« Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles » La...

25
INTRODUCTION La langue de Cervantes possède un mot magique par son pouvoir évocateur, convivencia, placé au cœur de ces IV e Rencontres Internationales du Moyen Age de Nájera. María Moliner le définit comme acción de convivir, avant d’apporter ces deux nuances: convivencia désigne la relación entre los que conviven et, en particulier, el hecho de vivir en buena armonía unas personas con otras. Les dictionnaires bilingues rendent le terme par vie en commun, cohabitation, coexistence ou, encore, par convivialité, termes ou expressions qui ne possèdent pas la même force suggestive que convivencia: la périphrase ‘vie en commun’ renvoie à l’idée de vie en société, de vie en communauté, de vivre ensemble, mais son emploi n’est guère commode ni élégant. Coexistence et cohabitation ont acquis, dans la seconde moitié du XX e siècle, une connotation politique forte: la coexistence, l’existence simultanée de deux entités, est associée à l’adjectif pacifique et à la guerre froide; la cohabitation, la situation de personnes vivant ensemble, renvoie à la France de la Ve République lorsque Président et gouvernement relèvent de groupes parlementaires différents. Quant à convivialité, le terme, dégagé de son signifié premier lié à de joyeux banquets, s’est mis à désigner, avec Ivan Illich, 229 Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des X e -XI e siècles Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des X e -XI e siècles Christine Mazzoli-Guintard Université de Nantes

Transcript of « Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles » La...

INTRODUCTION

La langue de Cervantes possède un mot magique par son pouvoir évocateur,

convivencia, placé au cœur de ces IVe Rencontres Internationales du Moyen

Age de Nájera. María Moliner le définit comme acción de convivir, avant

d’apporter ces deux nuances: convivencia désigne la relación entre los que

conviven et, en particulier, el hecho de vivir en buena armonía unas personas

con otras. Les dictionnaires bilingues rendent le terme par vie en commun,

cohabitation, coexistence ou, encore, par convivialité, termes ou expressions

qui ne possèdent pas la même force suggestive que convivencia: la périphrase

‘vie en commun’ renvoie à l’idée de vie en société, de vie en communauté, de

vivre ensemble, mais son emploi n’est guère commode ni élégant. Coexistence

et cohabitation ont acquis, dans la seconde moitié du XXe siècle, une

connotation politique forte: la coexistence, l’existence simultanée de deux

entités, est associée à l’adjectif pacifique et à la guerre froide; la cohabitation,

la situation de personnes vivant ensemble, renvoie à la France de la Ve

République lorsque Président et gouvernement relèvent de groupes

parlementaires différents. Quant à convivialité, le terme, dégagé de son signifié

premier lié à de joyeux banquets, s’est mis à désigner, avec Ivan Illich,

229Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

Lieux de convivialité etformes du lien socialdans la Cordoue desXe-XIe siècles

Christine Mazzoli-GuintardUniversité de Nantes

“l’ensemble des rapports entre personnes au sein de la société ou entre les

personnes et leur environnement social, considérés comme ‘autonomes et

créateurs’1”. Si ce dernier terme semble traduire au plus près convivencia, deux

autres mots sont présents dans l’historiographie française pour renvoyer à des

concepts voisins, sociabilité d’abord, lien social ensuite. La sociabilité, ou

principe des relations entre personnes formant les éléments les plus simples de

la réalité sociale, ne signifie pas seulement gérer le rapport aux autres sur un

fonds de civilité, mais veut dire aller vers l’autre et créer un lien réel2; le

concept a souvent permis, depuis une trentaine d’années, d’analyser les

relations qu’entretenaient les individus tant au village qu’à la ville au Moyen

Âge3. Enfin, le lien social, notion en vogue depuis une quinzaine d’années, part

de l’idée que l’homme a toujours vécu en groupe et a toujours été inséré dans

un réseau de relations sociales; par conséquent, “tout contact avec un tiers […]

aboutit à mettre en place une relation, un fil de trame ou de chaîne et ainsi se

constitue progressivement le tissu social, le lien social4” qui couvre aussi bien

les liens pseudo-naturels, liens familiaux ou conjugaux, que les liens choisis, la

profession ou la religion par exemple.

Qu’elle soit traduite par convivialité, sociabilité ou lien social, la convivencia

s’exprime par excellence, au Moyen Âge, dans le monde urbain, car la ville

médiévale est d’abord une société foisonnante, composée d’hommes et de

femmes exerçant de multiples activités, qui font de la ville le lieu du ‘vivre

ensemble’. Si la convivencia dispose de lieux privilégiés dans l’espace urbain,

comme la fontaine ou le marché, elle revêt aussi des formes différentes:

comme l’argumentaire du colloque le suggère si bien, la convivencia peut être

perturbée et fortement troublée, par un vol, par une agression. Pour s’attacher

230 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

1. Sur toutes ces définitions: ROBERT, P. Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. 2e éd.

revue par A. REY, Paris, 1992.

2. LEMÉNOREL, A. “Rue, ville et sociabilité à l’époque contemporaine. Histoire et perspective”. La rue, lieu de

sociabilité? Actes du colloque de Rouen 16-19 nov. 1994. Rouen, 1997, pp. 425-442.

3. Citons, par exemple: “Plazas” et sociabilité en Europe et Amérique latine, Colloque des 8 et 9 mai 1979. Paris,

De Boccard, 1982; BOURIN, M., Villages médiévaux en Bas-Languedoc: genèse d’une sociabilité (Xe-XIVe siècle).

Paris, l’Harmattan, 1987. La sociabilité approchée dans la longue durée a été placée, en 1982, au cœur des études

du Groupe de Recherche d’Histoire de l’Université de Rouen; parmi les colloques organisés sur ce thème:

Sociabilité, pouvoirs et société. Actes du colloque de Rouen (24-26 nov. 1983). Rouen, 1987.

4. HESSE, P.-J. “Jalons pour une histoire de la notion de lien social”. Regards croisés sur le lien social. Journée de

la Maison des sciences de l’homme Ange-Guépin (Nantes, 2003). Paris, 2005, pp. 17-26. Le lien social est le thème

fédérateur des projets de recherche de la M.S.H. Ange-Guépin.

à la convivencia dans les villes médiévales, il convient donc d’examiner

l’imaginaire de la convivencia, convivialité idéale de rencontres et d’échanges

constructifs, mais aussi les expériences quotidiennes d’une convivencia dont

les liens sociaux se tendent parfois jusqu’à se rompre. Enfin, pour évoquer les

lieux et les formes du vivre ensemble dans les villes d’al-Andalus, il m’a semblé

préférable de s’en tenir à un seul cas, particulièrement bien documenté, la

Cordoue des Xe-XIe siècles qui, riche de ses sources narratives et juridiques,

s’est naturellement imposée. Comme capitale des Omeyyades, elle est le

protagoniste des chroniques de `Arıb, d’Ibn .Hayyan ou encore d’Ibn `I -dar ı qui

évoquent parfois, en filigrane derrière les faits et gestes du prince, les lieux de

la convivialité urbaine. Le souvenir de la capitale du califat reste si tenace que

les géographes ou les poètes qui décrivent la belle riveraine du Guadalquivir

après 1031 continuent à l’évoquer au sommet de sa gloire, glissant parfois dans

leur discours quelques-uns des lieux de la sociabilité cordouane. Enfin, le juriste

andalou Ibn Sahl, en poste à Cordoue dans les années 1060, nous a laissé bien

des données sur les liens sociaux tissés par les Cordouans des Xe et XIe siècles5.

Questionner ces sources écrites sur les lieux et les formes de la convivencia

dans la Cordoue des Xe-XIe siècles risque bien de mener à une vision

fragmentaire de la convivialité cordouane. L’archéologie permettra, fort

heureusement, d’apporter au puzzle d’intéressantes pièces complémentaires,

dans une fructueuse confrontation du texte et du terrain. Précisons, enfin, que

le sens consacré de convivencia, celui de la coexistence entre musulmans et

tributaires juifs et chrétiens, a volontairement été écarté de l’approche, tant

l’historiographie sur cette thématique est riche6. Il est temps, désormais,

d’apporter quelques éléments de réponse à la question suivante: où et

comment vit-on ensemble dans l’espace urbain cordouan?

231Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

5. Son recueil juridique, partiellement édité par M.ˇHallaf, a suscité divers travaux ces dernières années, dont

l’analyse du système judiciaire cordouan (MÜLLER, C. Gerichtspraxis im Stadtstaat Córdoba, Zum Recht der

Gesellschaft in einer malikitisch-islamischen Rechtstradition des 5./11. Jahrhunderts. Leiden-Boston-Köln, Brill,

1999). Aux publications autour de l’œuvre rassemblées dans MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue au Moyen

Âge. Solidarités citadines en terre d’Islam (Xe-XIe s.). Rennes, P.U.R., 2003, ajoutons VAN STAËVEL, J.-P. “Prévoir,

juguler, bâtir: droit de la construction et institutions judiciaires à Cordoue durant le 4e/Xe siècle”. Cuadernos de

Madınat al-Zahra’, 5, 2004, pp. 31-51.

6. Parmi les travaux récents: Tolerancia y convivencia étnico-religiosa en la Península Ibérica durante la Edad

Media. III Jornadas de cultura islámica. Huelva, 2003; Espiritualidad y convivencia en al-Andalus. IV Jornadas

islámicas. Huelva, 2006.

1. LES LIEUX DE LA CONVIVIALITE

Il convient, dans un premier temps, de planter le décor de la convivencia, car

“l’analyse des espaces de la sociabilité urbaine permet de mieux comprendre

comment s’affirme, au cœur du système de relations médiéval, une nouvelle

manière de vivre ensemble7”. Les lieux du ‘vivre ensemble’ sont multiples et

divers: la cour de la maison, la rue, la mosquée de quartier, la fontaine

publique, les boutiques du marché, la grande-mosquée, etc. constituent autant

de lieux de convivialité, visités plus ou moins fréquemment. Les lieux de la

convivialité quotidienne, situés dans l’intimité du quartier, se différencient des

lieux de la convivialité occasionnelle, éléments du bien commun, répartis dans

l’espace urbain.

1.1. LE QUARTIER: LES LIEUX DE LA CONVIVIALITÉ QUOTIDIENNE

Dans la ville médiévale, “la sociabilité s’enracinait d’abord dans le voisinage; le

quartier avait ses limites bien connues des habitants, des frontières parfois

lourdes de sens […]; il s’organisait autour de la rue […] centre de la vie

collective pour tout un ensemble humain. Le quartier avait ses centres de

ralliement8”. La Cordoue des Xe-XIe siècles n’échappe pas à ce trait, mais son

inscription dans le monde de l’Islam confère à la convivencia quotidienne

développée au sein du quartier une tonalité particulière.

1.1.1. LES CADRES DE LA SOCIABILITÉ DE VOISINAGE

Des quartiers qui se partageaient l’espace urbain de Cordoue, le nombre et les

limites restent aujourd’hui totalement inconnus. Le quartier existe, cela est

certain: au XIe siècle, il est appelé .hawma, terme qui dérive de .hawama,

‘tourner autour’; pourvu d’un point central qui lui donne son unité, le quartier

trouve ses limites là où il rencontre l’attraction du quartier voisin9. Le quartier

porte un nom, celui d’une mosquée, qui permet de situer les individus et les

232 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

7. BOUCHERON, P. et D. MENJOT, D. “La ville médiévale”. PINOL, J.-L. (éd.) Histoire de l’Europe urbaine. I. De

l’Antiquité au XVIIIe siècle. Paris, Seuil, 2003, p. 461.

8. ROSSIAUD, J. “Crises et consolidations 1330-1350”. LE GOFF, J. (éd.) La ville médiévale des Carolingiens à la

Renaissance. Paris, Seuil, 1980, p. 524.

9. MAZZOLI-GUINTARD, C. “Mosquées, territoire et communauté de quartier en al-Andalus: le cas de Cordoue

aux Xe-XIe siècles”. Iglesias y Fronteras, Congreso-Homenaje a José Rodríguez Molina. Jaén, 2005, pp. 465-480.

biens dans l’espace urbain: un tel fait partie des ‘gens de telle mosquée’, telle

maison est sise ‘dans le quartier de telle mosquée’. L’appartenance au quartier

a une importance juridique, puisque la valeur d’un témoignage en dépend: à

propos d’un litige de voisinage, les juristes distinguent ainsi le témoignage des

gens du quartier de ceux qui ne sont pas du quartier10.

Le quartier a un point de ralliement fondamental, la mosquée. Il s’agit d’un

modeste édifice, comme l’indiquent les vestiges conservés de quelques

mosquées de quartier, dont les minarets constituent aujourd’hui les clochers

des églises San Juan, Santiago et Santa Clara. La mosquée de Fontanar, mise

au jour dans la zone d’expansion occidentale de Cordoue, donne une bonne

idée de ce que devait être la mosquée de quartier: un rectangle d’environ 45

x 20 m. est partagé en deux espaces, la salle de prières, à trois nefs, et une

cour, un peu plus vaste que la partie couverte11. Si la mosquée de quartier est

le lieu possible et souhaitable des prières quotidiennes, l’édifice et ses abords

déterminent l’espace où les ahl al-masgid se réunissent pour discuter des

affaires de leur quartier: faut-il déplacer la porte de la salle aux ablutions de

l’oratoire? La question se pose, dans le premier quart du Xe siècle, à propos de

la mosquée de `Agab: la porte, qui donnait sur la rue, a été déplacée et

s’ouvre dorénavant sur la cour de la mosquée, traversée par des individus qui

ne devraient pas s’y trouver. Parmi les habitants du quartier, certains

souhaitent revenir à la configuration ancienne des lieux12. Et comment

empêcher le muezzin de prier à voix haute, dès l’aube, depuis le toit de la

mosquée? Le problème a agité, dans les années 1030, les habitants d’un

quartier de Cordoue, exaspérés par le réveil matinal auquel ils étaient

soumis13. La mosquée de quartier constitue parfois, et de manière

exceptionnelle, le prolongement de la rue: la réouverture d’une porte dans la

mosquée du cimetière de la Tour, dans le premier quart du Xe siècle, pourrait

avoir cette conséquence désastreuse, cette porte ouvrant un raccourci à travers

le bâtiment14.

233Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

10. MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 123-124.

11. LUNA OSUNA, D. y ZAMORANO ARENAS, A. M. “La mezquita de la antigua finca ‘El Fontanar’ (Córdoba)”.

Cuadernos de Madınat al-Zahra’, 4, 1999, pp. 145-170.

12. MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 113-114 et 224.

13. MARÍN, M. “Law and piety: a Cordovan Fatwa”. British Society for Middle Eastern Studies, 17, 1990, pp. 129-136.

14. MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 115-116 et 226.

1.1.2. LES LIEUX DE LA SOCIABILITÉ DE VOISINAGE

Si la mosquée constitue le pôle de la sociabilité du quartier, où celle-ci

s’épanouit-elle? Dans le fina’, espace non bâti qui jouxte la mosquée15: cet

espace, qui peut prendre les dimensions d’une placette, accueille boutiques et

étals temporaires et les habitants du quartier le considèrent comme un espace

semi-privé, possédé collectivement. Ainsi, au début du Xe siècle, le fina’ de la

mosquée d’al-Sifa’, situé au sud du bâtiment, sert-il à parquer les brebis pour

la traite; les éventaires de la mosquée permettent l’approvisionnement en

produits d’usage courant, céréales, légumes et bois de chauffage. Parfois, de

véritables échoppes sont adossées au mur de la mosquée, comme la boutique

érigée en habou et appuyée sur la mosquée du cimetière de la Tour16. Ces

boutiques situées auprès des mosquées de quartier devaient être de modestes

dimensions, à l’image des petites cellules distribuées autour d’une cour, mises

au jour dans la zone d’expansion occidentale de Cordoue et interprétées

comme étant un petit marché de quartier17.

Enfin, les ruelles et les impasses du quartier constituent d’autres lieux de

sociabilité pour les ahl al-masgid: les rues qui donnent accès aux maisons,

qu’elles soient ouvertes à leurs deux extrémités ou qu’il s’agisse d’impasses,

sont essentiellement fréquentées par leurs riverains, par ceux dont les

demeures s’ouvrent sur ces rues. Appelées zuqaq ou zanqa dans l’œuvre d’Ibn

Sahl, elles sont aussi désignées par darb dans d’autres sources arabes18. Les

individus s’y croisent et discutent de problèmes posés par la voirie: considérée

comme appartenant en co-propriété aux riverains, ceux-ci doivent se mettre

d’accord sur son entretien, mais aussi sur les modifications à lui apporter19.

L’ouverture d’une porte dans une ruelle peut ainsi susciter de vives

discussions avec le voisin, qui proteste contre l’indiscrétion visuelle dont il est

234 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

15. Pour une bonne définition du fina’: RAYMOND, A. “Espaces publics et espaces privés dans les villes arabes

traditionnelles”. Maghreb-Machrek, 123, 1989, pp. 194-201.

16. Sur ces exemples: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 123-124, 223 et 226.

17. FUERTES SANTOS, Mª del C. “Aproximación al urbanismo y la arquitectura doméstica de época califal del

Yacimiento de Cercadilla”. Arqueología y Territorio Medieval, 9, 2002, pp. 105-126.

18. Les recueils biobibliographiques et les sources narratives ont conservé quelques noms de ruelles: LÉVI-

PROVENÇAL, É. L’Espagne musulmane au Xe siècle. Paris, Larose, 1932, p. 209; TORRES BALBÁS, L. Ciudades

hispanomusulmanas. Madrid, Instituto Hispano-Árabe de Cultura, 19852, pp. 371-372.

19. BRUNSCHVIG, R. “Urbanisme médiéval et droit musulman”. Revue des Etudes Islamiques, 15, 1947, pp. 127-155.

victime20; la réparation d’une venelle, qui repose sur la concertation du

voisinage, suppose des échanges courtois entre riverains, ainsi qu’une

explication plus vive avec les récalcitrants qu’il faut contraindre à participer

aux travaux21.

1.1.3. LA MAISON, LIEU DE LA SOCIABILITÉ FAMILIALE

Les fouilles menées dans l’expansion occidentale de Cordoue ont mis au jour

des structures d’habitat aux dimensions variables, de 75 m2 à 160 m2 22; elles

suivent le modèle de la maison urbaine apparu sur d’autres sites andalusíes,

maison à cour centrale, introvertie, dont les murs qui donnent sur la rue ne

comportent pas d’autre ouverture que la porte. Dans ce type de maison, la cour

est le noyau central de l’habitat, puisque les pièces ne communiquent entre

elles que par cette cour et qu’il faut l’emprunter pour entrer ou pour sortir de

n’importe quelle pièce de la maison23: espace essentiel de la sociabilité

familiale, la cour doit donc en même temps protéger soigneusement l’intimité

du foyer, en le préservant de toute indiscrétion visuelle et en tenant à l’écart

les étrangers au cercle familial24. “El ideal social de segregación por géneros”,

sur lequel repose la société, implique l’exclusion de la femme respectable de

la convivencia publique, la maison constituant dès lors, pour celle-ci, le seul

espace de convivialité25.

235Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

20. Comme l’atteste une fatwa compilée par Ibn Sahl et rendue à Cordoue par un juriste mort en 872: IBN SAHL.

Wa-ta’iq fı su’un al-`umran fı l-Andalus: al-masagid wa l-dur. M.ˇHallaf éd., Le Caire, Tawzı` al-Markaz al-`Arabı

al-Dawlı li-l-I`lam, 1983, p. 109.

21. D’après une fatwa émise à Cordoue au Xe siècle et conservée par al-Wansar ıs ı (LAGARDÈRE, V. Histoire et

société en Occident musulman au Moyen Âge, Analyse du Mi`yar d’al-Wansarısı. Madrid, Casa de Velázquez-

C.S.I.C., 1995, p. 172).

22. Sur ces maisons mises au jour à Cordoue, voir les bilans des interventions archéologiques publiés dans les

Anuarios Arqueológicos de Andalucía, ainsi que ARJONA CASTRO, A. Urbanismo de la Córdoba califal. Córdoba,

Ayuntamiento de Córdoba, 1997 p. 119; ACIÉN ALMANSA, M. y VALLEJO TRIANO, A. “Urbanismo y Estado

islámico: de Corduba a Qur.tuba-Madınat al-Zahra’”. Genèse de la ville islamique. Madrid, 1998, p. 128; FUERTES

SANTOS, Mª del C., op. cit.

23. Ce concept d’une cour-couloir est bien exposé dans DÍEZ JORGE, E. (ed.). La Alhambra y el Generalife. Guía

histórico-artística. Granada, Universidad de Granada, 2006, p. 47.

24. Une anecdote relative à Saragosse rapporte comment un colporteur parvient à entrer dans une maison (fatwa

du XIe siècle: LAGARDÈRE, V. op. cit., p. 61). Sur l’indiscrétion visuelle et la protection de la vie familiale:

BRUNSCHVIG, R., op. cit., pp. 138-140; KHIARA, Y. “Propos sur l’urbanisme dans la jurisprudence musulmane”.

Arqueología Medieval, 3, 1994, pp. 33-46.

25. MARÍN, M. Mujeres en al-Ándalus. Madrid, C.S.I.C., p. 219. Ainsi, la femme respectable ne peut-elle

fréquenter qu’exceptionnellement le bain public: DE LA PUENTE GONZÁLEZ, C. “Mujeres andalusíes y baños

públicos”. Baños árabes en Toledo. Toledo, 2006, pp. 49-57.

La maison offre cependant des occasions d’échanges au-delà du cercle familial,

autour du mur qui sépare des fonds voisins: ces échanges peuvent se faire sur

le ton de la courtoisie, lorsqu’un propriétaire fait don de son mur à son voisin

pour que celui-ci puisse exhausser sa maison ou lorsqu’il accepte que son

voisin puisse enfoncer une poutre dans ce mur. Parfois, ces échanges se font

sur un mode moins aimable et débouchent sur une action en justice: dans les

années 1060, un couple porte plainte contre sa voisine qui, pour accéder à une

chambre haute de sa demeure, a appuyé un escalier contre la maison du

couple26. Une dizaine d’années plus tard, deux frères portent plainte contre leur

voisine qui, depuis la terrasse de sa maison située dans le quartier de la grande-

mosquée, peut observer non seulement une chambre haute de la demeure des

deux frères, mais aussi la cour de celle-ci27.

Ainsi, en bien des espaces du quartier, les Cordouans des Xe-XIe siècles vivent

ensemble au quotidien, qu’il s’agisse de la mosquée et de ses afniya avec ses

éventaires et ses boutiques, ou des ruelles et des impasses qui donnent accès

aux maisons: à ces lieux de la convivialité quotidienne, s’ajoutent les éléments

du bien commun, espaces d’une convivialité plus occasionnelle.

1.2. LE BIEN COMMUN: LES LIEUX DE LA CONVIVIALITÉOCCASIONNELLE

Par espaces d’une convivialité plus occasionnelle, il faut comprendre les lieux de

la ville irrégulièrement fréquentés, la muraille mise en état de défense lors d’un

siège, la promenade qui longe le palais et où le prince distribue des aumônes,

ou bien encore le marché aux objets précieux. Tous ces lieux sont aux mains du

prince qui les utilise pour affirmer son autorité sur la ville et pour tenir celle-ci

en mains; ces espaces, enfin, constituent le bien commun des musulmans,

comme le rappellent les chroniqueurs lorsqu’ils mentionnent les interventions

califales sur la voirie cordouane, réalisées au nom de l’intérêt général28, ou

236 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

26. Ibn Sahl rapporte que les extrémités de deux marches, ainsi que les bases de la chambre haute, ont été

enfoncées dans le plafond de la salle des plaignants: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 164-

165 et 229.

27. Ibid., pp. 168-169 et 236.

28. En 972, le calife fait élargir la rue principale du marché, “pour le bien commun des musulmans et pour veiller

aux intérêts de ceux-ci” (Anales palatinos del califa de Córdoba Al- .Hakam II, por `-Isa ibn A.hmad al-Razı. Trad.

E. García Gómez, Madrid, 1967, Sociedad de Estudios y Publicaciones, p. 93).

comme l’affirment les juristes à propos des murailles, bien public des musul-

mans29.

1.2.1. AFFIRMER LA PUISSANCE DU PRINCE: LES LIEUX DE LA

SOCIABILITÉ CONTRAINTE

Les lieux du pouvoir apparaissent comme des espaces d’une sociabilité forcée

pour une partie des Cordouans: la grande-mosquée, lieu où le cadi rend la

justice, est un espace d’échanges contraints entre un plaignant et un

défenseur30 et les citadins sont tenus de la fréquenter pour prêter la bay`a,

entendre laˇhu.tba ou apprendre la levée d’un impôt ou le départ d’une

campagne militaire31. Certes, la grande-mosquée permet aussi l’expression

d’une sociabilité voulue par les ulémas: ils s’y réunissent, s’y asseyant en cercle

pour discuter de questions d’ordre religieux; cette pratique, attestée au début

du Xe siècle, l’est encore dans la seconde moitié du XIe siècle, au grand dam

d’Ibn Sahl, qui souhaite ne l’autoriser qu’autour de la présence d’un savant

distingué32.

Autour des fortifications urbaines, se tissent aussi des liens d’une sociabilité

imposée, sous la forme de levées fiscales ou de travaux d’entretien: en 1010-

1011, le calife Hisam II convoque marchands et artisans dans son palais et leur

demande à nouveau une aide pécuniaire pour aider à la défense de la ville,

assiégée par les Berbères33. Aux portes ouvertes dans l’enceinte, se tiennent des

percepteurs de taxes qui inspectent les chargements afin de voir quelles

marchandises sont introduites dans la ville; dans la seconde moitié du XIe

siècle, une inspection tourne à l’altercation et entraîne les protagonistes de

l’affaire devant le juge34. Par ailleurs, les habitants des zones jouxtant la

237Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

29. MARÍN, M. “Documentos jurídicos y fortificaciones”. I Congreso Internacional Fortificaciones en al-Andalus

(Algeciras, nov.-dic. 1996). Algeciras, 1998, pp. 79-87: aswar al-muslimın min ma.sali.hi-him.

30. Sur les juges cordouans, cf. VIGUERA MOLINS, Ma J. “Los jueces de Córdoba en la primera mitad del siglo

XI (análisis de datos)”. Al-Qan.tara, V, 1984, pp. 123-145.

31. Sur toutes ces fonctions de la grande-mosquée, cf. J. MARTOS QUESADA, J. “Los espacios de culto en las fuentes

jurídicas andalusíes”. Espaces d’échanges en Méditerranée, Antiquité et Moyen Âge. Rennes, 2006, pp. 202-203.

32. MARÍN, M. “Learning at Mosques in al-Andalus”. Islamic Legal Interpretation. Muftis and their Fatwas.

Cambridge-London, 1996, pp. 47-54.

33. Ils refusent, prétextant qu’ils ont déjà plusieurs fois versé des contributions (IBN `I -D-AR-I. La caída del califato

de Córdoba y los Reyes de taifas. Trad. F. Maíllo Salgado, Salamanca, Universidad de Salamanca, 1993, p. 96).

34. Affaire rapportée par Ibn Sahl: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., p. 211.

muraille sont chargés de la réparation de celle-ci, sans qu’il soit possible de

préciser à quand remonte cet usage et quels sont les riverains concernés. Lors

de la levée du ta`tıb, en 1126, le chroniqueur rapporte que “les gens de

Cordoue se chargèrent de réparer leurs murailles selon la coutume, de telle

sorte que les habitants de chaque quartier (litt. ‘ceux de chaque mosquée’)

décidaient ce qui leur revenait et le travail fut achevé sans désordre ni

imposition35”. Il est fort probable que les individus alors chargés de remettre en

état l’enceinte soient uniquement des membres de la umma: la muraille, d’une

part, leur appartient collectivement; d’autre part, il n’est pas impossible que la

venue des Almoravides en ait terminé avec la mixité des quartiers, dont

l’existence est attestée dans la Cordoue des années 103036.

1.2.2. FACILITER LA CIRCULATION DES INDIVIDUS ET DES BIENS:

LES LIEUX DE LA SOCIABILITÉ DE PASSAGE

Pour tenir en main une ville peuplée et étendue, il faut empêcher la rumeur

d’y gronder; pour cela, le souverain omeyyade doit réunir les conditions

permettant un ravitaillement satisfaisant de la ville, ce qui signifie, entre autres,

lutter contre tout ce qui peut gêner le déplacement des hommes et des biens

dans l’espace urbain. Dans les villes de l’Occident chrétien, comme le rappelle

B. Arízaga Bolumburu, “los estatutos comunales regulan […] los puntos de

contacto entre el espacio público y las construcciones privadas37”; dans la

Cordoue islamique, les agents du prince s’efforcent également d’empêcher les

empiétements sur le bien public: ils peuvent compter sur des “elementos

reguladores de la vida social, desarrollados a partir del derecho islámico, así

238 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

35. IBN `I -D-AR-I. Kitab al-Bayan al-Mu

.grib. Ed. I. `Abbas, Beyrouth, Dar al--Taqafa, 1980, p. 74; Nuevos fragmentos

almorávides y almohades. Trad. A. Huici Miranda, Valencia, Anubar, 1963 (Textos Medievales, 8), pp. 170-172.

36. Sur l’attitude sévère des Almoravides vis-à-vis des -dimmı: VIGUERA MOLINS, Mª J. “Cristianos, judíos y

musulmanes en al-Andalus”. Cristianos, musulmanes y judíos en la España medieval. De la aceptación al

rechazo. Valladolid, 2004, pp. 43-69. Sur la mixité confessionnelle des quartiers: MAZZOLI-GUINTARD, C.

“Espacios de convivencia en las ciudades de al-Andalus”. Espiritualidad y convivencia en al-Andalus, op. cit.,

pp. 73-89. La participation de tributaires aux travaux de réfection ou de construction de l’enceinte est attestée,

pour une époque tardive, dans le cas de prisonniers: BARRERA MATURANA, J. I. “Participación de cautivos

cristianos en la construcción de la muralla nazarí del Albayzín (Granada): sus graffiti”. Arqueología y Territorio

Medieval, 11-1, 2004, pp. 125-158.

37. ARÍZAGA BOLUMBURU, B. Urbanística medieval (Guipúzcoa). Donostia, Kriselu, 1990, p. 173.

como otros mecanismos de carácter administrativo creados para el gobierno de

la ciudad en sus diferentes ámbitos”38.

La voirie cordouane s’articule autour d’un axe principal, de direction nord-sud,

qui traverse la ville depuis sa porte septentrionale jusqu’à la Porte du Pont et

passe entre la grande-mosquée et le palais: sur cette grand’rue, al-ma.hagga al-

`u.zma, s’ouvrent quelques axes importants, qui mènent vers les portes de la

ville, comme la rue qui débouche dans la sikka al-`u.zma, l’antique Via

Augusta, au niveau de la Porte de Tolède. Cette dernière est victime d’une

tentative d’usurpation, de la part du .ha gib de l’émir, Ibn al-Sal ım (m. 914), qui

s’empare d’une partie de cette voie publique (ma.haggat al-muslimın) et

l’incorpore à son jardin, en entourant d’un mur l’espace ainsi gagné sur la rue39.

Il faut situer l’affaire entre 888, année au cours de laquelle Ibn al-Sal ım prend

ses fonctions, et 907, année de la mort de deux des juristes consultés sur cette

affaire, qui concerne le bras droit de l’émir40. Le jardin d’Ibn al-Sal ım se trouve

au nord-est de l’Ajerquía, vers l’actuel quartier de San Lorenzo, dans un

faubourg qui n’est pas encore totalement urbanisé; la rue qui borde la propriété

se prolonge, au-delà de la Porte de Tolède, par le grand axe est-ouest de la

ville, dans sa partie septentrionale. Si les juristes émettent des avis

contradictoires sur l’accaparement du .hagib, reflet du pluralisme d’opinions qui

existe au sein de l’école malékite, la plupart se prononce contre l’empiétement

et le .hagib est condamné à devoir détruire le mur qui matérialise son

accaparement de la voie publique41; les intérêts des proches de l’émir ne

bénéficient d’aucun traitement de faveur, car se trouve en jeu un élément vital

de la voirie, bien public des musulmans, comme le rappellent les juristes.

239Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

38. PINILLA MELGUIZO, R. “Saneamiento urbano y medio ambiente en la Córdoba islámica (siglos VIII-XIII)”.

BERBEL J. y PORCEL, Ó. (éds.) Las ordenanzas de limpieza de Córdoba (1498) y su proyección. Córdoba,

Universidad de Córdoba, 1999, pp. 39-54.

39. L’affaire est rapportée par Ibn Sahl: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 142-144 et 217;

“‘Que nul n’empiète sur la rue qui appartient à tous!’: à propos d’une tentative d’accaparement de la voie

publique à Cordoue au début du Xe siècle”. Estudios sobre patrimonio, cultura y ciencia medievales, IX, 2007, à

paraître.

40. Sur le personnage: MÉOUAK, M. “Histoire de la .higaba et des .huggab en al-Andalus omeyyade (2e/VIIIe-4e/Xe

siècles)”. Orientalia Suecana, XLIII-XLIV, 1994/95, pp. 155-164.

41. Exceptionnellement, Ibn Sahl a consigné l’issue du procès, alors qu’il se contente d’ordinaire de compiler les

opinions des muftis. Certains malékites acceptent l’empiétement sur la voie publique, dès lors que la liberté de

circuler demeure: NEJMEDDINE, N. “La rue dans la ville de l’Occident musulman médiéval d’après les sources

juridiques malikites”. Arabica, L, 2003, pp. 273-305.

Quelques années plus tard, Ibn `Abd al-Ra’uf stipule dans son traité de .hisba

qu’“on doit interdire, à ceux qui le veulent, d’utiliser les fondations pieuses dans

leur propre intérêt […]. Il en sera ainsi des chemins (.turuq), des cours (afniya),

des grandes routes (ma.hagg) et des terres constitués en habous42”. La

préoccupation que manifestent les autorités vis-à-vis des conditions de circulation

transparaît également dans cette anecdote relative au quartier Furn Burriel de

l’Ajerquía43: en janvier 972, traversant ce quartier avec son cortège, le calife

constate l’étroitesse d’une rue qui longe un fossé44; il fait acheter, puis détruire les

boutiques qui bordent cette rue pour élargir l’espace destiné à la circulation.

Le ra.sıf, chaussée maçonnée qui endigue le Guadalquivir devant le palais et

dont des vestiges ont été mis au jour dans les années 1990, constitue une

autre voie très passante de Cordoue45: il permet de gagner l’oratoire en plein

air, la mu.sara, où la foule se presse en procession pour demander la pluie46,

et il donne accès aux moulins posés sur le barrage du fleuve. Au niveau de la

porte principale du palais, la Porte de la Azuda, le ra.sıf rassemble parfois les

Cordouans pour des annonces publiques: il est surplombé par une terrasse que

le souverain utilise pour s’adresser à la foule. En juin 975, le calife et son fils y

président une distribution d’aumônes aux pauvres de la ville, rassemblés là à

cet effet47. En février 1009, assiégé dans son palais, le calife Hisam s’adresse à

la plèbe massée sur le ra.sıf: encadré de deux serviteurs portant chacun un

exemplaire du Coran, le calife réclame le retour au calme48. Le ra.sıf est parfois

le théâtre d’une sociabilité bien macabre: lieu de punition de Cordoue, les

cadavres des rebelles y sont exposés aux yeux des badauds49. Le pont, point

240 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

42. Il est nommé vizir en 931: ARIÉ, R. “Traduction annotée et commentée des traités de .hisba d’Ibn `Abd al-

Ra’uf et de `Umar al-Garsıf ı”. Hespéris-Tamuda, 1, 1960, p. 33.

43. Anales palatinos, op. cit., pp. 89-90.

44. Identifié avec le cours du ruisseau de San Lorenzo par ARJONA CASTRO, A. “Los Banu-l-`Abbas de Córdoba

y los arrabales orientales de Córdoba islámica”. Qur.tuba, 6, 2001, pp. 302-314.

45. Coupe n° 3 de l’intervention archéologique en appui à la restauration de l’Alcázar (1993-1994): MONTEJO

CÓRDOBA, A. J. y GARRIGUET MATA, J. A. “El Alcázar andalusí de Córdoba: estado actual de la cuestión y

nuevas hipótesis”. Fortificaciones en al-Andalus, op. cit., pp. 302-332.

46. `AR-IB. La crónica de `Arıb sobre al-Andalus. Trad. J. Castilla Brazales. Granada, Memoria del Sur, 1992, p.

154: au printemps 915, pour remédier à la sécheresse, l’imam conduit cinq processions vers l’oratoire.

47. Anales palatinos, op. cit., pp. 275-276.

48. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 61.

49. MAZZOLI-GUINTARD, C. “Le sang dans les villes d’al-Andalus: sang caché, sang exposé”. Le sang au Moyen

Age, IVe colloque international du Centre de Recherche Interdisciplinaire sur la Société et l’Imaginaire au Moyen

Age. Montpellier, 1999, pp. 127-143.

de passage obligé pour gagner la rive gauche du Guadalquivir et la route

menant vers l’Andalousie méridionale, apparaît aussi comme un lieu de

convivialité où Cordouans et étrangers se croisent; l’accès en est sévèrement

réglementé, l’émir interdisant à quiconque de le franchir lorsqu’il se trouve

lui-même en train de chasser de l’autre côté du fleuve. En septembre 910,

des proches de l’émir, dont ses fils, sont arrêtés pour avoir passé outre

l’interdiction50.

1.2.3. GARANTIR LE BON APPROVISIONNEMENT D’UNE VILLE SAINE:

LES LIEUX INCONTOURNABLES DE LA SOCIABILITÉ

Le souk et la qay.sariyya, entrepôt des marchandises de luxe, constituent

d’évidents espaces de convivialité pour les plus fortunés des Cordouans: des

conversations s’y engagent entre vendeurs et acheteurs, ou entre acheteurs

eux-mêmes, comme ce notable et cet uléma se disputant l’acquisition d’un

livre51, mais aussi entre artisans, lorsque le mu.htasib qui administre le marché

des cordonniers dénonce les malfaçons des fabricants52. Mais le souk résonne

aussi parfois d’accents religieux et de formules liturgiques: répondant à l’appel

de l’un des leurs, des musulmans y prient et désertent les mosquées voisines,

au grand dam du mufti53. La fontaine installée devant l’une des portes du palais

par `Abd al-Ra.hman III, pourvue de trois vasques pour faciliter la prise d’eau,

représente sans doute un autre lieu du vivre ensemble de la Cordoue

omeyyade et une “claire affirmation architecturale de l’idéologie du bien

commun54”, mais les sources restent muettes quant à la noria des cruches qui

venaient s’y remplir55: l’accès en était-il libre pour tous les Cordouans? Les

porteurs d’eau y avaient-ils un droit d’usage privilégié?

241Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

50. `AR-IB, La crónica, op. cit., pp. 105-106.

51. L’anecdote figure chez AL-MAQQAR-I. The History of the Mohammedan dynaties in Spain. Trad. P. de

Gayangos. London-New York, Routledge Curzon, 20022, t. I, p. 140.

52. MAZZOLI-GUINTARD, C. “L’artisan, le mu.htasib et le juge: naissance et solution d’un conflit à Cordoue dans

la seconde moitié du XIe siècle”. La résolution des conflits au Moyen Âge. XXXIe Congrès de la S.H.M.E.S.P. Paris,

2001, pp. 189-200.

53. La question sur la prière dans les souks, rapportée par Ibn Sahl, concerne la Cordoue du second XIe siècle:

MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., p. 220.

54. BOUCHERON, P. et D. MENJOT, D. “La ville médiévale”, op. cit., p. 484.

55. Les chroniqueurs se bornent à signaler que l’émir a fait installer, en 919, une fontaine devant la Porte de la

Justice: `AR-IB, La crónica, op. cit., p. 154; Crónica anónima de `Abd al-Ra.hman III al-Na.s¯ır. Ed. y trad. É. Lévi-

Provençal y E. García Gómez. Madrid-Granada, Instituto Miguel Asín-C.S.I.C., 1950, p. 126.

Parmi les autres lieux de la ville où les Cordouans sont amenés à se rencontrer,

se trouvent les cimetières: certes, les remarques acerbes d’un Ibn `Abdun à

propos des cimetières de la Séville du début du XIIe siècle, où des individus

s’installent sur des tombes pour boire du vin et se livrer à la débauche et où

des vendeurs circulent dans les allées56, concernent un autre temps et un autre

espace que ceux de la Cordoue omeyyade. En ce qui concerne cette dernière,

les données relatives à une forme de sociabilité se manifestant dans l’espace

du cimetière sont plus allusives: au début du Xe siècle, un échange de vues

entre parents de défunts met en scène des musulmans qui s’offusquent du

passage entre leurs sépultures de chrétiens transportant leurs cercueils entre

leurs tombes57; en juin 975, de nombreux Cordouans assistent à l’enterrement

d’un pieux ascète dans le cimetière de Qurays58. En revanche, lorsqu’Ibn

`Abdun dénonce l’aménagement de latrines et de cloaques à ciel ouvert dont

le contenu se déverse au-dessus des morts, cette situation rappelle celle du

cimetière cordouan de `-Amir au début du Xe siècle, où les eaux de canalisations

de plusieurs maisons et de bains se déversent, puis stagnent, dans des

tranchées creusées dans le cimetière59. C’est aux autorités urbaines qu’il

incombe de maintenir les cimetières en bon état: en 972, constatant que le

cimetière d’Umm Salama, situé au nord de Cordoue, est devenu trop exigu, le

calife décide de le faire agrandir, en ordonnant l’achat et la démolition de

maisons60. Par des mesures d’hygiène et de salubrité indispensables à

l’existence même de la ville, le pouvoir maintient ainsi en bon état les lieux de

la sociabilité urbaine.

Il reste, enfin, deux grands absents parmi ces lieux de convivialité, le bain et

le four: les sources attestent l’existence de fours chez des particuliers, dont les

fumées gênent le voisinage61, comme elles attestent la présence de bains62, mais

242 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

56. IBN `ABD -UN. Séville musulmane au début du XIIe siècle. Le traité d’Ibn `Abdun sur la vie urbaine et les corps

de métiers. Trad. É. Lévi-Provençal. Paris, Maisonneuve, 1947, pp. 57 et 59.

57. Affaire rapportée par Ibn Sahl: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., p. 207.

58. Anales palatinos, op. cit., p. 271.

59. MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., p. 213.

60. Anales palatinos, op. cit., pp. 115-116.

61. Affaire rapportée par Ibn Sahl: MAZZOLI-GUINTARD, C. Vivre à Cordoue, op. cit., p. 235.

62. Les données figurant dans MUÑOZ VÁZQUEZ, M. “Los baños árabes de Córdoba”. Al-Mulk, Anuario de Estudios

Arabistas, 1961-62, 2, pp. 53-117 mériteraient d’être reprises à la lumière de travaux récents, comme celui de

MARFIL RUIZ, P. “Intervención arqueológica en el baño de S. Pedro (Córdoba)”. Qur.tuba, 2, 1997, pp. 335-336.

le manque de données relatives à la fréquentation de ces espaces ne permet

pas de les évoquer en termes de lieux du vivre ensemble63. Au total, la Cordoue

des Xe-XIe siècles peut aisément être évoquée comme un ensemble de lieux de

sociabilité, où les individus sont amenés à vivre ensemble, depuis le cercle

étroit de la vie familiale jusqu’aux espaces ouverts du marché et des grands

axes de circulation, où une partie des Cordouans rencontre des étrangers à la

ville. Mais ainsi décrite, Cordoue demeure immobile; or, ces lieux de rencontre

doivent s’animer, au travers des formes revêtues par le lien social dans ces

espaces urbains.

2. LES FORMES DU LIEN SOCIAL

2.1. UNE HARMONIEUSE COHABITATION SOUS LA MAIN DE FERDU PRINCE

2.1.1. UNE SI PARFAITE HARMONIE SOCIALE…

Les sources narratives donnent de la Cordoue califale l’image d’une ville

paisible et sereine, où les individus vivent ensemble dans la plus parfaite

harmonie: entre la révolte de 818 et la Révolution de 1009, aucun mouvement

de foule ne trouble la capitale. Certes, cherté du grain et disette touchent

parfois les Cordouans. Qu’importe! Ils se rendent sagement en procession vers

l’oratoire du faubourg, derrière leur imam, pour réclamer la pluie: au

printemps 915, à la suite d’une sécheresse prolongée et généralisée, les

marchés sont mal approvisionnés et les prix augmentent; à cinq reprises, les

Cordouans s’en vont réciter des prières pour la pluie64. En vain. Un peu plus

tard, le 1er mai 915, les Cordouans partent de nouveau en procession prier pour

la pluie; le crachin qui tombe alors ne permet de sauver qu’une infime partie

des récoltes. Et le chroniqueur de conclure: “la sécheresse fut générale et

s’étendit à toutes les régions d’al-Andalus et à ses frontières, ce qui entraîna

une hausse des prix dans tout le pays”.

243Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

63. Il n’existe pas de données semblables à celles qui figurent dans les fueros du XIIIe siècle et qui visent à ce

que hommes et femmes ne se rencontrent pas au bain, tout comme chrétiens, juifs et musulmans restent à l’écart

les uns des autres: RUCQUOI, A. “Lieux de rencontre et sociabilité urbaine en Castille (XIVe-XVe siècles)”.

Sociabilité, pouvoirs et société, op. cit., pp. 131-141.

64. `AR-IB, La crónica, op. cit., pp. 135-136.

Parfois aussi, les Cordouans affluent dans l’espace public de la ville, en

particulier autour du palais, pour assister à des cérémonies. Les parades

militaires se tiennent devant la Porte de la Azuda: c’est là que sont accueillis

les BanuˇHazar en septembre 971, par des contingents nourris de l’armée et

“des gens des faubourgs de Cordoue, parfaitement armés, qui occupent tous

les espaces libres et se pressent sur les esplanades et les placettes65”. En juin

972, les troupes qui s’apprêtent à partir en campagne passent la Porte des

Jardins de l’Alcázar et se dirigent vers la mu.sara; “tant de gens, parmi les

notables et la plèbe, sortent pour les voir que seul le Créateur pourrait les

compter!”, note le chroniqueur66. En mars 975, le calife et son cortège quittent

Madınat al-Zahra’ pour Cordoue: pour atteindre le palais, ils traversent le souq

où ils sont accueillis par les agents du prince, puis par “les riches Cordouans

et par les principaux commerçants, sans compter d’autres personnes qui les

saluèrent67”.

Les réceptions solennelles, parfaitement organisées, où se déploient luxe et

magnificence pour la venue d’un ambassadeur, le retour d’un général

victorieux ou les deux grandes fêtes de l’islam, sont destinées à l’élite

cordouane; leurs descriptions, tout en beaux défilés et en déplacements

réglés et codifiés, laissent l’image d’un tissu social idéal, dans lequel chacun

occupe la place qui lui revient68. Les cortèges qui accompagnent ces

réceptions suscitent l’admiration des Cordouans: ils parlent longtemps de la

solennité déployée autour du général.Galib, qui revient du Maghreb, en

septembre 97469. Toutes ces occasions de vivre ensemble mettent en scène

une convivialité idéale, pacifique et paisible; dans un décor de théâtre, des

acteurs jouent une scène empreinte de liens sociaux idylliques, dont il faut

chercher les origines dans les codes de représentation utilisés par les

chroniqueurs, mais aussi dans l’omniprésence du prince et de ses agents,

garants de l’ordre public.

244 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

65. Anales palatinos, op. cit., p. 65. Les BanuˇHazar, Zénètes du Maghreb, sont alliés au calife.

66. Anales palatinos, op. cit., p. 102.

67. Anales palatinos, op. cit., p. 253.

68. Sur l’analyse du cérémonial, cf. BARCELÓ, M. “El califa patente: el ceremonial omeya de Córdoba o la

escenificación del poder”. El sol que salió por Occidente. Estudios sobre el estado omeya en al-Andalus. Jaén,

Universidad de Jaén, 1997, pp. 137-162.

69. Anales palatinos, op. cit., p. 242.

2.1.2. …SOUS LA HOULETTE DU PRINCE…

La paix urbaine est assurée par les agents du prince: le .sa .hib al-madına est

chargé, parmi ses multiples responsabilités, de faire appliquer strictement la loi

lorsque la sécurité de l’Etat ou l’ordre public sont menacés; il intervient dans

des affaires mêlant hérésie et opposition aux Omeyyades ou mettant en cause

des notables, membres de la famille princière ou de l’élite cultivée de la

capitale70. Le .sa.hib al-sur.ta, chargé de réprimer les délits portant atteinte à

l’individu ou à l’intérêt public, combine une force de police aux missions

préventives et répressives avec la fonction judiciaire d’un tribunal; tous les

groupes sociaux de la Cordoue omeyyade sont concernés, les trois catégories

de la sur.ta ayant été interprétées comme s’appliquant à autant de classes

sociales71: la haute sur.ta s’occuperait des délits de l’élite, la basse sur.ta de ceux

de la plèbe et la moyenne sur.ta, instaurée par le calife en 929, exercerait sa

juridiction sur la classe moyenne, intermédiaire entre les deux précédentes72.

Ces magistrats peuvent prononcer la peine capitale et ils se trouvent parfois à

l’origine de ces macabres spectacles du ra.sıf où les cadavres des condamnés

restent exposés à la vindicte populaire, afin de rappeler “qu’il ne fallait pas

faire bon marché de l’autorité du souverain ni de celle de ses magistrats73”.

Le maintien de l’ordre public est également assuré par le .sa.hib al-suq:

responsable de la bonne tenue de la ville, il supervise les métiers, les

fabrications et les transactions, il surveille les marginaux et il s’occupe des

problèmes d’urbanisme, s’assurant que les constructions ne gênent pas la

circulation ou que les rues sont vidées de leurs immondices74. A côté de ces

magistrats chargés, au nom du prince, de maintenir la paix urbaine, d’autres

245Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

70. VALLVÉ BERMEJO, J. “El zalmedina de Córdoba”. Al-Qan.tara, II, 1981, pp. 277-318: il rapporte les

interventions du magistrat quand des parents de l’émir passent outre les ordres de ce dernier, quand des poètes

sont insolents contre al- .Hakam II ou lorsqu’un missionnaire chiite fomente contre ce dernier. Voir aussi MÉOUAK,

M. “ Considérations sur les fonctionnaires de la magistrature de la sûreté urbaine (.s¯a .hib al-madına/wilayat al-

madına) dans l’Espagne umayyade”. Orientalia Suecana, XLVIII, 1999, pp. 75-86.

71. Sur cette interprétation: LÉVI-PROVENÇAL, É. Histoire de l’Espagne musulmane. III. Le siècle du califat de

Cordoue. Paris, Maisonneuve et Larose, 1953, pp. 153-158.

72. Cette magistrature reste entourée de zones d’ombre, en particulier cette structure en police à trois niveaux:

ˇHALL-AF, M. “.Sa.hib al-sur.ta f ı l-Andalus”. Awraq, III, 1980, pp. 72-83.

73. LÉVI-PROVENÇAL, É. Histoire de l’Espagne musulmane, op. cit., p. 162.

74. Il prendra le titre de mu.htasib à l’époque almoravide: CHALMETA GENDRÓN, P. El “señor del zoco” en

España: edades media y moderna. Madrid, Instituto Hispano-Árabe de cultura, 1973.

acteurs interviennent pour permettre au plus grand nombre de vivre ensemble

au quotidien.

2.1.3. …ET L’AUTORITÉ DES RESPONSABLES DE GROUPEMENTS

La régulation des liens sociaux est assurée au niveau de divers groupements

d’individus, souvent désignés par ahl al-, les gens de-, dénomination à mettre

en relation avec un droit musulman qui ne connaît que des individus

indifférenciés et n’accorde pas de statut spécifique à un groupe de citadins75.

Les gens des marchés apparaissent comme les responsables des artisans et

commerçants de la ville: convoqués par le calife au moment du siège de

Cordoue par les Berbères en 1010-1011 et sollicités au sujet d’une aide

pécuniaire, ils refusent de la fournir76. Sur les groupements professionnels

organisant l’artisanat cordouan, les données restent peu nombreuses et ne

permettent guère d’aller au-delà de l’affirmation de leur existence77: tantôt, les

sources narratives livrent le nom du responsable d’un métier, Ibn `Uqba, `arıf

des tailleurs, chargé de fixer les bannières sur les lances avant le départ de la

campagne de 97178; tantôt, les sources juridiques fournissent quelques données

sur les actions menées par un chef de métier. Dit mu.htasib dans le recueil d’Ibn

Sahl, le personnage sait dépister les malfaçons des artisans qui dépendent de

lui; lorsque ceux-ci refusent de se plier aux règles du métier, il les dénonce

devant le juge du marché, comme cela se produit dans les années 1060 pour

les cordonniers et les fabricants de sandaraque, vernis de finition utilisé par les

artisans du textile ou du cuir79: ces derniers doivent utiliser de l’argent et non

de l’étain dans leur préparation; les cordonniers doivent fabriquer des

chaussures de bonne qualité, bien résistantes. Rien ne transparaît sur les

246 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

75. Pour l’époque ottomane, A. Raymond désigne ces groupements par ‘institutions populaires’ pour les distinguer

des institutions municipales (RAYMOND, A. Grandes villes arabes à l’époque ottomane. Paris, Sindbad, 1985, p. 129).

76. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 96.

77. Que C. Cahen ne niait pas, s’interrogeant sur la nature de l’organisation, “étatique ou autonome, c’est-à-dire

du type romain ou communal européen” (CAHEN, C. L’Islam des origines au début de l’Empire ottoman. Paris,

Hachette, 1997 (rééd.), pp. 196-201).

78. Anales palatinos, op. cit., p. 49. `Arıf désigne le chef d’un métier non seulement en Orient, comme l’indique

l’article de l’EI2, mais aussi en Occident. Sur le `arıf des charpentiers, à la tête du corps d’ingénieurs de l’armée:

BARCELÓ, C. “Las inscripciones omeyas de la alcazaba de Mérida”. Arqueología y Territorio Medieval, II-1, 2004,

p. 71.

79. MAZZOLI-GUINTARD, C. “De l’étain dans la préparation du vernis: une innovation blâmable à Cordoue au

XIe siècle?”. Château et innovation, Actes des Rencontres d’Archéologie et d’Histoire en Périgord. Bordeaux, 2000,

pp. 11-22; “L’artisan, le mu.htasib et le juge”, op. cit.; Vivre à Cordoue, op. cit., pp. 38-39, 128-133 et 208-209.

modalités de nomination de ce responsable du métier: il devait recevoir

l’assentiment de ses semblables, comme le montre l’action collective des

cordonniers qui veulent se débarrasser d’un mu.htasib trop autoritaire à leurs

yeux, en lui interdisant l’accès à leur marché; mais le responsable du métier

peut compter, pour rester à la tête de la profession, sur l’aide du système

judiciaire, les ulémas réprouvant l’attitude des artisans.

Les gens de chaque mosquée de quartier interviennent dans l’urbanisme de

leur lieu de culte et des bâtiments qui le jouxte, salle aux ablutions ou

boutiques habous; les discussions nées de ces interventions contribuent à tisser

des relations entre les habitants du quartier. C’est au niveau du quartier,

également, que les modifications à apporter aux ouvertures des maisons

devaient être discutées, tout comme les conditions de l’entretien de la voirie,

domaines sur lesquels, pour la Cordoue omeyyade, les renseignements sont

lacunaires. Mais les injonctions qui figurent dans le manuel de .hisba d’Ibn `Abd

al-Ra’uf ne peuvent guère être suivies d’effet que si elles trouvent, au niveau

des quartiers, des relais: dans les années 930, le .sa.hib al-suq doit empêcher “les

gens de jeter les ordures, les cadavres d’animaux et autres choses du même

genre sur les routes car cela entraîne des inconvénients pour les demeures des

particuliers. Quant aux détritus, ils engendrent la malpropreté, surtout lorsqu’il

pleut. Les gens doivent se charger de transporter tout cela hors de la ville. On

inspectera soigneusement les mosquées, les parvis et tout ce qui se rattache

aux mosquées; on empêchera les gens de jeter les ordures et les matières

souillées dans leurs cours80”. Rappelons aussi que la médina cordouane est

divisée en deux zones, pourvues chacune d’un `arıf, sans doute responsable

du contrôle fiscal et du maintien de l’ordre81.

Aux groupements autour d’un métier ou d’une mosquée de quartier, il convient

d’ajouter les communautés confessionnelles, les ahl al- -dimma disposant d’une

organisation propre, dont les personnages essentiels sont les responsables des

communautés, le nası’ pour les juifs, le comes pour les chrétiens, et les juges

chargés de trancher les litiges internes à chaque groupe.

247Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

80. ARIÉ, R., op. cit., p. 360.

81. LÉVI-PROVENÇAL, É. Histoire de l’Espagne musulmane, op. cit., p. 374, d’après Ibn al-ˇHa.t ıb.

2.2. UNE VILLE SI TRANQUILLE?

La main de fer du prince ne parvient pas à conserver intacte la paix urbaine,

que des troubles viennent parfois ébranler: ceux-ci revêtent des formes diverses,

de l’altercation au meurtre ou à la révolte; ils naissent d’un individu ou d’un

groupe et si les troubles se développent la plupart du temps dans les espaces

publics de la ville, l’intimité de l’espace familial n’est pas à l’abri de la violence.

2.2.1. LA PAIX URBAINE TROUBLÉE PAR LA PAROLE ET LE CRI

Dans une formule efficace, J.-P. Leguay a résumé cette forme d’agitation: “la

rue est d’abord l’endroit où chacun observe, subodore, interprète puis cause82”.

Qu’observent les badauds? Ce qui sort de l’ordinaire. Au cours de l’été 973, des

regards curieux se posent sur le grand pavillon rouge, d’aspect imposant, que

le calife fait envoyer au général .Galib83. Le 15 décembre 1007, les rues de

Cordoue, où la foule se presse, est le théâtre d’un événement hors du commun:

surgissant des campagnes voisines, un sanglier déboule dans la ville; poursuivi

par des soldats à cheval, il finit sa course entre le Guadalquivir et le palais, où

une lance l’atteint84. La rue est en effet, pour reprendre l’expression de Mª I.

del Val Valdivieso, “le domaine du quotidien par excellence et, par conséquent,

le cadre où l’extraordinaire a un fort impact social85”. Les Cordouans, qui

n’avaient jamais vu de sanglier auparavant et ne connaissent pas cet animal, ne

manquent pas d’interpréter l’événement, perçu comme un mauvais présage.

Et les badauds de discuter. Le ton des conversations peut être très critique: la

quatrième expédition de `Abd al-Malik, menée contre l’Aragon au cours de

l’été 1006, suscite des commentaires méprisants de la part de la plèbe

cordouane86. La moquerie peut l’emporter: les Cordouans se raillent de .Tarafa,

l’esclavon de `Abd al-Malik, sur lequel ils font circuler des satires; ils

surnomment le calife Mu.hammad III le petit poltron, la petite bedaine87. Les

248 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

82. LEGUAY, J.-P. “La rue, lieu de sociabilité”. La rue, lieu de sociabilité?, op. cit., pp. 11-29.

83. Anales palatinos, op. cit., p. 148.

84. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 30.

85. DEL VAL VALDIVIESO, Mª I. “Les rues castillanes au XVe siècle: miroir d’une société”. La rue, lieu de

sociabilité?, op. cit., pp. 63-72.

86. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 20.

87. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 124.

discussions sont parfois dominées par la peur, comme les rumeurs alarmistes

qui circulent à propos des troupes alors en campagne en Castille, à l’été 100788.

Tantôt aussi, c’est la colère qui l’emporte: régulièrement, les Cordouans

viennent maudire les cadavres des suppliciés exhibés sur le ra.sıf et ils sont

appelés à exprimer leur rage contre un voleur publiquement exposé à la

vindicte populaire. En juin 971, un certain A.hmad b. `Umar, auteur supposé de

malhonnêtetés, subit une promenade infamante dans le souk, avant d’être

exposé au courroux populaire; en octobre 973, une foule de Cordouans lance

toutes sortes de malédictions contre la dépouille de l’hérétique Ibn `Abd al-

Salam89. Sur un ton sans doute fort vif, commence dans le marché une

controverse entre l’hérétique Abu l-ˇHayr et le responsable de la sur.ta; lorsque

ce dernier rappelle au rebelle le respect dû aux autorités en place, celui-ci

s’écrie que s’il pouvait disposer de 5000 cavaliers, il entrerait de vive force à

Madınat al-Zahra’ afin de tuer tous ceux qui s’y trouvent et de proclamer le

régime du Fa.timide al-Mu`izz90.

Mais les conversations ne sont pas que cris de fureur et railleries. L’intonation

est parfois celle de l’admiration: en mars 973, le calife est abordé sur la mu.sara

par des cavaliers venus de Lérida, qui le bénissent, lui manifestent leur

gratitude et louent les qualités de leur gouverneur91. L’accent est parfois celui

de la commisération: en juin 975, les soldats assiégés dans Gormaz se trouvent

au cœur des conversations et les Cordouans leur manifestent leur plus

profonde compassion92. Enfin, une seule voix prononce quelquefois les mots

qui troublent la paix urbaine, celle du prédicateur qui appelle à faire

l’aumône, celle du jeune cardeur qui interrompt leˇha.tıb au moment où les

fidèles vont prêter la bay`a, celle du crieur qui proclame dans les souks que

Cordoue n’abrite plus aucun Omeyyade, celle du marchand qui appelle à la

prière dans le marché93.

249Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

88. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 21.

89. Anales palatinos, op. cit., pp. 43-44 et 180.

90. LÉVI-PROVENÇAL, É. Histoire de l’Espagne musulmane, op. cit., pp. 460-461.

91. Anales palatinos, op. cit., p. 192.

92. Anales palatinos, op. cit., p. 271.

93. Anales palatinos, op. cit., p. 189. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., pp. 59 et 131.

2.2.2. LA PAIX URBAINE ÉBRANLÉE PAR DES FAITS ET DES GESTES

Des faits compromettent régulièrement la paix urbaine. Ce sont parfois des

bousculades, comme celle qui emporte les fidèles vers l’intérieur de la grande-

mosquée le 10 avril 974: depuis cinq jours, Cordoue subit les assauts d’une

violente tempête qui a arraché des arbres et mis le fleuve en crue; le vendredi,

juste avant la prière, des pluies diluviennes s’abattent de nouveau sur la ville.

“Les vêtements trempés, les gens se pressent devant les portes des nefs, à

l’intérieur de l’enceinte, et s’efforcent d’entrer dans la salle de prières, en se

poussant brutalement et en se bousculant94”. Les disputes tournent quelquefois

à la bagarre: le 26 juin 972, une altercation entre deux groupes de soldats

devant la Porte de la Azuda dégénère en rixe, à laquelle se mêle une partie de

la populace; il faut l’intervention de plusieurs détachements militaires pour

venir à bout du tumulte95.

Crimes et délits ébranlent aussi la paix urbaine: le marché apparaît comme le

lieu par excellence des forfaits, comme l’attestent les sources juridiques et la

jurisprudence élaborée autour des biens provenant d’un vol, mais des forfaits

sont parfois commis en d’autres lieux, à l’instar de la grande-mosquée où un

vol est commis au détriment du trésor, en octobre 96496. Le vol s’accompagne

quelquefois de violences physiques: à l’époque de Mu.hammad Ier, un individu

se fait voler sa maison par son voisin, le vizir Hasim b. `Abd al-`Azız, qui le

séquestre dans sa propre demeure97. Quant aux homicides, les sources

conservent surtout, mais pas seulement, la mémoire de crimes commis sur des

personnalités politiques: sous le règne de `Abd al-Ra.hman II, le cadavre

découvert dans le quartier des bouchers, dissimulé dans une couffe, appartient

à un individu qui reste dans l’anonymat98. En 1017-1018, `Alı b. .Hammud est

assassiné par ses Esclavons qui profitent de l’isolement et de la tranquillité du

bain palatin pour exécuter leur prince99. En 1031, .Hakam b. Sa`ıd, vizir de

250 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

94. Anales palatinos, op. cit., p. 195.

95. Anales palatinos, op. cit., p. 101.

96. IBN `I -D-AR-I. Histoire de l’Afrique et de l’Espagne intitulée Al-Bayano’l-Mogrib. Trad. É. Fagnan. Alger,

Imprimerie Orientale Pierre Fontana, 1904, t. II, p. 391.

97. IBN AL-Q -U .TIYYA. Historia de la conquista de España de Abenalcotía el Cordobés. Trad. J. Ribera. Madrid,

Tipografía de la Revista de Archivos, 1926, t. II, pp. 70-71.

98. IBN AL-Q -U .TIYYA. Historia de la conquista de España de Abenalcotía el Cordobés. Trad. J. Ribera. Madrid,

Tipografía de la Revista de Archivos, 1926, t. II, pp. 55-56.

99. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 110.

Hisam III, est assassiné dans la rue par un groupe d’opposants qui jettent le

corps après l’avoir décapité, afin d’exposer la tête aux passants100. L’homicide

peut également avoir lieu dans l’intimité de la maison: c’est dans sa demeure

de l’Ajerquía qu’al-.Tubnı, célèbre savant et poète, est retrouvé baignant dans

une mare de sang, en mars 1065, sans doute victime de son fils aîné101. Dans

l’histoire de l’Islam, la grande-mosquée n’est pas à l’abri de telles brutalités et

IbnˇHaldun met en relation l’apparition de la maq.sura avec les tentatives

d’assassinat dont les Omeyyades Mu`awiya, puis Marwan ont été victimes102;

Cordoue échappe de justesse à la violence commise dans l’enceinte de la

grande-mosquée: au début de son règne, al- .Hakam Ier déjoue un complot

visant à l’assassiner un vendredi, dans la grande-mosquée103.

2.2.3. LA PAIX URBAINE ROMPUE: RÉVOLUTION ET RÉVOLTES

“Support et théâtre d’une vie publique intense […], le pavé fut à toutes les

époques le théâtre de défilés, de manifestations, d’affrontements, le départ de

révolutions104”: Cordoue n’échappe pas à la règle et les révoltes naissent dans

ses rues, pour se diriger contre le palais omeyyade, but de l’ire populaire. Entre

la Révolution de Cordoue, en 1009, et la disparition du califat, en 1031, le palais

est pris à quatre reprises, par des mouvements nés dans la rue: en février 1009,

la plèbe monte sur le toit du palais au moyen d’échelles; en septembre 1023,

les Cordouans s’emparent de l’Alcázar, après de rudes combats de rue contre

les Berbères; en janvier 1024, soutenu par la garde palatine, le peuple entre

dans le palais pour s’en prendre au calife; en novembre 1031, Umayya b. `Abd

al-Ra.hman réunit quelques hommes de la plèbe et de la garnison, avance avec

eux vers le palais, y pénètre puis en ordonne la mise à sac105.

251Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles

100. IBN `I -D-AR-I. La caída del califato, op. cit., p. 130. Sur ce macabre rituel, cf. FIERRO, M. “Violencia, política

y religión en al-Andalus durante el s. IV/X: el reinado de `Abd al-Ra.hman III”. FIERRO, M. (ed.) De muerte

violenta. Política, religión y violencia en al-Andalus. Madrid, C.S.I.C., 2004, pp. 37-101.

101. SOUFI, K. Los Banu Yahwar en Córdoba. 1031-1070. Córdoba, Real Academia de la Historia, 1968, pp.

183-196.

102. IBN ˇHALD-UN. Discours sur l’Histoire universelle. Al-Muqaddima. Trad. V. Monteil. Paris, Sindbad, 19973,

p. 419.

103. IBN AL-A-T-IR. Annales du Maghreb et de l’Espagne. Trad. É. Fagnan. Alger, 1898, Typographie Adolphe

Jourdan, pp. 165-166.

104. LEGUAY, J.-P. “La rue, lieu de sociabilité”, op. cit.

105. MAZZOLI-GUINTARD, C. “Quand, dans le premier tiers du XIe siècle, le peuple cordouan s'emparait de la

rue...”. Al-Qan.tara, XX, 1999-1, pp. 119-135; “Face aux émeutes urbaines, la citadelle d’al-Andalus omeyyade”.

Château et guerre, Actes des Rencontres d’Archéologie et d’Histoire. Bordeaux, 2004, pp. 39-55.

En élargissant la thématique vers l’amont et l’aval, le même schéma se répète,

donnant à la rue la première place dans les mouvements urbains: la révolte de

mars 818 naît dans le faubourg de Secunda, sur la rive gauche du Guadalquivir,

que l’émir traverse sous les huées de la population. La foule se rue ensuite sur

le pont et fonce sur le palais, avant d’être prise à revers106. Bien plus tard, en

1121, la rue cordouane est encore et toujours le théâtre des révoltes: le 2 mars

1121, un membre de la milice almoravide tente de mettre la main sur une femme

qui appelle à l’aide; cet acte déclenche une importante émeute, opposant

Cordouans et miliciens. Les ulémas de la ville demandent au gouverneur que

justice soit faite; celui-ci refusant de prendre les mesures nécessaires, les

Cordouans marchent contre le palais où le gouverneur s’est réfugié, ils y entrent

et le mettent à sac. La révolte prend tant d’ampleur que l’émir lui-même doit

quitter Marrakech pour venir mettre le siège devant Cordoue107.

CONCLUSION

Dans la Cordoue des Xe-XIe siècles, les lieux de convivencia sont multiples,

depuis les afniya des mosquées de quartier, jusqu’à la grande-mosquée et le

marché, le point de rencontre essentiel demeurant le ra.s ıf au niveau de la

Porte de la Azuda. De l’examen de ces lieux, il émane souvent une convivencia

idéale, sous les traits d’une ville qui rassemble et permet de vivre ensemble de

manière harmonieuse, tandis que l’étude des formes du lien social laisse

mesurer l’écart entre l’imaginaire de la convivialité et les expériences

quotidiennes de celle-ci, où les rues sont des axes de circulation parfois

dangereux, où les places sont des lieux où gronde la révolte, où la majeure

252 La convivencia en las ciudades medievales. Logroño, 2008, pp. 229-253, ISBN 978-84-96637-40-5

106. L’analyse la plus complète des événements reste celle de LÉVI-PROVENÇAL, É. Histoire de l’Espagne

musulmane. I. La conquête et l’émirat hispano-umaiyade (710-912). Paris-Leiden, Maisonneuve & Cie-Brill, 1950,

pp. 160-173. La parution récente de la partie du Muqtabis relative à cette année 818 (IBN .HAYY-AN. Crónica de

los emires Al .hakam I y `Abdarra.hman II entre los años 796 y 847. [Almuqtabis II-1]. Trad. M. `Al ı Makkı y F.

Corriente. Zaragoza, Instituto de Estudios Islámicos y del Oriente Próximo, 2001; La primera década del reinado

de Al- .Hakam I, según el Muqtabis II, 1 de Ben .Hayyan de Córdoba (m. 469 h./1076 J.C.). Ed. y trad. J. Vallvé y

F. Ruiz Girela. Madrid, Real Academia de la Historia, 2003) devrait permettre une nouvelle lecture de la révolte,

amorcée dans RUIZ GIRELA, F. “El acontecimiento que desencadenó la revuelta del Arrabal, según el Muqtabis

II de Ibn .Hayyan. Algunas puntualizaciones sobre el sentido del texto”. Anaquel, 16, 2005, pp. 219-225) ou

annoncée dans FIERRO, M. “Sobre el Muqtabis. Las hijas de al- .Hakam I y la revuelta del arrabal”. Al-Qan.tara,

XXIV, 2003, pp. 209-215.

107. BOSCH VILÁ, J. Historia de Marruecos: los almorávides. Tetuán, Editora Marroquí, 1956, pp. 196-199.

partie de la population féminine est exclue du vivre ensemble. A quel point

cette ville aux multiples lieux du vivre ensemble ne sépare-t-elle pas autant

qu’elle réunit? La convivencia ne pousse-t-elle pas, en fin de compte, à

interroger les modes de la ségrégation urbaine?

253Christine Mazzoli-Guintard - Lieux de convivialité et formes du lien social dans la Cordoue des Xe-XIe siècles