Un cinéma pour l'oreille

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Université de Montréal Un cinéma pour l’oreille Cycle d’œuvres acousmatiques incluant Éclats de voix, Jeu, Mémoires vives et Tangram par Robert Normandeau Faculté de musique Thèse présentée à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Docteur en musique (D.Mus.) option composition électroacoustique Mars 1992 © Robert Normandeau, 1992

Transcript of Un cinéma pour l'oreille

Université de Montréal

Un cinéma pour l’oreille

Cycle d’œuvres acousmatiques incluant

Éclats de voix, Jeu, Mémoires vives et Tangram

par

Robert Normandeau

Faculté de musique

Thèse présentée à la Faculté des études supérieures

en vue de l’obtention du grade de

Docteur en musique (D.Mus.)

option composition électroacoustique

Mars 1992

© Robert Normandeau, 1992

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Université de Montréal

Faculté des études supérieures

Cette thèse intitulée:

Un cinéma pour l’oreille

Cycle d’œuvres acousmatiques incluant

Éclats de voix, Jeu, Mémoires vives et Tangram

présentée par:

Robert Normandeau

a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes:

Thèse acceptée le:

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Sommaire

La musique électroacoustique a plus de quarante ans maintenant. Presque tous les compositeurs qui ont marqué son évolution depuis 1948 sont toujours vivants1 et la plupart assez actifs. C’est dire à quel point nous manquons de recul pour analyser et comprendre l’essence de notre travail, pour en saisir les principes de fonctionnement et d’articulation. Nous devons donc nous pencher individuellement sur notre art et tenter d’en cerner les contours et les textures afin d’y discerner quelques bribes d’information qui seront éventuellement traduisibles en termes autres que strictement personnels. Autrement dit, tenter de formuler des idées et des principes issus de l’observation minutieuse du travail des autres et du sien propre. Or l’une de ces idées, qui a cours depuis longtemps, est celle qui établit une analogie entre le cinéma et l’électroacoustique. Si cette idée a été maintes fois évoquée, elle n’a été développée de façon systématique par personne et qui plus est, elle semble aujourd’hui légèrement en disgrâce. L’un des propos de ce travail est précisément d’approfondir un peu plus cette idée dans ce qu’elle a de stimulant puisque venant d’un art beaucoup plus ancien — le cinéma date de la fin du XIXe s.2 — et qui, sur le plan théorique, a réussi à formuler un certain nombre de concepts importants. À tel point, d’ailleurs, que l’on peut déjà suivre une histoire de l’évolution du concept du cinéma depuis un siècle.

Les développements théoriques récents autour de la notion de langage cinématographique nous inclinent à croire que c’est à ce niveau que se profilent les éléments les plus signifiants de l’étude du cinéma. Et si ces éléments ne sont pas tous directement applicables à l’électroacoustique, la démarche qui a conduit à leur existence est cependant riche d’enseignement et il est sans doute possible de s’en inspirer pour réaliser une démarche personnelle qui serait de même nature.

Les objectifs de ce travail sont essentiellement de deux ordres. Premièrement, construire des outils de composition et d’analyse à partir de deux de nos œuvres antérieures — Jeu et Mémoires vives — à partir de ce qu’il nous a paru pertinent de transférer de l’analyse cinématographique à l’analyse

1 Sauf feu V. Ussachevsky, J.-É. Marie et P. Carson entre autres. 2 Première représentation publique des frères Lumière le 28 décembre 1895.

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acousmatique3, et deuxièmement, créer de nouvelles œuvres — Éclats de voix et Tangram — qui soient le reflet de cette recherche.

Enfin, nous envisageons que ce travail puisse ensuite servir de base à la publication d’un essai dont l’objectif serait de jeter les fondements d’une meilleure compréhension du style «cinéma pour l’oreille».

3 Le terme électroacoustique fait uniquement référence au médium utilisé et ne recoupe pas de styles ni de genres en particulier alors que le terme acousmatique désigne plus précisément une attitude esthétique concernant essentiellement la musique sur support. Le terme «acousmatique», utilisé par Jérôme Peignot et Pierre Schaeffer dans les années ’50, a été repris par François Bayle dans les années ’70.

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Table des matières

Liste des tableaux ................................................................................................. vii Liste des figures ................................................................................................... viii Liste des sigles ....................................................................................................... ix Dédicace .................................................................................................................. x Remerciements ...................................................................................................... xi Avant-propos ........................................................................................................... 1 1. Le langage cinématographique ............................................................................ 3

1.1. Le langage proprement dit ........................................................................... 4 1.1.1. L’analogie perceptive ........................................................................... 8 1.1.2. Les «codes de nomination iconique» ................................................... 9 1.1.3. Les figures signifiantes proprement cinématographiques .................. 11 1.1.4. L’animation sonore ............................................................................ 13

1.2. La grammaire ............................................................................................. 14 1.2.1. Les plans ............................................................................................. 15

a) La grosseur des plans ............................................................... 17 b) Les mouvements de caméra ..................................................... 18 c) La durée des plans ................................................................... 21

1.2.2. Le montage ......................................................................................... 22 1.2.3. La couleur ........................................................................................... 24 1.2.4. Les éclairages ..................................................................................... 25 1.2.5. Le cadre .............................................................................................. 26

2. Analyse des œuvres présentées ......................................................................... 28 2.1. Jeu .............................................................................................................. 28

2.1.1. Les différentes acceptions du mot «jeu» ............................................ 28 2.1.2. Le tricercle ......................................................................................... 31 2.1.3. Les sources sonores ............................................................................ 32 2.1.4. La classification générale ................................................................... 34 2.1.5. Du son au sens .................................................................................... 38 2.1.6. Les procédés cinématographiques ...................................................... 39 2.1.7. Les traitements sonores ...................................................................... 43 2.1.8. Les citations ....................................................................................... 45 2.1.9. La forme générale .............................................................................. 46

2.2. Mémoires vives ......................................................................................... 47 2.2.1. Les sources sonores ............................................................................ 47 2.2.2. Les sections ........................................................................................ 49 2.2.3. Les procédés cinématographiques ...................................................... 50 2.2.4. La forme générale .............................................................................. 52

2.3. Éclats de voix ............................................................................................ 56 2.3.1. Les sources sonores ............................................................................ 56 2.3.2. La classification des sons ................................................................... 58

a) Les critères objectifs ................................................................ 58 b) Les critères subjectifs .............................................................. 59

2.3.3. Les sections ........................................................................................ 62

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a) Jeu/rythme ................................................................................ 62 b) Tendresse/timbre ..................................................................... 63 c) Colère/dynamique .................................................................... 63 d) Tristesse/espace ....................................................................... 64 e) Joie/texture ............................................................................... 65

2.3.4. Les contrôleurs MIDI ......................................................................... 65 2.3.5. Les procédés cinématographiques ...................................................... 66 2.3.6. La composition et la diffusion multipiste ........................................... 68

3. Tangram et la composition spatiale ................................................................... 70 3.1. Le travail de studio .................................................................................... 71 3.2. La diffusion en salle .................................................................................. 72 3.3. La diffusion circulaire ............................................................................... 72

Conclusion ............................................................................................................. 74 Index ...................................................................................................................... 76 Références ............................................................................................................. 78 Annexe I: Documentation sonore fournie ........................................................... xiii Annexe II: Notes de programme ......................................................................... xiv Annexe III: Partitions d’écoute ......................................................................... xxiii Annexe IV: Autres œuvres composées au cours du doctorat ............................ xxxi Annexe V: Classification des sons d’Éclats de voix ......................................... xxxv Annexe VI: Contrôleurs MIDI du logiciel de séquence pour Éclats de voix ..... xlix Annexe VII: Formes géométriques du Tangram .................................................... li Annexe VIII: Schéma de distribution des haut-parleurs pour Tangram ............... liii Annexe IX: Modèles de déplacement mis au point pour Tangram ...................... lv Curriculum vitæ .................................................................................................. lxiii

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Liste des tableaux

Tableau I: Les différentes acceptions du mot «jeu» 30 Tableau II.a) Tableau synthèse de Les règles du jeu 35 Tableau II.b) Tableau synthèse de Mouvements d’un mécanisme 36 Tableau II.c) Tableau synthèse de Ce qui sert à jouer 36 Tableau II.d) Tableau synthèse de Les manières de jouer 37 Tableau II.e) Tableau synthèse de Les plaisirs du jeu 38 Tableau III: Les sept sections de Mémoires vives 50 Tableau IV: Les éléments formels de Mémoires vives 54 Tableau V: Les critères de classification d’Éclats de voix 61

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Liste des figures

Figure 1: Les trois espaces du son au cinéma 31 Figure 2: Analyse de Mémoires vives 55

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Liste des sigles

ACREQ: Association pour la création et la recherche électroacoustiques du Québec GMEB: Groupe de musique expérimentale de Bourges GMEM: Groupe de musique expérimentale de Marseille GRM: Groupe de recherches musicales de Paris IRCAM: Institut de recherche et de coordination acoustique musique

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Dédicace

Cette thèse de doctorat est dédiée à Marcelle Deschênes et Francis Dhomont sans qui elle n’aurait probablement jamais existé.

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Remerciements

À André Corriveau qui nous a commandé la musique de Paysages sonores de Charlevoix pour une série d’émissions diffusées à Radio-Canada FM. Certains des sons enregistrés pour cette occasion par Radio-Canada ont été réutilisés dans Jeu

À Jacques Drouin qui nous a commandé La règle du jeu dont certains matériaux ont été réutilisés dans Jeu

À Jean-François Denis et Claude Schryer pour la publication du disque compact solo Lieux Inouïs ainsi que pour la commande et la publication, également en disque compact, de Bédé

À la corporation Célébrations Montréal 1642-1992 qui nous a octroyé une subvention pour la production de Tangram

À la fondation Desjardins qui nous a octroyé une bourse de doctorat en 1989

À l’équipe de l’émission radiophonique Sons d’esprit (Ned Bouhalassa, Laurie Radford et Claude Schryer) de CKUT-MF pour la commande de Éclats de voix

À messieurs Michael Century et Vern Hume, respectivement directeur artistique du département Media Arts du Banff Centre for the Arts en 1989 et 1992, qui nous ont accueilli au cours de l’automne 1989 et de l’hiver 1992 afin de poursuivre cette recherche

À Monique Desroches, professeur d’ethnomusicologie de la faculté de musique de l’Université de Montréal pour nous avoir permis de réaliser des prises de sons au musée d’instruments de la faculté

Au Conseil des arts de la Communauté urbaine de Montréal qui nous a octroyé une subvention pour la production de Tangram

xii Au Conseil des arts du Canada qui nous a octroyé des bourses permettant de

réaliser Éclats de voix, Jeu, La règle du jeu, Mémoires vives et Tangram ainsi que le disque solo Lieux inouïs

Au fond FCAR qui nous a octroyé une bourse de doctorat entre 1988 et 1991

Au Groupe de musique expérimentale de Bourges qui nous a invité dans ses studios afin de réaliser Jeu

Au ministère des Affaires culturelles du Québec qui nous a octroyé une bourse permettant de réaliser Jeu et Tangram

Aux Événements du Neuf qui nous ont fait la commande de Mémoires Vives

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Un cinéma pour l’oreille

Avant-propos

Le texte présenté ici vise essentiellement un objectif, celui de faire comprendre au lecteur notre démarche à l’intérieur d’un monde — l’électroacoustique — où les pratiques sont de plus en plus vastes et nombreuses.

La notion de «cinéma pour l’oreille» est une notion semble-t-il fort ancienne mais qui, au fond, n’a été développée par personne. Quelques-uns la revendiquent ou l’invoquent — Calon, Chion, Daoust, Dhomont— mais personne, à notre connaissance n’a fait véritablement le tour de la question4. En fait, le parallèle que l’on peut aisément tracer entre le cinéma et l’électroacoustique à cause d’un certain nombre de similitudes — art de support, importance du montage, etc. — bute très rapidement contre un obstacle majeur, celui de la narration5.

Cela comporte deux risques immédiats: le premier, c’est que le parallèle paraît bancal dès lors qu’il s’agit de l’appliquer à toute l’électroacoustique, de quelque origine qu’elle soit. Le second, c’est la tentation de «rabaisser» toute l’électroacoustique qui se réclame du cinéma pour l’oreille au niveau de l’anecdote.

Clarifions d’entrée de jeu le malentendu: notre propos n’est pas d’établir des relations qui s’appliqueraient à toutes les musiques électroacoustiques — après tout, certaines se satisfont très bien des pratiques de la musique instrumentale — mais bien seulement à nos propres œuvres qui s’inscrivent dans cette perspective d’un cinéma pour l’oreille en tout premier lieu.

4 Michel Chion cependant, dans son livre L’art des sons fixés, consacre à cette notion un chapitre entier intitulé Un cinéma pour l’oreille? Un parallèle et ses leçons où après avoir présenté cette hypothèse, il la récuse aussitôt: «Parler donc de cinéma pour l’oreille, pour désigner la musique sur support, présente donc un risque, celui d’inciter le public à une écoute purement narrative. Ensuite, de définir privativement un art qui ne manque de rien (cinéma pour l’oreille pouvant être compris comme cinéma sans image)» (CHION 1991:63) 5 On peut cependant dire que l’art acousmatique, comme le cinéma, est un art hybride par excellence. Comme le souligne Michel Chion dans une rencontre récente sur la narrativité tenue à Paris au GRM (10 février 1992) «Du point de vue de la narrativité, on peut dire que de toutes les musiques elle est par excellence celle qui peut en brasser, en intégrer et en superposer le plus grand nombre.»

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Nous tenterons de voir comment, dans une perspective générale, peuvent être transposés dans le domaine sonore des éléments de grammaire d’abord, de langage ensuite qui proviennent des études cinématographiques.

Nous poursuivrons ensuite avec l’analyse plus détaillée des œuvres déposées et verrons comment chacune d’elles, à sa manière, s’inscrit dans cette démarche. L’idée principale est de mettre en lumière ce qui, dans ce qui est donné à écouter, s’entend effectivement comme s’inscrivant dans cette démarche. Intuitive de prime abord, celle-ci s’est développée chez nous au fil des ans dans une direction de plus en plus précise et lucide, où les sonorités s’organisent presque naturellement dans cette perspective et cela dès la prise de son. Autrement dit, les sons, dès l’origine, racontent déjà quelque chose, ce qui est fort différent de la préoccupation que d’autres compositeurs ont de leurs spécifications spectrales ou de leur déroulement temporel.

Enfin, nous aborderons le sujet de la diffusion spatiale réalisée à partir d’un multipiste comme un des paramètres de la composition en général, de la composition de l’espace en particulier, et cela au moment du travail en studio.

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1. Le langage cinématographique

La spécificité du cinéma réside principalement dans la mobilité des images. C’est la succession temporelle de celles-ci qui lui confère le statut d’art autonome qui n’est pas seulement un sous-produit du théâtre (n’oublions pas qu’il a longtemps été tenu pour tel). «Balázs part de la question suivante:

«Comment et quand la cinématographie est-elle devenue un art particulier, employant des méthodes essentiellement différentes de celles du théâtre et parlant un autre langage formel que celui-ci?» et répond en énonçant quatre principes caractérisant le langage cinématographique: — au cinéma, il y a distance variable entre spectateur et scène représentée, d’où une dimension variable de la scène qui prend place dans le cadre et la composition de l’image; — l’image totale de la scène est subdivisée en une série de plans de détail (principe du découpage); — il y a variation de cadrage (angle de vue, perspective) des plans de détail au cours de la même scène; — enfin, c’est l’opération du montage qui assure l’insertion des plans de détails dans une suite ordonnée dans laquelle non seulement des scènes entières se succèdent, mais aussi des prises de vues des détails les plus minimes d’une même scène. La scène dans son ensemble en résulte comme si l’on juxtaposait dans le temps les éléments d’une mosaïque temporelle.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 116).

La qualité des images elles-mêmes et la narration relèvent d’autres pratiques artistiques — l’art pictural en général et la photographie en particulier dans le premier cas, la littérature dans le second — et à ce titre, même si elles font partie du cinéma, ne font pas partie de ce qu’il a de plus spécifique. Ainsi, au même titre qu’on trouve de nombreux exemples de narration dans certaines œuvres électroacoustiques, cela n’implique pas que le médium lui-même soit exclusivement narratif. Cet aspect du cinéma n’en est qu’un — presque systématique certes, nous en convenons, mais pas exclusif — parmi d’autres.

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1.1. Le langage proprement dit

Quiconque s’intéresse à la question du langage cinématographique sait déjà que le sujet, à cause de son ampleur, du volume et de la complexité des études qui lui ont été consacrées — particulièrement au cours des quinze dernières années — ne pourra être abordé ici que dans une perspective réduite que l’on pourrait résumer par une volonté de dégager des propriétés de sens plutôt que des propriétés de son. Il faut cependant apporter immédiatement une nuance car si nous privilégions le sens, nous n’envisageons pas pour autant un art basé uniquement sur celui-ci à l’exclusion d’un travail minutieux de réalisation sonore comme cela arrive fréquemment dans l’art radiophonique ou l’art conceptuel. En effet, ce qui distingue ces derniers de notre pratique réside, dans le premier cas, dans la structure narrative, alors que dans le second, c’est le processus qui est en cause (ce qui n’exclut pas parfois des qualités de réalisation indéniables). Cela signifie que, comme pour le cinéma expérimental, nous destinons notre travail à plusieurs lectures, plusieurs niveaux d’écoute, ce qui implique une certaine complexité au plan sonore. Art du sens certes, mais aussi art des sons.

Le premier problème qui se pose tient au fait que le cinéma est un amalgame de plusieurs choses, comme l’électroacoustique d’ailleurs, puise à plusieurs sources, mélange les influences, devenant ainsi le lieu de rencontre de cultures qui jusque-là ne cohabitaient pas.

«Le langage cinématographique fait partie des langages non spécialisés; aucune zone de sens ne lui est répartie en propre, sa «matière du contenu» est indéfinie. Il peut en quelque sorte tout dire, surtout lorsqu’il fait appel à la parole. […] Le film est donc le lieu de rencontre entre un très grand nombre de codes non-spécifiques et un nombre beaucoup plus réduit de codes spécifiques. Outre l’analogie visuelle, les codes photographiques déjà évoqués, on peut citer pour les films narratifs tous les codes propres au récit envisagés au niveau où ils sont indépendants des véhicules narratifs. Il en est de même de tous les codes du «contenu».» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 142-143).

On le voit, le programme est beaucoup trop vaste pour l’envisager dans sa totalité dans le cadre spécialisé de ce travail. En fait, il n’y aurait pas un langage cinématographique mais des langages, tous occupés par une zone particulière de l’ensemble constitué par le film.

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«Le cinéma est un langage «composite» dès le niveau de la matière de l’expression. Ce n’est pas seulement plusieurs codes qu’il a la chance de comporter, mais déjà plusieurs langages que, d’une certaine façon, il contient en lui; langages qui se distinguent les uns des autres par leur définition physique elle-même: photographie mouvante mise en séquence, son phonétique, son musical, bruit.» (METZ, 1977: 25).

Chacun de ces langages mériterait qu’on s’y arrête pour lui-même. Si ce travail est déjà largement avancé dans le cas du son phonétique, on ne peut en dire autant du son musical par exemple. Commençons alors en établissant dès maintenant une distinction fondamentale entre le film et le cinéma.

«D’une façon plus générale, il est clair que le sentiment commun situe le film dans la même série que le «livre», le «tableau», la «statue», etc. —, et le cinéma dans la même série que la «littérature», la «peinture», la «sculpture», etc. En musique, on parle des différents morceaux de musique: de la même manière, chaque film est en quelque sorte un morceau de cinéma.» (METZ, 1977: 16).

Nous nous intéresserons principalement au fait filmique plutôt qu’au fait cinématographique tel que l’a décrit COHEN-SÉAT (1958: 53) dans la mesure où nous établirons des chemins de traverse entre certaines pratiques cinématographiques et certaines pratiques acousmatiques, à l’exclusion pour l’instant de tenter de définir les règles d’un genre en général.

«Cette distinction entre fait cinématographique et fait filmique a le grand mérite de proposer avec le film un objet déjà plus limité, moins immaîtrisable, consistant principalement, par contraste avec le reste, en un discours signifiant localisable —, en face du cinéma qui, ainsi défini, constitue un «complexe» plus vaste […].» (METZ, 1977: 7).

Nous nous consacrerons essentiellement à notre propre pratique artistique afin d’en dégager les lignes de force sur le plan des correspondances cinéma/acousmatique. Il importe donc de faire la distinction entre le langage et l’écriture, l’un étant le propre d’un genre, l’autre le propre d’une œuvre.

«Le cinématographique est un ensemble de codes (codes spécifiques du grand écran); il ne saurait donc correspondre à une écriture: l’écriture n’est ni un code ni un ensemble de codes, mais un travail sur des codes, à partir d’eux, contre eux, travail dont le résultat provisoirement «arrêté» est le texte, c’est-à-dire le film: aussi la nommons-nous filmique. Le cinéma, pour sa part, n’est pas une écriture, il est ce qui permet une écriture; c’est pourquoi nous l’avons

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défini comme un langage (=«langage cinématographique»): un langage permet de construire des textes, il n’est pas lui-même un texte, ni un ensemble de textes, ni un système textuel.» (METZ, 1977: 215-216).

Si, d’une part, il est possible d’établir une relation entre le langage cinématographique et le langage acousmatique, d’autre part, nous nous contenterons afin d’établir une relation équivalente avec le film, de faire le lien avec l’œuvre acousmatique comme entité particulière, si tant est que cette nomination soit satisfaisante. Puis, si l’on reprend l’idée énoncée plus haut à notre compte, on trouvera alors qu’il n’y a pas d’écriture acousmatique ni de langage de l’œuvre mais bien au contraire un langage acousmatique et une écriture de l’œuvre. Ainsi, pour autant qu’on en convienne, le langage acousmatique ne dispose pas d’un équivalent au noir et blanc cinématographique, il n’est donc pas possible, même dans une œuvre donnée, de travailler cet aspect-là puisqu’il est absent du langage qui permet l’œuvre. Par contre, l’espace est une donnée fondamentale du langage acousmatique et les œuvres exploiteront cette caractéristique à des degrés divers et à des fins particulières.

Par ailleurs, il est important de faire une distinction entre la langue et le langage afin de clarifier l’idée, si souvent évoquée, de musiques nationales, donc composées d’œuvres qui partageraient une même langue. S’il est vrai qu’il existe des affinités entre compositeurs d’une même culture et des systèmes musicaux différents qui ont vu le jour aux quatre coins de la planète qu’on peut considérer comme des langues dans la mesure où ces musiciens la partagent et peuvent communiquer à l’intérieur d’elles, il est possible que cela soit de moins en moins vrai en acousmatique dans la mesure où la langue utilisée revêt un caractère de plus en plus universel. En effet, le monde des sons s’il est différent d’une culture à une autre et d’un continent à un autre est aujourd’hui mondialisé par la libre circulation grandissante des biens, des personnes et de l’information de telle sorte que les œuvres et les sons circulent sur la planète et tissent un véritable réseau d’arts médiatiques autour de celle-ci6.

6 Il existe cependant des sonorités propres non pas à une culture donnée mais à des climats particuliers. Le chant des cigales demeure inconnu aux oreilles d’un Inuit par exemple commme le crissement des bottes sur la neige à -50°C l’est pour le Provençal. Cela n’empêchera pas l’un et l’autre d’apprécier la qualité sonore de ce qui lui est donné à entendre sans toutefois qu’il puisse en saisir toute la portée symbolique. Nous croyons cependant que ce phénomène va décroissant et que bientôt, n’importe quel compositeur aura accès à l’ensemble des sons de la planète.

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Mais si le passage par l’étude de la langue, et par conséquent par la linguistique et la sémiologie, indique des voies intéressantes — particulièrement lorsque cette dernière développe des outils plus appropriés à la musique (Nattiez) et au cinéma (Metz) — il ne doit pas occulter le fait que le cinéma d’une part, l’acousmatique de l’autre, procèdent de phénomènes de perception complexes et qu’une analyse phénoménologique plus vaste doit être entreprise afin de rendre compte de tous les aspects qui sont en cause lorsqu’un spectateur ou un auditeur se trouve confronté à une œuvre. Si la langue ne rend pas

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compte de tout, quels sont les autres aspects qui nous permettent de comprendre et de lire le film?

«L’intelligibilité» du film passe à travers trois instances principales: — l’analogie perceptive; — les «codes de nominations iconiques», ceux qui servent à nommer les objets et les sons; — enfin, les figures signifiantes proprement cinématographiques (ou «codes spécialisés» qui constituent le langage cinématographique au sens strict)» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 131-132).

Dans les paragraphes qui suivent, nous tenterons d’adapter ces trois instances principales à l’acousmatique.

1.1.1. L’analogie perceptive

«La vision et l’audition n’identifient pas un «objet» à partir de la totalité de son aspect sensible. On reconnaît une photographie en noir et blanc d’une fleur parce que la couleur ne constitue pas un trait pertinent d’identification. On comprend son interlocuteur au téléphone malgré la sélection auditive opérée par le mode de transmission. Tous les objets visuels reproduits au cinéma le sont en l’absence de troisième dimension, ils ne posent pourtant pas de problèmes d’identification majeurs.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 132).

Sur le plan sonore, le niveau de «réalité», c’est-à-dire la reconnaissance des formes, est un problème délicat à poser. D’un côté on s’intéressera à la nature typo-morphologique des sons et, comme Schaeffer, à l’écoute réduite (ce qui demeure une attitude valable pour le spécialiste) alors que de l’autre, l’expérience nous montre qu’on se bute sans cesse à ce désir des auditeurs d’identifier les «faits sonores» ainsi que leurs relations avec eux-mêmes.

En effet, même si en acousmatique le degré de «réalisme» possible est supérieur à celui de la musique instrumentale, cela ne signifie pas qu’il représente le but recherché en toutes circonstances. En effet, ce réalisme est très souvent équivoque dans la mesure où tel son fabriqué artificiellement en studio évoquera une chute d’eau alors qu’un enregistrement réel de celle-ci sera pris pour un son de synthèse. On est toujours perdant comme auditeur à ce jeu de dévoilement des

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sources si l’objectif correspond à les identifier à coup sûr mais on est gagnant si l’on s’en sert comme auteur et, en tant que tel, on ne peut feindre l’ignorance.

1.1.2. Les «codes de nomination iconique»

«Cette «nomination» qui semble fonctionner par correspondance entre objets et mots qui servent à les désigner (comme des étiquettes) est en fait une opération complexe qui met en rapport les traits pertinents visuels et les traits pertinents sémantiques. La nomination est une opération de transcodage entre ces traits et une sélection de ceux qui sont considérés comme pertinents et l’élimination des autres, considérés comme «irrelevants».» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 133).

Il faut ici simplement remplacer «les traits pertinents visuels» par «les traits pertinents sonores» pour poursuivre plus avant. Évidemment, sur le plan de la nomination elle-même, tout va bien tant qu’on étudie des sons de caractère explicite. Le problème survient quand on se trouve confronté à des œuvres qui utilisent un mélange de sources sonores variées — mélange de sons acoustiques et synthétiques —, ce qui est pratiquement le cas de toutes celles qui privilégient le cinéma pour l’oreille.

Il faut alors trouver une méthode afin de les nommer qui soit facilement utilisable. La principale tentative faite à ce jour dans ce sens est celle de Pierre Schaeffer (Traité des objets musicaux) mais elle est difficile d’application et encore incomplète et, si l’on fait exception du livre de Michel Chion (Guide des objets sonores), elle est restée pratiquement sans lendemain en tant que programme de recherche. Elle cherchait à mettre au point une sorte de tableau de Mendeleïev7 établissant les ingrédients de base constituant toutes les sonorités qui composent la «chimie» sonore. La démarche paraît titanesque et constitue en fait une première étape dans la compréhension du sonore comme phénomène global. Car, cette étape franchie, on ne saurait pas grand-chose de la perception des sons.

La poursuite de la recherche nécessitera l’étude des sons non pas seulement pris isolément, comme l’a fait Schaeffer, mais plus globalement dans leur contexte artistique. On pourra alors s’inspirer des études pertinentes de la sémantique et de

7 Mendeleïev, Dimitri Ivanovitch (1834-1907). Classification périodique des éléments, 1869.

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la sémiologie pour tenter un parallèle qui, à défaut de révéler une compatibilité complète, pourrait au moins mettre au point des éléments d’analyse des œuvres du répertoire afin de déterminer si on observe une ou des constantes constituant le langage acousmatique. On peut tout de même d’ores et déjà affirmer que du point de vue sémantique, il est possible de nommer des sons en fonction de leur sens. Pour reprendre une analogie courante:

««Il existe des milliers de «trains», même dans la seule acception de «convoi ferroviaire», et ils diffèrent beaucoup les uns des autres par leur couleur, leur hauteur, le nombre de leurs wagons, etc. Mais la taxinomie culturelle que porte en elle la langue a décidé de tenir ces variations pour irrelevantes, et de considérer qu’il s’agit toujours d’un même objet (=d’une même classe d’objets); elle a décidé aussi que d’autres variations étaient pertinentes et suffisaient pour «changer d’objet», comme par exemple celles qui séparent le «train» de la «micheline». METZ, C., «Le perçu et le nommé» dans Essais sémiotiques.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 134).

Il est vrai que pour la langue écrite et la langue parlée, le train appartient à une même «classe d’objets» qui les contient tous et qu’il en est de même en acousmatique où un train entendu n’est pas un train en particulier, dont la portée significative variera en fonction des individus et des contextes. Alors que l’image d’un train est ce train en particulier et aucun autre même s’il va de soi cependant que l’œuvre artistique prolonge cette signification au-delà du cas particulier, mais seulement à condition qu’il n’y ait pas de références déjà établies dans l’esprit du spectateur/auditeur. Nous n’en voulons pour preuve que la situation, sans doute familière à tous, de la transposition à l’écran d’un livre où ce qui avait été représenté dans notre imaginaire de façon plus ou moins floue, s’incarne au contraire devant nos yeux de façon très précise. Chacun aura alors son opinion sur le «ratage» éventuel de l’entreprise qui ne sera telle au fond qu’à cause des attentes suscitées.

1.1.3. Les figures signifiantes proprement cinématographiques

Le pari qui consiste à établir un parallèle entre le cinéma et l’acousmatique tient dans l’idée que le langage cinématographique existe bel et bien. Autrement dit, qu’il y a une manière de dire et peut-être même qu’il existe des choses

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spécifiques qui ne peuvent être dites que par ce médium. Pour cela, il faut reconnaître qu’il existe une ou des spécificités de l’art cinématographique. Or, comme nous l’avons vu, l’une d’entre elle et la plus importante, c’est la mouvance de l’image et celle-ci est essentiellement articulée autour de la notion de montage. Si celui-ci est aussi déterminant en acousmatique, son importance est pondérée par le mixage qui consiste à placer des événements les uns sur les autres plutôt que les uns après les autres. Le mixage c’est la composition des images alors que le montage représente la succession de celles-ci.

Il n’en demeure pas moins que le montage reste déterminant dans la signification que prendra tel ou tel événement dans une œuvre donnée.

«L’opération de reconnaissance dont il a été question jusqu’ici ne concerne qu’un seul niveau de sens, celui qu’on appelle le sens littéral ou sens dénoté. Mais les codes de nomination iconique ne rendent pas compte à eux seuls de tous les sens qu’une image figurative peut produire. Le sens littéral est également produit par d’autres codes, par exemple le montage au sens le plus général du mot […].» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 134-137).

Si l’on excepte la notion d’image figurative utilisée ici, on comprendra qu’il existe également sur le plan sonore, surtout devrions-nous dire, d’autres moyens d’envisager le sens d’une œuvre en tout ou en partie qui ne relèvent pas forcément des codes de nomination iconique Autrement dit, toute la perception ne se résume pas aisément à une équivalence lexicale.

«Christian Metz formule l’hypothèse dans une note de ses essais (note 2, p. 67) selon laquelle le «message cinématographique total» met en jeu cinq grands niveaux de codification dont chacun est une sorte d’articulation. Ces cinq niveaux seraient les suivants: — la perception elle-même, dans la mesure où elle constitue déjà un système d’intelligibilité acquis, et variable selon les cultures; — la reconnaissance et l’identification des objets visuels et sonores qui apparaissent à l’écran; — l’ensemble des «symbolismes» et des connotations de divers ordres qui s’attachent aux objets (ou aux rapports d’objets) en dehors même des films, c’est-à-dire dans la culture; — l’ensemble des grandes structures narratives; — l’ensemble des systèmes proprement cinématographiques qui viennent organiser en un discours de type spécifique les divers éléments fournis au spectateur par les quatre instances précédentes (et qui constituent au sens strict le «langage cinématographique» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 130-131).

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Dans notre esprit, les bases d’un travail plus approfondi sur le langage acousmatique procèdent des mêmes niveaux de codification à une exception près: celui qui a trait à «l’ensemble des grandes structures narratives». Cette exception doit être comprise au sens où, si nous ne préconisons pas exclusivement un art narratif, il se peut cependant que les structures narratives aient envahi tellement le champ culturel pour que leur reconnaissance et leur compréhension puisse au moins jouer le rôle de révélateur de leur présence dans une œuvre ou une pratique donnée. Ce qui aurait le mérite de permettre aux compositeurs d’agir en toute connaissance de cause.

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1.1.4. L’animation sonore

Afin de contourner l’obstacle que constitue la trame narrative du cinéma face à l’absence de celle-ci dans la plupart des œuvres acousmatiques — celles qui l’incluent relèvent plutôt du genre radiophonique — il serait sans doute préférable d’établir un rapport plus étroit entre la pratique développée autour du film d’animation, beaucoup plus proche de la nôtre que celle du cinéma en général. L’acousmatique en effet, comme le cinéma d’animation permet au créateur de fabriquer lui-même les matériaux qui constitueront son œuvre. De plus, le cinéma d’animation, comme l’acousmatique, laisse une totale autonomie à toutes les étapes de la réalisation. L’artiste a donc la possibilité de superviser tout le processus et peut ainsi interagir constamment avec son œuvre. Au niveau de la perception, les artistes sont en contact étroit et constant avec les matériaux. Il s’agit d’ailleurs d’une spécificité propre aux arts de support: l’œuvre n’existe pas à travers un code conventionnel destiné à être interprété — comme c’est le cas avec la partition musicale — mais directement sur le support même, sans aucun intermédiaire. Enfin, le travail solitaire des deux disciplines est semblable et s’apparente ainsi au travail du peintre ou de l’écrivain.

Il est d’ailleurs curieux qu’à travers notre recherche, ce parallèle ne soit jamais apparu. Pourtant, il nous semble que l’une et l’autre discipline auraient avantage à se rencontrer et à partager les outils d’analyse développés dans leurs sphères respectives d’activité. Nous ne songeons pas ici aux films d’animation basés essentiellement sur la narration — comme ceux des studios Disney ou Hanna-Barbara — mais plutôt à ceux qui adoptent un caractère expérimental. Le cinéma d’animation demeure cependant un art marginal à l’égard de l’ensemble de la production cinématographique, comme l’acousmatique à l’intérieur de la production musicale. Aussi, les écrits spécifiquement consacrés à l’animation sont rares. Il nous semble cependant que c’est dans cette direction que les voies de la recherche devraient s’engager dans un avenir rapproché.

1.2. La grammaire

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Le langage cinématographique a longtemps été confondu par les analystes du cinéma avec la grammaire alors que selon le Petit Robert, celle-ci n’est que l’«ensemble des règles à suivre pour parler et écrire correctement une langue». Ainsi, faisant référence à deux grammaires françaises: Essai de grammaire cinématographique d’André Berthomieu (1946) et Grammaire cinématographique de Robert Bataille (1947), les auteurs du livre Esthétique du film rapportent:

«Les analyses du langage cinématographique proposées par ces grammaires s’inspirent assez étroitement des grammaires de langues naturelles. Elles en empruntent la terminologie et la démarche: elles partent des plans (=mots), en dressent la nomenclature (les échelles de plans), précisent la façon dont ils doivent être structurés en séquences (=«phrase cinématographique»), énumèrent les signes de ponctuation.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 118-119).

L’analyse des différents éléments constituant la grammaire cinématographique constitue de fait une première étape facilement accessible et réalisable dans l’établissement d’une relation entre l’acousmatique et le cinéma. La présentation des éléments qui suivent établit des parallèles entre ces deux disciplines artistiques. Certains d’entre eux sont d’une application immédiate — on en trouvera d’ailleurs de multiples exemples dans le chapitre consacré à l’analyse des œuvres — alors que d’autres relèvent davantage de l’interprétation personnelle.

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1.2.1. Les plans

Le plan est un élément fondamental au cinéma. C’est lui qui détermine la portée dramatique des images.

«Il doit y avoir adéquation entre la taille du plan et son contenu matériel d’une part (le plan est d’autant plus gros ou rapproché qu’il y a moins de choses à faire voir) et son contenu dramatique de l’autre (le plan est d’autant plus gros que son apport dramatique ou sa signification idéologique sont grands).» (MARTIN 1985: 39-40)

Dans le domaine sonore on distinguera deux catégories d’éléments d’analyse qui permettront de classer les plans. La première de ces catégories tient dans l’analyse physique des sons. D’une part, on se penchera sur la composition spectrale de ceux-ci: plus celle-ci sera riche, plus ils auront de chances de se retrouver au premier plan ou d’être considérés comme tel; inversement, plus le spectre sera pauvre et plus ils risqueront de se retrouver à l’arrière plan. En second lieu, l’amplitude du son et l’étroite relation qui l’unit au paramètre précédent viendra renforcer cet aspect. En effet, un son fort a plus de chances de se retrouver au devant de la scène.

La seconde catégorie d’analyse réside dans la fonction «dramatique» des sons. Cette fonction n’est pas aussi aisée à déterminer en acousmatique qu’elle ne l’est au cinéma mais on peut tout de même affirmer que certains sons ont un poids dramatique plus élevé que d’autres. Bien sûr, l’intervention du compositeur est ici prépondérante, car c’est son intention qui propulsera un son au premier plan ou au contraire le fera disparaître en arrière-plan. Simplement, à défaut de vouloir s’en servir comme contresens — qui est une idée à laquelle nous avons souvent souscrite —, amener un son spectralement pauvre au premier plan dans un contexte par ailleurs dense risque de tourner à l’échec.

À cela on peut ajouter qu’en esthétique du cinéma, le terme de plan se voit utilisé dans au moins trois types de contextes:

«a. En termes de grosseur: on définit classiquement différentes «tailles» de plans, en général par rapport à divers cadrages possibles d’un personnage.[…] b. En termes de mobilité: le paradigme serait ici composé du «plan fixe» (caméra immobile durant tout un plan) et des divers types de «mouvements d’appareil» […] c. En termes de durée:

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la définition du plan comme «unité de montage» implique en effet que soient considérés comme plan des fragments très brefs (de l’ordre de la seconde ou moins) et des morceaux très longs (plusieurs minutes)[…].» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 29-30)

Précisons enfin que lorsque nous utilisons le mot «son», nous pensons essentiellement aux sons captés par microphone, puisqu’il s’agit là de l’essentiel de notre démarche. Le microphone peut alors être considéré comme l’équivalent de la lentille et jouer en quelque sorte le même rôle que cette dernière. Quant aux sons synthétiques, à peu d’exceptions près ils pourront être analysés à partir des mêmes critères, à défaut de quoi c’est plutôt sur leurs constitutions spectrales que pourra s’établir une analyse en fonction des plans.

Si nous avons fait le parallèle du plan avec la nature du son, il ne faudrait pas oublier qu’en électroacoustique le principal moyen de fabriquer des plans demeure l’utilisation de traitements artificiels comme les délais et les réverbérations. Ces appareils sont déjà programmés de manière à reproduire des conditions réalistes correspondant à des pièces ou des salles de dimensions variables. Étant donné le caractère déjà explicite de cette programmation, nous ne nous étendrons pas davantage sur le sujet. Qu’il nous suffise de mentionner en terminant qu’une méconnaissance du caractère spatial des sons eux-mêmes peut conduire à des contresens de composition (comme placer un son très riche dans une réverbération lointaine a pour conséquence que le son et l’espace qui l’entoure sont indépendants) et qu’il nous apparaît plus opportun de s’attacher à la nature intrinsèque des sons.

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a) La grosseur des plans

Premier plan

On peut aisément établir un lien avec le type de prise de son microphonique (ou son équivalent sur le plan de la synthèse sonore) avec la grosseur du plan. Ainsi, une captation très proche permettra de saisir, et donc de montrer, des détails sonores uniques qui ne peuvent être révélés que par ce moyen. La prise de son de la voix, typique à la radio, est un bel exemple de premier plan.

«Le gros plan est certainement avec le montage l’un des éléments spécifiques les plus essentiels du langage cinématographique. […] Le gros plan ne concerne qu’une partie significative du sujet. Il crée ainsi une proximité et un isolement privilégiés, offrant à cet égard de grandes ressources…» (BETTON 1983: 30-31).

À cela, on peut ajouter que ce type de grossissement microscopique est typique à l’électroacoustique et demeure complètement étranger à la musique instrumentale non-amplifiée.

Second plan

C’est sans doute celui-ci qui est le plus difficile à définir à cause de sa nature même qui consiste à être entre-deux: entre-deux plans, entre-deux espaces, entre-deux fonctions. C’est un plan qui existe principalement par rapport aux autres. Il ne peut pas avoir de vie propre au sens où, présenté seul, il acquiert presque inévitablement un statut de premier ou d’arrière plan selon sa nature et le contexte. Sa présence est donc fonction d’un équilibre qui relève de la superposition, donc du mixage, et elle est davantage redevable à la maîtrise du compositeur de bien faire sentir les plans.

Plan éloigné

Le plan éloigné se réduira souvent à une trame de fond, un décor sonore, à un élément somme toute qui n’attire pas spécifiquement l’attention mais dont la suppression modifierait notre perception. Une trame sonore pourra toutefois faire office de matériau principal, c’est-à-dire celui vers lequel se porte notre attention sans parvenir cependant à atteindre le statut de premier plan, un peu comme un

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paysage au cinéma. On en trouve un bon exemple dans «Géologie sonore» extrait de De natura sonorum de Bernard Parmegiani constitué uniquement d’une trame.

b) Les mouvements de caméra

Les mouvements de caméra ne trouvent pas une équivalence immédiate sur le plan sonore. On pourrait les assimiler à des mouvements de microphones quoique ceux-ci soient plutôt inhabituels. Déplacer tout un paysage sonore en le parcourant est une expérience encore peu courante en acousmatique. Elle pourrait cependant donner lieu à des situations inédites surtout si l’on pense à des diffusions multipistes (quoique la chose soit aussi valable en stéréophonie si les conditions d’écoute permettent de bien la reproduire).

Par ailleurs, il faut bien distinguer le mouvement de la caméra du mouvement d’un objet devant la caméra, donc du défilement d’un paysage sonore de la gauche vers la droite, par exemple, du déplacement d’une figure sur ce paysage.

Zoom avant/zoom arrière

De nombreux exemples de ce type de mouvement existent dans le répertoire et on en trouvera quelques illustrations dans les analyses subséquentes. Le zoom avant, qui consiste à faire passer un son de l’arrière plan à l’avant plan est une technique couramment utilisée en studio. Essentiellement il s’agit de modifier le spectre d’un son afin de l’enrichir progressivement et, en même temps, d’augmenter son amplitude. Le zoom arrière est exactement l’inverse.

Mais ce qui est spécifique au zoom et qui le distingue du travelling que l’on verra plus loin, c’est la modification des proportions qu’il effectue sur les sons. Les événements rapetissent ou grossissent selon la direction utilisée.

«Au cours d’un travelling optique [zoom] (supposons un travelling avant), le spectateur n’a pas l’impression (contrairement à ce qui se passe dans un travelling ordinaire) de parcourir avec la caméra un espace solide et indéformable, mais il croit voir cet espace se comprimer (par aplatissement des plans les uns contre les autres) et donc se densifier: la variation de la focale modifie en effet la position relative des plans de l’espace entre eux.» (MARTIN 1985: 198-199)

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Pour parvenir à réaliser véritablement un zoom au moment de la prise de son, il faudrait avoir à notre disposition des microphones dont les patrons et la directivité seraient continuement variables. Pour l’instant, nous ne pouvons qu’enregistrer l’information provenant des multiples capsules sur des pistes séparées afin de procéder, dans un deuxième temps, à leur combinaison au moment du mixage.

Le travelling et le panoramique

Le premier consiste en un mouvement de caméra qui se déplace dans un axe donné, de gauche à droite ou d’avant en arrière par exemple. Le second est un mouvement de la caméra autour de son axe. Les deux mouvements sont exactement transposables et même facilement au moment de la prise de son stéréophonique. La question qui se pose alors réside dans la pertinence, sur le plan de la perception, de tels déplacements. Nous ne disons pas qu’ils n’ont pas de valeur artistique mais simplement que leur effet sera certainement moindre que le mouvement équivalent sur le plan visuel. N’oublions pas par exemple, que le panoramique, donc le parcours d’un paysage à partir d’un point fixe, correspond généralement au cinéma au regard qu’un personnage jette sur son environnement. Ce point d’«écoute» existe certes mais de façon beaucoup plus nuancée sur le plan sonore. On peut cependant imaginer que des systèmes de représentation spatiale du son soient mis au point dans un avenir rapproché qui permettent de simuler des déplacements de cette nature avec une grande précision et surtout qu’ils soient disponibles en studio au moment de la composition. Cela présuppose cependant que la diffusion puisse se faire sur un dispositif à 360°, mais par tranches successives de largeurs limitées, afin que l’analogie puisse fonctionner complètement avec le visuel.

Ce qui distingue le travelling du zoom c’est que, contrairement à celui-ci, celui-là ne modifie pas les proportions des sons mais opère un déplacement qui les met progressivement en valeur ou, au contraire, les fait disparaître. C’est donc la caméra — ou le micro — qui se déplace alors que pour le zoom c’est la focale de l’objectif — ou l’ouverture du micro. Cela soulève cependant la notion de profondeur de champ qui n’est pas facile à cerner sur le plan sonore. Notre propre expérience en ce domaine nous indique qu’il n’existe pas actuellement de microphone équipé d’un dispositif permettant de régler la profondeur de champ,

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comme c’est le cas sur une caméra. Cette profondeur de champ sera plus ou moins grande selon les qualités du microphone — l’une dépendant des autres — , sa destination — scène, studio, extérieur — et sa fonction — uni-, bi- ou omni-directionnelle.

La plongée et la contre-plongée

«A) L’«angle normal». — Le plus souvent la caméra est tenue horizontalement, à hauteur d’homme. Le point de vue est «normal», il n’y a pas de déformation de perspective. B) La plongée (la caméra est située au-dessus du sujet). — Les différents plans se détachent nettement. […] La plongée «diminue» le sujet, crée un effet d’écrasement, d’effondrement psychologique, suggère l’étouffement, le calme, l’angoisse, l’asservissement des personnages, qui deviennent les jouets d’un inexorable destin, ou de la volonté divine. C) La contre-plongée (le sujet se trouve au-dessus de la caméra). — cette prise de vue fausse également la perspective: les différents plans normalement différenciés se resserrent et les personnages situés au premier plan paraissent plus grands. La contre-plongée magnifie les individus. Elle évoque la supériorité, la puissance, le triomphe, l’orgueil, la majesté, ou encore la tragédie ou l’épouvante.» (BETTON 1983: 34)

Ce qui apparaît à l’évidence ici c’est la relation entre le point de vue adoptée et un «personnage». Cet effet marche d’autant mieux, son impact est d’autant plus marqué, qu’il existe en fonction d’une référence. Ce que nous retenons de ceci ne réside pas tant dans une équivalence sur le plan sonore — équivalence quasi impossible à établir — que dans la portée dramatique que ce mouvement permet. Cela peut alors être transposé dans des œuvres où, d’une manière quelconque, a pu s’établir une référence, comme dans celles qui utilisent la voix qui constituent sans doute l’exemple le plus éloquent. Plusieurs moyens peuvent alors être mis en œuvre pour simuler cet effet, notamment la combinaison filtrage/espace où dans le premier cas on aurait un son étouffé dans un espace fermé et dans le second, un son brillant dans un espace ouvert.

c) La durée des plans

Il est clair que la durée et l’ordre de succession des plans sont inséparables, mais nous n’aborderons ce dernier point qu’au chapitre suivant. La durée des plans est un élément de la composition du film qui est extrêmement important car c’est essentiellement elle qui est responsable du «rythme» de celui-ci. En

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électroacoustique, les plans ont parfois tendance à pêcher par leur longueur. On ne saurait trop insister sur l’importance du rythme c’est-à-dire de l’allure générale dans une œuvre acousmatique. Mais ici, les plans ne sont pas aussi clairement séparés les uns des autres notamment parce que la technique du fondu-enchaîné est beaucoup plus usité dans les réalisations sonores que dans les visuelles.

«Rappelons, en effet, que la musique des sons fixés a, contrairement au cinéma, tout loisir d’user d’un montage inaudible pour créer des continuités et des chaînes sonores sans couture apparente. Tel est en effet le propre de l’auditif par rapport au visuel que raccorder inaudiblement deux fragments indépendants n’y pose guère de problème.» (CHION 1991: 69)

Aussi cette tendance a parfois tendance à diluer la clarté des plans au profit de procédés de transformations progressives. Il est probable qu’on reviendra peu à peu, avec l’avènement de la technologie numérique (notamment la technique de l’échantillonnage), à la composition à partir de sonorités discontinues et de courtes durées, qu’on privilégiera l’utilisation de plans plus brefs, ce qui aura pour conséquence d’orienter le processus de création dans le sens d’une plus grande articulation du discours.

1.2.2. Le montage

Si pour d’aucuns la principale spécificité du cinéma réside dans la mouvance des images, pour d’autres elle réside plus précisément dans leur montage.

«Il est donc clair que le montage (véhicule du rythme) est la notion la plus subtile et en même temps la plus essentielle de l’esthétique cinématographique, en un mot son élément le plus spécifique: on peut dire que le montage est la condition nécessaire et suffisante de l’instauration esthétique du cinéma.» (MARTIN 1985: 184)

S’il est vrai que celui-ci est au cœur même de l’esthétique cinématographique sa fonction ne fait pas l’unanimité pour autant.

«L’histoire des films, dès la fin des années ’10, et l’histoire des théories du cinéma, dès ses origines, manifestent en effet l’existence de deux grandes tendances qui, sous des noms d’auteurs et d’écoles divers, et sous des formes variables, n’ont guère cessé de s’opposer de façon souvent très polémique: — une première tendance est celle de

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tous les cinéastes et théoriciens pour qui le montage, en tant que technique de production (de sens, d’affects, …) est plus ou moins considéré comme l’élément dynamique essentiel du cinéma.[…]; — à l’inverse, l’autre tendance est fondée sur une dévalorisation du montage en tant que tel, et la soumission stricte de ses effets à l’instance narrative ou à la représentation réaliste du monde, considérées comme la visée essentielle du cinéma.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 50)

On croit reprise ici, en se donnant la peine de faire la transposition, la polémique qui a longtemps prévalu entre d’une part l’école «française», pour qui le montage a été à la base même de l’apparition de la musique concrète, et d’autre part l’école «américaine» pour qui le montage est une notion quasiment absente.

Mais réduire le montage à un procédé tel que le découpage de la bande magnétique par exemple (comme c’est souvent le cas) serait une grave erreur tant son utilisation est potentiellement riche de significations par le simple fait de présenter différents plans dans un ordre spécifique. Nous ne pouvons, à cet égard, nous empêcher de rappeler une fameuse expérience:

«L’«expérience de Kouléchov» prouve le rôle créateur du montage: un gros plan d’Ivan Mosjoukine, choisi volontairement inexpressif, était mis en rapport avec l’image d’une assiette de soupe fumante, d’un révolver, d’un cercueil d’enfant, d’une scène érotique. En projetant les séquences devant les spectateurs non prévenus, le visage de Mosjoukine exprimait alors la faim, la peur, la tristesse ou le désir.» (BETTON 1983: 78)

Il est clair que le montage a un pouvoir expressif qui dépasse largement la seule idée de transparence évoquée plus haut au sujet d’un cinéma plus conventionnel. En poussant plus loin cette idée, on se rendra compte que les capacités d’expression du montage sont encore plus grandes et en fait, de l’ordre de la métaphore:

«J’appelle métaphore la juxtaposition par le moyen du montage de deux images dont la confrontation doit produire dans l’esprit du spectateur un choc psychologique dont le but est de faciliter la perception et l’assimilation d’une idée que le réalisateur veut exprimer par le film. […] A. Métaphores plastiques: elles sont fondées sur une ressemblance ou une analogie de structure ou de tonalité psychologique dans le contenu purement représentatif des images. B. Métaphores dramatiques: elles jouent un rôle plus direct dans l’action en apportant un élément explicatif utile à la conduite et à la

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compréhension du récit. C. Métaphores idéologiques: leur but est de faire naître dans la conscience du spectateur une idée dont la portée dépasse largement le cadre de l’action du film et qui implique une prise de position plus vaste sur les problèmes humains.» (MARTIN 1985: 104-107)

Toutes ces métaphores sont directement transposables sur le plan sonore. La première est d’un usage extrêmement courant qu’on retrouve dans des pratiques fort éloignées du cinéma pour l’oreille. On peut même dire qu’il s’agit d’une caractéristique proprement musicale. La seconde est également présente dans beaucoup d’œuvres à programme. Il s’agit en quelque sorte d’un élément littéraire importé dans le monde musical et qui trouve une application plus cinématographique dans des œuvres au contenu explicitement évocateur. Quant à la troisième, elle est certes d’un emploi plus restreint mais on en trouvera des applications directes dans certaines œuvres «idéologiques», comme celles à caractère écologique par exemple8.

1.2.3. La couleur

La principale analogie entre le son et la lumière sur le plan de la couleur, sans entrer dans le détail de l’analyse perceptive, est la relation spectrale. Les basses fréquences, dans un domaine comme dans l’autre, correspondent au rouge alors qu’à l’inverse le violet est situé dans les hautes fréquences9. Il est cependant évident qu’une telle relation doit être tempérée en fonction de l’ensemble des données qui cohabitent sur le plan perceptif. Au-delà de cette relation, nous ne pouvons nous empêcher de soumettre au lecteur le problème de l’analogie avec le noir et blanc. En effet, y a-t-il un noir et blanc sonore?

«Toutes les expériences physiologiques et psychologiques prouvent que nous percevons moins les couleurs que les valeurs, c’est-à-dire les différences relatives d’éclairage entre les parties d’un même sujet; ainsi le noir et blanc, qui ne connaît que les valeurs, trouve sa justification a posteriori.» (MARTIN 1985: 76-77)

8 Voir les œuvres issues du travail d’un Murray Schafer avec le World Soundscape Project. 9 Les appellations bruit blanc et bruit rose notamment ont été choisies en fonction de leur analogie avec la lumière.

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Il est fort probable qu’ici, comme dans ce qui concerne la question de la couleur en général, l’interprétation revienne au libre arbitre de chacun.

«Dans l’état actuel de nos connaissances, il est très difficile, sinon impossible de rationaliser l’usage de la couleur à des fins psychologiques: dans l’emploi de celle-ci, c’est avant tout la subjectivité du créateur qui entre en jeu. Il y a bien un symbolisme de la couleur ressenti plus ou moins confusément, celle-ci pouvant être associée à des sentiments , à des signes, à des concepts. La difficulté est de considérer les couleurs non pas isolément, mais en vue de former un tout harmonieux, relativement entre elles, dans leur continuité, leur liaison immédiate ou lointaine, leur dynamisme.» (BETTON 1983: 63)

Précisons tout de même que le noir et blanc au cinéma est plus directement relié à des contraintes technologiques, de même nature que celles qui font par exemple que les hologrammes sont en couleur, et qu’à ce titre, tenter d’établir un parallèle exact par le manque de quelque chose correspondrait inévitablement à assimiler le cinéma et même la photographie en noir et blanc à des disciplines secondaires, alors qu’ils sont pourtant des disciplines auxquelles il ne manque rien.

1.2.4. Les éclairages

Le parallèle qui s’établit avec le domaine sonore tient dans la richesse spectrale d’un son donné. Ainsi, plus un son sera riche plus il sera lumineux alors que plus il sera pauvre, plus il sera sombre.

«L’éclairage est «un décor vivant et presque un acteur». Il est créateur de lieux, de climat temporel et psychologique, et d’esthétique. La lumière, tout comme les lignes, les formes et les couleurs, peut avoir des effets sur la sensibilité de notre œil mais aussi sur notre sensibilité tout entière.» (BETTON 1983: 56)

En fait, cette idée de l’éclairage est à notre avis primordiale et d’un grand intérêt pour un compositeur. Elle recèle en effet de multiples variations et on se prend à rêver à des «projecteurs sonores» qui auraient les mêmes propriétés, qui permettraient les mêmes nuances que ceux développés pour le cinéma. Imaginons par exemple un appareil de traitement dont les différents réglages permettraient

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d’éclaircir ou d’assombrir des passages sonores en temps réel. Cet appareil pourrait être constitué d’une série de filtres en peigne dont les caractéristiques seraient modulables selon l’effet souhaité.

1.2.5. Le cadre

Le cadre est sans doute la chose la plus difficile à apparenter à l’acousmatique. Est-il limité par la distance qui sépare les haut-parleurs? Par l’intensité acoustique? Par la richesse spectrale?

«C’est cette idée que traduit de façon extrême la fameuse formule d’André Bazin (reprise à Leon-Battista Alberti, le grand théoricien de la Renaissance), qualifiant le cadre de «fenêtre ouverte sur le monde»; si, comme une fenêtre, le cadre laisse voir un fragment de monde (imaginaire), pourquoi ce dernier devrait-il s’arrêter aux bords du cadre? Il y a beaucoup à critiquer de cette conception, qui fait la part trop belle à l’illusion; mais elle a le mérite d’indiquer par excès l’idée, toujours présente lorsque nous voyons un film, de cet espace, invisible mais prolongeant le visible, que l’on appelle le hors-champ.» (AUMONT, BERGALA, MARIE, VERNET 1983: 15)

Nous croyons plutôt que le cadre se situerait par rapport à l’espace dans lequel le son évolue. Tel son capté très près et présenté dans une atmosphère de type «salle de bain» aura un cadre forcément plus étroit qu’un son d’orgue capté dans une église romane. Quant au hors-champ, qui est le son qui n’est pas dans l’image mais y fait directement référence (c’est la voix d’un personnage qui parle à celui que l’on voit à l’écran par exemple), nous ne croyons pas possible de lui trouver un équivalent sur le plan sonore dans la mesure où son existence fait référence à un cadre pratiquement impossible à spécifier ici. En effet, la perception de l’espace couvre un champ beaucoup plus large sur le plan sonore que sur le plan visuel. Là où la vision est limitée à un champ de 120°, l’ouïe est pratiquement omnidirectionnelle.

Il y aurait certes d’autres éléments à faire ressortir de l’étude des moyens utilisés au cinéma — le champ/contre-champ, les effets spéciaux, les types d’objectifs en sont quelques exemples — pour diversifier les images au cinéma. Nous avons limité notre étude à ceux que nous venons de décrire parce que c’est d’eux dont nous nous sommes servi au cours de notre travail de composition et

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que leurs applications seront décrites dans le chapitre suivant consacré aux analyses de nos œuvres.

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2. Analyse des œuvres présentées

Nous avons choisi de présenter en premier lieu l’analyse de Jeu parce qu’il s’agit de l’œuvre la plus importante de notre thèse autant à ce qui a trait à sa durée — elle fait presque vingt-quatre minutes — qu’à sa complexité. D’autre part, c’est la première œuvre du présent cycle du point de vue chronologique et elle en contient tous les éléments essentiels. Cependant, le temps nous aura permis de raffiner certains éléments d’analyse et si ce qui nous paraissait valable comme hypothèses de travail au moment de la composition de celle-ci, l’expérience nous montrera que celles-ci n’ont pas montré la même résistance à l’usage. C’est ce qui explique qu’on trouvera ici des éléments comme le hors-champ par exemple dont l’application se trouve en quelque sorte invalidée par la réflexion théorique mais demeure valable comme élément d’un système de classement à l’époque de la composition de l’œuvre.

2.1. Jeu

L’idée qui est à la base de Jeu se trouve dans les différentes acceptions du mot telles qu’on les retrouve dans le Petit Robert. Il s’agit donc d’un argument extra-musical qui provoque une série de variations autour d’un thème qui s’y prête admirablement bien. En effet, pour peu qu’on y soit sensible, le thème du «jeu» recoupe à peu près toutes les facettes de la vie d’un homme autant au niveau métaphorique — jeux de société, se ruiner au jeu, jeux d’adresse, jouer double-jeu — qu’au niveau concret — jeu d’un verrou, jeu de quilles, jeu de lumière — pour ne citer que ces quelques exemples.

2.1.1. Les différentes acceptions du mot «jeu»

Elles sont divisées en cinq grandes familles: I. Activité physique ou mentale purement gratuite qui n’a, dans la conscience de celui qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure; II. Activité organisée par un système de règles définissant un succès ou un échec, un gain ou une perte; III. Ce qui sert à jouer; IV. Manière de jouer; V. Mouvement aisé, régulier d’un objet, d’un mécanisme.

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Puis, ces grandes familles se subdivisent en acceptions plus restreintes accompagnées d’exemples précis. Voici un tableau de celles que nous avons conservées pour la composition de l’œuvre:

I. Activité physique ou mentale

1° Activité physique ou mentale purement gratuite qui n’a dans la connaissance de celui qui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure

a) écolier qui ne pense qu’au jeu (jeu brutal, bruyant, dangereux, paisible, puéril) b) jeux de mains, jeux de vilains c) jeux de prince (fantaisies que les puissants n’hésitent pas à satisfaire au mépris des faibles)

2° Activité qui présente un ou plusieurs caractères du jeu (gratuité, futilité, facilité) a) jeux de l’imagination, de l’esprit b) jeux de mots

3° Une chose sans gravité qui ne tire pas à conséquence ou qui n’offre pas grande difficulté a) un jeu d’enfant

II. Activité organisée par un système de règles

1° Activité organisée par un système de règles définissant un succès ou un échec, un gain ou une perte

a) la règle du jeu: les conventions établies, les règles à respecter (jouer le jeu) b) jeux du cirque, du stade, jeux d’adresse c) jeu de massacre (où l’on abat des poupées à bascule à l’aide d’une balle) d) jeux de société

2° Action de jouer, partie qui se joue a) être en jeu, être hors-jeu b) mettre en jeu la vie d’un homme

3° Le jeu, les jeux a) aimer le jeu, se ruiner au jeu

4° Somme d’argent risquée au jeu a) Faites vos jeux. Les jeux sont faits, rien ne va plus

III. Ce qui sert à jouer

1° Instruments du jeu a) jeux de quilles, de boules, etc

2° Assemblage plus ou moins favorable qu’un joueur a en main a) avoir beau jeu, cacher son jeu, le grand jeu b) jeux d’orgue

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IV. Manière de jouer

1° La manière dont on joue a) jouer prudent, jouer dangereux b) jouer double-jeu

2° Façon de jouer d’un instrument a) un jeu brillant, nuancé

3° Manière de jouer un rôle a) donner aux acteurs des indications de jeu

4° Manière de mettre en œuvre a) jeu de mains d’un pianiste (d’un saxophoniste, d’un percussionniste) b) jeu de lumière

V. Mouvement d’un objet

1° Mouvement aisé, régulier d’un objet, d’un mécanisme a) jeu d’un verrou, d’un ressort

2° Action a) donner du jeu à une fenêtre, un tiroir

Tableau I: Les différentes acceptions du mot «jeu»

C’est donc autour de ces éléments de sens que se sont construites les différentes sections de l’œuvre. Cependant, pour des raisons d’équilibre et de progression dramatique, l’ordre de succession des différentes parties a été modifié par rapport à l’ordre du dictionnaire. Ainsi, les cinq grandes sections de l’œuvre se lisent comme suit (telles qu’elles apparaissent sur le disque (Normandeau: 1990):

[1.1] II. Les règles du jeu

[1.2] V. Mouvements d’un mécanisme

[1.3] III. Ce qui sert à jouer

[1.4] IV. Les manières de jouer

[1.5.] I. Les plaisirs du jeu

2.1.2. Le tricercle

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Un second élément de structuration de l’œuvre est emprunté au livre de Michel Chion, Le son au cinéma. Il s’agit de la répartition des sons au cinéma selon un tricercle composé des sons «in», «off» et «hors-champ» (Chion 1985: 33):

i n

hors-champ off

Figure 1: les trois espaces du son au cinéma

Les définitions que l’auteur nous y propose sont les suivantes:

«— son hors-champ, seulement celui dont la cause n’est pas visible simultanément dans l’image, mais qui reste pour nous situé imaginairement dans le même temps que l’action montrée, et dans un espace contigu à celui que montre le champ de l’image […]; — son off, seulement celui qui émane d’une source invisible située dans un autre temps et/ou une autre lieu que l’action montrée dans l’image […]. Ce qui, avec le son «in» dont nous conservons la définition courante [celui qui «est associé à la vision de la source sonore en action»], nous donne trois cas: un cas de son «visualisé» et deux cas de son «acousmatique», pour reprendre la terminologie déjà proposée dans notre ouvrage précédent» (Chion 1985: 31-32)

Si on substitue à la notion d’image utilisée pour le cinéma, celle de l’image sonore c’est-à-dire des sons qui existent en tant que référence — train, voix d’enfants, feux d’artifices — cette classification est pratiquement aussi valable pour l’acousmatique que pour le cinéma. En fait, tel que le note Chion, sur les trois cas, on en possède déjà deux qui sont de nature acousmatique. L’autre, le son «in», qui fait directement référence à une action visuelle sera tout simplement dans notre œuvre celui vers lequel l’attention de l’auditeur sera fortement focalisé. Le marteau-piqueur qui apparaît à 20:31 en est un exemple évident mais on trouvera un exemple plus subtil de son «in» à 2:32 lorsque des rires apparaissent assez discrètement dans un paysage sonore qui comporte également des voix (la voix a un caractère extrêmement prégnant en général). Ce sont pourtant bel et bien les rires que l’on entend au premier abord.

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2.1.3. Les sources sonores

Elles proviennent essentiellement de quatre origines distinctes. La première et la plus importante, est constituée d’une série d’enregistrements faits «dans la rue» à partir d’un magnétophone à cassettes portatif10 et d’un microphone stéréophonique extrêmement discret. La majorité des sons utilisés provient d’enregistrements faits en France, à Bourges — où l’œuvre a été réalisée en grande partie — et à Paris, plus précisément au cours d’un séjour en juin et juillet 1988.

Nous donnons ces informations factuelles afin de mettre en lumière un aspect important rattaché à ces prises de sons. En effet, elles sont très subjectives à la fois parce qu’elles font toutes l’objet d’un souvenir précis — donc d’une émotion particulière — et qu’elles possèdent un caractère de dépaysement — puisque réalisées à l’étranger — qui n’ont pas été sans influencer notre démarche au cours du processus de composition. Il ne s’agissait donc pas de sons neutres qu’il fallait combiner dans un ordre schématique11. Ultimement, après avoir réalisé l’ensemble de la classification des sons, ce sera l’écoute et la perception qui joueront le rôle final dans la combinaison de ceux-ci.

La deuxième série de sources sonores provenait d’enregistrements effectués par Radio-Canada à l’occasion de la composition de paysages sonores pour une série d’émissions sur Charlevoix. Encore une fois ce qui peut paraître anecdotique comme information revêt au contraire un sens particulier puisque ces prises de son, que nous n’avons pas faites personnellement , nous nous les sommes appropriées en les traitant de manière spécifique notamment grâce aux traitements analogiques du studio Charybde du GMEB. Nous reviendrons sur ces traitements un plus loin.

La troisième série de sons a été obtenue en effectuant toutes sortes de manipulations sur les voyelles des cinq premières syllabes du Viderunt omnes de

10 WalkmanPro de Sony. 11 Les références personnelles et les charges émotives qu’elles comportent ne sont certainement pas «compréhensibles» pour un auditeur éventuel au sens strict du terme mais nous ne pouvons nous empêcher de penser qu’il en reste probablement quelque chose de perceptible.

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Pérotin (XIIème siècle). Ces cinq voyelles — i, è, ou, o, et è — associées à chacune des parties, ont en quelque sorte agi comme le ciment de l’œuvre, le lien entre les différentes sections. Elles sont omniprésentes tout au long de l’œuvre, soit de façon évidente, soit, au contraire, en filigrane. Le choix du Pérotin s’est naturellement imposé car il s’agit d’une des premières œuvres signées de l’histoire de la musique. On ne connaît pas grand-chose de ce compositeur mais on lui associe quelques réalisations de manière à peu près certaine12. Nous avons voulu rendre là un hommage à l’un des premiers compositeurs de la longue tradition de musique occidentale dans laquelle nous nous inscrivons (nous reprendrons cette idée d’hommage dans deux œuvres ultérieures soit Mémoires vives et Tropes).

Enfin, la quatrième famille sonore a été réalisée à Bourges. Il s’agit de sons de synthèse obtenus grâce au système analogique «maison» qui est conçu à base de tension asservie (Voltage control).

2.1.4. La classification générale

Les sons enregistrés ont donc été classés en fonction de leur répartition selon les différentes acceptions du mot «jeu» d’une part, et du tricercle d’autre part. Aux trois choix possibles de ce dernier, se sont ajoutés deux autres catégories correspondant aux passages vocaux et aux sons électroniques. Cette classification doit être comprise comme relevant du domaine poïétique de la composition de l’œuvre dans la mesure où elle donne des indications de la manière de faire du compositeur et ne saurait en rien prédire l’entendre, donc le côté esthésique, de l’auditeur13. Voici le tableau synthèse de cette répartition:

12 «Pérotin (Magister Perotinus) est cité par le même traité [Anonyme IV dans la classification du musicologue E. de Coussemaker (1864)] comme optimus discantor, c’est-à-dire «le meilleur déchanteur» ou, plus simplement, le plus riche inventeur de contre-chants mélodiques. L’auteur lui attribue deux quadruples ou organa à quatre voix — Viderunt et Sederunt datant de 1198 et 1199» (Beltrando-Patier 1982: 82) 13 Il est fait référence ici à la classification mise au point par Nattiez dans ses ouvrages sur la sémiologie musicale (1975 et 1987).

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In Hors-champ Off Voix Électronique

[1.1] II. Les règles du jeu (de 0:00 à 8:22): «VI…»

1° Activité organisée a) la règle du jeu

percussions aéroport bistro «i» traité «vi» gelé

_

b) jeux du cirque, du stade, jeux d’adresse rires (normaux) promenade fête

foraine rire (coït) «i» traité -

c) jeu de massacre autorail (normal) circulation

automobile voyage en vélo - Son très grave à

l’octave d) jeux de société

métro (quai d’en face)

Place du Tertre ambiance complexe Desjardins

«i» gelé -

2° Action de jouer, partie qui se joue a) être en jeu, être hors-jeu

Les chevaux de feu (Paradjanov)

cloches pas dans le gravier

- -

b) mettre en jeu la vie d’un homme feux d’artifice - - - double pulsation

très grave

3° Le jeu, les jeux a) aimer le jeu, se ruiner au jeu menuiserie - - «vi» traité son synthétique

continu

4° Somme d’argent risquée au jeu a) Faites vos jeux. Les jeux sont faits, rien ne va plus

métro (de ce côté-ci du quai)

camion (avec benne)

- «i» boucle gelée Hymnen

-

Tableau II. a) Tableau synthèse de Les règles du jeu

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In Hors-champ Off Voix Électronique

[1.2] V. Mouvements d’un mécanisme (de 8:22 à 10:46): «… DE…»

1° Mouvement aisé, régulier d’un objet, d’un mécanisme a) jeu d’un verrou, d’un ressort

portes de métro compresseur forge ralentie «è» traité «è» gelé

imitation de sonnette de métro

2° Action a) donner du jeu à une fenêtre, un tiroir percussion

bouclée forge pas dans les

feuilles modifié «è» traité «è» gelé

-

Tableau II. b) Tableau synthèse de Mouvements d’un mécanisme

In Hors-champ Off Voix Électronique

[1.3] III. Ce qui sert à jouer (de 10:46 à 13:50): «…RUNT»

1° Instruments du jeu a) jeux de quilles, de boules, etc

quilles salle Maisonneuve (Jean-Claude

Galotta)

boucle rythmique ralentie

«unt» traité «unt» gelé»

-

2° Assemblage plus ou moins favorable qu’un joueur a en main a) avoir beau jeu, cacher son jeu, le grand jeu

pas sur le parquet ciré (musée

Rodin)

métro (parcours) orgue doux

intérieur avion graves

gauche/droite

«unt» gelé «unt» traité (à

l’envers)

-

b) jeux d’orgue orgue animé orgue doux graves

gauche/droite «unt» traité (à

l’envers) -

Tableau II. c) Tableau synthèse de Ce qui sert à jouer

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In Hors-champ Off Voix Électronique

[1.4] IV. Les manières de jouer (13:50 à 18:40): «OM…»

1° La manière dont on joue a) jouer prudent, jouer dangereux lycophone camion - «o» traité boucles

rythmiques b) jouer double-jeu corneilles vagues hall d’entrée de

la P des A - -

2° Façon de jouer d’un instrument a) un jeu brillant, nuancé

- oiseaux pas dans les feuilles mortes

«o» traité traitement d’une boucle rythmique

3° Manière de jouer un rôle a) donner aux acteurs des indications de jeu

- annonceur (fête foraine)

- «o» gelé -

4° Manière de mettre en œuvre a) jeu de mains d’un pianiste (d’un saxophoniste, d’un percussionniste)

boucle rythmique guitaristes - - traitement des boucles

rythmiques b) jeu de lumière feu calme sources fleuve filtré

(sous-mixage 2) «o» traité

respiration grave (sous-mixage 1)

traitement des boucles

rythmiques

Tableau II. d) Tableau synthèse de Les manières de jouer

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In Hors-champ Off Voix Électronique

[1.5] I. Les plaisirs du jeu (de 18:40 à 23:55): «…NES»

1° Activité physique ou mentale purement gratuite qui n’a dans la connaissance de celui s’y livre, d’autre but que le plaisir qu’elle procure

a) écolier qui ne pense qu’au jeu (jeu brutal, bruyant, dangereux, paisible, puéril) enfants enfants (ralenti) enfants (accéléré) «è» traité -

b) jeux de mains, jeux de vilains autorail (ralenti) feu (dynamique) vaches - -

c) jeux de prince (fantaisies que les puissants n’hésitent pas à satisfaire au mépris des faibles)

marteau-piqueur cris (grande roue) traversier - -

2° Activité qui présente un ou plusieurs caractères du jeu (gratuité, futilité, facilité) a) jeux de l’imagination, de l’esprit mouettes eau rythmée feu et

conversation - son à l’unisson

avec l’autorail ralenti

b) jeux de mots - - - Cantus firmus du

Viderunt omnes 3 boucles

-

3° Une chose sans gravité qui ne tire pas à conséquence ou qui n’offre pas grande difficulté a) un jeu d’enfant accordéon (présent)

party de Noël accordéon (s’éloignant)

Cantus firmus traité

«è» gelé

variation d’amplitude, genre cigales

Tableau II. e) Tableau synthèse de Les plaisirs du jeu

2.1.5. Du son au sens

Notre mémoire de maîtrise (Normandeau 1988: 1) faisait abondamment référence à un tableau du peintre surréaliste belge René Magritte Ceci n’est pas une pipe. L’idée développée à ce moment-là et plus particulièrement dans Matrechka et Rumeurs (Place de Ransbeck) est qu’un son enregistré n’est pas la chose même comme l’objet dessiné d’une pipe n’est pas l’objet même.

Nous nous sommes servis de cette idée à quelques reprises dans Jeu. On en trouve un bon exemple après la scène du feu d’artifice où, après avoir entendu une série de feux «réalistes», on en entend quelques-uns qui sont artificiellement

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«délayés» et mis en rythme (Normandeau 1990a: [1.1], 5:52 @ 6:14). Nous sommes bien dans une œuvre de fiction et non pas dans un documentaire…

Un peu plus loin, on trouvera un autre type de procédé, lié au montage, que nous avons abondamment utilisé tout au long de cette œuvre. Il s’agit de faire apparaître un événement sonore grâce à une autre élément qui joue le rôle d’un déclencheur. Ici c’est la porte de métro qui provoque l’apparition de voix lorsqu’elle s’ouvre et qui les fait disparaître lorsqu’elle se referme. Jusque là, apparemment rien que de très normal. La différence entre la réalité et cette scène, c’est que les voix qui apparaissent ne sont pas celles auxquelles on pourrait s’attendre venant du wagon mais plutôt des voix «célestes» composées artificiellement. (Normandeau 1990a: [1.2], 8:22 @ 8:38)

Ce procédé est également utilisé lors du passage d’orgue où les accords ffff font apparaître de temps à autre des voix de même nature que celles citées plus haut (Normandeau 1990a: [1.3], 12:10 @ 13:45)

2.1.6. Les procédés cinématographiques

Afin d’illustrer notre propos principal, voici quelques exemples des différentes techniques empruntées au langage cinématographique qui ont été utilisées dans Jeu.

Montage (Normandeau 1990a: [1.1], 2:13 @ 2:23)

Ce montage, réalisé à l’aide d’une sonorité arpégée, fait littéralement basculer le décor sonore. D’un décor sonore plutôt abstrait avant 2:00, on passe peu à peu, en arrière plan, à une ambiance de bistro qui chavire brusquement, mais sans à-coups — comme le montage au cinéma qui nous fait passer brusquement d’une scène à l’autre sans heurts — dans une cour d’école avec des cris d’enfants et des bruits de foule. Ce passage est très bref et on se retrouve ensuite, grâce au même son de passage — comme on dit rite de passage — dans une ambiance de foule beaucoup plus feutrée, dans un espace plus vaste, avec des rires, un cri et une tension qui va croissante et qui s’interrompra brusquement cette fois-ci à 3:45.

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La technique utilisée ici est classique au cinéma. Une scène ultérieure est annoncée, en filigrane pourrait-on dire, par le biais d’un indice sonore. On entend à l’avance un son qui appartient à cette scène — il est donc par définition «off» puisqu’il n’a rien à voir avec ce qui est donné à voir — qui ne prend son sens qu’au moment où apparaît la scène en question. Il y un exemple fameux de cela dans Il était une fois l’Amérique de Sergio Leone où une sonnerie de téléphone retentit à une quinzaine de reprises et traverse au moins quatre scènes différentes avec lesquelles, a priori, elle n’a rien à voir. C’est au moment où la scène du téléphone arrive que l’on comprend le sens qui lie toutes ces scènes et cela, uniquement grâce à un indice acousmatique.

Travelling arrière (Normandeau 1990a: [1.1] 4:14 @ 4:35)

Ce procédé cinématographique trouve une application directe et sans équivoque dans le monde sonore. L’image acoustique est en effet facilement détectée par l’oreille humaine quant à sa localisation dans l’espace grâce à des indices acoustiques précis: richesse spectrale et intensité sonore. Passer d’un état à l’autre — un son qui s’appauvrit ou s’enrichit par exemple — par des techniques de filtrage et de réduction d’amplitude équivaut à déplacer cette source sonore dans l’espace proche/lointain. On en trouve un bon exemple ici avec ce métro qui s’éloigne, dont le parcours se termine sur une sonorité très grave qui amorce la «scène» suivante.

Plan éloigné (Normandeau 1990a: [1.1], 4:35 @ 5:32)

Un peu comme le travelling arrière utilisait de façon progressive les indices acoustiques reliés à la richesse spectrale, le plan éloigné s’en servira mais de manière fixe. En effet, une scène comme celle-ci, constituée d’une double pulsation grave, d’un feu d’artifice très filtré et de cloches d’église lointaines, se trouve reléguée en arrière-plan à cause de l’absence de composantes aiguës. Certes l’utilisation, plus traditionnelle à cet égard, de la réverbération artificielle vient renforcer cette situation mais elle n’est pas suffisante pour la déterminer entièrement. En effet, les seuls indices d’espace ne suffisent pas à situer un plan entier de façon éloignée. L’utilisation de sonorités très riches avec une réverbération de même type conduirait au mieux à un autre sens, au pire à un contresens.

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Plan rapproché (Normandeau 1990a: [1.1], 5:32 @ 5:52)

Le plan rapproché est un élément extrêmement fréquent, aussi avons-nous décidé de n’en illustrer qu’un seul. Ce plan suit immédiatement le plan éloigné décrit précédemment et son analyse est particulièrement pertinente dans la mesure où il utilise exactement les mêmes sources sonores que ce dernier. Ces sources ont cependant été «ramenées» au premier plan grâce à des traitements sonores appropriés: emploi d’une réverbération plus courte et plus riche et absence de filtrage notamment sur les feux d’artifices.

Zoom avant/zoom arrière (Normandeau 1990a: [1.2], 9:10 @ 10:10)

On commence d’abord par un plan éloigné qui est installé à 9:10. Puis à 9:27 on passe subitement à un plan rapproché (avec la percussion) mais le plan éloigné demeure en arrière plan. Et peu à peu on assiste à un double mouvement qui consiste à ramener au premier plan le plan éloigné — on passe littéralement au travers à 9:45 — et à envoyer en arrière plan celui qui était au premier. Ce qui est particulier ici au domaine sonore c’est la rencontre de ces deux mouvements «de caméra» simultanés, pratique quasi inexistante au cinéma mais que l’on trouve abondamment dans l’image électronique comme la vidéo ou le cinéma par ordinateur. Mais là il faut bien admettre la supériorité naturelle du son sur l’image puisque la profondeur de champ disponible en électroacoustique est nettement avantagée lorsqu’il s’agit d’effectuer des mouvements simultanés à l’intérieur d’un même plan. L’image filmée n’offre pas cette souplesse d’utilisation et l’effet de masque est trop important pour que cette technique demeure efficace au-delà d’un nombre assez limité de superpositions. La différence, rappelons-le, entre le travelling et le zoom réside dans la modification de l’espace, donc des relations entre les sons, qui est apportée par ce dernier.

Fondu enchaîné (Normandeau 1990a: [1:3], 11:53 @ 12:12)

Le fondu enchaîné est classique en électroacoustique. Il est probablement responsable d’un défaut que l’on trouve abondamment dans le répertoire, le manque d’articulation du discours. L’exemple cité ici a été retenu à cause du chavirement de sens qu’il provoque. Les matières sonores qui le composent ont été ajustées de manière à ce que le fondu soit aussi lisse que possible de telle sorte que le procédé, au point de vue formel, ne soit pas perçu par une écoute non-

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analytique. Pourtant c’est bien une foule aux pas bruyants, un train, puis un avion qui se succèdent au cours de ce passage. À notre avis, cet exemple illustre assez clairement la souplesse d’interprétation que le médium électroacoustique possède. Imaginons, simplement pour illustrer cela, la même scène représentée avec des images. On pourrait alors constater aisément que celles-ci déterminent un sens précis alors que celui véhiculé par les sons reste suffisamment ambigu pour permettre à l’auditeur d’imaginer ce qu’il veut, y compris une représentation visuelle analogique de ce qu’il entend.

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Travelling (Normandeau 1990a: [1.4], 13:50 @ 14:30)

Une extrapolation de ce procédé a été utilisée dans le passage du lycophone14. On trouve cinq moments réalisés grâce à cet instrument qui font apparaître autant de paysages sonores différents: 1) des corneilles; 2) une foule; 3) des vagues; 4) des oiseaux; 5) des pas dans les feuilles mortes. L’idée était de traiter ces paysages comme des images infographiques que l’on peut littéralement faire basculer. Ainsi, les traitements suivants ont été appliqués: 1) travelling avant; 2) travelling de gauche à droite; 3) travelling arrière; 4) travelling de droite à gauche; 5) fondu enchaîné.

2.1.7. Les traitements sonores

Au-delà des différents éléments structuraux énoncés plus haut qui permettaient de faire des choix précis en fonction du thème abordé, nous avons utilisé des traitements particuliers afin de donner à l’œuvre une cohésion sur le plan sonore. Le point de vue principal qui a été adopté tout au long de l’œuvre nous a été inspiré par une série de marbres blancs du sculpteur français Rodin aperçus au musée du même nom en juin 1988 à Paris. Cette série de marbres représente des personnages qui ne sont pas complètement sortis du bloc de marbre. Le sculpteur ne les a dégagés qu’à moitié de la matière. Ainsi, le personnage et la matière ne proviennent à l’évidence que d’une seule et même source.

Sur le plan sonore, nous avons effectué une transposition de cela en privilégiant le même genre de rapport entre des sons «in», «off» ou hors-champ. Le passage d’un état à l’autre — tel son qui passe du premier au second plan ou l’inverse — était réalisé par le traitement qui, en altérant les caractéristiques d’un son, le faisait passer de figure à fond. Ce qui distingue ce genre de travail de celui, plus classique, de l’opposition figure/fond, tient au fait qu’ici la figure et le fond sont faits d’une seule et même matière. Le début de la pièce avec l’entrée du «Vi»

14 Le lycophone est un instrument analogique à film plastique transparent sur lequel sont dessinées des formes à l’aide d’un crayon noir. Cet appareil, couplé à une série de générateurs sonores d’ondes pures, était essentiellement destiné à reproduire la parole par la reconstitution des formants vocaux. Ce que cet appareil avait de particulier, c’est qu’il était polyglotte! Des sources sonores furent enregistrées lors d’une exposition d’instruments électroniques anciens (!) au festival de Bourges en 1988.

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se situe de toute évidence au premier plan. Mais très rapidement, au bout de quelques secondes lorsqu’on comprend qu’il ne se passe rien de particulier (on peut toujours s’intéresser à la matière sonore elle-même, mais cela est une autre histoire), cette trame passe alors en arrière plan. Puis apparaît une nouvelle voix, la même syllabe «i» mais traitée en amplitude, ce qui lui donne un relief qui attire aussitôt notre attention. Le fond et la figure proviennent pourtant d’une même source sonore (Normandeau 1990a: [1.1], 0:00 @ 0:45).

Les différents traitements utilisés sont assez classiques des techniques de studio analogique et plus particulièrement des modules asservis en tension comme les amplificateurs et les filtres surtout et, à un degré moindre, les oscillateurs. Le principal intérêt de ces techniques lorsqu’elles sont réalisées dans des studios comme celui de Bourges, c’est que d’une part l’appareillage qui y est installé a été conçu et assemblé en fonction de la composition électroacoustique et, d’autre part que les composantes utilisées sont de très grande qualité, ce qui autorise des variations impensables sur les systèmes commerciaux. On en aura une preuve en écoutant l’extrait qui se situe entre 16:12 à 17:50 (Normandeau 1990a: [1.4]) où un très long filtrage d’un enregistrement de rapides (sur le fleuve) est réalisé à l’aide de la technique traditionnelle du filtrage passe-bande contrôlé par un oscillateur de basse fréquence — 0,01Hz — ce qui donne une période de 100 secondes!

Nous avons également utilisé des systèmes de modulation d’amplitude stéréophonique dont les voies gauche et droite sont décalées de façon très fine ce qui donne des décalages de phase précis où l’image stéréophonique se déplace très lentement d’un côté à l’autre. On en trouve un bon exemple au cours de la deuxième minute de l’œuvre (Normandeau 1990a: [1.1], 0:50 @ 1:50). L’effet est encore plus spectaculaire lorsqu’on écoute ce passage avec des écouteurs.

2.1.8. Les citations

En plus du Pérotin qui traverse toute l’œuvre, les citations sont au nombre de trois et possèdent toutes des «clefs» symboliques: 1) Hymnen,classique de l’électroacoustique de Karlheinz Stockhausen; 2) Brazil, un classique de la

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musique brésilienne; 3) Parlez-moi d’amour, classique de la chanson française immortalisé par Lucienne Delille.

On trouvera une citation textuelle de Hymnen de Karlheinz Stockhausen à une section où cela s’avérait particulièrement approprié (II.4 a) Faites vos jeux) (Normandeau 1990a: [1.1], 8:14 @ 8:20). La présence de cette citation, hormis la pertinence du propos, est une sorte de clin d’œil à une œuvre à laquelle nous sommes certainement redevable d’une grande part de notre vocation.

Ensuite, un extrait de Brazil qui fait directement référence au film du même titre de Terry Gilliam (ex-Monthy Python) qui raconte avec des images d’une audace incroyable le danger d’une société totalitaire telle que Georges Orwell l’avait illustré dans 1984. Cette citation est placée à cet endroit de l’œuvre en accord avec la section appropriée (IV.4a) jeu de mains d’un pianiste15) mais également, et probablement surtout, parce qu’elle annonce le drame16 qui se produira un plus tard dans l’œuvre (Normandeau 1990a: [1.4], 15:45 @ 15:53).

Enfin, une citation de Parlez-moi d’amour, jouée à l’accordéon (quoi de plus approprié?) après que le drame se soit produit et présenté là en guise de «message» d’espoir (Normandeau 1990a: [1.5], 22:15 @ 22:27). Il faut dire ici brièvement que Jeu est une pièce essentiellement dramatique et que sa présentation en concert n’est jamais une chose facile à cause de l’impact qu’elle produit inévitablement. Elle possède en effet une portée symbolique qui va beaucoup plus loin dans notre esprit que la simple audition d’un marteau-piqueur (Normandeau 1990a: [1.5], 20:31 @ 20:50). Cette citation constitue en quelque sorte le «happy end» de l’œuvre. Mais cela est probablement déjà une autre thèse…

2.1.9. La forme générale

Essentiellement l’œuvre est un parcours à travers les différentes significations autant au sens propre qu’au sens figuré que prennent les différentes acceptions du mot «jeu». L’ordre des séquences a été établi en fonction d’une progression dramatique de l’œuvre vers ce qui est le «climax» de l’œuvre, les

15 Le pianiste est ici remplacé par un guitariste. 16 Des enfants tués par une mitrailleuse/marteau-piqueur.

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«jeux de prince». On retrouvera donc dans le Tableau II l’évolution générale de l’œuvre qui épouse les cinq grandes acceptions de la manière suivante:

[1.1] II. Les règles du jeu

[1.2] V. Mouvements d’un mécanisme

[1.3] III. Ce qui sert à jouer

[1.4] IV. Les manières de jouer

[1.5.] I. Les plaisirs du jeu

L’ironie, qu’on remarquera peut-être au passage, n’est pas fortuite qui veut que les «jeux de prince» soient inclus dans une section intitulée «Les plaisirs du jeu»…

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2.2. Mémoires vives

Mémoires vives utilise comme unique matériau des extraits de neuf requiem composés à travers l’histoire de la musique. Cette œuvre, plus abstraite que Jeu, s’apparente davantage au cinéma d’animation qu’au cinéma d’acteurs, où la matière est sculptée au fur et à mesure du travail de création. Aucun a priori n’existait dans le processus qui a mené à l’élaboration de cette pièce. Les matériaux, leur organisation, les traitements utilisés, tout a été mis en place en interaction constante avec le déroulement temporel de la composition. La fugacité de certains gestes, la rapidité de l’élaboration de certains agencements ont abouti à une première version de l’œuvre qui fut celle de la création, puis à une seconde version destinée au disque et présentée ici.

2.2.1. Les sources sonores

Les requiem qui ont servi à l’élaboration de l’œuvre sont des compositeurs suivants: Messe des morts, chant grégorien (anonyme, X-XIIème s.), Ockeghem (≈1410-1495), De Lassus (1532-1594), Cererols (1618-1680), Mozart (1756-1791), Berlioz (1803-1869), Fauré (1845-1924), Ligeti (1923-…) et Chion (1947-…). Deux autres requiem ont servi au cours du travail de préparation mais n’ont pas été mis à contribution dans la version finale soit ceux de Schütz (1585-1672) et de Gilles (1668-1705), le premier parce que sa forme diffère totalement des autres requiem (il s’agit du rite protestant) et le second parce que le seul enregistrement disponible n’était pas satisfaisant.

Quatre-vingt six extraits différents ont été prélevés à partir de ces requiem et numérisés grâce à un échantillonneur17. Ils ont ensuite été mis en séquence après avoir subi certains traitements propres à l’enregistrement numérique soit essentiellement des transpositions de hauteurs sans variations temporelles, ou l’inverse des changements de durée sans variations de hauteur.

Les extraits utilisés étaient en général assez courts, les durées variant entre quelques dixièmes de secondes et trois ou quatre secondes tout au plus. L’esprit

17 Un échantillonneur est un appareil qui permet d’enregistrer un signal sonore et de le conserver sous forme numérique dans une «mémoire vive».

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qui a présidé au choix d’emprunter un matériel déjà existant pour construire une œuvre, conditionnée en premier lieu par la nature de la commande — une série de concerts autour du thème de la mort organisée par les Événements du Neuf en 198918 —, était de trouver ce qui, dans ces œuvres anciennes, avait gardé un caractère de contemporanéité ou qui en possédait un de manière cachée que le travail en studio révélerait. Aucun de ces extraits n’a été utilisé en tant que citation. Il est assez révélateur qu’à cet égard les auditions multiples de l’œuvre en concert n’ai révélé que peu de lacunes sur ce plan sauf auprès d’auditeurs qui y ont entendu des apparitions, comme le Requiem de Verdi… qui n’y sont pas utilisé! Encore une fois, au jeu de pistes qui consiste à découvrir la source, on y perd plus souvent qu’on y gagne. Par contre, ce que ce travail d’anthropologie musicale a révélé, c’est l’extraordinaire potentiel de transformation que recèle certaines œuvres. Ainsi, après quelques traitements fort simples, les requiem anciens (antérieurs à Mozart) ressemblent à s’y méprendre à celui de Ligeti alors que celui-ci ressemble davantage à un instrument percussif (Normandeau 1990a: [2.3. et 2.4], 4:15 @ 6:53). D’autre part, celui de Fauré, pourtant si lisse et sans «effets» dramatiques, est ici décomposé jusque dans sa matière première, il est en quelque sorte «granularisé» alors qu’a priori rien ne laissait deviner un tel potentiel dans l’œuvre originale (Normandeau 1990a: [2.5], 10:05 @ 11:50).

18 Voir la note de programme à ce sujet en annexe II.

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2.2.2. Les sections

Mémoires vives ne peut être analysée qu’a posteriori. Il s’agit en effet d’une œuvre qui a été composée de façon extrêmement intuitive dont les gestes se rapprochent davantage de la manière du peintre que de celle du compositeur. Il est donc difficile de relater le plan poïétique, donc ce qui appartient aux intentions du compositeur, sauf en des termes très généraux et plutôt métaphoriques.

«Que fait donc le compositeur contemporain devant les œuvres du passé? Peut-être cherche-t-il à s’inscrire dans une filiation historique donnée. Sans nécessairement le vouloir, il nous renseigne sur les sources d’une certaine inspiration et surtout, il nous montre comment, dans l’atelier privé du compositeur, une musique d’un style totalement différent peut subir une alchimie aberrante et merveilleuse, pourtant à l’origine des œuvres d’aujourd’hui.» (NATTIEZ 1987: 229)

Nous nous proposons alors de décrire l’œuvre comme elle apparaît au plan de l’analyse perceptive.

Elle est divisée en sept sections — qui correspondent à autant d’index sur le disque — où alternent les passages formés de sons ponctuels et ceux formés de sons continus:

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Section et repères

temporels

Index et description

1ère section [2.1] 0:00 @ 2:12 Cordes graves et aiguës, apparitions fugitives de voix et répétitions,

percussion ponctuelle grave, sons ponctuels avec très longue réverbération

2ème section [2.2] 2:12 @ 3:35 Passage lisse du grave vers l’aigu

3ème section [2.3.] 3:35 @ 5:54 Ponctuations suivies d’une série d’«apparitions» qui aboutissent à

une accumulation

4ème section [2.4] 5:54 @ 8:54 Percussion tranchante dans l’aigu suivie d’une accumulation qui

conduit au «climax» de la pièce

5ème section [2.5] 8:54 @ 11:51 Ponctuation entrecoupée de silences, suivie d’une tenue lisse qui est

ensuite fragmentée jusqu’à l’élément unique qui la constitue, suivie d’un passage miroir

6ème section [2.6] 11:51 @ 14:07 L’Agnus Dei, seul passage référentiel, coupures, apparitions de voix,

puis une tenue qui s’installe d’où émerge un chœur d’hommes puis un chœur de femmes

7ème section [2.7] 14:07 @ 15:50 Sons de cordes tenues qui s’amenuisent peu à peu vers l’aigu

Tableau III: Les sept sections de Mémoires vives

2.2.3. Les procédés cinématographiques

Rappelons que la principale spécificité du cinéma réside dans la mobilité des images. Comme lui, Mémoires vives, est construite sur un déroulement temporel immuable. Chacune des «images» qui la constituent est placé à un endroit précis, qui sera exactement le même d’une présentation à l’autre. En ce sens, on peut affirmer que cette œuvre, comme toutes celles qui utilisent l’écriture sur support de manière volontaire, partagent avec le cinéma cette spécificité.

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Pour être plus exact en ce qui concerne le genre d’œuvre et la démarche qui sous-tend Mémoires vives, il faut tracer un parallèle entre le travail effectué dans le cinéma d’animation et celui de la composition. Il s’agit en effet d’un travail de coloriste où, à la manière du cinéaste qui travaille sur des prises de vues réelles et les modifie, des touches de couleurs ont été ajoutées aux requiem d’origine, des éclairages différents mettant en valeur tel ou tel aspect de la musique y ont été projetés, des fondus ont été mis en œuvre afin de créer des rapprochements inédits qui révèlent des aspects insoupçonnés de celle-ci.

Les couleurs19 (Normandeau 1990a: [2.1], 0:00 @ 2:12)

L’association en musique des couleurs et des sons est une chose délicate et forcément subjective. Aussi nous n’entrerons pas dans l’exploration systématique de cette relation et ne conserverons de celle-ci que le niveau premier qui consiste à associer les couleurs à l’enveloppe spectrale des sons utilisés, ce qui paraît conforme au spectre de la lumière où les grandes longueurs d’onde correspondent au rouge et les petites au violet.

L’exemple choisi se trouve au tout début de l’œuvre où l’on entend à six reprises des apparitions de voix surgies de la masse sombre des notes tenues. Tout ici nous apparaît de couleur rouge foncé. Les voix sont extraites du «Dies iræ» du Requiem de Mozart. Le passage original est naturellement énergique — le «Dies iræ» est le jour de colère —, alors qu’ici les traitements utilisés — ralentissement, découpage, échos — lui confère un caractère plus statique et surtout, plus dramatique.

19 Pour les références aux couleurs, éclairages et fondus, voir la Figure 2d, p. 54

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Les éclairages (Normandeau 1990a: [2.4]a et [2.5]b)

L’éclairage est relatif à la densité spectrale dans une région donnée. Plus un timbre est riche, plus il paraît brillant20. Si, au contraire, il est pauvre, il paraîtra sombre. Le passage le plus éclairé de l’œuvre se situe à 5:54 où une série de sons de nature percussive, extrêmement denses dans l’aigu, fait apparaître des sonorités de type «s» très riches également. À l’opposé, on trouvera à 9:30 la partie la plus sombre dont on pourrait dire qu’elle est littéralement laissée dans l’ombre.

Les fondus (Normandeau 1990a: [2.4]b)

Le fondu le plus périlleux est celui qui conduit au climax de l’œuvre à 8:40. Au cours des quarante secondes qui le précèdent, se trouvent enchaînés et/ou superposés des extraits des requiem de Berlioz, Chion, Ligeti et Mozart. L’idée était de faire cohabiter toutes ces sources sonores sans que n’apparaissent de discontinuités évidentes de style. Ainsi, des traitements de même nature — boucles, transpositions, filtrages — ont été appliqués à chacune des sources sonores, ce qui leur confère une certaine uniformité.

2.2.4. La forme générale

La forme dans Mémoires vives n’est pas de type musical, bien qu’elle tire sa matière d’extraits musicaux. Cette forme est métaphorique, en ce sens qu’elle évoque plutôt un parcours de nature initiatique. Celui-ci conduit l’auditeur des voix entendues au début de l’œuvre, qui tentent de s’extraire d’une matière informe, jusqu’au passage final tout en sérénité qui ouvre comme une porte vers l’ailleurs. Cette évolution impressionniste est suggérée par l’amincissement de la trame sonore — autant du point de vue de la richesse spectrale que de celle de l’intensité — qui va s’amenuisant jusqu’à la disparition. On comprendra d’autant mieux la nature de ce parcours si l’on connaît la thématique de Mémoires vives: la mort. L’œuvre, en effet, se présente comme une série de sentiments, d’états d’âme devant cette fatalité. On passe donc du désespoir du début ([2.1]), à la colère ([2.3a], [2.5] et [2.6a]), la résignation ([2.3]b) et finalement la sérénité ([2.7]).

20 Toutes les études de psychoacoustiques concordent dans ce sens

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Sur le plan symbolique, la section située entre 10:05 et 11:51 constitue en quelque sorte la clef de l’œuvre. L’idée qui est ici évoquée est celle de la physique classique: «Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme». Vue sous cet angle, la mort individuelle est beaucoup moins dramatique puisque l’ensemble de l’énergie et de la matière constituée par un individu ne sera que «redistribuée» dans l’univers après sa mort. Le processus de fragmentation et de regroupement réalisé ici en est comme la transposition musicale. Cette perspective est également le reflet de la note de programme «Ces musiques font toutes parties de moi, c’est moi qui, à la limite, à une autre époque, dans un autre lieu, les ai composées. Je l’avais oublié certes, mais les images remontent peu à peu. Alors je me sers de mes instruments électroacoustiques pour réinventer le rituel et je glisse ça et là des choses dont je prétends être l’auteur» (cela dit sans égards à aucune croyance religieuse particulière même si les requiem utilisés participent tous du rite catholique).

Essentiellement, cette quête est réalisée à travers douze parties — lesquels correspondent parfois à des sections complètes, d’autres fois les subdivisent — où alternent des passages fragmentés d’une part, et des passages continus, plus indistincts, constitués de matière sonore en ébullition, qui aboutissent finalement au calme:

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Index Temps Description [2.1] 0:00 @ 2:12 Ponctuation par des voix et des percussions [2.2] 2:12 @ 3:35 Sons lisses, variations sur des registres différents [2.3]a 3:35 @ 4:15 Ponctuation par des «accords» d’orchestre [2.3]b 4:15 @ 5:54 Apparitions furtives, masse de voix indistinctes [2.4]a 5:54 @ 6:53 Ponctuation métallique, tranchante [2.4]b 6:53 @ 8:54 Masse mouvante, indistincte, accumulation, climax [2.5]a 8:54 @ 9:30 Ponctuation d’accords [2.5]b 9:30 @ 10:05 Voix lisse et tenue [2.5]c 10:05 @ 11:51 Fragmentation progressive d’un son lisse et l’inverse [2.6]a 11:51 @ 13:09 Ponctuation par des «portes» qui s’ouvrent sur des voix

lointaines puis sur des gestes interrompus [2.6]b 13:09 @ 14:07 Voix lisse avec masse orchestrale d’où sortent à deux

reprises des chœurs [2.7] 14:07 @ 15:50 Finale, lisse, qui se tisse vers l’aigu

Tableau IV: Les éléments formels de Mémoires vives 21

Du point de vue spectral, l’œuvre passe de l’ensemble du registre au début de celle-ci — représentée par les cordes graves et aiguës — au registre aigu — la finale —, région plus appropriée, nous a-t-il semblé, pour la représentation de la sérénité.

21 Pour une vue synthétique de l’ensemble, voir les Figure 2a à 2d, page suivante.

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2.3. Éclats de voix

Cette œuvre a été composée entre le printemps 1990 et l’automne 1991 soit sur une période de seize mois environ. C’est l’œuvre la plus «avancée» sur le plan technologique de ce cycle dans la mesure où, à cause du parti-pris qui présidait à son élaboration — la diffusion multipiste — tous les sons qui la composent ont été enregistrés à l’aide d’un échantillonneur, lui-même contrôlé par ordinateur. Si on le désirait, on pourrait, à l’aide des disquettes contenant les informations et les logiciels appropriés, refaire cette pièce telle qu’elle existe actuellement. Nous avons poussé l’idée de l’écriture sur support aussi loin que nous le pouvions dans la mesure où, à l’aide des outils informatiques aisément disponibles aujourd’hui, il est désormais possible d’enregistrer non seulement la matière sonore elle-même — comme c’était le cas avec le magnétophone — mais également le geste qui le met en forme. Il est donc possible de retoucher son et geste indépendamment l’un de l’autre. Cela constitue à notre avis une avancée importante dans le processus de composition acousmatique.

2.3.1. Les sources sonores

Une seule source sonore a été utilisée dans cette œuvre, il s’agit de la voix d’une enfant de onze ans qui récitait des onomatopées extraites du Dictionnaire des bruits de Jean-Claude Trait et Yvon Dulude. Ce livre dresse l’inventaire des bruits que l’on retrouve dans les bandes dessinées. Il s’agit donc d’un matériau sonore extrêmement riche et diversifié où l’on trouve à peu près toutes les familles sonores. Il faut souligner au passage que l’onomatopée, contrairement à l’arbitraire des mots, est la seule famille de sons dans la langue dont le signifiant, c’est-à-dire le son, ait un rapport étroit et presqu’exact avec le signifié, c’est-à-dire le sens.

L’idée de la pièce était de travailler cette matière sonore de manière à couvrir tout le registre et tout le spectre sonore sans l’aide d’aucune source sonore étrangère. Il s’agit d’une idée que nous avions déjà caressée il y a quelques années au cours de la composition de La chambre blanche (qui date de 1986) mais à laquelle des contraintes technologiques — notamment la mémoire trop courte des micro-ordinateurs de l’époque — nous avaient fait renoncer.

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Plus de deux cents sons différents ont été enregistrés avec l’enfant et de ceux-ci ont été tirés environ cent cinquante extraits qui ont été enregistrés numériquement dans un échantillonneur. Quelques-uns d’entre eux ont fait l’objet de traitements en séquences qui ont ensuite été travaillées sur SYTER22 à Paris au GRM. Ces séquences ont ensuite été ré-enregistrées sur un échantillonneur, ce qui a complété la série des échantillons et porté leur nombre à 172. Ces derniers ont été regroupés en 163 «programmes», c’est-à-dire, pour employer le langage «technique» du fabriquant de l’échantillonneur23, qu’ils ont été mis en forme selon un certain nombre de paramètres simples — mise en boucle, profil dynamique, filtrage, localisation spatiale, contrôleurs MIDI24 (nous reviendrons plus loin sur ces derniers).

La durée des sons originaux étaient généralement courte — de quelques dixièmes de secondes à deux secondes tout au plus — alors que les sons transformés par SYTER pouvaient avoir des durées allant jusqu’à six secondes. Ces derniers ont été traités en stéréophonie alors que les premiers sont restés monophoniques tout au long du travail de composition.

2.3.2. La classification des sons

L’œuvre est divisée en cinq sections qui font toutes référence au monde de l’enfance et à des situations ou des sentiments qui l’habitent: 1) jeu; 2) tendresse; 3) colère; 4) tristesse; 5) joie. Les sons qui composent l’œuvre ont d’abord été classés en fonction de ces cinq situations. Mais l’abondance des matériaux sonores et leur très grande diversité nous ont rapidement obligé à adopter un système de classification sophistiqué. Sur ce plan, l’utilisation de l’informatique et l’aide d’un logiciel de base de données25 nous ont été d’un précieux secours afin d’effectuer des opérations de tri à entrées multiples.

22 SYTER: SYnthèse en TEmps Réel. Il s’agit d’un échantillonneur assez puissant, basé sur un mini-ordinateur, qui permet de réaliser des traitements sophistiqués en temps réel sur des sources sonores échantillonnées. 23 Un S-1000 de Akai. 24 MIDI: Musical Instrument Digital Interface. 25 FileMaker Pro de Claris

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Les critères de classification ont été répartis en critères objectifs — profil, spectre et registre — et subjectifs — plan, fonction et espace.

a) Les critères objectifs

Ils sont nommés ainsi simplement parce qu’il s’agit de critères basés sur l’analyse physique des sons. Ils concernent directement les paramètres traditionnels. Le premier a trait à la facture dynamique et comporte quatre catégories: 1) ponctuel; 2) entretenu; 3) bouclé court; 4) bouclé long. La différence entre ces deux dernières catégories réside dans la fonction de la boucle: répétition d’un syllabe dans le premier cas, répétition d’une voyelle ou d’une consonne complète dans le second.

Le second critère objectif avait trait au spectre et comportait quatre catégories: 1) bruit pauvre; 2) bruit riche; 3) périodique pauvre; 4) périodique riche. Ces dernières catégories faisaient directement référence à la notion de hauteur véhiculée par le son même. Il y a en effet des sons qui ne sont pas transposables sans établir une échelle de hauteur immédiatement reconnaissable notamment à cause du caractère restrictif du dispositif MIDI qui induit inévitablement (par défaut tout au moins) la hauteur tonale. Cette classification permettait d’en tenir compte. Quant aux «bruits», ils désignaient simplement les sons qui supportaient des transpositions qui modifiaient certes leurs enveloppes spectrales ou leurs durées mais sans faire explicitement référence à la tonalité.

Enfin, le dernier critère objectif avait trait au registre des sons. Il s’agissait de décrire, après expérimentation, le ou les registres dans lesquels les sons étaient les plus pertinents26. Ainsi, six catégories furent créées: 1) très aigu; 2) aigu; 3) moyen; 4) grave; 5) très grave; 6) tous.

b) Les critères subjectifs

Il s’agit de critères de classification qui supposent des choix esthétiques. Ils sont exclusivement rattachés à l’écoute et sont dits subjectifs parce que quiconque d’autre que nous serait probablement parvenu à des résultats différents. Nous

26 Ce critère se situait parfois à la limite de la subjectivité. Disons simplement que certaines transpositions conféraient un caractère beaucoup trop anecdotique au son pour que nous envisagions de l’utiliser.

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pourrions même affirmer qu’il s’agit là d’une première étape dans l’élaboration d’un style d’écriture personnel. Tel ou tel choix à cette étape influencera forcément l’orientation de la pièce ou de certains passages dans des directions précises qui découlent directement de cette classification.

Le premier de ces critères est d’ordre cinématographique et a trait à la notion de plan. Cinq catégories le composent: 1) 1er plan; 2) 2ème plan; 3) arrière plan; 4) hors-champ; 5) tous. On remarquera ici l’absence de plan «off» qu’on trouvait dans Jeu. Cette absence s’explique par la nature uniforme du matériau. En effet, toutes les prises de son ont été réalisées en studio, en une seule fois et en très peu de temps, contrairement à Jeu qui utilisait des sources sonores extrêmement variées. On notera également la présence de la catégorie «hors-champ», pourtant jugée irrelevante plus haut. Cette notion faisait essentiellement référence à des sons de type trame qui ne se déroule pas dans le «champ» de l’action mais comme élément sonore de fond, comme la toile du photographe de studio. Cette catégorie se nomme désormais «toile de fond».

Le second critère subjectif concerne la fonction des sons ou comment ceux-ci pouvaient être utilisés soit comme valeur référentielle — il s’agit bien d’une voix —, soit comme valeur sonore — la voix n’est pas perçue en tant que telle. Il comporte quatre catégories: 1) anecdotique; 2) sonore; 3) chant; 4) parole.

Enfin, le dernier critère subjectif est directement relié à l’espace, on pourrait même dire à l’espace cinématographique. Il comporte quatre catégories: 1) intime; 2) pièce; 3) salle; 4) extérieur. Il ne s’agit pas ici de l’espace qui est ajouté au son après coup à l’aide de réverbération artificielle par exemple, mais de l’espace suggéré par le son lui-même. Cette catégorie n’étant pas toujours aussi facile à déterminer avec précision, cela explique pourquoi nous l’avons placé dans les critères subjectifs.

Voici le tableau synthèse de ces critères de classification:

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Les critères objectifs

1. Profil 1) ponctuel 2) entretenu 3) bouclé court 4) bouclé long 2. Spectre 1) bruit pauvre 2) bruit riche 3) périodique pauvre 4) périodique riche 3. Registre 1) très aigu 2) aigu 3) moyen 4) grave 5) très grave 6) tous

Les critères subjectifs

1. Plan 1) 1er plan 2) 2ème plan 3) arrière plan 4) hors champ 5) tous 2. Fonction 1) anecdotique 2) sonore 3) chant 4) parole 3. Espace 1) intime 2) pièce 3) salle 4) extérieur

Tableau V: Les critères de classification d’Éclats de voix

On trouvera à l’Annexe V la répartition des sons selon cette classification. On remarquera que la hiérarchie qui a présidé à celle-ci privilégie les critères subjectifs — plan, fonction et espace dans l’ordre — avant les critères objectifs — profil, spectre et registre. Cela illustre bien la nature de nos préoccupations car il s’agissait bien de réaliser une œuvre qui ait du sens plutôt que d’effectuer une combinatoire réalisée à partir d’une analyse spectrale ou même typo-morphologique des sons.

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2.3.3. Les sections

Aux sentiments qui correspondent à chacune des sections sont associés des paramètres sonores: 1) le rythme; 2) le timbre; 3) la dynamique; 4) l’espace; 5) la texture. Les correspondances entre les sentiments et les paramètres musicaux se sont révélées à la suite d’une première classification des sons. Il nous est apparu naturellement que la plupart des sons associés à tel ou tel sentiment revêtaient un caractère particulier correspondant aux cinq paramètres retenus. Nous avons donc travaillé chacune de ces sections dans cette perspective.

a) Jeu/rythme

(Normandeau 1992: [1])

Toute cette section est construite autour d’un son qui ressemble à celui d’un tic-tac d’horloge. On peut l’entendre distinctement de 0:30 à 0:45 du début de la pièce. La boucle de ce son possède un rythme correspondant à q : 134 qui a investi toute la section. En fait toutes les boucles ou les durées des autres sons ont été ramenées à un tempo de 134 ou à des diviseurs/multiples de celui-ci. Cela a été réalisé en transposant les sons de manière à ce que lorsqu’une note MIDI déterminée était activée, en l’occurrence la note #6227 qui devint la note de référence, chacun des sons s’inscrive dans ce tempo. De plus, n’ont été utilisées que les hauteurs correspondant à des transpositions à l’octave de la note de référence, afin de donner à cette section une unité très grande sur le plan du rythme et du déroulement temporel.

Par ailleurs, ce qui évite à cette section une certaine banalité qui serait dûe à une trop grande uniformité, réside probablement dans la nature des sons eux-mêmes. En effet, ce qui a été ramené à une valeur de 134 est la durée complète des sons. Or à l’intérieur de ceux-ci il se passe de nombreux événements qui ne s’inscrivent pas forcément à l’intérieur du tempo. On peut ainsi dire que si les sons, sur le plan macroscopique, ont été ramenés à une valeur uniforme, sur le

27 La note #62 correspond au Ré central qui est, selon le système SI le Ré4. L’avantage d’utiliser cette note comme référence réside dans le fait que les touches du clavier sont réparties symétriquement de part et d’autre de celle-ci et qu’elle est située approximativment au centre du clavier.

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plan microscopique, une très grande diversité de durées et de déroulement temporel permet de renouveler l’écoute.

b) Tendresse/timbre

(Normandeau 1992: [2])

Cette section est divisée en sept parties qui sont autant de variations sur une trame elle-même composée de quelques sources sonores seulement dont les paramètres, comme la hauteur et le filtrage, ont été variés dans des proportions extrêmement fines, de l’intérieur pourrait-on dire, afin de créer un climat qui soit à la fois approprié au thème préconisé et qui implique des menues variations qui reviennent chercher l’attention de l’auditeur périodiquement.

La section est également traversée de part en part par une boucle sur le phonème «s» qui vient du «oups» de départ. Ce son est modifié de façon minimale par un filtre passe-bas dont la fréquence de coupure est descendue et d’une variation de hauteur d’un ton qui s’effectuent progressivement sur toute la durée du mouvement.

c) Colère/dynamique

(Normandeau 1992: [3])

Dans ce mouvement, nous avons exploité au maximum la dynamique permise par les nouveaux procédés d’enregistrement. Les sources sonores, enregistrées sur bande audio-numérique DAT28 ont par la suite été transférées dans l’échantillonneur puis sur une bande magnétique à l’aide d’un magnétophone analogique équipé du Dolby S™29. Ces quelques étapes ont conservé aux sons une qualité aussi parfaite que possible sans avoir ajouté de bruit de fond, ce qui a permis d’élargir la dynamique de l’œuvre en général et plus particulièrement de ce mouvement. On y trouve donc ainsi la dynamique maximale permise par l’équipement. Le son le plus faible se situe à 9:15 et le plus fort à 7:55 avec un

28 Le DAT (Digital Audio Tape) est un procédé d’enregistrement numérique introduit au milieu des années ’80. 29 Le Dolby S™ est la version semi-professionnelle du Dolby SR™. Ce dernier fait littéralement disparaître le bruit de fond créé par le procédé de l’enregistrement magnétique en l’atténuant de 25 dB.

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écart dynamique se situant à environ 60 dB30. Cependant, le registre dans lequel se situe le «climax» donne à cette dynamique une apparence psycho-acoustique beaucoup plus grande qu’elle ne l’est sur le strict plan physique. Mentionnons en terminant que le mouvement commence avec un son de type percussif dont la crête instantanée est très élevée et qu’il contraste fortement avec la fin de la section précédente, qui se termine pratiquement dans le silence.

d) Tristesse/espace

(Normandeau 1992: [4])

Cette section est basée sur les quatre espaces qui ont servi à la classification des sons de la pièce. Des traitements sonores de réverbération ont ainsi été fabriqués spécialement pour cette partie et se succèdent dans l’ordre suivant: 1) salle (de 9:23 à 10:05); 2) intime (de 10:05 à 10:23; 3) pièce (10:23 à 10:40); 4) extérieur (de 10:40 à 11:20).

e) Joie/texture

(Normandeau 1992: [5)

La dernière section se veut une exploration du son de l’intérieur. Ce ne sont pas tant les mouvements ou leurs successions qui sont importants ici que la manière dont le son se développe ou révèle, à travers divers états successifs, sa nature intrinsèque. Le travail de composition s’est également effectué sur le plan de la métamorphose des textures que nous avons voulue aussi discrète que possible. Ainsi, les passages d’un état à l’autre, d’une matière à une autre ont été réalisés essentiellement en fondus.

2.3.4. Les contrôleurs MIDI

30 Ce chiffre de 60 dB paraîtra petit à un lecteur spécialisé dans le domaine audio. Pourtant, il correspond à peu près à la réalité. En effet, il ne faut pas confondre d’une part les limites théoriques des systèmes de transmission et leurs limites réelles et d’autre part, la pertinence artistique d’utiliser des dynamiques de 85 dB. Cela à cause des limites de tolérance des auditeurs d’une part, mais également à cause des bruits de fond inhérents à toute salle de concert d’autre part.

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Le code de communication MIDI comprend un certain nombre de contrôleurs qui ne sont assignés à aucun paramètre en particulier. Il devient alors possible d’établir des liens entre un ordinateur et un appareil de traitement par exemple où les paramètres de ce dernier seront modifiés en fonction d’information programmée dans un logiciel approprié31. La spécificité du modèle utilisé32 réside dans la possibilité de contrôler jusqu’à cinq paramètres différents d’ajustement, comme les temps de délai ou de réverbération par exemple, de manière extrêmement fidèle (ce qui n’est pas toujours le cas dans ce genre d’appareils). Il devenait alors possible de créer des effets de réverbération dynamique (contrairement au modèle statique qui consiste à installer un espace pour une période donnée) qui soit en accord avec le déroulement temporel de l’œuvre.

De plus, comme les sons résidaient tous dans l’échantillonneur, il était également possible de contrôler certains paramètres par des contrôleurs MIDI. Le déplacement dans un espace circulaire du rythme cité plus haut au sujet de la première section de l’œuvre, a été obtenu par l’action combinée de trois contrôleurs qui agissaient simultanément sur autant de variables: l’amplitude du signal — fort au centre en avant, plus faible sur les côtés et très faible en arrière au centre —, le filtre passe-bas — timbre riche au centre en avant, plus filtré sur les côtés et très filtré en arrière au centre — et la panoramisation — le déplacement gauche-droite-gauche33. C’est à cette condition expresse, la modification simultanée de trois paramètres, qu’a pû être obtenu autant de réalisme dans ce déplacement (il faut l’écouter au casque pour se rendre compte de sa vérité). Enfin le fait d’avoir une trace écrite de ce déplacement permet de s’en servir comme d’un modèle applicable à d’autres sons, dans des contextes et des tempi différents.

2.3.5. Les procédés cinématographiques

La composition de Éclats de voix est entièrement imprégnée de l’idée de cinéma. Déjà au niveau de l’étude des sons, comme on l’a vu plus haut, une

31 MasterTracksPro™, version 4.5 de Passport Design. 32 Lexicon 300. 33 Voir l’exemple en annexe VI du type de représentation affichée par le logiciel de séquences pour asservir des paramètres MIDI

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attention importante était accordée à leur classification selon au moins deux critères à caractère cinématographique, les plans et les espaces. Là où cette œuvre diffère des autres, c’est dans la manière de mettre à exécution ce travail sur l’espace. Ici, tous les sons étaient enregistrés sur un échantillonneur et leur agencement contrôlé par ordinateur grâce au même logiciel de séquences mentionné plus haut.

Zoom arrière (Normandeau 1992: [1], 0:50 @ 1:30)

On a un exemple très perceptible de zoom arrière dans ce passage où tous les éléments déterminants dans la reconnaissance de la localisation d’une source dans l’axe proche/lointain ont été modifiés en fonction du temps. Ainsi, les temps de réverbération, de délai, les bandes passantes de ces derniers, les filtres passe-bas, les amplitudes des sons ont tous été asservis par des contrôleurs MIDI de sorte que l’ensemble de la «scène» qui se déroulait au premier plan bascule peu à peu vers l’arrière plan pour laisser sa place à d’autres sons qui se situent dans un espace complètement différent et plus vaste.

Travelling arrière (Normandeau 1992: [1] 1:35 à 2:16)

Immédiatement après, on a un exemple de travelling arrière où un son s’éloigne dans l’espace qui vient d’être installé qui, lui, reste fixe.

Superposition de plans (Normandeau 1992: [2])

La seconde section de l’œuvre est construite autour de l’idée de fusion des plans. Très distincts au début du mouvement (3:58 à 4:45), les plans se rapprochent les uns des autres pour finir tous au même niveau (6:35).

Montage (Normandeau 1992: [3])

Les contrastes dynamiques sont directement obtenus par montage, c’est-à-dire par des coupes dans le matériau même.

Montage d’espaces (Normandeau 1992: [4])

Toute la quatrième section de l’œuvre est articulée grâce au montage. Les quatres espaces — salle (9:23); intime (10:04); pièce (10:22); extérieur (10:38) —

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créés pour celle-ci sont enchaînés abruptement les uns aux autres sans transition. On passe d’un lieu à un autre sur la simple apparition d’un son déclencheur qui fait littéralement basculer le paysage sonore.

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Plan lointain/plan rapproché (Normandeau 1992: [5], 11:25 à 11:54)

Il y a au début de cette section (la cinquième) un fondu qui installe peu à peu un paysage sonore relativement lointain, par son espace et par le fait qu’il soit filtré. Puis brusquement à 11:43, le paysage — constitué exactement de la même matière sonore — passe directement au premier plan grâce à une amplitude plus grande certes, mais également grâce à des traitements et des filtrages différents.

Changement de sens (Normandeau 1992: [5], 13:50 à 14:30)

Un son est présenté au cours de tout ce passage qui change de sens grâce au contexte dans lequel il est présenté. Au tout début du passage le son en question, présenté sur un fond de cigales et de voix, apparaît comme un crépitement de feu de bois. Puis le fond s’estompe peu à peu (14:10) pour laisser apparaître la réverbération du son qui lui fait ressembler davantage à de l’eau qui dégoutte dans une pièce très résonnante.

2.3.6. La composition et la diffusion multipiste

Éclats de voix est le résultat d’une manière de composer complètement différente de celle qui était usuelle dans nos œuvres précédentes (et qui correspond probablement à la pratique générale). Habituellement, le travail de composition sur magnétophone multipiste se déroule en deux temps: 1) travail d’enregistrement et de traitement des sources sonores sur les pistes appropriées; 2) mixage de l’œuvre en version stéréophonique. Cela implique une certaine liberté au moment de la première étape car le compositeur n’est pas obligé de spécifier dès cet instant le déroulement temporel exact et surtout les niveaux relatifs de chaque piste. C’est au moment du mixage que beaucoup de choses sont ajustées et nuancées. Qualifions, pour référence ultérieure, cette méthode de «classique».

Notre projet ici était de diffuser l’œuvre en concert à partir du multipiste en assignant chacune des pistes34 à autant de haut-parleurs. Cela implique que le son

34 Cela signifie, dans ce cas-ci, 14 pistes audio car l’œuvre a été réalisée sur un magnétophone 16 pistes. Or l’une de celles-ci est réservée au code horaire SMPTE, enregistré à fort niveau, par conséquent la piste adjacente est inutilisée à cause des risques de «coulage» que cela représente.

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enregistré sur chacune des pistes corresponde exactement à ce qui devait être entendu, puisqu’à cause de la complexité que cela représente, il était exclu qu’un mixage en concert ait lieu. Cette démarche compositionnelle modifiait singulièrement le travail en studio car il est très difficile de prévoir ce que la superposition des différentes sources sonores donnera sur le plan acoustique mais aussi, et surtout, sur le plan artistique. Un son sera enregistré à un niveau donné, le suivant également et ainsi de suite. Or il arrive parfois, souvent même, qu’au moment d’effectuer l’enregistrement de la 6ème piste par exemple, on se rende compte que l’équilibre entre les pistes déjà enregistrées est rompu. Avec la méthode «classique», il est relativement facile de pallier à cet inconvénient grâce aux réglages disponibles au moment du mixage. Mais cette solution étant exclue ici, nous n’avions d’autres choix que de refaire en tout ou en partie les passages en question.

Dans le cas précis d’Éclats de voix, la composition a été réalisée sur sept paires de pistes stéréophoniques destinées à autant de groupes de haut-parleurs. La pièce a ensuite été refaite ou plutôt, a fait l’objet d’une répartition différente pour une diffusion circulaire sur 16 haut-parleurs. Nous y reviendrons plus loin, au chapitre 3.

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3. Tangram et la composition spatiale

Tangram est le titre d’une œuvre constituée de dix sections dont cinq sont reprises de Éclats de voix. Elle est destinée à une diffusion circulaire sur un ensemble de seize haut-parleurs35.

La notion d’espace est une notion extrêmement importante en musique acousmatique puisqu’elle est apparue comme élément de langage en même temps qu’elle sur le plan historique. On peut définir l’espace en deux catégories:

«L’espace interne à l’œuvre elle-même, fixé sur le support d’enregistrement (et caractérisé par les plans de présence des différents sons, la répartition fixe ou variable des éléments sonores sur les différentes pistes, les degrés et qualités diverses de réverbération autour de ceux-ci allant jusqu’à l’absence totale), et d’autre part, l’espace externe, lié aux conditions d’écoute à chaque fois particulières de l’œuvre: acoustique du lieu d’écoute, studio ou salle; nombre, nature et disposition des haut-parleurs; utilisation ou non de filtres, de correcteurs en cours de diffusion […]» (CHION in L’espace du son,1988: 31)

Notre projet de diffusion s’intéresse à cette deuxième catégorie et plus particulièrement à l’idée de composer la diffusion spatiale de façon aussi précise que possible. La localisation des sons et leurs déplacements sont pris en charge au moment de la composition et non pas seulement au moment du concert, ce qui revient à dire qu’une partie de l’espace externe, celui qui consiste à répartir les sons sur les différents haut-parleurs, est transférée à l’espace interne. Il faut savoir, qu’à cet égard, dans la majorité des cas la diffusion des œuvres se fait à partir d’une bande stéréophonique dont l’«image» est multipliée sur les différents haut-parleurs disponibles. Il est donc impossible dans un tel dispositif de réaliser des mouvements opposés comme, par exemple, de prendre tel son qui vient de l’avant et de le déplacer vers l’arrière alors qu’un deuxième son ferait le mouvement inverse. C’est ce genre d’impossiblité qui nous a conduit naturellement à reformuler notre méthode de travail en studio.

Cette idée repose sur la constatation qu’au niveau psycho-acoustique, l’oreille est capable de déceler des éléments d’information de façon extrêmement

35 Création les 19 et 20 mai 1992 au planétarium Dow de la ville de Montréal.

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précise quant à la localisation de la source sonore. Nous formulons donc l’hypothèse qu’un mixage en acoustique naturelle, réalisé à partir d’un nombre équivalent de haut-parleurs au nombre de pistes, sera perçu beaucoup plus clairement par l’auditeur qu’un mixage réalisé électroniquement en studio. Que ce type de diffusion, même disposé frontalement, donnerait de meilleurs résultats sur le plan de la lisibilité de la polyphonie notamment. De plus, il est acquis que tous les mouvements spatiaux vont gagner à être présentés sur un tel dispositif, rendant même possibles des déplacements irréalisables autrement.

3.1. Le travail de studio

L’idée de la composition de l’espace implique que le compositeur puisse travailler en toute connaissance de cause. On ne peut se représenter la pertinence de tel ou tel mouvement qu’en l’entendant réellement (ou tout au moins sa simulation acceptable). En ce sens, nous restons tout à fait fidèle à l’esprit de l’acousmatique, cet art de support qui préconise l’interaction permanente du «faire» et de l’«entendre». Comme nous l’écrivions déjà:

L’espace n’est pas un paramètre du son aussi tangible que la hauteur ou la durée par exemple. Comme le timbre, il est plutôt un résultat, une combinaison de différents facteurs qu’un facteur en lui-même, quantifiable et mesurable.» (Normandeau in L’espace du son II1991: 113)

La simulation utilisée dans le cas de Tangram (prévue, rappelons-le, pour une diffusion circulaire) est composée de huit haut-parleurs disposés en cercle autour du poste de travail. Cette simulation reste fidèle à la disposition des haut-parleurs prévue pour la représentation en salle de Tangram. Il y aurait lieu ensuite de changer cette disposition afin de simuler d’autres dispositifs scéniques. L’essentiel de cette démonstration est d’illustrer le fait que pour obtenir des résultats valables au niveau de la composition spatiale, il nous semble nécessaire que le compositeur ait à sa disposition les outils appropriés tout au long du processus de création. Ici, en effet, la diffusion dans l’espace n’est pas une valeur ajoutée mais une partie intégrante de la démarche compositionnelle.

3.2. La diffusion en salle

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La diffusion en salle est normalement conforme à ce qui a été «écrit» sur la bande magnétique. Il n’est pas nécessaire alors de faire un mixage mais des égalisations devront généralement être apportées afin d’ajuster la musique à l’acoustique naturelle des haut-parleurs et du lieu de diffusion.

3.3. La diffusion circulaire

La diffusion de Tangram est prévue pour une diffusion circulaire sur un ensemble constitué de deux groupes de huit haut-parleurs chacun36. Chacun des huit haut-parleurs du premier groupe est considéré comme une source sonore monophonique faisant partie d’un circuit circulaire disposé autour de la salle. C’est sur ce circuit que sera distribué toute une série de configurations de déplacements allant du simple son qui se promène d’un haut-parleur à l’autre (et toutes les variations que l’on peut imaginer à ce sujet), en passant par des figures géométriques comme les triangles ou les carrés, pour finalement aboutir à une configuration de huit sources sonores simultanées37. Quant aux haut-parleurs du second groupe, ils sont divisés en deux images stéréophoniques et deux sources monophoniques, ces deux dernières étant doublées pour compléter le deuxième cercle.

36 Voir le plan de la distribution des haut-parleurs à l’annexe VIII 37 Voir à l’annexe IX les différents modèles utilisés pour Tangram

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Conclusion

Nous avons voulu, au cours de cette recherche, établir une corrélation entre d’une part, notre démarche artistique qui s’inscrit dans un cinéma pour l’oreille, c’est-à-dire dans une pratique de l’art acousmatique où le sens a autant d’importance que le son, et le langage cinématographique.

Notre travail d’analyse des procédés cinématographiques utilisés depuis quelques années dans nos œuvres antérieures et l’extrapolation que nous en avons faite dans nos œuvres récentes s’est avéré extrêmement précieux et efficace comme outils d’aide à la composition, notamment au chapitre de la classification des différents sons utilisés dans une œuvre donnée. Cela a également été particulièrement efficace dans la mise au point de modèles de déplacement du son dans l’espace puisque à partir de la prise de conscience des déplacements équivalents sur le plan de l’image, il est devenu impératif de modéliser certains d’entre eux afin de pouvoir les réutiliser facilement dans toutes sortes de situations. Ainsi, comme au cinéma, où l’opérateur n’a pas à réinventer la lentille zoom à chaque fois qu’il en a besoin, le compositeur en studio peut réutiliser certains mouvements de façon systématique et les appliquer à différentes sources sonores.

Cependant, nous nous sommes rendu compte que s’il était relativement facile de transposer dans le domaine sonore certains des procédés utilisés au cinéma, il était beaucoup plus difficile de cerner de près ce qui pouvait l’être du point de vue du langage cinématographique lui-même. En effet, d’une part la majeure partie des études écrites sur le cinéma ont été consacrées au cinéma narratif et d’autre part le fonctionnement de l’image et du son ne sont pas les mêmes sur le plan perceptif. Ces deux constats faits, il nous faut admettre que la transposition du langage cinématographique vers le langage acousmatique pose plusieurs difficultés importantes difficiles à surmonter dans le cadre spécialisé de cet ouvrage. Il y aurait lieu toutefois de songer à mettre sur pied une équipe multi-disciplinaire qui pourrait aborder les différentes questions soulevées par le biais de la perception, de la sémiologie, de la musique et des études cinématographiques. Et plus que jamais il y aurait lieu d’entamer des relations étroites avec les

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cinéastes qui pratiquent le cinéma d’animation car c’est sans doute avec eux que nous trouverions le plus d’affinités et de modes de fonctionnement semblables.

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Index

1984, 43 Berlioz, 50 Berlioz, 45 Bourges, 32 Bourges, 31 Brazil, 42 Calon, 1 Cererols, 45 Chion, 1, 50 Chion, 9, 45 Daoust, 1 DAT, 60 De Lassus, 45 De natura sonorum, 18 Dhomont, 1 Dictionnaire des bruits, 54 Disney, 13 Dulude, 54 Éclats de voix, 62, 66, 67 Fauré, 46 Fauré, 45 France, 31 Gilles, 45 Gilliam, 43 GMEB, 31 GRM, 55 Hanna-Barbara, 13 Hymnen, 42 Il était une fois l’Amérique, 38 Jeu, 36, 37, 45, 57 Jeu, 27, 57 La chambre blanche, 54 Leone, 38 Ligeti, 45, 46, 50 Magritte, 36 Matrechka, 36 Mémoires vives, 45, 48, 49, 50 Mémoires vives, 32 Mendeleïev, 9 Messe des morts, 45 Metz, 7 MIDI, 55, 62 MIDI, 56, 59, 62, 63

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Mozart, 46, 49, 50 Mozart, 45 Nattiez, 7 Ockeghem, 45 Orwell, 43 Paris, 41 Parlez-moi d’amour,, 43 Parmegiani, 18 Pérotin, 32, 42 Radio-Canada, 31 Rodin, 41 Rumeurs (Place de Ransbeck), 36 Schaeffer, 8 Schaeffer, 9 Schütz, 45 Stockhausen, 42 SYTER, 55 SYTER, 55 Tangram, 67, 68, 69 Tangram, 68 Trait, 54 Tropes, 32 Verdi, 46 Viderunt omnes, 31

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Références 1. Livres et revues 1.1. Acoustique et psychoacoustique BACKUS, J., 1970: The Acoustical Foundations of Music, New York, Norton BENADE, A., 1976: Fundamentals of Musical Acoustics, London, Oxford

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Québec

75

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par ordinateur, Alleur, Marabout CHION, M., 1983: Guide des objets sonores, Paris, INA/Buchet-Chastel CHION, M., 1991: L’art des sons fixés, Fontaine, Éditions Métamkine/Nota

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éditions de l’homme 2. Discographie CALON, C., 1990: Ligne de vie, Montréal, empreintes DIGITALes, IMED-9001-

CD DAOUST, Y., 1991: Anecdotes, Montréal, empreintes DIGITALes, IMED-9106-

CD DHOMONT, F., 1991: Mouvances~Métaphores, Montréal, empreintes

DIGITALes, IMED-9107/08-CD COLLECTIF, 1990: Électro clips, Montréal, empreintes DIGITALes, IMED-

9004-CD NORMANDEAU, R., 1990: Lieux inouïs, Montréal, empreintes DIGITALes,

IMED-9002-CD PARMEGIANI, B., : De natura sonorum, Paris, INA-GRM, INA C 3001

xiii

Annexe I: Documentation sonore fournie

Normandeau, R., 1990a: «Jeu», Lieux inouïs, Montréal empreintes DIGITALes (IMED-9002-CD)

Normandeau, R., 1990a: «Mémoires Vives», Lieux inouïs, Montréal empreintes DIGITALes (IMED-9002-CD)

Normandeau, R., 1992: «Éclats de voix», Doctorat , Index 1 à 5, cassette DAT inédite

xiv

Annexe II: Notes de programme

a) Note de programme d’Éclats de voix

b) Note de programme de Jeu

c) Note de programme de Mémoires vives

d) Note de programme de Tangram

xv

Éclats de voix

1991, 14:50

Acousmatique

Dédiée à Martine Blain, pour la voix qu’elle a fait naître

Éclats de voix. J’ai choisi ce titre d’abord pour le sens premier qui lui est rattaché: l’éclatement de la voix en petits morceaux. En très petits morceaux en fait, microscopiques même. Puis, en second lieu, éclats de voix pour le sens second, celui de la colère, celle des jeunes enfants qui apparaît et disparaît très soudainement, comme une tornade. Il s’agissait de fouiller l’énergie contenue dans la voix d’une enfant de 11 ans, Marie-Hélène Blain, qui a bien voulu se prêter au jeu de l’enregistrement de plusieurs dizaines de sons extraits du Dictionnaire des bruits de Jean-Claude Trait et Yvon Dulude.

Des éclats par dizaines qui s’envolent, s’écrasent, se déplacent, font semblant, tournent en rond, repartent, se sculptent, se dessinent, se colorent, s’entrechoquent, virevoltent, naissent et meurent.

Des éclats qui sont autant de manifestations de cette voix qui contient tant de germes insoupçonnés de l’inouï. De moi autant que de l’enfant, surprise de s’entendre si multiple et si diversifiée.

L’œuvre est divisée en cinq sections qui représentent autant d’«états» de l’enfance associés à des paramètres sonores: le jeu et le rythme, la tendresse et le timbre, la colère et la dynamique, la tristesse et l’espace et enfin, la joie et la texture. Ces différentes parties peuvent être présentées les unes à la suite des autres dans la version concert ou, en version radiophonique, séparément.

Éclats de voix a été composée à l’été 1991 dans mon studio personnel. Certains sons avaient été réalisés sur le système SYTER du Groupe de recherches musicales de Paris à l’été 1990. D’autres sons avaient été créés pour Bédé, un électro clip commandé et endisqué par la compagnie de disques montréalaise empreintes DIGITALes à l’été 1990 également. La bande maîtresse a été réalisée au Banff Centre for the Arts avec l’aide de Kevin Elliot.

xvi

L’œuvre existe en deux versions: la première, sur bande stéréophonique, est destinée à la diffusion acousmatique sur orchestre de haut-parleurs; la seconde, sur bande seize pistes, est destinée à une diffusion multipiste sur autant d’enceintes acoustiques que la bande comporte de pistes. Il s’agit de la première d’un cycle d’œuvres destinées à ce type de présentation où la diffusion est composée en studio au même titre que les autres paramètres du son.

Éclats de voix est une commande de l’émission Sons d’esprit de CKUT-MF à Montréal réalisée grâce à l’aide financière du Conseil des arts du Canada. Elle a remporté le 1er prix du jury et le prix du public ex-æquo au 2ème concours international Noroit-Léonce PETITOT (Arras, France, 1991) et sera publiée sur disque compact au cours de 1992.

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Jeu

1989, 23:55

Acousmatique en cinq sections: Les règles du jeu; Mouvements d’un mécanisme; Ce qui sert à jouer; Les manières de jouer; Les plaisirs du jeu.

Cette pièce est une variation autour du mot «jeu» tel qu’on l’utilise dans la langue française. Les différentes acceptions du mot et les différentes expressions qui intègrent ont été en quelque sorte «sonorisées», tant au sens propre qu’au sens figuré. Il s’agit en fait d’un «cinéma pour l’oreille», où une histoire sonore abstraite est racontée à l’aide de quelques incursions du côté d’un certain réalisme.

La règle du jeu. Jeux du cirque, du stade. Jeux d’adresse. Jeu de massacre. Jeux de société. Être hors-jeu. Mettre en jeu la vie d’un homme. Aimer le jeu. Se ruiner au jeu. Faites vos jeux. Les jeux sont faits, rien ne va plus. Le jeu d’un verrou, d’un ressort. Donner du jeu à une fenêtre, à un tiroir. Jeux de quilles, de boules. Avoir beau jeu. Cacher son jeu. Le grand jeu. Jeux d’orgue. Jouer prudent. Jouer dangereux. Jouer double-jeu. Un jeu brillant, nuancé. Des indications de jeu. Jeux de mains, jeux de vilains. Jeux de prince. Jeux de l’imagination, de l’esprit. Jeux de mots. Un jeu d’enfant.

Jeu a été réalisée en 1988 et 1989 au studio du GMEB et au studio de l’Université de Montréal (assistant au mixage: Alain Roy) et créée au festival Synthèse à Bourges le 8 juin 1989. C’est une commande du Groupe de musique expérimentale de Bourges (GMEB). Le séjour en France avait été rendu possible grâce au Conseil des arts du Canada et au ministère des Affaires culturelles du Québec. Remerciements aux guitaristes, percussionnistes et accordéonistes du métro de Paris, à Karlheinz Stockhausen (citation de Hymnen), à Pérotin (pour son Viderunt Omnes) et à tout le personnel du GMEB. Jeu a obtenu une Mention honorable au 11ème Concours international Luigi-Russolo (Varese, Italie, 1989).

© Normandeau, 1989 / SOCAN

Œuvre éditée par YMX MéDIA (SOCAN)

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Mémoires vives

1989, 15:50

Acousmatique

Mémoires … La fascination depuis toujours pour les musiques de requiem. Non pas tant pour le texte d’ailleurs, auquel je n’adhère pas, que pour un certain esprit, une certaine profondeur. Le sujet même en impose et les compositeurs y ont souvent livré le meilleur d’eux-mêmes. Aussi ai-je refait le parcours qui, de la messe grégorienne des morts passe par Ockeghem, De Lassus, Cererols, Mozart et Berlioz pour nous conduire jusqu’à Fauré, Ligeti et Chion. Vous en apercevrez les traces tout au long de ma pièce, comme une sorte d’hommage à des gens que je ne connais pas mais qui me parlent toujours à travers leurs musiques.

… vives. Ces musiques font toutes partie de moi, c’est moi qui, à la limite, à une autre époque, dans un autre lieu, les ai composées. Je l’avais oublié certes, mais les images remontent peu à peu. Alors je me sers de mes instruments électroacoustiques pour réinventer le rituel et je glisse ça et là des choses dont je prétends être l’auteur. Mais la mémoire qui me revient est si forte que parfois, vraiment, j’en doute. Les sonorités me glissent entre les doigts et se retrouvent entre elles, s’amalgament pour former une suite qui atteint à une certaine cohérence, sans me donner le sentiment que j’en suis le maître d’oeuvre. Alors je lui donne un nom en imaginant que cela suffit pour en revendiquer la paternité…

Le titre de la pièce fait également allusion à la «mémoire vive» d’un ordinateur qui est cette mémoire volatile où l’information ne demeure que temporairement. L’œuvre a été réalisée en majeure partie à l’aide d’outils informatiques et uniquement à partir de matériaux sonores extraits de requiem.

La présente version de Mémoires vives a été entièrement retravaillée à l’été 1989 et en janvier 1990 au studio de la faculté de musique de l’Université de Montréal. Elle avait été créée le 9 mars 1989 à la salle Claude-Champagne de Montréal, dans la série de concerts C’était des Événements du Neuf. Mémoires vives est une commande des Événements du Neuf réalisée grâce à l’aide du

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Conseil des arts du Canada. L’œuvre a remporté le 2ème prix au 12ème concours international Luigi Russolo (Varese, Italie) en 1990.

© Normandeau, 1989 / SOCAN

Œuvre éditée par YMX MéDIA (SOCAN)

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Tangram

1992, 60:00 (extrait: 10:00)

Long métrage sonore

Tangram est le nom d’un jeu chinois constitué de sept pièces de bois aux formes géométriques simples. Le jeu consiste à tenter soit de reproduire des figures qui sont proposées dans le guide du jeu, soit de créer de nouvelles images. La quantité (plus de 800) et la qualité de ces formes sont très impressionnantes et suggèrent à l’évidence une métaphore puissante à un artiste qui pratique un art de transformation comme l’électroacoustique ou l’infographie. En effet, l’étonnante diversité des formes naturelles réalisables grâce à quelques objets simples permet de diriger la recherche dans certaines directions spécifiques là où le «tout est possible» donne parfois le vertige.

Le travail de réalisation artistique présenté ici s’inspire de l’esprit de ce jeu, plutôt que de la lettre. Cela consiste à fabriquer une série d’associations entre des éléments simples qui se combinent de la sorte en formant des structures complexes — les figures suggérées — mais toujours reconnaissables, notamment à cause de la représentation figurative. Cette démarche s’inscrit dans un travail de «cinéma pour l’oreille» entrepris depuis quelques années.

La composition de l’œuvre a été faite en fonction d’une présentation sur quatorze voies indépendantes correspondant à un orchestre de seize haut-parleurs disposés dans une salle circulaire. Il nous apparaît aujourd’hui inconcevable de présenter des musiques acousmatiques sans le support de ce type de dispositif et d’une diffusion adéquate. La spécificité de ce projet réside dans la relation entre le travail de composition et la présentation en salle. En effet, le principe retenu pour la présentation en concert est d’utiliser autant de diffuseurs (haut-parleurs) que de sources (pistes d’enregistrement). Ce procédé, pour être efficace, doit faire partie intégrante du processus de composition. Il a donc fallu, tout au long de ce processus de composition, utiliser un système de huit haut-parleurs — compromis acceptable car ils représentent en quelque sorte la moitié des pistes audio disponibles — et un magnétophone 16 pistes.

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Tangram est constituée de dix sections dont cinq sont empruntées à Éclats de voix (ces dernières — soit les sections paires — ont cependant été «recomposées» pour la diffusion circulaire à 16 haut-parleurs):

1. Ouverture éclair; 2. Jeu/rythme; 3. Printemps; 4. Tendresse/timbre; 5. Été; 6. Colère/dynamique; 7. Automne; 8. Tristesse/espace; 9. Hiver; 10. Joie/texture.

Tangram a été composée entre 1989 et 1992. Certains sons proviennent de Tropes une œuvre commandée par l’émission Radio-concerts de Radio-Canada FM dans le cadre des événements entourant le 200ème anniversaire de la mort de Mozart. D’autres sons ont été enregistrés au musée d’instruments ethniques du département d’ethnomusicologie de la Faculté de musique de l’Université de Montréal.

Créée les 19 et 20 mai 1992 au planétarium de Montréal dans le cadre des festivités entourant le 350ème anniversaire de Montréal. La composition de l’œuvre a été possible grâce à l’aide financière du Conseil des arts du Canada et du ministère des Affaires culturelles du Québec.

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Annexe III: Partitions d’écoute

a) La partition d’écoute de Éclats de voix

b) La partition d’écoute de Jeu

c) La partition d’écoute de Mémoires vives

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Annexe IV: Autres œuvres composées au cours du doctorat

a) Paysages sonores de Charlevoix

b) La règle du jeu

c) L’univers

d) Partage de la science

e) Tropes

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Paysages sonores de Charlevoix

1988 (40:00)

Paysages sonores composés pour une série de treize émissions réalisées par André Corriveau et diffusées à Radio-Canada FM au cours de l’été 1988. Certains sons ont été réutilisés dans Jeu.

La règle du jeu

1988 (15:00)

Musique électroacoustique en direct commandée par le pianiste Jacques Drouin pour un ensemble de trois musiciens utilisant des contrôleurs MIDI. Cette œuvre a été présentée dans un concert intitulé Horizones le 16 décembre 1988. L’œuvre a été jouée à deux reprises par la suite.

L’univers

1990 (40:00)

Musique composée pour une série de treize émissions sur l’histoire de l’univers réalisées par André Corriveau et diffusées à Radio-Canada FM au cours de l’été 1990.

Partage de la science

1990-91 (3:00)

Thèmes d’ouverture et de fermeture composés pour une série de cinquante deux émissions sur la science réalisées par André Corriveau et diffusées à Radio-Canada FM au cours des saisons 1990-91 et 1991-92.

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Tropes

1991 (12:00)

Le trope est l’ajout soit de mots — le trope logogène —, soit de mélismes — le trope mélogène. Dans le premier cas, il peut s’agir d’un trope d’adaptation qui consiste à ajouter des mots sur des mélismes déjà existants, trop difficiles à mémoriser, alors que dans le second cas, il peut s’agir d’un trope d’interpolation — ajout de quelque chose à l’intérieur de ce qui existe déjà — ou d’un trope d’encadrement — véritable création inédite. À ces définitions, qui correspondent à la pratique du Moyen-Âge, il faudra désormais ajouter le trope «morphogène», celui par lequel la morphologie de l’œuvre est transformée grâce aux techniques typiques de l’art acousmatique.

Ici, l’œuvre modifiée est celle de Mozart, et plus particulièrement sa musique de chambre. Ainsi, tous les sons de cette œuvre proviennent uniquement de sa musique pour cordes, vents, piano et voix. Les sonorités des instruments d’origine sont métamorphosées de manière à les rendre «irréalistes» notamment par des procédés de transformation temporelle. Ainsi, les sons de voix sont allongés au-delà des possibilités du souffle humain et la virtuosité générale de l’œuvre dépasse celle des meilleurs solistes actuels rendant caduque, par le fait même, toute velléité de comparaison.

J’ai cherché à extraire ce qui m’apparaît contemporain dans son œuvre, ce qui a abouti aujourd’hui à des développements insoupçonnés à son époque. S’il est en effet souhaitable de «lire» Mozart avec des yeux d’aujourd’hui, donc d’en proposer une interprétation actuelle, il est également possible d’y percevoir l’histoire ultérieure de la musique, en partie tout au moins.

Tropes est une commande de l’émission Radio-concert de Radio-Canada MF. Elle a été créée lors d’un concert radiodiffusé, Mozart l’intimiste, le 3 décembre 1991 à Ottawa (Canada). Remerciements à l’équipe de Radio-Concert.

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Annexe V: Classification des sons d’Éclats de voix

Annexe VI: Contrôleurs MIDI du logiciel de séquence pour Éclats de voix

Annexe VII: Formes géométriques du Tangram

Annexe VIII: Schéma de distribution des haut-parleurs pour Tangram

Annexe IX: Modèles de déplacement mis au point pour Tangram

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Curriculum vitæ

Naissance à Québec (Canada) le 11 mars 1955 DIPLÔMES 1988 • Études de doctorat en composition électroacoustique à l’Université de Montréal • Maîtrise en musique (composition électroacoustique) à l’Université de Montréal sous

la direction de Marcelle Deschênes et Francis Dhomont 1984 • Baccalauréat en musique (composition électroacoustique) à l’Université Laval

(Québec) 1981 • Diplôme d’études collégiales (musique) au Cégep de Sainte-Foy (Québec) BOURSES D’ÉTUDES 1991 • Fonds Les amis de l’art (Université de Montréal) 1990 • Fonds Les amis de l’art (Université de Montréal) 1989 • Bourse de doctorat de la Fondation Desjardins 1988-91 • Bourse de doctorat du fonds FCAR 1988 • Fonds Les amis de l’art (Université de Montréal) 1987 • Bourse de maîtrise de la Fondation Desjardins • Fonds Les amis de l’art (Université de Montréal) 1986-87 • Bourse de maîtrise du fonds FCAR 1986 • Fonds Les amis de l’art (Université de Montréal) PUBLICATIONS 1992 • «Un cinéma pour l’oreille?», Circuits no 5 , Montréal, novembre 1992 1991 • «L’espace en soi», L’espace du son no 2, Lien, Ohain (Belgique) • «L’espace en soi», Intervention sonore, Québec, 1991 • «Spatialisation et mixage en acoustique naturelle», Guide >>perspectives->-> des

journées électroacoustiques de la Communauté électroacoustique canadienne (CEC), Montréal, 1991

1990 • «Que cache l’acousmatique?», Vous avez dit acousmatique?, Lien, Ohain (Belgique), 1991

1989 • «Un cinéma pour l’oreille», Guide >convergence< des journées électroacoustiques de la Communauté électroacoustique canadienne (CEC), Banff, 1989

RECHERCHE 1990-93 • Assistant de recherche en électroacoustique au Groupe de recherche en arts

médiatiques (GRAM) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) PRIX DE COMPOSITION 1991 • 1er prix du jury et prix du public ex-æquo pour «Éclats de voix» au 2ème concours

international Noroit-Léonce Petitot (Arras, France) 1990 • 2ème prix pour «Mémoires vives» au 12ème concours international Luigi Russolo

(Varese, Italie) • Recommandation du jury pour «Mémoires vives» présentée par Radio-Canada, à la

3ème Tribune internationale de musique électroacoustique (Oslo, Norvège) 1989 • Mention honorable pour «Jeu» au 11ème concours international Luigi Russolo

(Varese, Italie) 1988 • 2ème prix de la catégorie électroacoustique pour «Rumeurs (Place de Ransbeck)» au

XVIème concours international de Bourges (France) • Mention dans la catégorie musique à programme pour «La chambre blanche» au

XVIème concours international de Bourges 1987 • Mention spéciale pour «La chambre blanche» au 2ème concours international

Phonurgia-Nova (Arles, France)

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1986 • Prix du Studio Métamorphoses d’Orphée (Ohain, Belgique) pour «Matrechka» au 1er concours international Phonurgia-Nova (Arles, France)

• Prix de la Fédération nationale de musique électroacoustique de France et mention pour «Matrechka» au 14ème concours international de Bourges (France)

BOURSES PROFESSIONNELLES 1992 • Commande du Musée d’art contemporain de Montréal pour le concert d’inauguration

du nouvel immeuble en mai 1992 1991 • Commande de Radio-Canada pour «Tropes», une œuvre créée dans le cadre du

200ème anniversaire de la mort de Mozart • Commande de CKUT-FM (Montréal) avec l’aide du Conseil des arts du Canada pour

«Éclats de voix» • Bourse «B» du Conseil des arts du Canada pour la composition de «Tangram» • Bourse «B» du ministère des Affaires culturelles du Québec pour la réalisation

multimédia de «Tangram» 1990 • Bourse de projet du Conseil des arts du Canada 1989 • Bourse du Conseil des arts du Canada pour l’enregistrement d’un disque compact

solo «Lieux inouïs» • Bourse de projet du ministère des Affaires culturelles du Québec 1988 • Commande du Groupe de musique expérimentale de Bourges (France) pour «Jeu» • Commande des Événements du Neuf avec l’aide du Conseil des arts du Canada pour

«Mémoires vives» • Commande du pianiste Jacques Drouin avec l’aide du Conseil des arts du Canada

pour une oeuvre électroacoustique en direct «La règle du jeu» • Bourse Accessibilité du ministère des Affaires culturelles du Québec pour la

réalisation de «Jeu» • Bourse de voyage du Conseil des arts du Canada 1987 • Bourse Accessibilité du ministère des Affaires culturelles du Québec pour la

réalisation de «Rumeurs (Place de Ransbeck)» 1986 • Bourse CAPAC-Université de Montréal 1985 • Bourse Explorations du Conseil des arts du Canada STAGES ET INVITATIONS 1992 • Compositeur en résidence au Banff Centre (Canada) à l’hiver 1992 1990 • Compositeur stagiaire au stage SYTER du GRM de Paris (France) 1989 • Compositeur en résidence au Banff Centre (Canada) à l’automne 1989 1988 • Séjour au Groupe de musique expérimentale de Bourges (France) pour «Jeu» 1987 • Invitation du Studio Métamorphoses d’Orphée (Belgique) pour la réalisation de

«Rumeurs (Place de Ransbeck)» 1986 • Stagiaire de la 1ère Université d’été de la radio en Arles (France) auprès de Jacques

Diennet (GMEM), Francis Dhomont (Université de Montréal) et Philippe Mion (GRM)

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DISQUES 1991 • «Éclats de voix», Les lauréats du concours Noroit-Léonce Petitot (Nor 2) 1990 • Lieux inouïs, un disque compact solo incluant «Matrechka», «Rumeurs (Place de

Ransbeck)», «Jeu» et «Mémoires vives», empreintes DIGITALes (IMED-9002-CD) • Anthologie de musique électroacoustique canadienne , Radio-Canada International,

un coffret de quatre disques compacts incluant «Matrechka» (ACM 37 CD 1-4) • «Bédé», Électro clips, empreintes DIGITALes (IMED-9004-CD) 1989 • «Rumeurs (Place de Ransbeck)», Cultures électroniques 3, Le chant du monde (LDC

278046/47) ASSOCIATIONS ARTISTIQUES Association de musique actuelle de Québec (AMAQ) 1983-84 • Membre du comité de programmation 1983-84 • Membre du conseil d’administration Association pour la création et la recherche électroacoustiques du Québec (ACREQ) 1989-92 • Responsable artistique de la série Clair de terre 1988-90 • Secrétaire et coordonnateur de production 1986-91 • Membre du conseil d’administration Communauté électroacoustique canadienne (CEC) 1991 • Participant des Journées électroacoustiques >>perspectives->-> de Montréal 1989 • Participant des Journées électroacoustiques >convergence< de Banff 1988 • Membre du comité organisateur des Journées électroacoustiques Diffusion! de

Toronto 1987 • Membre du comité organisateur de la conférence/festival 2001(-14) tenue à Montréal 1986 • Membre fondateur Réseaux des arts médiatiques 1991 • Fondateur et responsable artistique ENSEIGNEMENT 1988-… • Chargé de cours en acoustique musicale, en psychoacoustique et en électroacoustique

à la faculté de musique de l’Université de Montréal 1986-89 • Responsable d’ateliers d’initiation à l’électroacoustique et à la programmation du

synthétiseur numérique Yamaha DX7 au service d’animation culturelle de l’Université de Montréal

1985-90 • Auxiliaire d’enseignement en acoustique musicale et en électroacoustique à la faculté de musique de l’Université de Montréal