dans une maison qu’il avait construit face à l’église abbatiale278. L’usage voulait que le fundator reposât près de l’autel. En fait, il faut attendre Henri pour en avoir la certitude. Un texte daté de 1150 rapporte ses derniers jours, Henri, « sur le point de mourir, appela auprès de lui, dans la forêt de Fougères, tous les clercs de sa seigneurie, ses fils, la majeure partie de ses barons, des bourgeois et des paysans, ainsi que Ruellon, archidiacre de Rennes. Là, en présence de Fransgalo et Guillaume [ses fils], ainsi que de beaucoup d’autres, il demanda à Raoul [son fils aîné], qui tenait les mains de son père et pleurait, de protéger l’abbaye Saint-Pierre, ses possessions, ses biens et ses dépendances, et il le chargea de garantir durant toute sa vie et perpétuellement la défense de Rillé, sa protection et sa liberté […]. Olive, épouse d’Henri, l’autorisa à prendre l’habit de moine de Savigny279. » Mourant, le seigneur de Fougères pensa à sa fondation de Saint-Pierre de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!277. Hippolyte Sauvage a donné une liste des seigneurs ayant une dalle

dans la basilique, il citait, d’après un document manuscrit découvert dans la bibliothèque de Mortain, plus d’une vingtaine de noms, parmi lesquels : Henri de Fougères, son fils Raoul II, semble-t-il inhumés l’un à côté de l’autre, Guillaume, fils de Raoul II, Raoul III, Guillaume, frère de Raoul II, et Geoffroy de Fougères, petit-fils de Raoul II (Hippolyte Sauvage, Savigny et la Réforme, dans R.A., t. 8, fasc. 5, 1897, p. 296-306, à la p. 299-300).

278. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., t. 1, p. 167 et 177, avec quelques réserves néanmoins p. 317. Ainsi on parle parfois d’un châtelet (castelliolum), mais son existence ne semble pas avérée, voir néanmoins une allusion dans Jean-Jacques Desroches, Analyse des titres et des chartes inédites de l’abbaye de Savigny, art. cit., p. 260.

279. B.n.F., ms fr. 22325, fol. 235.

Rillé, abbaye fondée pour et par les chanoines de la chapelle castrale de Fougères, sur les hauteurs de la ville. L’établissement n’était pas terminé au moment où Henri fut touché, était-ce une maladie ou un accident de chasse, comme pourrait le suggérer l’allusion à la forêt ? Cette dernière hypothèse doit cependant être relativisée, car Henri agit de manière tout à fait classique. Depuis le XIe siècle, les moines permettaient à une personne risquant de passer de vie à trépas de revêtir pour ses dernières heures ou ses derniers jours, l’habit monastique. On parle alors du monachat ad succurendum, c’est-à-dire à l’article de la mort. Prendre la tunique des moines signifiait intégrer la communauté monastique, devenir moine et bénéficier des prières des autres frères, particulièrement efficaces pour obtenir un adoucissement des peines dans l’Au-delà. Henri quitta donc la vie séculière de chevalier, avec l’accord de sa femme, et prit pour ses derniers instants le froc des religieux de Savigny. Le monachat ad succurendum permettait aussi à un malade de revenir à sa vie séculière s’il guérissait ; mais ce ne fut pas le cas de Henri. Il s’éteignit et fut inhumé à Savigny280.

Pour les autres seigneurs de Fougères nous ne possédons pas de textes aussi précis, mais les écrits de dom Auvry et quelques autres documents relatifs à l’abbaye suggèrent que Savigny demeura bien la nécropole du lignage. Raoul II serait mort durant l’été 1194 et inhumé dans l’abbaye281 ; son frère, Guillaume, et son petit-fils, Geoffroy, moururent tous les deux en 1212 et malgré les différents qui les opposèrent durant de nombreuses années, ils finirent par reposer non loin l’un de l’autre en terre normande282.

La Chronique de Savigny enregistra les derniers feux de la fa-mille de Fougères. Le 6 décembre 1235, le jour de la saint Nicolas, Isabelle de Craon, épouse de Raoul III mit au monde un fils, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

280. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit., t. 3, p. 36-37.

281. Ibid., t. 3, p. 300. 282. Ibid., t. 3, p. 317.

nommé Jean, le jour même de sa naissance celui-ci « fut baptisé et il rejoignit le Seigneur283. » Sans héritier mâle, Raoul n’avait plus qu’une fille, Jeanne, qu’il maria à Hugues XII de Lusignan en 1254. La cérémonie se déroula dans le château de Fougères et fut célébrée par l’abbé de Savigny, Étienne284. Un an auparavant, son épouse avait élu sépulture « au sein de ses ancêtres » dans l’abbaye285. Cette proximité avec Savigny ne peut s’expliquer simplement par le miracle qui la sauva d’un étouffement à la suite d’une mauvaise ingestion d’une arête de poisson286, l’expression qu’Isabelle employa montre que par le mariage, l’épouse changeait de famille. Le seigneur de Fougères ne se faisait plus d’illusion sur l’avenir de son lignage, il arrivait bientôt à l’âge de cinquante ans. Il mourut deux ans plus tard. Le 24 mars 1256, la Chronique de Savigny enregistrait le décès de Raoul III.

Le lien qui unissait la famille de Fougères à Savigny s’étiola par la suite, du moins au plan matériel. Certes, Jeanne, la fille unique de Raoul III, confirma les dons de ses parents vers 1260287, mais le temps des aumônes était passé. Dorénavant, les moines avaient en charge les âmes des seigneurs fougerais, leur Au-delà dépendait en partie d’eux, au jour anniversaire de la mort d’un donateur les frères devaient prier pour le défunt. La mémoire des seigneurs de Fougères restait néanmoins visible par le biais des gisants déposés dans le cloître [recherche en cours]288. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

283. Ex Chronico Savigniacensi, art. cit., p. 585. 284. Ibid., p. 585. 285. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 et Claude Auvry (dom), Histoire de la

congrégation de Savigny, op. cit., fol. 177. 286. Liber de Miraculis Sanctorum Savigniacensium, art. cit., p. 605, voir :

Julien Bachelier, Miracles et miraculés, art. cit., p. 44. 287. Claude Auvry (dom), Histoire de la congrégation de Savigny, op. cit.,

fol. 177-178. 288. Sur cette question des gisants, il y a des travaux à faire. Ainsi, il

existait au moins un gisant fougerais à Savigny. La tradition voulait que ce fût celui de Raoul II, mort vers 1194. Lors de la destruction de l'abbaye au moment

Avec la fondation de l’abbaye de Savigny au début du XIIe siècle et le choix de Raoul Ier d’en faire la nécropole familiale, on devine l’importance de la Normandie pour le lignage fougerais. Cette proximité a d’ailleurs permis aux seigneurs de recevoir des terres dans le duché normand mais aussi dans le royaume anglais. La seigneurie peut donc être divisée en trois ensembles. Un premier marqué par l’emprise du château de Fougères, un deuxième ensemble léopardé dans l’Avranchin et un troisième groupe de possessions lui aussi disséminé outre-Manche. La proximité géographique, familiale et militaire a donc servi la famille de Fougères, vassale de Guillaume le Conquérant ; puis Raoul Ier prit le parti de Henri Ier lors de la guerre l’opposant à son frère, Robert Courteheuse (1105-1106). Raoul se retrouva dans le camp du vainqueur. Le Couesnon était loin de former une frontière imperméable pour les seigneurs fougerais. Les choix politiques de la seconde moitié du XIIe siècle seront moins heureux et conduiront à un éloignement des deux parties, sans qu’il n’y ait de rupture entre Fougères et la Normandie.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!de la Révolution, ce tombeau fut acheté par M. le comte de la Riboisière, qui le plaça dans le parc de son château de Monthorin, en Louvigné-du-Désert, où il était encore visible en 1846 (voir Amédée Bertin et Léon Maupillé, Notice historique, op. cit., p. 37). Le comte déposa par la suite la « dalle tumulaire » au château de Fougères, où elle se trouve encore (Henri Bourde de la Rogerie, Chronique d’Histoire, de Géographie et de Littérature de la Bretagne, dans Annales de Bretagne, t. 37, 1925, p. 473-538, à la p. 521). Hormis les traditions qui attribuent ce gisant à Raoul II, il n’existe aucune preuve et il est fort possible que cette attribution soit le fait des érudits locaux du XIXe siècle qui voyaient en Raoul II le « meilleur » représentant du lignage. En effet, Hippolyte Sauvage souligne bien dans son article sur Savigny et la Réforme (art. cit., p. 299) qu’il s’agit de Raoul III et, en 1897, il précise que c’est bien cette statue funéraire qui se trouvait à Monthorin. Étant donné la description des lieux qu’il fait, il semblerait que la dalle funéraire de Raoul II se trouvait près de celle d’Henri, son père, mais cet état des lieux manque de précision.

Guerres et paix (mi-XIIe-mi-XIVe siècle) Cette troisième et dernière partie a la guerre pour cadre –

mais pas uniquement –, les chevaliers sillonnèrent les campagnes bretonnes et normandes au cours des deux guerres de Cent Ans. La seigneurie de Fougères ne pouvait rivaliser avec les royaumes anglais et français qui l’utilisèrent dans leurs luttes, particulièrement au début du XIIIe siècle. Mais avant de n’être qu’un pion sur l’échiquier politico-militaire de l’Ouest français, les seigneurs fougerais ont tenté de résister, de conserver leur rang et leur place dans cette nouvelle société. Toutefois, il ne faudrait pas résumer cette période aux seuls conflits, à partir du milieu du XIIe siècle pointent les premiers indices d’échanges économiques entre Fougères et la Normandie, à tel point que ces interactions modifièrent la topographie de la ville et enrichirent la population fougeraise d’immigrés normands. Si la guerre reste bien l’horizon de ces deux siècles, il convient aussi d’en souligner les ressorts socio-économiques.

Raoul II de Fougères contre Henri II Plantagenêt289 (1166-1173)

Si la lutte entre le seigneur de Fougères et le roi d’Angleterre

a été longue et terrible, tout n’était pas joué d’avance. L’anta-gonisme était récent, En 1142, au hasard d’une mention, dans les Chroniques d’Anjou nous voyons Henri de Fougères participer à une chevauché à la tête des troupes bretonnes dans la région de Pontorson290 et s’emparer de l’Avranchin et du comté de Mortain !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

289. Nous nous permettons de renvoyer à Julien Bachelier, Réseau vassalique et réseaux de peuplement : une même géographie féodale ? L’exemple du Fougerais (v. 1160-1180), dans B.M.S.H.A.F., t. 48, 2010, p. 1-74.

290. Paul Marchégay et André Salmon, éd. Chroniques d’Anjou (Paris, J. Renouard et Cie, 1856), t. 1, p. 297 : Henricus scilicet de Fulgeriis et complices ejus.

pour le bénéfice de Geoffroy Plantagenêt291. Le seigneur fougerais espérait récupérer le château de Pontorson en récompense, mais Geoffroy refusa sachant pertinemment à quel point cette forteresse faisait office d’épine dans le pied des Bretons292. La Normandie et l’Angleterre étaient alors en pleine guerre entre les partisans de Mathilde, épouse de Geoffroy Plantagenêt, et Étienne de Blois293. Les anciens domaines de Guillaume le Conquérant se trouvaient séparés en deux : à Étienne l’Angleterre, à Mathilde et son époux angevin, les possessions continentales. Les seigneurs normands et bretons qui avaient des terres de part et d’autre durent prendre parti. Si Conan III semble avoir lutté contre l’Anjou, Henri s’estima suffisant autonome pour choisir le parti adverse. Quoi qu’il en soit, Geoffroy Plantagenêt s’imposa, le fils de ce dernier, Henri, se retrouva par les hasards des successions dynastiques et grâce à un mariage intéressé à la tête de toute la façade occidentale française, excepté la Bretagne.

Comment le duc-roi Henri II Plantagenêt va-t-il mettre la main sur la Bretagne ? Quelles vont être les conséquences pour la seigneurie et la ville de Fougères de cette ambition ? Car pendant près d’un demi-siècle, la frontière va devenir une zone de tensions et parfois de combats.

Un duché en crise face à un puissant Empire. – En ce milieu de

XIIe siècle, la situation des duchés breton et normand était bien différente ; d’un côté, une crise dynastique, de l’autre, une intégration à un puissant ensemble. Entre ces deux pôles, il faudra nécessairement situer Fougères, particulièrement son seigneur, Raoul II. !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

291. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 392. 292. Ibid., p. 1 et 132. 293. François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 498 et

suivantes.

Tout d’abord, le côté breton, où le duché vacille. Conan III, duc de Bretagne, mourut en 1148. Il avait eu deux enfants : un fils Hoël et une fille, Berthe. Mariée à Alain le Noir, elle avait un fils, Conan, puis elle s’était remariée à Eudes de Porhoët. On aurait pu s’attendre à ce que Hoël hérite du duché, il n’en fut rien, car avant de mourir, Conan III le déclara illégitime294. Le titre ducal fut provisoirement confié à Eudes de Porhoët, dans l’esprit de Conan III, ce devait être son petit-fils qui, à terme, devait régner. Quoi qu’il en soit en 1148, Eudes de Porhoët était à la tête de la Bretagne en attendant que son beau-fils atteigne la majorité. Ce fut chose faite en 1154, Conan IV réclama son titre ducal, mais Eudes s’y opposa. Après une vaine révolte, le jeune prétendant se réfugia dans l’honneur de Richmond, hérité de son père, Alain le Noir, en Angleterre, où il avait grandi. Cet honneur, situé dans Yorkshire, rapportait des revenus aussi importants que la Bretagne, Conan pouvait envisager une reconquête295. L’affaire prend une nouvelle dimension si l’on précise que Conan est accueilli outre-Manche par Henri II Plantagenêt. Dès 1153, ce dernier avait reconnu le jeune Conan comme héritier légitime de l’honneur de Richmond, faisant du prince breton un vassal, or Henri devenait justement roi d’Angleterre en 1154, ce royaume ne constituant qu’une partie de ses vastes domaines.

Face à Eudes de Porhoët et son titre ducal chancelant, se trouvait Henri Plantagenêt, le prince le plus puissant d’Occident ; l’étendue de ses terres est telle que l’on parle parfois d’« Empire Plantagenêt296 ». De par sa mère, Mathilde, Henri avait hérité de

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!294. Il ne s’agissait pas d’une décision subite, mais préparée dès les années

1130-1140 (Judith A. Everard, Brittany and the Angevins : province and empire, 1158-1203 (Cambridge, Cambridge University Press, 2000), p. 30 et suivantes.

295. Ibid., p. 84-85. 296. La notion d’ « empire » est d’un usage courant parmi les historiens,

même si elle ne renvoie à aucune réalité. En effet, il n’y a jamais eu d’ « empire Plantagenêt » au sens où aucun souverain de cette famille n’a porté le titre impérial ou ne l’a revendiqué. « Empire » doit ici être compris par référence à

la Normandie (1150) et de l’Angleterre (1154) ; de par son père, Geoffroy, il recueillit l’Anjou, le Maine et la Touraine (1151). En 1152, il épousa Aliénor d’Aquitaine, répudiée par le roi de France Louis VII, l’éternel ennemi d’Henri, mais également son seigneur pour ses terres continentales. Aliénor lui apporta le vaste duché d’Aquitaine qui s’étirait des Pyrénées au Poitou et poussait en direction de l’est jusqu’au comté d’Auvergne. Henri II Plantagenêt avait donc sous son autorité de vastes régions et surtout il contrôlait presque toute la façade occidentale de la France. Presque, car lui échappait le duché breton. Il n’eut probablement pas l’ambition de l’envahir, mais les évènements et surtout la tendance des principautés à intervenir d’une manière ou d’une autre chez leurs voisines poussèrent Henri II en direction de la Bretagne. Plus que le contrôle direct sur la péninsule, ce qui semble lui importer était de retrouver une certaine de suzeraineté sur celle-ci297, comme au temps de son aïeul qui ne cessa de l’inspirer, Henri Ier.

En ce milieu de XIIe siècle, alors qu’Henri II dominait tout l’Ouest français et qu’Eudes de Porhoët s’accrochait à la tête de la Bretagne, la seigneurie fougeraise était dirigée par Raoul II qui n’hésitait pas à commencer ses chartes par la formule suivant : «Moi, Raoul, seigneur de Fougères par la grâce de Dieu298 ». Fils

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!l’étendue des possessions. Voir : Henri Bautier, dir. Y a-t-il une civilisation du monde Plantagenêt ?. Actes du colloque d’histoire médiévale, Fontevraud 26-28 avril 1984, dans Cahiers de Civilisation Médiévale, t. 29, 1986 et en particulier Henri Bautier, « Empire Plantagenêt » ou « espace Plantagenêt » : y eut-il une civilisation du monde Plantagenêt ?, p. 139-147 ? où l’auteur insistant sur la diversité des territoires sous domination des Plantagenêt préfère parler d’« espace ». Plus récemment : Martin Aurell, L’Empire des Plantagenêts, op. cit. et Fanny Madeline, L’empire des Plantagenêts. Espace féodal et construction territoriale, dans Hypothèses 2007. Travaux de l’École doctorale d’Histoire, p. 239-252.

297. Judith A. Everard, Brittany and the Angevins, op. cit., p. 36. 298. Cette titulature, qui commence certains actes du seigneur de Fougères,

montre l’ambition du lignage, car avant Raoul, son père, Henri, avait été le premier à placer cette formulation en tête de certains de ses chartes (Arch. dép.

d’Henri de Fougères et d’Olive, Raoul descendait à la fois des ducs bretons et normands, il appartenait à l’aristocratie. Ses possessions étaient vastes et étendues, outre la châtellenie de Fougères, le seigneur avait de nombreux biens en Normandie et en Angleterre299. La possession de ces terres et manoirs en dehors de la Bretagne était loin d’être anodine et pouvait facilement constituer un outil de pression.

Prémisses (1156). – En 1156, on assista à une double offensive,

Fougères se trouvait en première ligne. Tout d’abord, Conan débarqua en Bretagne pour reconquérir son titre ducal. De son côté, Henri II massa des troupes le long de la frontière britto-nor-mande300. La démarche du second fut une réussite, ainsi, Raoul II de Fougères après avoir soutenu Eudes de Porhoët bascula dans le camp de Conan, à tel point qu’il captura même son ancien

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Ille-et-Vil., 1F554, actes n° 2 [année : 1150], n° 3 [1151] et n° 6 [1163]). Florian Mazel souligne que prendre une telle titulature « s’inscrit résolument dans une démarche de souveraineté et d’indépendance complète à l’égard du pouvoir du comte » (Florian Mazel, La noblesse et l’Église en Provence, fin Xe-début XIVe siècle. L’exemple des familles d’Agoult-Simiane, de Baux et de Marseille [Paris, C.T.H.S., 2002 ; rééd. 2008], p. 299). Mais on peut aussi souligner que c’est la papauté elle-même qui a influencé le lignage fougerais et d’autres, en effet, en décembre 1144, le pape Lucius II écrivit, dans une lettre relative à Savigny, à Juhel de Mayenne et Henri de Fougères leur signifiant que le pouvoir qu’ils avaient sur leurs terres leur venait de Dieu (Lucius episcopus, servus servorum Dei, nobilibus viris Henrico Fulgeriensi et Juhello Meduanensi [...] in terra potestatis a Deo vobis commissae juvatis et manutenetis, et de facultatibus vobis a Deo commissis optata eis solatia ministratis [...] : Epistolae Lucii II papae, dans R.H.G.F., t. 15, 1878, p. 411-421, à la p. 416). Sur Raoul II, voir : Julien Bachelier, Raoul II fut-il un grand seigneur ?, art. cit.

299. Voir ci-dessus. Raoul II a peut-être aussi profité de la vacance laissé à la tête du comté de Mortain à partir de 1154. V Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 276.

300. John Le Patourel, Henri II Plantagenêt et la Bretagne, dans M.S.H.A.B., t. 58, 1981, p. 99-116, à la p. 100.

allié301. Quant au jeune prétendant, il enchaîna le succès, même si tous les seigneurs bretons ne le reconnurent pas. Toutefois l’avancée d’Henri II Plantagenêt fut réelle en Bretagne, d’autant plus qu’au même moment, en 1156, le Nantais passa sous la coupe de sa famille. Son frère, Geoffroy, fut choisi par les habitants de la cité contrôlant l’accès à la Loire ; ils venaient de chasser Hoël, le fils de Conan III qui avait reçu le Nantais.

En 1157, les actes de la Maison de Fougères sont datés en fonction du règne de Conan IV302, voire d’Henri II303. Raoul II ne refusa pas d’emblée d’évoluer dans l’orbite des Plantagenêt, au contraire il se montrait loyal. Pourtant, la politique du roi d’Angleterre en Bretagne ne lui était guère favorable.

En effet, Henri II avait conscience que la seigneurie de Fou-gères posait problème entre la Bretagne et la Normandie. La situation frontalière fougeraise n’était plus un avantage pour ses seigneurs au cours des décennies 1150-1170. Le duc-roi normand était dorénavant un adversaire. Henri II chercha à affaiblir la châ-tellenie de Fougères en détournant une partie de ses vassaux vers celle de Vitré304, qui était alliée à Henri II305. Alors que Raoul II se trouvait à la tête d’un vaste réseau de mottes et de chevaliers vassaux – près de quarante-cinq –, au cours de la décennie 1150, son rival vitréen arriva à dépasser la cinquantaine. La seigneurie

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!301. Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de

Fougères, op. cit., t. 2, p. 220 et Frédéric Morvan, Les seigneurs de Fougères du milieu du XIIe au milieu du XIVe siècle, dans B.M.S.H.A.F., t. 41, 2003, p. 1-51, à la p. 5.

302. « À l’époque où Conan était duc de Bretagne et comte de Richemont » le 29 mars 1157 (B.n.F., ms fr. 22325, fol. 238).

303. « Alors que Conan était comte de Bretagne et duc de Richemont, qu’Henri régnait en Angleterre et que Geoffroy, son fils, était comte d’Anjou » (B.n.F., ms fr. 22325, fol. 239).

304. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant. 305. Michel Brand’Honneur, Seigneurs et réseaux de chevaliers du nord-est du

Rennais sous Henri II Plantagenêt, dans Martin Aurell, dir. Noblesse de l’empire Plantagenêt (1154-1224) (Poitiers, Centre d’études supérieur de civilisation médiévale, C.E.S.C.M., 2001), p. 165-184, à la p. 171.

fougeraise se trouvait donc prise entre deux feux. Mais Raoul II en tant que grand noble ne pouvait tolérer de perdre autant de prestige, autant de pouvoir, sa position parmi l’élite du duché s’en trouvait menacée. Pourtant il n’entra pas en révolte tout de suite, d’une certaine manière, il accepta l’ordre imposé par Henri II. Il avait très certainement conscience de la puissance de son adversaire. Mais le duc-roi poussa le seigneur fougerais à la révolte.

Un premier et rude avertissement (1163-1166). – Les germes de

la révolte furent semés le long de la frontière, du côté breton. L’abbé du Mont Saint-Michel, Robert de Torigni nota laconiquement qu’au « mois de juillet [1162], Jean de Dol mourut, il avait placé sa terre et sa fille sous la protection de Raoul de Fougères. Le roi des Anglais reprit la tour306. » On se trouve ici dans une situation classique où le lignage dolois risquait de tomber en quenouille, l’unique héritière, trop jeune pour être mariée, fut confiée au voisin mais aussi parent, Raoul II de Fougères. Charge à lui de prendre soin de la seigneurie et de trouver un mari digne de la jeune fille. Henri II, qui faisait son possible pour affaiblir la châtellenie fougeraise, ne put tolérer la situation et exigea que Dol, cité archiépiscopale – du moins pour une partie des Bretons307 – fut placé sous son autorité ; il nomma

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!306. Eodem mense, Johannes de Dol mortuus est, et dimisit terram suam et filiam

in protectione Radulfi de Fulgeriis. Sed rex Anglorum accepit turrem de manu ejus (Léopold Delisle, éd. Chronique de Robert de Torigni, abbé du Mont Saint-Michel suivie de divers opuscules historiques de cet auteur et de plusieurs religieux de la même abbaye [Rouen, Société de l’Histoire de Normandie, 1872], t. 1, p. 340).

307. L’évêché de Dol-de-Bretagne voulait s’ériger en archevêché au détriment de Tours, au moins depuis le milieu du IXe siècle, époque où la Bretagne devint un royaume indépendant. Il n’était pas acceptable pour Salomon d’avoir un haut clergé aux ordres de Tours, citée tenue par les rois de France. Mais la papauté n’affirma jamais que Dol fût bien un siège

Étienne, fils du comte Geoffroy Boterel II, vicarius et custos de cette terre308. Raoul se trouvait de plus en plus écarté du pouvoir, il le devinait et probablement envisagea-t-il une autre issue à partir de 1162.

L’année suivante, nous retrouvons Raoul II participer à une révolte aux côtés d’Eudes de Porhoët. Le connétable de Normandie envahit le nord de la Haute-Bretagne, en direction de Combourg309 ; mais faute de troupes, il ne put aller plus loin. De manière évidente, la Normandie devenait à partir de 1163 une région d’où venait l’ennemi. Henri II ne put intervenir personnellement tout de suite310 ; quant à Raoul II, il prit vraisemblablement la croix, comme l’indique une charte de Savigny311. Partir en croisade permettait théoriquement d’écarter toute menace sur ses biens et sa personne. En 1164, Henri II confisqua le manoir anglais de Twyford312 ; peut-être en fut-il de même pour certaines terres normandes.

De retour en 1166, le croisé Raoul a semble-t-il envisagé des négociations. Il savait qu’il ne faisait pas le poids face à Henri II, sa révolte était une manière de retrouver son rang. Le seigneur fougerais aurait traversé la Manche pour discuter ; il aurait, à cette occasion, fait un don à Savigny313. Loin d’être un hasard,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!archiépiscopal, elle louvoya dans sa réponse pendant plusieurs siècles, puisqu’il faut attendre 1198 pour que Rome décide que Dol dépendait de Tours.

308. Michel Brand’Honneur, Seigneurs et réseaux de chevaliers, art. cit., p. 168. 309. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant. 310. André Chédeville et Noël-Yves. Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit.,

p. 87. 311. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 (publié dans Pierre-Hyacinthe Morice

(dom), Mémoires, op. cit., t. 1, col. 588). 312. Nicholas Vincent, Twyford under the Bretons, art. cit., p. 82. 313. Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 1, col. 657, acte en

présence du duc de Bretagne, Conan IV. Il s’agit du don de l’église de Benington, en Angleterre, le duc évoque son administration de part et d’autre de la Manche, mais l’acte n’est pas nécessairement passé en Angleterre. Voir : Frédéric Morvan, Les seigneurs de Fougères, art. cit.

cette aumône permettait à Raoul II de rappeler son lien avec la Normandie, l’abbaye avait été fondée avec l’accord d’Henri Ier, grand-père et inspirateur d’Henri II. Les négociations échouèrent. Avant de revenir dans son château, Raoul II a probablement fait un détour par la cour du roi de France afin de sonder les intentions de Louis VII. Vaillant mais pas irréfléchi, il savait que les combats viseraient Fougères, cœur de sa seigneurie. Il se prépara donc au combat en améliorant la défense de son château.

Henri II avait fini de lutter contre les Gallois. Au mois de mars 1166, il traversa la Manche, arriva en Normandie, mâta quelques vassaux récalcitrants et se tourna vers Fougères au dé-but de l’été. Prévoyant Raoul II avait détruit les moissons, les routes venant de Normandie avaient été parsemées de chausse-trappes pour ralentir la progression du roi d’Angleterre. Il faut alors imaginer que la cour du roi de France fut avertie. Enfin, à l’intérieur de son château, Raoul s’entoura des « meilleurs che-valiers314 ».

Le combat pouvait avoir lieu ; il fut bref. Le 28 juin les trou-pes anglo-normandes se trouvaient face au château de Fougères, qui tomba dès le 14 juillet315. Une nouvelle fois, l’abbé du Mont Saint-Michel, présent316, nota lapidairement que le château « fut

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!314. In accessu Filgeriarum grave damnum perpessus est [...]. Radulfus enim, ut

perhibent, castrum suum optime praemunivit, vastavitque quidquid alimentorum in circuitu suo potuit inveniri, nec ad remotiora sine magnis copiis praeambulantium progredi licet, eo quod electissimorum militum Radulfus memoratus copiam habens, vias eorum acutissimis sepit spinis, et aculeis urget equos ut cadant ascensores eorum retro, et in exercitum ipsum crebras, ut loquuntur, facit irruptiones (J. A. Giles, éd. Ioannes Saresberiensis, Opera omnia nunc primum in unum collegit et cum codicibus manuscriptis (Oxford, 1848), t. 1, « Espitolae, epistola CLXXV – ad Thomam Cantuariensem », p. 284-285).

315. Jacques Boussard, Les mercenaires du XIIe siècle. Henri II Plantagenêt et les origines de l’armée de métier, dans Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 106-2, 1945-1946, p. 189-224, p. 201.

316. Henri II continua de faire des dons en plein siège. Voir deux actes du Cartulaire du Mont Saint-Michel (op. cit., fol. 122v, acte en haut de la page), on

assiégé, pris et détruit de fond en comble317 ». La rapidité du siège peut s’expliquer par le fait que Henri II eut recours à des mercenaires, ces professionnels de la guerre maîtrisaient toute une panoplie de techniques pour prendre un château318. Henri II poursuivit son expédition vers le cœur de la Bretagne ; quant à Fougères, malgré ce qu’ont écrit certains, il semble que seul le château ait été détruit, la ville fut peut-être pillée, mais pas rasée, ni incendiée319.

Sans être magnanime, mais plutôt habile, Henri II se récon-cilia dès 1167 avec Raoul II, en lui restituant son manoir anglais de Twyford, peu de temps après, le seigneur fougerais faisait par-tie de la suite royale lors d’un acte passé à Mortain320. Puis en 1168 Étienne de Fougères, chapelain du roi d’Angleterre et proba-ble parent du seigneur fougerais, fut nommé évêque de Rennes321. Raoul était vaincu, mais les origines de sa révolte restaient présentes.

Une violente répression (1173). – En 1173, Henri II eut à

affronter la plus terrible des révoltes. Habituellement il s’agissait de quelques seigneurs, appuyés sur leur réseau de vassaux, mais cette année-là l’opposition fut de taille. On trouvait parmi les adversaires au duc-roi, sa femme et ses fils : Aliénor d’Aquitaine, Henri le Jeune – à l’origine de la révolte –, Richard Cœur de Lion !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!notera la présence d’Étienne de Fougères, chapelain du roi et rédacteur de l’acte. Voir aussi Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 284-285, actes n° 20 et 21 ; Recueil des actes d’Henri II, op. cit., t. 1, p. 402, actes n° 256 et 257.

317. Castrum Felgeriarum obsedit, cepit, funditus delevit dans Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 1, p. 361.

318. Jacques Boussard, Les mercenaires, art. cit., p. 221. 319. Résumé des points de vue et références bibliographiques dans Julien

Bachelier, Réseau vassalique, art. cit., p. 12 et suivantes. 320. Nicholas Vincent, Twyford under the Bretons, art. cit., p. 82 et Judith A.

Everard, Brittany and the Angevins, op. cit., p. 55. 321. Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 2. L’appartenance

d’Étienne au lignage fougerais, sans être certaine est probable.

et Geoffroy, duc de Bretagne322, le roi de France Louis VII et ses alliés, et enfin des barons angevins, normands et bretons, dont Raoul II.

Le duché de Normandie fut attaqué sur différents fronts, Henri repoussa les forces françaises, plaça des troupes face à la Flandre et se tourna vers la Bretagne. Il demanda d’abord à ses mercenaires de « dévaster la seigneurie de Raoul de Fougères323 », qui partirent de Rouen le 12 août et arrivèrent à Saint-James-de-Beuvron dès le 19, soit une semaine pour parcourir près de 220-250 kilomètres324. L’allure fut rapide, trop peut-être, car Raoul II les attaqua sur une route entre Saint-James et Fougères325, une tradition locale veut que l’affrontement se soit déroulé au lieu-dit La Bataillère au Châtellier326. Sur sa lancée, le seigneur de Fougères s’empara des châteaux de Saint-James et du Teilleul, qu’il incendia327. Henri renvoya aussitôt des troupes sur le front britto-normand. Le combat n’eut pas lieu à Fougères, ce qui indiquerait que le château était en reconstruction. Raoul préféra gagner les !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

322. Geoffroy avait épousé la fille de Conan IV en 1166, les promis avaient respectivement huit et quatre ans. Henri II contrôlait de facto la Bretagne.

323. Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 43 : Henricus misisset Brebenzones suos ad devastandam terram Radulfi de Fulgeriis.

324. Jacques Boussard, Les mercenaires, art. cit., p. 204 et François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 539-540.

325. Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 43 : Henricus misisset Brebenzones suos ad devastandam terram Radulfi de Fulgeriis, et hoc ex magna parte fecissent, magna pars eorum, qui victualia ad exercitum deferebant, cum non haberent ducem neque protectorem, occisa est inter Sanctum Jacobum et Fulgerias a militibus Radulfi de Fulgeriis.

326. Dép. Ille-et-Vilaine, arr. Fougères-Vitré, cant. Saint-Brice-en-Coglès. Amédée Bertin et Léon Maupillé, Notice historique, p. 33, n. 1 ; Christian Le Bouteiller, Notes sur l’histoire de la ville et du pays de Fougères, op. cit., t. 2, p. 234 ; Émile Pautrel, Notions d’Histoire et d’Archéologie pour la région de Fougères (Rennes, Riou-Reuzé, 1927), p. 55-56 ou encore René Cintré, Les très grandes heures du pays de Fougères (Pornichet, Éditions Jean-Marie Pierre, 1994), p. 50.

327. Radulfus de Filgeriis castrum Sancti Jacobi tradidit incendio ; similiter castrum Tilioli (Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 43).

forteresses de Combourg et Dol-de-Bretagne. Là, le 20 août 1173, les armées se livrèrent à une première bataille ; ce fut une déroute pour les Bretons. Raoul II se réfugia dans la tour de Dol avec une quarantaine de chevaliers. Dès le lendemain, avant l’aube, Henri II quitta Rouen pour assister en personne au siège, il fut sous les murs de Dol dès le 23 août328. Les machines de sièges commencèrent à être érigées, les assiégés se rendirent le 26. Captif, Raoul dut donner deux de ses fils en otage, Juhel et Guillaume ; Henri ne le laissa pas quitte pour autant car il ordonna à ses mercenaires, les terribles Brabançons, de dévaster la région de Fougères et de détruire les différentes places fortes de Raoul II329. Sur le site du château, les archéologues ont mis au jour, au sein d’une couche de cendre et de nombreux fragments de céramique, une douzaine de pointes de flèches et de carreaux d’arbalètes, une lame de couteau et une bouterolle de poignard. Ses biens anglais furent confisqués, on ignore ce qu’il advint des terres normandes, qui connurent probablement le même sort330.

Durant cette petite décennie couvrant les années 1166 à 1173, il est évident que les liens entre Fougères et la Normandie ont considérablement changé de nature. Alors que le sud de l’Avranchin et le Mortainais pouvaient être considérés comme le jardin des seigneurs de Fougères, à partir du milieu du XIIe siècle, dans le contexte de la montée en puissance des monarchies, la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

328. Voir le détail dans Julien Bachelier, Réseau vassalique, art. cit., p. 18. 329. Chronique de Robert de Torigni, op. cit., t. 2, p. 46 : Siquidem Brebenzones

regis dextruxerant castrum Quircae, sicut antea pessumdederant Fulgerias, et ceteras munitiones Radulfi.

330. Sur le château : Frédéric Champagne, Fougères (Ille-et-Vilaine). Le château, dans Archéologie Médiévale, t. 18, 1988, p. 357-358 et davantage de détails dans : François Fichet de Clairefontaine, Frédéric Champagne et Jérôme Cucarull Gavalda, Le premier château de Fougères vers 1020-1166, dans La Bretagne et l’Europe préhistorique, mémoires en hommage à Pierre-Roland Giot (Rennes, Revue Archéologique de l'Ouest, 1990 ; Revue Archéologique de l'Ouest, supplément 2), p. 333-337, et les confiscations en Angleterre (Nicholas Vincent, Twyford under the Bretons, art. cit., p. 82-83).

Normandie constituait, du fait de son lien avec le royaume d’Angleterre, une tête-de-pont pour attaquer la péninsule ; Fougères se trouvant en première ligne.

Le seigneur de Fougères ne se révolta plus, du moins pas tout de suite. Il fallait reconstruire son château, remettre en état sa seigneurie et trouver sa place dans le nouvel ordonnancement Plantagenêt.

1189 : la vengeance de Raoul II ?. – En 1189, Richard Cœur de

Lion, avec l’appui de Philippe Auguste, roi de France, lança une énième révolte contre son père, à laquelle participa Raoul II. Cette fois-ci Henri II, épuisé, ne put l’emporter. Il dut négocier et mourut quelques semaines après, scellant ainsi son échec.

Le seigneur de Fougères devait alors être relativement âgé. Sa participation à la révolte fut tardive. Les chroniqueurs de l’époque ont souligné qu’à l’image des barons de Mayenne et Laval, Raoul II abandonna Henri II et entra en révolte dans les derniers jours, se méfiant très certainement du vieux roi. Richard Cœur de Lion refusa de récompenser leur trahison, alors que dans le même temps, son frère, Jean sans Terre, n’encourra aucune sanction pour avoir trahi son propre père, il fut même nommé comte de Mortain331. La participation de Raoul II montre très clairement que la frontière britto-normande, après avoir connu un bref apaisement, était prompte à s’enflammer.

Durant cette période (c. 1150-1170), malgré un possible effet

déformant des sources, il est plus que probable que pour les Fougerais, la Normandie représentait avant tout une menace. Les troupes d’Henri II arrivaient toujours de ce côté-ci. Toutefois, le seigneur de Fougères continua d’entretenir des liens spirituels et matrimoniaux avec le duché voisin. L’abbaye de Savigny

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!331. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 347 et 401-402.

continua de recevoir des dons. Le fils aîné de Raoul II, Guillaume, avait épousé Agathe de Hommet, fille d’un lignage important de Normandie, proche d’Henri II Plantagenêt ; Marguerite, fille de Raoul, trouva aussi un compagnon de l’autre côté d’une frontière qui restait malgré la politique des Plantagenêt bien poreuse332.

Entre alliances et défiance (fin XIIe-début XIIIe siècle)

Henri II disparaît, abandonné par tous en 1189 et son fils,

Richard, récupère l’héritage familial. Comment vont évoluer les rapports entre Fougères et la Normandie ? De quelle manière les seigneurs fougerais vont s’intégrer à cette première guerre de Cent Ans entre les deux monarchies anglaise et française ? La victoire de Philippe Auguste en 1204 face à Jean sans Terre va-t-elle ramener la paix sur la frontière ?

Fougères et les héritiers de Henri II Plantagenêt333. – Héritier de

son père, Richard hérita surtout d’une situation confuse ; on ne s’intéressera ici qu’à la situation bretonne. Geoffroy, autre fils de Henri II, avait mystérieusement disparu en 1186 lors d’un séjour à la cour du roi de France, lors d’un tournoi ou à la suite d’une forte fièvre, voire, pour certains, d’un empoisonnement. Quelques semaines plus tard, son épouse, Constance mit au monde un fils répondant au prénom programmatique d’Arthur.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!332. Ce qui permet de nuancer l’analyse de Daniel Power sur la seconde

moitié du XIIe siècle, l’auteur estimant que les mariages transfrontaliers devenaient alors de plus en plus rares (ibid., p. 241) ; mais on constate que le lignage de Fougères, pourtant belliqueux à l’encontre de Henri II Plantagenêt, continua à nouer des alliances en Normandie.

333. Pour davantage de détails, se reporter aux ouvrages suivants : André Chédeville et Noël-Yves. Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit., p. 98 et suivantes et François Neveux, La Normandie des ducs aux rois, op. cit., p. 551 et suivantes.

Furieux et inquiet, Henri avait imposé un remariage à la jeune veuve, avec un fidèle, Ranulf de Chester. Vicomte d’Avranches et seigneur de Saint-James-de-Beuvron, il veillait à la cette partie de la frontière. La mort du vieux roi anglais permit à Constance de gouverner la Bretagne, d’autant plus que peu de temps après, en 1189, Richard Cœur de Lion partit en croisade. Raoul II l’aurait accompagné, ils auraient été côte à côte sous les murs de Saint-Jean-d’Acre334. Si Richard fut captif en Terre sainte, Raoul rentra dans sa seigneurie. Les deux hommes se seraient revus lors d’un séjour du duc-roi à Fougères en 1195335. L’amitié entre les deux hommes fut rompue par la mort de Raoul II au cours de cette année. Les quelques années d’apaisement cessèrent sur-le-champ ; la Normandie redevenait une menace.

Constance organisa une cérémonie à Rennes afin que l’aristocratie bretonne reconnaisse Arthur ; Richard s’en méfia. Le nouveau maître de Fougères, Guillaume, frère de Raoul II et tuteur de son neveu, Geoffroy, opta pour le parti breton, se plaçant ainsi parmi les adversaires du duc-roi. D’ailleurs, dès 1195, dans un rôle de l’Échiquier de Normandie, sorte de comptes publics, Guillaume de Fougères est accusé de difforciato, c’est-à-dire qu’il tenait un bien contre le droit et aurait causé des dégâts « contre la paix du pays et contre la dignite au duc de Normendie336 ». Le frère de Raoul II ne soutenait pas Richard, au !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

334. Ivan Gobry, Les Capétiens (888-1328) (Paris, Taillandier, 2001), p. 253. 335. Michel Brand’Honneur, Seigneurs et réseaux de chevaliers, art. cit. p. 170. 336. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 217 et

suivantes. La chronologie pose ici quelques problèmes. L’assemblée de Rennes se déroula au début de l’année 1196 et Guillaume aurait eu des terres confisquées l’année précédente ; on peut imaginer deux hypothèses en fonction de la mort de Raoul II, que certains placent d’ailleurs en 1194. En 1195, Guillaume aurait pu voir ses terres confisquées du vivant de son frère, il pouvait posséder des terres en Normandie indépendamment de celles de son Raoul II et il se serait placé dans l’opposition à Richard, qui aurait saisi ses domaines ; il n’était pas rare que dans une même famille, des frères, oncles et neveux combattent dans des camps opposés. Ou bien, une fois Raoul II mort,

contraire. Richard ne pouvait admettre un pouvoir qui lui échappât en Bretagne, il intervint en 1196, peu de temps après l’assemblée de Rennes et avoir fait prisonnière Constance. Des mercenaires venus de Normandie auraient sillonnés la région fougeraise ; on se retrouvait dans une situation proche des celles des années 1166-1173. Mais Richard Cœur de Lion mourut sans héritier dès 1199.

Une nouvelle fois la seigneurie de Fougères allait devoir choisir, d’un côté, le prétendant breton, Arthur, de l’autre, Jean sans Terre ; le premier était le petit-fils d’Henri II tandis que le suivant était son fils direct, mais Arthur prétendait être le premier dans l’ordre de succession, car son père, Geoffroy, était né avant Jean. La Bretagne fut donc une nouvelle fois une terre de combats et Fougères au centre des luttes.

Arthur ne se contenta pas de revendiquer le duché breton, il exigea l’« Empire » Plantagenêt, face à lui son oncle, Jean sans Terre, soutenu par Aliénor d’Aquitaine. Les coutumes de succession, mais pas uniquement, firent que la Normandie et l’Angleterre soutinrent Jean, tandis que l’Anjou, le Maine et surtout la Bretagne se rangèrent derrière Arthur. Jean fut rapidement reconnu roi d’Angleterre et duc de Normandie. Un troisième acteur tirait les ficelles, Philippe Auguste, soutenant plus ou moins activement le jeune prince breton, en fonction de ses intérêts ; quant au seigneur de Fougères, Guillaume, il faisait office de second rôle. Après avoir soutenu Arthur, Guillaume serait finalement revenu dans le camp de Jean, qui lui avait auparavant confisqué ses domaines anglo-normands337. Les deux hommes s’étaient très certainement rencontrés lorsque Jean fut comte de Mortain.

En 1202, Philippe Auguste soutint ouvertement Arthur et confisqua au même moment les terres de Jean sans Terre. Mais au !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Guillaume soutint Constance de Bretagne dès les préparatifs de l’assemblée qui durent se tenir à la fin de l’année 1195.

337. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 440-441.

cours du siège de Mirebeau, près de Loudun, Arthur fut capturé par les hommes de son oncle. Nombre de barons et d’évêques bretons engagèrent alors des négociations avec le roi d’Angleterre, parmi eux Guillaume de Fougères338. Confronté au refus de Jean d’engager la moindre tractation et à l’assassinat d’Arthur sur l’ordre de ce dernier, le seigneur fougerais participa à une révolte en 1203, menée par Guy de Thouars, beau-père d’Arthur et qui faisait alors office de comte de Bretagne ; le Cotentin et le Mortainais furent attaqués. Du côté fougerais une alliance matrimoniale fut nouée avec un des ennemis de Jean, le comte de Chester qui épousa Clémence de Fougères. Philippe Auguste avait peut-être perdu avec Arthur une carte maîtresse, mais les barons bretons nouèrent contact avec lui et de plus en plus de seigneurs du Grand Ouest basculèrent dans le camp capétien. De son côté, de plus en plus isolé, Jean sans Terre intervint dès la fin de l’année 1203 dans la péninsule bretonne avec le soutien des seigneurs du Mortainais qu’il connaissait et que les Bretons avaient attaqués. Il envoya ses mercenaires ravager la région de Fougères et détruire la cité de Dol-de-Bretagne, dont la cathédrale fut pillée de ses reliques puis incendiée339. Durant l’hiver 1203-1204, Jean sans Terre chargea le comte de Salisbury de préparer la défense de l’Avranchin face au péril breton340. Philippe Auguste parvint à se rallier les seigneurs bretons, angevins et poitevins afin de porter le coup fatal à Jean ; en mars 1204, il attaqua la Normandie. Les Bretons participèrent activement aux côtés du roi de France à cette conquête en s’en prenant au sud de l’Avranchin341. La Normandie tomba dans l’escarcelle française.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!338. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 233. 339. D’après Guillaume le Breton. Voir Julien Bachelier, Fougères brûle-t-

elle ? Les années 1166-1173 et les sources, dans Le Pays de Fougères, n° 145, juin 2007, p. 4-8, à la p. 8, n. 7.

340. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 440-441. 341. François Neveux, Normandie et Bretagne, art. cit., p. 354-355.

Retour au calme avec une Normandie française (1204-1237) ?. –

Pour la région frontalière avec la Bretagne, cette victoire capétienne pouvait apparaître comme un espoir de retour au calme après un demi-siècle de luttes. D’autant plus qu’en 1199, la duchesse Constance avait épousé Guy de Thouars, un proche du roi de France, qui dorénavant dirigeait le duché breton. Les deux duchés voisins étaient donc sous la domination capétienne ; on aurait pu imaginer que les relations entre Fougères et la Normandie furent purement pacifiques…

En fait, des troubles, liés à l’éviction de Jean sans Terre, persistèrent pendant près d’une décennie. Jusqu’en 1215, le roi d’Angleterre menaça la Normandie, certains seigneurs du Cotentin lui restaient fidèles342. La situation sans être complètement apaisée allait toutefois en s’améliorant, il y avait parfois certaines rechutes, comme en 1212 avec la révolte de Renaud de Dammartin, comte de Mortain ; Philippe Auguste intervint aussitôt et intégra le Mortainais au royaume, sans modifier les coutumes. Ainsi Daniel Power a souligné que le seigneur de Fougères conservait une certaine autorité dans le sud de l’Avranchin puisqu’il pouvait enregistrer certains dons343. Mais pour que les relations soient pleinement apaisées, il fallait que les deux autorités gouvernant les duchés fussent en paix ou sinon réunies sous une même domination. Et ce fut du côté breton que l’instabilité se manifesta avec un duc résolu à s’émanciper de la tutelle capétienne.

Guy de Thouard fut, selon l’expression de Noël-Yves Tonnerre : « un fidèle exécutant de la volonté capétienne344 ». Guy

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!342. On constate la même situation dans le Nantais et le Poitou en 1206,

non pas que Jean fut regretté, mais la mainmise capétienne fut jugée trop rapide, trop brutale et trop lourde.

343. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 446 et suivantes. 344. André Chédeville et Noël-Yves. Tonnerre, La Bretagne féodale, op. cit.,

p. 103.

avait en charge la future héritière du duché breton, Alix. Philippe Auguste chercha un mariage lui permettant de garder sa main-mise sur la Bretagne. En 1212, âgée d’une douzaine d’années, Alix fut mariée à Pierre de Dreux, de dix ans son aîné, mais surtout arrière-petit-fils de Louis VI et donc un cousin éloigné du roi en personne ; Pierre était membre de la famille capétienne. En 1213, Guy de Thouars mourut, Pierre de Dreux rendit hommage pour la Bretagne. Quant à la seigneurie de Fougères, elle était alors tenue par Raoul III, mineur, peut-être seulement âgé de cinq ans, dont la tutelle fut confiée à Juhel de Mayenne, seigneur de la ville du même nom et de Dinan345. En 1220, ce dernier disparu au cours de la croisade contre les Albigeois, Pierre de Dreux réclama la tutelle sur la seigneurie de Fougères ; contre le souhait de Raoul III, trop jeune pour s’imposer alors.

En 1226, Louis VIII disparaît. Le nouveau roi de France, Louis IX est mineur et la régence fut confiée à sa mère, Blanche de Castille. Presqu’aussitôt, Pierre de Dreux prend la tête d’une révolte, mais face aux troupes royales marchant sur la Bretagne, il a l’habileté de négocier et parvint même à obtenir la garde du château de Saint-James-de-Beuvron346. Dès 1228, Pierre se rebella à nouveau ; cette fois-ci, il perdit la garde de la forteresse normande ; les troupes françaises venant de Normandie se rapprochèrent de la seigneurie de Fougères, d’où Raoul III dut espérer une défaite de son encombrant tuteur.

En 1229, Pierre de Dreux, aussi surnommé Mauclerc, finit par rendre hommage à Henri III d’Angleterre. Les deux royaumes basculèrent une nouvelle fois dans la guerre. Refusant de se

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!345. Le Cartulaire de la seigneurie de la Fougères, op. cit., acte n° 60. Juhel de

Mayenne contrôlait aussi le Porhoët, relevant de la seigneurie fougeraise depuis peu, et il fut l’exécuteur testamentaire de Guy de Laval. Sur Juhel de Mayenne. Voir : Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 446 et suivantes.

346. Jean-Pierre Leguay et Hervé Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale, 1213-1532 (Rennes, Ouest-France, 1982 ; coll. Université), p. 30 et suivantes.

rendre à une convocation à la cour capétienne, Pierre fuit ses obli-gations vassaliques envers Louis IX ; ce dernier délia ses vassaux bretons de tout serment, ils entrèrent en révolte contre Pierre. En 1230, le roi d’Angleterre, Henri III débarqua à Saint-Malo347, une partie des seigneurs du Cotentin le soutint, notamment Foulques de La Haye-Pesnel, oncle de Raoul III348. Mais le neveu semble avoir été plus prudent et opta pour rendre hommage, avec d’autres barons bretons, au roi de France349. Un an plus tard, le seigneur de Fougères rendit une nouvelle fois hommage à Louis IX, qui lui restitua d’abord ses terres normandes350, puis il s’engagea à livrer au roi son château de Fougères toutes les fois où ce dernier viendrait en Bretagne351. Outre la rancœur que le seigneur pouvait avoir contre son ancien tuteur, c’en était fini le temps où un seigneur pouvait s’opposer à la volonté royale. D’ailleurs les troupes de Louis IX ne tardèrent pas.

Au printemps 1231, les soldats du roi de France pénétrèrent en Bretagne en passant par le sud de l’Avranchin, ayant rasé au passage le château du rebelle Foulques de La Haye-Pesnel. L’ob-jectif était de réaliser une démonstration à l’encontre de Pierre de Dreux, en s’emparant de Saint-Aubin-du-Cormier352, agglomé-ration castrale qu’il venait de fonder en 1225 ; mais, prévenu, ce dernier, parvint à détruire l’arrière-garde française aux alentours de Fougères. Cependant, après l’arrivée de renforts, le roi de France parvint à imposer une trêve de trois ans à son !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

347. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant. 348. Ce lien familial suffit-il à faire du seigneur fougerais un participant à

la révolte ? Voir : Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. 256.

349. Frédéric Morvan, Les seigneurs de Fougères, art. cit. 350. Ce qui fait dire à certains qu’il les avait peut-être perdues à la suite de

sa participation à la révolte contre Louis IX, ce qui reste peu probable. 351. Pierre-Hyacinthe Morice (dom), Mémoires, op. cit., t. 2, col. 872 et

Jacques Levron, Pierre Mauclerc, duc de Bretagne, dans M.S.H.A.B., t. 14, 1933, p. 203-295 et t. 15, 1934, p. 199-329, à la p. 226.

352. Dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

adversaire353. On notera que les soldats français arrivèrent de Normandie et ne firent que stationner à Fougères ; ce n’était plus des ennemis qui surgirent depuis le duché voisin, mais des alliés.

La période de suspension des combats arriva à terme en 1234, l’armée royale se décida à soumettre le duc rebelle. Et depuis l’embouchure du Couesnon à celle de la Loire, les troupes françaises menacèrent la péninsule. Sur la frontière britto-normande, les châteaux de Pontorson et de Saint-James-de-Beuvron montrèrent alors toute leur utilité354. Le duc de Bretagne céda. En 1237, son fils Jean Ier atteignit la majorité et Pierre de Dreux quitta le duché. Jean rendit aussitôt hommage à Louis IX, clôturant ainsi une dernière décennie de tensions sur la Marche de Bretagne.

La paix s’installa jusqu’à la Guerre de Cent Ans (1337-1453). Quel avenir pour les terres anglo-normandes ?. – Ces terres hors

de Bretagne furent toujours l’objet d’un soin particulier de la part des seigneurs bretons, comme des rois anglais, mais pas pour les mêmes raisons. Pour les premiers, elles rapportaient revenus et honneurs, pour les seconds, elles constituaient des moyens de pressions appréciables. Ainsi, Pierre de Dreux entra en négociation avec Henri III dès les années 1217-1218, en partie pour récupérer l’honneur de Richmond, dont les revenus équivalaient presque ceux du duché breton355. Il faut imaginer des préoccupations similaires de la part des seigneurs fougerais.

Malheureusement, cette question reste encore mal connue. Toutefois, il semble que 1204 constitue là aussi une certaine rupture, sans être franche. En effet, les biens anglais échappèrent

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!353. Jacques Levron, Pierre Mauclerc, art. cit., p. 228-229, ainsi que Jacques

Le Goff, Saint Louis (Paris, Gallimard, 1996 ; coll. Bibliothèque des Histoires), p. 105-106.

354. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 446 et suivantes. 355. Jean-Pierre Leguay et Hervé Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne

ducale, op. cit., p. 31.

pour partie aux seigneurs fougerais. Ainsi, le manoir d’Ipplepen, dans le Devon, échut tout d’abord à la famille de Chester à la suite du mariage de Clémence et Ranulf, puis dans les années 1220 à Raoul de Meulan, fils de Marguerite ou Mabille de Fougères, elle-même fille de Raoul II de Fougères356. Quant aux terres normandes, nous avons vu qu’elles furent l’objet d’une clause particulière dans le ralliement de Raoul III en faveur de Louis IX en 1230-1231. Toutefois, il faut bien admettre que nos connaissances sur le devenir des terres anglo-normandes restent incomplètes. Tout au plus, peut-on souligner qu’elles s’éloignent progressivement de l’horizon fougerais, tout particulièrement celles situées outre-Manche. La disparition de la famille de Fougères en 1256 entraîna une nette diminution de la documentation ; désormais, les seigneurs du calibre de ceux de Fougères ne pouvaient plus rivaliser avec les princes et surtout les rois. La disparition du lignage scelle la fin des ambitions de ces familles.

La Normandie à Fougères : immigration et

topographie (XIIe-XIVe siècle) Les relations entre Fougères et la Normandie n’ont pas été

uniquement martiales, les sources privilégient cet aspect, pourtant au détour de certains documents on devine des échanges beaucoup plus pacifiques, apaisés, particulièrement au plan économique, mais pas uniquement. Ainsi, les Normands n’ont pas hésité à venir s’installer à Fougères, pour y vivre et y travailler. La proximité avec le duché a aussi eu des conséquences sur la morphogenèse de Fougères, c’est-à-dire sur l’évolution de la forme de la ville.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!356. Daniel Power, The Norman frontier, op. cit., p. 227-228.

L’immigration normande à Fougères : un phénomène ancien

L’arrivée de travailleurs normands à Fougères est

particulièrement bien connue pour le bas Moyen Âge, notamment à partir de 1417357. Des indices, fugaces, suggèrent une présence normande au moins depuis le milieu du XIIe siècle.

En 1348, Charles, comte d’Alençon et seigneur de Fougères, fut en désaccord avec les bourgeois de la ville à propos du droit de patronage de la Maison Dieu et de la maladrerie. Mineur, Charles laissa sa mère, Marie d’Espagne, négocier. Les parties arrivèrent à un partage pour nommer à tour de rôle les des-servants de l’hôpital et de la léproserie. L’acte fut passé aux noms de cent cinquante trois bourgeois qui se qualifièrent pour l’oc-casion de « bourgeois et habitans de Fougères », et aussi, à deux reprises « de la plus grant et la plus saine partie des bourgeois et habitans de la dite ville de Fougières358 ». Or parmi ces derniers, on rencontre trois hommes dont le nom permet d’imaginer qu’eux-mêmes, ou un de leurs ancêtres, avaient immigrés à Fou-gères359, il s’agit de Gilot Normant, Michel Lenormant et Richard le Normant ; leur inclusion dans une liste de bourgeois de Fougères montre qu’ils ne doivent plus être considérés comme étrangers.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!357. Alain Bouchart, Les grandes croniques de Bretaigne, Marie-Louise Auger,

Gustave Jeanneau et Bernard Guénée éd. (Paris, CNRS éditions, 1987), t. 2, p. 255 et les articles de Paul Marchegay, L’établissement à Fougères des drapiers normands (1417-1421), dans Revue des provinces de l’Ouest, t. 2, 1854, p. 312-315 et René Cintré, À propos des immigrés et réfugiés normands dans les villes bretonnes proches de la frontière durant la guerre de Cent Ans, dans Philippe Lardin et Jean-Louis Roch, dir., La ville médiévale en deçà et au-delà de ses murs. Mélanges J.-P. Leguay (Rouen, Presses Universitaires de Rouen, 2000), p. 139-149.

358. Le Cartulaire de la seigneurie de la Fougères, op. cit., n° 64. 359. André Chédeville, L’anthroponymie bretonne, dans Bourin Monique et

Pascal Chareille, éd. Genèse médiévale de l’anthroponymie moderne, t. II-1, « Persistances du nom unique. Le cas de la Bretagne. L’anthroponymie des clercs » (Tours, Presses Universitaires de Tours, 1992), p. 9-43, à la p. 30.

Certes ce ne sont pas les seuls indices onomastiques de la liste qui permettent d’imaginer une origine extra-bretonne pour certains Fougerais, on trouve aussi les noms de Thomas le Caoursin (Cahors) ou encore Perrot Langlois (Angleterre), c’est néanmoins le contingent normand le plus important. On ignore malheureusement leur(s) activité(s).

Un peu après le milieu du XIIe siècle, un autre Normand vint s’installer à Fougères : Robert de Quettehou360. Il reçut de Raoul II « une place et une maison, au-dessus de l’étang de Rillé libres et exempts de toutes les coutumes […] à condition que le dit Robert et ses héritiers, me donne à moi [Raoul] et à mes héritiers, une paire d’éperons dorés, tous les ans à la Pentecôte361 ». Le seigneur voulait donc attirer un orfèvre, André Chédeville soulignait qu’étant « spécialiste d’un art362 », ce type d’artisan était particulièrement recherché par les seigneurs. Robert obtint une habitation qui fit très certainement aussi office de boutique, en retour il s’engageait à offrir annuellement une paire d’éperons dorés, l’un des symboles de la chevalerie363 remis lors de l’adoubement, après l’épée, la lance et le bouclier364. Comment Robert a-t-il su que Raoul avait besoin d’un orfèvre ? On pourra conjecturer sur les fréquents séjours du seigneur de Fougères en Normandie, où il avait des terres, mais Quettehou était relativement éloigné des domaines que tenait la famille de Fougères, du moins d’après ce qu’a pu nous livrer la

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!360. Dép. Manche, ch.-l. cant. 361. Julien Bachelier, Histoire d’une ville médiévale. Naissance de Fougères (XIe

– XIIIe siècle) (mémoire de maîtrise, Université Rennes-II, 2002), p. 293. 362. André. Chédeville, La « guerre des bourgs ». Concurrence châtelaine et

patrimoine monastique dans l'ouest de la France (XIe-XIIe s.), dans Élisabeth Mornet, dir. Campagnes médiévales : l'homme et son espace (900-1350). Études offertes à Robert Fossier (Paris, Publications de la Sorbonne, 1995), p. 501-512.

363. Éliane de La Boissière et Guy de La Boissière, Éperonnerie et parure du cheval de l'Antiquité à nos jours (Bruxelles, Racine, 2005), p. 22.

364. Jean Flori, La chevalerie (Gisserot, 2004), p. 27 et 29.

documentation. Peut-être est-ce là un indice suggérant que le lignage breton tenait aussi des terres dans le nord Cotentin ?

Ainsi donc, les migrations normandes à Fougères remontent bien au Moyen Âge central. La Marche était aussi un vivier de main-d’œuvre, on franchissait la frontière en fonction des opportunités. Cette influence de la Normandie sur Fougères s’observe même sur le plan de la ville médiévale.

Influence normande sur la morphogenèse de Fougères L’une des traces les plus durables des relations entre le duché

et la ville se retrouve dans les formes de Fougères elle-même. En effet, on peut distinguer deux influences de natures totalement différentes mais qui ont chacune à leur manière orienté le développement urbain fougerais.

Tout d’abord, le quartier de Savigny, essentiellement connu pour sa Maison de la toute fin du Moyen Âge. Il paraît presque évident que l’abbaye fondée par Raoul Ier reçoive des biens au pied du château. Toutefois, il faut attendre la fin de la première moitié du XIIe siècle pour trouver quelques allusions. Ainsi à deux reprises, Henri réalisa des aumônes en faveur de l’abbaye normande dans la partie basse de l’agglomération. Ce n’était certes pas les quartiers les plus agréables, le Nançon pouvant inonder les maisons. Un peu avant 1150, Henri offrit aux moines normands une maison « dans le marché de Fougères365 », mais la localisation de ce dernier n’est pas certain, car si le marché se déroulait dans la haute ville, à la fin du XIe siècle, il se tenait non loin du futur quartier de Savigny, aussi appelé le Marchix. De manière plus certaine, le même seigneur céda des terres et le moulin de Geoffroy, fils de Raginald366, situé le long du Nançon, !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

365. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F554, n° 2 : unam domum in foro Filgeriarum. 366. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553, n° 1 et Julien Bachelier, Histoire d’une ville

médiévale, op. cit., p. 153.

connu sous le nom de moulin de Pèlerine, ce don peut expliquer pourquoi Savigny s’installa dans les bas quartiers. Ce moulin permettait à l’abbaye de moudre une partie des redevances qui lui étaient versée en nature, seigle, orge et plus encore froment367. Moulues, les céréales pouvaient être stockées sur place, pourquoi pas dans la Maison de Savigny ? Puis elles étaient acheminées vers l’abbaye, notamment par des charrois. Sans que cela soit certain, il est aussi possible que le cours du Nançon ait été entravé par des pêcheries ou viviers à poissons, une des bases de l’alimentation des moines. Ne peut-on aussi imaginer des ventes de poissons de la part de ces derniers à Fougères ? Si l’alimentation carnée était répandue au cours du Moyen Âge, les poissons étaient des compléments alimentaires indispensables, particulièrement lors du Carême. De plus, la vente de poissons permettait aux religieux de dégager de l’argent pour acheter ce que leurs domaines ne fournissaient pas. À la différence d’autres moines, particulièrement les bénédictins de Marmoutier qui se firent une spécialité de l’aménagement de quartiers urbains, sous la forme de bourgs, ceux de Savigny ne paraissent pas avoir développé ce type de préoccupation. Leur volonté de « retour aux sources » de la foi, avec son versant d’isolement propre au monachisme traditionnel, les inclinait à privilégier un investissement minimum en milieu urbain. On peut en effet le constater sur le plan de Fougères : le quartier de Savigny était – et reste – peu peuplé. Certes le Nançon constitue une contrainte, mais d’autres secteurs de la ville situés en zone inondable ont été lotis. Le quartier de Savigny ressemble davantage aux campagnes alentours qu’à une zone urbaine.

À l’inverse, au nord-est de Fougères, à la sortie de la ville et

en direction de la forêt, s’étendait le faubourg Roger. Étymo-logiquement, un faubourg est une zone construite « en dehors »

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!367. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553.

(foris en latin) du bourg. Or, un rapide changement d’échelle permet de comprendre que ce faubourg Roger menait en direction de la Normandie. C’était justement à la fin du XIIIe siècle, le faubourg le plus développé de la ville, preuve de la diversité et de l’importance des échanges entre le duché et Fougères. Si les mercenaires empruntaient parfois cette route, au quotidien on devait de temps en temps y croiser des moines de Savigny et surtout des marchands fougerais, bretons et normands se rendant aux assemblées commerciales, foires et marchés qui se tenaient de part et d’autre de la frontière : à Mortain, Tinchebray, Saint-Hilaire, Buais, et peut-être jusqu’à Saint-Pois, Gathemo, Le Teilleul, du côté normand368, et Fougères, Louvigné-du-Désert, Valaine (au Ferré), Saint-Georges-de-Reintembault et Antrain369.

Deux hommes résument à eux seuls ces allées et venues de part et d’autre d’une frontière perméable : Thomas de Ferrière, bourgeois de Fougères, et Jean Guion, bourgeois de Saint-James. Nous les voyons associés, en 1293, dans l’acquisition d’une maison dans le bourg de Rillé et le même acte souligne qu’ils vendaient et transportaient des vins gascons et angevins370. De plus, Thomas pouvait commercer en toute liberté en Saint-James car il y « jouissait de toutes franchises371 », c’est-à-dire que son statut privilégié lui permettait de ne pas payer certaines taxes.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!368. Jacques Boussard, Le comté de Mortain, art. cit., p. 277. 369. Recherche en cours dans le cadre de notre doctorat : Villes et villages de

Haute-Bretagne aux XIe-XIIIe siècle. Les réseaux de peuplement, sous la direction de Daniel Pichot, Université de Rennes-II. Voir respectivement : Arch. dép. Ille-et-Vil., 6H16/I-IV, n° 7 ; Hubert Guillotel, Les actes des ducs, op. cit., acte n° 47 et B.n.F., ms fr. 22325, fol. 232-233.

Tinchebray, dép. Orne, ch.-l. cant. ; Buais, dép. Manche, cant. Le Teilleul ; Saint-Pois, dép. Manche, ch.-l. cant. ; Gathemo, dép. Manche, cant. Sourdeval ; Saint-Georges-de-Reintembault, dép. Ille-et-Vilaine, cant. Louvigné-du-Désert et Antrain, dép. Ille-et-Vilaine, ch.-l. cant.

370. Arch. dép. Ille-et-Vil., 1F553 : ex vendicione et tradicõe vini Vascoñ. et Andegav~ tenebatur.

371. Jean-Jacques Desroches, Annales civiles et militaires, op. cit., p. p. 69.

Figure 4. Plan de Fougères à la fin du XIIIe siècle. La zone de Marche ne fut donc pas celle d’une guerre perma-

nente. Certes, il y eut des moments de très fortes tensions, mais elles furent loin d’être majoritaires. Dès le premier tiers du XIe siècle, on constate qu’il existe des liens entre Fougères et la Normandie. Les seigneurs prirent des épouses de l’autre côté du Couesnon et fréquentèrent de bonne heure la cour des ducs nor-mands. Les premières relations sont celles de bons voisins et on

ne peut plus admettre que le château de Fougères ait été construit pour verrouiller le nord-est de la Bretagne contre des Normands menaçants. De la même manière, le sang breton des seigneurs fougerais était largement mêlé à du sang normand. Dès les envi-rons de 1050, le lignage de Fougères tenait des terres en Norman-die, et avant la fin du XIe siècle, la proximité avec le duc et les grandes familles normandes permirent aux seigneurs de Fou-gères d’obtenir des domaines en Angleterre.

L’abbaye de Savigny résume à elle seule, l’importance des liens entre Fougères et la Normandie : en attendant leur résur-rection, les seigneurs décidèrent de reposer en terre normande. Jusqu’à la disparition de Raoul III en 1256, Savigny accueillit les corps de la famille seigneuriale.

Pourtant, pendant près d’un demi-siècle, entre les années 1160 et le début du XIIIe siècle, les relations devinrent inamicales. Les Plantagenêts considérèrent la seigneurie de Fougères comme un obstacle à leur politique, d’où les raids de 1166 et 1173 qui dé-truisirent une bonne partie du château. Toutefois, même pendant cette période troublée, on constate que Normands et Fougerais continuaient d’aller et venir de part et d’autre de la frontière. Les seigneurs et leurs chevaliers réalisèrent toujours des dons en fa-veur de Savigny, les moines poursuivirent de parcourir les terres en situation de Marche, les marchands fréquentaient les assem-blées commerciales normandes et bretonnes, les pèlerins sillon-nèrent les routes menant d’un duché à l’autre. Les échanges fu-rent plus souvent pacifiques que violents. La ville de Fougères fut dès le Moyen Âge central influencée par ce tropisme normand qui orienta sa morphologie et diversifia, jusqu’à aujourd’hui, sa population.

Toutefois, malgré les observations précédentes, il reste beau-coup à découvrir sur les relations entre Fougères et la Bretagne, d’une part, et la Normandie, de l’autre.

Julien BACHELIER