Ph-D thesis: Coalition Governments and Presidential Regimes, The Southern Cone Experience (in...

478
UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE PARIS 3 UNIVERSIDAD DE LA REPÚBLICA/ UNIVERSIDAD DE CHILE Thèse pour le doctorat en Science Politique Elaborée en cotutelle entre : l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine; l’Universidad de la República, Instituto de Ciencias Políticas (Uruguay); l’Universidad de Chile, Facultad de Ciencias Sociales (Chili) Soutenue par : Adrián ALBALA COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET SYSTEME PRÉSIDENTIEL Les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay (1989- 2010). Jury : Mme Stéphanie ALENDA, Maître de conférences, Universidad de Chile (Chili), Co-Directrice de recherches. M. Nicolas BUE, Maître de conférences, Université de Nice -Sofia Antipolis. M. Georges COUFFIGNAL, Professeur des universités, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3, Directeur de recherches. M. Olivier DABENE, Professeur des universités, Sciences Po Paris. M. Olivier IHL, Professeur des universités, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, Rapporteur. M. Jorge LANZARO, Professeur à l'Universidad de la República (Uruguay), Co-Directeur de recherches. M. Josep Maria RENIU, Professeur à l'Universitat de Barcelona (Espagne), Rapporteur.

Transcript of Ph-D thesis: Coalition Governments and Presidential Regimes, The Southern Cone Experience (in...

UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE PARIS 3

UNIVERSIDAD DE LA REPÚBLICA/ UNIVERSIDAD DE

CHILE

Thèse pour le doctorat en Science Politique Elaborée en cotutelle entre :

l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine;

l’Universidad de la República, Instituto de Ciencias Políticas (Uruguay);

l’Universidad de Chile, Facultad de Ciencias Sociales (Chili)

Soutenue par :

Adrián ALBALA

COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET

SYSTEME PRÉSIDENTIEL

Les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay (1989- 2010).

Jury :

Mme Stéphanie ALENDA, Maître de conférences, Universidad de Chile (Chili), Co-Directrice de

recherches.

M. Nicolas BUE, Maître de conférences, Université de Nice -Sofia Antipolis.

M. Georges COUFFIGNAL, Professeur des universités, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3,

Directeur de recherches.

M. Olivier DABENE, Professeur des universités, Sciences Po Paris.

M. Olivier IHL, Professeur des universités, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, Rapporteur.

M. Jorge LANZARO, Professeur à l'Universidad de la República (Uruguay), Co-Directeur de

recherches.

M. Josep Maria RENIU, Professeur à l'Universitat de Barcelona (Espagne), Rapporteur.

Résumé

Bien que la littérature française n’ait presque pas abordé le sujet, les théories des coalitions ont

constitué, dans la littérature dite “mainstream”, un des principaux champs d’étude en science politique, ces

deux dernières décennies. Appliquées à l’analyse de gouvernements, ces études ont permis de développer un

ensemble de connaissances théoriques et des outils d’analyse quant à l’étude des processus liés à la

formation, le maintien et la conclusion de ce type de gouvernements.

Toutefois, le fait que la plupart des politistes ayant contribués à l’expansion de ces théories proviennent

d’Europe Occidentale, ces études se sont alors -pour leur majeure partie- concentrées à l’analyse des

coalitions gouvernementales suivant les particularismes de leur région d’origine : les systèmes

parlementaires d’Europe Occidentale. L’étude du phénomène en régime présidentiel, longtemps considéré

comme accidentel du fait de la supposée « combinaison indésirable » entre présidentialisme et

multipartisme, est de ce fait demeurée limitée. Ceci conduit à ce que, jusqu’à présent, la littérature en

science politique ne dispose que d’un faible niveau de connaissance quant à la manifestation des coalitions

gouvernementales sous la configuration présidentielle.

Cette thèse se propose donc de combler cette lacune ontologique, en centrant l’analyse sur les

particularités structurelles des systèmes présidentiels, tout en faisant le lien avec les théories les plus

récentes issues de la littérature portant sur les systèmes parlementaires. En se basant sur les trois pays du

Cône Sud, et l’analyse de huit gouvernements récents de coalition qui ont connus différentes fortunes, cette

thèse viendra insister sur l’impact de la configuration présidentielle quant à la formation et la gestion des

gouvernements de coalition. Cette « présidentialisation » de la théorie des coalitions, va ainsi mettre en

avant deux éléments généraux propres à la matérialisation du phénomène coalitionnaire en régime

présidentiel : la récurrence de la formation de coalitions électorales, et la tendance à la bipolarité de la

compétition politique.

Mots clés : Système de partis, Coalitions gouvernementales, Système présidentiel, clivages,

temporalité politique

Abstract

Coalition theories applied to governments developed during the last decades a huge literature so as to

provide theoretical knowledge and tools for the analysis of formation, maintain and breakdown of this kind

of governments. Nevertheless, these studies were focused especially on parliamentary systems and left away

the study of this phenomenon on presidential regimes. On another hand, coalition governments used to be

considered, otherwise, in these systems as an “undesirable combination”, or analysed as a functional trend

rather than the proper object of investigation. This approach conducts, then to a very low level of knowledge

of the coalition phenomenon under presidential configuration.

This thesis, proposes thus to fill this analytical gap, aiming to apply and compare recent findings and

approaches from parliamentary origins to presidential systems. Through the study of the three countries

forming the American Southern Cone, and eight recent governments of coalition with different successes we

will stress out the differentiated role and mechanisms of timing cleavages and party structuration, proper to

presidential systems. We will therefore “presidentialise” the theory, and show that the presidential

framework presents general peculiarities like a recurrent pre-electoral coalition formation, and a trend to

the bipolarity of party competition.

Keywords: Party Systems, Governmental Coalitions, Presidentialism, Cleavages, Political Timing

Remerciements

Cette thèse et son déroulement original, en tri-tutelle, n’aurait jamais pu voir le jour sans le soutien et

l’appui constant de mon directeur de thèse « originel », Georges Couffignal. Le professeur Couffignal a joué

un rôle central dans le déroulement de ma pensée et dans l’identification de l’objet de recherche et des

interrogations attenantes. Ce sont ses commentaires et ses questionnements qui m’ont conduit à considérer et

à m’intéresser à l’objet même de cette thèse : les coalitions gouvernementales en régime présidentiel, et à

identifier les problématiques attenantes. Il m’a en outre constamment incité à participer à des séminaires et

autres congrès internationaux afin que je puisse entrer en contact avec différents chercheurs spécialistes de

l’Amérique latine, et confronter mes recherches avec eux. Enfin, afin que je ne m’éparpille pas trop, il a su

me recadrer très aimablement, mais non sans raison, lorsqu’il considérait que je perdais du temps dans des

recherches « sans fin ». C’est donc tout naturellement que je souhaiterais le remercier pour sa clairvoyance

et sa patience.

Par ailleurs, la réalisation de cette « tri-tutelle » a été rendue possible grâce à la compétence et la

disponibilité de mes deux directeurs latino-américains : Jorge Lanzaro, pour l’Universidad de la República à

Montevideo, et Stéphanie Alenda pour l’Universidad de Chile, à Santiago. Les nombreux séjours que j’ai

réalisés en Uruguay et les contacts que j’ai pu y faire m’ont grandement facilité la tâche. De même, sa

connaissance du sujet, puisqu’il est le précurseur des études sur les coalitions politiques en Amérique latine,

m’a conduit à cerner de près l’avancée bibliographique et empirique de ce phénomène politique, et surtout à

cerner précisément la problématique des coalitions dans la région et les moyens de les étudier. Enfin, sans

l’aide et l’efficacité de Stéphanie Alenda, je n’aurais tout simplement pas pu réaliser mon terrain d’étude,

puisque la cotutelle avec l’Universidad de Chile m’a permis d’obtenir une bourse auprès de l’EGIDE, dans

le cadre du collège doctoral franco-chilien. Stéphanie Alenda a été très présente notamment lors de mon

séjour au Chili, en m’apportant son point de vue sur l’avancée de mes travaux, ainsi qu’en m’incluant dans

diverses présentations auprès de l’Universidad de Chile et d’autres universités chiliennes.

Les recherches sur le terrain ont été facilitées par la grande disponibilité de certains politistes et amis

argentins, chiliens et uruguayens. Je tiens à remercier tout particulièrement Federico Irazábal (Uruguay) et

María Mathilde Ollier (Argentine), pour m’avoir ouvert leurs portes (dans tous les sens du terme) et m’avoir

aidé dans la recherche empirique. Leur aide est inestimable. Les hommes politiques que j’ai pu rencontrer et

interroger, ont pratiquement tous montré une « chaleur » humaine et un intérêt non dissimulé pour mes

travaux. Je tenais tout particulièrement à remercier Alberto Volonté (Uruguay), Dante Caputo (Argentine) et

Gonzalo Martner (Chili) pour le temps qu’ils m’ont consacré et les réflexions que nous avons pu construire

ensemble.

De même, la combinaison des données empiriques avec la théorie n’aurait été la même sans les précieux

apports tirés de discussions formelles et informelles, réalisées avec des personnes aussi intéressées que

brillantes. Je remercie particulièrement Juan et Rocío Linz pour leur gentillesse et les heures passées

ensemble. Je ne saurais oublier les discussions infinies avec Jordi Matas, Germán Bidegain, José María

Bidegain, Alejandro Olivares et Fernando Pedrosa, sur ces thèmes des relations politiques et accords

politiques, et leurs exceptionnelles contributions intellectuelles.

Enfin, last but not least, la vie d’un doctorant est faite de hauts et de bas, et est souvent marquée par la

conjoncture et les événements. Ces cinq années de thèse, et surtout la dernière année, ont été marquées par

divers événements particulièrement décourageants. Le soutien inconditionnel de Paula, Tokichen, Mabel, et

Bernardo, a été fondamental. Je souhaiterais, à ce titre, remercier tout particulièrement Abigail pour sa

présence et ses mots justes, qui m’ont permis de mener cette thèse à bon port, tout en restant en bonne santé.

Sommaire

INTRODUCTION ............................................................................................................................................................ 8

PREMIERE PARTIE : « COALITION THEORIES », (DE)CONSTRUCTION THEORIQUE ET

CONCEPTUELLE .......................................................................................................................................................... 38

CHAPITRE 1 : RECONSIDERATION DES COALITION THEORIES ET DE LEUR ADAPTATION EN REGIME PRESIDENTIEL. ....... 41

CHAPITRE 2: LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE PAR LES INSTITUTIONS ......................................... 99

SECONDE PARTIE : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE MULTIVARIEE .......... 161

CHAPITRE 3 : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET LA THEORIE DES CLIVAGES. ................................................... 165

CHAPITRE 4 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET « CYCLE PRESIDENTIEL ». ......................................................... 234

TROISIEME PARTIE : LES COALITIONS GOUVERNEMENTALES COMME SOUS-SYSTEME

PARTISAN ? ................................................................................................................................................................ 273

CHAPITRE 5 : STRUCTURATION PARTISANE ET CONNEXITE INTERNE AUX COALITIONS. ............................................. 276

CHAPITRE 6 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES EN SYSTEME PRESIDENTIEL : CONGRUENCE PARTISANE ET REDDITION

DE COMPTES. .............................................................................................................................................................. 333

CONCLUSION : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION DANS LE CONE SUD, 25 ANS

D’EXPERIMENTATIONS ......................................................................................................................................... 394

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................................... 404

ANNEXES……………………………………………………………………………………………………………..460

TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………………………………….478

A Juan Carlos, Margarita et Paula

8

Introduction

“Por lo menos medicucho usted no se esfuerza; por lo menos no conozco sus miedos,

no lo he escuchado mentirse, no lo he oído contar cien veces la misma aventura

Juan Carlos Onetti, La vida breve

La décennie 1980-1990 a vu l’ensemble de l’Amérique latine -à l’exception de Cuba- opérer une

transition à la démocratie1, dans le cadre plus global de la « troisième vague » de démocratisation

décrite par Huntington2. Jamais, depuis l’indépendance de la région, autant de pays latino-

américains n’avaient observé simultanément des processus similaires de sélection des gouvernants

et d’exercice du pouvoir. Ces événements ainsi que leur consolidation ont conduit à ouvrir sur le

continent un champ d’études politiques jusque-là confiné aux démocraties occidentales. Ainsi, on

observe depuis une vingtaine d’année, une prolifération de travaux inédits portant sur les systèmes

politiques et les systèmes partisans d’Amérique latine, que ce soit au travers de nombreuses

monographies ou en politique comparée. Cependant, malgré l’hétérogénéité de ces recherches,

aussi bien sur le propre champ d’étude, que sur la méthode appliquée, ou sur son étendue, les

référents culturels et analytiques utilisés pour l’étude et la compréhension des systèmes politiques

et partisans de cet « extrême Occident3 », sont généralement empruntés aux canons européens ou

plus largement « occidentaux ». Un des exemples les plus révélateurs et significatifs, revient à la

considération généralisée des partis latino-américains, suivant les critères propres aux « partis de

masse4 », dont la capacité de mobilisation et les liens programmatiques sont des éléments centraux.

Or, si ce patron d’analyse colle bien à l’étude des partis européens (surtout d’Europe Occidentale),

son application à l’Amérique latine n’en est qu’hasardeuse5 –à quelque exception près, comme

1 Ce n’est pas le propos de cette thèse que d’entrer dans le débat autour de la conception de la démocratie et ses

variantes ou critiques. Par « démocratie » ou « ordre démocratique », nous emprunterons une définition procédurale

« classique », supposant ainsi i) la tenue d’élection libres, ouvertes et compétitives au sein d’un cadre constitutionnel

légitime ; ii) le caractère représentatif et inclusif ou « universel » de ces même élections ; enfin iii) le respect et la

garantie de droits civils, tels que la liberté d’expression et d’organisation. Voir DAHL, R., La poliarquía, Tecnos,

Madrid, 2002 [1971] ; SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973. 2 HUNTINGTON, S., The third wave: democratization in the late twentieth century, University of Oklahoma Press,

1991. A noter que Garretón conceptualise une distinction dans les démocratisations politiques d’Amérique latine entre :

1) l’inauguration démocratique propre aux pays d’Amérique centrale, 2) la transition de puis un régime autoritaire

(dictature) vers la démocratie, et implique un retour à la démocratie ; enfin 3) l’approfondissement du régime et de la

pratique démocratique dans des pays (Mexique et Colombie) de « semi-démocratie » ou démocratie restreinte. Voir

GARRETÓN, M.A., “Revisando las transiciones democráticas en América Latina”, in Nueva Sociedad. No. 148, 1997,

pp. 20-29. 3 ROUQUIÉ, A., Amérique latine, introduction à l’extrême Occident, Paris, Seuil, 1987.

4 D’après les typologies de DUVERGER, M., Les partis politiques, Paris, Seuil, 1981 [1951] ; et PANEBIANCO, A.,

Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988. 5 Voir ABAL MEDINA, J., “Elementos teóricos para el análisis contemporáneo de los partidos políticos: un

reordenamiento del campo semántico”, in CAVAROZZI, M. et ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los

partidos latinoamericanos en la era neoliberal, Homo Sapiens Editorial, Rosário, 2003, pp 33-55.

9

celle du Chili notamment. Cet écueil génère non seulement une analyse faussée des systèmes de

partis, notamment dans l’étude des relations entre élites partisanes et « clientèles » électorales1,

mais entraîne surtout des erreurs méthodologiques et heuristiques en termes de typologisation et

alignements politiques2.

Il est, à l’inverse, quelques champs d’études « traditionnels » des systèmes politiques européens

qui demeurent encore trop partiellement explorés au niveau latino-américain. L’étude des coalitions

gouvernementales3 en fait partie. Ainsi, bien que Nicolas Bué et Fabien Desage aient relevé que

« […] l’étude des coalitions de gouvernements constitue l’un des domaines les plus actifs de la

recherche internationale en science politique, depuis une cinquantaine d’années »4, on observe que

son application demeure concentrée sur les systèmes politiques de type parlementaire propres à

l’Europe continentale5. De fait de nombreux politistes, spécialistes de l’Amérique latine

6 se sont

émus du manque notoire de travaux portant sur les coalitions gouvernementales dans la région. De

même, si on a vu apparaître quelques études ces dernières années7 (plutôt sous forme de

monographies compilées que d'analyses comparées), la qualité de la plupart de ces études fait

encore défaut8, alors même que le phénomène de coalitions gouvernementales se soit banalisé ces

1 Voir PERRINEAU P. et REYNIE D., Dictionnaire du vote, Puf, Paris, 2001.

2 Notamment quand il s’agit d’appliquer le clivage droite-gauche dans la compétition politique latino-américaine. Voir

à ce sujet, les récurrents travaux de Manuel Alcántara et son équipe Salamantine. 3 Nous utiliserons de manière indifférenciée tout au long de cette thèse le concept de “coalitions gouvernementales” ou

“gouvernements de coalition”. Pour autant nous préférons le terme de « coalition » à celui d’ « alliance »

gouvernementale, suivant la définition du dictionnaire de l’Académie française: « 1. Réunion de différents partis

politiques, ligue de plusieurs puissances militaires contre un ennemi commun. » et 2. « Entente momentanée conclue

entre des personnes, des institutions, etc., en vue d'un but commun ». Si le terme d’alliance suppose une dimension

temporelle plus durable, la notion de coalition est, de fait, plus précise et suppose à la fois un but, d’où l’élaboration

d’une stratégie propre, ainsi que la désignation d’un « ennemi » ou « adversaire » commun. 4

BUÉ, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la

croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22 , No. 88, 2009, p. 11. Josep Maria Reniu ne semble pas d’accord avec cela.

Voir RENIU, JM., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en

España, 1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001. 5 Plus récemment, des travaux se sont penchés sur l’étude des coalitions municipales ou provinciales, surtout au niveau

Européen. Voir les travaux conduits par l’Université de Barcelone notamment. 6 Dans une note de bas de page de leur ouvrage, Scott Mainwaring et Matthew Shugart observent qu’ « [i]l est

nécessaire de réaliser davantage de recherches sur les coalitions gouvernantes en systèmes présidentiels… », in

MAINWARING S., et SHUGART M.S., « Presidencialismo y sistema de partidos en América Latina », in

MAINWARING S., et SHUGART M.S, Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires,

2002 [1997], nbp 3 p. 258 ; voir également CHASQUETTI, D., Democracia, Presidencialismo y partidos políticos en

América Latina: evaluando la “difícil combinación”, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 7 Notamment LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos

Aires, 2001a. 8 A noter, les travaux précurseurs de Grace Ivana Deheza dont la thèse de doctorat a constitué un article important du

livre de NOHLEN, D et FERNÁNDEZ, B : DEHEZA, G., « Gobiernos de coalición en el sistema presidencial:

América del Sur », NOHLEN, D. et FERNÁNDEZ, B., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político

en América Latina, Nueva Sociedad: Caracas, 1998, pp.151-170; plus récemment, le livre de José Antonio CHEIBUB,

Presidentialism, parliamentarism, and democracy, Cambridge University Press, 2006. Ce livre reste néanmoins très

théorique, s’inscrivant davantage dans la lignée du débat présidentialisme vs/ parlementarisme. Enfin dans un genre

plus positiviste, relevons ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential systems of latin America: an

inquiry into the political conditions of governability”, Thèse de doctorat non publiée, Université d’Essex, 2001.

10

dernières années. En effet, 25 gouvernements se sont formés sous un format coalisé depuis 1985 en

Amérique du Sud. Certains pays, comme le Brésil ou le Chili n’ont d’ailleurs connu que ce type de

format gouvernemental depuis le retour de la démocratie, ce qui écarte donc toute considération

« accidentelle » quant au phénomène1.

Objet de recherche : la spécif ication du « facteur présidentiel » sur la formation

des coalit ions gouvernementales en régimes présidentiels

L’objet de cette thèse consiste en une mise à jour et un approfondissement théorique des

coalition theories, via une application de l’analyse sur les mécanismes politiques propres aux

systèmes présidentiels latino-américains. Cette approche éminemment théorique suppose une

comparaison constante entre les différents systèmes de gouvernement et entre les différentes

expressions du « présidentialisme de coalition »2. Via l’analyse comparée des phénomènes de

coalitions gouvernementales au sein des trois pays du Cône Sud (l’Argentine, le Chili, et

l’Uruguay), le propos de cette investigation s’attache à déceler d’éventuelles différences

structurelles dans la formation et le comportement des coalitions gouvernementales en régimes

présidentiel par rapport à leur expression en régimes parlementaires. Autrement dit, il est ici

question de réaliser une spécification du phénomène de coalitions gouvernementales en régime

présidentiel.

L’idée consiste à établir un cadre de compréhension du développement, du fonctionnement et

du maintien de la pratique des gouvernements de coalition en régime présidentiel, au travers de

l’analyse comparée des interactions entre les coalitions gouvernementales et les systèmes politiques

qui les contiennent. Ces derniers sont entendus comme configuration des organisations et règles

établissant les relations entre pouvoirs décisionnels3. Cela passe donc, par une qualification des

différentes formations de coalitions en fonction de critères, basés entre autres, sur la propension au

dialogue inter et intra-partisan, via une étude du système institutionnel, de l'historicité politique et

du fonctionnement interne aux blocs politiques. Il ne s’agit pas pour autant de faire de cette

taxinomie l’objet même de cette recherche4.

1 A l’inverse de ce que défendaient Alfred Stepan et Cindy Skach. STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional

frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs. presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1,

1993; LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, 1994. 2 Concept initialement proposé par Sergio Abranches, hostile au principe même de coalitions en régime présidentiel et

utilisé pour identifier les « carences » du système politique brésilien. Voir ABRANCHES, S., “Presidencialismo de

coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados, Vol. 31, No. 1, 1988, pp. 5-34. 3 LAGROYE, J., FRANCOIS, B., et SAWICKI, F., Sociologie Politique, Presses de Sciences Po/ Dalloz, Paris, 2002

4 SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis politiques », in Cahiers Français, n°276, 1996, p. 51-59.

11

Dans la lignée des travaux présidentialistes1 qui postulent une « possible combinaison » entre

régime présidentiel, multipartisme et coalitions gouvernementales, nous nous intéressons ici à la

formation de gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels, et leur impact sur la sphère

politique et la « culture de gouvernement », ou « historicité gouvernementale » des sociétés

concernées. Nous porterons une attention particulière aux mécanismes de types « excluant »

présents dans ces types de régimes à l’inverse du caractère inclusif des systèmes parlementaires. En

effet, comme le soulignent de nombreux auteurs, les “options de coalitions”2 sont plus limitées au

sein des systèmes présidentiels de gouvernement, puisque le formateur (celui en charge de

« former » le gouvernement) se trouve être le président lui-même3, ce qui suppose une dimension

de proximité ou volonté4 plus limitée que ce que l’on peut observer pour les régimes parlementaires

où tous les partis peuvent, potentiellement, s’allier dans le but d’obtenir une majorité, aussi fébrile

soit-elle.

Nos recherches nous amèneront de manière plus spécifique à nous focaliser autour de trois

problématiques de recherche. Tout d’abord, l’étude des relations d’ordonnancement, de constitution

et de formation des clivages structurants5 avec la compétition politique, et leur impact sur les

« alignements » partisans. Via la reconsidération du caractère non-segmentée des sociétés du Cône

Sud, il s’agit de montrer les interactions partisanes en vigueur au sein des trois sociétés qui

constituent le terrain de cette thèse, où les lignes de division partisanes reposent sur des logiques

distinctes :’une segmentarisation non institutionnelle existe notamment sur des bases sociales et

économiques au Chili et en Uruguay, et « symboliques ou culturelles » en Argentine. Ainsi, cela

suppose d’effectuer une mise à jour des théories sur les coalitions à partir de la théorie des

1 Notamment SHUGART, M.S., et CAREY, J., Presidents and assemblies, Cambridge University Press, 1992; puis

surtout NOHLEN, D., Sistemas electorales y partidos políticos, FCE, Santiago, 1995 [1994]; NOHLEN, D., et

FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina. Nueva Sociedad:

Caracas, 1998; LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos

Aires, 2001. 2 Ou « probabilités coalitionnaires » considérées en fonction de questions aussi bien idéologiques, stratégiques que

pragmatiques, voir AXELROD R., Conflict of interest : A theory of divergent goals with applications to politics,

Chicago, Markham, 1970; et DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formations, Amsterdam, Elsevier, 1973. 3 Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse du parti le plus “puissant” ou le plus représenté au Parlement. Voir entre autres

LANZARO, J. 2001, op. cit; AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: an analysis of 10 latin

American countries”. Document presenté lors du congrès LASA, à Chicago, 24 de juin 1998 ; GARRIDO, A.

“Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in Política y Sociedad,

Vol. 40, No. 2, 2003; ALBALA, A., « Rethinking coalition governments on presidential systems: the southern cone

enlightenment », communication présentée lors du Congrès international IPSA-ECPR, « Whatever happened to north-

south », São Paulo (Brésil), 17-19 février 2011. Texte disponible sur le site internet du congrès:

http://saopaulo2011.ipsa.org/sites/saopaulo2011.ipsa.org/files/papers/paper-345.pdf 4 DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976

5 Nous porterons un intérêt tout particulier à la définition de ce concept trop souvent « étiré », comme dirait Sartori.

Voir SARTORI, G., “Bien comparer, mal comparer”, in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 1, No. 1,

1994, pp. 19-36.

12

clivages1, en appliquant l’analyse sur les réalités du cône sud. Nous nous arrêterons

particulièrement sur les processus de formation des clivages et la constitution de « blocs »

politiques autour de ces nouvelles démarcations politiques.

Ceci débouche sur un deuxième point, qui vise à analyser les processus fonctionnels et

structurels propres aux gouvernements de coalition en système présidentiel, dont les principales

caractéristiques sont une autonomie vis-à-vis du parlement et une temporalité réglée sur le principe

de fixité du mandat présidentiel. Cela implique d’analyser les mécanismes de réseaux liés à la fois à

l'exercice du pouvoir et à la répartition des parcelles de pouvoir, ainsi que les processus

d’autonomisation de ces gouvernements et leur caractère « systémique »2. A ce titre, les thèmes de

la « cartellisation » des coalitions, entendue comme leur dépendance vis-à-vis des subsides de

l’Etat3, et la « notabilisation » de la classe politique, marquée par une faible rotation des élites

partisanes 4

, viennent occuper une place centrale dans l’analyse. Il en va de même de la dimension

informelle des modes d’expression et des relations inter e intra partisanes.

Enfin, et presque « naturellement », le dernier point consiste à établir un cadre de

compréhension des mécanismes internes et externes qui agissent sur le maintien ou la dissolution

des gouvernements de coalition. Cela suppose donc une analyse croisée entre les approches

(néo)institutionnalistes, qui se focalisent davantage sur l’ « environnement » des coalitions (les

« inputs » et « outputs »), avec les approches plus sociologiques davantage centrées sur le

fonctionnement pratique des coalitions, ou « ce qu’être en coalition » veut dire5. Pour ce faire, les

expériences chiliennes, uruguayennes et argentines de coalitions partisanes sont, tant dans leur

succès que dans leurs échecs, des éléments d’analyse particulièrement pertinents, et requièrent une

étude approfondie de leurs fondements idéologiques, politiques et fonctionnels.

1 Initiée par LIPSET, S., et ROKKAN S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une

introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]. 2 Dans le sens de la sociologie des systèmes de Luhmann. Voir LUHMANN, N., La sociedad de la sociedad, Herder/

Universidad Iberoamericana, Mexico, 2007; et La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009. 3 En ce qui concerne le facteur d'inclusion/ exclusion d'acteurs politiques aussi bien au parlement qu'au gouvernement.

Nous sommes néanmoins particulièrement conscient du caractère controversé du propre concept de « parti cartel »

présenté par Richard Katz et Peter Mair, et de ce fait nous ne reprenons que l’idée de confusion entre Etat et

gouvernement via l’accaparement des ressources étatiques. Voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party

organization and party democracy: the emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. 4

Entendu comme un désaccouplement de la structure partisane d’avec la structure sociétale. On observe ainsi qu’avec

une élitisation accélérée des partis politiques, ceux-ci observent des taux de militance en constante diminution et une

méfiance croissante de la part de l’électorat à leur encontre. Voir MANIN, B., Principes du gouvernement

représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995]. 5 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions… », op. cit., p. 24.

13

Autour du concept de « coalit ion gouvernementale ».

Si l’étude des coalitions gouvernementales, a effectivement connu plusieurs « vagues »

successives de mises à jour et d’élargissement heuristique, il est paradoxal que l’objet-même de

leur étude n’ait pas bénéficié d’un traitement conceptuel rigoureux. Les coalitions

gouvernementales y sont considérées la plupart du temps comme une « variable » d’analyse.

William Riker, considéré comme le « père » des coalition theories, prévenait pourtant que:

« Ce type d’événement est, à n’en pas douter, d’un intérêt crucial pour les sciences humaines,

mais ils n’ont, pour l’heure, admis aucune définition précise, ce qui est pourtant si nécessaire à

tout travail scientifique ».1

Dès lors, en fonction du champ d’application précédemment présenté, et suivant Jordi Matas et

René Mayorga, admettons de manière préliminaire qu’une coalition gouvernementale est avant

toute une alliance de partis entre partis, qui suppose un minimum de solidité et d’entente durable

sur une large liste de sujets2. Or, en repassant la littérature, nous pouvons trouver de nombreuses

combinaisons conceptuelles pour traiter de ce phénomène apparemment simple. A ce titre, peut-on

inclure à notre définition partielle de coalition gouvernementale : a) un parti au pouvoir qui

recevrait des soutiens plus ou moins sporadiques de la part de partis structurés ou parlementaires

isolés et/ou indépendants? 3

; b) un gouvernement composé de personnalités dites d’ « ouverture »,

sans l’appui de leur parti d’origine; c) un seul parti au gouvernement, qui aurait de nombreuses

fractions internes ?; d) un gouvernement composé d’un parti dominant et de partis personnalistes à

caractère satellitaire ?; enfin e) les gouvernements dits « d’Union Nationale »?

Déconstruction4 du concept de « coalitions gouvernementales »

L'exercice du pouvoir de manière coalisée suppose une responsabilité collective et une capacité

à rendre des comptes, notamment électifs, qui ne saurait être effective ou complète si elle ne

1 RIKER, W., The theory of political coalitions, New Heaven, Yale University Press, 1962, p.5, traduction propre.

2 MATAS, J., “Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe

congrès de l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003;

MAYORGA, R., “Presidencialismo parlamentarizado y gobiernos de coalición en Bolivia”, in LANZARO, J., Tipos de

presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 101-135. 3 David Baron propose en effet que: "[t]he term government will be used to refer to the parties that do not vote against a

motion of confidence on a policy proposal". Voir BARON, D., “A spatial bargaining theory of government formation

in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, p. 138. 4 A la manière de Derrida et Boltanski. Voir DERRIDA, J., L’écriture et la differance, Seuil, Paris, 2006 [1967] ;

BOLTANSKI, L., Les Cadres, Editions de Minuit, Paris, 1982.

14

reposait que sur de simples « soutiens » législatifs plus ou moins sporadiques. Un gouvernement de

coalition suppose donc un partage des portefeuilles ministériels entre plusieurs forces politiques.

Par conséquent, aucun des cinq cas de figures présentés précédemment n’entre dans la définition

que nous adoptons de ce concept.

En effet, les coalitions sporadiques ou ad hoc (« a ») ne supposent un recours que ponctuel à la

négociation autour, essentiellement, de politiques publiques et/ou soutiens parlementaires. Quand

bien même ces soutiens seraient renouvelés voire systématiques, ils n’impliquent pas de

responsabilité partagée de l’action gouvernementale. Ce cas de figure peut être considéré, tout au

plus, comme une « coalition législative »1 temporelle (« ponctuelle », « répétée », « systématique »

etc.). Un exemple parfait est le cas Uruguayen marqué par le soutien pratiquement systématique du

Partido Nacional auprès du gouvernement du Partido Colorado du président Batlle, après le retrait

des ministres blancos en novembre 2002. Après avoir retiré, en pleine crise économique,

l’ensemble de ses ministres du gouvernement de coalition du Dr. Batlle, le Partido Nacional a

adopté une posture de soutien systématique des projets législatifs proposés par le Partido Colorado.

Mais c’est bien le seul Partido Colorado qui assume la responsabilité politique au niveau

gouvernemental.

Le second cas dit de « gouvernement d’ouverture » (« b »), correspond à ce qu’Octavio Amorim

Neto nomme gouvernement de cooptation2. Bien plus qu’un accord entre partis, il s’agit d’un

accord entre individus, où une personnalité politique dont la trajectoire politique est plus ou moins

clairement identifiée, rejoint un gouvernement d’une autre « couleur politique » sur des bases qui

lui sont personnelles (ambition, affinités, opportunité, « sens du devoir », etc.…), sans l’appui et les

ressources (politiques, financières, organisationnelles) de sa formation politique d’origine. Ce type

de recours constitue un coup politique de la part du président, notamment à l’encontre de

formations concurrentes, via l’attraction d’un membre plus ou moins influent. Il s’agit également

d’une stratégie d’élargissement de sa base électorale, lorsque la personnalité est populaire. Ce

procédé peut néanmoins contenir un coût politique non négligeable, à la fois pour le gouvernement

(problème de « culture politique », éloignement de la base électorale traditionnelle, etc.…) et pour

la personnalité (aliénation et discrédit politique)3. Ce cas de figure est, en outre, à rapprocher des

1 Vincent Lemieux parlerait d’ « agrégats ». Voir LEMIEUX, V., Les coalitions, liens transactions et contrôles, PUF,

Paris, 1998 ; et Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval,

Laval (Québec), 2006. 2 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presiential regimes… » op. cit.

3 Un cas récent de cooptation partisane est la présence de Julio Cobos, membre originel de l’Unión Cívica Radical

(UCR), dans le « ticket présidentiel » de Cristina Fernández de Kirchner, en tant que vice-président de celle-ci, lors de

son premier mandat. Ainsi, bien que quelques membres l’aient suivi (ceux-ci, appelés les “Radicaux K”, pour Kirchner)

ils l’ont fait à titre individuel, l’UCR maintenant une posture d’opposition systématique au gouvernement. Par la suite,

15

gouvernements incluant massivement des ministres “indépendants”, comme lors des présidences de

Carlos Menem (1989-1999). La présence de technocrates1 suppose en effet une dimension a-

partisane, où la négociation ne se fait pas sur des bases politiques et/ou programmatiques, bien

qu’elle contienne généralement une empreinte idéologique. Dès lors, technocrates et indépendants

ne représentent pas une donnée pertinente de caractérisation de gouvernement de coalition2.

Les gouvernements monopartisans, où le parti au pouvoir contiendrait des fractions3 plus ou

moins institutionnalisées (cas « c »), ne sauraient, non plus, constituer des gouvernements de

coalition. En effet, ces partis fonctionnent de manière confédérée, c'est-à-dire que ce sont les

courants internes (ou « fractions » lorsqu'ils sont plus structurés) qui ont conduit à la formation du

parti. Dans ces types de partis, les fractions internes peuvent parfois diverger idéologiquement sur

divers points4, formant un « conglomérat complexe, pourvu d'identités propres et les marques de

leur biographie historique »5. Pour autant, les partis sont, par principe, des coalitions d’individus

qui décident de se regrouper suivant des considérations politiques, où l’idéologie ne constitue pas

nécessairement l’unique substrat identitaire6. Le regroupement autour d’une même marque

politique7 peut être ainsi le fruit de considérations stratégiques, historiques, conjoncturelles, etc. Or,

bien que ces « sous-partis » peuvent avoir un potentiel structurel et organisationnel relativement

fort8, et peuvent, en outre, avoir un potentiel de chantage

9, ces fractions ne sauraient néanmoins

constituer de « parti dans le parti ». En effet, aussi identifiables et structurées soient-elles ces

fractions n'en sont pas pour autant indépendantes de la structure de décision centrale du parti (à

moins de venir à quitter celui-ci). On observe ainsi dans ce type de parti une organisation formelle,

stable, permanente et présente sur pratiquement l'ensemble du territoire10

. Bien que ne fonctionnant

la majorité d’entre eux retourneront dans l’opposition, notamment à partir de juillet 2008 après le vote « non positif »

du vice-président Cobos sur un projet de loi de taxes à l’exportation du secteur agricole. Seul Julio Cobos restera à son

poste de vice-président formant ainsi un cas atypique de cohabitation présidentielle. 1 Nous n’entrons pas dans le débat autour des conceptions de “technocrates” et “technopols”. Voir DOMÍNGUEZ, J.,

Technopols, freeing politics and markets in latin America in the 1990s, Pennsylvania State University Press, 1997.

Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris, 2002. 2 Ceci ne signifie pas pour autant que nous considérions les technocrates comme des acteurs non pertinents, ni que les

gouvernements technocratiques soient astreints de responsabilité politiques. 3 Pour une distinction entre “fractions”, “factions” et “courants”, voir SARTORI, G., Parties and party system, ECPR-

Oxford University Press, Oxford, 2006 [1976]. 4 Comme c’est le cas du Frente Amplio uruguayen.

5 Certains conservent d’ailleurs le titre de “parti”. Voir LANZARO J., – “El Frente Amplio: un partido de coalición,

entre la lógica de oposición y la lógica de gobierno”, in Revista uruguaya de ciencia política, No.12, 2001, pp. 35-67. 6 LAPALOMBARA, J., et WINER, M., Political parties and political developpement, Princeton University Press,

1966. 7 OFFERLÉ, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006

8 ZUCKERMANN, A., « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-

443 9 Lorsque suffisamment structurés ils peuvent menacer de quitter le parti, soit i) pour en former un nouveau parti, soit

ii) pour rejoindre un autre parti concurrent 10

LAPALOMBARA, J., et WINER, M., op. cit.

16

pas de manière aussi « unifiée », ces partis sont semblables aux partis « catch all » décrits par

Kirscheimer1. Leur caractère confédéré renvoie à ce que Jorge Lanzaro définie comme « parti de

coalition ». Le cas Uruguayen du Frente Amplio vient illustrer ce propos. Si celui-ci était

effectivement une coalition de partis lors de sa fondation en 1971, qui regroupait entre autres les

partis d’ « idéologie »2 uruguayen comme le Parti socialiste, le Parti communiste, la Démocratie

chrétienne, etc., ce rassemblement a entamé une profonde convergence durant et au sortir de la

dictature civico-militaire (1973-1985), au point de construire une véritable « fusion »3 des

différents membres autour d’une marque partisane unifiée « frente amplista » structurée et stable4.

Aussi, bien que les anciennes sous-structures (lemas) aient gardé leur dénomination d’origine

celles-ci ne constituent plus que des fractions internes au parti « Frente Amplio »5.

Les gouvernements formés d’un parti dominant et de proto-partis, à caractère personnaliste et

satellitaire (cas de figure « d »), n’entrent pas non plus dans la conception de gouvernement de

coalition, pour les mêmes raisons que nous avons exclu les cas de cooptation de ministres et les

gouvernements technocratiques. Ces cas de figures constituent, en effet, davantage une stratégie

d’implantation locale entre un parti à vocation gouvernementale et un parti personnaliste,

d’implantation essentiellement locale, gravitant autour de structures partisanes institutionnalisées et

sans autre projet que l’accession du caudillo à des responsabilités gouvernementales6. Il ne s’agit

donc pas d’un cas de négociation entre institutions partisanes, mais plutôt d’un marchandage

politico-électoral. Les gouvernements de Carlos Menem et Cristina Fernández de Kirchner, en

Argentine, sont illustratifs de ce type de configuration, où pour cette dernière sa formation politique

le Frente Para la Victoria (FPV), fraction dominante du Partido Justicialista (PJ), a scellé des

accords avec une multitude de partis personnalistes et/ou proto partis satellites du PJ, tel que le

Frente Grande, jadis fraction du FREPASO (Frente Pais Solidario), et aujourd’hui parti

testimonial, satellite du FPV.

1 KIRSCHEIMER, O., « The Transformation of Western European Party System », in LAPALOMBARA, J., et

WINER, M., op.cit. 2 YAFFÉ, J., Al centro y adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Ed. Linardi

y Risso, Montevideo, 2005. 3 DI TELLA, T., Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos-Aires, 2003

4 Avec un président de parti, une assemblée nationale, et des comités locaux.

5 Ceci constitue de fait le principal écueil des travaux portant sur l’Uruguay de la part d’universitaires non spécialistes

qui se focalisent sur l’appellation des fractions pour en déduire qu’il s’agit in fine d’une coalition partisane. 6 On ne saurait confondre ce type de partis avec les partis régionalistes, qui bien qu’ils se limitent à une implantation

locale, disposent d’une structure organisationnelle et revendicative au-delà de la simple figure d’un leader local. Voir

RENIU, J.M., et ALBALA, A., “Los gobiernos de coalición y su incidencia sobre los presidencialismos

latinoamericanos: el caso del Cono Sur”, in Revista de Estudios Políticos, No. 155, 2012, pp. 101-150.

17

Enfin, le cas de figure des gouvernements d’Union Nationale ou « Grandes coalitions » (« e »),

peut paraître le plus discutable. S’il s’agit bien, généralement, d’accords entre partis dans le but

d’assumer un gouvernement coalisé et une reddition des comptes partagée, cette configuration pose

néanmoins deux problèmes. Tout d’abord, ce type de gouvernement en système présidentiel suit

une logique différente de ce qui existe en système parlementaire, où l’absence d’une majorité

parlementaire au sortir d’une élection peut conduire à la formation d’un gouvernement de ce type1.

En système présidentiel, la séparation des pouvoirs fait que le président ne « nécessite » pas d’une

majorité parlementaire pour se maintenir au pouvoir2. Or l’accession au poste de président de la

République découle nécessairement du vote populaire, où l’un des candidats a obtenu une majorité

de voix –relative ou absolue en fonction des lois électorales. Dès lors, les fondements de ce type de

gouvernement d’union nationale, en régime présidentiel, ne se trouvent donc pas dans un processus

politique de fonctionnement « normal », mais procèdent d’événements critiques particulièrement

sensibles et ponctuels3 (réconciliation nationale, guerre, etc…). Enfin, suivant certains cas, ce

phénomène peut également consister en une stratégie hégémonique de la part des acteurs politiques

dominants, d’exclusion politique d’acteurs tiers4.

L’adaptation aux régimes présidentiels

A la suite de ces considérations phénoménologiques et du processus de déconstruction

conceptuelle, il est donc nécessaire de souscrire à une définition raisonnablement stricte pour

délimiter le champ d’étude et éviter les à-peu-près méthodologiques et autres chats-chiens

conceptuels5. Cette définition doit être, également, suffisamment large pour pouvoir établir des

1 Le cas récent allemand de grande coalition entre la CDU et le SPD, entre 2005 et 2009, en est un parfait exemple.

2 De part l’absence de vote de confiance/ défiance notamment, même s’il existe des procédures, lourdes, de jugement

politique ou « impeachment ». 3 Nous nous inscrivons ainsi en accord avec la conception de Bogdanor qui considère nécessaire la tenue d’une

compétition électorale effective. Voir BOGDANOR, V., Coalition government in western Europe, Londres,

Heinemann, 1983. 4 Le cas colombien du Frente Nacional (1958-1974), en est un bon exemple, où les deux partis traditionnels, le parti

conservateur et le parti libéral, ont passé un accord d’alternance au pouvoir afin de se succéder l’un l’autre, tout en

excluant les autres mouvances politiques. Cette pratique est à l’origine de l’apparition des mouvements de guerrilla de

type marxiste, telles les FARCS ou autres M18. Voir ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas

prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in

Estudios Políticos, Vol. 9, No. 24, 2011, pp. 153-180. 5

En accord avec Giovanni Sartori “Bien comparer; mal comparer”, in Revue Internationale de Politique Comparée,

Vol. 1, No.1, 1994, pp. 19-36. Quant à l’absence de critères conceptuels comparables, retenons les travaux de

SUNDQUIST, J., "Needed: a political theory for the new era of coalition government in the United States", in Political

Science Quarterly, N° 103, Vol. 4, 1988, pp .613-635; POLSBY, N., “Does congress work”, in Bulletin of American

Academy of Arts and Sciences, Vol. XLVI, No. 8, 1993, pp. 30-45; ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão:

o dilema institucional brasileiro”, op. cit.; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government

18

éléments de comparaison notamment avec les systèmes parlementaires1. Sans chercher à recourrir à

une approche particulariste et encastrée dans un seul système institutionnel, nous insistons

néanmoins sur le caractère central de la figure du président, notamment dans la négociation et la

distribution des portefeuilles ministériels. En conséquence, le concept de coalition

gouvernementale, que nous aborderons dans le cadre institutionnel du « présidentialisme de

coalition », suppose un regroupement de partis politiques qui s'accordent à poursuivre une action

de gouvernement commune, autour d’un formateur présidentiel, et qui mettent en commun le

ressources politiques, organisationnelles et financières de chacun des participants, aboutissant à

une répartition équilibrée des principaux ministères. Cette coalition gouvernementale est alors

appuyée par une « coalition législative », proportionnelle de ses membres au parlement, et peut

découler d’une coalition électorale. Le tout est englobé dans le terme plus générique de « coalition

de partis ».

A partir de cette définition, il est possible d’établir une typologie des coalitions

gouvernementales, à l'image des travaux d'Octavio Amorim Neto2, en fonction de quatre éléments

(ou « variables »): i) la dimension temporelle (« timing ») et son degré de précocité (pré/ post)

électoral ; ii) la nature du pacte (coalition négative/ homogène) ; iii) la publicité et la portée3 de

l’accord et iv) la répartition des acteurs en présence (coalition équilibrée/ déséquilibrée).

Intérêt de la recherche

Les coalitions gouvernementales ont constitué un champ d’études particulièrement fertile dans la

littérature en science politique, à l’exception notoire de la littérature française4. Partant du constat

coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, in British Journal of Political Science,

Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587. 1 En accord avec les travaux de Collier et Levitsky, Seiler et Munk. Voir COLLIER, D., LEVITSKY, S., “Democracy:

conceptual hierarchies in comparative research”, in COLLIER, D. et GERRING, J., Concepts and method in social

science: the tradition of Giovanni Sartori, Routledge, Londres, 2009, pp. 270-288; SEILER, D.L, La méthode

comparative en science politique, Armand Colin/Dalloz, Paris, 2004 ; MUNK, G., “Canons of research design in

qualitative analysis”, in Studies in Comparative International Development, Vol. 33, N°3, 1998, pp 18-45. 2 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presiential regimes… » op. cit.

3 Notamment les considération de Royed sur la porté complète et publique des accords. Voir ROYED, T., “Testing the

mandate model in Britain and the United States: Evidence from the Reagan and Thatcher Eras”, in British Journal of

Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80. 4 La littérature française en science politique ne compte en effet aucune étude portant sur ce phénomène jusque l’année

2009, hormis l’article de BONNET G., et SCHEMEIL, Y. « La théorie des coalitions selon William Riker: Essai

d'application aux élections municipales françaises de 1965 et 1971 » in Revue française de science politique, Vol. 22,

No. 2, 1972, pp. 269 – 282 ; qui n’est en fait qu’une relecture critique de la théorie de Riker, appliquée au cas des

élections municipales de 1971. A ce titre, Nicolas Bué et Fabien Desage proposent trois pistes majeures pour

comprendre ce désintérêt de la littérature française: i) l’évolution de la science politique française peu orientée vers

l’étude des partis comme institutions; ii) le fort degré de présidentialisme, rendant les coalitions gouvernementales

19

empirique que la majorité des démocraties occidentales –donc parlementaires- connaissaient ce

phénomène tant dans l’action politique, électorale ou mobilisatrice que dans la pratique de

gouvernement, de nombreux universitaires se sont attelés à l’étude de ces phénomènes. Toutefois,

la littérature portant sur les coalitions gouvernementales en régimes présidentiels reste à ce jour

décevante. En effet, bien que les travaux liminaires de Gamson1 et surtout Riker

2 aient été amendés

et enrichis par des travaux empiriques, la grande majorité des études portant sur le phénomène

présentent, en plus des imprécisions conceptuelles relevées précédemment, certaines limites

épistémologiques et phénoménologiques.

Epistémologiques car si la majorité des travaux cherchent à établir des modélisations

généralisantes, la plupart néglige les dimensions conjoncturelle, historique et culturelle lors de

l’analyse des processus de coalitions politiques3. Le recours à l’abstraction mathématique

4, fait que

la majeure partie de ces études se caractérisent souvent par un positivisme normatif –tout

particulièrement dans les cas portant sur les systèmes présidentiels. Si cette critique peut

s’appliquer plus généralement à toute démarche déductive, elle est d’autant plus appropriée dans le

cas de l’étude des coalitions politiques et gouvernementales, qui ne sauraient se limiter à de simples

agrégats de variables, à forte teneur (ou ‘dépendance’) institutionnelle. En outre, ce recours à la

modélisation et complexisation, contribue à considérer les études sur les coalitions politiques, et a

fortiori les coalitions gouvernementales, comme un sous-champ abstrait de la science politique, où

les coalitions politiques s’établiraient, et se prévoiraient, sans tenir compte de leur essence: les

relations politiques des partis entre eux, et vis-à-vis de leur électorat.

Les principales limites phénoménologiques portent sur la focalisation des terrains d’études des

coalition theories sur les démocraties parlementaires d’Europe occidentale. il est notamment

frappant de constater l’absence d'études croisées entre systèmes parlementaires et présidentiels5.

Par souci d’économie de temps et surtout d’analyse, ou parce qu’ils s’inscrivent dans le débat

comme un « fait du prince » ; et iii) la supposée polarisation de la société française, rendant inutile l’élaboration de

travaux prédictifs, tant les coalitions apparaissaient comme « évidentes », voir BUÉ et DESAGE, op. cit . Voir

également la thèse, non publiée, de Nicolas Bué « Rassembler pour régner négociation des alliances et maintien d’une

prééminence partisane: l’union de la gauche à Calais (1971-2005) », Université de Lille 2, Décembre 2006. 1 GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961, pp. 373-382.

2 RIKER, W., The theory of political coalitions, op. cit

3 Voir néanmoins LUPIA, A., et STRØM, K., « Bargaining transaction costs, and coalition governance », in STRØM,

K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining : the democratic life cycle in western Europe,

ECPR/ Oxford University Press, 2008, pp. 51-84. 4 Notamment dans l’analyse de la distribution des postes à pourvoir. Voir entre autre SCHOFIELD, N., “Political

competition and multiparty coalition gouvernements”, in European Journal of Political Research, n°23, 1993, pp. 1-33. 5 Récemment une première ébauche a été avancée. Voir RAILE, E., PEREIRA, C., et POWER, T., “The executive

toolbox: building legislative support in a multiparty presidential regime”, in Political Research Quarterly, Vol. 64, No.

2, 2011, pp. 323-334; et CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative

success under presidentialism and parliamentarism”, op. cit. Enfin, aucun travail d’envergure, non journalistique, ne

traite de la comparaison avec les systèmes hybrides, dits « semi-présidentiels » ou « premier-présidentiels ».

20

Parlementarisme vs/ Présidentialisme1 -où pendant longtemps a régné un consensus autour du

caractère ‘‘accidentel’’ voire négatif des coalitions en système présidentiel-, la grande majorité de

ces travaux souffrent à la fois d’un ethnocentrisme marqué et d’une absence d’universalisme2

comparatif dans l’élaboration de modèles ou théories explicatives. En conséquence, les études qui

portent exclusivement sur les systèmes présidentiels sont à la fois moins nombreuses mais aussi

moins riches et variées. On observe en effet que ces travaux abordent généralement une démarche

unique, qui se focalise presque exclusivement autour d’une analyse à partir de la théorie des jeux

et/ou de « l’environnement » institutionnel3. Or, la démarche récente et -en constante expansion-

des études parlementaristes repose sur le principe de multi-dimensionnalité de l’analyse, ce qui

suppose une prise en compte à la fois de différents facteurs (ou « variables ») d’analyse, ainsi que

des finalités des coalitions.

L’objectif de cette thèse est à ce titre double. Il consiste d’abord à procéder à une mise à jour de

l’analyse des gouvernements de coalition, en portant le champ d’analyse sur les régimes

présidentiels sud-américains, au travers de l’étude des expériences récentes des trois pays du cône

sud. Il s’agit ainsi de « présidentialiser4 » l’étude des coalitions, en considérant les caractéristiques

spécifiques à ce type de régime. Par conséquent, cette thèse s’inscrit dans la lignée du débat

théorique initié par Linz5, sur les vertus et « périls » des systèmes présidentiels de gouvernement,

en nous inspirant des travaux encore incomplets qui portent sur le « présidentialisme de coalitions »

et qui vont à l’encontre de tout déterminisme institutionnel et culturel6.

Le second objectif repose sur l’établissement constant d’une double analyse comparée: entre les

différentes expériences « présidentielles » tirées du terrain d’étude et, indirectement, avec celles

ayant cours dans les régimes parlementaires d’Europe continentale. De ce fait nous partons du

principe de transposabilité des études sur les coalitions gouvernementales en système

1 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, vol. 1, no. 1, 1990, pp. 51-69; et LINZ, J.J., et

VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, 1994 2 Ce qui semble contradictoire avec l’approche utilitariste de laquelle s’inspirent la plupart de ces travaux.

3 A noter, néanmoins, les exceptions des travaux réunis par ZOVATTO, D., et OROZCO, H., Reforma política y

electoral en América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008; et LANZARO

2001, op cit. A noter également les efforts d' Octavio Amorim Neto de classifier les coalitions en fonction de la nature

des participants et des relations entre l'exécutif et le législatif. Voir AMORIM NETO « Cabinet formation in presiential

regimes… » op. cit.. 4 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in

Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483 5 Le premier texte de Linz sur les périls du présidentialisme remonte à 1978 avec le volume: “Crisis breakdown and

reequilibration” in LINZ, J.J., et STEPAN, A., The breakdown of democratic regimes, vol.1, Johns Hopkins University

Press, Baltimore, 1978. La charge “directe” contre les systèmes présidentiels étant développée douze ans plus tard

dans: LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, op. cit. 6 Voir à ce titre les travaux réunis dans LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América

Latina, op cit.

21

parlementaire sur les systèmes présidentiels, tout en défendant l’idée d’une spécificité de ces

derniers et donc d’une adaptation nécessaire de la théorie.

Cadre théorique de la thèse

Dès lors, le « sillon » théorique adopté dans cette recherche s'inscrit en parallèle avec la plupart

des travaux publiés jusqu'à présent, traitant des coalitions gouvernementales en système

présidentiel. En effet l'approche institutionnaliste, utilisée de manière hégémonique dans ces

travaux ne permet pas de comprendre, à elle seule, les mécanismes propres au fonctionnement de

gouvernements coalisés1. Si les institutions peuvent jouer un rôle facilitateur ou « contraignant »

dans les options politiques (notamment du fait de la loi électorale), les comportements politiques et

les affinités politiques sont autant d’éléments, parmi d’autres, qui viennent entrer en jeu à l’heure

de former des alliances politiques2. De plus, si la plupart des travaux semblent s’intéresser aux

seules « pages roses »3 des gouvernements de coalition, à savoir leur formation (mariage) et/ou

dissolution (divorce), ce qui se passe entre ces deux moments (disons « la vie de couple ») est, de

manière assez surprenante, presque totalement délaissé. En d’autres termes, nous ne savons que peu

de choses, en analyse comparée, sur les types de gouvernance en coalition4, et sur la perception des

gouvernements de coalitions, notamment en termes de reddition de comptes (accountability). Enfin,

une autre dimension habituellement délaissée et dont la considération est centrale, est la dimension

temporelle (ou le « cycle de coalition), ramenée à : a) l'origine contextuelle, b) la nature (formelle

ou non) et c) les objectifs du pacte initial. La question est donc de savoir si les cycles de coalitions

en régime présidentiel sont semblables à ceux constitutifs des régimes parlementaires5.

Nous nous inscrivons ainsi de manière résolue, dans une approche qualitative comparative6 et

multiniveau du phénomène des coalitions gouvernementales. On a vu apparaître, en effet, ces

dernières années de nombreuses études multidimensionnelles, s'intéressant pêle-mêle aux logiques

1 Nous relèverons les limites –empiriques- de l’analyse centrée sur les institutions dans le chapitre 2.

2 En paraphrasant Lupia et Strøm, « aussi importantes soient-elles les institutions ne sont pas tout ». Voir LUPIA, A., et

STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the future”, in

STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008, p.

56. 3 Müller et Strøm parlent de la « Hollywood story » des coalitions. Voir MÜLLER, W.C., et STRØM K., Coalition

government in western Europe. Oxford University Press, 2000. 4 PRIDHAM, G., Coalitional Behaviour in Theory and Practice, in Cambridge University Press, 1986; STRØM, K.,

MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008 5 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining…op. cit.,p.10.

6 De type “cross case”, voir BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking social inquiry diverse tools, shared standards,

Rowman and Littlefield, Lanham, 2004

22

internes1, à la culture politique locale

2, ou aux mécanismes de gestion de crises

3. Les travaux de

Lupia et Strøm4 et Matas

5, constituent des référents dans cette approche multivariée. L'important

est pour eux de définir le champ d’analyse propre à la formation et la « gouvernance » des

gouvernements de coalitions que l'approche institutionnelle, à elle seule, ne parvient à établir de

manière satisfaisante. D’où la nécessité de considérer le processus de négociation en insistant aussi

bien sur la dimension interne des partis (négociation intra-partisane) -tels que les mécanismes de

discipline partisane, de sélection des candidats, etc…-, qu'à leurs relations entre eux (négociation

inter-partisane). A cela vient se greffer le contexte de négociation lié à la pratique de la politique et

le système politique (système de partis, système électoral, etc.), comme le montrent Reniu et

Bergman:

« L'intérêt de l'étude se déplace depuis la simple combinaison arithmétique des partis, nécessaire

pour les théories formelles, vers les différentes formes que peuvent prendre les comportements

coalitionnaires des partis politiques, en fonction de différents objectifs que poursuivent ceux-ci. »6

Puisqu’il s’agit ici de procéder à une mise à jour de l'analyse des gouvernements de coalitions

des régimes présidentiels du cône sud, en se basant sur les travaux récents propres à l'étude des

systèmes parlementaires, c'est-à-dire en ouvrant le champ et en diversifiant l'approche d'analyse.

Nous prendrons alors comme point de départ les travaux récents de Strøm et alii7, qui centrent leur

analyse autour de six axes (ou « variables indépendantes »): i) les facteurs contextuels et la tradition

et culture politique, ii) les « caractéristiques structurelles » (en particulier ce qui à trait aux

systèmes partisans), iii) les caractéristiques des acteurs et leur affinités respectives8, iv ) les

institutions et les modes de scrutin (tout ce qui a trait à la loi électorale avec un accent portée sur les

1 BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation” in Party Politics, Vol. 14, No. 1, 2008, pp. 71-89

2 Voir notamment STRØM, K. 1990a, op. Cit; MÜLLER, W., et STRØM, K., 2000 op cit; MATAS, J., Coaliciones

políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000; RENIU, J.M., op. cit. 3 Voir entre autres LAVER, M., “Devided parties, devided government”, Legislative Studies Quarterly. Vol. 24. No.1,

1999; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press,

1994; LAVER, M., et SHEPSLE, K Making and breaking governments, Cambridge University Press, 1996. 4 LUPIA A., et STRØM, K., 2008 op cit

5 MATAS, J., Coaliciones políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000

6 RENIU, J.M. et BERGMAN, T. “Estrategias, objetivos y toma de decisiones de los partidos políticos españoles en la

formación de gobiernos estables”, in Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, p. 64. 7 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining…op. cit

8 Les auteurs parlent des « préférences des acteurs », en fonction du degré de probabilité de coalition. Ce facteur, plus

propre aux systèmes parlementaires sera remplacé par une analyse de path dependance et de positionnement/auto-

positionnement de la part des acteurs en présence, notamment vis-à-vis de clivages structurants. Nous reprendrons

également une analyse critique de la conception portant sur l’unicité des partis, en partant des travaux de Zuckermann

portant sur les factions internes de chaque parti. Voir ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition »,

in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443

23

réformes constitutionnelles des dernières années), v) les « événements critiques » le plus souvent

imprévus1, et enfin vi) le contexte ou « climat » de négociation.

Pour autant, l’application, tel quel, du modèle d’analyse autour de ces six « variables », et sa

transposition sur les régimes présidentiels, ne recouvrirait qu’un faible intérêt, au regard de l’objet

de cette recherche. D’où la nécessité de procéder à une actualisation de ces éléments de causalité en

vue de les rendre plus proches de la réalité des systèmes présidentiels, en mettant l’accent sur deux

facteurs que nous considérons centraux aux présidentialismes, à savoir la temporalité et la présence

de clivages « structurants »2.

Il s’agit d’adopter, tout d’abord, une dimension temporelle bidimensionnelle, aussi bien

synchronique que diachronique. En effet, tout accord de coalition ne se souscrit pas ex nihilo mais

procède des expériences et événements provenant du passé3, et d’éventuelles expectatives sur le

futur. Il est donc nécessaire d’identifier, dans une perspective de la dépendance du sentier4, les

« événements critiques »5 qui ont conduit à la formation du pacte, ainsi que la précocité de celui-ci

vis-à-vis du calendrier électoral. En effet, là où la plupart des travaux se concentrent sur une

dimension post-électorale –raccord avec les processus des systèmes parlementaires-, la question est

de voir si cette approche temporelle, quant à la formation de coalitions politiques, est pertinente

pour l’étude du phénomène en régime présidentiel, sachant que dans ces configurations

constitutionnelles le vote fait office de couperet et détermine l’identité du chef du gouvernement.

Via l’étude de la temporalité des coalitions du Cône Sud, l’analyse procède donc à une approche

cyclique plus ample afin de voir si ces phénomènes relèvent davantage d’accords pré-électoraux,

voire d’entre-deux-tours, lorsque la loi électorale prévoit cette possibilité.

Par ailleurs, les coalitions politiques qui débouchent sur des coalitions de gouvernement, sont le

fruit et à la fois l’expression de « lignes de démarcations sociales »6 et politiques organisées autour

de clivages structurels. Ainsi, en nous basant sur les travaux de Bartolini et Mair7, nous définissons

1 A ce titre la phase de transition à la démocratie avec ses incertitudes et les crises économiques (particulièrement celle

de 2001 pour sa forte valeur comparative) 2 ZUKERMAN, A., « Political cleavage: a conceptual and theoretical analysis », in British Journal of Political Science,

Vol. 5, No. 2, 1975, pp. 231-248. 3 Francklin et Mackie avancent en effet que: “the formation of a governing coalition should be viewed as part of a

historical sequence of events in which past experience plays an important role”, in FRANKLIN, M., et MACKIE, T.,

« Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary democracies », in British Journal of

Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, p. 276. 4 Voir PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science

Review, Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267 5 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, Princeton University Press, 1991.

6 BARTOLINI, S., « La formation des clivages », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, No. 1,

2005, pp. 9-33. 7 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability: the stability of European electorates,

1885-1985, Cambridge University Press, 1990.

24

le concept de clivage comme une combinaison d’orientations autour d’intérêts ancrés dans la

structure sociale, culturelle ou idéologique de la société, ordonnançant celle-ci autour de pôles

d’appartenance identitaires marqués et identifiables. Pour qu’il soit « total » ou « structurant », le

clivage doit s’exprimer de manière tridimensionnelle : 1) d’un point de vue structurel (être présent

et pertinent au niveau sociétal) ; 2) institutionnel (en ayant une représentation et en créant une

démarcation politique) ; et 3) mobilisatrice (les agents entrent en relation autour de celui-ci). En

l’absence de l’une de ces trois dimensions nous sommes, comme dirait Kevin Deegan Krause, en

présence de « quelque chose de moins » qu’un clivage1.

La complexité des sociétés aidant, y compris dans les sociétés ethniquement et culturellement

homogènes, conduit à une multiplicité voire « superposition » de clivages que façonnent et/ou

récupèrent les acteurs politiques. En effet, la théorie des clivages insiste bien sur le fait que ce sont

les partis politiques qui forment les champs d’élaboration et de structuration des principaux

clivages2. L’idée d’une vision « figée » des systèmes de partis et des lignes de démarcations, ainsi

que les causalités « mécaniques », propre aux travaux centrés sur les institutions, paraissent limitées

à l’heure d’étudier les comportements partisans. D’où la nécessité d’adopter une approche qui

insiste sur le caractère dynamique et endogène des liens entre système partisan et clivage

structurant. Ces derniers ayant, nous l’avons mentionné, un impact sur les « options de coalitions »,

en cristallisant la compétition électorale3.

Notons, de manière préliminaire, que l’alignement partisan ne se structure pas nécessairement

sur des bases idéologiques ou programmatiques4, comme il est le plus souvent appréhendé. En

outre, à l’inverse de ce que l’on peut observer dans la majorité des pays d’Europe continentale,

dans les régimes présidentiels du Cône Sud, les clivages s’imbriquent5 autour d’un clivage

structurant (ou « super-clivage »), plutôt qu’ils ne se croisent entre eux. Tout « mouvement

1 DEEGAN KRAUSE, K., “New dimensions of political cleavage”, in DALTON, R.J., KLINGEMANN, H.D., The

Oxford Handbook of Political Behaviour, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 538-544 2 Voir ainsi OFFERLÉ, M., Les partis politiques, op. cit ; ZUCKERMANN, A. 1975 op. cit. ; HAEGEL, F.

“Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France », in Revue Internationale de

Politique Comparée, Vol. 12, No. 1, Bruxelles, 2005, pp. 35-45 ; et MARTIN, P., « Comment analyser les

changements dans les systèmes partisans d’Europe Occidentale depuis 1945 ? » in Revue Internationale de Politique

Comparée, Vol. 14, No. 2, Bruxelles, 2007, pp 263-280. 3

Lispet et Rokkan parlent de la structuration des systèmes partisans d’Europe Occidentale, comme la résultante du

« gel » des principaux clivages sociaux et politiques. Ce concept de « gel des clivages » ayant été, de fait, le fondement

de nombreuses mésinterprétations de la part de chercheurs, en associant l’image de « gel » à une vision figée de la

compétition politique. Voir HOTTINGER, J., « Le 'dégel des clivages' ou une mauvaise interprétation de la théorie de

Lipset et Rokkan? », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 2, No. 1, 1995, pp. 4 Voir KITSCHELT, H. et alii, Latin American party systems, Cambridge University Press, 2010

5 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].

25

sismique »1 dans l’alignement et la compétition politique a des répercussions sur le clivage

structurant et, inversement, l’apparition ou la projection d’un nouveau clivage a des effets sur la

structuration de la compétition politique, et donc la formation ou le maintien de coalitions. Ces

caractéristiques entraînent la nécessité d’identifier ce clivage « structurant » la compétition

politique, et la formation et répartition des différents « blocs » politiques autour de celui-ci.

Ces différents éléments entrent dans l’analyse de l’étude des « préférences des acteurs » et des

« conditions de négociations », facteurs sont tout aussi liés au cadre institutionnel sans en être pour

autant dépendants. Enfin ce recours à l’analyse structurelle permet d’éclairer l’impact et la

compréhension des événements critiques « déclencheurs » des réalignements et réordonnancements

partisans.

Après cette contextualisation de la théorie, il est possible d’identifier les éléments de causalité

« présidentialisés » propres à cette thèse : i) la temporalité, mesurée par la précocité de l’accord

coalitionnaire, où nous porterons une attention particulière sur la nature des accords (formels/

informels) ; ii) les « événements critiques » à l’origine de la formation des coalitions, iii) la

structuration de la compétition politique exprimée par l’alignement autour de clivages ; iv) les

institutions et modes de scrutins ; v) la culture politique et gouvernementale et vi) le contexte ou

« climat » de négociation. Nous pouvons observer que le champ d’observation englobe à la fois la

dimension « externe » aux coalitions et la dimension interne, conciliant ainsi les deux traditions

sociologiques et institutionnalistes.

Hypothèses de recherche

Compte-tenu de l’objet de cette thèse, qui vise à analyser les phénomènes coalitionnaires en

régime présidentiel, en mêlant des considérations de types institutionnalistes (système politique et

système partisan), structurelles (organisation sociétale, culture gouvernementale et clivages socio-

économiques), sociologique (organisation interne des partis et des relations interpartisanes) et

contextuelles ; trois types de postulats sont avancés pour asseoir de manière précise l’orientation de

cette recherche.

Tout d’abord, hormis les cas de « grande coalition » ou « gouvernement d’union nationale », la

formation de gouvernements de coalition se réalise par définition sous une configuration pluri ou

multipartisane de compétition politique (postulat 1). Si les conditions ou « normes », qui

1 DELFOSSE, P., « La théorie des clivages. Où placer le curseur ? Pour quels résultats ? », in Revue internationale de

politique comparee, Vol. 15, No. 3, 2008, pp.363-388

26

conduisent à ce type de représentation partisane sont variées, cette configuration tend à être une

constante dans l’évolution politique récente en Amérique latine. Les configurations bipartisanes

ont, en effet, disparu du spectre latino-américain de représentation politique.

En outre, et en faisant abstraction des considérations politiques de cette évolution, notamment en

termes de stabilité politique et « gouvernabilité », les partis politiques sont considérés comme des

vecteurs d’expression (postulat 2). A ce titre ils participent à la publicisation et la construction des

demandes sociales et politiques, et sont les créateurs des lignes de démarcation. Autrement dit, ce

sont bien les partis qui créent les clivages. De fait, l’émergence de nouveaux partis, quand ils ne

résultent pas de scissions personnalistes, s’accompagne d’une position clivée vis-à-vis de

l’ensemble du système partisan. Cela implique toutefois de considérer le système partisan et la

structuration des lignes de démarcation, comme des éléments dynamiques qui évoluent dans le

temps. Cela conduit alors à un examen systémique des partis, et suppose la nécessité d’approfondir

l’étude en allant au-delà d’une considération des partis comme « acteurs indivisibles ».

Enfin (Postulat 3), les coalitions politiques, et a fortiori gouvernementales, viennent

s’imbriquer à mi-chemin entre les partis et l’environnement (système partisan), lequel fonctionne

comme un « sous-système » politique avec ses propres logiques et mécaniques internes. Les

coalitions viendraient donc participer de la structuration de la compétition politique, de

l’ordonnancement des partis et du système de partis. Or, si les « options » politiques sont plus

identifiables, les alliances électorales tendent à être plus précoces.

Ces postulats permettent d’orienter cette thèse autour des trois principaux facteurs de

« causalité » que nous avons considéré précédemment : i) les institutions ; ii) les éléments de

démarcation politique et sociale ; et iii) la temporalité politique (« timing »). L’intérêt de l'étude des

coalitions électorales puis gouvernementales ne repose pas uniquement sur la question de la

formation et du maintien de ces mêmes coalitions. Si la plupart des travaux ont jusqu'alors présenté

le système politique et le système de parti comme principaux garants des logiques coalitionnaires, il

est question ici de prendre une orientation différente en considérant à la fois « l’environnement » et

l’analyse du processus coalitionnaire en soi. Tout en se gardant d’une dimension positiviste ou

culturaliste, nous analyserons ainsi les mécanismes réciproques de « contrainte » et de

transformation.

Dès lors, l’expérience de gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels du Cône sud

a conduit ou renforcé l’apparition d’une nouvelle historicité politique, contribuant entre autre à un

réalignement des forces politiques. Hypothèse 1, Les coalitions gouvernementales en régime

présidentiel, se matérialisent et s’expriment de manière différente par rapport à celles ayant cours

en régime parlementaire. Le recours et la répétition de formes coalisées de gouvernement

27

contiennent, en régime présidentiel, une dimension « excluante » et limitée s’imposant sur le

système politique et les patrons de compétition électorale (Hyp. 1.1). En régime parlementaire, le

facteur temporel (postélectoral) et le caractère « croisé » des clivages en présence conduit à une

logique plus intégratrice ou « inclusive » entre les partis. Si tous les partis sont susceptibles de

s’allier entre-eux en système parlementaire, notamment en fonction du caractère post-électoral des

accords pour la formation d’une majorité parlementaire1, cette caractéristique pose un problème de

visibilité du gouvernement formé et de reddition de comptes2. Inversement (Hyp. 1.2), en régime

présidentiel, les coalitions paraissent plus visibles et identifiables. La matérialisation temporelle en

régime présidentielle est-elle pour autant plus précoce ? Ceci impliquerait que le vote en système

présidentiel multipartisan soit davantage « coalitionnaire » que partisan3, réduisant le rôle et

l’influence des partis se déclarant « du centre ». Cette hypothèse s’inscrit dans la continuité de celle

de Duverger sur la dualité des options politiques, en assumant que l’organisation du système de

coalitions, et son impact dual4, tendant à reproduire une bipolarité de fait de la compétition

politique.

Hypothèse 2, les partis, canalisateurs de l’expression des clivages structurants, procèdent, au

travers de l’expérimentation de gouvernements coalisés, à un processus double de création et mise

à jour du clivage ordonnant la compétition politique. La ligne de démarcation originelle (ou

« structurante ») est constamment alimentée, dans un but de marginalisation et différentiation

d’avec le(s) groupe(s) partisan(s) opposant(s). Cette rétro-alimentation des clivages est motivée par

un facteur de différentiation politique et électorale, et elle est impulsée depuis l’Etat. Autrement dit,

ce sont les coalitions de gouvernement bien plus que les partis d’opposition qui nourrissent et se

nourrissent des clivages. En outre, sans sous-estimer la pertinence et les effets de l’environnement

(notamment institutionnel), l’ensemble de la communication propre aux gouvernements coalisés

provient et dépend des acteurs de cette même coalition. Si les débats internes sont le fait de

1 STRØM, K., a démontré que la formation de gouvernements minoritaires en systèmes parlementaires est beaucoup

plus courante que ne le prévoyaient les théories parlementaristes jusque-là. Voir STRØM, K., Minority Government

and Majorty Rule, Cambridge University Press, 1990a 2 STRØM K., Ibid; MAINWARING, S., SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós,

Buenos Aires, 2002 [1997]. 3 BLAIS, A., et al se posent d’ailleurs cette question pour les systèmes parlementaires: “Do voters vote for government

coalitions?; Testing Down's pessimistic conclusions”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705. Pour un

contre-argument, peu persuasif, voir DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in

Multiparty Democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719. 4 Ou bipolaire, entendu comme l’opposition de deux « pôles », non articulé autour d’un centre fort. Cela s’inclut dans

la typologie des systèmes politiques de Giovanni Sartori, comme un cas typique multipartisme modéré bipolaire et

centripète, et s’oppose alors la catégorie de système multipartite polarisé et centrifuge. Si le premier suppose un

nombre de partis « pertinents », modérés s’opposant autour de blocs modérément différentiés, le second cas suppose

qu’autour d’un centre existant viennent se polariser deux blocs et former donc trois pôles, relativement irréconciliables.

Le terme redondant de « polarisation » contribuant ainsi à semer le trouble entre ces deux cas distincts. Voir

SARTORI, G., 1976, op. cit.

28

l’hétérogénéité des acteurs, la communication « externe » est le fruit de négociations supposant

une position et une responsabilité commune. Lorsque les divergences internes viennent à

s’externaliser ou se “publiciser”, et lorsqu’un partenaire-clef de la coalition en vient à quitter celle-

ci, la coalition comme “système” se dissout dans le système politique, lequel formait jusque-là son

environnement immédiat.

Cette autonomisation de la politique se manifeste par une déconnexion croissante entre les

acteurs politiques et les agents « de base » 1 de tout mouvement politique (militants, sympathisants,

etc…), et conduit à une informalité « institutionnalisée » croissante dans les relations intra-

coalitionnaires2. Ce présumé désintérêt croissant envers la chose politique (ou « crise des partis » et

« crise de la politique ») se manifeste eu une méfiance envers les partis. Celle-ci est-elle

comparable dans le Cône sud, à ce que l’on peut observer en Europe parlementaire ?

Enfin (Hypothèse 3), dans les systèmes présidentiels du Cône Sud, il existe une logique de

routinisation des coalitions qui, suivant un processus auto-référent, se révèle particulièrement

stable. Cette stabilité des alliances (électorales, parlementaires et gouvernementales) se caractérise

par la création de mécanismes de maintien et de rétro-alimentation des « lignes de démarcation »

politiques. Si l’Argentine est un cas particulier, les cas chilien et uruguayen montrent combien la

pratique coalitionnaire au niveau gouvernemental et/ou dans l’opposition, vient constituer une sorte

d’invariant de leurs systèmes partisans. La compétition politique tend à se concentrer autour de

blocs identitaires et à faire la part belle aux coalitions qui viennent s’inscrire dans une logique

systémique plus ou moins autonome de l’environnement social. Ce recours constitue une sorte de

préservation des acteurs en présence, en raison de la logique « excluante » de ces coalitions,

notamment face à l’émergence de nouveaux acteurs. Ainsi, le système est plus exposé et fragilisé

face aux menaces de séditions internes, que face à l’émergence d’un nouvel acteur « hors

système ». Mais, si cette stabilité dépend de la capacité à maintenir visibles et actifs les clivages en

présence, ou d’élaboration de nouvelles, comment ces alliances s’organisent-elles pour se prémunir

de l’émergence de nouveaux acteurs (« díscolos »), provenant de leurs propres rangs ? Quelle

visibilité peuvent espérer ces acteurs qui pour exister doivent être vecteurs de nouvelles priorités

sociales, sans que leur discours ne soient récupéré par le système de partis « en place » ?

1 Pour les partis dont le schéma organisationnel correspond à celui des partis de masse, tels que décrits par Duverger.

Cette assertion ne peut s’appliquer aux partis plus « récents » (notamment le PPD et l’UDI au Chili, et le FREPASO en

Argentine), lesquels ont des structures organisatrices plus professionnelles et concentrées. 2 Ceci va à l’encontre des approches dominantes, se basant ouvertement sur les accords et les communications

publiques. Voir les travaux de BUDGE, I., et LAVER, M., “Office seeking and policy pursuit in coalition theory”, in

Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 485-506; et “The policy basis of government coalitions: a

comparative investigation”, in British Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519.

29

Justification du « terrain » d’étude et de l’analyse comparée

Cette thèse s’inscrit dans le registre de la théorie politique. La partie empirique adopte pour ce

faire une approche comparative, plutôt qu’une approche de type « étude de cas », afin de doter le

développement du cadre théorique d’un substrat empirique suffisamment solide et diversifié1,

suivant un procédé de rétro-alimentation.

La sélection du « terrain d’étude » de cette recherche s’inscrit dans la continuité de la notion

wébérienne d’affinités électives, où deux entités qui sont culturellement et historiquement proches

viennent former une paire de comparaison pertinente, pour étudier l’impact de phénomènes

communs à ces sociétés2. Nous adoptons une approche inductive dite de « concordance et

différence » (ou variations concomitantes), théorisée par Théda Skocpol3, qui suppose que :

« Prise séparément (la méthode de différence) est plus puissante pour établir des associations

causales que la ‘‘ méthode de concordance’’. Néanmoins il est parfois possible de combiner les

deux méthodes en utilisant à la fois divers cas positifs avec des cas négatifs convenables afin de les

contraster »4.

Le « terrain » d'étude de cette recherche regroupe les trois pays du Cône Sud5: l'Argentine,

l'Uruguay et le Chili, depuis le retour à la démocratie (respectivement 1983, 1985 et 1989).

S’agissant des coalitions gouvernementales, le principal champ d’étude porte sur les périodes

marquées par l’expérience de ces gouvernements, sans s’y limiter pour autant6. Si les huit

gouvernements qui ont pris une forme coalisée constituent les éléments d’analyse de cette thèse, il

1 Nous nous situons ainsi dans la tradition des comparative case studies, ou « small-N comparisons », telles que

défendues par HERMET, G., et BADIE, B., La politique comparée, Armand Collin, Paris, 2001; MAHONEY, J.,

“Qualitative methodology an comparative politics”, in Comparative Political Studies, vol. 40, N° 2, 2007, pp. 122-144;

RAGIN, C., The comparative method: moving beyond the qualitative and quantitative strategies, University of

California Press, Berkley, 1987, et RAGIN, C., et BECKER, H., What is a case: exploring the foundations of social

inquiry, Cambridge University Press, 1992. 2 Voir les travaux de LOWY, M., « le concept d’affinité élective chez Max Weber », in Archives de Sciences sociales

des Religions, No. 127, 2004, pp. 93-103 3 Theda Skocpol se base sur les travaux initiaux de différentiation/ assimilation de John Stuart Mill. Voir MILL, J.S.,

« On the logic of moral sciences », in MILL, J.S., A System of logic raciocinative and inductive, Livre VI, Routledge,

Toronto, 1974 [1843] ; SKOCPOL, T. « France, Russia, China: A structural analysis of social revolutions », in

Comparative Studies in Society and History, vol. 18, n°2, 1976, pp. 175-210; pour une application systématique voir

SKOCPOL, T., States and social revolutions: a comparative analysis of France, Russia and China, Cambridge

University Press, 1979. 4 SKOCPOL, T., Social revolutions in the modern world, Cambridge University Press, 1994, p 79. Traduction propre.

5 Notons que cette dénomination, « Cône Sud », est le fruit de nombreux débats entre politistes et géographes,

concernant la délimitation de cette aire géographique. Aussi suivant les travaux, le Brésil et/ou le Paraguay sont-ils

inclus, ou non. En ce qui nous concerne ici, nous délimitons le cône sud aux trois pays de notre champ d’étude suivant

des critères d’homogénéité géographique, culturelles et lingüistiques. 6 Nous allons ainsi dans le sens de David Collier, John Mahoney et John Seawright, sur la faisabilité et validité

scientifique de la démonstration autour de la sélection de variable dépendante. Voir COLLIER, D., MAHONEY, J., et

SEAWRIGHT, J., “Claiming too much: warnings about selection bias”, in BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking

social inquiry diverse tools, shared standards, Rowman and Littlefield, Lanham, 2004, pp 85-102

30

est toutefois nécessaire de les replacer dans un contexte historique plus ample afin de déceler les

facteurs particuliers à chaque société et les répercussions sur la formation de coalitions. Les cas et

périodes analysés seront, pour le Chili entrent les quatre gouvernements de la Concertación (1990-

2010), des présidents Patricio Aylwin (1990-1994), Eduardo Frei (1994-2000), Ricardo Lagos

(2000-2006) et Michelle Bachelet (2006-2010), pour l’Uruguay les gouvernements de Luis Alberto

Lacalle (1990-1995), la seconde présidence de Julio María Sanguinetti (1995-2000), et la

présidence de Jorge Batlle Ibáñez (2000-2005), enfin pour l’Argentine le gouvernement de

Fernando De La Rúa (1999-2001).

Bien que le Brésil soit la patrie du concept de « présidentialisme de coalition »1, nous ne

l’avons pas retenu. En effet, le recours à des gouvernements coalisés apparaît comme une constante

dans la courte tradition démocratique brésilienne2 - bien que dans certains cas il s’agit souvent

davantage de gouvernements cooptés et/ou formés d’indépendants3 (suivant la définition du

concept de coalition gouvernementale présentée précédemment). Inversement, notre intérêt pour les

cas d’étude retenus ici est celui de processus évolutifs, relativement récents et inédits. Cette

sélection permet de mieux analyser l’impact des expériences de coalition gouvernementale sur la

culture politique des pays concernés.

En effet, si l’historicité politique uruguayenne a été marquée par de nombreux co-

gouvernements, notamment à l’époque des gouvernements collégiaux4, ceux-ci ne découlèrent pas

d’accords interpartisans, les configurations se renouvelant à chaque élection au gré des relations

intra-partisanes et inter-factionnaires. Le cas chilien est différent, la culture gouvernementale

chilienne procédant exclusivement de gouvernements de coalition depuis la fin du XIXe siècle5. Si

l’expérience contemporaine se rapproche de celle précédant le coup d’État de 1973, avec un

système politique matérialisé par des identités et marques partisanes particulièrement fortes et

structurées, elle s’en différencie beaucoup par le caractère centripète et pacifié qu’a pris la

1 Voir ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão...”, op. cit.

2 SANTOS F., “Em defesa do Presidencialismo de coalizão”, in HERMANNS, K., et MORAES, F., Reforma política

no Brasil: Realizações e Perspectivas, Fundação Konrad Adenauer, Fortaleza, 2003; LIMONGI, F., “A Democracia no

Brasil; Presidencialismo, coalizão partidária e processo decisório”, in Novos Estudos, N°76, 2006 3AMORIM NETO, O., “Presidential cabinets, electoral cycles, and coalition discipline in Brazil”, in

MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative politics in latin America, Cambridge University Press, 2002, pp. 48-

78 ; RAILE, E., PEREIRA,C., POWER, T., « The executive toolbox: building legislative support in a multiparty

presidential regime », in Political Research Quarterly, Vol. 64, No.2, 2011, pp. 323-334. 4 Sous la constitution de 1918 le pouvoir exécutif était bicéphale. Le Président élu au suffrage universel (masculin)

direct, partageait son pouvoir avec le Conseil National d'Administration, autonome, également élu au suffrage universel

direct et composé de neuf membres dont un tiers provenant de l'opposition. Par la suite, entre 1952 et 1967 le pouvoir

exécutif sera strictement collégial autour du Conseil National de Gouvernement (CNG), composé de la même manière

que l'ancien CNA. Voir LANZARO, J., La « Segunda » transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria,

Montevideo, 2001. 5 VALENZUELA, J. S., “Orígenes y transformaciones del sistema de partidos en Chile”, in Estudios Públicos, No.58,

1995, pp. 5-78.

31

compétition partisane au sortir de la dictature. Enfin, le cas argentin est particulier en ce que le

gouvernement de l’Alianza constitue la première expression d’accord inter-partisan de

gouvernement dans l’histoire politique argentine, où les partis adoptaient traditionnellement, une

attitude nationale d’exclusion mutuelle1.

L’expérimentation de coalitions gouvernementales, depuis le retour à la démocratie, a constitué

dans ces trois pays, plus qu’ailleurs, un point de fixation générant un tournant culturel et

institutionnel particulièrement remarquable. Par ailleurs, comme le soulignent de nombreux

auteurs2, ces trois pays figurent parmi les plus précoces à avoir expérimenté des gouvernements

démocratiques et ils ont connu des itinéraires politiques semblables depuis les années 19603. En

outre, ils ont expérimenté au cours de vingt dernières années des gouvernements de coalitions avec

différentes réussites, en termes de maintien et stabilité politique. De plus, tous trois présentent des

traits politiques similaires: présidentialisme multipartite modéré et institutionnalisé autour

d’identités partisanes particulièrement fortes et identifiables4; absence de partis ethniques

5 et

régionalistes6 importants ; maintien des principales structures partisanes d’avant le coup d’Etat

7 ;

taux de développement humain comparables et parmi les plus élevés d'Amérique latine8. C’est

d’ailleurs dans un souci d’homogénéité de la comparaison que nous avons choisi de ne pas retenir

les cas de l’Equateur et de la Bolivie, en raison de leur particularités en termes de culture politique

et démocratique et d’aspect politiques relativement différents de ceux des pays du Cône Sud,

comme a forte présence sur le sphère politique de ces deux pays, de mouvements indigènes.

1 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo

Económico, v.25, n.100, 1986, pp. 659-682; CASTIGLIONI, F., ABAL MEDINA, J., “Transformaciones recientes del

sistema de partidos argentino”, in MANZ, T., et ZUAZO, M., Partidos politicos y representación en América latina,

Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 55-71. Voir le concept de “Parti Hégémonique”, in SARTORI, G., Parties and

party system,.. op. cit. 2 MOREIRA, C., “Sistemas de partidos, alternancia política e ideológica en Cono Sur”, in Revista Uruguaya de

Ciencia Política, n°13, 2006. pp 31-55; DE RIZ, L., op. cit; THIBAUT, B. “El gobierno de la democracia presidencial:

Argentina, Brasil, Chile y Uruguay”, in NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M. op cit. pp 127-149. 3 De manière presque concomittante on a assisté à une polarisation, et une radicalisation politique croissante, marquée

entre autres par l'apparition de mouvements politiques révolutionnaires et réactionnaires armés, contribuant à une

autojustification des différents coups d'Etat. La vague de re-démocratisation s’est opérée de manière moins simultanée

mais suivant une périodicité proche. 4 À l'inverse du Brésil, du Pérou et plus récemment de la Colombie, notamment, où cohabitent un multipartisme

exacerbé avec une faible institutionnalisation partisane. 5 Ainsi nous ne trouvons pas de lien social « primordial » alternatif fort (dans le sens de Geertz), et qui entrerait en

concurrence ou nuirait à une « intégration nationale », à l'inverse de ce qui existe en Équateur ou en Bolivie

notamment. Voir GEERTZ, C., La interpretación de las culturas, Gedisa Editorial, Barcelona, 2006 [1973]. 6 À l'inverse de la Bolivie notamment

7 Voir CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el autoritarismo y las

transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989. 8Suivant Lipset. Consulter notamment les données de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Amérique

Latine (CEPAL) pour 2009 sur le site web de l’organisation onusienne.

32

L’inclusion de ces deux pays aurait ainsi entraîné plus de lourdeurs dans la démarche

argumentative de cette investigation dont la principale portée est théorique.

D’un autre côté, les pays du Cône Sud malgré un parcours démocratique similaire, ont des

traditions de pratiques gouvernementales très différentes. Traditionnellement consensuelle et

polyarchique1 en Uruguay, franchement conflictuelle en Argentine, et intermédiaire pour le Chili.

Leurs sociétés sont également partagées autour de clivages sociaux relativement forts et

mobilisateurs, que les partis politiques reprennent (ou non) de manière différente. Par ailleurs, ils

ont expérimenté des changements constitutionnels et institutionnels récents, avec une centralité du

pouvoir exécutif.

Enfin il nous a semblé nécessaire de compléter ces comparaisons en procédant de manière

simultanée à une méthode de « nuancement » des résultats préliminaires

2, et d’après les « canons de

la différence3 » au travers de l’évolution récente de leurs systèmes politique et partisan. Alors que

les bipartismes traditionnels argentin et uruguayen ont rapidement disparu après le retour à la

démocratie, avec l’émergence d’un troisième acteur « anti-système »4

; le système de partis chilien a

connu un déplacement vers le centre de son système de partis5. Mais tous trois expérimentent une

articulation nouvelle de type bipolaire. En outre, la structuration institutionnelle de ces pays est

différente puisque deux sont unitaires (Uruguay et Chili), et l’autre une fédération (Argentine). Le

facteur géographique devra donc être analysé. Quelles que soient les différences cependant,

l’Argentine le Chili et l’Uruguay à l'image de la quasi totalité des pays de la région ont connu au

cours des années 1990-2000 de profondes réformes institutionnelles, qui ont eu un impact

important dans la reconfiguration de leurs systèmes partisans. Il faudra donc analyser les variations

des champs du pouvoir et les propensions au dialogue dans les différents cas, et la capacité de

« veto » des différents acteurs6.

1 DAHL, R., La Poliarquía: participación y oposición, Madrid, Tecnos, 2002 [1971].

2 FROGNIER, A.P., “De la méthode comparative en science politique à la politique comparée” in JUCQUOIS, G. et

VIELLE, C., Le comparatisme dans les sciences de l’Homme, De Boeck Université, Bruxelles, 2000, pp. 395-408. 3 Méthodologie qui couple ainsi la méthode dite de “concordance” et celle dite de “divergence”. Voir MILL, J. S., « On

the logic of moral sciences », … op cit. 4 Le Frente Amplio uruguayen d’inspiration essentiellement marxiste est apparu en 1971, contre les partis traditionnels

et s’est consolidé en 1984; le Frente Grande puis FREPASO est apparu dans les années 1990, comme scission du

péronisme, en signe de rejet de la gestion présidentielle de Menem. Ces systèmes partisans restent, pour autant,

largement structurés autour de deux pôles et n’ont pas enregistré l’apparition massive de proto-partis ou partis

personnalistes, comme en Colombie ou au Venezuela, qui également ont connu une explosion de leurs bipartismes.

Voir ALBALA, A. et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas?.. », op. cit. 5 ALCÁNTARA SÁEZ, M. et FREIDENBERG F., Los partidos políticos de América Latina: Cono Sur, Instituto

Federal Elector/Fondo de Cultura Económica: México D.F, 2003 [2001] 6 TSEBELIS, G., Veto players:how political institutions work, Princeton University Press, 2002.

33

Méthodologie de recherche et organisation de la thèse

Nous avons vu que l'un des principaux écueils lié à l'analyse des gouvernements de coalitions

réside dans le concept même de coalition, ou plutôt la non conceptualisation de ce concept, et la

multiplication de « chat-chiens1 » qui en découlent. Il nous faut donc tenter d’élaborer un cadre

théorique permettant de réaliser la comparaison. Il ne serait toutefois pas pertinent de ne retenir

qu’une seule méthode et approche d’analyse, tant le phénomène des coalitions de gouvernement

apparaît vaste et divers. Ceci pousse à adopter une approche méthodologique à mi-chemin de

l’approche modélisatrice propre à la littérature dominante, et de l’approche plus sociologique, à la

française. Ce mélange consiste en une approche de type circulaire ou rétroduction2, combinaison

d’induction et de déduction quant à la formation et reformation de théorie à partir de prénotions

établies au préalable, alimentée par une bonne connaissance du terrain d’étude pour la validation/

réfutation des hypothèses et élaboration de nouvelles3.

Concrètement, le déroulement et l’agencement de cette recherche s’inscrit dans la perspective

initiée par Abram De Swaan4, qui présente les évolutions ou « chemins » de la théorie des

coalitions, tout en s’appuyant sur des exemples et contre exemples tirés du terrain d’étude. Ceci

dans le but d’illustrer l’argumentation et contredire les modèles utilisés, afin de tenter d’aboutir à

une construction théorique propre aux systèmes présidentiels du Cône Sud. Si chaque chapitre

contient une méthode d’argumentation qui lui est propre, en fonction du sujet abordé, le chemin

épistémologique et méthodologique général, dont l’objet consiste à appliquer la théorie des

coalitions sur la configuration présidentielle, suppose toutefois dans tous les chapitres de mettre en

perspective cette configuration avec la pratique politique en régime parlementaire. Dans cette

perspective, l’Argentine servira de cas « crucial »5 à notre argumentation théorique, car c’est le cas

qui présente le plus de variance en termes de configuration politique et de « résultat » de

l’expérience de coalition gouvernementale, puisque celle-ci a tourné court moins d’un an après sa

formation.

1 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Economica, Mexico, 1995p.24

2 Combinaison de déduction et d’induction, dans le style « grounded theory », ou de « baignoire de Coleman ». Voir

entre autre HANSON N., Patterns of Discovery: An lnquiry Into the Conceptual Foundations of Science. Cambridge:

Cambridge University Press, 1958. 3 Ce qui, d’après Amenta et Poulsen consiste en une approche inductive. Voir AMENTA, E., et POULSEN, J., “Where

to begin: A survey of five approaches to selecting independent variables for qualitative comparative analysis”,

Sociological Methods & Research, vol. 23, n° 1, 1994, 22-53. 4 DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formations, Elsevier, Amsterdam, 1973.

5 Harry Eckstein définit ainsi le « cas crucial » comme: « celui qui doit correspondre étroitement à une théorie lorsque

l’on cherche à démontrer sa validité, ou, au contraire, s’inscrit en faux à la théorie proposée ». Voir ECKSTEIN, H.,

“Case studies and theory in political science”, in GREENSTEIN, F. I., et POLSBY, N., Handbook of political science.

Political science: Scope and theory, Addison-Wesley, Reading, 1975, p. 118

34

Parallèlement aux choix de la méthode d’investigation, et de la sélection des cas, la recherche

s’appuie sur les sources utilisées dans la démonstration. Cette sélection des sources conduit

également à choisir un niveau d’analyse en fonction de l’objet étudié. Puisque l’objet de cette thèse

est de nature particulièrement théorique et comparatiste, il était nécessaire de trouver un équilibre

entre une étude depuis la théorie (démarche externe) et une investigation empirique de l’objet

étudié (démarche interne).

En premier lieu, l’approche théorique est fondée essentiellement sur l’analyse de l’importante

bibliographie sur le phénomène des coalitions, depuis les travaux sur la théorie des jeux jusqu’aux

travaux « comportementalistes » emprunté à la psychologie sociale. Cette compilation est ensuite

ramenée à l’application des coalitions en science politique et sur son expression gouvernementale,

puis s’immisce dans le débat théorique présidentialisme vs/ parlementarisme. Dans cette

perspective, et en cherchant à établir des liens de comparaison entre les réalités parlementaristes et

présidentialistes, les ouvrages retenus seront de nature aussi bien théorique qu’empirique pour

l’application de l’analyse sur le terrain d’étude. Nous avons également procédé à de nombreux

entretiens, notamment avec Juan Linz1, théoricien du débat présidentialisme/ parlementarisme ;

Jordi Matas2, de l’Université de Barcelone, spécialiste de la théorie des coalitions en systèmes

parlementaires ; Grace Ivana Deheza3, Daniel Chasquetti

4 (Universidad de la Républica, Uruguay),

et María Matilde Ollier5 (Universidad San Martín, Buenos Aires, Argentine), principaux politistes

ayant étudié les coalitions gouvernementales en Amérique latine.

L’ouverture de la « boîte noire », s’inscrit dans une démarche plus inductive et interne à l’objet,

dans le but de déterminer les différents mécanismes de la vie interne à la coalition, et les modes de

gestion de crise interne et externe. Pour ce faire, il a fallu répertorier les compositions de

l’ensemble des cabinets6 des coalitions gouvernementales, des trois pays de ce terrain d’étude, afin

d’identifier les entrées et sorties des ministres de chaque coalition et mesurer l’équilibre partisan à

l’intérieur de chaque gouvernement. En outre nous avons procédé à une enquête de terrain auprès

de 63 représentants des trois pays, suivant trois nivaux : i) membres de l’exécutif coalisé ; ii) chefs

de partis durant la période de gouvernement de coalition ; iii) parlementaires « ordinaires » ayant

siégé pendant la (les) période(s) de gouvernement. Si ces trois positions ne sont pas excluantes (un

1 Entretien réalisé le 04/11/11

2 Entretien réalisé le 21/04/08

3 Entretien réalisé le 14/11/11

4 Entretien réalisé le 28/06/09

5 Entretien réalisé le 17/09/09

6 Nous entendons « cabinet » dans le sens anglo-saxon du terme, entendu comme les portefeuilles ministériels et les

secrétariats d’Etats les plus importants. Le concept gouvernement, dans la littérature anglo-saxonne, étant conceptualisé

comme l’ensemble des organes décisionnels de l’Etat.

35

ministre peut avoir été député et chef de parti), elles permettent d’avoir un regard croisé sur le

rendement et le fonctionnement interne des coalitions. S’ajoute, enfin, une quatrième position au

travers de l’entrevue de membres « díscolos » (membres ayant abandonné en cours de route ou à

postériori l’appareil coalitionnaire ou un parti de la coalition).

Ces entrevues ont consisté à des entretiens réalisées en personne ou par voie électronique des

personnels politiques, lesquelles ont été structurées sur la base d’un questionnaire commun adapté

aux huit gouvernements qui constituent le terrain de cette thèse. Le Chili ayant expérimenté un

nombre de gouvernements de coalition plus élevé que les deux autres pays, et sur une période

ininterrompue de plus de vingt ans, justifie que la « part » chilienne des entretiens soit plus

importante (36/63).

*

Cette thèse s’organise autour de trois parties égales, qui contiennent chacune deux chapitres. Les

deux premières, plus théoriques, analysent la majeure partie de la bibliographie utilisée et

l’approche « externe », puis confrontent les théories les plus communes tirées à la réalité des cas

étudiés. La troisième partie plus empirique, analyse notamment les résultats des entretiens réalisés

et s’immerge dans la « boîte noire ».

Pour notre démarche méthodologique, il était indispensable de nous doter des outils nécessaires

à la compréhension du phénomène coalitionnaire et mettre à jour les différentes « théories des

coalitions ». La première partie se propose de confronter la théorie des coalitions avec la

configuration présidentielle de gouvernement, et d’analyser de manière critique les différentes

approches. L’accent est porté sur l’étude des éléments constitutifs de la formation de

gouvernements de coalition, avec comme variable dépendante l’occurrence du phénomène de

coalition gouvernementale. Le premier chapitre tente de « déconstruire » la formation de la théorie

et son opérationnalisation pour les études sur les systèmes parlementaires, afin de tester leur

application empirique sur les systèmes présidentiels. Ce chapitre met ainsi en parallèle deux

champs d’étude qui ont dominé la littérature en science politique depuis les années 1980, sans

jamais se croiser : les coalition theories et le débat présidentialisme vs/ parlementarisme. Il place

donc l’étude du phénomène dans son contexte théorique, avec des apports empiriques latino-

américains sur l’expérimentation des gouvernements de coalition.

Le second chapitre s’interroge sur le véritable rôle des institutions sur les processus

coalitionnaires. Il s’attache à nuancer l’impact de celles-ci et, par-là même, des études centrées sur

les institutions. Au travers de la méthode comparative configurationelle, il procède à une étude en

deux temps d’association et différentiation. En effet, il s’agira tout d’abord « d’isoler » ou

36

comparer les trois cas de notre étude, en les séparant des autres cas latino-américains qui pourraient

potentiellement y entrer. En recourant à la méthode dite QCA1, il est possible d’identifier les

« conditions » ou « facteurs de causalité » propres à la formation de gouvernements de coalitions.

Nous chercherons à analyser le phénomène de coalitions en « sélectionnant » la variable

dépendante, afin de nous arrêter sur le processus conduisant à leur formation et leur

développement. Cela nous permettra de mieux isoler les éléments constitutifs, pour voir les limites

de la théorie dominante.

La seconde partie, à mi-chemin entre la théorie et l’empirie, adopte une méthode dite de « Cas

Similaires, Résultats Différents »2. La variable dépendante est laissée « flottante » (occurrence ou

non de coalitions gouvernementales), afin de se centrer sur les cas pour distinguer les éléments

constitutifs à la pérennisation, reproduction ou disparition des coalitions. Les deux chapitres qui la

composent analysent les cas afin d’isoler les éléments pertinents de causalité et à mesurer l’impact

du présidentialisme sur la formation des clivages. Le premier chapitre de cette partie (Chapitre 3),

étudie la relation entre la configuration présidentielle et l’ordonnancement des clivages, depuis une

approche centrée sur les dimensions structurelles, et particulièrement les configurations

sociopolitiques propres à chaque cas. Nous nous intéressons dans ce chapitre à analyser l’impact de

la configuration présidentielle sur les alignements partisans et la formation de « pôles » identitaires.

Ceci afin de mettre en évidence les contraintes plus importantes en termes « d’options » de

coalition, pour les régimes présidentiels. Le second chapitre de cette partie (chapitre 4) vise à

identifier puis différentier les cycles des coalitions politiques en régime présidentiel par rapport à

ceux des régimes parlementaires. Dans ce chapitre nous aborderons la question de la « visibilité »

des options en place au travers de la formation de blocs électoraux. Nous insisterons sur le

caractère plus prévisible des options de coalition en régime présidentiel et le recours plus fréquent à

la formation de coalitions électorales se transformant en coalitions gouvernementales.

1 Sigle anglo-saxon pour « Qualitative Comparative Approach ». En français, le sigle a été traduit par AQQC pour

« Approche Quali-Quanti Comparée ». Cette approche repose sur un algorithme binaire (ou « booléen »), où les

variables (appelés éléments de causalités) ainsi que les « résultats » sont opérationnalisés en « 1 » pour « présence », et

« 0 » pour « absence » de valeur. Cette méthodologie permet d’avoir une vision d’ensemble des cas étudiés, tout en

centrant l’analyse sur les cas plutôt que sur les variables. Nous aurons l’occasion de décrire plus en détail les procédés

de cette méthodologie assez récente. Pour une approche didactique, voir RIHOUX, B., et RAGIN, C. 2009 op. cit. Pour

une approche francophone, voir DE MEUR, G. et RIHOUX, B., L’analyse quali-quantitative comparee, Louvain, Ed.

Bruylant Académia, 2002. 2 Ou MSDO: Most Similar Cases, Different Outcomes. Voir une présentation de cette méthode dans DE MEUR, G., et

BERG SCHLOSSER, D., « Conditions of authoritarianism, facism and democracy in interwar Europe : systematic

matching and contrasting of cases for ‘Small N‘ Analysis », in Comparative Political Studies, Vol. 29, No. 4, 1996, pp

423-468; Voir également RIHOUX, B., et RAGIN, C., Configurational comparative methods, Sage, Londres, 2009. A

noter que d’après les auteurs, cette méthode reprendrait l’essence originelle des travaux, non aboutis, de

PRZEWORSKI, A., et TEUNE, H., The logic of comparative social inquiry, Wiley, New York, 1970 ; lesquels sont

eux-mêmes inspirés des travaux fondateurs de John Stuart Mill, A system of logic…, op. cit

37

Enfin, la troisième et dernière partie, déplace l’unité d’analyse depuis un niveau « macro »

(Argentine, Chili, Uruguay) vers une dimension plus intermédiaire, soit les huit différents

gouvernements de coalitions expérimentés : quatre au Chili, trois en Uruguay et un en Argentine. Il

s’agit d’entrer dans l’étude de la gouvernance coalitionnaire, et de l’impact de l’occurrence des

gouvernements de coalition sur les systèmes de partis et les traditions gouvernementales des pays

considérés, en adoptant une approche de type « systémique ». Le chapitre cinq étudie la question de

gestion interne des conflits et la double dimension intra-partisane et interpartisane, et remet en

question la considération habituelle des partis comme « acteurs unitaires », en montrant les

composantes internes d’hétérogénéisation des partis. Il s’attache ainsi à considérer les coalitions du

point de vue des partis et des membres qui composent ces partis, et à étudier les relations de ces

membres entre-eux, aussi bien à l’intérieur des partis qu’entre ceux-ci. Enfin le chapitre six analyse

deux dimensions cruciales: l’intérêt des partis à former des coalitions gouvernementales, en terme

de rétribution et stratégie politique ; et la perception des expériences coalisées qu’ont les acteurs et

leurs électorats. La première question suppose l’étude des processus de sélection des candidats

« coalitionnaires », et les compensations octroyés par le parti du président pour les membres issus

des autres partis de la coalition. Le thème de la reddition des comptes (accountability) est

également essentiel et est abordé aussi bien depuis les coalitions (reddition des comptes

« horizontale ») que dans leur relation à leur « environnement » immédiat, à savoir l’électorat

(reddition « verticale »). Cela conduira à analyser les évolutions organisationnelles et stratégiques

des partis ayant participé de gouvernements de coalition et leurs liens de avec leur électorat

originel.

38

Première Partie : « Coalition Theories »,

(dé)construction théorique et

conceptuelle

39

L’étude des processus coalitionnaires, au sens large, suppose de par sa nature polymorphe une

approche appelant à plusieurs disciplines et plusieurs angles d’approches. Parce que la science

politique comme discipline scientifique à part entière ne s’est autonomisée que récemment tantôt

des facultés d’histoire, de sociologie, d’économie ou de droit ; et qu’à ce titre elle n’a cessé de se

chercher une voie propre, nous verrons que les théories des coalitions, appliquées à leur expression

politique, ont reçu des influences provenant aussi bien des mathématiques, de l’économie, de la

psychologie sociale, du droit comparé, etc. Par ailleurs, les études sur les coalitions politiques

semblent se confondre avec les évolutions paradigmatiques et disciplinaires de la science politique ;

et sont marquées par de constantes mises à jour critiques, provenant des différentes influences qui

les composent. Aussi, le projet initial de William Riker, père fondateur des « coalition theories »,

n’était-il pas « paradigmatique » en ce qu’il cherchait à doter la science politique d’outils

méthodologiques et théoriques propres, depuis sa propre théorie?

En outre, les croisements théoriques des coalition theories avec les théories « présidentialistes »,

met en évidence à la fois la faiblesse des principaux postulats anti-présidentialistes, et la nécessité

de présidentialiser l’approche, laquelle ne saurait se limiter comme bien souvent en l’élaboration de

typologisations de systèmes présidentiels plus ou moins propice à la formation de coalition. Dès

lors, si l’approche multivariée suppose la prise en considérations des différentes « conditions » ou

« variables indépendantes », permettant à la fois d’expliquer la formation de coalitions

gouvernementales et leur maintien/ dissolution1, dans les contextes présidentiels, encore faut-il

contextualiser l’analyse au terrain d’étude.

Ces considérations poussent à adopter une approche phénoménologique, dans le sens de Husserl,

des coalition theories, quant à leur capacité analytique des phénomènes coalitionnaires, et

permettent de créer des outils théoriques pour transcrire et analyser le « monde réel des

coalitions »2 ? Autrement dit, quelles sont les relations entre théorie et empirie ? Ou encore, de quoi

se nourrissent les théoriciens de coalitions pour élaborer leurs modèles d’analyse, plus ou moins

prédictifs ?

Enfin à ces questions d’ordre épistémologiques, nous avons déjà souligné que notre étude se

focalise sur la manifestation du phénomène coalitionnaire dans un contexte institutionnel et culturel

distinct de celui où sont nées les coalition theories. D’où la nécessité de vérifier à la fois la

transposabilité des théories des coalitions sur un « terrain » alternatif ou « critique », et les

considérations théoriques quant à la pertinence et l’utilité supposées d’une telle démarche, tout en

1 Ces résultats venant donc être les « variables dépendantes » de l’analyse.

2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la

croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37

40

nous abstenant de considérations normatives ou positivistes. Ceci nous poussera donc à croiser

notre analyse avec les études sur les régimes politiques (« Presidential-Parliamentary Studies »1).

Cette première partie divisée en deux chapitres. un premier chapitre à portée théorique qui

s’efforce de cartographier les fondements et les influences ayant conduit à la formation puis

l’avènement des coalition theories, et déconstruire ainsi leur implication sur la formation d’outil

d’analyse des coalitions gouvernementales en systèmes présidentiel. Un second chapitre qui vise à

identifier les éléments institutionnels censés « générer » ou faciliter la formation et le maintien de

coalitions gouvernementales et les confronterons avec la réalité empirique de nos trois pays qui

forme notre terrain de recherche, en ce sens qu’ils sont comparables et significatifs. Plutôt qu’un

« test » des théories existantes, il s’agit d’établir un cadre théorique de compréhension du

phénomène coalitionnaire en le rapportant, sans l’isoler complètement, à son expression

gouvernementale. Nous adoptons ainsi une démarche chronologique et dynamique de la

construction théorique, sans oublier de l’illustrer par des exemples empiriques.

Au travers de la contextualisation de l’analyse dans l’environnement temporel et institutionnel

de nos cas d’études, cette partie consiste à rapprocher des réalités différentes, mais ayant toutes

trois expérimentés des cas de coalitions gouvernementales. D’où un recours à la technique dite de

MDSO (Most Different Case, Similar Outcome). La « variable » dépendante -de type binaire

opérationnalisée par les chiffres 1/0, pour « présence/ absence- est orientée, dans un premier temps,

sur la formation et la dissolution de coalitions gouvernementales. Nous discriminerons au cours des

deux prochains chapitres, l’analyse autour des cas ayant un résultat d’une valeur « 1 », autrement

dit, nous nous concentrerons sur les cas ayant expérimenté des gouvernements de coalitions. Même

si nous utiliserons des contre-exemples, de valeur « 0 » (pas de gouvernement de coalition), nous

garderons cette ligne pour cette partie, avant de traiter nos champs d’analyse de plus près. En

conséquence, nous montrerons qu’il n’existe pas de mécanique universelle ni institutionnelle à la

formation de coalition, contrairement à ce que tendent à avancer la plupart des auteurs sur le

phénomène coalitionnaire.

1 ELGIE, R., “From Linz to Tsebelis: three waves of presidential/parliamentary studies?,” in Demcratization, Vol.12,

No.1, 2005, pp.106–122

41

Chapitre 1 : Reconsidération des coalition

theories et de leur adaptation en régime

présidentiel.

Caminante, son tus huellas

el camino y nada más;

Caminante, no hay camino,

se hace camino al andar.

Al andar se hace el camino,

y al volver la vista atrás

se ve la senda que nunca

se ha de volver a pisar.

Caminante no hay camino

sino estelas en la mar

Antonio Machado, « Cantares ».

Si les coalitions politiques puis gouvernementales ont fait l’objet d’une attention croissante

depuis les années 1950, force est de constater que la variété et l’hétérogénéité des approches

initiales ont laissé place à une uniformisation des analyses, dès les années 1960, autour d’un

schème unique économiciste basée sur la théorie des jeux1. Cet engouement scientifique s’est

massifié surtout depuis les années 19902 -notamment depuis les travaux de Strøm

3 et Müller et

Strøm4-, mais on observe depuis peu une résurgence d’approches épistémologiquement et

heuristiquement plus ambitieuses. Or ces nouvelles approches demeurent encore, à ce jour,

minoritaires et constituent l’apanage exclusif de quelques chercheurs, essentiellement européens.

Pour appréhender l’étude des coalitions, ce chapitre se propose un double objectif. Tout d’abord,

il consiste en une analyse critique de la littérature connue comme coalition theories, afin de

délimiter les champs d’analyse et pointer les limites de cette littérature. Cela nous conduira ainsi à

analyser l’évolution des travaux, originellement et essentiellement ‘parlementaristes’, puis nous

effectuerons un parallèle avec les travaux portant sur les systèmes présidentiels. Ceci nous

permettra de replacer l’étude des coalitions gouvernementales dans le contexte académique

dominant des coalitions theories. Nous pourrons alors établir le degré d’avancement des études

portant sur chaque système de représentation et leurs limites.

1 LEHINGUE, P., « L'analyse économique des choix électoraux (II) », in Politix, Vol. 11, No. 41, 1998, pp. 82-122.

2 RENIU, J.M., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,

1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001. 3 STRØM, K., Minority governement and majority rule, Cambridge University press, 1990a

4 MÜLLER, W.C., et STRØM, K., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, Oxford, 2000.

42

Dans un second temps nous chercherons à établir l’applicabilité heuristique de ces théories,

développées essentiellement pour l’analyse des systèmes parlementaires, en régimes présidentiels.

Plutôt que de chercher à faire des systèmes présidentiels des particularismes d’analyse, nous

verrons le caractère géo-centré, de la plupart des travaux portant sur les coalitions politiques et

gouvernementales. Nous insisterons sur trois dimensions : i) le caractère non fortuit des coalitions

en régime présidentiel ; ii) la nécessité de se doter d’un concept et d’une typologie unique et

standard, et iii) une approche temporelle différente de celle qui à trait aux régimes parlementaires,

en considérant à la fois une étape pré-électorale au « cycle coalitionnaire»1, et la nécessité d’une

vision temporelle diachronique.

1.1 Les « chemins théoriques » des coalition theories

Le propos de cette thèse consiste à analyser les coalitions gouvernementales en régime

présidentiel en portant une attention particulière à l’élaboration d’une définition solide et clairement

délimitée du concept de « coalition gouvernementale ». Dans un premier temps, il est donc

nécessaire néanmoins de remplacer l’étude phénoménologique par l’étude herméneutique. Cela

passe par considérer les coalitions au sens large, qu’elles soient politiques ou non, en analysant

l’avènement et l’évolution des coalition theories.

Les premiers balbutiements concernant des études portant sur les coalitions au sortir de la

seconde guerre mondiale, font état, de manière surprenante, d’une large diversité de leurs contenus.

Parallèlement et presque simultanément aux premiers travaux « économicistes » de Von Neumann

et Morgenstern qui jeté les prémisses de l’approche par la « théorie des jeux » 2

, des études

davantage inspirées par les sciences cognitives vont voir le jour. C’est le cas notamment des

travaux propres aux relations triangulaires ou « triades », développés entre autres depuis une

approche comportementaliste voire par la psychologie sociale3. Ces études, particulièrement

succinctes, qui s’inspirent de la psychologie sociale et/ou à la sociologie pour analyser les rapports

1 MÜLLER, W.C., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition theory and cabinet governance: an introduction”, in

STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008,

p.10. 2

VON NEUMANN, J., et MORGENSTERN, O., Theory of games and economic behavior, Princeton University Press,

1944. 3 SIMMEL, G., "The significance of numbers for social life", in HARE, E. P., BORGATTA, E. F., et BALES, R. F.,

Small groups: studies in social interaction, New York, Knopf, 1955 ; MILLS, T. M., "Coalition pattern in three person

groups", American Sociological Review, Vol. 19, No. 6, 1954, pp.657-667; STRODTBECK, F. L., "The family as a

three-person group", in American Sociological Review, Vol. 19, No.1, 1954, pp 23-29. CAPLOW, T., “A theory of

coalitions in the triad”, in American Sociological Review, Vol. 21, No. 4, 1956, pp. 489-493; et “Further development

of a theory of coalitions in the triad”, in American Journal of Sociology, Vol. 64, No. 5, 1959, pp. 488-493; VINACKE,

W. E., et ARKOFF, A., "Experimental study of coalitions in the triad,", in American Sociological Review, vol. 22, n°4 ,

1957, pp. 406-415

43

et/ou relations de forces entre individus ou groupes d’individus, constituent une sorte de « pré-

genèse » de la théorie des coalitions. Et malgré leur nature « expérimentale », il n’en demeure pas

moins que les auteurs voient dans leurs travaux une vocation holiste, modélisable et donc

réplicable :

«La théorie des triades, est promise à une application sur différentes échelles, bien que cet

avantage n’ait pas encore pleinement exploité jusqu’à présent. Il semble cependant que les

généralisations développées au sein des groupes de trois personnes, soient applicables à des

situations où les unités d’interactions se retrouvent être des groupes structurés, pouvant aller de la

taille de groupes politiques voire des Etats »1.

Bien qu’ils ne traitent pas directement des coalitions gouvernementales ni de processus

politiques à proprement parler, ces travaux sont toutefois pertinents en ce qu’ils considèrent la

présence d’intérêts particuliers et la capacité de mobilisation et regroupement autour d’un thème

pour produire un consensus2, ou dans une logique d’alliance « contre » un adversaire commun

3. La

dimension individualisante des acteurs et l’aspect psychologique et sociologique de la prise de

décision venant ainsi s’additionner et non se soustraire à l’assomption « maximisante » propre à la

théorie des jeux. Le recours à la modélisation et à la systématisation de l’analyse ne se soustrait pas,

ainsi, à un travail de rétroduction, comme le montre Theodore Caplow:

« Dans cette exploration préliminaire, les coalitions de fratries semblent être basées sur la

similarité de sexe, l'âge et l'intérêt plutôt que sur l'équilibre des forces dans la triade. Cela

apparaît comme décourageant car cela fixe des limites plus étroites quant à l'application du

modèle, que ce qui était initialement espéré. D'un autre côté, cela suggère que la formation des

coalitions dans les triades pourrait continuer de suivre une tendance de prédicabilité, dans des

conditions beaucoup plus complexes que celles que nous avions discutées. »4

Néanmoins, malgré cet intérêt heuristique, et bien que quelques-uns de ces auteurs soient repris

par William Gamson, l’un des « pères » des coalition theories, ces travaux conservent une

dimension assez confidentielle. Ils ont été critiqués pour leur caractère prétendument

préscientifique et leur prise de distance vis-à-vis à de la théorie des jeux5, alors en voie

d’expansion. Leur caractère transdisciplinaire tranche avec l’évolution de la théorie des coalitions

1 CAPLOW, T., 1956, op cit, p. 489. Traduction propre

2 Les travaux de Mills, op. cit., et Strodtbeck, op. cit., notamment

3 Les travaux de Caplow présentent un intérêt encore très actuel sur cette question, notamment en ce qui concerne les

procédés de « cartélisation » voir infra 4 CAPLOW, T., 1959, op cit, p. 493. Traduction propre.

5 Vinacke et Arkoff apparaissent parmi les plus virulents, bien qu’ils ne critiquent pas la théorie des jeux en soi, mais

plutôt –déjà !- le caractère abstrait de la théorie et ses lacunes en matière de prédiction : « A purely rational approach is

provided by the theory of games, although there has, as yet, been comparatively incomplete analysis of three-person

games. […] It is clear that the differential strength or power characterizing members of the group is a significant

factor, one, in fact, that has numerous psychological dimensions not envisaged in game theory. » VINACKE et

ARKOFF, 1957, op cit, p. 406.

44

et de la science politique anglo-saxonne en général, davantage écono-centrée et en quête de

scientifisme1. La portée de ces travaux restant donc, malheureusement, trop limitée, malgré les

efforts de chercheurs hétérodoxes essentiellement européens ou formés en Europe continentale2.

Enfin, si nous suivions une dimension chronologique, nous nous devrions de citer les travaux de

Maurice Duverger, comme les premiers travaux de science politique portant sur les alliances

partisanes3. Nous nous réservons néanmoins l’analyse de l’étude de Duverger, et son influence,

pour l’étude herméneutique des coalitions politiques au travers des considérations partisanes (infra

1.1.2).

1.1.1 L’approche par la théorie des jeux

L’émancipation, au sortir de la seconde guerre mondiale, de la science politique comme

discipline « scientifique » à part entière, indépendante de la tutelle sociologique et économique

(tradition anglo-saxonne4) ou des facultés de Droit (tradition française et italienne)

5, va conduire à

développer et systématiser une « approche » politologique à vocation scientifique6, cherchant à

émuler les méthodes de recherches propres aux sciences naturelles7. Pour autant, cette approche ne

sera pas unitaire ni unifiée car selon la tradition d’origine, différentes techniques se sont affirmées

et furent accompagnées d’une professionnalisation des recherches et méthodes d’investigation8.

1 LEHINGUE P., “L'analyse économique des choix électoraux (I)”, in Politix, Vol. 10, No.40, 1997, pp 88-112; voir

aussi VUILERME J-L., Le concept de système politique, PUF, Paris, 1989. 2 Notamment LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, PUF, 1998 ; et Le pouvoir et

l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval, 2006 ; ainsi que LANZARO,

J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001. 3 DUVERGER, M., Les partis politiques, Armand Collin, Paris, 1981 [1951]

4 A noter néanmoins que l’American Political Science Association (APSA) a été fondée en 1903 et que l’American

Political Science Review (APSR) a été lancée en 1906. Toutefois, les premiers départements « expérimentaux » de

sciences politiques s’autonomisent-ils, aux Etats-Unis, dans les années 1920 (école de Chicago). La discipline se

massifie quant à elle dans l’immédiate après-guerre. 5 A noter que la France s’était déjà dotée d’Instituts d’Études Politiques, autonomes, orientés autour de thématiques

propres à la sociologie politique (qui viendra a être dominante par la suite). Pour une présentation de l’histoire de la

science politique française, voir FAVRE, P., “La Science Politique En France Depuis 1945”, in International Political

Science Review, Vol. 2, No. 1, 1981, pp. 95-120, et MILET, M., « L'autonomisation d'une discipline. La création de

l'agrégation de science politique en 1971 », in Revue d'Histoire des Sciences Humaines, Vol.1, No.° 4, 2001, p. 95-116. 6 Si l’obsession scientifique et positiviste semble être une constante dans la tradition anglo-saxonne, comme l’a avancé

Jean Louis Vuilerme, et bien qu’elle soit assumée comme telle par le courant « mainstream », il n’en demeure pas

moins que la littérature fait état du débat sur le caractère ‘scientifique’ de la science politique. Aussi, Mattei Dogan dit-

il, à juste titre, que la science politique où qu’elle ait été développée et autonomisée, relève d’une hybridation en termes

d’approches et de méthodes. Voir DOGAN, M., « Political Science and the Other Social Sciences », in GOODIN R.E.,

et KLINGERMANN, H.D, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., A New Handbook of Political Science,

Oxford University Press, 1996. 7 Voir ROSS, D., The Origins of American Social Science, Cambridge University Press, 1992; et FLYVBJERG, B.,

Making Social Science Matter, Cambridge University Press, 2001. 8 Le terme de professionnalisation suppose de fait l’existence (ou la création) d’une « communauté » professionnelle

qui se reconnaît autour de « standards » et de « normes », permettant d’évaluer des « compétences » académiques (en

45

Très vite, et pour des raisons d’antériorité et de diffusion, et surtout de précocité dans la

délimitation de l’objet « science politique », l’approche anglo-saxonne –surtout Étatsunienne- va

s’imposer comme dominante1. Ainsi, suivant une volonté positiviste d’imiter les sciences exactes –

dites « dures »-, vont se répandre des méthodes dont la principale caractéristique est marquée par la

systématisation et mise en évidence des procédés de causalités (« inférence ») au travers de données

empiriques2, et l’élaboration de modèles à vocation holistique, universaliste et répliquable. Dans

cette veine, se développent alors deux courants qui ont « révolutionné »3 l’approche

méthodologique, anglo-saxonne, en science politique. Tout d’abord l’approche « behaviouriste »

(comportementaliste), inspiré par les méthodes propres à la psychologie et à la sociologie,

cherchant à analyser les comportements d’acteurs, les cultures politiques et les perceptions à grande

échelle, souvent au moyen de sondages d’opinion4.

L’autre « révolution », bien plus importante quant à son impact tant elle a cannibalisé

épistémologiquement la science politique nord-américaine et mondiale, au point d’en être le

courant dominant aujourd’hui, est l’approche économiciste. Cette approche, incarnée par les

économistes Kenneth Arrow, Anthony Downs et Mancur Olson, consiste en une transposition des

préceptes et méthodes propres aux sciences économiques -particulièrement de l’école néo-

classique-, sur l’action politique. Cette « économie politique », dont l’approche méthodologique

d’autres termes « scientifiques ») des autres professionnels. Voir GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D, “Political

science: the discipline”, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., op cit. p. 6 1 SARTORI G., La política : Lógica y método en las ciencias sociales, Fondo de Cultura Económica, México, 1987.

En effet, jusque dans les années 1960, avec des répercussions sur sa pratique aujourd’hui, l’école française ne

considérait pas la science politique comme une discipline autonome propre à analyser la politique. Ainsi Eisenmann

considère-t-il la science politique comme l’une des disciplines des « sciences politiques », au même titre que l’histoire

politique, la doctrine politique ou la sociologie politique. Duverger lui-même délimite-t-il le champ d’application de la

science politique à la sociologie politique qu’il considère de fait comme synonymes, ce que ne saurait contredire, une

fois n’est pas coutume, Georges Lavau. Ces postures plus ou moins transdisciplinaires ont, de fait, conditionné

l’approche française de l’étude des phénomènes politiques en se refusant, ainsi, de recourir à une objectivisation des

études politologiques. DUVERGER, M., Sociologie politique, PUF, Paris, 1966 et FAVRE, P. op. cit. Pour une

discussion plus récente, voir notamment les discussions entre Bruno Latour, défenseur du « tout politique » et du

dialogue avec les sciences studies, et Pierre Favre, avocat d’une délimitation du champ d’application de la science

politique. LATOUR, B., « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de science

politique, vol. 58, n° 4, 2008, pp. 657- 678 ; et FAVRE, P. « ‘‘Ce que les science studies font à la science politique’’.

Réponse à Bruno Latour », in Revue française de science politique, Vol. 58, No. 5, 2008, pp. 817-829.

A l’inverse, la posture nord-américaine tend, depuis l’après guerre et l’apparition des premières théories behaviouristes,

à objectiver et autonomiser la science politique comme « science », délimitée et avec sa propre méthode. Cette

différence d’approche n’étant pas vraiment spécifiée par l’ouvrage de GOODIN, R et KLINGERMAN, op. cit, et

notamment le chapitre de Gabriel Almond « Political Science: The History of the Discipline », pp. 50-96. 2

Gary King, Robert Keohane et Sidney Verba décrierons ainsi que la raison d’être des sciences et a fortiori des

sciences sociales et politiques comme la suivante: « [s]cientific research is designed to make . . . inferences on the basis

of empirical information about the world», KING, G., KEOHANE, R.O., et VERBA, S., Designing social inquiry:

scientific inference in qualitative research, Princeton University Press, 1994, p. 7. 3 ALMOND, G.A., op. cit.

4 Voir ainsi, les travaux de ALMOND, G. A., et VERBA, S., The civic culture : Political attitudes and democracy in

five nations, Princeton, Princeton University Press, 1961; INGLEHART, R., The Silent Revolution, Princeton,

Princeton University Press. 1977; et PUTNAM, R., Making Democracy Work, Princeton, Princeton University Press,

1993.

46

suppose l’élaboration de modèles essentiellement mathématiques, est basée sur deux postulats

majeurs : i) l’information pure et parfaite, et ii) le caractère rationnel des acteurs, guidé par le

principe utilitariste de maximisation des profits1.

Aussi, si les travaux sur les coalitions, que nous avons présentés jusqu’à présent, semblent être

proches du courant behaviouriste, la théorie des coalitions telle qu’élaborée par William Riker puis

par la plupart des politistes s’inscrit elle, de fait, dans la lignée économiciste. Riker qui a été

fortement influencé par l’analyse mathématique des phénomènes sociaux2, va appliquer la théorie

des jeux élaborée par Von Neumann et Morgenstern, au contexte des coalitions politiques. Théorie

qui, d’après lui, marque le début non seulement d’une « théorie des coalitions », mais surtout la

naissance d’une science politique authentique3.

En se centrant particulièrement sur les coalitions gouvernementales, et suivant un schéma

utilitariste, Riker tend à établir un modèle théorique déductif et prédictif quant à la formation des

coalitions possibles (coalition making). Considérant le postulat de la rationalité des acteurs, et de la

parfaite information disponible pour les joueurs, il incorpore le principe économiste de la

« fiduciarité » des échanges, comme rétribution à tout investissement et participation. L’élément

fiduciaire ou « gain » à partager étant matérialisé par les postes de pouvoir (office seeking). Les

motivations de tous les participants étant ainsi basées sur des aspirations « maximisantes » vis-à-vis

de ces gains. Les limites de la coopération reposant alors sur l’évaluation des gains espérés par

chacun: « Chaque joueur est ainsi, et de manière significative, intéressé par ses propres gains »4.

Riker reprend alors le modèle de la théorie des jeux basée sur les relations entre plusieurs

joueurs ou « personnes » (n-person games), se disputant un gain (accès au pouvoir) suivant le

principe de « jeux à somme nulle ». Cet axiome stipule que la somme des « gains » des membres de

la coalition « gagnante » est contrebalancée, de manière strictement égale, à la somme des

« pertes » de la partie perdante. De la sorte, le complément à une coalition gagnante est une

coalition perdante5. Riker dichotomise ainsi les options et joueurs en présence en fonction de

l’obtention du bien -coalition des gagnants, ou encore « coalition gagnante »- ou non (perdants),

1 DOWNS, A., “An economic theory of political action in a democracy”, in Journal of Political Economy, Vol. 65, No.

2, 1957, pp. 135-150; et DOWNS, A., An Economic Theory of Democracy, Harper and Row, New York, 1957. 2 Bien que sa biographie dise qu’il est politiste, la science politique d’alors était, nous l’avons vu, une branche des

sciences économiques ou de la sociologie. De fait William Riker est connu pour être l’un des fondateurs du courant

mainstream actuel, basé sur des fondements positivistes et mathématiques, empruntés aux sciences économiques. 3

En effet: “This theory is, of course, not restricted to coalitions formed for authoritative decisions about value, but it is

sufficiently applicable to political behaviour to offer political scientists -for the first time since Aristotle tried to

generalize about politics over two millennia ago- a model sufficiently descriptive and sufficiently unambiguous to

occasion some hope for a genuine science of politics”, RIKER, W., The theory of political calitions, Yale University

Press, New Haven, 1962, pp. 12-13.

4 RIKER, W., op. cit, p.36

5 Ibid, p.40

47

tout en stipulant qu’il existe une multitude de combinaisons « gagnantes » possibles, pour un seul

bien1.

La considération centrale quant à la formation d’une « coalition gagnante » passerait par une

sélection optimale des partenaires, afin d’obtenir une maximisation des gains en lice. Les

partenaires élaboreront alors une stratégie2 de sélection basée sur un partage optimal des gains, et

en vue de garantir la stabilité de l’alliance. Cette stratégie est considérée, initialement par les pères

de la théorie des jeux, Von Neumann et Morgenstern, comme « le plan d’action sur les décisions à

prendre dans chaque situation en fonction de l’information dont [chaque joueur] dispose et que le

‘‘jeu’’ peut lui fournir »3.

Comme le présente William Gamson, l’objectif principal réside dans le fait d’identifier les

coalitions les moins « chères »4, entendues comme celles supposant la mise en place de la moindre

quantité de ressources politiques, et une moindre concession des ressources en jeu, afin d’obtenir –

toujours- la plus grande part de « gains » possibles. Ces ressources politiques étant matérialisées, en

ce qui concerne les coalitions gouvernementales, en termes de voix et surtout de sièges à

l’assemblée. A noter que Gamson avait déjà élaboré un précepte similaire, avançant que le partage

des gains se doit d’être congruent, c’est-à-dire proportionnel à l’apport de chaque partenaire5.

Le postulat qui découle de cette logique suppose donc que du nombre de participants à la

« coalition gagnante », et de leur poids, dépend la part de « gains » correspondant à chaque

participant et, de fait, le succès de celle-ci. Riker élabore son principal apport qu’il nomme principe

« du nombre » ou principe « de la taille » (size principle), où il assume qu’en fonction des principes

précédents :

« Dans les jeux à personnes multiples et à somme nulle, où les paiements collatéraux sont permis,

où les joueurs son rationnels et où ils ont une information parfaite, il ne se forme que des

coalitions gagnantes minimales. [...] Les participants créent des coalitions suffisamment grandes

pour leur assurer la victoire »6.

Suivant les préceptes utilitaristes, ce principe stipule premièrement qu’un nombre moindre de

partenaires conduirait à optimiser les gains, et de ce fait réduire les coûts de négociation entre les

différents membres. Dès lors, parmi l’ensemble des « combinaisons » possibles de coalitions

gagnantes, seules les coalitions regroupant le plus petit nombre de joueurs (Minimal Winning

1 Ou une quantité « limitée » de bien, ce qui revient à la même chose.

2 Ibid, p. 35

3 VON NEUMANN, J., MORGENSTERN, O., op. cit p. 79.

4 GAMSON, W., “A Theory of Coalition Formation”, in American Sociological Review, Vol. 26, No. 3, 1961, pp. 373-

382 5 ibidem

6 RIKER, W. op. cit., p. 32-33

48

Coalitions) tendent à se former. Dit autrement, les coalitions victorieuses les plus raisonnables

seraient celles qui par la soustraction d’un seul de ses membres deviendraient perdantes1, et

viendraient de la sorte à être « rationnellement » préférables. Néanmoins, malgré ce précepte, il se

peut qu’il existe encore plusieurs « unions » possibles.

Riker introduit, dans un second temps, le « principe de la taille » (ou poids) des membres. Ce

principe englobe deux dimensions : les ressources mises à disposition, et la question de coalitions

« déséquilibrées ». Pour lui, la combinaison la plus désirable parmi l’ensemble des coalitions

minimales victorieuses, serait celle qui offre le moins de « marge » possible, afin de garantir la

cohésion des joueurs (Minimum Size Coalitions). Le poids de cette coalition -dépendant des poids

respectifs de chacun de ses membres-, devant être le moins large possible, soit juste nécessaire à

former une majorité, afin de ne pas avoir à subdiviser inutilement les gains en lice. Ceci implique,

dès lors, une considération du « rapport de force » entre les joueurs.

De cette manière, les coalitions « déséquilibrées » sont considérées comme irrationnelles et

« non désirables ». En effet, puisque les acteurs cherchent à maximiser leurs profits, seules les

alliances entre acteurs de taille similaire, viendraient à être satisfaisantes ; les acteurs les plus

« petits » obtenant par ce biais la part de gains la plus optimale possible. De plus, bien que ces

combinaisons –coalitions gagnantes de moindre taille (Minimum Size Coalitions)- aient un poids

global moindre, elles sont considérées paradoxalement comme plus stables du fait d’une

optimisation de la distribution des « parts » ce qui entraînerait une plus grande cohésion des

membres, et donc une moindre incitation à la sédition. Chaque joueur agissant de manière

rationnelle, leur comportement vise donc à assurer leurs gains, matérialisés, en ce qui nous

concerne, par des portefeuilles ministériels. Dans le cas où les incitations à la sédition ne permettent

pas d’envisager (ou « évaluer ») une meilleure maximisation des gains, les joueurs sont censés agir

de manière solidaire.

Pour illustrer la théorie de Riker avec les coalitions politiques et gouvernementales du Cône

Sud, considérons à tire d’exemple, les élections uruguayennes de 1994 et 1999. Précisons tout

d’abord, que le système électoral uruguayen est basé sur le principe d’élection simultanée,

présidentielle et législative, cette dernière découlant d’une représentation proportionnelle où les

résultats des élections se traduisent, de manière congruente, en sièges parlementaires. Ces sièges

parlementaires constituant dès lors le poids de chacun des joueurs en lice. Ces joueurs sont le

Partido Colorado et le Partido Nacional, les deux partis « traditionnels » uruguayens ayant dominé

la vie politique du pays depuis son indépendance en 1830. Le troisième joueur est le Frente Amplio,

1 Ibid. p.40

49

parti de coalition qui est né comme une coalition des partis « d’idéologie »1 lors des élections de

1971, et qui s’est constitué comme parti depuis le retour à la démocratie en 1985.

Reprenons alors à la théorie de Riker le postulat de suffisance de la majorité simple (50% +1), et

celui d’exceptionnalité des « grandes coalitions » regroupant tous les acteurs, et confrontons le ;

tout d’abord, aux élections générales de 19942, qui ont été marquées par un quasi « match nul ».

Chaque joueur recueillant à peu près un tiers des voix comme le montre le tableau 1.1. Si l’on suit

l’argument de Riker, la coalition la plus rationnelle aurait dû regrouper le Partido Nacional et le

Frente Amplio, car elle combinait un moindre poids total (61,82% des voix, et sièges

parlementaires3). Pourtant, c’est une coalition entre les deux premiers, ou plus « forts », qui s’est

formée, entre les « partis traditionnels » : Partido Colorado (1), et Partido Nacional (2) ; dès lors

cette coalition peut paraître « irrationnelle ».

Cinq ans plus tard, les rôles ont changé, et cette fois le Frente Amplio arrive en tête lors du

premier tour de l’élection présidentielle4, devant le Partido Colorado et le Partido Nacional, lequel

est éliminé pour le second tour de la présidentielle. Cette fois-ci, la théorie de Riker semble se

vérifier puisque c’est la combinaison de « moindre poids » qui s’est formée, entre à nouveau les

deux partis traditionnels, cette coalition ayant, par la suite, gagné le second tour de l’élection

présidentielle. Suivant l’argument de Riker, semble la plus « rationnelle ». De fait, le Partido

Nacional dans une alliance avec le Frente Amplio n’aurait pu prétendre qu’à un peu plus d’un tiers

des gains (22.3/ (40.1+ 22.3) = 35.7), alors qu’avec le Partido Colorado cette part se retrouve

« maximisée » à 40% (22.3/ (32.8+22.3) = 40.4). Le Partido Colorado avait également tout à

gagner d’une alliance avec le Partido Nacional, puisqu’il passait d’une position minoritaire avec le

Frente Amplio (45% des gains « envisageables »), à une position majoritaire (59.6%).

1 LANZARO, J.,

2 Jusqu’à la reforme de la constitution en 1996, les élections uruguayennes étaient “générales” dans le sens où pour

chaque scrutin se renouvelaient l’ensemble des organes administratif, électifs, de l’État, de manière simultanée. Ainsi,

les uruguayens élisaient à chaque scrutin le Président de la République, les deux chambres du législatif (Sénat et

Chambre des députés), et les autorités municipales. Pour une simplification de notre argumentaire, nous nous

limiterons aux élections parlementaires et présidentielles. 3 Le système électoral uruguayen combine une représentation proportionnelle totale au niveau du Sénat (une seule

circonscription nationale), et partielle au niveau de la chambre des députés (en fonction du poids démographiques des

départements) ; voir le chapitre 2. 4 La réforme constitutionnelle de 1996 a instauré, entre autres, le principe du « balottage » à l’élection présidentielle,

afin, officiellement, d’éviter tout nouveau « match nul », et donner le président une légitimité électorale.

50

Tableau 1.1 : Élections Uruguayennes de 1994 et 1999.

Élections de 1994 Élections de 1999

1. Partido Colorado : 32.35%

2. Partido Nacional : 31.21 %

3. Frente Amplio : 30.61%

1. Frente Amplio : 40.1%

2. Partido Colorado : 32.8%

3. Partido Nacional : 22.3%

Coalition formée : 1 + 2 Coalition formée : 2 + 3

Source: Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de la República, à partir de données de la Cour

Electorale Uruguayenne.

Les intérêts des deux joueurs, exprimés en termes d’accession à des postes de pouvoir, semblent

converger vers la formation de coalition, le second cas offrant une configuration apparemment

« optimale ». Les résultats « exceptionnels » des élections de 1994, où tous les acteurs présentaient

un même poids politiques, permettent d’expliquer et nuancer la combinaison « irrationnelle » qui

s’est formée1. Dès lors, la théorie rikérienne cherche à proposer un modèle théorique et prédictif

solide quant aux motivations des acteurs à former des coalitions. Les cas déviants seraient ainsi

expliqués soit par un comportement irrationnel des acteurs, soit par une absence d’information sur

le poids des différents joueurs. Cependant comme nous l’avons vu au travers de l’exemple

uruguayen, la formation de coalitions politiques suppose davantage de complexité qu’un simple

décompte des rapports de force.

1.1.2 Atterrissage de la théorie

Les travaux liminaires de William Riker ont eu le mérite d’ouvrir à la science politique un

champ d’étude inédit, tout en partant de considérations et postulats propres aux sciences

économiques. Néanmoins, bien que largement suivi par la suite, et bien que la démarche rikérienne

va tracer l’évolution de la science politique, il n’en demeure pas moins qu’une mauvaise théorie,

même bardée d’un élégant modèle, demeure une mauvaise théorie. Ainsi, la posture de métathéorie,

assumée par Riker, bien qu’ambitieuse et apparemment logique, recèle-t-elle de nombreuses

faiblesses tant au plan de ses propres postulats, qu’à l’heure de la confronter à la réalité partisane.

1 A ce titre, cela nous renvoie à la boutade de José Miguel Albala Bertrand: “economists do not make predictions, but

only excuses”. Voir ALBALA BERTRAND J.M., « A word about models: definition, verification, stages and

persistence», in Macroeconomics II, Lecture notes. Présentation des cours dictés à l’Université Queen Mary de

Londres, 2010, p. 11.

51

Ainsi, l’unité de mesure (ou d’analyse) employée par Riker pour étayer sa thèse, découle-t-elle

du paradigme du choix rationnel propre à l’école économique néoclassique, qui postule le caractère

indivisible des joueurs, duquel découle un comportement rationnel individuel. Or Riker semble

hésiter sur la propre qualité indivisible des joueurs. Si ce postulat semble servir la théorie en ce

qu’elle la simplifie, l’auteur semble néanmoins ne pas savoir identifier clairement « l’individu

rationnel » à qui il confère la capacité d’action et de prise de décision. Ainsi, bien qu’il avance qu’il

considèrera l’étude des institutions (ou partis) comme « des individus à part entière »1, l’ensemble

de son modèle se focalise sur les individus au sens propre, à savoir les parlementaires2. Ce seraient

donc les aspirations utilitaristes personnelles de ces derniers qui guideraient leur comportement,

sans réelle influence d’ordre institutionnel et contextuel, mais surtout « sans égard pour des

considérations idéologiques ou d’affinités historiques »3. La théorie pose le caractère a-historique

des coalitions en éludant les questions de la responsabilité des joueurs vis-à-vis du collectif.

Si ce postulat méthodologique paraît viable pour l’étude des parlements de l’époque des

notables, quand les parlementaires étaient élus au suffrage censitaire suivant des relations de

confiance et où le député agissait en son âme et conscience, il est beaucoup moins pertinent depuis

l’époque de la « démocratie des partis » 4

. Dès lors, la théorie initiale souffre-t-elle d’un degré

d’abstraction critique qui la rend peu propice à établir des prédictions fiables, alors que ce propos

était le fondement-même de la théorie. Ce postulat pose, par ricochet, un problème conceptuel

quant à l’élaboration d’une définition générique de « coalition politique » et « coalition

gouvernementale ». La théorie va alors recevoir de nombreuses mises à jour depuis le paradigme du

choix rationnel, en incorporant les avancées portant sur l’existence d’un choix rationnel collectif

(ou social), et d’une action collective utile5. La théorie des coalitions politiques se nourrit ainsi de

1 RIKER, W., op. cit. p.20

2 De là vient d’ailleurs l’une des principales faiblesses de la théorie du choix rationnel, en ce qui concerne la

transposition du comportement individuel à un comportement social, comme le présente le logicien Anatol Rapoport

dans sa préface du livre de Abram de Swaan, Coalition theories and cabinet formations, op. cit. : « For the analysis of

rational decisions in general conflict situations perforce turns the attention of the investigator to the dialectic

opposition between individual and collective rationality, which might be viewed as a central problem in political

science » (p. xvi). 3 RIKER, W., op. cit. p. 21.

4 Bernard Manin établit en effet trois étapes ou “métamorphoses” du principe représentatif. La première, la période dite

du « parlementarisme », où des personnes d’influence (notables) débattent de manière indépendante de chacun des

sujets en cours, sans réelle coïncidence avec une quelconque opinion publique. La seconde, la « démocratie des

partis », où la fidélité et la discipline partisane découlent d’une clientèle politique représentant une classe sociale, et

dont le lien est matérialisé par un programme politique. Enfin la troisième étape est appelée « démocratie du public »,

où malgré l’existence d’un appareil partisan, les liens avec l’électorat (et donc la marge de manœuvre) sont beaucoup

moins liés à une corporation, mais sont rythmés par « l’opinion publique » via les sondages et les médias. Voir

MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs Flammarion, Paris, 1996 [1995]. Voir également

GAXIE, D., La démocratie représentative, Clefs Monchrestien, Paris, 2003 5 Voir les apports sur la théorie du “choix social” de ARROW K., Social Choice and Individual Value, Wiley, New

York, 1963 [1951]; DOWNS, A., An Economic Theory of Democracy, Harper and Rawls, New York, 1957; OLSON,

52

l’évolution des travaux sur les partis politiques. Aussi, comme le recommande Leiserson tout en

gardant le même modèle déductif rikérien, l’étude des coalitions politiques et gouvernementales

passe donc par la considération systématique des partis comme unités d’analyse1. Dès lors, la

théorie des coalitions appliquée aux coalitions gouvernementales va logiquement suivre les

avancées portant sur la démocratie représentative et les partis politiques.

Notons que l’évolution et le « boom » des coalition theories s’inscrivent dans les débats

théoriques naissants sur les partis, qui se nourrissent -entre autres- des réfutations empiriques

récurrentes des modèles d’analyse employés et de l’incompatibilité supposée entre stabilité

(politique ? démocratique ? gouvernementale ?) et multipartisme. Ainsi, aux tenants du bipartisme

et du dualisme comme essence « naturelle » de toute société, et configuration la plus désirable pour

le maintien de la stabilité (ou « ordre ») politique2 ; vont répondre des auteurs qui, se basant sur des

données empiriques solides, vont démontrer la viabilité et l’utilité des systèmes multipartites des

parlementarismes européens, notamment dans le cas de sociétés segmentées3. Les coalitions de

gouvernements et le multipartisme semblent, alors, commencer à sortir d’une considération

normative négative.

Un autre postulat central va, en outre, être questionné et subir une « mise à jour ». Il s’agit du

caractère rationnel et utilitariste des joueurs en présence. En effet, l’axiome de fiduciarité des

relations entre joueurs, et la recherche de maximisation systématique des profits, souffre d’une

absence de constatation et validation empirique « en dehors du laboratoire »4. En se basant entre

autres sur les travaux de Duverger, le postulat de la rationalité des acteurs va se retrouver nuancé ou

« limité », notamment par « l’environnement » surtout institutionnel, mais aussi culturel ou

M., Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1965. Voir également COLOMER, J., Instituciones Políticas,

Ariel, Barcelone, 2007. 1 LEISERSON, M. A., « Power and Ideology in Coalition Behavior: An Experimental Study », in GROENNINGS, S.,

KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study of coalition behavior : theoretical perspectives and cases from four

continents, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1970, pp. 323-335. 2 Ces auteurs sont surtout influencés par le parlementarisme britannique ou Westminster, traditionnellement stable, et

considèrent le multipartisme et le phénomène des coalitions qui en découle comme une « tare » pour la stabilité

parlementaire. Voir entre autres BRYCE, J., Modern Democracies, McMillian, New York, 1921 ; DUVERGER, M.,

Les Partis Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951], BLONDEL, J., « Party Systems and Patterns of Government in

Western Democracies », in Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 1, No.

2, 1968, pp. 180-203; et DAALDER, H., “Cabinets and party systems in ten European democracies.” Act Politica, No.

6, 1971, pp. 282–303. Ainsi d’après Blondel, op. cit., p. 199: « Coalition, whether small or large, appears directly

antagonistic to stable government… ». 3 LIPSET, S. M., et ROKKAN, S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une

introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]. LEISERSON, M.A., op

cit. ; AXELROD, M., Conflict of interest, Markham, Chicago, 1970; DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet

Formation, Elsevier, Amsterdam, 1973, LIJPHART, A., “Consociational Democracy”, in World Politics, Vol. 21, No.

2, 1969, pp. 207-225 et DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976. 4 DE SWAAN, A., op. cit. p.5

53

historique1. En conséquence, la considération de préférences non-utilitaires des joueurs

2,

matérialisées en termes « d’affinités idéologiques » opère comme un tournant dans l’étude des

coalitions politiques et a fortiori pour les coalitions gouvernementales.

D’ailleurs, l’introduction de la variable idéologique des joueurs va contribuer à transformer le

modèle initial, tout en cherchant à renforcer son caractère prédictif. En effet, la principale mise-à-

jour du modèle rikérien, provient de la dimension « d’ensembles consistants », avancé par Howard

Taylor stipulant que les coalitions tendent à se former entre membres de mêmes « ensembles »3.

Michael Leiserson, Robert Axelrod et surtout Abram De Swaan introduisent la distance

idéologique entre partis comme une variable centrale à la catégorisation d’ensembles idéologiques,

et la prédiction de formation de coalitions. Cette distance idéologique étant matérialisée autour

d’un axe Droite-Gauche, où se repartiraient les partis en fonction de leur idéologie « publique », sur

une échelle ordinale unidimensionnelle4. Axelrod prédit ainsi que les coalitions les plus à même de

se former sont les coalitions minimales idéologiquement proches ou « connectées » (Minimal

Connected Winning Coalition)5. Dans le but de minimiser les coûts de transaction et marchandage

inhérents à la formation d’un gouvernement, les membres cherchent donc à se rapprocher au sein

de groupes relativement homogènes, où l’amplitude idéologique serait la moins large possible6.

Abram de Swaan prolonge de fait cet argument, reprenant les travaux de Sjöblom7, en considérant

que les postes ministériels ne sont pas l’unique « gain » en jeu, mais sont accompagnés de l’action

gouvernementale et des politiques publiques élaborées. L’attention est alors portée non pas sur le

nombre de joueurs, mais sur l’extension de cette amplitude. En combinant les travaux d’Axelrod et

ceux de Leiserson, et en incluant l’ébauche d’une perspective clivée8, De Swaan pointe que ce sont

1 En appliquant ainsi les avancées d’alors sur les théories des partis politiques. Voir DUVERGER, M., Les Partis

Politiques, Seuil, Paris 1981 [1951] ; LAPALOMBARA, J., et WEINER, M., Political Parties and Political

Development, Princeton University Press, 1966 ; LIPSET, S., Political Man : The Social Bases of Politics, Heinemann,

Londres, 1960 ; LIPSET, S., et ROKKAN, S., Party Systems and Voting Alignments : Cross National Perspectives,

The Free Press, New York, 1967. 2 William Gamson avait déjà mentionné cette dimension. Voir GAMSON, W., op. cit.

3 TAYLOR, M., “Balance and change in the two-person group”, in Sociometry, Vol. 30, No. 3, 1967, pp. 262-279. Ces

travaux étant inspirés par ceux de Heider sur la psychologie des formes et affinités (Balance Theory). Voir HEIDER,

F., "Attitudes and Cognitive Organization", in Journal of Psychology, 21, 1946, pp. 107-112; et The Psychology of

Interpersonal Relations, New York, John Wiley and Sons, 1958. 4 Voir à ce propos les considerations de Daniel Seiler “la comparaison et les partis politiques”, in BCN Political Science

Debates/ICPS, n°2, Barcelone, 2003, pp. 5-27 ; et « L'Europe des partis: paradoxes, contradictions et antinomies », in

BCN Political Science Debates, n°5, ICPS, Barcelone, 2007. pp79-127. 5 AXELROD, M., op. cit

6 Michael Leiserson parle de “Minimal Range Coalition”, ou « Coalition de moindre amplitude idéologique ». Cette

amplitude est mesurée en observant les deux éléments de chaque « extrême » de la coalition. Voir LEISERSON, M., op

cit. 7 SJÖBLOM, G., Party Strategies in a Multiparty System, Studentlitteratur, Lund, 1968.

8 Qui sera reprise par Lawrence Dodd, pour élaborer le principe de « volonté » coalitionnaire et d’ « option »

coalitionnaire. Voir DODD, L., op. cit.

54

les perspectives de satisfaction1 de réalisation programmatique qui vont guider la formation des

gouvernements de coalition. Dans son argumentation, il met en rapport la question de connexité

idéologique avec la notion d’amplitude limitée et fermée2 (Close Minimal Range Coalitions). Il

avance qu’une coalition victorieuse peut inclure des joueurs dont le rôle serait « superflus » pour

l’obtention d’une majorité, du moment qu’ils se positionnent idéologiquement dans les limites

tolérées de l’amplitude. De la sorte les fondements-mêmes de l’axiome Rikérien sur la condition de

« minimalité » des joueurs sont critiqués.

Ainsi, tout en démontrant les confusions autour des questions de nombre et « taille » minimale,

la considération de marge utile ou « marge de sécurité » de la coalition contredit la supposée

suffisance du principe de « coalition gagnante de moindre taille »3. La nature synchronique de ce

principe ne permet en effet pas de considérer le caractère mouvant de ce type d’accord politique, et

le dimension multivariée des motivations pour la formation de coalitions. Il ne prend pas en compte

à la fois le caractère volatil des électeurs, et la motivation de captation électorale des appareils

partisans formant la coalition, notamment lors d’élection partielle ou locales4. Dès lors, le caractère

a-historique de la théorie initiale l’empêche de considérer la transposabilité des coalitions de

manière multidimensionnelle (électoral, régional, municipal, etc…), ce qui la rend myope et

presbyte à la fois.

Nous avons vu que la raison d’être du modèle de Riker basé sur la théorie des jeux, a consisté à

établir des éléments théorique en vue de la prédiction de la formation de coalitions. Toutefois, la

théorie souffre d’un degré d’abstraction beaucoup trop élevé pour contenir un niveau de

prédictibilité et d’explications pertinentes du phénomène coalitionnaire5, puisque Riker ne s’attache

à étudier que les contours fondationnels et séditionaires. Bien que le modèle ait reçu de nombreuses

mises-à-jours critiques, notamment au travers de considérations d’homogénéité idéologiques,

celles-ci ne remettent, cependant pas en cause les principes directeurs de la théorie que sont le

caractère inconditionnellement rationnel des individus et le principe d’information similaire, à

défaut d’être pure et parfaite. De plus, bien qu’ils cherchent à se rapprocher de la « réalité »

1 Et non plus “maximisation”.

2 DE SWAAN, A., op. cit.

3 Voir par exemple BONNET G., et SCHEMEIL, Y., « La théorie des coalitions selon William Ricker: Essai

d'application aux élections municipales françaises de 1965 et 1971 » in Revue française de science politique, Vol.22,

No.2, 1972, pp. 269 – 282 ; KOEHLER, D. H. “The meaning of minimal winning size with uncertain participation”, in

American Journal of Political Science. Vol. 19. No. 1.,1975, pp 27-39; FROHLICH, N., « The Instability of Minimum

Winning Coalitions », in American Political Science Review, Vol. 69, No. 3, 1975, pp. 943-946; HINCKLEY, B.,

“Beyond The Size Of Winning Coalitions”, in The Journal Of Politics, Vol. 41, 1979, pp.192-212. 4 BONNET G., et SCHEMEIL, Y., op. cit.

5 Voir notamment les critiques de Grégory Luebbert sur les coalition theories de type déductives. LUEBBERT, G.,

“Coalition Theory and Government Formation in Multiparty Democracies”, in Comparative Politics, Vol. 15, No. 2,

1983, pp. 235-249.

55

partisane, ces travaux souffrent d’un degré d’abstraction exacerbée, ce qui rend leur modèle

relativement peu prédictif. Enfin, en considérant les partis comme acteurs unitaires, ces travaux ne

prennent pas en compte suffisamment les processus et intérêts internes des partis, en posant le

caractère unitaire de ceux-ci. Ces travaux semblent, enfin, pêcher par ethnocentrisme en ayant

recours à une mesure des amplitudes idéologiques basées sur un continuum droite/gauche, propre

des canons européens1.

Néanmoins, à l’image des travaux sur les partis politiques, la théorie des coalitions va donner

lieu à une systématisation de l’analyse, ainsi qu’une diversité dans les objectifs de recherche et une

plus grande créativité méthodologique. Notons néanmoins que l’introduction de considérations

multi-motivationnelles autres que le simple intérêt à maximiser l’obtention de postes ministériels,

vont ouvrir la voie à une extension du domaine d’analyse des coalition theories. Ainsi Käare Strøm

va synthétiser les travaux de Sjöblom en avançant qu’à l’heure de former des coalitions

gouvernementales, les partis répondent à trois types de motivations : i) maximisation des postes

ministériels (office seeking) ; ii) convergence programmatiques (policy seeking) ; iii) maximisation

de résultats électoraux (vote seeking)2. La tâche consiste à identifier les motivations des partis et les

classifier en fonction de ces motivations directrices.

1.1.3 De nouvelles pistes de recherche

La première « salve » de mise à jour a donc contribué à complexifier les théories initiales de

Riker et Gamson sans parvenir à se défaire d’un niveau critique d’abstraction, et maintiennent un

faible degré prédictif3. Pour autant, à partir de ces mêmes travaux deux chemins parallèles se sont

structurés, comme autant de nouvelles « générations » d’analyses4 : une qui s’inscrit dans la lignée

1 Généralement sur une échelle ordinale allant de 1 à 10, ou 1 à 5, où « 1 » représente une position de gauche extrême et

5 ou 10, une position de droite extrême. Pour une défense de ce procédé voir LAVER, M., « Why should we estimate

the policy positions of actors », in LAVER, M., Estimating the Policy Positions of Political Actors, Routledge/ECPR,

Londres, 2001, pp. 3-10. Pour une contre proposition voir SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis

politiques », in Cahiers Français, n°276, 1996, p. 51-59. On observe ainsi que ce continuum n’est pas homogène ni

transposable à l’ensemble des système partisans européens. Dans certains cas, notamment en Belgique et aux Pays Bas,

on peut observer différentes « dimensions » de compétition et segmentation politique, sur des bases autres

qu’idéologiques, comme les questions lingüistiques (flamands/ francophones), religieuses (catholiques/ protestants).

Nous verrons ainsi que dans les cas argentin et uruguayen, l’ordonnancement idéologique des partis n’est pas si

évident. Sur ce propos, voir LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984 2 Voir STRØM, K., “Party goals and government performance in parliamentary democracies”, American Political

Science Review, 79, 1985, pp. 738-754; et STRØM, K., “A behavioral theory of competitive political parties”, in

American Journal of Political Science, Vol. 34, No.2, 1990b, pp. 565-598. 3 Voir LUEBBERT, G., op. cit.

4 Le terme de génération ne suppose pas nécessairement une dimension chronologique, puisque ces approches vont se

développer de manière quasi simultanée, mais plutôt une considération en fonction du degré d’émancipation ou

diversification d’avec les coalition theories originelles. Voir BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New Directions in

56

des travaux précédents (seconde génération), l’autre découlant d’une approche plus inductive,

multivariée et multidimensionnelle (troisième génération).

a. La seconde génération ou la complexification des modélisations

Dans la lignée des travaux précédents, se sont rapidement multipliées les études à caractère

universel, dites de « seconde génération », basées sur des modèles toujours plus complexes, dont

l’objectif est de prévoir la composition des coalitions en faisant fi de la dimension contextuelle. Ces

travaux déductifs et quantitatifs, s’inscrivant dans la tradition de la théorie des jeux, s’intéressent

essentiellement à la formation des coalitions gouvernementales, et sont centrés sur les

« rétributions », et la répartition/ sélection de celles-ci -essentiellement les portefeuilles

ministériels- entre leurs membres. Cette approche maintient la considération rikérienne que la

principale motivation pour la formation de coalition est de l’ordre de l’office seeking1, puisque

comme l’avancent Laver et Schofield :

« Il ne peut y avoir le moindre doute sur le fait que le processus de formation du gouvernement

[...] est l’une des principales questions des démocraties européennes. Comprendre comment une

élection donnée conduit à un gouvernement donné est, autrement dit, l’un des principaux projets

de la science politique »2

Dans cette démarche, le nombre de sièges et l’idéologie des joueurs (les partis considérés

comme acteurs unitaires) constituent les variables centrales. L’accent est placé sur la forme de la

négociation et de la répartition, les acteurs en présence sont divisés en acteurs « centraux »3 et

« suiveurs » (ou participants)4, et les rétributions (ou « récompenses ») sont ordonnées en fonction

du nombre et la qualité des postes répartis. Cette approche que l’on pourrait appeler « théorie du

Coalition Research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 469-483. Voir également LAVER, M.,

et SCHOFIELD, N., Multiparty government :The politics of coalition in Europe, Oxford University Press, 1990;

RENIU, J.M., “Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,

1977-1996”, Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001; et LANZARO, J., La « Segunda »

transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2001b. 1 En effet: « Payoffs in question derive primarily from holding cabinet portfolios». WARWICK, P. et DRUCKMAN, J.,

“Portfolio salience and the proportionality of payoffs in coalition governments”, in British Journal of Political Science,

n°31, 2001, p. 628; voir également BARON, D., et FREJOHN, J., “Bargaining in Legislatures”, in American Political

Science Review, Vol. 83, No. 4.,1989, pp. 1181-1206. 2 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., op cit p.89. Traduction propre.

3 Ou « core party ». Essentiellement le parti du “formateur” qui, comme on l’a vu précédemment, est celui en charge

des négotiations quant à la formation de la coalition. Ce parti n’étant pas nécessairement le parti le plus « gros », est

considéré comme le parti abritant le « législateur médian », dans le spectre idéologique. Voir entre autre les travaux de

Norman Schofield, et Laver et Shepsle. SCHOFIELD, N., “political competition and multiparty coalition governments”

in European Journal of Political Research, n°23, 1993, pp 1-33; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and breaking

governments, Cambridge University Press, 1996. 4 WARWICK, P., “Coalition government membership in west European parliamentary democracies”, in British

Journal of Political Science, vol. 26, No. 3, 1998, pp. 471-499.

57

marchandage » ou « théorie des rétributions »1, s’applique à élaborer des stratégies de négociation

en fonction: i) de l’information dont disposent les partis ; ii) du poids de chacun des acteurs et iii)

de l’idéologie des joueurs et leur position sur l’axe unidimensionnel droite/gauche. C’est par

ailleurs ce dernier qui permet de déterminer le caractère des partis -qu’ils soient négociateurs ou

suiveurs-, suivant qu’ils détiennent le législateur « médian » ou s’ils en sont proches. Ce dernier –le

parti du législateur médian- tant à être considéré comme le « dictateur idéologique » du système

partisan et membre de facto de tout gouvernement de coalition2, lorsqu’il n’en est pas le formateur.

Les théories exposent dans leurs grandes lignes et en recourant à des régressions mathématiques

complexes, que le processus de négociation en vue de l’allocation de portefeuilles ministériels,

concorde avec la théorie de la congruence de Gamson3, avec un bonus pour le formateur et les

petits partis.

Ainsi, si cette stratégie est testée et évaluée en fonction de la durée du maintien de la coalition,

elle apparaît toutefois comme dépendante des motivations et de l’envie de ses membres4. Surtout

elle implique un processus dynamique où les acteurs procèdent de manière séquentielle, ou non

coopérative, de par l’inégale et incomplète information dont ils disposent, notamment au sujet des

autres membres de la coalition5. Cette approche considère les coalitions gouvernementales comme

des moyens d’accéder à des postes ministériels ou de satisfaire à des politiques publiques.

Toutefois, compte tenu du caractère a-contextuel de ces modèles, ces approches ne parviennent

qu’à un degré de prédiction particulièrement modeste6. En outre, l’analyse des relations entre les

partis, bien que basée sur des postulats rationnels (proximité idéologique), fait preuve d’une

1 Voir BROWNE, E., et FRANKLIN, M., “Aspects of coalition payoffs in european parliamentary democracies”, in

American Political Science Review, 67, 1973, 453–69; BROWNE, E., et RICE, P., “A Bargaining Theory of Coalition

Formation”, in British Journal of Political Science, Vol. 9, No. 1, 1979, pp. 67-87; et WARWICK, P., op. cit.. 2 BUDGE, I., et LAVER, M., “The policy basis of government coalitions: a comparative investigation” , in British

Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519; et LAVER, M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers

and Parliamentary Government, Cambridge University Press, 1994. 3 GAMSON, W., op. cit. Laver et Schofield qualifient la théorie de Gamson de « one of the strongest relationships to be

found anywhere in the realm of the social sciences ». LAVER, M., et SCHOFIELD, N., 1990, op. cit. p. 171. 4 AUSTEN-SMITH, D., et BANKS, J., “ Elections, Coalitions, and Legislative Outcomes”, in American Political

Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., “A spatial bargaining theory of government formation

in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, pp. 137-164; SCHOFIELD, N.,

1993 op cit. 5 Pour une « théorie » de la négotiation non coopérative voir SUTTON, J. “Non-Cooperative Bargaining Theory: An

Introduction”, in Review of Economic Studies, Vol. 53, No. 5, 1986, pp.709-724. Ainsi d’après John Sutton (p. 709):

“In the case of two-person bargaining under complete information, an appeal to perfectness is sufficient to ensure

uniqueness […] The imposition of perfectness in this context appears natural, and possibly even compelling. The

restrictions which have been employed to ensure uniqueness in games of incomplete information are, however, at best,

less persuasive”. 6 BROWNE, E., et FRANCKLIN, N., op. cit. ; MARTIN, L., et STEVENSON, R., "Cabinet Formation in

Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 45, No.1, 2001, pp. 33-50.

58

perspective a-historique et statique. Les intérêts des joueurs apparaissent, de cette manière, comme

ponctuels ou contractuels1, les coalitions se formeraient ex nihilo.

En réponse à ces limites, certains auteurs vont peu à peu doter leurs modèles prédictifs d’une

optique diachronique. Ainsi les relations antérieures entre les joueurs, entrent en considération pour

prédire la formation de coalitions futures2. L’expérience commune d’une coalition

gouvernementale influe ainsi sur les motivations futures de reconduction ou re-formation

d’alliance. L’information disponible sur le caractère et le comportement des joueurs étant

incomplète et imparfaite, Mark Francklin et Thomas Mackie introduisent les facteurs de familiarité

(expérience commune passée) et d’inertie (reconduction d’une coalition)3. La temporalité exposée

en variable contribue à enrichir la théorie au travers d’une approche inspirée des travaux dits de la

« dépendance du sentier » (path dependence).

b. Limites de cette approche

Cette approche des coalition theories, qui constitue le gros de la théorie, se concentre sur la

partie fondationnelle et terminale du « cycle coalitionnaire », l’objectif étant de prédire la formation

des coalitions gouvernementales en fonction des membres en lice, puis d’établir la viabilité de

celles-ci en fonction des membres qui les composent, ceteris paribus. Si ces approches ont

contribué à un renouveau des coalition theories, et ont réalisé des apports certains en termes de

stratégie et communication politique, elles souffrent toutefois deux principaux écueils –au-delà des

considérations phénoménologiques pointant la superficialité de ces approches4.

Tout d’abord, l’axiome de rationalité combiné à la conception des partis comme acteurs unitaires

conduit, en effet, à mésestimer les évolutions et compétitions voire luttes intra-partisanes, en

considérant les partis comme inaltérables ou statiques5, et dont les chefs de partis sont supposés

1 GAUDIN, J.P., Gouverner par contrat, Presses de Sciences-Po, Paris, 2007.

2 BUDGE, I., et KEMAN, H., Parties and democracy. Coalition formation and government functioning in twenty

states, Oxford University Press, 1990. 3 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary

democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298. 4 Pour une perspective critique de cette approche voir RENIU, J.M., op. cit., et BUÉ, N., « Rassembler pour régner

Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la gauche à Calais (1971-2005) », Thèse

de doctorat non publiée, Université de Lille 2, 2006. 5 Laver et Schofield avancent que: «parties do in practice tend to go into and came out of government as single actors,

however painful the wounds inflicted upon them inside the black box might have been» LAVER, M., et SCHOFIELD,

N., op. cit. p.15. Les auteurs se défendent néanmoins en présentant les partis européens comme effectivement très

disciplinés (au niveau parlementaire), où les divisions sont davantage « verticales », qu’horizontales. De ce fait les

auteurs élaborent une typologie regroupant quatre « types » de partis en fonction de leur degré « d’unité » et de

« coalitionnalité » : i) les partis cohérents (partis communistes et personnalistes) ; ii) les partis confédérés mais

« unitaires » quand ils sont au gouvernement ; iii) les partis atomisés et peu institutionnalisés; et iv) les « coalitions

électorales de partis », celles-ci étant considérées alors comme un « supra-parti » considéré comme acteur unitaire. Et

bien qu’ils soient conscient du caractère tendancieux de leur approche, notamment en se référant aux travaux de

59

incarner la stabilité et la discipline interne1. Cette double conception qui sert la théorie en la

rendant plus modélisable, délaisse néanmoins la part informelle et symbolique propre aux relations

inter et intra partisanes ; variables, il est vrai, plus difficilement « mathématisables ». Suivant

Offerlé2 et Bué et Desage

3 nous considérons que s’en tenir à l’apparente stabilité interpartisane

reflète mal les tensions internes et les processus de négociation, sédition et recomposition.

De nombreux auteurs4 ont mis en évidence le caractère simpliste consistant à considérer la

cohésion interne des partis comme un acquis. En effet, cette « exogénisation des partis»5,

considérés comme unités données dans une temporalité « figée », conduit à une dématérialisation

des partis. Cela est d’autant plus vrai que les partis sont, eux-mêmes, des coalitions d’individus

ayant décidé de s’unir pour des motifs politiques, sans nécessaire adhésion à une idéologie définie

ou dogmatisée6. Ceci s’applique particulièrement, en ce qui nous concerne, pour les partis latino-

américains, généralement marqués par une grande hétérogénéité idéologique interne et considérés

comme faiblement disciplinés7. D’ailleurs, l'étude de la cohérence intra-partisane révèle que celle-

ci englobe trois dimensions: a) la cohérence idéologique, b) la cohérence programmatique, et c) la

cohérence organisationnelle. Là où l’accent est généralement porté sur la dimension idéologique8,

ces trois niveaux de cohérence sous-tendent, dès lors, la nécessité de la contextualisation de l'étude

des partis, dimension absente comme on l’a vu des « théories du marchandage ». Ceci met donc en

évidence les différents échelons de motivation et relation entre les partis et à l’intérieur de ceux-ci.

Gregory Luebbert, les auteurs concluent (p. 28) : “overall, our general conclusion on the matter of whether or not we

can treat parties as unitary actors for coalitional purposes is that we can indeed do so if we confine ourselves to

analyzing individual episodes of coalitional behavior at given time points and if we make a few significant exceptions

for parties that really are no more than coalitions of factions in every sense…”. 1 Voir LAVER, M., et SHEPSLE, K., « Events, equilibria and governemnt survival », in American Journal of Political

Science, Vol. 42, No.1, 1998, pp. 25-54. 2 OFFERLÉ, M.., op. cit.

3 BUÉ, N., et DESAGES, F., op cit.

4 LUEBBERT, G..M., op. cit ; DI TELLA, T. S. Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos-

Aires, 2003 ; LEHINGUE, P., op. cit. ; BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation” in Party Politics, Vol.

14, No. 1, 2008, pp. 71-89 ; et surtout RUIZ RODRÍGUEZ, L.M.,“La coherencia programática en los partidos

políticos”, in ALCÁNTARA, M., Políticos y política en América Latina, Fundación Carolina/Siglo XXI, Madrid,

2006a, pp. 281-310; et RUIZ RODRÍGUEZ, L.M La coherencia partidista en América Latina, Editions Centro de

Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2007. 5 GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party politics and coalition governments, Routledge/ECPR, Londres- New

York, 2009 6 Voir, notamment, OFFERLÉ, M., les partis politiques, Puf, Paris, 2006 [1987] ; DUVERGER, M., Les partis

politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951]; PANEBIANCO, A., Political Parties, Organization and Power, Cambridge

University Press, 1988 ; LAPALOMBARA, J., Political Parties and Political Development, Princeton University Press,

1966 7 On observe généralement que les systèmes de partis, où la compétition politique est structurée de forme bipartite,

présentent davantage d’hétérogénéité idéologique et programmatique interne. Le cas britannique constitue, cependant,

un contre-exemple à cette observation, d’où une nécessaire précaution face à des « lois » mécaniques. Voir ALBALA,

A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en

Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180. 8 Notamment lorsqu’il s’agit d’établir des typologies ou des échelles de positionnement de type droite-gauche.

60

Ces observations sont alors nécessaires lorsque l’on constate que la concurrence pour

l’attribution de parcelles de pouvoir1 se révèle être d’autant plus rude, à l’intérieur des partis

qu’entre eux. D’où la nécessité d’étudier les mécanismes formels et informels de discipline interne,

ainsi que les cas de désertions également individuelles ou collectives2. Les ambitions et motivations

personnelles et collectives entrent donc en considérations, et incluent les affinités voire les relations

d’amitiés ou inimitiés politiques et personnelles, entre acteurs politiques ne sont pas prises en

compte. Celles-ci contribuant grandement à la formation de relations de gratifications et de

loyautés. En outre, la dimension symbolique, entendue comme l’introduction ou la (sur)valorisation

d’acteurs a priori moins centraux mais tout autant stratégiques (accords avec des écologistes ou des

partis régionalistes par exemple), est considérée comme un coup de marketing politique3.

Surtout, la seconde limite de ces théories du marchandage découle du fait, comme l’avance Jean

Pierre Gaudin, qu’à se focaliser sur les acteurs on reste prisonnier « d’une actualité magnifiée par

ses protagonistes qui aiment à y voir tantôt un triomphe irénique de l’esprit consensuel ou, à

l’inverse, la valorisation des jeux stratégiques et des concurrences ouvertes de pouvoir »4. Par

conséquent, en n’abordant pas les coalitions gouvernementales comme des fins, et en se

désintéressant des « mobiles » (positifs ou « négatifs5 ») de la coalition, ces approches négligent

alors les questions de reddition des comptes (accountability), et de visibilité et identification6des

acteurs. Des questions qui vont au-delà des considérations inertielles ou de familiarité des acteurs,

et qui se trouvent être centrales pour comprendre, à la fois, la survie de coalitions et leur éventuelle

re-formation. Ainsi, comment ne pas invoquer ces considérations pour comprendre les parcours

parallèles des gouvernements de coalition argentin et uruguayen, lors de la gestion de crise qui a

touché les deux pays presque simultanément en 2001 ? Dans le cas argentin, en effet, l’absence

d’une « tradition de coopération » interpartisane propre à une forte culture gouvernementale

1 Cela peut aller de portefeuilles ministériels à des nominations à la tête d’entreprises étatiques, notamment. Voir infra

chapitres 5 et 6. 2 Pour comprendre les « intérêts à partir » (ou walk away value) voir LUPIA, A., et STRØM, K., « Bargaining,

Transactions Costs and Coalition Governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and

Coalition Bargaining, Oxford University Press, 2008, pp 51-83. Nous étendons le concept de Lupia et Strøm et

défendons ainsi l’idée que le walk away value relève d’une dimension institutionnelle-collective (au niveau des partis)

mais aussi individuelle (membre de partis). En ce qui concerne les travaux sur les mécanismes de discipline interne,

voir LAVER, M. “Devided parties, devided government”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 24. No.1, 1999; et

LAVER, M. et SHEPSLE, K.A., Cabinet ministers and Parliamentary Government, Cambridge University Press, 1994. 3 OFFERLÉ, M., op. cit.; GERSTLÉ, J., Les effets d’information en politique, Paris, L’Harmattan, 2001 ; GERSTLE,

J., La communication Politique, Paris, Armand Collin, 2004. 4 GAUDIN, J.P., op cit. p.10.

5 Nous entendons par « mobiles négatifs », les motivations visant exclusivement à écarter du pouvoir un adversaire

commun, ou à l’empêcher d’y accéder. Voir les conceptions de Théodore Caplow de « coalitions de deux contre un »,

in CAPLOW, T., 1956, op. cit. 6 STRØM, K., 1990a, op. cit

61

hégémonique et centrée sur le président, explique en bonne partie l’échec de l’Alianza1. Dans le cas

uruguayen, la culture polyarchique de l’exercice du pouvoir et la longue tradition de coopération

entre les deux partis « traditionnels », sont les principaux facteurs permettant de comprendre la

stabilité institutionnelle et politique qui a suivi la crise économique et sociale qui a touché le pays

des années 2002 et 2004.

L’absence de ces considérations a conduit à traiter les coalitions gouvernementales et leurs

acteurs des entités figées et adynamiques, et ce malgré l’introduction du facteur historique, comme

le montre le postulat suivant :

« Il peut être soutenu que la plupart des cas de formation de coalitions gouvernementales se

produisent dans les milieux politiques stables, où les principaux acteurs sont bien connus les uns

des autres, […]. Par ailleurs, nous devrions nous attendre à ce que les partis soient relativement à

l'abri de la défection de députés individuels pour des postes dans le gouvernement, précisément

parce que la structure de récompense pour les membres individuels du parlement dépend de

l’appartenance à un parti »2

Le fait de centrer l’attention uniquement sur la « Hollywood Story »3, à savoir la formation et la

dissolution des coalitions, en se focalisant sur les méthodes de sélection des membres comme

principal facteur d’explication, sans considérer l’« environnement » immédiat, contribue à

maintenir un degré d’abstraction critique de l’étude du phénomène. Et ceci est particulièrement vrai

si les indicateurs utilisés pour l’identification des acteurs (ou « joueurs »), sont basés sur des

questions de poids (force parlementaire) et de position (idéologique), indicateurs qui ne prennent

pas en considération l’évolution et la nature des partis4. En effet, comme le montre Nicolas Bué,

deux partis de « poids » similaire ne sont pas nécessairement d’un attrait identique si l’un se trouve

sur le déclin et l’autre en expansion5 ; le même problème se pose lorsqu’il s’agit d’opérationnaliser

l’évolution idéologique et programmatique d’un parti6. Surtout, la nature ou « structuration »

(d’aucuns diraient « institutionnalisation7 ») des partis est-elle primordiale afin d’analyser les bases

des relations intra et inter-partisanes. Ainsi, le faible degré de structuration du FREPASO explique-

t-il, en partie, l’implosion de l’Alianza argentine à la suite de la crise économique de 2001. En effet,

1 Les chapitres 5 et 6 développent davantage ce thème, et notamment la question d’équilibre interne à la coalition.

2 BROWNE, E., et RICE, P., op. cit., p.72. Traduction propre.

3 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, 2000.

4 Voir les considérations de Grégory Luebbert, op .cit.

5 BUÉ, N., 2006 op. cit.

6 Ainsi d’après ces considérations, le Partido Justicialista Argentin voit-il sa « position » changer inlassablement en

fonction de son leader. En effet, avec Antonio Cafiero il est considéré comme un parti de centre gauche, puis sous

Carlos Menem il « passe » à droite, enfin sous les Kirchner il est pratiquement d’extrême gauche. Voir ces

approximations notamment chez ALCÁNTARA, M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en

América Latina”, in Política y Gobierno, Vol. XIV, No. 2, 2007, pp. 349-390. 7 MAINWARING, S., et SCULLY, T., La Construcción de instituciones democráticas. sistemas de partidos en

América latina, Cieplan, Santiago, 1996.

62

le caractère personnaliste du parti, autour de son fondateur Carlos ‘Chacho’ Alvarez, a engendré

l’absence de la constitution d’un appareil partisan institutionnalisé. Ceci, combiné à une présence

concentrée autour de Buenos Aires, a placé le FREPASO dans une situation de déséquilibre face au

parti centenaire qu’est l’Unión Cívica Radical (UCR), et cela malgré de meilleurs résultats

électoraux lors des précédentes élections.

Dès lors, pour une compréhension du phénomène coalitionnaire et une meilleure approche des

processus de sélection (des candidats et des membres du cabinet), l’étude des coalitions

gouvernementales requiert-elle une approche plus varié et plus globale, allant au-delà du cadre de

l’analyse économique du vote1. En effet, les théories que nous avons exposées jusqu’à présent -dans

leurs grandes lignes-, se sont ainsi développées comme un sous-champ d’analyse particulièrement

déconnectée de la réalité matérielle et contextuelle des partis politiques2. Ce sont bien les

suppositions de base qu’il faut soit repenser soit simplement éliminer. Ainsi, comme l’avance

Arend Lijphart il y a quatre points centraux qui constituent autant de faiblesses des travaux de type

modélisateur: i) les motivations unidimensionnelles maximisantes; ii) une question d’ordre

phénoménologique portant sur la définition des types de « membres » de la coalition (membres à

part entière ou membre de « soutien » parlementaire) ; iii) la relation inversement proportionnelle

entre le nombre de participants et les coûts de transaction, liés aux questions d’information

respective des membres portant notamment sur le degré de loyauté de chacun d’eux; enfin iv) le

caractère de somme constante et des points d’équilibre (équilibre entre coalition gagnante/

perdante), faisant fi des recours aux majorités spéciales et à l’existence de gouvernements

minoritaires3.

Dès lors l’accent doit-il être porté comme l’avancent Eric Browne et Mark Franklin, sur

l’environnement des coalitions du cycle coalitionnaire en lui-même4.

c. Les approches multidimensionnelles

La « troisième génération » de coalition studies s’est ainsi caractérisée par une

« européanisation1 » de l’approche, en abordant entre autres des questions découlant du droit

1 LEHINGUE, P., « L'analyse économique des choix électoraux (I et II) », op. cit.

2 Barbara Hinckley avançait, déjà en 1979 (p. 194): “We are confronted by two anomalies: one of the discrepancy

between promise and practice in political coalition research; and the other that work on this supposedly "political"

subject matter appears to be proceeding most actively outside political science”. Voir HINCKLEY, B., “Twenty-one

variables beyond the size of winning coalitions”, in Journal of Politics, Vol. 41, No. 2, 1979, pp.192-212. 3 Voir LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in

Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; et LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984. 4 En effet: “Thus, any special theory of coalition behavior attempting to account for cabinet coalitional processes must,

in addition to formation and payoff distribution, consider the maintenance of cabinets over time.” BOWNE, E. et

FRANKLIN, M., op cit. p.474.

63

constitutionnel (les « institutions », au sens large, comme facteur décisif), et de la sociologie.

Surtout, c’est l’angle d’analyse qui est différent, puisqu’en laissant davantage la place à

l’environnement coalitionnaire (système politique, culture politique, histoire, etc.) et au contexte lié

à la formation des coalitions, cette approche propose ainsi un traitement inductif, en se fondant sur

des données empiriques solides2. L’objet d’analyse n’est plus centré et limité au caractère prédictif

de la formation des coalitions, mais il se constitue comme une boîte à outil pour comprendre le

fonctionnement, les limites et les évolutions de ces types de gouvernements. Aussi, si l’approche

est toujours basée sur le postulat du caractère rationnel des joueurs3, le postulat de l’information

parfaite, équilibrée, et complète va être de plus en plus critiqué.

Surtout la recherche modélisatrice à défaut d’être complètement abandonnée, va être amandée et

accompagnée de considérations (« dimensions ») moins mathématisables. La recherche visant à

agrandir le spectre d’analyse du processus coalitionnaire, les dimensions motivationnelles et

historiques étant aussi centrales que les considérations prédictives. Pour ce faire, nous avons relevé

cinq angles de recherche multidimensionnelle, répertoriés en fonction de l’accent porté (ou

« dominante »).

i) La dominante Institutionnelle

Paradoxalement, les premières études portant sur les alliances politiques, dix ans avant

l’avènement et la systématisation des coalition theories de Riker et Gamson, ont été élaborées par

un français -Maurice Duverger- dans le cadre de ses travaux sur les partis politiques. Si celui-ci

mentionne différents facteurs de causalité et d’analyse de la formation « d’alliances »4, tels que la

tenue d’un programme commun, la dimension historique et contextuelle, etc., l’accent est surtout

mis sur les organisations partisanes et plus particulièrement sur le rôle du système partisan et de la

loi électorale dont l’influence est, aux yeux de Duverger, « prépondérante »5. Le système électoral

tendrait, ainsi, à « conditionner » à la fois le nombre de partis ainsi que leur propension à s’allier.

Ainsi, aussi bien le système de représentation proportionnelle, que le système majoritaire avec

1 Ce qui ne veut pas dire que les travaux de “première” et “seconde” génération ait été nécessairement réalise par des

Européens, mais plutôt que cette approche répond davantage à la « tradition » européenne. 2 PRIDHAM, G., Coalition behaviour in theory and practice, Cambridge University Press, 1986.

3 Wolfgang Müller, Torbjörn Bergman et Kaare Strøm avancent ainsi dans leur livre qui fait acte de référence: “we

think that the mostusefully way to approach the study of coalitions is from the theoretical perspective that was founded

by Gamson (1961) in sociology and Riker (1962) in political science, The Rational Choice research programme”.

MÜLLER, W., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition Theory and Cabinet Governance: An Introduction”, in

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., 2008, op. cit., p.32. 4 Duverger préfère le terme “alliance” qu’il considère comme ayant une plus grande portée temporelle notamment. Pour

autant nous préférons le terme coalition qui d’après le dictionnaire de l’académie française signifie : « 1. Réunion de

différents partis politiques, ligue de plusieurs puissances militaires contre un ennemi commun. » et 2. « Entente

momentanée conclue entre des personnes, des institutions, etc., en vue d'un but commun ». 5 DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit, p. 434.

64

balottage (second tour) sont, d’après Duverger, des éléments facilitateurs du multipartisme et, par

ricochet, de la formation des coalitions. Dans une perspective typologisante, l’auteur des Partis

Politiques souligne néanmoins la nature différente des coalitions qui se dégagent de ces deux

configurations, précisant que les coalitions issues d’accords d’entre-deux-tours, tendent à être plus

soudées que les premières. Ces lois vont être par la suite largement reprises et perfectionnées1, et ce

notamment depuis l’introduction et la généralisation de la théorie néo-institutionnaliste2.

L’approche par les coalitions, comme variable dominante va ainsi prendre une place prépondérante

dans l’analyse du phénomène coalitionnaire.

Dans cette perspective, Kaare Strøm, Ian Budge et Michael Laver vont rappeler que les partis

politiques et a fortiori les coalitions politiques (au sens large) n’opèrent pas dans un monde « libre

des caractéristiques institutionnelles qui accroissent la complexité de la gouvernance de la

coalition »3. En plus de modeler ou « faciliter la formation de coalitions », les institutions aussi

conditionnent à la fois la formation et la pratique gouvernementale. Ainsi les lois électorales et les

règles de votation parlementaire conduisent-elles à une diminution des « possibilités » de coalition4.

De même, les dispositions constitutionnelles de séparation des pouvoirs (Bicaméralisme,

Fédéralisme, etc…)5, les règles établissant les relations entre l’exécutif et le législatif

6, et les

prérogatives du chef de gouvernement7 sont autant d’éléments qui influent sur la pratique coalisée

et qui permettent d’établir à la fois des points de comparaison et de prédiction sur les attitudes des

gouvernements.

1 Voir notamment SARTORI, G., Parties and party system, ECPR- Oxford, Oxford, 2006 [1976]; SARTORI, G.,

Ingeniería institucional comparada, Fondo de Cultura Económica, México, 1995 [1994]; et LIJPHART, A.,

Democracies, Yale University Press, 1984; LIJPHART , A., “The political consequences of electoral laws, 1945-85, in

American Political Science Review, Vol. 84, No. 2, 1990, pp. 481-496. 2 MARCH, J., et OLSEN, J., “ The new institutionalism: organizational factors in political life” in American Political

Science Review, Vol. 78, No. 3, 1984, pp. 734-749; RHODES, R., BINDER, S., et ROCKMAN, B., The Oxford

Handbook of Political Institutions, Oxford University Press, 2006. 3 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., “Constraints on cabinet formation in parliamentary democracies”, in

American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, p. 305. 4 Voir DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976; LAVER, M., et

SCHOFIELD, N., op. cit.; STRØM, K., et MÜLLER, W., “The keys to togetherness: coalition agreements in

parliamentary democracies.”, in Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-82. 5 COLOMER, J.M., et MARTINEZ, F., “The paradox of coalition trading”, in Journal of Theoretical Politics, Vol.7,

No. 1, 1995, pp. 41-63; COLOMER, J., Instituciones politicas, Ariel, Barcelone, 2007 [2001]; 6 HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies.” American Political Science Review, Vol. 90,

1996, pp. 269–82; STRØM, K., Minority Government and Majorty Rule, Cambridge University Press, 1990a. 7 LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries, Yale University

Press, 1999; MÜLLER, W., et STRØM, K., 2000 op. cit.; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation

and accountability in parliamentary democracies, Oxford University Press, 2003.

65

Les travaux récents sur les coalitions relèvent pour leur majorité de cette approche. Ceci dit, la

tentation néo-institutionnaliste à utiliser une seule optique étant grande, certains auteurs ne

manquent pas de rappeler que « bien qu’importantes les coalitions n’expliquent pas tout »1.

ii) La dominante structurelle et clivée

Propre à la distribution et l’organisation sociopolitique des sociétés et, par ricochet, des systèmes

politiques, elle se réfère aux considérations propres à la « culture politique » propres aux sociétés

ainsi qu’aux acteurs en lice. Elle intègre également les questions portant sur le degré de

consensus/polarisation des systèmes politiques2, et la tradition

collaboratrice ou hégémonique, propres à la « culture d’organisation et de relation des partis »3.

Surtout, la prise en compte de la dimension relative aux clivages permet-elle d’appréhender plus

finement les lignes de divisions tant au niveau sociétal qu’au niveau politique, et d’analyser leur

degré de coïncidence4, suivant une « relation de principal- (électorat) agent (partis politiques) »

5.

Ceci permet entre autres d’incorporer une double approche verticale (intra-partisane) et horizontale

(interpartisane) de même que les « mouvements sismiques6 » opérant tant à l’intérieur des partis

(scissions, changement d’orientation) qu’à l’extérieur de ceux-ci (émergence de nouveaux partis,

désaffection des partis « traditionnels »). Cela permet d’établir une cartographie des « options » de

coalition crédibles7. Enfin, combiné à une approche diachronique, cette dimension permet d’avoir

une vision des « réalignements » partisans8, ainsi que des motivations de la nature (positive ou

négative) des acteurs à se coaliser et leur développement1.

1 LUPIA, A., et STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the

future”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalition… op. cit, 2008 p. 56. 2Voir entre autres, SANI, G., et SARTORI, G., « Polarización, fragmentación y competición en las democracias

occidentales », in Revista del Departamento de Derecho Político, n° 7, 1980, pp. 7-37; LIJPHART, A., “The quality of

democracy and a ‘kinder, gentler’ democracy consensus democracy makes a difference”, in LIJPHART, A., 1999 op.

cit. pp. 275- 300. 3 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue d''histoire, Vol.35, No. 1, 1992, pp.

67 – 77 ; et MATAS, J., Coaliciones politicas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone,

2000 ; SARTORI, G., Parties and party system, ECPR-Oxford University Press, 2006 [1976]. 4 DODD, L., op cit; BARTOLINI, S. et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability: the stability of

european electorates, 1885-1985, Cambridge University Press, 1990. 5 LIPSET, S., “Cleavages, parties and democracy”, in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter

alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp 1-9; McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections, parties,

democracy, Oxford University Press, 2005; SCHOFIELD, N., et SENED, I., Multiparty democracy; elections and

legislative politics, Cambridge University Press, 2007. 6 HAEGEL, F. “Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France”, in Revue

Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, n° 1, 2005, pp 35-45. 7 DODD, L., op cit; DAALDER, H., “The rise of parties in western democracies”, in DIAMOND, L., et GUNTHER,

R., Political parties and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001. 8 KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, in Journal of Politics, Vol. 21, No. 2, 1959, pp. 198-210;

MAIR, P., Party system change: approaches and interpretations, Oxford University Press, 1997; MAIR, P., MÜLLER,

W., PLASSER, F., Political parties and electoral change: party responses to electoral markets, Sage Publications,

66

iii) La dominante temporelle : « temporalité » et « cycle coalitionnaire »

S’il est nécessaire, en sciences sociales, de se méfier des approches mécanicistes (tout ce qui se

présente comme des « lois »), les liens de causalité temporelle, -dépourvus de déterminisme-, sont

toutefois indispensables à analyser. Ainsi, bien qu’elles ne soient pas « automatiques »2, les

coalitions électorales sont des variables essentielles à prendre en compte pour l’étude de la

formation des coalitions gouvernementales. Et alors que la plupart des travaux abordent les

coalitions gouvernementales de manière ex-post, autrement dit une fois que les forces ou poids de

chacun des acteurs (voix, nombre de sièges à l’assemblée) sont connus ; de récents travaux se sont

attelées à considérer la dimension ex ante à savoir la transposition d’alliances électorales en

coalition de gouvernement3. De ce fait il s’agit d’aller au-delà des considérations inertielles de

Francklin et Mackie4 et d’englober, en sus de la dimension temporelle, le contenu de ces accords

pré-électoraux, l’origine sociologique et historique des relations entre les « contractants », ainsi que

les motivations (négatives ou positives) de l’accord5. Ces approches supposent pour autant la

différentiation conceptuelle entre les notions de pactes électoraux (désistements nationaux ou

locaux) et la conformation d’une véritable alliance électorale6. Cette dernière supposant notamment

des accords plus ou moins formels en termes de convergence programmatique, mécanismes de

cohésion, et de partage en amont des portefeuilles ministériels.

Cette dimension est, ainsi, particulièrement riche en ce qu’elle combine entre elles de

nombreuses variables. Néanmoins, la configuration institutionnelle (système électoral à

représentation proportionnelle à un tour) et la réalité empirique ont conduit à ce que les études sur

la formation des coalitions gouvernementales en régime parlementaire n’accordent qu’une place

limitée à cette dimension. Pour autant, cette dimension doit être ramenée au processus

Londres, 2004; ALLARDT, E., “Party systems and voter alignments in the tradition of political sociology”, in

KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp. 10-23. 1 HARMEL, R., et JANDA, K., “An integrated theory of party goals and party change”, Journal of Theoretical Politics,

Vol. 6, No. 3, 1994, pp. 259-287; JANDA, K., Political parties: a cross-national survey, NewYork, Free Press, 1980. 2 BIDEGARAY, C., “Coalition électorale”, in PERINEAU, P., et REYNIÉ, D., (eds.), Dictionnaire du vote, PUF,

París, 2001, pp. 206-207. 3 GOLDER, S., “Pre-Electoral Coalition Formation in Parliamentary Democracies”, in Bristish Journal of Political

Science, Vol. 36, No.2, 2006a, pp. 193 -212; GOLDER, S., The Logic Of Pre-Electoral Coalition Formation, Ohio

State University Press, Colombus, 2006b; CARROLL, R., et COX, G., “The Logic of Gamson's Law: Pre-election

Coalitions and Portfolio Allocations”, in American Journal of Political Science, Vol. 51, No. 2, 2007, pp. 300-313;

GOODIN, R., GUTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to Coalesce: Early Versus Late Coalition Announcement in

an Experimental Democracy”, in Bristish Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 2007, pp. 181–191; DEBUS, M.,

“Pre-electoral commitments and government formation”, in Public Choice, Vol. 138, 2009, pp.45-64. 4 FRANKLIN, M., et MACKIE, T., 1983, op. cit.

5 Sur la notion « verticalité » des coalitions voir le chapitre 6 de cette thèse.

6 Nous adoptons la définition générique de Pierre Martin d’alliance électorale, comprise comme : « un accord passé

entre plusieurs formations politiques à l’occasion d’une élection. Toute alliance électorale a un coût en termes

d’originalité programmatique et de leadership. Chacun des partenaires est obligé de sacrifier une partie de son

originalité […] il faut donc que l’alliance offre des bénéfices qui vont être supérieurs à ces coûts », MARTIN, P.,

« Alliance électorale », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D., Dictionnaire du vote, Puf, Paris, 2001, p. 49.

67

coalitionnaire dans son ensemble. Aussi, bien qu’ils ne considèrent pas vraiment la dimension pré-

électorale, les travaux de Müller et Strøm, et Strøm et al., en viennent à considérer quatre

différentes étapes faisant partie du « cycle coalitionnaire », lequel fonctionne en boucle, à savoir : i)

la tenue d’élections, ii) la formation du gouvernement, iii) la « gouvernance coalitionnaire », et iv)

la conclusion gouvernementale. Les auteurs préconisent ainsi de ne plus considérer les différentes

étapes comme autonomes les unes des autres, insistant dès lors à ne pas analyser la « Hollywood

Story » (formation et conclusion), sans la « vie de couple » (gouvernance coalitionnaire)1, ni les

considérations événementielles et contextuelles classées en fonction de leur périodicité et

fréquence2.

iv) La dominante interne et de « gestion » des conflits

Dans cette approche, l’accent est mis sur la partie organisationnelle de l’alliance, à savoir les

mécanismes internes formels ou non, de maintien de la cohésion. Les études s’inscrivant dans cette

« dominante » s’intéressent ainsi à la fois aux modalités de la prise de décisions3 et aux options se

présentant aux leaders partisans pour prévenir des tentations d’exit (« walk away value ») de

certains membres4. Cette approche permet également d’observer les stratégies des partis en fonction

de leurs priorités du moment qu’elles soient électorales ou programmatiques5. Ces considérations

s’attellent donc à étudier la formation et l’application d’accords et programmes6, notamment en

fonction de leur degré de i) publicité; ii) précision et iii) ampleur7. L’idée communément partagée

étant ainsi que plus l’accord est complet et compréhensif [entendu comme public et précis], plus la

coalition sera forte8. Nous pouvons également amender à ce postulat la dimension de la précocité,

ainsi « plus un accord est précoce, plus il a tendance à être passé et respecté ». Le recours à l’étude

1 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Coalition government in western Europe., op. cit., 2000; MÜLLER, W., STRØM,

K., et BERGMAN, T., “Coalition theory and cabinet governance: an introduction”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et

BERGMAN, T., Cabinets and coalition… op. cit., 2008, pp. 1-50. 2 GIBSON, J., “Political timing a theory of politicians’ timing of events”, in Journal of Theoretical Politics, Vol. 11,

No. 4, 1999. pp. 471–496. 3 LAVER, M., et SHEPSLE, K., 1996, op. cit ; MARTIN, L., et VANBERG, G., “Policing the bargain: coalition

government and parliamentary scrutiny”, American Journal of Political Science, vol. 48, 1, 2004, pp. 13-27. 4 LAVER, M., “Divided Parties, Divided Government”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 24, No. 1, 1999, pp. 5-

29; LUPIA, A., et STRØM, K., op. cit.; ANDEWEG, R., et TIMMERMANS, A., “Conflict management in coalition

government”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 269-300. 5 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Policy, office, or votes?, Cambridge University Press, 1999.

6 TIMMERMANS, A., “Standing appart and sitting together: enforcing coalition agreements in multiparty systems”, in

European Journal of Political Research, Vol. 45, No., 2, 2006, pp. 263-283 ; MÜLLER, W., STRØM, K., « Coalition

Agreements and Cabinet Governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., 2008 op. cit., pp159-199; 7 ROYED, T., “Testing the mandate model in Britain and the United States: evidence from the Reagan and Thatcher

eras”, in British Journal of Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80; MOURY, C., « les ensembles flous pour

y voir plus clair: decoder les caractéristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue Internationale

de Politique Comparée, vol. 11, n°1, 2004, pp. 101-115. 8 STRØM, K., et MÜLLER, W., “The keys to togetherness…”, op. cit., p.269.

68

des accords programmatiques, quand ils existent, suppose donc de s’attaquer 1) aux processus de

distribution des parcelles de pouvoir, 2) aux processus de prise de décision (à l’unanimité ou à la

majorité), 3) aux mécanismes de maintien de la cohésion de la coalition.

Enfin, cette dominante s’attache également aux processus de délégation des tâches, qui bien que

propres à toute forme de représentation, se révèle corrélativement plus complexe lorsque le nombre

et l’hétérogénéité des acteurs augmente1.

v) La dominante propre aux effets rétroactifs

Cette cinquième dominante dans l’approche multidimensionnelle des gouvernements de

coalition, suppose une étude des relations dynamiques entre les coalitions et leur

« environnement », notamment en terme de stabilité. Ainsi, de manière quelque peu positiviste,

certains auteurs précisent que les gouvernements de coalition sont les plus aptes, dans les sociétés

segmentées ou « divisées », à maintenir tant stabilité institutionnelle que la stabilité

gouvernementale2. Surtout, les travaux qui s’inscrivent dans cette lignée considèrent deux thèmes

centraux liés aux effets rétroactifs des coalitions gouvernementales: la reddition de comptes

(accountability), et la visibilité des gouvernements de coalition, influant par ricochet sur la

« durabilité » de ces gouvernements.

Ainsi, si la reconduction d’un gouvernement, qu’il soit monocolore ou de coalition, peut être à la

fois une fin (se maintenir au pouvoir) et un moyen (obtention de fonds publics pour progresser

électoralement ; possibilité de réaliser et d’approfondir des politiques publiques, etc.), il s’agit alors

de pouvoir rendre effectif le travail collectif et rendre compte de l’activité gouvernementale3. Si les

électeurs paraissent être en mesure d'évaluer les politiques gouvernementales et attribuer les

responsabilités des gouvernements monocolores, l'attribution des responsabilités des

gouvernements formés par plus d'un parti, semble poser davantage problème4. D’où la

1 BERGMAN, T., et alii, “Democratic delegation and accountability: cross-national patterns”, in STRØM, K.,

MÜLLER, W., et BERGMAN, Delegation and accountability…, 2003 op. cit., pp. 109-220. 2 LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Heaven, 1984; LIJPHART, A, “Non majoritarian

democracy: a comparison of federal and consociational theories”, in Publius. Vol. 15. No. 2, 1985, pp. 3-15. Pour un

contre-argument, voir FARRELL, D., Electoral systems: a comparative introduction, Palgrave, Basingstoke, 2001. 3 Voir les théories sur les candidats sortants ou « incumbency effect ». NARUD, H.M., “Party policy and government

accountability”, in Party politics, Vol. 2, No. 4, 1996, pp. 479-506; STRØM, K., Minority Government… op.cit; STRØM, K., et alii, “Dimensions of citizen control”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation

and accountability…, 2003 op. cit, pp. 651- 707. 4 URQUIZU SANCHO, I., “Gobiernos de coalición y gobiernos unipartidistas: ¿Es posible la asignación de

responsabilidades?”, paper présenté lors du congres de l'Asociación Española de Ciencia política y de la

Administración, Madrid, Septembre 2004.

69

considération de responsabilité individuelle (partisane)1 ou collective

2, et la capacité à rendre des

comptes (sanctionnés électoralement)3.

Si la question de la capacité à rendre des comptes se pose, notamment à l’heure d’évaluer les

« résultats » mesurés en termes d’activité et efficacité4, notamment au niveau des politiques

publiques5. Ceci est d’autant plus pertinent en fonction de la visibilité

6 des « options

coalitionnaires », ce qui nous ramène donc à nouveau la question à la « temporalité » des

coalitions, et de l’existence d’une identification coalitionnaire7.

1.1.4. Bilan des chemins théoriques

Face à l’évidence empirique où « le multipartisme est devenu la norme [européenne] au XXe

siècle »8, les coalitions politiques et plus spécifiquement les coalitions gouvernementales en

système parlementaire, initialement décriées car considérées comme vectrices ou conséquences

d’instabilité politique, ont depuis lors constitué l’un des champs d’étude les plus prolifiques en

science politique. Nous avons vu l’évolution chronologique et analytique des coalition theories,

laquelle a suivi les évolutions et différents apports de la discipline et nous avons insisté sur la

1 URQUIZU SANCHO, I., “Coalition governments and electoral behavior: who is accountable?”, in SCHOFIELD, N.,

et CABALLERO, G., Political economy of institutions, democracy and voting, Springer-Verlag, Berlin, 2011, pp.185-

213. 2 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability…, 2003 op. cit; POWELL,

G.B.,“Election laws and representative governments: beyond votes and seats”, in British Journal of Political Science,

Vol. 36, No.3, 2000, pp. 291–315 3 VOWLES, J., “Making a difference? public perceptions of coalition, single-party, and minority governments”,

Electoral Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp. 370-380; FISHER, S., et HOBOLT, S., “Coalition government and

electoral accountability”, in Electoral Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp. 4 LEWIS-BECK, M., “Comparative economic voting: Britain, France, Germany and Italy”, in American Journal of

Political Science, Vol. 30, No.2, 1986, pp. 315–346; LEWIS-BECK, M., Economics and elections: the major western

democracies, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1988. Pour une définition des concepts d’ “efficience” et

“activité” politique, voir SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago,

1995. 5 AUSTEN-SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions, and legislative outcomes”, op. cit.; PRZEWORSKI A.,

STOKES S., MANIN B., Democracy, accountability and representation, Cambridge University Press, 1999. 6 Le cas récent de la Belgique fait figure de stéréotype à ce propos, où après les élections du 13 juin 2010, le pays a mis

plus de quinze mois avant de parvenir à former une coalition gouvernementale –fragile- autour du « formateur »

socialiste Elio Di Rupio. Voir STRØM, K., 1990a, op cit ; PINTO-DUSCHINSKY,M., "Send the rascals packing:

defects of proportional representation and the virtues of the westminster model" in Representation, n°36, 1999, pp. 117-

126; BARGSTED, M., et KEDAR, O., “Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect voter choice

under proportional representation”, in American Journal of Political Science, Vol. 53, No. 2, 2009, pp. 307–323. 7 BLAIS, A., et al., “Do voters vote for government coalitions?: Testing down's pessimistic conclusions”, in Party

Politics, Vol 12, No.6, 2006, pp. 691–705; DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in

multiparty democracies », in American Political Science Review, vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719; VOWLES, J.,

“Why voters prefer coalitions: Rationality or norms?”, in Political Science, Vol. 63, No. 1, 2011, pp. 126–145;

NARUD, H., et VALEN, H., “Coalition membership and electoral performance”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et

BERGMAN, T., Cabinets and coalition…, op. cit, pp. 369-402 8 MÜLLER, W., et STRØM, K “Coalition governance in western europe an introduction”, in MÜLLER, W., et

STRØM, K., 2000 op. cit. p.1.

70

différence dans l’approche et dans l’objet d’analyse lié aux gouvernements de coalitions. D’où le

fait de garder le concept anglo-saxon de « coalition theories » plutôt que sa traduction francophone,

la plus courante, de « théorie des coalitions », car ce sont bien plusieurs théories, différents angles

d’analyse, et différents objets d’études qui traitent pourtant d’un même thème.

Ainsi, si l’approche par la théorie des jeux, puis par les différentes mises à jour

« quantitativistes » ont permis de poser les questions de « marchandage », « motivation », et surtout

« rétribution », elle ne s’applique pas à analyser ni à comprendre le phénomène dans sa durée, ni

dans sa conduite. L’accent étant en effet mis sur la formation et la dissolution de l’accord. En outre,

la portée universalisante de la plupart de ces travaux (à travers le recours à la modélisation et

l’élaboration de « lois » déductives qui minimisent le contexte de formation et de « réalisation » ou

« expérimentation » de la coalition gouvernementale) conduit à l’élaboration de théories

généralisantes théoriquement infalsifiables1, mais sans support ou « vérification » empirique

consistante.

A l’inverse, les théories de troisième génération, empruntent-elles une démarche qui se veut

rétroductive, c’est-à-dire combinant une approche inductive, avec la formulation de modèles ou du

moins de cadres théoriques généralisant. Ces approches se proposent d’élaborer un cadre d’analyse

qui capte la dynamique des comportements coalitionnaires comme un « tout », en replaçant l’étude

des coalitions partisanes et gouvernementales dans les cadre de l’étude des systèmes partisans2.

Cela requiert un élargissement du champ d’analyse, via l’inclusion d’éléments de causalité

(« variables ») provenant de l’environnement immédiat des partis, et une approche à la fois

contextuelle et diachronique, éléments jusqu’alors peu considérés. Si la dimension motivationnelle

fait toujours partie de l’analyse, elle ne constitue plus l’unique front de l’analyse.

Malgré l’existence de « dominantes » d’analyses, et compte tenu de la complexité du jeu

coalitionnaire et des systèmes politiques et partisans où opèrent ces alliances, aucune variable n’est

considérée comme suffisante à la compréhension et la prédiction du phénomène. Au contraire et

bien que nous assumions qu’elles ne présentent pas un degré de pertinence uniforme, chacune de

ces dominantes est nécessaire à l’analyse phénoménologique, plus particulièrement en perspective

comparée. Bien que la dominante institutionnelle est une composante essentielle et centrale pour

l’étude du processus, elle ne constitue néanmoins qu’un des cinq maillons de l’analyse. Ces cinq

maillons se retrouvent explicités par les travaux récents de Strøm et al, où les « variables » retenues

sont : i) les facteurs contextuels et la tradition et culture politique, ii) les « caractéristiques

structurelles » (en particulier ce qui à trait aux systèmes partisans), iii) les caractéristiques des

1 Dans le sens poppérien du terme.

2 PRIDHAM, G., Coalitional behaviour in theory and practice, in Cambridge University Press, 1986.

71

acteurs et leur affinités respectives1, iv ) les institutions et les modes de scrutin (tout ce qui a trait à

la loi électorale avec un une emphase particulière portée sur les réformes constitutionnelles des

dernières années), v) les « événements critiques » le plus souvent imprévus2, et enfin vi) le contexte

ou « climat » de négociation.

Enfin, si ces approches supposent des considérations découlant, notamment, de la sociologie

politique, elles ont également insisté sur la nécessité à recourir à une dimension conceptuelle du

phénomène afin de mieux identifier l’objet et le phénomène coalitionnaire3. Néanmoins quelques

zones d’ombres subsistent, comme le postulat des partis comme acteurs unitaires ou l’absence de

travaux comparatifs sur les rapports partisans dans le cadre des processus coalitionnaire (les

questions d’intégrité de la « marque » partisane).

Après avoir établi ce cadre théorique, la section suivante s’attache à étudier l’avancée et

l’application de la théorie aux régimes présidentiels4. Il s’agit d’analyser comparativement le

traitement des relations entre branches de pouvoirs, suivant une « configuration » différente de celle

ayant servi à l’élaboration des théories originelles. D’où la nécessité de réaliser le travail de

compréhension des organisations et règles propres à ce régime politique, afin d’établir à la fois la

faisabilité d’une « transposabilité » telles quelles des théories en vigueur, et d’établir des points de

comparaison entre les deux configurations que nous assumons différentes sur trois points

principaux : i) la temporalité liée notamment au caractère « fixe » du mandat présidentiel; ii) une

reddition de comptes davantage verticale qu’horizontale ; et iii) l’exercice du pouvoir et

l’expression du leadership. Le propos de cette thèse étant, ainsi, de faire un parallèle constant entre

les deux configurations de gouvernements, et déceler ainsi les différences matérielles et

comportementales liées à l’expression des coalitions gouvernementales combinées au format

présidentiel.

1 Les auteurs parlent des « préférences des acteurs », en fonction du degré de probabilité de la coalition. Ce facteur,

plus typique aux systèmes parlementaires sera remplacé par une analyse de path dependance et de positionnement/auto-

positionnement de la part des acteurs en présence, notamment vis-à-vis de clivages structurants. Nous reprendrons

également une analyse critique de la conception portant sur l’unicité des partis, en partant des travaux de Zuckermann

portant sur les factions internes de chaque parti. Voir ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition »,

in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443. 2 Comme la phase de transition à la démocratie avec ses incertitudes propres, et les différentes crises économiques

(particulièrement celle de 2001 pour sa forte valeur comparative). 3 LAVER, M., “Between theoritcal elegance and political reality: deductive models and cabinet coalitions”, in

PRIDHAM, G., op. cit., pp.32-44. 4 Nous donnerons en infra une définition « générique » de ces systèmes.

72

1.2 Coalition Theories et système présidentiel : une conjonction critique ?

Dans la lignée de nombreux auteurs dont Geoffrey Pridham et Michael Laver, nous avons

jusqu’à présent insisté sur la nécessité de la mise en relation de la théorie avec le « monde réel », en

préconisant un recours constant à l’analyse circulaire ou « rétroductive ». C’est cette démarche qui

nous a conduit à relativiser les approches théoriques originelles ainsi que les recours à la

modélisation.

La plupart de ces approches souffrent d’une limitation heuristique, car ethnocentrique (euro-

centrée). En effet, il semblerait que les théories des coalitions se soient élaborées sur la base d’une

conception pratique de relative incommensurabilité, où ces mêmes théories déterminent les

concepts utilisés1, ordonnent les champs d’application et par-là même les données empiriques.

Ainsi, les théoriciens des coalitions (politiques, législatives et gouvernementales) étant

essentiellement européens2, le champ d’étude et d’application de la théorie tourne autour des

systèmes politiques existant en Europe occidentale, à savoir essentiellement les systèmes

parlementaires3. Ce « biais empirique » qui sert la théorie en confondant les éléments et les

applications de celle-ci, écarte de fait les autres champs d’analyse4. On peut donc parler d’un

certain degré d’eurocentrisme dans l’élaboration théorique. Aussi, à l’heure d’étendre le champ

d’analyse, la question d’extension du domaine d’application est, à défaut d’être « résolue »,

dissoute –car non traitée- sous couvert à la fois d’incommensurabilité -les concepts ou les contextes

n’étant, a priori, pas transposables-, et d’une supposée absence ontologique du phénomène dans

des contextes alternatifs.

Jusque très récemment la littérature portant sur la phénoménologie des coalitions politiques et

gouvernementales se désintéressait des États entrant dans la catégorie de « régime présidentiel », à

l’image de la totalité des démocraties latino-américaines5, et dont le système de représentation est

1 Encore que, comme le montre Jordi Matas, le travail conceptuel demeure largement incertain. Voir MATAS, J.,

“Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe congrès de

l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003 2 À l’exception significative des deux William, Riker et Gamson, tous deux américains.

3 Si la France, depuis 1958, le Portugal et la Finlande disposent de systèmes semi-présidentiel ou “premier-

présidentiel”, il est intéressant de noter que ces pays sont généralement exclus des travaux. Ainsi, lorsqu’il s’agit

d’inclure la France c’est généralement celle de la IIIe et IVe République qui est analysée, car constituant l’exemple

type d’une démocratie parlementaire combinée à une instabilité gouvernementale chronique. Pour les notions de

stabilité/ instabilité, et ses dérivées, voir supra chapitre 3. 4 Cela rappelle l’approche “antiméthodique” de Paul Feyerabend, où les concepts font partie du contexte dont ils

découlent. Voir FEYERABEND, P., Contra el método, Ariel, Barcelone, 1974. 5 Si Eldon Kenworthy a consacré une étude sur l’Amérique latine, dans les années 1970, celle-ci portait sur une analyse

de l’intégration et du développement politique de la région, mettant l’accent sur le comportement et la confrontation

d’acteurs non partisans pour l’obtention et l’utilisation des pouvoirs de coercition. Ni le particularisme présidentiel ni la

question de l’action gouvernementale n’étant centraux dans cette étude. Voir KENWORTHY, E., « Coalitions in the

political development of Latin America », in GROENINGS, G., KELLEY, E., et LEISERSON, M., The Study of

73

caractérisé par la combinaison irréductible de trois éléments : a) l’élection populaire directe ou

semi-directe du chef de l’État, lequel b) se trouve également être le chef d’un gouvernement dont le

mandat est fixe, et c) qui n’est responsable politiquement que face aux électeurs, ne pouvant être,

par conséquent, démis ou remplacé par une mise en minorité parlementaire1. Cette définition, que

nous avons mise à jour2, reprend notamment la dimension largement acceptée d’indépendance entre

les branches du pouvoir, invoquée par la plupart des spécialistes de l’ingénierie constitutionnelle

comparée3. C’est d’ailleurs sur ce principe de séparation des pouvoirs que se concentre une partie

des arguments justifiant la non-considération de la configuration présidentielle dans l’étude des

coalitions partisanes et gouvernementales. En effet, la tenue et la gestion d’un gouvernement de

coalition en régime présidentiel, semblerait s’assimiler à une forme de gouvernement de

cohabitation, ou « gouvernement divisé », où le président pourtant a priori omnipotent, se verrait

contraint de partager le pouvoir, alors qu’il ne serait pas tenu de le faire, constitutionnellement

parlant.

Comme l’écrit Giovanni Sartori:

« En système parlementaire, le Premier Ministre forme sa majorité en intégrant à son

gouvernement de coalition autant de partis que nécessaire. Les Présidents ne peuvent faire cela,

et doivent ‘‘trouver’’ une majorité chaque fois qu’ils veulent agir législativement. Le système

parlementaire n’a, par conséquent, pas ce problème de majorité divisée propre au

présidentialisme »4

Coalition Behaviour, Holt Rinehart et Winston, New York, 1970, pp. 103-140. A noter, au passage, qu’il existe

également une carence dans l’étude académique du phénomène coalitionnaire auprès des États régis par des systèmes

semi- (ou « premier») présidentiels. 1 Nous insistons ici sur le caractère « politique » de cette responsabilité ; les procédures de type impeachment, bien

qu’engagées au niveau parlementaire, découlent d’une responsabilité « légale » du président, où il s’agit de démontrer

un exercice délictuel de la fonction présidentielle (cas avérés de corruption, violence politique, voire trahison, etc.), ou

d’une « incapacité » -mentale ou physique- à continuer son mandat. Aussi, l’impeachment ne saurait donc être le

pendant parlementaire du pouvoir présidentiel de dissolution de l’assemblée. Voir PÉREZ LIÑAN, A., Juicio político

al presidente y nueva inestabilidad política en América latina, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2009

[2007]. 2 Cette définition nous permet ainsi de nous prémunir d’erreurs basiques de caractérisation, à l’image de John Carey.

En effet, l’existence d’un Premier Ministre ou d’un chef de cabinet ne suffit pas, à elle seule, à déprésidentialiser un

régime. Ainsi, bien que ces figures existent au Venezuela, au Pérou ou en Argentine, ces pays n’en sont pas moins des

régimes présidentiels, suivant notre définition. Voir CAREY, J., “Presidential versus Parliamentary Government”, in

MENARD, C., et SHIRLEY, M., Handbook of new institutional economics, Springer, Dordrecht, 2005, pp. 91-112. 3 Voir entre autres GAXIE, D., La Démocratie Représentative, Clefs- Monchrestien, 2003; DUVERGER, M.,

Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1990 ; DIAMOND, L., LINZ, J.J., LIPSET, S., Democracy

in developping countries, Lyne Riener, Boulder, 1989 ; SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de

Cultura Económica, Santiago, 1995 [1994] ; LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984 ; SHUGART,

M., et CAREY, J., President and assemblies, Cambridge University Press, 1992; NOHLEN, D., “Sistemas de gobierno:

perspectivas conceptuales y comparativas”, in NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado:

Instituciones y cambio político en América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.85-110; COLOMER, J.,

Instituciones Políticas, Ariel, Barcelone, 2007; CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,

Cambridge University Press, 2006. 4 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995 [1994], p.193.

Traduction propre.

74

De même, Arend Lijphart présuppose que:

« Le présidentialisme entraîne invariablement une inclinaison majoritaire et moins de possibilités

pour l’option consensuelle. […] Le présidentialisme implique la concentration du pouvoir exécutif,

et constitue une option majoritaire extrême: le pouvoir est concentré non seulement autour d’un

parti, mais surtout autour d’une seule personne. Pour cette raison, il est extrêmement difficile

d'introduire un partage efficient du pouvoir dans les systèmes présidentiels […] le

présidentialisme est hostile au genre de compromis consociatif et autres pactes nécessaires aux

processus de démocratisation, […] tandis que la nature collégiale des gouvernements

parlementaires les rend propices à ces pactes. »1

Ces deux citations illustrent bien combien les systèmes présidentiels ont, pendant longtemps, été

considérés comme des terreaux peu propices à la formation de coalitions, entre autres à cause du

principe –théorique- de stricte séparation des pouvoirs. Pour autant, sans réel soutien empirique ces

travaux s'exposent aux risques d'une analyse en décalage avec la réalité ; la modélisation et

l’objectivité étant le fruit d'une relation incestueuse entre la théorie et son contexte d'élaboration2.

Surtout, les commentaires de Sartori et Lijphart viennent s’inscrire dans la continuité d’un débat

institutionnaliste, enclenché dès la fin des années 1970, portant sur les « meilleures formes » de

gouvernement et leur impact sur la stabilité politique et démocratique. Ce débat, propre à

l’ingénierie constitutionnelle, est matérialisé par l’opposition entre parlementaristes (ou « anti-

présidentialistes ») et présidentialistes. Si les tenants du parlementarisme ont longtemps semblé

tenir le haut du carreau, les arguments se sont équilibrés vers la fin des années 1990.

1.2.1 Linz et le « péril présidentialiste »

L’idée selon laquelle la stabilité démocratique et politique d’un État quelconque serait

déterminée par la nature de son régime et de la relation entre les différentes branches du pouvoir,

constitue l’un de plus anciens sujet de débat de la science et philosophie politiques. Depuis les

philosophes antiques Platon et Aristote, puis les « modernes » Machiavel, Hobbes, et Locke, le

1 LIJPHART, A., “Presidentialism and majoritarian democracy: theoretical Observation”, in LIJPHART, A., Thinking

about democracy power sharing and majority rule in theory and practice, Routledge, Londres 2008, p. 147. Traduction

propre, mes italiques. Lijphart entend par « majoritaire » ou « systèmes majoritaires » (majoritarian), les types de

régimes favorisant la première majorité (majorité relative), et dont les principales caractéristiques sont : i) un cabinet

(gouvernement) hypertrophié vis-à-vis ii) d’un parlement essentiellement unicaméral ou assymétrique, et conduit iii)

par un seul parti ; il ajoute à cela quelques caractéristiques (constitution non écrite, loi électorale « plurielle » et non

proportionnelle, etc…) propre à ce qu’il considère comme le système majoritaire par excellence, le modèle britannique

de Westminster. Lijphart oppose ainsi ce système aux systèmes « consensuels », ces derniers étant consiédérés par

l’auteur comme plus démocratiques car ne supposant pas la dictature de la (première) majorité. Voir LIJPHART, A.,

“Majority rule in theory and practice: The tenacity of a flawed paradigm”, in LIJPHART, A., Thinking about

Democracy…, op. cit., pp. 111- 124. 2 LAVER, M., “Theories of coalition formation and local government”, in MELLORS, C., et PIJNENBURG, B.,

Political parties and coalitions in european local government, Routledge, Londres, 1989, pp.16-17.

75

principe de l’exécution et la concentration du pouvoir constitue le point d’achoppement de la

discussion et de la pensée libérale1. Montesquieu et Madison vont mettre en avant les « vertus » de

la non-concentration et du non-cumul des pouvoirs2, le second cité y incluant également la question

de l’organisation verticale, fédérale, de l’État. Toutefois jusqu’alors, peu d’études comparatives,

d’envergure, se sont employées à statuer sur la supériorité d’un système institutionnel de

représentation sur un autre.

Cependant l’évolution de la science politique au début des années 1970 et la multiplication des

études constitutionnalistes provenant du droit comparé, vont ouvrir la voie à la question de la

performance démocratique des différents systèmes de représentation. Aussi, le débat intellectuel de

fond s’est ouvert avec comme principal « théoricien » le politiste espagnol Juan José Linz qui

considérait la multiplication et la concomitance des coups d’État en Amérique latine comme une

résultante du caractère institutionnel en vigueur3. Pointant les faiblesses apparemment structurelles

et inhérentes au présidentialisme, Linz ne limite pas son analyse à une dimension institutionnelle

puisqu’il considère la pratique et la culture politique, dérivées de ce schéma institutionnel4.

Ssi les crises présidentielles n’aboutissent pas nécessairement à la chute de la démocratie, Linz

va théoriser les «faiblesses du présidentialisme », ou le présidentialisme comme générateur à la fois

passif et actif d’instabilité autour de quatre axes majeurs5 : 1) le conflit de légitimité électorale et

1 Voir MANENT, P., Histoire intellectuelle du liberalisme, Hachette/Pluriel, Paris, 1997 ; et Naissance de la Politique

Moderne, Gallimard, 2007. 2 Montesquieu avance ainsi : « Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance

législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même

monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement » ; in MONTESQUIEU, C.,

L’esprit des lois, Livre XI, Chapitre VI : «De la Constitution d’Angleterre » (1748), d’après l’édition établie par

Laurent Versini, Éditions Gallimard, Paris, 1995. L’auteur ne parle, d’ailleurs, pas d’une structure séparée entendue

comme « indépendante » des pouvoirs ; mais il se réfère, en fait, à une interdépendance des pouvoirs organisée autour

d’une séparation ou « non-cumul » des mandats, permettant ainsi le principe du « pouvoir limitant le pouvoir », ce qui

serait impossible si les pouvoirs étaient indépendants. Pour une lecture analytique de Montesquieu voir ALTHUSSER,

L., Montesquieu, La politique et l’histoire, PUF, 1959 ; MANIN, B., « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs

», in Cahiers de philosophie politique, 1985, pp. 3-34 ; et « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers

de philosophie politique, 1985, pp.35-66. 3 LINZ, J.J., The breakdown of democratic regimes: crisis, breakdown and reequilibration, Vol.1, Johns Hopkins

University Press, Baltimore, 1978. Si l’argument n’y est encore que partiellement esquissé, celui-ci prendra toute sa

forme en 1990 avec la publication de deux articles coups sur coups : « The perils of presidentialism » in Journal of

democracy, vol 1, n°1, 1990a. pp 51-69 ; et un article en défense de sa thèse “The virtues of parliamentarism”, in

Journal of Democracy, Vol. 1, No. 4, 1990, pp. 84-91. 4 En effet: « Mon approche serait mal comprise si elle était considérée comme strictement institutionnelle voire

juridico-constitutionnaliste. […] Je mets l’accent sur la logique politique des systèmes présidentiels et certaines de ses

conséquences probables sur le choix des dirigeants, les attentes populaires, le style de leadership, et l'articulation des

conflits », in LINZ, J.J., « Presidential or Parliamentary Democracy : Does it Make a Difference ?», in LINZ, J.J., et

VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994, Note

n°1 p.75, traduction propre. 5 Voir entre autres GODOY ARCAYA, O. (ed.), Hacia una democracia moderna: La opción parlamentaria, Ediciones

Universidad Católica de Chile, Santiago, 1990; LAMOUNIER, B., A Opção Parlamentarista, Sumaré, São Paulo,

1991; MAINWARING S., et SHUGART S. M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia; una revisión crítica” in

76

politique entre législatif et l’exécutif, et les conséquences apparemment inhérentes en terme de

visibilité et reddition de comptes (accountability), 2) la double casquette de chef de l’État et de chef

du gouvernement, incombant au président, 3) les dérives autoritaires du présidentialisme, liées au

principe du « winner takes all » (le gagnant emporte tout), et les problèmes de légitimité,

considérant l’absence de majorité forte pour le président à cause du système électoral (vote

majoritaire à un ou deux tours) ainsi que l’absence quasi systématique de majorité à l’assemblée ; et

4) les problèmes de temporalité électorale, liés au principe de mandats fixes (en plus d’éventuels

problèmes de non réélection le cas échéant).

Parallèlement et dans la même veine, la personnification du pouvoir exécutif propre à la

configuration présidentielle semble conditionner et déterminer des pratiques para-

constitutionnelles supposément incompatibles avec une conception libérale de la démocratie1. Ainsi

le caractère plébiscitaire supposément inhérent au présidentialisme, de par la relation directe avec

l’électorat, paraît renforcer et exacerber la propriété « providentielle » ou « salvatrice » de la figure

présidentielle. Les électeurs seraient ainsi amenés à s’en remettre, de manière hobbesienne, à une

unique personne2 à qui ils délègueraient les pleins pouvoirs

3.

En outre, en sus des potentielles dérives autoritaires présentées précédemment, ce dernier point

comporte, d’après la théorie de Linz, deux conséquences néfastes sur la stabilité démocratique des

régimes présidentiels. En effet, l’absence d’obligation de soutien parlementaire consistant rend

possible l’accession au pouvoir d’un amateur ou d’un « outsider » politique ce qui peut ainsi

favoriser l’occurrence de cas de président minoritaire4. Ce phénomène étant, à priori, peu probable

en système parlementaire, compte tenu de la dépendance de l’exécutif vis-à-vis de sa majorité

Desarrollo Económico, Vol. 34, No. 135, 1994, pp. 397- 418; MAINWARING, S., “Presidentialism in Latin America”,

in Latin American Research Review, Vol. 25, No. 1, 1990, pp. 157-179. 1 RIGGS, F., “The Survival of Presidentialism in America: Para-Constitutional Practices”, in International Political

Science Review / Revue internationale de science politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 247-278. 2 En effet d’après Arend Lijphart: “I have come to the conclusion, however, that a third essential difference must be

stated and that this difference accounts for much of the majoritarian proclivity of presidential democracy : the president

is one-person executive, whereas the prime minister and the cabinet form a collective executive body. Within

parliamentary systems, the prime minister’s position in the cabinet can vary from preeminence to virtual equality with

the other monsters, but there is always a relatively high degree of collegiality in decision making. In contrast, the

members of presidential cabinets are mere advisers and subordinates of the president”. Voir LIJPHART, A.,

“Presidentialism and Majoritarian Democracy” in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The Failure of Presidential

Democracy: Comparative Perspective, Vol.1 Johns Hopkins University Press, Baltimore 1994, p.93. 3 Linz récupère ainsi à son compte et pour servir sa théorie, le concept de « démocratie délégative » de Guillermo

O’Donnell, bien que ce dernier n’ai pourtant jamais attribué la notion d’un déterminisme institutionnel. Voir

O’DONNELL, G., “Delegative democracy”, in Journal of Democracy, Vol. 5, No. 1, 1994, pp. 55-69. 4 Voir notamment VALENZUELA, A., “Latin America: presidentialism in crisis”, in Journal of Democracy,Vol. 4, No.

4, 1993, pp. 3-16; HARTLYN, J., “Presidentialism and colombian politics”, in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The

failure of presidential democracy… op. cit. pp.220-253.

77

parlementaire ou tout du moins d’une « majorité tolérante »1, nécessaire à sa formation et maintien.

Ce péril est d’autant plus fort que suivant les systèmes électoraux, le président n’a, parfois, besoin

que de la majorité relative des votes pour être élu. Dans la plupart des cas on semble donc

s’éloigner du consensus Hobbesien originel, pour rallier la conception du winner takes all. De fait,

cette structure hégémonique ou unilatérale, puisque incarnée par une seule personne, propre au

présidentialisme découragerait l’avènement de pratiques consensuelles ou concertées ; le président

ne semble avoir ni intérêts ni nécessité à partager le pouvoir2. Le système présidentiel est ainsi

considéré comme peu propice au dialogue et à la formation de consensus:

« L’essence du présidentialisme pur consiste en une indépendance mutuelle des pouvoirs. A partir

de cette définition conditionnante apparaissent une série d'incitations et de prises de décision pour

favoriser l'émergence de gouvernements minoritaires, ce qui décourage la formation de coalitions

durables en maximisant les impasses législatives, en motivant les dirigeants à bafouer la

Constitution, et en stimulant la société politique à appeler périodiquement à des coups d'État

militaires. Les présidents et les législatures sont directement élus et ont leurs propres mandats

fixes. Cette indépendance mutuelle créée la possibilité d’une impasse politique entre le chef de

l’exécutif et le corps législatif, contre laquelle il n’y a pas d’issue de secours. »3

En conséquence, en l’absence de ce même soutien parlementaire, les systèmes présidentiels

s’exposeraient davantage à une situation d’impasse institutionnelle en cas de conflit politique ou

social. Les systèmes présidentiels seraient ainsi, en substance, générateurs d’instabilité

démocratique4. Les partis politiques n’y seraient amenés qu’à occuper un rôle de catalyseurs

électoraux. Le recours à des pratiques clientélaires (pork barrel) et les formations

gouvernementales ad voluntatem, propres au présidentialisme, seraient dès lors facteurs de

fractionnalisation des partis et des systèmes partisans. De même les démocraties présidentielles

seraient, à quelques rares exceptions près, marquées par des systèmes partisans dont la compétition

électorale ne serait pas structurée sur des bases programmatiques ou idéologiques, et seraient donc

plus volatils et imprévisibles5. La configuration présidentielle de représentation ne conduirait,

1 Si la logique, d’après Linz, veut que les gouvernements en systèmes parlementaires disposent d’une majorité de

soutien, Kaare Strøm a néanmoins montré qu’il s’avère assez fréquemment que le gouvernement soit « toléré » par le

parlement, en ce sens que bien que les forces qui le compose ne soient pas majoritaires, celui-ci peut recevoir des

« soutiens législatifs » afin de se maintenir, notamment en cas de vote de confiance et face à une motion de censure.

Voir STRØM, K., Minority government and majority rule, Cambridge University Press, 1990; HUBER, J., “The vote

of confidence in parliamentary democracies”, op. cit. 2 LIJPHART A., Democracies, New Heaven, Yale University Press, 1984.

3 STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs.

presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1, 1993, pp.17-18. Traduction propre. 4 A noter qu’à l’origine, les concepts d’instabilité démocratique, instabilité politique et instabilité gouvernementale

étaient indissociés. Voir à ce propos le chapitre 3 de cette thèse. 5 LIJPHART, A., Democracies, op. cit. Pour le concept de “structuration programmatique” voir KITSCHELT, H., et

WILKINSON, S., Patrons, clients, and policies, Cambridge University Press, 2007 ; KITSCHELT, H., “Linkages

between citizens and politicians in democratic polities.”, in Comparative Political Studies, Vol. 33, No. 6/7, 2000, pp.

845–879.

78

d’après la théorie de Linz, qu’à des démocraties incomplètes, au pire des démocraties

« dégradées »1 ; loin des canons de la « démocratie de partis » définie et désirée par Hans Kelsen

2.

Cependant, la portée de cet argument reste limitée dans un premier temps, car celui-ci ne permet

pas de tirer des conclusions directes quant à l’impact du régime présidentiel sur les crises

démocratiques latino-américaines des années 1970, à cause de l’absence de variance institutionnelle

dans la région. Dès lors le raisonnement est fondé sur une sélection partiale ou tronquée. La carence

d’éléments de comparaison ne permet en effet ni de valider ni d’infirmer (« falsifier ») l’hypothèse

principale3, à savoir la corrélation entre système présidentiel et chute de la démocratie. Le recours

aux excursus contrefactuels censés illustrer ce qui ce serait passé si ces pays avaient disposé d’un

système parlementaire, tendent à sur-dimensionner le caractère institutionnel de ces crises

démocratiques, en se limitant à une approche synchronique faisant fi d’aspects plus structurels4. De

plus, on pourrait à l’image Julio Faundez, établir des faits hypothétiques, en supposant que des

régimes parlementaires n’auraient –à leur tour- pas survécu à certaines crises politiques que le

régime présidentiel a su canaliser (notamment dans les années 1930)5.

L’argument anti-présidentialiste va évoluer et se limiter à démontrer la nature instable du régime

présidentiel et se concentrer sur les notions de « conflit politique » et « stabilité politique »,

délaissant peu à peu la question de la stabilité démocratique. Le régime présidentiel est alors

considéré comme propice aux « impasses institutionnelles », entre les branches du pouvoir, car

dénué de soupape de sécurité en cas d’apparition d’une crise institutionnelle et politique. Cette

hypothèse va éveiller un intérêt particulier, d’autant plus que durant les décennies 1990 et 2000, la

région latino-américaine a été le théâtre d’une litanie de crises gouvernementales et politiques au

point de se demander si « les démocraties latino-américaines [étaient] gouvernables »6.

1 DABÈNE O., Amérique latine : la démocratie dégradée, Ed. Complexe, Bruxelles, 1997.

2 KELSEN, H., Esencia y valor de la democracia, Guadarram, Barcelona, 1975.

3 COLLIER, D., et MAHONEY, J., “Insights and pitfalls: selection bias in qualitative research”, in World Politics, Vol.

49, No. 1, 1996, pp. 56-91. 4Juan Linz et Arturo Valenzuela ont ainsi recours à cet exercice pour montrer « ce qui ce serait passé si ». Voir Linz au

travers de deux « excursus », où l’auteur présente des événements contre-factuels dans l’Espagne des années 1930 puis

lors de la transition post franquiste, afin de comparer ce qui aurait pu se passer avec un schéma institutionnel différent.

Voir LINZ, J.J. ., « Presidential or parliamentary democracy : does it make a difference ?», op. cit.; et VALENZUELA,

A., “Party politics and the crisis of presidentialism in Chile: A proposal for a parliamentary form of government”, in

LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., op. cit., pp. 91-150 5 FAUNDEZ, J., « In defense of presidentialism: the case of Chile, 1932-1970 », in MAINWARING, S., et

SHUGART, M., Presidentialism and democracy in latin America, Cambirdge University Press, 1997, pp. 300-320.

Pour une analyse critique de la méthode contrafactuelle, voir LEVY, J., « Counterfactual and case studies », in BOX

STEFFENSMEIER, J., BRADY, H., et COLLIER, D., The Oxford handbook of political methodology, Oxford

University Press, 2008, pp. 627- 644. 6 COUFFIGNAL G. « Les démocraties latino-américaines sont-elles gouvernables ? », in FAVRE, P., HAYWARD, J.,

et SCHEMEIL, Y., Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Fondation Nationale des Sciences Politiques,

Paris, 2003, pp. 225-241.

79

En effet, comme conséquence d’un désenchantement précoce avec la démocratie1, des suites

d’attentes sociales et populaires démesurées2, depuis 1985 dix-sept présidents latino-américains

(voir le Tableau 1.2) n’ont pu mener à terme leurs mandats, acculés à la démission par des

mouvements sociaux ou tout simplement démis de leurs fonctions à la suite de jugements

politiques, voire « coups de force parlementaires »3. Cette suite de troubles politiques semble ainsi,

dans un premier temps donner raison à la thèse de Linz : la rigidité des régimes et notamment le

principe du mandat fixe sont pointés comme responsables car vecteurs d’inamovibilité du pouvoir

exécutif. D’après les parlementaristes, la faculté constitutionnelle de mise en minorité du

gouvernement en régime parlementaire, soit à travers le rejet d’un vote de confiance (mouvement

réactif), soit par le biais d’une motion de censure (mouvement pro-actif), offre un avantage

structurel pour la résolution des crises, les présidents impopulaires pouvant ainsi être remplacés

sans que les électeurs des pays concernés n’aient à attendre une prochaine élection. De fait, l’idée

d’un changement constitutionnel va constituer l’un des « serpents de mer » des agendas électoral et

politique en Amérique latine, puisque de nombreux États vont se poser, de manière récurrente, la

question de la transition vers un système parlementaire4.

1 HERMET, G., Les désenchantements de la liberté, Fayard, Paris, 1993.

2 On se rappelle notamment du fameux discours du candidat et futur président argentin Raúl Alfonsín : « Con la

democracia se come, con la democracia se educa, con la democracia se cura, no necesitamos nada más … ». 3 PÉREZ LIÑÁN, A., “Instituciones, coaliciones callejeras e inestabilidad política: perspectivas teóricas sobre las crisis

presidenciales”, in América Latina Hoy, No. 49, 2008, pp. 105-126. 4 C’est particulièrement le cas en Argentine où l’actuelle présidente Cristina Fernández de Kirchner a replacé dans son

agenda programmatique, en vue des élections d’octobre 2011, la question d’une réforme constitutionnelle. Cette

question n’a toutefois pas été approfondie depuis. Il est intéressant et surprenant de noter que le principal argument à

l’encontre de ce changement constitutionnel consiste en ce que l’opposition y voit la faculté de la présidente Kirchner

de se maintenir indéfiniment au pouvoir. Ceci contredit donc la théorie Linzienne qui suppose la dépendance du

gouvernement envers sa majorité parlementaire. Nous renvoyons à ce sujet l’article “Fuerte debate en la oposición por

la reforma constitucional” du journal La Nación du 8 Octobre 2011.

80

Tableau 1.2 : Interruption des mandats présidentiels depuis le retour à la

démocratie

Pays

Président

(durée effective du mandat/ durée prévue par la

constitution)

Nature de l’interruption

de mandat

Argentine Fernando De la Rúa (1.5/ 4) Démission

Bolivie

1. Hernán Siles Zuazo(3/5)

2. Gonzalo Sánchez de Lozada (1.2/5)

3. Carlos Mesa (1.8/3.8) 1

Démission

Démission

Démission

Brésil Fernando Color de Melo (2/4) Procédure politico-judiciaire

parlementaire

Rép.

Dominicaine Joaquín Balaguer (2/4)

Démission/ Annulation

Élection

Équateur

1. Abdalá Bucaram (0.5/5)

2. Jamil Mahuad (1.5/5)

3. Lucio Gutiérrez (2/5)

Destitution parlementaire

Démission**

Destitution parlementaire

Guatemala Jorge Serrano Elías (2/4) Démission**

Haïti Jean Bertrand Aristide I (0.5/5)2

Jean Bertrand Aristide II (3/5)

Coup d’État2

Démission*

Honduras Manuel Zelaya (3.5/4) Coup d’État

Paraguay Raúl Cubas Grau (0.75/ 5)

Fernando Lugo (3.8/5)

Démission**

Destitution parlementaire

Pérou Alberto Fujimori (0.3/5) Démission**

Venezuela Carlos Andrés Pérez (4/5) Destitution parlementaire

Total 17 -

Notes : * Le président Aristide étant « démissionné » par l’armée et de mouvements armés ; ** Anticipant une procédure de

destitution 1 Le cas de Carlos Mesa est particulier puisqu’il succède constitutionnellement à Gonzalo Sánchez de Lozada, démissionnaire, en

occupant alors le poste de vice-président de la République. Il est amené à démissionner, à son tour, presque deux ans plus tard. 2 Le président Aristide a repris ses fonctions après avoir été « réinstallé » par les États-Unis, trois ans plus tard pour « clore » son

mandat.

Source : Élaboration personnelle à partir de Valenzuela (2004) et Pérez Liñán (2006 et 2009).

Seul le Brésil va soumettre un plébiscite populaire pour changer de régime, qui sera rejeté par la

population en 1993, ce qui montre la certaine réticence de la part des élites politiques et des

populations latino-américaines sur la question du changement de régime, du fait notamment d’un

attachement culturel et d’une perception prohibitive des coûts –financiers et techniques- attenants.

En outre, si nous omettons les cas d’Haïti et du Honduras, deux nations dont les respectives

« cultures démocratiques»1 demeurent à ce jour balbutiantes ; ces crises se sont en général réglées

1 Pour une approche croisée du concept de « culture démocratique », voir OTAYEK, R., « Démocratie, culture

politique, sociétés plurales. Une approche comparative à partir de situations africaines », in Revue Française de Science

Politique, Vol. 47, No. 6, 1997. pp. 798-822 ; BALKIN, J., « Digital speech and democratic culture: a theory of

freedom of expression for the information society », in New York University Law Review, Vol. 79, No. 1, 2004, pp. 1-

55; DIAMOND, L., Political Culture and Democracy in developing Countries, Lynn Rienner Publishers, Boulder,

1993; ALBALA BERTRAND, L. (dir.), Cultura y gobernabilidad democráticas, UNESCO/ Ediciones Imago Mundi,

81

démocratiquement, ce qui rend compte d’un « apprentissage institutionnel » et d’une consolidation

démocratique en progression1. Enfin l’argument de l’impossibilité de révocation des présidents

impopulaires, ne semble pas dépendre uniquement du cadre institutionnel. En effet, en Europe de

nombreux premiers ministres battant des records d’impopularité sont parvenus à se maintenir en

place en recourant à des mécanismes politiques tels que le lien de clientèle (pork barel)2. Ceci

invite à revoir l’idée selon laquelle en système parlementaire les règlements de conflits

dépendraient de façon automatique du seul cadre institutionnel.

1.2.2 Evolution de la position pro-parlementariste autour de la « difficile

combinaison » présidentialisme + mult ipartisme

Avec son caractère universaliste et normatif, la thèse de Linz a nourri des débats académiques

prolifiques au cours des années 1990, la corrélation ceteris paribus entre présidentialisme et

instabilité politique ayant trouvé de nombreux défenseurs. Néanmoins, le caractère « abstrait » de

l’argument de Linz va également être critiqué, notamment sa conception a-historique, a-

comparative et statique de la perception « du » présidentialisme comme un seul mode de régime

représentatif3. Pour certains l’approche de Linz va bientôt apparaître comme un « mirage »

théoriquement et logiquement parfait, mais méthodologiquement et empiriquement biaisé4. Aussi,

en plus d’arguments en faveur du présidentialisme5, la corrélation quantitative censée démontrer

une incidence directe entre crise politique et système présidentiel est critiquée et de nombreuses

autres variables avancées pour une meilleure prise en compte de ces crises (contextualisation,

Buenos Aires, 1992. Sans oublier TOCQUEVILLE, A., De la démocratie en Amérique, Folio/ Gallimard, Paris, 1986

[1840]. 1 COUFFIGNAL G., « les surprises de la démocratie » et « des démocraties pour les pauvres ? Réflexions su

l’évolution politique de l’Amérique latine » in Amérique latine Édition 2007, les Études de la documentation Française/

IHEAL, Paris, 2007 ; ALBALA, A., « Coaliciones gubernamentales y régimen presidencial: incidencia sobre la

estabilidad política, el caso del Cono Sur (1983-2005). » Documentos CIDOB América Latina, n°29, Barcelone, 2009.

Cette assertion doit toutefois être nuancée, notamment eu égard aux différences géographiques. Les pays d’Amérique

du Sud semblent en effet plus avancés que ceux d’Amérique Centrale, qui ont connu différentes tensions

institutionnelles. La présence de cartels et autres maras constitue en effet autant d’éléments contournant l’ordre

institutionnel, et leur implantation sur un territoire donné (au lieu d’en rechercher l’élimination) fait dans certains cas

de ces Etats des « Etats faillis ». 2 Nous pensons notamment aux cas récents de Silvio Berlusconi en Italie, et Ferenc Gyurcsany en Hongrie.

3 Voir ainsi HOROWITZ, D., Ethnic Groups in Conflict, University of California Press, Berkley, 1985; SHUGART,

M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies… op.cit; NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., Presidencialismo versus

Parlamentarismo: América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1991; et NOHLEN, D., “Presidencialismo vs.

parlamentarismo en América Latina”, Revista de Estudios Políticos, 74, 1991, pp. 43-54 4 NOHLEN, D., « Presidencialismo versus parlamentarismo : dos enfoques contrapuestos », in NOHLEN, D., et

FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado… op. cit, pp.15-26 5 Shugart et Carey mettent en avant notamment la dimension de visibilité des responsabilités, et le principe de

prévisibilité et projection du pouvoir, lié au à celui du mandat fixe, là où une motion de censure peut à tout moment

renverser un premier ministre. Voir SHUGART, M., et CAREY, J., op. cit.

82

culture « présidentielle », performance économique, etc…). Surtout, c’est l’argument de la variété

des schémas présidentiels qui va retenir le plus l’attention.

Matthew Shugart et John Carey vont en effet classifier les différents régimes présidentiels en

fonction des pouvoirs législatifs et « non législatifs » garantis constitutionnellement à l’exécutif,

que nous résumons en trois points : 1) le contrôle de l’agenda politique et le degré d’initiative

législative (la capacité du pouvoir exécutif de soumettre au parlement des projets de loi) ; 2) les

capacités de « forçage et blocage » législatifs du pouvoir exécutif, mesurés en termes de pouvoirs

proactifs (essentiellement la capacité de pouvoir légiférer par décret) et réactifs (pouvoir de véto) ;

et 3) l’équilibre des pouvoirs (checks and balances), notamment des procédures de nomination/

censure des membres du gouvernement et la faculté de dissolution du parlement. De manière peu

surprenante, les auteurs concluent que les régimes où les présidents possèdent le plus de facultés

législatives et une plus grande autonomie vis-à-vis du pouvoir législatif, seraient les plus

« problématiques » et les moins démocratiques.

Ces dimensions sont autant de variables nous permettant de relativiser l’existence d’un seul

présidentialisme, et par-là même, de remettre en question la conception d’un

« présidentialisme pur »1 (plutôt qu’ « originel », ergo Étatsunien

2), compte-tenu de la multiplicité

de schémas institutionnels. Ainsi, en plus des configurations promouvant des présidents-monarques

ou « impériaux »3, qui seraient finalement des rois nus, certains auteurs vont proposer des

typologies par adjectivation plus ou moins réussies4. Face aux réticences quant à la réalisation de

changements constitutionnels5, la priorité est alors déplacée et se porterait sur la réalisation de

réformes « en douceur » des présidentialismes latino-américains, afin d’améliorer leur performance

1 RENIU, J., et ALBALA, A., “Los gobiernos de coalición y su incidencia sobre los presidencialismos

latinoamericanos: el caso del Cono Sur”, in Revista de Estudios Políticos, No. 155, 2012, pp. 101-150. 2 Pour une critique du caractère paradigmatique du système Étatsunien, voir FABBRINI, S., “The American System of

Separated Government: An Historical-Institutional Interpretation”, in International Political Science Review / Revue

internationale de science politique, Vol. 20, No. 1, 1999, pp. 95-116. 3 COX, G., et MORGENSTERN, “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América Latina”, in Desarrollo

Económico, Vol. 41, No. 163, 2001, pp. 373-393 4 Voir ZOVATTO, D., et OROZCO, J., “Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007: lectura regional

comparada”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América latina 1978-2007, Instituto

de Investigación Jurídica/ IDEA, 2008, pp. 3-212; CENTELLAS, M., “Parliamentarized presidentialism: new

democracies, constitutional engineering, and the bolivian model”, Communication Présentée lors du 59e Congrès de la

Midwest Political Science Association, Chicago, 2001; CENTELLAS, M., “From ‘parliamentarized’ to ‘pure’

presidentialism: Bolivia after October 2003.”, in The Latin Americanist, Vol. 52, No.3, 2008, pp. 5-30; MAYORGA,

R., “Presidencialismo parlamentarizado y gobiernos de coalición en Bolivia”, in LANZARO, J., Tipos de

presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 101-135. 5 MARTINEZ, G., “El presidencialismo y la necesidad de su reforma: visión actual”, in ARIAS, C., et

RAMACCIOTTI, B., Presidencialismo y Parlamentarismo en América Latina, Organisation des Etats Américains/

Université de Georgetown, Washington, 2005, pp. 43-50; MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz:

Presidencialismo y democracia; una revisión crítica”, in Desarrollo Económico. Vol. 34. No. 135, 1994, pp. 397-418;

et NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., “El presidencialismo latinoamericano: evolución y perspectivas”, in NOHLEN,

D., et FERNANDEZ, M., El Presidencialismo Renovado… op. cit., pp.111-126.

83

démocratique et représentative. Autrement dit, il s’agirait de réduire les déséquilibres d’attributions

politiques entre les branches du pouvoir.

Lorsque l’on se penche sur les données empiriques, il est surprenant, toutefois, de noter que

d’après les « baromètres » internationaux, le Chili, qui est pourtant le pays dont la constitution est

la plus « présidentialiste »1, est également, avec l’Uruguay, le seul pays de la région à n’avoir pas

expérimenté de trouble politique majeur depuis le retour à la démocratie. En outre, le Chili est

également celui qui reçoit le meilleur indice de « performance démocratique »2. Bien que les

indicateurs de ces baromètres soient discutables, le cas chilien et son pendant inverse, le Paraguay,

qui est l’un des pays les plus « équilibrés » mais qui a souffert à la fois d’instabilité politique et

démocratique sur la même période, constituent autant d’éléments contradictoires pour la théorie, et

laissent supposer une relation de causalité beaucoup plus large que la seule dimension

institutionnelle. Le Tableau 1.3 montre ainsi qu’il n’existe aucune corrélation directe entre

attributions présidentielles et l’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs, avec les propensions à

l’instabilité démocratique. En effet, les pays qui ont subi le plus de crises présidentielles et de

tentatives de putsch sont les pays proposant des constitutions présidentielles relativement

« faibles »3, à l’image de la Bolivie et de l’Équateur. Ces exemples contribuent à relativiser la

portée explicative des précédents modèles et à se prémunir des considérations institutionnalistes-

mécanicistes toutes faites, quant à toute conséquence tant sur la forme de démocratie en place que

sur d’autres aspects (nombres de partis, polarisation, etc…), à moins de chercher à son tour à

émettre des « excuses plutôt que des éléments de compréhension et d’anticipation» 4

. Plus

récemment on a pu observer l’émergence d’un courant inverse qui tend à montrer la corrélation

entre une meilleure efficacité gouvernementale dans es régimes présidentiels forts, notamment en

termes de stabilité politique et sur la « qualité de la démocratie » ; ainsi que le caractère « non

désirable » de structure rigides de pouvoirs et contre-pouvoirs 5, propre au régime Étatsunien

1.

1 Peter Siavelis parle dailleurs de “présidentialisme exagéré”, in SIAVELIS, P., “Exaggerated presidentialism and

moderate presidents: executive– legislative relations in Chile”, in MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative

politics in latin America, Cambridge University press, 2002, pp.79-114. 2 ZOVATTO, D., “Balance electoral latinoamericano Noviembre 2005-Diciembre 2006”, in Elecciones, No. 7, 2007,

pp. 17-54. Voir ainsi l’indice de The Economist dans son rapport annuel “The World in”; voir enfin la publication de la

Banque Interaméricaine de Développement (BID), dirigée par Mark Payne et al, La política importa : democracia y

desarrollo en América Latina, BID, 2006; ainsi que la co-publication du PNUD / OEA 2010, Nuestra democracia,

disponible sur http://www.nuestrademocracia.org/pdf/nuestra_democracia.pdf. 3 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies… op.cit

4 ALBALA BERTRAND, J.M., op. cit.

5 Voir entre autres MELO, M.A., “Strong Presidents, Robust Democracy? Separation of Powers and Rule of Law in

Latin America.”, in Brazilian Political Science Review, Vol. 3, No. 2, 2009, pp.30-59; CENTRO MUNDIAL DE

INVESTIGACION PARA LA PAZ, El Giro Republicano, Trilce, Montevideo, 2009;

84

Tableau 1.3 : Comparaison des attributions constitutionnelles des présidents sud-américains

Pays Initiative

présidentielle

Pouvoirs proactifs/réactifs du

président

Censure de l’exécutif / jugement politique

de du président

Dissolution de l’Assemblée

Argentine* 1 modérés/modérés 1/1 0

Bolivie** 1# faibles/modérés 1/1 0

Brésil* 1# forts/forts 0/1 0

Chili 1# forts/forts 0/1 0

Colombie 1# modérés/forts 0/1 0

Costa Rica 1 Faibles/faibles 1/1 0

Équateur** 1 modérés/modérés 1/1 1

Paraguay** 1 faibles/faibles 0/0 0

Pérou* 1 forts/faibles 1/1 1

Uruguay 1# modérés/modérés 1/1 1

Venezuela** 1# Modérés/faibles 1/0 1

États-Unis 1 Faibles/modérés 0/0 0

Total 12 (4) - 7/9 4

Notes : * pays ayant subi une « crise présidentielle » majeure depuis 1980 ; ** Pays ayant subi une crise présidentielle et une

tentative de coup d’État depuis 1980 ; # Pays dont le président dispose de l’initiative exclusive sur les questions du budget et des

dépenses de l’État. A noter qu’il s’agit d’une comparaison constitutionnelle. Nous ne prenons pas en considération, pour l’heure, la

pratique présidentielle. Ainsi le recours massif aux « Décrets de Nécessité et Urgence » (DNU), disposition théoriquement

exceptionnelle en Argentine, vient fausser cette comparaison « plate ». Nous avons volontairement sélectionné les pays sud-

américains et le Costa Rica, et non pas les pays centre-américains, pour les mêmes raisons que précédemment

Source : Elaboration propre, à partir de PNUD (2004), Georgetown PDBA, et Pérez Liñán (2008).

Par la suite, la caractérisation de « l’impasse institutionnelle » va recevoir une mise à jour

institutionnaliste en fonction du nombre d’acteurs politiques –les partis- en présence. En écho aux

critiques des années 1950-60 portant sur l’inconstance du parlementarisme multipartite, c’est cette

fois la « difficile combinaison » entre présidentialisme et multipartisme qui est mise en accusation2.

1 NEGRETTO, G., “Diseño constitucional y separacion de poderes en America latina”, in Revista Mexicana de

Sociología, Vol. 65, No. 1, 2003, pp. 41-76; ALEMAN, E., et TSEBELIS,G., “The Origins of Presidential Conditional

Agenda-Setting Power in Latin America”, in Latin American Research Review, Vol. 40, No. 2, 2005, pp. 3-26. 2MAINWARING, S., “Presidentialism, multipartism and democracy: the difficult combination”, in Comparative

Political Studies, Vol. 26, No.2, 1993, pp. 198-228: MAINWARING, S., “Pluripartidismo, federalismo fuerte y

85

Scott Mainwaring, le premier, va théoriser sur la faiblesse du présidentialisme multipartite, en se

basant largement sur les présidentialismes latino-américains, et reproche à cette configuration

d’aggraver les faiblesses inhérentes au régime présidentiel, telles qu’élaborées initialement par

Linz1. Comme le montre le Tableau 1.4, si le présidentialisme bipartite semble (ré)habilité, et est

alors considéré comme comparable au parlementarisme pluraliste, il apparaît toujours inférieur au

système Westminster, notamment en terme d’efficacité et de gouvernabilité. Inversement, le

présidentialisme multipartite serait foncièrement inadéquat et inapproprié pour le maintien des

stabilités aussi bien politiques que démocratiques. L’inflation du nombre des partis tend en effet à

accroître le nombre de « joueurs à capacité de véto »2, réduisant de la sorte le potentiel du

contingent législatif du président et élevant par-là même les risques de présidence minoritaire3

proportionnellement au nombre de partis en lice. A son tour, a probabilité d’impasse

institutionnelle augmenterait exponentiellement produisant une « chaîne d’instabilité », dont les

conséquences directes supposées seraient une ingouvernabilité chronique ou, du moins, une

incapacité à élaborer et faire approuver des politiques publiques.

Il est également reproché à la configuration multipartite en régime présidentiel de multiplier les

sources de conflits et de limiter la professionnalisation et la discipline des partis. Les risques de

blocage institutionnel paraissent d’autant plus aggravés sous cette configuration que le

présidentialisme découragerait, par essence, la formation de partis stables, disciplinés et

institutionnalisés4, en favorisant la création de proto partis personnalistes. Or, si le fondement du

jeu démocratique repose sur l’action des partis politiques, la centralité de ceux-ci en constitue la

condition sine qua non à la pérennité des démocraties, d’où la nécessité de limiter les acteurs (le

nombre de partis) et les agents (les hommes politiques), par le biais de recours institutionnels visant

à une modification de la loi électorale.

Finalement, la propre question des coalitions est abordée dans la lignée des travaux de Linz.

Bien qu’elles soient considérées comme un gage de pragmatisme et d’efficacité gouvernementale,

le système présidentiel serait incapable de générer des mécanismes durables pour leur formation et

presidencialismo en Brasil”, in MAINWARING, S., et SHUGART, M., 2002 op. cit, pp. 65-120; MAINWARING, S.,

et SHUGART, M., “Presidencialismo y sistema de partido en América latina”, in MAINWARING, S., et SHUGART,

M., 2002 op. cit, pp. 255-291. 1 A noter toutefois que Linz n’a pas émis d’avis sur cette question. Dans un entretien réalisé le 4 novembre 2011, il

semblerait tout au contraire penser l’inverse. 2 TSEBELIS, G., Veto Players: How Political Institutions Work, Princeton University Press, 2002.

3 JONES, M., Electoral Laws and the Survival of Democracies, University of Notre Dame Press, 1995; LIJPHART, A.,

Parliamentary versus Presidential Government, Oxford University Press, 1992. 4 MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires,

2002 [1997]. Pour le concept d’institutionnalisation du système de partis, voir MAINWARING, S., et SCULLY, T., La

Construcción de Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996

86

maintien, notamment à cause du principe de conflit de légitimité entre les branches de pouvoir1.

Cette absence de « motivation » structurelle, ajoutée à une discipline partisane défaillante, où les

alliances peuvent se faire et se défaire en une nuit (Scott Mainwaring et Sergio Abranches prenant

le cas Brésilien comme exemple-type), conduit les auteurs à considérer la pratique d’alliances

gouvernementales en régimes présidentiels comme accidentelle voire indésirable2.

Tableau 1.4: Comparaison de la performance théorique sur la stabilité

politique/gouvernementale, entre les différentes formes de présidentialismes et

parlementarismes.

Stabilité gouvernementale/ politique

+ -

gouvern

abilité

+ Parlementarisme majoritaire ou bipartite

(Westminster) Parlementarisme pluriel ou

multipartite

- Présidentialisme bipartite Présidentialisme multipartite

Notes : les signes positifs « + », supposent une plus grande propension ; inversement, les signes négatifs «- », supposent une moindre

efficacité.

Source: élaboration propre, à partir de Mainwaring (1993) ; Mainwaring et Shugart (1994 ; 2002);

Lijphart (1999) et Lanzaro (2001).

1.2.3 Coalitions gouvernementales et régime présidentiel : un phénomène

déviant ?

Le débat présidentialisme vs/ parlementarisme a tourné, initialement, autour de considérations

essentiellement institutionnelles quant à l’aptitude à limiter les attributions et la capacité de

nuisance des deux principales branches du pouvoir. A la lumière de ces observations, le premier

système semble considéré comme « par essence » moins à même que le second à garantir à la fois

la stabilité politique, la production législative et la formation de consensus politiques. Or, en sur-

1 Dans une note de bas de page de leur dernier ouvrage, Wolfgang Müller, et al. soutiennent que “Both government and

parliamentary coalitions resemble divided government in presidential systems”, MÜLLER, W., BERGMAN, T., et

STRØM, K., « Coalition theory and cabinet govenance : an introduction », in STRØM, K., MÜLLER, W.,

BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, op. cit., nbp7, p.7. Voir également MAINWARING, S., et

SCULLY, T., “Introduction: party systems in latin America”, in MAINWARING, S., et SCULLY, T., Building

democratic institutions: party systems in latin America, Stanford University Press, 1995, pp. 1–34, LINZ, J.J., et

STEPAN, A., Problems of democratic transition and consolidation, Johns Hopkins University Press, 1996. 2 Ainsi, « les difficultés à construire des coalitions inter-partisanes stables font que la combinaison de multipartisme

fragmenté et présidentialisme soit problématique, ce qui permet d’expliquer l’absence de démocraties multipartidaires

durables » MAINWARING, S., et SHUGART S. M., 1994, op. cit, p. 414, traduction propre. Voir également

ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados. Revista de Ciências

Sociais, Vol. 31, No. 1, 1988, pp. 5-34.

87

dimensionnant l’aspect institutionnel, ces travaux ont délaissé des aspects structurels et culturels,

certes moins mesurables, mais néanmoins centraux pour comprendre les fonctionnements des

différentes démocraties présidentielles1. Par la suite, ces présupposés ont débouché sur des

hypothèses plus fines en s’inspirant de la théorie des jeux et du nombre d’acteurs en lice, et en

mettant l’accent sur la propension « multiplicatrice » d’instabilité de la combinaison

présidentialisme/ multipartisme. Ceci a débouché sur la formulation d’hypothèses centrales portant

sur la moindre « efficacité » de cette configuration en termes de stabilité politique et gouvernabilité,

dont les plus communément défendues sont :

Hypothèse 1, les régimes présidentiels ne disposent pas d’éléments institutionnels

« facilitateurs » ou « contraignant » à la formation de gouvernements de coalition, d’où le

fait que des gouvernements de cette nature ne sauraient être que sporadiques voire

« accidentels ».

Hypothèse 2, la formation de coalitions politiques suppose l’existence de plus de deux

partis, ergo l’existence d’une forme multipartite de compétition politique. Or, cette

configuration engendre une multiplication d’acteurs politiques, particulièrement au

niveau législatif, ce qui tend à généraliser les cas de « présidence minoritaire »

Hypothèse 3, Enfin, les présidents minoritaires s’exposent davantage à des cas d’impasses

institutionnelles avec le parlement. D’où le fait que les gouvernements de coalition tendent

à être moins stables politiquement que les gouvernements monocolores, et s’exposent à

des risques accrus de tentatives de destitution du président, indépendamment de la nature

légale ou non de ces tentatives.

Il existe bien une quatrième hypothèse relative à la moindre capacité des gouvernements de

coalitions à gouverner, et approuver des projets de loi provenant de l’exécutif. Mais une

comparaison basée uniquement sur des données quantitatives ne saurait être satisfaisante car elle ne

prendrait qu’approximativement en considération des éléments conjoncturels ou des spécificités

structurelles propres à chaque pays, et ne saurait se limiter alors qu’à une « description » peu ou

non analytique de faits observables superficiellement.

L’hypothèse 1 reprend ainsi deux présupposés émis par Linz de manière implicite, sur lesquels

elle fonde son argumentaire. Tout d’abord elle part du principe (1) que les « motivations » pour la

formation de coalitions gouvernementales en régime présidentiel sont limitées par l’absence

1 NOHLEN, D., Sistema de gobierno, sistema electoral y sistema de partidos políticos, Tribunal Electoral/IFE/

Fundación Friedrich Naumann, Mexico, 1999; MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y

democracia… op.cit

88

d’obligation à former un soutien législatif pour la survie de l’exécutif ; et que (2) le caractère du

« gagnant emporte tout », inhérent à l’élection présidentielle, confèrerait au président un sentiment

de légitimité populaire, qui inhiberait toute volonté de partage du pouvoir. Les cas de collaboration

avec d’autres forces politiques, seraient dès lors à la fois accidentels1, ponctuels

2 et limités à des

soutiens parlementaires en vue de l’approbation de politiques publiques spécifiques.

Ces considérations semblent faire preuve, tout d’abord, d’ornières à la fois théoriques et

empiriques, puisque Michael Laver et Norman Schofield3, puis Kaare Strøm

4, ont montré que les

gouvernements minoritaires étaient relativement fréquents en système parlementaires, remettant

ainsi à plat les dogme de la nécessaire formation de gouvernements « majoritaires » et celui de

l’obligation de la formation de coalitions en cas d’absence de majorité parlementaire. Kaare Strøm

insiste sur le fait que la formation d’un gouvernement minoritaire (qu’il soit ou non de coalition)

peut s’avérer être une stratégie préférable voire désirable, notamment en cas de multipartisme

polarisé. Le gouvernement, bien que ne disposant pas à priori d’un soutien parlementaire suffisant,

parviendrait ainsi à former des coalitions législatives sur différents sujets, et notamment en cas de

vote de confiance ou motion de censure5. Il semble alors juste de noter que d’après l’hypothèse

anti-présidentialiste, l’absence de considération quant à la faculté de créer des coalitions législatives

ad hoc en régime présidentiel (et semi-présidentiel), à l’image de ce qui se produit en système

parlementaire, peut laisser circonspect6.

La réalité empirique est une dimension têtue qui se plaît à contredire les hypothèses les plus

logiques et élégantes. En effet, l’apparition généralisée et parfois « incontinente » de nouveaux

partis a non seulement démenti des théories sur l’impossible « combinaison » entre multipartisme et

1 STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs.

presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1, 1993, pp. 1-22; LINZ, J.J., « Presidential or parliamentary

democracy : does it make a difference ?», op. cit. 2 ROBLES EJEA, A. “Reflexiones sobre las coaliciones políticas”, in Revista de Estudios Políticos, No. 77, 1992, pp.

303-320. 3 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government:The politics of coalition in Europe, Oxford University

Press, 1990. 4 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Cambridge University press, 1990a

5 Ibid, p. 14. Ainsi, les coalitions gouvernementales minoritaires ont, d’après Strøm, une orientation « office-seeking »

dominante, et les coalitions législatives qu’elles parviennent à former sont-elles à dominante « policy seeking ».

Cheibub et al ont montré que plus de la moitié des gouvernements d’après-guerre en systèmes parlementaires ont été

des gouvernements minoritaires, et que près de la moitié de ceux-ci ont été des coalitions minoritaires.Voir CHEIBUB,

J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under presidentialism and

parliamentarism”, in British Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587. 6 Scott Mainwaring et Matthew Shugart avance que : « Bien que les raisons pour croire que de telles coalitions

tendraient à être plus fragiles qu’en système parlementaire, il y a des facteurs institutionnels spécifiques qui affectent la

viabilité des coalitions tant dans le cadre des systèmes parlementaires qu’au sein des systèmes présidentiels» in

MAINWARING S. et SHUGART M.S. « Presidencialismo y sistema de partidos en América Latina », in

MAINWARING S. Et SHUGART M.S, Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,

2002, nbp 3 p. 258. Pour une discussion voir CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,

Cambridge University Press, 2006.

89

systèmes présidentiels, mais elle a surtout mis en évidence la nécessité de s’arrêter sur les alliances

partisanes jusque-là délaissées ou considérées comme néfastes1. Grace Ivana Deheza, la première, a

démontré en s’appuyant sur des cas latino-américains que, statistiquement, les gouvernements de

coalition en systèmes présidentiels, tendent à être aussi fréquents que les gouvernements

monocolores2. Qui plus est, depuis le début des années 2000, de nombreux auteurs ont montré le

caractère récurrent ou « invariant », depuis le retour à la démocratie dans la région, de la formation

de coalitions gouvernementales solides3, au-delà d’accords « cartellisant »

4. Et, si nous nous

centrons sur l’Amérique du sud, se sont près des deux tiers des gouvernements ayant accédé au

pouvoir depuis le retour de la région à la démocratie (ou depuis 1980 pour la Colombie et le

Venezuela) qui se sont constitués en coalitions gouvernementales. Ces gouvernements entrent ainsi

pleinement dans la définition que nous avons établie dans l’introduction de cette thèse, en fonction

de leur composition et de leurs objectifs. L’argument du caractère accidentel de la formation de

coalitions en régimes présidentiel ne tient plus. On observe plutôt que celles-ci conditionnent la vie

politique de la région, surtout après les processus de déconstruction des bipartismes traditionnels5,

en Argentine, Colombie, Paraguay, Uruguay et au Venezuela.

En outre, l’argument du « winner takes all » perd également de sa consistance. En effet,

l’inclusion de différentes forces politiques au sein d’un même gouvernement amène à nuancer la

perception d’unilatéralité des prises de décision, particulièrement lorsque l’on considère les

1 ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão…” op. cit.

2 DEHEZA, G. I., “Gobiernos de coalición en el sistema presidencial: América del Sur”, in NOHLEN, D. et

FERNÁNDEZ, B., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina, Nueva Sociedad,

Caracas, 1998, pp.151-170. 3

Voir AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: An analysis of 10 latin American countries”,

document présenté lors du meeting LASA de Chicago, 1998; ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the

presidential systems of latin America: an inquiry into the political conditions of governability”, Thèse de doctorat non

publiée, Université d’Essex, 2001; LANZARO, J., “Tipos de presidencialismo y modos de gobierno en América

Latina” in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos

Aires, 2001, pp. 15-49; CHASQUETTI, D., “Democracia, multipartidismo y coaliciones en América Latina: evaluando

la difícil combinación”, in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones…, op. cit., pp. 319-359;

CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil

combinación, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 ; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S.,

“Government coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, op. cit; RENIU, J. M. “Los

gobiernos de coalición en los sistemas presidenciales de Latinoamérica; elementos para el debate”. Documentos

CIDOB. América Latina. No. 25, 2008; ALBALA, A. “Coaliciones gubernamenales y régimen presidencial…”op. cit. 4 Entendus comme des accords de partage du pouvoir avec comme unique objectif une répartition équilibrée entre les

principaux acteurs politiques, des sources de pouvoir et des financements publics, au détriment des autres acteurs

politiques. Le cas colombien de 1958 jusque 1991 en est un bon exemple. 5 FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», in BLANQUER, J., et

alii, Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des Amériques, Paris, 2004 ; ALBALA, A., et PARRA, E.,

« ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina, Colombia y

Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180 ; RAILE, E., PEREIRA, C., et

POWER, T., “The executive toolbox: building legislative support in a multiparty presidential regime”, in Political

Research Quarterly, Vol. 64, No. 2, 2011, pp. 323-334 ; WARE, A., The dynamics of two-party politics, ECPR/ Oxford

University Press, 2009.

90

différentes attributions -proactives et réactives- des présidents. Si l’élection du président, et dans la

plupart des cas du vice-président1, découle en effet du suffrage populaire, et s’il semble que

l’autonomie ministérielle vis-à-vis du chef du gouvernement soit moindre en système présidentiel2 ;

le partage du pouvoir entre différents acteurs constitue alors la condition à l’établissement et au

fonctionnement de gouvernements de coalition. D’ailleurs, du fait de la séparation des pouvoirs, les

gouvernements monocolores en systèmes parlementaires sont beaucoup plus enclins à des pratiques

« centrifuges »3 ou unilatérales, puisqu’ils ne représentent les intérêts que d’un seul parti, quand

bien même celui-ci serait majoritaire, et potentiellement sans contre-pouvoir politique.

Contrairement à ce que soutien la théorie, les coalitions gouvernementales constituent

effectivement une « réalité » tangible de la vie politique en système présidentiel. Cette réalité est-

elle néanmoins « positive »? En effet, à en croire l’hypothèse 2, la multiplication des acteurs

politiques au niveau parlementaire tend à favoriser les cas de présidence minoritaire, et ce en dépit

de la possibilité de former des coalitions. La probabilité d’avoir un président sans majorité

parlementaire, dans un cas de figure de compétition politique bipartisane, paraît « logiquement »

peu probable : les électeurs, considérés comme rationnels, et ayant moins d’options de dispersion,

sont supposés voter de manière cohérente (ou « utile ») pour le même parti du candidat présidentiel,

aux élections législatives. Ce d’autant plus si la loi électorale ne prévoit qu’un tour (pour le

président) et si le mode d’élection des parlementaires est uninominal et du style first past the post

(« le premier arrivé est élu4 »).

Encore une fois, la réalité empirique vient démentir cette hypothèse logique. En effet, lorsque

l’on réalise une observation globale des démocraties sud et nord-américaines, aucune corrélation

évidente n’apparaît. Si l’hypothèse semble se vérifier pour certains cas où les systèmes partisans

sont à la fois multipartites et instables comme au Pérou et Équateur ; les cas du Brésil et du Chili

qui abritent les deux systèmes de partis les plus « atomisés » de la région (respectivement 6,4 et 5.1

partis « effectifs » en moyenne5), font preuve d’une efficacité récurrente à former des majorités

parlementaires, dans respectivement 72 et 80% des cas1.

1 A noter l’absence de travaux d’envergure sur le rôle du vice-président, notamment dans la confection d’alliances

électorales. 2 MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University Press, 2002;

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability in parliamentary democracies, Oxford

University Press, 2003. Nous discuterons ce point de vue dans le chapitre 6. 3 GERRING, J., et THAKER, S., A centripetal theory of democratic governance, Cambridge University Press, 2008;

ZELAZNIK, J., “The Building of Coalitions in the Presidential Systems of Latin America…” op. cit.; CHEIBUB, J.A.,

Presidentialism, Parliamentarism, and Democracy, op. cit. 4 Appelé système « pluriel » ou « majoritaire », par Arend Lijphart. Voir LIJPHART, A., Democracies, op. cit. Nous

développerons une analyse critique de l’impact du système électoral sur la formation de coalitions au prochain chapitre. 5 Mesure à partir dela célèbre et controversée équation de Laakso et Taagapera pour le « comptage » du Nombre

Effectif de Partis (NEP). Voir LAAKSO, M., et TAAGEPERA, R., “Efective number of parties. A measure with

91

Surtout, si l’on considère deux des démocraties « bipartisanes » les plus durables et

paradigmatiques du continent Américain, le Costa Rica et les États-Unis, on observe des résultats

surprenants. Partant de la définition la plus appropriée du bipartisme (au-delà d’un simple

« comptage » analytiquement inintéressant des partis en lice aux élections) comme un système de

partis « où, pendant une période prolongée, les deux partis (mais pas plus de deux partis) ont

normalement eu le contrôle du gouvernement par eux-mêmes, et alternativement 2» ; nous pouvons

observer que ces deux démocraties ont expérimentés des cas de présidence minoritaire

respectivement dans 50% et 80% des cas3. L’argument sur la relation mécanique entre bipartisme

et gouvernement majoritaire, tombe à son tour.

Enfin, si les démocraties présidentielles bipartisanes ne sont pas nécessairement conductrices de

majorité, au moins les partis présents disposent-ils d’une large représentation qui leur octroierait de

fait à défaut d’une réelle majorité, une « quasi-majorité », qui limiterait alors les transactions ad

hoc lors de votes à l’assemblée. Aussi, suivant l’hypothèse 3, cette combinaison permettrait de

prévenir les impasses institutionnelles et notamment les cas de tension entre les deux principales

branches du pouvoir. Les systèmes bipartisans seraient de la sorte mieux armés pour faire face à des

crises présidentielles, sans avoir à recourir à des formes de résolution lourdes (démission forcée

voire destitution du président) ni extra-légales (coup d’État ou tentative de putsch). Ces

démocraties seraient aussi plus à même de garantir la stabilité politique et démocratique du pays,

tandis que la multiplication des acteurs et du nombre de joueurs opportunistes disposant d’un

« pouvoir de véto », rend la tâche plus imprévisible en système multipartite.

Suivant cette théorie, on devrait donc s’attendre à une surreprésentation de destitutions

présidentielles4 (ou démissions forcées) et tentatives de coups d’État dans les démocraties ou

opèrent des systèmes partisans multipartites. Or, le Graphique 1.1., met en évidence l’absence de

corrélation entre l’influence du système partisan et la recrudescence de destitutions présidentielles

ou tentatives de coups d’États. Nous avons volontairement écarté les cas du Pérou et Haïti, étant

application to west Europe”, in Comparative Political Studies, Vol. 12, No. 1, 1979, pp. 3-27. Pour une critique de cette

mesure, voir SARTORI, G., Parties and party system, Oxford University Press, 2006, et WARE, A., op. cit. 1FIGUEIREDO, A., SALLES, D., et VIEIRA, M., « Presidencialismo de coalizão na América Latina », in Insight

Inteligência, Année XII, No. 49, 2010, pp. 127-133. Les résultats pour le cas chilien sont à nuancer en ce que, bien

que la Concertación ait effectivement gagné toutes les élections jusqu’en 2010, et s’est effectivement dotée d’une

majorité de parlementaires « élus », l’existence de sénateurs désignés à l’époque de la dictature, et

constitutionnellement inamovibles jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2005, renvoie à ce que Manuel Antonio

Garretón nomme les « enclaves autoritaires » auxquelles les gouvernements démocratiques ont dû faire face depuis

1990. Ces raisons extra-électorales expliquent d’ailleurs que la Concertación n’ait jamais eu de réelle « majorité »

parlementaire jusqu’en 2000. 2 WARE, A., op. cit., p. 8. Traduction propre.

3 ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential…” op. cit, FIGUEIREDO, A., et al, « Presidencialismo

de coalizão na América Latina », op. cit 4 Ou démissions forcées.

92

donné les réserves que l’on peut y porter quant à l’existence de systèmes partisans en tant que tels1.

On observe ainsi que si les cas de destitutions présidentielles, depuis le retour à la démocratie, ont

été plus nombreux en systèmes multipartisans (8), qu’en configurations bipartisanes (5)2 ; à

l’inverse, les cas de tentatives de coups d’État se trouvent surreprésentés dans les démocraties

bipartisanes (4) par rapport aux systèmes multipartisans (2)3.

Graphique 1.1. Démissions présidentielles et tentatives de putsch en fonction des

combinaisons bipartite/ multipartite des systèmes partisans.

Source : Élaboration propre.

Après ce détour par la « réalité » empirique, nous nous trouvons donc en mesure de déconstruire

l’argument de la difficile combinaison entre présidentialisme et multipartisme. Les gouvernements

de coalition en régime présidentiel ne sont ainsi ni accidentels, ni vecteurs d’instabilité per se,

contrairement à la thèse séduisante de Scott Mainwaring. En nous arrêtant sur la quatrième

hypothèse que nous avions brièvement formulée, nous observons également la non-vérification de

l’argument sur une moindre efficacité législative des gouvernements de coalition4. Enfin, la théorie

originelle de Linz, sur la plus grande propension à l’instabilité politique et démocratique des

1 Ainsi, Giovanni Sartori, Marcelo Cavarozzi et Esperanza Casullo, ou encore Liliana De Riz avancent-ils avec raison

que l’existence de parti n’est pas une condition suffisante à la conformation d’un « système de partis ». Voir SARTORI,

G., Parties and Party System,op. cit ; CAVAROZZI, M., et CASULLO, E., « Los Partidos en América Latina Hoy :

¿Consolidación o Crisis ?, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El Asedio a la Política, Homo Sapiens/

Konrad Adenauer, Rosário, 2002, pp. 9-31; DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado:

Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, pp. 659-682. Pour une

approche conceptuelle et analytique de la notion d’institutionnalisation des systèmes de parti, voir infra. 2 Systèmes multipartisans : Argentine (2001), Bolivie (1985, 2003 et 2005), Brésil (1993), Équateur (1996, 2000,

2005). Systèmes bipartites : République Dominicaine (1996), Guatemala (1993), Honduras (2009), Paraguay (1999 et

2012) et Venezuela (1993). 3 Bipartite : Guatemala (1993), Paraguay (1996 ), Venezuela (1992 et 1993), Honduras (2010) ; Multipartite : Équateur

(2000), Venezuela (2002). Nous avons volontairement laissé de côté la tentative de coup d’État en Équateur subie par

le président Correa en 2011, puisque celle-ci fut de nature corporatiste, étant le fruit d’un soulèvement d’une fraction

des forces de police. Cette tentative n’a ainsi rien à voir avec quelque impasse institutionnelle que ce soit. 4 Nous verrons une analyse plus fine de ceci dans le chapitre 5.

6

5

8

2

0

1

2

3

4

5

6

7

8

9

présidents démis tentatives de putsch systèmes bipartisans systèmes multipartisans

93

régimes présidentiels par rapport aux régimes parlementaires nous est apparue discutable. Les

conditions ayant conduit aux coups d’États dans les années 1970 et aux crises politiques lors de la

décennie 1990-2000, étant plus profondes que la simple considération d’impasse institutionnelle, et

donc autrement plus compliquées à résoudre1.

En somme, si des études de plus en plus nombreuses ont fait état de la réalité des gouvernements

de coalition en régime présidentiel au début des années 2000, la portée de ces études est assez

inégale et disparate, et leur approche essentiellement monovariée voire monothématique. En effet,

la plupart de ces travaux ont seulement pris pour objets la formation et la composition des cabinets

ministériels et les conditions institutionnelles du partage des postes de pouvoirs2, l’élaboration de

modèles visant à prédire la période de scission de l’alliance3, voire à un mélange de ces deux

objets4. L’avancée des travaux sur les gouvernements de coalition en régimes présidentiels semble

donc se limiter essentiellement aux approches de « première et seconde génération » (voir supra

1.1.3a), essentiellement centrées sur l’impact des institutions (loi électorale, etc.). Si certains

travaux multivariés commencent à voir le jour très récemment5, il n’existe pas encore d’étude

structurelle, orientée sur les caractéristiques propres au présidentialisme en termes d’exercice du

pouvoir, de culture politique, d’historicité et temporalité politique, éléments marquant des

différences entre les deux types de régimes.

1ALTMAN, D., “Crisis de gobernabilidad democrática: orígenes y mapa de lectura”, in Revista Instituciones y

Desarrollo, No. 8 et 9, 2001, pp. 385- 410; CHEIBUB, J.A., 2006 op. cit.; CHEIBUB, J.A., “Minority governments,

deadlock situations, and the survival of presidential democracies”, in Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 3,

2002, pp. 284-312; CHEIBUB, J.A., LIMONGI, F., “Democratic institutions and regime survival: parliamentary and

presidential democracies reconsidered”, in Annual Review of. Political Science, No. 5, 2002, pp. 151–79; COLOMER,

J., et NEGRETTO, G., “Can presidentialism work like parliamentarism?”, in Government and Opposition, Vol. 40,

No.1, 2005, pp. 60–89. 2 AMORIM NETO, op. cit ; AMORIM NETO, O.”The presidential calculus: Executive policy making and cabinet

formation in the Americas, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4, 2006, pp. 415-440.ALEMAN, E., et

TSEBELIS,G., “Coalitions in presidential democracies: how preferences and institutions affect cabinet membership”,

Paper présenté lors du congrès annuel de l’Association Américaine de Science Politique (APSA), 2008; MARTÍNEZ-

GALLARDO, C., “Inside the cabinet: the influence of ministers in the policymaking process”, in SCARTASCINI, C.,

STEIN, E., et TOMMASI, M., How democracy works: political institutions, actors, and arenas in latin American

policymaking, BID, Washington D.C., 2010, pp. 119-145. 3

ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies: the case of

Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La supervivencia de

las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, in Postdata, No. 11, 2006, pp. 163-192;

CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil

combinación, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008. 4 GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in

Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp.41-62. 5 RENIU, J. M. “Los gobiernos de coalición en los sistemas presidenciales de Latinoamérica; elementos para el

debate”, in Documentos CIDOB América Latina, No. 25, 2008; RAILE, E., PEREIRA, C., et POWER, T., “The

executive toolbox..” op. cit.; et CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and

legislative success …», op. cit.

94

1.3 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons cherché à dresser un état des lieux des coalitions theories élaborées

à partir de l’étude des systèmes parlementaires. L’évolution des travaux sur le sujet montre que

l’approche utilitaire que nous avons vue à l’œuvre dans les écrits de Riker, etc. a progressivement

laissé place à la considération de variable de plus en plus fines et diversifiées. Ces mises à jour se

sont dans un premier temps limitées à des questions institutionnelles, avant d’élargir l’objet d’étude

sur l’analyse de considérations aussi bien systémiques qu’environnementales.

S’il est vrai que ces nouvelles approches témoignent d’une évolution à la fois pertinente et

exaltante quant à l’analyse des phénomènes coalitionnaires en politique, les travaux sur les

coalitions gouvernementales en régimes présidentiels demeurent minoritaires. Nous avons

également tracé l’évolution du débat opposant parlementaristes vs/ présidentialistes, et présenté sa

vivacité comme la raison centrale du retard pris par les études des phénomènes coalitionnaires en

régime présidentiel. Nous avons évoqué deux éléments nous persuadant à « multivarier » -à notre

tour- notre approche : l’absence d’homogénéité des configurations présidentielles, et 2) la réalité

empirique qui vient démentir les présupposés stipulant l’absence de motivations à la coopération et

au partage du pouvoir au sein de ce type de systèmes. Comme le disent Kaare Strøm et al.:

«La recherche sur les coalitions n'a pas besoin d'être limitée, même dans les démocraties

parlementaires. Tous les systèmes multipartites qui ne remettent pas tout le pouvoir entre les

mains d'un seul parti politique soudé, exigent la formation et souvent l'entretien d’une sorte de

coalition [...]. Bien que les régimes présidentiels aient une configuration institutionnelle distincte,

les logiques de base de la négociation devraient être les mêmes. Ce serait donc une tentative

notable que de formuler des théories de coalition qui couvrent les deux systèmes parlementaire et

présidentiel »1

Pour ce faire nous avons établis les bases des caractéristiques propres aux régimes présidentiels,

reprenant d’ailleurs, en partie, les éléments propres à l’argument initial de Juan Linz.

Premièrement, le fait que le président soit détenteur de la double casquette chef de l’État/ chef du

Gouvernement, ce qui comme l’avance Linz suppose une posture face à l’électorat, et une pratique

du pouvoir potentiellement plus chargée symboliquement et discursivement. Ceci engendre une

tendance clivée entre les partisans du président et « les autres », cherchant à être président à la

place du président. La séparation des pouvoirs, ou plutôt leur respective autonomie, fait du

gouvernement l’acteur central de la formation de politiques publiques et tend à augmenter le « prix

1 STRØM, K. et al. op. cit, p. 442. Traduction propre

95

d’entrée au gouvernement »1. Les portefeuilles ministériels sont à la fois des « actifs » précieux à la

disposition du président, susceptibles d’être distribués aux alliés les plus « méritants » ou

« engagés » ; et des « biens » convoités par d’autres acteurs politiques. Plus les prérogatives

législatives du pouvoir exécutif sont élevées, plus ceci semble se renforcer.

Le second élément principal de distinction avec les systèmes parlementaires, à la temporalité

politique. En effet, la caractéristique du mandat fixe permet de se projeter sur une temporalité plus

longue et précise qu’en régimes parlementaires, au sein desquelles le gouvernement peut être

censuré à tout moment. Deux propositions se présentent : a) les gouvernements de coalitions en

régimes présidentiels ont une durée de vie plus limitée et elle est davantage orientés vers la quête

du pouvoir (power seeking) ; ou b) les gouvernements de coalitions en régimes présidentiels ont

une vision à plus long terme, dépourvus qu’ils sont des soucis d’un marchandage constant visant à

maintenir leur unité et majorité parlementaire. Les membres du gouvernement tendraient alors à

inscrire leur action dans la durée en cherchant la réélection du président (si la constitution le

permet) ou de « l’équipe gouvernante ».

Conformément à ce que nous avons établi jusqu’à présent, nous proposons de laisser de côté

toute modélisation superficielle. Nous rejetons alors ces deux précédentes propositions, car le

contexte aidant, chacune peut tour à tour se présenter. Nous retenons néanmoins que la

caractéristique élective du mandat présidentiel confère à l’élection –plus ou moins directe selon les

constitutions– une dimension de « couperet », puisque celle-ci –qu’elle soit à un ou deux tours–

détermine l’identité du vainqueur. A l’inverse de ce qui se passe en système parlementaire, tel que

le présentent les différentes analyses, où le gouvernement est connu une fois établis les rapports de

force à l’assemblée2, la sélection du candidat serait donc amenée à être le fruit de davantage de

tractations aussi bien intra-partisanes (primaires ouvertes ou fermées), qu’inter-partisanes

(formation d’un front électoral commun et accord autour d’un candidat unique). Le « cycle »

présidentiel pourrait être différent de celui du premier ministre, l’application de la théorie des

1 PAYNE, M., “Balancing Executive and Legislative Prerogatives: The Role of Constitutional and Party-Based

Factors”, in PAYNE, M., ZOVATTO, D., et MATEO DÍAZ, M., Democracies In Development: Politics and Reform in

Latin America, BID, Washington DC, 2007; SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, Parties, and Prime

Ministers, Cambridge University Press, 2010; PRAÇA, S., FREITAS, A., et HOEPERS, B., “Political Appointments

and Coalition Management in Brazil, 2007-2010”, in Journal of Politics in Latin America, Vol. 3, No. 2, 2010, pp.

141-172. 2 A noter toutefois que la loi électorale bolivienne prévoyait, sous la constitution en vigueur jusqu’en 2009, qu’en

l’absence de majorité absolue au premier tour, le président était « élu » par le parlement, parmi les trois candidats les

mieux placés. Ceci conférait donc au parlement une responsabilité similaire à celle en vigueur en système

parlementaire.

96

coalitions doit donc prendre en considération cette dimension, lors de sa transposition aux régimes

présidentiels1.

Enfin, la formation de coalitions politiques (gouvernementales et législatives) suppose

l’élaboration d’une stratégie de coopération entre les acteurs impliqués, en vue de la réalisation de

l’objectif commun intrinsèque à l’accord (élection, politique publique, etc.), en dépit des distorsions

d’information entre les joueurs2. Or, si ceci est en adéquation avec la perception du « winner takes

all » établie par Linz comme propre aux systèmes présidentiels, nous avons nuancé ce postulat en

collectivisant les responsabilités du pouvoir exécutif. En effet, celui-ci ne saurait se limiter au seul

président. De plus, nous avons longuement insisté sur le fait que la pratique gouvernementale ne

doit pas être conditionnée uniquement par le cadre institutionnel. Dans ce domaine, les cultures

politique et gouvernementale sont autant d’éléments à prendre en compte pour considérer la

propension à la coopération des différents systèmes présidentiels. C’est la raison pour laquelle

Jorge Lanzaro différencie, parallèlement à l’existence de présidents monarques, deux types de

configurations présidentielles coopérantes: le présidentialisme de compromis, et le présidentialisme

de coalitions3.

Le premier type de configuration peut s’appliquer à toute forme de présidentialisme -majoritaire

ou pluriel. Il consiste à ce que le gagnant « partage d’une certaine manière sa victoire et se trouve

obligé de négocier les produits du gouvernement »4. Le gouvernement doit alors faire face à une

situation de négociation permanente avec l’opposition parlementaire, que ce soit en y étant

contraint institutionnellement, ou parce que cela relève de la culture gouvernementale, toute

décision étant discutée et prise conjointement, dans la mesure du possible, avec une large majorité

du parlement. Dans sa forme la plus élémentaire, ce type de régime s’appelle également le

présidentialisme modéré. Lanzaro cite les États-Unis comme exemple-type de ce régime, qui

suppose donc une « tradition » politique du compromis, et créé par-là même une culture politique

modérée voire « consensuelle » quant à la manière de concevoir et de faire la politique. Toutefois,

comme nous l’avons observé récemment, toujours dans le cas états-unien, la nécessité constante de

parvenir à un compromis avec l’opposition ne garantit pas pour autant le succès des négociations, et

donc l’adoption de politiques publiques.

Le présidentialisme de coalitions, concept initialement péjoratif5, consiste, quant à lui, à

l’institutionnalisation de la formation de coalitions électorales et gouvernementales. La modération

1 Voir supra, chapitre 4.

2 SUTTON, J. “Non-Cooperative Bargaining Theory: An Introduction”, op. cit.

3 LANZARO 2001, op. cit., p.22

4 Ibid p. 22

5 ABRANCHES, S., op cit.

97

idéologique et la stratégie de coopération constitue alors, d’après Jorge Lanzaro, l’un des pré-requis

de cette configuration présidentialiste. Ce concept doit-il être considéré dans son entièreté

ontologique, à savoir que ce qui incombe à la dimension coalisée ne saurait être séparé de la partie

« présidentielle ». Or, si nous avons manifesté une commensurabilité avec le phénomène

coalitionnaire, et dès lors une comparaison possible, nous avons également mis en avant la

nécessaire « présidentialisation » de l’approche analytique. Aussi, nous réutiliserons ce concept

comme la caractérisation de l’approche des coalitions gouvernementales en systèmes présidentiels.

Le prochain chapitre s’inscrit viendra isoler l’impact de la configuration présidentielle dans la

formation de la compétition partisane et la formation d’alliances politiques, en réalisant une

comparaison constante avec le type de gouvernance supposée des régimes parlementaires.

98

Chapitre 2: Le présidentialisme de coalition et l’approche par les institutions

Pour celui qui mène une investigation sur les constitutions et sur ce qu’est chacune d’elles

et sur ces propriétés, l’investigation première c’est de considérer la cité […]

Aristote, Les Politiques.

La conjonction théorique des coalition theories avec la prise en compte graduelle des

spécificités des relations inter-partisanes considérant les partis comme des organisations

fonctionnant en système -et non plus uniquement suivant le schème individualisant les membres

des partis1-, a constitué une évolution majeure dans l’approche de ce phénomène par la science

politique. Les coalitions politiques qui ont suivi ce schème d’analyse, ont constitué l’un des viviers

les plus prolifiques dans la littérature de cette discipline2. Nous l’avons vu, l’adjonction de

« variables » explicatives, en complément des conceptions utilitaristes initiales, est venue inaugurer

de nouvelles générations d’études sur les processus coalitionnaires. L’ingénierie constitutionnelle

comparée et l’émergence puis l’avènement du courant néo-institutionnaliste dans les années 19803

ont ainsi fortement imprégné la seconde génération d’études, au point d’en être le principal facteur

explicatif. Les institutions, ou plutôt certaines institutions peuvent, tour-à-tour, être

« facilitatrices » et/ou « contraignantes » quant à la formation et au maintien d’alliances. Le cadre

institutionnel opèrerait donc comme le conditionnant majeur de l’action politique, et certaines

« combinaisons » institutionnelles seraient supposément plus à même que d’autres, de produire

et/ou de maintenir une configuration coalitionnaire.

Parallèlement à cela, le débat présidentialisme vs/ parlementarisme, que nous avons analysé au

chapitre précédent, est également un débat fondé sur des questions institutionnelles. Ainsi, si les

« variables dépendantes » diffèrent entre les différentes études –« stabilité démocratique » pour

Juan Linz et Arturo Valenzuela4 ; « bonne gouvernance », « consolidation démocratique » et

1 Propre aux courants behaviouraliste et du choix rationnel.

2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions. L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la

croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37.

3 Si l’article de March et Olsen vient identifier ce nouveau paradigme, l’approche du fait social par les institutions était

pour autant déjà à l’œuvre. Voir MARCH, J., et OLSEN, J., “The new institutionalism: organizational factors in

political life” in American Political Science Review, Vol. 78, No. 3, 1984, pp. 734-749. Pour un tracé du paradigme

institutionnaliste et néo-institutionnaliste, voir PETERS, G., Institutional theory in political science: the 'new

institutionalism', Pinter, Londres/ New York, 1999. 4 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69; LINZ, J.J., et

VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994.

99

« stabilité institutionnelle » pour les études de la seconde vague du débat1 ; les « variables

indépendantes » utilisées pour l’analyse sont, quant à elles, toutes de dimension institutionnelle : le

seul régime présidentiel pour Linz et Valenzuela ou le régime présidentiel combiné au système de

partis et les pouvoirs de l’exécutif, pour les études postérieures. Ces études se focalisent, avec une

tendance normative, sur des « problèmes » institutionnels, et proposent à leur tour des réponses ou

des « solutions » de nature institutionnelle2.

Dans ce chapitre nous viendrons vérifier ces théories en reprenant, dans un premier temps, les

arguments de l’ingénierie constitutionnelle, puis ceux de l’approche néo-institutionnelle. Nous

confronterons, dans cette perspective, les principales hypothèses afin de mettre en évidence un

décalage qualitatif dans l’approche du phénomène coalitionnaire et sa dépendance à

l’environnement institutionnel, selon que les études traitent du phénomène en système

parlementaire ou présidentiel. Au plan théorique, nous identifierons les institutions qui entrent dans

l’élaboration de modèles de probabilité coalitionnelle (ou « coalescence »). Au plan empirique nous

tenterons d’observer la portée de ces modèles et le rôle de ces institutions au niveau latino-

américain, plus particulièrement dans nos trois pays étudiés. Nous porterons un intérêt particulier

sur les réformes constitutionnelles et notamment l’inclusion du balottage.

Nous verrons ainsi, dans un premier temps, l’impact des lois électorales sur le système partisan

et les hypothèses formulées, quant à leur propension à former des coalitions gouvernementales.

Nous considérerons ensuite les modèles mêlant les propriétés des différentes combinaisons de lois

électorales, avec les facultés législatives de l’exécutif et leurs supposés effets sur le maintien

d’alliances gouvernementales. Nous insisterons tout particulièrement sur trois points : a) la

simultanéité des élections présidentielles/ législatives ; b) la possibilité de réélection ; et c) les

configurations de présidentialisme « fort » ou exagéré3.

La seconde partie proposera une forme alternative de considérer le poids des institutions sur la

pratique coalitionnaire, en nous arrêtant à la fois sur les considérations endogènes (ou

« systémiques ») de création des institutions et « la dépendance du sentier» (path dependence) créé

par cette configuration initiale. Cette approche propre à l’institutionnalisme historique considérera

entre autres les contextes et les acteurs ayant participé aux créations et, suivant les cas, aux

1 ELGIE, R., “From Linz to Tsebelis: three waves of presidential/parliamentary studies?,” in Demcratization, Vol.12,

No.1, 2005, pp.106–122. 2 NORTH, D., Institutions, Institutional change and economic performance, Cambridge University Press, 1990.

3 SIAVELIS, P., “Exaggerated presidentialism and moderate presidents: executive–legislative relations in Chile”, in

MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative politics in latin America, Cambridge University press, 2002, pp.79-

114.

100

changements constitutionnels récents. Enfin, nous nous arrêterons sur l’impact des institutions

informelles et leurs facultés ordonnatrices sur les systèmes politique et partisan.

2.1 De l’impact du système politique sur les systèmes de partis et leur « potentiel

coalitionnaire » en régime présidentiel.

Les travaux initiaux de Maurice Duverger1 sur les partis politiques, et leur relation aux

institutions quant à la formation d’alliances, sont restés, pendant près de trente-cinq ans, sans suite2.

En effet, nous l’avons vu, les processus coalitionnaires étaient observés au travers du prisme

behaviouriste, courant dominant de la science politique jusque dans les années 1980. Il a fallu

attendre un changement de paradigme dominant dans la discipline et les travaux de David Austen

Smith et Jeffrey Banks et surtout de Kaare Strøm et al. 3, pour reconsidérer l’étude de ces

phénomènes dans une optique non dispensée d’institutions.

Or, si le propre concept d’institution politique, qui se réfère habituellement « aux organes de

l’État qui exercent des fonctions dites de souveraineté »4, demeure relativement flou et mouvant, en

raison du caractère plastique de la notion de souveraineté, notons toutefois qu’à l’heure de son

application à l’étude des alliances politiques, les « théoriciens des coalitions » parviennent à un

consensus quasi unanime quant à la délimitation et la spécification desdits organes et indicateurs

retenus, lesquels sont montés en variables indépendantes génératrices de la formation –et/ou

dissolution5- de coalitions politiques. Notons également un distinguo qualificatif entre la nature et

les effets de ces institutions.

Ainsi, Strøm et al., définissent par éléments contraignants ou restrictifs « tous types de

restrictions sur l’éventail de coalitions gouvernementales envisageables, allant au-delà du contrôle

à court terme des différents joueurs »6. Si ces éléments donnés et considérés comme relativement

stables influent à la fois sur la formation, le développement et la résiliation des alliances, les auteurs

distinguent toutefois des éléments contraignants « forts » (hard constraints), et des éléments plus

1 DUVERGER, M., Les Partis Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].

2 Si Laurence Dodd s’est référé aussi bien aux systèmes politiques et systèmes de partis, comme éléments à prendre en

considération, il ne les a toutefois pas opérationnalisé dans son approche. Voir DODD, L., Coalitions in parliamentary

government, Princeton University Press, 1976. 3 AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives outcomes” in American Political Science

Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; STRØM K., BUDGE,I., et LAVER M., “Constraints on cabinet formation

in parliamentary democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, pp. 303-335. 4 HERMET, G., BADIE.B., BIRNBAUM., P., BRAUD, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions

politiques, Armand Collin/ Dalloz, Paris, 2005, p. 155. 5 Suivant la paire de résultats ou « variable dépendante » qu’il s’agirait d’expliquer (ici formation/ non formation ; et

maintien/ dissolution). 6 STRØM K., BUDGE, I., et LAVER M.J., op. cit. p. 308.

101

« légers » (soft constraints). Les premiers « éliminent » de facto des combinaisons d’acteurs, des

formes de prise de décision, etc. ; les seconds ont un rôle plus (des)incitatif1. Si ces deux types

d’éléments viennent limiter et diminuer la gamme de coalitions plausibles et factibles, les études

s’intéressent « naturellement » davantage aux éléments les plus à même de modeler fortement les

comportements et les stratégies d’alliance.

Dès lors, dans la recherche d’éléments contraignants forts, reprenant les « lois sociologiques »

de Duverger puis leurs amendements par Sartori, et en se concentrant sur les éléments liés à la

formation et à la dissolution des coalitions, l’accent vient se porter essentiellement sur l’impact des

lois électorales sur la formation de coalitions. Certains vont également postuler, pour l’analyse en

systèmes présidentiels, que plus l’exécutif est faible (entendu comme moins autonome vis-à-vis du

parlement), plus la nécessité de contrôler le parlement, donc d’obtenir une majorité, est élevée.

D’où la majeure propension à la formation de coalitions en systèmes « présidentiels modérés »2.

Les ensembles d’institutions exposés en variables d’analyse, dans la plupart des travaux qui portent

sur les coalitions gouvernementales depuis les années 1990, sont alors : 1) le système électoral,

entendu comme les éléments déterminant et organisant l’élection des représentants sur les deux

terrains électifs (législatif et présidentiel); 2) le système politique et le degré d’équilibre des

pouvoirs, ainsi que les règles établissant la formation et l’investiture du gouvernement ; et enfin, 3)

la nature et l’organisation du système de partis, via le nombre de partis en lice et le caractère

inclusif/ exclusif de ces systèmes. Relevons ainsi que cette troisième variable d’analyse est

largement considérée comme « dépendante» de la première, et déterminante pour qualifier les

coalitions3.

Considérons dans un premier temps cette troisième variable en la séparant des autres, puisque le

postulat tautologique stipule que pour qu’il y ait coalition de partis (quelque soit la nature de la

coalition), il faut au moins deux partis. Faisons-la passer du statut de variable indépendante, à celui

de variable dépendante, en étudiant ce que dit la théorie sur les éléments sensés conditionner le

1 Ibid p.309

2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia; una revisión crítica”, in

Desarrollo Económico. Vol. 34. No. 135, 1994, pp. 397-418; TSEBELIS, G., Veto players:how political institutions

work, Princeton University Press, 2002 3 Dans un système bipartisan, en effet, la principale coalition envisageable est la “grande coalition” ou coalition entre

les deux grands partis, des suites d’événements critiques. En revanche en système multipartite la typologie des

coalitions peut se fonder sur le résultat de la coalition (grande coalition/ coalition surdimensionnée/ coalition minimale

victorieuse/ coalition minoritaire) ; ou sur la taille comparée des partis coalisés (coalition équilibrée/ désequilibrée).

Tous ces qualificatifs supposent, avant tout, un travail préalable d’élaboration de la méthode de « comptage » des

partis. Les cas britannique ou espagnol en sont de bons exemples : tous deux considérés comme des bipartismes

paradigmatiques, ont toutefois été amenés récemment (Grande Bretagne), ou par le passé (Espagne), à former des

gouvernements de coalition, sans que le paysage politique n’ait été marqué par l’apparition soudaine de nouvelles

forces. Voir les considérations de Giovanni Sartori à ce sujet dans SARTORI, G., Parties and party system : a

framework for analysis, ECPR/ Oxford University Press, 2005.

102

nombre effectif de partis, ou le nombre de partis axiaux1. Observons ainsi ce qu’il en est de ces

théories dans les systèmes présidentiels latino-américains, en tentant d’analyser la congruence de

partis dits « présidentiels » avec leur pendants parlementaires, ainsi que l’impact de l’organisation

centrale/ fédérale de l’État sur ce même nombre de partis.

2.1.1 Le système partisan et sa relation à son « environnement » institutionnel

Si nous venons de voir que le fait d’encadrer la variable concernant le « nombre de partis » est

essentiel pour l’analyse des coalitions, nous avions déjà vu précédemment une apparente

corrélation entre ce même nombre de partis et la stabilité politique lorsque, combiné à un système

présidentiel, l’augmentation du nombre de partis viendrait supposer une probabilité accrue de

présidence minoritaire, et davantage de tension entre les acteurs politiques. D’où le fait qu’ « une

manière d’alléger les pressions sur les systèmes présidentiels consisterait à prendre des mesures

pour limiter la fragmentation du système partisan »2. Ainsi, les systèmes partisans sont souvent

identifiés en fonction de la capacité électorale des partis et la méthode la plus commune pour

déterminer le type de système (bipartite ou multipartite) consiste à « compter » le nombre de ceux

présents à l’assemblée, en pondérant leur poids respectifs (nombre de siège détenus), avec la

totalité des sièges de la chambre basse du parlement3.

a. Considérations théoriques : partis « axiaux », « institutionnalisation » du

système de partis et champ de la compétition partisane.

Le postulat général de la théorie sur les partis politiques avance que la configuration ou

qualification du système partisan engendrerait des dynamiques politiques particulières, en fonction

de sa nature bipartite ou multipartite. A partir de cela, un postulat plus spécifique pourrait stipuler

que la configuration bipartite est le système de parti qui garantit à la fois une stabilité

1 Si la notion de “relevant parties”, telle que l’a classifiée Giovanni Sartori, est généralement traduit en français par

« partis importants », nous préférons ici, parler de partis « axiaux » car cette notion est beaucoup moins vague que la

précédente, et reflète surtout la notion de centralité de ces partis sur la compétition politique. Nous préférons également

cette notion à celle de « partis centraux » afin d’éviter toute confusion avec les notions de « partis du centre » ou

« partis centristes », se référant à une éventuelle position idéologique sur un axe droite-gauche. 2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia…” op. cit., p. 413. Traduction

propre. Notons, toutefois, que Juan Linz n’accorde pas d’importance majeure à la combinaison critique

« présidentialisme et multipartisme », le système présidentiel étant, pour lui, structurellement vulnérable à l’instabilité

politique ou le blocage institutionnel, peu importe la configuration de son système de partis. 3 En se basant sur la célèbre formule de Laakso et Taagepera : 1/∑pi

2; où « p » est la proportion de sièges obtenus au

parlement par chacun des partis « i », Voir LAAKSO, M., et TAAGEPERA, R., “The ‘effective’ number of parties: a

measure with application to west europe”, in Comparative Political Studies, Vol. 12, No.1, 1979, pp.3- 27.

103

gouvernementale et la discipline de ses membres au niveau parlementaire1, au prix d’une

concentration de l’offre politique. A l’inverse, les systèmes partisans suivant un format multipartite

sont considérés comme générant une meilleure représentation des préférences des électeurs et de la

diversité des sociétés (notamment les diversités ethniques, religieuses, géographiques…), aussi bien

en termes « d’offre » électorale qu’en termes d’élaboration de politiques publiques2, mais ce format

serait plus fragile et couteux dans la durée.

Toutefois, aucune unanimité scientifique ni empirique ne se dégage quant aux effets corrélatifs

de ces différents formats de représentation politique sur l’action publique, la pratique ou

« tradition » gouvernementale. Chacune des formules de systèmes partisans est considérée comme

génératrice de mécanismes et de procédures de gouvernance, tantôt de type centripète en systèmes

bipartisans3, ou consensuel en systèmes multipartisans

4 ; tantôt centrifuge pour chacun des deux

systèmes lorsque se présente une compétition politique polarisée5 ; ou tantôt sans réel effet direct

ou « sociologique »6. En somme, les deux systèmes sont potentiellement capables de former des

gouvernements incluant « l’électeur médian », lequel se situerait, par définition, au centre ou

proche du centre d’un axe unidimensionnel droite-gauche. Aussi, si le « dualisme de Duverger »

qui suppose que dans toute société se trouve une position duale symétrique chevauchant l’ensemble

des thèmes de société (pour/ contre ; gauche/ droite ; gouvernement/ opposition), paraît s’appliquer

1 DUVERGER, M., op. cit ; BRYCE, J., Modern Democracies, McMillian, New York, 1921 ; DOWNS, A., An

economic theory of democracy, New York, Harper, 1957; BLONDEL, J., « Party systems and patterns of government

in Western Democracies », in Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 1,

No. 2, 1968, pp. 180-203; et DAALDER, H., “Cabinets and party systems in ten European democracies.” Acta Politica,

N°6, 1971, pp. 282–303. 2 LIPSET, S. M., et ROKKAN, S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une

introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]; LIJPHART, A.,

Democracy in Plural Societies, Yale University Press, New Haven, 1977; POWELL Jr., G. B., “Election laws and

representative governments: beyond votes and seats”, in British Journal of Political Science, Vol. 36, No. 2, 2006, pp.

291-315. 3 En effet, l’absence de parti « du centre », en système bipartisan, déplacerait la compétition politique vers le centre.

Voir DUVERGER, M., op. cit ; DOWNS, A., op. cit ; COX, G., “Centripetal and centrifugal incentives in electoral

systems”, in American Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 1990, pp. 903-935; CALVO, E., et HELLWIG, T.,

“Centripetal and centrifugal incentives under different electoral systems”, American Journal of Political Science,

Vol.55, No.1, 2010, pp. 27-41. 4Voir entre autres LIJPHART, A., “Majority rule in theory and practice:The tenacity of a flawed paradigm”, in

LIJPHART, A., Thinking about Democracy, Routledge, Londres, 2008, pp. 111- 124; LIJPHART, A., “The quality of

democracy Consensus democracy makes a difference”, in LIJPHART, A., Thinking about Democracy, Routledge,

Londres, 2008, pp. 89- 110; GERRING, J., et THACKER, S., A centripetal theory of democratic governance,

Cambridge University Press, 2008. 5 Dans le chapitre suivant nous nous arrêterons sur la polarisation des systèmes partisans. Voir pour ce faire SARTORI,

G., “The influence of electoral systems: faulty laws or faulty method? “, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A.,

Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984]; 6 SCHOFIELD, N., et SENED, I., Multiparty democracy: elections and legislative politics, Cambridge University

Press, 2006; PEDERSEN, C.G., “Center parties, party competition, and the implosion of party systems: a study of

centripetal tendencies in multiparty systems”, in Political Studies, Vol.52, No. 2, 2004, pp. 324–341; GROFMAN, B.,

“Downs and Two-Party Convergence”, in Annual Review of Political Science, N°7, 2004, pp. 25–46.

104

à certaines démocraties ; le multipartisme serait plus approprié, notamment pour les sociétés

plurinationales ou pluriethniques1.

Dès lors, plus que le nombre de partis per se, c’est la polarisation du système de partis qui vient

à entrer en considération pour comprendre les effets du système de partis sur la pratique

gouvernementale. Or, si les facteurs historiques et culturels sont nécessaires à prendre en compte

pour comprendre les éléments polarisants de la compétition partisane2, le nombre de partis

politiques en lice est un facteur intervenant quant à lui dans la manifestation de cette polarisation,

notamment dans son degré et champ d’expression. Ainsi, le nombre de partis, ou plutôt la stabilité

de ce nombre, vient former de manière métonymique un indicateur de la structuration ou

institutionnalisation du propre système de partis3, et comme l’avance Sartori un système partisan

contenant un nombre modéré de partis est plus propice à l’organisation centripète de la compétition

politique et électorale. Encore faut-il savoir identifier et compter les partis composant ce système,

et surtout savoir où les compter.

En effet, comme tout système, le système partisan est le produit ou la fonction des sous-éléments

qui le composent, lequel vient dès lors déterminer et façonner les relations et la communication de

ces entités entre-elles et avec l’environnement extérieur au système4. De fait, l’ensemble de ces

interactions internes et externes, qui consiste en la « communication du système », vient marquer la

mémoire du système et sa délimitation. La structuration ou « institutionnalisation du système

partisan », suppose donc un processus de reconnaissance, légitimation et « routinisation » des

acteurs politiques, de leur comportement et des modes de compétition politique5. Ceci sous-entend

1 Pour une étude de l’approche du « dualisme duvergien », voir GROFMAN, B., BLAIS, A., et BOWLER, S.,

Duverger’s law of plurality voting, Springer, New York, 2009. 2 Voir infra 2.2

3 Par ce biais nous établissons ainsi la nécessité de différentiation ontologique de la notion d’institutionnalisation du

système politique d’avec celle d’institutionnalisation des partis politiques. Différentiation qui n’est que trop peu

effectuée. A l’image des travaux liminaires de Samuel Huntington et des travaux de « référence » de Mainwaring et

Scully et Mainwaring et Torcal. Voir HUNTINGTON, S., Political order in changing societies, Yale University Press,

New Haven, 1968; MAINWARING, S., et SCULLY, T., La construcción de instituciones democráticas. sistemas de

partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996; MAINWARING, S., et TORCAL, M., “La institucionalización

de los sistemas de partidos y la teoría del sistema partidista después de la tercera ola democratizadora”, in América

Latina Hoy, 41, 2005, pp. 141-173. Voir toutefois les contre-exemples de RANDALL, V., et SVASAND, L., “Party

institutionalization in new democracies”, in Party Politics, Vol. 8, No.1, 2002, pp. 5–29 ; STOCKTON, H.,“Political

parties, party systems, and democracy in east Asia: lessons from Latin America”, in Comparative Political Studies,

Vol. 34, No.1, 2001, pp. 94-119; et MAIR, P., “The freezing hypothesis: an evaluation”, in KARVONEN, L., et

KUHNLE, S., Party systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres, 2000, pp. 24- 41; WILLS OTERO,

L., “From party systems to party organizations: the adaptation of latin American parties to changing environments”, in

Journal of Politics in Latin America, Vol. 1, No. 1, 2009, pp.123-141. 4 Nous reprenons et adaptons ici l’approche systémique de Niklas Luhmann, ainsi que les travaux pionniers de David

Easton. Voir LUHMANN, N., La sociedad de la sociedad, Herder/ Universidad Iberoamericana, Mexico, 2007; et La

política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009; EASTON, D., A system analysis of political life,

Chicago University Press, 1979. 5 MAINWARING, S., et SCULLY, T., op. cit.,; MORLINO, Democracy between consolidation and crisis: parties,

groups, and citizens in southern Europe, Oxford University Press, 1998; et CLEMENS, E., et COOK, J.,“Politics and

105

la question de la reproduction du processus, de manière relativement stable et prédictible dans le

temps.

Pour autant, la structuration de tout système partisan requiert que les sous-unités qui le

composent -les partis- soient, pour la plupart, elles-mêmes structurées ou institutionnalisées ; c’est-

à-dire qu’elles aient effectuées un travail d’identification et d’identification et aient entamé un

processus de pérennisation organisationnelle, ou de succession vis-à-vis de la (les) figure(s)

fondatrice(s)1. Ce fondement n’est toutefois pas circulaire et la réciproque n’est pas nécessairement

vraie. En effet, des partis structurés ou institutionnalisés peuvent évoluer au sein d’un système

partisan non ou faiblement institutionnalisé2. Aussi, l’un des indicateurs commun

d’institutionnalisation à la fois des partis et, par ricochet, du système de partis, est le degré de

volatilité des résultats électoraux des partis axiaux (« relevant parties »)3. A l’inverse, le

phénomène d’incontinence partisane, ponctuée par la généralisation de partis éphémères (« flash

partis ») ou proto-partis, sont des indicateurs d’un défaut d’institutionnalisation du système de

partis4.

Si le principal élément de visibilité d’un parti est sa force électorale et sa capacité à convertir ses

voix en source de pouvoir (sièges parlementaires essentiellement)5, Giovanni Sartori définit par

« partis axiaux » (relevant partis), les partis jouissant i) d’une possibilité coalitionnaire, entendue

comme leur capacité à former ou joindre une coalition gouvernementale, et/ou ii) leur pouvoir de

chantage ou de « véto »6. Suivant cette définition, la pertinence des partis se fonde donc sur le

« poids » des partis exprimé par leur assise parlementaire mais aussi, voire surtout, sur leur

positionnement idéologique. Ainsi, les partis « charnière » puisent leur importance du fait de leur

propension à faire et défaire des coalitions gouvernementales ou législatives, notamment lors de

votes de confiance ou de motions de censure, et découle davantage de leur position centriste ou

quasi centriste, que de leur réel poids en termes de sièges à l’assemblée7. Les formats bipartites et

institutionalism: explaining durability and change”, in Annual Review of Sociology, No. 25, 1999, pp. 441-66;

LEVITSKY, S., “Institutionalization and Peronism: the concept, the case and the case for unpacking the concept”, in

Party Politics, Vol. 4, No. 1, 1998, pp. 77-92. 1 MAINWARING, S., et SCULLY, op. cit; LEVITSKY, S., “Institutionalization and Peronism…” , op. cit.

2 Le cas péruvien où l’APRA est le seul parti relativement institutionnalisé, au sein d’un système de partis en perpetual

changement, vient à être paradigmatique. Actuellement, le cas Argentin semble s’en rapprocher quelque peu. 3 SARTORI, G., Parties and party system : a framework for analysis, op. cit; MAINWARING, S., et TORCAL, op.

cit ; ROBERTS, K., et WIBBELS, E., “Party systems and electoral volatility in latin America: a test of economic,

institutional, and structural explanations”, in American Political Science Review, Vol. 93, No. 3 1999, pp. 575-590. 4 Le cas péruvien est paradigmatique de ce phénomène.

5 SARTORI, G., Parties and party system…, op. cit., p. 124.

6 Ibid p. 127

7 C’est le cas traditionnellement du Parti radical en France, sous la IIIe et IVe République, ou du Parti Républicain

Italien, et plus récemment de l’UDEUR qui malgré un poids électoral relativement faible, se sont vu jouer un rôle

crucial dans la formation et la chute de gouvernements de coalition. Ainsi, la défection de l’UDEUR avec ses 14

106

multipartites, supposent surtout des mécaniques de gouvernance propre et une relation à l’État

différenciée. Mais une partie des considérations portant sur les « partis pertinents » sont valables

essentiellement pour les régimes d’assemblée (parlementaires et semi-présidentiels), où la

composition du parlement a un effet direct sur la survie du gouvernement. En effet, la dépendance

de l’exécutif sur le législatif en système parlementaire, fait que l’obtention des prébendes

gouvernementales passe nécessairement par le contrôle ou la formation d’une majorité

parlementaire. L’élection législative (ou « générale ») constitue l’étape préliminaire à la formation

du gouvernement1. La « survie » de celui-ci dépend donc des chantages internes (« walk away

value2 »), comme dans le cas précédent de l’UDEUR, et externes (vis-à-vis de l’opposition). En

conséquence, le champ d’application et d’expression de la compétition politique est confiné au

niveau parlementaire.

En système présidentiel, on peut inversement avancer qu’il existe une compétition politique

bidimensionnelle, d’aucuns diront qu’on recense deux systèmes de partis3. En effet la séparation

des pouvoirs qui entraine également une séparation des élections des deux principales branches du

pouvoir politique suppose donc une compétition politico-électorale sur les deux tableaux. Or, la

capacité à concourir sur les deux tableaux, de manière crédible et efficace, dépend des ressources

financières, organisationnelles et stratégiques des différents partis. L’accès au contrôle de l’État

étant à la fois plus direct et onéreux, on peut dès lors observer une absence de congruence du

nombre et de l’identité des partis présents sur les deux tableaux. Le comptage des partis

« effectifs », en système présidentiel, qui se base essentiellement sur les formations politiques

présentes au niveau parlementaire, même pondérées, équivaut donc à un double biais

méthodologique et ontologique. En effet, si tous les partis qui se présentent à l’élection

présidentielle ne sont pas centraux pour ce seul fait ; la présentation d’un candidat propre ou

commun (recevant le soutien plus ou moins officiel de plusieurs partis) est une condition nécessaire

pour le contrôle démocratique de l’État. Parallèlement, les partis ayant une projection

députés (2% de la chambre de députés) et 3 sénateurs (1% du sénat), de la coalition parlementaire et gouvernementale

l’Unione en 2008, est le détonateur de la chute du gouvernement Prodi. 1 En effet, le parlement joue un rôle de « collège électoral » pour la formation de l’exécutif.

2 Arthur Lupia et Kaare Strøm, parlent de ce concept économiciste, comme le facteur essentiel de la négociation et de la

crédibilité à négocier. Fonctionnant comme une menace permanente vis-à-vis des autres membres du gouvernement, les

acteurs (leaders de parti, membre du gouvernement, etc…) laissent planer leur possible démission (« walk-away »),

laquelle mettrait en difficulté la survie du gouvernement, afin d’obtenir des gains particuliers, que ce soit en terme de

politique publique, portefeuilles ministériels, nominations de candidats à des élections locales, etc… Voir LUPIA, A.,

et STRØM, K., « Bargaining transaction costs, and coalition governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et

BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining : the democratic life cycle in western Europe, ECPR/ Oxford

University Press, 2008, pp. 51-84. 3 MAIR, P., Party system change: approaches and interpretations, Oxford University Press, 2002 [1997]; WARE, A.,

Dynamics of two-party politics, ECPR/ Oxford University Press, 2009.

107

essentiellement parlementaire (notamment les partis provinciaux dans les États fédéraux, ou les

partis corporatistes tels les « partis de retraités » en Argentine), disposent alors d’une capacité de

marchandage plus limitée, rationnellement de type policy seeking, consistant théoriquement à

monnayer un éventuel soutien parlementaire à un projet gouvernemental, contre la prise en

considération -de la part du gouvernement- de certaines revendications centrales à ces partis. Plus

prosaïquement, les termes de l’échange peuvent consister en un « achat » de voix de la part du

gouvernement1. Ainsi, l’absence d’un contrôle parlementaire direct sur l’exécutif, en régime

présidentiel, à l’inverse de ce qui se produit en système parlementaire2, fait que les relations des

partis de gouvernement (à vocation présidentielle et parlementaire) avec les partis de parlement

soient davantage ponctuelles, quand les premiers ne cooptent pas les seconds3. La tentation de sortir

du gouvernement paraît alors, théoriquement, plus limitée, puisqu’elle n’a pas d’incidence directe

sur la survie du gouvernement. Les partis « charnière », qui par définition n’occupent pas la

présidence, lorsqu’ils ne sont pas dans le gouvernement tiennent ainsi une position plus précaire

qu’en régime parlementaire.

Nous pouvons donc assumer que l’institutionnalisation du système de partis, en régime

présidentiel, passe par le fait que les partis « axiaux » sont ceux qui ont une capacité de coalition

et/ou de chantage, et qui ont vocation à exercer leur fonction de représentation tant au niveau

législatif qu'exécutif4 (présentation de candidats aux deux niveaux). La capacité de nuisance ou de

chantage des partis non-présents au gouvernement –mais qui ne se trouvent pas nécessairement

dans l’opposition-, dépend de leur capacité à mettre en minorité l’exécutif au parlement. De même,

l’existence de présidences minoritaires, sans être nécessairement le symptôme d’une non-

1 Notamment sous les présidences de Lula Da Silva au Brésil, ou Carlos Menem en Argentine.

2 Bien que certaines constitutions présidentialistes prévoient la possibilité de la destitution du président par le

parlement, ou de la tenue de motions de censures individuelles (contre un ministre) ou collective (le gouvernement),

comme en Uruguay, ces procédures sont extrêmement rares et lourdes à mettre en place. 3 En Argentine notamment, certains partis de parlements ne sont autre que des partis « satellitaires » ou

« testimoniaux » (testimoniales) au Partido Justicialista (PJ, ou parti péroniste), dont la dénomination de « parti », n’est

qu’artificielle et consiste à asseoir l’assise parlementaire du PJ. En effet, l’élection de la Chambre des Députés

argentins, se réalisant à la proportionnelle dans chaque province, suivant la technique par diviseur d’Hondt, aussi

l’inclusion de listes acquises au parti mais officiellement extérieur à celui-ci, multiplie les chances d’augmenter

artificiellement le nombre de soutiens justicialistes au parlement. Cette logique est encore plus forte pour les élections

des sénateurs ou, depuis la réforme de 1994, la loi électorale prévoit une représentation égale –et non équitable- des

districts provinciaux où chaque province élit trois sénateurs, les sièges se répartissant de la sorte : 2 sièges pour la liste

arrivée première, le siège restant ou « compensateur » pour la seconde liste la plus votée (ou « siège pour la première

minorité »). Aussi, dans certaines provinces, comme La Rioja ou la province de Buenos Aires, le PJ et ses alliés

arrivent-ils fréquemment premier et seconds et emportent donc 100% des sièges sénatoriaux en compétition dans ces

provinces. 4 La représentation au niveau de l’exécutif pouvant s’exercer au travers de la constitution de coalition ou de ralliement.

Ainsi, le parti socialiste chilien (PSCh) est un parti axial, même s’il n’a pas toujours présenté un candidat aux élections

présidentielles (1989, 1993, 2000 et 2010). Toutefois, la présence du PSCh au sein des différentes coalitions électorales

depuis 1990, et sa présence ininterrompue et « axiale » au sein de l’exécutif pendant la période 1989- 2010, en fait bien

un parti « axial » du système de partis chilien.

108

institution du système de partis, suppose plutôt une « disproportionnalité » dans les rapports de

force entre les deux niveaux de compétition électorale, présidentiel/ parlementaire. Nous avons

relevé précédemment1l’absence de corrélation entre les cas de présidences minoritaires avec le

nombre de partis, et nous avons montré que même en configuration bipartite on peut observer des

cas de présidents minoritaires, de manière plus ou moins récurrente. Incomber les cas de

présidences minoritaires et de non institutionnalisation du système de partis, avec le nombre de

partis revient en définitive à confondre les effets et les causes de ces deux phénomènes (présidence

minoritaire et non institutionnalisation).

La différence de « nature » entre l’élection présidentielle et l’élection législative, la première

étant de caractère majoritaire (une seule circonscription uninominale étendue à l’ensemble du

territoire), la seconde répondant davantage à des intérêts locaux, et n’influant pas directement sur la

formation du gouvernement2 ; et la coexistence des modes différents d’élections peuvent,

néanmoins, altérer en partie l’assise des partis axiaux en système présidentiel. A ce titre, le cas

argentin est symptomatique, puisque ces dernières années on a observé une croissance du nombre

de partis, notamment provinciaux, venant remettre en question la domination quasi hégémonique

des deux grands partis –le Partido Justisticialista (PJ) et l’Unión Cívica Radical (UCR). Plus

largement, le bipartisme qui était le format le plus commun de compétition politique en Amérique

latine, a pratiquement disparu de la région. La déconstruction de ces systèmes de partis ayant

entrainé une progression substantielle à la fois des partis axiaux, mais aussi de partis de parlements

(ou de proto-partis), tout particulièrement au niveau local3. Cette explosion du nombre de partis

intervient souvent après -ou cause selon les cas- une réforme constitutionnelle. Afin de se prémunir

contre une inflation incontrôlée du nombre de partis en lice, ce qui favoriserait d’après Sartori la

centrifugation ou polarisation de la compétition politique et électorale4, et dans le but de limiter les

configurations de “gouvernements divisés”, de nombreuses études se sont appliquées à analyser les

mécanismes institutionnels d’endiguement du nombre de partis. Ceci aurait alors des répercussions

sur la formation de coalitions électorales et politiques, puisque le nombre de parti a, d’après

Duverger, un « rôle déterminant » sur la formation d’alliances partisanes5.

1 Supra Chapitre 1.2.3, p. 93.

2 Sauf dans le cas bolivien, jusqu’en 2009, et chilien de 1925 à 1973.

3 Voir ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los

bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos, Vol. 9, No. 24, 2011,

pp.153-180. 4 SARTORI, G., op. cit.

5 Notamment les questions sur le « nombre » et la « taille » des partis en lice. Voir DUVERGER, M., Les Partis

Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].

109

b. La loi électorale comme déterminante du nombre de partis ?

L’élévation du nombre de partis comme « résultat » ou « variable dépendante » à expliquer et

prédire, en se basant sur les travaux découlant de l’ingénierie constitutionnelle initiés par

Duverger1, a constitué le principal objet de recherche de la politique comparée et l’une des lignes

de recherches les plus foisonnantes de la science politique du XXe siècle2. Ainsi, cherchant à établir

un lien de causalité et de conséquence entre loi électorale et format du système partisan, Duverger a

établit trois hypothèses majeures qu’il élèvera lui-même (avant de nuancer3) au rang de lois. Les

« lois de Duverger », établissent que :

« système de partis et système électoral sont deux réalités indissolublement liées, […]. On peut

schématiser l’influence générale du mode de scrutin dans les trois formules suivantes : 1° la

représentation proportionnelle tend à un système de partis multiples, rigides indépendants et

stables […] ; 2° le scrutin majoritaire à deux tours tend à un système de partis multiples, souples,

dépendants et relativement stables […] ; 3° le scrutin majoritaire à tour unique tend à un système

dualiste, avec alternance de grands partis indépendants. »4

Le scrutin proportionnel est défini comme un scrutin de liste, où chaque circonscription permet

d’élire plusieurs représentants en fonction du résultat électoral des listes en course et du nombre de

sièges en liste, la représentation majoritaire uninominale (ou système du type « first past the

post »), est comprise comme un scrutin où chaque circonscription n’élit qu’un seul représentant à la

majorité relative. Par ailleurs, si l’auteur des Partis Politiques, semble maintenir une certaine

prudence quant au caractère « mécanique » de ses hypothèses5, il insiste néanmoins sur l’effet

« multiplicateur » de la Représentation Proportionnelle (RP), il avance ainsi que : « il est certain

que la RP coïncide toujours avec un multipartisme : dans aucun pays du monde la proportionnelle

n’a engendré ou maintenu un système bipartisan6. »

Même si les « lois » de Duverger ont été critiquées et surtout amendées, par l’inclusion de la

question de la taille des circonscriptions comme élément central7, l’inclusion de « seuil d’entrée »,

1 DUVERGER, M., ibid

2 SHUGART, M., “Comparative electoral systems research: the maturation of a field and new challenges ahead”, in

GALLAGHER, M., et MITCHEL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press, 2008, pp. 25-55;

TAAGEPERA, R., « Le macro-agenda duvergérien, à demi-achevé », in Revue Internationale de Politique Comparée,

Vol. 17, No.1, 2010, pp. 93-109. 3 DUVERGER, M., La République des citoyens, Ramsay, Paris, 1982. L’auteur y renie notamment le caractère

« sociologique » qu’il avait attribué initialement à ses lois, et que la littérature en ingénierie constitutionnelle comparée

s’est évertuée à reprendre massivement. 4 DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit, p.291.

5 Choses qui lui seront reprochées rapidement, tour à tour par Georges Lavau et John Grumm. Voir LAVAU, G., Partis

politiques et réalités sociales, Armand Collin, Paris, 1953 et GRUMM, J., “Theories of electoral system”, in Midwest

Journal of Political Science, Vol. 2, No. 4, 1958, pp. 357–76. 6 DUVERGER, M., Les Partis Politiques, op cit, p. 338.

7 RAE, D., The political consequences of electoral laws, Yale University Press, New Haven, 1971 [1967].

110

la genèse du système1 et la notion de polarisation du système

2, elles contiennent néanmoins

toujours de nombreux défenseurs de poids quant à leurs effets tendanciels3, et notamment la

considération de contraintes réciproques du système électoral sur la demande (depuis les électeurs)

et l’offre (depuis les partis politiques) électorales. Notons une fois de plus que la portée de ces

effets semble se concentrer sur la région originelle de Maurice Duverger : l’Europe Occidentale et

parlementaire. En effet, comme explication de la non-application de son hypothèse portant sur

l’effet multiplicateur de la RP, sur les cas irlandais et autrichien, Duverger avance que :

« Nous ne devons pas oublier que le président Irlandais est élu au travers d’une élection nationale

directe, ce qui conduit à une polarisation des citoyens autour de deux grands partis […]. Ce

facteur fonctionne également dans le cas Autrichien […]où les deux grands partis sont

profondément enracinées dans l'histoire du pays, où ils ne sont pas seulement les organisations

politiques, mais également des entités complexes liés aux syndicats, à des coopératives, des

entreprises économiques, et avec des associations intellectuelles, sportives, sociales et même

religieuses »4.

Or, telle que nous l’avons défini précédemment, et comme le soulignent Shugart et Carey5, puis

Cheibub6, l’élection directe du chef de l’exécutif n’est pas une condition suffisante pour caractériser

un régime comme « présidentiel ». De plus, ces deux pays sont, suivant les moments, considérés

par Duverger lui-même comme parlementaires ou semi-présidentiels. L’applicabilité de ces lois sur

les « doubles systèmes de partis » en régimes présidentiels, reste à confirmer.

En réponse à ce vide théorique, Arend Lijphart, qui va dans le sens de Duverger, a tenté une

typologie des systèmes partisans en fonction de leur degré de « désirabilité » et leurs effets sur le

type de gouvernance, assez similaire au tableau que nous avons présenté précédemment sur le débat

régime présidentiel vs/ régime parlementaire, en reprenant quatre « combinaisons » de

représentation : i) Régime parlementaire + RP ; ii) Régime parlementaire + Représentation

Majoritaire (RM) ; iii) Régime Présidentiel + RM ; et iv) Régime Présidentiel + RP. La quatrième

1 COLOMER, J., “It’s parties that choose electoral systems (or, Duverger’s laws upside down)”, in Political Studies,

Vol. 53, No.1, 2005, pp. 1–21 2 SARTORI, G., “The party effects of electoral systems”, in DIAMOND, L., et GUNTHER, R., Political parties and

democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001, pp. 90-108; SARTORI, G., Comparative constitutional

engineering, New York University Press, 1994 3 En plus des ouvrages précédement cités voir RIKER, W., « Duverger’s Law Revisited », in GROFMAN, B., et

LIJPHART, A., Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp. 19-41 ;

RIKER, W., “The number of political parties: A reexamination of Duverger’s law”, in Comparative Politics Vol. 9, No.

1, 1976, pp. 93-106; RIKER, W., “Two-party system and Duverger‘s law: An essay on the history of political science”,

in American Political Science Review, Vol. 76, No. 4, 1982, pp. 753-766; NORRIS, P., Electoral engineering voting

rules and political behavior, Cambridge University Press, 2004; LIJPHART, A., Electoral systems and party systems:

a study of twenty-seven democracies, 1945-1990, Oxford University Press, 1994. 4 DUVERGER, M., “Duverger’s Law: Forty Years Later”, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A., Electoral laws and

their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp.72-73 5 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992

6CHEIBUB, J.A., Presidentialism, Parliamentarism, and Democracy, Cambridge University Press, 2006

111

combinaison étant celle qui s’applique à la quasi totalité des pays de la région latino-américaine,

avec certaines nuances1.

Et, comme le montre le Tableau 2.1, d’après Lijphart et Sartori (pour une fois d’accord) : « la

combinaison RP et système présidentiel, telle que présente en Amérique Latine, est une option

particulièrement peu attractive »2. Ainsi, d’après le politiste hollandais, cette configuration

combine à la fois les défauts de la représentation majoritaire et leur potentiel de type « le gagnant

emporte tout », en raison de l’élection de type « plébiscitaire » du président, avec ceux de la RP au

niveau parlementaire, quant à l’atomisation des systèmes de partis et la faible institutionnalisation à

la fois des partis et des deux systèmes de partis (parlementaires et présidentiels). De plus, cette

configuration serait marquée par une absence de transposition partisane sur les deux systèmes de

partis. Elle laisserait ainsi, d’après l’auteur, augurer d’une compétition partisane de type centrifuge,

donc potentiellement plus instable que dans les régimes parlementaires à RP, où la compétition

centripète est marquée par le consensus et la mesure.

Tableau 2.1 : Impact supposé des combinaisons de représentation

Impact sur la

qualité

démocratique

Combinaisons système politique/ système

électoral

Impact sur le nombre de partis/

type de compétition politique

+

-

Régime Parlementaire/ RP Multipartisme/ centripète

Régime Parlementaire/ RM Bipartisme/ centripète

Régime Présidentiel/ RM Bipartisme/ Centripète

Régime Présidentiel / RP Multipartisme/ centrifuge

Source: élaboration propre à partir de Lijphart (1991; 1994) et Sartori (1994)

1 La loi électorale mexicaine prévoyant, par exemple, un système de représentation mixte où les trois cinquièmes des

députés sont élus suivant le principe de représentation majoritaire, le reste étant élu de forme séparée suivant le principe

de proportionnalité des voix. L’Uruguay, à l’inverse, constitue le cas où la représentation tend à être la plus

proportionnelle de la région : les sénateurs uruguayens étant élus sur un seul district national. Entre ces deux cas

« extrêmes » oscillent la plupart des démocraties latino-américaines, suivant des degrés de proportionnalité différents.

Le système chilien étant notamment un cas particulier, voir infra 2.2.1. 2 “…the Latin American model of presidentialism combined with PR legislative elections remains a particularly

unattractive option”, in LIJPHART, A., “Constitutional choices for new Democracies”, in Journal of Democracy, Vol.

2, No. 1, 1991, p.77; Giovanni Sartori d’avancer à son tour: “Le système presidentiel est le format le moins adapté à la

RP”, SARTORI, G., 1994, op. cit, p.195. Voir également LARDEYRET, G., “The problem with PR”, in DIAMOND,

L., et PLATTNER, M., Electoral systems and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 86-91.

112

Si on se base donc sur les travaux de Lijphart, Duverger et leurs successeurs, la RP combinée au

système présidentiel conduirait à une compétition politique désolidarisée et atomisée au niveau

parlementaire. Or, cette combinaison est présente en Amérique latine depuis le XIXe siècle1, et elle

y a généré différents résultats sur l’impact du Nombre de Partis Axiaux (NPA) et sur le Nombre

Effectif de Partis (NEP). En effet, sous cette configuration se sont développés divers systèmes de

partis multipartites (Bolivie, Brésil, Chili, Équateur), plus ou moins polarisés suivant les époques ;

mais se sont également développés puis maintenus plusieurs systèmes stables de compétition

bipartite tout au long du XXe siècle, comme au Costa Rica, en Uruguay, en Colombie, au

Venezuela et en Argentine2. En outre, la disparition de ces bipartismes à la fin du vingtième siècle,

n’est pas nécessairement (ou « mécaniquement ») le fait de réformes constitutionnelles introduisant

un changement de la loi électorale. Ainsi, des quatre cas de démantèlement de ces bipartismes

« traditionnels », il n’y a qu’en Colombie que l’apparition de nouveaux partis paraît avoir été

induite par une réforme constitutionnelle3. Dans d’autres cas (Costa Rica et Uruguay), c’est au

contraire l’émergence ou l’ancrage de nouvelles forces politiques qui a conduit à l’approbation de

nouvelles règles électorales de type polyarchique (Costa Rica) ou avec une intention cartellisante

(Uruguay)4. Enfin au Venezuela et en Argentine, la déconstruction des bipartismes est le fruit d’un

effondrement total (Venezuela) ou partiel (Argentine) du système de partis, marqué par

l’effritement de l’un des deux partis5 (l’UCR en Argentine), ou de l’ensemble des partis

traditionnels (AD et COPEI au Venezuela). De même, dans les cas argentin et vénézuélien, les

réformes constitutionnelles concernant les lois électorales et notamment la possibilité de réélection

présidentielle, n’ont eu que peu d’incidence sur l’atomisation de la compétition partisane, quand

elles ne sont pas la conséquence directe d’un désalignement partisan (cas Vénézuélien).

1 Michael Krennerich et Martín Lauga ont montré que la RP s’est installée en Amérique du Sud, et initialement en 1893

au Costa Rica, puis comme suit en Uruguay (1910), au Pérou (1930), en Colombie (1932), au Chili (1937), au Brésil

(1945), en Équateur (1945), en Bolivie (1956), au Venezuela (1958), en Argentine (1963), et eu Paraguay (1993). Voir

KRENNERICH, M., et LAUGA, M., “Diseño versus política: Observaciones sobre el debate internacional y las

reformas de los sistemas electorales”, in NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ M., El Presidencialismo Renovado:

Instituciones y Cambio Político en América Latina. Caracas, Nueva Sociedad, 1998, pp. 69-83. 2 Ce qui ne veut pas dire nécessairement que ce sont les mêmes partis qui se sont maintenus tout au long de cette

période, mais que la mécanique bipartite et le format bipartite se sont maintenus. 3 La réforme de 1991 a en effet facilité les modalités pour la présentation de candidats aussi bien à la présidentielle que

pour les élections locales. Des suites d’une incontinence partisane aux élections de 1991, 1994,1998 et surtout 2002, un

amendement à la loi électorale est introduit, fixant le seuil d’entrée au parlement à 3% de la représentation nationale.

Voir ALBALA, A., et PARRA, E., op. cit. 4 Face à la progression inexorable du Frente Amplio, les deux partis « traditionnels » Uruguayen ont proposé, et fait

adopter, en 1996, une réforme constitutionnelle visant à instaurer le principe de l’élection présidentielle à la majorité

absolue, instaurant le principe du ballotage en cas d’absence de majorité au premier tour, et de ce fait rendre plus

difficile l’accession du Frente Amplio. Pour ce qui est des élections législatives, la principale innovation constitue en

une « simplification » de la procédure via la suppression du séculaire système de double vote simultané (voir infra). 5 De fait le cas argentin semble s’être réaligné autour d’un système de « parti prédominant », au profit du PJ. Voir infra.

113

De manière inverse, le système binominal chilien qui est le système électoral le moins

proportionnel de la région (hormis le cas « hybride » mexicain), n’a pas réduit le nombre de partis

en lice, tel que le prévoiraient Duverger, Lijphart ou encore Mainwaring et Shugart. Ce système qui

consiste à ce que deux députés (et sénateurs, au niveau régional) soient élus par circonscription1, et

où pour pouvoir emporter les deux sièges, la liste arrivée en tête doit obtenir le double de voix de la

liste arrivée en second, soit un résultat théorique proche des deux tiers des voix2. Sans cela, les

sièges sont répartis entre les deux premières listes. Or malgré cela, le nombre de partis axiaux est

resté stable au Chili (5), même si ceux-ci ont été conduits à « routiniser » et institutionnaliser le

recours à des coalitions politiques stables, sans bouleversement majeur jusqu’en 2010. La stabilité

du NPA chilien découle davantage d’accords interpartisans de formation de coalitions électorales

que du maintien à proprement parler des structures électorales et militantes de ces partis politiques3.

c. Impact du cadre institutionnel sur le nombre de partis : étude du cas

Uruguayen et de la réforme de 1997

A l'heure où de nombreux pays entamaient des réformes constitutionnelles plus ou moins

profondes, visant le plus souvent à permettre la réélection du président de la République4,

l'Uruguay mettait en place une réforme portant presque uniquement sur la loi électorale et le

mécanisme d'élection du président de la République5. Le processus a duré plus d'un an, période

durant laquelle les partis traditionnels ont traité et considéré toutes les revendications du FA, dans

un souci de recherche de consensus. Celui-ci a occupé dans un premier temps un rôle conciliant,

puis il aviré vers une posture plus caractéristique de franche opposition6. En conséquence, le vote

de la réforme constitutionnelle à l'assemblée a été très serré, n’obtenant pour chacune des chambres

1 Cette loi électorale pose ainsi de nombreux problèmes de découpage électoral orienté en faveur d’une force politique

(de type « gerrymandering ») Ainsi la circonscription incluant la commune de Puente Alto, avec près de 1.000.000

d’habitants, élit autant de députés que celle incluant les communes de Providencia et Ñuñoa, quatre fois moins peuplée,

mais électoralement « acquise » à la droite. Cela pose ainsi le problème du poids du vote… Voir ROJAS, P., et

NAVIA, P., “Representación y tamaño de los distritos electorales en Chile 1988-2002”, in Revista de Ciencia Política,

Vol. 25, No. 2, 2005, pp.91-116. 2 Ainsi, une liste ayant obtenu, au niveau national, moins de 40% des voix peut très bien obtenir 50% des sièges ; à

l’inverse une liste qui ferait (par hypothèse) 66% des voix dans toutes les circonscriptions se retrouverait sans

opposition au parlement. Dès lors, les « petits » partis n’ont pratiquement aucune chance d’être représentés au niveau

parlementaire. 3 Voir infra chapitre 6.

4 Voir ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América Latina, op. cit.

5 Voir BUQUET, D., « Reforma política y gobernabilidad democrática en Uruguay: la reforma constitucional de

1996 », in Revista Uruguaya de Ciencia Política, n°10, 1998, pp. 9-25; LANZARO, J., 2008 op. Cit; et LAUGA, M.,

« la reforma constitucional Uruguaya de 1996 », in NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo

renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 309-324. 6 Non sans quelques dissensions de taille. Ainsi, le leader historique du FA, Liber Seregni ainsi que Danilo Astori,

candidat à la vice-présidence de la République en 1989 et dirigeant de la fraction Asamblea Uruguay.

114

le quorum nécessaire que de quelques voix1. Le vote lors du référendum suivant l'approbation de la

réforme au parlement fut également très serré, le « oui » ne l’emportant que par 50,4% des voix2.

Dans la pratique, cette réforme constitutionnelle (la sixième depuis l'indépendance du pays) n'a

entraîné aucune modification dans la Constitution sur les attributions du pouvoir exécutif ni de la

relation entre exécutif et législatif, comme les précédentes. Elle s'est presque essentiellement

limitée à modifier le mode d'élection du président de la République, puisque la principale mesure,

et la plus symbolique, a consisté en l'élimination du mécanisme de Double Vote Simultané (voir

supra 1.1.2), et l'introduction de primaires obligatoires et simultanées à tous les partis3. Chaque

parti ne pouvant, désormais, présenter qu'un seul candidat à l'élection présidentielle, laquelle se

déroule dorénavant suivant le principe plus classique de la majorité absolue « pure » (sans seuil

d'élection réduit). Est donc élu président celui qui obtient 50% + 1 des voix. Si ce résultat ne

s'obtient pas directement, la réforme introduit le principe du balottage entre les deux candidats

arrivés en tête. Le second tour ayant lieu un mois après le premier. La « course à la présidentielle »

se déroule ainsi, en quatre tours potentiels là où avant il n'y en avait qu'un avant4, ce qui allonge

considérablement la campagne et les coûts associés.

Pour les élections législatives, sont maintenus les principes de représentation proportionnelle

(départementale pour les députés, nationale pour les sénateurs) et de simultanéité avec le premier

tour de l'élection présidentielle. Néanmoins, le système de double vote simultané est également

supprimé pour l'élection de la chambre des députés (mais maintenu pour le sénat). Enfin, si les

élections municipales maintiennent l'ancien système de vote (DVS), ces élections sont

désaccouplées d'avec les élections nationales, contribuant à étaler le processus électoral sur une

période d'un an. Le processus électoral, lors d'une année d'élection s'initie donc en avril (primaires),

se poursuit le dernier dimanche d'octobre (premier tour de l'élection présidentielle et élections

législatives), continue éventuellement en novembre (second tour de la présidentielle) et conclut en

mai suivant avec les élections municipales.

Si cette réforme a suscité de nombreuses critiques, concernant son caractère « défensif » à

l'encontre du FA et sur l'allongement du processus électoral; les principales réserves entouraient la

suppression du Double Vote Simultané et l'introduction du second tour. En effet, avec l'élimination

de ce système qui avait su maintenir le pluralisme tout en limitant le nombre de partis, a surgit la

1 Les réformes constitutionnelles en Uruguay, s'obtiennent via un vote des 2/3 des membres de chacune des chambres,

votant séparément. Ainsi chacune des chambres dispose d'une réelle « force de blocage ». Lors du vote cette réforme

constitutionnelle, le qurorum a notamment été atteint d'une voix à la chambre de députés (67/99). 2 Toute proposition de réforme de la Constitution doit nécessairement être validée par référendum.

3 Ces primaires ne sont néanmoins pas obligatoires pour les électeurs.

4 En effet, les primaires peuvent également se dérouler en deux tours en cas de non départage entre candidats. Le

second tour se tient lors de la convention de parti.

115

crainte d'une « brasilianisation » de la compétition politique uruguayenne, c'est-à-dire une

atomisation du système de partis conjuguée à un affaiblissement de la stabilité et de l'efficacité

politique et la forte propension à l’expérimentation de cas de « président minoritaire ». Par la

« normalisation » de la loi électorale et la suppression de la distinction entre partis permanents et

accidentels1, la réforme électorale semblait en effet conduire à une incontinence partisane et

fractionnaire. Mais, comme le montre le Graphique 2.1, si l'on observe l'évolution du nombre

effectif de partis (NEP) et du nombre effectif de fractions (NEF), on voit que depuis l'introduction

de la loi, le NEP est en recul constant (équivalent en 2004 à celui des années 1950) et le NEF au

pire se maintient (pour le FA), mais diminue globalement pour les autres partis (PC et PN)2.

* NEF pris à partir des fractions présentes au Sénat. On considère ainsi la chambre haute, contrairement au comptage habituel

du NEP dans la chambre basse, de part le caractère national de l'élection des sénateurs, élus à la proportionnelle, sur une seule

circonscription électorale de la taille du pays. En outre, depuis la réforme de 1996, le système de Double Vote Simultané a été

supprimé pour l'élection de la chambre des députés.

Source: Elaboration propre à partir de la Banque de donnée de l'Institut de Science Politique de la

Universidad de la República

Cette diminution conjointe du nombre de partis et du nombre de fractions découle d'une

réorganisation de la compétition politique autour de blocs ou « familles » politiques; les partis étant

dès lors répartis, comme nous l'avons vu précédemment, autour d'un clivage structurant classique

droite/gauche, relativement marqué. Ceci a, par la même occasion, conduit à la marginalisation

voire la disparition des forces politiques se présentant comme ouvertement du centre (notamment le

1 Sont considérés « partis permanents » ceux disposant d'une représentation parlementaire. Les partis accidentels étant,

essentiellement, des fractions excisées des autres partis, ou des partis ultra-minoritaires. 2 Nous avons volontairement reprís les termes NEP et NEF, pour pouvoir interroger la théorie avec ses propres

arguments.

2,7 2,3

3,5

2,5

1,9 2 1,9

3,8

1,8

2,9

4,2

1,7

2,5 2

3,6

2,6 2,3

3,5

4,8 4,6

3,8

2,76

2,95 3,38

3,35 3,12

2,49 2,6

0

1

2

3

4

5

6

1971 1984 1989 1994 1999 2004 2009

Graphique 2.1 Nombre Effectif de Partis (NEP) et Nombre Effectif de Fractions (NEF)*

P.C P.N FA NEP

116

Nuevo Espacio, sorti du FA en 1989). Aussi, bien que les lois de Duverger portant sur la relation

« mécanique » entre système électoral et nombre de parti semblent être démenties après l'analyse

du cas uruguayen (malgré un système à deux tours, on observe une diminution du nombre de

partis), on verra que l'hypothèse du même Duverger sur l'inexistence de « tendance » centriste

forte1, n’est pas si évidente.

Censée octroyer une légitimité renforcée au président via une élection à la majorité absolue, et

promouvant le rapprochement inter-partisan, la nouvelle loi électorale a pourtant conduit à la

présidence lors de l'élection de 1999, le candidat qui était arrivé second lors du premier tour. Le

président colorado Batlle a donc dû négocier avec le parti arrivé troisième (le PN) et les autres

forces minoritaires, entre les deux tours de l'élection. Paradoxalement, le PN se retrouvait en

position de force alors même qu'il avait subi la plus grande déroute électorale de son histoire. Il a

ainsi pu négocier sur des bases relativement avantageuses son entrée au gouvernement Batlle, en

jouant de sa capacité de chantage2, ce qui a poussé de nombreux analystes à parler de la présidence

Batlle comme la plus faible de l'histoire politique Uruguayenne3. Enfin la réforme électorale, n'a

pas non plus satisfait l'objectif officieux des deux partis traditionnels, consistant à empêcher

l'accession d'un FA majoritaire, en ne parvenant en effet qu’à repousser l'échéance qui se présentait

de plus en plus inéluctable, et qui s'est matérialisée avec l'élection de 2004 (puis à nouveau en

2009). Et si d'un point de vue formel, la réforme constitutionnelle de 1996, n'a en soit pas entraîné

de grands changements institutionnels, elle a néanmoins participé à réorganiser la vie politique

uruguayenne en posant les bases d'une nouvelle pratique et culture politique en Uruguay. Ainsi, le

changement de la loi électorale en Uruguay en 1996, prévoyant le maintien de la représentation

proportionnelle, et l'introduction de l'élection par majorité absolue (sans seuil abaissé), à travers le

mécanisme du balottage, aurait dû conduire à une inflation de l'offre partisane. Or, cela n'a non

seulement pas été le cas, sinon qu'au contraire on a observé une diminution du nombre de partis, les

mouvements ouvertement « centristes » n'ayant fait illusion qu'au milieu des années 1990. Il

semblerait que malgré ce changement de système électoral, les électeurs uruguayens aient conservé

leur tradition de « vote utile » dès le premier tour. Ceci permet à la fois de relativiser la portée de

1 DUVERGER 1951 Op. Cit; voir LANZARO, J., «La izquierda se acerca a los uruguayos, y los uruguayos se acercan

a la izquierda», in Les Cahiers des Amériques Latines. No. 46, Paris, Juillet 2005 2 Suite à la crise économique du début des années 2000, et face à de nombreux désaccords avec le parti du président, le

PN (à l'exception de quelques fractions minoritaires) sort du gouvernement, et entre dans l'opposition parlementaire. 3 BUQUET, D., 2005, op. cit.; et DE RIZ, L., “Uruguay: la política del compromiso”, in CASTILLO et alii, Cultura

Política y alternancia en América Latina, Ediciones Pablo Iglesias, Madrid, 2008. pp 217-231

117

l’argument du balottage ainsi que la conception qui établit la transformation en coalition

gouvernementale de ralliement d’entre-deux-tours1.

Ainsi, d'une crise économique (fin des années 1960) à une autre (début des années 2000), le FA

a connu une évolution fulgurante. En passant successivement du statut de force politique de

défiance à celui de force politique alternative de gouvernement, et des suites d’une accommodation

au système politique et une modération idéologique, le parti a su s'imposer -à l'image du Partido

Colorado des années 1950- comme le principal parti du système uruguayen, malgré un système

électoral théoriquement « hostile ». Si parallèlement les partis « traditionnels » ont pratiquement

divisé par deux leur soutien populaire en l'espace de 35 ans, leur sort n'est pas identique. En effet, le

Partido Nacional, qui a occupé pendant la majeure parti du XXe siècle un rôle d'opposant

« constructif », paraît être devenu la principale force d'opposition au FA et son principal concurrent

politique; à l'inverse, le PC est la principale « victime » de ce tournant politique, tel « l’arroseur-

arrosé ». Victime du sinistrisme du FA et d'une absence de ligne politique et idéologique le

démarquant clairement du PN (et ce malgré un sursaut aux élections de 2009), celui-ci semble pour

l'heure cantonné à occuper un rôle d'appoint et de soutien au PN2.

d. Conclusions préliminaires sur les facteurs institutionnels

Les lois de Maurice Duverger, reprises par Sartori puis Lijphart, semblent bien loin de

s’appliquer aux contextes de systèmes présidentiels propres à l’Amérique du Sud3. Même si les

« lois » théoriques en sciences sociales ne sauraient recevoir le même degré « poppérien » qu’en

sciences dites « dures », et peuvent alors tolérer quelques déviations4, dans la pratique seuls le

Brésil et l’Équateur5, soit deux cas sur huit (25%), semblent corroborer les hypothèses de Duverger

et Lijphart au niveau sud-américain. En outre, comme le soulignent Mainwaring et Shugart, la

théorie sur la taille des circonscriptions, considérée comme déterminante à l’étude des systèmes

parlementaires d’Europe Occidentale, ne joue pas un rôle pertinent dans les régimes présidentiels

1 BIDEGARAY, C., op. cit. ; CHASQUETTI, D., 2008 op. cit.

2 Sur l’évolution du système de parti uruguayen, voir infra 2.2.1

3 ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential systems of latin America: an inquiry into the political

conditions of governability”, Thèse de doctorat non publiée, Université d’Essex, 2001. Pour une étude complète des

systèmes politiques latino-américains et des réformes constitutionnelles récentes, voir ALCANTARA, M., Sistemas

politicos de América latina, Tecnos, Madrid, 2003 ; et ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en

América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008. 4 « ... les lois en sciences sociales ne peuvent ni n’ont jamais été déterministes, et en conséquence elles doivent tolérer

d’éventuelles déviations. Pour autant, bien qu’une loi non déterministe ne se trouve pas falsifiée par ses exceptions […]

créent des difficultés et posent un problème ». SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura

Economica, Mexico, 1995, p.45. Traduction propre, mes italiques. 5 Ces deux cas de Système présidentiel + RP, présentent ainsi un système partisan multipartite.

118

latino-américains1. Les modes de scrutin influent davantage sur la qualité de la représentation, que

sur la structuration de systèmes partisans2. La configuration du système de partis et le nombre de

partis en lice, semblent en effet être « dépendants » d’éléments complémentaires, notamment les

facteurs socio-structurels et historiques propres à chaque démocratie3. Observons maintenant, si les

éléments de contrainte institutionnaliste quant à la formation et au maintien de coalitions

gouvernementales, sont aussi déterminants que la littérature le suppose, sous une configuration

présidentialiste.

2.1.2 Lois électorales, système politique et « facteur coalitionnaire »

a. L’influence des contraintes insti tutionnelles sur la formation de coalitions

de gouvernement en régime présidentiel

L’approche par les institutions a cherché à expliquer et modéliser la formation et le maintien/

dissolution des diverses coalitions au travers d’éléments prédéterminés. Ainsi, pour Duverger, les

conditions à la formation de coalitions sont : i) d’ordre juridique (le mode de scrutin, ou condition

« prépondérante ») ; ii) ordre électoral (le nombre de partis existants, lesquels ont un « rôle

déterminant ») ; et iii) d’ordre organisationnel, lié à la dimension des partis. Pour l’auteur des

Partis politiques, le mode de scrutin, cumulé au nombre de partis, serait la configuration

essentielle. S’il avance que la RP « facilite » le multipartisme et constitue un élément indirect à la

formation de coalitions, et donc une contrainte à la formation de gouvernements ; il insiste

particulièrement sur l’élection à deux tours, via l’introduction du ballotage, comme élément

générateur de coalitions électorales dont l’exemple type est le ralliement d’entre-deux-tours.

Les hypothèses de Duverger restent toutefois confinées à une logique électorale et mécanique,

sans réelle application quant à la propre formation de coalitions gouvernementales. En effet,

Christian Bidégaray rappelle que les alliances électorales ne conduisent pas automatiquement à la

formation de coalitions de gouvernement4. Toutefois l’approche prônant la « redécouverte des

1 « … une observation finale […] est la suprenante insignifiance de la magnitude effective des districts [au niveau

latino-américain]. Bien que la magnitude ait été considérée comme un facteur ‘‘décisif’’ dans la détermination du

nombre de partis […] les bases de données qui ont conduit à ce type de conclusions proviennent substantiellement de

systèmes parlementaires ». MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Conclusión: Presidencialismo y sistema de

partidos en América latina », in MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América

latina, Paidós, Buenos Aires, 2002 [1997], p. 298. Traduction propre. 2 MARTIN, P., Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Clefs Monchrestien, Paris, 2006.

3 NOHLEN, D., Sistemas electorales y partidos políticos, Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1994.

4 BIDEGARAY, C. “Coalition électorale”, in PERRINEAU, P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, PUF, París,

2001, pp. 206-207.

119

institutions », va reprendre les travaux de Duverger en les incluant auprès d’autres variables

institutionnelles contraignantes, et vont se succéder diverses études établissant les contraintes

exogènes et endogènes sur la formation de gouvernements de coalition. Nous résumons les

principales variables « contraignantes », retenues comme suit : i) la taille et la composition des

acteurs, dépendant du système électoral1 ; ii) les procédures de reconnaissance des acteurs

« formateurs » de gouvernement ainsi que le rôle et le caractère tournant de celui-ci ; et iii) la

ratification de l’investiture gouvernementale (vote de confiance)2. Ces variables sont des éléments

de contrainte qui conditionnent la négociation pour la formation du cabinet et la répartition des

portefeuilles ministériels, mais elles n’expliquent pas la composition du gouvernement ni ne

modélisent les processus d’allocation de parcelles de pouvoir. Ce travail est délégué aux études se

basant sur une approche inspirée du behaviourisme et de la théorie des jeux3.

Ces variables ne sont toutefois pas applicables au niveau présidentiel. En effet dans ces systèmes

il est établi que : i) le président ne dépend pas de la composition du parlement, même si de plus en

plus les élections présidentielles et législatives tendent à s’effectuer de manière simultanée4 ; ii)

l’unique formateur du gouvernement est le président lui-même aidé de son parti ; et iii) les

procédures de ratification ou « investiture » du gouvernement, quand elles existent, sont d’ordre

symbolique, car davantage procédurales que réellement contraignantes5. Ceci ne veut pas dire, pour

1 Ainsi que des contraintes dans la propre composition du gouvernement, telle que l’obligation d’inclure un acteur

particulier. La constitution Belge oblige ainsi tout gouvernement d’inclure des partis francophones et néerlandophones. 2 Voir AUSTEN SMITH, D. et BANKS, J. “Elections coalitions and legislatives outcomes”. in American Political

Science Review, Vol. 82. No. 2, 1988, pp. 405-422; STRØM K., BUDGE, I., et LAVER M., “Constraints on cabinet

formation in parliamentary democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 38, n°2, 1994, pp. 303-335;

LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government :The politics of coalition in Europe, Oxford University Press,

1990; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and breaking governments, Cambridge University press, 1996;

MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, 2000; STRØM, K.,

MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: The democratic life cylce in western Europe,

Oxford University Press, 2008; DE WINTER, L. et DUMONT, P. « Uncertainty and complexity in cabinet formation »,

in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: the democratic life cylce in

western Europe, Oxford University Press, 2008; pp 123- 155;COLOMER, J.M., et MARTINEZ, F., “The paradox of

coalition trading”, in Journal of Theoretical Politics, Vol.7, No. 1, 1995, pp. 41-63; COLOMER, J., Instituciones

politicas, Ariel, Barcelone, 2007 [2001]. 3 Voir entre autre, BUDGE, I., et KEMAN, H., Parties and democracy. Coalition formation and government

functioning in twenty states, Oxford University Press, 1990; BARON, D., “A spatial bargaining theory of government

formation in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, pp. 137-164;

SCHOFIELD, N., “Political competition and multiparty coalition governments”, in European Journal of Political

Research, n°23, 1993, pp. 1-33; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of

payoffs in coalition governments”, in British Journal of Political Science, No.31, 2001, p. 628; MARTIN, L., et

STEVENSON, R., "Cabinet Formation in Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol.

45, No.1, 2001, pp. 33-50; MITCHELL, P., et NYBLADE, B., “Government Formation and Cabinet Type”, in

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 201- 236; VERZICHELLI, L., “Portfolio Allocation”, in

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 237- 269. 4 Mis à part la constitution bolivienne en vigueur jusqu’en 2009

5 Par exemple en Uruguay, où d’après la Constitution uruguayenne, la tenue d’un vote de confiance au gouvernement,

de la part du parlement réuni en congrès, est optionnelle et découle de la seule volonté du président (art. 174). A noter

que la constitution ne précise pas de procédure à suivre en cas de vote négatif.

120

autant, qu’en système présidentiel il n’y ait pas de « contraintes » institutionnelles quand à la

formation de gouvernements de coalition.

Récemment, la littérature a commencé à s’intéresser à ces éléments institutionnels de

façonnement des coalitions, en complément des travaux d’Axelrod puis De Swaan sur la

« proximité idéologique » (voir chapitre 1). Aussi, suivant une approche combinant les paradigmes

néo-institutionnalistes et utilitaristes, les variables institutionnelles les plus retenues pour les

systèmes présidentiels tendent à être les suivantes : i) le système électoral, centré sur l’élection

présidentielle; ii) le nombre de partis ; et iii) les pouvoirs présidentiels. La théorie avance tout

d’abord qu’un système électoral « facilitateur » de coalitions, centré sur l’élection présidentielle,

devrait comprendre le balottage1 (pour l’élection présidentielle) et/ou la simultanéité des élections

présidentielles et parlementaires, comme facilitateurs de regroupement2. La seconde « variable »,

stipulerait que plus le nombre effectif de partis (NEP), est élevé plus la probabilité de

présidentialisme minoritaire est élevée, donc plus grande est la probabilité de formation de

gouvernement de coalition, par « nécessité ». A l’inverse, toujours d’après la théorie, plus le NEP

est proche de deux, plus la probabilité pour le président de jouir d’une majorité ou quasi-majorité

au parlement est élevé et donc la nécessité de former des coalitions serait nulle ou quasi nulle3 .

1 L’élection présidentielle majoritaire à un tour constituerait aindi une configuration “défavorable” à la formation de

coalition gouvernementale. Idem pour les systèmes de balottage avec seuil électif réduit, entendu comme les systèmes

prévoyant que lorsqu’un un candidat n’ayant pourtant pas reçu 50% +1 de voix, mais disposant d’une avance suffisante

sur son premier adversaire (+10 points par exemple), et/ou recueillant un nombre de voix « approchant » les 50% (45%

par exemple), est automatiquement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle. Ce système est en vigueur,

notamment, en Argentine et en Equateur ainsi que dans certains pays d’Amérique Centrale. Voir, entre autre, NORRIS,

P., op. cit. ; McCLINTOCK, C., “Presidentialism under runoff vs. plurality rules”, Working-paper présenté lors de la

journée d’étude “The evolution of Latinamerican presidentialisms in comparative perspective”, Université de

Georgetown, Washington, 14 Novembre 2011. 2 COX, G., Making votes count: strategic coordination in the world’s electoral systems, Cambridge University Press,

1997; GOLDER, M. “Presidential coattails and legislative fragmentation”, in American Journal of political Science,

Vol. 50. No. 1, 2006, pp. 34-48; JONES, M. P. “The role of parties and party systems in the policymaking process”

Document présenté lors du Workshop « State reform, public policies and policymaking processes », de la BID.

Washington, 2005; SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University

Press, 2010; CHASQUETTI, D., « Balotage y coaliciones en América latina », in Revista Uruguaya de Ciencia

Política, Vol. 12, 2001, pp. 9-33 3 Ainsi, Daniel Chasquetti avance qu’une quasi-majorité de 45% de sièges à l’assemblée, constitue en soit une majorité.

En effet, la probabilité de recevoir un soutien parlementaire de parlementaires provenant d’autres formations politiques

que celle du président, serait accrue. il se fonde notamment sur le cas uruguayen et argentin de l’époque des

bipartismes. Cet argument rejoint ainsi celui de la necessité pour le président de disposer du “législateur médian”. Voir

CHASQUETTI, D., “Democracia, multipartidismo y coaliciones en América Latina: evaluando la difícil combinación”,

in LANZARO, J. Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, Clacso, Buenos Aires, 2001, pp.

319-359; et pour la théorie autour du législateur médian, voir entre autres McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections,

parties, democracy, Oxford University Press, 2005 ; et NEGRETTO, G., “Minority presidents and types of government

in latin America”, communication présentée lors du congrès l’Association d’Etudes Latinoaméricaines (LASA), 2003.

Enfin, sur le nombre des partis et la propension à former des coalitions voir JONES, M., op.cit.; GOLDER, op. cit.;

MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Presidencialismo y sistema de partidos en América latina », in

MAINWARING., S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,

2002, pp. 255-291; SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, México, 1994;

PAYNE, M., “Party systems and democratic governability”, in PAYNE, M., et al, Democracies in developement

121

Enfin, la troisième variable stipule que plus les pouvoirs du président –proactifs et/ou réactifs- sont

élevés, plus la tentation de gouverner seul est, à son tour, élevée. Ainsi, un « président-monarque »,

qui jouirait du contrôle de l’agenda ou du droit de légiférer par décret, pourrait se passer d’une

majorité parlementaire, et n’aurait donc pas de motivation à former une coalition, par définition

couteuse1.

Pour vérifier ces hypothèses, analysons dans un premier temps les cas de formations

gouvernementales dans les démocraties sud-américaines. Nous focaliserons donc notre analyse sur

les cas ayant connu au moins un cas de gouvernement de coalition et nous établirons les éléments

institutionnels en présence, voir le Tableau 2.2. Ce qui veut dire que nous nous intéressons aussi

bien aux cas ayant connu un gouvernement de coalition, aussi éphémère soit-il (exemple de

l’Argentine), comme des cas où les gouvernements de coalitions sont « la règle » (cas chilien,

brésilien et, dans une certaine mesure, équatorien).

politics and reform in latin America, Banque Inter-Américaine de Développement, Washington, 2007, pp. 149-178;

GARRIDO, A., “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: El caso de América Latina”, in

Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp. 41-62. 1 Voir entre autres, MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Juan Linz: Presidencialismo y democracia… » op. cit ;

AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presidential regimes: An analysis of 10 latin American Countries”,

Communication présentée lors du congrès LASA, 1998 ; AMORIM NETO, O., “The presidential calculus executive

policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4, 2006, pp. 415-

440; COX, G., et MORGENSTERN, S. “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América latina” in

Desarrollo Económico, Vol. 41, No. 163, 2001, pp. 373-393; ALEMAN, E., TSEBELIS, G., “Coalitions in Presidential

democracies: how preferences and institutions affect cabinet membership”, Communiction présentée lors du congrès

APSA, 2008.

122

Tableau 2.2 : Formation de gouvernements de coalition en Amérique du Sud, depuis

la période de retour à la démocratie.

Pays Président Période Majoritaire*

Argentine (1) De la Rúa 1999-2001** Non

Brésil (6)

Sarney 1985-1990 Oui

Cardoso I 1995-1999 Oui

Cardoso II 1999-2003 Oui

Lula I 2003-2007 Oui

Lula II 2007-2011 Oui

Rousef 2011-… Oui

Bolivie (5)

Paz Estensorro 1985-1989 Oui

Paz Zamora 1989-1992** Oui

Sánchez de Losada 1992-1997 Oui

Banzer 1997-2002 Oui

Sánchez de Losada 2002-2004** Oui

Chili (5)

Aylwin 1989-1993 Oui

Frei 1993-2000 Oui

Lagos 2000-2006 Oui

Bachelet 2006- 2010 Oui

Piñera 2010-… Non

Colombie (3)

Gaviria 1990-1994 Oui

Pastrana 1998-2002 Oui

Uribe 2006-2010 Oui

Equateur (2) Borja 1988-1992 Non

Gutiérrez 2003-2005** Non

Uruguay (3)

Lacalle 1990-1995 Oui

Sanguinetti II 1995-2000 Oui

Battle 2000-2005 Oui

Total 25 - Oui: 21/ Non: 4

Note : *à la chambre basse ; ** mandat interrompu en cours d’exercice

Source : élaboration propre

L’opérationnalisation des variables, se réalise de telle façon à pouvoir garder un contact avec le

cas étudié, plutôt qu’en centrant l’analyse uniquement autour de données décontextualisées1.

Suivant la méthode dite d’Analyse Qualitative Comparée (QCA en anglais), nous attribuons à

chaque variable les valeurs suivantes : premièrement, le Système Electoral « Facilitateur » d’après

la théorie (variable 1 « SEF»), est calibré à « 2 », quand la loi électorale prévoit la concomitance

totale ou partielle entre élections parlementaire et présidentielle, cumulée à la possibilité de second

tour (« ballotage ») sans seuil réduit (voir précisions supra) ; le système est calibré à « 1 » lorsque

une seule des deux conditions est présente ; enfin le système est noté « 0 » lorsqu’aucune des

conditions ne sont en présence. Nous calibrerons le Nombre Effectif de Partis (variable 2 « NEP »),

1 COLLIER, D., MAHONEY, J., et SEAWRIGHT, J., “Claiming too much: warnings about selection bias”, in

BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking Social Inquiry Diverse Tools, Shared Standards, Rowman and Littlefield,

Lanham, 2004, pp. 85-102; SEILER, D-L., La Méthode Comparative en Science Politique, Collin/ Dalloz, Paris, 2004.

123

par un « 0 », lorsque le NEP inférieur ou égal à 3, condition minimale pour qu’il y ait

rationnellement une « nécessité » de coalitions ; et le calibrerons par « 1 » lorsque celui-ci est

supérieur à 31. Nous prendrons pour ce faire, comme indicateur, une moyenne pondérée des valeurs

établies d’après les données de Daniel Chasquetti et du rapport 2010 de la Banque Inter-Américaine

de Développement (BID)2. La troisième variable considérée par la littérature orientée néo-

institutionnaliste, la variable « pouvoirs du président » (« PWP ») sera calibrée de façon

dichotomique (1/0), et nous attribuerons une valeur « 0 » lorsque le régime est à dominante

présidentielle ; et attribuerons une valeur « 1 » lorsque ce n’est pas le cas. Nous nous baserons pour

l’attribution des valeurs, sur les indicateurs provenant de la littérature dominante, depuis les travaux

fondateurs de Matthew Shugart et John Carey aux travaux plus récents de Daniel Zovatto et Jesús

Orozco3. Enfin, nous avons dédoublé les cas (marqué « II ») lorsqu’un changement constitutionnel

est venu affecter dramatiquement l’une des trois variables présentées précédemment4-,

Dès lors, lorsque nous confrontons la théorie à l’empirie (Tableau 2.3), nous observons que la

conjonction des trois variables n’aboutit qu’à des conclusions hâtives et relatives, surtout si on reste

« collés » aux données brutes. Ainsi, la « combinaison théorique idéale » serait marquée:

SEF(2)*NEP(1)*PWP (1) =15.

1 Nous établierons les valeurs depuis les ouvrages de ALCANTARA, M., Sistemas Politicos de América Latina :

América del Sur, Tecnos, Madrid, 2003 ; CRESPO MARTINEZ, I., et GARRIDO, A., Elecciones y Sistemas

Electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico, 2008. 2 CHASQUETTI, D., Democracia presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la “difícil

combinación”, Cauce, Montevideo, 2008, p.159; SCARTASCINI, C., STEIN, E., et TOMMASI, M., How democracy

works: political institutions, actors, and arenas in Latin American Policymaking, BID, Washington D.C., 2010, p.35. 3 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992; ZOVATTO, D., et

OROZCO, J., Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM,

Mexico, 2008. Voir également GARCÉ, A., El Giro Repúblicano, Centro Mundial de Investigación para la PAZ/

TRILCE, Montevideo, 2009; et la base de donnée du Center for Latin American Studies (CLAS) de l’Université de

Georgetown, consultable sur internet: http://pdba.georgetown.edu/. 4 Cela regroupe aussi bien les changements de constitution comme les réformes constitutionnelles (ou réforme de la

Constitution) 5 Les valeurs sont présentées entre parenthèses. Le signe multiplicateur « * » , indique une conjonction, autrement dit,

les variables fonctionnent nécessairement en système (ensemble) et non pas séparément. Aucune variable n’étant donc,

à priori suffisante.

124

Tableau 2.3 : Application empirique des hypothèses néo-institutionnalistes sur la

formation de coalitions gouvernementales

Cas SEF NEP > 3 PWP Résultat

Argentine I 0 0 1 0

Argentine II 1 1 0 1

Bolivie I 2* 1 1 1

Bolivie II 2 1 1 0

Brésil I 2 1 0 1

Brésil II 2 1 0 1

Chili I 1 1 0 1

Chili II 2 1 0 1

Colombie I 1 2 0 1 0

Colombie II 1 1 0 1

Costa Rica 1 0 1 0

Équateur I 2 1 1 1 1

Équateur II 1 1 1 1

Paraguay 1 1 0 1 0

Pérou3 2 1 0 0

Uruguay I 1 0 0 1

Uruguay 2 0 0 1

Venezuela I 1 1 0 1 0

Venezuela II 4 1 1 0 0

Notes: Apparaissent en gras les configurations constitutionnelles ayant connu des gouvernements de coalition. * la Bolivie avait jusque 2009 un système électoral établissant que le second tour, lorsqu’il était nécessaire, avait lieu au parlement

et non pas directement par les urnes. Cette modalités « poussant » ainsi les candidats et les partis à établir des coalitions

parlementaires et, par ricochet, favorisant la tenue de coalitions gouvernementales ;

1) les cas types de « Frente Nacional » en Colombie et au Venezuela, et de manière plus nuancée au Paraguay, constituent des

« grandes coalitions », à caractère cartellisant, tel que nous l’avons mentionné en introduction, et n’entrent pas dans notre définition ;

2) L’Equateur est le pays ayant connu le plus de changement institutionnel en vingt ans. Nous avons gardé ici les éléments les plus

pertinents ;

3) Le cas péruvien est, nous l’avons vu, un cas atypique d’absence de système de partis.

4) si le premier gouvernement Chávez paraît être constitué de plusieurs partis autour du Movimiento Va República, ceux-ci sont plutôt

des proto-partis ou « partis satellitaires », gravitant autour du parti Chaviste. La preuve en est la disparition de la quasi-totalité de ces

formations ou mouvements politiques dès le second mandat de Chavez.

Source : élaboration propre

Or, si les cas équatorien (I et II), et bolivien I paraissent correspondre fidèlement aux hypothèses

néoclassiques, lorsque l’on s’arrête quelque peu sur ces cas on observe toutefois des nuances de

taille. Ainsi, les changements incessants des lois électorales en Équateur au cours des années 1980-

1990 ne permettent pas d’établir un facteur explicatif à cette variable, en raison du caractère

instable de ces lois électorales et de l’incapacité à tirer des conclusions sur la durée1. On peut ainsi

1 Ainsi, l’Equateur a adopté, en moins de vingt ans, sept réformes à sa loi électorale. Rendant tantôt, i) les élections

présidentielle et parlementaire concomitantes (réforme de 1985), puis séparée (1993), avant de retourner à la

simultanéité (1994) ; ii) faisant passer l’élection des députés de la RP à la RM (1993, 1998, 2004) avant de revenir à la

RP (1996) ; iii) interdisant la formation de coalitions électorales (1983), puis les autorisant (1997) ; iv) passant d’une

élection présidentielle à la majorité absolue, à une élection à la majorité avec seuil réduit (1998), etc… Pour plus

125

parler d’une absence d’institutionnalisation du système électoral qui se répercute sur une absence

d’institutionnalisation du système de partis équatorien, ou bien en est la conséquence. En outre, de

nombreux « gouvernements de coalition » équatoriens ne répondent pas aux critères que nous

avons défini en introduction, et seraient davantage qualifiables de gouvernements cooptés et/ou a-

partisans1.

Bien que nous nous basions sur des données relativement éloignées de la réalité empirique pour

élaborer ce tableau, notamment en ce qui concerne les données du NEP que nous avons déjà discuté

précédemment, nous observons dans un premier temps qu’aucune variable suffisante ne se détache

de ce tableau. De même, aucune configuration de variables nécessaires ne permet d’établir

clairement une relation directe avec la formation de coalitions gouvernementales2. Si la variable du

système électoral paraît « aider » à la formation, elle n’apparaît pas comme déterminante dans de

nombreux cas3 qui, cumulés, représentent statistiquement plus de la moitié des formations de

gouvernements de coalition de la région. Conséquemment, on observe des cas « contradictoires » à

la théorie, au sein desquels des lois électorales apparemment favorables voire très favorables,

d’après la littérature, n’ont conduit à la formation d’aucun gouvernement de coalition4.

De même, le balottage comme élément formateur de coalition d’entre-deux-tours n’apparait

comme efficace que dans un nombre réduit de cas5. La concomitance des élections, qu’elle soit

totale ou partielle (renouvellement d’une partie du parlement par roulement, comme en Argentine),

et plus ou moins simultanée (le jour même des élections présidentielles, ou quelques semaines

avant ou après celles-ci, comme dans le cas Colombien… et Français), ne semble ne pas non plus

avoir d’effets pertinents sur la conformation de coalitions gouvernementales. Le Chili n’avait, par

exemple, pas d’élections simultanées entre 1997 et 20066, or la Concertación a maintenu la même

d’information voir PACHANO, S., «Reforma Electoral en Ecuador», in ZOVATO, D., et OROZCO, J., op. cit, pp.

495-523. 1 C’est le cas des gouvernements Roldós (1979-1984), Febres Cordero (1984-1988), Durán (1992-1996) et Gutiérrez

(2003-2005). 2 Nous entendons par « variable suffisante » (ou « condition suffisante ») une variable qui à elle seule permet d’aboutir

au résultat ; ici le résultat étant la formation de coalition gouvernementale. Par « variable nécessaire », nous entendons

une variable sans laquelle, à défaut de la présence de condition suffisante, le résultat ne saurait se produire. 3 Les cas Argentine II (1 gouvernement), Chili I (3), Colombie II (4) Equateur I et II (2) et Uruguay I (2).

4 En Bolivie II, en Colombie I, au Pérou notamment.

5 Ainsi, le Brésil a élu son président au second tour à trois reprises (Lula 2003 et 2007 ; Dilma Roussef 2011), le Chili à

trois reprises (Lagos 2000 ; Bachelet 2006 et Piñera 2010) et l’Uruguay (Batlle 1999 ; Mujica 2009). Toutefois, ce

second tour n’a été déterminant que dans quatre cas (Lula 2003 ; Lagos 2000 et Bachelet 2006 ; Batlle 1999), et

l’inclusion des ralliés d’entre-deux-tours n’a été effectif que dans le cas de Lula 2003 et Batlle 1999. Enfin, le « second

tour » bolivien au parlement étant un cas à part, bien que nous le comptabilisions ici. 6 Ce qui va dans le sens des travaux de nombreux universitaires, quant à l’absence de « coattail effect ». Voir entre

autres NORRIS, P., op. cit ; SAMUELS, D., et SHUGART, M., «Presidents, prime ministers and parties: a new

madisonian theory of party organization and behaviour», Communication présentée lors du Congrès APSA 2006;

CALVERT, R. L., et FEREJOHN, J.A., “Coattail voting in recent presidential elections”, in American Political Science

Review, Vol. 77, No. 2, 1983, pp. 407-419 ; et THORSON, G., et STAMBOUGH, S., “Incumbency and the 1992

126

formule et les mêmes partenaires, lors de toutes les élections nationales, depuis 1989 jusque

aujourd’hui1.

Enfin nous observons, étrangement, une certaine adéquation empirique en ce qui concerne les

pouvoirs présidentiels et la formation de gouvernement de coalition. Mise à part la Bolivie et en

une moindre mesure l’Équateur, les cas ayant expérimenté des coalitions gouvernementales,

confèrent généralement une domination relative (Uruguay) voir franche (Argentine, Brésil, Chili,

Colombie) de l’exécutif sur le législatif, particulièrement en termes de pouvoirs législatifs (voir

supra Tableau 1.3). Ceci laisse à penser tout du moins à une possibilité de réversion théorique, où

plus les pouvoirs du président seraient élevés, plus le partage de ceux-ci au sein de l’exécutif

constitue un argument de négociation entre les mains du président, pour obtenir un soutien

politique. De même, plus les pouvoirs de l’exécutif sont forts, plus l’accession au gouvernement

devient attractive pour les partis en présence.

b. L’importance des contraintes institutionnelles sur le maintien des coalit ions

Comme l’ont montré Muller et Strøm, la majeure partie de la littérature sur les gouvernements

coalisés s’est limitée à établir des modèles visant à prévoir la formation et la rupture des coalitions

gouvernementales, en régime parlementaire2. Nous avons également avancé que cette

surconcentration d’études autour de cette seule démarche contextuelle, était également valable en

régime présidentiel. Or, nous venons de voir que les arguments, en provenance du paradigme

dominant néo-institutionnel, censés conduire ou faciliter la formation de coalitions

gouvernementales, semblent jusqu’à présent quelque peu limités dans leur portée empirique.

Pour ce qui est des éléments facilitateurs du maintien ou des dissolutions des coalitions, outre

les questions portant sur la cohésion des partis et l’institutionnalisation du système de partis, nous

pouvons répertorier depuis la littérature trois éléments dont deux clairement institutionnels, censés

influer sur le maintien des coalitions de gouvernement ou, à l’inverse, pousser à leur dissolution, en

elections: the changing face of presidential coattails”, in Journal of Politics, Vol. 57, 1995, pp. 210-220; THORSON,

G.,et STAMBOUGH, S., “Anti-Incumbency and the 1992 elections: the changing face of presidential coattails”, in The

Journal of Politics, Vol. 57, No. 1, 1995), pp. 210-220; PRESS, C., “Presidential coattails and party cohesion”, in

Midwest Journal of Political Science, Vol. 7, No. 4, 1963, pp. 320-33; SAMUELS, D., “Concurrent elections,

discordant results: presidentialism, federalism, and governance in Brazil”, in Comparative Politics, Vol. 33, No. 1,

2000, pp. 1-20; et “The gubernatorial coattails effect: Federalism and congressional elections in Brazil”, in Journal of

Politics, Vol. 62, No. 1, 2000, pp. 240–253. 1 Lors des élections municipales et de conseillers de 2008, le Parti Radical Social Démocrate (PRSD) et le Parti Pour la

Démocratie (PPD), ont néanmoins présenté une liste commune alternative à celle de l’appareil Concertationniste

Socialiste-Chrétien démocrate, mais ceci a consisté davantage en une stratégie de communication de ces partis plutôt

qu’en un schisme politique. De fait, si la stratégie fut un échec pour les élections municipales (constituant la première

« défaite » électorale de la Concertación en vingt ans), elle fut un succès au niveau de l’élection des conseillers

municipaux (découplée de l’élection du maire). 2 MÜLLER, W., et STRØM K., Coalition Government in Western Europe, Oxford University Press, 2000

127

régime présidentiel. Ces arguments1 sont : i) la caractéristique du mandat fixe du président, laquelle

lorsqu’elle s’approche de l’échéance finale (fin du mandat), tend à inciter la dispersion individuelle

et/ou collective des membres de la coalition ; à moins que ii) la constitution ne prévoit la possibilité

de réélection du président. Ceci suppose ainsi que l’élection présidentielle approchant, et en

l’absence de possibilité de réélection qui rendrait inutile les négociations sur la nomination d’un

candidat (le candidat naturel étant le président), les partis membres de la coalition sont tentés de

partir « en solitaire », se démarquant progressivement de l’action de l’équipe sortante. La

probabilité de rupture serait, théoriquement, accrue entre un an à six mois avant la prochaine

échéance électorale. Enfin, iii) plus la « taille » de la coalition, en termes de vote et de sièges au

parlement est élevée – avec un seuil de confort estimé à partir de 55%-, moindre est la propension à

la dissolution de la coalition. Cette vision allant à l’encontre de la vision « rikérienne » de coalition

minimale victorieuse.

Ces hypothèses jusqu’alors peu vérifiées et critiquées reprennent à leur tour des éléments

d’autres théories (présidentialisme vs/ parlementarisme, notamment), et se fondent sur des données

empiriques peu homogènes et comparables, notamment en termes de contexte institutionnel et

organisations partisanes2 ; ou sur un seul cas d’étude supposément paradigmatique –l’Uruguay-,

mais dont l’organisation particulière – autour de fractions (lemas)- des partis en fait un cas tout-à-

fait particulier, sans compter quelques problèmes conceptuels3. De plus, ces travaux font fi du

contexte politique et social en place en se consacrant uniquement sur le « résultat » (maintien/

dissolution de la coalition). Nous proposons alors, dans ce chapitre de tester cette théorie sur huit

gouvernements provenant de trois pays différents comparables car relativement « homogènes »

(l’Argentine, le Chili et l’Uruguay) : i) pour l’Argentine, le gouvernement de Fernando de la Rúa

(1999- 2001) ; ii) pour le Chili, les gouvernements de Patricio Aylwin (1990-1994), Eduardo Frei

1 Tirés de ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies, the

case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No. 3, 2001. pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La

Supervivencia de las Coaliciones Presidenciales de Gobierno en América Latina”, in PostData, Vol. 11, 2006, pp. 163-

196; CHASQUETTI, D., 2008, op. cit; GARRIDO, A., 2003, op. cit. 2 CHASQUETTI, D., 2006, op. cit. ; CHASQUETTI, D., 2008, op. cit. Daniel Chasquetti compare ainsi pêle-mêle des

pays comme l’Équateur, la Bolivie, la Colombie (post réforme de 1991), aux systèmes partisans et institutionnels

particulièrement peu institutionnalisés ; avec le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, dont la stabilité partisane et

institutionnelle est beaucoup plus marquée. 3 ALTMAN, D., op. cit. L’auteur reprennant l’organisation fractionnée des partis uruguayens comme unité d’analyse,

afin d’évoquer la dissolution oule maintien des coalitions. Si nous convenons avec David Altman, à l’inverse de Kaare

Strøm, de l’erreur à considérer les partis comme « acteurs unitaires », nous avons mentionné néanmoins que des

coalitions partisanes passent par des accords (formels ou informels) entre partis. Ce qui équivaut à dire que la sortie ou

l’entrée d’une faction d’un gouvernement de coalition ne fait ni ne défait l’accord. L’accord étant supra-factionnel,

c’est la position du parti qui compte en ce cas-là. Ceci ne revient pas pour autant à simplifier la stabilité des coalitions

sur les seuls accords entre chefs de partis. La sortie de membres (individuels ou fractions) constitue une fragilisation

et/ou une preuve d’instabilité, bien qu’elle ne remette pas nécessairement en cause la coopération. Voir infra les cas

récents de sortis de membres influants de la Concertación chilienne.

128

(1994- 2000), Ricardo Lagos (2000- 2006) et Michelle Bachelet (2000- 2004) ; enfin iii) pour

l’Uruguay, les gouvernements de Luis Alberto Lacalle (1990- 1995), Julio María Sanguinetti II1

(1995- 2000), et Jorge Batlle (2000- 2005).

L’étude comparée des configurations institutionnelles et des prérogatives présidentielles des

trois pays, laisse apparaître une similarité globale des systèmes politiques de ces trois cas, malgré

des résultats différents sur la « variable dépendante » (maintien/ dissolution des coalitions). En

effet, ces trois pays possèdent a) une pratique de la démocratie parmi les plus anciennes de la

région ; b) possèdent et ont conservé les systèmes partisan les plus stables et institutionnalisés de la

région, et c) un système politique à dominance présidentielle relative (Uruguay), ou franche

(Argentine et Chili). Inversement, nos trois cas divergent, institutionnellement parlant,

essentiellement sur deux points : les lois électorales et l’organisation administrative de l’Etat. Le

tableau 2.4 illustre les facteurs de formation et de maintien de gouvernements de coalitions dans les

trois pays, suivant la littérature dominante, et nous avons ainsi mis en gras les éléments théoriques

retenus comme ayant un impact direct sur le maintien ou la dissolution des coalitions

gouvernementales. Les autres éléments servent à illustrer la relative similarité entre nos cas quant à

la formation de coalition, en fonction des arguments, présentés précédemment.

Tableau 2.4 Stimuli institutionnels et “facteurs coalitionnaires”.

Variables Argentine Chili Uruguay

Pré 1994* Post 1994 Pré 2005 Post 2005 Pré 1997 Post 1997

Loi électorale

“incitative” - balottage

Binominal +

balottage

Binominal +

balottage - balottage

Élections

législatives

intermédiaires

Oui Oui Oui Non Non Non

Possibilité de

réélection Non Oui Non Non Non Non

Pouvoirs

Présidentiels

proactifs/

réactifs

modérés/

forts forts/forts forts/forts forts/forts

modérés/

forts

modérés/

forts

Organisation

Administrative

de l’Etat

Fédérale Fédérale Centrale Centrale Centrale Centrale

Notes: Nous reprenons ici les notions de pouvoirs pro-actifs et ré-actifs tels que nous les avons décrit au premier chapitre (voir

supra 1.2.2).

*Nous avons volontairement introduit l’Argentine pré- réforme constitutionnelle, à titre illustratif afin de mettre en évidence les

changements les plus évidents dont les répercussions sur la pratique politique paraissent les plus contraignantes, d’après la

littérature dominante.

Source : élaboration propre.

1 Nous nous référons au second gouvernement de Sanguinetti, lequel avait déjà occupé un mandat présidentiel (1985-

1990), mais sans former de coalition gouvernementale.

129

Ainsi si nous nous référons aux hypothèses qui prédisent le maintien ou la dissolution des

coalitions, nous observons : i) qu’en termes de réélection présidentielle, seule l’Argentine possède

constitutionnellement le facteur censé atténuer les velléités de sécession de fin de mandat, et que ii)

seul l’Uruguay n’a jamais présenté de configuration politique incluant la tenue d’élections

législatives intermédiaires. Parallèlement, si nous nous arrêtons sur la taille et le contexte des

coalitions, seuls les trois gouvernements uruguayens ont joui d’une ample majorité parlementaire,

contrôlant respectivement 69%, 64% et 56% de chacune des deux chambres du congrès, soit à

chaque fois au-delà du seuil de confort. En outre, le nombre de participants (ou « partenaires ») de

ces gouvernements a été à chaque fois limité à seulement deux partis, qui plus est particulièrement

équilibrés, soit logiquement la configuration la moins complexe et la moins onéreuse (voir supra,

chapitre 1.1.1).

Inversement, les trois premiers gouvernements chiliens post-transition démocratique (Aylwin,

Frei et Lagos) semblent avoir cohabité avec la configuration institutionnelle et organisationnelle la

moins favorable à leur maintien. En effet, la Constitution Chilienne ne permet pas de réélection

automatique du président de la République (Art. 29). Pour se représenter, le président en exercice

doit en effet laisser passer, au minimum, un mandat électoral1. En outre, les réformes successives

portant sur la durée du mandat présidentiel2, ont conduit à ce que les élections parlementaires se

retrouvent intercalées entre deux élections présidentielles à deux reprises, en 1997 et 2001, sous les

sextennats d’Eduardo Frei et Ricardo Lagos. Enfin, il est à noter que si la Concertación a gagné

toutes les élections nationales de 1990 à 2006, lui conférant une majorité à la chambre des députés

jusqu’en 2010, les élections de 1989, 1993 et 1997 lui ayant d’ailleurs confié autant de seuils de

confort (respectivement 57.5%, 56.6% et 58.3% des sièges de la chambre basse) ; les dispositions

de la Constitution héritée de l’ère Pinochet ont atténué ces majorités en raison de l’existence de

neuf postes de « sénateurs désignés », et des sénateurs à vie. Cette disposition constituant, jusqu’en

2006, l’une des principales enclaves autoritaires3 à la constitution chilienne, et consistant en la

désignation de forme discrétionnaire et corporatiste de neuf sénateurs, lesquels sont donc exempts

1 Avec le Conseil de Sécurité Nationale (COSAN), voir infra. Ainsi l’ex président Eduardo Frei (1994-2000), n’a pas

pu se présenter à sa succession aux élections de 2000, mais était le candidat de la Concertación lors des élections de

2010. Idem, Michelle Bachelet après avoir été présidente (2006-2010), sera probablement la candidate de la même

Concertación pour les élections de 2014. 2 La Constitution de 1980, adoptée sous la dictature, prévoyait qu’en cas de défaite de Pinochet au Référendum

révocatoire de 1988, le nouveau président élu verrait son mandat amputé de moitié, sois quatre ans (1990-1994). Par la

suite, une nouvelle réforme constitutionnelle en 1993 est venue fixer le mandat présidentiel à six ans. Cette norme

ayant prévalue pour les mandats des présidents Frei (1994-2000) et Lagos (2000-2006). Enfin, la réforme

constitutionnelle de 2006 est venue « abaisser » le mandat à quatre ans. Cette norme est toujours en vigueur

aujourd’hui. 3 GARRETÓN, M. A., La Posibilidad Democrática en Chile, FLACSO, Santiago, 1989. Pour une présentation plus

précise des “enclaves autoritaires” héritées de la constitution de 1980, voir infra 2.2.1

130

de responsabilité politique1, ainsi que l’accession automatique de chaque ex-chef d’Etat au poste de

sénateur à vie. Ainsi, le sénat chilien a jusqu’en 2006 a été contrôlé par une majorité hétérogène

mais idéologiquement proche de l’héritage pinochétiste. En considérant ces dispositions, seule la

présidence de Michelle Bachelet s’approche –sans les atteindre- des standards institutionnels

prévoyant une probabilité de maintien de la coalition. Notons enfin, que le nombre de partenaires

de la Concertación (quatre partis), certes stable tout du long, constitue toutefois d’après la théorie

une source potentielle de conflit, d’autant plus si l’on considère le caractère déséquilibré des forces

en présences, où la Démocratie Chrétienne a occupé, jusqu’en 2000, une position dominante.

Enfin, le cas argentin apparaît sur le papier comme jouissant d’importants outils institutionnels

et structurels pour maintenir la cohésion coalitionnaire. En effet, depuis les accords d’Olivos en

1994, la Constitution argentine prévoit la possibilité de la réélection du président sortant. En outre,

la formation de l’Alianza en 1997, dans le but de préparer l’élection présidentielle (remportée) de

1999, s’est organisée autour de deux formations politiques relativement stables et structurées : la

centenaire Unión Cívica Radical (UCR) et les péronistes dissidents du FREPASO. Toutefois, cette

coalition de deux partis (sur un NEP final de 3 partis) est marquée par l’absence de contrôle d’une

majorité propre à la chambre des députés (48,2%) ainsi qu’au Sénat (30,5%). De plus, la tenue

d’élections intermédiaires en 2001 a particulièrement fragilisé la coalition gouvernementale

moribonde, ces élection étant marquées par une victoire des votes blancs et nuls (voto bronca)

lesquels avec près de 26% des voix ont constitué la « seconde force politique argentine », lors de

cette élection.

Or, dans le Tableau 2.5 lorsque l’on pose les configurations de variables indépendantes (ou

« conditions »), que l’on ajoute la variable de contrôle « crise économique » (notée « ECO »,

supposant la survenue d’une crise socio économique pendant le mandat présidentiel), et qu’on les

confronte avec la variable dépendante centrée sur le maintien de la coalition, on observe que la

théorie n’est pas vérifiée par les résultats empiriques. Les valeurs de chaque variable sont

organisées suivant la méthode dichotomique d’absence/présence, notée par un « 1 » lorsque la

variable est « présente », et par un « 0 », lorsque celle-ci est absente. Ainsi les quatre autres

variables indépendantes à portée institutionnelle, sont : i) l’existence constitutionnelle de la

réélection du président (notée REELECT), « 1 » supposant la possibilité constitutionnelle attribuée

au président de se représenter pour un second mandat successif, et « 0 » l’impossibilité de se

représenter immédiatement; ii) le « contingent législatif » du président supérieur au seuil de

1 Ces sénateurs étaient nommés pour la première tranche (8 ans) par Pinochet lui-même. Par la suite, les commandants

en chefs des quatre corps d’armée désignaient chacun un sénateur ; la cour suprême deux ; et le président de la

République en fonction trois, dont un ex-ministre et un recteur d’université d’Etat.

131

confort, théorisé précédemment, fixé à un contrôle de 55% des sièges de la chambre basse (noté

LARGE), où « 1 » suppose que le président possède ce contrôle législatif, et « 0 » implique que le

président ne détient pas de seuil de confort législatif; iii) le nombre de partenaires coalisés (PART),

réparti autour du nombre minimal possible -deux partenaires-, où « 1 » remplit la condition de

nombre minimal de partenaire où seuls deux partenaires partisans forment la coalition, et « 0 »

implique que la coalition est formée par plus de deux partis ; enfin iv) l’existence d’élections

parlementaires intermédiaires, possibles éléments de fragilisation de la cohésion de la coalition,

(noté INTERM), où « 1 » décrit la survenue d’élections parlementaires intermédiaires survenues

entre deux élections présidentielles, et « 0 » supposant la simultanéité des élections présidentielles

et parlementaires.

On observe ainsi, à l’inverse de ce que laissait prévoir la théorie, que les quatre gouvernements

chiliens de coalition se sont maintenus intacts, et cela malgré des configurations à priori

défavorables (pas de réélection/ aucune majorité à seuil confortable/ nombre de partenaires élevés/

tenue d’élections intermédiaires à deux reprises/ deux crises économiques). L’Uruguay, avec à

chaque fois des configurations identiques, présente des résultats contradictoires. Et l’Argentine, le

seul cas présentant la capacité de réélection du président, a vu son unique expérience de

gouvernement coalisé imploser bien avant échéance (moins d’un an après le début du mandat).

Le test des hypothèses sur la survie des coalitions de gouvernements, rapporté à des cas

significatifs, comparables et institutionnellement stables, vient invalider les arguments considérés

comme facilitateur du maintien de ce type de gouvernements. Ni la réélection du président ni la

taille du contingent législatif de celui-ci, ne paraissent avoir d’effets directs sur le maintien des

gouvernements coalisés. Les résultats des théories de Altman, Chasquetti ou Garrido, rapportés à

des cas présentant des configurations politiques et institutionnelles particulièrement instables ou

peu institutionnalisés, semblent ainsi découler davantage d’éléments circonstanciels propres à la

nature instable des différents cas, plutôt que de conditions intervenantes tangibles.

De plus, l’inclusion de la variable dite « de contrôle », propre au contexte économique (noté

« 1 », lorsqu’une crise économique a marqué le mandat présidentiel ; « 0 » quand l’économie n’a

pas constitué un élément tensiogène), laisse poindre également différents résultats. Ainsi, lorsque

nous focalisons cette valeur sur « 1 », nous observons que le gouvernement De la Rúa pour

l’Argentine ; les gouvernements Lagos et Bachelet, pour le Chili ; et le gouvernement Batlle, pour

l’Uruguay, sont concernés. Or de tous ceux-ci, seule la coalition gouvernementale du président

uruguayen semble avoir été victime de la crise.

En effet, le gouvernement argentin avait déjà implosé avant même l’arrivée de la terrible crise

économique de 2001. Inversement, malgré des contextes économiques défavorables, certes à une

132

autre échelle que les crises argentine et uruguayenne de 2001-2002, les coalitions

gouvernementales de Ricardo Lagos et Michelle Bachelet n’ont pas été ébranlées dans leur

cohésion, du fait de ces crises. Enfin, en revenant sur le cas uruguayen, la sortie en 2002 des

principaux ministres du Parti Nacional (ou « Partido Blanco »), incitée par le chef de parti d’alors

Jorge Larrañaga, s’est réalisée en donnant au Parti du président Batlle –le Partido Colorado- toutes

les garanties d’appuis parlementaires de la part du groupe blanco. Dans les faits, le Parti Nacional a

appuyé toutes les décisions, sans restrictions, émanant de l’exécutif colorado jusqu’à la fin du

mandat de Jorge Batlle (2005). L’argument qui consiste à considérer les crises économiques

comme des éléments perturbateurs de la cohésion coalitionnaire est grandement invérifiée, à son

tour, par les résultats empiriques.

Tableau 2.5 : Test des hypothèses portant sur la survie des gouvernements de coalition

Pays/Gouvernements REELECT LARGE PART INTERM ECO MAINTIEN

Argentine

De la Rúa 1 0 1 1 1 0

Chili

Aylwin 0 0 0 0 0 1

Frei 0 0 0 1 0 1

Lagos 0 0 0 1 1 1

Bachelet 0 0 0 0 1 1

Uruguay

Lacalle 0 1 1 0 0 0

Sanguinetti II 0 1 1 0 0 1

Batlle 0 1 1 0 1 0

Source : élaboration propre.

Enfin, lorsque nous observons les différents cas de figure de fin de mandat présidentiel, et que

nous rapportons l’étude au cas chilien, nous observons que l’unique cas où la cohésion de la

Concertación s’est retrouvée fragilisée, sans pour autant rompre (sous le gouvernement Bachelet),

s’est tenu alors même que la configuration institutionnelle était, d’après la théorie, la plus favorable

au maintien coalitionnaire. Il semblerait que le maintien coalitionnaire, et la propre formation de

coalitions, dépendent de quelque chose de plus que du seul fait d’éléments institutionnels inspirés

133

par l’ingénierie institutionnelle. Citant Lupia et Strøm, « les institutions, aussi importantes soient-

elles, ne font pas tout »1.

2.2 Historicité politique et culture gouvernementale des démocraties du Cône Sud

Le paradigme de l’approche par les institutions en sciences politiques a connu diverses

approches épistémologiques. Si l’approche classique conférait une dimension importante à

l’histoire et aux relations humaines2 ; l’autonomisation de la science politique comme discipline à

part entière, et l’émergence du courant behaviouriste et des nouvelles techniques et méthodes

(numérisées) de recherche on supplanté cette approche, au profit d’une tendance modélisatrice et

abstraite. On retrouve notamment cette posture au sein du courant néo-institutionnalisme, le plus

répandu aujourd’hui. Parallèlement à cette évolution, de nombreux universitaires vont maintenir ou

réaffirmer l’indissolubilité de l’approche institutionnelle d’avec une approche historico-dynamique.

Ainsi l’institutionnalisme historique développé par Théda Skocpol puis Kathleen Thelen, se

fonde sur une analyse des interactions politiques, portée sur l’étude et la compréhension des

éléments institutionnels comme le produit d’interactions humaines, suivant une démarche

séquentielle dynamique3. Cette approche suppose donc une connaissance approfondie des cas

étudiés, plutôt qu’une photographie instantanée et figée de ceux-ci, et privilégie ainsi la

comparaison entre un nombre limités de cas : les cas sont « producteurs de théorie », plutôt que des

illustrateurs ou « validateurs » de théorie. Dès lors, tout en partageant la conception restrictive et

organisatrice des institutions, les intérêts de cette approche se penchent sur les éléments ayant

conduit à la formation, l’évolution et la pérennisation de ces mêmes institutions. En ce sens,

l’institutionnalisme historique va être enclin à considérer des variables plus macroscopiques et sur

une temporalité plus longue, tels que les éléments de contexte, de culture, ou de « la dépendance du

1 “… institutions, while important, are not the whole story” LUPIA, A., et STRØM, K.”, op. cit, p. 56. Idem, Wolfgang

Müller et al. semblent aller dans le meme sens lorsqu’ils avancent que: “…the relevance of institutions for coalition

politics […] as of yet no comprehensive picture of their impact on various aspects of coalition politics has emerged.

Indeed, the full impact of the range of relevant institutions clearly has not yet been fully explored either in theoretical

or case study work”, MÜLLER, W., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition Theory and Cabinet Governance: An

Introduction”, in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit., p. 25. 2 On retrouve cette approche auprès d’auteurs « pré-politistes » tels Max Weber, Maurice Duverger ou Alexis de

Tocqueville. 3 SKOCPOL, T., Social revolutions in the modern world, Cambridge University Press, 1994; SKOCPOL, T., States and

social revolutions: a comparative analysis of France, Russia and China, Cambridge, Cambridge University Press,

1979; THELEN K., et STEINMO S., “Historical institutionalism in comparative politics”, in STEINMO, .S, THELEN,

K., et LONGSTRETH, F., Structuring politics: historical institutionalism in comparative analysis, Cambridge

University Press, 1992, pp. 1-32; THELEN K., “Historical institutionalism in comparative politics”, in Annual Review

of Political Science, Vol. 2, 1999, pp. 369- 404; SANDERS, E., “Historical institutionalism”, in RHODES, R.,

BINDER, S., et ROCKMAN, B., The Oxford handbook of political institutions, Oxford University Press, 2008, pp. 39-

55.

134

sentier1 » (path dependence). Pour ce faire, les outils d’inférence causale et de comparaison utilisés

tendront à être davantage d’ordre qualitatif.

En nous limitant volontairement à l’analyse des « résultats » formation et maintien/ dissolution

des gouvernements de coalition, nous nous arrêterons sur les configurations historiques et

culturelles des systèmes de parti et des systèmes de gouvernement, sur la pratique gouvernementale

et les relations entre les différents acteurs politiques, des trois pays formant notre terrain d’étude.

Dès lors, nous porterons un intérêt particulier sur l’historicité des relations interpartisanes, et les

éléments de culture gouvernementale qui ont façonné la pratique gouvernementale de l’Argentine,

du Chili et de l’Uruguay. Ainsi, nous soutenons que la dimension inertielle et reproductive de

formations de coalitions, est venue former un « savoir-faire coalitionnaire » au Chili et en Uruguay,

à l’opposé en Argentine, la logique confrontationnelle a été davantage de mise. De plus, à l’inverse

des arguments juridico-institutionnalistes classiques « à la Duverger », nous défendons ici que les

acteurs ont un rôle actif sur la création institutionnelle. En conséquence, ce sont les configurations

contextuelles et relationnelles des acteurs décideurs qui contribuent à la création et au façonnement

des institutions, en fonction des différents objectifs recherchés (perpétuation, renforcement, etc.).

2.2.1. Trajectoire historique des partis et systèmes de partis Argentin, Chilien et

Uruguayen.

L’un des aspects commun les plus marquants propre aux systèmes partisans du Cône Sud, est la

visibilité et le maintien durable des différents organes de représentation politique. Aussi, selon

Francklin et Mackie, « la formation d'une coalition gouvernementale devrait être considérée

comme faisant partie d'une séquence d'événements historiques dans lesquels l'expérience passée

joue un rôle important »2. Cela suppose que si nous voulons considérer les coalitions partisanes,

quant à leur formation et structuration, nous devrions prendre en considération les aspects de

« culture » sur deux niveaux : i) habitus relationnel du système partisan ; et ii) les cultures

politiques et les trajectoires des partis concernés3. Cela ne suppose pas pour autant que nous

adoptions une approche « culturaliste » pour comprendre les phénomènes et les évolutions des

1 PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science Review,

Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267 2 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary

democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, p. 276 3 Nous allons ici dans le sens de Serge Berstein quant à la double signification du concept de culture rapporté au

systèmes de représentation. Voir BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue

d''histoire, Vol. 35, No. 1, 1992, pp. 67 – 77.

135

pratiques des différents auteurs, mais que nous reconnaissions à la pratique d’un phénomène et sa

routinisation, au sein d’un système signifié de valeurs et de représentation, un caractère

contraignant et répliquant1, au même titre que les institutions. Afin de nous doter d’un cadre

contextuel de compréhension, nous reprendrons la typologie de Jordi Matas2, pour la qualification

des systèmes de partis quant à leur capacité collaborative, classés comme suit : a) consensuel; b)

concurrent; c) inconsolidé ; et d) conflictuel.

Nous avons noté, ainsi, que les principales structures partisanes des pays du Cône Sud ont su

maintenir leur présence sur la sphère politique, sur une période particulièrement longue, et ont su

entre autres réapparaître et se placer comme les acteurs principaux des processus de transition à la

démocratie des années 19803. Il est intéressant de noter une éventuelle évolution dans la culture

collaborative des partis politiques, de faire un parallèle entre la période pré-autoritaire et la période

post-autoritaire. Nous observons ainsi deux cas de figure, l’Uruguay et le Chili, qui ont convergé

vers une pacification des relations interpartisanes, là où l’Argentine a connu plusieurs étapes de

structuration relationnelle de son système de partis, faisant penser à une consolidation incomplète

du système dans son ensemble.

a. La structuration de la polyarchie uruguayenne

La longue stabilité politique et démocratique uruguayenne repose sur une pacification entre les

différents acteurs politiques et sur l'accession précoce mais progressive vers un système de

représentation polyarchique4. Le fonctionnement de la démocratie uruguayenne, constitue en

raison de sa trajectoire, depuis le début du XXe siècle, une des rares exceptions de système

présidentiel stable en Amérique latine. Et, si le système politique uruguayen s'est établi rapidement

en polyarchie, c’est par l’action active et collaborative des deux partis « traditionnels » – le Partido

Colorado (PC) et le Partido Nacional (PN)- lesquels ont joué un rôle crucial dans le façonnement

de la culture politique uruguayenne, où à une large représentation politique correspond une offre

1 D’où le caractère ambivalent de la notion de « culture », et son application à la science politique, sans la recherche de

modélisation propre au courant behaviouriste. Voir CUCHE, D., La notion de culture dans les sciences sociales, La

Découverte, Paris, 2010 [1996]. Voir également GEERTZ, C., La interpretación de las culturas, Gedisa, Barcelone,

2010 [1973]. 2 MATAS, J., Coaliciones Políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000,

typologie tirée de SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973 ; et SARTORI, G., Parties and

party system, ECPR- Oxford University Press, 2006 [1976]. 3 Voir CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el autoritarismo y las

transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989. 4 Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay: una partidocracia de consenso”, in Política.

Vol. 42, 2004, pp. 221-248.

136

politique plurielle, et potentiellement alternative1. Le bipartisme a constitué en Uruguay, peut-être

plus qu'ailleurs dans le monde, le socle de sa démocratisation précoce, et le principal trait de son

système politique d'une période s'étalant du XIXe siècle à 1971. En tant que contemporains à

l'indépendance du pays et principaux acteurs des différents troubles politiques du pays2, les deux

partis ont jeté les bases de la polyarchie uruguayenne en mettant fin à la longue période d'instabilité

politique qu'a connu le pays, bien que la Constitution de 18303 ne prévoyait pas l'existence de partis

politiques. Les deux partis adoptent le principe de l'arbitrage électoral comme moyen de régulation

de leurs différents dès 1904, puis officiellement avec l'adoption de la Constitution de 1918, ils

initient ainsi leur institutionnalisation et la pacification du pays, renonçant ainsi –définitivement- au

soulèvement armé. PC et PN vont également tirer profit du faible degré d'implantation et de la

faible capacité de mobilisation des autres institutions (Eglise, Armée, et dans une moindre mesure

les syndicats, etc.), pour canaliser les demandes citoyennes, et contrôler à les ressources de l’Etat.

Colorados et blancos vont rapidement s'installer à la tête de l'appareil étatique4, et la nature et

forme de leurs relations vont être à la base de l'élaboration des politiques publiques ainsi que de

l'édification et évolution de l'État providence, dès 1918. Le caractère central des partis politiques,

en tant qu'acteurs hégémoniques de la vie sociopolitique uruguayenne, a conduit de nombreux

historiens et politistes à qualifier le pays de « partitocratie », en se référant au fonctionnement de la

société uruguayenne au rôle-clé des partis comme agents de stabilité politique et démocratique5.

Afin de maintenir leur prépondérance et leurs caractéristiques plurielles et hétérogènes, les partis

vont adopter un système électoral et de gouvernement particulier. En ce sens, la plupart des travaux

concordent pour affirmer que le système de parti et le système électoral y forment « les deux faces

d'une même médaille6 ». Ainsi, le système électoral et le système de partis uruguayen, s'établissent

dans une relation proche de la métaphore de l'œuf et la poule. Bien qu'il ne soit pas question de

1DAHL, R. La Poliarquía: Participación y Oposición, Tecnos, Madrid, 2002 [1971].

2Le Parti Colorado et le Parti Nacional (ou « Blanco »), se sont formés dès l'indépendance du pays, représentant pour le

premier l'élite intellectuelle de Montevideo et des centres urbains en général, s’opposant aux intérêts des grands

propriétaires terriens de l'intérieur du pays représentés par les blancos. Ces conflits ont également, à leur origine, pour

toile de fonds des conflits entre puissances étrangères. Ainsi, les Colorados étaient soutenus par la France, la Grande

Bretagne et les « unitaristes » Argentins, alors que les Blancos étaient alliés avec le gouvernement des Provinces Unies

(Argentine) du General de Rosas. Le nom de Blancos et Colorados a pour origine la bataille de la Carpintería, et leur

vient des couleurs qu'arboraient chacune des bandes opposées (blanche contre bleu ciel puis rouge). 3Instaurant l'indépendance du pays.

4LUNA, J.P., et ALEGRE, P., “¿Un callejón sin salida? Trayectorias políticas y alternativas de reforma en Uruguay”, in

Prisma, No. 21, Montevideo, 2005, pp 195-212 5On le voit, ce concept est assez éloigné du concept péjoratif de partitocrazia de Sartori, op. cit., mais il reste assez

proche du concept de parti-cartel de Richard Katz et Peter Mair. Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D.. op. cit. 6 MOREIRA C., “las vísperas del cambio: el triunfo de la izquierda y la reinserción del Uruguay en la región”, in

Análise de Conjuntura OPSA, n°1, 2004.

137

déterminer clairement lequel précède l'autre1, il est cependant évident que le système électoral de

double vote simultané (DVS) a particulièrement contribué à façonner l'organisation bipartisane de

la compétition politique uruguayenne, ainsi qu'à la consolidation de la partitocratie, du fait du

maintien du pluralisme à l'intérieur-même des partis. En effet, le vote s'effectuait en Uruguay

jusqu'en 1999, de manière simultanée pour toutes les instances de pouvoir nationales et locales, sur

un complexe mécanisme complexe sur plusieurs niveaux2. Suivant le principe de l'entonnoir,

l'électeur choisissait d'abord le parti qu'il préférait, puis le candidat du sublema qu'il préférait à

l'intérieur-même du parti. Les voix des sublemas s'additionnant, était ainsi élu le candidat du

sublema le plus voté appartenant au parti arrivé en tête3.

L’organisation représentative de l’exécutif uruguayen a influée de manière déterminante sur la

structuration du caractère coopératif des partis. La constitution de 1918 prévoyait la bicéphalité du

pouvoir exécutif; le Président élu au suffrage universel (masculin) direct, partageait son pouvoir

avec le Conseil National d'Administration, entité autonome, également élue au suffrage universel

direct et composé de neuf membres dont un tiers provient de l'opposition. Ce système était similaire

au proporz autrichien d’après-guerre, et fut marqué par des pesanteurs institutionnelles, lesquelles

vont justifier le coup d’Etat de Gabriel Terra en 1933. Au recouvrement de la démocratie pluraliste,

en 1942 par le biais du « bon » coup d'État d'Amézaga, correspond une nouvelle phase dans

l'historicité politique du pays. Cette période est marquée par deux changements de systèmes

politiques, fruit d'accords et de désaccords entre les deux grands partis, et tour à tour le CNA puis la

figure du président vont être supprimés de l'exécutif. En 1952, le système uruguayen adopte en

effet un système de représentation, le Conseil National de Gouvernement (CNG), inspiré du modèle

Suisse et prévoyant la collégialité et la présidence tournante du gouvernement. Ce système est à la

base de l'adoption de réflexes consensuels par le biais de mécanismes transversaux de collaboration

entre gouvernement et opposition, et le compromis d'une parti de celle-ci à collaborer avec le

gouvernement. De par sa composition, le CNG impose que majorité (six membres) et opposition (3

membres) travaillent ensemble au sein du gouvernement et à l'assemblée.

1 De manière formelle, le bipartisme précède le système électoral, puisque ceux-ci apparaissent quasiment dès

l'indépendance du pays, cependant la démocratisation et l'accès à la polyarchie ne seront réellement effectives qu’en

1918, soit huit ans après l'établissement du principe électoral de Double Vote Simultané (1910). 2 Comme le montre Buquet, pour les élections législatives il s'agit plutôt d'un « triple vote simultané », chaque fraction

de parti pouvant ainsi présenter plusieurs candidats répartis en différentes listes. Voir BUQUET, D., « El doble voto

simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 317-339. 3 Exemple théorique de fonctionnement du DVS : Parti X: 48%, candidat a) 15%, candidat b) 20%, candidat c) 13%/

Parti Y: 42%, candidat a) 30%, candidat b) 12% ; résultat : est élu le candidat b du parti X.

138

Néanmoins l'abandon définitif du pouvoir exécutif collégial en 19671, et l'incapacité marquée

des deux partis à juguler la crise du modèle social va conduire à une distanciation progressive de la

société uruguayenne avec ses partis traditionnels et la politique dans son ensemble; et conduire à

l'apparition du mouvement « foquiste » Tupamaro, ainsi qu’à la structuration des « partis d'idées »

autour d'un front de gauche coalisé, le Frente Amplio. Cette combinaison d'événements conduit à

une polarisation dramatique -certes déséquilibrée- de la politique et de la société uruguayenne et

débouche sur le coup d'État de 1973, qui met fin à cette période de 30 ans2.

b. La formation de la compétition polit ique chilienne

Le système de partis chilien a connu davantage d’évolutions et de changements en termes

d’acteurs et d’organisation politique du système. Ainsi, le Chili a connu une période relativement

courte de troubles postindépendance, en comparaison avec les autres pays de la région. L’absence

d’alternative ou d’opposition contestant la domination du « centre » capitalien, a fait que la

compétition politique s’est structuré et « cristallisé » autour de deux partis antagonistes. Le système

de partis devient rapidement multipartite, et se trouve marqué par la présence d’un « parti du

centre » particulièrement fort, incarné dans un premier temps par les libéraux, puis les radicaux et

enfin, depuis les années 1950 jusque 1970, la démocratie chrétienne3. De manière comparable à la

démocratie uruguayenne, les partis ont constitué la « colonne vertébrale » de la société chilienne4.

Le caractère multipartite du système de parti chilien s’est structuré originellement dans une

forme oligarchique et excluante, avant que l’accession au suffrage universel ne conduise à

l’apparition et au développement de partis ouvriers, transformant le système de partis en un système

« ouvert » et compétitif, avec des partis exerçant leur fonction de représentation des différents

secteurs et classes de la société5. A l’inverse de la plupart des pays de la région, le système de partis

chilien n’a pas laissé de place à la formation d’un parti d’Etat ou d’un parti de l’Etat. Parallèlement,

et contrairement au cas uruguayen, le système de partis chilien se crée dans un climat institutionnel

où l’Église -et dans une moindre mesure l’armée- dispose d’un prestige et d’un pouvoir

1 Au profit d’une configuration présidentielle personnelle, plus classique.

2 Renée Fregosi avance ainsi que c’est l’émergence du Frente Amplio qui, en bouleversant l’ordre bipartite en vigueur

jusqu’alors, aurait été la principale cause de l’autogolpe civico-militaire du président Juan María Bordaberry, en juin

1973. En effet, l’auteure montre que l’argument de la menace interne, en 1973, n’était plus valide puisque le

mouvement Tupamaro avait été évincé dès 1962. Voir FREGOSI R., « La déconstruction du bipartisme en Argentine,

au Paraguay et en Uruguay » in BLANQUER, J.M., et al., Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des

Amériques, Paris 2003, pp. 127- 136. 3 SCULLY, T., Los partidos de centro y la evolución política chilena, Cieplán, Santiago, 1992.

4 GARRETON, M.A., Reconstruir la Política: Transiciones y consolidación democrática en Chile, Editorial Andante,

Santiago, 1987. 5 BOENINGER, E., Políticas Publicas en Democracia, Cieplan, Santiago, 2008.

139

particulièrement lié au fonctionnement de l’État1. Une des caractéristiques organiques de ce

système est la centralité du caractère courantiste et idéologique des partis et sa dimension

universalisante. La compétition politique au Chili est, en effet, traditionnellement orientée et

structurée sur des bases idéologiques et programmatiques2. Or cette formation originelle du système

de partis, ordonnée de manière bipolaire (entendu autour d’un centre fort) à tendance polarisante, a

conduit, à certaines reprises, à une polarisation de fait de tout le système, dont les deux grandes

ruptures sont la courte guerre civile de janvier à août 1891 et surtout le coup d’État de 19733. Pour

autant il est difficile de parler de « cycles d’instabilité », tant le régime démocratique est demeuré

stable4 du fait, entre autres, de la culture institutionnelle du pays.

Notons que malgré cette culture institutionnelle de la société chilienne, le système politique a

connu trois types d’impulsion depuis le XIXe siècle, à savoir une série de changements profonds de

gouvernance et une tendance à la stabilité sur le long terme5. Changements, puisque le système

politique a connu trois alternances de régime politique. En effet, le système présidentiel en place

jusque la présidence de Balmaceda, bien qu’inspiré du modèle nord-américain, fut un système

hégémoniquement présidentiel et dominé par trois partis : le Parti conservateur, le Parti libéral et le

Parti radical, organisés autour d’une compétition politique dont la ligne de démarcation tournait

autour du débat sur l’autonomie de l’Eglise Catholique vis-à-vis de l’Etat. Le Parti libéral était pr

ailleurs l’acteur central du système jusque 1891.

Par la suite, un changement à 180 degrés s’est opéré lorsque le Congrès, institution ayant

conduit et gagné la guerre civile de 1891, s’est mis à dominer la sphère politique chilienne. Le Chili

est d’ailleurs régulièrement présenté comme le seul pays de la région a avoir connu un régime

parlementaire6. L’interprétation informelle de la Constitution établissait que l’exécutif devait

compter avec une majorité parlementaire, pour éviter ainsi toute confrontation entre les différentes

branches du pouvoir. C’est d’ailleurs à cette époque que s’installe la compétition multipartisane, et

le recours massif aux alliances partisanes. Ce système couplé à une loi électorale « accumulative »,

favorisait la formation de coalitions électorales et législatives qui dominaient l’exécutif. Toutefois,

1 VALENZUELA, S., “Orígenes y transformaciones del sistemade partidos en chile”, in Revista de Estudios Políticos,

Vol. 58, 1995, pp. 5-80. 2 Voir infra chapitre 3.

3 MOULIAN, T., « El sistema de partidos en Chile », in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El asedio a la

política, Homo Sapiens – Konrad Adenauer, Rosário, 2003, pp. 241-257. 4 Le pays compte notamment une « culture démocratique » pratiquement aussi stable et longue que celle de la plupart

des démocraties « consolidées » d’Europe, dont la France. 5 ALCANTARA, M., « Chile », in ALCANTARA, M., Sistemas políticos de América Latina, Tecnos, Madrid, 2003,

pp. 141-194. 6 Même si dans les faits, la constitution de 1833 n’a pas été altérée, mais plutôt réinterprétée. Une chose est sûre, les

prérogatives du président, entre 1891 et 1925 ont été particulièrement affectées et remises entre les mains du ministre

de l’intérieur, lequel officiait de « premier ministre ».

140

les partis ne fonctionnaient jusque dans les années 1920, que comme des courants de pensée, où les

législateurs opéraient de manière relativement autonome, sans attachement électoral fort1.

En 1925, face à l’apathie du système parlementarisé, le Chili connaît une nouvelle interruption

démocratique éclaire, visant à rétablir le caractère présidentiel du système politique, et adoptant une

nouvelle constitution. Cette configuration a été marquée, notamment, par l’accession au droit de

vote universel masculin et conséquemment l’apparition des partis d’idéologie, essentiellement

« ouvriers » et urbains. C’est à cette période que se « structure » et s’institutionnalise le système de

partis sur une base tripolaire (droite, centre, gauche), où le parti du centre (le Parti Radical jusque

1958), vient occuper un rôle majeur, aussi bien dans le débat idéologique que comme « faiseur de

président »2. C’est également là que se structure la démocratie de partis au niveau urbain, puis dans

les années 1950 à l’ensemble du territoire avec l’accession de la Démocratie chrétienne comme

parti de centre alternatif, d’orientation progressiste inspirée notamment par les thèses sur la

« nouvelle chrétienté » de Jacques Maritain et avec une base électorale conformée par les

travailleurs ruraux. Cette nouvelle configuration couplée à une posture intransigeante et non

collaborative (« camino propio »), va conduire à tendre encore plus le système partisan chilien.

L’élection de Salvador Allende, en 1970, vient polariser à la fois le système de partis et la société

chilienne, en raison de l’augmentation des relations conflictuelles avec l’opposition et surtout avec

d’autres organes institutionnels politiques non partisans (l’Eglise et l’armée). Le contexte

international aidant, sans oublier l’intervention extérieure des Etats-Unis et la pression des

mouvements de gauche révolutionnaire à la gauche d’Allende, la traditionnelle tendance polarisante

du système de partis chilien, a atteint un point de non retour en 1973.

c. La lente structuration des partis en Argentine

Le cas argentin est relativement différent des deux précédents en ce sens que les partis n’ont

joué qu’un rôle alternatif dans la conduction de l’Etat jusque 1983, conduisant à une

institutionnalisation incomplète du système de partis et de la pratique démocratique, ainsi qu’en

alimentant une relation conflictuelle entre les partis eux-mêmes et les autres corps institutionnels.

En effet, malgré l’adoption d’une constitution en 18533, le pays a vibré pratiquement tout au long

du XIXe siècle, de l’indépendance en 1810 à la fédéralisation de Buenos Aires en 1880, au gré de

1 Ce type de configuration, serait à mi-chemin, entre le premier degré de représentation ( le parlementarisme) et le

second (la démocratie de partis), tel que décrit par Bernard Manin. MANIN, B., Principes du Gouvernement

Représentatif, Flammarion, Paris, 1996 [1995], pp. 247-303. 2 ADLER LOMITZ, L., et MELNICK, A., La cultura politica chilena y los partidos de centro, Fondo de Cultura

Economica, Santiago, 1998; SCULLY, T., op. cit. 3 Constitution qui malgré quelques retouches est toujours en vigueur aujourd’hui, ce qui en fait la seconde constitution

la plus ancienne du monde, après la constitution Etatsunienne.

141

soulèvements armés et conflits opposants fédéralistes et centralisateurs, et expansion territoriale. A

partir de cette date, la politique Argentine se stabilise et s’organise autour du Partido Autonomista

Nacional (PAN), organe politique de ce qui est appelé « l’ordre oligarchique ». La structuration et

le positionnement de ce parti, qui en fin de compte n’est autre qu’un club de notables ou caudillos

plus ou moins éclairés1 et composé de nombreuses fractions internes, est un paradigme de la

conception partisane argentine d’incarnation et d’aspiration nationale2. Le parti représente la nation,

la nation et le parti ne faisant qu’un. Ainsi, le président Juárez Celman avance lors du discours

d’inauguration parlementaire en 1889 : « Il n’y a d’autre parti que le Partido Autonomista

Nacional, auquel appartiennent les majorités parlementaires et tous les gouvernements de la

Nation et de ses Etats ».

L’ordre oligarchique s’est maintenu pendant plus de trois décennies, mais la pression montante

pour davantage de représentativité et l’incorporation du contingent d’immigrés comme citoyens

argentins, a conduit à ce qu’explosent de nombreux mouvements violents de contestation, en 1890,

1893, 1905 et 1912. Tous furent réprimés durement, mais cela a entraîné l’apparition et la

structuration d’un mouvement politique alternatif, se réclamant révolutionnaire3, anti-système, et

originellement anti-personnaliste : l’Unión Cívica Radical (UCR). C’est la loi Saenz Peña

instaurant le vote universel masculin, en 1912, qui ouvre la voie quatre ans plus tard à l’accession

de l’UCR, dirigée par Hipólito Yrigoyen, à la présidence et la désintégration du PAN, de l’ordre

oligarchique et de tout mouvement conservateur structuré. Dès lors, l’absence volontaire de

programme et d’idéologie, le caractère mouvementiste de l’UCR, la forme de leadership du

président Yrigoyen et l’absence d’opposition organisée ont caractérisé le positionnement

représentatif et organisationnel de l’UCR. Ainsi, le radicalisme se pose comme le représentant du

tout, c’est-à-dire comme le représentant de la nation argentine, confondant la cause avec la Nation,

avec un discours manichéen où les « ennemis » de la cause seraient par définition les ennemis du

régime et de la nation argentine4.

1 CORNBLIT, O., GALLO, E., et O’CONNELL, A., “La generación del 80 y su proyecto: antecedentes y

consecuencias”, in Desarrollo Económico, Vol. 1, No. 4, 1962, pp. 5-46; BOTANA, N., El orden conservador. La

política Argentina entre 1880 y 1916, Sudamericana, Buenos Aires, 1994 [1977]; ALONSO, P.,“La política nacional

entre 1880 y 1886 a través del Partido Autonomista Nacional”, Documento de Trabajo Universidad San Andrés, No.

26, 2002. 2 PUIGGROS, R., Historia crítica de los partidos políticos argentinos, Hyspamérica, Buenos Aires, 1986.

3 Comme principal mouvement organisateur et artificier de ces soulèvements populaires, dont le plus emblématique est

la “Révolution du parque” en juillet 1890. 4 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo

Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, pp. 659-682; DI TELLA, T., Los partidos politicos, A-Z Editora, Buenos Aires,

1998; ROCK, D., Politics in Argentina. 1890-1930: The rise and fall of radicalism, Cambridge University Press, 1975;

MUSTAPIC, A. M., “Conflictos institucionales durante el primer gobierno radical: 1916-1922”, in Desarrollo

Económico, Vol. 24, No. 93, 1984, pp. 85-108.

142

Les trois élections de suite, remportées par l’UCR, constituent la première expérience

démocratique du pays, mais cette étape sera interrompue en 1930 par le premier d’une longue liste

de coups d’Etat. Ainsi, ce qui avait fait la force de l’UCR face au régime oligarchique, constitue

également sa faiblesse. Sa dépendance à l’Etat, son incarnation de la Nation et l’atomisation

politique de l’opposition conservatrice, à l’inverse de ce qui s’est passé à pareille époque au Chili et

en Uruguay, replace les militaires comme acteurs centraux de l’histoire politique argentine

moderne1. De plus, le caractère mouvementiste et l’absence d’une plateforme programmatique

claire conduisent à la fractionnalisation de l’UCR, affaiblissant l’influence de celle-ci face aux

militaires.

L’apparition du péronisme, des suites d’un nouveau coup d’État en 1943, et sa propulsion

électorale en 1946, ne rééquilibre pas la sphère politique argentine. En effet, le Parti Justicialiste

qui s’appui sur le monde ouvrier et sur une fraction sécessionniste de radicaux, reprend et pousse à

l’extrême les caractéristiques mouvementistes de l’UCR2, avec une dimension personnaliste et

charismatique accrue. Cette dernière, pour se différencier du PJ, se dote alors pour la première fois

d’un programme. Mais l’expérience tourne court, puisqu’en 1955, un nouveau coup d’Etat

interrompt la structuration de la démocratie argentine. Celle-ci connaît alors des phases de

démocratie « protégée » où, si les fractions radicales gagnent les élections par deux fois et

gouvernent, ce n’est que parce que le PJ est privé de toute compétition politique et toute exercice de

représentation, son leader se trouvant en Espagne. Ces deux gouvernements sont tour à tour demis

par de nouveaux coups d’Etat. En pratique, entre 1930 et 1976 aucun gouvernement

démocratiquement élu n’est parvenu à terminer son mandat. La restauration de 1973, qui prévoyait

la réintroduction du PJ à la compétition politique, la victoire de celui-ci et le retour de Perón, ne

dure finalement qu’un an et demi, puisque dès la mort en fonction de Perón, l’instabilité et la

violence politique ressurgissent et débouchent sur un nouveau coup d’Etat en 1976, qui met en

évidence la fragilité des partis argentin dans leur capacité à canaliser les mouvements sociaux3.

Ainsi, la forte polarisation de la politique argentine, son fort degré de conflictualité, l’absence de

cohésion interne aux partis et surtout leur organisation et position excluante, ont conduit à une

politisation aiguë de la part d’institutions extra-partisanes, dont les forces armées vont être le

principal acteur. La litanie de coup d’Etats et de restauration sous conditions ont conduit à ce que

1 ROUQUIE, A., Pouvoir militaire et societe politique en republique Argentine, Fondation Nationale des Sciences

Politiques, Paris, 1978. De fait, le coup d’Etat de 1930 qui ouvre une période de dix ans appellée « la restauration

conservatrice », marque une poussée des éléments réactionnaires d’ancien régime. 2 MUSTAPIC, A., “Del partido peronista al partido justicialista. Las transformaciones de un partido carismático”, in

CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp. 137-162; BOTANA, N., Poder y Hegemonía, Emecé, Buenos

Aires, 2006. 3 DE RIZ, L., op. cit

143

les principaux partis –l’UCR et le PJ- ne parviennent à se structurer ni à s’institutionnaliser du fait

de l’absence de construction des repères politiques durables autres que ceux de leurs contextes

d’origine respectifs1. D’ailleurs, les seuls moments où le bipartisme argentin s’est exprimé et

organisé de manière polyarchique ce fut lors des élections de 1946 et de 1973. Pour toutes les

autres élections le PJ a été interdit de se présenter, cette incapacité recevant par à-coups le soutien

de fractions de l’UCR. Or, si les partis ont su survivre à leur fondateur ou à leur personnalité la plus

importante, ils ne se sont pas constitué d’identité programmatique solide, mais plutôt des

« clientèles » plus (PJ) ou moins (UCR) captives et réceptives, le pluralisme étant la règle à

l’intérieur de chacun des partis. De la sorte, le système de parti se cristallise, autour de ces deux

partis non-institutionnalisés et qui n’ont jamais pu rendre de comptes politiques, jusqu’au

recouvrement de la démocratie en 19832.

2.2.2 Partis hégémoniques, partis excluants et partis de la nation

La précédente sous partie vient d’analyser les conditions d’origines propres à la formation et la

structuration des trois systèmes de partis du cône sud jusqu’aux coups d’État des années 1970, leurs

stabilités respectives et leur cultures relationnelles internes (entre les différents partis) et externes

(avec les autres institutions). En effet, il s’agit de trois configurations différentes avec un système

bipartite (Uruguay), un système multipartite à tendance polarisante autours de « blocs »

idéologiques (Chili), et un système bipartite non consolidé (Argentine). Nous avons également

esquissé quelques tendances d’organisation qui vont au-delà du simple « comptage » des partis.

Ainsi, dans les cas argentin et uruguayen nous avons observé une tendance à la superposition des

intérêts d’un parti avec ceux de l’État, et la création d’appareils partisan de et depuis l’État,

particulièrement en Argentine. Au Chili nous avons vu plutôt l’exacerbation du centre comme

pierre angulaire de la compétition partisane.

Bien que présentant une configuration bipartite semblable à la quasi totalité de l'Amérique latine

du début du XXe siècle, le pluralisme en Uruguay, se présente de manière très éclaté à l'intérieur

même des partis politiques, comme conséquence du système électoral de double vote simultané

(DVS) et présentant une forme de « fractionnalisation organisée »3. Ainsi, le centre de gravité des

1 ABAL MEDINA, J., et SUAREZ CAO, J., “La competencia partidária em La Argentina: Sus implicancias sobre el

régmen democratico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp.163-185. 2 LEIRAS, M., “Organización partidaria y democracia: tres tesis de los estudios comparativos y su aplicación a los

partidos en la Argentina”, in Revista SAAP, Vol. 1, No. 3, 2004, pp. 515-560; DE RIZ, “La Argentina de Alfonsín: La

renovación de los partidos y el parlamento”, in Documentos CEDES, No. 19, 1989 3 ALCÁNTARA, M., “Uruguay”, in ALCÁNTARA, M., 2003, op. cit.

144

partis politiques, tourne autour de la relation entre ces mêmes fractions institutionnalisées -appelées

sublemas1- formés autour de courants idéologiques et/ou de logiques de fidélité de type clientélaire

auprès d’un caudillo. Mais contrairement à ce que certains politistes ont pu théoriser, ces fractions

internes sont le résultat et la conséquence du fort degré d'institutionnalisation du système de partis2.

L’apparition fugace de partis tiers, jusqu’en 1971, n’est le fait que de la scission de quelques lemas

blancos ou colorados avec leur parti d’origine, et ne représente que des événements ponctuels.

Toutefois, de 1918 jusque 1958, en excluant les courtes interruptions démocratiques de 1933 et

1942, le Partido Colorado fort de l'héritage de Batlle y Ordóñez s'érige comme le principal parti de

la scène politique uruguayenne en remportant toutes les élections. Certains associent ainsi le parti à

l’État, d’où il tire son capital économique et sa capacité clientélaire3. Pour autant, cette

configuration politique ne correspond pas à la situation de « parti prédominant » décrite par

Giovanni Sartori4. En effet pour être considéré ainsi, un système de parti doit présenter: a) un

système de parti prédominant et hégémonique, b) aucune alternance dans la représentation politique

(notamment parmi les élites politiques) et c) une très faible voire pas de compétition politique5.

Mais, comme le soulignent Gerardo Caetano et José Rilla, et Jorge Lanzaro6, la disposition

bicéphale puis collégiale du pouvoir exécutif de 1918 à 1933 et de 1952 à 1967, et la nécessité

constitutionnelle de formation de co-gouvernements polyarchique et collégiaux7, ont fait que ni le

PC ne puisse gouverner de manière hégémonique, ni le PN ne soit écarté du pouvoir. Pour autant la

première véritable alternative gouvernementale de l'histoire démocratique du pays, a lieu en 1958

avec la victoire du PN aux élections générales. Par la suite et jusque 1973, la compétition électorale

s'intensifie, les deux partis se partageant équitablement le pouvoir. Le caractère fractionnalisé des

1 Les sublemas constituent des subdivisions des partis, institutionnalisés et semi-autonomes, ayant parfois joué un rôle

de défiance au parti (généralement quand celui-ci était au pouvoir), ou même en sortant du parti pour en former ou en

rejoindre un autre (exemple notable de l'Encuentro Progresista récemment, comme lema sorti du PN et parti rejoindre le

FA). Ainsi il est important de bien distinguer ces lemas, ou fractions, considérés de manière indistincte et comme

synonymes, plutôt que courants ou factions nettement moins structurés. Pour une distinction voir ROSE, "Parties,

Factions and Tendencies in Britain", in Political Studies, Vol. 12, No. 1, 1964, pp. 33-46 ; et SARTORI, G., op. cit. 2 Daniel Buquet montre que les divisions internes des sublemas se sont traditionnellement articulées autour de deux

blocs, au sein de chaque parti, répondant grosso modo à l'opposition progressistes/ conservateurs. BUQUET, D.,

«Elecciones uruguayas 2004: el largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana Nordic Journal of

Latin American and Caribbean Studies, Vol. 34, No.1-2, 2004, pp. 65-95. 3 Voir MOREIRA, C., Final de juego, Trilce, Montvideo, 2004. De plus, dans un entretien réalisé avec le prosecrétaire

au patrimoine historique du Partido Colorado (Prosecretario del Acervo Histórico del Partido Colorado), Ernesto

Castellano le 1er

juillet 2011, celui-ci avance que « en Uruguay il y avait traditionnellement un parti : le Partido

Nacional. Le Partido Colorado correspondant à l’Etat ». 4 Sartori lui-même décrit le système uruguayen pré 1973 comme de parti dominant. Voir SARTORI, G., op. cit.

5 A l'image du système Mexicain en vigueur jusqu'à l'élection de Vicente Fox au début des années 2000.

6 CAETANO, G., et RILLA, J., “Relaciones interpartidarias y gobierno en el Uruguay (1942-1973)”, in Revista

Uruguaya de Ciencia Política, n°8, 1995, pp. 15-34; et LANZARO, J., “Uruguay: las alternativas de un

presidencialismo pluralista”, in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina,

CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 283- 317. 7 LIJPHART, A., Democracies. Yale University Press: New Heaven, 1984.

145

partis est à prendre en compte. En effet, comme le souligne Luis González, l’étape postérieure à

1942, connue comme la seconde polyarchie uruguayenne1, est marquée par une intensification de la

compétition politique entre les partis et à l’intérieur de ceux-ci2. Avec l'accession des femmes au

droit de vote (1938), les deux grands partis ont connu un élargissement de leurs bases et une

atomisation interne. Cela a conduit notamment à la première alternance blanca en près de cent ans

de gouvernements dominés par les colorados. Puis entre 1958 et 1973 les deux grands partis se

partagent le pouvoir de manière équitable. Enfin, il est à noter, que depuis cette date et jusque 1999,

jamais la même fraction n'a été reconduite au pouvoir.

Bien que le Partido Colorado ait bénéficié depuis 1918 de la plupart des prébendes de l’Etat, les

logiques interpartisanes ont consisté en l'ouverture systématique vers les fractions du Partido

National, même si ces « ouvertures » politiques ne soient pas toujours politiquement nécessaires3.

Cette logique s’applique à toutes les sphères de l'État, depuis les collectivités locales jusqu'au

gouvernement central en passant par les entreprises publiques. En effet les partis ayant depuis le

début du XXe siècle intégré toutes les structures politiques et économiques, cette « colonisation »4

des appareils socio-économiques d'État s'intensifie au cours des années 1950, comme une

« cartellisation » ou corporatisation de la part des deux grands partis de maintenir leur caractère

central auprès de la société uruguayenne, alors que le modèle économique de substitution

d'importations entrait en crise. Cette période marque ainsi le début de la métamorphose des partis

uruguayens qui sera reproduite au cours des années 19905.

*

Le caractère hégémonique des partis argentins s’est manifesté et exprimé de manière beaucoup

plus radicale. En effet, nous avons remarqué précédemment leur caractère confrontationnel et

excluant. La politique argentine s’est construite depuis sa relation à l’Etat, et à l’accession à ses

prébendes, celui-ci constitue ainsi un espace privilégié et unique de médiation générant une grande

1 CAETANO, G., et RILLA, J., Historia contemporánea del Uruguay: De la Colonia al Mercosur, CLAEH/Fin de

Siglo, Montevideo, 1994; CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay…”.op. cit. 2 Les colorados ont toutefois obtenu entre 1942 et 1958 un nombre répété de majorités parlementaires de suite.

3 Ainsi, le PC, bien que majoritaire de 1942 à 1958 à constamment eu recours à l'ouverture avec des fractions proches

du PN. 4 LUNA, J.P, et ALEGRE, P., “¿Un callejón sin salida? Trayectorias políticas y alternativas de reforma en Uruguay”,

in Prisma, n°21, 2005, pp. 195-212 5 YAFFE, J., “Institucionalización y adaptación partidaria. El caso del Frente Amplio (Uruguay)”, communication

présentée lors du XII congrès de latinoaméricanistes espagnols “Viejas y nuevas alianzas entre América Latina y

España”, Septembre 2006. Pour le concept de cartellisation ou « parti cartel » voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing

models party organization and party democracy: The emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1,

1995, pp. 5-28, ainsi que l'ouvrage compilé par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A., Les systèmes de partis dans les

démocraties occidentales: Le modèle de parti-cartel en question, Les Presses de Sciences-Po, Paris, 2008

146

dépendance des mouvements et partis politiques1. La conquête du pouvoir n’est pas un but mais

une nécessité, d’où l’accession par tous les moyens aux prébendes de l’Etat2 en adoptant un

discours et une « identité hégémonique »3, consistant en une négation des autres forces politiques,

partisanes ou non. D’aucuns définiront ainsi le système de parti argentin comme « système à double

parti avec intention dominante 4», en raison de la structuration mouvante et personnaliste des partis,

propre à leur nature originelle. Ainsi, l’absence d’une idéologie et d’une clientèle politique propre,

est le fruit d’une faible institutionnalisation volontaire de la part des deux partis (l’UCR et le PJ),

dérivé de leur stratégie de désintermédiation avec la société Argentine.

Nous avons également noté la difficulté de parler d’un système de parti consolidé ou structuré.

Si certains avancent volontiers l’absence de système partisan dans l’Argentine pré-Alfonsín5, nous

allons plutôt dans le sens de Marcelo Cavarozzi qui défend que la faiblesse des partis ne signifie

pas l’absence de partis, ni l’absence de système de partis6. Ainsi, le système partisan argentin

depuis la chute de l’ordre oligarchique (1916) et surtout depuis l’émergence du PJ, repose sur une

culture politique telle que la conçoit Carl Schmitt, comme une confrontation constante avec

l’adversaire, lequel est hissé comme « ennemi » à éliminer. Cette culture politique conditionne les

relations entre les différents acteurs politiques, et limite de fait, de fait de sa polarisation,

l’accession de nouveaux acteurs. D’ailleurs si les partis sont organisés en mouvements

particulièrement hétérogènes7, la compétition à lieu à l’intérieur des partis plutôt qu’entre eux.

Cette absence de culture collaborative propre à l’ensemble du système partisan argentin8 et la

relation à l’Etat qui extrapole l’identification politique de l’électorat argentin par-dessus sa propre

auto-identification sociale, débouche sur des pratiques hégémoniques9. Si l’UCR s’organise et

1 LORENC VALCARCE, F., La crisis de la política en la Argentina, Fundación Octubre/ Ediciones de la Flor, Buenos

Aires, 1998. 2 McGUIRE, J., « Partidos políticos y democracia en la Argentina », in MAINWARING, S., et SCULLY, T., op. cit.,

pp. 163-201. 3 LACLAU, E., On Populist Reason, Verso, Londres/ New York, 2005.

4 GROSSI, M., et GRITTI, R., “Los partidos frente a una democracia difícil. La evolución del sistema partidario en la

Argentina”, in Crítica y Utopía, Nº 18, 1989. 5 GROSSI, M., et GRITTI, R , ibid ; DE RIZ, L., op. cit ; O’DONNELL, G., Modernización y autoritarismo, Paidós,

Buenos Aires, 1972. 6 CAVAROZZI, M., “El esquema partidario argentino: partidos viejos, sistema débil”, in CAVAROZZI, M., et

GARRETÓN, M., Muerte y resurrección… op. cit, pp. 299- 334. 7 L’UCR, particulièrement, est marqué par la division personnalistes (Yrigoyennistes)/ anti-personnalistes

(Alvearistes) ; puis Intransigeants (Balbinistes)/ Conciliants (Frondizzistes) vis-à-vis du PJ. Le PJ, jusque 1974 se

trouve moins divisé tant que demeure la figure de Perón, mais va dès 1974 et surtout après le retour à la démocratie,

faire montre d’une grande hétérogénéité. 8 María Matilde Ollier souligne en effet que la seule tentative –échouée- de formation de coalition, l’Unión

Democrɢtica, à lieu en 1946, entre l’ensemble des forces non-péronistes (pilotées par l’UCR) sur des bases

essentiellement “négatives”. Cette expérience va être un échec puisque Perón gagne les élections avec 52.4% des voix.

OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Economica, Buenos

Aires, 2001. 9 TOURAINE, A., Les Sociétés dépendantes : essais sur l’Amérique Latine, Duculot, Paris, 1976.

147

s’impose tout d’abord comme parti dominant de la scène politique argentine depuis 1916 jusque

1943, sans réel contrepoids politique, c’est l’avènement du PJ qui radicalise et institutionnalise la

culture hégémonique de la politique argentine. Le PJ en raison de son organisation populiste1

autour de la seule figure de Perón et l’appui constant de la puissante CGT, ce qui la converti de fait

en syndicat de l’Etat, « péronise » le système partisan argentin et la société argentine, en les

cristallisant autour de la dichotomie pro/ anti péroniste2. Le PJ se pose, alors, en référant de la

politique argentine, même lorsqu’il est interdit de participer aux élections de 1955 à 1973.

*

Ceci contraste particulièrement avec le cas chilien où, comme nous l’avons montré, les

principales caractéristiques sont l’absence de partis d’État et surtout une compétition multipartisane

structurée dès les années 1920-1930, qui se base sur la représentation de classes sociales3. Bien que

le système de parti chilien ait pu connaître des cas de polarisation extrême, notons néanmoins la

culture collaborative de ce même système de partis. Ainsi Samuel Valenzuela a montré que, depuis

1891, aucun gouvernement chilien n’a été monopartisan4, le système partisan se structurait alors

autour de « trois tiers » particulièrement équilibrés, représentant les trois « blocs » dominants5. Le

recours à la formation de coalitions constitue ainsi une constante de la culture gouvernementale

chilienne, facilité par le processus d’élection présidentielle où le vainqueur de l’élection se devait

d’être « ratifié » par le parlement6.

Nous avons noté cependant que les partis du centre ont bénéficié d’un rôle politique clef, ainsi

que d’une assise électorale centrale. Contrairement à ce qu’avançait Maurice Duverger, dans le

système partisan chilien considéré comme un système à l’Européenne, le centre y a occupé à la fois

une tendance et une force politique de premier plan. Dans ce cadre c’est tout d’abord le Parti

Radical (PR), originellement une fraction sécessionniste du Parti Libéral, qui occupe cette place

centrale. Il fut le principal parti du pays pendant vingt-neuf ans (1932-1961), avec une moyenne à

1 Pour une défintion claire et structurée du concept de populisme “classique”, voir TAGUIEF, P.A., L’illusion

populiste, Berg, Paris, 2002; TAGUIEF, P.A., « Le populisme et la science politique du mirage conceptuel aux vrais

problèmes », in Vingtièmes Siècle, No. 56, 1997, pp. 4-33 ; et WEYLAND, K., « Clarifying a contested concept:

Populism in the study of latin American politics », in Comparative Politics, Vol. 34, No. 1, 2001, pp. 1-22. 2 DE RIZ, L., op. cit. ; CASTIGLIONI, F., ABAL MEDINA, J., “Transformaciones recientes del sistema de partidos

argentino”, in MANZ, T., et ZUAZO, M., Partidos Politicos y representación en América latina, Nueva Sociedad,

Caracas, 1998, pp. 55-71 3 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the Political Arena, Princeton University Press, 1991.

4 VALENZUELA, S., op. cit.

5 Timothy Scully montre ainsi que chacun des trois « blocs », a toujours regrouppé entre un quart et un tiers des votes.

Voir SCULLY, T., « La Reconstitución de la Política de Partidos en Chile », in MAINWARING, S., et SCULLY, T.,

op. cit., pp. 83- 112. 6 Plus qu’un second tour, il s’agissait surtout d’une sorte d’adoubement ou « vote de confiance » otorgué par le

parlement, et où se dessinaient les alliances de soutien législatif et de formation gouvernementales.

148

20% des voix1, et a été de tous les gouvernements ou toutes les majorités de 1932 à 1964, excepté

le second gouvernement de Carlos Ibáñez del Campo (1952-1958), dans un contexte institutionnel

informel où le président devait recourir à une majorité parlementaire.

Cet élément est central pour comprendre l’évolution « des centres » chiliens. En effet, la culture

consensuelle du PR contribue à ce que celui-ci forme diverses coalitions2, comme parti-charnière -

à l’image des radicaux français sous les IIIe et IVe Républiques-, avec alternativement chacun des

pôles du système de parti. Suivant les circonstances, le PR alterne tour-à-tour les alliances et ses

partenaires : il appuie d’abord législativement conservateurs et libéraux (1932-1938). Il forme

ensuite le « Front Populaire », sous la présidence de Pedro Aguirre Cerda avec le soutien des

socialistes et communistes (1938-1941), puis l’Alliance Démocratique sous la présidence de Juan

Antonio Ríos, incluant pour la première fois dans l’histoire du pays des ministres communistes

(1942-1946). Enfin, il opère un virage à 180°, sous le président radical Gabriel Videla (1946-1952)

lorsque celui-ci promulgue, en 1948, la Loi de Défense Permanente de la Démocratie, inhabilitant

et interdisant le Parti communiste pourtant allié électoral, et renoue avec les conservateurs. Après

cette date le parti entre en décadence, et bien qu’il participe à nouveau à un gouvernement avec les

conservateurs et libéraux, sous la présidence de Jorge Alessandri3 (1958-1964), le parti se divise

rapidement en plusieurs factions qui s’éparpillent vers les différents pôles politiques. Le parti perd

alors sa position centrale au profit de la Démocratie Chrétienne (DC).

L’origine de celle-ci, est le fruit de la scission de deux fractions « progressistes » du Parti

Conservateur (la Phalange Nationale et le Parti Conservateur Social-chrétien). Son ascension est

due à la perte d’influence du Parti Conservateur au sein de l’électorat rural, déplacé par le

populisme tardif de la seconde présidence de Carlos Ibáñez del Campo (1952-1958) et le Parti

Agrarien Travailliste, lequel à son tour va s’effondrer, avec la disparition de son fondateur (Ibáñez

del Campo). Aussi, dès 1es élections parlementaires de 1957, la DC fait match nul avec le Parti

Conservateur, puis en 1958, le candidat démocrate chrétien arrive en troisième position (20,75),

derrière le candidat « indépendant » Jorge Alessandri, et le candidat du Front d’Action Populaire –

Salvador Allende. Le fondement idéologique du PDC, bien que se déclarant parti « non-

confessionnel », se base sur la doctrine sociale de l’Église (ou « socialisme chrétien »), comme

alternative au socialisme marxiste4, et sur la conception du « chemin propre »

5. D’un point de vue

fonctionnel, cela se traduit par une posture intransigeante et hégémonique, où le PDC adopte un

1 URZUA VALENZUELA, G., Historia politica electoral de Chile (1931-1973), Tamarcos-Van, Santiago, 1986.

2 ADLER LOMNITZ, L., et MELNICK, A., op. cit. ; SCULLY, T., 1996, op. cit.

3 Étiquetté « indépendant », bien que comptant avec le soutien formel des partis de droite et du PR.

4 HUNEEUS C., Chile un País dividido: la actualidad del pasado, Ed. Catalonia, Santiago, 2003

5 Que l’on pourrait traduire par « troisième voie ».

149

comportement non-coopératif, refusant catégoriquement de rejoindre d’autres alliances de partis qui

ne soient pas dirigées par lui-même1. Ainsi, jouant du contexte international de guerre froide, de la

menace de contagion de la révolution cubaine sur toute l’Amérique latine et d’un léger effet positif

dû à l’élargissement du suffrage universel aux femmes (dès 1948), le PDC « absorbe » des pans

entiers d’électorats traditionnellement conservateurs ou radicaux, et se pose dès 1963 comme le

principal parti du pays et le seul capable d’empêcher la victoire de Salvador Allende aux élections

de 19642.

Le comportement hégémonique du PDC se matérialise après les élections présidentielles de

1964, où le candidat du parti –Eduardo Frei Montalva-, est élu à la présidence. Bien que ce dernier

ne jouisse pas d’une majorité absolue au parlement, il décide de ne pas former de coalition

gouvernementale, en pariant sur des alliances législatives d’appoint en fonction de l’agenda. Cette

position conduit, ainsi, à un braquement des deux pôles (droite et gauche) vis-à-vis du PDC, malgré

l’adoption de politiques publiques particulièrement progressistes.

Enfin, cette même posture hégémonique se manifeste dans la position ambigüe du PDC, après

l’élection de Salvador Allende (1970-1973), et est marquée par des scissions internes dont la

création du MAPU (Movimiento de Acción Popular Unitaria, 1969) et l’Izquierda Cristiana (1971)

tous deux créant ou rejoignant l’Unidad Popular autour du Parti socialiste de Salvador Allende.

D’ailleurs, le PDC joue initialement un rôle neutre voire favorable au gouvernement Allende3, puis

il décide d’adopter une attitude confrontationnelle et de diriger une coalition électorale avec les

forces de droite4aux élections parlementaires de 1973 –la Confédération Démocratique,

ouvertement anti-Allende-, dans le but d’obtenir une majorité des deux-tiers pour pouvoir penser à

destituer constitutionnellement Allende. Le score de l’élection bien que favorable a la

Confédération Démocratique (54%), s’avère toutefois insuffisant pour ce dessein5. Face à la

polarisation grandissante, la DC abandonne sa position de contention et appuie une intervention

militaire contre le président, jugeant que la tradition institutionnaliste chilienne et l’absence de

culture interventionniste de l’armée conduiraient à un retour démocratique rapide.

1 YOCELEVZKY, R., Chile : partidos politicos, democracia y dictadura 1970-1990, Fondo de Cultura Economica,

Santiago, 2002. 2 VALENZUELA, S., op. cit. Cette absorbtion rapide (moins de 5 ans) va conduire Esteban Montes, Scott Mainwaring,

et Eugenio Ortega à statuer sur cette volatilité de l’électorat chilien, comme preuve d’une institution icomplète du

système de partis chilien. Voir MONTES, E., MAINWARING, S., et ORTEGA, E., “Rethinking the Chilean Party

Systems”, in Journal of Latin American Studies, Vol. 32, No. 3, 2000, pp. 795-824. 3 La DC refusa un « coup législatif » de la part de la droite, consistant en la « non-ratification » du candidat Allende

pourtant arrivé premier lors de l’élection présidentielle de 1970, au profit du candidat démocrate chrétien Radomiro

Tomic, arrivé second. Rappelons que la Constitution de 1925 stipulait qu’une sorte de « vote de confiance

parlementaire » venait ratifié le résultat des élections présidentielles. 4 Conservateurs et Libéraux ayant fusionné pour former le Partido Nacional en 1966.

5 VALENZUELA, S., op. cit.

150

2.2.3. Transition démocratique et impact sur les système s de partis

Nous avons vu les trajectoires politiques et institutionnelles des systèmes de partis de

l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay. Nous nous sommes arrêtés sur les particularités en termes de

culture politique des différents acteurs et la culture gouvernementale en vigueur dans chacun des

partis, de manière rétrospective. Arrêtons-nous, maintenant, sur la nature et le mode de transition

démocratique que ces trois pays ont expérimenté, au cours des années 1980. Nous considérons ainsi

le concept de transition démocratique, d’après la définition classique de la littérature sur les

transitions à la démocratie (communément appelée transitologie), à savoir l’intervalle temporel

entre le passage d’un régime autoritaire vers un régime démocratique1. Dit autrement, il s’agit du

moment où les militaires remettent le pouvoir à un gouvernement civil2. L’analyse centrale consiste

ainsi à établir le contexte et les modalités de remise du pouvoir. Celles-ci peuvent prendre diverses

formes, comme : i) des suites de l’effondrement du régime suite à une révolution pacifique ou

violente3 ; ii) des suites d’une intervention extérieure contre le régime militaire ou après une défaite

militaire du régime4; iii) au travers la tenue d’élections plus ou moins encadrée par le régime.

Nous ne nous arrêtons pas, pour l’heure, sur l’ensemble du processus historique de transition

(nous le ferons au prochain chapitre), mais plutôt sur la forme de la transition et son encadrement.

Nous soulignons ainsi que les trois pays ont expérimenté trois types de transitions distinctes,

lesquelles ont eu un impact direct sur les alignements et réalignements partisans et sur la

(re)structuration de la compétition partisane. Dans cette perspective, les transitions uruguayenne et

chilienne suivent un patron commun, bien que relativement distinct, en ce sens que la transition

s’est voulue constitutionnelle. En effet, avec l’adoption de la nouvelle Constitution de 1980, la

junte militaire chilienne a inscrit constitutionnellement le processus de transition de régime, sur huit

ans via la tenue d’un référendum révocateur du régime qui stipule qu’en cas de rejet la tenue

d’élections présidentielles et parlementaires se tiendraient l’année suivante ; à l’inverse en cas de

1 O'DONNELL, G., SCHMITTER, P., et WHITEHEAD L., Transiciones desde un gobierno autoritario, Paidós,

Buenos-Aires, 1988 [1986]. Le concept de « transition démocratique » est une des composantes de la notion de

transition à la démocratie qui suppose d’autres étapes notamment une libéralisation, démocratisation, et une

consolidation démocratique. Voir entre autre LINZ, J.J., "Transiciones a la democracia", in REIS, No. 51, 1990. Cette

littérature recevant un accueil critique en France. Voir entre autres DOBRY, M., « Les voies incertaines de la

transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », in Revue

Française de Science Politique, Vol. 50, No. 4-5, 2000, pp. 585-614 ; et DOBRY, M., et MOREL, L., Les transitions

démocratiques: regards sur l'état de la "transitologie", Presses de Sciences-po, Paris, 2000. 2 Certains auturs soulignent toutefois que ce concept ne précise pas quand termine la phase de transition. Voir par

exemple HUNEEUS, C., "La transición ha terminado”, in Revista de Ciencia Política, Santiago, Vol. 16, No. 1-2,

1994, pp. 33-40. 3 Comme la révolution des oeuillets au Portugal en 1974, ou plus récemment les « printemps arabes ».

4 Le cas Irakien en est l’exemple paradigmatique

151

soutien au régime, le président de la République se verrait maintenu huit années de plus, jusqu’en

1996. Cette transition prévue constitutionnellement, opère donc comme une « contrainte »1 majeure

pour les différentes forces politiques, les incitant ainsi à accepter le jeu et à s’organiser dans ce but.

Cette contrainte conduit notamment à la création de mouvements et partis « héritiers » du régime2.

Bien que les règles du jeux aient été acceptées par la plupart des partis3, l’absence de « pacte » à

proprement parler et de négociation sur l’organisation de la transition, ainsi que l’existence de

nombreuses « enclaves autoritaires » fortes, nous laisse conclure que la transition chilienne a été

une transition encadrée et protégée par les militaires, plutôt qu’une « transition pactée », à

l’espagnole, comme le présentent la plupart des auteurs4.

En Uruguay, la transition à la démocratie s’est effectuée de manière plus rapide. Inspirés par le

précédent chilien, les militaires Uruguayens ont cherché à faire adopter par référendum une

nouvelle Constitution qui prévoyait les lois d’amnistie ainsi qu’un calendrier –plus court- pour la

remise de pouvoir aux civils. Le rejet électoral de la part de la société uruguayenne5, en 1980, a

contraint les militaires à remettre des civils au pouvoir -et relancer par-là, la prédominance des

partis- sur le devant de la scène ; jusqu’aux accords du Club Naval où l’ensemble des partis

politiques -dont le Frente Amplio-, ont négocié les conditions du retour à la démocratie. La

transition démocratique uruguayenne s’est donc opérée de manière consensuelle, dans la tradition

politique du pays, malgré quelques éléments autoritaires6.

Enfin la transition démocratique argentine fut un processus dans l’urgence, où la perte de

légitimité des militaires au sortir de la défaite de la guerre des Malouines, contre la Grande

Bretagne, et un contexte interne marqué par une situation économique délicate ont conduit à ce que

les militaires remettent précipitamment le pouvoirs aux civils, au travers de l’organisation hâtive

d’élections, après avoir pris le soin d’adopter des lois d’amnisties. Ainsi, le régime n’a pu ni

1 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., op. cit

2 La Unión Democrática Independiente (UDI), dont le fondateur est Jaime Guzmán, idéologue de la dictature, se

reconnaît ouvertement jusqu’en 1999 comme héritière du régime de Pinochet. Renovación Nacional (RN) bien qu’allié

politique et électoral à l’UDI, constitue plutôt une refonte du parti de droite, Partido Nacional, d’avant 1973. 3 Seuls le Parti Communiste, les mouvements d’extrême gauche (MIR, FPMR) et quelques mouvances (divisées) du

parti socialiste se sont opposés à « jouer le jeu des militaires », et sont restés dans la clandestinité. Voir MOULIÁN, T.,

Chile Actual, Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002 [1997], CAÑAS KIRBY, E., Proceso Político en Chile.

1973-1990, Editorial Andrés Bello, 1997; GARRETÓN, M.A., “Política, cultura y sociedad en la transición

democrática”, in Nueva Sociedad, No.114, 1991, pp. 43-49. 4 BRUNNER, J.J., “Chile: claves de una transición pactada”, in Nueva Sociedad, No.106, 1990, pp. 6-12; GODOY

ARCAYA, O., “La transición chilena a la democracia: pactada”, in Estudios Públicos, No. 74, 1999, pp. 79-106. 5 Les lois d’amnisties étant conservées et ratifiées lors du référendum de 1989.

6 Le représentant du Partido Nacional, Wilson Ferreira Aldunate, n’était toutefois pas présent lors de ces accords, en

exil à Buenos Aires, car proscrit par les militaires. Voir GUILLEPSIE, C. G., Negotiating democracy politicians and

generals in Uruguay, Cambridge University Press, 1991.

152

programmer une sortie contrôlée, ni créer de parti héritier1. Surtout, l’absence de période de

négociation entre les acteurs politiques a fait que cette transition forcée n’a pas nécessité de

rapprochement entre les partis. Ceux-ci maintenant la plupart de leurs cadres et leur culture

politique propre2.

En résumé, les éléments qui ont conduits au recouvrement de la démocratie sont assez différents

dans les trois pays. Celle-ci est marquée tantôt par l’émergence de certains acteurs nouveaux et de

nouveaux rapprochements (Chili) ; le replacement et le renforcement des acteurs légitimes

précédents le régime autoritaire et suivant les mêmes schémas organisationnels et relationnels

(Uruguay) ; ou le replacement des acteurs légitimes en place à l’époque précédent le régime

autoritaire, face au fait accompli sans que ceux-ci n’aient pu effectuer de rénovation interne

(Argentine).

2.2.4. La « renaissance » des partis et l’évolution des systèmes de partis

Nos trois cas d’études qui présentaient donc, à priori, de nombreuses ressemblances socio-

économiques et culturelles, ont toutefois montré de nombreux éléments dissemblables. Si le

système partisan uruguayen a fait preuve d’une forte institutionnalisation et d’une tradition

polyarchique et coopérative entre ses deux principaux éléments (Partido Colorado et Partido

Nacional), le système partisan argentin, à l’inverse, bien que présentant un format bipartite, a fait

preuve à la fois d’une institutionnalisation beaucoup plus fébrile de ses deux principaux partis,

lesquels souffraient d’ailleurs de la concurrence de l’armée comme acteur dominant de la vie

politique. Le Chili a quant à lui un système de parti fortement institutionnalisé mais, à l’inverse de

l’Uruguay, la culture politique du pays s’est particulièrement tendue lors des années 60-70.

Il est alors intéressant de noter qu’au Chili et en Argentine les deux partis « dominants » des

coalitions gouvernementales au retour de la démocratie, le PDC et l’UCR respectivement, se

caractérisaient originellement pour leur culture hégémonique et non coopérative. D’ailleurs, ces

deux partis se structurent et fonctionnent de manière semblable à la définition du parti attrape-tout

de d’Otto Kirscheimer3, et bien que l’expérience coalitionnaire argentine fut brève (moins d’un

an), elle demeure significative pour la tradition gouvernementale argentine. Pour le PDC

1 CAVAROZZI, M., « Mas allá de las transiciones a la democracia en America Latina”, in Revista de Estudios

Politicos, No. 74, 1991, pp. 85-105; NUN, J., et PORTANTIERO, J.C., Ensayos sobre la transición democrática en

Argentina, Buenos Aires, 1987 2 Le PJ se trouvant toutefois acéphale, avec la mort de son leader fondationnel et l’absence de relève charismatique.

3 KIRSCHEIMER, O., « The transformation of western european party system », in LAPALOMBARA, J., et WINER

M., Political Parties and Political Development, Princeton University Press, 1966

153

l’expérience est différente puisqu’elle représente à la fois une nécessité, en raison du système

électoral binominal (voir supra), mais également un changement de culture organisationnelle et

relationnelle, notamment avec le Parti socialiste (PSch).

Si la transition démocratique et son mode opératoire n’ont pas conduit à un changement

significatif des systèmes de partis argentin et uruguayen1, elle constitue une « conjoncture critique »

(« critical juncture »)2 dans le cas chilien, structurant et jetant les bases de la pratique politique

chilienne depuis l’élection du président « concertationniste » et démocrate chrétien, Patricio

Aylwin. La compétition politique se retrouve alors non plus divisée en trois tiers comme avant le

coup d’Etat, mais polarisée autour de deux blocs, s’alignant autour des différentes positions

politiques lors du Référendum de 1988. Surtout, le « Chili divisé »3 dans lequel s’opposaient deux

bords irréconciliables avant le coup d’État de 1973, s’est mué en un système « légitime, compétitif

et consensuel »4.

En Uruguay, bien que les négociations entre les partis lors des discussions aboutissant au pacte

du Club Naval (août 1984), ont laissé penser à un retour de la culture politique en vigueur avant le

coup d'État, la constante progression des résultats électoraux du Frente Amplio (voir tableau 2.7) et,

surtout, la nécessité d'une « seconde transition5 » -socio-économique cette fois- ont conduit à

l'émergence d'un nouvel ordre politique. On assiste ainsi à une transformation de la logique de

compromis, dont le champ d’application et de matérialisation dépasse peu à peu la seule sphère des

partis pour constituer une logique de « blocs » politiques. En effet, timidement d'abord sous le

premier mandat de Sanguinetti (1985-1990), puis plus explicitement sous le gouvernement de

Lacalle (1990-1995), les deux partis traditionnels opèrent un rapprochement concerté et inédit de

toutes leurs factions au parlement, et fonctionnent progressivement comme une coalition

législative. Ce rapprochement qui est initialement « réticent » ou négatif6, vise à garantir une

majorité législative qui leur est de moins en moins confortable et acquise, ainsi que le quorum

1 A cela près que l’élection du Radical Raúl Alfonsín constitue la première victoire électorale de l’UCR face au PJ dans

un contexte ouvert. 2 COLLIER, R., et COLLIER, D., « Framework : critical junctures and historical legacies », in COLLIER, R. et

COLLIER, D., Shaping the Political Arena: Critical Juncture, the Labor Movement, and Regime Dynamic in Latin

America, Princeton University Press, 1991, pp 27-39. Pour une analyse critique de ce courant, voir DOBRY, M., « Les

voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path

dependence », op. cit. 3 HUNEEUS, C., Chile un País dividido… op.cit.

4 ALBALA, A., “Coaliciones gubernamentales y régimen presidencial: incidencia sobre la estabilidad política, el caso

del Cono Sur (1983-2005)”, Documentos CIDOB América Latina, n°29, Barcelone, 2009, p. 43. 5 LANZARO, J., La “segunda” transición en el Uruguay. Fundación de Cultura Universitaria- Instituto de Ciencias

Políticas, Montevideo, 2000 6 FILGUEIRA, C., et FILGUEIRA, F., « Coaliciones reticentes: sistema electoral, partidos y reforma electoral en el

Uruguay », In NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.

287- 308.

154

requis pour, entre autre, passer outre des censures parlementaires à l’encontre du gouvernement

(pris dans son intégralité ou en partie). Ce processus s’intensifie sous la seconde présidence de

Sanguinetti (1995-2000), via la formation d'un gouvernement de coalition uni intégrant toutes les

factions du Parti Colorado et du Parti National. Cette expérience s'est reproduite mais avec moins

de réussite sous la présidence suivante du Colorado Batlle (2000-2005). Depuis le retour à la

démocratie le PC et le PN ont passé les deux tiers de leur temps coalisés, sous trois mandatures.

Cette nouvelle forme de co-gouvernement, des deux partis, a accéléré leur rapprochement

idéologique ainsi que leur cohésion, d'autant plus que la coalition législative entre eux s'est

poursuivie alors même qu'ils se retrouvaient pour la première fois, ensemble, dans l'opposition (en

2005). Cette convergence idéologique accrue s’est accompagnée, d’ailleurs d’une accentuation de

la polarisation avec le FA1.

Tableau 2.7 Résultats électoraux aux présidentielles uruguayennes, depuis 1971*

Formules 1971 1984 1989 1994 19991 2004 20091

PC 40,9 41,2 30,3 32,3 32,8 - 10,6 16,7 -

PN 40, 2 35 38,9 31,2 22,3 - 35,1 29,5 -

PC+PN 81,1 76,2 69,2 63,5 55,1 52,52 45,7 46,2 43.5

FA 18,3 21,3 21,2 30,6 40,12 44.50 51,73 48,5 52.4

Autres* 0,6 2,5 9,6 5,9 4,8 2.98 2,6 5,3 4.1

Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100

Notes : *dont blancs et nuls qui en Uruguay sont comptabilisés comme vote exprimés et comptabilisés dans le total des voix.; 1Ces

élections se sont tenues sur deux tours ; 2 Sous la formule Encuentro Progresista/ Frente Amplio; tours; 3 sous la formule Encuentro

Progresista/ Frente Amplio/ Nueva Mayoría.

Source: Corte Electoral de la República Oriental del Uruguay

Enfin en Argentine, si le retour de la démocratie n’a pas altéré le système partisan, il a

particulièrement affecté la culture gouvernementale du pays. La déroute militaire des Malouines et

le rapport « Nunca Más » (« jamais plus ») de la Commission National sur la Disparition de

Personnes (CONADEP), faisant état de près de 10.000 morts et disparus des suites de la dictature2,

a considérablement affecté le prestige de l’institution militaire. Dans ce contexte, l’armée a coup

sur coup subie une révocation des lois d’amnisties, que le régime militaire s’était empressé de faire

adopter en 1982, sous la présidence de Raúl Alfonsín ce qui entraîna l’ouverture de jugements de

nombreux militaires en 1987, au travers de la Loi dite de « point final » (Ley de punto final), soit

quatre ans après la transition démocratique. Or, si un soulèvement important de jeunes officiers en

second (dits « carapintadas ») a rappelé la culture putschiste de l’armée argentine et a laissé planer

1 Voir chapitre 3

2 D’autres chiffres provenant d’ONG parlent de 30.000 morts, chiffres le plus souvent repris, mais dont les sources ne

sont pas fournies.

155

la possibilité d’une guerre civile, le règlement par le président de ce fait d’armes via l’approbation

de la « loi d’obéissance due » (ley de obediencia debida), vient sceller la consolidation

démocratique et marquer un tournant dans la vie politique du pays. Ainsi, la bonne tenue des

élections à la fin du mandat d’Alfonsín, et l’assomption de son successeur, Carlos Menem1, sont

venu marquer la première alternance démocratique, dans l’histoire du pays. Et depuis lors, les

gouvernements militaires ont cessé de constituer une alternative politique aux gouvernements

civils2.

Dès lors, l’expérimentation de la démocratie sans interruption militaire a permis aux partis

d’opérer des mutations importantes, tant organisationnelles que discursives. L’élément le plus

important de transformation étant, ainsi, la sortie de plusieurs factions du PJ en 1990 qui viendront

par la suite former le Frente Grande, lequel sera à l’origine, en 1994, de la création du FREPASO

(FREnte PAis SOlidario), et qui déplacera l’UCR de la seconde place lors des élections

présidentielles de 1995. Ces deux derniers partis se rapprochent en 1997 pour former l’Alianza, la

première coalition partisane de l’histoire argentine3. Enfin, un autre élément intéressant bien que de

portée plus limitée, est l’apparition et l’organisation de partis provinciaux qui sont venus jouer un

rôle important au niveau local -élections des gouverneurs et législateurs provinciaux- et au niveau

national en poussant la création de listes communes avec des partis nationaux4.

2.2.5 Eléments institutionnels informels sur les systèmes de partis du Cône Sud.

Après nous être penché longuement sur le cas uruguayen, nous avons vu précédemment que le

système électoral chilien, et particulièrement le système binominal, agissait comme catalyseur sur

la formation de coalitions depuis le retour à la démocratie (voir supra 2.1.3). Toutefois, et bien que

la quasi-totalité des personnalités chiliennes interrogées reconnaissent l’importance et la pertinence

de la loi électorale sur la formation des coalitions, nous avons déjà vu au préalable que cet élément

ne saurait être suffisant pour expliquer à la fois la tenue et le maintien des différents gouvernements

1 Lequel assumant toutefois près de six mois avant la date constitutionnellement prévue, de part l’urgence de la crise

inflationniste touchant le pays à la fin de la décennie 1980. 2 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo : Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires,

2009; NOVARO, M., Historia de la argentina contemporánea. De Perón a Kirchner, Edhasa, Buenos Aires, 2006;

ABAL MEDINA, J., et SUAREZ CAO, J., op. cit. 3 CAMOU, A., “¿Del bipartidismo al bialiancismo? Elecciones y política en la Argentina posmenemista”, in Perfiles

latinoamericanos, No. 16, 2000, pp. 11-30; LEIRAS, M., Todos los caballos del rey. La integración de los partidos

políticos y el gobierno democrático en la Argentina, 1995-2003, Prometeo, Buenos Aires, 2007; CHERESKY, I., La

política después de los partidos, Buenos Aires, Prometeo, 2006 4 ALONSO, M. E., « Le vote des partis provinciaux en Argentine (1983-1999) », in BLANQUER, J.M., et alii, Voter

dans les Amrériques, op. cit,, pp.137- 149 ; CALVO, E., ESCOLAR, M. La nueva política de partidos en la Argentina:

Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral, Prometeo/ Pent, Buenos Aires, 2005

156

de coalition chiliens. En outre, l’Argentine a procédé à des changements constitutionnels supposés

générer ou faciliter des rapprochements partisans, avec différents résultats. Enfin, nous avons vu

précédemment, qu’en Argentine, les réformes institutionnelles dérivées du Pacto de Olivos entre

l’UCR et le PJ, consistent essentiellement en l’élection directe du président de la République (et

non plus par collège électoral comme aux Etats-Unis), la possibilité de réélection de celui-ci et le

balottage (avec un seuil abaissé), n’ont eu aucun effet significatif sur la formation de coalitions

gouvernementales.

Il est des éléments qui bien que non écrits, fonctionnent ou ont valeur d’institution. Ces

institutions informelles, doivent être distinguées de la notion d’« éléments faiblement

institutionnalisés », et être ramenées à une conception de type Common Law1. Ainsi, la culture

politique des partis politiques et la culture gouvernementale des systèmes de gouvernement ont une

influence de type path dependence sur la praxis politique. Il n’est pas surprenant de voir que les

deux pays ayant une tradition politique coopérative sont ceux qui ont expérimenté le plus de

coalitions gouvernementales et les plus durables. L’absence de savoir faire coopératif entre ainsi

grandement en considération pour comprendre l’échec de l’Alianza en Argentine (dix mois

d’existence). Par ricochet, la culture hégémonique des partis argentins et leur absence d’évolution a

certainement conditionné l’exercice du pouvoir et la relation entre les partis. L’élection de Carlos

Menem face au réformiste Antonio Cafiero lors de la primaire péroniste, en vue des élections

présidentielles de 1989, puis l’élection et réélection de celui-ci à la présidence de la République,

s’inscrit ainsi dans la continuité organisationnelle et dans la logique confrontationnelle de la

compétition partisane et politique en Argentine. A titre d’exemple, le recours aux Décrets de

Nécessité et Urgence (DNU), éléments non prévus par la Constitution argentine de 1853 mais

exceptionnellement appliqués à vingt-cinq reprises dans l’histoire argentine, de 1853 à 1989, a

littéralement explosé sous la présidence Menem (336 DNU en 5 ans), avant d’être inclus et

visibilisé dans la réforme constitutionnelle de 19942. De même, la capacité de mobilisation et de

nuisance du PJ3, et son rôle perturbateur et confrontationnel sous la présidence de De la Rúa

4, et la

1 LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., “Variation in Institutionnal Strength”, in Annual Review of Political Science,

No. 12, 2009, pp. 115-133; FREIDENBERG, F., et LEVITSKY, S., “Informal Institutions and Party Organization in

Latin America”, in HELMKE, G., et LEVITSKY, S., .Informal institutions and democracy : lessons from Latin

America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 178-199. 2 JONES, M., “Una evaluación de la democracia presidencialista argentina: 1983-1995”, in MAINWARING, S., et

SHUGART, M., Presidencialismo y Democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires, 2002, pp.213-254. 3 DI TELLA, T., Coaliciones Políticas, ¿existen derechas e izquierdas ?, Capital Intelectual, Buenos Aires, 2004; DI

TELLA, T., “Actors and Coalitions”, in DI TELLA, T., Latin American Politics and theoretical Framework, University

of Texas Press, Austin, 1990, pp. 33-49. 4 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo… op. cit.; NOVARO, M., “Presidentes, equilibrios institucionales y

coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones

políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp.51-100.

157

perception ancrée dans l’imaginaire politique argentin de l’incapacité de gouverner des radicaux,

mettent en évidence le maintien de la culture hégémonique des partis et la culture de méfiance entre

les différentes branches du pouvoir1, et introduit des éléments d’explications de la faible durée de

l’Alianza.

Au Chili et en Uruguay, la culture politique coopérative et l’expérience de divers gouvernements

de coalition ont constitué un socle informel modélisateur de la pratique coalitionnaire et la gestion

de conflits. Ceci vient justifier l’argument de Franklin et Mackie sur la force de la familiarité et de

l’inertie expérimentale comme éléments conditionnant l’expérimentation de gouvernements de

coalition2. Surtout, Peter Siavelis a mis en évidence que la pratique de la répartition ministérielle

par « quota partisan » (« cuoteo ») dans les gouvernements de la Concertación, au Chili, a

contribuée à maintenir cohésionnés les quatre partis formant la coalition3, et contribue à expliquer

la survie de la coalition face aux nombreuses prédictions portant sur la mort future de la

Concertación4. Cette pratique, consistant en une double formule de distribution de portefeuilles

ministériels sur des bases partisanes plutôt que de compétences personnelles et/ou compensation

aux candidats non élus aux élections locales, consiste donc à répartir les prébendes de l’Etat entre

les différents membres coalisés. On observe le même type de pratique en Uruguay où la logique est

étendue aux entreprises d’Etat.

2.3 Conclusions

Ce chapitre nous a permis de réaliser à la fois un état des lieux des théories dominantes portant

sur l’expérimentation de gouvernements de coalition, de manière comparée, tant en systèmes

parlementaires que présidentiels, et de confronter ces théories avec la réalité des expériences des

1 LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., "Builiding castles in the sand? The politics of institutional weakness in

Argentina", in LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., Argentine Democracy, Pennsylvania State University Press, 2005;

pp. 21-45; LEVITSKY, S., "Crisis and renovation: institutional weakness and the transformation of argentine

peronism", LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., op. cit., pp. 181-206; OLLIER, M.M, op. cit. 2 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and Inertia in the Formation of Governing Coalitions in Parliamentary

Democracies”, op. cit. 3 SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in

LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001;

SIAVELIS, P., “Chile: The unexpected (and expected) consequences of electoral engineering”, in GALLAGHER, M.,

et MITCHELL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press, 2005, pp. 433- 452 ; CAREY, J., et

SIAVELIS, P., “Election insurance and coalition survival:formal and informal institutions in Chile”, in HELMKE, G.,

et LEVITSKY, S., op. cit., pp. 160-176. 4 Un exemple criant, et erroné, est à voir chez le même Peter Siavelis : SIAVELIS, P., “Sistema electoral,

desintegración de coaliciones y democracia en Chile: ¿el fin de la concertación?”, in Revista de Ciencia Política, Vol.

24, No. 1, 2004, pp 58-80. D’où la difficulté des prédictions en science sociale. Siavelis faisant une sorte de mea culpa

un an plus tard: SIAVELIS P., “Los peligros de la ingeniería electoral (y de predecir sus efectos)” in Política, No. 45,

2005, pp. 9-28.

158

différents gouvernements coalisés du Cône Sud. Il constitue donc une tentative de mise à jour des

approches relevant de l’ingénierie constitutionnelle comparée, et de l’institutionnalisme historique.

Nous avons remis en question les arguments de la littérature dominante portants sur l’impact des

institutions formelles sur la probabilité à former et maintenir des coalitions gouvernementales. La

démarche consistait à appliquer les arguments de la théorie mêlant, les coalition theories avec les

travaux s’inscrivant dans le débat présidentialisme vs/ parlementarisme, et à vérifier si les

institutions théorisées et modélisées comme « favorables » à la formation et au maintien de

gouvernements de coalition, détenaient l’influence critique que leur prêtaient la plupart des études.

Nous avons alors mis en évidence que ces aspects (ou « variables ») essentiellement

institutionnels -loi électorale « favorable », nombre de partis « partenaires » coalisés et pouvoirs

présidentiels restreints-, lorsqu’ils sont rapportés à des cas comparables et significatifs, comme

ceux constituant le « terrain » de notre étude, ne constituent finalement pas des conditions

suffisantes, ni même nécessaires à la formation et au maintien de coalitions de gouvernement.

L’approche par les institutions est donc clairement insuffisante pour comprendre les phénomènes

de coalition politique.

Nous avons avancé diverses pistes complémentaires mettant l’accent sur des aspects extra-

institutionnels, notamment les dimensions historiques et informelles, comme autant d’éléments

supplémentaires à l’analyse et requérant une prise en compte tout aussi centrale. Les résultats

empiriques préliminaires, portant sur le temps long, que nous avons relevés nous montrent bien que

la culture politique et le type de structuration partisane sont des éléments essentiels à intégrer à

l’analyse, pour comprendre tant les motivations de rapprochements partisans que les succès ou

« échecs » de ces alliances. Si ces éléments contiennent une dimension dynamique et difficilement

modélisable, ils constituent toutefois le socle de toute analyse portant sur l’étude des

rapprochements politiques, et un élément central pour toute tentative de prédiction analytique.

Ainsi, le Chili semble, a priori, constituer le cas le plus plausible pour vérifier l’impact des

institutions sur la formation et le maintien des coalitions gouvernementales, en raison de loi

électorale. Toutefois, si le système binominal de la représentation chilienne (qui ne se limite qu’aux

élections parlementaires) paraît effectivement « contraignante » et « facilitatrice » à la formation

d’alliances, elle n’explique pas à elle seule pourquoi la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste,

qui ont été de très forts adversaires politiques dans les années 1970, ont été amenés finalement à se

159

coaliser1. Cette « variable » n’explique pas, enfin, les conditions du maintien de la cohésion de la

Concertación pendant plus de vingt ans, et notamment après la perte du pouvoir en 2010.

Parallèlement, en Argentine et en Uruguay, les institutions formelles « coalisantes », ne

semblent avoir eu que peu, voire pas d’effets sur la formation et la propension à maintenir les

différents pactes. A l’inverse, l’historicité gouvernementale et la culture politique propres aux

différents partis, ont eu valeur d’institution influençant plus ou moins directement, et de manière

opposée dans les deux cas (favorable pour les gouvernements uruguayens, défavorable pour

l’expérience argentine), la pratique et l’expérimentation de gouvernements de coalition.

Nous avons enfin souligné que la transition à la démocratie a joué un rôle de conjonction

critique dans le cas chilien, opérant un réalignement de la compétition politique autour de deux

pôles et non plus trois. Dans les cas argentin et uruguayen, le contexte de formation est plus diffus

et découle soit d’un rééquilibrage dynamique et progressif des forces politiques (Uruguay), soit

d’un processus de rejet (Argentine). Ces deux cas se caractérisent, aussi et surtout, par une seconde

étape de transition, ou « seconde transition », économique et sociale. Dès lors dans la prochaine

partie nous nous intéresserons aux processus de formation et de structuration des accords

politiques, et analyserons leurs bases électorales et sociales. Ceci nous conduira à étudier le

caractère prédictif des regroupements partisans en régimes présidentiels, et à aborder la question du

« timing » présidentiel dans la formation des alliances.

1 Cela rappelle le travail de Sydney Tarrow: TARROW, S., “Transforming enemies into allies: non-ruling communist

parties in multiparty coalitions”, in Journal Of Politics, Vol. 44, 1982, pp. 924-954.

160

Seconde Partie : Le présidentialisme de

coalition et l’approche multivariée

161

Les différents apports disciplinaires ont conféré aux coalition theories une dimension souvent

transdisciplinaire à l’étude du comportement coalisé. Si les modèles rationnels initiaux censés doter

les études d’un substrat théorique universel se sont avérés assez décevants, l’apport des études de

cas restent également frustrant quant à la capacité de déceler des éléments de comparaison entre

différents terrains d’études. Une approche politiste et comparative rigoureuse de l’étude des

coalitions politiques ne saurait faire abstraction des dimensions exogènes et endogènes propres à la

formation et l’exercice du processus en lui-même. Dans la pratique nous observons souvent des

travaux découlant d’une approche monovariée qui repose sur un seul type de variable d’analyse. La

troisième génération d’analyses commence néanmoins à se manifester depuis les années 2000.

Les croisements théoriques des coalition theories avec les théories « présidentialistes » ont mis

en évidence à la fois la faiblesse des principaux postulats anti-présidentialistes et la nécessité de

présidentialiser l’approche. Celle-ci ne saurait se limiter à des typologisations de systèmes

présidentiels plus ou moins propice à la formation de coalition. Si l’approche multivariée suppose

la prise en considérations des différentes « conditions » ou « variables indépendantes », permettant

à la fois d’expliquer la formation de coalitions gouvernementales et leur maintien/ dissolution1 dans

les contextes présidentiels, encore faut-il contextualiser l’analyse au terrain d’étude. Nous

identifierons ainsi les éléments à la fois institutionnels commun aux présidentialismes et ajouterons

les conditions culturelles et structurelles propres à nos trois pays étudiés.

En suivant ce premier objectif d’identification des éléments institutionnels communs aux

présidentialismes, nous pouvons déjà noter que les alliances politiques peuvent théoriquement se

limiter à une expression au travers d’« agrégats » plus ou moins ponctuels au niveau de prise de

décision, sans réel engagement sur le long terme2. Un exemple de ces alliances limitées consiste

notamment aux ralliements d’entre-deux-tours, sans concessions de postes dans le futur

gouvernement, mais en obtenant des garanties sur des politiques futures. C’est le cas, notamment

du Parti communiste chilien, qui représente près de 5% de l’électorat mais qui, jusqu’en 2010,

n’avait aucun élu au parlement, et qui « monnayait » néanmoins son soutien officiel aux candidats

de la Concertación au second tour3, au moyen d’engagements de la Concertación sur des politiques

publiques. Ces dimensions viennent ainsi nuancer le principe de jeux à sommes nulles4, en raison

1 Ces résultats venant donc être les « variables dépendantes » de l’analyse.

2 Nous reprenons ainsi la conception théorique de Vincent Lemieux, lequel définie de manière théorique les agrégats

comme le premier degré de coopération. Et si ces travaux sont de nature essentiellement sociologique et cognitive ils

demeurent néanmoins d’un grand intérêt pour l’étude des phénomènes coopératifs sur la scène politique. Voir

LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, PUF, 1998 ; et Le pouvoir et l’appartenance : une

approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval, 2006. 3 Lors des élections de Ricardo Lagos (1999- 2000) et Michele Bachelet (2005-2006)

4 Où les “gains” du vainqueur sont compensés par les pertes de l’ensemble des perdants. Voir supra chapitre 1.

162

de la diversité des « gains » et du partage de ceux-ci avec des membres « perdants ». On peut

d’ailleurs noter une évolution qualitative récente de cette alliance, la Concertación ayant accepté

dans quelques circonscriptions de passer des accords de coalitions électorales, pour permettre

l’élection de trois députés communistes aux élections de 2010. Ces phénomènes et leurs

imbrications répondent à une temporalité d’action qu’une simple vision synchronique ne saurait

mesurer. En outre, les cycles opératoires de formation de coalitions ne sauraient être considérés de

manière statique ni même uniforme.

Bien que la plupart des travaux sur les coalitions gouvernementales considèrent la formation des

coalitions une fois le « rapport » de force entre partis connus, après les élections, ceci dans un but

de modélisation et de mise en évidence des négociations sur la distribution des postes de pouvoir, il

semble judicieux et nécessaire de considérer le processus sur une temporalité d’analyse plus large.

Cela viendrait à considérer notamment la participation à des alliances électorales et la pérennisation

desdites alliances. Dans ce cas, les coalitions uruguayennes se placent à mi-chemin entre les cas de

reconduction et « systémisation » d’alliances au Chili, et l’absence totale de « tradition

coalitionnaire » en Argentine. L’absence de culture gouvernementale de coopération en Argentine,

conjointement à la tradition politique conflictuelle entres les différents acteurs, constitue le facteur

central pour comprendre l’éphémère expérience de l’Alianza et la chute du gouvernement de

Fernando De la Rúa. Au contraire, le « savoir faire » en matière de coalitions gouvernementales au

Chili semble avoir conditionné et facilité le dialogue inter-partisan. Ce savoir-faire s’est nourri des

expériences passées, mais semble surtout s’être constitué de manière dynamique et progressive1.

Cela n’explique pas pourquoi deux partis traditionnellement opposés, la Démocratie Chrétienne

et le Parti Socialiste Chilien, ont été amenés à élaborer un plan d’action commun en vue d’une

participation conjointe aux élections et la formation de plusieurs gouvernements coalisés. Cette

dimension ne permet pas non plus de comprendre les réalignements partisans qui se sont opérés au

Chili à la fin des années 1980, en particulier la propension à former des accords. Enfin l’Uruguay se

trouve, à nouveau, à mi-chemin entre les deux précédents cas. Si la tradition de co-gouvernement

entre colorados et blancos tout au long du XXe siècle, a jeté les bases d’une culture consensuelle

de la pratique de la politique dans ce pays, elle n’explique pas à elle seule la routinisation des

alliances entre ces deux partis ni leur convergence idéologique depuis les années 1990.

Si pour les cas chilien et uruguayen des « prédispositions » semblent avoir joué un rôle

important, d’autres aspects tels qu’une structuration de la compétition politique autour de lignes de

démarcation claire, ainsi qu’une précocité plus ou moins formelle des accords viennent à jouer un

1 Voir ARRATE, J., et ROJAS, E., Memoria de la izquierda chilena - Tome II (1970-2000), Ed. Javier Vergara,

Santiago, 2003.

163

rôle considérable. Il est indispensable de considérer ces éléments, afin d’aller au-delà de la

recherche de « principes de causalité » et considérer les coalitions au travers de leur

« environnement » et comme système1. La séparation des pouvoirs, beaucoup plus nette en régime

présidentiel, où la survie de l’exécutif ne dépend pas d’un soutien parlementaire, permet de

concevoir les coalitions gouvernementales via une approche systémique. Pour autant ce « système

coalitionnaire » ne saurait être hermétique, bien qu’il apparaisse plus autonome qu’en régime

parlementaire.

1 Voir les conceptualisations de PIAGET, J., Le structuralisme, PUF/ « Que sais-je », Paris, 1983 [1968].

164

Chapitre 3 : Le présidentialisme de coalition et la théorie des clivages.

Vous n’aurez pas fait seuls une seule grande affaire. Quand vous aurez fini vos coucheries avec l’Etat, vous prenez votre lâcheté

pour de la sagesse, et croyez qu’il suffit d’être manchot pour devenir la Vénus de Milo, ce qui est excessif.

MALRAUX, A., La condition Humaine.

Avant que ne se généralise l’approche institutionnaliste de type ingénierie constitutionnelle que

nous venons d’analyser, nous avons vu précédemment que la seconde génération des coalition

studies avait ajouté à la conception originelle de Riker la dimension « préférentielle » matérialisée

en termes d’affinités supposément idéologiques1. Ainsi, hormis les cas de gouvernements d’union

nationale, l’analyse de la formation de gouvernements pluripartisans a, depuis les années 1970,

systématiquement intégré le degré de proximité programmatique2 des joueurs comme principal

élément d’analyse. La mesure de cette proximité et son amplitude « maximale acceptable »3, est

opérationnalisée sur un axe Droite-Gauche, où les partis seraient positionnés de manière virtuelle

en fonction de leur idéologie « publique »4, sur une échelle horizontale et unidimensionnelle dont

les valeurs varient, en fonction des études, de cinq a dix échelons5. La position des partis sur cet

axe, établi à partir d’« avis d’experts » ou de « preuves écrites » (tels les manifestes partisans),

déterminerait ainsi leur attractivité gouvernementale, indépendamment de leur poids électoral ou

leurs nombre de sièges à l’assemblée6.

1 Voir supra 1.1.3

2 AXELROD, M., Conflict of interest, Markham, Chicago, 1970; LEISERSON, M. A., « Power and ideology in

coalition behavior: an experimental study », in GROENNINGS, S., KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study

of coalition behavior : Theoretical perspectives and cases from four continents, New York, Holt, Rinehart et Winston,

1970, pp. 323-335. 3 DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formation, Elsevier, Amsterdam, 1973.

4 Concept il est vrai assez subjectif et sujet à interprétations, notamment lors du recours à l’avis « d’experts », Voir

SEILER, D-L., “la comparaison et les partis politiques”, in BCN Political Science Debates/ICPS, n°2, 2003, pp. 5-27 ;

et « L'Europe des partis: paradoxes, contradictions et antinomies », in BCN Political Science Debates, n°5, 2007, pp.

79-127. Aussi, afin de conférer davantage de poids scientifique à l’analyse, un indicateur « froid » s’est imposé ces

dernières années, d’après les travaux de Ian Budge, comme plus à même de reflêter la position des partis dans cet axe

horizontal : le manifeste partisan. Voir entre autres BUDGE, I., KLINGEMANN, H.D., et alii, Mapping policy

preferences: estimates for parties, electors, and governments 1945–1998, Oxford University Press, 2001; LAVER, M.,

Estimating the policy positions of political actors, Routledge/ ECPR, Londres – New York, 2001; LAVER, M., et

GARRY, J., “Estimating policy positions from political texts », in American Journal of Political Science, Vol. 44, No.

3, 2000, pp. 619-634 ; LAVER, M., BENOIT, K., « Le changement des systèmes partisans et la transformation des

espaces politiques », in Revue internationale de politique comparée,Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 303-324. 5 Traditionnellement, les échelons vont de 1à 5 ou 7, voire 10, où « 1 » place les positions d’extrême gauche, et « 10 »

d’extrème droite. Voir SEILER, D-L., La méthode comparative en science politique, Armand Collin, Paris, 2004 6 Ainsi, l’exemple du Parti communiste italien qui de 1948 à 1987 a occupé -en moyenne- 28% des sièges de la

chambre des députés (avec des « pics » à près de 35% dans les années 1970), mais dont la « position idéologique »

éloignée du centre, l’a rendu beaucoup moins attractif que les centristes Parti Libéral Italien et Parti Républicain Italien.

Ceux-ci, malgré une représentation moyenne de 3% sur la même période, ont participé à la majorité des gouvernements

de l’époque, alors que le PCI n’a jamais été qu’un parti d’opposition. Voir VERZICHELLI, L., et COTTA, M., « Italy :

165

La structuration de la compétition politique et, par ricochet, la tendance à la formation de

coalitions, semblent découler du positionnement des joueurs sur l’axe droite-gauche, de leur auto-

positionnement respectifs sur cet axe et de la capacité à capter ou se rapprocher d’un supposé

électeur médian, et donc a fortiori d’un « législateur médian » :

« La médiane est en soi un concept spatial –la personne du milieu sur une distribution ordonnée le

long d’une ligne ou à l’intérieur d’un complexe de lignes. Ce n'est pas seulement une abstraction

mathématique qui nous permet de concevoir des préférences politiques, comme si elles étaient

placées sur un plan quelconque ! Il y a un grand nombre d’évidences qui montrent que nous –

électeurs, partis, politiciens, journalistes et spécialistes- pensons la politique en termes spatiaux,

la plupart du temps le long d’un continuum s’étendant de gauche à droite, avec des partis et des

préférences personnelles situées autour de celui-ci »1.

Cette conception unidimensionnelle de la politique et de la compétition politique suit des canons

européens de représentation politique, où les liens entre les partis politiques et les électeurs sont

structurés sur une base programmatique2. Toutefois, même en Europe il y a des systèmes de partis

dont les lignes de démarcation politique ne sont pas basées uniquement sur l’aspect idéologique.

Certaines divisions comme l’opposition religieuse aux Pays-Bas, linguistique en Belgique, ou

régionale en Espagne et en Italie, font que la structuration de la représentation politique s’ordonne

également autour d’autres questions que celles d’ordre purement idéologique3. Au sein de ces

sociétés européennes, plusieurs clivages semblent coexister, se coupant souvent entre eux et

influant sur le degré d’attractivité des différents partis4.

En Amérique latine, nous observons que les systèmes partisans ne sont pas, non plus, tous

structurés sur des bases programmatiques. Mais la présidentialisation des systèmes de partis latino-

américains tend à limiter le croisement des clivages entre-eux, en imbriquant les différentes lignes

de démarcation politique autour d’un clivage « structurant »5. Ce chapitre cherche à éviter

l’écueil fréquent consistant à transposer les schémas européens sur les réalités latino-américaines

from constrained coalitions to alternating governments ? », in MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition governments in

western Europe, Cambridge University Press, 2000, pp. 433-497. 1 McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections, parties, democracy: conferring the median mandate, Oxford University

Press, 2005, p. 30. Traduction propre, mes italiques. 2 EZROW, L., Linking citizens and parties, Cambridge University press, 2010.

3 Voir entre autres LIJPHART, A., Democracy in plural societies, Yale University Press, New Haven, 1977 ;

LIJPHART, A., “Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,

South Africa, and Switzerland”, in American Political Science Review, Vol. 73, No. 2, 1979, pp. 442-458;

KITSCHELT, H., “Linkages between citizens and politicians in democratic polities”, in Comparative Political Studies,

Vol. 33 No. 6/7, 2000, pp. 845-879; KITSCHELT, H., et WILKINSON, S., Patrons, clients, and policies: patterns of

democratic accountability and political competition, Cambridge University Press, 2007 4 TAYLOR, M., et RAE, D., “An analysis of crosscutting between political cleavages”, in Comparative Politics, Vol. 1,

No. 4, 1969, pp. 534-547; POWELL, G.B., “Political cleavage structure, cross pressure processes, and partisanship: an

empirical test of the theory”, in American Journal of Political Science, Vol. 20, No. 1, 1976, pp. 1-23. 5 ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443

166

post-transitions1, en soulignant entre autres les différences d’impact du contexte transitionnel sur

les systèmes de partis et la compétition politique. Les trois pays étudiés constituent autant de cas de

figures différents, mais dont la compétition politique paraît présenter la même ordonnance

bipolaire. Les partis du centre, quand ils existent, s’alignent sur l’un des deux pôles. Nous

reprenons ainsi à notre compte l’argument de Maurice Duverger sur la dualité des options

politiques, en l’appliquant aux systèmes présidentiels. Cette dualité est exprimée en terme

numérique (deux partis), ou « polaire » (deux blocs plus ou moins homogènes).

3.1 Ordre et désordre partisan: une analyse structurelle

Comme tout ordre systémique, le système politique se compose de processus et d’évolutions qui

mettent en évidence la « plasticité »2 de sa nature face, notamment, aux pressions internes et

externes de transformation de la représentation. D’où la nécessité de considérer les phénomènes

d’alignements et de réalignements politiques des systèmes partisans de manière dynamique, en se

gardant également de considérer tout ré-ordonnancement partisan comme le résultat ou l'expression

mécanique d'une instabilité systémique3.

Cela suppose la mise en place, avant même une hiérarchie du changement, d’une compréhension

de la notion de «changement», et des termes connexes de (ré)alignement et (ré)ordonnancement4.

Pour ce faire, l’étude des rééquilibrages politiques requiert une approche temporelle mixte,

s’inspirant des trois temps braudéliens d’analyse5, que nous simplifierons ici en deux

temps, compte-tenu de la période relativement courte de notre étude –une vingtaine d’années: a) le

temps court rapporté à l’identification d’ « événements critiques »6 ; b) le temps moyen englobant

les variations cycliques propre à la sociologie des organisations, et attaché à la recherche

1 Nous suivons ainsi Bertrand Badie dans son rejet de « l’occidentalistion de l’ordre politique ». Voir BADIE, B.,

L’Etat importé. L’occidentalisation de l’ordre politique, Fayard, Paris, 1992. 2 Jacques Lagroye, citant Norbert Elias, fait ainsi état du caractère « modelable » de la nature humaine et de sa

propension au changement. Voir LAGROYE, J., et alii, Sociologie Politique, Presses de la Fondation Nationale des

Sciences Politiques/ Dalloz, Paris, 2002, p. 219. 3 MARTIN, P., « les élections de 2002 constituent-elles un ‘‘moment de rupture’’ dans la vie politique française ? », in

Revue Française de Science Politique, Vol. 52, No. 5-6, 2002, p. 593-606. 4 KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, in Journal of Politics, Vol. 21, No. 2, 1959, pp. 198-210;

MARTIN, P., « Comment analyser les changements dans les systèmes partisans d’Europe occidentale depuis 1945 ? »,

Revue internationale de politique comparée, Vol. 14, No. 2, 2007, p. 263-280 5 BRAUDEL, F., Les ambitions de l’Histoire, Editions de Fallois, Paris, 1997.

6 COLLIER, R., et COLLIER, D., « Framework : critical junctures and historical legacies » in COLLIER, R., et

COLLIER, D., Shaping the political arena: critical juncture, the labor movement, and regime dynamic in latin

America, Princeton University Press, 1991, pp 27-40

167

d’éléments répétitifs1. Nous garderons toutefois, en filigrane, une approche sur le temps long, afin

de déceler des évolutions ou maintien des éléments de langage et de positionnement clivés.

L’origine temporelle des ré-ordonnancements politiques, qu’elle soit soudaine, cyclique ou

progressive, influe de manière différente sur le système de partis et la capacité des partis politiques

à canaliser ces processus. En d'autres termes, le « gel de la représentation » et/ou l'apparition d'un

ou de plusieurs partis au sein du système de partis ne découle pas d’éléments mécaniques et n’a

pas, partout, le même impact sur la structuration de la compétition politique. Sans perdre de vue le

caractère systémique de ces phénomènes, la stabilisation du processus découle à la fois du degré

d'institutionnalisation du système de partis, de la représentativité et la légitimité de ceux-ci, ainsi

que des tentatives de résistance et maintien des acteurs dépositaires de l’ordre en place2.

3.1.1 Approche théorique de l’analyse structurelle du changement.

La prise en considération préalable du changement en politique, entendu comme un processus

dynamique, implique l’émergence d’une ou plusieurs options alternatives à un ordre établi, et

suppose par-là même un travail d’identification, en plus des événements critiques, des fenêtres

d’opportunités3 ayant conduit à l’émergence du changement. Ces opportunités se matérialisant sur

trois niveaux : i) la structure de la représentation, ii) la concurrence entre les acteurs autour de la

capacité de mobilisation, et iii) les références en terme de culture et valeurs, capitalisées en

ressources politiques par les mêmes agents politiques en présence. En fonction de ces

caractéristiques structurelles, les options peuvent émaner aussi bien depuis l’ordre établi

(mouvement interne) que contre celui-ci (mouvement externe).

Ces considérations supposent à leur tour de ne pas perdre de vue l’essentiel de ce qui façonne la

« vie » politique, à savoir les actions et interactions des différents agents politiques entre eux, et les

liens d’interdépendance qui lient les différents agents entre eux à l’intérieur du système politique,

mais également avec d’autres agents plus moins extérieurs au système (syndicats, entrepreneurs,

1 À défaut d’éléments “invariants” qui comme le souligne Daniel Louis Seiler, découle de l’approche temporelle

macro-sociologique ou du “temps long” en reprennant la typologie braudélienne. Voir SEILER, D.L, “la comparaison

et les partis politiques”, op.cit. Voir également KEY, V.O., op. cit. ; NORTH, D., Instituciones, cambio institucional y

desempeño económico, Fondo de Cultura Económica, México, 2006 ; et NARDULLI, P., “ The concept of a critical

realignement, electoral behaviour and political change”, in American Political Science Review, Vol. 89, No. 1, 1995,

pp. 10-22. 2 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009

3 KINGDON, J., Agendas, alternatives, and public policies, Harper Collins, New York, 1995.

168

intellectuels, des institutions à priori « non politiques » comme les institutions religieuses, l’armée,

etc.), plus ou moins influentes en fonction des régions1.

Dès lors, les évolutions de l’ordre politique – qui avec les processus de démocratisation est

indissociablement lié à l’ordre social d’où proviennent les ressources tant financières,

organisationnelles (mobilisatrices) que symboliques des différents acteurs-, s’inscrivent dans

différents contextes de tension interne et externe de modification des rapports entre les différents

agents. Le champ politique du changement tend donc à se produire aussi bien à l’intérieur des

structures établies préalablement2 (partis, système de partis, castes...), comme à l’extérieur du

système en place3, en fonction des aptitudes sociales particulières à chaque agent à produire ou

reproduire des structures de domination et représentation (Pierre Bourdieu parlerait d’habitus), en

fonction de leur capital économique et social, et de leur prestige (« capital symbolique »)4.

Rapporté aux partis et aux systèmes de partis, la question de la structuration du système dépend

également de l’organisation de celui-ci (le système de parti) et de ses composants (les partis), ainsi

que de leur degré d’institutionnalisation respectifs5 (voir supra 2.1.2).

Cela étant, nous pouvons établir une classification des types de changement de l’ordre politique,

en fonction du degré d’intensité et de l’origine de ce changement. Comme le montre le tableau 3.1,

nous pouvons isoler quatre types de changements de l’ordre politique en deux grandes catégories

suivant que le changement entraîne, ou non, une mutation de la structure de représentation et des

organes de représentation. Ainsi, en nous concentrant sur les seconds cas, à savoir la non-

transformation des structures de représentation, qui s’appliquent davantage à la réalité des

démocraties représentatives, nous distinguons deux cas de figure de « rupture » à savoir, en premier

lieu, les processus de réalignements où les acteurs du changement sont les propres agents de l’ordre

institué et où la rupture consiste en un processus dynamique de rééquilibrage des forces en présence

et une reconfiguration des habitus et ressources des différents agents. Il est important de souligner

le caractère évolutif de ce processus, et insister sur le fait que les réalignement s’inscrivent et se

1 LAGROYE, J., et al, op. cit., p.198.

2 Telles les luttes de successions à l’intérieur même des partis, où les différents agents parviennent à mobiliser

différentes ressources financières et/ ou symboliques et culturelles. Le cas du PJ Argentin en est un parfait exemple de

lutes internes pour le contrôle de la “marque” péroniste. Voir CAVAROZZI, M. “Cómo una democracia de libro de

texto desembocó en un régimen de partido único... es el peronismo estúpido”, in Política, Vol. 42, 2004, pp. 207-220;

LEVITSKY, S., Transforming labor-based parties in latin America: argentine peronism in comparative perspective,

Cambridge University Press, 2003. 3 Telle l’apparition des partis ouvriers au Chili dans les années 1920-1930, voir supra.2.2.2.

4 BOURDIEU, P., Question de Sociologie, Ed. Minuit, Paris, 1980

5 MAIR, P., “Left-Right Orientations”, in DALTON, R., et KLINGEMANN, H. D., The Oxford handbook of political

behaviour, Oxford University Press, 2007, pp. 206-222; HARMEL, R., et JANDA, K., “Changes in party identity.

evidence from party manifestos”, in Party Politics, Vol. 1, No. 2, 1995, pp. 171-1996; HARMEL, R. et TAYLOR-

ROBINSON, M., “Application of the integrated theory of party change to Latin America’s volatile party systems”,

Communication présentée lors du V° Congrès Européen de Latino-américanistes (CEISAL), Bruxelles, 2007.

169

produisent sur plusieurs périodes, notamment électorales, lesquelles constituent autant de « phases

de réalignement ». Appliqué à l’étude des systèmes politiques, le moment de rupture initiant un

réalignement du système correspond à une « élection critique »1, le processus se confirme et se

consolide, par la suite, au travers de nouvelles élections.

Ce phénomène se distingue de celui de « ré-ordonnancement », où le changement procède de

l’émergence d’acteurs externes au système en place, et qui tendent à opérer une rupture de l’ordre

établi par la création d’une nouvelle source de démarcation, tout en agglomérant entre eux les

agents de l’ancien ordre en les caractérisant comme « agents du système » ou « oligarques ». Dit

autrement, dans le premier cas le changement s’opère de manière systémique (à l’intérieur du

système et par les propres agents du système), alors que la seconde forme de changement se fait

par l’entrée d’un nouvel acteur qui devient agent d’un nouveau système basé à la fois sur et contre

l’ancien ordre, lequel tend à opérer un réflexe de convergence conservatrice de ses agents.

A titre d’exemple, la victoire du Partido Nacional aux élections de 1958, marque un

réalignement de la structure partisane uruguayenne, laquelle passe d’un système de parti dominant

(autour du Partido Colorado) à un bipartisme compétitif. Cette élection critique va installer une

succession de rééquilibrages, exprimés par une alternance des agents de gouvernement, là où

auparavant la compétition était essentiellement interne au Partido Colorado. Ceci consiste bien en

un réalignement, puisqu’il n’y a pas eu de rupture des structures de représentation (les partis sont

toujours les principaux organes de représentation). En outre le changement s’est opéré depuis le

système et les agents en place. Inversement, l’émergence puis la consolidation de l’UCR en

Argentine consiste en un cas de ré-ordonnancement du système politique. Nous l’avons vu

précédemment (voir supra chapitre 2.2.1), le mouvement radical en Argentine apparaît à la fin du

XIXe siècle comme un acteur anti-système et en dehors du système politique mis en place par le

Partido Autonomista Nacional (PAN), lequel était qualifié d’« oligarchique » par les membres de

l’UCR. L’apparition d’une force politique de défiance (l’UCR) a ainsi contraint le pouvoir en place

à recourir à des mesures et mécanismes de protection (incarcération de membres radicaux

influents), tout en libéralisant le système (loi Saenz Peña entérinant le vote universel en 1912). La

position de l’UCR comme représentante autoproclamée des classes moyennes et porteuse de

nouvelles revendications va la conduire à occuper l’espace publique et politique, remplaçant dès

1 La notion d’ « élection critique » a été avancée par Valdimer Key, laquelle constituait pour le politiste américain, le

processus du réalignement per se. Par la suite, les travaux d’Edward Carmines et James Stimson vont conférer au

concept de réalignement un caractère dynamique. Voir KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, op.

cit ; CARMINES, E., et STIMSON J., Issue evolution, race and the transformation of american politics, Princeton

University Press, 1989. Pour une analyse critique du concept de “réalignement”, voir MARTIN, P., Les systèmes

électoraux et les modes de scrutins, Monchrestien, Paris, 2006.

170

1916 l’ordre ancien1, en réordonnançant le système politique argentin autour d’elle-même jusqu’au

coup d’Etat de 1930, puis jusqu’au suivant ré-ordonnancement politique produit par l’émergence

d’une autre force politique alternative (et bientôt dominante) : le Partido Justicialista.

Enfin, les cas de changement politique entraînant une -ou découlant d’une- transformation des

structures de représentation sont, à leur tour, divisés en fonction de l’origine du changement. Les

cas i) d’origine depuis le système correspondant à ce que Robert Dahl appelle les cas de

« libéralisation »2 de la représentation politique, où un pouvoir ou une « caste » en place s’attèle (de

manière plus ou moins contrainte) à ouvrir l’accession de l’exercice du pouvoir (ou du moins de la

représentation) à de nouveaux agents auparavant exclus; et ii) où par « déposition » nous entendons

un changement brusque et radical du système politique, du fait de l’intervention d’acteurs

extérieurs au système établi, contribuant alors à un changement de régime. Cette appellation

regroupe ainsi autant les cas de « révolution démocratique » (à l’image des actuels « printemps

arabes »), coups d’Etat, invasion étrangère (telle l’invasion de l’Irak par les USA en 2003).

Concluons enfin que les cas d’effondrement des systèmes politiques depuis l’intérieur constitue un

cas de transformation atypique que l’on serait tenté de classifier comme « conséquence » d’une

libéralisation3.

Tableau 3.1 : Typologie du changement de l’ordre politique

Transformation des structures et organes de représentation

Non Oui

Orig

ine d

u

ch

an

gem

en

t

Interne Réalignement Libéralisation

externe Ré-ordonnancement Déposition

Source : Elaboration propre, à partir de Lipset et Rokkan (1967) Dahl (1970 ; 1971), Skocpol (1979),

Kalyvas et al. (2008) et Deegan Krause et Enyedi (2010)

1 Lequel se dilue par la suite.

2 Ce concept constituant l’une des étapes de la polyarchisation des sociétés. Voir DAHL, R., La poliarquía, Tecnos,

Madrid, 2003 [1971]. 3 L’effondrement de l’URSS, ne s’assimile pas a un cas de deposition comme nous venons de le definir, en ce sens

qu’aucune « revolution » n’est venue destituer le régime en place. Au contraire ce sont bien des membres de l’interieur,

Boris Eltsine comme acteur visible, qui ont accéléré le processus de perestroïka, profitant ainsi d’un contexte interieur

et exterieur favorable au changement de regime. voir KLINGEMANN, H.D., FUCHS, D., et ZIELONKA, J.,

Democracy and political culture in eastern Europe, Routledge, Londres et New York, 2006; SULEIMAN, E.,

“Bureaucracy and democratic consolidation: lessons from eastern Europe”, in ANDERSON, L., Transitions to

democracy, Columbia University Press, New York, 1999, pp. 141-167; et GRAEME, J. G., Democracy and post-

communism: political change in the post-communist world, Routledge, Londres – New York, 2002.

171

Nous notons donc, en résumé, que le degré et l’intensité du changement est davantage corrélé au

champ d’origine du changement. Ainsi, toute rupture provenant du propre système en place, et

contrôlé par celui-ci, est substantiellement « absorbable » par les agents en place. A l’inverse,

l’émergence d’acteurs hors-système est potentiellement plus critique pour l’ordre établi. D’où

l’intérêt des agents dudit ordre de capter voir récupérer tout élément externe potentiellement

subversif. Relevons enfin le caractère circulaire et graduel de ces processus. En effet, une

libéralisation peut par exemple, si elle est mal négociée, déboucher sur une révolution, laquelle, en

se stabilisant et s’institutionnalisant, pourra expérimenter des cas de rééquilibrages et réalignements

internes1. Ces processus ne sont donc ni arrêtés, ni excluants, les relations entre les différents agents

ne sont par conséquent ni statiques ni automatiques, ni « acquises ». L’étude du champ politique

requiert donc, comme l’avance Jacques Lagroye de :

« … ne pas opposer la stabilité et le changement, autrement dit les processus, ou les effets des

processus, qui contribueraient à la préservation de l’ordre institutionnel et des rapports de force

consolidés, et ceux qui tendraient à les modifier. »2

Si une typologisation et une analyse structurelle du changement de l’ordre politique,

apparaissent nécessaires pour qualifier et caractériser les évolutions de l’ordre partisan et les

réalignements ou ré-ordonnancements qu’il engage, encore faut-il déterminer et identifier cet ordre

partisan initial, de même que les agents de cet ordre, ainsi que les éléments de sa formation et de sa

structuration en système. Ainsi, dans les démocraties représentatives, l’organisation et la stabilité de

du système reposent traditionnellement sur des repères identitaires où les agents (les partis) se

reconnaissent et s’opposent, autrement dit s’alignent, autour d’éléments de structure « clivés ».

Tout l’intérêt de la théorie des clivages repose ainsi sur l’étude de la transposition de la

représentation des lignes de fractures sociétales sur la scène politique, et plus particulièrement sur

le système partisan. En effet, sans représentation institutionnelle, toute opposition serait quelque

chose de moins qu’un clivage, notamment en termes d’intensité et de durabilité

(« institutionnalisation ») du conflit3. En somme, les lignes de fractures nécessitent une

intermédiation politique pour parvenir à constituer un clivage4. Cela suppose, comme le dit bien

Michel Offerlé, qu’il n’y aurait non pas « d’un côté des clivages bons à ramasser et de l’autre des

1 Voir DAHL, R., ¿Después de la Revolución ?, Gedisa, Barcelone, 1994 [1970]

2 LAGROYE, J., et alii, Sociologie politique, op. cit., p. 199.

3 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability. the stabilization of the european

electorate, 1885-1985, Cambridge University Press, 1990; DEEGAN KRAUSE, K., “New dimensions of political

cleavage”, in DALTON, R.J., KLINGEMANN, H.D., The Oxford handbook of political behaviour, Oxford University

Press, 2007, pp. 538-544. 4 SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis politiques », in Cahiers français, n°276, 1996, p. 51-59.

172

partis prêts à le faire »1, mais que ce sont, à l’inverse, les partis qui en publicisant et politisant les

sources de conflits, créent une identité sociale et politique de démarcation2 tout en structurant des

réseaux de représentation. Le processus est une réussite lorsque les partis parviennent tout en se

dotant d’une « identité politique », à créer une « marque » de légitimité autour de cette identité

auto-créée, à agglomérer différents acteurs entre-eux autour de cette marque et à les mobiliser.

Ainsi, à titre d’exemple les Partis socialistes et communistes ont su traditionnellement, en Europe

continentale, se poser comme les interlocuteurs privilégiés de la classe ouvrière, de par l’origine de

leurs membres, leurs relations directes avec les intérêts de la classe ouvrière et leur activisme

politique et syndical.

Les processus historiques de changement de l’ordre politique sont donc aussi bien des

conséquences que des causes de ces changements. Par exemple, les processus de libéralisation de

l’ordre politique, via l’élargissement de la représentation politique, ont particulièrement contribués

aux ré-ordonnancements partisans, au travers de l’apparition et le maintien de nouveaux partis

porteurs de nouvelles revendications. Ils ont également conduit à « cristalliser » la compétition

politique autour des débats centraux lors de l’accession au vote massif3. Ainsi, bien que les

divisions existent pratiquement partout, et que dans certains cas on observe un croisement des

clivages sur le champ politique, ces clivages n’ont toutefois pas tous, et partout, le même impact

sur la compétition politique et la capacité à mobiliser un nombre important d’acteurs4. Chaque

nouveau clivage n’est pas nécessairement porté par un nouveau parti. Dès lors, le nombre de

« partis significatifs » d’un système de parti dépend de la force et de l’ampleur de l’implantation

des réseaux partisans sur l’ensemble du territoire national5. En somme, à chaque clivage ne

correspond pas nécessairement une opposition partisane différente.

Ceci implique que, suivant les cas et les époques, certains clivages peuvent être plus

« structurants »6 que d’autres. A l’inverse de ce que défend Rogowski, l’articulation et la

structuration de lignes de clivages ne dépend pas d’un choix rationnel de la part des électeurs7, mais

1 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006, p. 30.

2 TILLY, C., « Stein Rokkan et les identités politiques », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 2, No. 1,

1995, p. 27-45. 3 LIPSET, S., « Cleavages, parties and democracy », in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter

alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp 1-9; DELFOSSE, P., « La théorie des clivages. Où placer le

curseur ? Pour quels résultats ? », in Revue internationale de politique comparee, Vol. 15, No. 3, 2008, pp.363-388 4 ROKKAN, S., Citizens, elections, parties.., op. cit p.143.

5 SARTORI, G., Parties and party system, ECPR- Oxford University Press, 2006 [1976] ; FROGNIER, A-P., «

Application du modèle de Lipset et Rokkan à la Belgique », in Revue internationale de politique comparee, Vol. 14,

No. 2, 2007, pp. 281-302 6 ZUKERMAN, A., « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443

7 ROGOWSKI, R., Commerce and coalitions: how trade affects domestic political alignment, Princeton University

Press, 1990

173

tourne surtout autour d’une configuration historique accumulée des élites territoriales et la

structuration de leurs oppositions originelles1. Ainsi, du degré de contrôle et proximité des élites

politiques avec les éléments de la « périphérie » culturelle ou sociale dépend la capacité

d’additionner les « camps » respectifs de chacune de ces divisions vectrices d’oppositions

identitaires2. Les frontières entre chaque clivage tendent alors à coïncider et à se superposer

3, alors

que les démarcations identitaires demeurent fortes, de parts et d’autres des clivages. Bien que

diverses lignes de conflits peuvent exister dans une société, et diverses identités sociales peuvent en

venir à cohabiter sur un même territoire, il se peut qu’un parti ou un système partisan aligne ces

différentes lignes de fracture sur un clivage « dominant », autour duquel les différentes oppositions

identitaires viennent se superposer quasi symétriquement. Dans ces cas, les lignes de démarcations

se manifestent davantage à l’intérieur des partis, et ne sont vectrices de sédition que si le parti ou le

système de parti s’avère incapable de les absorber et réaligner.

3.1.2 La matérialisation et l’évolution des lignes de clivages entre les partis

Comme nous l’avons vu en introduction, le concept de clivage4 implique donc, en premier lieu,

une initiative de la part de représentants à proposer des biens d’identité politique (discours, valeurs,

programmes d’action, etc.), et à les diffuser au travers du double processus de construction d’une

identité collective délimitée rationnellement et symboliquement, par opposition et différence, avec

un ou des adversaires également identifié(s)5. Ceci suppose que la matérialisation et la pérennisation

des clivages dépendent d’une institutionnalisation ou « cristallisation » des oppositions sociales

préexistantes à l’intérieur d’une société donnée. Enfin, si « chaque clivage acquiert une normative

distincte de son profil et de son réseau d’organisation »6, cela suppose qu’à cette identité politique

collective créée par les partis se raccorde une identité organisationnelle et comportementale

reconnue par les acteurs qu’il mobilise. Or, il ne peut y avoir déplacement des lignes de fractures,

sans altération de ses éléments fondationnels que sont les partis et systèmes de partis7. La

réciproque n’est, toutefois, pas automatique. En effet, si un changement ou « dégel » des lignes de

1 LIJPHART, A., « Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,

South Africa, and Switzerland », in American Political Science Review, Vol. 73, No. 2, 1979, pp. 442-458. 2 TILLY, C., op. cit.

3 Maurice Duverger va dans ce sens lorsqu’il parle de la « superposition des dualismes ». DUVERGER, M., Les Partis

politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951]. 4 Nous avons présenté une définition du concept en introduction.

5 GAXIE, D., La démocratie représentative, Monchrestien, Paris, 2003.

6 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability… op. cit, p. 217.

7 OFFERLE, M., Les Partis politiques, op. cit ; GAXIE, D., La démocratie représentative, op. cit.

174

clivages présuppose un changement critique du système de parti, tout changement dans le système

de partis n’entraîne pas mécaniquement une transformation des lignes de clivage. A l’étude de la

formation et de l’émergence des clivages doit précéder une analyse contextuelle et structurelle de

l’émergence des antagonismes collectifs pertinents et mobilisateurs, ainsi que des «mécanismes de

cristallisation »1. Cela suppose donc l’analyse des séquences historiques « critiques », énonciatrices

de la cristallisation des principales fractures sociales.

En se basant sur l’histoire politique des pays d’Europe occidentale, la théorie des clivages a

avancé que les identités sociales et politiques se sont alignées autour de quatre lignes, de manière

successive ou parfois concomitante, suivant différentes périodes de l’histoire moderne, et

l’émergence de différents types de révolutions « déclencheuses »2. Tout d’abord, les « révolutions

nationales »3, découlent des oppositions de type géographiques et culturelles où face à une

construction nationale et l’établissement d’une administration étatique, opérée par un « centre » de

pouvoir dominant, vient s’opposer des cultures régionales ou « provinciales » qui se résistent de

manière plus ou moins forte à une assimilation forcée, au motif de la préservation de leur

« identité » régionale. Le conflit tiendrait à être d’autant plus intense et durable dans les territoires

marqués par un degré élevé d’hétérogénéité culturelle, linguistique et/ou ethnique. L’Espagne

constitue un bon exemple de cela, où à la culture castillane dominante, s’oppose les « résistances »

basques, catalanes etc…

De cela émane un second clivage qui se résume par une opposition sur l’influence des Eglises

sur la sphère nationale. Ces oppositions se matérialisent autour de l’importance de la morale

religieuse sur les affaires humaines, en termes notamment d’éducation et de valeurs. Les défenseurs

d’une sécularisation de la société s’opposent aux « défenseurs des religions ». Ces oppositions,

débouchent sur la création de partis laïcs, tels les partis radicaux et les partis libéraux, et leurs

opposants « conservateurs », partis chrétiens (puis « chrétiens-démocrates »), et autres partis

religieux4. Ces clivages sont particulièrement présents dans les pays présentant plusieurs courants

religieux, et où la structuration du champ politique ne s’est pas opérée des suites de « déposition »

1 LIPSET, S., et ROKKAN, S., op. cit., p. 31; MAIR, P., Party system change, Cambridge University Press, 1998

2 Pascale Delfosse, plus directe, avance ainsi: “pas de clivage(s) sans révolution préalable”, in DELFOSSE, P., « La

théorie des clivages. Où placer le curseur ? Pour quels résultats ? », op. cit., p. 385. 3 Les travaux de Lipset et Rokkan se basent uniquement sur l’Europe Occidentale, aussi les cas relevant de la notion de

« révolution nationale », correspondent essentiellement à i) des réordonnements ou des « dépositions » politiques,

comme nous avons décrit les caractéristiques précédemment, dont les cas paradigmatiques seraient la Grande Bretagne

et la France ; et ii) des unifications ou confédérations nationales, tels les cas typique de l’Allemagne, l’Italie ou la

Belgique. Nous pouvons néanmoins étendre la notion aux processus d’émancipation et indépendance, caractéristiques

des nations latino-américaines au XIXe siècle. 4 ROKKAN, S., Citizens, elections, parties, New York, David McKay, 1970; et ERTMAN, T., “Western European

party systems and the religious cleavage”, in VAN KERSBERGEN, K., et MANOW, P., Religion, class coalitions, and

welfare states,Cambridge University Press, 2009, pp. 39-55.

175

politique1. Les Pays Bas, l’Autriche, la Belgique et d’une certaine manière l’Italie, sont autant de

cas ayant expérimenté l’apparition de partis de « défense des religions », à l’inverse de la France ou

la Grande Bretagne, ou les partis conservateurs jouent, entre autres choses, ce rôle2.

A ces révolutions politico-identitaires, dont le modèle initiateur et paradigmatique est la

révolution française, se succèdent les processus liés à la révolution industrielle, initiée en Grande

Bretagne à la seconde moitié du XIXe siècle, et dont les implications sont essentiellement d’ordre

socio-économique. La transformation des sources de production de richesse, leur délocalisation

depuis les champs vers les usines et l’apparition de la classe ouvrière, débouchent sur la naissance

de deux nouveaux conflits « fonctionnels »: le premier culturel, le second social. De cette seconde

révolution, naissent des conflits identitaires axés sur une dichotomie « d’intérêts », dont les deux

expressions les plus courantes sont les conflits d’intérêts culturels et économiques entre ruraux

(agrariens) et urbains, puis les conflits d’intérêts « de classe » opposants les travailleurs aux

possédants. Cette opposition conduit, au XXe siècle, à l’émergence d’une nouvelle révolution

internationale, la révolution bolchévique, de laquelle débouche le clivage le plus largement repris

pour faire état d’oppositions identitaires et politiques, est une dichotomie fonctionnelle de notions

abstraites ou « topographiques »3.

Cette ligne de fracture identitaire tient du clivage en raison de son origine, et du fait que chaque

pôle existe par opposition à l’autre. Elle apparaît, en effet, lors de la révolution française marquant

grosso modo, l’opposition entre tenants de l’ancien régime (droite) et députés révolutionnaires du

tiers-état (gauche)4. Mais la consolidation de cette opposition s’installe après la Révolution

industrielle et découle d’une métamorphose de la représentation des suites de la généralisation du

suffrage universel masculin marquant l’avènement de la démocratie de partis5. En effet, les

processus d’industrialisation des sociétés européennes, liés à la révolution industrielle, ont favorisé

les oppositions autour de la notion de progrès tant technique que social, en fonction des aspirations

et priorités des différents groupes concernés. Suivie des phénomènes de libéralisation démocratique

et de l’institutionnalisation de la représentation politique au travers de partis, cette notion de

progrès va se diversifier et être reprise et dichotomisée par les partis. Les partis ouvriers (gauche)

appelant au progrès social (ou justice sociale), les clubs puis partis des « entrepreneurs » (droite) au

1 KALIVAS, S., The rise of christian democracy in Europe, Cornell University Press, New York, 1996

2 ROKKAN, S., op. cit.

3 LAPONCE, J., Left and Right: The topography of political perceptions, University of Toronto Press, 1981; BOBBIO,

N., Left and right: The significance of a political distinction, University of Chicago Press, Chicago, 1996. 4 Voir SCHWEISGUTH, E., « Clivage droite-gauche », in PERRINEAU P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, Puf,

Paris, 2001, pp. 201-205. 5 Les notions de “métamorphose de la représentation” et “démocratie de partis” sont empruntés à Bernard Manin, dans

MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].

176

progrès économique et technologique. Enfin les partis « conservateurs », s’alignent également à

droite et prônent traditionnellement un discours revendiquant le maintien de l’ordre politique et

social, ainsi qu’une relation privilégiée avec le fait religieux.

Cette opposition qui constitue un clivage de classe1, repose essentiellement sur des questions

d’ordre socio-économiques. L’internationalisation puis le « gel » de la notion se produit des suites

de la Révolution Bolchévique de 1917, où à la dichotomie gauche/ droite va s’additionner et se

superposer symétriquement une série d’oppositions multithématiques où l’opposition entre progrès

se décline sur différents thèmes transversaux. De même, les notions de ‘gauche’, ‘gauche modérée’,

‘extrême gauche’, et leur pendant de droite, se calibrent et se mesurent en fonction du degré

d’identification avec la révolution russe, et de la proximité d’avec son organe politique : le Parti

communiste (dès 1918). Le caractère pluriel des notions de « droite » et « gauche », les rend plus

flexibles et en fait des éléments générateur d’identité politique d’autant plus forts, qu’il ne se trouve

pas nécessairement un seul parti de part et d’autre de ce clivage : on s’identifie ainsi plus aisément

de gauche que strictement communiste ou socialiste. La portée de l’identification partisane est en

effet plus sujette au changement, notamment au changement de personnel dirigeant, que celles

portant à un clivage aussi abstrait et flou soit-il.

Toutefois, dans le cas du clivage Droite/ Gauche, la théorie suppose que ce clivage, repose sur

trois dimensions structurantes : a) une composante idéologique, b) une composante

programmatique, et c) une composante organisationnelle. A chaque versant du clivage correspond

une idéologie particulière, matérialisée par une offre programmatique et une organisation interne

propre, vectrice de politisation2. Plus le clivage est structurant et imperméable, plus les acteurs

politiques seraient cohérents et cohésionnés de part et d’autre de chaque camp, plus polarisée se

trouverait la société, et par ricochet la compétition politique3. De même, plus une société

démocratique est clivée, plus les alignements électoraux sont considérés comme stables. Encore

faut-il que les organes de représentations de ces clivages se maintiennent stables et identifiables.

Ajoutons la conception d’interdépendance de chacun des deux camps. L’existence d’un pôle

constitue la « raison d’être » de l’autre4, les positions de chacun se plaçant et se matérialisant vis-à-

vis de celles de l’autre. Cependant comme nous venons de le mentionner, les marques identitaires

autour de cet axe gauche/ droite, ne sont que des photographies du moment, et ne sont donc figées

1 BARTOLINI, S., The political mobilization of the European left, 1860–1980: The class cleavage, Cambridge

University Press, 2000. 2 HAEGEL, F., “Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France », in Revue

Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, No. 1, Bruxelles, 2005, p. 41. 3 SANI, G., et SARTORI, G., « Polarización, fragmentación y competición en las democracias occidentales », in

Revista de Derecho Político, No. 7, 1980, pp. 7-37. 4 BOBBIO, N., op. cit.

177

ni dans le temps ni dans l’espace, et sont sujettes à des réalignements ou ré-ordonnancements de

clivages1. Sans compter qu’il est des thèmes transversaux parfois difficiles à étiqueter de droite ou

de gauche2. Pour autant, l’opposition gauche/droite constitue un référent ou « repère » politique

identitaire3, permettant a priori une comparaison entre époques et sociétés. Enfin, si l’usage de

cette notion semble se résister aux sociétés anglo-saxonnes, qui lui préfèrent l’opposition

conservateurs/libéraux4, la notion d’aile droite/gauche pour « placer » les différentes fractions des

partis, est relativement courante auprès des politistes spécialistes de ces régions.

En conséquence, le principal argument pour parler de « dégel » des lignes de démarcation est

donc structurel (ou « matriciel »). La désindustrialisation graduelle et la rapide tertiarisation des

sociétés européennes (à l’exception notoire de la RFA, puis de l’Allemagne réunifiée) ont contribué

à ce que le clivage gauche/ droite, arrimé autour de l’antagonisme possédants/ travailleurs, se

distende et se diversifie des suites de nouvelles attentes et revendications de la part de populations

sociologiquement plus variées5. Ce processus constitue ce que Pierre Martin appelle la

« Révolution Globale »6. Ce nouvel événement critique est marqué par une transformation –ou

« diversification »- des revendications découlant soit d’agrégation de nouveaux antagonismes post-

matérialistes, soit de réactivations d’anciennes lignes de clivages.

Dans le premier cas, ces nouveaux clivages fonctionnels Homme/Nature et Universalisme/ Anti-

Universalisme7, sont soit « produits » par de nouveaux partis (partis écologistes, nationalistes, etc.),

soit mis en avant voire récupérés par d’ancien partis, et s’insèrent autour du clivage droite/gauche.

La recherche d’amplification de leur clientèles partisanes et le recours massif à la médiatisation de

leurs dirigeants, avec l’apparition des médias de masse, ont conduit la plupart des partis d’Europe

occidentale à une flexibilisation programmatique et organisationnelle, dont le fait marquant est une

autonomisation des partis de leurs structures militantes et une personnification accrue des élections.

Cette évolution renvoi à la description de Bernard Manin de transition depuis la démocratie des

1 Comme nous l’avons présenté précédemment dans notre typologie du changement, il s’agirait donc d’un réalignement

si ce sont les propres agents du système politique qui organiserait ou repositionnerait la ligne de clivage. Nous

parlerons, à l’inverse de réordonnement de clivage si le nouveau clivage est amené par un acteur étranger au système en

place. 2 La référence à la nation est-elle l’apanage de la droite ? Et, bien que les partis « verts » soient généralements alliés

aux partis de gauche, l’écologie est-elle une thématique de gauche ? 3 PARENTEAU, D., et PARENTEAU, I., Les idéologies politiques : le clivage gauche-droite, Presses de l’Université

du Québec, Québec, 2008 ; SCHWEISGUTH, E., « Clivage droite-gauche », op. cit. 4 Aux Etats-Unis, toutefois, cette opposition est davantage intra-partisane qu’ inter-partisane.

5 INGLEHART, R., Modernization and postmodernization: cultural, economic and political change in 43 countries,

Princeton University Press, 1997; INGLEHART, R., et WELZEL, C., Modernization, cultural change, and democracy:

The human development sequence, Cambridge University Press, 2005. 6 MARTIN, P., « Comment analyser les changements … », op. cit., p. 266.

7 Le premier consistant en une prise de conscience écologique le second en l’activation d’un réflexe identitaire,

essentiellement national et culturel, à l’encontre des processus de mondialisation. Voir SEILER, D-L., 2003, op. cit.,

178

partis, vers la démocratie du public1, et à la notion de transformation de la « nature » des partis

élaborée par Kirscheimer, depuis le « parti de masse » vers le parti attrape-tout2. L’élargissement

du clivage droite/gauche, a contribué à ce que celui-ci perde de son intensité manichéenne. Si cette

opposition continue d’être un facteur d’identité politique et idéologique, elle paraît ainsi en perte de

repères identitaires. La « disparition » des partis communistes (au sens de leur influence, aussi bien

qu’au sens figuré), a contribué à l’enclenchement de réalignements profonds, en supprimant la

raison d’être de certains partis significatifs, tels que la démocratie chrétienne italienne3 ; ou en

réordonnançant et « libérant » le vote ouvrier autour du clivage universalisme/ anti-universalisme4.

En résumé, l’émergence des clivages, d’après l’expérience européenne, est donc le fruit de la

combinaison de deux éléments : a) la survenue d’une « révolution » sociétale, qu’elle soit nationale,

internationale ou « globale », portée par b) l’influence et l’action de partis politiques représentant,

politisant et mobilisant autour de lignes de fractures préexistantes. Les changements d’équilibres

partisans procèdent, a leur tour, d’un déclin du soutien d’une « clientèle » partisane (rurale,

entrepreneuriale, ouvrière, etc.), des suites de transformations sociétales et matricielles. Ces

transformations s’expriment soit par un réalignement du système de partis, où certains partis

récupèrent la perte d’influence d’identité partisanes fortes, tout en maintenant ou réadaptant le

système de clivage en place ; soit par l’émergence de partis porteurs de nouvelles revendications

clivantes et de changement d’orientations en terme d’ organisation et de valeur, face auxquels se

répercute la réaction des partis « traditionnels »5. Surtout, la cristallisation du méta-clivage

droite/gauche implique, d’après la théorie, une compétition politique sur des bases idéologiques, où

ce clivage opère comme ligne de fracture de différentiation identitaire entre les partis. Les

successions d’événements critiques ou « révolutions » potentiellement tensiogènes et génératrices

d’antagonismes, ne viennent pas tuer les idéologies en place, mais les transformer dans leur contenu

et dans leur expression morale (de manière conflictuelle ou consensuelle)6. De la sorte, de nouvelles

lignes de tensions sont apparues, s’additionnant ou se substituant aux précédentes. Enfin, la

réactivation de lignes de clivages anciennes, des suites de la « Révolution globale », découle

essentiellement de la résurgence de thématiques régionalistes autour de l’opposition

1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, op. cit, p. 279

2 KIRSCHEIMER, O., « The transformation of western European party system », in LAPALOMBARA, J., et WINER

M., Political parties and political development, Princeton University Press, 1966 3 BOBBIO, N., Left and Right… op. cit.

4 SCHWEISGUTH, E., « Clivage Droite-Gauche », op. cit ; et MACK, C., When political parties die: a cross-national

analysis of disalignment and realignment, Praeger, Sant Barbara, 2010. 5 MAIR, P., MÜLLER, W., et PLASSER, F., “Introduction: electoral challenges and party responses”, in MAIR, P.,

MÜLLER, W., et PLASSER, F., Political parties and electoral change: party responses to electoral markets, Sage

Publications, Londres, 2004, pp. 1-19 6 BRECHON, P., Les partis politiques, Monchrestien, Paris, 1999.

179

centre/périphérie, et plus particulièrement au sein de sociétés où existaient des conflits

intercommunautaires latents1. Dans ces cas de figures, des partis régionalistes, ethniques ou

religieux sont venus couper le clivage fonctionnel dominant, en ajoutant un clivage qui ne se

superpose pas mais concurrence le précédent. D’ailleurs, ces thèmes « territoriaux » réactivés sont

difficilement identifiables et positionnable sur un axe droite/gauche2.

3.1.3 La formation des clivages dans le Cône Sud

De manière concomitante à de nombreux pays européens, la plupart des pays d’Amérique du

Sud, et d’Amérique latine en général, ont entamé leur construction nationale dans la première

moitié du XIXe siècle. Toutefois la forme de ces « révolutions nationales » latino-américaines, et

les acteurs de celles-ci diffèrent des processus européens. Ainsi, pour l’ensemble des pays de la

région, à l’exception notoire du Brésil, le processus de création nationale découle de guerres

d’indépendance contre la lointaine métropole espagnole, entrepris par des créoles (criollos) locaux,

les caudillos, essentiellement des grands propriétaires terriens. Ces deux éléments sont à prendre en

compte puisque la condition de distance avec l’ancienne puissance (à l’inverse des rares processus

similaires en Europe où l’ancienne puissance « occupante » se trouve être voisine), cumulé à la

faiblesse administrative et institutionnelle de la structure coloniale, plonge la région dans une

longue instabilité politique, où les lignes de tensions sont aussi bien internes (entre caudillos)

qu’externes (entre des coalitions de caudillos de « nations » différentes)3. Ce faisant, les révolutions

nationales en Amérique latine seront plus longues à se stabiliser qu’en Europe, les pays étant

marqués par de nombreuses guerres civiles (notamment en Uruguay et en Argentine) ; guerres entre

différents Etats (le Chili par deux fois contre la coalition Pérou-Bolivie) ; séparation et sédition de

1 LIJPHART, A., « Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,

South Africa, and Switzerland », op. cit; 2 Excepté le cas italien où la Ligue du Nord avec son discours à teneur xénophobe la positionne idéologiquement à

droite quand ce n’est « à la droite de la droite » sur l’echiquier italien. Le cas belge est différent, où chaque

communauté linguistique possède son propre système de parti droite-gauche, dont les différentes forces politiques

constituent autant d’îlots face à ce double clivage. 3 Ces processus se différentient des processus européens à la même époque, où les révolutions nationales découlent de

a) nations déjà consolidée dans des frontières plus ou moins stables (France, Grande Bretagne, et dans une moindre

mesure Espagne) et b) de « construction nationales » et confédérations de territoires se revendicant d’une même nation

(Suisse, Allemagne, Italie, Belgique). Les processus d’indépendance « violente » (guerre d’indépendance) ont eu lieu

plutôt vers la fin du XIXe siècle- début du XXe, et ontconcerné essentiellement des Etats d’Europe Centrale et

Orientale (Tchécoslovaquie, pays Balkaniques, Pologne, etc…) d’avec les puissances impériales Austro-hongroise,

Russe et Ottomane. Voir DABENE, O., L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Armand Collin, Paris, 2005;

ROBERTS K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación política en la era neoliberal

latinoamericana”, in CAVAROZZI, M. y ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los partidos latinoamericanos en

la era neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosário, 2003, pp55-75

180

parties entières de territoires (la plupart des pays d’Amérique Centrale vis-à-vis du Mexique, et le

démantèlement de la Grande Colombie en trois Etats : le Venezuela, la Colombie et l’Equateur) ;

ou intervention de puissances extérieures (Panamá, Uruguay1).

Si la motivation première d’opposition et de conflit entre ces caudillos, dans la plupart des cas,

était l’accession ou l’octroi de parcelles de pouvoir politique et économique, la concurrence entre

les acteurs se matérialisait par une opposition généralement binaire autour de deux visions de

l’organisation politique de l’Etat en gestation : centralisateurs contre fédéralistes. Opposition qui

d’une certaine mesure rappelle la dichotomie centre/ périphérie. Or, à cette construction nationale et

stabilisation étatique tardives et chaotique, vient s’ajouter une modèle socio-économique centré sur

l’exportation extensive de produits essentiellement primaires (agricoles pour les zones littorales,

miniers pour les pays andins) jusque la moitié du XXe siècle pour la plupart des pays de la région.

L’instabilité politique et la spécialisation économique ont contribué à retarder et limiter, voire

étouffer, l’implantation de la révolution industrielle dans la plupart des pays de la région2. Ce

« passif » historique permet donc de douter de la structuration de la compétition politique autour de

réels clivages identifiables. D’aucuns postulent ainsi qu’il s’agirait à la fois d’un marqueur et une

cause d’instabilité politique :

« Dans la longue histoire des nations indépendantes d’Amérique latine, les clivages structurels ont

donné lieu à des partis, mais la plupart d’entre eux ont rarement été en mesure de former des

bases de soutiens durables et disciplinées. Ils ont de manière répétée disparu des suites de

l’occurrence de crise en tout genre. La troisième vague des années 1980 leur a donné une nouvelle

occasion de s’enraciner dans la société, mais la encore cela ne s’est produit que dans un nombre

limité de pays. Par conséquent, nous devons considérer la majeure partie des systèmes politiques

latino-américains, au mieux, comme des démocraties instables. »3

Cependant, comme le remarque Pierre Ostiguy :

« Les préférences politiques ne sont pas strictement liées à des thématiques politiques ou à des

idéologies, et ne sont pas toujours guidées par des calculs froids d’intérêts matériels, pour autant,

les motivations sur les préférences sont variées et l’identification est un facteur important »4

La construction des systèmes de partis et la compétition politique en Amérique latine est donc le

produit de concurrences originelles entre les oligarchies, où la relation entre gouvernants/gouvernés

1 L’indépendance de l’Uruguay, des suites de la guerre entre l’Argentine et le Brésil, découle d’une médiation

britannique afin de créer un Etat tampon entre les deux puissances, et surtout internationaliser le fleuve Uruguay et

faciliter ainsi le passage de bateaux britanniques. 2 DABENE, O., L’Amérique latine à l’époque contemporaine, op. cit, pp.7-32 ; ROUQUIE, A., Amérique Latine:

introduction à l’extrême occident, Seuil, Paris, 1998, pp. ; HALPERIN DONGHI, T., Historia contemporánea de

América latina, Alianza Editorial, Madrid, 2005 [1969], particulièrement entre les pages 220-280. 3 LIPSET, S., « Cleavages, parties and democracy », op. cit., p.8

4 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics:a two-dimensional political space for comparative analysis and

electoral studies”, Working Paper N°360, The Hellen Kellog Institute, Université de Notre Dame, Juillet 2009, p.42.

Traduction propre

181

et représentants/représentés, se fonde davantage sur des bases clientélaires et symboliques, plutôt

qu’idéologiques1. Les partis politiques latino-américains ont, en effet, traditionnellement été

considérés comme des partis dénués d’idéologies claires et dont l’opposition politique se fonderait

sur des antagonismes intra-oligarchiques2. De ce fait, les systèmes partisans de la région, à

l’exception du Chili, ne seraient pas structurés autour de clivages « sociétaux » mais autour

d’intérêts et conflits essentiellement personnels3. Les partis latino-américains seraient donc pour la

plupart, des machines électorales à l’image des partis Etats-uniens où les éléments de « sociation »4

entre les partis et leurs électorats reposeraient davantage sur des considérations utilitaristes et

personnelles. Cela expliquerait ainsi l’absence d’une structuration partisane sur des bases

idéologiques et programmatiques. Mais suppose-t-elle l’absence de lignes de clivage ? Et, par

ricochet, sur quelles bases se structure la compétition électorale quand les liens de sociation ne sont

pas programmatiques ?

Malgré ce que l’on vient de voir, il est remarquable d’observer que la plupart des auteurs vont

s’atteler à classifier les systèmes de partis latino-américains autour du clivage droite/gauche5, et à

décrire son expression partisane6. Aussi, à quoi correspond la dichotomie droite/gauche en

Amérique latine, et plus particulièrement dans le Cône Sud ?

a. Origines de la structuration partisane dans le Cône Sud

Nous avons analysé, au chapitre précédent, les trajectoires historiques des systèmes de partis du

Cône Sud-Américain, ainsi que la culture gouvernementale associée. Nous avons relevé,

notamment, le caractère particulièrement consensuel du système politique uruguayen (surtout au

1 ROUQUIE, A., Amérique Latine: introduction à l’extrême occident, op. cit. ; FREIDENBERG, F., GARCIA, F., et

LLAMAZARES, I., « Instituciones políticas y cohesión ideológica. Un analisis multinivel de la heterogeneidad

ideológica en os partidos latinoamricanos », in ALCANTARA SAEZ, M., Políticos y política en América Latina, Siglo

XXI/ Fundación Carolina, Madrid, 2006, pp. 255-280. 2 Voir respectivement DIX, R., “Cleavage Structures and Party Systems in Latin America”, in Comparative Politics,

Vol. 22, No. 1, 1989, pp. 23-37; et ROBERTS, K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación

política en la era neoliberal latinoamericana”, op. cit. 3 MAINWARING, S., Rethinking party systems in the third wave of democratization: the case of Brazil, Stanford

University Press, 1999; DIX, R.H., “Cleavage Structures and Party Systems in Latin America”,op. cit. 4 Notion propre à l’analyse weberienne des partis politiques, où ceux-ci servent à la fois de canalisateurs d’intérêts

communs et d’intermédiaire à la réalisation d’objectifs communs, idéaux ou matériels. Sur l’approche weberienne des

partis politiques voir OFFERLE, M., Les Partis politiques, op. cit ; et WINTER, E.,« Quelques "études de cas" et une

théorie des relations sociales : la sociologie des groupes ethniques de Max Weber », in Les Cahiers du Gres, Vol. 1,

No.1, 2000, p. 23-33. 5 Voir notamment COPPEDGE, M. “A classification of latin american political parties”, Kellogg Institute Working

Paper No. 244, Notre Dame University, 1997. 6 Voir récemment COLOMER, J., et ESCATEL,L., “La dimensión izquierda-derecha en America Latina”, in

Desarrollo Económico, Vol. 45, No. 177, 2005, pp. 123-136; ALCANTARA, M., “Partidos políticos en América

latina: precisiones conceptuales, estado actual y retos futuros”, in Documentos Cidob América Latina, No.3, 2004;

ALCÁNTARA, M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en América Latina”, in Política y

gobierno, Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 349-390

182

XXe siècle) et, à l’inverse, les cultures confrontationnelles voire conflictuelles –suivant les

époques- propres aux systèmes chilien et argentin. De même, nous avons montré que le nombre

d’acteurs, et pour autant la structuration de la compétition politique, a constitué l’un des éléments

de différentiation entre les trois pays. La compétition est traditionnellement bipartisane en Uruguay

et en Argentine (avec le bémol de l’instabilité politique, et de l’influence du « parti militaire », pour

cette dernière), et multipartisane au Chili ; ce qui a influé notamment sur les contenus et les

fondements des oppositions partisanes. Pour autant, les trois sociétés ont en commun une forte

pénétration des différents partis dans la structure sociale, particulièrement après l’approbation du

suffrage universel (masculin)1 et une forte assimilation sociétale des lignes de démarcation

partisanes, lesquelles se structurent rapidement en oppositions d’identités sociales fortes et

institutionnalisées.

Structuration du système de partis uruguayen

Comparativement, le système de partis uruguayen est celui qui s’est formé et consolidé en

premier, n’ayant d’ailleurs pratiquement pas changé sur la majeure partie du XXe siècle, jusqu’en

1971. La structuration et postérieure consolidation du système partisan uruguayen, autour de la

dyade Blancos/ Colorados, procède du processus d’indépendance du pays, lequel est marqué

paradoxalement par de nombreux affrontements armés entre deux factions, appuyées initialement

par des nations étrangères rivales (entre autres l’Argentine, l’Angleterre, la France et le Brésil), qui

s’inscrivent dans le triple contexte d’indépendance des Provinces Unies du Río de la Plata, de

guerre civile qui s’en suit (opposant unitaires contre fédéralistes), et de la « guerre du Brésil »

opposant ce dernier à l’Argentine. Ainsi l’antagonisme originel structurant ultérieurement

l’opposition identitaire est fondamentalement belliqueux24

et découle aussi bien de différends entre

les « partis traditionnels », dans les visions politico-administratives (centralistes/ fédéralistes),

comme des soutiens internationaux. Le Partido Colorado dirigé par le caudillo militaire José

Fructuoso Rivera, initialement soutenu par les Brésiliens et les unitaires (défaits) Argentins, et

structuré autour de Montevideo, s’oppose alors au Partido Nacional (ou Blanco), conduit par

Manuel Oribe, appuyé par les fédéralistes Argentins, et essentiellement rural2. En raison de ce

1 Respectivement en 1888 au Chili, 1912 en Argentine, et 1918 en Uruguay.

24 CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., « La democracia en Uruguay : una partidocracia de consenso » in Política, Vol.

42, 2004, pp. 221-247; MOREIRA, C., “Problematizando la historia de Uruguay: un análisis de las relaciones entre el

Estado, la política y sus protagonistas”, in LOPEZ MAYA, M., et al, Luchas contrahegemónicas y cambios políticos

recientes en América Latina, Clacso, Buenos Aires, 2008, pp. 366-373. 2 Nous l’avons déjà mentionné, les noms « colorés » des partis, Colorado (Rouge en espagnol) vs/Blanco, provient en

réalité de la bataille de la Carpintería, six ans après l’indépendance formelle du pays, et représentant les couleurs de

chacune des deux factions, à ceci près que le rouge (« colorado ») est une couleur ad hoc, puisque les factions de

183

passif historique, le bipartisme qui s’instaure est donc marqué par une logique de confrontation.

Dans une société initialement non « polyarchisée » et non stabilisée, l’accession au gouvernement

contenait ainsi une dimension dramatique, jusqu’en 1904, où « perdre une élection revenait à

perdre tout, et cela suivant toutes les probabilités, sans aucune espérance de récupérer le pouvoir

sinon par la violence »1.

Les événements de la guerre civile de 1904, et son résultat particulièrement meurtrier (pour une

population totale inférieure au million d’habitants), marque la nécessité d’une pacification de la vie

politique uruguayenne. Pour ce faire, une Convention Nationale Constituante est adoptée en 1916

pour établir des changements constitutionnels et institutionnels. De cette convention débouche une

nouvelle Constitution qui établit entre autre l’organisation partiellement collégiale du pouvoir

exécutif28

et un système électoral (la Ley de lemas) favorisant la diversité des candidatures et des

fractions à l’intérieur des partis2. Surtout, des suites de cet événement s’installe la figure de José

Batlle y Ordóñez comme principale figure, colorada, de la vie politique uruguayenne.

Si la compétition politique découle initialement d'une dichotomie centre urbain (colorados)/

intérieur rural (blancos), faiblement polarisée, celle-ci évolue « naturellement » vers un

antagonisme de type libéral/conservateur. Le Partido Colorado, et son courant dominant héritier de

la gestion de Batlle, représente le camp libéral, laïc, centralisateur et développementaliste ; le

Partido Nacional, divisés entre suiveurs d’Oribe et du caudillo Aparicio Saravia (mort lors de la

guerre civile de 1904), représente le « camp » conservateur, décentralisateur, chrétien et libre-

échangiste3. Rappelons, toutefois, que la structuration des partis uruguayens en plusieurs

« fractions » (sublemas) internes, rend cette dichotomie finalement peu évidente, puisque dans

chacun des partis nous trouvons des fractions «libérales » et d’autres « conservatrices ». Les

courants dominants se succèdent à l’intérieur de chaque parti, en fonctions des époques, même si

l’impact de Batlle et Ordóñez sur la structuration de la compétition partisane demeure central

jusque 1958. Ainsi, de manière analogue au bipartisme nord-américain, le caractère hétérogène des

partis illustre une certaine permanence du clivage territorial centre urbain/ périphérie rurale, que

l’on retrouve dans les résultats électoraux des partis, où le Partido Colorado est essentiellement

Rivera ont du adopter sur le tard cette couleur en remplacement du bleu clair (« celeste ») qui se déteignait et se

confondait donc avec le blanc de la faction rivale. 1 RAMIREZ, J.A., Dos ensayos constitucionales, Ministerio de Instrucción Pública y Previsión Social/ Colección de

clásicos uruguayos, 1967, p. 130. 28

Nous avons vu dans un précédent chapitre que l’exécutif cétait constitué, d’un côté par le président de la République

élu au suffrage universel, et d’un autre par le Conseil National d’Administration (CNA), composé de neuf membres,

eux aussi élus au suffrage universel, suivant de modalités différentes. 2 Voir supra chapitre 2.2.1

3 GONZALEZ, L., “Continuidad y Cambio en el Sistema de Partidos Uruguayo”, in MAINWARING, S., et SCULLY,

T., La Construcción de Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996,

pp. 113-132

184

implanté à Montevideo et sur le littoral ainsi que dans le département nordiste de Rivera, alors que

le Partido Blanco est présent dans l’intérieur du pays1. Dès lors, la forte pénétration des partis dans

la société uruguayenne et la nature des liens entre ceux-ci avec leur électorat ne repose pas

vraiment sur des bases idéologiques, mais davantage sur des bases clientélaires et symboliques.

La « distance » en termes de polarisation idéologique entre les deux partis, demeure

particulièrement faible. Les courants internes, surtout au Partido Colorado, se succédant entre eux.

Ce sont donc des propres partis traditionnels, et plus particulièrement le PC en raison de son

caractère dominant sur le système politique uruguayen jusque 1958, que proviennent les

alternances, ce qui met en évidence le caractère hétérogène et la flexibilité de leur composante

programmatique et idéologique. Ainsi, le Batllisme, historiquement majoritaire et progressiste

s'oppose au Riversime (plus conservateur et minoritaire), au sein du Partido Colorado. Par la suite,

ces différents courants ont subi de nombreuses divisions et ont perdu progressivement leurs repères

identitaires originels. De même l'Herrerisme, courant initié par le leader blanco Luis Alberto de

Herrera constitue le courant majoritaire au cours du XXe siècle au sein du Partido Nacional. Celui-

ci, bien que de sensibilité plus conservatrice2, représente surtout les intérêts des estancieros

(propriétaires terriens de l'intérieur), auquel s’opposent des groupes blancos indépendants

initialement peu organisés, qui se structurent au cours des années 1960 autour de la personne de

Wilson Ferreira, de sensibilité plus progressiste. Ces différents courants vont tour à tour se disputer

la domination du Partido Nacional, jusqu'aujourd'hui.

Sur le plan du système partisan, la compétition est quelque peu plus monotone. Jusque 1971,

aucune alternative partisane significative n'apparaît viable, en dehors des deux partis. Les « partis

d'idées », cumulés, n'obtenant jamais plus de 8% de l'électorat. Cela est facilité par deux facteurs :

i) l’absence de révolution industrielle en Uruguay, où l’économie est essentiellement agro-

exportatrice, ce qui provoque ii) l’absence d’une classe ouvrière développée, au profit d’une

relative homogénéité socio-économique de la société uruguayenne3.

Pour autant, la principale caractéristique du système de parti uruguayen et facteur de sa stabilité,

à savoir la forte institutionnalisation de ses partis, va se révéler être sa principale faiblesse. Comme

le montre Angelo Panebianco4, à un fort degré d'institutionnalisation du système de partis,

1 FREGOSI, R., “La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay”, in BLANQUER et al.,

Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des Amériques, Paris, 2004, pp. 127-136. 2En manifestant notamment son appui au coup d'Etat « civil » déclenché par le président colorado Gabriel Terra, des

suites de l'immobilisme politique au sein du pouvoir exécutif bicéphale (voir supra), produit par Grand Dépression des

années 1930. 3 LANZARO, J.,“ Continuidad y cambios en una vieja democracia de partidos: Uruguay 1910-2010”, in Cuadernos del

CLAEH, Nº 100, 2012. 4 PANEBIANCO, A., Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988, pp. 12-15.

185

correspond une plus grande rigidité organisationnelle et une moindre rénovation de l'élite politique.

La capacité d'adaptation des partis face à des situations critiques tant internes qu'externes suppose

une combinaison de critères tant organisationnels (proposition d'une nouvelle stratégie anticyclique

ou de sortie de crise, conjointement avec l'apparition ou l'affirmation d'un leadership fort),

idéologiques (avoir la capacité d'imposer cette stratégie comme dominante au sein du parti ou par

une neutralisation des stratégies dissidentes) et conjoncturelles (susciter l'adhésion autour du projet

tout en maintenant la «clientèle électorale traditionnelle »)1. Or, pour être viables, ces

transformations doivent s'inscrire dans la continuité de la culture d'organisation2 propre à chaque

parti, et respecter sa « marque » et son capital objectivé3. La capacité d'adaptation des partis

traditionnels uruguayens s'est révélée insuffisante alors que le modèle socio-économique du pays,

d'orientation keynésienne, entrait en crise. Ni le système de partis, ni le système politique collégial,

puis à nouveau présidentiel (depuis 1967), n'ont été suffisamment flexibles pour faire émerger de

nouveaux leaderships et des idéologies alternatives.

C'est dans ce contexte qu'émerge à la toute fin des années 1960 un nouvel acteur politique

regroupant l'ensemble des « partis d'idéologie » (de la gauche marxiste à la démocratie chrétienne)

jusqu'alors très minoritaires sur la scène politique du pays4; ainsi que des fractions coloradas et

blancas dissidentes. Cette coalition de partis, le Frente Amplio (FA), réalise une percée lors des

élections de 1971 et se présente comme une alternative, encore minoritaire, aux deux « grands »

partis, bouleversant la routinisation du système de partis uruguayen. En effet, en réalisant 18,3%

lors des élections de 1971, et bien que les deux « grands partis » regroupaient encore plus de 80%

de l'électorat, le FA va contribuer à porter atteinte à l'hégémonie bipartisane. Cette conjonction

d’événement critique (crise économique et apparition du FA), en plus de précipiter le coup d’Etat

de 1973, jette les bases d’un ré-ordonnancement du système de partis et du système de clivage.

Structuration du système de partis chilien

Le cas chilien est plus mouvant, mais à la fois plus « européen ». En effet, la période

d’instabilité post-indépendantiste, fut relativement courte (12 ans, de 1818 à 1830), en raison d’une

1 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Linardi y

Risso, Montevideo, 2005. 2 BRÉCHON, P., Les partis politiques, op. cit.

3 Entendu comme relation sociale et capacité de reconnaissance et d'adhésion envers le parti progressivement assimilés

par la communauté de militants, sympathisants ou simples électeurs. Voir OFFERLÉ, M., Les Partis Politiques, PUF,

Paris, 2006, pp.26-27. 4 Précédemment était apparu le Mouvement de Libération Nationale- Tupamaros (MLN-T), d'inspiration marxiste et

guévariste, organisé comme groupe guerrillero.

186

certaine homogénéité ethnique, sociale et géographique1 de la société chilienne. L’identité chilienne

s’est façonnée et développée sur les bases de la capitainerie coloniale s’étalant géographiquement

sur une superficie équivalant à trois régions françaises, fortement centralisée et en alerte perpétuelle

face à la « menace » Araucane, plus au sud. L’étroitesse du territoire a limité l’essor de grands

caudillos propriétaires terriens et a contribué à une certaine homogénéité sociale de la société,

laissant donc peu de place à la structuration et mobilisation de clivages territoriaux (suivant la

terminologie de Lipset et Rokkan)2. Les conflits intervenant après la « révolution nationale »,

opposant fédéralistes à centralistes, tourne court au profit de ces derniers, en 1830. La Constitution

de 1833, élaborée par Diego Portales qui contenait de forts traits autoritaires et qui jette les bases de

la « République conservatrice », a surtout conduit à la formation des premiers « clubs » politiques,

dont l’affiliation devait respecter certain degré de proximité et d’engagement idéologique. Ceux-ci,

formés par l’oligarchie et la bourgeoisie, s’articulent alors autour de deux questions centrales

d’ordre fonctionnel : i) la centralité des pouvoirs présidentiels et ii) le débat autour de la place de

l’Eglise catholique, ses attributions et influences. Et si ce second clivage est venu occuper une place

structurante, en subordonnant le premier, il ne l’a pas pour autant éteint3.

C’est sur ces bases que s’institutionnalisent les premiers partis politiques : le Parti conservateur

(proche de l’Eglise, centraliste, et défenseur d’un pouvoir fort), le Parti libéral (laïc,

décentralisateurs, et défenseur d’un pouvoir équilibré), et l’éphémère Parti national (laïc,

centralisateur, et autoritaire). La disparition de celui-ci (avec son fondateur Manuel Montt),

conjugué à une alliance « contre nature » entre libéraux et conservateurs, va conduire à la naissance

du parti radical, une fraction sécessionniste du parti libéral, comme parti laïc et représentant les

intérêts des classes moyennes et des fonctionnaires. Le système de partis se stabilise autour de ces

trois partis, jusque dans les années 1920, autour du clivage structurant clérical/anticlérical. Dans

cette compétition, le Parti libéral occupe une place centrale et centriste4, durant la majeure partie de

la « République parlementaire » (1891-1925).

Toutefois, la Guerre du Pacifique (1879-1883), opposant le Chili à une coalition militaire

stratégique entre le Pérou et la Bolivie, constitue un tournant dans la transformation de la société

chilienne. En effet, si la victoire chilienne renforce un sentiment national déjà particulièrement fort

1 Le Chili est caractérisé, comme nous l’avons vu précédemment, par une remarquable stabilité institutionnelle,

politique et démocratique, jusqu’en 1973. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de périodes de troubles (guerres

civiles en 1857 et 1891, coups d’Etat « éclairs » en 1925 et 1932), mais ces événements se sont révélés particulièrement

ponctuels et n’ont pratiquement pas affecté l’ordre politique et institutionnel du pays. 2 BOENINGER, E., Políticas públicas en democracia: institucionalidad y experiencia chilena 1990-2006, Cieplan/

Uqbar, Santiago, 2007, p.17. 3 VALENZUELA, S., J. S., “Orígenes y transformaciones del sistema de partidos en Chile”, in Estudios Públicos,

No.58, 1995, pp. 5-78 4 SCULLY, T., Los partidos de centro y la evolución política chilena, Cieplan, Santiago, 1992.

187

et consolidé, elle entraîne surtout un gain de territoire conséquent pour le pays (les actuelles Ière

, IIe

et partie de la IIIe région nordiste, soit près d’un cinquième du territoire actuel du pays) et

particulièrement riche en minerai (salpêtre et cuivre). Aussi, le début de l’exploitation minière, dès

la fin du XIXe siècle, puis la conversion de l’économie chilienne au processus d’industrialisation

du pays, conduit à une transformation de l’organisation sociétale chilienne, dont les principales

caractéristiques sont i) l’apparition et la constitution d’une classe sociale ouvrière minière puis

urbaine, ii) celle-ci commence à s’organiser en organisations mutualistes et syndicales1 conduisant

de nombreux mouvements et mobilisation ouvrières2; puis iii) des suites de l’avènement du

suffrage universel masculin (1888) les mouvements ouvriers se constituent en partis dont le Parti

démocrate (1887), le Parti ouvrier socialiste (1912) devenant plus tard le Parti Communiste chilien

(PCch, en 1922) ; puis le Parti Socialiste chilien (PSch, en 1933).

L’intensification de l’industrialisation au XXe siècle, impulsée par l’activité minière, conduit à

un ré-ordonnancement du système partisan, autour d’un clivage de classe, similaire et pratiquement

concomitant aux processus ayant cours en Europe3, et reposant sur des bases idéologiques et

programmatiques fortes. Ce processus socio-économique, combiné à une forte présence politique

de l’Etat et des agents de l’Etat, conduit dès les années 1940 à une transformation de la matrice

sociopolitique chilienne4, vers une structure de type Etato-centrique

5, où l’Etat se place au cœur du

modèle de développement économique et social (caractérisé pour les cas latino-américains par le

modèle d’industrialisation par substitution d’importations, ou modèle « ISI »), et via

l’intermédiation plus ou moins fort des partis politiques.

Pour autant, la compétition politique d’alors ne reposait pas uniquement sur des bases

idéologiques. En effet, les partis non-marxistes et antimarxistes, plus particulièrement le Parti

conservateur et le Parti radical (puis la Démocratie chrétienne) ont longtemps maintenu des

relations avec leur électorat autour de liens de type clientélaire (tel que le « cohecho », ou d’autres

pratiques diverses « d’achat » de votes), en particulier en milieu rural6. Dans les années 1930 la

1 Dont la Fédération Ouvrière du Chili, en 1909, d’inspiration communiste ; la Confédération Nationale Syndicale,

d’inspiration socialiste, en 1931, et la Confédération Générale des Travailleurs, d’inspiration anarchiste, en 1931. Les

deux premières intersyndicales fusionnant en 1936 pour former la Confédération des Travailleurs du Chili. 2 Dont la plus tristement célèbre et la grève générale des travailleurs du salpêtre (1904), aboutissant au « massacre de

l’école Santa María de Iquique » où furent exécutés plus de deux mille ouvriers avec leurs familles. 3 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, Princeton University Press, 1991

4 Nous empruntons le concept à Manuel Antonio Garretón comme : « le cadre de relations entre l’Etat, le(s)

structure(s) de représentation politique (organisée(s) ou non en système), et la société civile, le tout encadré

institutionnellement par le régime politique». Voir GARRETON, M.A., et alii, América Latina en el siglo XXI : Hacia

una nueva matriz sociopolítica, LOM, Santiago, 2004. Traduction propre. 5 CAVAROZZI, M., “Beyond transitions to democracy in Latin America”, in Journal of Latin American Studies, Vol.

24, No. 3, 1992, pp. 65-84 6 LUNA, J.P., “Partidos políticos y sociedad en Chile. Trayectoria histórica y mutaciones recientes”, in FONTAINE,

A., et alii, Reformas de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago, 2008, pp. 75-124.

188

compétition s’articule de la sorte : Partis « ouvriers » (PSch et PCch) implantés dans les villes,

s’opposant aux partis de la bourgeoisie (Parti libéral) et aux propriétaires terriens cooptant les

travailleurs ruraux (Parti conservateur) ; enfin le Parti radical, dominant jusqu’à la fin des années

1950, et représentant de la classe moyenne et de la fonction publique. Ce dernier opérait comme

« parti charnière », formant tantôt des alliances avec les partis de gauche (Front Populaire de 1936 à

1941, puis en 1943-46), tantôt avec les partis de droite (de 1932 à 1936, entre 1941-1943 puis en

1947-1952 et à nouveau de 1957 à 1964), se créant ainsi une image de parti opportuniste.

Si ce clivage (de type possédant/ travailleur) est structurant, il n’efface pas d’autres lignes de

démarcation « secondaires » préexistantes, notamment la ligne cléricale/ anticléricale qui tend à se

fondre avec l’antagonisme rural/ urbain, comme le montre le maintien du Parti conservateur puis

l’émergence du Parti Démocrate Chrétien (PDC) à la fin des années 1950. L’émergence de ce

dernier, suite à un réalignement progressif de l’électorat « du centre » au détriment du PR, se base

sur une assise électorale originellement rurale. Cet électorat qui a pris forme et s’est mobilisé lors

de l’expérimentation de populisme tardif du gouvernement de l’éphémère Parti Agrarien

Travailliste de Carlos Ibañez, se retrouve orphelin après la disparition de celui-ci. A noter que la

progression du PDC est concomitante à une période de polarisation du système partisan. Les partis

communiste et socialiste, réagissent à l’adoption en 1948 de Loi de Défense Permanente de la

Démocratie présentée par le président radical Videla dont la conséquence est l’interdiction du PCch

(en vigueur jusque 1958), en adoptant une attitude de rejet des alliances avec les partis

« bourgeois ». En réaction, les partis « de droite », opèrent une fusion de leurs appareils en créant le

Parti National (PN). Enfin, dans ce contexte, la posture « de centre » de la démocratie chrétienne se

manifeste en ce que le parti embrasse une doctrine de type « socialisme confessionnel ».

Dès lors, le système de partis chilien s’est stabilisé, des années 1930 jusqu’au coup d’Etat de

1973, autour de la loi dite des trois tiers, où au « pôle » des gauches s’oppose un « pôle de droite »,

et entre les deux un « pôle du centre »1, incarné d’abord par le Parti radical, puis dès les années

1960 par la démocratie chrétienne. Ainsi, chacun des trois blocs politiques disposait d’une assise

électorale relativement significative, tendant à s’équilibrer à mesure que la polarisation de la société

chilienne se précisait (voir Tableau 3.2). Ce phénomène de polarisation a conduit à ce que la

compétition partisane soit de plus en plus axée autour d’un clivage sur la dichotomie Marxisme/

anti-Marxisme. C’est, d’ailleurs, sur cette base que sont élus les deux présidents « anti-marxistes »,

1 L’émergence et le succès fulgurant du PDC vient en quelque sorte faire mentir le postulat Duvergien sur l’abscence de

« posture du centre », l’auteur écrivait ainsi : « …il n’y a a pas une opinion du centre, une tendance du centre, une

doctrine du centre, distinctes par nature des idéologies de droite ou de gauche – mais simplement un affaiblissement de

celles-ci, une atténuation, une modération ». in DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit. p. 321.

189

Arturo Alessandri (indépendant, représentant le PN), puis Eduardo Frei Montalva (PDC, avec le

soutien législatif du PN). Dans cette configuration, la Démocratie chrétienne vient occuper en

termes programmatiques une position charnière, concurrençant d’un côté le Parti National sur les

questions de mœurs, et opposant la doctrine sociale de l’Eglise avec une assise rurale1 au

socialisme d’inspiration marxiste caractérisant le « bloc » des gauches. La polarisation du système

partisan, reflétait ainsi celle de la société chilienne2, laquelle connu son paroxysme sous le

gouvernement de l’Unité Populaire du socialiste Salvador Allende (1970-1973), qui se ponctua par

le coup d’Etat du général Pinochet.

Tableau 3.2 : Représentation parlementaire des trois « pôles » idéologiques chiliens

(1937-1973)

Pôles 1937 1941 1945 1949 1953 1957 1961 1965 1969 1973

Droite

Conservateur

Libéral

National

42

21.3

20.7

-

31.2

17.2

14

-

43.7

23.6

20.1

-

42

22.7

19.3

-

25.3

14.4

10.9

-

33

17.6

15.4

-

30.4

14.3

16.1

-

12.5

5.2

7.3

-

20

-

-

20

21.3

-

-

21.3

Centre

Radical

PDC1

Ibañistes

P. Démocrate

28.1

18.7

-

-

9.4

32.1

23

3.4

-

5.7

27.9

19.9

2.6

-

5.4

46.7

27.7

3.9

8.3

6.8

43

15.6

2.9

18.9

5.6

44.3

22.1

9.4

7.8

5

43.7

21.4

15.4

-

6.9

55.6

13.3

42.3

-

-

42.8

13

29.8

-

-

32.8

3.7

29.1

-

-

Gauche

Socialistes

Communistes

15.4

11.2

4.2

33.9

22.1

11.8

23.1

12.8

10.3

9.4

9.4

02

14.2

14.2

02

10.7

10.7

02

22.1

10.7

11.4

22.7

10.3

12.4

28.1

12.2

15.9

34.9

18.7

16.2

Autres 14.5 2.8 5.3 1.9 17.5 12.0 3.8 9.2 9.1 11

Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100

Notes : 1Nous avons inclus pour la période antérieure à 1958, année marquant la création du Parti Démocrate Chrétien, les résultats

correspondant au Parti phalangiste, fractions du Parti Conservateur ancêtre du PDC ; 2La période 1948-1958 (ici 1949-1957)

correspond aux années où régissait la Loi de Défense Permanente de la Démocratie, proscrivant la participation et représentation

politique du Parti communiste. On observe ainsi que le parti Agrarien Travailliste d’Ibañez surgit alors que le PCCh est interdit, et

disparaît lorsque celui-ci est à nouveau autorisé à se présenter

Source : SCULLY (1996)

La structuration du système de partis argentin

Le système partisan en Argentine, en place avant le coup d’Etat de 1976, reposait sur des bases

nettement plus mouvantes que les cas chilien et uruguayen, ce qui explique en partie le faible

niveau d’institutionnalisation des partis argentins. Pour autant, à l’image des autres bipartismes,

notamment nord-américain ou uruguayen, la pénétration partisane au sein de la société argentine,

surtout au XXe siècle, est particulièrement prononcée et différentiée.

1 C’est ainsi la démocratie chrétienne qui va lancer la réforme agraire sous la présidence de Frei Montalva (1964-1970).

2 HUNEEUS, C., Chile un país dividido, Catalonia, Santiago, 2003.

190

La formation du bipartisme argentin est, toutefois, quelque peu différente des autres formes de

compétition duale dans la région. Ainsi, ce format de compétition partisane est nettement plus

récent que celui en vigueur en Uruguay jusqu’en 1971, puisqu’ aucun des deux partis

« traditionnels » argentins n’a pris part à l’indépendance du pays, ni n’a fomenté d’épisodes

historiques violents1. Pour autant, sans hypothétiser une relation de cause à effets entre le caractère

récent du système de partis argentin et la stabilité politique du pays, nous observons à la fois une

forte pénétration des deux grands partis argentins, jusque dans les années 1990, comme en Uruguay

avant l’émergence du FA, sur des bases non idéologiques ou programmatiques. En outre, la

structuration bipartite de la compétition partisane, bien qu’interrompue à plusieurs reprises, est le

fruit d’une succession de conjonctures critiques propres au XXe siècle.

La construction de l’Etat argentin et son organisation politique postérieure découle de deux

éléments structurants. Tout d’abord, l’Etat de guerre quasi ininterrompue depuis la proclamation

d’indépendance en 1810, jusqu’en 1880, a empêché l’établissement de normes constitutionnelles

fortes et durables, ce qui provoqua, à l’inverse du cas chilien, une faiblesse institutionnelle palpable

marquée par une absence de protagonisme partisan jusqu’au début du XXe siècle. En effet, en plus

de conflits extérieurs avec ses voisins (Brésil, Bolivie, Paraguay) et autres « campagnes de

conquête de territoire » au sud, l’Argentine expérimentera un conflit intérieur latent sur près de

soixante-dix ans opposant les tenants libéraux d’un état unitaire et centralisé autour de Buenos

Aires, aux caudillos conservateurs grands propriétaires terriens et défenseurs d’un fédéralisme où

Buenos Aires verrait son influence encadrée. Ce conflit, que l’unitaire Domingo Faustino

Sarmiento résumera comme l’opposition entre civilisation et barbarie2, aboutit à la victoire finale

des caudillos fédéralistes sur les libéraux unitaires en 1880.

La période qui s’instaure alors, connue comme « l’ordre oligarchique », constitue le second

élément structurant du système politique argentin. A l’inverse de la situation uruguayenne où les

conflits successifs n’ont abouti à la victoire d’aucun des deux camps conduisant à une pacification

et consensualisation de l’exercice du pouvoir ; la disparition du camp des unitaires a conduit à un

exercice hégémonique du pouvoir3 par l’oligarchie des caudillos latifundistes, lesquels structurent

l’organisation socioéconomique du pays autour de leurs intérêts exportateurs de produits agricoles

1 Globalement ils en ont, de fait, été les principales victimes, puisque tout au long du XXe siècle, le pays a expérimenté

huit coups d’Etats contre des gouvernements dirigés par des leaders issus de l’un des deux partis traditionnels, élus de

manière plus ou moins libre. Ces putschs à répétition, appuyés voire fomentés par l’oligarchie argentine, ont largement

contribué à ce que le système politique et la compétition partisanne argentine n’arrivent pas à se consolider sur des

bases institutionnalisées. 2 SARMIENTO, D.F., Facundo, civilización y barbarie, Colección Austral, Buenos Aires, 1967 [1854].

3 Dont un contrôle militaire total sur l’ensemble du territoire

191

(viande, céréales et dérivés du cuir)1. Organisée autour du Partido Autonomista Nacional, le

premier « parti » du pays, l’oligarchie utilise ce dernier comme appareil de représentation et de

canalisation des éventuels désaccords qui pourrait apparaître en son sein. Cette caractéristique

hégémonique de négation des adversaires politiques constitue un des caractères invariants du

comportement politique argentin, jusqu’à la fin du XXe siècle2.

Avec la prospérité économique, s’accompagne la stabilisation politique du pays qui attire une

main d’œuvre immigrée provenant essentiellement d’Europe méridionale (Italie et Espagne

principalement), ce qui vient constituer la première conjoncture critique préalable à la fondation du

bipartisme argentin. En effet, la population argentine va croître de près de 400% entre 1875 et

1914, les Européens constituant plus de 50% de la population adulte en 1914, ce qui conduit à une

rapide hypertrophie de Buenos Aires (qui regroupe près d’un quart de la population en 1914, et

devenant au passage la première ville d’Amérique latine au tournant du siècle) et autres centres

urbains, vis-à-vis du monde rural d’où provient l’oligarchie au pouvoir. Surtout, ces immigrants qui

se concentraient davantage dans les villes, ont contribué à grossir les rangs de la classe ouvrière

naissante (donc urbaine) argentine, en en constituant près des deux tiers. De la sorte, la classe

ouvrière argentine devient rapidement la plus importante de la région (en nombre et en pourcentage

de population)3. Enfin, les immigrés européens (allemands, français et italiens notamment)

contribuent également à la diffusion d’idéologies nouvelles en Argentine, dont l’anarchisme et le

socialisme, et développent une culture contestataire via la formation d’organisations syndicales4 et

partisanes (Parti Socialiste Ouvrier Argentin, créé en 1896), jusqu’alors peu répandues dans le

pays5. Néanmoins leur représentation politique reste limitée, du fait d’un système de vote censitaire

et où seuls les argentins de naissance pouvaient voter.

Le développement fulgurant des centres urbains participe à la constitution d’une bourgeoisie

importante et d’une classe moyenne nombreuse, instruite et éloignée de l’influence des caudillos et

de l’oligarchie, et désireuses de davantage de participation et de représentation politique. C’est dans

ce contexte que naît l’Unión Cívica Radical (UCR), à la fin du XIXe siècle. Comme nous l’avons

vu précédemment, l’UCR va initialement tenter des « coups » politiques notamment armés face à

1 McGUIRE, J., “Partidos políticos y democracia en la Argentina”, in MAINWARING, S., et SCULLY, La

Construcción de Instituciones Democráticas… op. cit., pp. 163-201. 2 BOTANA, N., Poder y hegemonía, Emecé, Buenos Aires, 2006

3 Qui demeure en 1914 encore relativement faible, comparée aux standards européens, puisqu’elle regroupe environ

8.5% de la population active. Voir DABENE, O., L’Amérique Latine à l’époque contemporaine, Armand Collin, Paris,

2005 ; COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, op. cit., pp. 66-67. 4 Tels la Federación Obrera Argentina (FORA), d’inspiration socialiste, en 1901; et l’Union General de los

Trabajadores (UGT), anarchiste, en 1902. 5 Les conflits ouvriers se multiplient, et pour la seule période 1907-1910, Buenos Aires compte près de huit cent

mouvements de grève liés au syndicalisme ouvrier. Voir COLLIER, R., et COLLIER, D., op. cit., p.93

192

l’ordre oligarchique, dont la disparition constitue son objectif1. Constituée d’une base provenant à

la fois des clases moyennes et de dissidents de l’élite pampéenne, l’identité politique du

« mouvement radical » se caractérise par un libéralisme politique, avec une certaine tendance au

progrès social et à la défense des intérêts de la classe moyenne dans un pays, de plus en plus, de

classe moyenne2. Cette identité est marquée, toutefois, par l’absence d’une idéologie propre et

définie : l’objectif principal de l’UCR étant la chute de l’ordre oligarchique.

L’adoption de la loi Saenz Peña en 1912, autorisant le vote universel masculin, découle d’un

mouvement de « libéralisation » de l’ordre oligarchique dans le but d’absorber les mouvements de

contestation, contribue en fait à asseoir la victoire de l’UCR en 1916. Cette victoire réordonne le

système politique argentin et, tel l’arroseur arrosé, force le démantèlement de l’ordre oligarchique

et de son organe de représentation, le PAN. Cette disparition conduit à ce que l’Argentine se

retrouve, comme en 1880, dominée par un seul acteur politique –l’UCR- lequel reproduit les

schémas organisationnels du PAN avec une personnalisation du pouvoir3, et une gestion interne des

conflits et courants idéologiques. L’effondrement du PAN a d’ailleurs contribué à ce que l’UCR ne

s’organise comme un parti de militants ni se dote d’une idéologie de démarcation d’un quelconque

adversaire politique4. De même, la relative faiblesse du Parti socialiste ou du Parti communiste,

malgré une classe ouvrière en expansion, contrastant avec la puissance syndicale de la FORA puis

de la CGT à partir de 1933, découle de l’absence de représentativité d’une frange entière des

ouvriers (les deux tiers d’ouvriers étant étrangers) et, du fait de l’effondrement du PAN, de

l’absence d’adversaire politique clair.

Les partis ouvriers étaient, ainsi, dépourvus de raison d’être5. Pourtant, à la différence de 1880,

si l’UCR s’impose comme acteur gouvernemental hégémonique, son autorité politique ne s’impose

pas sur le pouvoir militaire. Celui-ci est largement dominé par les structures et acteurs

conservateurs du régime précédent et va s’autonomiser du pouvoir exécutif, formant ainsi l’organe

politique non-démocratique des conservateurs argentins. Sa première incursion, en 1930, inaugure

une période d’instabilité politique et démocratique. Cette « restauration conservatrice » maintient la

1ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos

en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos, No. 24, 2011, pp.153-180 2 MORA, M., “El cuadro político y electoral argentino”, in NOHLEN, D., et DE RIZ, L., Reforma institucional y

cambio político, Buenos Aires, CEDES-Legasa, 1991, pp. 207-235. 3 Malgré les tentatives du président Marcelo T. Alvear (1922-1928) de dépersonnaliser la conduite de l’UCR.

4 MALAMUD, A., “Acerca del radicalismo, su base social y su coalición electoral”,in Escenarios Alternativos, No. 2,

1997; et “Winning Elections versus Governing: A Two-Tier Approach to Party Adaptation in Argentina, 1983-2003”,

communication présentée lors du XIe Congrès de Latinoaméricanistes Espagnols, Mai 2005 ; ESCUDERO, L.,

“Argentina” in ALCANTARA, M., et FREIDENBERG, F., Partidos políticos de América latina, Cono Sur, Fondo de

Cultura Económica, Mexico, 2001, pp. 33-114 5 BOBBIO, N., Left and right: …, op. cit. pp. 22-28

193

position de l’UCR comme représentant légitime de la nation, tout en limitant son processus

d’élaboration d’identité programmatique et idéologique claire.

Durant la décennie suivant 1930, la matrice socio-économique argentine se transforme, passant

d’une nation centrée sur les intérêts ruraux et une activité tertiaire dans les villes, à celle d’une

nation industrielle sans que ne se consolide de parti proche des intérêts de l’industrie ni de la classe

ouvrière. Cette dernière, suivant un double effet de croissance démographique (croissance des

effectifs par un exode massif vers les principaux pôles urbains, et « argentinisation » des ouvriers

par reproduction générationnelle de personnes nés argentines), regroupant près de 50% de la

population active, est structurée en syndicats puissants et occupe alors une place centrale dans la

politique argentine comme classe défiante à l’ordre en place1. L’organisation corporatiste du

mouvement ouvrier, bien plus que partisane, explique en partie la faible pénétration du Parti

Socialiste Ouvrier Argentin, lequel est considéré par le mouvement comme une organisation

concurrente et opportuniste d’autant plus qu’elle participe du « jeu électoral » imposé par la

restauration conservatrice, durant la décennie infâme (1930-1943). Le mouvement ouvrier est à

cette époque un force politique sans attache ni cooptation partisane. C’est dans ce contexte

qu’apparaît la figure du colonel Perón puis le « mouvement péroniste »2.

Perón apparaît sur la scène politique argentine en 1943 suite à un coup d’Etat militaire, où il

occupe le portefeuille de secrétaire d’Etat au Travail. Il y développe une relation étroite directe et

personnelle avec la CGT. En deux ans, il s’impose comme l’interlocuteur et le représentant

politique des ouvriers et travailleurs ruraux, tirant notamment profit de sa relation privilégiée avec

la CGT. Appuyant les grèves organisées par les mouvements ouvriers et leur octroyant des

considérations substantielles3, Perón est alors marginalisé et incarcéré par la junte militaire dont il

était membre, ce qui conduisit les mouvements syndicaux et ouvriers à exiger sa libération. Perón

est parvenu, ainsi, tout en gagnant l’appui syndical et ouvrier, à être perçu comme anti-système et

anti-oligarque, alors même qu’il provenait du sérail militaire. La réincorporation de Perón assoit

son élection à la présidentielle de 1946, laquelle a pris une forme plébiscitaire où l’ensemble des

mouvements politiques, dont l’UCR et le Parti socialiste, forment une alliance du type « tout sauf

Perón ». Le mouvement péroniste structuré autour du Parti Travailliste (Partido Laboral), puis du

Parti Justicialiste (PJ, à partir de 1947), s’appuie sur le mouvement ouvrier et la CGT comme base

1 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo

Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, p. 673; LEVITSKY, S., Transforming Labor-Based Parties in Latin America:

Argentine Peronism in Comparative Perspective, Cambridge University Press, 2003. 2 TORRE, J-C., “Interpretando (una vez más) los orígenes del peronismo”, in Desarrollo Económico, Vol. 28, No. 112,

1989, pp. 526-548; McGUIRE, J., “Partidos políticos y democracia en la Argentina”, op. cit. 3 En imposant, notamment, au secteur entrepreunerial les conditions des syndicats ouvriers sur les questions laborales.

Voir COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, op. cit., pp. 337-338

194

électorale, en défendant une vision corporatiste de la société. Le péronisme reste, toutefois jusqu’à

la mort de Perón, indissociable de la figure du chef, ce qui pose en effet le problème de la

routinisation et l’institutionnalisation du mouvement péroniste comme appareil politique dès ses

débuts, ainsi qu’une hétérogénéité idéologique assumée.

Le mouvement péroniste est donc de nature charismatique, car il tire sa légitimité et son identité

de son chef et non d’une structure de représentation avec des règles d’organisations

institutionnalisées et autonomes au leader1. Les liens de sociation entre le leader et son électorat

sociologiquement homogène (travailleurs, sans chemises « descamisados » et ouvriers)2, sont aussi

bien collectifs qu’individuels, et reposent ainsi sur une relation directe sans fondement idéologique

et programmatique clair. Ce type de représentation correspond, d’ailleurs, de manière

paradigmatique à la définition classique du « populisme »3. Le péronisme devient, dès lors, le

principal courant politique d’Argentine, structurant la compétition politique autour et contre lui. La

compétition politique s’articule, en effet, autour du clivage Péronisme/ Anti-Péronisme, clivage de

nature symbolique ou organisationnelle, plutôt que programmatique ou idéologique. Cette

compétition tourne autour d’identités politiques et culturelles, dont la relation directe avec

l’électorat se fonde sur son capital culturel. Pierre Ostiguy établit ainsi la distinction entre position

“haute” et position “basse”, sans porter de vision normative, où il oppose une culture plus légaliste

et distante (UCR), à une culture plus informelle et « populaire » (PJ)4.

En effet, la nature mouvementiste des deux principaux partis, l’UCR et le PJ, et la dimension

hautement personnaliste du second, rend leur structure idéologique et programmatique

particulièrement flexible et ample, chaque parti constituant son propre « système de parti » ou

« système de courants »5. Si la base électorale originelle de chacun des deux partis est distincte

(classes moyennes et fonctionnaires de la capitale, et autour d’autres grands pôles urbains, pour

l’UCR/ base ouvrière et travailleuse des villes et banlieues industrielles et des centres ruraux, pour

le PJ), leur ligne de démarcation interpartisane est, suivant l’analyse d’Ostiguy, moins

1 PANEBIANCO, A., Political parties: organization and power, Cambridge University Press, 1988, pp. 144-146.

2 Voir les travaux d’Herbert Kitschelt sur les types de relations entre partis et électorat : KITSCHELT, H., «Linkages

between citizens and politicians in democratic polities», op. cit ; KITSCHELT, H., et WILKINSON, S., Patrons,

clients, and policies, Cambridge University Press, 2007 ; et KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems,

Cambridge University Press, 2010. 3 Nous précisons bien qu’il s’agit de la conception “classique”, en la différentiant de conceptions ultérieures, tout en

soulignant l’abus de l’utilisation de ce concept, lequel venant à former une sorte de « chien-chat » Sartorien au travers,

notamment, du recours au préfixe « néo », contribuant davantage à semer une confusion plutôt qu’une compréhension

de nouvelles pratiques de représentation. Pour une analyse du concept et de ses dérives et ce particulièrement en langue

française, voir notamment HERMET, G., Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, XIXe - XXe siècles,

Fayard, Paris, 2001 ; MENY Y., et SUREL Y., Par le peuple, pour le peuple : le populisme et les démocraties, Fayard,

Paris, 2000 ; TAGUIEFF P-A., L’illusion populiste: de l’archaïque au médiatique, Ed. Berg international, Paris, 2002. 4 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics: …” op. cit.

5 LEVITSKY, S., op. cit.

195

« horizontale » (idéologique sur un axe type droite/gauche), que « verticale » (comportementale)1.

La compétition idéologique est davantage le fait de divisions internes aux partis, lesquels se

comportent, cependant, de manière hégémonique et auto-excluante l’un envers l’autre.

Entre les deux, opère comme « médiateur » le parti militaire -l’armée-, qui est finalement le plus

idéologiquement défini et qui intervient à plusieurs reprises sur la scène politique (coups d’Etats de

1930, 1955, 1966, 1969 et 1976), ce qui contribue à fragiliser d’autant plus le système de parti que

le PJ sera interdit sur une période de près de vingt ans (1955-1973), ce qui conduira à une

institutionnalisation graduelle de l’appareil politique, grâce notamment à l’exil de son fondateur,

tout en maintenant son caractère charismatique2. Toutefois, cette faiblesse institutionnelle des partis

et du système de partis argentin ne suppose pas une absence de système. Preuve en est, le maintien

des partis et la stabilité de leur adhésion électorale jusque dans les années 1990. Le PJ et l’UCR

sont jusque 1995 les deux principaux partis de la vie politique regroupent près de 90% de

l’électorat, sur des bases compétitives demeurées stables.

*

En conclusion de cette approche de la structuration de la compétition partisane originelle dans le

Cône Sud, retenons que le clivage droite/gauche propre aux systèmes partisans européens ne

constitue pas, nécessairement, la norme en Amérique latine. Si le Chili s’est constitué rapidement

en un système reposant sur des bases relationnelles programmatiques reprenant la dichotomie « à

l’européenne », l’Uruguay et l’Argentine ont opéré sur la majeure partie du XXe siècle une

compétition sur des bases différentes, tout en gardant une pénétration partisane forte au sein de la

société. Les différents changements de matrice socio-économique opèrent dans les trois cas comme

catalyseurs de transformation du système partisan. Retenons donc, comme l’avance Juan Abal

Medina, que la vision européenne classique consistant à considérer les partis de militants comme

l’essence des partis modernes ou « parti 0 », ne s’applique pas à deux de nos trois cas latino-

américains, où des partis de type attrape-tout se sont constitué avant même leurs homologues

européens3. Ce contexte s’étend, grosso modo, jusque dans les années 1970 et la survenue des

coups d’Etats, d’abord en Uruguay (juin 1973), puis au Chili (Septembre 1973), puis trois ans plus

tard en Argentine.

1 OSTIGUY, P., “Argentina’s double political spectrum: party system, political identities, and strategies, 1944–2007”;

Working Paper No. 361 - Octobre 2009; The Hellen Kellog Institute, Université de Notre Dame 2 DE RIZ, L., op. cit., OLLIER, M.M., “El liderazgo político en democracias de baja institucionalización (el caso del

peronismo en la Argentina)”, in Revista de Sociología, Santiago du Chili, No. 24, 2010, pp. 127-150 3 ABAL MEDINA, J., “Elementos teóricos para el análisis contemporáneo de los partidos políticos: un reordenamiento

del campo semántico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp. 33-55.

196

b. La transition à la démocratie et le réalignement des lignes de clivage

Nous avons vu précédemment que les trois pays du Cône Sud-Américain, ont connu au cours

des années 1960-1970 des expériences politiques similaires de polarisation critique de la société,

qui ont conduit à la formation de groupes paramilitaires et ont abouti à l’occurrence de coups

d’Etats. Nous avons également relevé la constance des formations politiques, puisque les partis

présents avant la « vague autoritaire » des années 1970, étaient à nouveaux présents au retour à la

démocratie1. Toutefois les trois pays se différentient entre eux quant à la nature de leurs respectives

expériences autoritaires et, surtout, quant aux processus de transition à la démocratie.

Ainsi, nous avons relevé trois variables de caractérisation des différents régimes autoritaires et

des transitions à la démocratie venant entrer dans l’analyse comparative propre aux trois pays. Ces

variables contiennent des éléments critiques sur la matrice sociopolitique ainsi que les mécanismes

et organes de représentation partisane, tout d’abord, i) l’aspect socio-économique, où le régime

autoritaire entreprend une recherche de transformation de la matrice socio-économique d’une

société, rompant avec l’ordre précédent ; ii) l’aspect institutionnel, marqué notamment par la

recherche d’un changement de Constitution de la part du régime, jetant les bases juridique de la

transition démocratique, à laquelle il est l’un des principaux acteurs ; enfin iii) l’aspect de la

« légitimation » du régime et des bases économique et juridiques posées par lui, légitimation accrue

si elle se retrouve représentée par un ou des organes politiques « héritier(s) ».

Les régimes autoritaires au Chili, en Argentine et en Uruguay se différentient, alors, sur la teneur

de leur gestion politique et l’organisation de la transition à la démocratie. Nous pouvons ainsi

identifier, en fonction des variables, des « paires » de similarité, d’où nous pouvons ressortir que le

caractère institutionnel combiné à la durée du régime, constituent un trait pertinent dans la

transformation du système partisan, notamment dans le cas chilien. Nous avons schématisé, par la

figure 3.2, les lignes de similarités (exprimées par des doubles flèches) en fonction de chacune des

trois dimensions (socio-économique, institutionnelle, légitimation du régime), et ordonnée en

fonction de l’impact de l’expérience autoritaire sur le ré-ordonnancement du système de partis lors

du recouvrement démocratique. L’opérationnalisation de la variable dépendante « ré-

ordonnancement du régime », dichotomisée oui/ non, est établie en fonction de la transformation de

la structuration de la compétition politique autour d’un nouveau clivage structurant, différent de

celui en vigueur lors de la période antérieure au coup d’Etat. Ainsi, l’Argentine et l’Uruguay,

1 Si le Partido Nacional Chilien n’existe plus comme tel en 1990, la base de celui-ci se retrouve dans le parti

Renovación Nacional. CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el

autoritarismo y las transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989.

197

placés à la base, n’ont pas expérimenté de réelle transformation de leur système de parti, alors que

le Chili connaît un réagencement de la structuration de la compétition partisane autour d’un

nouveau clivage.

Source : élaboration propre

Nous observons ainsi que dans le « versant » socio-économique, les juntes chilienne et

argentine, toutes deux fortement idéologiques (conservatrices), tentent de s’appliquer à une rupture

avec l’ordre socio-économique précédent1, et transformer le modèle ISI jugé obsolète et inefficace.

Les transformations opérées cherchèrent, également, à rompre les liens de socialisation politique

avec les mouvements -partis et/ou syndicats- ouvriers ou d’obédience marxiste. Les deux pays

étant, des sortes de « laboratoires », où des équipes d’économistes issus de l’Université de Chicago

(les « Chicago Boys »), ont profité du contexte politique pour appliquer des stratégies de choc, afin

d’abandonner le modèle de développement en place jusqu’alors, au profit de doctrines néolibérales,

qui plus tard feraient florès dans les pays anglo-saxons2. Toutefois, la junte chilienne, en raison de

sa durée, la stabilité de ses membres et son organisation centralisée, est celle qui a conduit le plus

loin la transformation de sa matrice socio-économique, là où l’Argentine s’est arrêtée à mi-chemin,

du fait de mauvais résultats économiques et la déroute des Malouines. A l’inverse, en Uruguay la

dictature civico-militaire du fait de l’organisation socio-économique du pays et son modèle de

1 Tomás Moulián parle de « révolution capitaliste », in Chile actual : Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002.

2 Naomi Klein montre comment les doctrines néolibérales se sont appliquées soit dans des contextes restreignant les

libertés civiles (comme les dictatures du Cône Sud), soit dans des sociétés « traumatisées », par des changements

sociopolitiques brusques (tels les pays de l’ancien bloc soviétique). Dans tous les cas, le Chili et dans une moindre

mesure, l’Argentine, font figure de « laboratoires ». Voir KLEIN, N., La Stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2008.

Chili

Chili

Versant

Institutionnel

Uruguay

Argentine

Versant socio-

économique

Figure 3.2: Eléments de comparaison des régimes autoritaires du Cône Sud,

et leur impact sur la transformation du système de parti

Ré-

ordo

nnan

cem

ent

du s

ystè

me

de c

liva

ge

Légitimation du régime

NON

OUI

N

198

développement (voir supra), ne comportait pas de dimension idéologique conservatrice aussi forte

que dans les cas chilien et argentin.

Pour ce qui est de la seconde dimension, le versant institutionnel, nous observons des lignes de

conduites similaires entre le Chili et l’Uruguay. Les juntes des deux pays ont cherché à se légitimer

en organisant la même année (1980) un référendum constitutionnel1 visant donc à les légitimer, et à

installer une démocratie « protégée », en incluant des restrictions politiques sous la surveillance du

pouvoir militaire. Les résultats de ces référendums diffèrent d’un pays à l’autre, puisque si les

uruguayens se sont exprimés contre -à près de 57%-, les chiliens ont accepté aux deux-tiers le

changement de constitution instaurant une institutionnalisation de fait du régime2, et sa

prolongation exceptionnelle sur dix ans. Ceci a donc conduit à ce que s’organisent la société et la

classe politique chilienne, aussi bien sur place que dans l’exil, autour du thème du légat du régime.

En Uruguay, le rejet du plébiscite a ouvert les portes à la transition à la démocratie, remettant les

civils au premier plan. Enfin, en Argentine, les mauvais résultats économiques, une organisation

collégiale conflictuelle de la junte et surtout la déroute militaire aux Malouines auront raison de

toute institutionnalisation du régime militaire.

Finalement, découlant de la dimension précédente, la légitimation des régimes et leur

représentation politique semblent découler de leur capacité à s’institutionnaliser. Ainsi, là où les

militaires ont échoué à institutionnaliser leur pouvoir –Uruguay et Argentine-, on n’observe aucun

appui social ni aucune formation politique se posant comme héritière du régime précédent. C’est

particulièrement vrai pour l’Argentine, où malgré la teneur idéologique de la dictature, l’institution

militaire souffre d’un fort discrédit social, jusqu’aujourd’hui. Inversement au Chili où la longévité

de la dictature combinée à i) la profonde transformation de la matrice socio-économique du pays du

fait de la conversion du régime aux doctrines néolibérales, et marquée par de relatifs succès macro-

économiques surtout dans la deuxième moitié des années 19803 ; ii) la disposition constitutionnelle

établissant une transition au moyen d’un plébiscite4 portant sur la continuité au pouvoir

du général

1 En Uruguay et au Chili sont appelés “plebiscites” tous les projets de lois de réforme de la Constitution.

2 Beaucoup d’interprétations peuvent être faites sur cette adhésion surprenante, partant d’un appui sincère au régime

militaire, ou considérée comme le résultat de coaction découlent du contrôle total des médias par le pouvoir lequel

jouent de la division de la société chilienne vis-à-vis du pouvoir –légitime- précédent, laisse planer la peur de retour

d’instabilités politiques ; sans compter les éventuelles manipulations de suffrage. Voir CAÑAS KIRBY, E., Proceso

político en Chile : 1973-1990, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1997 3 Bien que nuancés à la fois par une croissance atone, et un creusement dramatique des inégalités sociales. Voir

FFRENCH DAVIES, R., Entre el Néolibéralisme y el Crecimiento con Equidad: Tres Décadas de Política Económica

en Chile, Cieplan, Santiago, 2001; traduit, résumé et mis-à-jour, en français, dans “le Chili, entre néolibéralisme et

croissance équitable: trente ans de politique économique”, in BLANQUER, J.M., et ZAGEFKA, P., Amérique Latine

2005, La documentation Française, Paris, 2005, pp. 101-117. 4 Plébiscite que l’on pourrait appeler de « continuatoire », par opposition à la notion de “référendum révocatoire”. Ces

processus s’appliquent davantage à la forme présidentielle de gouvernement, de par la nature plébiscitaire de l’élection

présidentielle et où le gouvernement ne peut que difficilement être destitué par le pouvoir législatif. Ce processus n’a

199

Pinochet, en 1988, pour huit années supplémentaires ; et iii) son absolue certitude de victoire lors

de ce même plébiscite, du fait des bons résultats économiques apparents. Ces éléments ont alors

conduit à ce que le régime se dote d’un organe de représentation, lequel après la défaite lors du

plébiscite se positionnera comme parti « héritier » du Pinochétisme1.

Au sortir des dictatures, les lignes de clivages des trois pays ont donc été affectées, de manière

différente, par le degré de transformation de la société et le traumatisme lié à au type et à la forme

prise par la transition démocratique. Ainsi, la transformation de la matrice socio-économique

chilienne, opérée pendant le régime autoritaire, les garanties posées constitutionnellement quant au

maintien du nouveau modèle économique, l’institutionnalisation du régime et son exceptionnelle

longévité ; ont conduit à ce que la compétition politique chilienne se structure, dans le milieu des

années 1980, en fonction du plébiscite de 1988. Ce référendum forme la conjoncture critique

structurante du système politique chilien, pendant près de vingt ans, autour d’une dichotomie

opposant fidèles (puis « héritiers ») du régime pinochétiste, aux partisans de la transition

démocratique. Cette opposition, communément résumée par la dyade Autoritarisme/ Démocratie,

est d’autant plus clivante qu’elle cohabite avec une absence de débat profond sur les questions

socio-économiques. En effet, le modèle économique qui est acté par une loi organique, empêchant

ainsi tout changement radical sur l’orientation socio-économique du pays2et la relative bonne santé

de l’économie chilienne dans le contexte latino-américain de « décennie perdue », ont conduit à ce

que se forme un certain consensus politique autour de celui-ci parmi les différents acteurs

politiques. Ces éléments expliquent, en partie, les résultats surprenants des défenseurs du « oui » au

maintien du général Pinochet à la tête de l’Etat (44%), lors du référendum de 1988. Dès lors, ce

clivage de nature éminemment politique constitue le clivage structurant la compétition chilienne,

jusqu’au milieu des années 2000, autour duquel viennent s’aligner toutes les autres lignes de

fractures, notamment socio-économiques. Le versant « gauche » de ce clivage, y défend la rupture

avec le régime de Pinochet, et l’abandon des « enclaves autoritaires » et, de manière plus classique,

l’adoption d’ajustements sociaux au modèle économique, dont le principal slogan est « la

croissance équitable ». Inversement, la « droite » chilienne représente à la fois, jusque dans les

que peu d’intérêt en régime parlementaire, du fait de la dépendance du pouvoir exécutif vis-à-vis du législatif.

Néanmoins, ces distinctions sont communes en régime parlementaire entre « vote de confiance » demandé par le

gouvernement au parlement, par opposition à la « motion de censure », provenant d’une des chambres législatives en

défiance au gouvernement. Voir HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies”, in American

Political Science Review, Vol. 90, 1996, pp. 269–82; ARDANT, P., « Les développements récents du

parlementarisme », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 46, No. 2, 1994, pp. 593-603. 1 NAVIA, P., “Participación electoral en Chile, 1988-2001” in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, 2004. pp.

81-103. 2 Bien que la crise économique des années 1982-1983 est contraint le régime à assouplir considérablement la politique

monétariste originelle des chicago boys, par le ministre des finances Hernán Büchi, futur candidat à la présidentielle en

1989.

200

années 2000, les héritiers du régime pinochétiste, et les défenseurs du modèle économique sans

ajustement voire avec encore moins d’Etat. Dans ce contexte manichéen, il peut difficilement y

avoir une position « de centre ».

En Argentine, la défaite militaire combinée aux mauvais résultats liés aux changements

économiques (incarnés par la politique cambiste de Martinez de Hoz), ainsi que le niveau de

répression du régime militaire, ont abouti à un fort rejet du régime et de l’institution militaire en

général. Ainsi, à l’inverse du Chili, aucun mouvement politique défenseur ou héritier du régime

militaire n’est apparu1. La compétition politique se réorganise donc sur les mêmes bases qu’avant

1976, à la différence près que le Parti Justicialiste, parti charismatique par nature, doit composer

avec un leadership vacant, depuis le décès du fondateur en 1974. Le maintien de lignes de

démarcations peu idéologiques, a conduit dans un premier temps à la première victoire électorale de

l’UCR sur le PJ, où le candidat radical –Raúl Alfonsín- usa de méthodes et manières rappelant la

« culture péroniste »2. Nous notons deux éléments caractéristiques, tout d’abord l’UCR commence

à adopter des codes communicationnel de culture « basse », en même temps qu’elle insiste à

communiquer sur son attachement à l’aspect institutionnaliste, propre à la « culture haute »; ensuite

le PJ qui entame une mue et se distancie de ses bases ouvrières et surtout syndicales. Dans ce

contexte, la crise économique de 1988-1989 aux conséquences hyper inflationnistes, et la victoire

du charismatique Carlos Menem à l’investiture péroniste de 1989, contre le courant modéré et

« centriste »3 de Antonio Cafiero, puis l’élection de ce même Carlos Menem à la présidence de la

République, constitue la conjoncture critique de réalignement d’opposition partisane. Menem

adopta en effet à la fois des codes « bas » voir de « bas extrême », et des positions économiques et

sociales à teneure néolibérale (« droite »), ce qui prolongea ainsi la « seconde transition »4

argentine, socio-économique celle-là. Enfin, la passation anticipée de pouvoir, cinq mois avant la

date prévue constitutionnellement, contribue à alimenter l’imaginaire argentin sur l’incapacité des

gouvernements radicaux à mener à bien leurs mandats, puisque depuis 1930 aucun gouvernement

radical n’est parvenu à arriver au terme de son mandat constitutionnellement établi.

Enfin, en Uruguay, les lignes de clivages traditionnelles se sont vues affectées par l’éclosion du

Frente Amplio en 1971 et surtout la consolidation de celui-ci après le recouvrement de la

1 Le seul groupscule qui pourrait s’en approcher est le MODIN d’Aldo Rico, mais il représente davantage les intérêts

de militaires carapintadas, et dont le meilleur score, aux élections législatives de 1993, culmine aux alentour de 5.5%,

avant que le « parti », ne se disloque, puis disparaisse. 2 Notamment avec son discours sur la démocratie où il déclame: « en démocratie on mange, en démocratie on s’éduque,

en démocratie on se soigne, nous n’avons besoin de rien d’autre… ». Voir OSTIGUY, P., « Argentina’s double

political spectrum: party system, political identities, and strategies, 1944–2007”, op. cit 3 Suivant une dichotomie verticale haut/bas.

4 LANZARO, J., La segunda transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2001; et

NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo: Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires, 2002.

201

démocratie. Après l’échec d’institutionnalisation du régime, par le rejet du plébiscite

constitutionnel en 1980, les militaires replacèrent des civils aux manettes du gouvernement pour

préparer et organiser la transition à la démocratie. Mais à l’inverse du cas chilien, le discrédit lié à

l’échec du changement de Constitution a fait que cette transition soit nettement moins contrôlée,

dirigée et imposée par le pouvoir militaire, et davantage pactée avec les différents acteurs politiques

présents avant 19731. Ceci est également facilité par le fait que, comme dans le cas argentin, le

régime n’a pas produit de « fidèles » et encore moins d’héritiers2. Le régime civico-militaire

uruguayen ne contenait, en effet, pas de dimension contre-idéologique forte, à l’instar des régimes

chilien et argentin, et n’a donc pas entrepris ou amorcé un changement de modèle économique ni de

matrice sociopolitique. Deux éléments ont, cependant, conduit à un réalignement du système

partisan uruguayen. Tout d’abord, la loi de 1986, dite de « caducité », vient constituer une

conjoncture critique importante. L’adoption de celle-ci, exigée par les militaires, quelques mois

après le recouvrement démocratique, qui signifia une amnistie pour ceux-ci, a conduit à produit de

fortes oppositions politiques entre la gauche (Frente Amplio, opposée au projet de loi) et les partis

traditionnels (en faveur)3. Cette opposition a reçu un certain écho au niveau social au point que la

discussion du projet d’amnistie des militaires ne recueille un nombre de signatures suffisant pour

qu’il soit soumis à une consultation populaire4. Le référendum de 1989 constitue en soi un

réalignement clair de la compétition partisane, où le FA vient former un pôle de la compétition face

aux partis traditionnels alignés au sein du même versant opposé. Si le résultat ponctuel de ce

référendum est une victoire pour les partis traditionnels, ratifiant par-là même la loi de caducité (par

57% contre 43%) ; l’activisme du FA pour le « bulletin vert »5, constitue, au final, une demi-

victoire pour celui-ci. En réalisant un score deux fois supérieur aux votations habituelles du FA, le

« vote vert » vient ancrer le FA comme parti du progrès social, et plus particulièrement dans la

1 Bien que les deux leaders du Partido Nacional et du Frente Amplio, Wilson Ferreira Aldunate et Liber Seregni, ne

soient empêchés de participer au pacte scellant la transition « le pacte du Club Naval » en 1984. Le premier interdit de

séjour en Uruguay et contraint à résidence à Buenos Aires, a entraîné l’abstention de son parti à la table des

négotiations ; le second étant assigné à résidence à Montevideo. 2 Bien qu’à l’intérieur des deux partis traditionnels on puisse retrouver quelques rares membres des mouvements

pachequistes ou bordaberrystes (Partido Colorado) et herreristes (partido nacional), relativement proches des

idéologies putschistes. 3 A l’exception d’une fraction du Partido Nacional. De fait, le propre Parti National avait exprimé son rejet initial au

projet de loi, mais son leader Wilson Ferreira, de conclure que les dispositions établies par ledit projet de loi étaient

déjà entérinée dans le pacte du Club Naval. 4 La Constitution de 1967, en vigueur de par l’échec de changement de constitution, établit à son article 79 se référant

aux conditions de tenues de référendums, que toute demande de dérogation de lois peut être soumise à la consultation

populaire, lorsque ladite demande de dérogation reçoit l’appui d’au moins 25% des électeurs inscrits sur les listes

nationales. 5 En référence à la couleur du bulletin stipulant l’abrogation de la loi

202

capitale, Montevideo qui regroupe près de la moitié des uruguayens, où le FA emporte la mairie –

qu’il détient toujours- aux élections municipales de la même année.

Enfin, le second élément critique porte sur l’opérationnalisation de la « seconde transition » en

Uruguay, qui se réalise dans un climat démocratique, et suppose que l’approbation de projets socio-

économique d’envergure soit également soumise à l’abrogation ou ratification populaire. Ainsi les

lois portant sur la privatisation d’entreprises, promulguées en 1991 par le gouvernement du libéral

blanco Luis Alberto Lacalle, et qui prévoient le transfert vers la gestion privée et la fin de

monopoles d’Etat d’une série d’entreprises de secteurs clés (télécommunications, électricité,

pétrole, etc…) aboutissent à une situation similaire à celle de 1989, puisqu’un projet de dérogation

de ces lois parvient à obtenir les 25% de signatures nécessaires pour soumettre le projet à

référendum. La dérogation appuyée par le FA, puis sur le tard par le secteur de Sanguinetti du

Partido Colorado, va recevoir -cette fois- près des deux-tiers des voix et donc aboutir au retrait des

lois gouvernementales. Cet événement a contribué à un réalignement progressif de la compétition

uruguayenne autour d’une opposition « à l’européenne » de type droite/gauche, fondée sur un

clivage de type socio-économique opposant des conceptions libérales ou sociale-démocrates portant

sur la part de l’Etat dans l’organisation de l’économie nationale. Ce clivage est habituellement

résumé par la dichotomie Etat vs/Marchés. En somme, le FA va faire basculer le système politique

en un tripartisme dont le paroxysme sera atteint lors de l'élection présidentielle de 1994. Enfin,

l’identification du FA avec le versant « gauche » de ce clivage, et la progression de son influence

au sein de la société, est le fruit de l’abandon de ce parti du discours marxiste qui le caractérisait

jusqu’au milieu des années 1970, pour une posture plus social-démocrate. Ce virage idéologique a

conduit cette force politique, qui était initialement une coalition de partis, à se constituer et

s’institutionnaliser comme un « parti de coalition »1, et à se positionner comme force de

gouvernement crédible.

Le FA a donc opéré une forme de sinistrisme sur le Partido Colorado, traditionnellement

considéré comme le parti progressiste et implanté dans la capitale. Si les progrès électoraux du FA

se font aux dépens des deux partis traditionnels, le principal perdant s'avérera être, à la longue, le

PC. En profitant de nombreux éléments favorables, le FA se hisse rapidement comme le premier

parti uruguayen puis comme parti majoritaire.

1 LANZARO, J., “El Frente Amplio: un partido de coalición, entre la lógica de oposición y la lógica de gobierno”, in

Revista uruguaya de ciencia política, No. 12, 2001, pp. 35-67.

203

c. Conclusion : les structurants de compétition politique dans le cône sud.

La compétition partisane s’organise en opposition d’identités partisanes autour de thématiques

clivantes. Ces oppositions peuvent être basées, on l’a vu, sur diverses questions, et autour de liens

de nature variés. Si de nombreux auteurs ont insisté sur le fait que les liens entre les partis et leurs

électorat ne sont pas toujours programmatiques1 et que l’identité partisane ne repose pas toujours

sur des bases idéologiques fortes et cohérentes2, il est surprenant de noter l’ancrage de la dyade

droite/gauche, aussi bien auprès de la plupart des politistes que dans l’imaginaire discursif des

propres parts latino-américains pour classer les systèmes partisans d’Amérique latine et du Cône

sud. Ceci, alors même que les conditions d’une telle opposition et l’organisation du système

partisan ne correspondent pas aux conceptions typiques (européennes) de ce clivage3. Nous ne

prétendons pas, en disant cela, qu’il n’existe pas de positions et discours de gauche ou de droite en

Amérique latine. Bien au contraire, nous avons relevé au travers des expériences du Cône Sud les

évolutions des partis et systèmes de partis, ainsi que les transformations de la compétition partisane.

Nous insistons d’ailleurs sur le fait que ces oppositions et leur assimilation discursive, à teneur

sémantique, y sont le fruit d’importations d’idéologies, provenant essentiellement d’Europe. Une

preuve à cela est la relative facilité de positionnement et auto-positionnement des personnels

politiques – et des citoyens- de la région sur une hypothétique échelle horizontale4. L’Amérique

latine n’a pas produit les notions de « gauche et droite », mais les a adaptées à sa propre réalité. Or,

si la sémantique droite/gauche et son identification sociale est présente, sa matérialisation comme

clivage structurant les systèmes partisans, ne l’est pas automatiquement. Le cas argentin constitue

le meilleur exemple à cet argument, où malgré des postures discursives sensiblement progressistes

ou conservatrices des acteurs politiques, celles-ci ne se matérialisent pas en termes d’oppositions

entre un parti de droite et un parti de gauche, ces oppositions s’exprimant en interne aux partis.

Ceci ne suppose cependant pas que la compétition latino-américaine, et particulièrement dans le

Cône sud, ne soit organisée autour de forts clivages identitaires. Nous avons en effet avancé que la

1 KITSCHELT, H., «Linkages between citizens and politicians in democratic polities», op. cit ; ZECHMEISTER, E.,

“Left-Right semantics as a facilitator of programmatic structuration”, in KISTCHELT, H., et alii, Latin American party

systems,op. cit, pp. 96-115. 2 JANDA, K., Political Parties: A cross national survey, Free Press, New York, 1980; et RUIZ RODRIGUEZ, L., La

coherencia partidista en América Latina, Centro de Estudios Poltiicos y Constitucionales, Madrid, 2007 3 Voir notamment COLOMER, J., et ESCATEL, E., “La dimension izquierda-derecha en America Latina”, in

Desarrollo Económico, Vol. 45, No. 177, 2005, pp. 123-136; COPPEDGE, M.,“A classification of latin american

political parties”, Kellogg Institute Working Paper No. 244, Notre Dame University, 1997; ALCANTARA, M.,

“Partidos políticos en américa latina: precisiones conceptuales, estado actual y retos futuros”, op. cit; ALCÁNTARA,

M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en América Latina”, op. cit. 4 Pour ce qui est du positionnement et de l’auto-positionnement des élites politiques, voir les traveaux de l’Université

de Salamanque « Proyecto Elites LatinoAmericanas ».

204

création d’oppositions politiques est le propre même de la compétition politique de la région, bien

que sur des bases potentiellement différentes de celles en vigueur en Europe1. Nous présentons dans

le tableau 3.3 une évolution des réalignements et ré-ordonnancements de clivages dans le Cône

Sud, depuis l’indépendance.

Tableau 3.3 : Résumé des lignes de clivages structurantes dans le Cône Sud, en

perspective diachronique

Type de clivage structurant

Cas (période) Conjoncture « critique» Système de partis

Centre/périphérie

Argentine (1880-1916)1 Pacification nationale hégémonique

Chili (1818-1830) Indépendance nationale bipartite

Uruguay (1830-1904) Processus d’indépendance bipartite

Conservateur/ libéral

Uruguay (1904-1989) Pacification nationale bipartite2

Chili (1830-1930) Pacification nationale tripartite

« Gauche/ Droite »

Chili (1930-1973) Approbation du suffrage universel multipartite

Uruguay (1984-…) Consolidation d’une troisième force d’ « idéologie » tripartite

Chili (2006-…) Consolidation démocratique et mort de Pinochet multipartite

Symbolique et culturel/ou « vertical »

Argentine (1916-1943) Approbation du suffrage universel hégémonique

Argentine (1943-1990) Emergence de la figure de Perón bipartite

Argentine (1990-2003) Crise de la dette, émergence de la figure de

Menem multipartite

Argentine (2003-…) Crise économique de 2001 multipartite3

Autoritarisme/ Démocratie

Chili (1988-2006) Référendum révocatoire de 1988 multipartite

Notes : 1 jusque 1880, la politique argentine est soumise aux aléas des guerres civiles internes ce qui ne permet pas d’identifier des

lignes de clivages stables; 2 Bipartite bien que sur plus de la moitié du siècle, il s agit d’un système de parti dominant, avec le Partido

Colorado comme acteur majeur de la politique uruguayenne ; 3 Bien qu’il soit possible de « ranger » les différents partis issus de

l’éclatement de l’UCR, en familles « pan-radicales » et « proto-péronistes », notons néanmoins le rôle-pivot des partis provinciaux

cantonnés à un rôle local bien toutefois certaines forces ont émergées avec des visions nationales, tel que le PRO à Buenos Aires

Source : Elaboration propre

3.2 Théorie des clivages, théorie des coalitions et systèmes présidentiels : une combinaison

inductive

Si la seconde génération des études sur la théorie des clivages, a introduit le facteur

« préférentiel » dans les choix de formation de coalition, et avec lui la dimension idéologique2,

nous venons de voir avec les cas uruguayen et argentin, que les questions idéologiques ne sont pas

automatiquement génératrices d’identité partisane. Aussi, dans les systèmes de partis où les liens

électoraux reposent sur une multiplicité de facteurs, quels sont alors les indicateurs d’ « option de

coalition » ?

1 Voir notamment DIX, R., “Cleavage structures and party systems in Latin America”, op. cit; BENDEL, P., “Sistemas

de partidos en América Latina: criterios, tipologías, explicaciones”, in NOHLEN, D. et FERNÁNDEZ, M. (eds.), El

presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina, Caracas, Editorial Nueva Sociedad,

1991, pp. 197-211; ROBERTS K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación política…” op. cit 2 Voir AXELROD, R., Conflict of interest. A theory of divergent goals with applications to politics, Chicago,

Markham, 1970; et LEISERSON, M. A., « Power and ideology in coalition behavior: an experimental study », in

GROENNINGS, S., KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study of coalition behavior : theoretical perspectives

and cases from four continents, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1970, pp. 323-335.

205

L’aspect institutionnel, bien qu’insuffisant quant à prédire la forme des systèmes de partis,

influe-t-il sur l’alignement et l’organisation de la compétition politique ? Existe-t-il, en effet, une

éventuelle corrélation entre la structuration de la compétition partisane et le système électoral, et la

capacité de ce dernier à cliver ou, inversement, nuancer et entrecouper des oppositions politiques ?

Enfin, nous avons mis en évidence précédemment que la nature du régime n’influe pas

directement sur la formation de coalitions. Pour autant, système parlementaire et système

présidentiel, semblent répondre à des logiques de fonctionnement et d’alignement différents. Il

s’agit maintenant de voir en quoi ces différences institutionnelles ont un impact sur les options

d’alliances.

3.2.1 Polarisation des systèmes de partis et formation de coali tions

gouvernementales

L’alignement de la compétition politique autour d’un ou plusieurs clivages structurants et son

expression en termes de configuration de systèmes de partis varie en fonction du contexte

historique et géographique. Ainsi, l’émergence de lignes de démarcation sociopolitique dépend de

l’existence de conflits latents à une société, et de la capacité des différents acteurs sociaux à

institutionnaliser ces conflits. De même l’institutionnalisation de ces conflits et leur niveau de

perméabilité, influe sur la formation d’alternatives identitaires significatives et, par ricochet, sur le

degré de polarisation du système de partis. Du degré de porosité d’un clivage dépend la constitution

d’identités sociales et politiques et, par la même, la capacité structurante et ordonnatrice sur le

système partisan de ce même clivage. Certains auteurs stipulent que l’intensité de la compétition

politique et la polarisation du système partisan articulent la nature des relations inter-partisanes.

Comme l’avance Laurence Dodd :

« [p]lus le degré de conflictualité ou de polarisation d’un clivage parmi les partis parlementaires

est faible, plus la propension générale à ce que les partis négocient entre eux est grande»1.

Les clivages constituent donc, en fonction de leur perméabilité, autant de limitations à la

coopération partisane, et cela plus particulièrement en régime présidentiel. En effet, ans une

configuration multipartite, le caractère structurant d’un clivage et son impact sur la compétition

politique supposent la création de pôles d’appartenance autour d’un « principe de groupalité »2 plus

1 DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976, p. 67. Traduction propre.

2 Vincent Lemieux définit le concept de ‘principe de groupalité’ ainsi : « [l]e principe de groupalité pose que les

relations politiques ne sont cohésives que si les acteurs peuvent être regroupés en pôles à l’intérieur desquels tous les

206

ou moins fort de part et d’autre de la ligne de clivage. Dès lors, plus un clivage se trouve être

imperméable, plus les relations interpartisanes sont intra-polaires et moins grande est la tendance à

la formation d’accords inter-polaire, de part et autre de la ligne de démarcation. De même, plus un

clivage est poreux moins risqués et improbables sont les cas de « transfugisme » personnels, inter-

polaires1. Nous défendons en effet qu’un clivage peut être imperméable sans pour autant influencer

le degré de polarisation politique2. Un système partisan peut ainsi générer des identités partisanes

particulièrement fortes et identifiées, tout en observant une compétition politique de type centripète.

La question étant alors d’isoler les facteurs d’ « imperméabilité des clivages ».

a. Structure de représentation, agencement des cl ivages et formation de

coalitions dans le Cône Sud: le facteur présidentiel

En régime parlementaire, la nécessité de compter sur une majorité parlementaire favorable, ou

du moins « non hostile »3, conduit comme l’a montré Abraam de Swaan a ce que se forment des

coalitions gouvernementales, parfois « surdimensionnées », entre des membres de diverses

tendance, avec –idéalement- une moindre « amplitude idéologique »4 (Close Minimal Range

Coalitions). Cette conception suppose que la nécessité créé le pragmatisme et que la formation

d’accords interpartisans s’articule autour de partis, dont les positions « charnières » permettent de

passer des accords avec des partis situés parfois de chaque côté d’une ligne de démarcation. En

fonction des cas de figures et des contextes, si le nombre de « combinaisons » possibles est

proportionnel au nombre d’acteurs politiques en présence, suivant une fonction factorielle, il est

néanmoins rationnellement limité par d’éventuels « cordons sanitaires » généralement idéologiques

et plus ou moins virtuels, lesquels sont le plus souvent placés contre les extrêmes. Ainsi, sur un axe

rapports d’appartenance sont positifs et a l’extérieur desquels (s’il y a plus d’un pôle) tous les rapports d’appartenance

sont négatifs ». Ceci pose donc la création d’éléments et identités propres à un pôle et distinctives de ce qui se trouve en

dehors de ce pôle. Nous simplifions, ici, cette conception systémique autour des lignes de clivage où à un versant de

clivage s’oppose un autre. Voir LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique,

Presses de l’Université de Laval, Laval (Québec), 2006, p. 1. 1 Le concept de « transfugisme », comme dérivé de transfuge, est entendu comme un changement de bord ou

d’étiquette partisane de la part d’un personnel politique, généralement un parlementaire. Ce concept que l’on pourra

décliner comme transfuge interpartisan, lorsque le transfuge reste dans un même bloc mais change d’étiquette ; ou

transfuge interpolaire lorsque le transfuge franchit la ligne de démarcation inter-bloquiste. Pour une définition et une

application intéressante du concept de « transfugisme », voir RENIU, J.,”La representación política en crisis: el

transfuguismo como estrategia política”, in PORRAS NADALES, A., El debate sobre la crisis de la representación

política, Tecnos, Madrid, 1996 pp. 265-290; et VARGAS, J. P., et PETRI, D., Transfuguismo: Desafíos político-

institucionales para la gobernabilidad parlamentaria en Centroamérica, Demuca, San José, 2010. 2 Si le degré de polarisation d’un système de partis tourne autour d’un clivage, les concepts de « polarisation » et

« clivage », ne sont pas pour autant synonymes. Voir infra chapitre 5. 3 Voir STRØM, K., Minority Government and Majority Rule, Cambridge University press, 1990.

4 DE SWAAN, A., Coalition Theories arid Cabinet Formations, Amsterdam, Elsevier, 1973.

207

classique droite/gauche, les « options » rationnelles de formation de coalitions dans une

configuration à cinq acteurs, toujours en système parlementaire, sont présentées par la figure 3.3.

Note : Ces cas de figure, qui reprennent la théorie du choix rationnel, sont exprimés en fonction du « poids » législatif des partis,

avec la considération théorique qu’aucun pôle ne dispose de la majorité absolue des sièges.

Source : élaboration propre

Ces options dépendent du poids de chaque acteur et de l’identité du parti du formateur1, or

lorsque celui-ci est en même temps celui qui détient le « législateur médian », le spectre

d’alternatives possibles s’agrandit2. De même, la « position » des acteurs sur l’axe droite/gauche,

semblerait influer sur leur « potentiel coalitionnaire », car d’après la théorie du choix rationnel, plus

un parti est situé vers une position centriste ou centrale, plus son attractivité –et par-là même son

pouvoir de négociation et/ou chantage- est grande à l’heure de former une coalition parlementaire3.

Enfin, rappelons les « tours de formation », propres aux systèmes parlementaires, où lorsqu’un

leader de parti chargé de former un gouvernement échoue, autant de leaders le remplacent jusqu’à

1 Nous avons donné en introduction une définition de ce concept.

2 LAVER, M., et SHEPSLE, K Making and Breaking Governments,Cambridge University Press, 1996

3 WARWICK, P., “Coalition government membership in west european parliamentary democracies”, in British Journal

of Political Science, vol. 26, No. 3, 1998, pp. 471-499; BUDGE, I., et LAVER, M., “The policy basis of government

coalitions: A comparative investigation” , in British Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519;

BUDGE, I., KLINGEMANN, H.D., et alii, Mapping policy preferences: estimates for parties, electors, and

governments 1945–1998, op. cit.

Figure 3.3: “options” de coalitions en système parlementaire

208

ce que se forme une majorité parlementaire d’appui ou d’appoint. Toutefois, il est difficile de

trouver dans la littérature dominante une considération des clivages comme élément structurant la

compétition politique et limitant les « options de coalition ». Pour Laurence Dodd:

« Le système de clivage est ainsi à la fois une des principales sources de conquête du pouvoir et,

en même temps, une contrainte majeure de comportement possible dans la poursuite de cette

quête. » […] « [C]e qui constitue une contrainte claire sur la volonté des dirigeants des partis à

négocier »1

Par « système de clivage » s’appliquant au système de partis, Dodd se rapporte à l’intensité plus

qu’à la porosité des clivages. La notion de « système de clivages » est confondue avec le concept de

polarisation où à une configuration centripète (favorisant la négociation) s’oppose une

configuration centrifuge (plus polarisée et donc moins propice à la formation d’alliances). Suivant

cette conception, les clivages apparaissent davantage comme des « marqueurs de position » que

comme des « marqueurs d’identité ». Surtout, les partis poursuivant en principe des objectifs précis,

les positions politiques et les rapports de force (nombre de sièges au parlement) sont considérés

comme autant de facteurs d’intransigeance ou de négociation, tant sur les questions de politique

publique (Policy seeking) que sur l’attribution de portefeuilles ministériels (office seeking)2.

*

En régime présidentiel, les systèmes de partis et « systèmes de clivage » sont soumis à une

logique différente. Comme le soulignent Léon Epstein puis David Samuels, la double légitimité

électorale qui découle de ces régimes –élection du gouvernement au travers de l’élection

présidentielle, et élection des représentants d’intérêts plus « locaux », au niveau parlementaire-

influe à la fois sur la configuration et la compétition partisane3. Les partis optent en effet pour des

stratégies différentes en fonction de la nature de l’élection, et adoptent une attitude duale vis-à-vis

de l’électorat : une posture nationale, pour l’élection du « gouvernement », une autre plus « locale »

pour les élections parlementaires4. Cette dualité, à la fois électorale et comportementale permet de

canaliser les conflits en fonction de leur degré national ou local, là où en système parlementaire

1 DODD, L., op. cit, pp.58-59. Traduction propre, mes italiques.

2 Voir les critiques de Gregory Luebbert sur le caractère rationnel des partis, et plus précisément sur le présupposé que

tous les partis seraient intéressés à former une coalition gagnante. Voir LUEBBERT, G., “Coalition theory and

government formation in multiparty democracies”, in Comparative Politics, Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 3 EPSTEIN, L., Political parties in the American mold, University of Wisconsin Press, Madison, 1986; SAMUELS, D.,

“Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in Comparative Political

Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483. Ceci ne veut pas dire pour autant que les partis ne présentant pas de

candidats lors de l’élection présidentielle, soient mécaniquement des petits partis. 4 Nous ne négligeons certainement pas le caractère national de ces élections, les partis politiques s’appuient

généralement sur ces élections, particulièrement lorsqu’elles ne sont pas simultanées, comme instrument de défiance ou

confiance, vis-à-vis du gouvernement. De même les élections parlementaires, quand elles sont simultanées ou « très

rapprochées » aux élections présidentielles, servent de « ratification » ou « compensation » à l’élection présidentielle.

209

cette dimension est simultanée : les élections « générales » y sont en effet à la fois faiseuses de

gouvernement et génératrices de représentation locale. Nous nous attarderons donc essentiellement

sur l’attitude partisane, en régime présidentiel, au niveau national.

Le caractère personnel de l’élection présidentielle influe, non pas sur le système de partis et/ou

le nombre de partis de gouvernement, mais sur le système de clivages. En effet, l’élection

présidentielle qu’elle soit directe ou non1, est de type majoritaire puisqu’elle combine à une

circonscription nationale unique, une représentation uninominale. Or, comme nous l’avons vu

précédemment, l’empirisme dément les lois-mécaniques les plus élégantes, et les systèmes de

représentation majoritaire ne créent pas nécessairement des systèmes bipartisans (voir chapitre 2.2).

L’élection présidentielle comporte donc une dimension clivante et polarisante, intrinsèque, autour

de la personne du président et de son parti. Là où en système parlementaire, toutes les

combinaisons pour former un gouvernement sont -théoriquement- possibles, en régime présidentiel,

hormis les gouvernements uniquement technocratiques2, seules les combinaisons contenant le parti

du président le sont. Le formateur du gouvernement étant toujours le président3. Suivant la figure

3.4, dans un schéma simplifié à trois acteurs ABC, où A constitue le parti présidentiel, les seules

« combinaisons » possibles sont celles incluant A ; soit AB ou AC, soit un éventuel –et improbable-

gouvernement d’union nationale (ABC). Logiquement, un président ne voudra pas former un

gouvernement qui serait composé d’éléments opposés à celui à son propre parti (BC).

1 Excepté, peut-être, les cas de second tour parlementaire, où le président s’il ne reçoit pas de majorité absolue au

premier tour, est “élu” par le parlement. Voir le cas bolivien avant la réforme constitutionelle de 2009. 2 Sur cette question voir le chapitre 6.

3 Ce qui ne suppose pas qu’il soit le seul à la table des négociations, ni qu’il soit l’unique décideur, mais qu’il est le

décideur « final ». Rappelons qu’en régime présidentiel, le président est à la fois chef du gouvernement et chef de

l’Etat. Pour une présentation de cet argument, voir CHEIBUB, J.A., Presidentialism, Parliamentarism, and

Democracy, Cambridge University Press, 2006, p.54

210

La formation de gouvernements en système présidentiel est, ainsi, plus « excluante » et

« polarisante » qu’en système parlementaire où, par nécessité, le processus se révèle plus

intégrateur, et donc transpolaire (cas de figure 5, figure 3.3). Or, comme l’avancent Strøm, puis

Shugart et Carey, et sous couvert d’un niveau d’institutionnalisation comparable des partis et du

système de partis, la nature directe de l’élection du chef du gouvernement combinée au caractère

« excluant » du système de clivage en régime présidentiel, confère à ce type de régime un degré

plus important du potentiel d’identification et de prédictibilité des options politiques dans la

formation des gouvernements1. Le système de clivage en régime présidentiel est donc générateur de

« pôles », plutôt que marqueur de positions. On vote donc, paradoxalement, davantage pour un

« pôle » en régime présidentiel, qu’en régime parlementaire, où le vote – davantage partisan et/ou

localisé- peut être désagrégé autour d’accords post-électoraux2.

Contrairement à ce qu’avance Dodd, où quand il est faible le système de clivage présenterait une

configuration favorable au dialogue et à la formation d’alliances, la propension coalitionnaire d’un

système de partis n'est pas nécessairement liée à un degré moindre de l’intensité de ce « système de

clivage ». Dans les démocraties présidentielles du Cône Sud, et de manière emblématique dans le

1 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies: Constitutional design and electoral dynamics, Cambridge

University Press, 1992; STRØM, K., Minority Government and Majority Rule, op. cit. Kaare Strøm montrant en effet

que dans les démocraties parlementaires multipartisanes, le potentiel d’identification du futur gouvernement est de

l’ordre de 0.15 points, sur une échelle de 0.00 (identificabilité nulle) à 1.00 (identifiabilité totale). 2 BLAIS, A., et al.,“Do voters vote for government coalitions?; Testing Down's pessimistic conclusions”, in Party

Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705.

A

B C

AB AC

BC

Figure 3.4: Options de coalitions possibles en régime présidentiel

Source: Elaboration propre, à partir de Cheibub (2006)

211

cas chilien, la volonté de négociation semble s’articuler autour de la structure de clivage du

système de partis. Les divisions politiques et sociales, respectivement générées et récupérées par les

partis, façonnent les options de coalition entre partis situés généralement du même « côté » d’une

ligne de démarcation principale, laquelle tend à additionner les différentes lignes de conflits autour

d’elle. Si cela semble tautologique, l’argument suppose néanmoins une différence considérable

avec les systèmes parlementaires où l'absence d'élection directe du chef de l’État conduit à une

addition des lignes de clivages, d’où la multiplicité des « options de coalition » dans ce type de

régimes1. En régime présidentiel, les clivages tendent à se « chevaucher » autour d'un

clivage structurant principal2 ; le système de clivage tend donc vers l’unidimensionnalité. Antonio

Garrido souligne ainsi que la configuration présidentialiste du régime politique :

«..limite le nombre de gouvernements de coalition viables, ce qui implique inévitablement que,

potentiellement, les démocraties présidentielles ont une capacité moindre à développer des

alternatives politiques et gouvernementales que les démocraties parlementaires. La formation de

coalitions mouvantes et successives, soutenues par divers leaderships et participants en fonction

des besoins et des problèmes spécifiques du moment […], est plus difficile en systèmes

présidentiels.3 »

La compétition est alors -reprenant la phraséologie de Duverger- essentiellement « dualiste »,

entendue non pas comme bipartisane, mais plutôt comme bipolaire. Rappelons, toutefois, le

caractère dynamique de cette structuration. Les clivages, fruits de la compétition partisane, sont

donc sujets à des processus de réalignement et ré-ordonnancement en fonction de leur degré de

permanence et d’institutionnalisation. La nature de la compétition politique et la porosité du

système de clivage en régime présidentiel repose ainsi sur le type de liens –programmatique,

personnel, charismatique, symbolique, etc…- entre les partis de gouvernement et leur électorat

captif et conjoncturel, et du degré de persistance de ces liens et des relations interpartisanes. En

effet, plus les positions et les relations autour des lignes de démarcations sont institutionnalisées,

plus les éléments de familiarité apparaissent et s’affirment de manière claire et, par inertie4,

deviennent autant d’« éléments de groupalité »5. De plus, certaines contraintes institutionnelles

viennent renforcer -et non pas créer- le caractère « polarisant6 » du système de clivage et, par là-

1 Voir les cas paradigmatiques de la Belgique ou des Pays Bas.

2 ZUCKERMAN A., « Political cleavage: a conceptual and theoretical analysis », in British Journal of Political

Science, Vol. 5, No. 2, 1975, pp. 231-248. 3 GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in

Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, p. 44-45. Traduction propre 4 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary

democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298 5 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance… op. cit. p.1

6 Entendu dans son asception étymologique, à savoir « générateur de pôles ».

212

même, la constitution de « blocs » partisans intra-polaires. C’est le cas notamment du principe du

balottage, où le laps de temps entre les deux tours est sujet à la formation de ralliements et la

constitution d’alliances autour des deux candidats arrivés en tête1. On pourrait également inclure le

principe de simultanéité des élections, où sous cette formule de nombreux acteurs observent une

« congruence polaire » accrue des voix au niveau parlementaire et présidentiel, aussi appelé « effet

d’entraîne » (« coattail effect »)2 ; ainsi que, lorsque la constitution le permet, la possibilité de

réélection présidentielle qui tend à cliver la société autour du bilan du président sortant et de son

administration (« incumbency effect/ anti-incumbency effect »)3.

Dans des systèmes de partis institutionnalisés, les éléments de contexte (conjoncture nationale et

internationale) constituent les éléments « volatils » influents sur le résultat de l’élection, entre des

partis répartis autour de structures d’identification et de différentiation sociopolitiques stables4.

Parallèlement, la nature des liens d’identification et de différentiation partisane (idéologique,

programmatique et comportementale) influe sur l’institutionnalisation de la compétition partisane.

Plus le clivage structurant est institutionnalisé et « imperméable », plus les options d’alliances sont

prévisibles. De même, plus un système de parti est institutionnalisé, plus il est soumis à des

tensions aussi bien internes qu’externes, et plus sa propension au maintien dépend de la capacité

d’absorption et flexibilité des éléments qui le composent5.

1 Voir les chapitres 2 (pour les “effets institutionnels”), et 4 (pour la dimension temporelle).

2 Par « congruence polaire » nous entendons le fait de voter pour des candidats (ou des listes) issus du même pôle

identitaire, et non pas nécessairement du même parti. Voir la literature sur le coattail effect: PRESS, C., “Presidential

coattails and party cohesion”, in Midwest Journal of Political Science, Vol. 7, No. 4, 1963, pp. 320-335; CAMPBELL,

J., “Presidential coattails and midterm losses in state legislative elections”, in American Political Science Review, Vol.

80, No. 1, 1986, pp. 45-63; COX, G., Making Votes Count: Strategic Coordination in the World’s Electoral Systems,

Cambridge University Press, 1997; SCARROW, H., “Ballot format in plurality partisan elections”, in GROFMAN, B.,

et LIJPHART, A., Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003, pp242-247;

GOLDER, M. “Presidential coattails and legislative fragmentation”, in American Journal of political Science, Vol. 50,

No. 1, 2006, pp. 34-48; JONES, M. P. “The role of parties and party systems in the policymaking process.” Document

présenté lors du Workshop « State Reform, Public Policies and Policymaking Processes », organisé par la Banque

Inter-Américaine de Développement, Washington DC, 2005. 3 NARUD, H.M., “Party policy and government accountability”, in Party politics, Vol. 2, No. 4, 1996, pp. 479-506;

STRØM, K., Minority Government… op.cit.; CAREY, J., “The reelection debate in latin america”, in Latin American

Politics and Society, Vol. 45, No. 1, 2003, pp. 119-133; CRESPO, I., et GARRIDO, A., Elecciones y sistemas

electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico, 2008; MAINWARING, S., et

WELNA, C., Democratic Accountability in Latin America, Oxford University Press, 2003. 4 Le concept de “volatilité électorale” est entendu comme la somme des ratios de transferts de votes interpartisans,

d’une élection à l’autre. Voir BARTOLINI, S. et MAIR, P., Identity, Competition, and Electoral Availability: The

Stability of European Electorates, 1885-1985, op. cit; MAINWARING, S., et SCULLY, T., La Construcción de

Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996;

ROBERTS, K., et WIBBELS, E., “Party systems and electoral volatility in latin america: a test of economic,

institutional”, in American Political Science Review, Vol. 93, No. 3, 1999, pp. 575-590; MAINWARING, S., et

TORCAL, M., “La institucionalización de los sistemas de partidos y la teoría del sistema partidista después de la

tercera ola democratizadora”, in América Latina Hoy, Vol. 41, 2005, pp. 141-173; MAINWARING, S., et ZOCO, E.,

“Secuencias políticas y estabilización de la competencia partidista: volatilidad electoral en viejas y nuevas

democracias”, in América Latina Hoy, Vol. 46, 2007, pp. 147-171. 5 PANEBIANCO, A., Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988 [1982]

213

Or, si comme le théorise Juan Linz, le caractère personnel et direct de l’élection présidentielle

est supposé faciliter l’émergence « d’outsiders » dont l’espérance de vie politique est aussi

incertaine que n’est structurée leur assise partisane1, il est alors nécessaire de s’arrêter sur l’étude

de la nature des lignes d’oppositions partisanes, et leur persistance institutionnelle et mobilisatrice.

Le caractère durable des accords de coalition semble aussi bien dépendre des acteurs que de la

persistance du « contexte originel ». On est amené à se demander si les éléments critiques ayant

conduit à la formation des accords de coalition, existent encore lors de l'élection suivante2. Si oui,

quels sont les éléments de persistance et/ou de réalimentation propre à ces processus ? Si non, la

coalition a-t-elle su s'adapter au nouveau contexte et produire un réalignement du système de parti,

et par-là une nouvelle source de convergence intra-coalitionnaire?

b. Coalitions « positives» vs/ coalitions « négatives»

L’intensité d’un clivage sur la structure sociopolitique provient, nous l’avons vu, de la capacité

de mobilisation des acteurs autour de celui-ci. Toutefois, la nature du clivage découle de divers

facteurs qui débouchent sur diverses formes de manifestation. Ramenés à la compétition partisane,

et particulièrement en régime présidentiel, les clivages opèrent comme les ordonnateurs de la

compétition partisane, générateurs de « liens d’affinités », plus ou moins durable et

institutionnalisés, en fonction de la nature des lignes de conflits ainsi que de la nature des liens

politiques. D’où le fait que l’identification des « options de coalitions » puis des « options de

gouvernements », dépendent du degré d’identification partisane de chaque parti vis-à-vis de la ligne

d’opposition et du degré d’intensité des éléments structurant. Ainsi, plus intense est le clivage, plus

les pôles ou « fronts » sont distinguables. Encore faut-il spécifier les éléments clivants et les

processus de formation de ces fronts.

Les clivages que nous avons présentés jusqu’à présent (territoriaux, ethniques, socio-

économiques, etc.) sont autant d’ordonnateurs de « pôles » au niveau partisan. La conception

dynamique des systèmes de partis aidant, les éléments clivants peuvent donc prendre la forme

d’oppositions idéologiques (cas chilien comme nous l’avons vu), comportemental (cas argentin) ou

les deux se succédant (cas uruguayen). La constitution d’alliances autour de ces lignes de clivage

repose alors sur l’élaboration d’objectifs politiques variés entre les acteurs partisans. On parle ainsi

de « coalition positive » lorsqu’à l’intérieur d’un même pôle tendent à converger des positions entre

1 LINZ, J.J., “The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69

2 TIMMERMANS, A., “Standing appart and sitting together: enforcing coalition agreements in multiparty systems”, in

European Journal of Political Research, Vol. 45, No., 2, 2006, pp. 263-283; MOURY, C., « Les ensembles flous pour

y voir plus clair : decoder les caracteristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue Internationale

de Politique Comparée, Vol. 11, No. 1, 2004, pp. 101-115.

214

différents acteurs politiques en vue de la réalisation et la poursuite d’un objectif commun. Une fois

l’objectif atteint (élection présidentielle, référendum, etc.), le maintien et la pérennisation de

l’alliance dépend du degré d’institutionnalisation et identification des acteurs qui la forment et leur

capacité à reconduire ou réalimenter la dynamique coalitionnaire et les éléments d’identité sociale.

Ainsi comme le présente Niklas Luhmann :

« Le procédé de différenciation découlant des moyens propres aux systèmes fonctionnels, est

un long processus d'évolution destiné à ce que ses propres résultats soient réintroduits dans le

processus lui-même, suivant une voie de rétro-alimentation. »1

Inversement, la survenue d’acteurs anti-système plus ou moins institutionnalisés et

mobilisateurs, et/ou « d’événements critiques » majeurs, constituent autant de potentiels éléments

ré-ordonnateurs qui, lorsque la stabilité du système en place est menacée, peuvent conduire à une

transformation des facteurs d’affinité et d’inimitié. Ou comment des « ennemis deviennent des

alliés », par la force des choses2. Ainsi, le sentiment de rejet d’un acteur politique peut conduire,

lorsque la menace ou l’assise de celui-ci est conséquente, à la formation d’alliances « négatives »

entre acteurs traditionnellement opposés, dont le but essentiel est soit de renverser, soit d’empêcher

l’accession au pouvoir de cet opposant commun. Ce type de coalitions est donc fondé davantage sur

le partage réciproque d’un antagonisme commun, plutôt que sur une convergence « polaire ».

Toutefois, en cas de persistance de « l’ennemi commun », le ré-ordonnancement tend à ce que les

acteurs jadis opposés se retrouvent dans le même pôle, voire fusionnent lorsque leurs éléments de

différentiation identitaire s’estompent3. C’est le cas notamment du rapprochement, puis de la

fusion, entre libéraux et conservateurs chiliens, après l’apparition successive des radicaux puis des

partis ouvriers (voir supra 3.1.2.).

De même, en cas de ré-ordonnancement du système politique, les éléments d’ « ancien régime »,

bien qu’originellement opposés, voyant leur influence respective décroître, peuvent être tentés à un

rapprochement « défensif » vis-à-vis du nouvel acteur émergeant. Les coalitions « négatives »

apparaissent ainsi, à priori plus fragiles et conjoncturelles que les coalitions « positives » basées sur

une convergence dynamique. Toutefois, la routinisation et la répétition de ces alliances négatives,

et les manifestations de « résistance systémique4 », peuvent à leur tour conduire à une convergence

accélérée, notamment sur des bases motivationnelles de conservation d’influence.

1 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009, p.151. Traduction propre.

2 TARROW, S., “Transforming enemies into allies: non-ruling communist parties in multiparty coalitions”, in Journal

of Politics, Vol. 44, 1982, pp. 924-954. 3 DI TELLA, T., Latin American politics: a theoretical framework, University of Texas Press, Austin, 1990; et DI

TELLA, T., Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos Aires, 2003. 4 LUHMANN, N., op. cit.

215

3.2.2 Alignements et ordonnancements des systèmes de partis du Cône Sud :

processus de création et de réalimentation de nouvelles lignes de clivages.

L’institutionnalisation des systèmes de partis, et par conséquent du système de clivage, et la

nature des liens d’appartenance politique constituent les principaux éléments caractéristiques des

régimes du Cône Sud. Ces éléments influent, à la fois, sur la nature des relations inter-partisanes et

sur la culture politique et gouvernementale des différents pays de cette région. Ces considérations

constituent aussi les principales « variables » distinctives des coalitions gouvernementales s’y étant

formé depuis le retour à la démocratie. Nous constatons, en effet, que les systèmes de clivages et

les ordonnancements des blocs politiques des trois pays du Cône Sud, constituent le facteur

explicatif causal des options de coalition, ainsi que leur limitation. Nous distinguons, ainsi, une

porosité particulièrement faible des systèmes de partis chilien, argentin et uruguayen, bien que la

nature des lignes de démarcation déteint sur la nature des coalitions et leur projection dans le temps.

a. La structuration de la compétition politique chilienne et l’héritage du

gouvernement autoritaire

Dans le cas chilien, l’institutionnalisation du régime militaire, via l’adoption d’une nouvelle

Constitution en 1980 instaurant le principe de plébiscite de 1988, constitue la conjoncture critique,

initiant le ré-ordonnancement du système de partis, au sortir de la dictature. En effet, si la

Démocratie chrétienne (DC) avait appuyé dans, un premier temps, le coup d’Etat de Pinochet en

1973 dans le but de mettre fin à la polarisation de la société chilienne qu’elle jugeait critique, ses

espoirs d’une restauration démocratique rapide déçus, la conduisent à entrer en opposition au

régime, dès la fin des années 1970. La proscription des partis d’obédience marxiste, l’entrée en

clandestinité ou en exil de la plupart des leaders politiques de ces partis, et une certaine tolérance

envers la démocratie chrétienne conduisent à ce que cette dernière apparaisse comme le principal

mouvement politique, structuré, d’opposition au régime.

Par la suite, les mouvements sociaux des années 1982-83-84, des suites de l’entrée en crise du

modèle économique et social, ont comme principale conséquence la recomposition des structures et

des réseaux partisans des principaux partis de gauche, qui jusqu’alors œuvraient dans la

clandestinité, autour de deux axes : i) les mouvements prônant une transition politique et

démocratique incluant –voire centrant sa stratégie sur- l’éventualité de la lutte armée1 ; et ii) les

1Option défendue par le Parti Communiste Chilien, pendant un temps par la fraction « Almeydiste » du Parti Socialiste

(fidèle au leader Clodomiro Almeyda), et du MIR (Mouvement de Gauche Révolutionnaire).

216

mouvements issus de la « Convergence Socialiste », ou les partis de gauche prônent un refondation

idéologique pour une approche de plus en plus social-démocrate1. Ces deux stratégies politiques de

transition à la démocratie vont marquer les prédispositions à la constitution de convergences et la

formations d’alliances politiques entres les acteurs opposés à la prolongation de Pinochet au

pouvoir. Ces mêmes partis partagent, suivant des degrés et des intensités distinctes, la position de

« perdants » suite aux événements postérieurs au Coup d’Etat de 19732.

Le PDC qui culturellement s’est toujours posée comme un parti à tentations hégémoniques et

anti-communiste, a ainsi privilégiée la tenue de discussions avec les mouvements de type sociaux-

démocrates, dont les fractions socialistes jadis ennemies, autour d’un projet alternatif démocratique,

l’Alliance Démocratique, abandonnant ainsi son discours traditionnel du « chemin propre »3.

L’objectif étant de battre le régime militaire sur le terrain institutionnel, politique et social, et non

pas sur celui de la violence. De son côté le PCch, pourtant présent dans le même « pôle » opposé à

Pinochet, prend la tête d’une alliance plus radicale autour du Mouvement Démocratique Populaire,

qui opte pour une chute du régime par les armes.

Les deux mouvements concurrents de l’opposition démocratique au régime de Pinochet se sont

alors cristallisés, non sans discussions et tentations réciproques. Mais la défaite de l’option armée,

patente après l’attentat manqué contre Pinochet par des membres du Frente Patriótico Manuel

Rodriguez (bras armé du PCch) en 1986, et la vague de répression qui s’en suit, contribue à isoler le

PCch et conforte la position de la Démocratie chrétienne comme acteur central de ce pôle, ce qui

renforce et consolide alors l’option politique de transition démocratique4. L’Alliance démocratique

subit néanmoins de nombreux soubresauts, dus à des conflits d’intérêts et d’influence, et surtout le

processus de réunification du parti socialiste. Ce dernier, est en effet divisé en plusieurs fractions

autour de la stratégie à adopter vis-à-vis du régime (entre défenseurs de la voie armée et défenseurs

de l’option démocratique), ainsi que sur la position à adopter vis-à-vis de la Démocratie chrétienne

-comme partenaire ou ennemi. Si la tentation armée est abandonnée après 1986, et le retour du PS-

Almeyda autour des autres fractions socialistes, la relation avec le PDC fait encore débat entre

1 Constitué du PS-Núñez, PS-Arrate, du MAPU, et de la Gauche-Chrétienne.

2 Les partis de gauche ayant été renversés et pourchassés, la DC se sentant, elle, trahie par l’institutionnalisation du

régime. Voir YOCELEVZKY, R., Chile: partidos politicos, democracia y dictadura 1970-1990, Fondo de Cultura

Economica, Santiago, 2002. 3 Originellement, l’Alliance Démocratique incluait également les partis et fractions de droite (fraction libérale du

Partido Nacional), mal à l’aise avec l’évolution du régime. Mais, par la suite ces fractions se sont recomposées autour

du nouveau parti Renovación Nacional. 4 Le PC se retrouve d’autant plus isolé que le régime militaire avait fait preuve d’une certaine ouverture au dialogue,

par l’entremise du ministre de l’intérieur Sergio Jarpa entre 1983-1984, après les mouvements sociaux concomitants

aux turbulences économiques que vivait alors le pays.

217

suivisme inconditionnel et coopération autonome1. Le soutien du PDC au coup d’Etat de Pinochet

contre le gouvernement d’Allende en 1973, est toujours présent dans les têtes des dirigeants

socialistes. De même, la position dominante du PDC du fait d’une certaine tolérance du parti et ces

cadres par le régime de Pinochet, contribue au maintien d’une certaine méfiance des membres du

PSch face à l’attitude et au degré de compromis à adopter avec le PDC.

L’acceptation de la transition « constitutionnelle », l’abandon de l’exigence de retrait

inconditionnel de Pinochet, l’échéance approchant, et la conversion du PSch à la social-démocratie

ont finalement conduit les différentes parties à approfondir leurs relations et leurs convergences

programmatiques et organisationnelles, afin de gagner le Référendum de 1988 et construire une

alternative gouvernementale crédible et stable. Cet événement constitue l’occasion pour la plupart

des partis de renouer de manière visible avec la société civile. Si le PDC a pu maintenir sa visibilité

et ses réseaux de manière relativement aisée, les différentes fractions socialistes ont dû faire avec la

proscription constitutionnelle de tous les partis d’inspiration marxiste. Ce qui explique que le

« monde socialiste » se présente soit fractionné autour d’un leader de courant (Núñez, Almeyda et

Arrate), soit sous une étiquette nouvelle et aseptisée : le Parti Pour la Démocratie (PPD). Ce parti

créé initialement pour contrer l’interdiction pesant sur les socialistes « modérés » de se doter d’un

organe de représentation électorale, va par la suite se maintenir et s’institutionnaliser, prenant les

traits d’un parti de cadres (ou de « professionnels de la politique ») dénué base militante2. Enfin, en

1988 se forme la « Concertation Pour le Non », en vue du référendum de 1988, composée

initialement de 17 « partis »3. A ce mouvement de construction d’alliance qui regroupe l’ensemble

des partis opposés à une reconduction de Pinochet, le seul parti d’opposition au régime militaire à

ne pas participer est le PCch, en raison de l’opposition ferme du PDC à s’allier avec un parti qu’elle

juge instable et inconstant.

En face, dans le « pôle du régime sortant », la préparation du référendum, conduit à la formation

d’un organe politique du régime, Renovación Nacional, au sein duquel coexistent deux courants

d’inspiration idéologique distincte, mais partageant la même relation au régime et à son legs

sociopolitique, et défendant la conception de « démocratie protégée »4. Ainsi l’Unión Demócrata

1 BOENINGER, E., Democracia en Chile: Lecciones para la gobernabilidad, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1997;

ORTEGA FREI, E., Historia de Una Alianza, CESOC/CED, Santiago, 1992. 2 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfiles dirigenciales y

trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y

política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 3 Dont la DC, les deux PS (Almeyda et Núñez), le PPD, le Parti Radical, le Parti Social Démocrate, le MAPU, la

Gauche Chrétienne, et d’autres groupes et mouvements plus petits de centre-gauche. 4 Sous entendue « protégée des éléments de subversion par les diverses institutions établies par la constituion de

1980 ». Pour une conception de la notion de « démocratie protégée », voir GODOY ARCAYA, O., “Parlamento,

presidencialismo y democracia protegida”, in Revista de ciencia política (Santiago), Vol. 23, No.2, 2003, pp.7-42.

218

Independiente (UDI) constitue l’aile conservatrice et idéologique du régime militaire1, son

fondateur Jaime Guzmán -le principal rédacteur de la Constitution de 1980- étant un fervent

admirateur du régime espagnol de Franco et membre de l’Opus Dei. Ce nouveau parti est marqué

par une étroite relation personnaliste, envers Guzmán, et une homogénéité sociologique et

idéologique particulièrement forte de ses membres2. Enfin, le Partido Nacional -qui prendra par la

suite le nom de Renovación Nacional-, est un parti d’inspiration plus libérale, et présente une

position de droite plus « traditionnelle », entrepreneuriale et républicaine et moins attachée à la

figure de Pinochet.

La victoire du « non » au référendum de 1988 (par 55.9%), ouvre alors la voie à la tenue

d’élections présidentielles et parlementaires, prévues constitutionnellement l’année suivante, pour

lesquelles le bloc des opposants à Pinochet va reconduire son alliance autour d’un projet de

gouvernement visant à la formation d’une alternative gouvernementale démocratique au régime

militaire, créant ainsi la « Concertación de Partidos por la Democracia »3. Les partis

4 se mettent

d’accord pour l’élaboration d’une liste unique de candidats pour tous les postes électifs en balance

dont, naturellement, un candidat commun à l’élection présidentielle : le leader DC Patricio Aylwin.

En face, le pôle de soutien ou « héritier » du régime de Pinochet présente un candidat du sérail,

l’ex ministre de l’économie Hernan Büchi, et cherche ainsi à axer la compétition partisane autour

de thèmes socioéconomiques, dans l’espoir de limiter la dynamique anti-Pinochet issue du résultat

du référendum. La candidature de l’entrepreneur Francisco Errázuriz pour le compte de l’éphémère

Union de Centre Centre5, parti qui bien que « centriste » a construit ses politiques d’alliance

essentiellement avec le bloc « de droite » héritier du pinochétisme, constitue la troisième option à

l’élection amorçant la transition à la démocratie chilienne.

Si la Concertación se présente avec un programme économique progressiste dont le leitmotiv est

la « croissance dans l’équité », la symétrie des résultats de cette élection (55,2%) avec ceux du

référendum en faveur du camp du « non », fait preuve d’une corrélation entre les deux électorats.

Le vote « concertationniste » est donc davantage coalitionnaire que partisan, et son identification

sociale se cristallise autour de ce clivage anti/pro Pinochet, généralement simplifié dans la

1 ALENDA, S., “Dynamiques d’institutionnalisation et sociologie des élites de la « nouvelle droite » chilienne.

L’Unión Demócrata Independiente-UDI”, Texte préparé pour le Congrès de l’IPSA-ECPR, février 2011, São Paulo. 2 Ibid. Alenda parle de “cercles” d’appartenance et d’identification, tous reliés à Guzmán.

3 Nous mettons une emphase particulière autour de la notion de “projet gouvernemental”, quant à sa dimension plus

institutionnelle et durable. Voir FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y

proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC, I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago,

2002, pp. 191-222. 4 Après la fusion de partis (Parti Radical + Social Démocrate = PRSD), de mouvances (les PS ne faisant plus qu’un) et

l’absorption ou désintégration de petits partis (MAPU, IC, …) des dix-sept partis de la Concertación initiale il n’en

reste plus que quatre un an après : PDC, PPD, PS et PRSD. 5 Porteur d’un discours anti-système avec l’ineffable slogan : « Assez de blabla, votez frafra ! ».

219

littérature par la dichotomie Autoritarisme/ Démocratie. Comme le montre le Tableau 3.4 où sur

une échelle d’importance de 1 à 5, où « 1 » suppose un ordre d’importance primordial et « 5 » un

ordre d’importance insignifiant, on observe que la compilation des réponses des différents

personnels politiques, peu importe le parti, confirme la primauté du clivage

autoritarisme/démocratie comme vecteur de groupalité, au niveau des élites partisanes. Et, si le

système électoral -binominal- en place au Chili (voir supra chapitre 2.2.2), constitue une

« contrainte » institutionnelle favorable à la formation de coalitions, au moins parlementaires, il n’a

pas créé le système de clivage chilien et l’organisation polaire de la compétition politique. Son

impact est donc consolidateur et non ordonnateur du système partisan chilien.

Tableau 3.4 : perception de l’importance des lignes de clivages par las membres de

la Concertación, lors de la formation de la coalition (1989), par partis.

Clivage dominant PDC PS PPD Moyenne

“Autoritarisme/

Démocratie” 1 1 1 1

Intervention Etat/

Marché 2.58 2.83 2.69 2.70

Centre/ périphérie 4.5 4.77 3.61 4.29

“Valeurs” 4.16 3.66 3.30 3.70

Notes : Tableau élaboré sur la base d’un questionnaire pour l’ensemble des partis, à l’exception du PRSD, présenté à 36 membres de

partis ayant participé plus (ministres, présidents, chefs de partis) ou moins (député sénateurs) directement aux différents

gouvernements de la Concertación.

Source : élaboration propre

Une fois l’assomption du président Aylwin actée, les gestes en faveur d’une « réconciliation

nationale » vont être entrepris. C’est le cas de la formation, dès 1990, d’une commission nationale

de vérité et réconciliation sur l’état des exécutions et disparitions politiques pendant le régime de

Pinochet, dont les conclusions sont rédigées dans le rapport Rettig (du nom du président de la

commission) un an après. Néanmoins l’événement du « boinazo »1 survenu en 1993 pour mettre

une pression sur le gouvernement et le pouvoir judiciaire face à l’ouverture d’une instruction sur un

cas de corruption compromettant le Général Pinochet (les « pinochèques »), vient à la fois rappeler

que le processus de la transition démocratique demeure encore inconsolidé. Les résultats des

élections de 1993, indiquent d’ailleurs un renforcement de l’identification sociale avec la

Concertación (57.98%).

Le retrait de Pinochet du poste de chef des forces armées en 1998, son arrestation à Londres la

même année et l’apparition de nouvelles affaires de corruption l’impliquant contribuent, toutefois, à

1 Littérallement “coup de béret”, tiré du couvre-chef que portent les forces spéciales chiliennes.

220

ce qu’une partie de la droite chilienne ne prenne progressivement ses distances vis-à-vis du général,

ce qui participe à une baisse graduelle de l’intensité du clivage structurant pros/antis Pinochet. Le

bloc de droite va ainsi changer de nom à plusieurs reprises pour tenter de découpler son image avec

celle du régime, malgré les liens directs d’une part importante des cadres politiques des deux partis

de droite, surtout au sein de l’UDI, avec le régime militaire1. Ce phénomène de détachement est mis

en évidence lors des élections présidentielles de 1999, où le candidat du bloc de droite et maire de

Santiago ,Joaquín Lavín, force la tenue d’un second tour après avoir réalisé un score quasiment de

parité avec le candidat de la Concertación, Ricardo Lagos (47,5%, contre 47.8%), en forte

progression par rapport aux 44% du camp du « oui » au référendum de 1988. L’élection finale de

Lagos lors de ces élections constitue, toutefois, un événement particulier puisque pour la première

fois depuis l’élection de Salvador Allende, un socialiste s’installe à la Moneda sans heurt ni crainte

pour la stabilité politique et démocratique du pays2.

Malgré un effort de « réactivation du clivage », tel que la création de la Commission Valech sur

la prison politique et la torture, qui tend à remettre la question des violations des droits de

l’Homme pendant la dictature, et malgré la création de politiques publiques visant à indemniser les

victimes de la dictature et leurs familles ainsi que l’érection de nombreux monuments de mémoire

des victimes de la dictature, dont un « musée de la mémoire » à Santiago ; la mort du général

Pinochet en décembre 2006, constitue un événement critique porteur de réalignement du système

de partis. La disparition du dictateur met en effet symboliquement fin à la raison d’être initiale de

la Concertación. Par ailleurs, les partis de droite, sans pour autant critiquer ouvertement le régime

militaire, achèvent de la sorte leur émancipation de la figure de Pinochet, en cherchant à se doter

d’une image de droite plus « classique ».

La perte d’intensité du clivage structurant est illustrée par le tableau 3.5, où les personnels

politiques chargés de décrire les éléments identitaires constitutifs de coalition et d’opposition avec

le bloc de droite, paraissent beaucoup moins unanimes. En simplifiant le tableau précédent, le

personnel politique interrogé a été invité à classer par ordre d’importance, dans une liste de quatre

principaux clivages, les lignes de démarcations identitaires en vigueur à l’heure actuelle au Chili

(les entrevues s’étalant entre 2010 et 2012), en fonction de leur impact « primordial », « pertinent »

et « non pertinent » quant à la structuration de la compétition politique chilienne actuelle. Pour

1Adoptant pêle-mêle le nom de « Démocratie et Progrès » en 1989, puis « Union pour le progrès du Chili » en 1993,

puis encore « l’Union pour le Chili » en 1999, puis un nouveau nom en 2005 « l’Alliance pour le Chili », puis en 2009

« La coalition pour le changement ». Carlos Hunneus a montré que parmi les parlementaires de la période 1989-2001,

62,4% des législateurs UDI et 44,9 % des députés RN, avaient occupé des postes dans le gouvernement militaire, voir

HUNNEEUS, C.,El régimen de Pinochet, Editorial Sudamericana, Santiago, 2000. 2 Bien que Lagos apparaisse officiellement sous les couleurs du PPD, étant de fait le président du parti, mais le PPD

gardant la « double militance » avec le PS de ses membres, jusqu’au milieu des années 2000.

221

pouvoir pondérer les réponses, nous avons conféré aux réponses « primordiales » un coefficient

« 1 » ; aux réponses « pertinentes », un coefficient « 1.5 », et aux réponses « non-pertinentes » un

coefficient « 2 » ; puis divisé le tout par le nombre de réponses par parti (12). De ce fait, un score

s’approchant de « 1 » tend à supposer une considération de clivage « primordial » ; quand la

somme des réponses approche « 1.5 », le clivage est considéré comme pertinent, et si elles

approchent de « 2 », le clivage est alors considéré comme non-pertinent.

Tableau 3.5 : perception de l’importance des lignes de clivages par las membres de

la Concertación, vingt ans après la création de la coalition (2010-2012)

Clivage dominant PDC PS PPD Moyenne

“Autoritarisme/

Démocratie” 1.58 1.54 1.5 1.54

Intervention Etat/

Marché 1.25 1.08 1.23 1.18

Centre/ périphérie 2 1.96 1.61 1.86

“Valeurs” 1.62 1.30 1.30 1.40

Source : élaboration propre

On observe que d’après les personnes interrogées, si le clivage autoritarisme/ démocratie

demeure « pertinent » (moyenne à 1.54), les réponses de la part des élites partisanes montrent qu’il

est dépassé en ordre d’importance par le clivage socio-économique (« Etat/ marché », à 1.18), et le

clivage sur le thème des « valeurs »1 (1.40). Malgré les tentatives de réactivation et réalimentation

successives du clivage autoritarisme/ démocratie au Chili2, l’effritement de la coalition après vingt

ans au pouvoir, trouve ainsi une part d’explication certaine dans son incapacité à maintenir sa

cohésion, face au déclin du clivage qu’elle a elle-même forgé. Le nouveau clivage structurant de la

compétition politique chilienne ne semble pas pour l’heure totalement stabilisé, ce que vient

confirmer les cas de départs personnels depuis 2006, où des députés de la Concertación ont quitté la

coalition pour former leur propre parti ou rejoindre la coalition opposée. Enfin, nous le verrons

dans le chapitre 6, le réalignement des clivages est confirmé par une part grandissante, dès la fin

des années 1990, de perte d’identification partisane de pants entiers de la société chilienne.

1 La notion de « valeurs » est sujette à trois éléments de considération : i) les valeurs ne sont pas directement observées,

ii) les valeurs engagent des considérations morales, et iii) les valeurs sont des conceptions de ce qui est « désirable ».

En outre, les valeurs s’expriment aussi bien au travers d’action que d’attitudes personnelles et/ou collectives. Voir

VAN DETH, J., et SCARBROUGH,”The concept of values”, in VAN DETH, J., et SCARBROUGH, The Impact of

Values, Oxford University Press, 1995, pp.22-47. 2 Lors des élections de 2009-2010, la Concertación a relancé le débat, archives à l’appui, sur l’assassinat en 1980

d’Eduardo Frei Montalva, ancien président démocrate chrétien (1964-1970), et principal opposant sous la dictature… et

père du candidat –malheureux- à la présidentielle, Eduardo Frei Ruiz-Tagle.

222

b. Le cas uruguayen: entre convergence idéologique et coalition négative

La formation de coalitions en Uruguay semble s’articuler autour d’une logique différente vis-à-

vis de l’expérience chilienne, et est marquée par un processus beaucoup moins linéaire. Nous

l’avons vu, les systèmes partisans argentin et uruguayen n’ont pas conduit à la création d’un parti

« héritier » du régime militaire précédent, pour autant les caractéristiques de chacun des systèmes

se sont maintenues au retour de la démocratie. En fonction du cas, nous avons identifié deux

aspects centraux. Tout d’abord l’effritement du bipartisme uruguayen, en 1971 et qui se confirme

au retour à la démocratie, en 1984. Dans le cas argentin, la perte de repères du PJ argentin provient

de la disparition en 1974 de son « facteur de cohésion » originelle, à savoir la figure de Perón, qui

entraîne une période d’acéphalie au sein du principal parti argentin, au cours des années 1980.

Surtout, la déconstruction des bipartismes argentin et uruguayen1 est de nature différente car

l’émergence du nouvel acteur contestataire de l’hégémonie bipartisane traditionnelle, est externe en

Uruguay (émergence d’une coalition de petits partis qui forme, par la suite, un parti

institutionnalisé), alors qu’il est interne en Argentine, puisqu’il s’agit de la scission d’une fraction

de l’un des deux partis traditionnels. En Uruguay, le nouveau parti se positionne donc contre le

système en place, ce qui conduit à polariser le système autour de lui ; alors que le nouveau parti

argentin vient occuper une place « centriste » dans le système partisan de type « haut/bas » (plutôt

que droite/gauche).

Le maintien et la progression des scores électoraux du Frente Amplio en Uruguay, et son

activisme en faveur des droits de l’homme dans un premier temps, puis contre les mesures de

privatisation d’entreprises symboliques dans le cadre de la « transition économique »2, ont conduit

à un ré-ordonnancement du système de parti uruguayen. L’événement critique de ce ré-

ordonnancement consiste en la conquête de la municipalité de Montevideo par le FA, en 1989, aux

dépens du Partido Colorado, pour qui la capitale du pays constitue le bastion électoral historique.

Comme le montre Jaime Yaffé, tout en opérant un virage programmatique pragmatique3, le FA,

enregistre sa progression électorale sur tous les bastions du Partido Colorado, séduisant de fait

l’électorat progressiste de ce parti. Le FA opère, ainsi, une forme de sinistrisme sur le parti porteur

1 FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», op. cit ; ALBALA, A., et

PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina,

Colombia y Uruguay, desde los 1980s », op. cit. 2 LANZARO, J., “La ‘doble’ transición en el Uruguay. Gobierno de partidos y neopresidencialismo”, in Nueva

Sociedad, No. 128,1993, pp. 132-147; LANZARO, J., La segunda transición en el Uruguay, op. cit. 3 LANZARO J., « La izquierda se acerca a los Uruguayos, y los uruguayos se acercan a la izquierda », in Les Cahiers

des Amériques Latines n° 46, 2005, pp. 21-32.

223

de la tradition Batlliste uruguayenne1. En conséquence, la poussée du FA conduit rapidement les

partis traditionnels, voyant leur influence électorale décroître (voir Tableau 3.6), à adopter une

position défensive ou « négative » à son encontre.

On assiste, alors, à une transformation de la logique de compromis uruguayenne, passant d'une

logique de partis « triangulaire », suivant une logique du deux contre un2, à une logique de

« blocs » politiques. En effet, timidement d'abord sous le premier mandat de Julio María

Sanguinetti (1985-1990), puis plus explicitement sous le gouvernement de Luis Alberto Lacalle

(1990-1995), les deux partis traditionnels opèrent un rapprochement concerté de toutes leurs

factions au parlement, et fonctionnant comme une coalition législative. Cette première expérience,

bien que limitée3, entraîne un rapport inertiel de collaboration électorale et politique entre les deux

partis traditionnels, lesquels par-là même, forment un « pôle traditionnel » en opposition au Frente

Amplio4. Celui-ci représente le « pôle de gauche », les partis traditionnels se retrouvent, par

opposition à celui-ci, représenter un « pôle de droite ». Cette dichotomie identitaire est inédite dans

la tradition politique uruguayenne, et ces blocs ne sont cependant pas totalement homogènes, du

fait de la nature-même des partis uruguayens. A titre d’exemple, chacun des deux partis du bloc

« de droite », contient à la fois une aile plus « centriste » et progressiste (Sanguinetti pour le PC,

Volonté puis Larrañaga pour le PN), ainsi qu’une aile plus « néolibérale » (Batlle puis Bordaberry

Jr. pour le PC, Lacalle pour le PN).

Ce phénomène de polarisation de la compétition partisane uruguayenne se consolide juste après

l’élection générale de 1994, où les trois partis réalisent un « match nul électoral », recueillant

chacun grosso modo un tiers des voix. A cette occasion, et cherchant à garantir la gouvernabilité du

pays5, le Partido Colorado et le Partido Nacional forment un nouveau gouvernement de coalition

où l’ensemble des fractions de chaque parti s’engage a appuyer et/ou faire parti du gouvernement,

sur la totalité du mandat. Durant ce mandat marqué par une entente presque totale entre les partis et

une gestion de l’agenda partagée, les deux partis traditionnels entérinent la logique polaire, par un

changement de la loi électorale entraînant un changement de Constitution (voir supra 2.1.1c). Ce

1 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Linardi y

Risso, Montevideo, 2005. Par sinistrisme, nous reprennons le concept de Duverger supposant une poussée depuis la

gauche (de « sinistra » en italien qui veut dire « gauche »), ce qui a pour conséquence de tirer le parti victime du

sinistrisme de plus en plus vers la « droite ». 2 CAPLOW, T., “A Theory of Coalitions in the Triad”, in American Sociological Review, Vol. 21, No. 4, 1956, pp.

489-493; et “Further Development of a Theory of Coalitions in the Triad”, in American Journal of Sociology, Vol. 64,

No. 5, 1959, pp. 488-493; LANZARO, J., “Uruguay: del bipartidismo al pluripartidismo bipolar”, in ROVINA, J., La

democracia ante el nuevo siglo, Ediciones Instituto de Investigaciones Sociales, San José, 2001d, pp. 59-83 3 Le gouvernement de coalition ne se maintenant qu’un an et demi.

4 Ajouons quelques partis éphémères tel le « Nuevo Espacio » qui, cherchant à occuper une position centriste, va peser

sur la politique uruguayenne pendant deux élections (1989-1994) mais disparaî par la suite faute, d’allignement clair. 5 L’expression est du leader blanco Alberto Volonté, lors de notre entrtien le 24 Novembre 2009.

224

changement de loi électorale censé doter le président d’une légitimité indiscutable, afin d’éviter

tout blocage institutionnel du fait d’un gouvernement minoritaire, contient surtout –officieusement-

un principe « défensif » de la part des partis traditionnels. En rendant plus difficile l’élection du

Frente Amplio, via l’introduction du balottage1, les partis traditionnels tablent sur l’hypothèse que

le FA présenterait un fort niveau de rejet social au sein de la société uruguayenne, malgré ses

progrès électoraux constant. Ce qui conduirait ainsi in fine une majorité de l’électorat à vouloir

voter contre le FA. Le changement constitutionnel qui découle de cette perspective électoraliste,

s’assimile à une recherche de cartellisation du pouvoir des partis traditionnels2.

Par cette réforme électorale, le premier tour semble opérer comme « primaire de la droite » afin

de sélectionner le parti du bloc de droite qui affrontera le FA, lors d’un probable second tour. Cette

configuration s’est présentée en 1999, où le candidat du PC -Jorge Batlle- pourtant arrivé

deuxième, formera une coalition « d’entre-deux-tours » avec le PN et gagnera l’élection, ce qui

sembla ainsi confirmer l’hypothèse du rejet du FA. A la suite de cette victoire, le président Batlle

formera une coalition gouvernementale avec son allié « traditionnel ». En 2009, se reproduit le

recours au balottage, avec cette fois le PN comme parti représentant le bloc « traditionnel ». Celui-

ci reçu l’appui du Parti Colorado mais avec moins de succès qu’en 1999. A noter qu’entre temps, le

FA a accédé au pouvoir, en 2005, mettant à bas l’hypothèse du FA comme parti répulsif pour une

majorité d’uruguayens.

Dès lors, si la coopération entre colorados et blancos, semble être au départ essentiellement

« négative », cette nouvelle forme de routinisation de coalitions gouvernementales, incluant de

manière inédite les deux partis engagés dans leur totalité, a accéléré leur rapprochement

organisationnel, d'autant plus que la coalition législative entre les deux partis s'est poursuivie alors

même qu'ils se retrouvent, depuis 2005, pour la première fois ensemble dans l'opposition. Cela a

également conduit, par ricochet, à l’absence de démarcation idéologique entre eux, et une

accentuation de la polarisation avec le FA. Ainsi, la progression constante du Frente Amplio au

sortir de la dictature est essentiellement due à l'adoption d'une double stratégie de modération

idéologique et de radicalisation de sa logique d'opposition, sur un modèle compétitif/

1 LANZARO, J., “Uruguay: Reformas políticas en la nueva etapa democrática”, in ZOVATTO, D. y OROZCO, H.,

Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, IIJ/ UNAM, Mexico, 2008. pp905-952; ALTMAN, D.,

«Cambios en las percepciones ideológicas de lemas y fracciones políticas: un mapa del sistema de partidos uruguayo

(1986-1997)», in Cuadernos del CLAEH, n.º 85, 2e série, 2002, pp. 89–110. 2 voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party organization and party democracy: the emergence of the cartel

party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28, ainsi que l'ouvrage coordonné par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A.,

Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales: Le modèle de parti-cartel en question, Les Presses de

Sciences-Po, Paris, 2008

225

accommodatif1. Inversement, le Parti Colorado semble être la principale « victime » de la réforme

électorale puisque son confinement à l’intérieur du « pôle de droite » l’a conduit à opérer un virage

néolibéral, délaissant ainsi l’identification qui était la sienne tout au long du XXe siècle comme

parti modernisateur et progressiste. Ceci contribue à alimenter encore davantage la perception quant

à l’absence de ligne politique et idéologique se démarquant clairement du PN (et ce malgré un

sursaut aux élections de 2009). Le PC semble alors cantonné, pour l'heure, à occuper un rôle

d'appoint et de soutien au PN. Certains membres des deux partis ont ainsi appelé à une « fusion »

des partis traditionnels pour former un « parti rose »2, argumentant une caducité des lignes de

démarcation entre les partis traditionnels, face à l’opposition idéologique proposée par le Frente

Amplio. Cette position n’a, cependant, à moyen terme que peu de chance de voir le jour, en raison

de la réticence des appareils colorados et blancos à opérer un rapprochement qui serait vécu, par la

plupart des membres influents, comme une perte d’identité partisane. En effet, si les lignes

idéologiques des deux partis semblent se superposer de manière calquée, rappelons que la

structuration de la compétition politique du pays ne s’est pas établie, traditionnellement, sur des

bases programmatiques. Si le FA est parvenu à réordonnancer la compétition politique autour d’un

clivage structurant à forte teneur programmatique -suivant des canons classiques « droite/gauche-,

les démarcations identitaires à l’intérieur du « bloc de droite » demeurent relativement vivaces3.

c. L’évolution des « blocs » partisans en Argentine et l’impact de la disparition de

Perón

La constitution de blocs en Argentine et la possibilité qui en découle de former des coalitions

partisanes, est dépendante du -faible- degré d’institutionnalisation des partis. Si le retour à la

démocratie a supposé un maintien de l’alignement électoral traditionnel, autour des deux grands

partis, comme le montre le Tableau 3.6, le type de relation essentiellement clientélaire entre les

partis et leur électorat4, et le clivage de type « symbolique ou culturel» (Péronisme/ anti-Péronisme)

qui structure traditionnellement la compétition politique argentine, se retrouve affecté par l’attitude

1 SARTORI, G., Parties and Party System: a framework for analysis, Ed. ECPR Press, Oxford, 2005 [1976].

2 “Colorado” signifiant “rouge” en espagnol, le parti « rose » serait donc un marriage entre « blancs » et « rouges ». Ces

arguments sont essentiellement portés par l’ancien conseiller du président Batlle, Carlos Ramela, qui m’a confirmé sa

position lors de notre entretien le 22 Novembre 2009. Voir également BUQUET, D., «Elecciones uruguayas 2004: el

largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana: Nordic Journal of Latin American and Caribbean

Studies, Vol 34, No.1-2, 2004, pp 65-95; et LANZARO, J.,“Continuidad y cambios en una vieja democracia de

partidos: Uruguay 1910-2010”, in Cuadernos del CLAEH, Nº 100, 2012. 3 VAIRO, D., “Juntos pero no casados”: los efectos de la reforma constitucional al interior de los partidos”, in Revista

Uruguaya de Ciencia Política, Vol. 17, No. 1, 2007, pp.159-181. 4 AUYERO, J., “The logic of clientelism in Argentina: An ethnographic account”, in Latin American Research Review,

Vol. 35, No. 3, 2000, pp. 55-81.

226

du PJ. En effet, pendant l’UCR d’Alfonsín adoptait des codes de comportement de type péroniste,

l’absence de leader incontesté au sein du PJ dans les années 1980 conduit à la formation et

structuration de deux lignes antagonistes à l’intérieur du parti. La première, dite des réformistes ou

« modernisateurs » tendait à privilégier, en rupture avec la tradition du parti, une posture plus

« centriste », la seconde cultivait la culture clientélaire et directe du péronisme historique1.

La tenue de primaires internes au PJ, en 1988, en vue l’élection présidentielle de 1989, constitue

la conjoncture critique qui a conduit à la redéfinition de la compétition partisane argentine. En effet,

la victoire surprise du charismatique Carlos Menem conduit à l’adoption de la ligne de conduite du

PJ proche de la pure tradition péroniste, c’est-à-dire sans structure idéologique institutionnalisée et

provoque un schisme à l’intérieur du parti de la part de la fraction « réformiste », basée à Buenos

Aires et partisane d’une définition programmatique plus aboutie. La victoire de Menem aux

élections présidentielles, et sa conversion aux doctrines néolibérales a accéléré la sortie d’une partie

des membres de la fraction réformiste, en 19902. Cette fraction emmenée par Carlos « Chacho »

Alvarez et encore non institutionnalisée, se démarque rapidement de la gestion présidentielle et des

instances du PJ qu’elle considère obsolète et corrompue. La fracture porte sur deux dimensions:

alors que la présidence Menem épouse une posture politique, d’après la qualification de Pierre

Ostiguy, de type « bas-droit », en combinant les codes plus « populistes » avec une

idéologie néolibérale3, rompant ainsi à la fois avec la tradition « populaire » du mouvement

péroniste originel, ainsi qu’avec les alliés « naturels » (syndicats) du parti ; face à cela, le

mouvement de Chacho Alvarez, proposa une attitude plus « haute », plus institutionnalisée et

optant pour le dialogue, avec une sensibilité sociale de type social-démocrate, soit « de gauche ».

La constitution du mouvement comme « front » politique (« Front de la justice Sociale », puis

sobrement « Grand Front »), va attirer autour de lui divers acteurs politiques de moindre envergure

politique (démocrates chrétiens, communistes, radicaux dissidents…) pour former le FREPASO

(Front Pays Solidaire), sur une base essentiellement programmatique… et porteña (de Buenos

Aires). L’émergence médiatique de ce parti découle des accords formés entre les deux principaux

1 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics: a two-dimensional political space for comparative analysis and

electoral studies”, op. cit; DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y

Uruguay”, op. cit. 2 OLLIER, M.M., Las coaliciones políticas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica,

Buenos Aires, 2001: ABOY CARLES, G., “El ágora turbi: reflexiones sobre populismo y ciudadanía en la Argentina”,

in CHERESKY, I., et POUSADELA, I., Política e institutiones en las nuevas democrcias latinoamericanas, Paidós,

Buenos Aires, 2001, pp 383-393 3 Voir WEYLAND, K., “Neopopulism and neoliberalism in latin America: How much affinity?” in Third World

Quarterly, Vol. 24, No. 6, 2003, pp. 1095-1115; AUYERO, J., “Repertorios insurgentes en Argentina contemporánea”,

in Iconos, No. 15, 2003, pp. 44-61.

227

partis (PJ et UCR) lors du pacte « d’Olivos »1, où pour la première fois de l’histoire argentine, les

deux principaux partis ont adopté une attitude de coopération réciproque. L’UCR est cependant

perçue comme « cédant toute prétention de récupérer un espace d’opposition claire »2. Obtenant

10% des résultats sur l’échelle nationale et surtout 37.4% sur Buenos Aires, le FREPASO, qui

s’inspire du Frente Amplio uruguayen, se positionne comme la troisième force politique argentine

et se démarque aussi bien du PJ Ménemiste que de l’UCR.

Toutefois, les événements viendront neutraliser la stratégie du FREPASO de création d’un bloc

politique se positionnant, à l’image du Frente Amplio en Uruguay, en opposition aux « partis

traditionnels ». Lors de l’élection présidentielle de 1995, où Carlos Menem est réélu dès le premier

tour (44.9%)3, le FREPASO recueille 28.40% des voix, se hissant comme second parti le plus voté,

devançant l’UCR (16.80%). Ce score va mettre, paradoxalement, en évidence les limites

organisationnelles et électorales du nouveau parti, ainsi que les carences institutionnelles de son

appareil de décisions. « Chacho » Alvarez qualifiera, en effet, ce score de prématuré4, car il lançait

au premier plan et de manière précipitée un parti qui n’était pas préparé institutionnellement à cela.

L’implantation électorale du parti, essentiellement sur les grandes villes (Buenos Aires, Rosário et

Córdoba) de l’électorat du FREPASO, son organisation pyramidale autour de la figure de Chacho

Alvarez, et son absence de structure organisationnelle, ont empêché la gestion de tensions internes,

lesquelles se résolvaient le plus souvent par la démission de cadres du parti, dont la plus

retentissante est celle d’Octavio Bordón, le candidat du parti à l’élection présidentielle de 1995,

moins d’un an après l’élection.

Les éléments d’identité politique promus par le FREPASO se fondaient sur des bases à la fois

programmatiques et comportementales (fin de la corruption et du « style » Menem) et se heurtaient

à la nécessité d’amplifier sa base électorale dans le but de battre Carlos Menem et/ou son éventuel

successeur5. Le FREPASO fut donc contraint de former des accords électoraux, et l’accord passé

1 Du nom de la résidence présidentielle, situé dans la banlieue “chic” de Buenos Aires. Accords qui prévoyaient

l’introductiond du principe de réélection présidentielle et l’introduction de mesures institutionnelles censées dé-

présidentialiser le système politique, telle la création du poste de « Chef de Cabinet » (sorte de premier ministre), et le

« bonus à la minorité » pour les élections sénatoriales (sur une trinominalisation des circonscriptions : deux sièges pour

le vainqueur, un pour la première minorité). 2 OLLIER, M.M., op. cit., p. 44.

3 La réforme constitutionnelle de 1994, suppose ainsi un “seuil abaissé” d’élection présidentielle où est élu au premier

tour president de la République qui reçoit : a) 45% des voix ; ou b) 40% +10% de plus que le candidat arrivé second.

Voir DALLA VÍA, A. R., “Reforma electoral en argentina”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y

electoral en América latina 1978-2007, IDEA/ UNAM, Mexico, 2008, pp. 213- 263. 4 Le leader du Frepaso avançan ainsi, au soir de l’élection : « son muchos votos » (« c’est beaucoup –trop- de voix »).

Propos rammené par FERNANDEZ MEIJIDE, G., La Ilusión El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial

Sudamericana, Buenos Aires, 2007; confirmés lors de notre entretien du 16 mai 2011. 5 Jusque debut 1999, le président Menem laissait planer la possibilité d’une interprétation de la nouvelle constitution

pour une nouvelle réélection (arguant que la constitution courrait depuis 1994 et non rétrocative, or ayant été élu en

228

avec l’UCR, le concurrent traditionnel du PJ et doté d’une assise provinciale forte, lors des

élections législatives partielles de 1997, s’inscrit dans la perspective finale de battre le PJ, et

constitue donc une sorte de préparation à l’élection de 1999.

Cet accord, est « négatif », de type deux-contre-un, où l’élément « repoussoir » unissait

davantage qu’une convergence programmatique et organisationnelle préalable. La victoire, étriquée

lors de ces élections, laissa néanmoins entrevoir la perspective de battre le camp péroniste1. Ce

facteur, et l’urgence de victoire sur Menem, enterrait donc les prétentions initiales du FREPASO de

constitution d’un bloc propre contre les deux partis traditionnels. Les membres du parti

participèrent ainsi à la rédaction d’un pacte gouvernemental avec l’UCR, la « lettre aux argentins »,

où seules les questions de « forme » furent avancées. La victoire contre le PJ fit de l’alliance UCR-

FREPASO une coalition « fonctionnelle » et structurellement et programmatiquement de courte

durée: l’Alianza. L’absence de vision sur le long terme et la dimension fonctionnelle de l’alliance

était incarnée, notamment, par les positions de la coalition en matière socio-économiques, pourtant

raison d’être du FREPASO, où le thème du maintien de la convertibilité monétaire ne fut pas

abordé ni discuté2.

Le pôle UCR-FREPASO organisa, en 1998, la tenue de primaires internes en vue des élections

de 1999, que l’UCR, mieux organisée et disposant d’un appareil de mobilisation et d’une base

militante beaucoup plus développée, va gagner facilement avec près des deux-tiers des voix (63%)

pour son candidat, Fernando De la Rúa, sur la candidate du FREPASO, Graciela Fernández

Meijide. Dès lors, le FREPASO se retrouvait tributaire de la culture hégémonisante de l’UCR et de

son absence de culture coopérative. La gestion du président radical De la Rúa essentiellement

partisane illustre le manque de structuration de la coalition3. En effet, la formation de l’Alianza dont

le but principal était de vaincre Menem puis Duhalde, se retrouvait donc sans perspective

1989, cette élection-ci ne comptant pas, Menem argumente qu’il se trouvait, constitutionnellement parlant,

« rééligible »). Par la suite il va jetter l’éponge et laisser les rênes du PJ à son successeur désigné, bien que frondeur,

Eduardo Duhalde. 1 Les résultats étant les suivant: PJ 36.3% ; Alianza 36.3%, UCR « autonome » (essentiellement Córdoba) 6.9 ; Frepaso

autonome 2.4. Total par « pôle »: PJ 36.3% ; Alianza + autnomes 45.6%. 2 Depuis 1990, l’Argentine avait adopté une convertibilité à taux fixe de sa monnaie, le peso, avec le dollar américain,

où un peso valait un dollar. L’adoption de ce « currency board » (caisse d’émission monétaire) artificiel a été mise en

place pour juguler une inflation dans un contexte d’hyper-inflation où les taux annuels s’élevaient à près de 3000%. La

mesure fut un succès important puisque l’inflation est rapidement redescendue à des niveaux plus soutenables en moins

d’un an. De plus l’économie argentine connaît alors un essor important, tiré par la consommation interne. Ces deux

éléments, jugulation de l’inflation et croissance économique, sont à la base de la réélection de Menem en 1995. Or, la

convertibilité artificielle du peso coûte cher. L’Argentine devat non seulement s’endetter pour maintenir le taux de

convertibilité fixe, mais voiyait également une baisse de ses exportations, la compétitivité étant grévée par la sur-

évaluation de la monnaie. A la fin de la décennie, l’Argentine est donc dans une situation économique compliquée, du

fait de l’absence de flexibilisation de son taux de conversion monétaire. A titre de comparaison, le Brésil qui avait

adopté un plan de « currency board » similaire (le plan real), a progressivement flexibilisé son taux de change, en 1998,

en réponse à la crise économique importée d’Asie. 3 Voir supra chapitre 5.

229

d’institutionnalisation ni d’évolution une fois atteint cet objectif1, ce que montra la désintégration

accélérée de la coalition seulement dix mois après la victoire du candidat commun aux

présidentielles.

L’implosion de l’Alianza, puis la crise économique argentine de 2001, aboutissent à une

atomisation du système politique et de l’offre politique argentine. Dans ce contexte, le PJ dont

l’absence de structure institutionnelle lui garantit une certaine flexibilité interne, d’un point de vue

organisationnel et idéologique, parvient à se hisser comme l’unique parti stable de gouvernement

dans le pays, et marque le ton de la compétition politique2. Malgré l’irruption de nouveaux partis,

essentiellement provinciaux, et de partis provenant de la « culture radicale », la compétition

partisane est marquée par un maintien de la dichotomie symbolique Mais l’alternance à lieu

essentiellement à l’intérieur du PJ, entre ses différents courants. L’absence de concurrence crédible

fait que le PJ vienne former une sorte de sous-système partisan3 (voir Tableau 3.6). Le facteur

polarisant demeure donc inchangé malgré une absence d’institutionnalisation. Les partis en place

n’ayant pas de structure programmatique continue, ils restent sujets à l’interprétation et la

considération de nouveaux leaders, lesquels proviennent essentiellement du PJ (Menem, Kirchner

et Fernández de Kirchner). En « face », le pôle comprenant les décombres de l’Alianza, et les

éléments sortis de l’UCR, formant ce que Rodolfo Terragno appelle le Pan-Radicalisme, est encore

aujourd’hui en cours de structuration et création d’identité politique. La plupart des tentatives

d’alliances électorales qui se sont formés, sur des bases essentiellement « négatives » d’opposition

aux époux Kirchner, ne résistant pas longtemps même lors de victoires électorales relatives, comme

en 2009.

1 CAMOU, A., “¿Del bipartidismo al bialiancismo? Elecciones y política en la Argentina posmenemista”, in Perfiles

latinoamericanos, No. 16, 2000, pp. 11-30; LEIRAS, M., Todos los caballos del rey. La integración de los partidos

políticos y el gobierno democrático en la Argentina, 1995-2003, Prometeo, Buenos Aires, 2007; NOVARO, M.,

“Presidentes, equilibrios institucionales y coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in LANZARO, J., Tipos

de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp.51-100 2 CHERESKY, I., La política después de los partidos, Buenos Aires, Prometeo, 2006; CALVO, E., ESCOLAR, M. La

nueva política de partidos en la Argentina: Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral, Prometeo/

Pent, Buenos Aires, 2005. Depuis 2001, en effet, au niveau national seuls de présidents péronistes ont été élus. Pis,

seuls des péronistes on été en mesure de gouverner, puisque les principaux rivaux des présidents élus étaient, à leur

tour, des péronstes « dissidents ». 3 MUSTAPIC, A.M., “Argentina: del partido peronista al partido justicialista. Las transformaciones de un partido

carsimático”, in CAVAROZZI, M., ABAL MEDINA, J., El asedio a la política; los partidos latinoamericanos en la

era neoliberal, Homo Sapiens Ediciones, Rosário, 2002, pp. 137-161

230

Tableau 3.6: Evolution des résultats électoraux des “partis traditionnels” argentins

et uruguayens, depuis le retour à la démocratie (élections présidentielles/

parlementaires).

Elections Argentine Uruguay

1983 91, 9% / 82% -

1984 - 76,20% / 76%

1989 79.94% / 72% 69,20% / 69%

1994 - 63,50% / 63%

1995 61.7% / 71.50% -

1997 -/83,4%1; 2 -

1999 86.24%1/ 65%1; 2 54,5%*/ 54%

2001 /60.5% -

2003 63,1%/ 58,9%2 -

2004 - 45,70% / 45%

2007 62.2%/ 75%2 -

2009 -/88.5%2; 3 44.71%*/ 47%

2011 79.06%/ 80.9%2 -

Notes; 1 Lors de ces élections l’UCR a formé une coalition électorale avec le FREPASO sur l’ensemble du territoire national

(excepté dans la province de Córdoba) et ce, jusque l’implosion du FREPASO en 2001; 2 Valeur agrégée en fonction de la représentation parlementaire de la chambre basse 3 Valeur agrégée de toutes les fractions du PJ, notamment autour du Frente Para la Victoria, officialiste, et des fractions du PJ

dissident. Enfin nous considérons le PAN-Radicalisme, où d’anciennes fractions de l’UCR se sont érigées en partis après

l’éclatement de celle-ci, avant de reformer un accord pré-électoral incluant l’UCR, le Parti Socialiste et l’éphémère Coalición Cívica,

autour du tout aussi éphémère Accord Civic et Social (ACyS) ;

*Lors de ces élections, le scrutin s’est réalisé sur deux tours, aussi la valeur constitue une moyenne des scores des deux tours.

Source: élaboration propre, d’après les résultats électoraux disponibles sur les sites www.minrel.gov.ar (Argentine), et Corte Electoral de la República Oriental del Uruguay ; Banque de donnée de l'Institut de Science Politique de l'Université de la République (Uruguay)

3.3 Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons mis en évidence les processus d’émergence des lignes de conflits

et leur « montée » en clivage. Nous avons particulièrement insisté sur l’importance de l’acteur

porteur du clivage générateur suivant son origine de réalignement ou ré-ordonnancement du

système de partis, et sur les caractéristiques institutionnelles et structurelles dérivées du régime

présidentiel dans la génération des clivages.

Ainsi, le système présidentiel tend, dans sa structuration, à générer des identités polaires

particulièrement claires. Ces identités ne relèvent pas nécessairement d’aspects idéologiques ou

pragmatiques, à l’inverse des liens plus spécifiques aux systèmes parlementaires. Ceci suppose

donc que les liens de cohésion intra-partisans et, à fortiori à l’intérieur des différents pôles, en

systèmes présidentiels reposent sur quelque chose de plus que sur la seule affinité idéologique.

L’institutionnalisation de la compétition politique et des systèmes de clivages, s’articulent plus

volontiers autour d’une dimension structurante, qui vient « subordonner » les autres lignes de

231

conflits, autour du principe de la dualité des options, tel que décrit par Maurice Duverger. Or, les

institutionnalisations de ces lignes identitaires découlent également d’éléments du contexte. Le cas

argentin est particulièrement éclairant sur ce thème, où la présence de deux acteurs à vocation

hégémonique et l’interruption répétée de la compétition démocratique, par les militaires ont

cristallisé le système de parti autour de lignes de démarcation de type symboliques et

comportementales, plutôt qu’idéologiques. La répétition des coups d’Etat interagit également, de

manière négative sur l’institutionnalisation des deux partis et leur capacité à se renouveler. Mais la

faible structuration des partis argentin se répercute à la fois sur le maintien de lignes de

démarcation relativement floues, bien qu’identifiables (péronisme/ anti péronisme), tout en

contraignant la formation des pôles partisans, et à fortiori les options d’alliances partisanes.

De même, le caractère clivant du régime présidentiel influe sur la stratégie et les objectifs des

partis. Si en régime présidentiel la capacité à faire partie d’un gouvernement dépend de la

« position » sur l’échiquier politique, elle dépend également de la force parlementaire des partis,

exprimée en sièges. Les partis doivent donc combiner leur stratégie de négociation avec une autre

de captation de voix1. En système présidentiel, la dimension bipolaire tend donc à ce que seuls les

partis « présidentiables » entreprennent des stratégies de recherche de voix. Les autres partis

intrapolaires adoptant alors des positions de soutien et d’amplitude programmatique (« policy

seeking »)2, en se concentrant sur l’élection parlementaire.

L’Amérique latine constitue de ce point de vue un terrain particulièrement fertile de

d’apprentissage politique et institutionnel, où à une organisation sociétale postcoloniale sont venus

s’ajouter divers éléments « d’importation » institutionnels et philosophiques, tel que le modèle

constitutionnel présidentiel provenant d’Amérique du Nord, ou les courants de pensée

essentiellement européens (le positivisme comtien, puis le marxisme et l’anarchisme, enfin le

fascisme). Si l’expression de la compétition partisane ne reproduit pas tel quel les canons européens

articulés autour de la dyade Gauche/Droite, les systèmes partisans de la région produisent

néanmoins des éléments de polarisation et d’institutionnalisation sur des bases différentes3, et de

manière indépendante au degré d’institutionnalisation des propres partis. Cette caractéristique

influe, d’ailleurs, comme en Argentine, sur la durabilité des alliances.

1 MÜLLER, W.C., et STRØM, K., Policy, Office or Votes ?: How political parties in western Europe make hard

decisions, Cambridge University Press, 1999. 2 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, op. cit,

p.469 3NOHLEN, D., “Instituciones y Cutura política”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J.J., Reforma política y electoral en

América Latina 1978-2007. México- UNAM-IDEA, 2008, pp. 267- 288; BENDEL, P., “Sistemas de partidos en

América Latina: criterios, tipologías, explicaciones”, op. cit.

232

Les clivages paraissent plus contraignants en système présidentiel qu’en système parlementaire.

Nous avons vu que les coalitions gouvernementales en Uruguay et au Chili contiennent comme

élément commun la modération programmatique des partis de gauche. En ce sens, cette modération

a conduit à la progression de ces partis et l’organisation d’abord « défensive » des partis

traditionnels puis la routinisation de ces pratiques en Uruguay face à un nouvel ordre partisan

bipolarisé. Au Chili, cette modération et l’abandon de la lutte armée comme option de déposition de

la dictature de Pinochet a été la condition sine qua non de rapprochement entre le PSch et la

démocratie chrétienne, afin d’organiser la transition démocratique et proposer une alternative

gouvernementale crédible. Enfin, en Argentine, le contexte économique et social des années 1980,

et l’émergence de la figure de Menem combinant une culture d’action « populiste » avec un choix

de politique publique de type néolibéral, débouche sur l’établissement d’une coalition de partis sur

des bases essentiellement négatives. De même, l’absence d’institutionnalisation du Frepaso va

conduire à ce que la coalition une fois au pouvoir soit « hégémonisée » par les radicaux.

Finalement, rappelons le caractère dynamique des processus politiques et des relations sociales.

Le mouvement constant des systèmes partisans et des « systèmes polaires » conduisent à des

processus de rétro-alimentation des lignes de clivage et/ou d’assimilation de l’apparition de

nouvelles lignes de conflits. Plus un clivage est intense, plus les options en lice sont prévisibles et

identifiables. Inversement, l’irruption d’acteurs porteurs de revendications nouvelles et générateurs

de nouveaux conflits sociopolitiques, créé le trouble autour des perspectives d’alliance. Dans le cas

uruguayen on observe que cela a conduit à un ré-ordonnancement politique confinant les deux

acteurs traditionnels au sein du même pôle ; alors qu’en Argentine ce processus est venu opérer un

réalignement des forces où l’UCR a semblé tirer l’avantage de l’émergence du Frepaso, en noyant

ses revendications socio-économiques à l’intérieur du clivage péronisme/anti-péronisme.

Dans le prochain chapitre, nous analyserons ainsi les phénomènes d’identification des options de

coalition et leur matérialisation temporelle, en fonction des lignes de clivages que nous venons de

voir, ainsi que de variables indépendantes telles que la « familiarité » et «l’inertie »1.

1 FRANKLIN, M., et MACKIE, T., “Familiarity and Inertia in the Formation of Governing Coalitions in Parliamentary

Democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298

233

Chapitre 4 : Coalitions gouvernementales

et « cycle présidentiel ».

Quem vai pagar o enterro e as flores

Se eu me morrer de amores?

Vinicius de Moraes, “A hora íntima”.

Nous avons vu dans le chapitre premier que la majeure partie de la littérature en science

politique qui traite du phénomène des coalitions provient d’études portant sur leur processus de

formation dans les démocraties parlementaires d’Europe Occidentale. Ainsi, depuis les travaux

fondateurs de William Riker et William Gamson jusqu’à ceux plus récents de Strøm, Müller et

Bergman, la plupart des chercheurs étudient le phénomène dans des configurations propres à la

logique parlementaire. S’il en est qui ont abordé le sujet dans d’autres configurations, dont les

démocraties présidentielles, la plupart de ces études sont encore limitées et s’appliquent

essentiellement à mentionner l’existence du phénomène1, et/ou à en déterminer l’impact et la

relation sur la formation de politiques publiques ou sur la stabilité gouvernementale2.

L’approche la plus répandue quant à l’étude du phénomène coalitionnaire dans différentes

configurations institutionnelles demeure rigoureusement la même, et elle est basée sur le prisme de

la théorie des jeux, à l’exception notoire des travaux de Jorge Lanzaro. De surcroît, la plupart des

modèles prédictifs concernant la formation de gouvernements de coalition -peu importe le type de

régime étudié- reposent sur l’axiome économiciste du « choix rationnel », mis en avant par William

Riker, supposant des joueurs parfaitement informés3. Dit autrement, ces études prévoient l’analyse

de la formation gouvernementale une fois connus les rapports de force parlementaire. L’approche la

plus « classique » est l’approche « gamsonienne », qui consiste à établir une corrélation entre la

1 Voir entre autres LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos

Aires, 2001; CHASQUETTI, D., Democracia presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la

“difícil combinación”, Cauce, Montevideo, 2008; CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,

Cambridge University Press, 2006. 2 ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados, Vol. 31, No. 1, 1988,

pp. 5-34; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under

presidentialism and parliamentarism”, in British Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587;

LIMONGI, F., “A democracia no Brasil; presidencialismo, coalizão partidária e processo decisório”, in Novos Estudos,

No.76, 2006; ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies:

the case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La

supervivencia de las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, in Postdata, No. 11, 2006, pp. 163-

192. 3 RIKER, W., The theory of political calitions, Yale University Press, New Haven, 1962, p.36.

234

formation des coalitions et la répartition des maroquins ministériels, de manière proportionnelle au

nombre de sièges au parlement. Elle est également reprise pour l’étude des systèmes présidentiels1,

alors même que les élections législatives ne décident pas, à proprement parler, de la formation du

gouvernement dans ce type de régimes.

Nous avons vu dans le chapitre précédent que les propriétés constitutionnelles propres aux

régimes présidentiels tendaient à exacerber les oppositions structurelles, qu’elles soient

fonctionnelles ou territoriales. L’élection présidentielle contient des dimensions institutionnelles,

organisationnelles et symboliques à forte tendance clivante, telles que l’effet « pro/anti-sortant ».

Nous avons établi comme présupposés le fait que : i) les systèmes de clivages en régime

présidentiel, cumulés au caractère « majoritaire » de l’élection présidentielle, rendent les

options gouvernementales plus visibles et « identifiables » dans ce type de configuration

constitutionnelle ; ii) ceci se produit de manière exponentielle en fonction du degré

d’institutionnalisation des systèmes de partis.

Si la configuration constitutionnelle propre aux systèmes présidentiels paraît offrir à la fois une

meilleur visibilité sur les options de gouvernement et une élection instantanée –après un ou deux

tours, suivant les cas- du chef de l’Etat (qui est en même temps chef du gouvernement), quelles

conséquences cela peut-il avoir sur la constitution d’alliances, et surtout sur la précocité de ces

alliances ? Quels en sont les effets sur la visibilité et la prédictibilité de telles alliances ? Enfin,

existe-t-il un « cycle coalitionnaire » et une temporalité politique différente en système

présidentiel ?

Ces questions supposent la prise en considération de trois éléments d’analyse qui sont: a)

l’existence, la détermination et la délimitation d’un « cycle temporel» présidentiel, par opposition à

un cycle « parlementaire » ; b) l’existence préalable d’accords coalitionnaires, plus ou moins

formels, ou la formulation de « feuille de route » ad hoc ; enfin, c) le principe de sélection ex ante

de candidats communs, et leur mode de désignation. En fonction de ces trois éléments, nous

pouvons formuler trois hypothèses :

Hypothèse 1: Les coalitions gouvernementales en système présidentiel en raison du

caractère plus prévisible de la configuration constitutionnelle, tendent à être plus

précoces et, par conséquent, pré-électorales.

1 AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: an analysis of 10 Latin American countries”,

Document présenté lors du meeting LASA de Chicago, 1998; ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the

presidential systems of Latin America: an inquiry into the political conditions of governability”, thèse de doctorat non

publiée, Université d’Essex, 2001; ALTMAN, D., op. cit.

235

Hypothèse 2 : Certains éléments institutionnels peuvent venir influencer le caractère

temporel des formations d’alliances, notamment la « sélection de candidats », le

caractère obligatoire de la tenue de primaires, l’existence du balottage, et/ou le

système électoral pour les élections parlementaires.

Hypothèse 3: Plus les alliances sont précoces, plus les coalitions gouvernementales

sont durables et solides.

Ce chapitre se concentre sur l’étude des processus de formation et conclusion de cycles

coalitionnaires en régime présidentiel. Nous procéderons tout d’abord à une révision de la

littérature en système parlementaire portant sur la temporalité gouvernementale et coalitionnaire ;

avant de la comparer avec celle concernant les régimes présidentiels, afin de tirer quelques

éléments à la fois de caractérisation « présidentialiste » et de similarité inter-systémique.

4.1 Temporalité gouvernementale et « cycle de vie coalitionnaire ».

Nous avons vu précédemment (au chapitre 1.1.3) que toute une « génération » d’études du

phénomène coalitionnaire en régime parlementaire a consisté à établir des modèles prédictifs de

formation coalitionnaire, qui incorporent ainsi diverses approches temporelles. Or, presque aucune

étude qui traite des coalitions politiques en système présidentiel n’incorporait la question de la

temporalité politique et, par ricochet, de la temporalité et du cycle des coalitions. Ainsi, les

processus politiques sont par nature dynamiques et soumis à différentes « phases », ce qui rend la

dimension temporelle particulièrement pertinente. Enfin, la variable, et son incorporation,

« temporalité de la coalition » ne devrait pas être traitée de manière indépendante et auto-

productive, et séparée de son environnement culturel, institutionnel et structurel. L’approche

implique donc l’élaboration d’un cadre macro-analytique et multivarié, en commençant par

l’opérationnalisation d’un « cadre conceptuel » de temporalité politique.

Par « cycle de vie coalitionnaire », nous entendons alors la durée de vie d’une coalition donnée,

depuis la formalisation de l’alliance jusqu’à sa désintégration, son rapetissement et/ou

élargissement. Toute entrée d’un nouveau partenaire suppose, par exemple, un bouleversement

cyclique entraînant le début d’un nouveau cycle coalitionnaire. Inversement, si la sortie d’un

partenaire institutionnel ne suppose pas pour autant la désintégration de la coalition, elle fait

toutefois entrer celle-ci dans un nouveau cycle. L’intérêt scientifique consiste à étudier ces cycles

non seulement du point de vue de leur formation puis conclusion, mais en prenant également pour

objet la période de « vie cyclique », sans oublier les éléments précédant leur constitution ainsi que

les conséquences de la conclusion des cycles. Précisons que par « partenaire coalitionnaire », nous

236

nous en tenons pour l’heure, et suivant notre définition de coalition gouvernementale donnée en

introduction, à un parti structuré en « acteur unitaire »1.

La formation de coalitions gouvernementales et le démarrage de leur « cycle coalitionnaire »

s’articulent donc a priori de deux manières autour de « l’événement critique » qu’est la réalisation

récente et/ou la tenue prochaine d’élections, dont le résultat est noté t0. Les différents cas de figures

représentés par la figure 4.2 supposent autant de degrés d’organisation, d’institutionnalisation et de

(pré)visibilité coalitionnaire.

Figure 4.1 : visibilisation temporelle de la formation de cycles coalitionnaires

En nous basant sur la figure 4.1, une coalition gouvernementale est considérée comme post-

électorale, quand sa formation et sa formalisation découlent de négociations interpartisanes se

tenant à un temps t1, des suites de la tenue d’élections récentes. Cette conceptualisation temporelle

synchronique, quelque peu évidente, ne doit pas pour autant occulter l’analyse de rapprochements

informels ni de liens de récurrence ou de « familiarité »2. Dans ce cas, des coalitions ex post

peuvent être amenées à être considérées comme prévisibles, « naturelles », ou inertielles.

De même, la formation de coalitions gouvernementales ad hoc se réalise sous l’effet

d’événements critiques tels que la sortie d’un ou plusieurs membres d’une précédente coalition,

et/ou l’amplification volontaire et après coup d’une coalition déjà existante, sans réelle relation

directe avec la tenue d’élections récentes ou prochaines. Cette conceptualisation, notée t2, t3, t4…,

implique donc une part d’inattendu et d’imprévu.

Par opposition, sont considérées comme ex ante les coalitions gouvernementales dont la

formation et la formalisation proviennent d’accords qui se sont produits avant l’élection, et sont

donc marquées à une position comme t-1. Ce type de configuration découle donc d’alliances

électorales aux dénominations variées et plus ou moins compromettantes (front électoral uni,

1 Nous reconsidérons ce postulat dans le chapitre 5.

2 GIBSON, J., “Political timing a theory of politicians’ timing of events”, in Journal of Theoretical Politics, Vol. 11,

No. 4, 1999, pp. 471–496; FRANKLIN, M., et MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing

coalitions in parliamentary democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298.

t-3 t-1 t0 t-2 t-0,5 t1 t2

Prochaines élections Précédentes

élections

Ad hoc Post- électorales

Pré- électorales

Entre-deux- tours

237

candidat unique, désistement de circonscriptions, etc.), où différents partis s’accordent à mettre en

commun leur ressources économiques, organisationnelles et logistiques, en vue d’élections

prochaines. Les trois critères pour parler de coalition électorale sont: i) la publicisation de l’accord

coalitionnaire, ii) le fait que les partis concernés s’engagent à participer ensemble aux élections et

non en tant qu’acteurs indépendants, enfin iii) l’accord conclu doit avoir une portée nationale1.

L’approche dynamique de ce type d’alliances doit adopter une perspective temporelle plus grande

ne démarrant non pas à la veille de l’élection, mais au minimum, à la veille du début de la

campagne électorale2, c’est-à-dire au moment t-2. Relevons également les cas de figure marqués

comme t-3, qui correspondent à la reconduction électorale de coalitions gouvernementales

« sortantes ».

Enfin, suivant les constitutions et les lois électorales qui le permettent, nous mentionnons

également la formation d’alliances dites « d’entre-deux-tours », considérées comme des ralliements

électoraux officiels, stratégiques et contraignant un ou plusieurs partenaire(s) lors d’une situation de

balottage. Ceci implique donc le transfert du soutien des équipes et des moyens du candidat éliminé

au candidat rallié qualifié pour le second tour, et ce au-delà de la simple « consigne de vote ». Nous

avons donc marqué ce cas de figure comme t-0.5.

4.1.1 L’analyse classique de la temporalité de s coalitions gouvernementales : la

logique parlementaire

Les travaux qui s’inscrivent dans la seconde génération d’études coalitionnaires3 se sont efforcés

de développer, depuis le paradigme du « choix rationnel », des modèles prédictifs portant sur la

composition de coalitions gouvernementales qui se forment. Le présupposé central, autour duquel

tournerait l’axiome établit par William Riker « d’information parfaite des joueurs », consiste en ce

que chaque joueur potentiel est à la recherche d’une minimisation des risques et des coûts de

marchandage politique. Ceci, d’autant plus que la situation institutionnelle liée au statut politique

du premier ministre est analysée, généralement, depuis la « structure d’autorité nucléaire »

constitutionnelle, comme de type primus inter pares dans une configuration multipartisane, ce qui

confère au chef du gouvernement de ce type de système une position particulièrement instable et

1 GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, Ohio State University Press, Colombus, 2006.

2 CARROLL, R., COX, G., “The logic of Gamson’s law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, in

American Journal of Political Science, Vol. 51, No. 2, 2007, p. 301. 3 BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New directions in coalition research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No.

4, 1986, pp. 469-483.

238

imprévisible1. Cela est notamment dû à l’adjonction de ministres qui proviennent de secteurs

partisans différents, « imposés » par le processus (ou « jeu ») de la négociation interpartisane. De

leur loyauté future dépend la survie du gouvernement:

« Ce sont les interactions entre les pouvoirs législatif et exécutif lorsqu’aucun parti ne dispose d’une

majorité de siège qui définissent […] l’essence des politiques de coalition en Europe. »2

La formation des coalitions gouvernementales est largement analysée et modélisée au travers

d’une perspective d’aversion au risque et de recherche d’une garantie de stabilité contre les

imprévus. De cet « inconnu de l’avenir »3, ou plutôt d’une optique de minimisation des risques liés

à cet imprévu, découle le principe de « Coalition Minimale Victorieuse »4. Ce point de départ

conduit à l’élaboration d’approches formelles qui réduisent la formation de

coalitions gouvernementales à autant de cas particuliers d'interaction sociale, formulant ainsi

des propositions théoriques déductives basées sur un ensemble fini d'hypothèses fondamentales5.

La modélisation de l’allocation de portefeuilles ministériels est ainsi rapportée à une dimension

d’ingénierie institutionnelle basée sur le principe « classique » de l’élection parlementaire à un seul

tour, qui présente la constatation suivante :

« Dans la plupart des démocraties d’Europe Occidentale, les élections ne décident pas de qui va

gouverner. La composition du gouvernement est en fait le fruit de négociations coalitionnaires entre les

partis »6

Suivant cela, l’élément principal de diminution du risque repose sur la connaissance du poids

des acteurs et des « tendances » exprimées. Ainsi :

« C’est conséquemment à des élections que les partis politiques reçoivent leur dotation en sièges

parlementaires, et tirent leur pouvoir de négociation. […] Alors que l’histoire relate un très grand

nombre de cas d’alliances gouvernementales de toutes sortes, toutes étant passées par l’étape de

formation, gouvernance, et conclusion, les coalitions politiques dans les démocraties parlementaires

[…] sont le résultat d’élections démocratiques. »7

1 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995, p.119.

2 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government: the politics of coalition in Europe, Oxford University

Press, 1990, p.2. Traduction propre. 3 LUPIA, A., et STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the

future”, in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University

Press, 2008, pp. 51-83. 4 RIKER, W., The theory of political coalitions, op. cit.

5 RENIU, J.M., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,

1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001, p.14. 6 LUEBBERT, G., Comparative democracy: policy making and governing coalitions in Europe and Israel, Columbia

University Press, New York, 1986, p.1. Traduction propre. 7 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., « Coalition theory and cabinet governance: an introduction », in

STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, p.9. Traduction propre.

239

La grande majorité de ces études reposent donc sur le tryptique élection/tours de formation

gouvernementale/accord coalitionnaire (formel/informel). L’élection constitue ainsi l’élément

d’« information » de la position, du poids et du « potentiel de coalition » des différents acteurs

politiques. L’approche est donc post-électorale, et elle semble avoir comme principal argument ou

atout de négociation et de « marchandage » des partis en vue de l’obtention de maroquins

ministériels, l’importance de leur délégation parlementaire1. Ainsi, les tours de formations

gouvernementales consistent en la négociation d’accords qui portent à la fois sur le qui (le nombre

et l’identité des différents « associés »), le où (les postes qui sont « distribués »), et le quoi (ce qui

constituera l’agenda gouvernemental et les premiers contours des politiques publiques envisagées)

des gouvernements de coalition en gestation. L’issue et la durée de ces tours de formation et la

longueur des pourparlers reposent finalement, nous l’avons vu dans les précédents chapitres, sur les

contraintes institutionnelles, l’historique des relations entre les joueurs, l’hétérogénéité de leurs

« préférences »2 et la nécessité de constituer une combinaison recueillant, au moins, une majorité de

« tolérance », face à une motion de censure

Inversement, les processus de conclusion du cycle de coalition découleraient, d’après la théorie,

de facteurs fortement dépendants de la configuration constitutionnelle, du comportement des

joueurs associés et de l’occurrence d’ « événements critiques ». Rappelons que par conclusion

cyclique nous n’entendons pas uniquement la désagrégation de la coalition gouvernementale –bien

qu’il s’agisse du cas le plus répandu–, mais La transformation de la coalition relativement à sa

forme initiale . On peut également rappeler le caractère étonnamment et paradoxalement incomplet

de l’état des travaux qui portent sur la conclusion cyclique et les facteurs de désarticulation des

coalitions en système parlementaire, alors que ces thématiques ont été largement traitées pour les

systèmes présidentiels3. Aussi, via la combinaison entre une approche inspirée des théories des jeux

et du choix rationnel, et l’analyse quantitative basée sur les formes de conclusion des coalition dans

la plupart des démocraties d’Europe, de récentes études ont établi différents modèles de fin de cycle

1 Voir entre autres GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961,

pp. 373-382; AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives outcomes” in American

Political Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., et FREJOHN, J., “Bargaining in

Legislatures”, in American Political Science Review, Vol. 83, No. 4., 1989, pp. 1181-1206; LAVER, M., et SHEPSLE,

K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press, 1994; LAVER, M., et SHEPSLE,

K., Making and breaking governments, Cambridge University Press, 1996; WARWICK, P., “Coalition Government

Membership in West European Parliamentary Democracies”, in British Journal of Political Science, vol. 26, 1998, pp.

471-499; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of payoffs in coalition

governments”, in British Journal of Political Science, Vol. 31, 2001, p. 627- 649; LUPIA, A., et STRØM, K., op. cit.,

plus précisément entre les pages 55-59. 2 CARMIGIANI, F., “Cabinet formation in coalition systems”, in Scottish Journal of Political Economy, Vol. 48, No.

3, 2001, pp. 313-329. 3 Voir supra chapitre 2.

240

coalitionnaire, et ont identifié trois principaux cas de figure de terminaison cyclique : i) une fin de

cycle non suivie d’élection, soit au travers de « remaniements » ministériels, soit de changements

dans la composition des membres de la coalition ; ii) une fin de cycle accompagnée d’une

dissolution parlementaire (précoce ou non) et suivie d’élections ; enfin iii), la conclusion du cycle

coalitionnaire qui n’entraine pas pour autant la fin de la coalition au pouvoir, et pourrait conduire à

la « renaissance » du pacte coalitionnaire. Dans de nombreux cas au sein des systèmes

parlementaires d’Europe Occidentale, la composition des acteurs (partis) ou encore la répartition

des postes (surtout celui de premier ministre) dans le cadre de « nouveaux gouvernements », se sont

révélées identiques, à celles du gouvernement sortant1.

Dès lors, ces cas de figures peuvent se décliner en deux types idéaux de terminaisons en fonction

du degré de prévisibilité institutionnelle et du comportement des différents membres de la

coalition2. Par conclusion de type technique, la littérature entend l’ensemble des processus liés à un

contrôle effectif et constitutionnel de la terminaison coalitionnaire. Entrent dans cette catégorie les

conclusions de gouvernements de coalition des suites de la tenue d’élections « régulières », en

suivant les dispositions et les limites maximales prévues par la Constitution ; de même que

l’occurrence d’événements inattendus bien que constitutionnellement prévus, tels que le décès du

chef du gouvernement, ou encore sa démission pour des raisons non politiques (âge, maladie, etc.).

La notion de conclusion discrétionnaire comprend toutes les terminaisons qui découlent du seul

comportement – par nature imprévisible - des acteurs associés. Ce type de conclusion, plus répandu

et à la fois varié, inclut ainsi les cas de tenue d’élections précoces ; d’élargissement volontaire de la

coalition ; de mise en minorité du gouvernement via une motion de censure ou un vote de confiance

négatif ; ainsi que d’autres cas de conflits inter et intra partisans. L’approche par la théorie du choix

rationnel a notamment élaboré des modèles3, aussi attractifs qu’analytiquement limités, où le degré

de « proximité idéologique » serait d’une importance centrale à l’heure d’identifier le « taux

d’escompte », exprimé en termes d’une relation d’utilité coûts/bénéfices, et relatif à la tentation et à

l’opportunité pour un parti membre de la coalition de quitter celle-ci à un moment « t »4.

1 LUPIA, A., et STRØM, K., “Coalition termination and the strategic timing of parliamentary elections”, in American

Political Science Review, Vol. 89, No. 3, 1995, pp. 648-665; DAMGAARD, E., “Cabinet Termination”, in STRØM,

K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, pp. 301-326. 2 DAMGAARD, E., ibid; SAALFELD, T., “Institutions, chance and choices: the dynamics of cabinet survival”, in

STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, pp.327-368. 3 Voir entre autres KING, G., ALT, J., LAVER, M., et BURNS, N., "A unified model of cabinet dissolution in

parliamentary democracies", in American Journal of Political Science, Vol 34, No.3, 1990, pp. 846-71; WARWICK,

P., Government survival in parliamentary democracies, Cambridge University Press, 1994 ; JÄCKLE,

S., “Government termination in parliamentary democracies – an event history approach with special attention to party

ideology”, paper présenté lors du congrès ECPR, Lisbonne, 14-19 Avril 2009. 4 Arthur Lupia et Kaare Strøm présentent le « taux d’escompte » (discount rate) de la manière suivante : « en plus de

manquer d’informations sur les désirs actuels des autres partenaires, les partis peuvent aussi manquer d’information

241

Toutefois, quel que soit le « type » de terminaison du cycle coalitionnaire, comme nous l’avons

montré précédemment, la littérature établit que les élections –récentes ou à venir- constituent

l’élément central ou « critique » autour duquel tourne tout cycle coalitionnaire. Ainsi, la figure 4.3,

reprend la considération « classique » et fluide du cycle de vie coalitionnaire, tel qu’il est le plus

largement compris et présenté par les théoriciens des coalitions de même que par les tenants du

parlementarisme, en général. Elle met aussi en évidence le facteur a priori déterminant des

élections sur la formation et la conclusion de cycles coalitionnaires.

Figure 4. 2: Le "cycle de vie coalitionnaire" en régime parlementaire

Source : Strøm et alii, 2008, p.10

quant à l’avenir. Cette incertitude fait du taux d’escompte un aspect essentiel de la négociation coalitionnaire. Le taux

d’escompte mesure l’évaluation d’un acteur en fonction du temps –et combien la jouissance d’un avantage certain,

actuel, est relative à la jouissance d’avantages futurs. Tout le reste demeurant constant, plus grande est l’incertitude

vis-à-vis de l’avenir, plus élevé est son taux d’escompte ». Voir LUPIA, A., et STRØM, K., “Coalition termination and

the strategic timing of parliamentary elections”, op. cit., p.63.

Formation du gouvernement

de coalition

"gouvernance coalitionnaire"

fin du mandat gouvernemental

Elections

242

4.1.2 Une nouvelle approche temporelle « ex ante »

Les élections constituent, comme nous venons de le voir, l’élément de cristallisation des

positions et des rapports de forces interpartisans dans le processus coalitionnaire et le cycle de vie

propres aux coalitions gouvernementales. Ainsi, l’approche ex post répond à la fois à des questions

de minimisation des coûts de marchandage, au travers d’une maîtrise de l’information complète sur

le poids de chacun des joueurs en présence, et à une considération rationnelle du comportement

électoral. Les électeurs sont sensés voter sincèrement pour leur parti « préféré » en fonction des

possibilités de celui-ci de gagner les élections et/ou de rejoindre une coalition minimale victorieuse.

Or, d’après la littérature, si jamais la perception des électeurs quant à leur premier choix est que

celui-ci n’est en mesure de ne réaliser aucun de ces deux objectifs, ils s’inclineront alors pour le

parti le plus proche idéologiquement, afin de ne pas « perdre » leur vote1. Le vote des électeurs

rationnels, dans les systèmes parlementaires qui présentent une configuration multipartisane

combiné à une représentation proportionnelle, serait donc un vote « coalitionnaire »2, où les

diverses combinaisons d’alliances plausibles seraient évaluées préalablement par les électeurs.

Toutefois, si de manière générale la constitution d’alliances pré-électorales paraît a priori aussi

inutile - à cause de ce supposé « vote coalitionnaire » - que couteuse et imprévisible, force est de

constater que l’absence de pacte préalable a conduit, dans de nombreux cas, à un très faible degré

d’identification préalable des coalitions qui se sont finalement formées de la part des mêmes

électeurs. Les électeurs ne savaient pas avec qui s’allieraient les députés pour lesquels ils avaient

voté, ni quel gouvernement quel gouvernement serait susceptible de se former. Les cas répétés,

voire récurrents, de la Belgique et des Pays Bas, puis plus récemment de la Grèce, en sont des

exemples parlants. De plus, la mise en évidence empirique qui montre que le recours à des

rassemblements partisans en vue d’élections « ne constitue pas un événement si exceptionnel », a

conduit à reconsidérer le postulat d’inutilité de ces mêmes alliances électorales. Comme le

remarquait il y a peu G. Bingham Powell :

1 DOWNS, A., An economic theory of democracy, Harper and Row, New York, 1957; RIKER, W., The theory of

political coalitions, op. cit. 2 BLAIS, A., ALDRICH, J., INDRIDASON, I., et LEVINE, R., “Do voters vote for government coalitions? Testing

Downs’ pessimistic conclusion”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705; HERRMANN, M.,

“Expectations about coalitions and strategic voting under proportional representation”, Working Paper No. 08-28,

Sonderforschungsbereich 504, Université de Mannheim, Décembre 2008; BARGSTED, M., et KEDAR, O.,

“Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect voter choice under proportional representation”, in

American Journal of Political Science, Vol. 53, No. 2, 2009, pp. 307–323; DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D.,

« Coalition-directed voting in multiparty democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010,

pp. 698-719.

243

« Les phénomènes d’apparition et de publicisation de coalitions électorales interpartisanes constituent

un champ d’étude qui réclame davantage de travaux sérieux, aussi bien théoriques qu’empiriques. En

effet, nous ne savons pas grand chose sur les origines de ces coalitions… »1

Cependant, très récemment, certaines études se sont intéressées aux expérimentations de

coalitions pré-électorales, et à l’impact de celles-ci sur la formation gouvernementale, en

comparaison avec les coalitions gouvernementales à formation post-électorale. Quelles sont donc

les différences en termes de ressources, de cohérence idéologique et organisationnelle, et

d’éventuelle longévité, des deux cas de figures ? De ce questionnement découle, lorsque l’on

assume que les « options » de conclusion de cycle demeurent identiques indépendamment de la

précocité de l’accord, certaines questions à caractères positiviste et utilitaire surgissent, portant sur

le « quand » se coaliser, sur quelles bases et pour quels résultats ?2 Ces questions et leurs

implications supposent alors, s’agissant d’y répondre, l’élaboration d’éléments palpables de

comparaison.

Si nous convenons à notre tour qu’il est nécessaire d’étudier davantage le phénomène, et si un

nombre croissant de travaux s’est récemment appliqué à montrer le caractère « utile » et fréquent

du phénomène, il nous semble nécessaire de considérer deux étapes d’analyse : tout d’abord, une

approche ontologique, dans le but d’éviter les raccourcis analytiques et autres erreurs conceptuelles.

Comme le montre la figure 4.3, les coalitions électorales ne sont qu’une des diverses expressions

du phénomène métonymique de « coalition politique », dont les trois principales matérialisations

sont autonomes entre elles. Ainsi, les coalitions gouvernementales ne sont ni l’unique expression de

coalition politique, ni forcément les plus répandues ou les plus « courantes ». En effet, un

gouvernement monocolore ou une coalition minoritaire peuvent très bien, à certains moments,

former des coalitions législatives (ou « parlementaires ») dans le but de se maintenir en place, face

à un vote de confiance ou une motion de censure, et faire adopter un projet de loi3.

1 POWELL, G., B., Elections as instruments of democracy: majoritarian and proportional visions, Yale University

Press, New Haven, 2000, p.247. Traduction propre. 2 GOODIN, R., GÜTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to coalesce: early versus late coalition announcement in an

experimental democracy”, in British Journal of Political Science, Vol. 38, 2007, pp.181–191. 3 Le phénomène inverse, où un parti soutient ponctuellement un gouvernement sur des questions de politiques

publiques (« policy seeking »), tend à se produire avec une certaine fréquence. Voir par exemple BALE, T. et

BERGMAN, T., “A taste of honey is worse than none at all?: coping with the generic challenges of support party status

in Sweden and New Zealand”, in Party Politics, Vol. 12, No. 2, 2006, pp. 189–209.

244

Figure 4.3 : Matérialisation des différents « types » de coalitions politiques

Source: Adaptation de Reniu (2001)

De même, il se peut qu’après avoir concouru ensemble à une élection, et l’avoir gagné, certains

partis ne désirent pas transformer l’essai par la formation d’une coalition gouvernementale.

L’argument de « transformation » des coalitions électorales en coalitions gouvernementales se

fonde, notamment, sur l’axiome erroné que tous les partis en lice seraient désireux d’entrer au

gouvernement et seraient demandeurs de postes ministériels1. Christian Bidégaray met d’ailleurs en

garde contre tout écueil tentant qui consisterait à considérer comme automatiques les transferts de

coalitions électorales et gouvernementales :

« Ainsi, au fondement de la démocratie majoritaire, les coalitions électorales victorieuses se

transforment en majorités parlementaires. Mais celles-ci ne se confondent pas nécessairement

avec les majorités gouvernementales entendues comme l’ensemble des partis qui participent à la

formation du gouvernement. »2

1 LUEBBERT, G., “Coalition theory and government formation in multiparty democracies”, in Comparative Politics,

Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 2 BIDEGARAY, C. “Coalition électorale”, in PERINEAU, P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, PUF, Paris, 2001,

p. 206.

Coalitions politiques

Coalitionsgouvernementales

Coalitionsparlementaires

Coalitions électorales

Coalitions “ponctuelles”

coalition“ de soutien”

Minoritaires

Surdimensionnées

Minimales Victorieuses

245

La seconde étape consiste en une analyse causale et séquentielle à proprement parler. Celle-ci se

divise en deux types : a) l’analyse des éléments générateurs et facilitateurs, et b) leurs conséquences

et implications sur le type de formation gouvernementale. Toutefois, la disparité des données

empiriques et la diversité des cas de figure ont contraint à ce que la plupart des travaux à vocation

modélisatrice -et mus de manière hégémonique par une approche quantitative utilitariste et

d’inspiration économiciste-, se focalisent sur l’analyse comparée d’un nombre souvent limité de

cas1. En effet, ces travaux s’inscrivent dans la continuité dominante de la plupart des études portant

sur les coalition theories qui reprennent la conception économiciste du caractère rationnel et

stratégique des joueurs impliqués. Les partis se coaliseraient donc tant de manière ex post qu’ex

ante, en fonction de calculs politiques, exprimés en ratio couts/bénéfices (« utilité »), en vue de

l’obtention espérée (outcome) de maroquins ministériels, et/ou de la négociation de politiques

publiques et de l’agenda gouvernemental2. Selon Sona Golder :

« … les leaders partisans formeront des coalitions pré-électorales s’ils pensent que de la sorte, ils

augmenteront leur probabilité d’entrer au gouvernement en fonction du raisonnement consistant à

ce que l’évaluation de l’utilité alors attendue sera plus positive que le calcul consistant à

concourir de manière indépendante »3

Aussi, comme éléments « facilitateurs », conduisant à la formation de coalitions pré-électorales,

le principal facteur de réalisation identifié, dans la lignée du paradigme néo-institutionnaliste,

correspond à l’impact du système électoral. Dans la lignée des travaux de Maurice Duverger4, les

systèmes électoraux de type majoritaire et vecteurs d’une « disproportionnalité » représentative

élevée, seraient ceux qui présentent le plus d’incertitude et de risque à ce que des partis ne

concourent seuls, surtout lorsque le nombre de partis serait substantiel. Ceux-ci peuvent

potentiellement tout gagner comme tout perdre. Autrement dit, plus le système électoral est

disproportionnel, plus la probabilité de voir se former des coalitions pré-électorales serait élevée5.

Les systèmes majoritaires uninominaux (de type « first past the post ») ou majoritaires à tendance

1 Dans les faits, ils sont souvent deux. Il est toutefois intéressant de noter la récurrence du cas français, en particulier

lors des élections de 2002 qui constituent un cas de figure « symptomatique » et paradigmatique du phénomène. Or, la

nature institutionnelle particulière de ce cas, à configuration semi-présidentielle, où le chef de l’exécutif (le président)

est élu directement et n’est pas responsable face au parlement, ne semble pas avoir ému outre mesure les chercheurs

lors de la comparaison avec des démocraties parlementaires. Voir, entre autres, GOLDER, S., “Pre-electoral coalition

formation in parliamentary democracies”, in Bristish Journal of Political Science, Vol. 36, No.2, 2006, pp. 193-212;

GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, Ohio State University Press, Colombus, 2006;

CARROLL, R., et COX, G., “The logic of Gamson's Law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, op. cit;

DEBUS, M., “Pre-electoral commitments and government formation”, in Public Choice, Vol. 138, 2009, pp.45-64. 2 MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition Government in Western Europe, Oxford University Press, 2000.

3 GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit., p.7. Traduction propre.

4 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981.

5 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., “Constraints on cabinet formation in parliamentary democracies”, in

American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, p. 316.

246

« mixte » seraient donc théoriquement les principaux faiseurs d’alliances électorales1. Or, les

données empiriques ont montré que de nombreuses coalitions électorales ont lieu dans des

démocraties parlementaires avec une représentation proportionnelle. De même, et par extension,

s’il est un système considéré comme unanimement « générateur » de coalitions ex ante ou

d’« entre-deux-tours » (de t-1 à t-0.5), c’est le système uninominal à deux tours, incluant le principe

du « balottage ». D’où la quasi omniprésence du cas français (sous la Ve République) dans la

plupart des études portant sur le phénomène2.

Le second élément facilitateur ou « générateur » de coalitions pré-électorales, serait le facteur

idéologique. Des partis qui possèdent une affinité idéologique plus ou moins traditionnelle ou

ponctuelle se mettent d’accord pour mettre en commun leurs ressources pour l’élaboration d’un

« programme commun » de gouvernement, ou plus prosaïquement sur l’éviction d’un candidat ou

parti gênant. Ces éléments peuvent se voir renforcés par la conjoncture et la décision, de la part de

l’équipe gouvernementale sortante, de briguer un nouveau mandat. Celle-ci reconduit alors

électoralement son unité, voire amplifie celle-ci en ralliant à elle de nouveaux alliés ; on observe

inversement un bloc électoral d’opposition « négative » dont la principale raison d’être est d’éviter

sa réélection et postérieure reconduction gouvernementale3. Le facteur ré-électif (« incumbency

effect ») tendrait ainsi, en raison de sa dimension clivante, à la constitution de coalitions pré-

électorales.

Dès lors, en fonction du caractère incertain des résultats électoraux, et suivant l’objectif de

constituer une majorité parlementaire, la matérialisation des accords porterait sur la présentation de

candidats communs sur l’ensemble, ou la majeure partie, du territoire national. Le coût de cette

alliance pré-électorale consiste alors, généralement, en ce que chaque parti s’engage à retirer des

candidats propres et à soutenir ceux de la coalition dans les circonscriptions où des candidats du ou

des partis alliés seraient mieux placés pour l’emporter. Dans ce contexte, les « petits partis »

cherchent à négocier l’obtention d’investitures de personnalités symboliques. « L’investissement »

1 GOLDER, S., “Pre-electoral coalitions in comparative perspective: A test of existing hypotheses”, in Electoral

Studies, Vol. 24, 2005, pp. 643-663; et GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. Pour une

critique du caractère évasif de la notion de « nombre substantiel » de partis, ainsi qu’une considération ontologique sur

la tendance à concevoir de manière manichéenne les différents systèmes (majoritaires vs. proportionnels), voir

NAGASHIMA, D., “The formation of pre-electoral coalitions: actor strategy and institutional constraints”, Working

Paper présenté au Woodrow Wilson Department of Politics, University of Virginia, 25 Mars 2011. 2 Voir SARTORI, G., Ingeniería Constitucional Comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995 ;

LIJPHART, A., Electoral Systems and Party Systems: A Study of Twenty-seven Democracies, 1945-1990, Oxford

University Press, 1994; BLAIS, A., et INDRIDASON, I., “ Making candidates count: the logic of electoral alliances in

two-round legislative elections”, in The Journal of Politics, Vol. 69, No. 1, 2007, pp. 193–205; et GOLDER, S., The

logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. 3 MARTIN, L., et STEVENSON, R., “The conditional impact of incumbency on government formation”, in American

Political Science Review, Vol. 104, No. 3, 2010, pp.1-16.

247

consenti est tel qu’il serait dès lors irrationnel que les différents partis de la coalition électorale, en

cas de victoire, ne convertissent l’essai en coalition de gouvernement1.

Ainsi pour Kaare Strøm, Ian Budge et Michael Laver :

« … le fait que les coalitions préélectorales se transforment par la suite en coalitions

gouvernementales constitue, bien sûr, une question qui doit être empiriquement démontré. Il ne fait

aucun doute, cependant, qu'il y a une forte tendance pour que cela se produise. C’est un fait très

rare et sans doute très dommageable pour une alliance de partis que de participer ensemble à une

élection en tant que coalition, puis de refuser de partager le pouvoir une fois qu’il est possible de

le faire. »2

Ce faisant, les coalitions pré-électorales, bien qu’apparemment plus coûteuses initialement pour

les partis, paraissent à première vue moins superficielles. En cas de victoire, et si celle-ci

s’accompagne de l’obtention d’une majorité parlementaire, les tours de formation gouvernementale

pourraient donc, logiquement, n’être limités qu’au « où » seront affectés les différents alliés

électoraux au sein du gouvernement. Le qui et, dans une certaine mesure, le quoi ont

potentiellement été identifiés et en partie accordés préalablement3. En effet, les accords

coalitionnaires ne sont pas des phénomènes spontanés, mais découlent d’éléments aussi bien

extérieurs (contexte) que d’attitudes concertées et codifiées, et s’inscrivent dans Des processus

d’une négociation plus ou moins longue, en fonction : i) de l’objectif et la nature de la coalition

(« positive » vs. « négative »), ii) des acteurs en présence (type de partis, idéologie, culture

partisane « coalitionnaire »), et iii) du nombre des acteurs en présence (plus le nombre est élevé,

plus la négociation devient compliquée et « coûteuse »). Le processus débouche alors sur deux

types d’accords en fonction de leur dimension contraignante4, exprimée en fonction du degré de

précision et du caractère « complet »5 dudit accord de coalition, tels que les définit Catherine

1 CARROLL, R., COX, G.W., “The logic of Gamson’s law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, op. cit.;

MARTIN, L., et STEVENSON, R., “Government formation in parliamentary democracies”, in American Journal of

Political Science, Vol. 45, No. 1, 2001, pp. 33–50. 2 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., op. cit., p.317.

3 Il nous semble néanmoins nécessaire de désacraliser la portée des accords, qui constituent généralement davantage

une feuille de route qu’une ligne de conduite stricte. Voir de fait MÜLLER, W., et STRØM, K., « Coalition agreement

and cabinet governance », in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, op.

cit., pp. 159-199 ; TIMMERMANS, A., “Standing apart and sitting together: enforcing coalition agreements in

multiparty systems”, in European Journal of Political Research, Vol. 45, No. 2, 2006, pp. 263-283; BÄCK, H.,

DEBUS, M., DUMONT, P., “Who gets what in coalition governments? Predictors of portfolio allocation in

parliamentary democracies”, in European Journal of Political Research, Vol. 50, No. 4, 2011, pp. 441-478. Pour un

argument contraire voir BANDYOPADHYAY, S., CHATTERJEE, K., et SJÖSTRÖM, T., “Pre-electoral coalitions

and post-election bargaining”, Working paper non publié, disponible sur le site du département d’économie de la

Pennstate University, http://econ.la.psu.edu/papers/exante_coalitions_may26_2010.pdf 4 MÜLLER, W., et STRØM, K., “Coalition governance in Western Europe: an introduction”, in MÜLLER, W., et

STRØM, K., Coalition Government in Western Europe, op. cit, pp. 1- 32. 5 ROYED, T., “Testing the mandate model in Britain and the United States: evidence from the Reagan and Thatcher

eras”, in British Journal of Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80.

248

Moury : a) soit des accords « rituels » et formalisés qui sont relativement imprécis et incomplets ;

b) soit des « accords complets » qui fonctionnent comme un véritable travail préparatoire pour

l’élaboration de politiques publiques et visant à prévenir d’éventuels conflits1.

Les coalitions pré-électorales viendraient, à la fois déterminer la composition du gouvernement,

mais également affecter la nature et l’intensité des relations internes des participants, sur des bases

idéologiques et programmatiques qui seraient plus identifiables. Ainsi, les coalitions pré-

électorales, qui ne se jaugent pas sur le poids parlementaire des acteurs, tendraient-elles à ne pas

présenter de configuration « minimale victorieuse » ; inversement, elles seraient potentiellement

plus « homogènes » d’un point de vue idéologique ; de ce fait plus cohérentes, soudées et donc, par

ricochet, plus stables2. Toutefois, si cette « proximité » idéologique permet d’économiser des tours

de formation, elle n’a pas d’influence automatique sur la composition et le « fond » de l’accord lui-

même3. Il semblerait que la confiance pré-électorale tendrait à favoriser la tenue d’accords de

coalition de type « rituels », où les ministres auraient davantage d’autonomie et où les « contrats

coalitionnaires » seraient moins précis et complets, particulièrement en ce qui concerne les

mécanismes de discipline et de comportement intra-coalitionnaire4.

4.1.3 Le facteur présidentiel comme intervenant dans la création et conclusion

des cycles coalitionnaires

Nous venons d’identifier les différences en termes d’organisation et de conséquence sur la

formation du gouvernement, entre les coalitions gouvernementales formées sur une ligne

temporelle ex post et celles apparaissant ex ante. Par ailleurs, certains facteurs ou « variables »

permettant de prévoir la mise en place et le maintien de coalitions électorales ont été mis en

évidence, en particulier le facteur institutionnel. Les systèmes majoritaires viendraient ainsi

favoriser les rapprochements partisans de manière précoce, afin de limiter le degré d’incertitude5.

1 MOURY, C., « Les ensembles flous pour y voir plus clair : décoder les caractéristiques des accords de coalition en

Europe occidentale », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, No.1, 2004, pp. 104. 2 MARTIN, L., et STEVENSON, R., op. cit.; GOODIN, R., GÜTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to coalesce:

early versus late coalition announcement in an experimental democracy”, in op.cit. ; CARROLL, R., COX, G.W., op.

cit.; BÄCK, H., DEBUS, M., DUMONT, P., op. cit.; DEBUS, M., “Pre-electoral commitments and government

formation”, op. cit.; GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. 3 BANDYOPADHYAY, S., CHATTERJEE, K., et SJÖSTRÖM, T., op. cit.

4 MOURY, C., op. cit.

5 Notons toutefois que le système majoritaire par excellence, le système britannique de représentation majoritaire

uninominale ou “first past the post”, n’a jamais conduit à la formation de coalition pré-électorale. Les seules coalitions

gouvernementales formées postérieurement à une élection, aussi bien lors du « match nul électoral » de 1974, ou plus

récemment, en 2010, où les libéraux-démocrates ont rejoint les conservateurs, dans une alliance pourtant a priori

contre-nature, mais où les poids parlementaires de chacun des joueurs et où les propositions post-électorales ont joués

249

Cependant, la première remarque qui s’impose est que le cycle coalitionnaire en ce type de régime

est fortement lié au cycle gouvernemental. La conclusion du premier entraîne

presqu’automatiquement la conclusion du second.

Bien que nous ayons insisté sur le fait que ces théories se sont développées autour de l’analyse

de la réalité parlementaire, il est intéressant de les transposer à la configuration présidentielle.

Relevons d’ailleurs de nouveau le décalage le décalage quantitatif et qualitatif entre les travaux

parlementaristes et ceux qui traitent des systèmes présidentiels. En effet, comme le soulignent

David Samuels et Matthew Shugart, si pratiquement aucune étude ne s’est arrêtée jusque

récemment sur l’impact de la séparation des pouvoirs sur le processus de représentation1, nous

avançons ici qu’il en va de même de la prise en compte de la dimension temporelle, du moins en ce

qui concerne la formation de gouvernements et leur relation aux processus électoraux2. En effet, de

quelle manière l’élection directe -ou quasi directe- du président de la République influe-t-elle sur la

précocité des rapprochements partisans ?

Rappelons tout d’abord que l’un des arguments principaux de Juan Linz quant à la

qualification et évaluation du système présidentiel, réside dans l’élection de type « plébiscitaire »

du président de la République3. Le candidat le plus voté peut, potentiellement, être un « outsider »

de la politique, ou tout du moins être affranchi de toute affiliation partisane institutionnelle. Bien

que nous ayons auparavant défendu des arguments contraires cette thèse4, il nous faut aussi relever

deux points intéressants. Tout d’abord, la séparation des pouvoirs en système présidentiel établit

que l’élection du président de la République se déroule parallèlement -voire simultanément- à celle

du parlement, et surtout indépendamment de celle-ci. L’élection du président se fait au suffrage

direct sur une circonscription nationale unique5, sans recourir à un contrôle parlementaire

1. Ainsi,

un rôle déterminant. Pour une analyse du processus de formation du gouvernement Cameron, voir BOGDANOR, V.,

The coalition and the constitution, Hart Publishing, Oxford/ Portland, 2011. 1 SAMUELS, D., et SHUGART, M., “Presidentialism, elections and representation”, in Journal of Theoretical Politics,

Vol. 15, No. 1, 2003, pp-33-60. 2 Nous avons présenté dans le chapitre 1 certains travaux traitant du phénomène inverse de la probabilité de dissolution

gouvernementale et coalitionnaire, à l’approche de nouvelles élections. Voir ALTMAN, D., “The Politics of coalition

formation and survival in multiparty presidential democracies: the case of Uruguay, 1989–1999”, op. cit.;

CHASQUETTI, D., “La supervivencia de las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, op. cit. ;

CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la “difícil

combinación”, Ediciones Cauce, Montevideo, 2008. 3 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69; et LINZ, J.J.,

« Presidential or Parliamentary Democracy : Does it Make a Difference ?», in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The

Failure of Presidential Democracy, Vol. 2, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994, pp. 3-88. 4 Voir supra Chapitre 1.2.2.

5 Mis à part le système états-unien et argentin jusqu’en 1983, où le vote -scrutin indirect- dépend alors au niveau

provincial, d’un collège de “grands électeurs”, dont le nombre varie proportionnellement au poids démographique de

chaque Etat. Est élu président celui qui recueille la majorité des voix des grands électeurs.

250

comme le montre la figure 4.4, le processus de formation de gouvernements, en régime

présidentiel, se distingue de celui correspondant aux régimes parlementaires, notamment en matière

d’instantanéité.

Figure 4.4 : Processus de formation de gouvernement en fonction du régime

Source : élaboration propre

Alors que les électeurs votent, en régime parlementaire, pour établir des rapports de force entre

les partis via l’élection des représentants au Congrès, ce sont ceux-ci qui, en tant que joueurs ayant

une capacité de véto, se chargent par la suite de trouver des accords de combinaison

gouvernementale2. En régime présidentiel, les électeurs votent pour élire le chef du gouvernement,

lequel se charge par la suite de former son propre gouvernement en nommant lui-même ses

ministres3. En résumé, là où en régime parlementaire l’électeur vote pour un parti ; en régime

présidentiel, le vote a une valeur couperet puisqu’il implique de se prononcer en faveur en faveur

d’un gouvernement, ou tout du moins du chef de ce gouvernement4.

1 Excepté les cas bolivien jusqu’en 2004, et chilien jusqu’en 1973. Dans le premier, le parlement était le lieu du

« second tour » lorsqu’un candidat n’était pas parvenu à regrouper la majorité absolue lors du premier ; dans le cas

chilien, le parlement servait à ratifier le vote populaire. 2 ALEMAN, E., et TSEBELIS, G.,“Political parties and government coalitions in the Americas”, in Journal of Politics

in Latin America Vol. 3, No.1, 2011, pp. 3-28. Pour une definition du concept de “veto players”, voir TSEBELIS, G.,

Veto players: how political institutions work, Princeton University Press, 2002. 3 Nous avons volontairement fait abstraction, pour des questions évidentes de simplification, du processus de formation

gouvernementale en régime semi-présidentiel, où: a) plus les élections sont proches dans le temps, plus la formation

gouvernementale est de type « présidentialiste » ; inversement, b) plus les élections sont éloignées dans le temps, ou

encore dans les cas de dissolution de l’assemblée, plus le processus est de type « parlementariste ». 4 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992; ZELAZNIK, J., op.

cit.; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government Coalitions…”, op. cit; SAMUELS, D., et

SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University Press, 2010.

Tours de “formation”

Parlementaires

élection

Electeurs

Gouvernement

nomme

Electeurs

Président élu Ministres

Systèmes présidentiels Systèmes parlementaires

Gouvernement

251

Si L’identité du chef du gouvernement en système présidentiel est instantanée, en régime

parlementaire elle peut être amenée, comme nous l’avons vu précédemment, à devoir attendre

l’exécution de multiples « tours de formation ». Par ailleurs, Juan Linz argumente, sans égard à la

distinction effective entre les différents type de régimes présidentiels, que l’élection du chef du

gouvernement déterminerait et constituerait à elle seule la de la couleur gouvernementale, suivant

une configuration où le président ferait figure de primus solus1. Cet argument fait néanmoins

abstraction de la composition du gouvernement et de l’existence de ministres, car s’ils sont

effectivement nommés par le président, leur nomination est dans les cas de gouvernements de

coalition davantage le fait de négociations intra-partisanes. Ceci implique que la configuration se

rapproche davantage d’un cas primus au-dessus d’inégaux2, où le président gouverne en tant que

chef d’Etat et chef du gouvernement ayant autorité sur ses ministres, mais potentiellement contraint

par la composition de son gouvernement et l’accord coalitionnaire alors conclu Si le président n’est

pas responsable face au parlement et que, dès lors, il n’est pas nécessairement à la recherche d’une

majorité parlementaire pour former son gouvernement3, sur quelles bases et stratégies politiques se

fondent alors les accords coalitionnaires ?

Bien que l’obtention d’une majorité parlementaire soit précieuse afin d’éviter l’émergence d’un

cas de « présidence minoritaire » et garantir ainsi la gouvernabilité politique d’un pays, elle n’est

pas pour autant nécessaire à l’assomption et au maintien en place de l’exécutif, étant donné le

caractère fixe du mandat présidentiel. La conclusion d’un éventuel cycle coalitionnaire en régime

présidentiel, à l’inverse de ce qui a cours en régime parlementaire, si elle conduit logiquement à un

« remaniement » ministériel et ne mène pas automatiquement à la tenue d’élection et donc à la fin

du cycle gouvernemental. Rappelons que cette conception de mandat fixe ou « rigide » est l’un des

potentiels facteurs générateur d’instabilité politique et démocratique, tel que l’a relevé Juan Linz,

car il entraînerait un déficit de flexibilité en cas d’impopularité ou perte de confiance de l’exécutif

et l’impossibilité institutionnelle de le « démissionner »4. C’est ce même principe de mandat fixe

qui opérerait, d’ailleurs, comme frein à la tenue de coalitions gouvernementales en systèmes

présidentiels d’après la littérature qui s’inscrit dans le débat présidentialisme vs. multipartisme. En

effet, l’absence de « motivation » structurelle, ajoutée, selon le cas, à une discipline partisane

1 SARTORI, G., Ingniería constitucional comparada… op. cit., p. 18.

2 Ibidem

3 Certaines constitutions, nous l’avons vu, établissent que les nominations ministérielles requièrent une ratification

parlementaire. Toutefois, ces dispositions sont, la plupart du temps, symboliques ou purement administratives. 4 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, op. cit.

252

défaillante où les alliances peuvent se faire et se défaire en une nuit1, favoriserait la personnification

de l’exécutif et les risques de dérives démagogiques voire autoritaires.

Les rapprochements politiques ont généralement été considérés comme des arrangements de

circonstance conçus comme des substituts des institutions et organes de représentation, et donc

voués à l’échec ou condamnés à se défaire une fois atteint l’« l’objectif » d’arriver au pouvoir. Bien

que les coalitions soient considérées comme un gage de pragmatisme et d’efficacité

gouvernementale, la littérature dominante semblait jusque récemment ne pas considérer celles-ci -

les coalitions- comme suffisamment stables et durables sous le régime présidentiel multipartite, à

cause d’un fort degré de polarisation idéologique, rendant plus difficile la quête de consensus tant

électoral que programmatique. Scott Mainwaring et Matthew Shugart ont par ailleurs relevé une

dernière difficulté structurelle compromettant la stabilité des coalitions dans le système présidentiel

multipartite, à savoir la dimension temporelle. En effet, les coalitions auraient tendance à se former

avant voire pendant les élections (quand elles sont à deux tours). Or la formation de ces coalitions

électorales ne garantirait pas leur transformation en coalitions gouvernementales, car « le fait qu’un

parti appartienne à un gouvernement, n’implique pas nécessairement un soutien partisan discipliné

au président », ces coalitions pré-électorales « n’engagea[nt] aucune contrepartie au-delà du jour

de l’élection »2. Les coalitions en régimes présidentiels seraient donc essentiellement des accords

électoraux, plutôt que des accords gouvernementaux3.

Toutefois, Daniel Chasquetti a montré que la plupart des coalitions électorales victorieuses, en

Amérique latine, se sont transformées en coalitions gouvernementales ou ont constitué le « noyau

dur » des gouvernements formés par la suite4. Ainsi, comme le montre le tableau 4.1, 87,5%

(21/25) des coalitions gouvernementales formées en Amérique du Sud depuis 1983, découlent de la

tenue de coalitions électorales ou de coalitions d’entre-deux-tours5. Seule la présidence de Víctor

Paz Estenssoro en Bolivie a constitué un cas « étrange » de transfert de coalition où le pacte

finalement formé au niveau gouvernemental, a différé de celui initialement souscrit par le président,

1 Nous avons présenté et critiqué préalablement, au travers d’exemples empiriques, le postulat selon lequel les systèmes

présidentiels auraient tendance à favoriser la personnification de la politique, conduisant ainsi à un faible degré

d’institutionnalisation des systèmes de partis. 2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Presidencialismo y sistema de partidos en América latina », in

MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,

2002 [1997], p.258. Traduction propre. 3 VALENZUELA, A., “Party politics and the crisis of rsidentialism in Chile: a proposal for a parliamentary form of

government”, in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy: the case of Latin America,

tome 2, Johns Hopkins University Press, 1994, pp.91-150 4 CHASQUETTI, D., Democracia, Presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil

combinación”, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 5 Ce qui confirme empiriquement l’argument de Fred Riggs, voir RIGGS, F., “The survival of presidentialism in

America: para-constitutional practices”, in International Political Science Review / Revue internationale de science

politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 247-278.

253

cela s’expliquant par le système de « second tour parlementaire » en vigueur en Bolivie jusqu’en

2008. Lorsqu’aucun candidat n’obtenait la majorité absolue des suffrages, les parlementaires

devaient alors choisir le président parmi les trois candidats ayant recueilli le plus grand nombre de

voix. Par opposition, seules les présidences de Gaviria en Colombie, Lacalle et Sanguinetti en

Uruguay, se sont formées de forme ex-post, mais elles l’ont été entre partis qui partagent des

traditions de coopération et qui avaient expérimentés de manière répétée de par le passé des formes

de co-gouvernements. Nous appelons ces cas de formations comme « inertielles » car découlant

d’accords de gouvernements s’inscrivant dans une logique de coopération entre partis « familiers ».

Tableau 4.1. Coalitions électorales et gouvernementales en Amérique du Sud

Pays Président Période Coalition électorale?

Argentine (1) De la Rúa 1999-20011 Oui

Brésil (6)

Sarney 1985-1990 Oui

Cardoso I 1995-1999 Oui

Cardoso II 1999-2003 Oui

Lula I 2003-2007 Oui*

Lula II 2007-2011 Oui*

Roussef 2011-… Oui*

Bolivie (5)

Paz Estensorro 1985-1989 Non2

Paz Zamora 1989-19921 Oui

Sánchez de Losada 1992-1997 Oui

Banzer 1997-2002 Oui

Sánchez de Losada 2002-20041 Oui

Chili (5)

Aylwin 1989-1993 Oui

Frei 1993-2000 Oui

Lagos 2000-2006 Oui

Bachelet 2006- 2010 Oui

Piñera 2010-… Oui

Colombie (3)

Gaviria 1990-1994 Non (inertiel)

Pastrana 1998-2002 Oui**

Uribe 2006-2010 Oui*

Équateur (2) Borja 1988-1992 Oui

Gutiérrez 2003-20051 Oui

Uruguay (3)

Lacalle 1990-1995 Non (inertiel)

Sanguinetti II 1995-2000 Non (inertiel)

Battle 2000-2005 Oui**

Total 25 - Oui: 21/ Non: 4 Notes : 1 Présidents n’ayant pas conclu leur mandat ; 2 Coalition gouvernementale différente de la coalition électorale à laquelle avait

souscrit initialement le parti du président ;

* Elections gouvernementales dont le noyau dur est composé des partis regroupés en coalition électorale auxquels sont venus

s’ajouter, de manière ex-post, de nouveaux partis ; ** coalitions d’entre-deux-tours.

Source: Elaboration propre, d’après Chasquetti (2008) et la Georgetown political database of the

Americas

Ces résultats mettent donc en évidence une corrélation certaine entre coalitions électorales et

coalitions gouvernementales en système présidentiel. Or si on se base sur les travaux portant sur les

254

systèmes parlementaires, le système électoral devrait être le principal facteur d’explication, mais

peut-on se demander quel système électoral pour quelle élection ? En effet, nous venons de montrer

qu’au-delà de la capacité de doter le président d’une majorité présidentielle et d’éviter ainsi tout

phénomène de blocage institutionnel, et mis à part le cas particulier de la Bolivie ; les parlements

n’ont pas de rôle déterminant dans l’élection du président, lequel est le seul formateur possible de

coalition gouvernementale. L’élection présidentielle via son mode d’élection directe et instantanée,

favoriserait la formation d’alliances pré-électorales. Cette hypothèse s’inscrit ainsi en faux contre la

littérature « anti-présidentialiste ». En effet, l’élection présidentielle est par nature « majoritaire »

car uninominale (un seul élu) et concernant une seule circonscription nationale. Cette configuration

est, on l’a vu, supposément celle qui offre le plus haut degré d’incertitude quant à l’issue de

l’élection ce qui pousserait donc les partis à se coaliser afin de minimiser les coûts d’incertitude, et

maximiser les chances de succès plutôt que de rester dans l’opposition. L’hypothétique possibilité

d’un succès électoral, suivant une perspective utilitariste, justifierait à lui seul les coûts de

transaction liés à la formation d’une coalition électorale.

Nous avons toutefois nuancé précédemment ce même argument en présentant l’exemple

britannique, qui bien que constituant un cas paradigmatique de système majoritaire n’a jamais

conduit de coalitions pré-électorales. Néanmoins, à la suite des travaux de Duverger et Sartori, de

nombreux auteurs vont relever le « facteur coalitionnaire » du second tour. Tandis que le premier

tour le premier tour consisterait à jauger les différents partis avant toute éventuelle mise en œuvre

d’alliances alliances d’entre-deux-tours1. Si la plupart de ces travaux ne font pas état des différentes

configurations de balottage2, nous observons toutefois que ces cas de figure ne sont pas dominants

puisque les coalitions d’entre-deux-tours débouchant sur des coalitions gouvernementales ne

représenteraient que 10% des cas (hormis le cas bolivien), et 24% d’entre eux en considérant les

coalitions d’entre-deux-tours issues d’une coalition pré-électorale préalable. Mais le principe du

second tour contribue-t-il à ordonner et stabiliser la structure bipolaire de la compétition partisane,

et notamment la structuration de coalitions au-delà de la campagne présidentielle, ce qui

contribuerait à la création de rapports inertiels entre partis.

1 Voir entre autres CRESPO, I., et GARRIDO, A., Elecciones y sistemas electorales presidenciales en América Latina,

Miguel Angel Porrúua/ Jurado Nacional Electoral, Mexico, 2008; McCLINTOCK, C., “Plurality versus runoff rules for

the election of the president in latin america: implications for democracy”, communication présentée lors du congrès

de l’Association Américaine de Science politique, Chicago, 2007; MARTIN, P., Les systèmes électoraux et les modes

de scrutins, Monchrestien, Paris, 2006. 2 En effet, si la logique veut qu’il y ait ballotage lorsqu’aucun candidat n’obtient la majorité absolue, il est de nombreux

cas où le second tour est limité par un « abaissement du seuil de l’élection » : si un candidat recueille un minimum de

voix (généralement autour de 40-45%), et/ou distancie son concurrent le plus proche par un nombre de voix

« significatif » (généralement 10%), il est élu président dès le premier tour.

255

Conformément à ce que nous avons vu au chapitre 2, nous pouvons d’une part conclure que les

institutions et le système électoral ne sont pas tout et ne conduisent pas à prédire en soi la formation

de coalitions électorales. Si le second tour catalyse le de rassemblement autour de blocs, et permet

d’analyser certains rapprochements, nous avons d’autre part montré dans le chapitre 3 que c’est la

visibilité des options « polaires », combinées au caractère majoritaire et national de l’élection qui

conduit à la formation de coalitions pré-électorales. Les systèmes présidentiels sont davantage

clivants et conduisent, lorsque le système de partis est suffisamment stable, à la formation de

coalitions « polaires ». Les accords sont donc le plus souvent pré-électoraux, ce qui suppose,

parfois, la tenue de primaires intrapolaires. Nous présentons dans la figure 4.5 un schéma du cycle

coalitionnaire en système présidentiel, où nous mettons en évidence que la rupture toujours possible

du cycle n’entraîne pas nécessairement la fin du gouvernement et la tenue de nouvelles élections.

C’est un fait qu’il existe plusieurs types de coalitions, qu’elles soient électorales ou

gouvernementales. La composition du gouvernement peut aussi se trouver affectée par la nature

(type d’accords), la précocité et la « motivation » originelle de la coalition. De même, nous avons

signalé que les gouvernements en régimes présidentiels nécessitent un certain appui parlementaire

pour se former et se maintenir (afin de faire face a l’apparition de majorités qualifiées sur certains

domaines tels que les réformes constitutionnelles, etc.), ce qui conditionne à son tour la

composition du futur gouvernement autour d’agents essentiellement politiques (affiliés à un parti).

Or, comme l’ont signalé différents auteurs, la séparation des pouvoirs en système présidentiel, et la

responsabilité donnée au président de former son propre gouvernement, fait que dans ce type de

régimes les gouvernements peuvent être composés d’une fraction plus ou moins importante de

membres « techniques » (technocrates) ou d’un mélange des genres (« technopols »)1.

1 Voir entre autres AMORIM NETO, O., et SAMUELS, D., “Democratic regimes and cabinet politics: a global

perspective”, in Revista Ibero-Americana de Estudos, Vol 1, No.1, 2011, pp. 10-23; AMORIM NETO, O., “The

presidential calculus executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies

Vol. 39 N° 4, 2006, pp. 415-440; AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presidential regimes: An analysis of 10

latin American countries”, communication présentée lors du congrès LASA, Chicago, 1998; ALESINA, A., et

TABELLINI, G., « Bureaucrats or Politicians? Part I: A Single Policy Task », in American Economic Review, Vol. 97,

No.1, 2007, pp. 169-179; ALTMAN, D., et CASTIGLIONI, R., “Gabinetes ministeriales y reformas estructurales en

América Latina, 1985-2000”, in Revista Uruguaya de Ciencia Política, Vol.18, No.1, 2009, pp. 15-39; DOMÍNGUEZ,

J., Technopols. Freeing Politics and Markets in Latin America in the 1990s, The Pennsylvania State University Press,

1997. Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris,

2002 ; JOIGNANT, A., “The politics of technopols: resources, political competence and collective leadership in Chile,

1990–2010” Journal of Latin American Studies, Vol. 43, No.3, 2011, pp. 517-546.

256

Figure 4.5 : Cycle coalitionnaire en système présidentiel

Notes : apparaissent en pointillé les éléments qui relèvent du domaine du possible et consistent en un agrandissement de la coalition.

Source : élaboration propre

257

4.2 L’impact du « cycle présidentiel » sur la constitution des coalitions dans le Cône Sud

Comme nous l’avons indiqué au début de ce chapitre, le caractère dynamique du phénomène fait

que l’étude de la précocité des accords coalitionnaires requiert, comme l’avance l’approche

historico-institutionnelle, d’une dimension temporelle diachronique. Ceci, afin de pouvoir identifier

les différentes étapes et isoler les jonctions critiques originelles, en adoptant une vision qualitative

des processus de formation de coalitions, plutôt que de se limiter à une approche essentiellement

déterministe et comportementaliste, dont l’objectif serait basé sur l’identification et la mise en

évidence de calculs stratégiques et rationnels1. Nous souscrivons à ce courant théorique et

paradigmatique, et après avoir validé notre première hypothèse sur l’existence d’un « timing

présidentiel », nous nous appliquerons dans cette seconde section à analyser la portée et la nature

des accords coalitionnaire dans le cône sud, puis la durabilité desdits accords.

4.2.1 Accords coalitionnaires, formation gouvernementale et cycle coalitionnaire

dans le cône sud

Les coalitions gouvernementales et électorales ont tendu à se former dans le Cône sud à la suite

d’un rejet commun envers un troisième acteur. Les conditions contextuelles et l’historique des

relations inter-partisanes ont toutefois influé sur la précocité des accords et leur caractère public.

Ainsi, l’absence de « tradition coopérative » dans la culture politique de l’UCR argentine et de la

Démocratie Chrétienne chilienne, semble avoir joué un rôle particulier dans la nécessité

d’apprentissage au dialogue inter-partisan avec d’autres forces historiquement adverses, ce qui a

entraîné une formalisation des accords coalitionnaires potentiellement plus lente. Inversement, la

culture consensuelle des deux partis « traditionnels » uruguayens, et de leurs fractions respectives, a

constitué un legs central à la culture de gouvernement du pays et a constitué l’élément de base des

rapprochements entre ces deux partis, qui dont les relations sont devenues « inertielles ».2.

De même, le contexte a particulièrement influencé la précocité des regroupements partisans et

son analyse est identifiable et opérationnalisable à partir d’une approche systémique, centrée sur le

système de partis et la compétition partisane. Aussi, nous pouvons remarquer que les coalitions sont

1 Voir PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science

Review, Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267; COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the Political Arena, Princeton

University Press, 1991; THELEN K., “Historical Institutionalism In Comparative Politics”, in Annual Review of

Political Science, Vol. 2, 1999, pp. 369- 404; SANDERS, E., “Historical Institutionalism”, in RHODES, R., BINDER,

S., et ROCKMAN, B., The Oxford Handbook Of Political Institutions, Oxford University Press, 2008, pp. 39-55. 2 DIAZ CAPPUCCIO, T., Políticas de coalición: ensayo de genealogía política, Tradinco, Montevideo, 1999.

258

« positives »1, c’est-à-dire qu’elles reposent sur des bases de convergence politique et

programmatique, lorsque leur facteur de formation originelle provient de l’émergence d’un élément

perturbateur externe au système de partis (crise économique, réformes structurelles, etc.). C’est

ainsi le cas de la coalition gouvernementale de « coïncidence nationale » entre le Partido Nacional

et le Partido Colorado, sous la présidence de Luis Alberto Lacalle (1990-1995), qui visait à mettre

en œuvre une série de réformes structurelles de la matrice socio-économique uruguayenne2. D’un

point de vue pratique, et pour mener à bien ces réformes, l’objectif de cette coalition a consisté à

doter l’exécutif d’une majorité législative conséquente et suffisante pour limiter le pouvoir de

blocage de l’opposition. La formalisation de cette coalition s’est produite après les élections de

1989, c’est-à-dire dans une temporalité t+1, où blancos et colorados se partageaient près de 70% des

sièges au sein des deux chambres. Soulignons néanmoins que cette coalition gouvernementale

s’inscrit dans une relation de coopération inertielle entre ces deux partis « traditionnels » qui,

comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, ont développé au cours du XXe siècle une culture de

consensus via la formation de « co-gouvernements ». Aussi, cette convergence fait surtout suite à

une tentative partiellement avortée, sous la première présidence de Julio María Sanguinetti (1985-

1990), de gouvernement « d’intonation nationale » entre les deux mêmes partis. Ce premier essai

s’est inscrit dans un contexte de transition puis consolidation démocratique, où les éléments de

convergence, notamment socio-économiques, étaient encore relativement ténus, d’où l’absence de

formation d’un gouvernement de type « union nationale »3. A l’inverse, sous le gouvernement de

coalition de Luis Alberto Lacalle, la convergence semble plus profonde, bien que les bases de

l’accord coalitionnaire (dont le titre évocateur est « bases del acuerdo ») demeurent vagues en

termes de compromis, de priorité d’agenda et de conduite politique commune.

Le gouvernement de coalition du second mandat de Julio María Sanguinetti (1995-2000) s’est

également inscrit dans une dimension temporelle post-électorale (t+1), la formation de ce

gouvernement ayant découlé du « match nul » de l’élection de 1994 où les trois premiers partis ont

recueilli chacun près d’un tiers des voix à la présidentielle, et des sièges au parlement. Cependant, à

la teneur « positive » des deux premiers regroupements, s’ajoute une dimension « négative », en ce

sens que les deux partis traditionnels ont exclu de facto de conclure un accord avec le Frente

1 Voir le chapitre 3 pour une définition de coalitions « positives/négatives ».

2 LANZARO, J., “Uruguay: las alternativas de un presidencialismo pluralista”, in LANZARO, J., Tipos de

presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 283- 317; LANZARO,

J., “El presidencialismo pluralista en la ‘segunda’ transición (1985-1996)”, in LANZARO, J., La segunda transición

en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 19-196. 3 En effet, seules deux fractions blancas vont appuyer le gouvernement Sanguinetti, et non pas le parti dans sa totalité.

Voir MANCEBO, M.A., “De la entonación a la coincidencia nacional”, in Revista Uruguaya de Ciencia Politica, No.

4, 1991, pp. 29-44.

259

Amplio. Dès lors, cette coalition bien que post-électorale reconduit de manière inertielle les

expériences précédentes de coopération et de compromis propres à ces partis traditionnels, et

permet un approfondissement de leurs relations.

Les coalitions sont dites « négatives » lorsqu’elles tirent leur origine du système de parti ou de la

compétition partisane, dans le cadre desquels au moins deux partis se coalisent pour empêcher

l’élection d’une troisième force, jugée menaçante pour l’ordre politique ; et/ou qui suscite à son

encontre de l’animosité commune. Ce cas de figure est celui de la Concertación chilienne, où la

démocratie chrétienne et les différents courants socialistes ont cherché à empêcher la victoire du

camp pro-Pinochet -du « oui »- au référendum de 1988. La dimension « négative », contre le

référendum plébiscitaire de 1988 (« jonction critique »), est ce qui donne l’impulsion à cette

coalition politique qui réunit ces différents partis sous un même label lors des élections

présidentielles de 1989. La formation de la coalition s’opère donc sur une base temporelle pré-

électorale de longue durée, puisqu’elle ne s’est pas formée simplement en prévision des élections

de 1989, mais à l’occasion du référendum de 1988, dont les bases ont été jetées, comme nous

l’avons montré au chapitre 3, dès 1986-1987. La formation de la Concertación découle ainsi d’un

processus marqué t-3, en raison des différentes étapes de formation et formalisation du pacte qui

précède la première expérimentation d’une coalition gouvernementale de ces caractéristiques, en

mars 1990. Les trois gouvernements qui se succèdent alors constituent autant de « reconductions »

et routinisations du pacte initial, sur les mêmes bases fondatrices (clivage anti/pro Pinochet),

comme cela a été montré au chapitre 3. Ce mode de reconduction est schématisé par la figure 4.5.

Notons que l’apprentissage de l’expérience de vie en coalition conduit au développement au sein

des partis en présence d’une importante convergence idéologique et programmatique, ce qui

conduit à une homogénéisation des gouvernements postérieurs à celui de Patricio Aylwin

notamment sur les questions socio-économiques1. Ces reconductions ont pris la forme de primaires

intra-coalitionnaires plus (1993 ; 1999) ou moins (2005 ; 2009) effectives et claires2.

Le cas de l’Alianza argentine suggère des conclusions similaires puisque sa formation succède

aux élections présidentielles de 1995 qui ont à la fois marqué la réélection de Carlos Menem à la

présidence, et la percée du FREPASO comme seconde force politique au niveau national, devant

l’UCR. Le rejet de la personnalité de Menem et de son éventuel successeur3, constitue cette fois

1 Le chapitre précédent a montré une certaine hétérogénéité sur la question des valeurs. Cette dimension sera

approfondie au chapitre 5. 2 Voir supra, Chapitre 6.

3 Jusqu’à mi-1998, Carlos Menem laissait présager une réinterprétation de la constitution de 1994 quant au principe de

réélection du president de la République, aléguant que ce principe n’était pas rétro-actif, et qu’ainsi il pouvait se

représenter une troisième fois. Sa première élection –en 1989- avait été antérieure au changement de constitution.

260

l’élément déclencheur du rapprochement entre FREPASO et UCR, dès les élections parlementaires

de mi-mandat en 1997 et en vue de l’élection présidentielle de 1999. Lors des élections de 1997,

cependant, la coalition électorale n’a pas « pris » sur la totalité du territoire, puisque certaines

provinces importantes (dont Córdoba est la plus emblématique) ne sont pas parvenues à présenter

des listes communes. C’est par la « lettre aux argentins », dès 1998, que se formalise la coalition

électorale. Le document porte essentiellement sur des questions de valeurs bien qu’il contienne

certains éléments idéologiques tels que le maintien de la parité peso-dollar, mesure à laquelle le

FREPASO s’était initialement opposé1. Le document établit également l’organisation de primaires

internes à la coalition dans le but de définir le « ticket » (président et vice-président) coalitionnaire

pour 1999. La dimension temporelle de la formation de cette coalition est donc pré-électorale et, à

l’image du cas chilien, elle se formalise dans une temporalité t-2, en ce sens que le précédent des

élections de 1997 constitue le socle de l’accord pré-électoral de 1999.

Enfin, le dernier cas de figure qui s’est présenté dans le Cône Sud est celui de la formation d’une

coalition de type entre-deux-tours, marquée t-0.5. L’élection présidentielle uruguayenne de 2000

s’inscrit dans cette configuration. Ainsi, après le changement de loi électorale instaurant le principe

du balottage en 1997, avec application directe pour les élections de 19992, la compétition électorale

uruguayenne a confirmé sa bipolarisation, en opposant d’un côté le « pôle des partis traditionnels »,

au « pôle de gauche » incarné par le Frente Amplio, qui s’est positionné lors des élections de 1999

comme le premier parti du pays. Dans cette compétition inter-polaire, le premier tour consiste dès

lors en une sorte de primaire interne au pôle des partis traditionnels3, permettant de définir laquelle

de ces deux forces –partido colorado ou blanco- sera qualifiée pour concurrencer le FA au second

tour. Cette « primaire », reste néanmoins symbolique et limitée en ce sens que le « ticket électoral »

n’est pas en soi inter-partisan. C’est la « qualification » pour le second tour du candidat colorado

Jorge Batlle face au candidat du Frente Amplio, Tabaré Vázquez, qui conduit au ralliement

« automatique » du candidat blanco –l’ancien président Luis Alberto Lacalle-, et à former une

coalition d’entre-deux-tours, à vocation gouvernementale. Celle-ci devient effective dès le

lendemain de la victoire du candidat Batlle.

Toutefois, sous la pression de son parti et d’éléments d’interdits constitutionnels, Menem renoncera à ce projet,

nommant le gouverneur de la province de Buenos Aires comme son « héritier » et en faisant de lui le candidat du PJ

aux élections présidentielles de 1999. 1 OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica,

Buenos Aires, 2001. 2 Rappelons que l’une des motivations, informelle, pour le changement de la loi électorale est de rendre plus difficile

l’accès au pouvoir du Frente Amplio, dont les résultats en progression constante depuis 1985 laissaient présager une

possible victoire lors des élections de 1999 sous la configuration du mode de scrutin traditionnel de double vote

simultané à un tour. Voir supra le chapitre 2.1.1.c. 3 La nouvelle loi électorale instaurant le principe de primaire interne pour chaque parti dans un “avant-premier tour”.

261

Dès lors, en résumé de cette section, lorsque nous reprenons la typologie des coalitions

gouvernementales en systèmes présidentiel, et que nous les incluons dans un tableau, nous

observons qu’un élément d’analyse paraît être mis en évidence par le Tableau 4.1, dont les résultats

partiels, montrent que les coalitions « négatives » seraient, généralement, plus précoces que les

coalitions « positives ».

Tableau 4.1 : Types idéaux partiels de coalitions gouvernementales et variantes en

systèmes présidentiels, appliqués aux pays du Cône Sud

Configurations Idéaltype Alternative

Timing

Pré-électoral

1. Chili 1988-2010 2. Argentine 1997-2001

a. Entre-deux-tours

1. Uruguay (Batlle) 2000-2002

b. ad hoc

1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000

Composition du

gouvernement À dominante partisane

a. À dominante technocratique

b. mixte

Type d’accord

Accord Programmatique

(“homogène’’)

1. Uruguay 1990-1992 2. Chili 1993-2010

3. Uruguay 2000-2002

a. Coalition “Négative”

1. Chili 1988- 1993 2. Argentine 1997-2001

3. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000

b. Opportuniste (”hétérogène”)

Allocation des portefeuilles

ministériels

Congruente/ coalition “équilibrée” Coalition déséquilibrée

Note : Les résultats de ce tableau ne sont que partiels. Dans la partie suivante, nous nous chargerons de présenter les résultats relatifs

à l’allocation des portefeuilles ministériels et à la composition des gouvernements

Source : élaboration propre

4.2.2 Précocité et durabil i té des pactes coalit ionnaires dans le Cône Sud

Nous avons relevé, en introduction à ce chapitre, une hypothèse qui stipule une plus grande

durabilité des coalitions coalitionnaires lorsque celles-ci tendaient à se former en amont aux

élections. Autrement dit, nous nous demandions si les coalitions de type ex ante étaient plus

durables que celles dont la formation serait plus récente et/ou sur « le tard » (ex post). En effet, la

262

logique voudrait qu’une convergence ex ante ait plus de temps et de recul pour pouvoir s’organiser

et prévoir des modes de résolution d’éventuelles controverses internes.

Nous ne prétendons pas, sur la base de données empiriques relatives à huit cas, formuler des

conclusions définitives sur la durabilité des coalitions dans le Cône Sud – nous traitons par ailleurs

des aspects de gestion interne des coalitions dans le prochain chapitre –, mais pouvons toutefois

avancer quelques hypothèses sur cette question en prenant en compte deux variables : l’antériorité

des pactes et le degré de « familiarité » des acteurs. Ainsi, le tableau 4.3 permet d’observer une

certaine relation entre le caractère précoce des rapprochements interpartisans et la culture politique

de chaque pays. L’expérience argentine du gouvernement de l’Alianza, malgré la structuration

d’une coalition gouvernementale suivant une configuration temporelle de type ex ante, semble

avoir souffert de sa tradition politique conflictuelle. En effet, l’attitude gouvernementale du

président De la Rúa s’est inscrit dans la tradition de gestion hégémonique de l’UCR. A cela

s’ajoute un manque de précision et d’envergure de l’accord de coalition, comme on l’a vu,

essentiellement négatif, ou encore la faible institutionnalisation du FREPASO, extrêmement

dépendant de son leader ‘Chacho’Alvarez1.

Dans le cas uruguayen, la coalition gouvernementale la plus « précoce », autour du président

colorado Jorge Batlle, s’est maintenue sur un peu plus de deux ans et demi, avant que le Partido

Nacional ne décide de se retirer du gouvernement, en octobre 2002. Il a néanmoins mais tout en

conservé une attitude de soutien total et inconditionnel au gouvernement au niveau parlementaire,

face à la crise économique qui commençait à s’installer. Les leaders blancos, l’ex président Luis

Alberto Lacalle et le sénateur Jorge Larrañaga, en rompant la coalition gouvernementale, ont

semblé avoir tiré les leçons de la logique de soutien gouvernemental jusqueboutiste préconisé par

l’ancien leader du directoire, Alberto Volonté, sous la seconde présidence de Julio María

Sanguinetti (1995-2000), lequel pensait que le parti se verrait de la sorte récompensé pour son

attitude constructive et responsable. Or, aux élections de 1999, le Partido Nacional a enregistré les

pires scores électoraux de son histoire, obtenant 22.3% des voix. La stratégie de Lacalle et

Larrañaga de se retirer du gouvernement tout en maintenant un appui législatif au gouvernement de

Batlle, s’est aussi inscrite dans une volonté de préserver une image de responsabilité politique, en

réduisant l’exposition politique et médiatique du parti.

Si la logique d’Alberto Volonté de préserver la cohésion gouvernementale jusqu’à la fin du

mandat présidentiel découle d’une stratégie politique faillie, elle témoigne aussi et surtout du travail

de convergence partisane démontré par les deux partis du « pôle traditionnel ». En outre, en sus de

1 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo: Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires,

2009.

263

cette convergence intra-polaire accrue depuis le retour à la démocratie et des suites de l’émergence

du Frente Amplio, l’historicité gouvernementale uruguayenne marquée par la construction de

consensus et formations de co-gouvernements a conduit à l’établissement d’une « familiarité »

importante entre les deux partis. La recherche de coalitions gouvernementales depuis le retour à la

démocratie, en 1985, inscrit donc les formations de gouvernements de coalition sous les

présidences Lacalle puis surtout Sanguinetti II, dans une logique inertielle de collaboration

« bloquiste »1.

Enfin, en ce qui concerne le cas chilien, l’absence de variance causale fausse quelque peu la

possibilité de tirer des conclusions définitives au sujet de l’impact direct de la précocité du pacte

sur la reconduction ininterrompue de la coalition. Toutefois, la précocité de l’accord de coalition

originel semble avoir contrebalancé l’absence de « familiarité » entre les joueurs,

traditionnellement opposés. Elle semble également avoir fixé certaines lignes d’action face à des

cas de figures compliqués comme le coup de pression militaire de mai 1993, ou la gestion houleuse

des conséquences de l’arrestation de Pinochet à Londres. La politique du cuoteo2 et le recours aux

primaires internes semblent également avoir contribué à désamorcer l’émergence de controverses

internes sur des questions de rétribution en matière de postes ministériels, politique publique et

candidatures parlementaires. De fait, c’est lorsque la légitimité et l’organisation de ces dernières ont

été les plus critiquées, notamment en 2009, que la cohésion de la Concertación s’est trouvée

fragilisée, par la désertion d’éléments symboliques de la coalition (voir infra chapitre 5 et 6). De

même, l’attitude supra-partisane de Michelle Bachelet, lors du premier tour de la campagne

électorale de 2006, a conduit à une fragilisation des liens de cohésion interne. Les résultats

décevants de la candidate au premier tour ont conduit l’appareil du parti socialiste et plus

généralement la Concertación à s’afficher unis au côté de la candidate3. L’essoufflement du clivage

autoritarisme/démocratie, articulateur de la compétition politique chilienne et raison d’être de la

Concertación, cumulée à l’organisation de primaires internes alambiquées, fermées, peu

représentatives et biaisées4, explique en grande partie la défaite de la Concertación aux élections de

2009, malgré la forte popularité de la présidente sortante.

1 CHASQUETTI, D., et GARCE, A., “Unidos por la historia: Desempeño electoral y perspectivas de colorados y

blancos como bloque político”, in BUQUET, D., Las claves del cambio. Ciclo electoral y nuevo gobierno. 2004-2005,

Ediciones de la Banda Oriental - Instituto de Ciencia Política, Montevideo, 2005, pp. 187-204. 2 Voir supra chapitre 2.2.5

3 HUNEEUS, C., et alii, Las elecciones chilenas de 2005: Partidos, coaliciones, y votantes en transición, Catalonia,

Santiago, 2007. 4 En effet, tous les candidats à la candidature n’ont été autorisés à se présenter lors de ces primaires. De plus la

sélection s’est effectuée sur deux régions chiliennes parmi les moins peuplées, et ce afin de faciliter la sélection d’un

candidat pour une défaite anoncée mais honorable, celle du démocrate-chrétien et ex président Eduardo Frei Ruiz-

Taggle.

264

Tableau 4.3 : cycle coalitionnaire et cohésion (inter)partisane.

Périodes Type de

gouvernement Cycle

coalitionnaire Contingent législatif

du gouvernement Cohésion maintenue?

Argentine

1983-1989 Monopartisan - Majoritaire Cohésion rompue

1989-1995 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte ou quasi-

intacte

1995-1999 Monopartisan - Majoritaire Cohésion rompue

1999-2001(3)*

Coalition Pré-électoral Minoritaire Cohésion rompue/

implosion du gouvernement

2003-2007 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte ou quasi-

intacte

2007-2011 Monopartisan/ coopté - Majoritaire Cohésion fragilisée

Uruguay

1985-1990 Monopartisan - Majoritaire Cohésion fragilisée

1990-1995 Coalition Inertiel Majoritaire Cohésion rompue avant

terme

1995-2000 Coalition Inertiel Majoritaire Cohésion intacte

2000-2005 Coalition Entre-deux-tours Majoritaire Cohésion rompue avant

terme

2005-2010 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte

Chili

1989-1993 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte

1993-1999 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte

1999-2005 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte

2005-2010 Coalition Pré-électoral Majoritaire Cohésion fragilisée

Notes : Apparaissent en gras les gouvernements inaugurés sous un format de coalition.

*le mandat du président De la Rúa était sensé durer jusqu’en 2003, mais les événements de la fin de l’année 2001 l’ont conduit à

quitter son poste ;

** la présence de sénateurs désignés (chambre haute), alliés ou proches de l’opposition a fortement nuancé le caractère

« majoritaire » du contingent présidentiel à la chambre basse.

Source : élaboration propre.

Nous ne pouvons pour l’heure, établir aucune relation théorique sur la mécanicité des rapports

entre l’antériorité de la conclusion du pacte et la prévision de maintien de la coalition. Néanmoins,

nous analyser cette antériorité en relation avec antériorité avec l’environnement politique propre à

chaque contexte coalitionnaire. Ainsi, l’on peut mettre en perspective la dimension temporelle avec

les dimensions que nous avons étudiées aux chapitres précédents : i) facteurs institutionnels

« facilitateurs », ii) culture « coalitionnaire », et iii) dimension polaire et « facteur clivage » ; le tout

ramené à une quatrième variable « de contrôle » que sont les éléments de contextes socio-

économiques. Nous établissons ces relations dans le Tableau 4.4, en recourant à la technique des

ensembles flous (« fuzzy sets »)1, dont les valeurs exprimées sont « calibrées » de « 0 » à « 1 ». La

1 Voir RAGIN, C., « Measurement versus calibration: a set theoretic approach », in BOX STEFFENSMEIER, J.,

BRADY, H., et COLLIER, D., The Oxford Handbook of Political Methodology, Oxford University Press, 2008, pp.

265

valeur nulle correspond à une non intervention, ou « absence totale» du facteur intervenant ; la

valeur unitaire suppose une présence « complète » ou très significative de ce même facteur. La

calibration suppose quant à elle une considération non dichotomisée1, où des éléments intervenants

(ou « variables ») peuvent être plus (quand elles tendent vers le « 1 ») ou moins (quand elles

tendent vers le « 0 ») présents. La colonne « RESULT » (pour résultat) exprime la durée effective

des coalitions exprimée en pourcentage d’extension temporelle par rapport à la durée

constitutionnelle du mandat. Ainsi, par exemple, 0.25 correspond à une période de maintien de la

cohésion coalitionnaire sur une durée correspondant à 25% de la totalité du mandat originel, soit

dans le cas de l’Alianza de De la Rúa 1/4 ans. Nous avons noté « 0.9 » la présidence chilienne de

Michelle Bachelet, car bien que la coalition ne se soit pas désarticulée, la défection de nombreuses

figures de la Concertación tout au long de ce mandat témoigne d’une cohésion interne quelque peu

fragilisée2.

La colonne « INST » (pour institutions) reprend le principe de ce que nous avons établi au

chapitre 2, en fonction de la considération supposément facilitatrice du système électoral quant à la

formation et au maintien de coalitions. Nous nous basons sur les considérations du courant

principal de la littérature den science politique, pour construire les indicateurs indicateur des

valeurs de chaque cas, avec un « bonus » pour le cas chilien en raison de l’impact supposé du

système binominal sur la formation et la continuité du pacte coalitionnaire3. Aussi, le Système

Electoral est considéré comme « facilitateur » et calibré « 1 », quand la loi électorale prévoit la

concomitance des élections parlementaire et présidentielle, ajoutée à la possibilité de second tour et

de réélection. Aucun cas de notre champ d’étude ne permet d’observer cette configuration, c’est

pourquoi nous avons « élevé » les cas chiliens à « 0.8 », en vertu du bonus précédemment

mentionné, malgré l’absence de réélection (c’est le cas des présidents chiliens Aylwin et Bachelet) ;

nous notons la valeur « 0.75 » pour les cas incluant la possibilité de second tour, combinée à celle

de réélection présidentielle, mais présentant la réalisation d’élections parlementaires partielles à mi-

mandat4 (cas argentin). En ce qui concerne le Chili, le système est évalué à « 0.66 » lorsqu’il y a

possibilité de second tour et d’élections parlementaires (sénat et/ou chambre basse) partielles

174- 198; et RAGIN, C., Redesigning social inquiry fuzzy sets and beyond, University of Chicago Press, Chicago et

Londres, 2008. Pour une utilisation appliquée à l’étude des gouvernements, voir MOURY, C., « les ensembles flous

pour y voir plus clair : decoder les caractéristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue

Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, No. 1, 2004, pp. 101-115. 1 À l’inverse de la technique dite d’Analyse Qualitative-Quantitative Comparée (QCA, pour son sigle en anglais) que

nous avons présentée au chapitre 2 de cette thèse. 2 Relevons notamment les cas d’Adolfo Zaldivar, ancien président de la démocratie chrétienne et président de la

chambre des députés ; Jorge Arrate et Carlos Ominami, anciens ministres et figures centrales du parti socialiste, etc. 3 Pour une presentation du système binominal, voir le chapitre 2.

4 Facteur considéré par la littérature, nous l’avons vu au chapitre 2, comme supposément tensiogène pour le maintien de

pactes inter-partisans.

266

incluant également la tenue d’élections parlementaires partielles pendant le mandat présidentiel (cas

des présidences de Frei et Lagos) ; nous évaluons le système à « 0.5 » quand il suppose l’existence

simultanée d’un second tour et d’élections parlementaires, mais sans faculté de réélection

présidentielle (cas de l’élection de Jorge Batlle en Uruguay). Enfin, nous notons « 0.2 » les mandats

des présidents Lacalle et Sanguinetti en Uruguay, car présentant une élection présidentielle à un

tour suivant le principe du Double Vote Simultané, ce qui tend à accroître le nombre de

candidatures intra-partisanes1, et à fomenter l’absence de réélection présidentielle.

La colonne « CULT » (pour « culture coalitionnaire »), considère à la fois les dimensions de

familiarité entre les partis, le caractère inertiel des accords, et l’historicité gouvernementale des

systèmes politiques. Nous notons « 1 » les cas ayant une forte tradition politique de collaboration

inter-partisane, et de familiarité élevée entre les acteurs (présidences Lagos et Bachelet au Chili, et

Batlle en Uruguay) ; nous notons par « 0.75 » les cas qui présentent une certaine tradition de

collaboration interpartisane et d’expérimentation de coalitions gouvernementales récentes

(présidence de Frei au Chili et de Sanguinetti II en Uruguay) ; est évalué par 0.66 le cas présentant

une certaine tradition de collaboration interpartisane ou d’expérimentation de coalitions

gouvernementales récentes (présidence Lacalle qui constitue la première expérience réelle de

gouvernement de coalition en Uruguay). Par « 0.5 », nous évaluons la première présidence Aylwin

car bien que la culture gouvernementale chilienne fait état de nombreuses expériences de

gouvernements de coalition, les partis socialiste et démocrate-chrétien –formant la paire centrale de

la coalition-, n’avaient jamais jusqu’alors collaboré au sein d’un même gouvernement. Tout au

contraire, ces deux partis ont fait preuve depuis les années 1950 d’une inimitié réelle, accrue lors

des années 19702 ; enfin, le cas de la présidence De la Rúa est calibré « 0.2 », tant la culture

politique argentine est marquée par le conflit et les positions hégémoniques de ses partis, comme

décrit aux chapitres 2 et 3. En outre, la courte vie du FREPASO lors de la formation du pacte ne

permet pas de déterminer une « culture politique » propre à ce parti, en ce sens que les mécaniques

internes de ce parti n’ont pas eu le temps de se roder ni d’évoluer, en raison de sa récente création

(1995)3.

La colonne « CLIV » (pour clivage) fait état de l’intensité du système de clivage en présence,

exprimée par sa capacité ordonnatrice et son institutionnalisation. Sont notés « 1 » les cas qui

présentent un système de clivage particulièrement forts, « étanches » et institutionnalisés (cas des

1 Voir BUQUET, D., « El doble voto simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 317-339.

2 Voir supra chapitre 3.

3 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue d''histoire, Vol. 35, No.1, 1992, pp.

67 – 77

267

présidences Aylwin, Frei et Lagos au Chili et des présidences Sanguinetti II et Batlle en Uruguay).

Nous notons « 0.66 » les cas présentant un système de clivages partiellement essoufflé (présidence

Bachelet) ; enfin, les systèmes de clivage à forte vocation structurante mais présentant un niveau

d’institutionnalisation ou « routinisation » encore inachevé sont notés « 0.5 » Il s’agit notamment

des cas des présidences De la Rúa (Argentine) et Lacalle (Uruguay) . Tous les deux surfent sur des

thématiques particulièrement clivantes, l’anti-Ménemisme pour De la Rúa, l’adoption de politiques

publiques d’orientation néolibérales pour Lacalle ; mais ces positions sont soit très floues ou

conjoncturelles (l’anti-ménemisme), soit totalement neuves et donc encore peu suivies (l’adoption

de positions néolibérales).

La colonne « PRECOZ » (pour précocité de l’accord coalitionnaire), reprend les considérations

temporelles et chronologiques présentées au début de ce chapitre au Tableau 4.1, ainsi que les

dimensions inertielles de reconduction d’accords. Sont notés « 1 », les cas présentant une formation

coalitionnaire sur un espace chronologique t-3, qui consistent donc en une reconduction de pacte

(présidences Frei, Lagos et Bachelet au Chili) ; « 0.8 », les accords formés sur un espace

chronologique t-2 (gouvernements Aylwin au Chili, et De la Rúa en Argentine) ; le gouvernement

Batlle en Uruguay est noté « 0.75 » car il combine une formation d’entre-deux-tours (t-0.5), à une

dimension de reconduction inertielle de pacte ; celui de Sanguinetti II obtient la note « 0.5 », car

bien que la coalition se soit matérialisée formellement de manière ex post (à t+1), elle s’inscrit dans

un contexte de formation inertielle des coalitions gouvernementales en Uruguay. Enfin, le

gouvernement de Luis Alberto Lacalle est noté « 0.33 », sa matérialisation post-électorale

s’inscrivant dans la continuation de la tentative –avortée- du gouvernement Sanguinetti I de

formation de coalition gouvernementale, dans un contexte de consolidation démocratique.

Enfin, la variable de contrôle « CONTXT » (pour contexte), reprend les éléments de

l’environnement socio-économique, censé favoriser le maintien de la cohésion coalitionnaire, et

elle est calibrée en fonction de conditions très favorables pour le maintien des coalitions (« 1 ») ou

très défavorables (« 0 »). Ainsi, nous notons par « 0 », les gouvernements marqués par une crise

économique de grande ampleur, ainsi que par une contraction importante du PIB (sur ce point,

l’Argentine de De la Rúa est évidemment emblématique). Nous notons « 0.2 » la présidence Batlle,

du fait de l’importation de la crise argentine, que le pays réussit néanmoins à contrôler davantage

que dans le cas argentin. Nous calibrons à 0.5 les gouvernements qui ont connu des périodes de

récession faible ou de croissance nulle (présidences de Lagos et Bachelet au Chili, et Sanguinetti II

en Uruguay). Nous notons « 0.66 » le gouvernement Aylwin qui, malgré un contexte économique

favorable, a expérimenté un coup de pression militaire qui aurait pu mettre en péril la stabilité

268

démocratique retrouvée. Enfin, les gouvernements Frei et Lacalle sont notés « 1 » car s’inscrivant

dans un contexte socio-économique particulièrement favorable.

Tableau 4.4 : Coalitions pré-électorales et durabilité des pactes coalitionnaires dans

le Cône sud : une relation peu évidente

GOUV INST CULT CLIV PRECOZ CONTXT RESULT

De la Rúa 0.75 0.2 0.5 0.8 0 0.25

Aylwin 0.8 0.5 1 0.8 0.66 1

Frei 0.66 0.75 1 1 0.8 1

Lagos 0.66 1 1 1 0.5 1

Bachelet 0.8 1 0.66 1 0.5 0.9

Lacalle 0.2 0.66 0.5 0.33 1 0.3

Sanguinetti II 0.2 0.75 1 0.5 0.5 1

Batlle 0.5 1 1 0.75 0.2 0.5

Source : élaboration propre

L’observation des valeurs de chacun des huit gouvernements qui constituent le champ d’étude

de cette thèse permet de confirmer qu’il n’y a pas d’effet mécanique institutionnel sur le maintien

des coalitions gouvernementales. En effet, le gouvernement Sanguinetti, formé dans un contexte

institutionnel peu favorable (« 0.2 »), a pourtant conservé sa cohésion sur l’ensemble du mandat. A

l’inverse, le cas chilien présente met en évidence une corrélation entre un système institutionnel

« favorable » et l’absence de dislocation coalitionnaire. Toutefois, certaines autres variables sont à

prendre en considération. Si nous prenons par exemple les coalitions s’étant maintenues tout au

long d’un mandat présidentiel, nous observons que ce sont celles qui combinent une tradition

coalitionnaire élevée (dans le cas d’Aylwin c’est bien la culture consensuelle plus que la familiarité

entre les acteurs qui entre en jeu, puisque la présidence d’Aylwin va consister en

« l’apprentissage » de vie commune entre le PDC et le PSch), avec une dimension polaire forte et

institutionnalisée et un certain degré de précocité et/ou d’inertie. Ces trois variables sont prises de

manière combinée, et non pas isolément. En effet, si le gouvernement de De la Rúa fut le fruit

d’accords précoces entre l’UCR et le FREPASO, marqués par des rapprochement pré-électoraux

notoires, il souffrait néanmoins d’e l’absence totale de culture collaborative de la part des deux

partis ainsi que d’un sentiment de « groupalité » interpartisan (voir supra chapitre ) relativement

peu évident.

269

De même, si nous nous considérons les coalitions à faible longévité (inférieure à la moitié du

mandat, comme dans les cas de Lacalle et De la Rúa), il apparaît que la culture consensuelle et

l’institutionnalisation du système de clivages influent sur le résultat final. Notons que le contexte

socio-économique n’entre, pour le coup, en ligne de compte que pour le gouvernement Batlle,

puisque dans le cas De la Rúa, la cohésion gouvernementale avait déjà implosée avant l’irruption

de la crise économique de 2001.

4.3 Conclusions

Nous avons développé dans ce chapitre, et plus largement cette seconde partie, l’argumentation

autour de trois paradigmes politistes, afin de déceler des éléments de différentiation dans la

manifestation et organisation des coalitions gouvernementales en régime présidentiel. Tout d’abord

nous avons suivi une analyse de type ingénierie constitutionnelle, consistant en une

contextualisation institutionnelle de l’approche et la prise en considération du “facteur présidentiel”

dans l’étude de la formation des coalitions gouvernementales. Ceci, afin de pouvoir comprendre la

formation de la compétition politique dans les systèmes présidentiels du Cône Sud (chapitre 3),

puis la temporalité des négociations interpartisanes. Nous avons montré que si la plupart des

travaux –encore trop rares- qui portent sur le phénomène des coalitions gouvernementales en

systèmes présidentiels se limitent à un examen synchronique de la formation coalitionnaire (le

moment “t” de la formation), dans la lignée de la plupart des travaux portant sur les systèmes

parlementaires, il est pourtant nécessaire de considérer la “temporalité présidentielle” comme un

élément d’analyse à part entière.

Nous avons ainsi cherché à présidentialiser l’étude des coalitions gouvernementales en régime

présidentiel1. Pour ce faire, nous avons mis en relief et confirmé l’hypothèse portant sur l’existence

d’un cycle politique présidentiel. Nous avons dès lors schématisé ce « cycle présidentiel » par

opposition au « cycle parlementaire » où, dans ce dernier, le gouvernement -et la réalisation de

politiques publiques par celui-ci- est beaucoup plus dépendant de la survie de sa coalition qu’en

régime présidentiel. En effet, le cas du président Batlle est assez symptomatique d’un cas de

stratégie politique où un parti –le Partido Nacional- décide lorsqu’il quitte le gouvernement, de

diminuer son exposition médiatique auprès d’un gouvernement de plus en plus impopulaire (voir

infra), tout en maintenant une image « responsable » via un soutien presque inconditionnel, sur le

plan législatif, aux mesures et décisions de ce même gouvernement.

1 Tournure qui, au-delà de l’anaphor, suppose une prise de distance avec les travaux « parlementaristes ».

270

Suivant une approche de type « path dependence », nous avons relevé l’influence significative

de l’élection présidentielle, à un et deux tours, sur la formation d’accords de coalitions, et avons

ainsi nuancé l’influence du système institutionnel sur la formation de ces accords. Après avoir

montré la valeur couperet de l’élection présidentielle (chapitre 3), il a été question de montrer

l’implication du type de coalition (négative vs/ positive) sur son degré de précocité, en montrant

que les coalitions négatives servent essentiellement à battre un troisième acteur, plutôt qu’à

déterminer l’orientation et la teneur d’un futur gouvernement (cas symptomatique de la présidence

De la Rúa). Le facteur temporel va ainsi de pair avec le principe de « groupalité ». Suivant Kaare

Strøm1, nous avons montré que la dimension polarisante, plus propre aux systèmes présidentiels,

inculque une dimension de visibilité des options politiques en compétition plus fortes qu’en

systèmes parlementaires, où l’élection suppose une dimension plus positionnante. Les régimes

présidentiels dont la compétition politique est institutionnalisée sont ainsi plus « prévisibles » quant

aux options gouvernementales, alors qu’en régimes parlementaires, ces formations peuvent

découler d’accords ex post où des « perdants » peuvent se retrouver à participer au gouvernement2,

ce qui laisse planer un doute sur la visibilité du vote des électeurs dans ce type de configuration

institutionnelle.

Enfin, nous avons eu recours à l’approche structurelle. Nous avons montré l’absence de

mécanicité déterministe entre temporalité coalitionnaire et un quelconque résultat sur le maintien de

la coalition gouvernementale, infirmant donc la troisième hypothèse posée initialement. Nous nous

sommes efforcés, en effet, de limiter l’influence de variables prises individuellement et la précocité

de formation de l’accord. Cela a entraîné une mise en évidence du caractère combinatoire des

variables et des contextes historiques pour l’appréhension de ces mêmes variables, aussi bien dans

l’espace (pays) que dans le temps (gouvernements).

Toutefois, nous nous sommes limités, pour l’heure, à l’étude des deux moments extrêmes

temporellement (formation/rupture des coalitions) propres à la seconde génération des études

coalitionnaires, telles qu’elles ont été présentées par Browne et Franklin3. Cette approche reste

incomplète voire superficielle puisque, comme cela a été montré, le « cycle coalitionnaire »

contient comme dimension centrale la « gouvernance coalitionnaire » qui n’a jusqu’à présent

encore été que peu étudiée. Une question centrale demeure la considération des partis comme

1 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Cambridge University press, 1990.

2 Ibid. Voir également à ce sujet ANDERSON, C., et TVERDOVA, Y., “ Winners, losers, and attitudes about

government in contemporary democracies”, in International Political Science Review / Revue internationale de science

politique, Vol. 22, No. 4, Oct., 2001, pp. 321-338 3 BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New directions in coalition research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No.

4, 1986, pp. 469-483.

271

acteurs unitaires qui répondraient et fonctionneraient tels un seul homme, faisant fi de l’existence

de fractions ou courants internes, ou tout simplement de susceptibilités et affinités personnelles. La

prochaine partie vient répondre à cette nécessité d’une approche de la gouvernance coalitionnaire

par l’empirie, en s’arrêtant sur les dimensions « internes » et sociologiques des coalitions. Il s’agira

de voir, en plus de la composition de chaque gouvernement, les modes de sélection des candidats

puis des ministres, ainsi que les modes de résolution des controverses. Enfin, nous y aborderons

également les thèmes de la capacité et du mode de reddition de comptes.

272

Troisième Partie : Les coalitions

gouvernementales comme sous-système

partisan ?

273

Les coalitions, et autres alliances au sens large, sont le fruit d’interactions entre différents

acteurs, dont les motivations initiales viennent à converger de manière plus ou moins temporaire

autour d’un objectif commun. Quel que soit cet objectif, et pour aussi structuré et « commun » qu’il

soit, il suppose un processus de négociation intra-coalitionaire en fonction de l’objectif commun

initial. Rapporté au monde politique, les alliances peuvent se décliner de plusieurs formes suivant

les conjectures et les objectifs. Les coalitions gouvernementales ne sont qu’une forme d’alliance

politique inter-partisane, qui peut à son tour s’intégrer, de manière métonymique, dans un processus

plus large de coopération et d’intégration politique. De même, une alliance gouvernementale au

niveau national (ou « fédéral ») peut également supposer des traductions au niveau local. En outre,

les négociations encourues au niveau gouvernemental peuvent supposer différents accords quant à

la répartition de postes extra-gouvernementaux (entreprises étatiques, postes de hauts

fonctionnaires internationaux, etc…), ainsi que dans la sélection de candidats et la mise en commun

de ressources électorales (financières, organisationnelles, etc…) au niveau parlementaire.

Suivant cette optique, les deux premières parties de cette thèse se sont attachées à traiter les

phénomènes coalitionnaires de manière essentiellement théorique et politologique, depuis : i) une

considération phénoménologique et l’approche institutionnelle (partie I) ; et ii) par la

« présidentialisation » de l’approche (partie II). Si les arguments avancés dans ces deux premières

parties s’appuient sur les expériences gouvernementales du Cône Sud, et bien que nous ayons

embrassé, tout du long, une conception diachronique de ces expériences, nous nous sommes

jusqu’à présent limités à une étude de la formation et la conclusion des coalitions

gouvernementales dans le Cône sud.

Cette troisième partie est entièrement dédiée à l’étude de ce qui se passe entre ces deux

moments, que Wolfgang Müller et Kaare Strøm nomment la « gouvernance coalitionnaire »1, en

tentant de comprendre « ce que gouverner en coalition veut dire »2, en système présidentiel. Nous

chercherons à observer d’éventuelles conséquences ou évolutions à moyen et long terme, que ce

soit des changements de pratique, culture et gestion politique. En effet, en plus d’intégrer les

éléments analysés jusqu’à présent, notamment les dimensions groupales et temporelles. Il s’agira de

s’intéresser à la gestion de ces éléments et à leur implication sur « l’environnement » des coalitions.

Nous épouserons pour ce faire une optique semi-systémique du phénomène coalitionnaire en nous

1 MÜLLER, W., et STRØM, K., “The keys to togertheness: coalition agreement in parliamentary democracies”, in The

Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-282. 2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la

croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37

274

arrêtant, notamment, sur la perception de celui-ci depuis l’intérieur (par les acteurs de ce système),

puis depuis l’extérieur.

Si comme il a été précisé plus tôt, les coalitions gouvernementales -et plus particulièrement en

système présidentiel- peuvent contenir des dimensions et répercussions paragouvernementales1,

nous nous limiterons toutefois à l’analyse de leur expression au niveau du gouvernement central

(ou « fédéral »), dans le but de mettre en évidence les caractéristiques systémiques du phénomène,

tout en préservant sa comparabilité dans l’espace et le temps2. Nous inclurons en filigrane les autres

niveaux de l’alliance (notamment parlementaires) pour en déceler les éléments de négociations,

chantage ou gestion des conflits.

Le premier chapitre de cette dernière partie traitera de l’aspect organisationnel et structurel des

éléments centraux des coalitions gouvernementales: les partis politiques ; et ce afin d’analyser les

types de relation inter et intra-partisanes et les éléments qui font coalition. Il s’gira de comprendre

les motivations internes à former des coalitions et les formes de gestion d’éventuels conflits

internes à la coalition et aux propres partis. Nous combinerons alors à notre démarche structurelle

une approche plus sociologique, à la fois des gouvernements et des membres de ces

gouvernements. Enfin dans le second chapitre, nous nous intéresserons à deux thématiques : a) la

composition des différents gouvernements de coalition du Cône Sud, et leur impact présumé sur la

gestion gouvernementale, et b) la reddition de comptes des gouvernements de coalition, tant vis-à-

vis des partenaires de coalition que de la société. De la sorte nous replaçons le système

coalitionnaire dans son environnement politique immédiat et la perception/ évaluation de la gestion

gouvernementale et politique de la part des sociétés ayant expérimenté ce type de configuration

gouvernementale.

1 En ayant ou non, par exemple, des formalisations et matérialisations aux différents nivaux locaux et/ou provinciaux

(« régionaux », en français). 2 Les trois sociétés qui forment le terrain d’étude de cette thèse n’ayant pas nécessairement le même degré de

décentralisation. De plus certaines composantes constitutionnelles (niveau de représentativité locale), politiques (type

d’élection) et sociales (composantes ethniques et démographiques) entrent en compte, ce qui rend ardu la comparaison

de la matérialsiation des pactes nationaux au niveau local.

275

Chapitre 5 : Structuration partisane et

connexité interne aux coalitions.

« La synthèse c’est l’unité plus quelque chose… l’absence de synthèse c’est de toute façon l’unité »

François Mitterrand, discours de clôture du 61e congrès du Parti Socialiste

Nantes, 18 juin 1977

La formation d’un gouvernement de coalition, en régime présidentiel, découle, comme on l’a vu,

de facteurs structurels et temporels différents de ceux propres aux régimes parlementaires. Pour

autant c’est bien le modèle d’analyse de ce dernier type de régime qui était jusqu’à présent resté

sans questionnement, et appliqué tel quel pour tous les processus de coalitions politiques. Les

chapitres précédents ont partiellement abordé et testé d’un point de vue théorique, la considération -

assez répandue- de condition d’instabilité des gouvernements de coalition en régime présidentiel.

Les facteurs d’instabilité et de conflictivité contextuelle –notamment l’absence ou la perte de

majorité au niveau législatif- sont des éléments qui peuvent se produire dans toutes les

configurations constitutionnelles possibles1, mais dont les effets et les répercutions tant sur le

niveau que le type d’instabilité tendent à différer en fonction de la configuration constitutionnelle.

Les gouvernements en systèmes parlementaires –et à fortiori les gouvernements de coalition-

seraient, du fait de la dépendance de l’exécutif sur le législatif qui les caractérise2, plus enclins à

souffrir d’instabilité gouvernementale. Celle-ci se définit comme une incapacité, pour un Etat

donné, à se doter durablement d’un gouvernement effectif, ou plus généralement par la chute

précoce d’un gouvernement des suites, notamment, d’une motion de censure ou d’un vote de

défiance3. Tout changement dans la composition gouvernementale ne correspond ni ne caractérise

des cas d’instabilité gouvernementale. L’occurrence, relativement courante, de remaniements

ministériels ne constitue pas, non plus, des cas d’instabilité gouvernementale en soi, puisque

l’intégrité du gouvernement, n’est pas automatiquement remise en question.

Le principe de la fixité des mandats, propre aux systèmes présidentiels, fait que les cas

« d’instabilité gouvernementale » ne soient, d’un point de vue essentiellement théorique, que peu

récurrents. Comme il a été dit dans le chapitre 4, la sortie du gouvernement d’un partenaire

1 Nous rappelons que les configurations semi-présidentielles et apparentés (premier-presidentiel, semi-parlmentariste,

etc.) se rapprochent, sur ce thème, davantage de la logique parlementaire, le gouvernement rendant compte face au

parlement. 2 CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy, Cambridge University Press, 2006.

3 On peut prendre comme exemple de cela l’Italie des années 1990- 2000 et les différents gouvernements Prodi, qui on

fait preuve d’une durée de vie n’atteignant jamais les deux ans (mai 1996- octobre 1998/ mai 2006- mai 2008).

276

coalitionnaire (un parti), des suites d’un remaniement ministériel ou d’une (auto)éviction, ne

conduit que très difficilement à ce que se produise un cas d’instabilité et de « vacance »

gouvernementale. En contrepartie, il est convenable de rapporter la notion de stabilité

gouvernementale à celle de « rendement gouvernemental ». La séparation des pouvoirs en système

présidentiel permet la survenue d’« impasses institutionnels » qui peuvent conduire à la possibilité

de cas de figures, où un président élu serait fragilisé voire bloqué par une majorité parlementaire

récalcitrante.

Parallèlement, les cas « d’acéphalie gouvernementale totale1 » en régime présidentiel, du fait de

la « double casquette » de chef d’Etat et de gouvernement, s’appliquent davantage à la notion

d’instabilité politique. La vacance y est double, puisque si un président démissionne, ou « est

démissionné », l’Etat reste sans cet élément de stabilité et d’unicité nationale, que sont censés

constituer les figures des monarques et autres présidents, dans les régimes parlementaires2. Ces

phénomènes supposent et entraînent, en effet, une dimension de blocage institutionnel beaucoup

moins probable, à priori, en système parlementaire, à cause du caractère non-électif (ou de manière

faiblement représentative) du chef de l’Etat3. Enfin, par extension, les cas « d’instabilité

démocratique » seraient une manifestation exacerbée d’instabilité politique4.

Pour autant, si nous nous en tenons aux gouvernements de coalition en systèmes présidentiels, et

à leur potentielle « durabilité », autour de la question, rappelons que nous avons précédemment

montré la faiblesse empirique des différents modèles théoriques qui prédisent la survie des

coalitions à partir de variables propres à « l’environnement politique », lequel est abordé d’après

des variables essentiellement institutionnelles et donc extérieures. La question qui suit celle

concernant les motivations à la formation de coalitions interpartisanes, consiste à se demander ce

qui rend uni les partis : observe-t-on des éléments de « maintien » et de

« stabilisation » coalitionnaire ? Et si oui, de quelle nature sont-ils et comment influent-ils sur la

cohésion coalitionnaire ?

1 MAURICH, M., “Cuando perdemos la cabeza. La acefalía del ejecutivo en los sistemas presidencialistas de gobierno:

Argentina en perspectiva comparada”, in Revista SAAP, Vol. 2, No. 3, 2006, pp. 537-562 2 Nous reprenons ainsi l’argument de Juan Linz sur la stabilité institutionnelle propre aux régimes parlementaires, dont

les chefs de l’Etat bien que ne tirant pas leur légitimité d’une élection directe, incarnent l’unité et l’ordre de la nation.

Voir LINZ, J. J., “The virtues of parliamentarism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 4, 1990, pp. 84-91. 3 En ce sens, les systèmes semi-présidentiels constituent un juste-milieu entre les deux options, le président étant à la

fois chef de l’Etat et de l’exécutif (mais pas du gouvernement) mais disposant d’un mandat électif sur un véritable cycle

électoral (le président n’est pas président ad vitam). Notons qu’Israel constitue un cas particulier, de système

parlementaire « pur » combiné à l’élection directe du premier ministre. 4 Notons, toutefois, dans la littérature portant sur les questions de stabilité et instabilité gouvernementale et politique la

contribution d’André Siegfried faisant état de la dualité entre instabilité gouvernementale et stabilité des corps de

fonctionnaires de l’Etat. Voir SIEGFRIED, A., Tableau politique de la France de l’ouest sous la troisième République,

Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2010 [1913] ; et SIEGFRIED, A., Aspects du XXe siècle, Hachette,

Paris, 1955.

277

Si nous avons présenté un début de réponse à cette question, en abordant au chapitre 3 le

principe de « groupalité polaire », particulièrement exacerbée en régime présidentiel, il s’agit

désormais d’étudier les éléments de structuration et de « connexité » internes aux coalitions. Cela

suppose de s’arrêter sur l’analyse du comment entrent en relation les différents membres et quelles

sont leur « stratégies » et autres patrons de cohésion interne. Cette question requiert une étude des

relations internes aux coalitions et, simultanément, des modus operandi interpartisans aussi bien

formels (via un accord commun) qu’informels. Nous allons donc analyser la forme de gestion ou de

prévention d’éventuels conflits internes aux coalitions gouvernementales et les éventuels

mécanismes de discipline coalitionnaire.

5.1 Connexité, cohésion partisane et la conception « d’acteurs unitaires » des partis.

Nous avons préalablement, au chapitre 3, étudié les partis en régime présidentiel en fonction de

leurs relations « polaire ». Nous avons relevé en effet que la figure du président et sa légitimité

élective tendait à renforcer la structuration du système partisan en « pôles d’identification » où les

différents acteurs se définissaient suivant la notion de groupalité polaire. Cette notion identitaire

situe donc les groupes de partis vis-à-vis d’un autre groupe ou « pôle » opposé. Ce principe

constitue ainsi un marqueur « d’appartenance groupale » dont les principes de structuration

reposent à la fois sur des bases de convergence et de différentiation commune avec un autre groupe.

Ce principe est donc, par définition, à la fois « positif » et « négatif ».

Pour autant, ce principe n’aborde pas, à lui seul, les liens ou « liants » intra-groupaux, ni ne

renseigne sur le fonctionnement interne de ces même groupes. Nous allons, ainsi, dans le sens de la

littérature structuraliste en cherchant à étudier les liens de connexion ou « connexité » interne aux

groupes (coalitions), ainsi que la nature des réseaux politiques. En effet, l’étude de la chaîne de

décisions et des rapports de pouvoirs entre les différents acteurs qui forment la coalition politique,

vient informer sur la structuration et l’organisation de cette même coalition. Ainsi, pour son

application à l’étude des phénomènes coalitionnaires, l’analyse du principe de connexité se réalise

en complément de celle de groupalité et non parallèlement à celle-ci. Les rapports de pouvoirs entre

différents acteurs s’inscrivent en plein dans le rapport d’appartenance ou d’identité qui les lie, et

forme de ce fait un « système social »1. Celui-ci vient former et assurer la cohésion de la coalition.

Une présentation théorique succincte et mise en condition de ces notions s’avère alors nécessaire

pour aborder l’étude des coalitions depuis l’intérieur.

1 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance, Presses Universitaires de Laval, Québec, 2006.

278

Enfin, il est une dimension, propre à l’étude des coalitions partisanes, qui est largement sous-

étudiée bien que fondamentale à l’élaboration de grille de compréhension du comportement

coalitionnaire : l’unité d’analyse. Comment doivent être abordés les partis et leurs agents dans leurs

relations avec les autres partenaires (ou « joueurs ») ? Y’a-t-il un acteur partisan minimal ou

« cellulaire »1, par défaut ? Et, de ce fait, de quelle manière l’organisation interne d’un parti peut-

elle influer sur ses relations avec d’autres partenaires ? Ce sous-chapitre s’intéresse donc, partant

d’un point de vue théorique, à la structuration des relations inter-partisanes et l’organisation des

mécanismes de gestion de la coalition.

5.1.1 Rapports et structuration du pouvoir politique

Le fondement de cette thèse consiste en une approche de type « théorie politique ». Pour ce

faire, il est nécessaire de déceler les différences structurelles et les particularismes propres aux

systèmes présidentiels quant à la formation de coalitions gouvernementales et la « gouvernance

coalitionnaire ». Cela pousse donc à s’intéresser à l’impact de la configuration constitutionnelle

présidentielle, sur les relations inter-partisanes et intra-partisanes.

Prise de manière schématique, la fonction principale d’un gouvernement -et à fortiori d’un

gouvernement de coalition- consiste à prendre des décisions à teneure politique quand à

l’élaboration, la ratification ou l’abrogation de politiques publiques. Dès lors, dans ce processus il

incombe de se demander quel est le rôle joué par les différents acteurs du gouvernement, et quelles

sont les relations de pouvoir décisionnel et de contrôle décisionnel à l’intérieur de l’équipe

gouvernementale. En effet, ce sont ces mêmes rapports de pouvoirs et la connexion des acteurs

entre-eux, et vis-à-vis de ce pouvoir, qui constituent la base du principe de connexité et qui

définissent ainsi la nature de la structuration systémique du groupe étudié. En se basant sur la

théorie des graphes, Vincent Lemieux identifie onze « types » de rapports de pouvoirs, en fonction

de la capacité à prendre une décision, et de la capacité de contrôle sur la décision finale2, lesquels

s’étalent sur trois niveaux de connexité : i) la connexité forte, ou « coarchie », lorsque les rapports

entre les différents acteurs sont fluides et directs, et où dans chaque couple d’acteur (A et B), la

prise de décision peut émaner et être contrôlée dans les deux sens (de A vers B, ou de B vers A) ; ii)

la connexité semi-forte ou « stratarchique », lorsque la prise de décision et/ou le contrôle incombe

1 Nous reprenons cette formule de la théorie des systèmes où la « cellule » constitue l’élément minimal cohérent et

indivisible. 2 En plus de l’absence de pouvoir, Vincent Lemieux dresse, au travers d’une relation “simple” entre deux acteurs –A et

B-, les rapports: i) unilatéraux, ii) conjoint, iii) nul, iv) bilatéral, v) supérieurs, vi) unidirectionnels, vii) équivalent, viii)

mutuel, ix) incompatible, x) prévalent, et xi) diversifié. Voir LEMIEUX, V., op. cit., p.27-35.

279

de manière directe et indifférenciée à plusieurs acteurs mais pas à tous ; enfin iii) la connexité est

qualifiée de quasi forte ou « hiérarchique » lorsque les rapports de pouvoirs émanent et convergent

vers un « centre ».

Dans cette même démonstration, Lemieux différencie également les formes de structuration de

la prise de décisions autour de deux types de structures organisationnelles opposées: a) les réseaux,

qui tendent à présenter une forme coarchique de connexité, où les relations entre les acteurs tendent

à être informelles, « pluri-redondantes » et constamment en relation avec l’environnement ;

lesquels sont opposés à b) les appareils qui présentent une forme plus hiérarchisée de prise de

décision et de contrôle et où seul le sommet serait relié à l’environnement. Entre les deux se

trouveraient c) les quasi-réseaux, où si bien tous les acteurs sont centraux, il existe des relations

unidirectionnelles entre certains acteurs ; et d) les quasi-appareils, marqués par une connexité

« semi-forte », où les centres de décisions sont limités et où il existe une certaine structuration en

arborescence entre certains acteurs1. Les réseaux présentent ainsi une plus grande dépendance vis-

à-vis de l’environnement, alors que les appareils sont structurés autour de relations de pouvoirs plus

définis, et semblent de ce fait fonctionner de manière quasi-autonome. Lemieux montre ainsi la

tendance à la rigidité des rapports, en fonction du niveau et du champ du pouvoir. Dit autrement

plus le pouvoir est important, plus la probabilité de la structuration en réseaux décroit.

De manière classique, les rapports de pouvoir dans un gouvernement en système parlementaire,

et plus particulièrement lorsqu’il est composé d’acteurs issus de différents partis, semblent être

connectés de manière quasi coarchique, et prennent la forme de structuration des rapports de

pouvoir proche du modèle du quasi-réseau, avec une légère prépondérance pour le premier

ministre2. Les décisions de chacun sont soumises au contrôle ou « l’approbation » de l’ensemble

des autres participants. De plus, le degré d’autonomie du gouvernement -et donc du premier

ministre-, vis-à-vis de son parti semble particulièrement faible ; ce dernier constitue alors en

quelque sorte, dans une relation de principal-agent, le « principal » qui veille et contrôle l’activité

de son « agent » (le gouvernement, ou du moins le premier ministre). Ainsi, lorsque l’action du

premier ministre, ou tout simplement sa popularité, dessert les desseins du parti –et à fortiori de la

coalition- qui le soutien, ce même parti peut alors manifester une défiance envers son propre chef.

Un exemple paradigmatique de ce cas de figure est l’abandon du soutien du Parti conservateur

britannique envers son premier ministre, Margaret Thatcher, en 1990 et la démission de celle-ci au

1 LEMIEUX, V., “Réseaux et coalitions”, in L'Année sociologique, vol. 47, no 1, 1997, pp. 351-370.

2 Tel un cas de “primus inter pares”, comme l’a défini Giovanni Sartori. Voir SARTORI, G., Ingeniería constitucional

comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995, p.118.

280

profit de John Major, lequel présentait une personnalité jugée moins fermée et controversée1. Ainsi,

Vincent Lemieux résume, en paraphrasant Groennings, que :

« …les coalitions gouvernementales fonctionnent selon une règle d'unanimité, pour empêcher les

adversaires d'exploiter les divisions internes à la coalition et pour promouvoir l'esprit de

consensus entre les membres. Cette règle d'unanimité, qui n'exclut pas le marchandage

(logrolling), suppose évidemment que chacun des participants puisse influencer directement ou

indirectement chacun des autres, par du pouvoir conjoint ou du pouvoir unilatéral. Cela est

d'autant plus facile qu'il y a peu de partis dans la coalition et que leurs atouts ne sont pas trop

inégaux. »2

Toutefois, ces cas de figure ne semblent pas correspondre tout-à-fait à la configuration

constitutionnelle des régimes présidentiels, où le président ne dépend pas d’une quelconque

majorité parlementaire pour se maintenir, même s’il a besoin de compter, au minimum, sur une

minorité de parlementaires afin de s’éviter la formation d’une majorité qualifiée hostile. Les

négociations internes peuvent paraître donc moins intenses et systématiques qu’en système

parlementaire. Les gouvernements en régime présidentiel tendent donc à être plus autonomes face à

leur « entourage partisan » qu’en système parlementaire, et paraissent présenter un fonctionnement

proche de la structuration de l’appareil, où les partis délèguent la tâche gouvernementale et

électorale au candidat puis président –et son équipe- en place, et tendent à s’aligner davantage

autour de celui-ci3. Nous avançons, ainsi, que les gouvernements de coalition en régime

présidentiel tendent à s’organiser tel des systèmes semi-étanches, où la figure du président demeure

prévalente mais où les rapports de pouvoirs ne sont pas, pour autant, unidirectionnels. En ce sens,

les gouvernements de coalition en régime présidentiel constituent une sorte de pont relationnel

entre le chef de l’exécutif autonome et l’environnement parlementaire, en ce sens qu’ils confèrent

une connexion légitimatrice et facilitatrice auprès du président avec le parlement, pour l’élaboration

de politiques publiques.

Ainsi David Samuels et Matthew Shugart vont dans ce sens lorsqu’ils avancent que :

« … la survie autonome signifie que les présidents ont peu à craindre de leurs propres collègues,

un fait qui donne lieu à des obstacles qualitativement différentiés quant à la cohésion intra-

partisane et modifie l'équilibre intra-partisan du pouvoir en faveur des cadres élus au suffrage

direct, et ce en ce qui concerne la formation du gouvernement et des nominations politiques et

bureaucratiques. »4

1 FOLEY, M., John Major, Tony Blair and a conflict of leadership: collision course, Manchester University Press,

2002. 2 LEMIEUX, V., “Réseaux et coalitions”, op. cit, p.395

3 SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers: How the separation of powers affects

party organization and behavior, Cambridge University Press, 2010, p.16. A noter que les auteurs montrent que ce

rapport de pouvoirs, en systèmes semi-présidentiels, semble similaire à celui des systèmes clairement présidentiels. 4 Ibid p.15. Traduction propre.

281

Ces considérations supposent donc d’étudier les types de rapports de pouvoirs entre les

différents postes de l’exécutif, ainsi que les relations entre membres issus de partis différents. De ce

fait, il est central de s’attarder sur la structuration organisationnelle des partis qui forment les

gouvernements de coalition, et sur l’impact de ceux-ci sur le type de connexité inter-partisane.

Toutefois, cela pose un problème en termes d’unité d’analyse. En effet, si les coalitions ne sont pas

des ensembles unitaires, puisqu’elles sont la convergence de différentes organisations partisanes, il

en va de même pour les partis, qui sont le fait de l’adjonction d’individualités mus par des intérêts

divers. Cela pousse alors se demander quel est le degré de cohérence interne à ces groupements

coalitionnaires et partisans ? Nous avançons comme piste d’analyse l’étude organique des partis et

systèmes de partis en système présidentiel, et leur niveau de cohérence propre. Les partis en

système présidentiel tendraient ainsi à présenter de niveaux de cohérence potentiellement plus

lâches qu’en régime parlementaire.

5.1.2. Cohérence, institutionnalisation partisane et le mythe de la

conception unitaire des partis ?

L’essence première des partis politiques consiste en la mise en commun de ressources

individuelles à l’intérieur d’une structure institutionnelle dans le but de faire valoir ou connaître des

intérêts politiques communs. Nous avons précédemment insisté sur le fait que le « fait générateur »

du parti, entendu comme la raison fondatrice et la nature sociologique des acteurs « fondateurs »,

ainsi que le contexte sociopolitique forment autant d’éléments qui constituent et conditionnent la

« marque identitaire » du parti et son degré d’homogénéité. Nous avons, notamment, montré que la

conception européenne de structuration des partis autour de clivages sociaux ne s’appliquait que

partiellement à d’autres réalités sociales et institutionnelles. Toutefois, il est judicieux de garder à

l’esprit que les partis sont, par nature, des sortes de « coalitions d’intérêts individuels », qui forment

des espaces de concurrence internes mus par des ambitions interpersonnelles, et régis par des règles

plus ou moins formelles. Nous allons alors dans le sens de Michel Offerlé:

« Etudier un parti, c’est étudier les interactions visibles qui se déroulent dans un certain espace de

jeu, c’est insister aussi sur le “liant” invisible qui associe des agents dans une coopération

concurrentielle. […] Un parti doit être analysé comme un espace de concurrence objectivé entre

des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour la définition légitime du parti et pour le droit de parler

au nom de l’entité et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à entretenir

l’existence ou plutôt la croyance en l’existence »1.

1 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006, pp.24-25

282

Or, pour des raisons de simplification analytique, on observe dans la littérature dominante une

approche « réifiante » des partis politiques et de leur homogénéité1. En effet, le présupposé du « gel

des clivages » dans les démocraties occidentales, a conduit à ce que la plupart des théoriciens des

coalitions -aussi bien en système parlementaires que présidentiels-, qui s’inscrivent à la croisée des

paradigmes néo-institutionnalistes et du choix rationnel, n’orientent leur analyse de manière

interpartisane, et considèrent les partis comme des acteurs unitaires, idéologiquement homogènes2.

La dimension intra-partisane relèverait d’une « boîte noire », dont la portée est largement

minimisée car difficilement accessible. C’est sur ce présupposé que reposent les travaux qui traitent

des relations de « préférence » des partis en matière de coopération. Celles-ci s’établiraient en effet

en fonction de leurs supposées « positions idéologiques unitaires »3 qui seraient déterminées, pour

les plus sophistiquées, par l’étude des « manifestes partisans ».

Suivant cette approche, les leaders partisans constituent autant de « gardiens du temple », qui

veillent à la fois sur le maintien de la marque partisane et sur l’unicité du parti. Ce présupposé a

conduit à ce que s’opère une approche exogène des partis comme des «faits donnés», où toutes les

sous-unités seraient homogènes et cohésionnées entre-elles et agiraient de façon cohérente sur un

champ temporel figé, car ces sous-unités seraient liées par un intérêt et une stratégie commune4. De

ce fait, les coalitions gouvernementales se limiteraient à n’être que la somme des intérêts des partis

« unifiés » qui les composent, et cela vers un but (ou « utilité ») commun(e). L’élaboration du

modèle d’analyse supplante ainsi le propre objet d’analyse, jusqu’en devenir le propos d’étude, ce

qui explique en grande parti le caractère abstrait de ces travaux et leur faible capacité prédictive.

Michel Offerlé résume ainsi cet argument en insistant sur le fait que cette approche constitue :

«…tout le problème de la sociologie des alliances et de la théorie des coalitions où l’on considère

que les choses que l’on additionne sont suffisamment unifiées pour qu’on puisse faire l’économie

de la sociologie interne »5

Pus récemment un nombre croissant de travaux, essentiellement parlementaristes6, s’est intéressé

à la dimension intra-partisane, et donc au « liant » intra-partisan. La principale grille de lecture

1 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la

gauche à Calais (1971-2005) », Thèse de doctorat, Université de Lille 2, Décembre 2006. 2 Et ce jusque récemment, à titre d’exemple, MÜLLER, W., et STRØM, K., “The keys to togertheness: coalition

agreement in parliamentary democracies”, in The Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-282, et

STRØM, K., “A Behavioral Theory of Competitive Political Parties”, in American Journal of Political Science, Vol.

34, No.2, 1990b, pp. 565-598. 3 Ordonnées sur des échelles linéaires.

4 SARTORI, G., Partidos y Sistemas de partidos: Marco para un análisis, Alianza Editorial, Madrid, 1980, pp. 97-111.

5 OFFERLE, M., et LECA, J., « Un Que sais-je ? en questions. Débat autour des partis politiques de Michel Offerlé »,

in Politix, Vol. 1, No. 2, 1988, p. 58. 6 GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party Politics and Coalition Governments, Routledge/ECPR, New York,

2009; BÄCK, H., et DUMONT, P., “Combining large-n and small-n strategies: The way forward in coalition research”,

283

passe par l’étude croisée de la cohérence partisane sur trois niveaux : i) idéologique, ii)

programmatique et iii) organisationnel ; et son impact sur l’aspect comportemental exprimé en

termes de cohésion ou « discipline » partisane. Ces notions sont généralement rapportées à celle

d’institutionnalisation des partis et des systèmes de partis, et semblent avancer l’hypothèse que a)

plus un parti est institutionnalisé et plus il présente un « degré de cohérence interne » élevé1, alors

b) plus le niveau de cohésion et de discipline partisane serait important, et donc plus leur degré de

« responsabilité » serait élevé. Dès lors les coalitions politiques structurées autour de ce type de

partis « cohérents » seraient donc censées être plus prévisibles et durables. Inversement, les partis

qui présentent des degrés de fractionnalisation interne élevés seraient moins propices à faire partie

de coalitions à cause de leur caractère supposément « imprévisible »2. Le Tableau 5.1, présente

ainsi la différence d’approche théorique en fonction de la présence d’acteurs partisans supposément

unitaires ou « homogènes » et d’acteurs plus « hétérogènes ». Nous serons amenés par la suite à

commenter et critiquer sa portée théorique, depuis les données empiriques des systèmes partisans

du Cône Sud.

Tableau 5. 1 : Différence théorique des considérations interpartisanes en fonction de

la « nature des partis » en présence.

Partis comme acteurs unitaires

Partis divisés ou “coalition

d’intérêts individuels”

Positions

politiques/

idéologiques

Position simple, affinités politiques clairement définies sur des bases idéologiques

Variété des positions idéologiques, affinités interpartisanes complexes

« options

coalitionnaires » Eventail simple, concernant la variété des

« préférences idéologiques »

Eventail ample et varié, préférences conflictuelles et divergentes de part la

variété des positions idéologiques.

Forme de la

négociation Bilatérale entre les différents leaders

partisans.

Multilatérale, entre les leaders de chaque faction interne et avec les leaders des

factions des différents partis.

Source : Laver et Schoffield (1990) et Reniu (2001)

in West European Politics, Vol. 30, No. 3, 2007, pp. 467-501; BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation”

in Party Politics, Vol. 14, No. 1, 2008, pp. 71-89; STEFURIUC, I., “Party unity in multi-level settings”, in

GIANNETTI, D., et BENOIT, K., op. cit pp. 86-100. A noter, toutefois, l’incursion dans ce domaine en système

présidentiel réalisée par ALTMAN, D., “The Politics of Coalition Formation and Survival In Multiparty Presidential

Democracies: The Case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283. 1 Notion entendue comme le degré d’homogénéité comportementale et identitaire entre les membres d’un parti autour

de questions substantielles. Voir RUIZ RODRIGUEZ, L., La coherencia partidista en América Latina : parlamentarios

y partidos, Cento de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2007. Nous sommes, néanmoins, tout-à-fait

conscient du caractère ambigü de la dénomination « membres », et de la représentativité des échantillons étudiés,

généralement législatifs ou autres « élites » partisanes. 2 BACK, H., “Intra-party politics and Coalition formation”, in Party Politics ,Vol 14, No.1, pp. 71–89

284

5.1.3. Cohérence, cohésion et discipline partisane : un modèle commun

d’application à la théorie des coalitions ?

Ces « mises à jour théoriques » sont venues enrichir l’approche dominante de la théorie des

coalitions, et ont ainsi renforcé l’ancrage de l’approche vers le paradigme du choix rationnel. En

effet, elles introduisent, en substance, certaines « variables indépendantes » et un niveau de

complexité au modèle d’analyse comportemental. Elles incluent, ainsi, une individualisation de la

dimension partisane au travers d’une modélisation des rapports internes aux coalitions autour d’une

relation de type principal-agent sur deux niveaux, entre trois acteurs fictifs issus de deux partis

coalisés X et Y : i) un membre α d’un parti X (parlementaire, ministre, etc…) ; ii) le chef β de ce

même parti X ; et iii) le chef λ du parti Y, et chef du gouvernement. Dans ce modèle simple1,

schématisé par la figure 5.1, le chef du parti X intervient comme principal de l’ensemble des

membres de son parti, lesquels détiennent un pouvoir d’action2 vis-à-vis de l’action

gouvernementale (vote au parlement, comportement ministériel, etc…), et intervient sur ceux-ci de

deux manières possibles : a) il peut exiger une discipline « coalitionnaire » avec le gouvernement ;

ou b) permettre que le comportement de chaque membre soit dicté par son libre arbitre.

Dans le même temps, le chef du parti X est également un « agent » du chef de parti Y –ou du

chef du gouvernement- auprès duquel il s’est engagé, généralement de manière tacite, à garantir et

préserver l’engagement de son parti en solidarité avec l’action gouvernementale. En résumé, β

détient un pouvoir de contrôle des actions des membres de son parti, tout en répondant de l’action

collective de son parti auprès de λ.

1 Voir, notamment, LAVER, M.,“Devided parties, devided government”, in Legislative Studies Quarterly. Vol. 24.

No.1, 1999, pp. 5-29. 2 A ne pas confondre avec le « pouvoir de véto » conceptualisé par George Tsebelis

285

Figure 5.1 : modèle de relation intra-partisane et solidarité coalitionnaire

La capacité de β à faire respecter l’engagement solidaire vis-à-vis de λ, sur les membres de son

parti, est ainsi conditionnée par la marge de manœuvre que ce même leader à imposé à l’intérieur

de son parti. Le pouvoir et la légitimité de sanction envers un membre α non-solidaire, est donc

moindre dans le cas où β permet le libre arbitre. En revanche, si β émet une directive de respect de

la cohésion de la coalition, et qu’un (ou plusieurs) membre(s) enfreint (enfreignent) cette consigne

disciplinaire, il revient alors à β, en fonction de l’impact de cet impair, de sanctionner le(s)

membre(s) rebelle(s). Le cas échéant, le non respect de la discipline coalitionnaire peut conduire

jusqu’au propre retrait du parti X de la coalition, en fonction des effets sur l’action du

gouvernement répercussions liés à ce manquement à la solidarité coalitionnaire, sur l’action et la

crédibilité du gouvernement ; et/ou des conséquences sur la propre cohésion du parti X1. Enfin,

chaque décision prise par β -sanction envers α ou rupture avec λ- est supposément déterminée en

fonction d’un rapport utile coût/bénéfice.

1 Perception en interne de la sanction ou de l’absence de sanction envers α.

Source : Laver (1999)

Non respectée

Liberté d’action autorisée

β α β λ

Dimension intra-partisane

286

Pour autant, malgré l’introduction de l’éventualité de la « complexité » intra-partisane, les

relations, schématisée par la figure 5.1, sont toujours considérées d’un point de vue utilitariste, dont

l’acteur central est le leader du parti, conformément à la notion de parti institutionnalisé (voir supra

2.1.1). Nous avons pourtant montré précédemment que la notion même de partis

« institutionnalisés » relevait d’une conception particulièrement ample où n’entrait pas

nécessairement en considération, contrairement à ce qui est largement préconisé, la définition d’une

ligne idéologique ou programmatique durable et unique. Ainsi, les grands regroupements partisans

décrits par Otto Kirshheimer comme « attrape-tout » (catch all), se structurent-ils sur des bases

sociales autrement différentes1, et présentent de degrés d’hétérogénéité plus ou moins amples et

plus ou moins institutionnalisés (en courants, mouvances, fractions…), et des « liants » tout aussi

divers et variés (patronage, relation personnelles, etc…). Les partis « d’idéologies », largement

considérés comme l’essence-même des partis (ou « partis 0 ») ne constituent, finalement, qu’une

sorte -ou type- de partis, dont la proportion tend à être de moins en moins courante2. Nous

convenons, cependant, en accord avec la théorie de l’action collective que les partis politiques

recherchent en général, le plus possible, à se prévenir de tout action individuelle, de type passager

clandestin, contraire à l’intérêt « général » du parti, via l’établissement de motivations

(rétributions) ou sanctions3.

Par ailleurs, la configuration constitutionnelle présidentielle semble interférer sur la forme de

structuration organisationnelle des partis politiques puisqu’elle structure, entre autres, la

compétition partisane de manière nationale autour de la propre élection présidentielle. Léon Epstein

a ainsi montré que le système présidentiel présente une compétition politique duale : la compétition

pour la présidence (ou le gouvernement), et la compétition pour les sièges parlementaires. Cette

dernière est une compétition plus régionale ou « provinciale »4, à l’inverse la compétition pour le

gouvernement est par nature nationale. En somme, en régime présidentiel5, les partis qui

ambitionnent de faire parti du gouvernement se doivent donc d’adopter une porté nationale et faire

partie de la compétition sur l’ensemble (ou la majeure partie) du territoire national. Et cela, soit en

présentant un candidat, soit en s’alliant dans une coalition électorale. Sans compter que l’élection

1 Voir supra, chapitre 2.

2 La pesonnalisation des partis ne constitue-t-elle pas d’ailleurs l’une des caractéristiques de la “démocratie du public”

telle que la décrit Bernard Manin? Ce dernier centrant pourtant son analyse de la « métamorphose du gouvernement

représentatif », essentiellement sur les démocraties d’Europe occidentale. Voir MANIN, B., Principes du gouvernement

représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995] ; ABAL MEDINA, J. “Elementos teóricos para el análisis

contemporáneo de los partidos políticos: un reordenamiento del campo semántico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL

MEDINA, J., El Asedio a la Política, Homo Sapiens – Konrad Adenauer, Rosário, 2003, pp 33-55. 3 Le plus souvent directe : politique (risque d’exclusion du parti) ou financière ; mais également indirecte : sociale (non

valorisation ou rétribution à des membres proches, etc…). Encore faut-il établir quel est l’intérêt du parti… 4 Excepté, partiellement, en Uruguay où les sénateurs sont élus sur une circonscription nationale unique.

5 Et d’une certaine manière en système semi-présidentiel

287

présidentielle constitue le point de repère et d’ancrage de la compétition électorale, autour de

laquelle s’identifient et s’alignent les candidats parlementaires, ce qui leur permet ainsi de garder

une certaine autonomie1. La figure présidentielle (ou celle du candidat à la présidentielle) constitue

alors le principal liant entre les parlementaires (ou candidats parlementaires), et de sa popularité

nationale peut dépendre leurs résultats à l’échelle locale.

Cette dualité comportementale et organisationnelle, à la fois locale et nationale, peut donc

contribuer à ce que la structuration des partis politiques en système présidentiel et leur cohérence

interne –surtout idéologique-, ne présente des niveaux plus lâches qu’en système parlementaire2,

via la délégation de l’image partisane auprès du président, ou du candidat à la présidence. Enfin, le

cas uruguayen nous a éclairé précédemment sur le fait que les partis en système présidentiel ne

contiennent pas nécessairement « un » leader institutionnalisé car élu comme « chef » de parti, ce

rôle revient alors le plus souvent au candidat à la présidentielle, ou au candidat le de la fraction la

plus votée lorsque la loi électorale permettait la multiplication des candidatures partisanes à la

présidentielle. De même, on retrouve en régime présidentiel certains postes intermédiaires qui ne

sont pas toujours séparés en régime parlementaire (chef de parti, président du parti dans les diverses

chambres parlementaires, président du directoire, etc…), sans compter sur les figures du parti ou

« barons » dont l’aura peut venir concurrencer voir court-circuiter l’autorité du chef de parti en

exercice, tels les anciens présidents ou anciens candidats à la présidentielle etc…

De ce fait, la configuration présidentielle semble « affecter » le type de partis en lice, du moins

dans leur dimension organique, où ceux-ci paraissent présenter une présidentialisation -donc

« hiérarchisation »- de leur structure organisationnelle3. Les partis, même institutionnalisés,

lorsqu’ils sont d’envergure nationale sont considérés comme structurés pour l’élection

présidentielle, en ce sens qu’ils présenteraient un niveau d’hétérogénéité importante autour de la

« marque » du parti, lequel est le seul à même de faire accéder ses membres à des postes de

pouvoir. Ils présenteraient ainsi des niveaux de délégation interne auprès de l’agent « leader

partisan » (ou « président ») plus élevé qu’en système parlementaire. Ceci, en raison de l’absence

théorique de contrôle partisan et parlementaire sur l’action du président. Les partis

« présidentialisés » paraissent ainsi présenter des configurations plus « fédérales » que les partis

parlementaires, qui contrôlent à la fois le vote partisan et la « survie » de l’exécutif, et sont ainsi

1 Comme nous l’avons précisé au chapitre 3.

2 Pour une analyse éclairante sur l’impact de la separation des pouvoirs sur la structuration des partis, voir EPSTEIN,

L., Political parties in the American mold, University of Wisconsin Press, Madison, 1986. 3 SAMUELS, D., et SHUGART, M., op. cit.

288

orientés autour de l’élection présidentielle puis du président ou du « candidat » à l’élection

présidentielle :

« … à l’inverse des systèmes parlementaires, la configuration présidentielle pousse les partis à

décider comment ils vont allouer leurs ressources et personnel sur les deux niveaux, exécutif et

législatif, et ce souvent de manière simultanée. En général, on peut s’attendre à ce que les partis

ayant une option dans la course présidentielle concentrent leurs efforts et ressources sur cette

élection plutôt que sur les élections parlementaires […]. Cela parce que les candidats

présidentiels obtiennent la part du lion en terme de financement et de couverture médiatique et

parce que le parti organise généralement des candidatures présidentielles et peut également

contrôler le financement des campagnes, les candidats à des fonctions législatives peuvent

demander un soutien organisationnel et financier du parti national et / ou de son candidat. L’effet

d’entraîne présidentiel pouvant gonfler une marge de victoire – ou même fournir la marge de

victoire suffisante- pour des candidats parlementaires ou pour la totalité de leur liste électorale.

L’organisation électorale du parti [présidentiel] va ainsi concentrer ses efforts pour la victoire

dans la course présidentielle plutôt qu’à gagner des sièges parlementaires. » 1

La sélection du candidat -lorsqu’il y en a-, ou le choix d’appuyer un candidat commun entre

plusieurs partis, est d’autant plus importante qu’elle marque une ligne de conduite, de position et de

soutien de l’ensemble de l’appareil partisan face à l’élection, puis face à l’opposition une fois en

place. Dans le cas de coalitions électorales ceci suppose des éléments de « compensation » envers

les partis, et leurs membres, qui renoncent à présenter un candidat propre et soutiennent un candidat

issu d’un autre parti que le leur. La section qui suit vient tester ces postulats en décrivant les lignes

de relations internes des partis du Cône sud, puis les types de connexité des coalitions

gouvernementales dans ces mêmes pays. Nous verrons ainsi quelle est la portée de la différence de

« nature » des partis politiques en système présidentiels sur la cohérence et la cohésion interne.

5.2 Cohérence partisane et « cohésion coalitionnaire » dans le Cône Sud.

Les trois pays qui constituent le terrain d’étude de cette thèse ont en commun le fait de présenter

les systèmes partisans généralement considérés comme les plus institutionnalisés2 et routinisés de la

région latino-américaine. En effet, nous avons déjà insisté sur le fait que le recouvrement de la

démocratie par ces trois pays n’a constitué ni une « inauguration » démocratique ni, non plus,

d’inauguration du propre système partisan : la plupart des acteurs en compétition et qui participent

de la transition à la démocratie, sont les mêmes acteurs en place avant l’occurrence des coups

d’Etat et/ou, dans le cas chilien, des éléments qui se placent comme héritiers du régime militaire

récemment conclus. D’où le fait que ces mêmes acteurs ont dû expérimenter, durant la période

1 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in

Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 467-8. Traduction propre. 2 Voir notre critique à cette notion, aux chapitres 2 et 3.

289

autoritaire puis celle de transition démocratique, des phases similaires de tensions internes s’étalant

de l’insoumission/ résistance armée, au soutien du régime, en passant par l’acceptation de la

négociation « pactée »1. Le cas de l’Argentine diffère quelque peu, puisque les partis ont « hérité »

de la démocratie sans pour autant l’avoir réellement négociée, ce qui a conduit notamment à ce que

les partis argentins n’aient pas eu à réaliser d’aggiornamento profond de leurs postures

idéologiques, stratégiques et organisationnelles.

Aussi, ces contextes à la fois semblables et distincts, aident-ils et renforcent-ils, à la fois, la

pertinence de la comparaison et l’analyse des processus d’inférence que nous prétendons mettre en

évidence dans cette sous-section. Nous pouvons alors d’ores et déjà avancer que la nature des partis

et leur structuration interne, génératrice de « culture politique partisane »2, ont influé si ce n’est

conditionné le type de relation interpartisane, et par là-même le succès des processus de coalitions

gouvernementales.

S’il est une dimension qui fait parti des postulats sur les régimes présidentiels, qui est vérifiée

dans nos trois cas d’étude, et que l’on peut largement appliquer à la totalité des autres systèmes

présidentiels des Amériques, c’est le caractère et la portée nationale des acteurs faisant partie des

gouvernements. En effet, si les gouvernements peuvent de temps à autres former des accords de

type « pacte législatif », plus ou moins formels et plus ou moins « rétribués », avec des législateurs

indépendants ou issus de partis « provinciaux »3 -lorsque des partis de ce type possèdent une

représentation parlementaire-, encore est-il important de noter que les gouvernements de coalition,

dans la configuration constitutionnelle présidentialiste ne sont formés que par des acteurs partisans

dont la projection est nationale4.

Considérons enfin un élément central de distinction entre systèmes présidentiels et

parlementaire en termes d’éléments de canalisation interne : le candidat à l’élection présidentielle,

et/ou le président élu, n’est pas automatiquement le chef du parti5, contrairement à ce qui se passe

1 Nous avons précédemment évoqué des réserves quant à la dimension « pactée » de la transition chilienne. Voir supra

chapitre 3. 2 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle : Revue d'histoire, Vol. 35, No. 1, 1992, pp.

67 – 77. 3 Voir, entre autres, pour le cas Argentin: ALONSO, M. E., « Le vote des partis provinciaux en Argentine (1983-

1999) », in BLANQUER, J.M., et alii, Voter dans les Amériques, op. cit,, pp.137- 149 ; CALVO, E., ESCOLAR, M.

La nueva política de partidos en la Argentina: Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral,

Prometeo/ Pent, Buenos Aires, 2005 4 Nous nous réferrerons aux acteurs a-partisans, aux technocrates et autres « indépendants », utérieurement. C’est une

autre question que la « cible » électorale. Ainsi certains partis à portée nationale possédant un discours ethnique -donc

vers une partie aussi majoritaire soit-elle- de la population nationale, se sont retrouvé à former des gouvernements de

coalitions. Le cas typique est le Movimiento Pachakutik en Equateur. 5 L’exemple des deux dernières candidatures présidentielles de la Concertación ou ni Michelle Bachelet ni Eduardo

Frei n’étaient les chefs respectifs de leurs partis vient illustrer ce propos. Plus généralement, l’introduction graduelle

des processus de primaire vient rajouter un élément de complexité dans les hiérarchies des partis. Voir infra chapitre 6.

290

en régime parlementaire où le premier ministre est, presque automatiquement, le chef du parti le

plus voté (qu’il s’agisse d’un gouvernement de coalition ou d’un gouvernement monocolore)1.

5.2.1 La cohérence interne des partis dans le Cône Sud

Ainsi, si l’on s’attarde aux cas qui contiennent des partis régionalistes présents à la chambre des

députés, l’unique cas de figure de notre terrain d’étude qui présente cette particularité est

l’Argentine. Notons, à titre de nuance, que si l’assise électorale du FREPASO Argentin repose

essentiellement sur la ville autonome Buenos Aires et les provinces de Buenos Aires2 et Santa Fe,

son discours et sa portée restent nationaux. Aussi, aucun membre d’un parti provincial n’a fait parti

d’un gouvernement au niveau national en Argentine. Cette précision est un nouvel élément

distinctif des gouvernements de coalition en systèmes présidentiels avec ceux propres aux systèmes

parlementaires, où la recherche d’une majorité parlementaire à conduit à ce que des gouvernements

de coalitions incluent des ministres dont l’origine partisane est ancrée sur des positions

régionalistes voire « autonomistes » (Partis a Portée Non Nationale, PPNN). Les cas italiens ou

belges constituent autant d’exemples récents3 de l’intégration de PPNN au sein de gouvernements

nationaux, ce qui inclue un niveau de complexité additionnelle pour les membres « régionalistes »

des gouvernements respectifs quant à la portée de leur action et la cohérence de leurs positions dans

le gouvernement national, vis-à-vis de leur discours et légitimité électorale, lesquelles sont

essentiellement locales.

La composition et organisation des partis argentins et uruguayens paraissent présenter des

similitudes organiques en ce sens que les deux partis « traditionnels » des deux pays -l’Unión

Cívica Radical (UCR) et le Partido Justicialista (PJ) pour l’Argentine, et le Partido Colorado (PC)

et le Partido Nacional (PN) pour l’Uruguay-, sont de par leurs origines des partis de type « attrape-

tout », en ce sens que ce ne sont pas des partis à structuration et filiation programmatique ou

idéologique, mais plutôt clientélaires4. Non pas que ces partis et leurs membres soient dépourvus

d’idéologie, mais celle-ci ne constitue pas le « liant » structurel entre les agents qui forment ces

1 CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government Coalitions and Legislative Success Under

Presidentialism and Parliamentarism”, in British Journal Of Political Science, Vol. 34, 2004, pp. 565–587 2 Le decoupage administratif en Argentine a, en effet, “découplé” la ville de Buenos Aires d’avec la Province de

Buenos Aires. La première constituant une sorte de District Fédéral, à l’image de Washington D.C, aux Etats-Unis, ou

Mexico D.F, au Mexique. Notons, dès lors, que la ville de Buenos Aires constitue traditionnellement un « fief » de

l’UCR, alors que la province de Buenos Aires est depuis les années 1940 le principal réservoir électoral du Péronisme. 3 En Italie la Ligue du Nord, et en Belgique le parti autonomiste flamand sont autant d’exemples récents où des partis

dont l’assise est strictement « provinciale » ou « régionale », ont fait partie de gouvernements de coalitions à l’échelle

nationale. 4 KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010

291

partis, et dans leur relation avec leur électorat. Les partis traditionnels argentins et uruguayens

comptent en effet de nombreux courants ou « fractions » internes1, dont la diversité en termes de

positions politiques recouvre pratiquement tout le spectre traditionnel de type droite/gauche,

comme nous l’avons montré supra, aux chapitres 2 et 3.

a. Mode de structuration des partis traditionnels uruguayens

Cette dimension interne des partis est particulièrement importante dans le cas uruguayen, où la

formation des partis se rapproche d’une forme « confédérale ». Les fractions (lemas) internes y sont

particulièrement institutionnalisées et fortes, les partis n’ont pas de réel leader unique (pas de ‘chef’

de partis) mais une kyrielle de leaders de fractions, plus ou moins autonomes, ce qui rappelle la

caractérisation du réseau ou « semi-réseau » établit par Vincent Lemieux, telle que nous l’avons

précédemment montré. Le Partido Nacional présente, toutefois, un taux de fractionnement interne

traditionnellement moins important que le Partido Colorado, et une structuration clientélaire et

caudillesque plus prononcée.

En Uruguay les partis ne sont pas simplement divisés verticalement autour de la dichotomie

élites/ base militante, comme le prévoit la théorie traditionnelle sur la division des stratégies

partisanes, mais aussi et surtout de manière horizontale, autrement dit entre les propres élites. Ce

phénomène -l’autonomie des fractions- était d’ailleurs favorisé jusque 1994 par la loi électorale dite

de « double vote simultané »2, où les électeurs en plus de voter de manière simultanée pour les

présidentielles, législatives et municipales, devaient choisir un lema à l’intérieur des partis, ce qui

contribuait donc à ce que la compétition ait lieu aussi bien de forme interpartisane qu’intra-

partisane (inter-fractionnelle), les partis n’avaient ainsi aucun réel contrôle sur la sélection et

nomination des candidats de manière centralisée. Cette structuration organisationnelle des partis

uruguayens constitue la base de la culture gouvernementale du pays, puisque c’est suivant ce

principe que les lemas des deux principaux partis ont conduit à la formation de co-gouvernements

pratiquement tout au long du XXe siècle, où certains lemas du parti arrivé second (le plus souvent

le Partido Nacional) s’engageaient à participer au gouvernement alors que le gros du parti

demeurait dans l’opposition3. Rappelons également que ce sont des fractions progressistes

coloradas et blancas ayant fait sécession avec leur parti d’origine qui sont à la base de la formation

1 Nous reprennons le concept de Giovanni Sartori pour nous référer aux sous-unités partisanes structurés et visibles

influant i) sur le degré de cohésion et/ou de dispersion intra-partisane ; et ii) les formes et moyens d’intéractions intra-

partisane. Voir SARTORI, G., Partidos y Sistemas de partidos…, op. cit., p.102. 2 Voir supra chapitre 2.

3 Voir supra chapitre 2.2.1

292

de certains partis (dont le Frente Amplio1 ainsi que l’éphémère Nuevo Espacio), notamment sur des

bases programmatiques.

Le changement de loi électorale, avec la réforme constitutionnelle de 1996, et l’instauration de

primaires obligatoires en vue de la sélection d’un seul candidat à la présidentielle par parti, consiste

en une récupération, pour les appareils partisans, des facultés de sélection et nominations des

candidats présidentiels et donc du contrôle sur les différents candidats. Ceci a eu pour effet une

diminution du nombre des fractions (voir supra graphique 2.1) et un recentrage du parti autour de la

figure présidentielle, et/ou des candidats à la présidentielle. De plus, l’avènement des années 1990

et l’amorce de la « seconde transition » uruguayenne, cumulée à ce recentrage politique autour d’un

nombre réduit de fractions, ont conduit à une transformation organisationnelle des partis

traditionnels uruguayens et de leurs liens d’affiliation électorale. Les partis uruguayens semblent

dès lors s’articuler de manière de plus en plus claire sur des bases de type programmatiques et

idéologiques.

L’évolution récente des partis uruguayens est également structurelle et organisationnelle. La

multiplicité des lemas a conduit à ce que les partis soient traditionnellement fortement inclusifs,

compénétrant la société uruguayenne dans sa quasi-totalité, sans pour autant correspondre au

schéma du « parti de masse » comme décrit par Maurice Duverger2. Or, si le caractère inclusif de

ces partis se fait plus évident en milieux urbains, et tout particulièrement à Montevideo, les liens

sont plus verticaux et clientélistes dans le reste du pays. C’est d’ailleurs sur une approche inclusive

et participative que le Frente Amplio a capitalisé son ascension dans les années 1970, à Montevideo

justement, puis au recouvrement de la démocratie alors que les partis traditionnels -et le Partido

Colorado en particulier- commençaient à amorcer une transformation de leur organisation suivant

une logique de type « cartellisante »3, autrement dit de gouvernance sans assise militante

4. C’est

donc assez logiquement que l’assise électorale et militante du FA se retrouve dans les centres

urbains, et plus particulièrement à Montevideo, y délogeant le Partido Colorado5.

L’expérimentation des coalitions gouvernementales en Uruguay depuis le gouvernement de Luis

Alberto Lacalle, semble donc avoir amorcé auprès des partis traditionnels une convergence

1 Se « confédérant » avec les partis d’idéologies (Parti Socialiste, Parti Communiste, Démocratie Chrétienne),

jusqu’alors largement minoritaires dans l’espasce politique uruguayen. 2 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].

3 Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay: una partidocracia de consenso”, in Política.

Vol. 42, 2004, pp. 221-248; YAFFE, J., “Institucionalización y adaptación partidaria: el caso del frente amplio

(Uruguay)”, communication présentée lors du XII Congrès de Latinoamericanistes espagnols, Santander, Septembre

2006. 4 Sur le thème des “partis sans le peuple” voir infra chapitre 6.

5 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Ed.

Linardi y Risso, Montevideo, 2005.

293

interpartisane ainsi qu’une confluence intra partisane autour de partis de plus en plus cohérents

idéologiquement et structurellement parlant1. Le Partido Nacional tout d’abord, puis le Partido

Colorado tendent, depuis la fin du XXe siècle à une unicité et personnification croissante de leurs

structures. Cette tendance est, récemment plus prononcée pour le Partido Colorado (autour de la

figure de « Pedro » Bordaberry), que pour le PN qui maintien un certain équilibre bi-personnel

(autour des figures de Lacalle et de Larrañaga).

b. Structuration des partis de l’Alianza argentine au retour de la démocratie

Dans le cas argentin, l’organisation fédérale de l’Etat joue un rôle important dans la diversité

idéologique et sociologique des membres des deux grands partis. Néanmoins dans le cas du

FREPASO, celui-ci semblait présenter une ligne interne plus cohérente de par sa dimension

originelle où ses membres fondateurs depuis la création du MODEJUSO puis du Frente Grande2,

proviennent de l’aile progressiste et réformiste du PJ, notamment capitalien, et surtout du courant

anti-Menem. L’agrandissement du Front via l’inclusion de nouveaux groupes, tous progressistes

mais dotés d’une culture particulière, va renforcer la dimension confédérale du parti. Toutefois,

malgré une inspiration fondatrice inspirée du modèle du Frente Amplio uruguayen, le FREPASO

demeure un « parti [argentin] comme un autre »3, en ce sens que la figure d’un leader ou d’un chef

demeure très ancrée dans la culture politique argentine, et que les divisions internes sont beaucoup

moins institutionnalisées que les lemas uruguayens. Les sous-divisions des partis argentins tiennent

ainsi plus des « courants » que des « fractions », dont les structures d’organisations et des relations

reposent davantage sur des bases personnelles et informelles.

L’organisation interne des partis argentins se rapprochent alors de la conception de « quasi-

appareil », de Vincent Lemieux, où des agents autonomes viennent à cohabiter au sein d’une même

structure partisane, laquelle est ainsi dirigée par un leader fort. Cet élément est important en ce sens

que bien que l’on retrouve les mêmes variations idéologiques à l’intérieur des partis argentins que

1 Voir ALCÁNTARA, M., et LUNA, J.P., “Ideología y competencia partidaria en dos post-transiciones: Chile y

Uruguay en perspectiva comparada”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, Santiago du Chili, 2004, pp 128-

168; GARCE, A., “La partitura, la orquesta, el director y algo más”, in LANZARO, J., La “segunda” transición en el

Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 339-377; et BUQUET, D., «Elecciones

uruguayas 2004: el largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana Nordic Journal of Latin

American and Caribbean Studies, Vol. 34, No.1-2, 2004, pp. 65-95. 2 Rappelons que le Frepaso argentin était un parti “confédéré” incluant sous la même marque partisane de nombreuses

structures partisanes pré-existantes (notament des secteurs communistes, la démocratie chrétienne, des « radicaux

indépendants », ect .), à l’image du Frente Amplio uruguayen, mais dont la base organique est constituée par les huit

péronistes dissidents qui se rassemblent autour du MOvimiento por la DEmocracia y la JUsticia SOcial (Modejuso),

puis Fredejuso (la dimension mouvementiste « movimiento », étant reléguée au profit d’une dimension frontiste,

« frente ») qui deviendra par la suite le « Frente Grande » (Grand front). 3 JOZAMI, E., Final sin gloria: Un balance del Frepaso y de la Alianza, Editoriales Biblos, Buenos Aires, 2004, p.81.

294

celles existant au sein des partis uruguayens, la possibilité de collaborer avec d’autre forces, ou de

manifester publiquement son opposition au leader tout en restant au sein du parti, est normalement

exclue1. De même, historiquement, et malgré la cohérence programmatique et idéologique

particulièrement faible à l’intérieur des partis traditionnels argentins, la cohésion partisane et la

discipline partisane semblent de mise. Le comportement politique, qui constitue ici le « liant »

partisan, est donc davantage dicté par des questions d’ordre motivationnelles et stratégiques plutôt

qu’idéologiques, en raison de la nature hégémonique de ces partis « traditionnels ». La diversité

sociologique des agents des partis, qui compose la nature-même des partis argentins et cause leur

caractéristique « non-institutionnalisée »2, est d’autant plus manifeste après le retour à la

démocratie où se conjuguent deux éléments majeurs au sein des deux grands partis : i)

l’apprentissage du « péronisme sans Perón », où l’acéphalie organique contribue à l’expression

publique des différentes lignes de tensions internes à défaut d’une figure « ordonnatrice », cette

même acéphalie facilitant l’émergence et la structuration de lignes « rénovatrices » autour

d’Antonio Cafiero, finalement battues par les « caciques » favorables à Menem et la sortie

postérieure du « groupe des huit », et futur noyau dur du MODEJUSO ; ii) le ré-agroupement des

radicalismes, qui après la sortie, dans les années 1950-1960, de nombreuses fractions se réclamant

du Radicalisme « intransigeant », « historique », ou autre, se sont rejoint pour garantir l’élection de

Raúl Alfonsín et la gouvernabilité de son gouvernement3, tout en gardant leur lignes propres ce qui

influe directement sur le caractère confédéral de la structuration du parti.

Ce deuxième point est particulièrement pertinent puisqu’alors que le PJ affichait une certaine

cohésion comportementale autour de la figure et la gestion du président Carlos Menem, surtout

après la sortie des fractions progressistes ; l’UCR, elle, après la gestion mouvementée de la fin du

gouvernement Alfonsín4 et les mauvais résultats électoraux du début des années 1990, s’engluait

dans une lutte interne de leadership qui opposait un secteur pro-Alfonsin à une ligne plus

1 Récemment, toutefois, sous la première présidence de Cristina Fernández de Kirchner, des dissidents péronistes dont

les plus médiatiques sont Felipe Solá et Francisco De Narváez, ont fait part publiquement de leur opposition au

gouvernement et mené deux campagnes électorales contre la présidence Kirchner, tout en maintenant « l’étiquette »

justicialiste. 2 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo

Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, p. 673; CAVAROZZI, M., “El esquema partidario argentino: partidos viejos,

sistema débil”, in CAVAROZZI, M., et GARRETÓN, M., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el

autoritarismo y las transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989, pp. 299- 334; CAVAROZZI, M. “Cómo una

democracia de libro de texto desembocó en un régimen de partido único... es el peronismo estúpido”, in Política, Vol.

42, 2004, pp. 207-220. 3 A noter que le “Parti Intransigeant”, bien que modeste, est resté indépendant.

4 L’echec du “plan austral” contre l’inflation a conduit à un effet inverse à son propos puisque, en dépit de

l’instauration d’un nouveau « plan primavera », l’année 1989 sera marquée par des taux d’hyperinflation supérieurs à

2000% (données CEPAL), et où le président sortant à dû écourter son mandat pour favoriser l’assomption du nouvel

élu, Carlos Menem.

295

conservatrice organisée autour de la figure porteña de Fernando De la Rúa, autour de questions

socio-économiques et stratégiques1.

Le caractère organisationnel des partis argentins, est un structurant de la compétition

interpartisane et de la relation intra-partisane. Essentiellement verticaux, ils s’organisent et se

positionnent autour de leur chef, président ou candidat à l’élection. Ceci explique en parti les

changements de cap idéologiques opérés, ainsi que les postulats décrivant leur faible

institutionnalisation. Dans ce sens, le FREPASO, du fait de sa nature confédérale, se voulait un

parti inclusif et mû par une cohérence idéologique résumée par la définition d’un « ennemi »

commun. Graciela Fernández Meijide le résume ainsi :

«Les gens se rapprochaient de nous parce qu’on gagnait… et nous on ne leur faisait pas

d’examen de salive ni rien… on exigeait juste que ce ne soient pas des corrompus… on était très

hétérogènes, mais avec un ennemi identifié : Menem »2

Toutefois, sa structuration et les modes de prises de décisions internes, reproduisaient à leur tour

les schémas traditionnels des partis argentins, présentant une forte centralisation et dépendance

autour du leader Carlos Chacho Alvarez. C’est cette même dépendance, combinée à l’absence de

structures partisanes fortes de par l’ascension fulgurante du parti, qui conduisent à l’éclatement du

parti en 20003. Ainsi Graciela Meijide reprend :

« on n’avait pas d’appareil mais on savait communiquer, on a tous appris à dominer l’image et

on avait de quoi parler… Nous sommes apparus et avons progressé parce que nous nous sommes

construits comme une espérance, ce qui est très bien parce que les gens ont voté pour nous, mais

dangereux parce qu’en même temps ils attendaient tout de nous… »

c. Cohérence et cohésion au sein de la Concertación chilienne

Les partis chiliens, traditionnellement considérés comme des prototypes de partis à l’européenne

(comprendre « dont les liens de d’appartenance reposent sur des bases programmatiques»), ne sont,

à leur tour, pas des acteurs unitaires à proprement parler. Dans la (re)structuration récente de ces

partis, et plus particulièrement ceux qui ont formé la Concertación après le retour à la démocratie,

1 Le courant pro-Alfonsin plus “progressiste” et ouvert à d’éventuelles alliances; le courant pro-De la Rúa plus en

faveur de mesures économiques – néolibérale- alors en vogue, et tenant de la ligne « hégémonique » de l’UCR. Voir

NOVARO, M., “Presidentes, equilibrios institucionales y coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in

LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,

pp.51-100. 2 Entretien réalisé le 14/06/2011. Traduction propre.

3 FERNANDEZ MEIJIDE, G., La Ilusión El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial Sudamericana, Buenos

Aires, 2007. Dans une certaine manière María Matilde Ollier laissait entrevoir cette perspective en 2001, lorsqu’elle

parlait, en évoquant le Frepaso, d’un “leadership fort, mais parti faible”, in OLLIER, M., Las coaliciones politicas en la

Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2001, p.40.

296

deux éléments viennent participer à la constitution de « lignes » ou « courants » internes plus ou

moins structurés : i) la position individuelle vis-à-vis du régime de Pinochet graduée en fonction

d’une posture d’opposition frontale voire de lutte armée (particulièrement clivante à l’intérieure du

Parti Socialiste chilien –PSch- et certains éléments du Parti Pour la Démocratie –PPD-),

l’acceptation de la « règle du jeu » transitionnelle imposée par le régime, voire un soutien initial au

putsch de 1973 (fracture plus marquée au sein de la Démocratie Chrétienne) ; et ii) la part de l’exil

dans le développement des nouvelles élites partisanes et la constitution de réseaux nationaux et

internationaux. Ce second point est particulièrement important pour comprendre le postérieur

abandon du dogme de la lutte des classes de la part d’une frange importante du PSch et du PPD, et

leur conversion à la social-démocratie. Enfin, la création même du PPD constitue un élément

particulier en soi. Créé initialement comme plateforme d’unification des socialistes, dans une

période où les partis socialiste et communiste étaient proscrits par le régime, le PPD est venu attirer

de nombreux membres issus des différents mouvements progressistes ou révolutionnaires de la

période pré-autoritaire (notamment des membres du PC, PSch, Mapu, Izquierda Cristiana, etc.),

tout en se constituant comme un parti avec projection essentiellement élitiste1, c'est-à-dire dénué

d’une base militante. Par conséquent, il n’est pas surprenant de retrouver, parmi les agents qui

forment ce parti, la plus importante concentration d’agents ayant suivi des études universitaires

avancées, là où d’autres partis sont constitués de manière plus (notamment la démocratie

chrétienne) ou moins importante d’élites ayant suivi une progression « militante ». Le PPD

apparaît, de ce fait, comme un parti sociologiquement plus homogène que les autres partis chiliens.

D’ailleurs, les résultats du questionnaire réalisé auprès d’élites politiques du Chili semblent refléter

une certaine homogénéité philosophique intra-partisane en présentant des degrés significatifs de

concentration idéologique et de « perception » partisane.

Ainsi, si nous nous penchons sur les influences philosophiques des personnels interrogés, parti

par parti en nous concentrant essentiellement sur les trois principaux partis –PDC, PSch et PPD-,

nous pouvons apprécier de manière comparée dans les graphiques 5.1, 5.2 et 5.3, des disparités

internes en termes relativement limités et une faible dimension clivante parmi les élites politiques

de ces trois principaux partis2. De manière peu surprenante, c’est le Parti Démocrate Chrétien qui

par son caractère polymorphique et l’absence de rénovation philosophique forte, présente les plus

1 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfi les dirigenciales y

trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y

política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 2 Au cours de cette thèse nous n’avons pas rapporté de données sur le Parti Radical Social Démocrate (PRSD), pour des

raisons aussi bien fonctionnelles (absences de « sources » fiables et pertinentes) qu’ontologiques : le parti ayant une

dimension essentiellement instrumentaliste, et étant maintenu de manière quasi « artificielle ».

297

fortes variations internes, notamment en termes socio-économiques et de valeurs. Le PPD et le

PSch affichent des profils relativement similaires, d’où l’hypothèse d’une plus grande homogénéité

comportementale parmi ces deux partis, par rapport au PDC.

La forme organique des partis chiliens et leur structure d’organisation après le retour à la

démocratie demeure néanmoins particulièrement centralisée autour de la figure du chef de parti,

celui-ci est toutefois beaucoup plus instable que dans la plupart des démocraties européennes,

puisque la durée moyenne de permanence à la tête du parti, pour les deux partis « classiques » que

sont le PDC et le PSch, est inférieure à deux ans (respectivement 1.91 et 1.96 ans). Ces deux partis

connaissent une évolution organisationnelle profonde depuis le retour à la démocratie, et présentent

ainsi une professionnalisation ou « élitisation »1 rapide de leurs agents et des relations intra-

partisanes. En effet, ces deux partis traditionnellement composés d’un socle militant solide d’où ils

puisaient leurs leaders, ont entamé une mutation au cours des années 1990 marquées par une crise

des organisations militantes. La faible rénovation des élites partisanes et une homogénéisation

grandissante de celles-ci vers un profil plus technique et « professionnel » de la politique2, et par

cela un changement de la « culture partisane » de ces deux partis. Ainsi de partis participatifs et

inclusifs, ces partis sont devenus des plateformes d’ascension personnelle et, par ricochet, des

champs de lutte de pouvoirs personnels. Le PSch, dans ce registre, présente une cohérence externe

pragmatique « de sauvegarde », où la préservation de la marque socialiste reste centrale d’où une

moindre exposition médiatique, jusque récemment, des divisions internes existantes entre

socialistes « européisés » (ayant connu l’exil) et ceux qui sont restés au Chili sous la dictature (le

plus souvent dans la clandestinité ou détenus)3. Enfin, le PPD, constitue un cas paradigmatique de

partis de cadres ou « professionnels », sans réelle assise militante, constitué de professionnels de la

politique dont la plupart ont connu l’exil, et qui proviennent originellement de structures partisanes

diverses4, ce qui en fait le parti le plus stable ou « cohérent » idéologiquement. Tous trois

présentent, toutefois, de forts degrés de cohésion et de discipline interne (Voir infra).

1 Robert Michels parlerait « d’oligarchisation ». Voir MICHELS, R., Political Parties: A sociological study of the

oligarchical tendencies of modern democracies, Bartoche Books, Kitchener, 2001 [1916] 2 DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris, 2002. DAVILA, M.,

“Governing Together: The Concertación Administrations in Chile (1990-2009)”, thèse de doctorat, Université de

Caroline du Nord, Chapell Hill, 2010. 3 OTTONE, E., et MUÑOZ RIVEROS, S., Después de la quimera, Debate, Santiago, 2008; RUIZ RODRIGUEZ, L.,

“El sistema de partidos chileno: ¿hacia una desestructuración ideológica?”, in ALCÁNTARA, M., et RUIZ

RODRÍGUEZ L., Chile; Política y modernización democrática, Ed. Bellatera, Barcelone, 2006, pp. 73-109. 4 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas… » op. cit.

298

Graphique 5.1 : Influences philosophiques, PDC Graphique 5.2 : Influences philosophiques, PPD

Graphique 5.3 : Influences philosophiques, PSch

Dans cette organisation « d’appareils » partisans il est judicieux de considérer les éléments de

canalisation interne, où le candidat à l’élection présidentielle ou le président de la République bien

que référent dans la conduite de son parti ou sa coalition, contient toutefois des « relais » avec

lesquels il doit compter, tel que le(s) chef(s) de parti(s), le(s) chef(s) du(des) groupe(s) partisan(s) à

l’assemblée nationale, des figures institutionnelles (vice-président, président de chacune des

chambres du congrès, etc…), et autres « barons » partisans (les ex- présidents, les figures

historiques, etc…). Ces personnalités sont autant d’éléments négociateurs ou perturbateurs, qui

possèdent un réel un impact sur la connexité entre les sources du pouvoir et entre les agents

politiques institutionnels1.

1 Ainsi, la gestion du président du PSch, Camilo Escalona, sous la présidence de Michelle Bachelet, fut-elle fortement

critiquée de « staliniste », tant le contrôle du président du parti fut-il de tous les instants dans le maintien de la cohésion

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Christianisme

Libéralisme

Marxisme

Nationalisme

Néolibéralisme

Socialisme

Social Démocratie

Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Christianisme

Libéralisme

Marxisme

Nationalisme

Néolibéralisme

Socialisme

Social Démocratie

Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout

0% 20% 40% 60% 80% 100%

Christianisme

Libéralisme

Marxisme

Nationalisme

Néolibéralisme

Socialisme

Social Démocratie

Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout

299

5.2.2 Les formes de connexité des coalitions gouvernementales du Cône Sud

Maintenant que nous avons présenté les variations en terme de structuration des partis du Cône

Sud, il nous incombe de voir alors le « type » de connexité qu’ont engendré ces différences

organiques et d’analyser leur relation vis-à-vis de l’exécutif aussi bien depuis l’exécutif, que depuis

d’autres champs de connexion. Et si nous reprenons la typologie de Laver et Schoffield (voir supra

le tableau 5.1), et le modèle de relation d’agence (figure 5.1), nous devrions ainsi nous attendre à

une forme de relation plus complexe et instable dans les coalitions où un, plusieurs ou la totalité des

partis sont des « partis divisés » et, inversement, une meilleure « cohésion coalitionnaire » dans les

coalitions ou la plupart voire tous les partis se rapproche de la conception d’acteur cohésionné.

Il paraitrait logique d’attendre que les bases de négociations ou d’éventuelles tensions entre

acteurs cohésionnés, soient de natures plutôt idéologiques ou programmatiques, là où les relations

entre acteurs « divisées » viendraient à être à la fois plus lâches et stratégiques. Notons pour

commencer, que la portée nationale des partis en présence comporte une dimension importante

d’équilibre en termes de sociologie des acteurs et légitimité de leurs bases militantes et

sympathisantes. De plus, il est à préciser qu’aucune coalition gouvernementale dans le Cône Sud

n’a prévu, que ce soit au préalable ou lors de sa formation, un « code de discipline formel » censé

orienter le comportement des partenaires, tant institutionnels qu’individuels. Pour tester ces

postulats, repris par la plupart des études sur les coalitions gouvernementales, nous allons procéder

à une analyse distinctive entre nos cas.

a. Les quatre gouvernements de la Concertación au Chili : tout pour la

stabili té

Le cas chilien semble présenter les partis les plus cohérents et cohésionnés, malgré les nuances

que nous avons présentés quant à la notion d’acteur unique pour l’analyse des partis. Rappelons

également qu’il fut question à un moment donné, et par soucis de cohérence essentiellement

organisationnelle, de créer un seul parti ou « méta-parti » d’opposition à Pinochet, qui aurait

regroupé en son sein les structures partisanes du PDC, des différents PSch, du PR et des autres

partis opposés au régime. La poursuite d’un but commun, la fin de la dictature, et une organisation

unifiée étaient supposées approfondir le travail de mutation idéologique entrepris par la plupart des

partis de gauche. Ces positions défendues en leur temps plutôt par des membres socialistes (le PSch

partisanne auprès de la présidente, elle-même socialiste. Inversement, la gestion récente de Carlos Laraín, président de

Renvoación Nacional, le parti dont est issu l’actuel président Sebastián Piñera, est beaucoup plus critique voire

« pertubatrice » vis-à-vis de la présidence Piñera.

300

étant prohibé) n’a abouti finalement qu’à la création du PPD puis la re-formation du PSch, les

marques identitaires et idéologiques ont, elles, perduré1.

Ainsi, nous allons reprendre les postures philosophiques de nos trois partis témoins, présentés

dans les graphiques 5.1, 5.2 et 5.3, et établir des moyennes pondérées sur chaque réponse

individuelle, comme suit : i) les affinités présentant un degré de base « un peu » seront pondérées

par un coefficient « 1 » ; ii) les affinités beaucoup, seront pondérées par un coefficient « 2 » ; iii)

les affinités totalement seront pondérées par un coefficient « 3 » ; enfin, les affinités pas du tout

seront pondérées par un coefficient « 0 ». De sorte que les moyennes établies donneront une piste

des moyennes corrigées des membres de chaque parti sur chacune des affinités vis-à-vis de ces sept

courants philosophiques, où plus la moyenne tendra vers le « 0 », plus l’affinité pondérée sera

faible. Inversement, plus la moyenne tendra vers le « 3 », plus le degré d’affinité sera symbiotique,

et ainsi de suite….

Comme le montre le graphique 5.4, le PPD et le PSch présentent de fortes similitudes

d’inspirations philosophiques globales, malgré les différences sociologiques que nous avons

avancées précédemment. Sur des questions particulièrement clivantes, les membres socialistes et

PPD interrogés se sentent globalement distancés des idées marxistes (respectivement 1.33, et 0.85

de moyenne pondérée, équivalant à « un peu ») ; de même avec les idées néolibérales, le degré de

proximité est très faible ou quasi nul (0.16 et 0.07, respectivement). Parallèlement, nous pouvons

relever une corrélation fusionnelle en termes des affinités très fortes vis-à-vis des idées social-

démocrates (respectivement 2.33, et 2.3, correspondant à « beaucoup ») ; et dans une moindre

mesure avec l’identification avec le socialisme (2.33 et 1.8)2. Inversement, la Démocratie

Chrétienne semble présenter des degrés d’affinités assez peu corrélés à ceux du « bloc

progressiste », coïncidant presque uniquement sur un rejet du nationalisme (0.16 pur le PSch, 0.15

pour le PPD et 0.16 pour le PDC), et présente une identification partagée avec le courant

intellectuel libéral (1.5, 1.23 et 1.16). De même, un élément clivant par excellence dans le Chili

post dictature, à savoir la non-identification avec le modèle socio-économique néolibéral est

partagé à son tour par les membres du PDC (0.41).

1 RUIZ RODRIGUEZ, L., « Les décisions des partis et leurs coalitions dans le Chili démocratique », in DABENE, O.,

Amérique latine, les élections contre la démocratie, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris,

2007, pp.79-103. 2 A noter, ainsi, qu’il est surprennant que les propres membres du parti socialiste ne présentent pas advantage d’affinité

ou d’identification avec le courant philosophique socialiste…

301

Graphique 5.4 : Transposition radiale des préférences philosophiques entre les partis chiliens

Par ailleurs, lorsque nous reprenons un procédé commun de mesure de positionnement et auto-

positionnement sur une échelle gauche/droite, où « 0 » équivaut à extrême gauche et « 10 »

représenterait une position notée extrême droite ; et en acceptant l’axiome sur la relative

homogénéité idéologique des partis chiliens1, nous avons ainsi collecté des données portant sur : i)

l’auto-positionnement sur cet axe ; ii) le positionnement du parti ; iii) le positionnement de la

coalition ; iv) le positionnement du parti dans la coalition (PPEDC) le plus éloigné de la personne

interrogée ; et v) le positionnement du parti d’opposition le plus éloigné. Ces données confirment

tout d’abord celles des graphiques précédents, quant à une similarité des (auto-)positions entre

membres du PPD et PSch (3.84 et 3.29 respectivement ; 4.85 pour le PDC), mais montrent

clairement le positionnement personnel de type centre-gauche de la coalition, à un positionnement

moyen situé à ‘4’.

1 Comme montré dans les graphiques précédents. Rappelons, au passage que ce procédé serait peu pertinent pour

l’étude des partis argentins et, dans une certaine mesure, uruguayens. Enfin, pour toute mise en garde contre les

tentations « scalomaniaques », voir SEILER, D-L., La méthode comparative en science politique, Armand

Colin/Dalloz, Paris, 2004

0

0,5

1

1,5

2

2,5

3 Christianisme

Libéralisme

Marxisme

Nationalisme Néolibéralisme

Socialisme

Social Démocratie

PSch PPD PDC

302

Graphique 5.5 : Perception et auto perceptions sur un axe gauche- droite

Note : *PPEDC : « parti le plus éloigné au vôtre dans la coalition »

De plus, ce graphique montre une plus grande concordance parmi les membres du PPD entre

leur auto-positionnement moyen (3.84), celui où ils positionnent leur parti (4.07) et la coalition

(4.7), présentant une déviation moyenne entre positionnement personnel et valorisation de la

coalition de +0.86, vers la « droite », ce qui montre le poids que semble avoir le PDC, d’après les

membres du PPD, dans le positionnement idéologique de la coalition (le PDC est valorisé par les

membres du PPD au « centre-droit » avec une moyenne à 5.77). Cette déviation est, sans surprise,

plus importante parmi les membres du PSch (respectivement 3.26 d’auto-positionnement personnel

moyen ; 4.16 de position partisane; 5.29 pour la coalition). Les socialistes placent clairement la

Démocratie Chrétienne comme un parti de « droite » (5.95, à + 2.66 à droite de leurs positions

personnelles et + 1.79 à droite de la position de leur parti). Enfin le PDC, navigue dans une position

inverse, mais relativement proche de la valorisation moyenne de la coalition (auto-positionnement

moyen à 4.87 ; positionnement partisan à 5.04, et coalition à 4.08, soit -0.79 à gauche de leurs

positions personnelles). Le PSch, est considéré comme le parti le plus éloigné du leur, par les

membres du PDC, évalué à ‘3.08’, soit près de 2 points plus à gauche de leur position, mais deux

fois moins éloigné que l’UDI -parti de l’opposition le plus éloigné- positionné à 8.79 (+ 3.92 points

0

2

4

6

8

10 Personelle

Partisane

coalition PPEDC

parti opposition

PSch PPD PDC

303

à droite). L’UDI, sans surprise recueille la palme du parti le plus à droite par les deux autres partis,

flirtant avec une position extrême (8.75 et 9.25, respectivement pour le PPD et le PSch).

Outre une concordance des positions quant à la proximité individuelle vis-à-vis des thèses socio-

économiques néolibérales1, cette faible correspondance interpartisane en termes d’identifications

philosophiques semble montrer que les « liants » coalitionnaire de la Concertación chilienne sont

autres que simplement idéologiques. La connexité entre ces partis se nourrit donc d’éléments extra-

programmatiques, et dans ce registre le couple PDC-PSch vient contribuer à un effort constant de

rétro-alimentation du projet coalitionnaire. Les deux partis et leurs respectifs leaders ont, en effet,

insufflés une unité comportementale et identitaire concertationniste, vis-à-vis de la coalition

gouvernementale et du président, sur tous les niveaux. Tous deux sont, en effet, des partis de

longue trajectoire militante, qui ont opéré une mutation récente vers une professionnalisation et

technicisation –essentiellement gestionnaire et financière- de ses membres, et jouissent ainsi de

symboliques et de marques identitaires comparables et sensiblement plus fortes que celles des

autres partis, car davantage fédératrices et mobilisatrices, du fait de leur propre assise militante.

Dans ce « ménage à trois », le PSch et la Démocratie Chrétienne ont donc opéré en catalyseurs et

exécutants, là où les figures du PPD ont, à la longue, opéré davantage comme structurants et

médiateurs2, présentant ainsi des niveaux de cohésion ou « discipline » particulièrement élevés à

l’heure de l’approbation de projets de lois émanant de l’exécutif3.

A ces considérations vient s’ajouter une dimension stratégique, propre au caractère « frontiste »

de la coalition4. En effet, la Concertación est beaucoup plus qu’une coalition gouvernementale,

puisque l’alliance se répercute sur tous les niveaux politiques et administratifs chiliens. Depuis la

présidence jusqu’aux conseillers municipaux, en passant par les parlementaires, la Concertación a

ainsi présenté des listes uniques sur tous les postes électifs, ce qui a contribué à renforcer la

perception de la marque « Concertación » et, par ricochet, l’engagement, les incitations et les

rétributions de la coalition. Nous pouvons, toutefois, identifier trois étapes de cette collaboration

interpartisane, caractérisée par un degré d’engagement partisan et un type de relation intra-

coalitionnaire relativement différent : i) l’inauguration, ou « phase d’apprentissage » sous la

1 Résultats qui viennent confirmer des precedents études telles que le PELA (Proyecto de Elites Latino Americanas) de

l’Université de Salamanque 2 La figure du Parti Radical Ernesto Silva Cimma a également joué un rôle important, mais sans réel relais de poids à

l’intérieur du Parti Radical, puis du Parti Radical Social Démocrate (à partir de 1994). 3 Voir notamment MORGENSTERN, S., Patterns of Legislative Politics Roll-Call Voting in Latin America and the

United States, Cambridge University Press, 2004; CAREY, J., “Parties, coalitions, and the chilean congress in the

1990s”, in MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University press,

2002, pp. 222-253;ALEMÁN, E. ,et SAIEGH, S., “Legislative Preferences, political parties, and coalition unity in

Chile”, in Comparative Politics, Vol. 39, No.3, 2007, pp. 253-272. 4 GALLO, A., “Modelos de gobierno de coalición en Sudamérica”, in Revista Austral de Ciencias Sociales, No. 11,

2006, pp. 35-58.

304

présidence Aylwin ; ii) la consolidation et l’approfondissement, sous les présidences Frei et Lagos ;

et iii) la période de restructuration, initiée sous la présidence Bachelet et encore en vigueur.

Le gouvernement Aylwin (1990-1994)

La première période, dite « d’apprentissage de vie en coalition » pour des forces politiques jadis

opposées –PDC et PSch-, a été dictée par le contexte d’urgence transitionnelle où le premier

gouvernement de la Concertación, doublement légitimé par la victoire lors du Référendum de 1988

et des élections générales de 1989, a dû composer avec le maintien d’éléments d’ancien régime ou

« enclaves autoritaires » établis par la Constitution de 1980, dont les principales étaient : le

Général Pinochet qui restait chef des armées ; la présence de huit sénateurs désignés et fidèles au

régime sortant et qui entravaient le processus d’élaboration de politiques publiques ; et le Conseil

de Sécurité Nationale, organe politique composé de militaires et de civils fonctionnant comme

« chaperon » du pouvoir politique où des membres sans légitimité populaire (les militaires)

pouvaient court-circuiter le Président de la République et le citer à comparaître1.

Ce contexte difficile, marqué deçà-de là par des interventions ou « pressions » de la part de

membres, plus ou moins actifs, issus de la dictature –notamment le boinazo de 1993, voir supra

chapitre 2-, constituait ainsi une contrainte pour le gouvernement de Patricio Aylwin, pour qui la

peur d’un retour à l’ancien régime ou celle de l’accession au pouvoir d’héritiers du régime

militaire, rendait nécessaire la réussite du gouvernement et le maintien de la cohésion interne. Les

enclaves autoritaires et la propre figure de Pinochet viennent peser sur la cohésion du premier

gouvernement de la Concertación où les prises de décision et les éléments débattus l’ont été de

manière pragmatique. L’articulation des relations internes à la coalition découle d’une pression

externe qui devient, dès lors, une obligation de résultat en termes de réussite puis de cohésion

politique2, vis-à-vis du camp du « non » au référendum et, par extension, de la société chilienne.

Ainsi, le gouvernement de Patricio Aylwin, opère son apprentissage coalitionnaire dans

l’urgence de la réussite transitionnelle, via la réalisation de politiques publiques « consensuelles »,

à moindre potentiel diviseur, en mettant l’accent sur le thème de la « réconciliation nationale »3 et

« la croissance dans l’équité ». Ceci d’autant plus que le modèle socio-économique adopté sous le

1 Voir, entre autres, GARRETON, M.A., “La redemocratizacion política en Chile: Transición, inauguración y

evolución”, in Estudios Públicos, No. 42, 1991, pp. 101-133; MOULIAN, T., Chile actual: anatomía de un mito, LOM,

Santiago, 2002. 2 GARRETON, M.A., “La cuestión del régimen de gobierno en el Chile de hoy”, in LANZARO, J., Tipos de

presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 189 – 202. 3 Commission Rettig sur les disparitions et assassinats sous la dictature, laquelle est toutefois dépourvue de toute

finalité concernant une ouverture d’un « procès » de la dictature.

305

régime autoritaire est, constitutionnellement parlant, intouchable1. De ce fait, la connexité existante

entre les différents membres de ce premier gouvernement, est dictée par ces impératifs, le principal

objectif est de garantir la stabilité à la fois gouvernementale, politique et économique. Pour ce faire,

la structuration du gouvernement et des relations entre les membres se fonde autour du leadership

fort (bien que controversé initialement2) et indépendant du président Aylwin

3, d’où se matérialise

une unicité « concertationniste », supra-partisane ou transversale, où les élites des différents partis

se compromettent à appuyer le président, participer à la prise de décisions gouvernementale de

manière relativement informelle4, bien plus qu’à des processus de délibérations

5, autant qu’au

maintien de la cohésion interne à la coalition6.

Dans cette structuration, les ministres du Secrétariat Général du Gouvernement (SEGEGOB,

Enrique Correa) et du Secrétariat Général du Président (SEGPRES, Edgardo Boeninger) viennent

jouer un rôle d’articulateur et de canalisateur des relations entre le président, son gouvernement et

les structures partisanes dont sont issus les membres du gouvernement, ce qui pourrait avoir laissé

l’impression que le gouvernement Aylwin (et les suivants) ne soie(nt) séparé(s) de leur base

partisane. Cette structuration de la connexité suivant un schéma d’appareil ou quasi-appareil, se

retrouve facilitée par quatre éléments : a) l’expérience traumatique de l’Unidad Popular de

Salvador Allende, où l’autorité du président était court-circuitée par les appareils partisans des

mêmes partis de la coalition, laissant une impression d’ingouvernabilité ; b) l’abandon du dogme

de la lutte des classes et de la révolution socialiste de la part de la majeur parti des cadres du PSch

et du PPD (comme montré aux Graphiques 5.2 et 5.3), puis leur « conversion » à la social-

démocratie et à l’économie de marché ; c) une part limité –inférieure à 5%- de postes entre les

mains de « technocrates » et autres indépendants7, ce qui a contribué à asseoir la centralité des

1 Ce qui en fait d’ailleurs une “enclave autoritaire” cachée.

2 Patricio Aylwin en tant que président du PDC avait appuyé, initiallement, le coup d’Etat de 1973 ; en outre, la

désignation de Patricio Aylwin comme candidat du PDC puis de la Concertación est entaché de suspiscions de fraudes

lors des primaires de la démocratie chrétienne, en 1988, dans le scandale dit du « carmengate » (du nom de la rue où se

trouve le siège du parti et où se seraient produites les irrégularités). 3 Au travers d’accords essentiellement informels.

4 Essentiellement au palais de la Moneda avec les membres du “segundo piso”, bien que les demandes internes soient

« remontées » et canalisées par les chefs de partis, à l’inverse de ce qui se passait sous la Unidad Popular. 5 Comme sous le gouvernement de Salvador Allende, où l’autonomie du président vis-à-vis de son parti et des partis de

la coalition était bien moindre, et les prises de décisions découlaient davantage de la délibération et d’âpres

négociations aussi bien etre les partis que à l’intérieur de ceux-ci. Voir ARRATE, J., et ROJAS, E., Memoria de la

izquierda chilena - Tome II (1970-2000), Ed. Javier Vergara, Santiago, 2003 ; et DAVILA, M., “Governing

together…” op. cit. 6 FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,

I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191- 222. 7 Nous soulignons ici la différence entre les notions de « technocrates », comme éléments purements « techniques » ou

« administratifs » et de « technopols », comme des membres dotés d’une expertise technique reconnue, tout en étant

affilié –plus ou moins activement- à un parti politique, mais ayant un parcours militant ou électif relativement limité.

Cette définition étant bien évidemment idéal-typique et par-là même limitée. Voir pour plus de précisions

306

partis ; et surtout d) le recours au quota partisan (« cuoteo 1») via sélection présidentielle, qui

garantissait aux partis de la coalition électorale une représentation gouvernementale2, ceci

s’accompagne d’une recherche constante de « mixité partisane » entre ministres et sous-secrétaires

d’Etats, où par exemple à un ministre Démocrate Chrétien correspondait une majorité de secrétaires

d’Etats issus des autres partis.

Le gouvernement Frei (1994-2000)

Le second gouvernement de la Concertación, qui débute en 1994, ouvre la seconde phase de

cette coalition dite de « consolidation » ou « approfondissement ». Cette phase est marquée à la fois

par une rupture en termes de style de leadership et d’acteurs gouvernementaux, et est matérialisée

par un renouvellement total des membres du gouvernement autour de personnalités plus jeunes et

dont les carrières ne sont, pour l’essentiel, que faiblement liées à la période pré-autoritaire et

transitionnelle ainsi que par un maintien de la pratique concertationniste inaugurée lors du premier

gouvernement Aylwin. Surtout, le second gouvernement de la coalition inaugure une période de

« présidence normale », où le spectre du retour à l’autoritarisme devient de plus en plus

improbable.

Le gouvernement de Frei est marqué par un leadership beaucoup moins fort que celui d’Aylwin,

et par une conduction davantage recentrée sur le gouvernement, tout en recherchant le consensus

aussi bien dans la coalition de gouvernement qu’avec l’opposition. Si cette posture est

caractéristique de certaines démocraties d’Europe Occidentale3, elle est relativement peu commune

dans la tradition politique chilienne récente. Cette recherche de consensus est également marquée

par une réorganisation de l’agenda politique où la hiérarchisation des priorités tient moins des

thèmes portant sur des réformes constitutionnelles, les droits de l’homme, etc., mais davantage sur

les questions à portée nationale (éducation, pauvreté, santé, etc.). Cette présidence est ainsi

marquée par une conduction moins « politique » du gouvernement et des relations partisanes, mais

DOMÍNGUEZ, J., Technopols. freeing politics and markets in Latin America in the 1990s, Pennsylvania State

University Press, 1997. Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation … op. cit ;

JOIGNANT, A., “The politics of technopols: resources, political competence and collective leadership in Chile, 1990–

2010” Journal of Latin American Studies, Vol. 43, No.3, 2011, pp. 517 – 546; DAVILA, M., “Tecnocracia y

democracia en el Chile contemporáneo: el caso de los gobiernos de la Concertación (1990-2010)”, in Revista de

sociología, No. 24, 2010, pp. 199-217 1 Mireya Dávila a montré que cette notion, née lors du gouvernement de l’Unité Populaire de Salvador Allende, avait

alors une autre materialization où c’étaient les partis qui prennaient leur part de quota, ayant une position plus pro-

active et confrontationnelle. Voir DAVILA, M., « Governing together… » op. cit. 2 Ainsi que sur tous les autres champs de pouvoir politique.

3 LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Heaven, 1984; LIJPHART, A, “Non Majoritarian

Democracy: a comparison of federal and consociational theories”, in Publius. Vol.15, No. 2, 1985, pp. 3-15 ;

HUNEEUS, C., “La democracia presidencial en Chile” , in ELLIS,A., OROZCO, J., et ZOVATTO, D., Como hacer

que el presdiencialismo funcione ?, UNAM/ IDEA, Mexico, 2009, pp. 249-266.

307

davantage technique ou pragmatique. Si les membres du gouvernement proviennent presque tous

d’un des partis associés (moins de 5% d’indépendants), ils ont toutefois des profils plus techniques

(« technopols »).

Surtout les collaborateurs de Frei sont, pour ceux issus du PDC, pour la plupart des proches du

président, ce qui conduit à créer des tensions au sein de ce même parti. D’ailleurs, l’agenda et la

conduite gouvernementale s’organise autour du président et ses assesseurs –pour la plupart

démocrates chrétiens- autour d’une « troika » d’assesseurs (Genaro Arriagada, Edmundo Pérez

Yoma et Carlos Figueroa1, qui forment le « cercle de fer » du président), à l’opposé du modèle

transversal instauré par la présidence Aylwin. L’urgence de résultats pour garantir la stabilité

démocratique, surtout après le retrait de Pinochet du commandement de l’armée en 1998, se faisant

moins pressante, les relations entre les partis et le gouvernement se retrouvent être, de quelque

manière, plus lâches et moins pressées par une nécessité de stabilité. Notons, toutefois, que le

mandat du président Frei –aussi « normal » soit-il- a été marqué par deux éléments majeurs,

potentiellement tensiogènes à l’intérieur de la coalition, et qui se sont déroulés pratiquement la

même année : i) la détention à Londres du général Pinochet et la demande d’extradition du juge

espagnol Baltazar Garzón, vers l’Espagne en 1998 ; et ii) l’importation de la crise financière

Asiatique entre 1997 et 1998.

Dès lors, le gouvernement de Frei est marqué par davantage de remaniements ministériels (10)

que le précédent (3), ce qui semble démontrer un leadership moins incontesté2, et un certain degré

d’amateurisme politique. Si la présidence Aylwin est « anormale » compte tenu du contexte, ce qui

explique en grande partie la cohésion de bout en bout et le faible changement de son administration,

il n’en demeure pas moins que la coalition est restée soudée et cohésionnée, à défaut de cohérente.

En effet, si des tensions sont apparues, aussi bien à l’intérieur du PDC qu’avec l’aile

« progressiste » (PPD et PSch), notamment sur trois points : i) la conduite de l’agenda politique ; ii)

la participation à la prise de décision ; iii) l’émergence de divisions « postmodernistes » ou de

valeurs, internes à la Concertación3 ; le bloc « concertationniste » est resté cohésionné, avec un

taux d’approbation des projet de loi issus de la présidence, particulièrement élevé et similaires à

ceux de la présidence Aylwin (54% et 58% réciproquement, l’impact des sénateurs « désignés »

1 Tous trois des amis proches du père d’Eduardo Frei Ruiz Taggle, l’ancien président de la République Chilienne et

fondateur du PDC, Eduardo Frei Montalva. 2 D’autant plus que le premier remaniement intervient quelques mois après l’accession à la présidence,.

3 Notamment le débat sur l’approbation de la loi sur le divorce, le Chili ne légalisant le divorce, finalement qu’ en

novembre 2004.

308

étant significatif), et une cohésion comportementale quasi fusionnelle1. Enfin, dans la pratique, à

défaut de la « forme », le gouvernement de Frei présente de nombreuses similitudes avec le

précédent: un élitisme partisan, une centralité des partis, qui conduit d’ailleurs à une déconnexion

croissante avec la société civile2.

Le gouvernement Lagos (2000-2006)

Les résultats précédents sont pratiquement identiques à ceux de la présidence Lagos, la troisième

présidence de la Concertación, malgré une gestion et un style différent de la précédente, est plus

politique et avec un leadership beaucoup plus fort. On remarque également un décentrage du PDC

au profit de « l’aile progressiste » (PSch + PPD), concomitant avec le déclin électoral des

démocrates-chrétiens (voir infra chapitre 6). Toutefois, la présidence Lagos est marquée, à

nouveau, par la nécessité de (bons) résultats notamment en termes de stabilité et de gouvernabilité.

Ceci, en raison de la nature plus politique et symbolique de la figure du président Lagos : premier

socialiste3 depuis Salvador Allende à entrer au palais de la Moneda, son élection et sa gestion en

sont d’autant plus fortes qu’elles réaniment certains fantômes du passé, d’où la volonté de la part du

président et du PSch, d’ailleurs, de réhabiliter l’image du parti, laver les stigmates liées au passé

récent et présenter une gouvernance stable et pacifiée.

En outre, l’élection du candidat Lagos s’est effectuée de manière moins nette et moins

confortable que celle de ses prédécesseurs, puisqu’à l’inverse de ceux-ci, la décision s’est faite au

second tour4, ce qui a entrainé un changement de stratégie électorale –dont un changement de

slogan- et un recentrage de l’influence de l’appareil concertacionniste. Surtout, la progression de

l’opposition est matérialisée, deux ans plus tard, par une poussée de ses élus à l’assemblée, où la

Concertación ne disposait plus que d’une majorité de deux députés (contre près d’une dizaine

précédemment). Or, suite à la suspension de quatre députés pour des raisons judiciaires, le rapport

de forces au parlement était pour la première fois équilibré.

1 Autour de 90% de soutien lors des votes en séances (« roll call votations »). Voir CAREY, J., “Parties, coalitions, and

the chilean congress in the 1990s”, op. cit.; et TORO, S., “Conducta legislativa ante las iniciativas del Ejecutivo:

unidad de los bloques políticos en Chile”, in Revista de Ciencia Política (Santiago), Vol. 27, No. 1, 2007, pp. 23- 41.

Nous sommes toutefois conscients du caractère limité des travaux portant sur les votes en séances, puisqu’ils

représentent qu’une partie visible et brut du travail parlementaire. Voir pour ce faire CARRUBBA, C., GABEL, M., et

alii,“Off the record: unrecorded legislative votes, selection bias and roll-call vote analysis” in British Journal of

Political Science, Vol. 36, No. 4, 2006, pp. 691-704. 2 Nous verrons en infra les implications de ceci dans la pratique politique actuelle.

3 Bien que president du PPD, Ricardo Lagos Escobar est une figure du socialisme et le fondateur du PPD à l’époque où

le PSch était encore prohibé. Il a maintenu sa double militance socialiste et ppd. 4 Au premier tour le candidat Lagos devançant le candidat de l’Alianza por Chile, Joaquín Lavín, de seulement 30.000

voix. Au second tour, la Concertación enregistrant le repport, quasi mathématique, des voix communistes et

hummanistes pour l’emporter de plus de 2.5 points, et presque 200.000 voix.

309

Ricardo Lagos recentre l’action politique entre les partis et leaders de partis, privilégiant le

dialogue avec le PDC, appuyé dans ce sens par le PSch, tout en gardant une certaine autonomie

supra-partisane, notamment à l’heure de nommer ou remanier son gouvernement1. A ce titre, a

présidence Lagos se place à mi-chemin entre les styles Aylwin et Frei. Ainsi, si le leadership est

politique et partisan, l’autonomie du président va de paire avec un contrôle moins serré des

ministres et parlementaires, ainsi que la centralisation des prises de décisions à la Moneda autour

des membres du segundo piso, ce qui constitue un court-circuitage partiel du ministre du secrétariat

général de la présidence (SEGPRES). Le leadership du président Lagos est beaucoup plus fort et

enclin à protéger la stabilité de la Concertación. Les cas de flottements sont gérés politiquement,

bien que de manière autonome par le président. Celui-ci a d’ailleurs dû gérer trois phases

particulièrement tensiogènes : i) la gestion de sortie de la crise économique et financière héritée de

la gestion précédente ; ii) le retour de Pinochet au Chili de manière quasi simultanée avec

l’inauguration du mandat, laissant une fenêtre ouverte à des revendications de jugement au Chili ;

et iii) l’éclatement de cas de corruption, notamment le cas du MOP-Gate2, incluant des membres

proches du président. Ces trois cas furent gérés efficacement par le président en étroite relation

avec les membres de sa coalition, et pour le troisième cas avec le président du principal parti

d’opposition (UDI), Pablo Longueira, évitant ainsi l’éclosion de conflits internes. La gestion

gouvernementale de Lagos fut donc essentiellement politique et centrée sur les partis et leur

relations intra coalitionnaire. Le bon déroulement du mandat ainsi que l’absence de crise politique

majeure mettant en péril la stabilité du pays, ont contribué à ce que de la plupart des observateurs

définissent cette période comme la fin de la consolidation démocratique au Chili. Lagos finit

d’ailleurs son mandat avec un taux d’approbation populaire record, supérieur à 75%.

Ces deux gouvernements « normaux » de la Concertación, ont été marqué par une forte cohésion

de la part des partis de la coalition, en dépit de l’émergence de quelques tensions. La centralité des

partis dans la conduite politique, malgré un désalignement croissant de la population chilienne vis-

à-vis du système de partis, une rétro-alimentation des thèmes clivants -notamment des

positionnements face au régime militaire-, et une politique de quotas partisans au niveau du

gouvernement (voir infra 5.2), constituent autant d’enclaves « transitionnels »3 qui ont participé au

maintien de la coalition. Ces éléments n’était pas acquis mais ont été appris et assimilés par les

1 Ce que nous confirme le propre Ricardo Lagos lors de notre entretient le 10/07/2009.

2 Sigles correspondan tau Ministerio de Obras Publicas (en français nous traduirerions “Ministères des Infrastructures et

transports) et du suffixe « -gate », en référence au scandale nord-américain du watergate, en 1972, ayant conduit à la

démission du président Nixon deux ans plus tard. 3 SIAVELIS, P., “Enclaves de la transición y democracia chilena”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 29, No. 1, 2009,

pp. 3-21.

310

structures partisanes et les différents leaders de la coalition, les présidents en tête. De plus, nous

pouvons avancer que c’est à partir de la présidence Frei que le système électoral binominal, et le

timing politique ont commencé à jouer un rôle important, de consolidateur des blocs1. Ce système

électoral qui rend difficile l’élection de candidatures parlementaires se présentant en dehors des

deux principaux blocs politiques, ainsi que la tenue d’élection intermédiaires (en 1997 et 2001), ont

participé à la réalimentation du pacte coalitionnaire et à la réaffirmation des compromis

organisationnels et cohésionnels.

La présidence Bachelet (2006-2010)

La présidence Bachelet se différencie, à première vue, des deux précédentes en ce sens que la

candidate Bachelet, créée par l’opinion publique, s’est voulue une présidente « citoyenne » plutôt

que politique, se plaçant ainsi au-dessus des partis, des lignes partisanes et des intérêts partisans.

Faisant le constat du découplage avec la société civile, la candidate a notamment prôné la réforme

du système électoral, lors de sa campagne. Toutefois, les résultats électoraux décevants au premier

tour, laissant entrevoir la possibilité d’une victoire de l’opposition2, l’ont contrainte à modifier son

discours et ses priorités. La gestion du second tour s’est réalisée avec un retour du contrôle par les

appareils partisans de la coalition.

En somme, la présidence Bachelet oscille constamment entre cette position citoyenne au-delà

des partis et un nécessaire rappel de la logique coalitionnaire interpartisane. Bachelet voyait les

partis de manière fonctionnelle plutôt que de manière structurelle, d’où un recours plus enclin à la

« démocratie du public », le plus directe possible3, et surtout dés-élitisé. Ce style n’était pas sans

créer des tensions à l’intérieur de la Concertación et surtout parmi les « barons » et autres

« historiques » de la coalition dont le leadership fut ignoré ou court-circuité. De même, le

leadership de Bachelet, et sa position au dessus des partis, a conduit à ce que se négligent

l’arithmétique coalitionnaire et le contrôle des tensions interpartisanes et intra-partisanes. Enfin, la

mort du général Pinochet en décembre 2006, sans qu’il n’ait été jugé, constitue un événement

symbolique dans la structuration de la Concertación. Par ce décès, disparaît –symboliquement- la

raison d’être fondatrice de la coalition, à savoir l’organisation conjointe de la transition

1 Voir entre autres AVENDAÑO, O., “Competencia político – electoral en el cono sur los sistemas de partidos en las

experiencias de democratización de Argentina, Chile y Uruguay”, thèse de doctorat, Université de Florence, 2009;

MOULIAN, T., “El sistema de partidos en Chile”, in CAVAROZZI ,M., et ABAL MEDINA, J., El Asedio a la

Politica, Homo Sapiens, Rosário, 2003, pp. 241-257; et CAREY, J., “Partidos, coaliciones y el Congreso chileno en los

noventa”, in Política y Gobierno, Vol. 6, No. 2, 1999, pp. 365-405. 2 L’opposition ayant présenté au premier tour deux candidats dont les résultats cumulés, étaient supérieurs à ceux de la

candidate Bachelet : 48.64% (25.41% + 23.23%), contre 45.96%, respectivement. 3 MANIN, B., Principes du Gouvernement Représentatif, Flammarion, Paris, 1996 [1995].

311

démocratique entre deux acteurs traditionnellement opposés –le PSch et la PDC. S’amorce alors la

reconversion et adaptation des liants et structurants de la coalition.

Ce gouvernement est ainsi marqué par des tensions matérialisées par de nombreux remaniements

lors des douze premiers mois de mandat. Mais trois événements liés au leadership de Bachelet vont

conduire à un retour en scelle des partis et leaders partisans et à une amélioration des relations

intra-coalitionnaires. Tout d’abord, le mouvement social des élèves du secondaire ou « révolution

des pingouins »1, sur près de deux mois, où la gestion initiale de la présidente entrée en fonction

quelques mois auparavant, s’est révélée approximative. Le relais pris par les partis politiques,

particulièrement le PSch (parti de Bachelet) et le PDC, ont participé d’une politique de cooptation

du mouvement à la base, et ont conduit à son essoufflement près de trois mois après son

éclatement2. La gestion de ce conflit par les partis, a contraint la présidente à remplacer ses

ministres (intérieur et éducation) dont l’action était jugée insuffisante.

Ensuite, l’introduction calamiteuse du nouveau système de transports intégré de Santiago, le

Transantiago, dont la mauvaise gestion héritée du gouvernement antérieur a congestionné la

capitale du pays pendant près de six mois3. Le mécontentement généralisé de la population et la

pression de l’opposition ont forcé à un nouveau remaniement présidentiel et un changement de

ministres des transports. Néanmoins face à cet événement délicat, la coalition a fait bloc autour de

la présidence, et attendu que se normalise la situation. Cet événement débouche toutefois sur une

grave conséquence pour le PDC et la coalition, lorsqu’en novembre 2007 l’ex président du parti, le

sénateur Adolfo Zaldívar, vota contre une mesure qui visait à l’autorisation de refinancement du

Transantiago, ce qui mit ainsi en minorité parlementaire le gouvernement et fragilisa la cohésion de

la coalition. Cet événement débouche sur l’exclusion de Zaldívar du PDC et, par ricochet, la

défection d’une fraction de parlementaires dissidents (les « colorines » dont le nom découle du

surnom de Zaldívar : el colorín, « le roux »). La conséquence directe pour la Concertación est la

perte de contrôle du Sénat qui suit ces défections.

Enfin, lors des élections municipales de 2008, un événement vient marquer un passage critique

dans la coalition. Le PPD et le PRSD décident de faire liste à part pour les élections des conseillers

municipaux, face aux listes PSch-PPD. Cette décision débouche d’ailleurs sur la première défaite

1 De part l’uniforme que portent le étudiants du secondaire au Chili.

2 Même si certains événements ont ponctuellement rappelé le caractère latent du movement. Cette capacité de

cooptation propre aux deux partis « de masse » de la Concertación, contraste avec l’action du président Piñera, dont les

rganisations partisanes formant la coalition présidentielle (Renovación Nacional et UDI) se sont avérés incapables de

gérer et coopter le mouvement étudiant au Chili qui s’étale depuis mai 2011 jusqu’à l’actualité, et ayant marqué un

ressurgissement de la mobilisation sociale dans ce pays. 3 Dont deux mois de paralysie presque totale.

312

électorale de la Concertación1, et contribue à semer un trouble dans la cohésion coalitionnaire.

Néanmoins, la gestion de la crise économique et financière, dès 2008, et la gestion jugée autoritaire

du président du PSch, Camilo Escalona, vont conduire à un renforcement de la cohésion de la

Concertación autour de la présidente et son ministre des finances Andrés Velasco (PSch), malgré

une nouvelle salve de défections –moindre- depuis la gauche de la coalition, cette fois2. La bonne

perception de la conduite gouvernementale pendant la crise, conduit à ce que la Concertación

parvienne à se maintenir cohésionnée jusqu’à la fin du mandat Bachelet, sans autres heurts.

Bachelet est, paradoxalement, considérée comme la présidente la plus populaire de l’histoire

récente du Chili, avec plus de 80% d’opinion favorable à la fin du mandat. D’ailleurs, durant la

campagne générale de 2009, les différents candidats de la Concertación s’efforcent de se présenter

dans la lignée de Bachelet, en s’affichant dans les photos de campagne avec la présidente sortante

plutôt qu’avec le candidat à le présidentielle (Frei).

Malgré des événements potentiellement diviseurs, les différents gouvernements de la

Concertación ont ainsi présenté des niveaux de cohésion particulièrement élevée, eut égard des

différences de culture politique, de leaderships et de cohérence idéologique. Si les marques

partisanes se sont maintenues, particulièrement celles du PSch et du PDC, elles ont contribué à

former une identité et un actionnariat concertationniste.

b. L’Uruguay ou l’équation impossible entre compétition et consensus et

gestion des fractions internes des partis traditionnels

Nous l’avons montré précédemment, les divergences idéologiques entre le Partido Colorado et

le Partido Nacional ne sont que faiblement représentatives, eut égard de la diversité interne de ces

deux partis, en raison de leur niveau de fractionnement et leur faible structuration programmatique.

Les deux partis traditionnels contiennent ainsi en leur sein, un éventail de positions relativement

élevées, qui rend ainsi peu pertinent le postulat sur l’unicité des acteurs, même si la tendance à la

droitisation des deux partis semble se prononcer depuis la sortie de la plupart des fractions

« progressistes », à la fin du XXe siècle. Les deux partis fonctionnent de manière fédérale où le

« liant » intra-partisan repose davantage sur une dimension symbolique. De même, contrairement au

cas chilien, les partis uruguayens n’ont pas eu à composer avec une « urgence de résultats » après le

recouvrement de la démocratie. Le discrédit des militaires et leur faible « héritage » ne

1 En réalité il s’agit d’un « match nul », puisque si la Concertación perd effectivement les élections municipales, avec

une percée des listes de l’opposition particulièrement dans des grandes villes symbolique (dont Valparaíso), les listes

PSch-PDC et PPD-PRSD, cumulées, l’emporte pour les élections des conseillers municipaux. 2 Dont la plus amblématique est celle d’Alejandro Navarro qui, en quittant le PSch, s’en va fonder le Mouvement

Ample Social (MAS).

313

constituèrent ni une menace pour la stabilité démocratique ni une option politique alternative.

Toutefois, le cas uruguayen partage avec le cas chilien trois éléments : i) la longévité des partis

coalisés, et leur réciproque similarité organisationnelle et structurelle1 ; ii) la force de ces

« marques » partisanes et leur impact identitaire sur la société, et iii) leur traditionnel antagonisme,

même si dans le cas uruguayen cet antagonisme entre colorados et blancos est nuancé par

l’expérimentation tout au long du XXe siècle de co-gouvernements. Les « liants » et la nature de la

connexité dans le cas uruguayen sont toutefois relativement différents du cas chilien, car plus

changeants. Nous pouvons ainsi caractériser les trois expériences de gouvernements de coalition en

Uruguay comme trois expériences distinctes tant dans la construction de politiques publiques que

dans la dimension organisationnelle.

Tout d’abord le gouvernement du blanco Luis Alberto Lacalle, constitue une phase

d’apprentissage, et repose sur une convergence d’ordre plutôt idéologique. Ensuite, le second

gouvernement Sanguinetti, comme gouvernement unifié, et dont les bases sont plutôt stratégiques.

Enfin, le gouvernement de Batlle qui semble combiner un peu des deux expériences précédentes,

sans pour autant se maintenir cohésionné au niveau gouvernemental2. Les trois gouvernements

découlent toutefois d’un seul et même schéma qui relève plutôt de la notion de « pacte » politique,

entendu comme une collaboration ponctuelle dans le but de résoudre un problème donné entre des

acteurs hétérogènes, sans projection ni prétention transformatrice ; plutôt que d’un projet

coalitionnaire à la chilienne où la dimension transversale et la propension réformatrice sont

centraux, suivant une « communauté d’intérêts »3. Les agents sont donc autonomes les uns des

autres, les relations plus lâches, chacun contribue à sa façon, et suivant ses nécessités et objectifs,

au travail commun. Enfin, à la différence du cas argentin ces relations se font de manière

équilibrée, entre acteurs de poids et de structuration similaire.

La première expérience, sous le gouvernement Lacalle (1990 -1992)

Ainsi, le gouvernement de Luis Alberto Lacalle (1990-1995) constitue une première en termes

de collaboration interpartisane. En effet, l’absence de troisième force importante jusque 1971

plaçait la centralité de la compétition politique du système partisan uruguayen de manière duale :

aussi bien interpartisane qu’intra partisane (entre fractions internes). La conquête de la majorité des

sièges à l’assemblée n’était d’ailleurs pas un gage d’unicité gouvernementale, tant la concurrence

1 Pour ce qui est du cas chilien nous nous en tenons à la relation PDC- PSch

2 Mais présentant une unité presque sans faille au niveau parlementaire.

3Pour une analyse des concepts “pacte” et projet, voir FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90.

Entre pactos y proyectos”, op. cit.

314

intra-partisane était forte1. La structure des partis uruguayens conditionne donc le comportement

des lemas et, de ce fait, les relations inter-fractionnelles, sur des bases aussi bien personnelles

qu’idéologiques2. En ce sens, le premier gouvernement de Julio María Sanguinetti « d’intonation

nationale », qui a marqué le recouvrement de la démocratie, s’inscrit dans une dimension

négociatrice et inclusive assez inédite3. Or, la permanence du Frente Amplio et le maintien de sa

base électorale a conduit les deux partis à revoir leur mode de relationnement dans un contexte

partisan particulièrement transformé. En effet, si le Frente Amplio ne constitue pas une menace

pour la démocratie, il en constitue une pour la stabilité de l’hégémonie des partis traditionnels sur la

gestion gouvernementale du pays. En outre, la posture du leader blanco Wilson Ferreira Aldunate

de garantir la « gouvernabilité » du système politique uruguayen, s’inscrit dans une perspective de

collaboration accrue entre les deux partis traditionnels du pays.

Dès lors, le gouvernement de Lacalle inaugure non seulement une nouvelle forme de

relationnement entre les deux partis traditionnels, mais également une conversion et restructuration

de ces mêmes partis, le tout dans un contexte de changement de matrice sociopolitique4. De plus,

le Partido Nacional après la disparition en 1988 de son leader Wilson Ferreira, d’inspiration plus

progressiste, a été contraint d’entamer sa mue autour du seul leadership « valide » : celui de

Lacalle. L’absence de leadership de contrepoids interne au Partido Nacional, parait conduire à une

amorce de dé-fragmentation du parti, mais conduit surtout vers sa personnalisation, autour de

Lacalle.

La formation d’un gouvernement de coalition constituait d’ailleurs l’un des thèmes de campagne

des élections de 1989, et lorsque le Partido Nacional remporte les élections, avec près de 39% des

voix, le nouveau président propose naturellement au Partido Colorado la formation d’un

gouvernement de « coïncidence nationale » à l’européenne, c’est-à-dire de manière unie et

favorisant le dialogue, afin de mener à bien les réformes socio-économiques liés au processus de

transformation de la matrice socio-économique du pays. Cela bien que le Partido Colorado

connaisse des tensions internes entre trois fractions constituant deux courants: i) les deux fractions

–majoritaires- se reconnaissant du « Batllisme » en référence au leader colorado José Batlle y

1 Comme ce fut notamment le cas lors des élections de 1942, 1950, 1954, 1958, 1966.

2 CAETANO, G., et RILLA, J., “El gobierno como cogobierno. Despliegues y repliegues de la democracia uruguaya,

1943-1973”, in LANZARO, J., La “segunda” transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria,

Montevideo, 2000, pp. 197-257. 3 L’ambition initiale de Sanguinetti était de constituer une sorte de gouvernement “d’union nationale”, pensant même

inclure le Frente Amplio. Mais seules quelques fractions blancas vont se joindre au gouvernement. D’ailleurs certains

membres du FA ont fait parti des conseils d’administrations de certaines entreprises publiques, nommés par le

gouvernement. 4 LANZARO, J., “Transition in transition: parties, state and politics in Uruguay, 1985- 1993”, Document de travail n°

90, Institut de Cienciès Politics i Socials, Barcelone, 1994.

315

Ordóñez : le Foro Batlliste de l’ancien président Sanguinetti, à teneur plus social-démocrate ou

« social-libérale », et la lista 15 de Jorge Batlle, petit neveu de Batlle y Ordóñez et fils du président

colorado Luis Batlle Beres, proche des positions néolibérales (« modernistes ») du nouveau

président Lacalle; et ii) la fraction faisant référence à l’ancien président Jorge Pacheco Areco

(1967- 1972) qui a incarné le versant plus « autoritaire » du parti, notamment dans la mise en place

de censures contre les moyens de communication et les partis de gauche, et le recours à la force

armée dans la lutte antisubversive face au Mouvement Tupamaro de Libération Nationale.

Ainsi, dans la forme, ce gouvernement est composé de représentants de toutes les fractions

blancas (malgré une sous-représentation du courant ‘wilsonniste’, alors minoritaire depuis la mort

de son leader) et coloradas ce qui permet donc de dire qu’il s’agit bien d’un gouvernement de

coalition. D’ailleurs, d’une certaine manière, la dimension idéologique vient à constituer le « liant »

de cette coalition gouvernementale. Cette expérience constituant la « jonction critique » pour la

postérieure convergence des deux partis traditionnels. Ainsi, l’ancien sénateur blanco puis ministre

du travail de Jorge Batlle, Alvaro Alonso, va dans ce sens en reconnaissant que :

« Lorsqu’apparaît le Frente, celui-ci vient occuper un espace… ‘Populaire’, plus ‘socialiste’, et les

partis traditionnels, bien qu’ils contiennent des flancs aussi ‘populaires’ se recroquevillent alors

sur les positions qui sont les-leurs aujourd’hui… […]Il est naturel que ces partis qui ont une vision

semblable, à l’heure de devoir gouverner, se mettent à gouverner ensemble… avec l’idée de

réaliser ensemble des choses pour lesquelles ils sont tous les deux convaincus… en matière

économique le grand saut vient du gouvernement de coalition nationale [de Lacalle] où on a

cherché a approfondir un modèle d’ouverture économique… tout en nous différentiant du Frente.

[…] Il y avait une identité commune dans la forme et le fond en termes de commerce, de

transformation économique… »1

Les relations entre les agents du gouvernement, et la coopération interpartisane fluctuent face à

l’absence d’unicité des deux partis, mettant à mal le projet de coalition à l’européenne. Le président

Lacalle devait ménager les trois principales fractions coloradas. Mais dans cette configuration

fragmentée du PC, c’est la fraction de Sanguinetti qui s’avère être la plus éloignée aussi bien

idéologiquement que dans les relations personnelles. Lacalle devait également composer avec ces

propres divisions internes, puisque bien que sans chef et minoritaire, le courant wilsonniste,

demeure toujours influant à l’intérieur du Partido Nacional et représentait près de 40% des voix du

parti (voir tableau 5.1). Par ailleurs, les relations avec le courant de l’ex président Sanguinetti dans

le gouvernement et au parlement sont relativement distantes, sans réelles négociations de fond ni de

délibération intra-gouvernementale systématique. Toutefois, dans un premier temps, les relations

demeurent relativement cohésionnées, particulièrement au niveau parlementaire, et ce jusqu’à la

1 Entretien réalisé le 28/06/2011. Traduction propre.

316

sortie précoce de la fraction pro-Sanguinetti du gouvernement, en mai 1991, soit quinze mois après

l’assomption de Lacalle. Alvaro Ramos, ministre de l’Agriculture du gouvernement Lacalle,

résume cette sortie de cette manière :

« Le partenaire coalisé, qui est généralement celui qui est arrivé second ou troisième, a toujours

des aspirations a être premier. Et si tout va bien pour le gouvernement alors il est probable que la

coalition dure plus longtemps. Si les choses ne vont pas, alors le coalisé s’en va avant. Ainsi,

Sanguinetti est sorti de la coalition de Lacalle à cause du thème des privatisations des entreprises

publiques […] personne ne veut être le partenaire de la tragédie et encore moins face aux

élections »1

Six mois plus tard, c’est la fraction colorada de Jorge Batlle qui se retire, malgré une forte

coïncidence idéologique et personnelle avec le président, puis certaines fractions blancas plus

progressistes. Ces défections marquent la fin de cette première expérience de coalition

gouvernementale. Les désaccords portent tant sur le « fond », notamment la privatisation

d’entreprise nationales (la compagnie aérienne, la compagnie de téléphonie, la distribution de l’eau,

de l’électricité, la compagnie pétrolière nationale…), que sur des divergences de forme, où le

leadership fort et stricte de Lacalle entrait en conflit avec les leaderships non moins fort de

Sanguinetti et Batlle. A noter, également, un certain « amateurisme », ou manque de culture

gouvernementale de la part du PN, traditionnel challenger et/ou « partenaire » du Partido Colorado,

à l’heure de diriger un gouvernement2.

Le caractère fractionné des partis traditionnels a eu par conséquent un impact direct sur la

structuration du gouvernement de Lacalle et le maintien de la coalition de gouvernement, ce qui a

rendu caduque la concrétion de la « coalition à l’européenne » initialement recherchée. Seule une

fraction minoritaire du PC (le « Pachéquisme ») se maintient pratiquement jusqu’à la fin du

mandat. Les différentes fractions des partis manifestent ainsi leur autonomie intra-partisane, au

niveau gouvernemental, la coopération interpartisane est ainsi grevée par la compétition inter-

fractionnelle. La coalition gouvernementale fait en effet les frais d’une réticence de la part de

leaders et de structures organiques traditionnellement antagonistes3. Le « pacte » entre les deux

partis, quant à faciliter la gouvernabilité et la réalisation de politiques publiques réformatrices,

souffre alors d’un double manque de coordination interpartisane et intra-partisane.

1 Entretien réalisé le 04/07/2011. Traduction propre.

2 MANCEBO, M.A., “De la entonación a la coincidencia nacional”, in Revista Uruguaya de Ciencia Politica, No. 4,

1991, pp. 29-44. 3 FILGUEIRA, C., et FILGUEIRA, F., « Coaliciones reticentes: sistema electoral, partidos y reforma electoral en el

Uruguay », in NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998. pp

287- 308.

317

Le gouvernement de coalition « intégrale » de Sanguinetti (1995-2000)

Cette première expérience va, toutefois, constituer un référent dans la relation interpartisane

entre blancos et colorados, et jeter les bases dans la matérialisation des coopérations à venir entre

les deux partis. Ainsi, le suivant gouvernement s’efforce de conclure un gouvernement de coalition

explicite et de compromis, en réponse au « match-nul électoral » de 1994. L’assomption du second

gouvernement de Sanguinetti (1995-2000), compte avec un contexte politique particulièrement

différent de celui de Lacalle. En effet, le Frente Amplio sous la présidence Lacalle demeurait une

« troisième force », certes importante mais sans réelle capacité de blocage ni de véto (21.3%, quand

les capacités de blocage de réforme constitutionnelles sont établies à 33.3%, et à 40% pour

confirmer un premier véto parlementaire et/ ou une motion de censure) ; mais avec 31% des voix et

des sièges au parlement celui-ci vient constituer une force politique avec un réel potentiel de

blocage (quasi veto player). De plus, là où les deux partis traditionnels présentaient, encore, des

niveaux de fractionnement interne importants sous Lacalle, la présidence Sanguinetti jouît d’un

contexte favorable, où sa fraction est quasi hégémonique au sein du PC (plus de 78%), soit une

configuration quasi-unitaire ; et un Partido Nacional certes divisé en deux courants mais qui

présente un niveau de polarisation interne bien moindre, autour de la figure consensuelle de son

président du directoire et candidat le plus voté à l’élection1, Alberto Volonté, qui parvient à

conduire une convergence interne entre un secteur important des pro-Lacalle et le secteur orphelin

du leadership de Wilson Ferreira2.

Le leadership de Volonté est en effet beaucoup moins clivant et conflictuel en interne que celui

de Lacalle, ce qui conduit le Partido Nacional à s’organiser de manière moins fragmentée que sous

la présidence de Lacalle. De plus, les bonnes relations personnelles entre le président nouvellement

élu, Julio María Sanguinetti, et Alberto Volonté vont conduire à ce que tous deux recherchent à

conformer un gouvernement de coalition fort, afin d’empêcher la potentielle survenue d’un

« syndrome Allende » du fait du déficit de légitimité auquel a accouché l’élection de Sanguinetti

(moins de deux points de plus que le troisième parti, le Frente Amplio)3. Enfin, Alberto Volonté

considérait la collaboration étroite avec le gouvernement Sanguinetti, et la permanence des

1 Rappelons que le système électoral de “double vote simultanné” à l’élection présidentielle en Uruguay, en vigueur

jusqu’en 1997, consistait en un vote partisan puis à l’intérieur de celui-ci un vote pour une fraction. A ce titre, le

candidat Volonté est arrivé en première position regrouppant autour de son nom 47.62% des voix de son parti, devenant

par-là même président du directoire du PN. 2 L’Herrerisme étant le secteur de Lacalle. Pour un rappel des “secteurs” uruguayens, voir supra chapitre 3.1.3a

3 A titre de rappel, le résultat de cette éléction a été le suivant: Les résultats de cette élection ont été les suivants: PC

32.2%, PN 31.2%, FA 30.6%. Voir PODETTI, R., La política entre la cooperación y el conflicto: un balance del

cogobierno blanco entre 1995 y 1999, Ediciones de la Plaza, Montevideo, 2003; LANZARO, J., “Uruguay: Reformas

políticas en la nueva etapa democrática”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América

Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008, pp. 905-952.

318

ministres blancos jusqu’au terme du mandat, comme une stratégie politique qui serait bien reçue

par l’électorat uruguayen car preuve d’une « vision » et d’une « responsabilité » nationale au-delà

des intérêts partisans, cette vision est confirmée par un sondage publié le 20 Août 1995, soit près de

six mois après l’assomption de Sanguinetti, où près des deux tiers des sondés (64%) voyaient

comme « positif » l’hypothèse du maintien de la coalition jusqu’au prochaines élections1. En

résumé, Alberto Volonté agissait et était perçu, par le Partido Nacional et le Partido Colorado,

comme une sorte de « premier ministre » du président Sanguinetti2, et de l’aveu du propre Volonté :

« Je ne comprenais rien à la logique politique, et moi je voulais créer un gouvernement contenant

un programme ordonnateur […] j’appartiens à un parti où sont nombreux ceux qui pensent de

manière différente, or il faut se demander quel est l’objectif des partis. L’objectif du mien est de

gouverner, et s’il y a des désaccords il faut savoir les gérer […] Ma vision c’était que nous

gagnerions les élections suivantes car les gens se rendraient compte que si ce gouvernement [de

Sanguinetti] faisait bien les choses, ce serait grâce au Partido Nacional, et donc ils voteraient

pour nous. […] et pour cela, on m’a traité de ‘chupapija’ (sic.) de Sanguinetti […] Sanguinetti est

une personne détestée par les blancos […] mais avec son charme et son talent il était naturel et

agréable de coopérer »3.

De manière opérationnelle, Volonté avance que la conclusion de la formation de la coalition

découle d’un programme et d’un agenda commun non-public, passé entre le président Sanguinetti

et le directoire blanco entre décembre 1994 et janvier 1995. D’ailleurs, durant quasiment toute la

présidence de Julio María Sanguinetti, le Partido Nacional a opéré de manière unitaire, où « le

président du directoire avait le dernier mot », cela était facilité par l’effacement circonstanciel de

Lacalle, en raison de son impossibilité constitutionnelle à se représenter à la présidence, et d’une

suspicion d’implication dans des affaires de corruption. Le Partido Nacional, opérait ainsi

davantage comme un partenaire plutôt qu’un potentiel concurrent. Dans les faits, le gouvernement

Sanguinetti a fonctionné de manière extrêmement cohésionnée et conjointement avec les groupes

colorados et blancos au parlement4, et cela jusque la mi-1998, où une fraction blanca dirigée par

Alvaro Ramos rompt avec le leadership de Volonté et sort du gouvernement. Ce gouvernement

constitue la première expérience pluripartisane effective, au-delà de la tradition pluri-fractionnelle

de gouvernement, dans l’histoire de l’Uruguay.

Le ministre blanco de l’intérieur d’alors, Raúl Iturria, confirme que :

1 Sondage publié dans le journal uruguayen El País. La question posée étant « Considérez-vous comme positif ou

négatif que les ministres blancos restassent en place au sein du gouvernement jusqu’aux prochaines élections ? », 13%

considérant cette option comme « négative », 11% comme « ni positif ni négatif », et 12% ne se prononçant pas. 2 D’après le ministre –colorado- de l’économie de Jorge Batlle, Isaac Alfie.

3 Entretien réalisé le 24 novembre 2009. Traduction propre.

4 De nombreux politistes parlent de délégation du parlement auprès du gouvernement, où les groupes parlementaires

approuvaient presque « automatiquement » les projets provenant de l’exécutif. Voir notamment MOREIRA, C., Una

mirada a la democracia uruguaya : Reforma del Estado y delegación legislativa 1995-1999, FLACSO/ Miguel Angel

Porrúa Editor, Mexico, 2003.

319

« Ce fut un gouvernement très uni, avec une volonté de Sanguinetti de donner une liberté totale. Il

s’agit d’un homme avec qui il est très facile de s’entendre, qui vous écoute, avec qui on peut

présenter des arguments… Nous travaillions avec beaucoup de commodité et facilité […] le

gouvernement de Sanguinetti de par son actuation et celle de Volonté a été très unificateur […]

Les deux ont de fortes personnalités en plus d’avoir de très bonnes relations. »1

Pour autant, malgré une gestion gouvernementale efficace et productive2, et populairement

approuvée, et malgré la bonne considération de l’action de Volonté, le résultat des élections

internes blancas de 1999 ne vont pas aller dans le sens de la logique de coalition. En effet, la

première réalisation de primaires obligatoires en Uruguay, depuis la réforme constitutionnelle de

1997, semble confirmer la thèse de Josep Colomer sur la différentiation entre expectatives

partisanes et nationales3, puisque c’est le candidat opposé à Alberto Volonté, l’ex président Luis

Alberto Lacalle, qui dans un climat extrêmement tendu et critique s’est imposé avec 48% des voix.

Le candidat Lacalle a d’ailleurs subi une campagne « négative », de la part du candidat arrivé en

seconde position, Juan Andrés Ramírez, autour de graves accusations de corruption, liées aux

affaires le concernant durant son mandat. Au sortir de cette élection interne, le PN renoue avec les

tensions et divisions internes qui ont marqué la période pré-Volonté, au début des années 1990.

Le gouvernement Batlle (2000-2005), et le « syndrome Volonté »

La troisième expérience uruguayenne de gouvernement de coalition, s’inscrit dans un cadre

politique particulièrement nouveau pour le pays. En effet, la tenue des « élections internes

obligatoires » à chaque parti, sensé consacrer l’unicité des candidatures et mettre fin au système de

double vote simultané (DVS, voir supra 2.1.1c), vient limiter en apparence la diversité fractionnaire

des partis, en contraignant celles-ci à appuyer aux élections présidentielles le candidat le plus voté4.

Ainsi, des partis qui présentent des niveaux de polarisation interne particulièrement élevés, comme

c’est le cas du Partido Nacional, peuvent apparaitre pourtant artificiellement unis le jour de

l’élection.

Surtout, les élections générales de 1999 marquent un tournant dans l’histoire politique

uruguayenne, puisque le Frente Amplio qui s’était précédemment positionné comme potentielle

1 Entretien réalisé le 27 juin 2011, traduction propre.

2 Ce que démontrent les travaux sur la production parlmentaire. Voir notamment MAGAR, E., et MORAES, J. A., « Of

coalition and speed : passage and duration of statutes in Uruguay’s parliament 1985-2000 », in Working Papers de

l’IBEI, No. 15, Barcelone, 2008. 3 Josep Colomer montre ainsi que le “meilleur candidat” pour les symphatisant d’un parti n’est pas forcément le

meilleur candidat au niveau national. Voir entre autres COLOMER, J., “Las elecciones primarias en América Latina”,

in Claves de Razón Práctica, No. 102, Madrid, 2000; et COLOMER, J., “Las elecciones primarias presidenciales en

América Latina y sus consecuencias políticas”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J.M., El asedio a la política

: los partidos latinoamericanos en la era neoliberal, Rosário, Homo Sapiens, 2002. p. 117-134. 4 Le caractère obligatoire de ces elections s’appliquant uniquement aux structures partisans, et non pas aux électeurs.

320

force de blocage, s’érige alors comme le premier parti du pays, en contrôlant 40% des sièges au

parlement, et surtout il arrive en tête du premier tour des élections présidentielles « nouvelle

formule ». Pour la première fois, les partis traditionnels sont relégués au rôle de « challengers »

d’une troisième force politique, le Frente Amplio (voir le graphique 5.6).

Cette élection est particulièrement rude pour le Partido Nacional, qui enregistre le pire score

électoral de son histoire -22.3%-, ce à quoi les principaux leaders semblent voir, dans un premier

temps, comme une sanction à l’encontre du comportement gouvernemental sortant jugé trop

coopératif ; l’élimination de l’armateur de l’accord de coalition gouvernementale –Alberto Volonté-

dès les primaires viendrait appuyer cette thèse1. Cette posture, dominante au soir de la défaite,

oublie néanmoins de faire référence à la campagne négative et destructrice des primaires blancas et

surtout de s’arrêter sur le profil controversé du candidat Lacalle. Après le ralliement blanco d’entre-

deux-tours autour du candidat colorado Jorge Batlle, et la victoire finale de celui-ci, les dispositions

en vue de la formation d’un gouvernement de coalition avec ces mêmes colorados sont nettement

moins emballées et compromises qu’en 1994.

En effet, si les leaders des deux partis présentent des positions idéologiques – d’inspiration

libérales et néolibérales- particulièrement proches, ainsi que des relations réciproques de franche

1 Volonté n’arrive en effet qu’en troisième position, avec un peu moins de 11% des voix.

321

cordialité ; leurs positions en interne, dans leur parti respectif diffèrent aussi bien entre-elles qu’en

comparaison avec 1994. Ainsi, le Partido Colorado, après les élections internes de 1999 s’est

regroupé autour du candidat et futur président –Jorge Batlle- sans tensions particulières1, les deux

principaux candidats des primaires viennent au final former le « ticket présidentiel » (président +

vice-président) colorado pour les élections à venir. Ils affichent ainsi une image unitaire et

détendue du parti. A l’opposé, la candidature de Lacalle a été marquée, à cause des tensions

apparues lors des primaires, par une absence de cohésion et d’implication dans la campagne de la

part de « l’Alianza Nacionalista», secteur qui regroupe les quatre fractions perdantes, toutes anti-

Lacalle. Le parti se présente donc particulièrement divisé et désuni lors de ces élections2.

Or, si l’accord de formation de coalition gouvernementale s’est tenu sous Sanguinetti après son

élection et de manière détendue bien que privée, le contexte de la formation de l’accord de coalition

gouvernementale autour de Jorge Batlle, ainsi que la gouvernance de ce gouvernement s’est réalisé

dans un climat et un contexte autrement différent, du fait notamment de son origine, puisque

l’accord s’est tenu alors que le candidat Batlle n’était pas encore élu mais seulement qualifié en

deuxième position pour le second tour des élections présidentielles. L’élimination dès le premier

tour du Partido Nacional, combiné aux tensions internes, fruits du faible score de Lacalle et du

discrédit post-primaires des autres leaders favorables au dialogue inter-partisan, dont Volonté, a

braqué les leaders de ce parti. Certaines figures montantes, dont Jorge Larrañaga, se posaient

d’ailleurs contre tout accord de coalition. Jorge Batlle résume d’ailleurs le contexte de négociation

d’entre-deux-tours de la manière suivante :

« Le résultat de 1999 montre que le ballotage fonctionne. Mais avant çà nous avons dû aller au

‘bunker’ (sic.) du Partido Nacional pour leur dire ‘‘on va faire ceci et pour cela nous avons besoin

de votre soutien, et pour çà vous aurez cinq ministres dans le gouvernement’’ » 3

Bien que le Partido Colorado ait maintenu sa votation en comparaison avec 1994 (32,35% en

1994 ; 32,8% en 1999), la position de Batlle est beaucoup plus fragile que celle de Sanguinetti.

Batlle est en effet contraint de négocier avec le PN pour garantir son ralliement et donc son

élection. La posture du Partido Nacional dans ce processus de formation et de gouvernance

commune sera marquée par un comportement à la fois beaucoup plus proactif dans ses exigences et

beaucoup moins coopératif vis-à-vis du président et du Partido Colorado. Dès l’accord de

ralliement d’entre-deux-tours, le PN adopte une posture revendicatrice à l’opposée de celle de

1 Batlle l’emporte par 55%, contre 45% au candidat officialiste (issu de la fraction de Sanguinetti), Luis Hierro López.

2 Le partenaire du candidat Lacalle, et candidat à la vice-présidence, Sergio Abreu, bien que désigné par la convention

blanca pour représenter le secteur non-herreriste du parti, ne présentant pas un leadership capable de réunifier le parti. 3 Entretien réalisé le 01/07/2011, traduction propre.

322

Volonté, cinq ans plus tôt, dont l’attitude vis-à-vis de Sanguinetti est résumée de la sorte par

l’intéressé :

« Envoie-moi tout ce que tu veux faire (sécurité sociale, etc…) tu es le président, et le chef de la

coalition c’est toi. Celui qui perd ne commande pas […] faisons un gouvernement depuis la

présidence et non pas depuis le parlement car c’est trop instable »1.

L’attitude de Lacalle et du directoire du Partido Nacional découle de l’apprentissage de la

défaite aux élections, et est marqué par une attitude de proposition où le perdant est le « faiseur de

roi », celui-ci négocie son soutien contre davantage de postes ministériels (voir chapitre 6) et une

autonomie relative dans sa relation au gouvernement. Le Partido Nacional après la négociation de

Lacalle, va occuper une position charnière, puisque s’il garantit sa participation au gouvernement -

bien que Lacalle lui-même à l’image de Volonté sous la présidence de Sanguinetti ne fasse pas

partie du gouvernement-, tout en conservant une certaine autonomie et s’arrogeant un droit de

critique vis-à-vis de ce même gouvernement2. Ceci laisse ainsi entrevoir une possibilité de retrait de

la coalition si nécessaire, ce qui satisfait l’aile réformatrice du PN dirigée par Jorge Larrañaga et

hostile à la formation d’une coalition gouvernementale. De cette manière, l’expérience de cette

seconde coalition comme partenaire du Partido Colorado constitue, pour le PN, un moyen en vue de

sa restructuration : garantir sa visibilité et son autonomie tout en gardant un contrôle sur l’action

gouvernementale, alors même que le rapport de force lui était initialement défavorable. L’objectif

est donc de se présenter dans la meilleure position possible lors des élections suivantes (en 2005).

Avec la crise économique importée d’Argentine en 2002, le spectre d’un « syndrome Volonté »

se manifeste alors pleinement au sein du directoire du PN, et rend le maintien des ministres blancos

au gouvernement de plus en plus couteux, notamment en termes de responsabilité et reddition des

comptes. Le sénateur Jorge Larrañaga convainc ainsi le directoire du parti de l’urgence de la

réalisation d’une convention interne, pour statuer sur le maintien du soutien au gouvernement ou au

retrait ministres blancos de la coalition. La convention d’octobre statut finalement sur le retrait de

la coalition tout en maintenant une partisane de garant de la « gouvernabilité » du pays. Les

ministres blancos se retirent donc du gouvernement, afin de ne pas être associés à la gestion de

crise du président Batlle, mais les parlementaires du parti appuient sans réserve les mesures du

gouvernement. La coalition gouvernementale rétrograde, en quelque sorte, en une coalition

parlementaire. Par la même occasion, Jorge Larrañaga se présente comme figure alternative au

leadership, jusque-là « imbattable », de Lacalle.

1 Entretien réalisé le 24/09/2009, traduction propre.

2 Pressionant, par exemple, activement le président de la République pour le remplacement du ministre de l’économie,

Alberto Bensión, en juillet 2002.

323

Isaac Alfie, ministre de l’économie de Batlle dans la dernière partie de sa mandature, résume

ainsi la situation de la sortie des blancos du gouvernement:

“Les blancos sont partis mais au final ils ne sont jamais partis […] Ils ont tout voté, c’était une

manière de maintenir l’électorat, sinon les gens allaient voter à 60% pour le Frente… ce qui

aurait tout changé… »1

Le président Batlle va dans la même direction :

« [l’accord avec le Partido Nacional] était tellement fort qu’il aurait put durer cinq ans facile.

Pendant que les choses allaient bien et qu’on avait de la croissance il n’y avait aucun problème.

En pleine crise Larrañaga s’est rendu compte qu’il battrait Lacalle s’il profitait de la crise et

disait au blancos qu’ils devaient sortir du gouvernement pour se présenter aux élections sans être

lié au gouvernement. Malgré cela, le PN a appuyé tout ce que nous présentions.[…] en définitive

les choses ont fonctionné pendant qu’ils avaient des ministres et après qu’ils les retirent »

*

En résumé, la dimension structurelle interne des partis uruguayens a particulièrement influencé

le type de connexité prévalant entre les partis. Ainsi, ce n’est pas forcément le nombre de fractions

internes (exprimé par le nombre effectif de fractions présentes au parlement) qui viendrait à être

déterminant, mais plutôt le contrôle du président sur son parti et surtout le degré de cohésion ou

« polarisation interne » du parti allié. En effet, lorsque l’on observe le tableau 5.1, on observe que

sous la présidence Sanguinetti, la fraction de ce dernier détenait plus des trois quart (78%) des

sièges colorados au parlement ; et que, surtout, la cohésion interne du PN était particulièrement

forte autour du leadership de Volonté, malgré un fractionnement interne record (4.2). Inversement,

les deux autres gouvernements de coalition qui se sont maintenu cohésionnés moins de deux ans,

présentent des cas de figures où le partenaire du président apparaissait particulièrement divisé en

interne. Dans le cas de la présidence Lacalle, la circonstance aggravante est que le propre parti du

président présentait également un niveau de division et de polarisation interne élevée.

Ajoutons, enfin, le facteur contextuel. En effet, les trois gouvernements on été marqués par une

convergence idéologique de la part des deux partenaires, ce qui a mené certains partisans en interne

à évoquer une indifférenciation des postures des deux partis. Mais si les leaderships de Sanguinetti

et Volonté ont largement contribué au bon fonctionnement du gouvernement auquel ils ont

participé, l’aspect socio-économique n’est pas à sous-estimer, notamment pour la présidence Batlle,

bien qu’il n’explique pas tout : sous la présidence Lacalle le pays a connu une croissance soutenue

(7.75% de moyenne), mais n’a pas produit pour autant de « lune de miel » entre les deux partis au

gouvernement. Enfin, l’apprentissage des deux partis et la progression du frente amplio ont, à leur

1 Entretien réalisé le 04/07/2011, traduction propre.

324

tour, joué un rôle décisif. Quand il n’était encore qu’un élément « perturbateur » (sous Lacalle),

sans impact majeur sur le système politique, les deux partis pouvaient maintenir un certain degré

d’autonomie. Lorsque le frente amplio vient occuper une place de joueur avec potentiel de véto, la

cohésion interpartisane a été la plus forte. De même, le « syndrome Volonté », combiné au

réalignement du système partisan uruguayen et la « droitisation » du Partido Colorado (voir supra

chapitre 2.2.1), ont conduit à une dilatation de la cohésion interpartisane, et un changement de la

stratégie du PN1.

Tableau 5.2 : Contingents des partis et factions dans les gouvernements de coalition

uruguayens

Présidence Contingent

législatif de la coalition (%)

Contingent législatif

du parti/ de la fraction du président (N)

Nombre effectif de fractions du parti du président/ du parti

« allié »

Cohésion

interne du parti « allié »

Lacalle

(1990-1995) 67,7 39/ 23 (59%) 2.9/3.5 faible

Sanguinetti (1995-2000)

63,6 32/ 25 (78%) 2.5/4.2 forte

Batlle

(2000-2005) 55,6 33/ 16 (48%) 1.9/1.7 faible

Notes : entre parenthèses apparait la « part » de la fraction du président, en pourcentage, à l’intérieur de son propre parti.

Source : Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de la República, à partir de données de la Cour

Electorale uruguayenne.

c. Argentine : l’Alianza, un mariage blanc ?

La formation et la structuration de l’Alianza argentine s’inscrit, d’une certaine manière, à mi-

chemin entre les expériences de coalitions chiliennes et uruguayennes. La coalition

gouvernementale qui se forme en 1999 découle d’un processus initié, au minimum, deux ans plus

tôt entre deux partis qui ont mis en commun leurs propres ressources au cours d’élections

législatives (1997) dans le but de former une force politique susceptible de représenter une

alternative crédible face à Carlos Menem, et le PJ. L’Alianza est donc, d’abord et à l’image de la

Concertación, une alliance électorale.

La portée de cette coalition relève cependant davantage d’un « pacte gouvernemental » plutôt

que d’un projet politique concret, les efforts se concentrent en effet essentiellement sur la victoire

1 Sur ce dernier point, voir notamment CHASQUETTI, D., et GARCE, A., “Unidos por la historia: Desempeño

electoral y perspectivas de colorados y blancos como bloque político”, in BUQUET, D., Las claves del cambio. Ciclo

electoral y nuevo gobierno. 2004-2005, Ediciones de la Banda Oriental - Instituto de Ciencia Política, Montevideo,

2005, pp. 187-204

325

contre Menem via la conquête à moyen terme de la présidence, d’où la formation d’une alliance

électorale pour les législatives de 1997. Rodolfo Terragno, alors président de l’UCR et artificier de

l’alliance, résume ainsi la situation :

« Pour les élections parlementaires de 1997, tout le monde, tant au Frepaso qu’à l’UCR, disait

qu’il fallait laisser passer, que on ne ferait rien en 1997… mais moi je disais qu’il ne pourrait y

avoir de ‘99’ sans ‘97’… parce que si nous entrions dans une logique de différentiation et

confrontation, alors nous ne nous rapprocherions plus… »1

La structuration essentiellement « pactiste »2, marquée par l’absence d’une réelle intégration et

interpénétration sur les autres niveaux de pouvoir a entravé la construction d’une réelle identité

Allianciste et encore moins des mécanismes institutionnels de type supra-partisans. Trois autres

éléments, en plus de l’absence de « culture de coopération » dans l’historicité politique argentine et

surtout dans la culture politique de l’UCR3, se sont ajouté à ceci : i) l’impact du type de structure

des partis en présence, notamment sur leur niveau respectif de cohésion organisationnelle interne;

ii) le contexte politique et électoral à partir duquel s’effectuent les premiers rapprochements ; et iii)

la spécificité du processus coalitionnaire de l’Alianza, en comparaison avec les cas chilien et

uruguayen, où le rapport de forces entre les acteurs de la coalition –électorale puis

gouvernementale- en termes d’infrastructures partisanes, est particulièrement déséquilibré.

Rappelons tout d’abord l’organisation traditionnelle de type « mouvementiste » des partis

politiques argentins, auquel n’a pas échappé le FREPASO, où l’organisation et la structuration des

lignes politiques et stratégiques se cristallisent autour de leaderships forts (voir infra 5.2.1). Ce sont

les leaders partisans qui détiennent le pouvoir étatique, ou qui sont en passe de pouvoir l’obtenir,

lesquels ordonnent et cohésionnent l’appareil partisan et non l’inverse. L’identité des partis

argentins se fonde et se projette, en effet, par et depuis l’Etat. Toutefois, les deux partis en présence

présentaient en 1997 un niveau de structuration et d’organisation asymétrique4. En effet, le retrait

de Raúl Alfonsín de la direction du parti, en 1995, comme conséquence des critiques vis-à-vis du

« Pacte d’Olivos » signé avec Menem5, a conduit à ce que se produise un vide de leadership et

affleurent des divergences aussi bien idéologiques qu’organisationnelles, autour des « héritiers »

d’Alfonsin dont le principal représentant était Rodolfo Terragno, et un secteur d’orientations de

1 Entretien réalisé le 28 août 2009. Traduction propre.

2 Nous reprennons la dichotomisation des notions « pacte » et « projet » coalitionnaire, tel que définis par Claudio

Fuentes in FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, op. cit… 3 Comme nous l’avons souligné précédemment, aux chapitres 2 et 3.

4 NOVARO, M., et PALERMO, V., Los caminos de la centroizquierda : dilemas y desafíos del Frepaso y de la

Alianza, Editorial Losada, Buenos Aires, 1998. 5 Accord passé en 1994, entre les deux leaders du PJ et de ‘lUCR –Menem et Alfonsin- aboutissant à la tenue d’une

réforme constitutionnelle, dont la principale conséquence est de rendre possible la réélection directe du président, et qui

débouchera sur la réélection effective de Carlos Menem.

326

type néolibérales, emmené par la figure de Fernando de la Rúa. Néanmoins, et malgré son retrait

des premiers postes, Alfonsin continuait à exercer une influence de fond, sans pour autant chercher

à occuper un premier rôle. Marcelo Stubrin, député radical pendant le gouvernement de l’Alianza,

résume ainsi de manière sibylline: « l’UCR c’était Alfonsín… »,1.

En face, le FREPASO présentait des caractéristiques inverses, à savoir une existence récente et

une faible institutionnalisation, mais un leadership accompagné de la figure consensuelle de

Graciela Meijide2. Ce tandem particulièrement fort et complémentaire

3, est parvenu à faire

progresser rapidement le parti tout en maintenant cohésionnés les membres de celui-ci derrière la

figure d’Alvarez, suivant l’idiosyncrasie argentine. Mais cette organisation a également constitué

une faiblesse structurelle marquée par une Alvarez-dépendance, comme le montre Rodolfo Rodil4:

« Une des limitations du Frepaso c’est qu’il n’a jamais eu vocation de construction partisane. On

n’a jamais construit cette identité ‘frepasiste’. Le Frepaso se résumait à Chacho et Meijide… la

preuve c’est que quand ils s’en vont, le parti disparaît » […] « Je me demande si nous qui faisions

partie du Frepaso, et particulièrement Chacho Alvarez, avons jamais eu l’intention sérieuse de

créer une alternative au bipartisme, ou si plutôt il s’agissait de construire une position politique

pour ensuite créer un raccourci pour arriver au pouvoir »5

Par ailleurs, le contexte électoral est central en ce qu’il positionne les tendances des deux partis,

et surtout l’aspect fonctionnel de l’alliance. En effet, si l’UCR est le parti le plus ancien du système

politique argentin, il est en 1995 en perte de vitesse dramatique comme conséquence de la

mauvaise gestion de la communication autour du « pacte de Olivos », passé avec le président

justicialiste Carlos Menem, dont les motivations n’ont pas été bien comprises ni accueillies par une

partie importante de l’électorat traditionnel du parti, provenant essentiellement de la classe

moyenne. C’est en réponse à cela que le FREPASO, récemment constitué, enregistre sa poussée

électorale aux dépends de l’UCR, puisqu’il se hisse à la seconde place lors des élections

présidentielles de 19956, et enregistre près de 13 points de plus que les radicaux. Mais les élections

législatives partielles tenues simultanément montrent la limitation de l’ancrage électoral du

FREPASO autour de Buenos Aires et quelques grands centres urbains (Santa Fe et Rosário,

1 Entretien du 17/07/2010. Traduction propre

2 Comme activiste pour la cause des Droits de l’Homme et sa participation active au sein de la Comission Nationle sur

les Disparitions de Personnes (CONADEP), établissant les faits de violations des droits de l’homme lors de la dictature

qui s’est étalée de 1976 à 1983. 3 Le « séducteur » et « l’institutrice », comme le résume Graciela Fernandez Meijide elle-même.

4 Rodil a été député du Frepaso au parlement national, pour Buenos Aires, et est l’un des principaux armateurs du

rapprochement avec l’UCR. 5 Entretien réalisé le 25/07/2010. Traduction propre.

6 Marquées par la réélection dès le premier tour de Menem.

327

notamment). Le parti obtient ainsi un groupe parlementaire inférieur à celui de l’UCR (21 députés

contre 28), laquelle conserve ainsi son caractère national et son implantation provinciale.

L’alliance électorale entre les deux partis est perçue comme un moyen nécessaire dans le but de

déplacer le PJ du gouvernement1 : l’UCR a besoin des votes du FREPASO, lequel à besoin de la

structure institutionnelle des radicaux. A l’initiative de Raul Alfonsin puis des deux figures

principales de chaque parti, Terragno et De la Rúa pour l’UCR et Alvarez et Meijide pour le

FREPASO, se crée le « groupe des cinq » qui consiste en la tenue de réunions et la formation de

comités pour élaborer la stratégie électorale et organisationnelle, en vue de conduire la formation de

la coalition électorale pour les législatives de 1997. Graciela Meijide résume cette approche ainsi :

« Nous [le Frepaso] n’avions personne à l’intérieur du pays, aucun observateur pour surveiller les

tables de votations… l’UCR nous était fonctionnelle et nous on lui était en retour, il s’agissait

essentiellement d’une convergence utilitaire… de fait il n’y a pas eu d’alliance sur l’ensemble du

territoire… »2

Le succès électoral3, a conduit à une intensification de la collaboration interpartisane en vue de

l’échéance présidentielle de 1999. Pour ce faire, Alfonsín décide de former l’Institut

Programmatique de l’Alliance (IPA) avec l’ambition sincère de doter l’Alianza d’une base

programmatique et comportementale solide : la « Lettre aux Argentins » (Carta de los Argentinos).

L’élaboration de ce programme est le fruit de débats et discussions communs entre figures

principales des deux partis de l’avis même de Dante Caputo, chargé de réaliser la synthèse du

document, il s’agissait d’un travail « très bien réalisé partant de paramètres argentins »4.

Toutefois, la dimension programmatique ne contenait pas de volet sur la prise de décisions

politiques et de routinisation des processus d’exercice structuré et partagé du pouvoir, ce qui

constituait pourtant un aspect essentiel pour la gouvernance de la coalition.

Or, le rapport des forces partisanes va conduire à ce que ce processus reste, au final, stérile. En

effet, l’un des principaux éléments de différentiation entre l’Alianza argentine et les processus

coalitionnaires chiliens et uruguayens, repose en partie sur la structure des partis au pouvoir et de

leur rapport déséquilibré en termes de ressources politiques et financières. Alors que les processus

uruguayens se sont déroulés entre les deux mêmes partis ayant marqué la structuration politique du

1 Jusque 1998, Menem laisse entrevoir un recours à une interpretation constitutionnelle, où la possibilité de réélection

serait effective non pas de manière rétroactive mais, à partir de l’entréen en vigueur de la réforme constitutionnelle de

1994. Menem renonçant finalement, abandonnant ainsi au gouverneur de la province de Buenos Aires, Eduardo

Duhalde, le soin de représenter le PJ. 2 Entretien réalisé le 14/06/2011. Traduction propre.

3 Si l’Alianza recueille plus de 45.6% des voix, et 48% des sièges (61/127 en lice), rappelons que le pacte électoral nes

s’est pas appliqué à l’ensemble du territoire, puisque notamment dans les provinces de Cordoba ou Neuquén, UCR et

Frepaso se sont présenté en listes séparées, soit un total de pres 9.5 points. 4 Propos recueillis lors de l’entretien du 27/10/2011. Traduction propre

328

pays depuis l’indépendance ; et là où la Concertación s’articule autour de deux partis –le PSch et le

PDC- à caractéristiques semblables (importantes bases de militants et d’élus, capacité de

mobilisations comparables), l’Alianza a rassemblé deux partis de tradition, de profil et surtout de

ressources déséquilibrés. L’UCR, bien qu’en perte de vitesse, maintenait un appareil partisan sur

l’ensemble du territoire et était capable de mobiliser des sympathisants et militants aux moyens de

ressources financières et clientélaires que le FREPASO était incapable de réunir, du fait de son

absence d’institutionnalisation et sa récente création. Ce déséquilibre des ressources devient

manifeste, pour la première fois, lors des élections primaires de novembre 1998 en vue de la

désignation du candidat commun à l’élection présidentielle de 1999. Sans surprise, c’est le radical

et gouverneur de la ville autonome de Buenos Aires, Fernando de la Rúa qui l’emporte très

nettement sur la candidate du FREPASO Graciela Fernandez (avec 63.5% des voix)1. L’aspect

coopératif reste d’apparence préservé, par le choix de la part de De la Rúa de prendre Chacho

Alvarez comme colistier à l’investiture vice-présidentielle s’inscrivant en conformité avec la Lettre

aux Argentins : « L’Alianza propose en résumé ses idées et projets avec un style de gouvernement

qui s’inscrit clairement en opposition avec l’administration qui prend fin. Sans ostentation et faits

du prince et […] cherchant à limiter les critères discrétionnaires du pouvoir. Le temps de la

décence, de la transparence et de l'austérité alliée au courage est venu, ainsi que celui de la

sagesse et de la tempérance alliée à la sensibilité et la responsabilité morale. »2

Cependant, les relations dégradées au sein même de l’UCR, entre les défenseurs De la Rúa et

ceux d’Alfonsin, et la légitimité électorale ressentie par le premier, ont conduit à ce que le candidat

De la Rúa se dévie du processus de rédaction de la Lettre aux Argentins, et ne créé son propre

comité programmatique, formé de proches et familiaux du candidat, sans que ne soit établie la

participation des leaders du FREPASO. De cette façon, l’Alianza arrive aux élections de 1999 avec,

en quelque sorte, deux programmes : l’officiel rédigé par l’IPA et rendu public par la Lettre aux

Argentins, et l’officieux rédigé et détenu par les membres du « premier cercle de De la Rúa ». Ce

revirement constitue d’après Dante Caputo « les germes de l'échec, l'incapacité à formuler une

politique commune pour un gouvernement de coalition ... »3, et laisse ainsi prévoir le type de

gouvernance à venir.

Ces événements et la propre structure des partis marqués soit par une polarisation interne forte

(UCR) soit par un déficit institutionnel (FREPASO) on conduit à ce que ne se concrétise aucun lieu

commun de formulation de politiques publiques et prise de décisions concertées. En outre, la

1 Nous verrons plus en detail cette election au chapitre suivant.

2 Carta de los Argentinos, 10/08/1998, epilogue. Traduction propre

3 Entretien réalisé le 27/10/2011. Traduction propre.

329

victoire sur Menem, puis son discrédit populaire, constitue la fin de la raison d’être de la coalition

originelle : celle-ci se retrouve sans réel « ennemi » politique auto-identifié, lequel constituait son

principal « liant » politique. Et bien qu’il ait constitué un gouvernement de coalition (voir infra

chapitre 6), De la Rúa répète au final les schémas habituels de gouvernance en Argentine de

président qui incarne l’autorité politique et gouvernementale par lui-même, entouré de son cercle de

confiance. Contrairement à ce que prévoyait la Lettre aux Argentins, de la Rúa ne collectivise pas

la prise de décision, encore moins avec Alvarez. Mario Brodesohn, conseiller d’Alfonsin se

rappelle:

« De la Rúa ne considérait pas Chacho Álvarez, celui-ci avait accepté la vice-présidence pour

participer au sein du cabinet de la prise de décision, mais De la Rúa l’a marginalisé. Nous, les

radicaux, on voyait cela de manière terrible, on était désespérés : à peine entamé, le gouvernement

tombait en lambeaux… Le président n’a jamais intégré ni fait participer les autres membres du

gouvernement au-delà de son cercle très réduit composé d’amis proches et de familiaux. »1

María Matilde Ollier, politiste doyenne de l’école de gouvernement et science politique à

l’Université de San Martín, et conseillère de Graciela Fernandez Meijide durant le gouvernement

de l’Alianza, précise :

« Ce n’était pas un panier de crabes, puisque seul De la Rúa commandait… il n’a jamais compris

que son mandat provenait d’un consensus… d’ailleurs il n’était même pas le chef de l’UCR…

autant d’éléments qui auraient dû lui indiquer de gouverner, au moins, avec Alfonsin et Alvarez,

plutôt que d’affronter celui-ci. »2

Ainsi, le gouvernement de l’Alianza n’a jamais réellement fonctionné comme un gouvernement

de coalition, ce qu’il était pourtant, alors même que le contexte socio-économique du pays devenait

insupportable. De la Rúa prenait des décisions sans aviser les membres du gouvernement, suivant

un répertoire d’action présidentielle mono-partisane et confrontationnelle, idiosyncratique de

l’Argentine et du radicalisme en particulier. Le problème est ainsi, essentiellement, un problème de

personnalités et de méfiance mutuelle, plus qu’un problème de relations inter-partisanes. Aspect qui

vient être aggravé par le déficit d’institutionnalisation du FREPASO.

En effet, lorsqu’éclate une affaire de corruption de sénateurs autour de la personnalité du

ministre FREPASO du travail, Alberto Flamarique, ce qui produit une levée de suspicions autour

de la figure du Vice-président Chacho Alvarez3, l’absence de soutien politique de la part du

président De la Rúa auprès de son propre vice-président, alimenta par-là même la défiance et les

1 Entretien réalisé le 24/07/2011. Traduction propre

2 Entretien réalisé le 16/09/2009. Traduction propre.

3 Le vice-président occupe en Argentine, comme en Uruguay, la presidence du Sénat.

330

suspicions d’implications d’Alvarez. Cet événement conduisit à la démission irréfutable d’Alvarez

de la vice-présidence, le 6 Octobre 2000, et à la démission d’autres membres du gouvernement dont

le secrétaire du gouvernement Rodolfo Terragno, et ce seulement dix mois après que le

gouvernement ne soit entré en fonction. Pour autant, Alvarez conserve son poste de chef du

FREPASO, et pense même un moment revenir au gouvernement en lieu et place de Terragno, tout

en insistant en interne pour que le maintien de la coalition. Graciela Meijide précise ainsi :

« Chacho s’en va parce que Chacho était déprimé, les gens dirait que c’est un bipolaire… il s’est

mal comporté vis-à-vis de nous… quand il quitte la vice-présidence de la République il ne quitte

pas pour autant le parti… on est tous restés parce que lui nous l’a de mandé ‘vous restez, le seul

qui s’en va c’est moi’… et quand il décide de revenir il nous donne un discours extrêmement

violent qu’il accepterait tout type de discussion et proposition à l’intérieur du parti excepté celle

de quitter l’Alianza… mais quand il comprend qu’il ne retournera pas au gouvernement il quitte le

parti, et le parti explose… »1

En définitive, si le contexte socio-économique très dur qui a touché l’Alianza détient une

importance indéniable quant à l’action et l’effectivité du gouvernement, les problèmes internes aux

deux partis, - les fortes divisions internes aux radicaux, et la Chacho-dépendance du FREPASO-,

combinées aux déficit des mécanismes de résolution des conflits interpartisans (intra-coalitionnaire)

et une gestion politique unilatérale de la part du président De la Rúa, sont autant d’éléments qui

sont intervenus de manière critique dans l’avortement prématuré de l’unique expérience de

coalition gouvernementale de l’histoire politique argentine.

5.3 Conclusions

Nous nous sommes intéressés dans ce chapitre aux processus coalitionnaires en interne, et aux

relations entre les acteurs de première ligne des gouvernements de coalition dans les régimes

présidentiels du Cône Sud, depuis l’intérieur de ces processus coalitionnaires. Le but était de

combiner les études portant sur « l’environnement coalitionnaire » tant institutionnel que structurel,

et pour pouvoir aborder l’impact des expériences de gouvernements coalisés sur l’évolution récente

des systèmes politiques du cône sud, en ajoutant une perspective depuis les acteurs centraux.

Pour ce faire, nous avons procédé en adoptant une approche mêlant l’étude de la sociologie des

partis politiques et des relations structurelles avec l’environnement sociopolitique, nous avons

particulièrement insisté sur trois dimensions, toutes trois liées entre-elles : i) l’impact théorique et

pratique de la figure présidentielle dans la constitution des partis politiques et l’organisation des

processus de prise de décision ; ii) l’importance de la structuration des partis politiques et leur

1 Entretien du 14/06/2011, traduction propre.

331

forme d’organisation et de relationnement ; et iii) les marges de manœuvres en terme de

collaboration politique.

Nous avons vu qu’à l’inverse des systèmes parlementaires, les partis en systèmes présidentiels

tendent à dialoguer avec d’autres partis semblables en terme de portée représentative (partis à

portée nationale exclusivement), en raison du caractère national de l’élection présidentielle. Nous

avons insisté sur le caractère précaire de la stabilité intra-partisane et sur le niveau de cohérence

interne aux systèmes partisans en régime présidentiels. Le Chili se rapproche à ce propos davantage

d’un exemple de partis à l’européenne, ce qui ne suppose pas pour autant l’absence de

fractionnements internes. Nous avons ainsi vu la nécessité de nous méfier des notions de

« stabilité », aussi bien politique, gouvernementale que démocratique, en y ajoutant différents

éléments de lecture plus qualitatifs (polarisation interne, efficacité gouvernementale, type de

structuration). Néanmoins, comme nous l'avons vu avec l'exemple du Chili, une stabilité apparente

entre les structures partisanes ne traduit pas nécessairement une stabilité au sein des membres.

Si la théorie utilitariste paraît séduisante, dans un premier temps, pour analyser les motivations

et incitations à gouverner de manière coalisée, la trop grande importance qu’elle confère à la figure

du leader partisan ne s’applique que partiellement à la réalité présidentialiste, sans compter

l’absence de considérations d’apprentissage politique, comme ont fait preuve les coalitions

chiliennes et uruguayennes. Il est donc nécessaire, à nouveau, de « présidentialiser » l’analyse et de

se poser la question de la véracité des perceptions d’unicité des coalitions et d’unicité des partis,

tout en insistant sur la nature et le type de forces en présences, et le pouvoir de nuisance des

éléments individuels et collectifs. Enfin, l’existence de menaces externes influe particulièrement sur

l’intensité du niveau de structuration et de cohésion des alliances. L’existence et la structuration

d’éléments externes perçus comme autant d’adversaires politiques viennent contribuer de manière

particulièrement forte et durable, sur la formation d’identités et de cohésion coalitionnaire.

332

Chapitre 6 : Coalitions gouvernementales

en système présidentiel : congruence

partisane et reddition de comptes.

« … ce que nous voulons dire, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme,

l’organisation, l’ensemble des relations qui constituent ces entreprises »

Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme.

Dans le chapitre précédent nous avons insisté sur l’impact de la structure interne des partis, et

sur l’organisation des alliances interpartisanes en système présidentiel. Nous n’avons toutefois

qu’effleuré la question de la composition des cabinets pluripartisans en ce type de régime. Cette

composition du cabinet est négociée et scellée en fonction : i) de la précocité de l’accord de

coalition (coalition pré-électorale, d’entre-deux-tours, etc.), ii) du degré de « familiarité » et

« proximité » des acteurs, iii) du poids politique de chacun des intervenants, en fonction de leurs

ressources propres, lequel est établi le plus souvent par la taille de leur groupe parlementaire à

l’assemblée. Sur ce dernier point, il a été argumenté précédemment que le « poids » d’un partenaire

peut également dépendre de variables autres que quantitatives, telles les dimensions symbolique

(par exemple l’attachement à une figure particulière de l’histoire nationale), idéologique

(notamment dans le cas des partis religieux) ou la capacité de mobilisation de la marque partisane.

Si l’interaction entre le gouvernement et son assise législative est évidente en système

parlementaire, puisqu’elle est marquée par une relation de dépendance du premier sur le second et

d’un effort constant de maintien de l’équilibre partisan, elle l’est beaucoup moins en système

présidentiel de par la séparation des pouvoirs et l’absence de reddition de compte de l’exécutif

auprès du législatif1. Dans le chapitre précédent nous avons, en outre, longuement insisté sur la

difficulté à considérer les groupes partisans comme autant d’acteurs unitaires ou « blocs » soudés,

et avons montré que la formation d’un gouvernement de nature pluripartisane en système

présidentiel ne garantissait pas un soutien automatique et corrélatif des coreligionnaires partisans

qui composent ledit gouvernement. Par ailleurs, le cas uruguayen a montré que la sortie d’un

membre d’une coalition gouvernementale peut, paradoxalement, ne pas se traduire par plus de

1 Eléments qui ont déjà été abordés aux chapitres 1 et 2.

333

difficultés à élaborer et faire adopter des politiques publiques1. Cela suppose donc d’analyser le

type de redditions de comptes aussi bien direct qu’indirect, qui s’impose aux gouvernements de

coalition en système présidentiel.

De plus, considérant la liberté –supposée- octroyée au président de nommer son cabinet de

manière indépendante -c’est-à-dire sans passer par un vote de confiance parlementaire-, et étant

donné que la distribution des postes ministériels constitue la principale source d’incitations à

participer à un gouvernement et/ou récompense pour un soutien politique (généralement électoral) ;

encore faut-il se demander quels sont les processus de nominations à la fois des ministres, mais

aussi de sélection du candidat présidentiel en cas de coalitions gouvernementales issues d’alliances

électorales. En somme, il s’agit de se demander quels sont les éléments négociés et sur quelles

bases à lieu la négociation, ainsi que de s’interroger sur l’ampleur des ressources significativement

distribuables. Il est donc nécessaire de voir si l’absence de ratification parlementaire quant à la

composition du cabinet présidentiel, peut conduire à une inflation des postes ministériels dans un

but d’augmenter, potentiellement ou artificiellement, les « récompenses » ou autres incitations à

rejoindre un gouvernement, et par-là même l’attractivité d’une formule de pouvoir coalisé.

Enfin, l’interaction interpartisane régulière et répétée au sein de gouvernements coalisés conduit

à ce que s’institutionnalisent, de manière plus ou moins formelle comme il a été montré lors des

deux précédents chapitres, des routines comportementales et organisationnelles entre les différents

acteurs de ces coalitions, constitutives d’un « ordre coalitionnel »2. Suivant la nature des processus

et des expériences respectives, qu’il s’agisse d’un pacte ou d’un « projet de coalition

gouvernementale », cet ordre sert alors au maintien de l’équilibre interne à la coalition et à

renouveler les conditions originales de formation, et/ou assimiler les évolutions aussi bien

conjoncturelles (socioéconomiques par exemple) que structurelles (telle la sortie ou l’entrée d’un

membre) ayant un impact sur l’équilibre des forces en présence et la stabilité-même de la coalition.

En somme, l’ordre coalitionnel veille à ce que le maintien ou, selon les cas, la reconduction de la

coalition continue à faire sens aussi bien pour les partis que pour les électeurs représentés par ces

partis. Cette condition est particulièrement critique en système présidentiel puisque, comme nous

l’avons montré au chapitre 4, la formation des alliances tend à être plus précoce –pré-électorale ou

d’entre-deux-tours- qu’en systèmes parlementaires. D’ailleurs, en ce sens, la Concertación

chilienne constitue une sorte de modèle d’adaptation où la coalition est parvenue à se réinventer et

à maintenir une cohésion forte, malgré la perte de sa raison d’être originelle (organiser la transition

1 Voir infra chapitre 5.

2 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la

gauche à Calais (1971-2005) », thèse de doctorat non publiée, Université de Lille 2, Décembre 2006, p.355.

334

démocratique au régime de Pinochet). Toutefois, les coalitions partisanes, à quelque niveau

qu’elles se produisent, ne sont pas des structures déconnectées de leur substrat social et demeurent

liées, comme l’a montré le précédent chapitre, à l’organisation et la structuration des acteurs – ici

les partis pris comme institutions socialisantes- qui les composent. Dès lors, tout ce qui affecte

directement ou indirectement la coalition, affecte en premier lieu les partis eux-mêmes, dans leur

communication et leur organisation interne. De cette manière, le renouvellement automatique (cas

chilien) ou « inertiel » (cas uruguayen) des accords de coalition1, qui semble supposer une certaine

stabilité des relations interpartisanes, ne saurait être la preuve in fine d’une stabilité des structures

partisanes. En conséquence il est nécessaire de s’attacher à analyser les transformations internes

récentes des partis formant des coalitions, en prêtant une attention particulière aux liens

d’association entre les élites partisanes et leur électorat ainsi qu’à l’évolution de ces structurations

partisanes sur les comportements politiques, et déceler ainsi un éventuel « effet coalitionnel » sur la

culture politique nationale.

Ce chapitre se divise en deux parties. La première analyse les dimensions causales des

comportements politiques liés à la sélection du candidat commun pour l’élection présidentielle, et

la transposition éventuelle de la coalition gouvernementale sur différents niveaux. Nous

observerons de cette façon les effets de la « profondeur » des coalitions, entendue comme

l’expression multiniveau de l’accord de coalition, sur la structuration des relations interpartisanes et

la formation d’une « identité coalitionnelle ». La seconde partie, s’attache à incorporer et tester

empiriquement les hypothèses générales de la littérature s’inscrivant dans le courant principal

(mainstream), qui soutiennent : i) que l’attention et l’intérêt partisan de la part des leaders des partis

politiques en système présidentiel sont portés, essentiellement, sur l’obtention de portefeuilles

ministériels2, et où ii) la répartition des portefeuilles ministériels constituerait à la fois la principale

source de convoitise entre les partenaires et la première source de rétribution entre les mains du

président. Ces hypothèses seront ainsi confrontées au processus de sélection des candidats, puis de

« répartition » des portefeuilles ministériels entre les différents partenaires, via l’étude de la

congruence3 des gouvernements de coalitions par rapport au « poids » des acteurs. L’analyse

portera également sur l’étude de la « taille » des cabinets ministériels, exprimée en fonction du

nombre de ministres en poste, en comparant d’une part les systèmes présidentiels et

1 Voir supra chapitre 4.

2 LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in

Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; LIJPHART, A., Patterns of Democracy: Government Forms and

Performance in Thirty-six Countries, Yale University Press, 1999; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T.,

Delegation and Accountability in Parliamentary Democracies, Oxford University Press, 2003. 3 Une definition de cette notion sera présentée en infra.

335

parlementaires ; d’autre part les gouvernements monocolores et de coalition. Enfin, nous

aborderons la question de la reddition des comptes aussi bien des acteurs gouvernementaux vis-à-

vis de leurs coreligionnaires partisans, que vis-à-vis de leur substrat social : l’électorat. Les

principaux indicateurs proviendront des perceptions des acteurs eux-mêmes et de l’opinion

publique sur les acteurs des gouvernements de coalition, au travers de l’étude des tendances

récentes de l’évolution des formes de participation politique.

6.1 La notion de « verticalité » dans la formation des cabinets coalisés en système

présidentiel : le cas du cône Sud

Dans le chapitre précédent, nous nous sommes intéressés à la question de la « connexité »

horizontale des acteurs1, c’est-à-dire dans leur forme de relation au niveau gouvernemental. Or, si

c’est du gouvernement central (ou « fédéral ») que provient la principale source de pouvoir

politique, il n’en demeure pas moins que la compétition politique s’exprime également à des

niveaux inférieurs, généralement plus « locaux ». En cela, les régimes présidentiels se différencient

des systèmes parlementaires, puisque le président, indépendamment de son mode d’élection, tire sa

légitimité du vote populaire à l’échelle nationale, alors que les parlementaires sont la plupart du

temps élus à des niveaux régionaux ou provinciaux2. En système parlementaire

3 le gouvernement,

bien qu’il représente les intérêts de la nation, tire sa légitimité de ces mêmes députés et de sa

majorité parlementaire. Ceux-ci portent donc une double casquette locale-nationale, à la fois élus

nationaux et représentants des intérêts de leurs circonscriptions.

Toutefois même en système présidentiel, le gouvernement ne constitue pas un objet séparable

des différents niveaux d’administration, ni un « ordre naturel supérieur » séparé de la société. Les

partis qui participent au gouvernement opèrent donc également aux niveaux inférieurs, d’où ils

tirent d’ailleurs la plupart de leurs ressources matérielles et financières. L’intérêt de l’analyse

concerne donc la « profondeur » de la coalition gouvernementale et sa transposition aux niveaux

inférieurs. La transposition d’une coalition gouvernementale sur les différents échelons

1 Voir supra 5.1.

2 Un contre-exemple serait le cas uruguayen où les sénateurs sont élus sur une seule circonscription nationale.

Cependant, en règle générale dans les systèmes présidentiels, les sénateurs sont les représentants de « l’unité de la

nation » (ou de la fédération suivant les cas), suivant deux éléments : i) nombre restreint produit de ii) leur répartition

égale sur l’ensemble des districts ou provinces (chaque province ou district élit le même nombre de sénateurs, plutôt

que proportionnellement à leur importance démographique). Ces éléments confèrent aux sénateurs une portée et une

visibilité plus « nationale » que les députés. De plus, leurs mandats sont souvent plus longs et, de ce fait, la fonction de

sénateur tend à être plus prestigieuse que celle de député. 3 Cela s’applique également pour les systèmes semi-présidentiels à la française, où le premier ministre qui est le chef

du gouvernement dépend de sa majorité parlementaire.

336

représentatifs et administratifs est supposée entraîner un plus grand niveau de complexité en

fonction de son « degré » de profondeur, de par la multiplication des sources de conflits possibles et

des intérêts particuliers et collectifs. Pour autant, la verticalité de la coalition gouvernementale agit

réciproquement sur sa structuration identitaire, en reliant le sort des partis qui l’intègrent sur les

niveaux local et national. Les intérêts des partis qui se coalisent et consolident leur coopération,

ainsi que leurs structures respectives (là où ils tirent leur légitimité électorale) sont donc à prendre

en considération pour comprendre ce qui les lie, et ce qui les différentie. Niklas Luhman résumait

ainsi ce propos : « ce qui fascine ce n’est pas l’unité mais la différence, ou en allant plus loin :

l’unité de la différence »1.

6.1.1. Mode de sélection des candidats et « degré d’ intégration » des alliances

partisanes.

La tenue d’élections constitue la matérialisation la plus courante de l’expression populaire dans

un régime démocratique, en capturant une « photographie » des préférences politiques de la part

des électeurs à un moment « t ». Les élections constituent pour les partis politiques le « moment de

vérité » du fait de leur capacité persuasive et mobilisatrice vis-à-vis de la concurrence. S’il est

communément admis que les différents partis disposent d’un électorat « captif », basé

essentiellement sur des divisions sociales où chaque classe aurait son représentant partisan attitré,

cette conception ne saurait expliquer le principe d’alternance politique, phénomène propre au temps

« court », là ou les changements de matrice sociopolitique et de stratification sociale relèvent de

processus découlant d’une temporalité plus longue2.

Par ailleurs, le chapitre 3 de cette thèse a insisté sur la démystification du concept de parti de

masse ou « parti d’idéologie » comme structure organisationnelle idéal-type, vers laquelle

devraient converger toutes les structures partisanes, en donnant les exemples américains, argentins

et uruguayens comme autant de systèmes de partis dont le lien de socialisation repose sur autre

chose que la seule idéologie. En effet, comme l’a montré Bernard Manin, les sociétés où priment

les partis « d’idéologie », renvoient à une période de l’histoire de la représentation politique et à un

contexte social particulier. Or le progrès technique et surtout l’évolution des moyens de

1 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, México, 2009, p. 187

2 Pour une introduction à la notion de “stratification sociale”, voir DAVIS, K., et MOORE, W., « Some principles of

social stratification », in American Sociological Review, Vol. 10, No. 2, 1945, pp. 242-249; pour une critique de cette

notion, voir TOURAINE, A., « Classe sociale et statut socio-économique » in Cahiers Internationaux de Sociologie,

Vol.11, 1951, pp. 155-176. Pour une introduction au concept de matrice sociopolitique voir GARRETON, M.A.,

Reconstruir la Política, Editorial Andante, Santiago du Chili, 1987.

337

communication de masse (radio, télévision, internet, etc.) aidant, le type de représentation politique

de ces sociétés tend peu à peu à évoluer vers ce que Manin appelle la « démocratie du public », où

l’idéologie et les dogmes partisans cèdent de plus en plus le pas à une individualisation de la

politique. Les personnalités politiques constituent alors un élément de persuasion aussi voire,

suivant les cas et les élections, plus puissant encore que les propres idéologies des partis1.

L’argument de la centralité des personnalités et des figures politiques, s’applique particulièrement

pour les élections à scrutin nominal « majoritaire », où le vote se porte sur une personnalité

détentrice du vote et du mandat octroyé. A l’inverse, l’argument est moins pertinent pour les

scrutins relevant d’une représentation proportionnelle de « liste partisane fermée »2, qui incluent

plusieurs personnalités dont l’ordre a été fixé au préalable par les instances centrales des partis,

lesquels sont dans ce cas les dépositaires du vote populaire, et donc les « propriétaires » du poste.

Ainsi, d’après Giovanni Sartori :

« La démocratie consiste en un procédé (1) de création continue de minorités ouvertes et rivales,

et (2) dont le comportement est orienté par la loi des ‘‘réactions prévues’’, c’est-à-dire par l’idée

que l’on se fait du comportement des électeurs aux prochaines élections […] La qualité du résultat

dépendant de la qualité du leadership… »3

D’une certaine manière, l’élection présidentielle constitue l’expression maximale du scrutin

nominal, voire l’expression paradigmatique du caractère majoritaire4. La figure du candidat à la

présidentielle occupe donc un rôle central pour tout parti à vocation gouvernementale, puisque de

ce candidat dépend grandement le sort du parti aux élections, et autour de ce candidat se structure

l’action du parti après l’élection, tant au gouvernement que dans l’opposition5. Le processus de

sélection du candidat à la présidence constitue ainsi un événement majeur pour les partis. De

même, et par opposition, le choix de renoncer à présenter un candidat propre à une élection

présidentielle, lorsqu’il correspond à une stratégie de ralliement autour d’un candidat alternatif,

1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].

2 Le scrutin de liste ouverte accentue encore plus la dimension personnaliste puisqu’il suppose l’élaboration d’un choix

pour un candidat à l’intérieur d’une même liste partisane. Enfin le panachage constitue une variante « extrême » du

scrutin de liste ouverte, où chaque électeur peut voter pour plusieurs personnalités de différentes listes partisanes. Voir

etre autres LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Haven, 1984 ; et MARTIN, P., Les systèmes

électoraux et les modes de scrutin, Clefs Monchrestien, Paris, 2006. 3 SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973, p. 107

4 LIJPHART, A., Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-six Countries, Yale

University Press, New Heaven, 1999; LINZ, J.J., « Presidential or parliamentary democracy : does it make a

difference ?», in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Vol. 2, Johns Hopkins

University Press, Baltimore, 1994, pp. 3-88. 5 FREIDENBERG, F., Selección de candidatosy democracia interna en los partidos de América latina, Asociación

Civil Transparencia e International/ IDEA, Lima, 2003. SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of

powers and party organization and behavior”, in Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483.

338

dans le cadre de la formation d’une coalition électorale, suppose certaines négociations préalables

en interne pour l’obtention de compensations en échange de ce sacrifice électoral.

Comme le rappellent José Antonio Cheibub, Adam Przeworski et Sebastián Saiegh, le chef de la

coalition gouvernementale en système parlementaire -le premier ministre- est, 85% du temps, le

chef du parti le plus grand de la coalition1. D’après ces mêmes données, en régime présidentiel, le

président, qui est le « formateur » de la coalition, proviendrait également, dans 76% des cas, du

« plus grand parti »2 en termes de voix et de sièges au parlement. Or, comme nous l’avons montré

au chapitre 4, le recours à des coalitions électorales est assez fréquent en système présidentiel et il

peut conduire à ce que le parti qui aurait reçu, en nombre absolu, le plus de voix ne s’intègre

finalement pas au gouvernement. L’exemple de l’élection de 1999 en Uruguay illustre bien ceci, où

le Frente Amplio était arrivé en tête lors du premier tour et avait obtenu une majorité relative au

parlement, mais était resté, au final, dans l’opposition à la suite de l’accord d’entre-deux-tours

conclu par le Partido Colorado et le Partido Nacional pour l’élection présidentielle. Cela conduit

alors à ramener cette hypothèse à la question de la « taille » des partis, à l’intérieur de la coalition

électorale. Dit autrement, le candidat commun à la présidentielle provient-il généralement du « plus

grand parti » de la coalition électorale ? Encore faudrait-il s’accorder sur certains indicateurs …

Par ailleurs, les motivations pour rejoindre une coalition électorale sont variées : l’obstruction à

un adversaire commun (« coalition négative »), l’incapacité matérielle à mener seul une campagne

électorale, des prévisions électorales défavorables, etc. sont autant de motivations justifiant le choix

de présenter une candidature conjointe. Les rétributions envisagées sont également diverses et

répondent à un objectif d’amélioration de l’influence du parti, comme l’avance Vincent Lemieux :

« les acteurs politiques quand ils s’allient entre eux, généralement contre des rivaux, cherchent à

occuper des positions de pouvoir plus avantageuses que celles qu’ils occupent ou occuperaient en

l’absence de telles alliances »3

Il est à prévoir que le désistement en faveur d’une candidature présidentielle commune entraîne

une collaboration interpartisane plus importante, matérialisée par une intégration verticale de la

coalition sur différents niveaux, notamment au plan législatif. D’où l’utilité de comparer les huit

cas de formations de coalitions gouvernementales dans le Cône sud, en intégrant les questions du

1 Cheibub et al., mesurent en effet les gouvernements en « années » gouvernementales sur cinquante-trois ans (1946-

1999), c’est-à-dire en fonction des temps de coalition et non en fonction de la seule formation de coalitions

gouvernementales, parfois éphémères (Italie, France de Ive République, etc…). Voir CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI,

A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, in

British Journal Of Political Science, 34, 2004, p 571. 2 Ibid

3 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de

Laval, Laval (Québec), 2006, p.16.

339

processus de sélection de candidats communs, lorsqu’ils existent, et la dimension de l’ « intégration

verticale » et les négociations qui en découlent.

Par intégration verticale nous entendons la transposition de l’alliance sur des échelons

inférieurs de représentation politique, tels que les niveaux législatifs, provinciaux (gouverneurs) et

municipaux. Le processus de verticalisation des alliances suppose en effet un engagement accru de

coopération interpartisane, contenu dans la notion de « projet » politique de formation de coalition

davantage que dans celle, plus circonstancielle, de pacte1 (généralement électoral). On parle ainsi

de verticalité de l’alliance pour évoquer la profondeur de l’intégration interpartisane, et partons du

présupposé que plus un accord de coalition est vertical, plus la relation interpartisane est intense ou

« profonde », et donc plus la coalition de partis sera solide et durable2. La verticalité d’une alliance

est considérée comme nulle, lorsqu’elle se limite à la dimension gouvernementale sans formation

de « bloc » parlementaire ; partielle lorsqu’elle inclut un autre niveau de représentation ;

incomplète, lorsque les accords aux niveaux inférieurs ne sont ni généralisés ni structurés ; elle est

totale lorsque, par définition, l’intégration interpartisane se transpose sur tous les niveaux de

représentation politiques.

Enfin, la reconduction de la verticalisation d’une alliance politique, engendre la formation d’une

consistance cognitive de l’alliance, et surtout la création d’une « mémoire » de collaboration

interpartisane. Cette mémoire opère au final sur la base de la routinisation de mécanismes de

collaboration interpartisane multiniveau, et sur la retro-alimentation des éléments fondateurs de la

coalition originelle. La coalition fonctionne comme un « sous-système », capable de survivre

malgré la disparition de sa raison d’être fondationnelle3. Autrement dit, plus une coalition partisane

se trouve intégrée et verticale, plus les intérêts des membres qui en font partie sont interdépendants,

l’alliance prenant ainsi un caractère « associatif » et pérenne4.

1 FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,

I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191-222. 2 Voir les travaux de Georges Tsebelis sur les « jeux imbriqués » (nested games), in TSEBELIS, G., Nested games :

rational choice in comparative politics, University of California Press, Berkley, 1990 3 LUHMANN, N., La política como sistema… op. cit., p.216.

4 LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, Puf, Paris, 1998. Les quatre niveaux d’alliance, décrits

par Lemieux en fonction de leur durabilité et de leur niveau de négociation étant, partant du plus fort niveau

d’intégration et de permanence : i) l’association, ii) la coalition, iii) la tendance, et iv) l’agrégat.

340

6.1.2. Sélection des candidats et verticalité des coalitions gouvernementales

dans les systèmes présidentiels du Cône Sud.

Dans les chapitres précédents, nous avons analysé les éléments communs et divergents qui ont

conduit à la formation des coalitions gouvernementales dans le Cône Sud. Si la dimension

institutionnelle et le système électoral sont souvent mis en avant comme « variables » décisives, les

chapitres 3 et 4 ont insisté sur les questions de groupalité et sur la temporalité des processus, afin

d’analyser le processus de verticalisation, ou son absence, des alliances partisanes. Il s’agit

maintenant de voir quels sont les impacts de la groupalité partisane et surtout de la temporalité

politique dans les processus de verticalisation. Par exemple une coalition qui « descend », c’est-à-

dire qui part du niveau gouvernemental vers les niveaux locaux, est-elle aussi bien préparée et

susceptible de durer qu’une coalition qui « monte », depuis le niveau local vers le niveau

gouvernemental ?

a. Uruguay : l’union libre.

Les deux premières coalitions gouvernementales en Uruguay, respectivement sous le mandat de

Luis Alberto Lacalle puis celui de Julio María Sanguinetti, se sont formées après la tenue des

élections (1989 et 1994). Le système électoral d’alors facilitait les candidatures multiples à

l’intérieur de chaque parti, au travers du « double vote simultané » (DVS), qui consistait en une

sorte de scrutin à listes ouvertes, où l’électeur votait à la fois pour un parti ainsi que, de manière

simultanée, pour un des différents candidats de ce parti. De manière simultanée au vote

présidentiel, l’électeur élisait les parlementaires suivant un procédé similaire, mais sans possibilité

de « croiser » le vote1. En somme, ces alliances gouvernementales ne sont pas le fruit de coalitions

électorales et n’ont donc pas impliqué l’effacement d’une candidature au profit d’une autre, puisque

le timing de la formation des deux coalitions est de type post-électoral. Il s’agit donc de

gouvernements de coalition ad hoc où les partenaires sont solidaires entre eux au niveau

gouvernemental, le temps que dure la coalition, et où leurs formations respectives au parlement

agissent de manière cohérente avec le gouvernement, sans que ne se constitue pour autant un

véritable « bloc officialiste » parlementaire ; les deux partis, et leurs fractions, gardant leur

autonomie décisionnelle et organisationnelle.

1 Les électeurs ayant voté à la présidentielle pour le parti X devaient maintenir leur vote pour ce parti, et choisir une des

options à l’intérieur de celui-ci. Voir BUQUET, D., « El doble voto simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2,

2003, pp. 317-339.

341

Le gouvernement de coalition de Jorge Batlle s’inscrit dans un contexte différent. Le candidat du

Partido Nacional, l’ancien président Lacalle, fut éliminé dès le premier tour de l’élection de 1999,

et son ralliement d’entre-deux-tours à la candidature de Batlle a été le fruit de fortes négociations

entre les candidats des deux partis. La réforme constitutionnelle de 1997, prévoyant la fin du DVS

pour l’élection présidentielle et la tenue de primaires partisanes pour désigner le candidat à la

présidentielle (voir chapitre précédent), les candidats désignés officient au final comme leaders

partisans et impriment la stratégie politique du parti. D’ailleurs, dans le cas particulier du PC, le

parti se retrouvait de plus en plus resserré après les défections des années 1990 et la chute du

nombre de fractions internes, qui est mis en évidence par l’absence de recours à des primaires

compétitives depuis 1999 du fait d’une absence d’alternatives internes.. Les deux candidats ont

donc été responsables des décisions de leurs partis respectifs, notamment des négociations

interpartisanes, Batlle se plaçant dans une certaine continuité avec le gouvernement Sanguinetti,

tandis que Lacalle présentait des réserves quant à la réédition d’une alliance gouvernementale qu’il

considérait responsable de la débâcle électorale (voir supra chapitre 5). Alberto Volonté, ex

président du directoire du PN et initiateur de la coalition gouvernementale sous le mandat de Julio

María Sanguinetti, soutient que:

«… à la fin du gouvernement de coalition [de Sanguinetti], c’est de nouveau le gouvernement de

coalition qui a gagné, puisque Batlle était un défenseur de la coalition »1

Ainsi, à l’image des expériences précédentes, la coalition gouvernementale de Batlle ne

constitue pas un « front politique » organisé, et ne contient pas de dimension verticale, et encore

moins une « identité de coalition ». La sortie du gouvernement, à l’approche de la crise

économique, est « compensée » par un soutien parlementaire où le Partido Nacional appuie les

politiques publiques du gouvernement sans en assumer le coût politique, et a fortiori électoral. Le

caractère unilatéral et tacite de cette décision de soutien législatif, certes inconditionnel, et par

conséquent l’absence d’une perspective temporelle d’appui durable, constituent les caractéristiques

de la définition de l’agrégat, soit le plus faible degré d’alliance politique, tel que décrit par Vincent

Lemieux. Alberto Volonté confirme cette analyse :

« Les différences sont immenses entre blancos et colorados. Ils peuvent se coaliser entre eux ou

même se coaliser avec le Frente mais pas fusionner. […] Ce n’est pas comme au Chili où la

Concertación a créé un espace politique et une identité propre […] La coalition électorale entre

blancos et colorados ne fusionnera jamais, parce que cela ferait le jeu du Frente Amplio, et parce

qu’il y a un rejet ‘biologique’ à cela. »

1 Entretien réalisé le 24/09/2009, traduction propre.

342

Le changement de loi électorale a, comme nous l’avons indiqué dans les chapitres 2 et 5, insufflé

un changement politique et contribué à un ré-ordonnancement du système de partis uruguayen,

autour de deux blocs : l’un réunissant les deux « partis traditionnels », et l’autre composé du seul

Frente Amplio. L’instauration du second tour a conduit à ce que le premier tour, lorsqu’il n’est pas

décisif, officie de primaire interpartisane à l’intérieur du « bloc traditionnel », afin de qualifier un

challenger face au candidat du FA. Cette configuration, inaugurée en 1999 et marquée par la

victoire du candidat Batlle, s’est répétée en 2009, où c’est cette fois le candidat blanco, Luis

Alberto Lacalle, qui s’est qualifié au second tour face au candidat du Frente Amplio, José Mujica1.

Toutefois, la loi électorale ne prévoit pas de partage des tickets présidentiels. En résumé, un

candidat blanco à la présidence ne peut proposer de partager son ticket électoral avec un candidat à

la vice-présidence colorado. Enfin, hormis quelques cas isolés lors des municipales de 2010,

aucune candidature commune ni fusion de liste n’a eu lieu entre les deux partis « traditionnels ».

Les partis continuent ainsi de conserver leur indépendance en matière de sélection de candidats, à

tous les niveaux électifs.

b. Argentine: fusion sous curatelle de l’UCR

La formation du gouvernement de coalition de l’Alianza est, à la différence des gouvernements

uruguayens, l’aboutissement d’un processus initié en 1997. L’ascension rapide du FREPASO sur la

scène politique argentine, de 1994 à 1995, aux dépens de l’UCR, restait liée aux figures fondatrices

du parti et, comme cela a été analysé au chapitre 5, ne s’est pas accompagné d’une structuration ou

« institutionnalisation » ni d’une « nationalisation » de l’influence et de la visibilité du parti. Celle-

ci restait confinée, essentiellement dans la ville de Buenos Aires et autres grandes villes de

l’intérieur du pays. Enfin, le FREPASO, à la différence des deux « grands » partis argentins,

demeure, en raison de sa récente création, un parti de cadres avec un réseau de militants encore très

limité2. Ce déficit d’organisation et de capacité de mobilisation va être décisif au moment de

constituer des listes communes avec l’UCR, aux élections législatives de 1997 et 19993, et de

désigner un candidat unique lors des primaires de 1999.

L’accord d’alliance entre l’UCR et le FREPASO semble reposer sur des bases de type politico-

électoral, plutôt que circonstancielles ou conjoncturelles. Les négociations en vue des différentes

échéances sont donc tout autant politiques que soucieuses de créer un équilibre entre les deux

1 Lors de l’élection de 2004, le candidat du FA, Tabaré Vázquez, l’a emporté dès le premier tour avec 50.5% des voix.

2 NOVARO, M., et PALERMO, V., Los caminos de la centroizquierda: dilemas y desafíos del Frepaso y de la Alianza,

Editorial Losada, Buenos Aires, 1998. 3 En Argentine, la chambre des députés est renouvelée de moitié tous les deux ans.

343

forces. Aussi, les accords qui ont conduit à la formation de l’Alliance pour le travail, la justice et

l’éducation –nom officiel de la coalition électorale-, ont défendu l’idée de création de listes

communes dans la plupart des provinces argentines pour le scrutin législatif partiel de 1997. Il était

ainsi stipulé que chaque liste commune présenterait un nombre identique de candidats de chaque

parti, distribués de manière intercalée1. La seule exception notoire concernait la province de

Buenos Aires, où les seconde et troisième places de la liste furent occupées par des figures

radicales, en compensation du retrait d’Alfonsín (UCR) au profit de Graciela Fernandez

(FREPASO) de Meijide comme tête de liste. Notons toutefois que dans la plupart des cas, comme

reflet des rapports de force locaux, les têtes de listes furent essentiellement radicales, augmentant

ainsi quasi mécaniquement leur chance d’être élues. En échange, Chacho Alvarez (Buenos Aires

Capitale) et Graciela Meijide (Province de Buenos Aires), conduisirent les listes des deux plus

grands districts.

Cette répartition des listes, fruit d’une négociation entérinée moins de trois mois avant la tenue

des élections, a rencontré de nombreuses critiques et résistances, car au moment même où les

leaders des partis passaient l’accord de coalition, à Buenos Aires le 2 Août 1997, de nombreuses

sélections et primaires internes au niveau provincial avaient déjà eu lieu et des listes partisanes

avaient été créées2. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a conduit à ce que l’alliance électorale de

1997 ne soit que partielle, puisque dans neuf provinces les listes de l’UCR et du FREPASO se

présentèrent de manière autonome.

Le résultat de cette élection est, au final, mitigé. Si l’alliance dans son ensemble (en incluant les

candidats qui n’ont pas formé de pacte) parvient à faire élire un nombre élevé de parlementaires -

63 sur 127 postes à pourvoir -, elle n’a gagné que dans six provinces3, et le vote en faveur des listes

de l’Alianza est en fin de compte identique à celui du PJ (36.3%), parti au pouvoir alors considéré

en perte de vitesse. Des neuf provinces où l’UCR s’est présentée seule, elle ne l’a remporté que

dans quatre, le FREPASO n’a dépassé les 20% des voix que dans trois de ces mêmes provinces, et

ne l’a emporté qu’à Neuquén.

La victoire de la liste commune conduite par Graciela Meijide dans la province de Buenos Aires,

constitue cependant un élément important de satisfaction puisqu’elle consiste en la première défaite

1 Le système electoral argentin prévoit que les députés sont élus suivant un scrutin proportionnel à liste fermée, sur des

districts provinciaux dont la magnitude minimale (nombre de députés élus par district) est de 3. Ces districts sont

répartis au niveau provincial, chaque province recevant une délégation d’un minimum de 5 députés. De ce fait, dans

une liste α, la tête de liste revient à un membre du parti X, le second sur la liste doit être du parti Y, le troisième à

nouveau du parti X, et ainsi de suite jusqu’à compléter l’ensemble des places à pourvoir. 2 OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Economica,

Buenos Aires, 2001, p.116. 3 Buenos Aires Capitale, province de Buenos Aires, Chaco, Entre Ríos, Misiones et Santa Fe.

344

du PJ, dans des conditions d’élections libres, dans ce bastion électoral qui est à la fois la principale

province du pays et celle qui a le plus grand nombre d’électeurs -avec près d’un tiers de la

population du pays. Surtout, la victoire de Meijide prend une dimension nationale du fait de la

concentration des thèmes et discours de campagne contre la politique du gouvernement Menem.

L’organisation de « caravanes » électorales et l’assimilation de l’image de la candidate du PJ, Hilda

‘Chiche’ Duhalde, et à travers elle celle de son mari (le puissant gouverneur de la province de

Buenos Aires et candidat autoproclamé du parti pour les élections présidentielles de 1999, Eduardo

Duhalde) considéré comme successeur et continuateur du controversé président Menem, ont

contribué à la fois à fragiliser la candidature de Duhalde et à renforcer le propre prestige de Meijide

au niveau national. En mettant en lice, directement (Meijide) et indirectement (Duhalde), deux des

principales figures de chaque bord, cette élection, au-delà de ces résultats, constitue une sorte de

répétition du scrutin présidentiel de 1999.

La préparation de la campagne de 1999 s’inscrit dans la continuité du processus enclenché en

1997, via la recherche d’un approfondissement de la « verticalisation » des accords. Mais la tenue

d’élections provinciales (élection de gouverneurs) anticipées et simultanées tout au long de l’année

1999, où de nombreux désaccords et divisions locales conduisent à de mauvais résultats -3

gouverneurs avec l’étiquette « Alianza » sont élus, sur 16-, vient confirmer certaines limites déjà

entrevues en 1997. En outre, bien que le mode de scrutin ne soit alors encore qu’indirect, les deux

partis n’ont pas formé de réelle coalition électorale pour les élections sénatoriales. L’imbrication de

l’accord de coalition électoral et sa verticalisation sur plusieurs niveaux, demeurent donc floues et

beaucoup trop incomplètes.

La verticalisation montante, c’est-à-dire depuis la formation de l’alliance électorale pour les

législatives vers la coalition de gouvernement, repose donc sur un apprentissage local non routinisé

ni structuré, et la portée de l’accord électoral concerne essentiellement les postes à représentation

nationale (députés fédéraux). Au ticket commun à la présidence et vice-présidence, sont

« couplées » des listes communes aux élections législatives, ce qui est facilité par le caractère

simultané des élections présidentielles et législatives. Cependant, l’organisation de la sélection de la

formule commune à la présidence a a donné lieu à certains conflits. Le FREPASO voyait en effet

dans la victoire de Meijide lors des élections de 1997, la confirmation de son rôle de principal

opposant et sa place de seconde force politique du pays, acquise en 1995. Pour sa part, l’UCR ne

pouvait se résoudre à ne pas présenter, pour la première fois de son histoire, un candidat à l’élection

345

présidentielle. Deux possibilités sont alors apparues : un ticket commun de consensus, ou

l’organisation d’une primaire ouverte1.

La première présente l’avantage d’éviter les luttes internes fratricides et une fragilisation précoce

de la coalition, projetant une image d’unité. Cette option est davantage défendue au sein du

FREPASO, dont les membres savent que leur parti présente un déficit en matière de ressources

militantes et en capacité de mobilisation sur l’ensemble du territoire. De plus, le parti gardait un

mauvais souvenir d’une première expérience antérieure aux élections de 1995. En effet, pour ces

élections, le FREPASO qui était encore une coalition de partis récemment créée avait opté pour

l’organisation d’une primaire ouverte, à laquelle près d’un demi-million d’argentins participèrent,

mais qui s’était déroulée de manière suspecte et avait vu surtout un candidat ex-péroniste intégré de

fraîche date à la coalition, José Octavio Bordón, faire jouer ses réseaux pour l’emporter par 51%

des voix sur le leader naturel de la coalition et leader du Frente Grande, Carlos « Chacho »

Alvarez2.

Inversement, l’option de la primaire ouverte était plus populaire au sein des radicaux, qui

considéraient cette option comme plus « moderne », et susceptible d’attirer une forte couverture

médiatique et populaire. En cas de forte participation, le candidat « intronisé » recevrait ainsi un

fort soutien légitime. L’UCR était surtout convaincue de sa supériorité organisationnelle et

mobilisatrice. Mais cette option intégrait deux éléments importants : tout d’abord, la gestion de la

compétition interne et des précautions à prendre face à un « parasitage » de la part du PJ. Il

s’agissait ainsi de limiter le degré de confrontation, pour ne pas faire le jeu du PJ, et concentrer ses

attaques sur le candidat du PJ, Eduardo Duhalde. En outre, la question du niveau de structuration

des partis et le fait que les candidats se détachant pour participer à la primaire n’étaient pas des

présidents de partis, posait alors la question de l’influence des candidats et leur attractivité. En

effet, le déficit d’image de l’ancien président Alfonsín à l’UCR, bien que celui-ci agisse comme le

chef effectif de son parti, laissait au gouverneur de la ville de Buenos Aires, Fernando De la Rúa,

une place protagonique pour la primaire. Malgré des désaccords personnels et idéologiques avec

De la Rúa, Alfonsín se garda de fragiliser la position du candidat et du parti. Au FREPASO, le

prestige de Graciela Meijide et sa récente victoire aux législatives dans la province de Buenos

1 Les elections primaires peuvent être de deux grands types: “fermées” lorsque seuls les militants participent à

l’élection; “ouvertes” lorsque quiconque peut prendre part au vote, la sélection recevant ainsi une certaine « onction »

populaire. Bien que certains interdits à la participation peuvent être décrétés (ou la participation peut être limitée),

notamment pour les militants de partis d’opposition, dans la pratique, le contrôle des affiliations de tous les votants est

quasiment impossible. 2 Ces élections se voient entachées d’irrégularités, les résultats finaux n’ayant jamais été transmis. Précisons que peu

de temps après l’élection de 1995, le candidat du FREPASO, José Octavio Bordón, quitta la coalition qui commençait à

se structurer en un parti de coalition.

346

Aires, faisait d’elle une candidate légitime et consensuelle au sein du parti, bien que Chacho

Alvarez en fût le leader naturel et la « tête pensante ». Mais l’opposition d’Alvarez à la tenue de

primaires a conduit à troubler la position du parti et, par ricochet, l’image de la candidate. En effet,

Graciela Meijide rappelle que :

« Alors qu’il s’inclinait en faveur d’un accord consensuel, Chacho le commentait dans les médias.

Il déclarait qu’il n’était pas favorable à ce que nous participions à une primaire et qu’il préférait

les suspendre. […] Toutes ces opérations médiatiques journalières affaiblissaient notre capacité

de concurrencer De la Rúa. »1

C’est finalement cette seconde option qui s’est imposée pour désigner le candidat de l’Alianza,

l’élection primaire ayant été fixée au 29 Novembre 19982. Dans cette perspective, la stratégie du

FREPASO consistait à draguer un électorat essentiellement non affilié, car les membres du parti se

savent sans réserves fortes de militants, tout en promotionnant alentour l’image de Graciela Meijide

comme la candidate naturelle d’une Alianza unie, plutôt que celle d’un parti de l’Alianza. En plus

de la construction d’une figure supra-partisane, Meijide jouait sur le fait qu’elle « savait gagner

contre Duhalde », en référence à sa victoire de 1997. L’UCR, elle, table sur une position moins

confrontationnelle et plus expérimentée, en se positionnant comme rassembleuse et se disant

ouverte à la présence d’un membre du FREPASO comme colistier et candidat à la vice-présidence.

La participation citoyenne à la primaire est un franc succès populaire, attirant près de deux

millions et demi d’argentins sur l’ensemble du territoire, soit 12.5% de la population en âge de

voter. Si la stratégie de Meijide a semblé fonctionner jusqu’avril 1998, les résultats finaux montrent

que les carences structurelles du FREPASO ont eu raison de leur candidate. Les problèmes du parti

sont avant tout organisationnels et institutionnels, la candidate ne recevant qu’un soutien mitigé de

la part de ses propres coreligionnaires :

« [N]otre principal erreur repose sur la logistique spirituelle de la campagne, c’est-à-dire sur le

manque d’énergie et de conviction provoquées par l’espoir de nombre de nos dirigeants lié à la

conclusion d’un accord consensuel avec les radicaux qui les incluraient individuellement parmi la

liste des bénéficiaires. Pour cela on a perdu la capacité de lutter, indispensable pour faire face à

une bataille électorale difficile mais accessible. […] ces doutes sur la primaire et sur mon propre

rôle ont produit une érosion de notre candidature, cette fois-ci non plus seulement parmi les

dirigeants mais parmi les électeurs eux-mêmes 3».

1 MEIJIDE, G., La illusion: El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial Sudamericana, Buernos Aires, 2007, p.

130. 2 Même si Chacho Alvarez tentera jusqu’au dernier moment de trouver un accord afin d’éviter l’organisation d’une

primaire qu’il savait compromise pour le FREPASO. 3 MEIJIDE, G., op. cit., pp. 134-135.

347

C’est finalement cette seconde option qui s’est imposée pour désigner le candidat de l’Alianza,

l’élection primaire ayant été fixée au 29 Novembre 19981. Dans cette perspective, la stratégie du

FREPASO consistait à draguer un électorat essentiellement non affilié, car les membres du parti se

savent sans réserves fortes de militants, tout en promotionnant alentour l’image de Graciela Meijide

comme la candidate naturelle d’une Alianza unie, plutôt que celle d’un parti de l’Alianza. En plus

de la construction d’une figure supra-partisane, Meijide jouait sur le fait qu’elle « savait gagner

contre Duhalde », en référence à sa victoire de 1997. L’UCR, elle, table sur une position moins

confrontationnelle et plus expérimentée, en se positionnant comme rassembleuse et se disant

ouverte à la présence d’un membre du FREPASO comme colistier et candidat à la vice-présidence.

La participation citoyenne à la primaire est un franc succès populaire, attirant près de deux

millions et demi d’argentins sur l’ensemble du territoire, soit 12.5% de la population en âge de

voter. Si la stratégie de Meijide a semblé fonctionner jusqu’avril 1998, les résultats finaux montrent

que les carences structurelles du FREPASO ont eu raison de leur candidate. Les problèmes du parti

sont avant tout organisationnels et institutionnels, la candidate ne recevant qu’un soutien mitigé de

la part de ses propres coreligionnaires :

« [N]otre principal erreur repose sur la logistique spirituelle de la campagne, c’est-à-dire sur le

manque d’énergie et de conviction provoquées par l’espoir de nombre de nos dirigeants lié à la

conclusion d’un accord consensuel avec les radicaux qui les incluraient individuellement parmi la

liste des bénéficiaires. Pour cela on a perdu la capacité de lutter, indispensable pour faire face à

une bataille électorale difficile mais accessible. […] ces doutes sur la primaire et sur mon propre

rôle ont produit une érosion de notre candidature, cette fois-ci non plus seulement parmi les

dirigeants mais parmi les électeurs eux-mêmes 2».

En plus de ces éléments qui confirment le déficit d’institutionnalisation du parti, évoqué dans le

chapitre 5 où nous avons montré le manque de cohérence organisationnelle, l’analyse des résultats

en fonction de la répartition géographique des votes vient mettre en évidence, à son tour,

l’implantation essentiellement porteña du parti. En effet, la candidate recueille moins d’un tiers des

voix dans seize provinces sur vingt-trois, notamment dans les « petites » provinces de l’intérieur,

excepté Neuquén (voir tableau 6.1). Même dans la province de Buenos Aires, où était pourtant

concentré le capital politique de la candidate du FREPASO, les résultats lui sont défavorables

(41,39% des voix dans la province).

1 Et ce, même si Chacho Alvarez tentera jusqu’au dernier moment de trouver un accord afin d’éviter l’organisation

d’une primaire qu’il savait compromise pour le FREPASO. 2 MEIJIDE, G., op. cit., pp. 134-135.

348

Tableau 6.1 : Résultats des primaires de l’Alianza par province

Province Meijide De la Rúa Total de

voix (%) (voix) (%) (voix)

Buenos Aires (Capitale)

Buenos Aires (Province)

Catamarca

Córdoba

Corrientes

Chaco

Chubut

Entre Ríos

Formosa

Jujuy

La pampa

La Rioja

Mendoza

Misiones

Neuquén

Río Negro

Salta

San Juan

San Luís

Santa Cruz

Santa Fe

Santiago del Estero

Tucumán

Terre de Feu

53,14%

41,39%

13,48%

23,10%

24,02%

10,88%

34,40%

20,15%

18,19%

23,97%

26,43%

12,85%

31,61%

14,62%

49,39%

31,49%

31,66%

36,31%

26,46%

29,42%

35,76%

30,60%

33,28%

37,55%

206.884

344.114

3.622

47.811

8.757

7.558

6.522

18.200

7.616

14.233

6.110

1.503

22.738

6.488

8.111

13.147

16.575

10.813

5.331

3.120

72.854

12.472

19.589

1.268

46,31%

58,22%

85,79%

76,35%

75,61%

88,57%

65,11%

79,43%

81,65%

75,55%

73,30%

86,50%

67,88%

84,97%

50,28%

67,29%

67,81%

63,37%

72,68%

70,13%

63,87%

68,80%.

66,33%

62,27%

179.372

484.032

23.052

158.007

27.566

61.553

12.344

71.728

34.189

44.864

16.946

10.121

48.822

37.708

8.257

28.090

35.502

18.869

14.643

7.438

130.104

28.043

39.049

2.103

386.256

828.146

26.674

205.818

36.323

69.111

18.866

89.928

41.805

59.097

23.056

11.624

71.560

44.196

16.368

41.237

52.077

29.682

19.974

10.558

202.958

40.515

58.638

3.371

- 36,09% 865.436 63,49% 1.522.402 2.387838

Source: Ollier 2001.

Avec près de deux tiers des voix (63,49%), Fernando De la Rúa est donc désigné candidat

unique de l’Alianza et prend comme colistier du ticket présidentiel, le leader du FREPASO,

Chacho Alvarez. La malheureuse Graciela Fernández Meijide est nommée candidate pour l’Alianza

au poste de gouverneur de la province de Buenos Aires, là-même où elle l’avait emporté pour les

législatives de 1997. Néanmoins, Meijide perdra cette élection avec plus de cinq cent mille voix de

retard sur l’ex vice-président de Menem, Carlos Ruckauf1. L’ampleur de ces résultats met en

évidence la relation déséquilibrée entre les deux partenaires, et la verticalité limitée et incomplète

de l’accord de coalition gouvernementale comme autant d’illustrations des difficultés de l’Alianza,

où la superstructure de la coalition est dépendante de la culture politique des deux partis en lice et

1 Ruckauf bénéficie d’une alliance électorale avec l’Ucédé et le Parti Acción por la República de l’ancien ministre de

l’économie de Menem, Domingo Cavallo, et l’emportant par 48,38% contre 41,36% pour Meijide.

349

leurs structures organisationnelles respectives. La logique semble ainsi respectée : le « plus grand »

parti en termes d’implantation, de militants et de capacité à mobiliser est celui qui a réussi à placer

son candidat comme le candidat commun de la coalition. L’Alianza apparaît, ainsi, bien plus

comme un moyen pour l’UCR de conquérir le pouvoir, que comme un projet politique de longue

haleine.

Les résultats lors des élections générales de 1999 sont, au final, trompeurs. Si l’Alianza remporte

l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 48,5% des voix1, la majorité qu’elle obtient à la

chambre des députés est très fragile (un siège), l’incapacité à former un accord sur le plan national

ayant conduit à ce que « chacun reste chez soi » : le FREPASO à Buenos Aires et ses alentours et

l’UCR sur le reste du territoire. Ceci contribue à aggraver le caractère déséquilibré de la relation,

notamment en ce qui concerne l’apport respectif de députés au contingent législatif de l’Alianza :

85 sont de l’UCR, soit 70% du total de la coalition ; moins de la moitié (36) du FREPASO. En

outre, la coalition reste largement minoritaire au Sénat (21/72), et bien que l’Alianza ait acquis une

dimension nationale avec la victoire de Meijide dans la province de Buenos Aires, il semblerait que

la portée de la coalition soit cantonnée à Buenos Aires et sa province. L’approfondissement des

relations interpartisanes est ainsi limité et en partie conflictuel, le FREPASO sortant au final

fragilisé de cette élection : il a perdu le dynamisme politique et médiatique qui était le sien en

s’alliant avec un parti mieux organisé et structuré, et a interrompu de la sorte sa progression et son

institutionnalisation. Enfin, la défaite de Meijide à l’élection de gouverneur de la province de

Buenos Aires a en parti effacé la victoire de 1997 dans la même circonscription.

Si l’apprentissage de 1997, comme coalition électorale législative, en vue de la formation d’une

verticalisation montante vers une coalition gouvernementale paraît être une bonne forme

d’initiation aux logiques de coalition, l’apprentissage n’en a finalement été que partiel. Les bases de

cette alliance étant incomplètes elles ont entraîné, d’une certaine manière, l’absence d’une véritable

verticalisation de la coalition, de même qu’une faible intégration des équipes partisanes, comme l’a

montré la gestion de De la Rúa. Le déséquilibre interne à l’Alianza, en termes de rapport de force et

de ramification sur le territoire argentin, en faveur de l’UCR, a eu au moins autant d’influence que

l’absence d’institutionnalisation du FREPASO : les partenaires ne se sentent pas indéfectiblement

liés ; ils se tolèrent simplement

1 L’élection du president de la République, en Argentine, contient le principe de « seuil électoral abaissé », en ce sens

qu’un candidat est élu dès le premier tour s’il receuille plus de 45% des voix, ou 40% et 10 points d’avance sur le

second candidat le plus voté.

350

c. Chili: la Concertación, une alliance 4x4

Si « le principal but de tout parti consiste à maximiser ses chances d’obtenir des voix et des

sièges au parlement »1, cette logique ne semble pas s’appliquer telle quelle aux partis chiliens

formant la Concertación puisque ceux-ci se sont accordés sur la formation de listes de candidatures

« communes », au-delà des simples intérêts partisans. Le projet politique que constitue la

Concertación, diffère donc des coalitions à l’uruguayenne, et se matérialise au travers de la

conclusion de coalitions électorales à tous les niveaux électifs, et notamment par la formation d’un

« bloc politique » parlementaire. Ceci est facilité par le système électoral, et les districts à

représentation binominale.

Comme il en a été question dans les chapitres précédents, plusieurs éléments ont contribué à la

formation de la Concertación, desquels découlent aussi bien le « format » que la « profondeur » de

l’alliance. Lorsque celle-ci se forme, en 1987-88, dans le cadre du plébiscite du 5 octobre 1988

portant sur le maintien ou non du général Pinochet comme « Président de la République »2,

l’absence de sanction élective à cette échéance conduit à ce que diverses figures soient mises en

avant, et contribuent à la victoire de la coalition. La victoire du « non » rendait ainsi quasi évidente

la victoire de la Concertación lors de l’élection présidentielle de 1989 ; se posait alors la question

de la sélection d’un candidat commun de cette coalition. Or, la constitution chilienne ne prévoit pas

de mécanisme particulier de sélection des candidats, à l’inverse d’autres constitutions sur le

continent américain3, ce qui suppose que la désignation de ceux-ci relève du seul ressort des partis.

En outre, dans la constitution chilienne de 1980, à l’inverse de pratiquement tous les autres

systèmes présidentiels, le statut de vice-président n’existe pas : lorsque le président est en

déplacement, c’est le ministre de l’intérieur qui assure l’intérim. Enfin, il est utile de rappeler que la

constitution chilienne ne permet pas non plus la réélection directe du Président de la République, ce

qui oblige les partis à présenter ou soutenir un candidat différent à chaque élection.

1 SIAVELIS, P., “The hidden logic of candidate selection for chilean parliamentary elections”, Estudios Públicos, No.

98, 2005, p. 10 2 La constitution approuvée en 1980 octroie au general Pinochet le titre de president de la République, titre « légitimé »

par cette approbation. Voir supra chapitres 2 et 3. 3 Le modèle-type étant la sélection des candidats aux Etats-Unis, où la loi établi l’organisation de primaires internes

puis la désignation officielle d’un candidat pour chacun des partis lors des conventions partisanes. Nous avons vu

précédemment que l’Uruguay et l’Argentine ont également intégré l’obligation de réalisation de primaires pour chacun

des partis lors de récentes réformes constitutionnelles.

351

La sélection du candidat Aylwin et les accords électoraux

Lors de l’élection présidentielle de 1989 quatre figures principales se détachent à l’intérieur de la

Concertación à l’heure de la désignation d’un candidat commun : deux pour la démocratie

chrétienne, Gabriel Valdés et Patricio Aylwin, ce dernier président du parti ; Ricardo Lagos, leader

socialiste et fondateur du PPD ; et Enrique Silva Cimma, président du Parti Radical1. L’issue de

cette question passait dans un premier temps par la sélection d’un candidat unique du PDC, ce qui

se produit trois semaines après la victoire du « Non » au plébiscite, dans un climat de suspicion et

forte tension conduisant finalement à la désignation de Patricio Aylwin2. Par la suite, les divisions

internes des socialistes3 et le possible impact négatif d’une candidature socialiste sur l’électorat

chilien, ranimant le souvenir de l’élection de Salvador Allende, et la polarisation de la société

chilienne qui s’ensuivit, conduisent Ricardo Lagos, le 6 janvier 1989, à se retirer de la course à la

présidentielle, et à soutenir la candidature plus « consensuelle » de Patricio Aylwin. Ce retrait est,

toutefois, monnayé contre différents gages politiques (voir infra)4. Lagos sera immédiatement suivi

par Enrique Silva Cimma. La sélection du premier candidat à la présidentielle de la Concertación

se fait donc en interne. Le caractère consensuel de la nomination ainsi que la forme de gouvernance

de la coalition, s’inscrivent dans la logique fondationnelle de l’alliance, à savoir l’objectif de

constituer un « projet » politique visant dans un premier temps à mobiliser les forces politiques

démocratiques et pacifiques en vue du plébiscite de 1988 (rejetant ainsi le PCch et les autres partis

en faveur d’une issue armée), et dans un second temps à préparer puis organiser la transition

démocratique du pays. Cela passe par la construction d’une « marque » Concertación qui réussit à

fédérer tous les acteurs de ce projet, sans impliquer seulement une convergence électorale autour

d’un chef ou représentant, dans ce cas Aylwin5.

Pour marquer la dimension collective et coalisée du projet de la Concertación, deux éléments

vont se conjuguer, à commencer par la dépersonnalisation de la campagne électorale. Autour du

1 Valdés, Lagos et Silva Cimma ont tous trois occupé la présidence de l’Alianza Democrática, « ancêtre » de la

Concertación. Voir chapitre 2 et 3, et ORTEGA FREI, E., Historia de Una Alianza, CESOC/CED, Santiago, 1992. 2 Cette désignation suscite encore aujourd’hui des commentaires relatifs à son déroulement, puisque quelques semaines

après la désignation d’Aylwin apparaissent des rumeurs de bourrage des urnes au profit du vainqueur, au siège d’alors

du parti (rue Carmen, débouchant sur l’appélation de « carmengate »). Jusqu’à sa mort, en 2011, Gabriel Valdés a

soutenu que cette manipulation lui a coûté la victoire, ce qu’a toujours démenti Patricio Aylwin. 3 Les socialistes sont alors divisés en trois groupes, organisés autour de trois personnalités influentes : Ricardo Núñez,

Clodomiro Almeyda et Ricardo Lagos (ce dernier ayant fondé le PPD). Voir supra chapitre 2. 4 SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in

LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,

pp. 203-249. 5 NAVARETTE, B., “Las negociaciones electorales en la Concertación de Partidos Por la Democracia (1989-2008)”, in

BASCUÑAN, C., CORREA G., MADONADO, J., SÁNCHEZ, V., Más acá de los sueños, más allá de lo posible; la

Concertación en Chile, Vol. 1, LOM, Santiago, 2009, pp. 131-199.

352

slogan « Gana la gente » (Le peuple gagne), il s’agissait de montrer qu’Aylwin n’était pas le

candidat d’un parti, mais le candidat de la mouvance politique et populaire qui avait conduit à la

victoire du « non » au référendum de 1988. De la sorte, c’est le programme et l’idéologie de la

Concertación qui étaient mis en avant, en vue d’une transition pacifiée et de la réconciliation

nationale, tandis qu’est mis sous silence le passé du candidat1. Celui-ci remporte l’élection

présidentielle dès le premier tour avec 55,2% des voix, soit un résultat similaire à celui du

plébiscite de 1988 (55,8%).

Surtout, il s’opère une verticalisation descendante de la coalition électorale, puisque la

Concertación se matérialise également à des niveaux de représentation inférieurs, lesquels ne

consistèrent pas en de simples désistements ponctuels et localisés, mais en l’élaboration de listes

électorales uniques sur l’ensemble du territoire national et, à l’inverse de l’Alianza argentine, dans

la totalité des circonscriptions. La Concertación présenta en effet des candidats communs sur

l’ensemble des circonscriptions et des sièges de parlementaires à pourvoir, soit 120 députés et 38

sénateurs, et donc autant de candidats. La formation des listes et la répartition des candidats

législateurs étant le fait des partis et de négociations interpartisanes, les listes électorales de la

coalition se divisent alors en deux « sous-pactes » ou « secteurs électoraux » : i) le premier est

dominé par la démocratie chrétienne autour de laquelle gravitent la plupart des candidatures

« indépendantes » ou affiliées, ainsi que le Parti Radical ; ii) le second est constitué par les partis du

« secteur progressiste », soit le PPD et le PS à partir de 1992 (en plus des partis de gauche tels le

MAPU et la Gauche Chrétienne qui se fondent par la suite dans le PPD et le PS). Chaque « sous-

pacte » présente un candidat dans l’ensemble des circonscriptions du pays, afin que dans chaque

circonscription les électeurs aient le choix entre un candidat de la Concertación de « tendance »

démocrate-chrétienne ou de « gauche ». Enfin, s’il incombe aux partis de fixer les procédures de

sélection de leurs candidats aux élections locales, ce sont la plupart du temps les instances

dirigeantes réunies en comités qui s’en chargent2. De ce fait, la répartition géographique des

candidats constitue un des points de négociation les plus tendus entre les partis, puisqu’elle dépend

du poids organisationnel et politique de chacun d’entre eux. En favorisant la constitution

d’alliances électorales, le système binominal a donc influé, non pas sur la formation de la

Concertación, mais sur sa « verticalisation ».

1 En tant que president de la démocratie chrétienne, Patricio Aylwin avait en effet mené une rude opposition au

gouvernement de Salvador Allende, appuyant même le coup d’Etat du 11 septembre 1973. Ce n’est d’ailleurs que vers

1980 qu’il prend vraiment ses distances du régime militaire. ALTMAN, D., « Political recruitment and candidate

selection in Chile, 1990 to 2006 : The Executive branch », in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to

power: political recruitment and candidate selection in latin America, Pensylvania State University Press, University

Park, 2008, pp.241-270. 2 SIAVELIS, P., “The hidden logic of candidate selection for chilean parliamentary elections”, in op.cit.

353

Le choix stratégique des candidats devait répondre au dilemme posé par le système

binominal selon lequel la liste des candidats de la coalition arrivée en tête doit recevoir le double

des voix de celle arrivée en seconde position pour espérer remporter les deux sièges d’une

circonscription. Théoriquement, il faut donc arriver à obtenir 66.7% des voix. Dans le cas contraire

les deux sièges de la circonscription sont attribués aux deux têtes de listes ayant reçu le plus de

suffrages. La stratégie électorale qui en découle est la suivante : i) soit les partis présentent deux

figures importantes dans une même circonscription, afin de gagner les deux sièges à pourvoir, mais

ils courent le risque de perdre une de ces deux figures importantes ; ii) soit les partis préfèrent

s’assurer un siège en présentant un candidat moins connu, parallèlement à une figure importante1.

La non-qualification de Ricardo Lagos comme sénateur du district ouest de Santiago en 1989,

malgré un score important (30,91%), permet de mettre le doigt sur ce dilemme. Celui-ci se

présentait en effet, comme représentant du secteur progressiste, dans la même circonscription

qu’Adolfo Zaldivar, « baron » du PDC. Le score global de la liste de la Concertación (61,89%) ne

fut pas suffisant pour « doubler » le score global de la coalition arrivée seconde (32,5%). Dès lors,

Ricardo Lagos ne fut pas élu malgré un total de voix supérieur au premier candidat en termes de

poids électoral du bloc opposé2.

La Démocratie chrétienne semble toutefois avoir été davantage favorisée que les autres

formations. En effet, comme le montrent les tableaux 6.2 et 6.3, pour les élections de 1989, elle a

présenté à elle seule près de 39% de l’ensemble des candidats de la Concertación à la chambre

basse et plus de 40% au Sénat. Ces résultats sont surtout parlant en fonction du ratio candidats élus/

candidats présentés, puisque le PDC est parvenu à faire élire respectivement 84% (38/45) et 86,7%

(13/15) de ses candidats, soit 25 points de plus que la moyenne de la coalition. En conséquence, les

députés du PDC en viennent à constituer 55% du contingent de la Concertación à la chambre basse

(31, 6% des sièges de la chambre), et 59% des sénateurs de la Concertación (34% de l’ensemble

des sénateurs élus). La « distorsion » entre les voix recueillies par le PDC au niveau national et son

contingent de parlementaires est positivement significative dans la chambre basse (+5,6, soit six

députés de plus que si le scrutin était de type proportionnel « pur »). Ce taux d’éligibilité de ses

candidats permet toutefois de penser que le PDC a été favorisé par le système électoral et par un

1 NAVIA, P., “Legislative candidate recruitment in Chile”, in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to

power: political recruitment and candidate selection in latin America, Pensylvania State University Press, University

Park, 2008, pp.92-118; TORO, S., et GARCÍA, D., “Mecanismos de selección de candidatos para el poder legislativo:

un examen a las lógicas de mayor y menor inclusión”, in FONTAINE, A., LARROULET, C., NAVARRETE, J., et

WALKER, I., Reforma de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago, 2008, pp. 395-412. 2 Bien qu’elle reçût 13,4% des suffrages exprimés en moins que Ricardo Lagos, c’est la tête de liste de la coalition de

droite, Jaime Guzmán, qui fut élu, l’ensemble de la liste Democracia y Progreso ayant obtenu un peu plus de la moitié

des voix sur ce district, par rapport à la Concertación (32.5%). Voir à ce propos COUFFIGNAL, G., « Stabilité

politique et crise de la représentation au Chili », in Cahiers des Amériques Latines, No. 68, 2011, pp. 109-124.

354

placement judicieux de ses candidats. Le PDC sort donc favorisé par les élections de 1989, avec un

corps de parlementaires comparable à celui qui était le sien dans les années 1960. Inversement, la

visibilité du Parti Radical se limite presque uniquement au Sénat. Enfin, au sein de la coalition, la

Concertación sort également bénéficiée par le système électoral, avec une « distorsion » positive à

la chambre des députés, de six points (sept députés) par rapport à son score national, et un taux

global d’éligibilité de ses candidats s’élevant respectivement à 59,5% (députés) et 61.1%

(sénateurs). Ces succès électoraux se perpétuent et se confirment en 1992 avec la reconduction de

la coalition lors des premières élections municipales depuis le retour à la démocratie, marquées par

un très large succès, puisque près de 80% des maires et 57% des conseillers municipaux élus sont

issus de la Concertación.

Tableau 6.2 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des

députés, 1989

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence

PDC 55,1% 38,8%/ 84% 26%/31,6% (38) +5,6

PS* - -/ - - -

PPD 23,1% 21,15%/ 64% 11,5%/13,33% (16) +1,8

PR 7,3% 13,8%/ 31,3% 3,9%/4,1% (5) +0,2

Autres 14,5% 25,9%/ 33,3% 10,1% / 8,33 (10) -1,77

Concertación 100% 100%/ 59,5% 51,5%/57,5% (69/120) +6

Notes : * Le Parti Socialiste Chilien n’a pas pu présenter de candidats jusqu’en 1992. Les « autres » partis regroupent en partie les

futurs députés socialistes, lorsque le parti sera à nouveau autorisé

Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Tableau 6.3 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1989

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N) différence

PDC 59,1% 41,6%/ 86,7% 32%/34% (13) +2

PS** - -/ - - -

PPD 18,2% 25%/ 44% 12,1%/10,5% (4) -1,6

PR 9,1 11%/ 50% 2,2%/5,2% (2) +3

Autres 13,6% 22,2%/ 37,5% 8,1% / 8 (3) -0.1

Concertación 100% 100%/ 61,1% 54,6%/57,9% (22/38) +3,3

Notes : *le sénat compte huit sénateurs « désignés » ne tirant pas leur légitimité de l’élection, et ayant été nommés par le régime

antérieur. Les pourcentages donnés concernent les postes de sénateurs éligibles ; ** Le Parti Socialiste Chilien n’a pas pu présenter

de candidats jusqu’en 1992. Les « autres » partis regroupent en partie les futurs députés socialistes, lorsque le parti sera à nouveau

autorisé

Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

355

La sélection de Frei et les élections attenantes

Les élections « générales » de 19931 s’inscrivent dans la continuité voire l’approfondissement de

l’accord de coalition, et du « projet Concertación ». Ainsi, la coalition présente une innovation dans

la sélection du candidat commun par rapport à 1989. En effet, la transition démocratique qui est

marquée par le déroulement sans encombre de quatre ans de gouvernement, a conduit à ce que

« l’urgence conjoncturelle » et fondationnelle de la Concertación laisse place peu à peu à un projet

plus « normal ». Pour ce faire, Ricardo Lagos proposa la réalisation de primaires de la

Concertación, comme un procédé moderne de sélection du candidat commun. La proposition fut

acceptée par le PDC qui présenta comme candidat son président, Eduardo Frei. Face à lui, les partis

formant l’aile gauche de la coalition (PS et PPD) ainsi que le Parti Radical (qui après l’élection a

fusionné avec le Parti Social Démocrate), proposèrent la candidature du président du PPD, Ricardo

Lagos2.

Eduardo Frei pouvait compter sur un parti bien organisé, sur la popularité de son patronyme

(étant le fils du populaire président démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva), sur une carrière

politique relativement récente (il ne s’est affilié au parti qu’en 1986), ceci empêchant toute

éventuelle controverse quant à son passé politique, à la différence de Patricio Aylwin ; enfin sur sa

bonne relation avec le monde de l’entreprise. Lagos avait pour lui une grande popularité liée à son

action d’opposant à Pinochet3, et il était le leader indiscuté du secteur de la gauche chilienne non

armée.

Cette primaire se déroula de manière semi-ouverte avec une convention mixte de 3.000

délégués, constituée pour 40% (1.200) d’entre eux de délégués de partis, non-élus, distribués

proportionnellement en fonction des scores partisans obtenus respectivement lors des municipales

de 19924 ; et à 60% (1800) de délégués divisés en deux groupes de neuf cents membres, l’un

représentant le « vote des militants » affiliés à l’un des partis de la Concertación, l’autre celui d’

1 Si les elections présidentielles et législatives sont simultanées, la Constitution de 1980 prévoit toutefois que les

sénateurs des régions impaires (le Chili compte alors douze régions), verraient exceptionnellement leur mandat de huit

ans réduit à quatre pour la période 1989-1994, afin de pouvoir renouveler partiellement le sénat tous les quatre ans. 2 Lagos, militant PS a fondé le PPD en 1987, initialement comme un supra-parti regroupant l’ensemble des opposants

au régime de Pinochet, puis plus modestement comme un parti rassemblant les forces de la gauche favorables à une

transition pacifique. Le PPD se substitue ainsi temporairement au PS, alors interdit par le régime. De fait jusqu’en 1993

les membres du PPD pouvaient conserver leur affiliation au PS présentant, en ayant ainsi une « double affiliation » PS-

PPD. Ce fut le cas de Lagos. 3 Notamment lors de son allocution en avril 1988, dans l’émission De cara al país où, en pleine dictature militaire, il

interpelle directement le Général Pinochet sur la question des droits de l’homme et la grande opportunité offerte aux

Chiliens de sortir de ce régime. 4 Lors de ces elections, le PDC avait recueilli 54% des votes, le PR 9,5% et le sous-groupe PPD-PS 33%.

356

« adhérents » inscrits1, davantage sympathisants « concertationniste » que réels adhérents à un

parti. La primaire a eu lieu en mars 1993, et fut un large succès puisque près de 600.000 personnes

s’y sont inscrites pour pouvoir y participer, soit en tant que militants, soit comme adhérents. Plus de

430.000 personnes ont pris part à cette élection qui aboutit sur une large victoire du candidat

démocrate-chrétien, avec près de 63% des voix, réparties de la sorte : 60,8% du vote des

« militants » et 64,1% du vote des adhérents, sans compter que par anticipation le candidat du PDC

escomptait le soutien d’une large majorité des délégués « non-élus », du fait des résultats du parti

lors des municipales de 1992. La Concertación était donc conduite pour la seconde fois par un

candidat démocrate-chrétien à la présidentielle, qui sera élu dès le premier tour avec près de 58%

des voix, soit 2,7 points de plus qu’en 1989.

Par ailleurs, au-delà de la sélection d’un candidat commun à la présidentielle, l’alliance

électorale au niveau parlementaire est reconduite avec succès. Comme le montrent les tableaux 6.4

et 6.5, la Concertación recueille un niveau de votation en hausse (+4 points, à 55,4% à la chambre

des députés ; + 1 point au sénat, à 55,5%), et parvient à élire un député de plus par rapport à

l’élection précédente (70). Elle ressort toutefois lésée aux élections sénatoriales partielles, puisque

son score global de 55,5% ne lui permet pas d’élire davantage de sénateurs (9) que la coalition

d’opposition, qui ne recueille pourtant que 37,3% de voix. En interne, les listes de candidats ont été

établies en fonction des résultats aux élections municipales de 1992, ce qui favorise le PDC (40%

de l’ensemble des candidats de la coalition), tout en donnant une priorité aux candidats sortants, et

tandis que le PSch est depuis 1992 autorisé à présenter des candidats. On observe donc toujours de

meilleurs résultats de la part des candidats PDC, avec 77% (députés) et 66,6% (sénateurs) de « taux

de réussite », alors que la moyenne de la Concertación est respectivement inférieure de vingt et

seize points.

Enfin, pour ce qui est de la distorsion de la proportionnalité du vote, hormis le « match nul »

artificiel façonné par le système binominal pour les sénateurs ; à la chambre des députés, la

différence s’est atténuée, avec une distorsion légèrement favorable au PDC, de +3.7 points (soit

quatre députés « en plus ») ainsi qu’à la Concertación (+2,9 points soit quatre députés « de plus »

également). Celle-ci est insignifiante pour les autres partis.

1 Voir NAVARRETE, B., “Las negociaciones electorales en la Concertación de Partidos Por la Democracia (1989-

2008)”, op. cit; AUTH, J., “Las primarias en la concertación. un camino sin retorno”, in Agenda Pública, Vol. 4, No. 7,

2005; et NAVIA, P., “La elección presidencial de 1993. Una elección sin incertidumbre”, in SAN FRANCISCO, A., et

SOTO, A., (eds.), Las elecciones presidenciales en la historia de Chile. 1920-2000, Santiago, Centro de Estudios

Bicentenario, 2005. pp. 435-462.

357

Tableau 6.4 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des

députés, 1993

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence

PDC 52,8% 40%/ 77,1% 27,1%/30,8% (37) +3,7

PS 21,5% 23,3%/ 53,6 11,9%/ 12,5% (15) +0,6

PPD 21,5% 20,8%/ 60% 11,8%/12,5% (15) +0,7

PRSD 2,8% 12,5%/ 13,3% 3,8%/1,7% (2) -2

Autres 1,4% 3,3%/ 25% 0,8% / 0,8 (1) -

Concertación 100% 100%/ 58,3% 55,4%/58,3% (70/120) +2,9

Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Tableau 6.5 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1993

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges* (N)

PDC 65% 33,3%/ 66,6% 20,2%/22,2% (4)

12,7%/ 16,6% (3)

14,7%/11,1% (2)

6,4%/-(0)

1,5% / - (0)

PS 20% 22,2%/ 75%

PPD 10% 22,2%/ 50%

PRSD 5% 16,6%/ 0%

Autres - 5%/ 0%

Concertación 100% 100%/ 50% 55,5%/50 (9/18)

Note :* les pourcentages figurant dans ce tableau s’appliquent au nombre de sièges soumis à élection. De plus, étant donné le petit

nombre sur lequel repose notre analyse (18) toute distorsion apparente ne saurait être réellement significative.

Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Le mandat de Frei connaîtra deux élections de mi-mandat qui seront autant de succès pour la

Concertación, laquelle se présentera à nouveau comme une alliance électorale. Lors des élections

municipales de 1996, la coalition progresse en nombre de voix (57,9% contre 53,3% en 1992) et

parvient à augmenter son nombre de conseillers municipaux (+20), bien qu’elle « perde » une

centaine de maires des suites de la réforme du mode de leur élection. Les élections parlementaires

de 1997 où, comme le montrent les tableaux 6.6 et 6.7, le niveau de votation en faveur de la

coalition est constant, marquent toutefois deux tendances distinctes. Tout d’abord, un constat

semble s’imposer : le PDC truste les candidatures aux deux chambres (45,8% des candidats à la

chambre des députés ; 50% des candidats pour le Sénat), avec un taux de réussite parfait au sénat

(100%) et toujours très élevé à la chambre des députés (69,1% d’élus) malgré une baisse constante

depuis 1989 (-15 points). Ces résultats sont d’autant plus significatifs que le niveau de votation

global des candidats du PDC est en baisse (-5 points par rapport à 1993). Le PPD confirme, quant à

lui, sa position dominante au sein du secteur « progressiste » (seize députés). Enfin le PRSD est

plus que jamais « sous perfusion » avec 4 députés et aucun sénateur.

358

La distorsion de la proportionnalité des voix joue toujours en faveur de la Concertación à la

chambre des députés, avec +7 points, soit autant de députés « en plus » provenant tous du PDC

(+8.7 de distorsion favorable par rapport au niveau de votation nationale, soit dix députés « de

plus » qu’un scrutin à la proportionnelle pure). Au sénat, la proportion est respectée, puisqu’avec

50% des voix, la coalition recueille 55% des sièges. Or, étant donné le faible nombre de postes à

pourvoir, cette distorsion « en faveur » de la Concertación n’est pas significative.

Tableau 6.6 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des

députés, 1997

Parti Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence

PDC 55% 45,8%/ 69,1% 22,9%/31,6% (38) +8,7

PS 16% 21,6%/ 42,3% 11,1%/ 9,2% (11) -2

PPD 23,2% 24,4%/ 55,2% 12,6%/13,3% (16) +0,7

PRSD 5,8 6,6%/ 50% 3,1%/3,3% (4) +0,2

Autres - 1,5%/ - 0,8% / - (0) -0,8

Concertación 100% -/ 61,1% 50,5%/57,5% (69/120) +7

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Tableau 6.7 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1997

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges* (N)

PDC 70% 50%/ 100% 29,22%/50% (10)

14,58%/5% (1)

4,29%/- (0)

2,2%/5,2% (0)

- / -

PS 20% 25%/ 20%

PPD 10% 20%/ -

PRSD - 5%/-

Autres - -/ -

Concertación 100% -/ 55% 50%/55% (11/20)

Note :* les pourcentages apparaissant s’appliquent au nombre de sièges soumis à élection

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

La sélection de Lagos et le maintien de l’alliance

Pour la première fois depuis le retour à la démocratie, l’élection présidentielle de 1999 n’est pas

accompagnée d’élections parlementaires simultanées. La sélection du candidat commun pour la

présidence est donc « libérée » de tout autre compromis. Le processus de sélection s’inscrit donc

dans la continuité de celui de 1993, bien que le mode de désignation dépende désormais d’une

primaire ouverte à toute personne non formellement affiliée à un parti autre que ceux intégrant la

Concertación. Toutes les voix ont le même poids.

359

La gauche qui sentait que son heure était venue, après deux présidences démocrates-chrétiennes,

présentait à nouveau Ricardo Lagos, candidat malheureux à la primaire de 1993 ; pour sa part, le

PDC qui comprenait les aspirations de la gauche soutenait cependant Adolfo Zaldívar. Cette

primaire va être un très large succès, mobilisant près d’un million et demi de personnes -1.388.484,

soit 17,5% de l’ensemble du corps électoral chilien1-, et va conduire à un basculement de

l’équilibre des forces à l’intérieur de la Concertación, puisque pour la première fois la coalition est

emmenée par un candidat de son « aile gauche ». Lagos recueillit en effet 71,4% des voix et il sera,

par la suite, élu à la présidence malgré une campagne compliquée et la nécessité de disputer un

second tour face au candidat UDI, Joaquín Lavín.

La présidence Lagos connaîtra trois élections de mi-mandat, municipales (2000 et 2004) et

législatives (2001), qui entérinent un certain déclin du PDC, malgré le maintien de la cohésion

électorale de la coalition. Lors des élections municipales de 2000, le PDC s’est maintenu comme

principal pourvoyeur de conseillers municipaux et maires2, mais ses résultats sont en net recul et

sont dépassés en nombre de voix par le sous-pacte PS-PPD, récemment rejoints par le PRSD. Les

élections législatives de 2001 viennent confirmer cette tendance, pour les deux chambres. Malgré

un contexte socio-économique difficile, les candidats « progressistes » semblent avoir bénéficié du

facteur d’entraînement lié à l’élection de Ricardo Lagos, puisqu’ils remportent plus de 58% du

contingent législatif de la coalition. Pour la chambre basse, cela s’observe par le taux de succès aux

élections, où jusqu’à présent le PDC parvenait à faire élire, en moyenne, 75% de ses candidats.

C’est cette fois le PPD qui présente un taux de succès impressionnant (83,3% de ses candidats élus)

alors que le PDC est en baisse (42,6%). Les résultats au Sénat sont encore plus critiques pour le

PDC, puisque si le parti était parvenu à faire élire tous ses candidats au Sénat lors de l’élection

précédente, ne l’emportent alors que 22% de ses candidats (2/9), malgré un nombre équivalent de

postulants ; cela alors que le PS et le PPD réalisaient un sans-faute (100% de réussite,

respectivement quatre et trois sénateurs élus). Le PDC maintient toutefois, grâce aux résultats de

l’élection précédente, un contingent confortable de sénateurs (12), soit près de soixante pourcent de

l’ensemble des sénateurs de la coalition.

1 Mais pas de la population en âge de voter. Jusqu’en 2011, l’inscription sur les listes électorales n’était pas

automatique mais impliquait une démarche volontaire. 2 Depuis 1996, les élections des conseillers municipaux et des maires se font à part: ce ne sont plus les premiers qui

élisent les seconds.

360

Tableau 6.8 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des

députés, 2001

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence

PDC 37,1% 45%/ 42,6% 18,9%/19,2% (23) -

PS 16,1% 17,5%/ 47,6% 10%/ 8,3% (10) -1,7

PPD 32,2% 20%/ 83,3% 12,7%/16,75% (20) +5

PRSD 9,8% 11,6%/ 42,9% 4,1%/5% (6) +0,9

Autres 4,8% 5,9%/ 42,9% 2,2% / 2,5 (3) -

Concertación 100% -/ 51.7% 47,9%/51,7% (62/120) +3.8

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Tableau 6.9 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 2001

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N)

PDC 60% 50%/ 22,2% 22,8%/11,1% (2)

14,7%/22,2% (4)

12,6%/16,6% (3)

1.1%/- (0)

- / - (0)

PS 25% 22,2%/ 100%

PPD 15% 16,6%/ 100%

PR 0% 11,1%/ 0%

Autres 0% - / -

Concertación 100% -/ 50% 51,3%/50% (9/18)

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

La primaire « avortée » de 2005 et l’élection de Michelle Bachelet.

Le rendez-vous électoral de 2005 est marqué par le retour de la simultanéité des élections

présidentielles et parlementaires. La sélection du candidat commun s’organise de la même manière

qu’en 1999, soit par la réalisation d’une primaire ouverte à tous les chiliens désireux de participer

et qui ne sont pas affiliés à un parti qui ne soit pas de la Concertación. Se pose alors la question de

la nomination des « candidats à la candidature » à l’intérieur de chaque parti, ou de chaque « sous-

pacte ».

Ainsi, l’aile gauche de la coalition (PS-PPD-PRSD) s’est rapidement entendue pour désigner

comme sa candidate la populaire ministre de la défense de Lagos, Michelle Bachelet, qui

démissionne de son ministère en septembre 2004 pour préparer la primaire. La démocratie

chrétienne présente, quant à elle, deux désavantages : i) le président sortant, très populaire auprès

de l’électorat1, soutenait explicitement la candidate Bachelet ; et ii) le parti devait gérer puis

désigner trois candidats déclarés : Soledad Alvear, populaire ministre des relations étrangères de

Lagos, l’ancien président Eduardo Frei et le président du parti, Adolfo Zaldívar, candidat

1 Le président Lagos quitte la présidence avec un taux de popularité supérieur à 70%

361

malheureux à la candidature de 1999. Ce second élément est particulièrement handicapant parce

qu’il introduisait un contretemps dans la préparation de la primaire. Après le désistement de

l’ancien président Frei, le comité national du parti désigna finalement Soledad Alvear comme

candidate, par 287 votes contre 239 à Adolfo Zaldívar, alors que les primaires sont censées se tenir

le 31 juillet 2005.

Si les taux de popularité des deux candidates étaient relativement semblables (respectivement

72% pour Bachelet et 71% pour Alvear1), les sondages mettaient toutefois en évidence un déficit

d’image présidentielle pour Alvear. En effet, la désignation précoce de Bachelet comme candidate

du secteur « progressiste » a conduit à ce que celui-ci s’organise rapidement autour de sa

postulante, notamment lors des municipales de 2004 où les candidats aux postes de maires ou

conseillers municipaux posaient sur les tracts avec celle-ci. Ceci permit ainsi à la population

d’assimiler la stature présidentielle de la pré-candidate Bachelet2. Dans tous les sondages

d’opinions, Bachelet s’imposait comme la pré-candidate la mieux placée pour l’emporter en 2005.

Soledad Alvear renonça finalement à l’investiture en mai de la même année, laissant à Michelle

Bachelet le soin d’assumer la candidature de la Concertación à la présidentielle, qu’elle remportera

après le second tour de janvier 2006. La Concertación présenta de la sorte un équilibre entre ses

composantes, puisque la candidature, puis la victoire de Bachelet viennent équilibrer la balance

entre les sous-pactes, ayant eu deux candidats (puis présidents) chacun.

La candidature de Bachelet se répercute également au niveau parlementaire, puisque les

candidats à député et sénateur issus de l’aile gauche de la coalition, bénéficient de l’ « effet

d’entrainement » de la candidate. On observe ainsi un déclin accéléré de la position du PDC au

niveau national et à l’intérieur de la Concertación. Avec 20 députés élus, la démocratie chrétienne

ne représente « plus que » 30,7% du contingent de la coalition à la chambre basse, alors que le

PPD, avec moitié moins de candidats, obtient un député de plus (Voir les tableaux 6.10 et 6.11). De

fait, les trois partis du sous pacte progressiste recueillent séparément et conjointement leurs plus

hauts niveaux de représentation dans chacune des chambres, et constituent66% des députés et 65%

des sénateurs de la Concertación. Les taux de réussite des candidats du secteur sont ainsi

particulièrement élevés dans les deux chambres.

Le PDC obtient, quant à lui, son plus bas taux de votation au niveau national, parvenant à ne

faire élire qu’un tiers environ de ses candidats au poste de députés. En outre, le parti souffre d’un

déficit de leadership mis en évidence par les sondages de préparation à la primaire. Le déclin du

1 Enquête CEP de juillet 2004.

2 HUNEEUS, C., BERRIOS, F., et GAMBOA, R., Las elecciones chilenas de 2005: partidos, coaliciones y votantes en

transición, Catalonia, Santiago, 2005.

362

parti est illustré par le graphique 6.1, où le contingent PDC à la chambre des députés représentait en

1989 près de 60% de la coalition, là où en 2005 il n’en représente plus que la moitié. Si ces

résultats s’améliorent légèrement en 2009, avec la nomination de Frei comme candidat de la

coalition (voir infra 6.2.2), il paraît évident que le déclin du parti est corrélé à la progression de

l’aile gauche de la coalition. Les partis d’opposition, particulièrement l’UDI, sont également les

grands bénéficiaires de ce déclin, particulièrement auprès de l’électorat populaire.

Il est enfin utile de préciser que lors des élections municipales de 2008, un événement a mis en

péril la verticalisation de la coalition. Sous l’initiative du président du PPD, José Auth, ce parti et le

PRSD ont pris la décision de présenter des listes séparées de celles du pacte PDC et PSch. Ces

listes prirent le nom de « Concertación progressiste ». Si les résultats des deux listes séparées

conduisirent à un match nul avec l’opposition (perdant les élections des maires, mais remportant

celles des conseillers municipaux), c’est une image de désunion que donne la coalition, qui aura

pour conséquence en 2009 une désertion importante de nombreux parlementaires, provenant

essentiellement de l’aile gauche de la Concertación.

Tableau 6.10 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des

députés, 2005

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N) différence

PDC 30,7% 46,6%/ 35,7% 20,7%/16,7% (20) -4

PS 23,1% 17,5%/ 71,4% 10%/12,5% (15) +2,5

PPD 32,3% 22,5%/ 77,8% 15,4%/17,5% (21) +2,1

PRSD 10,8% 7,5%/ 77,8% 3,5%/5,8% (7) +3,3

Autres 3,1% 5,8%/28,5% 1,99% / 1,7% (2) -

Concertación 100% -/ 54,2% 54.6%/57.9% (65/120) +3.3

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

Tableau 6.11 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 2005

Parti

Concertación Votation nationale

% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N)

PDC 35% 45%/ 55,6% 29,7%/25% (5)

12,1%/20% (4)

10,7%/5% (1)

2,4%/5% (1)

0,8% / - (0)

PS 40% 30%/ 66,7%

PPD 20% 10%/ 50%

PR 5% 10%/ 50%

Autres 0% 5%/ 0%

Concertación 100% -/ 55% 55,7%/55% (11/20)

Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl

363

0

10

20

30

40

50

60

1989 1993 1997 2001 2005 2009

PDC PS PPD PS + PPD PRSD Autres*

Graphique 6.1 : évolution des contingents de députés des partis de la Concertación

1989-2012

Notes :* jusqu’en 1992, le PS ne pouvait pas présenter de candidat propre. De même jusqu’alors la Concertación regroupait près

de 15 partis qui ont disparu dès 1991, en fusionnant(PR et SD en 1993), ou accueillant les militants d’autres partis (en général du

PS ou PPD). Enfin en 2009 l’alliance électorale s’est agrandie en incluant le parti communiste. Entre-temps, les « autres » son

essentiellement des indépendants rattachés à la Concertación.

Source : Service électoral du ministère de l’intérieur. Données disponibles sur : www.elecciones.gob.cl

6.2 Formation des cabinets coalisés et reddition de compte en régime présidentiel

La seconde partie de ce chapitre aborde la formation de gouvernements de coalitions en système

présidentiel de manière horizontale, à savoir la composition du gouvernement. Il s’agit ainsi de voir

si la séparation des pouvoirs en système présidentiel possède un impact sur les processus de

formation gouvernementale quant au « type » de coalitions en place, et sur la stabilité du

gouvernement qui en découlerait. L’étude des huit gouvernements de coalition du Cône sud nous

permettra d’examiner ces questions, en nous intéressant aux mécanismes de négociation ainsi qu’à

la forme que prend la répartition des postes. Celle-ci ne fait, au final, pas tout et ne permet pas par

elle-même de tirer de conclusion quant à la stabilité d’un gouvernement. Il est donc nécessaire

d’étudier les formes de reddition de comptes interpartisanes issues de ces processus de nominations

ministérielles.

Enfin, une seconde sous-partie s’applique à analyser les types de contrôle pouvant s’exercer sur

les gouvernements de coalition en système présidentiel et l’identification des responsabilités des

agents de ces gouvernements. Ainsi, si le format présidentiel de gouvernement tend à personnifier

la gestion politique et la reddition de comptes, comment les différents partis qui prennent part à des

gouvernements de coalition dans ce type de système sont-ils évalués ? Quel est, de ce fait, le degré

364

de « couplage », notions par laquelle nous entendons les liens d’interdépendance1 entre ces

gouvernements et les autres sous-systèmes de gouvernance (parlement, structures partisanes), ainsi

qu’avec leur « environnement » (la société) ?

6.2.1 Attribution des portefeuil les ministériels et gouvernements de coalition en

système présidentiel : le président comme « formateur »

S’il est un thème qui a été largement travaillé dans la littérature en science politique, et plus

particulièrement en ce qui concerne les phénomènes des coalitions gouvernementales, c’est celui de

la composition des gouvernements et des répartitions ministérielles parmi les partis coalisés. Dans

ces travaux, une constante se dégage toutefois, la plupart d’entre eux s’appliquant à corréler la

stabilité de la coalition à la forme de la répartition des différents portefeuilles ministériels. Partant

du supposé que tous les partis politiques ambitionnent d’entrer au gouvernement2, le type de

répartition des portefeuilles ministériels et autres parcelles de pouvoir gouvernementales3,

respecterait la logique de proportionnalité des ressources propres à chacun des acteurs concernés,

telle que décrite par William Gamson4 :

« Chaque participant devra attendre des autres qu’ils demandent à la coalition une récompense

proportionnelle à la quantité de ressources qu’ils contribuent à apporter à la coalition […] Et là où

un joueur devra choisir entre plusieurs alternatives de coalitions, là où la totalité des récompenses

possibles est constante, il choisira de maximiser ses rétributions personnelles en maximisant sa

propre part. »5

Rapporté au phénomène des coalitions gouvernementales, l’hypothèse de Gamson, reprise très

largement dans la littérature6, suppose ainsi que les ressources propres aux partis politiques

1 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de

Laval, 2006, p.16. 2 Les partis étant considérés, dans leur quasi totalité comme “office seekers”, supposé que critique, à juste titre,

Grégory Luebbert in LUEBBERT, G., “Coalition Theory and Government Formation in Multiparty Democracies”, in

Comparative Politics, Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 3 La notion de parcelle de pouvoir guvernementale, souvent considérée comme synonyme de « portefeuille ministériel »

est prise ici dans son sens générique, et est définie comme toute institution liée au gouvernement, c’est-à-dire dont les

cadres dirigeants sont nommés par le gouvernement ou la majorité gouvernementale, et ayant un impact direct sur la

prise de décision et l’application de politiques publiques. Entrent dans cette définition, en fonction des cas, les

entreprises publiques stratégiques (énergie, télécommunications, etc.), les agences publiques, et les postes de président

de la chambre basse au parlement (la chambre haute ayant souvent des règles différentes en matière de réprésentation),

etc. 4 GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961, pp. 373-382.

5 Ibid, p. 376.

6 Voir entre autres BURHANS, D.T., “Coalition game research: A reexamination”, in American Journal of Sociology,

Vol. 79, No. 2, 1973, pp. 389-408; AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives

outcomes” in American Political Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., et FREJOHN, J.,

365

associés, en vue de la négociation pour la répartition des portefeuilles ministériels, sont constituées

essentiellement par le nombre de sièges au parlement. La taille du contingent électoral constituerait

ainsi le principal argument de négociation des acteurs. De récents travaux sont venus compléter,

plutôt que réfuter, cette hypothèse en intégrant à l’analyse de nouvelles variables telles que : i) la

question de la surreprésentation des petits partis et du parti du législateur médian1, ii) la prise en

compte de différences « qualitatives » au sein des postes ministériels2, ou iii) la considération

d’autres modélisations des « combinaisons » de ministres en fonction de leur couleur politique, leur

âge, leur genre…3. Ces études appartiennent en effet à la « seconde génération » de travaux sur les

coalitions, voir infra chapitre 1.1.3. La notion de proportionnalité constitue donc l’étalon de mesure

des travaux de modélisation portant sur la composition des gouvernements de coalition, et un

argument central pour rendre compte du caractère prévisible de la stabilité de la coalition.

Dans cette optique, la notion de « congruence » consiste donc à établir le degré de

proportionnalité des gouvernements de coalition, en établissant un parallèle entre le pourcentage de

portefeuilles ministériels (ou « parts ministérielles ») de chacun des membres de la coalition

gouvernementale à l’intérieur du cabinet, rapporté à la part de leurs blocs parlementaires respectifs,

sur la totalité du contingent législatif dont dispose la coalition. Une composition est ainsi

congruente si les apports à la coalition de chacun des acteurs sont « récompensés » par des parts

équivalentes en termes de portefeuilles ministériels. Octavio Amorim Neto établit ainsi un modèle

mathématique pour “mesurer” le taux de congruence (cg) des gouvernements en fonction de

l’assise parlementaire des partis et l’octroi des portefeuilles ministériels, par l’équation suivante :

“Bargaining in Legislatures”, in American Political Science Review, Vol. 83, No. 4., 1989, pp. 1181-1206; LAVER,

M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press, 1994;

WARWICK, P., “Coalition Government Membership in West European Parliamentary Democracies”, in British

Journal of Political Science, vol. 26, 1998, pp. 471-499. 1 SCHOFIELD, N., “political competition and multiparty coalition governments” in European Journal of Political

Research, n°23, 1993, pp 1-33; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and Breaking Governments, Cambridge

University Press, 1996; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of payoffs in

coalition governments”, in British Journal of Political Science, Vol. 31, 2001, p. 627- 649; MARTIN, L., et

STEVENSON, R., "Cabinet Formation in Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol.

45, No.1, 2001, pp. 33-50 2 DRUCKMAN, J., et ROBERTS, A., “Context and coalition-bargaining: comparing portfolio allocation in eastern and

western Europe”, in Party Politics, Vol. 11, No.5, 2005, pp. 535–555; MITCHELL, P., et NYBLADE, B.,

“Government formation and cabinet type”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition

bargaining: the democratic life cycle in western Europe, ECPR/ Oxford University Press, 2008, pp. 201- 236. 3 GIANNETTI, D., et LAVER, M., “Policy positions and jobs in the government”, in European Journal of Political

Research, Vol. 44, No. 1, 2005, pp. 91–120; VERZICHELLI, L., “Portfolio allocation”, in STRØM, K., MÜLLER, W.,

et BERGMAN, T., op. cit., pp. 237- 269.

366

Où Mi correspond au pourcentage de ministres qu’un parti « i » reçoit lorsque le cabinet est

formé; et Si correspond au pourcentage du contingent législatif à la chambre basse, de ce parti « i »

sur la totalité des sièges de la coalition de gouvernement1. Par exemple, si un parti X « apporte »

près de 20% de la base parlementaire d’une coalition, sa part de participation au gouvernement

devrait frôler les 20% de portefeuilles ministériels à l’intérieur du cabinet. Inversement, une

composition est disproportionnelle (ou faiblement congruente) lorsque la répartition des ministères

ne reflète pas le rapport de forces interne à la coalition parlementaire2. S’il est plus aisé pour un

parti important de chercher à se coaliser avec des forces de moindre envergure, l’hypothèse qui

découle de cette notion de congruence suppose que plus un gouvernement est congruent, plus il

sera solide et, de ce fait, stable et susceptible de durer.

Bien que cette hypothèse ait été développée et « testée » à de nombreuses reprises, elle semble

s’appliquer particulièrement à la réalité propre aux systèmes parlementaires où les ministres qui

composent le gouvernement, lorsqu’il s’agit de gouvernements de coalition, sont autant de

« représentants » de leurs contingents parlementaires respectifs. Il s’agit alors de voir l’impact

supposé d’un « facteur présidentiel » dans la formation de cabinets en système présidentiels. Ainsi,

l’absence de ratification parlementaire du cabinet peut-elle influer sur la composition du

gouvernement, et sur son niveau de « congruence » partisane ? En outre, qu’en est-il de la

provenance des individus et de la part de ministres apolitiques (« technocrates »)? Enfin, à qui

répondent les coalitions gouvernementales en systèmes présidentiels ? Si le gouvernement ne

répond pas devant le parlement, qui sont alors les mandants, et comment sont perçus ces

gouvernements par les propres agents qui en ont fait partie et l’opinion publique ?

La séparation des pouvoirs en système présidentiel a constitué, comme nous l’avons montré dans

le premier chapitre de cette thèse, le sujet principal de la plupart des critiques contre ce type de

régime constitutionnel (voir supra chapitre 1.2). Au-delà du fait qu’une personnalité non-politique

(« outsider ») peut, potentiellement, être élue à la plus haute magistrature3 ; si l’on ramène le débat

sur la question de la formation du gouvernement, le fait de tirer sa légitimité du vote populaire

1 AMORIM NETO, “Cabinet formation in presidential regimes: an analysis of 10 latin American countries”,

Communication présentée lors du congrès LASA, 1998, p. 13. 2 Voir la notion de “disproportionnalité” définie et modélisée par Richard Rose, bien que correspondant à la

“disproportionnalité” des systèmes électoraux et de la traduction du nombre de voix en sièges parlementaires. ROSE,

R., “Electoral systems: A question of degree or of principle?”, in LIJPHART, A., et GROFMAN, B., Choosing an

electoral system: Issues and alternatives, Praeger, New York, 1984, pp. 73-81. Son application au niveau

gouvernemental a été realisée par AMORIM NETO, O., op. cit; AMORIM NETO, O., “The presidential calculus

executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4,

2006, pp. 415-440. 3 Les événements récents ont montré qu’une personnalité non affiliée à un parti pouvait également, en fonction de

circonstances certes particulières, être désignée comme Premier Ministre. Les cas italien (Mario Monti) ou grec (Lukas

Papademos) en sont des exemples.

367

(direct ou non) convertit le président en seul chef du gouvernement, qu’il a la responsabilité de

« former ». La formation de celui-ci et sa perpétuation ne sont généralement pas soumises à un vote

d’investiture ni à un contrôle strict de la part du parlement. Il n’incombe donc –théoriquement- qu’à

lui de choisir ou révoquer les membres de son cabinet1. De cette façon, le président n’est pas un

primus inter pares mais bien un primus solus2 ; ses ministres et le gouvernement dans son ensemble

lui sont donc directement redevables.

En somme, la composition du gouvernement peut donc ne pas refléter l’équilibre des forces

politiques à l’assemblée ni engager, nécessairement, les partis d’origine des membres du cabinet.

Puisque le gouvernement n’est pas révocable par le parlement, ces membres ne sont pas,

contrairement à ce qui ce passe en système parlementaire, des « représentants » des partis ou

mouvements qui le composent3. Il existe donc davantage de combinaisons possibles pour la

composition de gouvernements en régime présidentiel, qu’en régime parlementaire où les

gouvernements doivent recevoir l’aval d’une majorité de parlementaires4. Les différentes

alternatives peuvent ainsi être classées en fonction de l’origine partisane (ou non) de ces membres :

a) les gouvernements apolitiques ou népotiques, formés essentiellement par des indépendants,

« experts » ou « technocrates » sans relation avec les partis parlementaires ; b) les gouvernements à

dominante technocratique, mais qui contiennent un certain nombre d’agents partisans en lien avec

le parlement ; c) les gouvernements à dominante partisane, avec des agents partisans en lien avec le

parlement et/ou « cooptés » ; et d) les gouvernements partisans, dont la plupart sinon la totalité des

agents sont des membres déclarés et reconnus de partis politiques, ayant une représentation

parlementaire et/ou image symbolique forte (tels que les Partis communistes, etc…).

Le recours à chacun de ces types de gouvernements dépend d’éléments aussi bien institutionnels

que culturels. D’après Octavio Amorim Neto, plus un président dispose de pouvoirs forts (pouvoirs

pro-actifs et réactifs, voir supra chapitre 1.2), plus sa « tentation » est grande de former un

gouvernement peu, voire a-partisan5. Ces considérations, du fait de leur vocation universaliste,

1 Si certaines constitutions requièrent la ratification du gouvernement par le parlement, celle-ci est la plupart du temps

procédurière et symbolique plus que contraignante. Voir MAINWARING, S., “Presidentialism, multipartism and

democracy: the difficult combination”, in Comparative Political Studies, Vol. 26, No.2, 1993, pp. 198-228. 2 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995.

3 Fred Riggs en vient à argumenter que les ministres forment davantage l’« entourage » du président qu’un réel cabinet

ministériel. Voir RIGGS, F., “The survival of presidentialism in America: para-constitutional practices”, in

International Political Science Review / Revue internationale de science politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 258. 4 LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in

Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; et LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and

performance in thirty-six countries, Yale University Press, 1999. 5 AMORIM NETO, O., “Cabinet Formation in Presiential Regimes: An analysis of 10 Latin American Countries”.

Document presenté lors du congrès LASA, à Chicago, 24 de juin 1998 ; AMORIM NETO, O., “The presidential

calculus: Executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39,

No. 4, 2006, pp. 415-440; GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso

368

s’appliquent donc aux gouvernements qui incluent un ou plusieurs partenaire(s) partisan(s). La

littérature récente a ainsi établi une typologie des options de gouvernements pluriels en fonction de

ces mêmes critères, et les a classés en fonction de leur degré de cohésion et de relation avec le

pouvoir législatif.

Ainsi, les gouvernements de coalition structurée (« tight coalition governement »), présentent

un niveau de couplage étroit avec le parlement et une composition gouvernementale reposant sur

des critères essentiellement, voire exclusivement, partisans. Cette formule constitue l’idéal-type des

coalitions gouvernementales en raison de leur potentielle stabilité et leur cohésion

gouvernementale. Ces coalitions sont celles se rapprochant le plus du critère de proportionnalité de

Gamson.

Les gouvernements de coalition « lâche », présentent comme leur nom l’indique un degré

moindre de cohésion gouvernementale du fait de leur composition mixte. Ils sont constitués par des

membres affiliés politiquement à des partis parlementaires avec une part importante de ministres

« indépendants » (technocrates) et/ou de figures partisanes « d’ouverture » (cooptées), c’est-à-dire

sans l’aval de leur parti d’origine.

Les gouvernements de cooptation sont les dernières formes de gouvernements qui incluent des

personnalités issues d’horizons distincts. Ils découlent de critères mixtes réunissant des

indépendants et des membres de différents partis sans que celles-ci ne reçoivent l’aval de leur parti

d’origine. Ce type de gouvernement – qui n’entre toutefois pas dans la définition de

« gouvernement de coalition » proposée dans cette thèse - se produit essentiellement lorsque le

président ne provient pas lui-même d’une structure partisane institutionnalisée (outsider).

Nous prenons en compte une quatrième « distinction » qui porte sur la nature de la structuration

des partis intégrant un gouvernement. Ainsi, sont considérées comme coalitions gouvernementales

équilibrées, celles qui incluent des partis dont le poids politique et le type d’organisation sont

similaires. Inversement, seront jugées comme « déséquilibrées » les coalitions dont une des

organisations partisanes qui l’intègrent possède un avantage ou un inconvénient organisationnel

et/ou matériel déterminant, par rapport aux autres organisations coalisées. Les notions

d’équilibrées/déséquilibrées dépendent de la taille des contingents législatifs (chambre basse) des

partis en présence. Plus une coalition est formée d’organisations de type et de poids similaires, plus

les contingents législatifs de ces partis seront similaires et plus la coalition sera « équilibrée ».

de América latina”, in Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp.41-62; CRESPO MARTINEZ, I., et GARRIDO,

A., Elecciones y Sistemas Electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico,

2008; MARTINEZ-GALLARDO, C., “Designing cabinets: presidential politics and cabinet instability in latin

America”, working paper #375, Notre Dame University, Hellen Kellogg’s Institute, janvier 2011.

369

Inversement, une coalition déséquilibrée est caractérisée par la présence de, généralement, un parti

dominant, et il est à prévoir que les autres partis formant cette coalition aient une représentation

parlementaire amoindrie.

Enfin, il est évident que tous les ministères ne disposent pas de la même exposition médiatique

et donc du même prestige. Les ministères régaliens étant à ce titre les plus « prisés », ils sont à leur

tour moins exposés que l’est le poste de chef du gouvernement, a fortiori en système présidentiel.

Mais les comparaisons entre pays sont difficiles à établir, puisqu’en fonction du type de

développement, notamment socio-économique, certains ministères peuvent être amenés à occuper

un rôle central dans un pays et un rôle secondaire dans un autre. A titre d’exemple, le ministère de

l’Agriculture en France tient, de par l’importance du secteur agricole et agro-alimentaire dans

l’économie française, une place beaucoup plus important qu’au Royaume Uni ou en Allemagne, où

les économies sont beaucoup plus tournées vers le secteur tertiaire (Royaume Uni) ou l’industrie

(Allemagne)1. Aussi, comment sont partagés les gouvernements de coalition en régime

présidentiels ? En outre, lorsque les coalitions gouvernementales découlent d’alliances électorales,

observe-t-on un « bonus » pour les partis ayant accepté de soutenir le président et de ne pas

présenter de candidat propre ?

Le tableau 6.12 offre un résumé de ces possibilités en les articulant avec la notion de

« verticalité ». L’idéal-type de gouvernement de coalition en régime présidentiel combine les deux

notions de congruence et de verticalité. Bien que la définition de gouvernement de coalition,

donnée en introduction, ne permet pas de considérer comme tels les gouvernements « de

cooptation », ce type de gouvernement y apparaît toutefois à titre illustratif. Le tableau laisse ainsi

sous-entendre que pour qu’un gouvernement de coalition en régime présidentiel parvienne à se

maintenir, il requiert que ces deux conditions soient présentes. Par ailleurs, la dimension de la

« profondeur » de la coalition, via une verticalisation parlementaire, apparaît comme une variable

déterminante pour comprendre le degré degré de cohésion interpartisane.

1 Bien que l’industrie et les services participent pour une part plus importante en termes d’apport au PIB ou du nombre

de main d’œuvre rattachée, l’histoire économique française et la pérennité d’une économie agro-exportatrice octroient à

ce ministère un rôle important au sein du gouvernement français.

370

Tableau 6.12 : caractérisation des gouvernements de coalition en fonction de leur

composition et profondeur

Configurations Idéal-type Alternative

Allocation des portefeuilles

ministériels

Gouvernements de coalition congruents et “équilibrés”

1. Coalition déséquilibrée 2. Gouvernement de coalition

lâche 3. Gouvernement de cooptation

“verticalité” de la coalition

Totale ou multiniveau Un seul niveau (gouvernemental)/ ou

verticalité partielle

Cohésion/pérennisation

supposée ++/++

1. -/+ 2. -/- 3. +/-

Source: élaboration propre, à partir de Amorim Neto (1998) et Garrido (2003)

6.2.2 Coalitions gouvernementales et congruence partisane dans le Cône Sud.

Si on s’attarde sur les données empiriques, on observe que les présupposés défendus ne tiennent

pas. Ainsi, reprend le tableau 2.3 du chapitre 2 de cette thèse, qui porte sur les éléments de

l’environnement favorables à la formation de coalitions, met en évidence une corrélation

particulièrement forte entre les pouvoirs du président et la propension à former des coalitions.

Quand on considère l’ensemble des formats constitutionnels de l’Amérique du sud, qu’on y inclut

le Costa Rica et les Etats-Unis et que l’on s’arrête sur les formats qui ont expérimenté au moins un

gouvernement de coalition, on observe de manière très significative que plus les pouvoirs du

président sont élevés plus la tendance à former des coalitions l’est également. En effet, 80% des

constitutions qui offrent des pouvoirs forts au président, ont expérimenté au moins un

gouvernement de coalition, alors que seuls 31% des constitutions où les pouvoirs du président sont

limités l’ont fait1. De ces résultats on peut donc avancer, à l’inverse de la théorie principale, qu’une

constitution qui offre davantage d’attributions au pouvoir exécutif est plus propice à susciter

l’intérêt des différents acteurs politiques, qu’une constitution où l’exécutif est plus contrôlé.

a. Éléments préliminaires d’analyse

Il est utile d’apporter une précision quantitative sur la répartition des portefeuilles ministériels

des pays du Cône Sud. Le nombre de maroquins ministériels y est fixe et établi par des lois

organiques, dont la modification ou dérogation suppose la formation de majorités qualifiées lors

des votes des parlementaires réunis au sein des Congrès respectifs (4/7 au Chili et la majorité

absolue en Argentine et Uruguay). Ces dispositions viennent donc entraver la possibilité d’un

1 Voir le tableau 2.3, p 126 de cette thèse.

371

recours à la multiplication ministérielle comme inflation artificielle des ressources dont dispose le

président. Ainsi, le nombre de ministères est fixé à onze pour l’Argentine -incluant le poste de

« chef de cabinet »- (loi N° 22520, de Mars 1992 dite « loi des ministères », modifiée par la loi N°

26338 du 07 décembre 2007, augmentant à douze le nombre de ministères) ; treize pour l’Uruguay;

et à dix-huit puis dix-neuf pour le Chili (loi N°18.575, du 5 décembre 1986, amendée en mars

1990).

Notons que ces chiffres correspondent aux seuls cabinets ministériels et non à l’ensemble des

gouvernements de ces pays qui supposent un nombre extra de secrétariat d’Etat (au moins un par

ministère). La taille de ces cabinets est donc relativement étriquée dans les cas argentin et

uruguayen, et s’inscrit dans le cas du Chili autour de la « moyenne » européenne depuis 1946

(18,27 ministres en moyenne par cabinet) et en parfaite concordance avec les cas Belge (19,35) et

Suédois (18,85)1. En outre, en menant la comparaison avec les cabinets ministériels issus des vingt-

trois gouvernements britanniques depuis 1945 jusqu’en 2007, et dont la caractéristique principale

est de n’avoir jamais eu à former de coalition gouvernementale sur cette même période2, on observe

que ceux-ci ont présenté un taux de variation de leur composition passant du simple, soit seize

membres (dirigés par le conservateur Winston Churchill du 26 octobre 1951 au 6 avril 1955 ; et

sous le mandat du travailliste James Callaghan, du 6 avril 1976 au 5 mai 1979), à plus du double,

soit trente-trois membres (sous le gouvernement du travailliste Clement Atlee, du 26 juillet 1945 au

28 février 1950), avec une « taille » moyenne des cabinets s’élevant à vingt-et-un ministres3. Ces

résultats empêchent donc de conclure que les gouvernements en régime présidentiel, fussent-il de

coalition, soient artificiellement gonflés afin de rétribuer les différents partenaires politiques les

intégrant.

Toutefois, à sept reprises, pour ce qui est de la période traitée dans cette thèse, des

gouvernements de coalition sont parvenus à augmenter le nombre de membres de ces ministères.

En Uruguay, le gouvernement de Batlle est passé de 13 à 14 membres avec la création du ministère

de la jeunesse et des sports. Au Chili sous la Concertación trois nouveaux ministères ont été créés

depuis 1990, faisant passer le total à 21 : i) le « Service Nacional de la Femme » (SERNAM), créé

en janvier 1991 sous la présidence Aylwin, ii) le ministère de la culture (« Conseil National de la

Culture et des Arts ») créé en 2003 sous la présidence Lagos, et iii) la Commission Nationale de

1 Moyenne prise parmi douze pays d’Europe Occidentale (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France,

Irlande, Italie, Pays Bas, Portugal, Suède, Royaume-Uni), où il apparaît que les cabinets finlandais sont les plus petits

(13.52) ; les italiens les plus fournis (24.14). 2 Mis à part les six mois du second gouvernement Wilson (05/03/1974 – 18/10/1974).

3 L’ensemble de ces données a été gracieusement mis à notre disposition par le professeur Jaap Woldendorp,

WOLDENDORP, KEMAN, J., et Budge, I., Party government in 40 democracies 1945-2008: composition-duration-

personnel, Université d’Amsterdam, 2010.

372

l’Environnement (puis simplement « Ministère de l’environnement ») en mars 2007, sous la

présidence Bachelet. Enfin en Argentine, sous la présidence de De la Rúa, ont été créés trois

nouveaux ministères : i) le ministère du développement social, fondé lors de l’assomption du

nouveau président ; ii) le ministère de la sécurité sociale, émancipé du ministère du travail, datant

d’octobre 2001 ; iii) le ministère du tourisme, de la culture et des sports, comme jonction de ces

trois ex-secrétariats d’Etat en octobre 2001.

Mais la création d’un nouveau ministère sous un gouvernement de coalition n’est pas censé

servir à la « rétribution » des partenaires coalisés du président. En effet, si dans le cas uruguayen, le

ministère de la jeunesse et des sports, créé par le président Colorado Jorge Batlle, est effectivement

revenu à un membre –Jaime Trobo- issu du Partido Nacional ; dans le cas chilien les trois

ministères créés ont été attribués à des personnalités issues du même parti que le président. Enfin,

dans le cas argentin, seul le ministère du développement social est revenu à un membre du

FREPASO, Graciela Meijide ; la ministre en charge de la sécurité sociale, Patricia Bullrich, étant

une personnalité cooptée provenant du PJ ; le troisième ministère créé revint à un indépendant,

Hernán Lombardi. Il en ressort donc qu’il n’existe pas de « règle universelle» pour la création et la

distribution de nouveaux ministères sous des gouvernements de coalition.

b. Répartit ion des portefeuilles ministériels: inauguration des gouvernements

et remaniements ministériels

Si les coalitions se sont formées suivant une temporalité différente dans les trois pays du Cône

sud, essentiellement pré-électorales au Chili et en Argentine et post-électorale en Uruguay, le

partage des maroquins ministériels reste un processus auquel ne participent pas uniquement des

partis politiques. Il est possible d’ailleurs, à ce titre, de poser qu’il n’y a pas de corrélation

définitive entre un certain type de composition gouvernementale et la durée de vie des coalitions1.

Le tableau 6.13 montre ainsi que des gouvernements composés uniquement de ministres ou

secrétaires d’Etat politiques, n’ont pas plus de chance de se maintenir que les gouvernements qui

incluent des ministres « indépendants » ou « technocrates », lesquels n’ont pas de comptes

politiques à rendre. Si le cas de l’Alianza argentine semble aller dans ce sens, avec une part

importante de ministres indépendants, les gouvernements uruguayens, qui constituent des cas de

coalitions « structurées » sont contradictoires. En effet, alors que sous le mandat de Sanguinetti le

processus de nomination des ministres s’est réalisé sur des bases essentiellement politiques et

partisanes, la logique est identique sous Lacalle et Batlle avec des résultats distincts en termes de

1 Voir les listes exhaustives des gouvernements de coalition, ministère par ministère, et parti par parti, en annexe.

373

longévité coalitionnelle. De même, la quasi-totalité des gouvernements de la Concertación

chilienne a inclus une part de ministres non-partisans –de un à trois par cabinet-, ce qui n’a pas

empêché la coalition de se maintenir pendant vingt ans.

Il est néanmoins possible de distinguer la dimension de la congruence gouvernementale comme

un facteur intervenant décisif1. En reprenant la notion du « taux de congruence » développée par

Amorim Neto, et en matérialisant la différence de proportionnalité par le nombre de ministères

manquants/en surplus par parti, il est possible de déceler une tendance confirmant l’hypothèse de

l’équilibre des coalitions et de la proportionnalité des gouvernements. Ainsi lorsqu’un parti possède

une assise parlementaire dominante (supérieure à 50% du total du contingent de la coalition), et que

le nombre de postes ministériels qui revient à ce parti ne le place pas en position hégémonique,

alors ce parti ne pourra s’imposer sur les autres et la coalition sera plus encline à durer

(gouvernements Aylwin et Frei). Inversement, si dans une coalition gouvernementale un parti jouit

d’une assise parlementaire dominante à l’intérieur de la coalition, et que cela se répercute sur un

nombre hégémonique de postes ministériels, alors ce parti, qui est souvent celui du président, aura

plus de difficultés à maintenir la cohésion de la coalition (gouvernements Lacalle en Uruguay et De

la Rúa en Argentine). D’où la conclusion que plus une coalition est déséquilibrée, plus le président

troque sa fonction de canalisateur politique pour celle de « shérif », se chargeant d’imposer l’ordre.

En somme, plus un gouvernement est déséquilibré (gouvernement de la Rúa), moins la coalition qui

le forme est durable (dix mois).

Néanmoins ces éléments ne tiennent pas compte du processus de négociation et de ses effets sur

la composition des gouvernements ainsi que sur les remplacements ou « remaniements »

ministériels sociétés. Celui-ci constitue en effet, comme le suppose la théorie, un « fait du prince ».

Si le président est le dernier décideur, cela ne veut pas dire qu’il soit l’unique décideur. Le

président Ricardo Lagos résume ce fait de la manière suivante :

« Le sujet[de la répartition des postes] ne s’est jamais présenté. C’est le président qui organise

son gouvernement. On n’est pas en régime parlementaire… ici la première chose qui compte c’est

l’élection du leader. Je n’ai jamais parlé avec qui que ce soit en ma qualité de candidat à la

présidence de la République en lui disant “vous serez mon ministre” […] dans mon cabinet j’ai

voulu exprimer la diversité de la Concertación tout en respectant les équilibres politiques… c’est

quelque chose d’implicite qui n’implique pas de négociation. Les partis et présidents de partis

peuvent suggérer tel ou tel personne mais au final c’est le président qui décide.»2

Bien que l’analyse de la composition des gouvernements de coalition du Cône sud, conjuguée

avec la culture politique telle que nous l’avons montrée aux chapitres 3 et 5, mettent clairement en

1 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presidential regimes », op. cit.

2 Entretien réalisé le 14/07/2009. Traduction propre

374

évidence cette réalité, trois éléments appartenant à l’environnement du « système gouvernemental »

viennent, toutefois, influencer le président dans ses choix ministériels ; en particulier lorsqu’il

s’agit de nommer un ministre issu d’un parti différent ou un « indépendant » : i) le contexte

politique ; ii) la nature des acteurs et de l’institutionnalisation des partis en présence ; et iii) la

culture politique des acteurs, particulièrement celle du président de la République. Ces

considérations valent à la fois pour l’entrée en fonction des gouvernements comme pour les

remaniements ministériels. Or, en accord avec Jordi Matas, tous les changements de ministres

n’impliquent pas nécessairement un changement de gouvernement1. Sont en effet considérés

comme remaniements ministériels, les changements dans la composition du cabinet ayant entraîné

une modification de l’équilibre partisan en son sein. Autrement dit, seuls les changements de

ministres qui ont un impact sur la proportionnalité partisane du cabinet sont considérés comme des

« remaniements ». Les changements de ministres où un ministre d’un parti X est remplacé par un

ministre issu du même parti n’entrent pas en ligne de compte.

Dans le cas chilien c’est le contexte d’origine qui a joué un rôle essentiel dans la répartition des

ministères. Si le PDC paraissait être le parti le mieux (ré)organisé, il devait donner des garanties

aux autres membres avec lesquels il s’était allié lors du référendum de 1988, et inclure la plupart

des personnalités issues des autres partis. La pratique de tous les gouvernements de la Concertación

fut celle du « cuoteo », c’est-à-dire une désignation des ministres en fonction de leur affiliation

partisane, suivant une logique d’équilibre partisan, fondée le plus possible sur les résultats

électoraux2. Le Tableau 6.13 montre ainsi que jusqu’à l’élection de Lagos, le PDC recueillait près

de 50% des ministères, soit une part comparable à son « apport » au contingent législatif de la

Concertación. Par la suite, après les élections parlementaires de 2001, la part des portefeuilles

ministériels détenus par les ministres démocrates-chrétiens, diminue au même moment que le poids

du parti au parlement. Sous le gouvernement Bachelet, la part de portefeuilles ministériels attribuée

au PDC redevient positive afin de contrôler le mécontentement de ses cadres dirigeants. La

démocratie chrétienne va ainsi disposer de plus de ministres que ne le suppose son poids

parlementaire. Il est, en outre, intéressant de voir que le seul candidat battu lors d’une primaire

ayant été inclus dans deux gouvernements successifs est Ricardo Lagos, à la fois du fait de son

1 MATAS, J., “Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe

congrès de l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003. 2 De plus comme le montre Peter Siavelis, chaque ministre dispose de secrétaires d’Etat issus de partis autres que les

leurs, afin de limiter le contrôle d’un parti sur un ministère. Voir SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder

ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in LANZARO, J., op. cit, p.230; et SIAVELIS, P., “Election

insurance and coalition survival: formal and informal institutions in Chile”, in HELMKE, G., et LEVITSKY, S.,

Informal institutions and democracy: lessons from Latin America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006,

pp. 160-176.

375

statut de référent central de la gauche, et pour parfaire son « rodage » gouvernemental. De même,

les figures importantes qui n’ont pas réussi à se faire élire au niveau parlementaire, à cause du

système binominal (voir supra), trouvent également une place au gouvernement (une fois de plus,

Ricardo Lagos en 1990, en constitue un bon exemple)1. Ceci fait parti de l’ « apprentissage » de la

Concertación quant à la gestion des relations inter-partisanes.

En outre, une des constantes qui ressort de presque tous les gouvernements de la Concertación

est que le parti du président tend, en général, a présenter une proportionnalité négative au

gouvernement : il contrôle moins de ministères que ce que laisserait prévoir son contingent

parlementaire. Il est également saisissant de voir le nombre important de remaniements ministériels

–vingt-sept en vingt ans-, et leur différence de nature : i) pour aérer le gouvernement ou lui

redonner un second souffle (Aylwin II, Aylwin III, Frei IV, Frei VII, Lagos III et Lagos IV) ; ii)

des suites de « couacs » importants (Frei II et III Bachelet II) ; iii) pour permettre à des ministres de

préparer des primaires (Aylwin III, Frei VI, Lagos IV), ou pour préparer des élections locales ; iv)

lors de scandales de corruption (Lagos III) ; v) à la suite d’élections de mi-mandat (Frei V et VI,

Lagos II) ; vi) lors de mouvements sociaux importants (Bachelet III et IV) ; enfin vii) des

changements de fin de mandats sans réelles implications ni causes profondes (Aylwin IV, Frei X et

XI, Lagos VI et VII, Bachelet V). Enfin, la part des indépendants ou « technocrates », présents dans

tous les gouvernements de la Concertación, ne cesse de croître.

*

En Uruguay, la répartition des ministères est le fruit de différents éléments qui sont la plupart du

temps liés au contexte de la formation gouvernementale. Sous Luis Alberto Lacalle, la distorsion

quantitative de proportionnalité n’est pas flagrante (un ministre), mais la répartition qualitative est

nettement disproportionnelle, puisque tous les portefeuilles des ministères régaliens reviennent à

des ministres issus non seulement du parti du président, mais de sa propre fraction. Le Partido

Colorado doit se « contenter » de quatre ministères de moindre exposition (santé, industrie,

logement et tourisme). Or, comme nous l’avons montré au chapitre 5, la sortie du PC du

gouvernement (une fraction est restée toutefois jusqu’à la fin du mandat de Lacalle), est due

davantage à la façon de gouverner Lacalle qu’à un mécontentement relatif aux répartitions

ministérielles.

Sous Sanguinetti, la proportionnalité partisane des ministères est davantage respectée tant

qualitativement que quantitativement, et inclut notamment toutes les principales figures du Parti

Nacional. Si le Partido Colorado présente une « bonification » avec davantage de ministres que ne

1 CAREY, J., et SIAVELIS, P., «El ‘seguro’ para los subcampeones electorales y la sobrevivencia de la Concertación»,

in Estudios Públicos, No. 90, 2003, pp. 5-27.

376

le laisserait prévoir son contingent de parlementaires, les postes clefs sont mieux répartis entre les

partenaires mineurs issus d’accords électoraux ponctuels avec certains partis (PGP et Union

Civique). Lors du décès du ministre de l’Union Civique, Federico Slinger (décembre 1996), celui-ci

est remplacé par un membre du PC. Par la suite, les changements d’équilibres partisans sont le fait

d’acteurs isolés (Alvaro Ramos, ministre des relations internationales rompt avec Alberto Volonté

et se prépare pour la primaire de 1999), ou ils se produisent dans le cadre de la préparation aux

élections de 1999. Ainsi, la composition du dernier gouvernement de Sanguinetti ne suppose pas un

renfermement du Parti Colorado sur lui-même, mais répond à la temporalité électorale uruguayenne

et au fait que les coalitions de ce pays n’aient pas eu de vocation pérenne1 (voir chapitres 3 et 5).

Le gouvernement Batlle, dont la part de ministres blancos (5) a été pactée en amont, du fait de la

forme de l’élection du président ; le ralliement du PN au second tour de l’élection s’étant en effet

décidé en échange d’une augmentation du nombre de postes ministériels. Et si les principaux

ministères régaliens revinrent à des colorados, le ministère de l’agriculture, important en Uruguay,

revint à un membre du PN. Enfin c’est davantage le contexte socio-économique, comme nous

l’avons montré au chapitre 5, qui aura raison de ce gouvernement, au printemps 2002.

*

Pour finir, le cas de l’Alianza Argentine est paradigmatique du cas de gouvernement de coalition

déséquilibré. Le président De la Rúa forma un gouvernement composé de près de 70% de membres

issus de son parti (8 ministres UCR/ 11), avec lesquels il entretenait une relation privilégiée. Les

30% restants se divisent entre membres du FREPASO (2) et indépendants (1). L’iniquité est

particulièrement criante dans la répartition des portefeuilles, puisque tous les ministères régaliens

revinrent à des radicaux, le FREPASO héritant de portefeuilles secondaires (travail et

développement social). Le scandale de corruption de sénateurs (voir supra), dans lequel s’est

trouvé impliqué le ministre FREPASO Alberto Flamarique, et qui conduisit à la démission

précipitée de ‘Chacho’ Alvarez, en octobre 2000, va accentuer ce déséquilibre, puisque la présence

du FREPASO au gouvernement ne se matérialise alors qu’autour de la seule Graciela Fernández

Meijide (développement social) jusqu’en avril 2001, puis ses remplaçants (Marcos Makón et Juan

Pablo Cafiero), ce jusqu’en octobre 2001. Les indépendants sont alors plus nombreux au

gouvernement que les propres membres du FREPASO. L’absence de culture politique de coalition

pour l’UCR, combinée au déséquilibre des forces en présence, a largement contribué à cette

composition ministérielle déséquilibrée.

1 ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies, the case of

Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No. 3, 2001. pp. 259–283.

377

Tableau 6.13 : Gouvernements de coalition dans Cône Sud, remaniements

ministériels et proportionnalité des portefeuilles ministériels

Pays Cabinets*

(N) partis

Ministères

(%)

députés du

parti/ députés

de la coalition

Proportionnalité

des cabinets par

partis**

(N)

Chili

(27)

Aylwin I (19)

11/03/1990

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

52,7% (10)

26,4% (5)

5,2% (1)

10,5% (2)

-

5,2% (1)

55,1%

-

23,1%

7,3%

14,5%

-

=

-

- 3

+1

-

-

Aylwin II (20)

03/01/1991

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

55% (11)

25% (5)

5% (1)

10% (2)

-

5%(1)

55,1%

-

23,1%

7,3%

14,5%

-

=

-

-3

+1

-

-

Aylwin III (20)

28/09/1992

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

55% (11)

20% (4)

10% (2)

10% (2)

-

5%(1)

55,1%

-

23,1%

7,3%

14,5%

-

=

-

-2

+1

-

-

Aylwin IV

16/12/1993

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

55% (11)

20% (5)

10% (1)

10% (2)

-

5%(1)

55,1%

-

23,1%

7,3%

14,5%

-

=

-

-2

+1

-

-

Frei I (20)

11/03/1994

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

45% (9)

15% (3)

20% (4)

5% (1)

-

15% (3)

52,8%

21,5%

21,5%

2,8%

1,4%

-

-1

-1

=

+ 1

-

-

Frei II (20)

20/09/1994

PDC

PSch

PPD

PR

Autres

Ind.

50 (10)

15% (3)

21% (4)

5,3% (1)

-

10 (2)

52,8%

21,5%

21,5%

2,8%

1,4%

-

=

-1

=

+ 1

-

-

Frei III (20)

24/07/1997

PDC

PSch

PPD

PRSD

Autres

Ind

45% (9)

15% (3)

20% (4)

5% (1)

-

15% (3)

52,8%

21,5%

21,5%

2,8%

1,4%

-

-1

-1

=

+ 1

-

-

Frei IV (20)

05-16/01/1998

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

45% (9)

15% (3)

25% (5)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

-2

=

=

=

-

Frei V (20)

19/05/1998

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

50% (10)

10% (2)

25% (5)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

-1

-1

=

=

-

Frei VI (20) PDC 50% (10) 55% -1

378

01/08/1998 PSch

PPD

PRSD

Ind.

20% (3)

20% (4)

5% (1)

10% (2)

16%

23,2%

5,8%

-

+1

-1

=

-

Frei VII (20)

24/11/1998

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

50% (10)

20% (4)

15% (3)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

=

+1

-2

=

-

Frei VIII (20)

13/04/1999

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

55% (11)

20% (4)

15% (2)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

=

+1

-2

=

-

Frei IX (20)

22/06/1999

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

60% (12)

15% (3)

10% (2)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

+1

=

-3

=

-

Frei X (20)

13/08/1999

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

55% (11)

15% (3)

15% (3)

5% (1)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

=

=

-2

=

-

Frei XI (20)

03-16/12/1999

PDC

PSch

PPD

PRSD

Ind.

45% (9)

20% (4)

15% (2)

10% (2)

10% (2)

55%

16%

23,2%

5,8%

-

-1

+1

-2

+1

-

Lagos I (20)1;2;3

11/03/2000

PPD

PDC

PSch

PRSD

Ind.

15% (3)

45%(9)

25%(5)

10% (2)

5% (1)

23,2%

55%

16%

5,8%

-

-2

-2

+2

+1

-

Lagos II (20)

07/01/2002

PPD

PDC

PSch

PRSD

Autres

Ind.

25%(5)

35% (7)

15 % (3)

10 (2)

-

15% (3)

32,2%

37,1%

16,1%

9,8%

4,8%

-

-1

=

=

=

-

-

Lagos III (21)

06/08/2003

PPD

PDC

PSch

PRSD

Autres

Ind.

28,5%(6)

33,3%(7)

14,3%(3)

9,5% (2)

-

14,3% (3)

32,2%

37,1%

16,1%

9,8%

4,8%

-

-1

-1

=

=

-

-

Lagos IV (21)

29/09/2004

PPD

PDC

PSch

PRSD

Autres

Ind.

28,5%(6)

28,5%(6)

19,1% (4)

9,5% (2)

-

14,3%(3)

32,2%

37,1%

16,1%

9,8%

4,8%

-

-1

-2

+1

=

-

-

Lagos V (21)

03/01/2005

PPD

PDC

PSch

PRSD

Autres

Ind.

19,1%(4)

28,5%(6)

28,5%(6)

9,5% (2)

-

14,3% (3)

32,2%

37,1%

16,1%

9,8%

4,8%

-

-3

-2

+3

=

-

-

Lagos VI (21)

22/04/2005

PPD

PDC

PSch

19,1% (4)

33.3% (7)

23,8% (5)

32,2%

37,1%

16,1%

-3

-1

+2

379

PRSD

Autres

Ind.

9,5% (2)

-

14,3% (3)

9,8%

4,8%

-

=

-

-

Lagos VII (21)

14/12/2005

PPD

PDC

PSch

PRSD

Autres

Ind.

14,3% (3)

38,1% (8)

23,8% (5)

9,5% (2)

-

14,3% (3)

32,2%

37,1%

16,1%

9,8%

4,8%

-

-4

=

+2

=

-

-

Bachelet I (21)4

11/03/2006

PSch

PDC

PPD

PRSD

Autre

Ind.

19% (4)

33,3% (7)

23,8% (5)

4,75% (1)

-

19% (4)

23,1%

30,7%

32,3%

10,8%

3,1%

-

-1

+1

-2

-1

-

-

Bachelet II (21)

14/07/2006

PSch

PDC

PPD

PRSD

Autre

Ind.

19% (4)

38,09% (8)

19%(4)

4,75%(1)

-

19% (43)

23,1%

30,7%

32,3%

10,8%

3,1%

-

-1

+2

-3

-1

-

-

Bachelet III (22)

26-27/03/2007

PSch

PDC

PPD

PRSD

Autres

Ind.

22,7% (5)

36,4% (8)

22,7% (5)

4,5% (1)

-

13,6 (3)

23,1%

30,7%

32,3%

10,8%

3,1%

-

=

+ 1

-2

-1

-

-

Bachelet IV (22)

08-10/01/2008

PSch

PDC

PPD

PRSD

Autres

Ind.

22,7% (5)

36,4% (8)

22,7% (5)

9,1% (2)

-

9,1% (2)

23,1%

30,7%

32,3%

10,8%

3,1%

-

=

+ 1

-2

=

-

-

Bachelet V (22)

28/10/2009

PSch

PDC

PPD

PRSD

Autres

Ind.

27,2% (6)

31,8% (7)

22,7% (5)

9,1% (2)

-

13,6 (3)

23,1%

30,7%

32,3%

10,8%

3,1%

-

+1

=

-2

=

-

-

Uruguay

(6)

Lacalle I (13)

01/03/1990

PN

PC

69,2% (9)

30,8% (4)

61%

39%

+1

-1

Sanguinetti I (13)

1/03/1995

PC

PN

Autres

53,8% (7)

30,7% (4)

15,5% (2)

47,2%

45,5%

7,3

+1

-2

-

Sanguinetti II (13)

23/12/1996

PC

PN

Autres

61,5% (8)

30,7% (4)

7,7%(1)

47,2%

45,5%

7,3

+2

-2

-

Sanguinetti III (13)

02/02/1998

PC

PN

Autres

69,2% (9)

30,7% (4)

-

47,2%

45,5%

7,3

+3

-2

-

Sanguinetti IV

24/08/1999

PC

PN

Autres

Ind.

76,9% (10)

15,5% (2)

-

7,7% (1)

47,2%

45,5%

7,3

-

+4

-4

-

-

Batlle I (14)

01/03/2000

PC

PN

57% (8)

43% (6)

59,2%

40,8%

=

=

Argentine

(2)

De la Rúa I (11)

10/12/1999

UCR

FREPASO

Ind.

72,7% (8)

18,2% (2)

18,2% (1)

68,91%

31,09%

-

=

-1

-

De la Rúa II (11)

5/10/2000

UCR

FREPASO

72,7% (8)

9,1% (1)

68,91%

31,09%5

=

-2

380

coopté

Ind.

9,1% (1)

9,1% (1)

-

-

-

-

Note : *Ne sont comptabilisées que les périodes où les gouvernements se présentaient coalisés. Ainsi, pour les cas uruguayen

(Lacalle et Batlle) et argentin (De la Rúa), le nombre total de remaniements ministériels est supérieur à celui indiqué ici, les suivants

se réalisant sous des gouvernements essentiellement monocolores ;** les résultats sont exprimés en termes de postes ministériels

manquants ou en surplus par rapport à la part revenant à chaque parti dans le contingent législatif (chambre basse) de la coalition.

1 Les ministères des Œuvres publiques (MOP) et des transports sont occupés par le même ministre ; 2 Le ministère de l’économie et

de l’énergie sont représentés par le même ministre ; 3 Les ministères des biens publics et celui du logement sont représentés par le

même ministre ; 4 Le ministère de l’énergie et des mines sont représentés par le même ministre ; 5 Dès juillet 2000, la part des

députés du FREPASO s’amenuise à la suite de la désaffiliation partisane de nombreux députés.

Source: élaboration propre. Nous tenons à remercier particulièrement Federico Irazábal, María Belén

Retamales, Alejandro Olivares, et Fernando Pedrosa pour leur précieuse collaboration à la compilation de

ces informations.

6.2.3 Reddition des comptes des coali tions gouvernementales en régime

présidentiel : les cas du Cône Sud

La reddition des comptes constitue l’essence-même du contrôle de l’action d’un gouvernement.

Cette notion suppose donc une superposition des relations d’agence (ou relations

« hiérarchiques »), où le gouvernement est mandataire auprès de différents mandants. Cette sous-

partie s’intéresse ainsi à la reddition des comptes politiques des gouvernements de coalition dans

les systèmes présidentiels du Cône Sud, laissant la reddition légale ou pénale de côté1. Guillermo

O’Donnell identifie deux types de reddition de comptes : i) la reddition horizontale, qui consiste en

un contrôle interinstitutionnel entre les différentes sources de pouvoir (notamment celui du pouvoir

législatif sur l’exécutif) et acteurs du pouvoir (les partis sur le gouvernement) ; et ii) la reddition

verticale, plus classique, marquée par l’évaluation de l’action du gouvernement par l’électorat2.

Ces deux éléments supposent un double couplage du gouvernement avec les autres sources de

pouvoir et vis-à-vis de « l’environnement » politico-électoral. Toutefois, comme le rappellent José

Antonio Cheibub et Adam Przeworski, « la reddition des comptes est un mécanisme rétrospectif

dans le sens où les actions des gouvernants sont jugées de manière ex-post en fonction de leurs

effets […] les gouvernants sont donc susceptibles de rendre des comptes si la probabilité de leur

survie au gouvernement dépend de leur performance ; sans cela ils ne sont pas redevables de

comptes »3.

1 Pour ce faire, nous renvoyons aux travaux sur les jugements des presidents de PEREZ LIÑAN, A., Juicio político al

presidente y nueva inestabilidad en América Latina, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2008. 2 O’DONNELL, G., Disonancias: Críticas democráticas a la democracia, Prometeo, Buenos Aires, 2007, pp. 85-151.

3 CHEIBUB , J.A., et PRZEWORSKI, A., « Democracy, elections and accountability for economic outcomes », in

PRZEWORSKI, A., STOKES, S., et MANIN, B., Democracy, accountability and representation, Cambridge

University Press, 1999, p. 225. Traduction propre.

381

Dans un premier temps, il s’agit de voir comment se manifeste la reddition des comptes d’un

gouvernement de coalition, dans une configuration présidentielle de séparation des pouvoirs, avec

une prédominance du pouvoir exécutif sur le législatif. Nous chercherons ensuite à montrer si

l’élection directe du chef de l’exécutif implique une majeure visibilité et responsabilité vis-à-vis de

l’électorat.

a. Reddition « horizontale » des comptes et évaluation par les pairs

En système parlementaire, la reddition des comptes du gouvernement vis-à-vis de sa majorité est

simple : qu’il soit de coalition ou non, le gouvernement dépend de celle-ci. Ainsi, l’action du

gouvernement et de son chef vis-à-vis des composantes de sa majorité et des représentants des

différents partis, est étroitement contrôlée1. Les négociations sont courantes et constantes afin de

préserver la cohésion parlementaire à son tour garante de la cohésion gouvernementale, et cela dès

l’inauguration du gouvernement via le mécanisme de ratification gouvernementale par le

parlement2. Face à un quelconque problème, le gouvernement peut chercher la « confiance » des

parlementaires, par un vote de confiance auprès du parlement, ou défier une motion de censure qui

serait déposée par des parlementaires provenant en général de l’opposition. Ces mécanismes

simples ont l’avantage d’être immédiats, en ce sens que le gouvernement doit préserver cette

majorité s’il souhaite se maintenir, à moins qu’il n’anticipe une victoire électorale proche, pouvant

dans ce cas se dissoudre ou se délester d’un membre encombrant. Enfin, le retrait –unilatéral ou

forcé- d’un membre du gouvernement ne suppose pas pour autant la chute de ce gouvernement,

dans la mesure où la force partisane du membre en question maintient sa confiance et son appui

auprès du gouvernement.

En somme, en système parlementaire, si le gouvernement peut « sonder » facilement le soutien

dont il bénéficie à un moment « t » de la part de ses partenaires, ce même soutien est le fruit de

négociations intenses et de concessions importantes de la part des acteurs, lesquels maintiennent

leur appui au gouvernement en fonction de leurs prévisions sur les futurs résultats électoraux, ou

sur des positions en matière de politique publique.

Inversement, et par définition, suivant le principe de la séparation des pouvoirs, le gouvernement

en régime présidentiel n’est pas tenu de rendre des comptes politiques au parlement. Si celui-ci

1 LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries, Yale University

Press, 1999; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability in parliamentary

democracies, Oxford University Press, 2003. 2 LAVER, M., et SHEPSLE, K., “government accountability in parliamentary democracy”, in PRZEWORSKI, A.,

MANIN, B., et STOKES, S., Democracy, accountability, and representation, Cambridge University Press, 1999, pp.

279-296; et HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies.” American Political Science Review,

Vol. 90, 1996, pp. 269–82.

382

dispose, suivant les pays et les constitutions, de moyens institutionnels pour interroger des

ministres (en Uruguay notamment) ou opposer son véto à une loi, ses moyens sont généralement

limités. La responsabilité politique des gouvernements et des parlements est donc moins

automatique et surtout moins immédiate qu’en système parlementaire. L’accountability horizontale

y est essentiellement interpartisane et intra-partisane, plutôt qu’entre les sources du pouvoir

politique (institutionnelle)1. Elle se matérialise ainsi par la publicisation des désaccords entre le

gouvernement et les groupes parlementaires qui le soutenaient jusque-là2, ce qui est susceptible de

déboucher, dans les cas extrêmes, sur la démission unilatérale d’un ou plusieurs membres du

gouvernement, ou sur la désaffiliation partisane de certains parlementaires (comme dans le cas du

FREPASO en Argentine). Dans le chapitre 5 nous avons montré, par l’exemple de la sortie du PN

du gouvernement de Jorge Batlle, que le fait pour un parti de quitter une coalition gouvernementale

ne signifiait pas, automatiquement, le retrait de confiance du groupe parlementaire concerné à

l’égard du gouvernement.

Par ailleurs, si le fait d’abandonner un gouvernement de coalition pour un parti, et la mise en

pointillés du soutien parlementaire partisan ne constituent pas des événements « dramatiques »

pour un gouvernement en régime présidentiel3, ils le mettent face à la possibilité d’un blocage

institutionnel dans le cas où ce retrait supposerait une perte de majorité parlementaire. Les

présidents sont donc, comme les premiers ministres mais à des degrés moindres, tenus de ménager

leur majorité et les membres qui forment leur gouvernement.

Ainsi, dans le cas argentin c’est l’absence de soutien du président De la Rúa vis-à-vis de son

propre vice-président, Chacho Alvarez, dans le cadre d’accusations de corruption impliquant un

proche de ce dernier, qui a acculé le numéro deux du gouvernement à la démission. Celle-ci a eu

pour effet immédiat la sortie d’une dizaine de parlementaires FREPASO de l’alliance et le retrait de

ceux-ci du parti. Toutefois, par ordre d’Alvarez, l’Alianza s’est maintenue. La coalition s’est

irréparablement démantelée lorsque pour faire face à la crise économique qui commençait à toucher

le pays en mars 2001, le président De la Rúa décida, sans tenir compte de l’opinion de ses

partenaires, de nommer Domingo Cavallo comme ministre de l’économie. La personnalité de celui-

ci et sa relation au gouvernement Menem, dont la chute constitue la raison d’être de l’Alianza, a

conduit à ce que les membres du FREPASO se retirent définitivement du gouvernement. Nous

voyons ainsi comment une décision présidentielle, relative à la composition et à l’orientation

1 SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University Press, 2010.

2 KENNEY, C., « Horizontal accountability: concepts and conflicts », in MAINWARING, S., et WELNA, C.,

Accountability in Latin America, Oxford University Press, 2003, pp. 55-76. 3 En ce sens qu’elle ne vient pas mettre en péril la stabilité du gouvernement.

383

économique du gouvernement, a été sanctionnée par son principal partenaire politique. Le président

perdit toute majorité « acquise » au parlement, malgré la recherche du soutien des parlementaires

Justicialistes, via la nomination de Cavallo. On ne s’étonnera pas, rétrospectivement, que la totalité

des cadres ayant pris part à l’Alianza, jugent ce gouvernement « conflictuel » et « apathique »1.

*

En Uruguay, le parti « partenaire » n’a pas eu, comme dans le cas argentin, à faire face à un

président gouvernant de manière unilatérale. La tradition politique uruguayenne a conduit à ce que

le modèle de gouvernance soit de type polyarchique. Aussi, le retrait de la plupart des fractions du

Parti Colorado, un peu moins de deux ans après l’inauguration du mandat du blanco Luis Alberto

Lacalle, a découlé de désaccords sur la politique économique adoptée et du souhait de ne pas être

associé par l’électorat à ces décisions. Si Lacalle a exercé un leadership fort et potentiellement

clivant, face au Frente Amplio notamment (voir supra chapitre 3 et 5), le différend qui a conduit à

la sortie des Colorados du gouvernement est essentiellement idéologique2.

Sous le gouvernement de Julio María Sanguinetti, l’action d’Alberto Volonté a consisté à

maintenir la confiance du PN sur les accords passés en amont avec le président Sanguinetti. Les

défections gouvernementales (dont Alvaro Ramos, ministre des relations intérieures) n’ont donc

pas consisté en des critiques au gouvernement de coalition et à son action, mais en un désir de se

démarquer du propre Volonté, à l’intérieur du PN, en vue de préparer les élections de 1999.

Enfin, comme il a été dit, la sortie du gouvernement de l’ensemble du Parti National sous la

présidence de Jorge Batlle, n’a pas consisté en un retrait de la confiance des blancos dans le

gouvernement colorado. Comme le dis bien Isaac Alfie : « les blancos sont partis, mais au fond, ils

ne sont jamais partis »3. La sortie du gouvernement résulte d’un refus d’assumer les coûts

politiques et électoraux d’une participation à ce gouvernement en période de crise, et elle est

contrebalancée par un appui sans faille aux décisions prises par le gouvernement de Jorge Batlle.

*

Dans le cas chilien, c’est l’origine de la Concertación et le parcours respectif des différents

membres qui la composent, ainsi qu’un « apprentissage » de la culture du consensus qui ont conduit

à ce que les différents gouvernements ne conservent pas la confiance de la totalité de leurs

membres. Dans un premier temps, la crainte de l’éventualité d’un retour à un régime autoritaire, de

même que la présence d’enclaves autoritaires (telles que le Conseil de Sécurité Nationale et les

sénateurs désignés sous Pinochet) ont contribué au maintien de la cohésion entre les partis et leurs

1 D’après les entretiens réalisés et les questionnaires envoyés.

2 ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies,…” op. cit.

3 Entretien réalisée le 04/07/2011. Traduction propre.

384

bases parlementaires. De même, les processus de modération idéologique engagés dès les années

1980 (voir supra, chapitre 3), de la part des partis et personnalités de gauche, surtout lors de leurs

exils respectifs en Europe, ont conduit à ce que ces mêmes forces politiques n’émettent pas de

critique forte vis-à-vis de la politique économique de la coalition de gouvernement, aussi bien sous

Frei que sous Lagos, malgré la poursuite des politiques économiques engagées sous Pinochet1.

Dans la pratique, la Concertación a maintenu sa cohésion en conservant la confiance des partis qui

la composent2, du fait d’une politique interne du consensus, en évitant d’aborder des thèmes

potentiellement conflictuels (loi de divorce, étendue des politiques sociales, réformes

institutionnelles)3, en réalisant un partage équilibré et quasi proportionnel des ministères (voir

tableau 6.13) et en plaçant des experts à certains postes clés. En outre, compte tenu de la logique du

système binominal, les partis étaient sûrs d’obtenir une représentation parlementaire (notamment le

PRSD), ce qui leur permettait d’avoir accès à une source de pouvoir – et de financement- qu’ils

n’auraient pas eue en dehors de la coalition4.

Toutefois ces pratiques ont conduit à ce que les partis de la Concertación voient dans l’Etat et

l’administration publique, une source de revenus « garantie » pour ses membres, et qu’ils

développent des reflexes et des pratiques tels que ceux décrits par Richard Katz et Peter Mair sous

le label de « partis-cartels »5. Les partis se transformeraient ainsi en des sortes d’agences pour

l’emploi, ce que suggère le profil socioprofessionnel des cadres dirigeants de la Concertación6. Or,

ces mécanismes de consensus fonctionnel ne peuvent constituer la seule logique d’organisation

d’une coalition, parce que celle-ci créé d’une part des mécontents, mais aussi parce qu’elle conduit

à ce que Philip Shmitter appelle la « règle du désenchantement »7, marquée par un

désaccouplement progressif entre les partis de gouvernement et leur base électorale. C’est dans ce

sens que s’explique la sortie d’Adolfo Zaldívar, lors de ses critiques au Transantiago, ou encore

1 MARTNER, G., Remodelar el modelo, LOM, Santiago, 2007.

2 A noter toutefois que le petit Parti Humaniste qui comptait deux représentants parlementaires en 1990 s’est retiré de la

coalition dès 1992. 3 FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,

I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191- 222. 4 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de

Laval, Laval (Québec), 2006. 5 KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party organization and party democracy: the emergence of the cartel

party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. Pour une actualisation du concept et une approche francophone,

voir l'ouvrage compilé par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A., Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales: Le

modèle de parti-cartel en question, Les Presses de Sciences-Po, Paris, 2008. 6 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfiles dirigenciales y

trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y

política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 7 SCHMITTER, P., “La cuarta onda de democratización”, in BARBA, C., BARROS, J.L., et HURTADO, J.,

Transiciones a la democracia en Europa y América latina, Ed. Miguel Angel Porrúa, Mexico, 1991.

385

d’Alejandro Naranjo, puis d’autres membres du PSch (Jorge Arrate notamment) sur des questions

idéologiques (voir supra chapitre 5).

Enfin, l’organisation « consensuelle » d’un simulacre de primaires en 20091, conduisant à la

sélection du candidat et ex président, Eduardo Frei, comme représentant unique de la Concertación,

a conduit à ce que différents dirigeants issus du PS manifestent leur mécontentement en

abandonnant la Concertación. Ainsi le socialiste Carlos Ominami, l’un des fondateurs de la

Concertación et père du candidat PSch n’ayant pas pu disputer ces primaires, Marcos Enríquez

Ominami, justifie sa démission de la sorte :

Sans que cela se matérialise formellement, le parti [socialiste] est entré ces derniers temps dans

un processus aigu d’atomisation, reflété dans la multiplication des options présidentielles

souhaitant se montrer à la société, mais le parti a opéré de sorte que la citoyenneté reste sans

candidature socialiste […] c’est très déroutant de constater que la direction du parti a été

totalement incapable de reconnaître la force de certaines candidatures […] Toutefois ma décision

ne se réduit pas uniquement à une question électorale. Il y a beaucoup d’autres thèmes de fond qui

m’ont conduit à démissionner. Je ne peux continuer sous la tutelle d’un parti contrôlé par de petits

groupes qui s’allient uniquement pour garantir des positions au sein de l’Etat, se livrant à un

pragmatisme vulgaire qui privilégie un type d’alliance opportuniste avec la démocratie-chrétienne

tout en pratiquant un clientélisme souvent déshumanisé…2

En effet, si les différents acteurs de la Concertación que nous avons interviewés considèrent à

une écrasante majorité (94%), que l’action de la coalition a été positive, voire un franc succès

(85%), la mauvaise sélection des candidats apparaît en tête des critiques sur le fonctionnement de la

coalition (2.45 sur une échelle de 1 à 5 où « 1 » veut dire « tout à fait d’accord »).

b. Reddition verticale des comptes , les mouvements sociaux et partis

politiques dans le Cône Sud des années 2000

Si les gouvernements de coalition en régime parlementaire sont éminemment redevables à leur

majorité parlementaire, la reddition de comptes envers l’électorat n’est pas évidente, car elle

découle du caractère essentiellement post-électoral de la formation des alliances. Ainsi, comme

nous l’avons montré aux chapitres 3 et 4, les électeurs ne savent pas toujours pour quel

gouvernement ils ont voté ni pour quel premier ministre, et encore moins pour quelle politique. En

effet, « la formation de l’exécutif est le résultat de négociations parlementaires entre de nombreux

participants. Pour ce faire, le calcul que doit réaliser l’électeur pour savoir comment donner son

appui de la manière la plus efficiente possible à un gouvernement déterminé, est virtuellement

1 Celles-ci n’ayant eu lieu que dans deux régions, n’incluant notamment pas Santiago, et étant marquées par un contrôle

strict des candidats. 2 Lettre publique de démission de Carlos Ominami au Parti Socialiste chilien, le 30/06/2009.

386

impraticable »1. Kaare Strøm a montré que dans 80% des cas, les électeurs ne savaient pas pour

quels gouvernements ils avaient voté. En ce sens, la reddition de comptes en systèmes

parlementaires est essentiellement de type ad hoc, ceci étant dû à l’absence de visibilité des options

en présence2.

Sur ce point, le présidentialisme semble avoir un avantage sur le parlementarisme, grâce à une

identification plus précoce et facile des « options » (de coalitions) gouvernementales, notamment le

recours aux coalitions pré-électorales, ce qui rend les gouvernements électoralement responsables

face aux électeurs, puisque le gouvernement en place a été directement élu, lors de l’élection de son

chef . C’est toutefois auprès de ce dernier que s’effectue la reddition des comptes, davantage que

sur son gouvernement. De même les élections de mi-mandat, servent généralement à sonder la

réception par les électeurs de l’action du gouvernement. Les élections prennent de la sorte une

dimension nationale, malgré l’implantation locale des élus. Néanmoins, certaines caractéristiques

institutionnelles tendent à réduire cet avantage, telles que la limitation des mandats voire

l’impossibilité de réélection directe, comme c’est le cas au Chili et en Uruguay. , Les

gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels du Cône sud-américain ont, à des degrés

divers, opéré en système plus ou moins étanche vis-à-vis de leur base parlementaire et leur base

électorale. Or comme tout système, la recherche à l’autonomisation et la pérennisation passe par

« l’habilité à s’autodéterminer et transformer, suivant les besoins, les critères permettant de créer

du lien avec l’environnement »3. Les partis doivent, de la sorte, maintenir un degré de complexité

ou de connexité en rapport avec celui existant dans la société.

Si l’Alianza n’a pu briguer la réélection, car elle s’est disloquée bien avant la fin du mandat de

Fernando De la Rúa, les élections de mi-mandat ont constitué un signe fort du rejet de l’action

gouvernementale par la société argentine puisque la part des votes blancs et nuls comme expression

du « voto bronca » (vote de rejet) a été supérieure de dix points (25,86%), au niveau national, à la

part de votes reçus par la coalition gouvernementale (15,35% des voix). Par ailleurs, l’élan

populaire, bien que relatif (voir supra 6.2.1) suscité par la coalition, va se retourner contre elle, et

ce sont les mouvements sociaux de la fin 2001, combinés à une gestion politique hasardeuse de la

part du gouvernement (la police ayant ouvert le feu sur les manifestants, faisant une vingtaine de

1 MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,

2002, p. 43. Traduction propre. 2 STRØM, K., Minority governement and majority rule, Cambridge University press, 1990; et URQUIZU SANCHO,

I., “Coalition governments and electoral behavior: who is accountable?”, in SCHOFIELD, N., et CABALLERO, G.,

Political economy of institutions, democracy and voting, Springer-Verlag, Berlin, 2011, pp.185-213. 3 LUHMANN, N., La politica como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009, p. 56. Traduction propre.

387

morts) qui conduisirent à la fin de l’Alianza, via la démission du président, et étant donné le

caractère incontrôlable de la situation.

En Uruguay, les partis traditionnels ont dû faire face à la progression constante du Frente

Amplio, élection après élection. Toutefois la préférence de la société uruguayenne pour la

formation de gouvernements de coalition a semble-t-il été comprise et recherchée par les partis

traditionnels, d’où les tentatives initiales du premier mandat de Sanguinetti (1985-1990), puis

l’essai de Lacalle, et surtout la transformation de l’essai lors du second mandat de Julio María

Sanguinetti. Néanmoins, dans ce second cas, la popularité du président sortant n’a pas semblé

« transférable » sur le candidat le plus compromis de la coalition, Alberto Volonté, puisque lors de

la primaire du PN celui-ci a été battu. Cependant la reconduction d’un candidat en faveur d’un

gouvernement de coalition, via la victoire du colorado Jorge Batlle en 1999, semble indiquer

l’attractivité de la formule de gouvernement coalisé auprès de l’électorat uruguayen.

Dans le cas chilien, le maintien au pouvoir de la Concertación durant quatre mandats successifs

témoigne d’un soutien populaire et électoral important. Celui-ci est constamment recherché par la

Concertación au travers de la réactivation de sa raison d’être originale : l’opposition à la dictature

de Pinochet. Diverses commissions ont été ainsi organisées autour du thème de la violation des

Droits de l’Homme (Commission Rettig en 1990, Commission Valech en 2000), un « musée de la

mémoire » a été créé en 2006, et rouverts certains dossiers liés à des disparitions sous la dictature,

notamment lors de l’élection de 2009 où le candidat Frei a annoncé publiquement que son père

(l’ex-président DC Eduardo Frei Montalva), mort en 1982 des suites d’une chirurgie avait en fait

probablement été assassiné par les agents de la dictature. Cette rétro-alimentation a conduit à la

création et au maintien de la culture et de l’identité de la Concertación et a facilité la convergence

entre les membres du PDC et du PSch1. Elle s’est toutefois peu à peu déconnectée des attentes

sociales de son électorat, comptant sur le fait que celui-ci maintiendrait un fort niveau

d’identification en termes de rejet de la dictature. Or, avec les années et la figure de moins en moins

centrale et clivante de Pinochet (particulièrement depuis 1999 et la candidature de Lavín), la société

chilienne s’est transformée, plus profondément et rapidement que ne l’avaient perçu les partis de la

Concertación ; avec des attentes davantage orientées vers des questions socio-économiques, selon

Tomás Moulián2. Ces attentes n’étant que faiblement reprises par les partis de la Concertación, la

1 BOENINGER, E., Politicas publicas en democracia: institucionalidad y experiencia chilena 1990-2006, Cieplan/

Uqbar, Santiago 2007, p.43. 2 Moulián insiste en effet sur les attentes nouvelles en termes de consommation, propres au « citoyen credit-card »

apparu au sortir de la dictature. Voir MOULIAN, T., Chile actual: anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002. Cette

déconnexion reprend l’idée de Pierre Héritier ou le gouvernement ferait fi des attentes de la société, voir HERITIER,

P., Gouverner sans le peuple, Editions de l’Atelier, Paris, 2001.

388

démarcation vis-à-vis de l’opposition a été beaucoup moins nette. Enfin, l’absence de possibilité de

réélection présidentielle a montré que la popularité d’un président sortant n’était pas

automatiquement transposable à sa coalition. Ainsi lorsque Michelle Bachelet quitte le pouvoir en

2010 avec 80% d’opinions favorables, cette popularité ne s’est pas reportée sur la coalition

puisqu’elle n’a pas permis d’élire l’ex-président Eduardo Frei, candidat désigné de la Concertación,

soutenu publiquement par Bachelet.

Ce désaccouplement progressif entre la coalition et son environnement social chaque fois plus

complexe, a conduit à une désaffection grandissante envers la chose publique de la part d’une

frange de plus en plus importante de la société chilienne, en particulier les jeunes. Cette

désaffection est marquée par des niveaux de participation électorale en chute libre depuis 1988.

Comme le montre le tableau 6.14, les niveaux de participation électorale comparés entre le Chili,

l’Argentine et l’Uruguay témoignent d’un maintien des taux de participation argentins et

uruguayens (colonne « f ») globalement supérieurs à 80% (Argentine), voire frôlant les 90%

(Uruguay). Dans le cas chilien, la participation est masquée par le système électoral, qui veut que le

vote soit obligatoire, comme en Argentine et en Uruguay, mais que l’inscription soit facultative. Ce

qui fait que pour échapper à des sanctions économiques (assez élevées) en cas d’abstention, de

nombreux électeurs préféraient ne pas s’inscrire. Or, lorsque l’on additionne les non-inscrits avec

les abstentionnistes, on atteint des taux de participation « à l’européenne » et en constante

progression, allant jusqu’à 41% de personnes n’ayant pas voté lors de l’élection présidentielle de

2009.

Enfin si le vote est légalement obligatoire en Argentine et Uruguay, la sanction en cas de non

respect est relativement minime (difficultés à renouveler des documents administratifs tels que

passeports, etc.). C’est donc davantage une question de culture civique que de crainte d’une

sanction qui conduit aux taux de participation observés dans ces deux pays1. Bien que le Chili ait

récemment modifié sa loi électorale, en adoptant le vote facultatif et l’inscription automatique, les

résultats de participation lors de premières élections ayant eu lieu sous cette configuration

(municipales de 2012), ont confirmé la tendance à la baisse de la mobilisation électorale (45% de

participation).

1 Voir à ce sujet COUFFIGNAL, G., « Le vote en Amérique latine », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D.,

(dir), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001.

389

Tableau 6.14. Niveau de participation électorale depuis le recouvrement de la

démocratie (aux élections présidentielles)

Elections

Population en

âge de voter

(milliers)

Inscrits

(milliers)

Non- inscrits

a-b

Abstention

(milliers)

C/A

(%)

c+d

(%)

a b c d e f

Argentine

1983 17.930 17.930 - 2.580 - 14,40%

1989 20.034 20.034 - 2.948 - 14,71%

1995 22.178 22.178 - 3.975 - 17,92%

1999 24.109 24.109 - 4.260 - 17,67%

2003 25.480 25.480 - 5.550 - 21,78%

2007 27.090 27.090 - 7.638 - 28,19%

2011 28.916 28.916 - 6.051 - 20,61%

Uruguay

1984 2.197 2.197 - 0.266 - 12,10%

1989 2.319 2.319 - 0.263 - 11,34%

1994 2.330 2.330 - 0.331 - 14,20%

1999** 2.402 2.402 - 0.197* - 8,20%

2004 2.488 2.488 - 0.258 - 10,37%

2009 2.563 2.563 - 0.258 - 9,93%

Chili

1988*** 8.062 7.436 0.626 0.185 7% 10,05%

1989 8.243 7.558 0.685 0.399 8% 13,15%

1993 9.052 8.085 0.866 0.708 9% 17,38%

1999** 10.126 8.084 2.042 1.029 20% 30,32%

2005** 11.323 8.221 3.102 1.117 27% 37,26%

2009 12.277 8.285 3.992 1.052 32,5% 41,08%

Notes: *nous n’entrons pas ici dans le débat sur la visibilité et l’utilité du vote blanc ou nul ; ** Lors de ces élections il

y eut deux tours, les données sont donc des moyennes ; *** plébiscite

Sources: Argentine: ministère de l’intérieur argentin/ Honorable Congrès de la Nation Argentine;

Uruguay: Instituto de Ciencia Política, Universidad de la República, Montevideo; Chili: INE, Servel, Tricel.

Finalement, une donnée intéressante est la relation entre les sociétés chilienne, argentine et

uruguayenne et leurs partis politiques, et notamment ceux ayant pris part à des coalitions

gouvernementales. Ainsi on observe aujourd’hui que tous les partis dans ce cas ont cessé d’être des

canaux d’expression pour les mouvements sociaux, comme ils avaient pu l’être. La présence au

gouvernement a réduit l’activité militante et protestataire de partis dont le répertoire d’action

collective traditionnelle passait, justement, par des mobilisations de masses, et une fois retournées

390

dans l’opposition aucun des partis qui ont pris part à ces gouvernements ne sont parvenus à

recouvrer leur capacité mobilisatrice. Ces éléments semblent donc rendre compte d’une certaine

forme de « cartellisation » des systèmes de partis, et de la perte d’attractivité de ceux-ci pour les

sociétés concernées.

En Argentine, l’UCR a perdu sa base sociale au profit du PJ version Kirchner, voire d’autres

partis (notamment le PS Argentin, lors des élections de 2011) et l’ensemble des tentatives

d’alliances électorales entreprises depuis la chute de De la Rúa se sont soldées par des échecs, ou

au mieux des demi-victoires. L’UCR a sélectionné, par exemple, un candidat coopté au PJ lors des

élections présidentielles de 2007 (Roberto Lavagna).

Au Chili, ce phénomène est encore plus radical puisque c’est l’ensemble du système de parti qui

a perdu sa capacité de mobilisation. Les mouvements sociaux que connaît le pays depuis 2010 se

sont initiés depuis la société civile, laquelle a signifié un désaccouplement radical avec toute

structure partisane existante. Les partis qui jadis constituaient la « colonne vertébrale » de la société

chilienne1, semblent aujourd’hui relégués au second plan, les mouvements sociaux, dont le plus

médiatisé fut le mouvement étudiant de 2011-2012, se revendiquent d’ailleurs comme apolitiques.

En Uruguay, les partis traditionnels semblent avoir perdu leur capacité mobilisatrice au profit du

Frente Amplio. Celui-ci, bien qu’au gouvernement depuis 2005, conserve un certain « monopole »

d’action collective et mobilisation politique dans le pays.

6.3 Conclusions

Les coalitions gouvernementales s’inscrivent dans une perspective qui dépasse la seule

dimension gouvernementale. La constitution d’une alliance gouvernementale, et a fortiori

électorale, conduit à ce que la responsabilité des décisions prises ait des répercussions sur

l’ensemble des participants, de manière certes inégale.. Dès lors, les alliances partisanes

lorsqu’elles s’expriment au niveau gouvernemental se maintiennent tant que chacune des parties a

conscience d’y trouver un intérêt propre, qu’elle ne saurait trouver hors de cette alliance. Ces

intérêts sont décuplés lorsque la coalition se verticalise à des échelons inférieurs. La construction

d’une identité propre à la coalition vient donc renforcer à la fois l’alliance et les liens

d’interdépendance. Encore faut-il que cette verticalisation ne soit pas bancale ni déséquilibrée.

Le renoncement d’un ou plusieurs parti(s) à présenter une candidature propre lors d’une élection

présidentielle, qui constitue la principale échéance électorale en termes de visibilité et

1 GARRETON, M.A., Reconstruir la política: Transiciones y consolidación democrática en Chile, Editorial Andante,

Santiago, 1987. Voir également Le dossier « le Chili déconcerté » in Cahiers des Ameriques latines, No. 68, 2012.

391

identification, suppose donc un degré important de structuration conjointe et implique une

négociation en amont quant à l’obtention de rétributions. On observe ainsi, que les cas les plus

soudés et intégrés de coalition gouvernementale ont supposé un renoncement, de la part du parti du

président, à une représentation proportionnelle de sa représentation partisane à l’assemblée. Les

petits partis reçoivent, généralement, une part supérieur à celle qui correspond à leur poids politique

réel, comme l’a montré le tableau 6.13. Le président est le dernier décideur en la matière, et de ce

fait la forme que prendra le processus de nomination des membres de son cabinet lui revient.

En outre, nous avons montré que les systèmes présidentiels n’ont pas forcément recours à

l’inflation des portefeuilles ministériels afin de rétribuer artificiellement les membres qui les

auraient accompagnés. En ce sens il serait intéressant de voir quelle est la part d’autonomie dont

disposent les ministres dans ce système, par rapport aux systèmes parlementaires, étant donné que

les ministres ne répondent, dans la première configuration constitutionnelle, qu’auprès du président

de la République.

Par ailleurs, si une coalition a pour vocation de se pérenniser elle se doit d’établir des règles

durables de fonctionnement. Si les mécanismes de connexité ont été étudiés au chapitre 5, nous

avons ici insisté, à partir de l’échec de l’expérience de l’Alianza argentine et le succès de la

Concertación chilienne, sur la part d’informalité des processus de décision et sélection de candidats

ainsi que sur l’importance de contrepoids à l’intérieur de la coalition. Les coalitions fonctionnent

ainsi comme des sous-systèmes politiques (ou « systèmes partiels »), où la nécessité de se

constituer vis-à-vis de l’extérieur ne saurait éliminer le travail de constitution et de communication

interne. Pour qu’une coalition se maintienne, les liens d’association qui unissent les partis doivent,

être constamment réalimentés vers l’extérieur comme vers l’intérieur, et parallèlement les liens de

couplage avec leur environnement doivent être maintenus le plus possible afin d’éviter que la

coalition n’entame un processus d’autonomisation vis-à-vis de l’environnement, dont l’expression

la plus radicale consisterait en une cartellisation de ses membres autour des ressources de l’Etat.

Vingt ans après le début des expériences de gouvernements de coalitions dans le Cône sud, un

constat global est difficile à faire, tant les différences en termes de culture politique et de

structuration partisane sont fortes parmi les trois pays qui constituent le terrain de cette thèse.

Toutefois, la place des partis ayant pris part à ces expérimentations est intéressante et instructive.

Les partis de l’Alianza argentine ont soit disparu (FREPASO), ou se maintiennent de manière

difficile et sans réel cap (UCR). Les partis uruguayens qui avaient gouverné le pays pendant près de

150 ans, hormis les périodes autoritaires, ont perdu beaucoup de leur capacité mobilisatrice et laissé

l’initiative à un parti récemment créé (le Frente Amplio). Enfin le système politique chilien, qui

était considéré comme l’un des plus structurés du continent américain et qui a su se reconstruire

392

malgré la dictature de Pinochet a, à son tour, perdu sa condition de canalisateur sociopolitique et,

fait plus grave, a suscité une désaffection grandissante de la part de la société chilienne.

Paradoxalement, et bien qu’il faille nuancer les résultats d’opinion portant sur des questions

politiques en temps de crise, on peut observer que les citoyens argentins, uruguayens et chiliens

conservent un taux de confiance envers leurs partis politiques, bien plus élevé que les européens

(tableau 6.15). Les partis du Cône Sud semblent donc être entrés, comme leurs homologues

européens, dans une étape de métamorphose de leurs bases sociales et de leurs structurations et

liens d’association.

Tableau 6.15 : évolution comparée de la confiance envers les partis politiques Cône

Sud/ Amérique latine/ Europe

Pays/ Región 1997 2002 2007 2010

Argentine 29 4 14 21

Chili 35 12 20 23

Uruguay 45 28 34 45

Amérique Latine 19 14 20 23

France 17 13 17 10

Union Européenne 25* 18* 18** 15**

Notes: * Europe des15; ** Europe des 27

Source: i) Latinobarómetro 1996-1997, 2002, 2007, 2011; ii) Eurobaromètre standard n°48, Décembre

1997; n°57, Octobre 2002; n°68, Décembre2007 ; n°74, février 2011.

393

Conclusion : Le Présidentialisme de coalition dans le

Cône Sud, 25 ans d’expérimentations

"¿De qué sirve saber o creer que cada camino es falso si no lo caminamos con un propósito que ya no sea el camino mismo?"

Julio Cortázar, Rayuela.

Le propos de cette thèse, qui s’inscrit dans une approche de type « théorie politique », consistait

à réaliser une mise à jour des théories des coalitions en comblant un vide théorique important. En

effet, si l’approche théorique fondationnelle pour analyser le phénomène des coalitions

gouvernementales provient essentiellement d’auteurs européens ou nord-américains, malgré une

vocation holiste et universaliste, leur substrat cognitif et empirique s’applique, par ricochet,

essentiellement sur la structuration sociopolitique propre aux systèmes parlementaires européens.

De même, les études qui, par la suite, se sont attachées à l’étude du phénomène en régimes

présidentiels ont, pour la plupart, repris les modes opératoires et postulats posés par les études

parlementaristes, sans jamais proposer de différentiation systémique entre les réalités de

fonctionnement propres à ces différentes configurations constitutionnelles.

Dans le cadre de cette thèse, l’objectif n’a pas simplement été d’établir, ici, une simple typologie

des mécanismes propres aux régimes présidentiels, mais plutôt une comparaison systématique avec

la matérialisation du phénomène en régime parlementaire. Pour ce faire, nous avons cherché à

mettre en commun dans cette thèse trois champs d’études de la science politique, parmi les plus

étudiés au XXe siècle, mais qui n’avaient jamais été combinés jusqu’à présent : la théorie des

coalitions, le débat parlementarisme vs/présidentialisme et la théorie des clivages.

L’approche par le premier champ d’étude, la théorie des coalitions, a nécessité un recentrage de

l’analyse d’un point de vue phénoménologique et conceptuel, afin d’adopter une définition stricte

du concept de coalition gouvernementale, et procéder à une comparaison précise du phénomène

entre les deux types de régimes. De cet effort épistémologique, nous avons pu identifier, dans la

continuité des travaux récents trans-configurationnels1, les objectifs et motivations majeurs qui

conduisent à la formation de coalitions (électorales et) gouvernementales comme suit: i) impulsion

1 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Oxford University Press, 1990; MÜLLER, W.C.,

BERGMAN, T. et STRØM, K., « Coalition theory and cabinet governance : An introduction », in STRØM, K.,

MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008; MATAS, J.,

Coaliciones politicas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000; et CHASQUETTI,

D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América latina: evaluando la “difícil combinación, Ediciones

Cauces, Montevideo, 2008.

394

d'une action de gouvernement commun au travers de ii) des valeurs communes (projet politique et

idéologique convergeant, ou rejet d’un concurrent politique commun, ordonnés autour de clivages

politiques), iii) le contrôle de la plupart des instances gouvernementales disponibles (via une

redistribution des portefeuilles ministériels parmi les forces politiques « coalisées ») et iv) la

formation d'un gouvernement stable (avec l'objectif de mettre en place des politiques publiques,

sans omettre une visée ré-élective). Si ces objectifs et motivations n'ont pas prétention à

l’exhaustivité, ils ont l'avantage de dresser les outils d’analyse préalable à l’étude de la formation et

organisation des coalitions, au-delà de la simple considération de rétribution par répartition de

portefeuilles ministériels.

Du débat théorique initié par Juan Linz, portant sur les vertus et défaut des systèmes

présidentiels et parlementaires, nous avons repris la dimension polymorphique de ces systèmes, où

il n’existe pas « un seul » type de présidentialisme ou de parlementarisme1, et la considération

d’autonomie politique de l’exécutif sur le législatif en système présidentiel. Ceci pose donc la

problématique de la survie du gouvernement, et par ricochet l’opposition entre les notions de

« stabilité gouvernementale », plus applicable aux régimes parlementaires, là où en régime

présidentiel les conflits interinstitutionnels, lorsqu’ils sont sérieux, peuvent mettre en péril la

stabilité politique du régime, voire sa stabilité démocratique. De ces éléments, il a été possible de

postuler la différence de portée des partis gouvernementaux entre les deux types de régime : là où

les régimes parlementaires peuvent conduire à ce que se côtoient des partis à visée nationale et

régionale ; en régime présidentiel, ce sont presque uniquement des partis à portée nationale qui

entrent au gouvernement. De plus, le caractère décisif de l’élection présidentielle sur l’identité du

chef du gouvernement conduit à ce que le type de structuration et d’organisation des partis

« présidentialisés » soit altéré par l’échéance électorale. A ce titre, la sélection du candidat

présidentiel prend, pour un parti à vocation gouvernementale, une importance particulière ; de

même que l’absence de candidature en cas de soutien à un candidat issu d’un autre parti.

Enfin le recours à la théorie des clivages a servi de « lien » entre les deux premiers champs

d’étude. Le principe de groupalité en termes de « préférences » et « attractivité » des options

partisanes, qui s’exprime tant en termes positifs (attraction homogène) que négatifs (rejet commun

d’un troisième acteur) vient en effet s’imbriquer dans la dimension bipolaire qu’induit le principe

de « dualité »2 des options, lié à l’élection présidentielle. Les clivages servent ainsi à la fois de

marqueur d’identité et d’éléments de différentiation. Ils occupent également un rôle dans la forme

que vient prendre l’accord, que ce soit comme « projet » politique où le facteur identitaire est fort,

1 Voir SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and assemblies, Cambridge University Press, 1992.

2 DUVERGER, M., les partis politiques, Seuil, Paris, 1980.

395

ou lorsque l’alliance relève du simple « pacte », où c’est la question de la différentiation d’avec un

troisième acteur qui est plus importante. Enfin, la nature de cette alliance et son niveau de cohésion

est à la fois mesurée et affectée par la verticalité que vient prendre l’alliance. En effet, plus une

coalition est « verticale », c'est-à-dire effective sur plusieurs niveaux de pouvoirs, plus les acteurs

sont engagés et compromis entre eux.

Principaux résultats de la recherche

La première étape de cette thèse a consisté en une vérification par un « test » empirique de la

théorie dominante et des principaux postulats quant à la formation et le maintien des coalitions

gouvernementales en régime présidentiel. Cet exercice a permis à la fois de réfuter la plupart des

hypothèses ayant court, liées notamment à un surdimensionnement de l’impact des institutions (en

particulier la loi électorale). Elle a par ailleurs montré l’absence de fondement empirique des thèses

qui traitent du caractère « accidentel » des coalitions gouvernementales en régime présidentiel. A

ce titre, nous avons montré, au travers de l’exemple latino-américain, que ce sont les régimes qui

présentent une configuration plus présidentialiste (entendue par un rapport de force plus favorable

au président) qui tendent à expérimenter plus de gouvernements coalisés. Dit autrement, plus le

« gâteau » est grand plus les parts à distribuer seront intéressantes et susceptibles d’attirer des

partenaires. Par la suite, la sélection du terrain d’étude de cette thèse a permis à la fois d’illustrer

l’argumentation et de remonter vers la théorie, de manière rétroductive1, et a notamment mis en

évidence que les gouvernements de coalition en régime présidentiel n’ont pas recours à « la

multiplication des pains » (ou des postes ministériels) pour rétribuer leurs partenaires.

Dès lors, les principaux résultats de cette thèse viennent à montrer que l’expérimentation de

gouvernements de coalition en régime présidentiel, par rapport à la matérialisation du phénomène

en régime parlementaire, portent sur trois niveaux : organisationnel, temporel et comportemental.

Ainsi, nous avons montré que le recours et la répétition de formes coalisées de gouvernement

contient, en régime présidentiel, une dimension « excluante » en vue à l’accession au pouvoir, en

s’imposant sur le système politique et les patrons de compétition électorale. Ceci se distingue donc

de ce qui se produit en régime parlementaire, où le facteur temporel (postélectoral) et le caractère

« croisé » des clivages en présence conduit à une logique plus intégratrice ou « inclusive » entre les

partis. En système parlementaire, tous les partis peuvent être susceptibles de s’allier entre-eux, du

fait de la nécessité de former une majorité parlementaire et de la temporalité post-électorale des

1 Entendu comme combinaison de déduction et d’induction.

396

« tours de formation » qui précédent la formation d’accords de coalition. Inversement, les

« options » de coalition en régime présidentiels sont plus limitées puisque le formateur de la

coalition gouvernementale est par définition le président élu. La valeur couperet de l’élection

présidentielle, sauf cas exceptionnels (notamment le cas bolivien antérieur à 2004), ordonne donc la

compétition et les affinités politiques de manière plus précoce, en vue des résultats électoraux

escomptés.

Cette caractéristique pose alors le problème de la visibilité et la capacité d’identification du futur

gouvernement, et par ricochet la question de la reddition des comptes (accountability). Si en régime

parlementaire, le caractère post-électoral ne permet pas à coup sûr de savoir quel sera le chef de

l’exécutif ni par qui il sera accompagné1 ; à l’opposé, en régime présidentiel, les coalitions sont

plus visibles et identifiables a priori, notamment du fait du caractère pré-électoral de la formation

des coalitions. Si le mandat fixe du président ne permet pas un contrôle immédiat et contraignant

sur son action politique par le parlement (reddition des comptes horizontale), comme cela se

produit en régime parlementaire ; la meilleure identification des membres du gouvernement permet

un contrôle électoral (reddition verticale) plus effectif, aussi bien quant à la réélection du président

(si la constitution le permet) ou de son équipe, que lors d’élections de mi-mandat (législatives

partielles, notamment).

Ceci se matérialise alors par une bipolarisation de la compétition politique. Dès lors, le vote en

système présidentiel multipartisan serait davantage « coalitionnaire » que partisan2, réduisant ainsi

le rôle et l’influence des partis se déclarant « du centre », qui refusent par-là de se positionner

autour de la ligne de clivage. D’autre part, le fait que les partis soient les canalisateurs de

l’expression des clivages structurants, ils procèdent au travers de l’expérimentation de

gouvernements coalisés à un processus double de création puis mise à jour constante du clivage

structurant la compétition politique. La ligne de démarcation originelle (ou structurante) est

constamment alimentée, dans un but de marginalisation et différentiation entre les groupes

polarisés. Cette rétro-alimentation des clivages est motivée par un facteur de différentiation

politique et électorale impulsée vers et depuis l’Etat. Autrement dit, ce sont les coalitions de

gouvernement bien plus que les partis d’opposition qui nourrissent et se nourrissent du « gel » des

clivages. Les partis d’opposition cherchant davantage à changer les lignes de démarcation. Nous

1 Kaare Strøm parle « d’identifiabilité » (identifibility) des gouvernements, et montre que dans près de 80% des cas, les

électeurs ne savaient pas, dans les cas de coalitions gouvernementales d’Europe Occidentale, pour quel gouvernement

ils avaient voté. Voir STRØM, K., Minority governement and majority rule, op. cit. 2 BLAIS, A., et al. se posent d’ailleurs cette question pour les systèmes parlementaires: “Do voters vote for government

coalitions?; Testing Down's Pessimistic Conclusions”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705. Pour un

contre-argument, peu persuasif, voir DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in

multiparty democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719.

397

avons montré que cela est particulièrement vrai au Chili et en Uruguay, et cela implique une

autonomisation croissante du système de partis (et donc des partis coalisés) d’avec l’environnement

social.

Néanmoins, cette métamorphose de la politique en une « démocratie du public »1 a pour

conséquence une déconnexion croissante entre les acteurs politiques et les agents qui constituent la

base2 (militants, sympathisants, etc…), et une informalité « institutionnalisée » des relations intra-

coalitionnaires. Néanmoins, si ce présumé désintérêt croissant envers la chose politique semble

alerter de la même manière les partis et les politistes, autour d’une supposée « crise des partis » et

« crise de la politique », il est à noter que cette méfiance envers les partis dans le cône sud est

comparable à ce que l’on peut observer en Europe. En effet, bien que les partis tendent à maintenir

leurs « marques » électorales3, nous observons que les processus de coalitions s’organisent en

systèmes semi-hermétique, dans la conception de Luhman. Et, sans sous-estimer la pertinence et les

effets de l’environnement (notamment institutionnel), nous observons que l’ensemble de la

communication propre aux gouvernements coalisés provient et dépend des acteurs de cette même

coalition. Si les débats internes sont le fait de l’hétérogénéité des acteurs, la communication

« externe », elle, est le fruit de négociations supposant une position et une responsabilité commune.

Lorsque les divergences internes en viennent à s’externaliser ou se “publiciser”, et lorsqu’un

partenaire-clef de la coalition vient à quitter celle-ci, la coalition comme “système” se dissout dans

le système politique, lequel formait jusque-là son environnement.

Nous avons montré, enfin, que dans les systèmes présidentiels du cône sud il existe une logique

de routinisation coalitionnaire qui, suivant un processus auto-référent, se révèle particulièrement

stable. Si l’Argentine constitue un cas « crucial » pour notre démonstration4, les cas chilien et

uruguayen montrent combien la pratique coalitionnaire au niveau gouvernemental et/ou dans

l’opposition, vient constituer une sorte d’invariant de leurs systèmes partisans. La nouvelle

historicité politique tend, en effet, à centrer la compétition politique autour de « blocs » (ou pôles)

identitaires, et à faire la part belle aux coalitions, lesquelles viennent s’inscrire dans une logique

systémique plus ou moins autonome de l’environnement social. Ce recours constitue une sorte de

préservation des acteurs en présence, de par la logique « excluante » de ces coalitions, notamment

1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].Cette notion se

rapprochant de celle de “cartellisation” des partis présentée par KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party

organization and party democracy: the emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. 2 Pour les partis dont le schéma organisationnel correspond à celui des partis de masse, tels que décrits par Duverger.

Cette assertion ne peut ainsi s’appliquer aux partis plus « récents » (notamment le PPD et l’UDI au Chili, et le

FREPASO en Argentine), qui ont des structures organisationnelles plus professionnelles et concentrées. 3 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006.

4 BÄCK, H., et DUMONT, P., “Combining large-n and small-n strategies: the way forward in coalition research”, in

West European Politics, Vol. 30, No. 3, 2007, pp. 467-501.

398

face à l’émergence de nouveaux acteurs. Cependant, cette stabilité dépend de la capacité à

maintenir visibles et actives les lignes de « démarcation » en présence, ou d’élaboration de

nouvelles. Sans cela, l’émergence de nouveaux acteurs (« díscolos »), provenant des coalitions

elles-mêmes, et vecteurs de nouvelles priorités vis-à-vis du système de parti « en place », peut

contribuer à fragiliser le « système coalitionnaire » dans son ensemble ou l’un des membres de

celui-ci. Ainsi, le système est-il plus exposé et fragilisé par les menaces de séditions internes, que

par l’émergence d’un nouvel acteur « hors système ».

Retour au terrain

La sélection de notre terrain n’a, on vient de le voir, pas servi uniquement d’illustration à la

démonstration théorique. L’étude des phénomènes de coalitions gouvernementales dans le Cône

Sud a ainsi mis en avant le caractère dynamique et évolutif de « la vie en coalition ». Les coalitions,

de même que les partis, ne sont pas des éléments donnés qui répètent des schémas préétablis. Elles

sont composées d’acteurs divers, mus par des intérêts et des motivations également diverses. Nous

avons vu, toutefois, que le type d’acteurs en présence, leur culture politique et les rapports de force

sont autant d’éléments centraux à prendre en compte. En effet, l’Alianza argentine ne se disloque

pas pour des raisons d’incohérence idéologique, ni ne fait les frais de la crise économique de 2001,

puisque cette désarticulation a lieu plus d’un an avant. Les causes de ceci découlent de la nature des

acteurs, et de la culture peu coopérative des partis argentins. De même le déséquilibre des forces et

l’absence d’un comportement « coalitionnaire » de la part du président De la Rúa ont constitué les

fondements de l’échec de cette coalition. A l’inverse de ce qui se produit en régime parlementaire,

où un parti dominant peu s’allier à un ou plusieurs petits partis, voire des partis régionalistes (ou à

portée non nationale), en régime présidentiel, le cas argentin montre que les coalitions doivent

inclure des partis qui présentent une organisation et une portée semblables, ainsi qu’un rapport de

force équilibré en termes de leurs ressources (contingent électoral, ressources mobilisationnelles,

etc.).

Le cas chilien constitue un cas d’apprentissage de vie en commun, où des acteurs jadis

antagonistes ont occupé ensemble le pouvoir et appris à vivre ensemble pendant vingt ans. Cela

malgré une configuration présidentielle où le président possède des pouvoirs particulièrement forts.

En ce sens, l’expérience des gouvernements de coalition à favorisé une gestion pragmatique et

nuancée du pouvoir, dans un pays qui était marqué par une polarisation des positions politiques. En

ce sens, les gouvernements de coalition constituent une sorte de soupape de modération. Juan Linz

399

va d’ailleurs dans ce sens lorsqu’il dit que « les coalitions gouvernementales en régime présidentiel

constituent une sorte de ‘parlementarisation’ de la praxis gouvernementale »1.

Le cas uruguayen s’inscrit à mi-chemin entre les expériences argentine et chilienne. Si la culture

gouvernementale uruguayenne s’inscrit dans une tradition coopérative et consensuelle, qu’illustre

la réalisation de co-gouvernements entre colorados et blancos, la traduction en termes de coalitions

de gouvernement n’a pas été automatique. Si le second gouvernement Sanguinetti (1995-2000) a

constitué une référence de soutien et cohésion interpartisane, il est surtout le fait d’un acteur,

Alberto Volonté, persuadé –à tort- que de la sorte son propre parti, le Partido Nacional, serait

récompensé par son attitude « responsable ». Les autres gouvernements (Lacalle 1990-1995 ; et

Batlle 2000-2005) ont connu des fortunes diverses, puisque leur partenaire partisan de coalition a

quitté le gouvernement avant la mi-mandat. Cette rupture est, toutefois, plus évidente dans le cas de

Lacalle, où son leadership fort et la prise de positions idéologiques clivantes, ont conduit les leaders

colorados, même ceux qui partageaient les mêmes affinités idéologiques que lui (comme Jorge

Batlle), à se retirer,. Inversement, la défection des blancos sous la présidence de Batlle, est

davantage le fait de calculs électoraux, dans un contexte de crise socio-économique, censés

épargner au parti une nouvelle débâcle. Cette défection n’est en effet pas totale puisqu’elle s’est

accompagnée d’un soutien constant au parlement.

Ces trois expériences résumées ici sommairement montrent bien l’étendue polymorphique des

formes que peuvent prendre les coalitions gouvernementales en régime présidentiel. Celles-ci son

en effet soumises à différents contextes culturels et politiques, qui les modèlent.. Nous présentons

ainsi, dans le tableau final une typologie qui compile les apports empiriques de cette thèse, et

montre les formes qu’ont prise les coalitions gouvernementales dans le Cône Sud, en termes de

matérialisation temporelle (timing), de composition gouvernementale, de nature originelle,

d’équilibre des forces et de profondeur ou « verticalité ». Le tableau est divisé en deux colonnes ;

une intitulée « idéal-type » et l’autre « alternative », en fonction de leur probabilité à maintenir la

cohésion interpartisane.

1 Propos recueillis lors de notre entretien du 04/11/11. Traduction propre.

400

Tableau Final : Récapitulatif de la matérialisation des caractéristiques des coalitions

gouvernementales dans le Cône Sud

Configurations Idéal-type Alternative

Timing

Pré-électoral:

1. Chili 1988-2010 2. Argentine 1997-2001

a. D’Entre-deux-tours:

1. Uruguay (Batlle) 2000-2002

b. Post-électorale/ “interiel”:

1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000

Composition du gouvernement

À dominante partisane:

1. Chili 1990-2010 2. Uruguay 1990-1992 3. Uruguay 1995- 2000 4. Uruguay 2000-2002 5. Argentine 1999-2000

a. À dominante technocratique

-

b. mixte

-

Type d’accord

fondationnel

Accord Programmatique (“homogène’’)

1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Batlle) 2000-2002

a. Coalition “Négative”

1. Chili 1990-2010 2. Argentine 1997-2000 3. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000

b. Opportuniste (”hétérogène”)

-

Forme de la coalition et

allocation des portefeuilles ministériels

coalition “équilibrée”:

1. Chili (1990-2010) 2. Uruguay (1995-2000) 3. Uruguay (2000-2002)

Coalition déséquilibrée:

1. Uruguay (1990-1992)

2. Argentine (1997- 2000)

“Profondeur” de l’alliance

Coalition “totale” ou multiniveaux:

1. Chili (1988-2010)

a. Verticalisation partielle ou

défectueuse :

1. Argentine (1997-2000)

b. Coalition sur un seul niveau (uniquement gouvernemental):

1. Uruguay 1990-1992 2. Uruguay 1995-2000** 3. Uruguay 2000-2005**

401

Pistes à creuser

Une thèse de doctorat est, par définition, incomplète en ce sens qu’elle ne saurait « clore » une

discussion sur un thème. Si certaines thèses constituent un questionnement des théories

communément admises, elles n’en constituent pas le point final. Il en va de même pour cette

recherche. Si nous avons mis en évidence les manques théoriques et empiriques liés à la théorie des

coalitions dominante, en « présidentialisant » l’approche, il reste de nombreux points à approfondir.

Nous avons relevé trois pistes dignes d’intérêt pour l’approfondissement de la connaissance du

phénomène coalitionnaire.

Tout d’abord, nous avons étudié la thématique de la « verticalisation » des coalitions

gouvernementales en la ramenant au niveau gouvernemental. Autrement dit, nous nous sommes

intéressés à la verticalité des coalitions en fonction de leurs conséquences au niveau

gouvernemental. Or, nous n’avons pas abordé les types de « liants » locaux, ni les expressions de

ces coalitions au niveau local. Comme l’a montré Nicolas Bué dans sa thèse sur les coalitions

municipales dans la ville de Calais, la part liée à l’identité politique et idéologique, se confond avec

des réalités et des intérêts locaux1. Ce postulat semble alors particulièrement fort pour les systèmes

partisans où l’idéologie ne constitue pas le « liant » entre une élite politique et son électorat, comme

c’est traditionnellement le cas en Uruguay et en Argentine. De même, la dimension fédérale, et

l’expression d’alliances partisanes à ce niveau intermédiaire entre le local et le national, revêt un

intérêt particulier pour l’étude des coalitions en systèmes présidentiels. En effet, l’accession à des

responsabilités provinciales (gouverneur d’Etat) peut constituer dans de nombreux cas de

fédéralismes, des tremplins vers une visibilité nationale. C’est notamment vrai dans les cas

mexicain, brésilien et, dans une moindre mesure, argentin. D’où la nécessité de comprendre la

teneur de ce types d’accords, et leur durabilité.

Par la suite, nous nous sommes intéressés à un terrain présentant des similarités en termes

d’institutionnalisation des systèmes de partis2. Or, qu’en est-il de l’expérimentation de

gouvernements de coalition dans des systèmes politiques moins stables, et/ou de plus récente

formation ? De même, dans des sociétés plurinationales, comme de nombreuses sociétés africaines,

comment se manifeste les rapports « d’affinité » et de clivage ? Les coalitions gouvernementales

ont-elles ainsi un impact sur l’ordonnancement et la stabilisation du système de parti ?

1 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la

gauche à Calais (1971-2005) », Thèse de doctorat, Université de Lille 2, Décembre 2006. 2 Nous sommes conscients du caractère controversé de cette notion, que nous ne considérons pour l’heure qu’à son

interprétation primaire, à savoir la reconduction des « marques » partisanes dans le temps.

402

Enfin, il est un poste institutionnel propre au régime présidentiel, mais pas à tous les régimes

présidentiels, qui n’a jamais été étudié et dont l’impact sur la gestion gouvernementale et la

structuration des coalitions peut être significatif : le poste de vice-président. En effet, aucune étude

n’a jamais étudié sérieusement les retombées et les implications de ce poste, traditionnellement

considéré comme « décoratif ». Or, il est à noter que toutes les constitutions ne prévoient pas ce

poste, notamment la constitution chilienne, et que la plupart des autres lui confèrent un rôle

institutionnel intéressant, notamment la présidence de la chambre haute du parlement (en Argentine

et en Uruguay). Dans le cas argentin, on a notamment vu que le poste de vice-président à constitué

une rétribution pour le FREPASO, de la part de l’UCR, alors qu’en Uruguay la formation du ticket

président-vice président ne peut être, jusqu’à aujourd’hui que partisan (ils doivent être nommés lors

des primaires partisanes). Aussi, de nombreux cas récents ont montré la pertinence de l’étude de

cette institution incarnée ; le cas le plus intéressant étant notamment celui de l’Argentine où en

2008, le vice-président, Julio Cobos issu de l’UCR, a été « coopté » par la présidente péroniste

Cristina Kirchner. En effet, lors d’un vote, le 17 juillet 2008, consistant à remonter les taxes à

l’exportation du soja -principale source de devises de l’Argentine actuelle-, le vote au Sénat s’est

matérialisé par un équilibre parfait face auquel le vice-président a finalement tranché, dans le but de

départager le rapport de force, contre le projet de loi gouvernemental1. Or le poste de vice-président

procédant d’une élection, la démission de celui-ci ne peut venir que de lui (le vice-président ne peut

être démis par le président), ce qui fait que l’Argentine a connu une situation ubuesque où le vice-

président a constitué la principale figure d’opposition au gouvernement dont il faisait indirectement

parti. Ce cas met donc en évidence l’utilité de l’étude de l’impact du vice-président dans la

formation d’alliances et dans la prise de décisions.

1 Mesure qui a été appelée « vote non-positif ».

403

Bibliographie

Compilation d’articles et d’ouvrages autour de cinq thématiques :

-Littérature généraliste et épistémologique

- Littérature sur les partis, systèmes de partis et les systèmes électoraux

-Littérature sur les phénomènes des coalitions politiques

-Les systèmes politiques en Amérique latine

-Les études de cas

Littérature généraliste et épistémologique

ALBALA BERTRAND J.M., « A word about models: definition, verification, stages and persistence»,

in Macroeconomics II, Lecture notes. Présentation des cours dictés à l’Université Queen Mary

de Londres, 2010

ALBALA BERTRAND, L. (dir.), Cultura y gobernabilidad democráticas, UNESCO/ Ediciones Imago

Mundi, Buenos Aires, 1992.

ALESINA, A., et TABELLINI, G., « Bureaucrats or politicians? Part I: A single policy task », in

American Economic Review, Vol. 97, No.1, 2007, pp. 169-179

ALMOND, G.A., « Political Science: The History of the Discipline », in GOODIN R.E., et

KLINGERMANN, H.D, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., A New Handbook of Political

Science, Oxford University Press, 1996, pp. 50-96

_________, “El estudio de la cultura política”. Revista de Ciencia Política. Vol. X. No. 2, 1988,.

Santiago de Chile, pp. 77-89.

ALMOND, G.A. et VERBA, S. The Civic Culture: Political Attitudes and Democracy in Five Nations,

Little Brown, Boston, 1965.

ALTMAN, D., “Crisis de gobernabilidad democrática: orígenes y mapa de lectura”, in Revista

Instituciones y Desarrollo, No. 8 et 9, 2001, pp. 385- 410

AMENTA, E., et POULSEN, J., “Where to begin: A survey of five approaches to selecting

independent variables for qualitative comparative analysis”, in Sociological Methods &

Research, vol. 23, n° 1, 1994, 22-53

ANDERSON, C., et TVERDOVA, Y., “Winners, losers, and attitudes about government in

contemporary democracies”, in International Political Science Review / Revue internationale

de science politique, Vol. 22, No. 4, Oct., 2001, pp. 321-338

404

ARROW K., Social Choice and Individual Value, Wiley, New York, 1963

BADIE, B., L’Etat importé. L’occidentalisation de l’ordre politique, Fayard, Paris, 1992.

BADIE B., HERMET G., La politique Comparée, Armand Collin/ Dalloz, Paris, 2001.

BALKIN, J., « Digital speech and democratic culture: a theory of freedom of expression for the

information society », in New York University Law Review, Vol. 79, No. 1, 2004, pp. 1-55

BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue d''histoire, Vol.35,

No. 1, 1992, pp. 67 – 77

BEST, H., et COTTA, M. (dirs.). “Elite transformation and modes of representation since the mid-

nineteenth century: some theoretical considerations”, in Parliamentary Represen-tatives in

Europe 1848-2000. Oxford University Press: Oxford, 2000.

BIRNBAUM, P., La fin du politique, Editions du Seuil/Pluriel, París, 1995 [1975].

BOBBIO, N. Le futur de la démocratie. Seuil. La couleur des idées: París, 2007 [1984].

BOLTANSKI, L., Les Cadres, Editions de Minuit, Paris, 1982

BRAD BOX STEFFENSMEIER, J., BRADY, H., et COLLIER, D., The Oxford Handbook of Political

Methodology, Oxford University Press, 2008

BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking Social Inquiry Diverse Tools, Shared Standards, Rowman

and Littlefield, Lanham, 2004

BRAUDEL, F., Les ambitions de l’Histoire, Editions de Fallois, Paris, 1997.

BOURDIEU, P., Questions de Sociologies, Editions de Minuit, Paris, 1980

CARRUBBA, C., GABEL, M., et alii,“Off the record: unrecorded legislative votes, selection bias and

roll-call vote analysis” in British Journal of Political Science, Vol. 36, No. 4, 2006, pp. 691-704.

CENTRO MUNDIAL DE INVESTIGACION PARA LA PAZ, El Giro Republicano, Trilce, Montevideo,

2009

CHEIBUB , J.A., et PRZEWORSKI, A., « Democracy, elections and accountability for economic

outcomes », in PRZEWORSKI, A., STOKES, S., et MANIN, B., Democracy, accountability and

representation, Cambridge University Press, 1999, pp. 222- 249

COLAS, D., Sociologie Politique, PUF/ Quadrige, Paris, 2002 [1994].

COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, Princeton University Press, 1991.

__________, « Framework : critical junctures and historical legacies », in COLLIER, R. et

COLLIER, D., Shaping the Political Arena: Critical Juncture, the Labor Movement, and Regime

Dynamic in Latin America, Princeton University Press, 1991, pp 27-39

COLLIER, D., LEVITSKY, S., “Democracy: Conceptual hierarchies in Comparative Research”, in

COLLIER, D. et GERRING, J., Concepts and method in social science: the tradition of Giovanni

Sartori, Routledge, Londres, 2009

405

COLLIER, D., MAHONEY, J., et SEAWRIGHT, J., “Claiming too much: warnings about selection

bias”, in BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking social inquiry diverse tools, shared

standards, Rowman and Littlefield, Lanham, 2004, pp. 85-102

COLLIER, D., et MAHONEY, J., “Insights and Pitfalls: Selection Bias in Qualitative Research”, in

World Politics, Vol. 49, No. 1, 1996, pp. 56-91.

COLOMER, J. M., Instituciones Políticas. Ariel, Barcelone, 2007 [2001].

CROZIER M., HUNTINGTON S., et WATANUKI J., The governability of democracies; report of the

trilateral task force on the governability of democracies, Comisión Trilateral, mayo 1975.

CUCHE, D., La notion de culture dans les sciences sociales, La Découverte, Paris, 2010 [1996]

DALTON, R., et KLINGEMANN, H. D., The Oxford handbook of political behaviour, Oxford

University Press, 2007

DAHL, R., La poliarquía: participación y oposición, Tecnos, Madrid, 2002 [1971].

_________, ¿Después de la Revolución ?, Gedisa, Barcelone, 1994 [1970] DAVIS, K., et MOORE, W., «Some principles of social stratification », in American Sociological

Review, Vol. 10, No. 2, 1945, pp. 242-249

DE MEUR, G., et BERG SCHLOSSER, D., « Conditions of Authoritarianism, Facism and Deocracy in

Interwar Europe : Systematic Matching and Contrasting of Cases for ‘Small N‘ Analysis », in

Comparative Political Studies, Vol. 29, No. 4, 1996, pp 423-468

DE MEUR, G., et RIHOUX, B., L’analyse quali-quantitative comparée (AQQC-QCA), Bruylant-

Academia, Bruselas, 2002

DERRIDA, J., L’écriture et la Différence, Seuil, Paris, 2006 [1967]

DEZALAY, Y., et GARTH, G. B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris, 2002.

DIAMOND, L., Political culture and democracy in developing countries, Lynn Rienner Publishers,

Boulder, 1993

DIAMOND, L., LINZ, J.J., LIPSET, S., Democracy in developping countries, Lyne Riener, Boulder,

1989

DOMÍNGUEZ, J., Technopols. freeing politics and markets in latin America in the 1990s, The

Pennsylvania State University Press, 1997

DOBRY, M., « Les voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques,

bifurcations et processus de path dependence », in Revue Française de Science Politique, Vol.

50, No. 4-5, 2000, pp. 585-614

DOBRY, M., et MOREL, L., Les transitions démocratiques: regards sur l'état de la "transitologie",

Presses de Sciences-po, Paris, 2000.

DOGAN, M., “Political science and the other social sciences”, in GOODIN R.E., et KLINGERMANN,

H.D, A New Handbook of Political Science, Oxford University Press, 1996

406

DOWNS, A., An economic theory of democracy, Harper and Row, New York, 1957.

_________, “An economic theory of political action in a democracy”, in Journal of Political

Economy, Vol. 65, No. 2, 1957, pp. 135-150

DUVERGER, M., Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1990

_________, La République des citoyens, Ramsay, Paris, 1982

_________, Sociologie politique, PUF, Paris, 1966

EASTON, D., A system analysis of political life, Chicago University Press, 1979.

EISENMANN, C., « Sur l’objet et la méthode des sciences politiques » in UNESCO, La Science

Politique Contemporaine, Presses de l’Unesco, Paris, 1951

FAVRE, P., « ‘‘Ce que les science studies font à la science politique’’. Réponse à Bruno Latour », in

Revue française de science politique, Vol. 58, N°5, 2008, pp. 817-829

_________, “La science politique en France depuis 1945”, in International Political Science

Review, vol. 2, no. 1, 1981, pp. 95-120

FEYERABEND, P., Contra el método ; esquema de una teoría anarquista del conocimiento,

Editorial Ariel, Barcelone, 1974.

FLYVBJERG, B., Making Social Science Matter, Cambridge University Press, 2001

FROGNIER, A.P., “de la méthode comparative en science politique à la politique comparée” in

JUCQUOIS, G. et VIELLE, C., Le comparatisme dans les sciences de l’Homme, De Boeck

Université, Bruxelles, 2000. pp 395-408.

GARCÉ, A., El giro repúblicano, Centro Mundial de Investigación para la PAZ/ TRILCE, Montevideo,

2009

GAUDIN, J. P. Gouverner par contrat. Presses de la fondation nationale des sciences politiques:

París, 2007.

GEERTZ, C., La interpretación de las culturas, Gedisa Editorial, Barcelona, 2006 [1973]

GERRING, J., et THAKER, S., A centripetal theory of democratic governance, Cambridge University

Press, 2008

GERSTLÉ, J., Les effets d’information en politique, Paris, L’Harmattan, 2001

_________, La communication Politique, Paris, Armand Collin, 2004.

GLASER, B., et STRAUSS, A., The Discovery of Grounded Theory: Strategies for Qualitative

Research, Aldine, Chicago, 1967

GOBIN, C., et RIHOUX, B., La démocratie dans tous ses états ; systèmes politiques entre crise et

renouveau, Bruylant- Academia, Louvain la Neuve, 2000.

GOODIN R.E., et KLINGERMANN, H.D, A new handbook of political science, Oxford University

Press, 1996

407

__________, “Political Science: The Discipline”, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., A New

Handbook of Political Science, Oxford University Press, 1996

GRAEME, J. G., Democracy and post-communism: political change in the post-communist world,

Routledge, Londres – New York, 2002.

HANSON N., Patterns of Discovery: An lnquiry Into the Conceptual Foundations of Science.

Cambridge: Cambridge University Press, 1958

HASSENTEUFEL, P., « De la comparaison internationale à la comparaison transnationale. les

déplacements de la construction d’objets comparatifs en matière de politiques publiques » in

Revue Française de Science Politique, vol. 55, n° 1, février 2005. pp. 113-132

HEIDER, F., The psychology of interpersonal relations, New York, John Wiley and Sons, 1958.

_________, "Attitudes and cognitive organization", in Journal of Psychology, 21, 1946, pp. 107-

112

HERITIER, P., Gouverner sans le peuple, Editions de l’Atelier, Paris, 2001.

HERMET, G., Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, XIXe - XXe siècles, Fayard,

Paris, 2001

_________, Les désenchantements de la liberté, Fayard, Paris, 1993.

HERMET, G., KAZANCIGIL, A. y PRUD’HOMME, J.F. (dirs.), La gouvernance, un concept et ses

applications, CERI/Karthala, Paris, 2005.

HERMET, G. et alii., Dictionnaire de la Science politique et des institutions publiques. Armand

Collin/Dalloz, Paríi, 2005.

HIGLEY, J., et GUNTHER, R., Elites and democratic consolidation in Latin America and southern

Europe, Cambridge University Press, 1992

HUNTINGTON, S., The third wave: democratization in the late twentieth century, University of

Oklahoma Press, 1991

__________, Political order in changing societies, Yale University Press, New Haven, 1968

INGLEHART, R. Culture shift in advanced industrial society, Princeton University Press, 1990.

_________, “cultura política y democracia estable” in Revista Española de Investigación

Sociológica, n° 42, 1988 pp 45-65

_________, The silent revolution, Princeton University Press. 1977

INGLEHART, R., et WELZEL, C., Modernization, cultural change, and democracy: The human

development sequence, Cambridge University Press, 2005

___________, «Political culture and democracy: analyzing cross-level linkages » in Comparative

Politics, Vol. 36, No. 1, 2003, pp. 61-79

JUCQUOIS, G. et VIELLE, C., Le comparatisme dans les sciences de l’Homme, De Boeck

Université, Bruxelles, 2000.

408

KELSEN, H., Esencia y valor de la democracia, Guadarram, Barcelona, 1975

KENNEY, C., « Horizontal accountability: concepts and conflicts », in MAINWARING, S., et WELNA,

C., Accountability in Latin America, Oxford University Press, 2003, pp. 55-76.

KING, G., KEOHANE, R.O., et VERBA, S., Designing Social Inquiry: Scientific Inference in

Qualitative Research, Princeton University Press, 1994,

KINGDON, J., Agendas, alternatives, and public policies, Harper Collins, New York, 1995

KLEIN, N., La Stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2008

LACLAU, E., On Populist Reason, Verso, Londres/ New York, 2005.

LAGROYE, J. Sociologie politique, Presses de Sciences Po/ Dalloz, 2002.

LANDÉ C.H., « Political clientelism in political studies: Retrospect and prospects », in International

Political Science Review, Vol. 4, No. 4, 1983, pp. 435-454

LATOUR, B., « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de

science politique, vol. 58, n° 4, 2008, pp. 657- 678

LAVER, M., et SHEPSLE, K., “government accountability in parliamentary democracy”, in

PRZEWORSKI, A., MANIN, B., et STOKES, S., Democracy, accountability, and representation,

Cambridge University Press, 1999, pp. 279-296

LECA, J., “Comparative, Arab, and European Studies”, in International Political Science Review, Vol.

30, No. 5, 2009, pp. 487-500

LECHNER, N., Cultura política y gobernabilidad democrática, Mexico, IFE, 1995

LEHINGUE P., « L'analyse économique des choix électoraux (II) » In Politix. Vol. 11, N°41, 1998,

pp. 82-122

_________, “L'analyse économique des choix électoraux (I)”, in Politix, Vol. 10, N°40, 1997, pp

88-112

LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de

l’Université de Laval, 2006.

_________“Réseaux et coalitions”, in L'Année sociologique, vol. 47, no 1, 1997, pp. 351-370

LEVY, J., « Counterfactual and Case Studies », in BOX STEFFENSMEIER, J., BRADY, H., et

COLLIER, D., The Oxford Handbook of Political Methodology, Oxford University Press, 2008,

pp. 627- 644.

LIPSET, S., Political Man: The Social Bases of Politics, Heinemann, Londres, 1960

LINZ, J.J., "Transiciones a la democracia", in REIS, No. 51, 1990.

LUHMANN, N., La sociedad de la sociedad, Herder/ Ed. Universidad Iberoamericana, Mexico, 2007

__________, La política como sistema, Ed. Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009.

MAHONEY, J., “Qualitative Methodology an Comparative Politics”, in Comparative Political Studies,

vol. 40, N° 2, 2007, pp. 122-144

409

MAINWARING, S., et TORCAL, M., “Individual Level Anchoring of the Vote and Party System

Stability: Latin America and Western Europe”. Paper presented at the European Consortium of

Political Research, Edinburgh 2003.

MANIN, B. Principes du gouvernement représentatif. Champs/Flammarion: Paris, 1996 [1995].

_________, « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs », in Cahiers de philosophie politique,

1985, pp. 3-34 ;

_________, « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers de philosophie politique,

1985, pp. 35-66.

MANENT, P., Naissance de la Politique Moderne, Gallimard, Paris, 2007.

MARCH, J., et OLSEN, J., “ The new institutionalism: organizational factors in political life” in

American Political Science Review, Vol. 78, No. 3, 1984, pp. 734-749

MARTIN, P., « les élections de 2002 constituent-elles un ‘‘moment de rupture’’ dans la vie

politique française ? », in Revue Française de Science Politique, vol. 52, n° 5-6, 2002, pp. 593-

606.

MENY Y., et SUREL Y., Par le peuple, pour le peuple : le populisme et les démocraties, Fayard,

Paris, 2000

MILET, M., « L'autonomisation d'une discipline. La création de l'agrégation de science politique en

1971 », in Revue d'Histoire des Sciences Humaines, Vol.1, No. 4, 2001, pp. 95-116

MILL, J.S., « On the Logic of Moral Sciences », in MILL, J.S., A System of Logic Raciocinative and

Inductive, Livre VI, Routledge, Toronto, 1974 [1843]

MORLINO, L., et MONTERO, J. R., «Legitimacy and democracy in southern Europe». En:

GUNTHER, R. et al. The politics of democratic consolidation. Southern Europe in comparative

perspective. John Hopkins University Press: Baltimore, 1995 pp. 231-260.

MUNK, G., “Canons of Research Design in Qualitative Analysis”, in Studies in Comparative

International Development, Vol. 33, N°3, 1998, pp 18-45.

NORTH, D., Institutions, institutional change and economic performance, Cambridge University

Press, 1990.

O’DONNELL, G., Disonancias: Críticas democráticas a la democracia, Prometeo, Buenos Aires,

2007

_________, “Delegative democracy,” in Journal of Democracy, n° 5, 1994. pp 55–69

O'DONNELL, G., SCHMITTER, P., et WHITEHEAD L., Transiciones desde un gobierno autoritario,

Paidós, Buenos-Aires, 1988 [1986]

OLSON, M., Logic of collective action, Harvard University Press, 1965

PERRINEAU, P., et REYNIE, D. (eds.). Dictionnaire du vote. PUF, Paris, 2001.

410

PETERS, G., Institutional theory in political science: the 'new institutionalism', Pinter, Londres/

New York, 1999.

PIAGET, J., Le structuralisme, PUF/ « Que sais-je », Paris, 1968

PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political

Science Review, Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267

PRATS, J. O. “El concepto y el análisis de la gobernabilidad”, in Revista Instituciones y Desarrollo,

No. 14-15, 2003, pp. 239-269.

PRZEWORSKI, A., et TEUNE, H., The logic of comparative social inquiry, Wiley, New York, 1970

PRZEWORSKI A., STOKES S., MANIN B., Democracy, Accountability and Representation,

Cambridge University Press, 1999.

PUTNAM, R., Making Democracy Work, Princeton University Press, 1993.

RAGIN, C., The Comparative Method: Moving Beyond the Qualitative and Quantitative Strategies,

University of California Press, Berkley, 1987,

RAGIN, C., et BECKER, H., What is a Case: Exploring the Foundations of Social Inquiry, Cambridge

University Press, 1992

RAMÍREZ GALLEGOS, F., « Conflicto, democracia y culturas políticas », in Iconos, vol 15,

Flacso/Quito, 2003.

REMY, J. « La comparaison dans le développement de la problématique sociologique », in

JUCQUOIS, G., et VIELLE, C., Le compratisme dans les sciences de l’homme, Ed. De Boeck

Université, Bruxelles, 2000, p350

RHODES, R., BINDER, S., et ROCKMAN, B., The Oxford Handbook of Political Institutions, Oxford

University Press, 2006

RIHOUX, B., et RAGIN, C., Configurational Comparative Methods, Sage, Londres, 2009

RIHOUX, B., DE MEUR, G., et alii, « Une “troisième voie” entre approches qualitative et

quantitative ? », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, n° 1, Bruxelles, 2004.

pp 117-153

RODRIGUEZ, D. et ARNOLD M., Sociedad y teoría de sistemas, Ed. Universitaria, Santiago, 2007.

ROSS, D., The Origins of American Social Science, Cambridge University Press, 1992;

ROUQUIÉ, A., Amérique latine, introduction à l’extrême occident, Paris, Seuil, 1987

ROYED, T., “Testing the Mandate Model in Britain and the United States: Evidence from the

Reagan and Thatcher Eras”, in British Journal of Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-

80

SALMAN, T., « Clavar gelatina contra la pared La ‘cultura política’ entre sondeo y excusa mayor »,

in Iconos, vol. 15, Flacso Quito, 2003. pp 20-30

411

SANDERS, E., “Historical institutionalism”, in RHODES, R., BINDER, S., et ROCKMAN, B., The

Oxford handbook of political institutions, Oxford University Press, 2008, pp. 39-55

SARTORI, G., “Bien comparer, mal comparer”, in Revue Internationale de Politique Comparée, vol.

1, n° 1, Bruxelles, 1994c, pp19-36

_________, La política : Lógica y método en las ciencias sociales, Fondo de Cultura Económica,

México, 1987

_________,Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973.

SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis politiques », in Cahiers Français, n°276,

1996, pp. 51-59.

SCHMITTER, P., “La cuarta onda de democratización”, in BARBA, C., BARROS, J.L., et HURTADO,

J., Transiciones a la democracia en Europa y América latina, Ed. Miguel Angel Porrúa, Mexico,

1991, pp. 101-140.

SEILER, J.L., La méthode comparative en science politique, Armand Colin/Dalloz, Paris, 2004

_________, “la comparaison et les partis politiques”, in BCN Political Science Debates/ICPS, No. 2,

Barcelone, 2003, pp. 5-27

SIMMEL, G., "The significance of numbers for social life", in HARE, E. P., BORGATTA, E. F., et

BALES, R. F., Small Groups: Studies in Social Interaction,. New York, Knopf, 1955.

SKOCPOL, T., Social revolutions in the modern world, Cambridge University Press, 1994

_________, States and Social Revolutions: A Comparative Analysis of France, Russia and China,

Cambridge, Cambridge University Press, 1979.

__________, « France, Russia, China: A Structural Analysis of Social Revolutions », in

Comparative Studies in Society and History, vol. 18, n°2, 1976, pp. 175-210

SULEIMAN, E., “Bureaucracy and democratic consolidation: lessons from eastern Europe”, in

ANDERSON, L., Transitions to democracy, Columbia University Press, New York, 1999, pp.

141-167

TAGUIEF, P.A., L’illusion populiste, Berg, Paris, 2002

_________, « Le populisme et la science politique du mirage conceptuel aux vrais problèmes », in

Vingtièmes Siècle, No. 56, 1997, pp. 4-33

THELEN K., “Historical institutionalism in comparative politics”, in Annual Review of Political

Science, Vol. 2, 1999, pp. 369- 404

THELEN K., et STEINMO S., “Historical institutionalism in comparative politics”, in STEINMO, .S,

THELEN, K., et LONGSTRETH, F., Structuring politics: historical institutionalism in comparative

analysis, Cambridge University Press, 1992, pp. 1-32

TOCQUEVILLE, A., De la démocratie en Amérique, Folio/ Gallimard, Paris, 1986 [1840].

412

TOURAINE, A., « Classe sociale et statut socio-économique » in Cahiers Internationaux de

Sociologie, Vol.11, 1951, pp. 155-176

TSEBELIS, G., Veto players: how political institutions work, Princeton University Press, 2002

__________, Nested games : rational choice in comparative politics, University of California Press,

Berkley, 1990

VON NEUMANN, J., et MORGENSTERN, O., Theory of games and economic behavior, Princeton

University Press, 1944

VUILERME, J-L., Le concept de système politique, PUF, Paris, 1989

WEYLAND, K., « Clarifying a contested concept: Populism in the study of latin American politics »,

in Comparative Politics, Vol. 34, No. 1, 2001, pp. 1-22.

WINTER, E.,« Quelques "études de cas" et une théorie des relations sociales : la sociologie des

groupes ethniques de Max Weber », in Les Cahiers du Gres, Vol. 1, No.1, 2000, p. 23-33

WOLDENDORP, KEMAN, J., et Budge, I., Party government in 40 democracies 1945-2008:

composition-duration-personnel, Université d’Amsterdam, 2010.

Littérature comparée sur les partis, systèmes de partis et les systèmes

électoraux

ABAL MEDINA, J. “Elementos teóricos para el análisis contemporáneo de los partidos políticos: un

reordenamiento del campo semántico” in CAVAROZZI, M. et ABAL MEDINA, J. El asedio a la

política; los partidos latinoamericanos en la era neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosário,

2003. pp33-55.

ALBALA, A. et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de

los bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,

Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180.

ALCÁNTARA SÁEZ, M. et GARCÍA MONTERO, M. “Institutions and politicians: an analysis of the

factors that determine presidential legislative success”. Working paper. No. 348, mai de 2008,

Salamanque

ALEMAN, E., et TSEBELIS,G., “The Origins of Presidential Conditional Agenda-Setting Power in

Latin America”, in Latin American Research Review, Vol. 40, No. 2, 2005, pp. 3-26.

ALLARDT, E., “Party Systems and Voter Alignments in the tradition of political sociology”, in

KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party Systems and Voter Alignments Revisited, Routledge,

Londres, 2001, pp. 10-23

AMORIM NETO, O., et SAMUELS, D., “Democratic regimes and cabinet politics: a global

perspective”, in Revista Ibero-Americana de Estudos, Vol 1, No.1, 2011, pp. 10-23

413

ARDANT, P., « Les développements récents du parlementarisme », in Revue internationale de

droit comparé, Vol. 46, No. 2, 1994, pp. 593-603

ARIAS, C., et RAMACCIOTTI, B., Presidencialismo y Parlamentarismo en América Latina, Co-

Edition Organisation des Etats Américains/ Université de Georgetown, Washington, 2005, pp.

43-50

AUCANTE, Y., et DÉZÉ, A., Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales: Le modèle

de parti-cartel en question, Les Presses de Sciences-Po, Paris, 2008.

BALE, T.,et BERGMAN, T., “A taste of honey is worse than none at all?: coping with the generic

challenges of support party status in Sweden and New Zealand”, in Party Politics, Vol. 12, No.

2, 2006, pp. 189–209

BARGSTED, M., et KEDAR , O., “Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect

voter choice under proportional representation”, in American Journal of Political Science, Vol.

53, No. 2, 2009, pp. 307–323

BARTOLINI, S., « La formation des clivages », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol.

12, n° 1, Bruxelles, 2005, pp. 9-33

__________, The political mobilization of the European left, 1860–1980: The class cleavage,

Cambridge University Press, 2000.

BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, Competition, and Electoral Availability: The Stability of

European Electorates, 1885-1985, Cambridge University Press, 1990.

BLONDEL, J., « Party systems and patterns of government in western democracies », in Canadian

Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 1, No. 2, 1968, pp.

180-203

BLONDEL, J. et MANNING, N. “Do ministers do what they say? Ministerial unreliability, collegial

and hierarchical government”. Political Studies. Vol. 50 (2002).

BOBBIO, N., Left and right: The significance of a political distinction, University of Chicago Press,

Chicago, 1996.

BRECHON, P. Les partis politiques, Ed. Monchrestien/ Clefs, Paris, 1999.

BRYCE, J., Modern Democracies, McMillian, New York, 1921.

BUDGE, I., KLINGEMANN, H.D., et alii, Mapping policy preferences: estimates for parties, electors,

and governments 1945–1998, Oxford University Press, 2001

CALVERT, R. L., et FEREJOHN, J.A., “Coattail voting in recent presidential elections”, in American

Political Science Review, Vol. 77, No. 2, 1983, pp. 407-419

CALVO, E., et HELLWIG, T., “Centripetal and centrifugal incentives under different electoral

systems”, American Journal of Political Science, Vol. 55, No. 1, 2010, pp. 27-41.

414

CAMPBELL, J., “Presidential coattails and midterm losses in state legislative elections”, in American

Political Science Review, Vol. 80, No. 1, 1986, pp. 45-63

CAREY, J. M., “Presidential versus parliamentary government”, in MENARD, C., et SHIRLEY, M.,

Handbook of new institutional economics, Springer, Dordrecht, 2005, pp. 91-112

__________,“Getting their way or getting on the way. Presidents and party unity in legislative

voting”. Communication présntée lors du congrès APSA, 2002.

CAREY, J., et SHUGART, M., “Calling out the takes of filling out the forms”, In CAREY, J., et

SHUGART, M., (eds.), Executive Decree Authority. Cambridge University Press, 1998, pp.

CARMINES, E., et STIMSON J., Issue evolution, race and the transformation of american politics,

Princeton University Press, 1989

CENTELLAS. “Parlmentarized presidencialism: new democracies, constitutionnal engineering, and

the Bolivian model”, Communication présentée lors du congrès de la Midwest Political

Association, Chicago, 2001.

CHASQUETTI, D., « Balotage y coaliciones en América latina », in Revista Uruguaya de Ciencia

Política, Vol. 12, 2001, pp. 9-33

CHEIBUB, J.A., Parliamentarism, presidentialism and democracy, Cambridge University Press,

2006.

CHEIBUB, J.A., LIMONGI, F., “Democratic institutions and regime survival: parliamentary and

presidential democracies reconsidered”, in Annual Review of. Political Science, No. 5, 2002,

pp. 151–79

CLEMENS, E., et COOK, J.,“Politics and institutionalism: explaining durability and change”, in

Annual Review of Sociology, No. 25, 1999, pp. 441-66

COLOMER, J., “It’s parties that choose electoral systems (or, Duverger’s laws upside down)”, in

Political Studies, Vol. 53, No.1, 2005, pp. 1–21

_________, “Las elecciones primarias en América Latina”, in Claves de Razón Práctica, No. 102,

Madrid, 2000

COLOMER, J., et NEGRETTO, G., “Can presidentialism work like parliamentarism?”, in Government

and Opposition, Vol. 40, No.1, 2005, pp. 60–89.

COX, G., Making votes count: strategic coordination in the world’s electoral systems, Cambridge

University Press, 1997

_________, “Centripetal and centrifugal incentives in electoral systems”, in American Journal of

Political Science, Vol. 34, No. 4, 1990, pp. 903-935.

COX, G., et MORGENSTERN, S., “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América

Latina”, in Desarrollo Económico, Vol. 41., No. 163, 2001, pp. 373-393.

415

DAALDER, H., “The Rise of Parties in Western Democracies”, in DIAMOND, L., et GUNTHER, R.,

Political Parties And Democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001.

_________, “Cabinets and party systems in ten European democracies.”, in Act Politica, No. 6,

1971, pp. 282–303

DEEGAN KRAUSE, K., “New Dimensions Of Political Cleavage”, in DALTON, R.J., KLINGEMANN,

H.D., The Oxford Handbook of Political Behaviour, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp.

538-544

DELFOSSE, P., « La théorie des clivages. Où placer le curseur ? Pour quels résultats ? », in Revue

internationale de politique comparee, Vol. 15, No. 3, 2008, pp.363-388

DIAMOND, L., et PLATTNER, M., Electoral systems and democracy, Johns Hopkins University

Press, Baltimore, 2006,

DI TELLA, T.S., Coaliciones Políticas, ¿existen derechas e izquierdas ?, Capital Intelectual, Buenos

Aires, 2004.

__________, Los partidos politicos, A-Z Editora, Buenos Aires, 1998

DOMÍNGUEZ, J., Technopols. Freeing Politics and Markets in Latin America in the 1990s, The

Pennsylvania State University Press, 1997

DUVERGER, M., “Duverger’s law: forty years later”, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A., Electoral

laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp.72-73

_________, Les Partis Politiques, Armand Collin, Paris, 1981 [1951].

ELGIE, R. “From Linz to Tsebelis: Three waves of presidential/parliamentary studies?,” in

Demcratization, Vol.12, No.1, 2005, pp.106–122

EPSTEIN, L., Political parties in the American mold, University of Wisconsin Press, Madison, 1986

ERTMAN, T., “Western European party systems and the religious cleavage”, in VAN KERSBERGEN,

K., et MANOW, P., Religion, class coalitions, and welfare states,Cambridge University Press,

2009, pp. 39-55.

EZROW, L., Linking citizens and parties, Cambridge University press, 2010.

FABBRINI, S., “The American System of Separated Government: An Historical-Institutional

Interpretation”, in International Political Science Review / Revue internationale de science

politique, Vol. 20, No. 1, 1999, pp. 95-116.

FARRELL, D., Electoral Systems: A Comparative Introduction, Palgrave, Basingstoke, 2001.

FAUNDEZ, J., « In defense of presidentialism : the case of Chile, 1932-1970 », in MAINWARING,

S., et SHUGART, M., Presidentialism and Democracy in Latin America, Cambirdge University

Press, 1997, pp. 300-320

416

FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», in

BLANQUER, J., et alii, Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des Amériques, Paris,

2004

FREIDENBERG, F., Selección de candidatosy democracia interna en los partidos de América latina,

Asociación Civil Transparencia e International/ IDEA, Lima, 2003

FREIDENBERG, F., et LEVITSKY, S., “Informal institutions and party organization in latin America”,

in HELMKE, G., et LEVITSKY, S., Informal institutions and democracy : lessons from Latin

America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 178-199

FROGNIER, A-P., « Application du modèle de Lipset et Rokkan à la Belgique », in Revue

Internationale de Politique Comparee, Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 281-302

GALLAGHER, M., et MITCHELL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press, 2005

GAXIE, D., La démocratie représentative, Clefs Monchrestien, Paris, 2003

GOLDER, M. “Presidential coattails and legislative fragmentation”, in American Journal of political

Science, Vol. 50. No. 1, 2006, pp. 34-48

GROFMAN, B. “Downs and two-party convergence”, in Annual Review of Political Science, No. 7,

2004, pp. 25–46

GROFMAN, B., et LIJPHART, A., Electoral laws and their political consequences, Agathon Press,

New York, 2003 [1984]

GROFMAN, B., BLAIS, A., et BOWLER, S., Duverger’s law of plurality voting, Springer, New York,

2009.

GRUMM, J., “Theories of electoral system”, in Midwest Journal of Political Science, Vol. 2, No. 4,

1958, pp. 357–76

HAEGEL, F. “Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en

France », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, n° 1, Bruxelles, 2005, pp.

35-45

HARMEL, R., et JANDA, K., “Changes in party identity. evidence from party manifestos”, in Party

Politics, Vol. 1, No. 2, 1995, pp. 171-1996

__________, “An integrated theory of party goals and party change”, Journal of Theoretical

Politics, Vol. 6, No. 3, 1994, pp. 259-287

HARMEL, R. et TAYLOR-ROBINSON, M., “Application of the integrated theory of party change to

Latin America’s volatile party systems”, Communication présentée lors du V° Congrès

Européen de Latino-américanistes (CEISAL), Bruxelles, 2007.

HOROWITZ, D., Ethnic Groups in Conflict, University of California Press, Berkley, 1985

HOTTINGER, J., « Le 'dégel des clivages' ou une mauvaise interprétation de la théorie de Lipset et

Rokkan? », in Revue Internationale de Politique Comparée, vol.2, n°1, 1995, pp. 47-59.

417

HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies”, in American Political Science

Review, Vol. 90, 1996, pp. 269–82

INGLEHART, R., Modernization and postmodernization: cultural, economic and political change in

43 countries, Princeton University Press, 1997

JÄCKLE, S., “Government termination in parliamentary democracies – an event history approach

with special attention to party ideology”, paper présenté lors du congrès ECPR, Lisbonne, 14-

19 Avril 2009

JANDA, K., Political parties: a cross-national survey, NewYork, Free Press, 1980.

JONES, M. P. “The role of parties and party systems in the policymaking process” Document

présenté lors du Workshop « State Reform, Public Policies and Policymaking Processes », de la

BID. Washington. DC, 2005.

________, Electoral Laws and the Survival of Democracies, University of Notre Dame Press, 1995

KALIVAS, S., The rise of christian democracy in Europe, Cornell University Press, New York, 1996

KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres,

2000, pp. 24- 41

KATZ, R. S., et MAIR, P. “Changing models party organization and party democracy: the

emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28.

KEY, V.O., “Secular Realignment and the Party System”, in Journal of Politics, Vol. 21, No. 2,

1959, pp. 198-210.

KING, G., ALT, J., LAVER, M., et BURNS, N., "A unified model of cabinet dissolution in

parliamentary democracies", in American Journal of Political Science, Vol 34, No.3, 1990, pp.

846-871

KIRSCHEIMER, O., « The transformation of western European party system », In LAPALOMBARA,

J., et WINER, M., Political parties and political developpement, Princeton University Press,

1966.

KITSCHELT, H., “Linkages between citizens and politicians in democratic polities”, in Comparative

Political Studies, Vol. 33 No. 6/7, 2000, pp. 845-879

KITSCHELT, H., et WILKINSON, S., Patrons, clients, and policies, Cambridge University Press,

2007

KLINGEMANN, H.D., FUCHS, D., et ZIELONKA, J., Democracy and political culture in eastern

Europe, Routledge, Londres et New york, 2006

KRENNERICH, M., et LAUGA, M., “Diseño versus política: Observaciones sobre el debate

internacional y las reformas de los sistemas electorales”, in NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ M., El

Presidencialismo Renovado: Instituciones y Cambio Político en América Latina. Caracas, Nueva

Sociedad, 1998, pp. 69-83

418

LAAKSO, M., et TAAGEPERA, R., “Efective number of parties. a measure with application to west

Europe”, in Comparative Political Studies, Vol. 12, No. 1, 1979, pp. 3-27

LAPALOMBARA, J., et WINER, M., Political Parties and Political Developpement, Princeton

University Press, 1966

LAPONCE, J., Left and Right: The topography of political perceptions, University of Toronto Press,

1981

LARDEYRET, G., “The problem with PR”, in DIAMOND, L., et PLATTNER, M., Electoral Systems and

Democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 86-91.

LAVAU, G. Partis politiques et réalités sociales, Armand Collin, Paris, 1953.

LAVER, M., Estimating the policy positions of political actors, Routledge/ ECPR, Londres – New

York, 2001

_________,“Devided parties, devided government”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 24. No.1,

1999, pp. 5-29

LAVER, M., BENOIT, K., « Le changement des systèmes partisans et la transformation des espaces

politiques », in Revue internationale de politique comparée, Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 303-324

LAVER, M., et GARRY, J., “Estimating policy positions from political texts », in American Journal of

Political Science, Vol. 44, No. 3, 2000, pp. 619-634

LEVITSKY, S., “Institutionalization and Peronism: the concept, the case and the case for

unpacking the concept”, in Party Politics, Vol. 4, No. 1, 1998, pp. 77-92.

LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., “Variation in institutionnal strength”, in Annual Review of

Political Science, No. 12, 2009, pp. 115-133

LEWIS-BECK, M., “Comparative economic voting: Britain, France, Germany and Italy”, in American

Journal of Political Science, Vol. 30, No.2, 1986, pp. 315–346

_________, Economics and elections: the major western democracies, University of Michigan

Press, Ann Arbor, 1988.

LIJPHART A., Thinking about Democracy Power sharing and majority rule in theory and practice,

Routledge, Londres 2008

_________, “The quality of democracy Consensus democracy makes a difference”, in LIJPHART,

A., Thinking about Democracy, Routledge, Londres, 2008, pp. 89- 110

_________, “Majority rule in theory and practice: the tenacity of a flawed paradigm”, in

LIJPHART, A., Thinking about Democracy Power sharing and majority rule in theory and

practice, Routledge, Londres 2008, pp 111-124.

_________, Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries,

Yale University Press, 1999

419

_________, “Presidentialism and majoritarian democracy” in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The

failure of presidential democracy: comparative perspective, Vol.1, Johns Hopkins University

Press, Baltimore 1994

_________, Electoral systems and party systems: a study of twenty-seven democracies, 1945-

1990, Oxford University Press, 1994.

_________, Parliamentary versus presidential government, Oxford University Press, 1992.

_________, “The Political Consequences of Electoral Laws, 1945-85, in American Political Science

Review, Vol. 84, No. 2, 1990, pp. 481-496.

_________“Non Majoritarian Democracy: a Comparison of Federal and Consociational Theories”,

in Publius. Vol. 15. No. 2, 1985.

_________, Democracies. Yale University Press, New Heaven, 1984.

_________, “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty

democracies”, in Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413

________« Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium,

Canada, South Africa, and Switzerland », in American Political Science Review, Vol. 73, No. 2,

1979, pp. 442-458

_________, “Consociational democracy”, in World Politics, Vol. 21, N°2, 1969, pp. 207-225.

LINZ, J. J. “Para un mapa conceptual de las democracias”, in Politeia. No. 26, 2001, pp. 25-46.

_________, « Presidential or Parliamentary Democracy : Does it Make a Difference ?», in LINZ, J.

J., et VALENZUELA, A., The Failure of Presidencial of democracy, Johns Hopkins University

Press, Baltimore, 1994.

________“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1. No. 1, 1990, pp. 51-69.

________, “The Virtues of Parliamentarism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 4, 1990, pp. 84-

91.

________“Crisis Breakdown and Reequilibration” in LINZ, J., et STEPAN, A., (eds.) The Breakdown

of democratic regimes, vol.1, Johns Hopkins University Press, Balitmore, 1978.

LINZ, J.J., et STEPAN, A., Problems of Democratic Transition and Consolidation, Johns Hopkins

University Press, 1996.

LINZ, J. J., et VALENZUELA, A., The Failure of Presidencial of democracy, Johns Hopkins University

Press, Baltimore, 1994.

LIPSET, S., “Cleavages, parties and democracy”, in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party Systems

and Voter Alignments Revisited, Routledge, Londres, 2001, pp 1-9

LIPSET, S. M., et ROKKAN, S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des

électeurs, une introduction, Université de Bruxelles Collection « Fondamentaux », Bruxelles,

2008 [1967].

420

MACK, C., When political parties die: a cross-national analysis of disalignment and realignment,

Praeger, Santa Barbara, 2010.

MAINWARING, S., Rethinking party systems in the third wave of democratization: the case of

Brazil, Stanford University Press, 1999

MAINWARING, S. “Presidentialism, Multipartism and Democracy: The Difficult Combination”, in

Comparative Political Studies, Vol. 26, No.2, 1993, pp. 198-228.

MAINWARING, S., et SCULLY, T., La Construcción de Instituciones Democráticas. Sistemas de

Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996

MAINWARING, S., et SHUGART, S. M., Presidencialismo y democracia en América Latina. Paidós,

Buenos Aires, 2002 [1997].

_________, “Juan Linz: Presidencialismo y democracia; una revisión crítica”, in Desarrollo

Económico. Vol. 34. No. 135, 1994, pp. 397-418.

MAINWARING, S., et TORCAL, M., “La institucionalización de los sistemas de partidos y la teoría

del sistema partidista después de la tercera ola democratizadora”, in América Latina Hoy, 41,

2005, pp. 141-173

MAINWARING, S., et ZOCO, E., “Secuencias políticas y estabilización de la competencia partidista:

volatilidad electoral en viejas y nuevas democracias”, in América Latina Hoy, Vol. 46, 2007,

pp. 147-171.

MAIR, P., “Left-Right Orientations”, in DALTON, R., et KLINGEMANN, H. D., The Oxford handbook

of political behaviour, Oxford University Press, 2007, pp. 206-222

_________, “The freezing hypothesis: an evaluation”, in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party

systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres, 2000, pp. 24- 41

_________, Party system change: approaches and interpretations, Oxford University Press, 1997

MAIR, P., MÜLLER, W., PLASSER, F., Political Parties and Electoral Change: Party Responses to

Electoral Markets, Sage Publications, Londres, 2004

__________, “Introduction: electoral challenges and party responses”, in MAIR, P., MÜLLER, W.,

et PLASSER, F., Political parties and electoral change: party responses to electoral markets,

Sage Publications, Londres, 2004, pp. 1-19

MARTIN, P., « Comment analyser les changements dans les systèmes partisans d’Europe

occidentale depuis 1945 ? », in Revue internationale de politique comparée, Vol. 14, No. 2,

2007, pp. 263-280

__________, Les Systèmes électoraux et les modes de scrutin, Clefs Moncrestien, Paris, 2006.

__________,« les élections de 2002 constituent-elles un ‘‘moment de rupture’’ dans la vie

politique française ? », in Revue Française de Science Politique, Vol. 52, No. 5-6, 2002, p.

593-606.

421

MARTINEZ, G., “El presidencialismo y la necesidad de su reforma : visión actual”, in ARIAS, C., et

RAMACCIOTTI, B., Presidencialismo y Parlamentarismo en América Latina, Co-Edition

Organisation des Etats Américains/ Université de Georgetown, Washington, 2005, pp. 43-50

MARTÍNEZ-GALLARDO, C., “Inside the cabinet: the influence of ministers in the policymaking

process”, in SCARTASCINI, C., STEIN, E., et TOMMASI, M., How Democracy Works: political

institutions, actors, and arenas in Latin American policymaking, BID, Washington D.C., 2010,

pp. 119-145

McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections, parties, democracy, Oxford University Press, 2005

MELO, M.A., “Strong Presidents, Robust Democracy? Separation of Powers and Rule of Law in

Latin America.”, in Brazilian Political Science Review, Vol. 3, No. 2, 2009, pp.30-59

MICHELS, R., Political Parties, A Sociological Study of The Oligarchical Tendencies of Modern

Democracies, Batoche Books, Londres, 2001 [1917]

MORGENSTERN, S., Patterns of legislative politics roll-call voting in Latin America and the United

States, Cambridge University Press, 2004

MORLINO, Democracy between consolidation and crisis: parties, groups, and citizens in southern

Europe, Oxford University Press, 1998

NARUD, H.M., “Party policy and government accountability”, in Party politics, Vol. 2, No. 4, 1996,

pp. 479-506

NEGRETTO, G. A. « Diseño constitucional y separacion de poderes en America Latina », in

Revista Mexicana de Sociología, Vol. 65, No. 1, Jan. - Mar. 2003. pp. 41-76

________ “Minority presidents and types of government in latin America”, communication

présentée lors du congrès l’Association d’Etudes Latinoaméricaines (LASA), 2003.

NOHLEN, D., Sistema de gobierno, sistema electoral y sistema de partidos políticos, Tribunal

Electoral/IFE/ Fundación Friedrich Naumann, Mexico, 1999

_________, “Sistemas de gobierno: perspectivas conceptuales y comparativas”, in NOHLEN, D., et

FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado: Instituciones y cambio político en América

Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.85-110

_________, « Presidencialismo versus parlamentarismo : dos enfoques contrapuestos », in

NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado: Instituciones y cambio

político en América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.15-26

_________, Sistemas electorales y partidos políticos, Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1994.

_________, “Presidencialismo vs. parlamentarismo en América Latina”, Revista de Estudios

Políticos, 74, 1991, pp. 43-54

NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado: Instituciones y cambio político en

América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998

422

_________, Presidencialismo versus Parlamentarismo: América Latina, Nueva Sociedad, Caracas,

1991

NORRIS, P., Electoral engineering voting rules and political behavior, Cambridge University Press,

2004

O’DONNELL, G., “Delegative Democracy”, in Journal of Democracy, Vol. 5, No. 1, 1994, pp. 55-69.

OFFE, C., « Political Economy : sociological perspectives », in GOODIN, R., et KLINGEMANN, H.,

(dir.) A New Handbook of Political Science. Oxford University Press, 1996

OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006 [1987].

OSTIGUY, P., “The high and the low in politics:a two-dimensional political space for comparative

analysis and electoral studies”, Working Paper N°360, The Hellen Kellog Institute, Université

de Notre Dame, Juillet 2009

OTAYEK, R., « Démocratie, culture politique, sociétés plurales. Une approche comparative à partir

de situations africaines », in Revue Française de Science Politique, Vol. 47, No. 6, 1997. pp.

798-822

PANEBIANCO, A., Political Parties, Organization and Power, Cambridge University Press, 1988

[1982].

PARENTEAU, D., et PARENTEAU, I., Les idéologies politiques : le clivage gauche-droite, Presses de

l’Université du Québec, 2008

PAYNE, M., “Balancing executive and legislative prerogatives: the role of constitutional and party-

based factors”, in PAYNE, M., ZOVATTO, D., et MATEO DÍAZ, M., Democracies In

Development: politics and reform in Latin America, BID, Washington DC, 2007

PEDERSEN, C.G., “Center parties, party competition, and the implosion of party systems: a study

of centripetal tendencies in multiparty systems”, in Political Studies, Vol.52, No. 2, 2004, pp.

324–341

PEREZ LIÑAN, A. .“Instituciones, coaliciones callejeras e inestabilidad política: perspectivas

teóricas sobre las crisis presidenciales”. América Latina Hoy. No. 49, août 2008.

________Juicio político al presidente y nueva inestabilidad política en América Latina, Ed: Fondo

de Cultura Económica, Buenos Aires, 2009 [2007].

_________“Crisis presidenciales y estabilidad democrática en América Latina, 1950-1996”. Revista

Instituciones y Desarrollo. No. 8 y 9 (2003). Barcelona. P. 281-298

PINTO-DUSCHINSKY,M., "Send the Rascals Packing: Defects of Proportional Representation and

the Virtues of the Westminster Model" in Representation, n°36, 1999, pp. 117-126

POLSBY, N., “Does Congress Work”, in Bulletin of American Academy of Arts and Sciences, Vol.

46, No. 8, 1993, pp. 30-45

423

POWELL, G., B., Elections as instruments of democracy: majoritarian and proportional visions,

Yale University Press, New Haven, 2000

_________, “Election Laws and Representative Governments: Beyond Votes and Seats”, in British

Journal of Political Science, Vol. 36, No.3, 2000, pp. 291–315

__________, “Political cleavage structure, cross pressure processes, and partisanship: an

empirical test of the theory”, in American Journal of Political Science, Vol. 20, No. 1, 1976, pp.

1-23.

PRESS, C., “Presidential coattails and party cohesion”, in Midwest Journal of Political Science, Vol.

7, No. 4, 1963, pp. 320-33

RAE, D., The political consequences of electoral law, Yale University Press, 1967.

RANDALL, V., et SVASAND, L., “Party institutionalization in new democracies”, in Party Politics,

Vol. 8, No.1, 2002, pp. 5–22.

RENIU, J.,”La representación política en crisis: el transfuguismo como estrategia política”, in

PORRAS NADALES, A., El debate sobre la crisis de la representación política, Tecnos, Madrid,

1996 pp. 265-290

RIGGS, F., “The Survival of Presidentialism in America: Para-Constitutional Practices”, in

International Political Science Review / Revue internationale de science politique, Vol. 9, No.

4, 1988, pp. 247-278.

RIKER, W., « Duverger’s Law Revisited », in GROFMAN, B., et LIJPHART, A., Electoral laws and

their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp. 19-41

_________, “Two-party system and Duverger‘s law: An essay on the history of political science”,

in American Political Science Review, Vol. 76, No. 4, 1982, pp. 753-766

_________, “The number of political parties: A reexamination of Duverger’s law”, in Comparative

Politics Vol. 9, No. 1, 1976, pp. 93-106

ROGOWSKI, R., Commerce and coalitions: how trade affects domestic political alignment,

Princeton University Press, 1990

ROKKAN, S., Citizens, elections, parties, New York, David McKay, 1970

ROSE, R. "Parties, factions and tendencies in Britain", in Political Studies, Vol. 12, No.1, 1964, pp.

33-46

SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and

behavior”, in Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483

_________, “Concurrent elections, discordant results: presidentialism, federalism, and governance

in Brazil”, in Comparative Politics, Vol. 33, No. 1, 2000, pp. 1-20

__________, “The gubernatorial coattails effect: Federalism and congressional elections in Brazil”,

in Journal of Politics, Vol. 62, No. 1, 2000, pp. 240–253

424

SAMUELS, D., et SHUGART, M. S., Presidents, prime ministers and parties: How the separation of

powers affects party organization and behavior, Cambridge University Press, 2010.

SANI, G., et SARTORI, G, « Polarización, fragmentación y competición en las democracias

occidentales », in Revista del Departamento de Derecho Político, No. 7, 1980, pp. 7-37.

SARTORI, G. Parties and party system: a framework for analysis, Ed. ECPR Press, Oxford, 2005

[1976].

__________, “The influence of electoral systems: faulty laws or faulty method? “, in GROFMAN,

B., et LIJPHART, A., SARTORI, G., “The party effects of electoral systems”, in DIAMOND, L.,

et GUNTHER, R., Political parties and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore,

2001, pp. 90-108

_________, “The party effects of electoral systems”, in DIAMOND, L., et GUNTHER, R., Political

parties and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001, pp. 90-108

_________, Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995

[1994]

SAWICKI, F., Les réseau du Parti Socialiste : sociologie d’un milieu partisan, Belin, Paris, 1997.

SCARROW, H., “Ballot format in plurality partisan elections”, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A.,

Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003, pp242-247

SCHOFIELD, N., et SENED, I., Multiparty democracy; elections and legislative politics, Cambridge

University Press, 2007.

SCHWEISGUTH, E., “Le clivage droite-gauche”, in PERRINEAU P. et REYNIÉ D., Dictionnaire du

vote, Puf, Paris, 2001. pp 201-205

SEILER, D.L., « L'Europe des partis: paradoxes, contradictions et antinomies », in BCN Political

Science Debates, n°5, 2007, pp. 79-127

SHUGART, M., “Comparative electoral systems research: the maturation of a field and new

challenges ahead”, in GALLAGHER, M., et MITCHEL, P., The politics of electoral systems,

Oxford University Press, 2008, pp. 25-55

SHUGART, M.S., et CAREY, J.M., Presidents and assemblies, Cambridge University Press, 1992.

SIEGFRIED, A., Tableau politique de la France de l’ouest sous la troisième République, Bruxelles,

Editions de l'Université de Bruxelles, 2010 [1913]

_________, « Stable instability in France », in Foreign Affairs, Vol. 34, No. 3, 1956, pp. 394-404.

STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional frameworks and democratic consolidation:

parliamentarism vs. presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1, 1993, pp.1-22.

STEFURIUC, I., “Party unity in multi-level settings”, in GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party

Politics and Coalition Governments, Routledge/ECPR, New York, 2009, pp. 86-100

425

STOCKTON, H., “Political parties, party systems, and democracy in east Asia: lessons from Latin

America”, in Comparative Political Studies, Vol. 34, No.1, 2001, pp. 94-119

TAAGEPERA, R., « Le macro-agenda duvergérien, à demi-achevé », in Revue Internationale de

Politique Comparée, Vol. 17, No.1, 2010, pp. 93-109.

TARROW, S., “Transforming enemies into allies: non-ruling communist parties in multiparty

coalitions”, in Journal Of Politics, Vol. 44, 1982, pp. 924-954.

TAYLOR, M., et RAE, D., “An analysis of crosscutting between political cleavages”, in Comparative

Politics, Vol. 1, No. 4, 1969, pp. 534-547

THIBAUT, B. “El gobierno de la democracia presidencial: Argentina, Brasil, Chile y Uruguay”, in

NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas,

1998, pp 127-149.

THORSON, G., et STAMBOUGH, S., “Incumbency and the 1992 elections: the changing face of

presidential coattails”, in Journal of Politics, Vol. 57, 1995, pp. 210-220

TILLY, C., « Stein Rokkan et les identités politiques », in Revue Internationale de Politique

Comparée, Vol. 2, No. 1, 1995, p. 27-45.

VALENZUELA, A., “Latin America: presidentialism in crisis”, in Journal of Democracy, Vol. 4, No. 4,

1993, pp. 3-16

VAN DETH, J., et SCARBROUGH,”The Concept of Values”, in VAN DETH, J., et SCARBROUGH, The

Impact of Values, Oxford University Press, 1995, pp.22-47

VAN KERSBERGEN, K., et MANOW, P., Religion, class coalitions, and welfare states,Cambridge

University Press, 2009

VARGAS, J. P., et PETRI, D., Transfuguismo: Desafíos político-institucionales para la

gobernabilidad parlamentaria en Centroamérica, Demuca, San José, 2010.

VERZICHELLI, L., et COTTA, M., « Italy : from constrained coalitions to alternating

governments ? », in MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition governments in western Europe,

Cambridge University Press, 2000, pp. 433-497

WARE, A., The dynamics of two-party politics, ECPR/ Oxford University Press, 2009.

WARWICK, P., Government survival in parliamentary democracies, Cambridge University Press,

1994

WOLINETZ S.B., “Beyond the Catch-All Party: Approaches to the Study of parties and Party

Organization in Contemporary Democracies”, in GUNTHER, R., MONTERO, J.R. y LINZ, J.J.

(eds.), Political Parties: Old Concepts and New Challenges, Oxford, University Press, 2002,

pp136-165

426

ZECHMEISTER, E.J. “Left-Right Semantics as a Facilitator of Programatic Structuration”, in

KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010 pp 96-

118

ZUCKERMAN, A., « Political Cleavage: A Conceptual and Theoretical Analysis », in British Journal of

Political Science, Vol. 5, No. 2, 1975, pp. 231-248

___________, « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972,

pp. 428-443

Littérature sur les phénomènes coalitionnaires

ABRANCHES, S. H., “Presidencialismo de coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados.

Revista de Ciências Sociais, v. 31, n. 1, p. 5.34, 1988

ALBALA, A. « Coaliciones gubernamenales y régimen presidencial: incidencia sobre la estabilidad

política, el caso del Cono Sur (1983-2005). » Documentos CIDOB América Latina, n°29,

Barcelone, juin 2009.

_________, « Rethinking Coalition Governments on Presidential Systems: The Southern Cone

Enlightenment », communication présentée lors du Congrès international IPSA-ECPR,

« Whatever Happened to North-South », São Paulo (Brésil), 17-19 février 2011

ALEMAN, E. et TSEBELIS, G., “Political parties and government coalitions in the Americas”, in

Journal of Politics in Latin America Vol. 3, No.1, 2011, pp. 3-28

________, “Coalitions in presidential democracies: how preferencies and institutions affect cabinet

membership”, Working Paper non publié, 2008.

ALTMAN D., “The Politics of Coalition Formation and Survival In Multiparty Presidential

Democracies: The Case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp.

259–283

AMORIM NETO, O., “The presidential calculus executive policy making and cabinet formation in

the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4, 2006, pp. 415-440

________, “Presidential cabinets, electoral cycles, and coalition discipline in Brazil”, in

MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative politics in latin America, Cambridge University

Press, 2002, pp. 48-78

________, “Presidential cabinets, electoral cycles, and coalition discipline in Brazil”, in Dados, vol.

43, no. 3, 2000. pp. 479-519.

_________, “Cabinet formation in presidential regimes: An analysis of 10 latin American

Countries”, Communication présentée lors du congrès LASA, Chicago, Juin 1998 .

427

ANDEWEG, R., et TIMMERMANS, A., “Conflict management in coalition government”, in STRØM,

K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: the democratic life cylce

in western Europe, Oxford University Press, 2008, pp. 269-300.

AUSTEN SMITH, D. et BANKS, J. “Elections, coalitions and legislatives outcomes”, in American

Political Science Review. Vol. 82. No. 2, 1988, pp. 405-422.

AXELROD R., Conflict of interest. a theory of divergent goals with applications to politics, Chicago,

Markham, 1970

BACK, H., “intra-party politics and coalition formation” in Party Politics, Vol. 14, No. 1, 2008, pp.

71-89.

BÄCK, H., et DUMONT, P., “Combining large-n and small-n strategies: the way forward in coalition

research”, in West European Politics, Vol. 30, No. 3, 2007, pp. 467-501.

BÄCK, H., DEBUS, M., DUMONT, P., “Who gets what in coalition governments? Predictors of

portfolio allocation in parliamentary democracies”, in European Journal of Political Research,

Vol. 50, No. 4, 2011, pp. 441-478

BANDYOPADHYAY, S., CHATTERJEE, K., et SJÖSTRÖM, T., “Pre-electoral coalitions and post-

election bargaining”, Working paper non publié, disponible sur le site du département

d’économie de la Pennstate University, 2010.

BARGSTED, M., et KEDAR, O., “Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect

voter choice under proportional representation”, in American Journal of Political Science, Vol.

53, No. 2, 2009, pp. 307–323.

BARON, D., “A spatial bargaining theory of government formation in parliamentary systems”, in

American Political Science Review, Vol. 85, No.1, 1991, pp. 137-165

BARON, D., et FREJOHN, J., “Bargaining in Legislatures”, in American Political Science Review, Vol.

83, No. 4, 1989, pp. 1181-1206.

BERGMAN, T., et alii, “Democratic Delegation and Accountability: Cross-national Patterns”, in

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, Delegation and Accountability, Oxford University

Press, 2003, pp. 109-220.

BERGMAN, T., GERBER, E., KASTNER, S., NYBLADE, B., « The Empirical Study of Cabinet

Governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalitions

Bargaining: The Democratic Life Cylce in Western Europe, Oxford University Press, 2008, pp

85- 122

BIDEGARAY, C. “Coalition électorale”, in PERINEAU, P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, PUF,

Paris, 2001, p. 206

BLAIS, A., ALDRICH, J. M. et al., “Do voters vote for government coalitions?; Testing Down's

Pessimistic Conclusions”, in Party Politics, Vol. 12, No.6, 2006, pp. 691–705

428

BLAIS, A., et INDRIDASON, I., “ Making candidates count: the logic of electoral alliances in two-

round legislative elections”, in The Journal of Politics, Vol. 69, No. 1, 2007, pp. 193–205

BOGDANOR, V., Coalition government in western Europe, Londres, Heinemann, 1983

BONNET G., et SCHEMEIL, Y., « La théorie des coalitions selon William Riker: Essai d'application

aux élections municipales françaises de 1965 et 1971 » in Revue française de science

politique, Vol. 22, No. 2, 1972, pp. 269 – 282

BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New directions in coalition research”, in Legislative Studies

Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 469-483

BROWNE, E., et FRANKLIN, M., “Aspects of Coalition Payoffs in European Parliamentary

Democracies”, in American Political Science Review, 67, 1973

BROWNE, E., et RICE, P., “A Bargaining Theory of Coalition Formation”, in British Journal of

Political Science, Vol. 9, No. 1, 1979

BUDGE, I., et KEMAN, H., Parties and democracy: coalition formation and government functioning

in twenty states, Oxford University Press, 1990.

BUDGE, I., et LAVER, M., “Office seeking and policy pursuit in coalition theory”, in Legislative

Studies Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 485-506

_________, “ The Policy Basis of Government Coalitions: A Comparative Investigation”, in British

Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519.

BUÉ, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence

partisane: l’union de la gauche à Calais (1971-2005) », Thèse de doctorat non publiée,

Université de Lille 2, 2006

BUE , N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de

gouvernement à la croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 9-37

BURHANS, D.T., “Coalition game research: A reexamination”, in American Journal of Sociology,

Vol. 79, No. 2, 1973, pp. 389-408

CAPLOW, T., “Further Development of a Theory of Coalitions in the Triad”, in American Journal of

Sociology, Vol. 64, n° 5, 1959, pp. 488-493

_________ ,“A Theory of Coalitions in the Triad”, in American Sociological Review, Vol. 21, N° 4,

1956, pp. 489-493

CARMIGIANI, F., “Cabinet formation in coalition systems”, in Scottish Journal of Political Economy,

Vol. 48, No. 3, 2001, pp. 313-329.

CARROLL, R., et COX, G., “The logic of Gamson's Law: pre-election coalitions and portfolio

allocations”, in American Journal of Political Science, Vol. 51, No. 2, 2007, pp. 300-313

CHASQUETTI, D. Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando

la “difícil combinación, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008

429

________“La supervivencia de las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”.

Postdata. No. 11, 2006, pp. 163-192.

________, “Democracia, multipartidismo y coaliciones en América Latina: evaluando la difícil

combinación”, in LANZARO, J. Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América

Latina, Clacso, Buenos Aires, 2001, pp. 319-359

CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government Coalitions and Legislative Success

Under Presidentialism and Parliamentarism”, in British Journal Of Political Science, 34, 2004,

pp. 565–587

CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success

under presidentialism and parliamentarism”, in British Journal of Political Science, Vol. 34, No.

4, 2004, pp. 565–587

COLOMER, J.M., et MARTINEZ, F., “The paradox of coalition trading”, in Journal of Theoretical

Politics, Vol.7, No. 1, 1995, pp. 41-63

DAMGAARD, E., “Cabinet Termination”, in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., STRØM,

K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalitions Bargaining: The Democratic Life

Cylce in Western Europe, Oxford University Press, 2008, pp. 301-326

DEBUS, M., “Pre-electoral commitments and government formation”, in Public Choice, Vol. 138,

2009, pp.45-64.

DEHEZA, G., « Gobiernos de coalición en el sistema presidencial: América del Sur », NOHLEN, D.

et FERNÁNDEZ, B., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América

Latina, Nueva Sociedad: Caracas, 1998, pp.151-170

DE SWAAN, A., Coalition Theories arid Cabinet Formations, Elsevier, Amsterdam, 1973.

DE WINTER, L. et DUMONT, P. « Uncertainty and Complexity in Cabinet Formation », in STRØM,

K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: the democratic life cycle

in western Europe, Oxford University Press, 2008, pp. 123- 155

DI TELLA T., S., Coaliciones Políticas: ¿existen derechas e izquierdas?, Capital Intelectual, Buenos

Aires, 2004

_________, Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos-Aires, 2003.

__________, “Actors and Coalitions” in DI TELLA, T.S., Latin American Politics and theoretical

Framework, University of Texas Press, Austin, 1990. Pp 33-49

DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976

DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in multiparty democracies », in

American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719.

FIGUEIREDO, A., SALLES, D., et VIEIRA, M., « Presidencialismo de coalizão na América Latina »,

in Insight Inteligência, Année XII, No. 49, 2010, pp. 127-133

430

FISHER, S., et HOBOLT, S., “Coalition government and electoral accountability”, in Electoral

Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp.

FROHLICH, N., « The instability of minimum winning coalitions », in American Political Science

Review, Vol. 69, No. 3, 1975, pp. 943-946

FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in

parliamentary democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp.

275-298

GALLO, A. “Modelos de gobierno de coalición en Sudamérica”, in Revista Austral de Ciencias

Sociales, No. 11, 2006, pp. 35-58.

GAMSON, W.A. “A Theory of Coalition Formation”, American Sociological Review, núm 26, 1961.

pp 373-382.

GARRIDO, A., “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: El caso de

América Latina”, in Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp. 41-62.

GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party Politics and Coalition Governments, Routledge/ECPR,

New York, 2009.

GIANNETTI, D., et LAVER, M., “Policy positions and jobs in the government”, in European Journal

of Political Research, Vol. 44, No. 1, 2005, pp. 91–120

GIBSON, J., “Political timing a theory of politicians’ timing of events”, in Journal of Theoretical

Politics, Vol. 11, No. 4, 1999, pp. 471–496

GOLDER, S., “Pre-electoral coalition formation in parliamentary democracies”, in Bristish Journal of

Political Science, Vol. 36, No.2, 2006, pp. 193 -212

_________, “Pre-electoral coalition formation in parliamentary democracies”, in Bristish Journal of

Political Science, Vol. 36, No.2, 2006, pp. 193-212

_________, The logic of pre-electoral coalition formation, Ohio State University Press, Colombus,

2006

_________, “Pre-electoral coalitions in comparative perspective: A test of existing hypotheses”, in

Electoral Studies, Vol. 24, 2005, pp. 643-663

GOODIN, R., GUTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to Coalesce: Early Versus Late Coalition

Announcement in an Experimental Democracy”, in Bristish Journal of Political Science, Vol. 38,

No. 2, 2007, pp. 181–191

HERRMANN, M., “Expectations about coalitions and strategic voting under proportional

representation”, Working Paper No. 08-28, Sonderforschungsbereich 504, Université de

Mannheim, Décembre 2008

HINCKLEY, B., “Beyond the size of winning coalitions”, in Journal Of Politics, Vol. 41, No.2, 1979,

pp.192-212.

431

KENWORTHY, E., « Coalitions in the Political Development of Latin America », in GROENINGS, G.,

KELLEY, E., et LEISERSON, M., The Study of Coalition Behaviour, Holt Rinehart et Winston,

New York, 1970, pp. 103-140

KOEHLER, D. H. “The meaning of minimal winning size with uncertain participation”. American

Journal of Political Science. Vol. 19. No. 1,1975

LAVER, M., “Devided parties, devided government”, Legislative Studies Quarterly. Vol. 24. No.1,

1999, pp. 5-29.

_________, “Theories of Coalition Formation and Local Government”, in MELLORS, C., et

PIJNENBURG, B., Political Parties and Coalitions in European Local Government, Routledge,

Londres, 1989, pp.15-34.

_________, “Between theoritcal elegance and political reality: deductive models and cabinet

coalitions”, in PRIDHAM, G., Coalitional Behaviour in Theory and Practice, in Cambridge

University Press, 1986, pp.32-44.

LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government :The politics of coalition in Europe, Oxford

University Press, 1990

LAVER, M., et SHEPSLE, K., « Events, Equilibria and Governemnt Survival », in American Journal

of Political Science, Vol. 42, No.1, 1998, pp. 25-54

__________, Making and Breaking Governments, Cambridge University Press, 1996

__________, Cabinet ministers and Parliamentary Government, Cambridge University Press, 1994

LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de

l’Université de Laval, Laval (Québec), 2006.

__________, Les coalitions; liens, transactions et contrôles, Puf, Paris, 1998.

__________, “Réseaux et coalitions”, in L'Année sociologique, vol. 47, no 1, 1997, pp. 351-370

LEISERSON, M. A., « Power and Ideology in Coalition Behavior: An Experimental Study », in

GROENNINGS, S., KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The Study of Coalition Behavior :

Theoretical Perspectives and Cases from Four Continents, New York, Holt, Rinehart et

Winston, 1970, pp. 323-335

LIMONGI, F., “A Democracia no Brasil; Presidencialismo, coalizão partidária e processo decisório”,

in Novos Estudos, No. 76, 2006

LUEBBERT, G.M., “Coalition theory and government formation in multiparty democracies”, in

Comparative Politics, Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249

LUPIA, A., et STRØM, K., « Bargaining, transactions costs and coalition governance », in STRØM,

K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: the democratic life cylce

in western Europe, Oxford University Press, 2008, pp. 51-83

432

_________,“Coalition termination and the strategic timing of parliamentary elections”, in American

Political Science Review, Vol. 89, No. 3, Sep., 1995, pp. 648-665

MARTIN, P., « Alliance électorale », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D., Dictionnaire du vote, Puf,

Paris, 2001, p. 49

MARTIN, L., et VANBERG, G., “Policing the Bargain: Coalition Government and Parliamentary

Scrutiny”, American Journal of Political Science, Vol. 48, No. 1, 2004, pp. 13-27

MARTIN, L., et STEVENSON, R., “The conditional impact of incumbency on government

formation”, in American Political Science Review, Vol. 104, No. 3, 2010, pp.1-16

__________, "Cabinet formation in parliamentary Democracies”, in American Journal of Political

Science, Vol. 45, No.1, 2001, pp. 33-50.

MATAS, J., “Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document

présenté lors du VIe congrès de l’Association Espagnole de Science Politique et de

l’Administration, Barcelone, septembre 2003

________ (dir.)Coaliciones Políticas y gobernabilidad. Institut de Ciències Polítiques i Socials:

Barcelona, 2000.

MAYORGA, R., “Presidencialismo parlamentarizado y gobiernos de coalición en Bolivia”, in

LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO,

Buenos Aires, 2001, pp. 101-135.

McCLINTOCK, C., “Presidentialism under runoff vs. plurality rules”, Working-paper présenté lors de

la journée d’étude “The evolution of Latinamerican presidentialisms in comparative

perspective”, Université de Georgetown, Washington, 14 Novembre 2011.

MILLS, T. M., "Coalition Pattern in Three Person Groups", American Sociological Review, Vol. 19,

n°6, 1954, pp.657-667

MITCHELL, P., et NYBLADE, B., “Government formation and cabinet type”, in STRØM, K., MÜLLER,

W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalitions Bargaining: The Democratic Life Cylce in Western

Europe, Oxford University Press, 2008, pp. 201- 236.

MOURY, C., « les ensembles flous pour y voir plus clair : décoder les caractéristiques des accords

de coalition en Europe occidentale », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 11,

No. 1, 2004, pp. 101-115.

MÜLLER, W., STRØM, K., « Coalition Agreements and Cabinet Governance », in STRØM, K.,

MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalitions Bargaining: The Democratic Life Cylce in

Western Europe, Oxford University Press, 2008 pp159-199

_________, Coalition government in western Europe. Oxford University Press, 2000.

_________, “The keys to togertheness: coalition agreement in parliamentary democracies”, in

Journal of Legislative Studies. Vol. 5. No. 3/4, 1999, pp. 255-282.

433

NAGASHIMA, D., “The formation of pre-electoral coalitions: actor strategy and institutional

constraints”, Working Paper présenté au Woodrow Wilson Department of Politics, University of

Virginia, 25 Mars 2011

OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura

Economica, Buenos Aires, 2001.

PRAÇA, S., FREITAS, A., et HOEPERS, B., “Political Appointments and Coalition Management in

Brazil, 2007-2010”, in Journal of Politics in Latin America, Vol. 3, No. 2, 2010, pp. 141-172.

PRIDHAM, G., Coalitional Behaviour in Theory and Practice, in Cambridge University Press, 1986

RAILE, E., PEREIRA, C., et POWER, T., “The Executive Toolbox: Building Legislative Support in a

Multiparty Presidential Regime”, in Political Research Quarterly, Vol. 64, No. 2, 2011, pp. 323-

334

RENIU, J. M. “Los gobiernos de coalición en los sistemas presidenciales de Latinoamérica;

elementos para el debate”, Documentos CIDOB América Latina, No. 25, 2008.

________“¿Merece la pena coaligarse? La formación de gobiernos minoritarios en España, 1977-

1996”, in Revista Española de Ciencia política, No. 5, 2001, pp. 111-142.

_________, « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos

minoritarios en España, 1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone,

2001

RENIU, J.M. et BERGMAN, T. “Estrategias, Objetivos y Toma de Decisiones de los Partidos

Políticos Españoles en la Formación de Gobiernos Estables”, in Política y Sociedad, vol. 40, No.

2, 2003, pp. 63-76.

RENIU, J., et ALBALA, A., “Los gobiernos de coalición y su incidencia sobre los presidencialismos

latinoamericanos: el caso del Cono Sur”, in Revista de Estudios Políticos, No. 155, 2012, pp.

101-150.

RIKER, W., The Theory of Political Coalitions, New Heaven, Yale University Press, 1962.

ROBLES EJEA, A. “Reflexiones sobre las coaliciones políticas”, in Revista de Estudios Políticos No.

77, 1992, pp. 303-320.

SAALFELD, T., “Institutions, chance and choices: the dynamics of cabinet survival”, in STRØM, K.,

MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and

Coalitions Bargaining: The Democratic Life Cylce in Western Europe, Oxford University Press,

2008, pp.327-368

SANTOS F., “Em defesa do Presidencialismo de coalizão”, in HERMANNS, K., et MORAES, F.,

Reforma política no Brasil: Realizações e Perspectivas, Fundação Konrad Adenauer, Fortaleza,

2003

434

SCHNEIDER, B.R., “ La organizacion de los intereses economicos y las coaliciones politicas en el

proceso de las reformas de mercado en America Latina”, in Desarrollo Económico, Vol. 45,

No. 179, Oct. - Dec. 2005. pp. 349-372

SCHOFIELD N., “political competition and multiparty coalition gouvernements” in European Journal

of Political Research, n°23, 1993, pp 1-33

STRODTBECK, F. L., "The family as a three-person group", in American Sociological Review, Vol.

19, No. 1, 1954, pp 23-29

STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Cambridge University press, 1990.

STRØM, K., et alii, “Dimensions of Citizen Control”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T.,

Delegation and accountability in parliamentary democracies, Oxford University Press, 2003,

pp. 651-707

STRØM K., BUDGE,I., et LAVER M.J., “Constraints on cabinet formation in parliamentary

democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, pp. 303-335.

STRØM, K., et MÜLLER, W., “The keys to togetherness: coalition agreements in parliamentary

democracies”, in Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-82.

STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalitions Bargaining: The Democratic Life

Cylce in Western Europe, Oxford University Press, 2008

_________, Delegation and Accountability in Parliamentary Democracies, Oxford University Press,

2003.

SUNDQUIST, J., "Needed: a political theory for the new era of coalition government in the United

States", in Political Science Quarterly, N° 103, Vol.4, 1988, pp.613-635

SUTTON, J. “Non-Cooperative Bargaining Theory: An Introduction”, in Review of Economic

Studies, Vol. 53, No. 5, 1986, pp.709-724

TAYLOR, M., “Balance and change in the two-person group”, in Sociometry, Vol. 30, No. 3, 1967,

pp. 262-279

TIMMERMANS, A., “Standing Appart and Sitting Together: Enforcing Coalition Agreements in

Multiparty Systems”, in European Journal of Political Research, Vol. 45, No., 2, 2006, pp. 263-

283

URQUIZU SANCHO, I., “Coalition Governments and Electoral Behavior: Who Is Accountable?”, in

SCHOFIELD, N., et CABALLERO, G., Political Economy of Institutions, Democracy and Voting,

Springer-Verlag, Berlin, 2011, pp.185-213

________, “Gobiernos de coalición y gobiernos unipartidistas: ¿Es posible la asignación de

responsabilidades?” Paper présenté lors du congrès de l'Asociación Española de Ciencia

política y de la Administración, Madrid, Septembre 2004.

435

VINACKE, W. E., et ARKOFF, A., "Experimental study of coalitions in the triad", in American

Sociological Review, Vol. 22, No. 4 , 1957, pp. 406-415

WARWICK, P., “Coalition government membership in west European parliamentary Democracies”,

in British Journal of Political Science, vol. 26, No. 3, 1998, pp. 471-499

WARWICK, P. y DRUCKMAN, J. N. “Portfolio salience and the proportionnality of payoffs in

coalition governments”, in British Journal of Political Science, Vol. 31 2001, pp. 627-649.

VOWLES, J., “Why voters prefer coalitions: Rationality or norms?”, in Political Science, Vol. 63, No.

1, 2011, pp. 126–145

_________, “Making a difference? public perceptions of coalition, single-party, and minority

governments”, in Electoral Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp. 370-380

ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential systems of latin America: an inquiry

into the political conditions of governability”, Thèse de doctorat non publiée, Université

d’Essex, 2001

Bilbliographie sur les systèmes politiques d’Amérique latine

ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de

los bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,

Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180.

ALCÁNTARA SÁEZ, M. (dir.). Políticos y política en América Latina, Fundación Carolina/Siglo XXI,

Madrid, 2006.

_________ El poder legislativo en América Latina a través de sus normas, Ediciones Universidad

de Salamanca, Salamanca, 2005.

_________ Sistemas Políticos de América Latina: América del Sur, Tecnos, Madrid, 2003.

_________, “Partidos políticos en América latina: precisiones conceptuales, estado actual y retos

futuros”, in Documentos Cidob América Latina, No.3, 2004

ALCÁNTARA SÁEZ, M. et FREIDENBERG F., Los partidos políticos de América Latina: Cono Sur,

Instituto Federal Elector/Fondo de Cultura Económica, México D.F, 2003 [2001]

________“Los partidos políticos en América Latina”. América Latina Hoy. No. 27 (abril de 2001).

Universidad de Salamanca: Salamanca. P. 17-35.

ALCÁNTARA, M., et LUNA, J.P., “Ideología y competencia partidaria en dos post-transiciones: Chile

y Uruguay en perspectiva comparada”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, Santiago,

2004, pp. 128-168

436

ALCÁNTARA, M., et RIVAS C., « Las dimensiones de la polarización partidista en América Latina »

in Política y gobierno, Vol. XIV, n°2, 2007. pp. 349-390

ALTMAN, D., LUNA, J.P., et alii, “Partidos y sistemas de partidos en América Latina:

Aproximaciones desde la encuesta a expertos 2009”, in Revista de Ciencia Política, Santiago

du Chili, Vol. 29, N°3, 2009. pp775- 798

ALTMAN, D., et CASTIGLIONI, R., “Gabinetes ministeriales y reformas estructurales en América

Latina, 1985-2000”, in Revista Uruguaya de Ciencia Política, Vol.18, No.1, 2009, pp. 15-39

AMORIM NETO, O., et COX, G. W. “Electoral institutions: cleavages structures and the number of

parties”, in Journal of American Political Science. Vol. 41. No. 1, 1997, pp. 149-174.

ASSIES, W., CALDERON M. A., et SALMAN, T., « Ciudadanía, cultura política y reforma del Estado

en América latina », in América Latina Hoy, 32, 2002. pp 55-90

AVENDAÑO, O. “Competencia político – electoral en el cono sur Los sistemas de partidos en las

experiencias de democratización de Argentina, Chile y Uruguay”, Thèse de doctorat, Université

de Florence, Janvier 2009.

BENDEL, P., “Sistemas de partidos en América Latina: criterios, tipologías, explicaciones”, in

NOHLEN, D. et FERNÁNDEZ, M. (eds.), El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio

político en América Latina, Caracas, Editorial Nueva Sociedad, 1998, pp. 197-211

BANCO INTER-AMÉRICANO DE DESARROLLO. La política de las políticas públicas. IPES-BID/David

Rockefeller Center for Latin American studies/Universitdad de Harvard: Boston-Washington,

2006.

BLANQUER J.M., et alii. Voter dans les Amériques, Editions de l'institut des Amériques, París,

2004.

CAREY, J. M. CAREY, J., “The reelection debate in latin america”, in Latin American Politics and

Society, Vol. 45, No. 1, 2003, pp. 119-133

_________,“Discipline, Accountability and Legislative Voting in Latin America”. Comparative

Politics. Vol. 35. No. 2 (enero de 2003b). P. 191-211.

CARRILLO FLORES, F. (dir.). Democracia en déficit, Gobernabilidad y desarrollo en América Latina

y el Caribe. Banque Inter-Américaine de Développement: Washington, 2001.

CAVAROZZI, M., “Beyond transitions to democracy in Latin America”, in Journal of Latin American

Studies, Vol. 24, No. 3, 1992, pp. 65-84

_________, « Mas allá de las transiciones a la democracia en America Latina”, in Revista de

Estudios Politicos, No. 74, 1991, pp. 85-105

CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el

autoritarismo y las transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989.

437

CAVAROZZI, M. y ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los partidos latinoamericanos en la era

neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosátio, 2003.

CAVAROZZI, M., et CASULLO, E., « Los Partidos en América Latina Hoy : ¿Consolidación o Crisis ?,

in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El Asedio a la Política, Homo Sapiens/ Konrad

Adenauer, Rosário, 2002, pp. 9-31

CENTRO MUNDIAL DE INVESTIGACION PARA LA PAZ, El Giro Republicano: bases conceptuales del

déficit democrático de América Latina, Trilce, Montevideo, 2009.

CHERESKY, I., et POUSADELA, I., Política e institutiones en las nuevas democrcias

latinoamericanas, Paidós, Buenos Aires, 2001

COLOMER, J. M. y ESCATEL L. E. «La dimensión izquierda-derecha en América Latina», in

Desarrollo Económico. Vol 45. No. 177, 2005, pp. 123-136.

COPPEDGE, M. “A classification of latin american political parties”, Kellogg Institute Working Paper

No. 244, Notre Dame University, 1997.

COUFFIGNAL, G., « Mondialisation: le politique, l'économique, le religieux ». Amérique latine,

Édition 2008. Les Études de la documentation Française/ IHEAL: Paris, 20008.

________«Des démocraties pour les pauvres? Réflexions sur l’évolution politique de l’Amérique

latine». Amérique latine Édition 2007. Les Études de la documentation Française/ IHEAL:

París, 2007.

________, « les surprises de la démocratie » et « des démocraties pour les pauvres ? Réflexions

su l’évolution politique de l’Amérique latine » in Amérique latine Édition 2007, les Études de la

documentation Française/ IHEAL, Paris, 2007

________«Les démocraties latino-américaines sont-elles gouvernables?», in FAVRE, P.,

HAYWARD, J. y SCHEMEIL, Y. (dirs.) Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca.

Presses de Sciences-Po: París, 2003.

________, « Le vote en Amérique latine », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D., (dir), Dictionnaire du

vote, Paris, PUF, 2001.

COX, G., et MORGENSTERN, “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América Latina”,

in Desarrollo Económico, Vol. 41, No. 163, 2001, pp. 373-393

CRESPO MARTINEZ, I., et GARRIDO, A., Elecciones y Sistemas Electorales presidenciales en

América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico, 2008.

DABENE, O. Amérique latine: la démocratie dégradée. Complexe: Bruselas, 1997.

________(ed.). Amérique latine, les élections contre la démocratie? Les presses de Sciences-Po:

París, 2007.

DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y

Uruguay”, in Desarrollo Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, pp. 659-682

438

DIX, R., “Cleavage Structures and Party Systems in Latin America”, in Comparative Politics, Vol.

22, No. 1, 1989, pp. 23-37

FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», in

BLANQUER et alii, Voter dans les Amériques. Éditions de l’Institut des Amériques: París, 2004.

________« L’Amérique du Sud : un nouvel espace pour la gauche de gouvernement », in

BLANQUER, J.M. y ZAGEFKA, P. (eds) Amérique Latine Édition 2005, les Études de la

documentation Française, Paris, 2005.

FREIDENBERG, F., GARCIA, F., et LLAMAZARES, I., « Instituciones políticas y cohesión ideológica.

Un analisis multinivel de la heterogeneidad ideológica en os partidos latinoamricanos », in

ALCANTARA SAEZ, M., Políticos y política en América Latina, Siglo XXI/ Fundación Carolina,

Madrid, 2006, pp. 255-280.

GARRETON M. A. “Modelos y liderazgos en América Latina”, in Nueva Sociedad, No. 205, 2006,

pp. 102-113.

________, “Revisando las transiciones democráticas en América Latina”, in Nueva Sociedad, No.

148, 1997, pp. 20-29

________“Política, cultura y sociedad en la transición democrática”, in Nueva Sociedad, No. 114,

1991, pp. 199-210.

GARRETON, M.A., et alii, América Latina en el siglo XXI : Hacia una nueva matriz sociopolítica,

LOM, Santiago, 2004

GEMKE, G., et LEVITSKY, S., Informal Institutions and Democracy: Lessons from Latin America,

Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006

HALPERIN DONGHI, T., Historia contemporánea de América latina, Alianza Editorial, Madrid, 2005

[1969].

HAWKINS, K., y MORGENSTERN, S. Cohesion of legislators in Latin America: Patterns and

explanations. Working paper. Brigham Young University, Provo, 2004.

JONES, M. P. Political parties and party systems in Latin America, communication présentée lors

du symposium "Prospects for Democracy in Latin America," Department of Political Science,

University of North Texas, Denton, Texas, Avril 2007.

KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010

__________, “Patterns of Programmatic Party Competition in Latin America”, in KITSCHELT, H. et

alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010, pp14-56

LABASTIDA, J. M. C., CAMOU, A. y LUJÁN PONCE N. (dirs.). Transición democrática y

Gobernabilidad: México y América Latina. Plaza y Valdés: México, 2001.

LAMOUNIER, B., A Opção Parlamentarista, Sumaré, São Paulo, 1991

439

LANZARO, J. (dir.).Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina. CLACSO:

Buenos Aires, 2001.

_________,“Tipos de presidencialismo y modos de gobierno en América Latina” in LANZARO, J.,

Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina. CLACSO: Buenos Aires,

2001b.

LATINOBAROMETRO. Informe 2008. Santiago, 2009.

LATINOBAROMETRO. Informe 2009, Santiago, 2010.

LATINOBAROMETRO. Informe 2010. Santiago, 2011

LATINOBAROMETRO. Informe 2011, Santiago, 2012

LUNA, J.M., ZECHMEISTER, E., “Political Representation un Latin America” , in KITSCHELT, H. et

alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010, pp119-144

MAINWARING, S., “Presidentialism in Latin America”, in Latin American Research Review, Vol. 25,

No. 1, 1990, pp. 157-179.

MAINWARING, S., et SCULLY, T., La construcción de instituciones democráticas. Sistemas de

partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996

MAINWARING, S., et WELNA, C., Democratic Accountability in Latin America, Oxford University

Press, 2003.

MAYORGA, R. “Bolivia’s Silent Revolution”, in Journal of Democracy. No. 8, vol. 1, 1997. pp 142-

156.

MOREIRA, Constanza, “Sistemas de partidos, alternancia política e ideológica en Cono Sur”, in

Revista Uruguaya de Ciencia Política, n°13, 2006. pp 31-55.

MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University Press,

2002

NOHLEN, D., “Instituciones y Cutura política”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J.J., Reforma política

y electoral en América Latina 1978-2007. México- UNAM-IDEA, 2008, pp. 267- 288

NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en

América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998

OLLIER, M.M., “La institucionalización democrática en el callejón: la inestabilidad presidencial en el

Cono Sur (1992-2003)”, in América Latina Hoy, N° 49, pp. 73-103

PAYNE, M., et al, La política importa : democracia y desarrollo en América Latina, BID, 2006

PAYNE, M., “Party systems and democratic governability”, in PAYNE, M., et al, Democracies in

developement politics and reform in latin America, Banque Inter-Américaine de

Développement, Washington, 2007, pp. 149-178

PNUD / OEA, Nuestra democracia, Washington D.C., 2010, disponible sur

http://www.nuestrademocracia.org/pdf/nuestra_democracia.pdf.

440

RIVAS PÉREZ, C. “Las dimensiones de la polarización en los parlamentos de América Latina”. En:

ALCÁNTARA, M., Políticos y política en América Latina. Fundación Carolina/Siglo XXI: Madrid,

2006.

ROBERTS K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación política en la era

neoliberal latinoamericana”, in CAVAROZZI, M. y ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los

partidos latinoamericanos en la era neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosátio, 2003. pp55-75

ROBERTS, K., WIBBELS, E., “Party systems and electoral volatility in latin America: a test of

economic, institutional, and structural explanations”, in American Political Science Review, Vol.

93, No. 3, 1999, pp. 575-591

ROSAS, G. “Issues, ideologies, and partisan divides: inprints of programmatic structure on latin

American legislatures”, in KITSCHELT, H. et alii, Latin American party systems, Cambridge

University Press, 2010, pp. 70-95

RUIZ RODRIGUEZ, L.M. La coherencia partidista en América Latina. Centro de Estudios Políticos y

Constitucionales. Colección: Estudios Políticos: Madrid, 2007.

________“La coherencia programática en los partidos políticos”. En: Alcántara (ed.), Políticos y

política en América Latina. Fundación Carolina/Siglo XXI: Madrid, 2006.

________“La organización de los partidos latinoamericanos: niveles de vida partidista”, in

ALCÁNTARA, M., Políticos y política en América Latina, Siglo XXI, Madrid, 2006, pp.139-174

SANTISO, J. Amérique latine; Révolutionnaire, libérale, pragmatique. CERI-Autrement: París,

2005.

SCARTASCINI, C., STEIN, E., et TOMMASI, M., How democracy works: political institutions, actors,

and arenas in Latin American Policymaking, BID, Washington D.C., 2010

SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to Power, Pennsylvania State University press,

2008

THIBAUT, B. “El gobierno de la democracia presidencial: Argentina, Brasil, Chile y Uruguay”, in

NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político

en América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp 127-149

TORRE, J., América Latina. El gobierno de la democracia en tiempos difíciles, Ed. Instituto

Torcuato Di Tella, Buenos-Aires, 1991

TOURAINE, A., Les Sociétés dépendantes : essais sur l’Amérique Latine, Duculot, Paris, 1976.

VALENZUELA, A. “Latin American presidencies interrupted”, in Journal of Democracy. Vol. 15

2004, pp.

WEYLAND, K., « Institutional change in latin America: External models and their unintended

consequences », in Journal of Politics in Latin America, n°1, vol. 1, 2009, pp 37-66.

441

_________, “Neopopulism and neoliberalism in latin America: How much affinity?” in Third World

Quarterly, Vol. 24, No. 6, 2003, pp. 1095-1115

WILLS OTERO, L., “From party systems to party organizations: the adaptation of latin American

parties to changing environments”, in Journal of Politics in Latin America, Vol. 1, No. 1, 2009,

pp.123-141

ZOVATTO, D., et OROZCO, H., Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, Instituto

de Investigación Jurídica/ UNAM, Mexico, 2008.

Etudes de cas

Argentine

ABAL MEDINA, J., SUAREZ CARO, J., “La competencia partidaria en la Argentina: sus implicaciones

sobre el régimen democrático”, in CAVAROZZI, M. y ABAL MEDINA, J. El asedio a la política;

los partidos latinoamericanos en la era neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosátio, 2003, pp.

163-181

ABOY CARLES, G., “El ágora turbi: reflexiones sobre populismo y ciudadanía en la Argentina”, in

CHERESKY, I., et POUSADELA, I., Política e institutiones en las nuevas democrcias

latinoamericanas, Paidós, Buenos Aires, 2001, pp 383-393

ALONSO, M.E., « le vote des partis provinciaux en Argentine (1983-1999) » in BLANQUER, J.M., et

alii, Voter dans les Amériques, Editions de l'institut des Amériques, París, 2004.

ALONSO, P.,“La política nacional entre 1880 y 1886 a través del Partido Autonomista Nacional”,

Documento de Trabajo Universidad San Andrés, No. 26, 2002.

AUYERO, J., “Repertorios insurgentes en Argentina contemporánea”, in Iconos, No. 15, 2003, pp.

44-61.

_________,“The logic of clientelism in Argentina: An ethnographic account”, in Latin American

Research Review, Vol. 35, No. 3, 2000, pp. 55-81

BOTANA, N., Poder y hegemonía, Emecé, Buenos Aires, 2006.

_________, El orden conservador. La política Argentina entre 1880 y 1916, Sudamericana, Buenos

Aires, 1994 [1977]

CALVO, E. Et ESCOLAR, M., La nueva política de partidos en la Argentina, Prometeo, Buenos Aires,

2005.

CAMOU, A., “¿Del bipartidismo al bialiancismo? Elecciones y política en la Argentina

posmenemista”, in Perfiles latinoamericanos, No. 16, 2000, pp. 11-30

442

CASTIGLIONI, F., ABAL MEDINA, J., “Transformaciones recientes del sistema de partidos

argentino”, in MANZ, T., et ZUAZO, M., Partidos Politicos y representación en América latina,

Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 55-71

CAVAROZZI M. “Cómo una democracia de libro de texto desembocó en un régimen de partido

único... es el peronismo estúpido”. Política. Vol. 42, 2004, pp. 207-220.

_________, “El esquema partidario argentino: partidos viejos, sistema débil”, in CAVAROZZI, M.,

et GARRETÓN, M., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el autoritarismo y las

transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989, pp. 299- 334.

CHERESKY, I., La política después de los partidos, Buenos Aires, Prometeo, 2006

CORNBLIT, O., GALLO, E., et O’CONNELL, A., “La generación del 80 y su proyecto: antecedentes y

consecuencias”, in Desarrollo Económico, Vol. 1, No. 4, 1962, pp. 5-46

DALLA VÍA, A. R., “Reforma electoral en argentina”, in ZOVATTO, D. et OROZCO, J., Reforma

política y electoral en américa latina 1978-2007, IDEA/ UNAM, Mexico, 2008, pp 213- 263

DE RIZ, “La Argentina de Alfonsín: La renovación de los partidos y el parlamento”, in Documentos

CEDES, No. 19, 1989

ESCUDERO, L., “Argentina” in ALCANTARA, M. et FREIDENBERG, F., Partidos políticos de América

latina, Cono Sur, Instituto federal Elector/ Fondo de Cultura Económica, Mexico, 2001.

FERNANDEZ MEIJIDE, G., La Ilusión El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial

Sudamericana, Buenos Aires, 2007

GROSSI, M., et GRITTI, R., “Los partidos frente a una democracia difícil. La evolución del sistema

partidario en la Argentina”, in Crítica y Utopía, Nº 18, 1989.

JONES, M. P., “Una evaluación de la democracia presidencialista argentina: 1983-1995”, in

MAINWARING , S., et SHUGART, M.S., Presidencialismo y democracia en América latina,

Paidós, Buenos Aires, 2002, pp. 213-253.

JOZAMI, E., Final sin gloria: Un balance del Frepaso y de la Alianza, Editoriales Biblos, Buenos

Aires, 2004

LEIRAS, M., Todos los caballos del rey. La integración de los partidos políticos y el gobierno

democrático en la Argentina, 1995-2003, Prometeo, Buenos Aires, 2007

_________, “Organización partidaria y democracia: tres tesis de los estudios comparativos y su

aplicación a los partidos en la Argentina”, in Revista SAAP, Vol. 1, No. 3, 2004, pp. 515-560

LEVITSKY, S., "Crisis and renovation: institutional weakness and the transformation of argentine

peronism", in LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., Argentine Democracy, Pennsylvania State

University Press, 2005, pp. 181-206

__________, Transforming labor-based parties in latin America: argentine peronism in

comparative perspective, Cambridge University Press, 2003.

443

LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., "Builiding castles in the sand? The politics of institutional

weakness in Argentina", in LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., Argentine Democracy,

Pennsylvania State University Press, 2005, pp. 21-45

LORENC VALCARCE, F., La crisis de la política en la Argentina, Fundación Octubre/ Ediciones de la

Flor, Buenos Aires, 1998.

MALAMUD, A., “Winning elections versus governing: a two-tier approach to party adaptation in

Argentina, 1983-2003”, communication présentée lors du XIe Congrès de Latinoaméricanistes

Espagnols, Mai 2005

___________, “El bipartidismo argentino: evidencias y razones de una persistencia (1983-2003)”,

in Revista Uruguaya de Ciencia Política , No. 14, 2004, pp. 137-154.

__________, “Acerca del radicalismo, su base social y su coalición electoral”, in Escenarios

Alternativos, 2, Buenos Aires, 1997.

MARTINEZ-GALLARDO, C., “Designing cabinets: presidential politics and cabinet instability in latin

America”, working paper #375, Notre Dame University, Hellen Kellogg’s Institute, janvier

2011.

MAURICH, M., “Cuando perdemos la cabeza. La acefalía del ejecutivo en los sistemas

presidencialistas de gobierno: Argentina en perspectiva comparada”, in Revista SAAP, Vol. 2,

No. 3, 2006, pp. 537-562

McGUIRE, J., « Partidos políticos y democracia en la Argentina », in MAINWARING, S., et SCULLY,

T., La construcción de instituciones democráticas. Sistemas de partidos en América latina,

Cieplan, Santiago, 1996, pp. 163-201.

MORA, M., “El cuadro político y electoral argentino”, in NOHLEN, D., et DE RIZ, L., Reforma

institucional y cambio político, Buenos Aires, CEDES-Legasa, 1991, pp. 207-235

MUSTAPIC, A.M., “Argentina: del partido peronista al partido justicialista. Las transformaciones de

un partido carsimático”, in CAVAROZZI, M., ABAL MEDINA, J., El asedio a la política; los

partidos latinoamericanos en la era neoliberal, Homo Sapiens Ediciones, Rosário, 2002, pp.

137-161

__________, “Conflictos institucionales durante el primer gobierno radical: 1916-1922”, in

Desarrollo Económico, Vol. 24, No. 93, 1984, pp. 85-108.

NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo : Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós,

Buenos Aires, 2009

_________, Historia de la argentina contemporánea. De Perón a Kirchner, Edhasa, Buenos Aires,

2006

444

_________, “Presidentes, equilibrios institucionales y coaliciones de gobierno en Argentina (1989-

2000), in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina,

CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp.51-100.

NOVARO, M., et PALERMO, V., Los caminos de la centroizquierda : dilemas y desafíos del Frepaso

y de la Alianza, Editorial Losada, Buenos Aires, 1998

NUN, J., et PORTANTIERO, J.C., Ensayos sobre la transición democrática en Argentina, Buenos

Aires, 1987

O’DONNELL, G., Modernización y autoritarismo, Paidós, Buenos Aires, 1972.

OLLIER, M.M., “El liderazgo político en democracias de baja institucionalización (el caso del

peronismo en la Argentina)”, in Revista de Sociología, Santiago, No. 24, 2010, pp. 127-150

OSTIGUY, P., “Argentina’s double political spectrum: party system, political identities, and

strategies, 1944–2007”; Working Paper No. 361 - Octobre 2009; The Hellen Kellog Institute,

Université de Notre Dame

PUIGGROS, R., Historia crítica de los partidos políticos argentinos, Hyspamérica, Buenos Aires,

1986.

ROCK, D., Politics in Argentina. 1890-1930: The rise and fall of radicalism, Cambridge University

Press, 1975

ROUQUIE, A., Pouvoir militaire et societe politique en republique Argentine, Fondation Nationale

des Sciences Politiques, Paris, 1978.

SARMIENTO, D.F., Facundo, civilización y barbarie, Colección Austral, Buenos Aires, 1967 [1854].

TORRE, J-C., “Interpretando (una vez más) los orígenes del peronismo”, in Desarrollo Económico,

Vol. 28, No. 112, 1989, pp. 526-548

Chili

ADLER LOMITZ, L., et MELNICK, A., La cultura politica chilena y los partidos de centro, Fondo de

Cultura Economica, Santiago, 1998

ALCÁNTARA, M., et RUIZ RODRÍGUEZ L., Chile; Política y modernización democrática, Ed.

Bellatera, Barcelone, 2006

ALEMÁN, E. ,et SAIEGH, S., “Legislative Preferences, political parties, and coalition unity in Chile”,

in Comparative Politics, Vol. 39, No.3, 2007, pp. 253-272.

ALENDA, S., “Dynamiques d’institutionnalisation et sociologie des élites de la « nouvelle droite »

chilienne. L’Unión Demócrata Independiente-UDI”, Texte préparé pour le Congrès de l’IPSA-

ECPR, São Paulo, février 2011.

445

ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfiles

dirigenciales y trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE,

G. et alii, Economía, instituciones y política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178

ALTMAN, D., « Political recruitment and candidate selection in Chile, 1990 to 2006 : The Executive

branch », in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to power: political recruitment and

candidate selection in latin America, Pensylvania State University Press, University Park, 2008,

pp.241-270.

ANGELL, A. “The Facts or Popular Perceptions? A Paradox in the Assessment of Chilean

Democracy”. Journal of Latin American Studies. Cambridge University Press: Cambridge, 2005.

________“Party Change in Chile in Comparative Perspective”, in Revista de Ciencia Política. Vol.

23. No. 2, 2003

ARRATE, J., et ROJAS, E., Memoria de la izquierda chilena - Tome II (1970-2000), Ed. Javier

Vergara, Santiago, 2003

AUTH, J., “Las primarias en la concertación. un camino sin retorno”, in Agenda Pública, Vol. 4, No.

7, 2005

BOENINGER, E., Políticas públicas en democracia, Cieplan, Santiago, 2008.

_________, Democracia en Chile: Lecciones para la gobernabilidad, Editorial Andrés Bello,

Santiago, 1997

BRUNNER, J.J., “Chile: claves de una transición pactada”, in Nueva Sociedad, No.106, 1990, pp.

6-12

CAÑAS KIRBY, E., Proceso político en Chile : 1973-1990, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1997

CAREY, J. M., “Parties, coalitions, and the chilean congress in the 1990s”, in MORGENSTERN, S.,

et NACIF, B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University press, 2002, pp. 222-

253

__________, “Partidos, coaliciones y congreso Chileno en los años noventa”, in Política y

Gobierno, Vol. 6, No. 2, 1999, pp. 365-405

CAREY, J., et SIAVELIS, P., “Election insurance and coalition survival: formal and informal

institutions in Chile”, in HELMKE, G., et LEVITSKY, S., Informal institutions and democracy :

lessons from Latin America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 160-176.

_________, «El ‘seguro’ para los subcampeones electorales y la sobrevivencia de la

Concertación», in Estudios Públicos, No. 90, 2003, pp. 5-27

COUFFIGNAL, G., « Stabilité politique et crise de la représentation au Chili », in Cahiers des

Amériques Latines, No. 68, 2011, pp. 109-124.

DAVILA, M., “Tecnocracia y democracia en el Chile contemporáneo: el caso de los gobiernos de la

Concertación (1990-2010)”, in Revista de sociología, No. 24, 2010, pp. 199-217

446

DRAKE, P., et JAKSIC, I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM,

Santiago, 2002

FFRENCH DAVIES, R., Entre el Néolibéralismo y el Crecimiento con Equidad: Tres Décadas de

Política Económica en Chile, Cieplan, Santiago, 2001

FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE,

P., et JAKSIC, I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago,

2002, pp. 191-222.

GARRETON M.A., “La cuestión del régimen de gobierno en el Chile de hoy”, in LANZARO, J., Tipos

de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,

pp. 189 – 202.

__________, “Aprendizaje y gobernabilidad en la redemocratización chilena”, in Nueva Sociedad,

No. 128, 1993, pp. 148-157.

__________, “La redemocratizacion Política en Chile: Transición, inauguración y evolución”, in

Estudios Públicos, No. 42, 1991, pp. 101-133

___________, “Política, cultura y sociedad en la transición democrática”, in Nueva Sociedad,

No.114, 1991, pp. 43-49.

___________, La Posibilidad Democrática en Chile, FLACSO, Santiago, 1989

___________, Reconstruir la Política: Transiciones y consolidación democrática en Chile, Editorial

Andante, Santiago, 1987.

GODOY ARCAYA, O. “Parlamento, presidencialismo y democracia protegida”. Revista de Ciencia

Política. Vol. 23. No. 2 (2003). Santiago de Chile. P. 7-42.

__________ O., “La transición chilena a la democracia: pactada”, in Estudios Públicos, No. 74,

1999, pp. 79-106.

___________, Hacia una democracia moderna: La opción parlamentaria, Ediciones Universidad

Católica de Chile, Santiago, 1990

HUNEEUS, C., “La democracia presidencial en Chile” , in ELLIS,A., OROZCO, J., et ZOVATTO, D.,

Como hacer que el presdiencialismo funcione ?, UNAM/ IDEA, Mexico, 2009, pp. 249-266

__________, Carlos. Chile un país dividido: la actualidad del pasado. Catalonia: Santiago de Chile,

2003.

_________, El régimen de Pinochet, Editorial Sudamericana, Santiago, 2000

_________, "La transición ha terminado”, in Revista de Ciencia Política, Santiago, Vol. 16, No. 1-2,

1994, pp. 33-40.

HUNEEUS, C., et alii, Las elecciones chilenas de 2005: Partidos, coaliciones, y votantes en

transición, Catalonia, Santiago, 2007.

447

JOIGNANT, A., “The politics of technopols: resources, political competence and collective

leadership in Chile, 1990–2010” Journal of Latin American Studies, Vol. 43, No.3, 2011, pp.

517 – 546.

LUNA, J.P., “Partidos políticos y sociedad en Chile. Trayectoria histórica y mutaciones recientes”, in

FONTAINE, A., et alii, Reformas de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago, 2008, pp.

75-124.

MARTNER, G., Remodelar el modelo, LOM, Santiago, 2007

MONTES, E., MAINWARING, S., et ORTEGA, E., “Rethinking the Chilean party systems”, in

Journal of Latin American Studies, Vol. 32, No. 3, 2000, pp. 795-824.

MOULIAN, T., « El sistema de partidos en Chile », in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El

asedio a la política, Homo Sapiens – Konrad Adenauer, Rosário, 2003, pp. 241-257.

__________, Chile Actual: Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002 [1997].

NAVARETTE, B., “Las negociaciones electorales en la Concertación de Partidos Por la Democracia

(1989-2008)”, in BASCUÑAN, C., CORREA G., MADONADO, J., SÁNCHEZ, V., Más acá de los

sueños, más allá de lo posible; la Concertación en Chile, Vol. 1, LOM, Santiago, 2009, pp. 131-

199

NAVIA, P., “Legislative candidate recruitment in Chile”, in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S.,

Pathways to power: political recruitment and candidate selection in latin America, Pensylvania

State University Press, University Park, 2008, pp.92-118

_________, “La elección presidencial de 1993. Una elección sin incertidumbre”, in SAN

FRANCISCO, A., et SOTO, A., (eds.), Las elecciones presidenciales en la historia de Chile.

1920-2000, Santiago, Centro de Estudios Bicentenario, 2005. pp. 435-462.

_________, “Participación electoral en Chile, 1988-2001”, in Revista de ciencia política, Santiago,

Vol. 24 No. 1, 2004, pp. 81-103.

NOLTE, D. «El Congreso chileno y su aporte a la consolidación democrática en perspectiva

comparada », in Revista de Ciencia Política, Vol. 23. No. 2, 2003, pp. 43-67.

ORTEGA FREI, E., Historia de Una Alianza, CESOC/CED, Santiago, 1992.

OTTONE, E., et MUÑOZ RIVEROS, S., Después de la quimera, Debate, Santiago, 2008

ROJAS, P., et NAVIA, P., “Representación y tamaño de los distritos electorales en Chile 1988-

2002”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 25, No. 2, 2005, pp.91-116.

RUIZ RODRIGUEZ, L.M. “Les décisions des partis et leurs coalitions dans le Chili démocratique”, in

DABENE, O., (ed.) Amérique latine, les élections contre la démocratie? Les presses de

Sciences-Po, Paris, 2007, pp. 79-104.

448

_________, “El sistema de partidos chileno: ¿hacia una desestructuración ideológica?”, in

ALCÁNTARA, M., et RUIZ RODRÍGUEZ L., Chile; Política y modernización democrática, Ed.

Bellatera, Barcelone, 2006, pp. 73-109

SCULLY, T., Los partidos de centro y la evolución política chilena, Cieplán, Santiago, 1992.

SIAVELIS, P., “Enclaves de la transición y democracia chilena”, in Revista de Ciencia Política, Vol.

29, No. 1, 2009, pp. 3-21

_________, “Chile: The unexpected (and expected) consequences of electoral engineering”, in

GALLAGHER, M., et MITCHELL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press,

2005, pp. 433- 452

_________, “Los peligros de la ingeniería electoral (y de predecir sus efectos)” in Política, No. 45,

2005, pp. 9-28.

_________, “The hidden logic of candidate selection for chilean parliamentary elections”, Estudios

Públicos, No. 98, 2005,pp. 1-32.

_________, “Sistema electoral, desintegración de coaliciones y democracia en Chile: ¿el fin de la

concertación?”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, 2004, pp 58-80

_________, “Exaggerated presidentialism and moderate presidents: executive– legislative

relations in Chile”, in MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative Politics in Latin America,

Cambridge University press, 2002, pp.79-114.

__________, “Chile: las relaciones entre el poder ejecutivo y el poder legislativo después de

Pinochet”, in LANZARO, J., (dir.).Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América

Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 203-249.

TORO, S., “Conducta legislativa ante las iniciativas del Ejecutivo: unidad de los bloques políticos

en Chile”, in Revista de Ciencia Política (Santiago), Vol. 27, No. 1, 2007, pp. 23- 41

TORO, S., et GARCÍA, D., “Mecanismos de selección de candidatos para el poder legislativo: un

examen a las lógicas de mayor y menor inclusión”, in FONTAINE, A., LARROULET, C.,

NAVARRETE, J., et WALKER, I., Reforma de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago,

2008, pp. 395-412.

URZUA VALENZUELA, G., Historia politica electoral de Chile (1931-1973), Tamarcos-Van, Santiago,

1986

VALENZUELA, J. S., “Orígenes y transformaciones del sistema de partidos en Chile”, in Estudios

Públicos, No.58, 1995, pp. 5-78.

YOCELEVZKY, R., Chile : partidos politicos, democracia y dictadura 1970-1990, Fondo de Cultura

Economica, Santiago, 2002.

449

Uruguay

ALTMAN, D., «Cambios en las percepciones ideológicas de lemas y fracciones políticas: un mapa

del sistema de partidos uruguayo (1986-1997)», in Cuadernos del CLAEH, n.º 85, 2e série,

2002, pp. 89–110

_________, « The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential

democracies: the case of uruguay, 1989–1999 », in Party Politics, vol 6. no.3, 2000. pp.

259–283

BUQUET, D. «Elecciones uruguayas 2004: el largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in

Iberoamericana Nordic Journal of Latin American and Caribbean Studies, Vol 34:1-2, 2004,

Stokholm. pp 65-95

_________, « El doble voto simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 317-339.

________,“Partidos políticos y gobernabilidad en Uruguay: posibles efectos de la reforma

constitucional de 1996”. En: LABASTIDA J. et alii, Transición democrática y gobernabilidad:

México y América Latina, Ed. IISUNAM, FLACSO y Plaza y Valdez , 2000.

________« Reforma política y gobernabilidad democrática en Uruguay: la reforma constitucional

de 1996 », in Revista Uruguaya de Ciencia Política, No. 10, 1998, pp. 9-25.

BUQUET, D. Et DE ARMAS, G., "La Evolución Electoral de la Izquierda: Crecimiento Demográfico y

Moderación Ideológica", in LANZARO, J., La Izquierda Uruguaya entre la Oposición y el

Gobierno, Fin de Siglo- ICP, Montevideo, 2004, pp. 109-138.

CAETANO, G., et RILLA, J., “El gobierno como cogobierno. Despliegues y repliegues de la

democracia uruguaya, 1943-1973”, in LANZARO, J., La “segunda” transición en el Uruguay,

Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 197-257

__________, “Relaciones interpartidarias y gobierno en el Uruguay (1942-1973)”, in Revista

Uruguaya de Ciencia Política, No. 8, 1995, pp. 15-34

__________, Historia contemporánea del Uruguay: De la Colonia al Mercosur, CLAEH/Fin de Siglo,

Montevideo, 1994

CENTRO DE ESTUDIOS ESTRATÉGICOS 1815 (dir.). Gobernabilidad, coalición y cambio

institucional. Banda Oriental–CEE/1815: Montevideo, 1999.

CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay: una partidocracia de consenso”, in

Política. Vol. 42, 2004, pp. 221-248.

CHASQUETTI, D., et GARCE, A., “Unidos por la historia: desempeño electoral y perspectivas de

colorados y blancos como bloque político” in BUQUET, D., Las claves del cambio: ciclo

electoral y nuevo gobierno 2004-2005, Ediciones Banda Oriental – ICP Universidad de la

República, Montevideo 2005, pp. 123-148

450

DE RIZ, L., “Uruguay: la política del compromiso”, in CASTILLO R., et alii, Cultura Política y

alternancia en América Latina, Ediciones Pablo Iglesias, Madrid, 2008, pp. 217-231.

DIAZ CAPPUCCIO, T., Políticas de coalición: ensayo de genealogía política, Tradinco, Montevideo,

1999.

FILGUEIRA, C.H. et FILGUEIRA, F. « Coaliciones reticentes: sistema electoral, partidos y reforma

electoral en el Uruguay », In NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado,

Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 287- 308.

GARCE, A., “La partitura, la orquesta, el director y algo más”, in LANZARO, J., La “segunda”

transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 339-377

GONZALEZ, L., “Continuidad y cambio en el sistema de partidos uruguayo”, in MAINWARING, S.,

et SCULLY, T., La construcción de instituciones democráticas. sistemas de partidos en América

latina, Cieplan, Santiago, 1996, pp. 113-132.

GUILLEPSIE, C. G., Negotiating democracy politicians and generals in Uruguay, Cambridge

University Press, 1991.

LANZARO, J., “Continuidad y cambios en una vieja democracia de partidos: Uruguay 1910-2010”,

in Cuadernos del CLAEH, No. 100, 2012

_________“Uruguay: Reformas políticas en la nueva etapa democrática”, in ZOVATTO, D. y

OROZCO, H., Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, Instituto de

Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008, pp. 905-952.

_________,«La izquierda se acerca a los uruguayos, y los uruguayos se acercan a la izquierda»,

Les Cahiers des Amériques Latines. No. 46, Paris, 2005, pp. 21-46

_________,“Uruguay: las alternativas de un presidencialismo pluralista”, in LANZARO (dir.) Tipos

de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,

pp. 283- 317.

_________,“El Frente Amplio: un partido de coalición, entre la lógica de oposición y la lógica de

gobierno”, in Revista uruguaya de ciencia política, N°12, Montevideo, 2001, pp 35-67.

_________,“Uruguay: del bipartidismo al pluripartidismo bipolar”, in ROVINA, J., La democracia

ante el nuevo siglo, Ediciones Instituto de Investigaciones Sociales, San José de Costa Rica,

2001, pp. 59-83

_________, (dir.). La “segunda” transición en el Uruguay. Fundación de Cultura Universitaria-

Instituto de Ciencias Políticas: Montevideo, 2000.

__________, «La izquierda uruguaya; entre la oposición y el gobierno». Nueva Sociedad No. 157

(1998). Caracas.

__________, “Transition in transition: parties, state and politics in Uruguay, 1985- 1993”,

Document de travail n° 90, Institut de Cienciès Politics i Socials, Barcelone, 1994

451

LAUGA, M. « La reforma constitucional Uruguaya de 1996 », in NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M., El

presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998. pp 309-324.

LUNA, J.P., et ALEGRE, P., “¿Un callejón sin salida? Trayectorias políticas y alternativas de reforma

en Uruguay”, in Prisma, n°21, Montevideo, 2005, pp 195-212.

MAGAR, E., et MORAES, J. A., « Of coalition and speed : passage and duration of statutes in

Uruguay’s parliament 1985-2000 », in Working Papers de l’IBEI, No. 15, Barcelone, 2008

MANCEBO, M.A., “De la entonación a la coincidencia nacional”, in Revista Uruguaya de Ciencia

Politica, No. 4, 1991, pp. 29-44.

MOREIRA, Carlos, “Problematizando la historia de Uruguay: un análisis de las relaciones entre el

Estado, la política y sus protagonistas”, in LOPEZ MAYA, M. et al., Luchas contrahegemónicas

y cambios políticos recientes en América Latina, Clacso, Buenos Aires, 2008, pp. 366-373

_________, Una mirada a la democracia uruguaya : Reforma del Estado y delegación legislativa

1995-1999, FLACSO/ Miguel Angel Porrúa Editor, Mexico, 2003.

MOREIRA, Constanza, Final de juego, Trilce, Montevideo, 2004

_________, “las vísperas del cambio: el triunfo de la izquierda y la reinserción del Uruguay en la

región”, Análise de Conjuntura OPSA, n°1, Instituto Universitário de Pesquisas, Rio de Janeiro,

Décembre 2004.

PODETTI, R., La política entre la cooperación y el conflicto: un balance del cogobierno blanco

entre 1995 y 1999, Ediciones de la Plaza, Montevideo, 2003

RAMIREZ, J.A., Dos ensayos constitucionales, Ministerio de Instrucción Pública y Previsión Social/

Colección de clásicos uruguayos, 1967

VAIRO, D., “Juntos pero no casados”: los efectos de la reforma constitucional al interior de los

partidos”, in Revista Uruguaya de Ciencia Política, Vol. 17, No. 1, 2007, pp.159-181

YAFFE, J., “Institucionalización y adaptación partidaria. El caso del Frente Amplio (Uruguay)”,

communication présentée lors du XII congrès de latinoaméricanistes espagnols “Viejas y

nuevas alianzas entre América Latina y España”, Septembre 2006

________ Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en

Uruguay. Linardi y Risso: Montevideo, 2005.

452

Liste des sigles utilisés

CGT : Confederación General de Trabajadores (Argentine)

CNA : Conseil National d’Administration (Uruguay)

CNG : Conseil National de Gouvernement (Uruguay)

CONADEP : Commission National sur la Disparition de Personnes (Argentine)

DNU : Décrets de Nécessité et Urgence (Argentine)

DVS : Double Vote Simultanné (Uruguay)

FA : Frente Amplio (Uruguay)

FREPASO : Frente País Solidario (Argentine)

MAPU : Movimiento de Acción Popular Unitario (Chili)

MODEJUSO : Movimiento por la Democracia y la Justicia Social (Argentine)

NEF : Nombre Effectif de Fractions

NEP : Nombre Effectif de Partis

NPP : Nombre de Partis Pertinents

PAN : Partido Autonomista Nacional (Argentine)

PC : Partido Colorado (Uruguay)

PCch : Parti Communiste Chilien

PCU : Parti Communiste Uruguayen

PDC: Parti Démocrate-chrétien (Chili)

PJ : Partido Justicialista (Argentine)

PN : Partido Nacional (Uruguay)

PPD : Partido Por la Democracia (Chili)

PPNN: Partis a Portée Non Nationale

PR: Partido Radical (Chili)

PRSD: Partido Radical Social Demócrata (Chili)

PSch : Parti Socialiste Chilien

RM : Représentation Majoritaire

RN : Renovación Nacional (Chili)

RP : Représentation Proportionnelle

QCA/ AQQC : « Qualitative Comparative Approach », Approche Quali-Quanti Comparée

UCR : Unión Cívica Radical (Argentine)

UDI : Unión Demócrata Independiente (Chili)

453

Annexes

Annexe 1 : composition des gouvernements de coalition dans le Cône Sud

Annexe 2 : Questionnaire commun soumis aux personnes interrogées

Annexe 3 : Liste des personnes interrogées par pays et par parti.

454

Annexe 1 : Composition des gouvernements de

coalition dans le Cône Sud*.

Argentine :

Gouvernement de l’Alianza, Présidence de Fernando De la Rúa, UCR (10/12/1999- 20/03/2001)

Ministère Ministre

Periode

en

exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode

en

exercice

Parti

Chef de Cabinet Rodolfo

Temagno

10/12/99-

05/10/00 UCR

Chrystian

Colombo

05/10/00-

21/12/01 UCR

Intérieur Federico

Storani

10/12/99-

20/03/01 UCR … … UCR

Economie et

Production*

José Luis

Machinea

10/12/99-

05/03/01 UCR

Ricardo López

Murphy

05/03/01-

20/03/01 UCR

Domingo

Cavallo**

20/03/01

21/12/01

Acción por

la

República

Relacions

Internationales,

Comerce

International et

Culte

Adalberto

Rodríguez

Giavarini

10/12/99-

21/12/01 UCR - - -

Défense Ricardo López

Murphy

10/12/99-

05/03/01 UCR

Horacio

Jaunarena

05/03/01-

21/12/01 UCR

Education Juan José

Llach

10/12/99-

25/09/00 Ind.

Hugo Juri 25/09/00-

20/03/01 UCR

Andrés Delich 20/03/01

21/12/01 UCR

Santé et Action

Sociale

Héctor

Lombardo

10/12/99-

21/12/01 UCR - - -

Travail, Emploi et

Formatión de

Ressources

Humaines

Alberto

Flamarique

10/12/99-

06/10/00 FREPASO

Patricia Bullrich 06/10/00-

29/10/01 PJ

José Dumón 29/10/01-

21/12/01 UCR

* Nous ne considérons ici que les périodes de gouvernements qui ont fonctionné en coalition.

455

Justice et Droits de

l’Homme

Ricardo Gil

Lavedra

10/12/99-

06/10/00 UCR Jorge de la Rúa

06/10/00-

21/12/01 UCR

Infrastructure et

Logement* Nicolás Gallo

10/12/99-

05/10/00 UCR

José Luis

Machinea

05/10/00-

05/03/01 UCR

Ricardo López

Murphy

05/03/01-

20/03/01 UCR

Carlos Bastos 20/03/01

21/12/01 ARI

Développement

social

Graciela

Fernández

Meijide/

10/12/99-

12/03/01 FREPASO

Marcos Makon 12/03/01-

20/03/01 FREPASO

Juan Pablo

Cafiero

20/03/01-

22/10/01 FREPASO

Daniel Sartor 22/10/01-

21/12/01 UCR

Sécurité sociale Patricia

Bullrich

29/10/11-

20/12/11 PJ - - -

Tourisme, Culture

et Sport

Hernán

Lombardi

29/10/11-

20/12/11 Ind. - - -

Note : en italique les gouvernements crées pendant le déroulement de la présidence.

*Les ministères de l’économie et de l’infrastructure et du logement passent à être occupés par les

mêmes ministres entre le 05/10/00 et le 20/03/01.

**Nous incluons ici Domingo Cavallo, car sa nommincation constitue l’éclatement de la coalition.

Chili :

1. Gouvernement de Patricio Aylwin, PDC (11/03/1990-11/03/1994)

Ministère Ministre

Periode

en

exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode

en

exercice

Parti

Interieur Enrique Krauss 11/03/90-11/03/94

PDC - - -

Secrétaire Général du Président

(SEGPRES)

Edgardo Boeninger

11/03/90-11/03/94

PDC - - -

Secrétaire Général du

gouvernement (SEGEGOB)

Enrique Correa 11/03/90-11/03/94

PSch - - -

Agriculture Juan Agustín

Figueroa

11/03/90-

11/03/94 PR - - -

Défense Patricio Rojas 11/03/90-11/03/94

PDC - - -

456

Economie Carlos Ominami 11/03/90-

28/09/92 PSch

Jorge Marshall 28/09/92-16/12/93

PPD

Jaime Tohá* 16/12/93-11/03-94

PSch

Finances Alejandro Foxley 11/03/90-11/03/94

PDC - - -

Education Ricardo Lagos 11/03/90-28/09/92

PPD Jorge Arrate 28/09/92-11/03/94

PSch

Biens Nationaux Luis Alvarado 11/03/90-

11/03/94 PSch - - -

Energie Jaime Tohá 11/03/90-11/03/94

PSch - - -

Justice Francisco Cumplido

11/03/90-11/03/94

PDC - - -

Ministère du Plan

(MIDEPLAN) Sergio Molina

11/03/90-

11/03/94 PDC - - -

Œuvres Publiques (MOP)

Carlos Hurtado 11/03/90-11/03/94

Ind. - - -

Mines Juan Hamilton 11/03/90-28/09/92

PDC Alejandro Hales 28/09/92-11/03/94

PDC

Relations Extérieures

Enrique Silva 11/03/90-11/03/94

PR - - -

Santé Jorge Jiménez 11/03/90-30/10/92

PDC Julio Montt 30/10/92-11/03/94

PDC

Travail René Cortázar 11/03/90-11/03/94

PDC - - -

Transport Germán Correa 11/03/90-

28/09/92 PSch Germán Molina

28/09/92-

11/03/94 PPD

Logement Alberto

Etchegaray 11/03/90-11/03/94

PDC - - -

SERNAM Soledad Alvear 03/01/91-11/03/94

PDC - - -

Notes : Jaime Tohá assumme le double ministère économie et énergie, le 16/12/93, dans la période transitoire entre la fin du mandat de Aylwin et l’assomption de Frei.

457

2. Gouvernement de Eduardo Frei, PDC (11/03/1994 – 11/03/2000)

Ministère Ministre Periode

en exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Interieur Germán Correa 11/03/94-20/09/94

PSch

Carlos Figueroa 20/09/94-01/08/98

PDC

Raúl Troncoso 01/08/98-11/03/00

PDC

Secrétaire Général du

Président

(SEGPRES)

Genaro Arriagada 11/03/94-

28/09/96 PDC

Juan Villarzú 28/09/96-01/08/98

PDC

John Biehl 01/08/98-

22/06/99 PDC

José Miguel Insulza

22/06/99-11/03/00

PSch

Secrétaire

Général du gouvernement

(SEGEGOB)

Víctor Manuel Rebolledo

11/03/94-20/09/94

PPD

José Joaquín Brunner

11/03/94-01/08/98

PPD

Jorge Arrate 01/08/98-

22/06/99 PSch

Carlos Mladinic 22/06/99-11/03/00

PDC

Agriculture Emiliano Ortega 11/03/94-28/09/96

PDC

Carlos Mladinic 28/09/96-22/06/99

PDC

Ángel Sartori 22/06/99-

11/03/00 PDC

Défense Edmundo Pérez

Yoma 11/03/94- 16/01/98

PDC

Raúl Troncoso 16/01/98- 01/08/98

PDC

José Florencio 01/08/98- 22/06/99

PDC

Edmundo Pérez

Yoma

22/06/99-

11/03/00 PDC

Economie Álvaro García 11/03/94-01/08/98

PPD Jorge Leiva 01/08/98-11/03/00

PPD

Finances Eduardo Aninat 11/03/94-03/12/99

PDC Manuel Marfán 03/12/99-11/03/00

PSch

Education Ernesto

Schiefelbein 11/03/94- 20/09/94

Ind.

Sergio Molina 20/09/94-28/09/96

PDC

José Pablo Arellano

28/09/96-11/03/00

PDC

Biens Nationaux Adriana Delpiano 11/03/94-

13/04/99 PPD

Jorge Heine 13/04/99-

29/07/99 PDC

Sergio Galilea 29/07/99-11/03/00

PPD

Energie Alejandro Jadresic 11/03/94-05/01/98

Ind.

Álvaro García* 05/01/98-01/08/98

PPD

Jorge Leiva* 01/08/98-24/11/98

PPD

Óscar Landerretche

24/11/98-11/03/00

PSch

458

Justice Soledad Alvear 11/03/94-16/12/99

PDC José Antonio

Gómez 16/12/99-11/03/00

PRSD

Ministère du Plan

(MIDEPLAN) Luis Maira

11/03/94-28/09/96

PSch

Roberto Pizarro 28/09/96-

19/05/98 PSch

Germán Quintana 19/05/98-11/03/00

PDC

Œuvres Publiques (MOP)

Ricardo Lagos 11/03/94-01/08/98

PPD Jaime Tohá 01/08/98-11/03/00

PSch

Mines Benjamín Teplizky 11/03/94-03/08/97

PRSD Sergio Jiménez 03/08/97-11/03/00

PRSD

Relations Extérieures

Carlos Figueroa 11/03/94-20/09/94

PDC

José Miguel Insulza

20/09/94-22/06/99

PSch

Juan Gabriel Valdés

22/06/99-11/03/00

PDC

Santé Carlos Massad 11/03/94-07/08/96

PDC Alex Figueroa 07/08/96-11/03/00

PDC

Travail Jorge Arrate 11/03/94-

01/08/98 PSch Germán Molina

01/08/98-

11/03/00 PPD

Transport Narciso Irureta 11/03/94-

28/09/96 PDC Claudio Hohmann

28/0996-

11/03/00 PDC

Logement Edmundo Hermosilla

11/03/94-24/07/97

PDC Sergio Henríquez 24/07/97- 11/03/00

Ind.

SERNAM Josefina Bilbao 11/03/94-11/03/00

Ind. - - -

3. Gouvernement de Ricardo Lagos, PPD (11/03/2000 –11/03/ 2006)

Ministère Ministre Periode

en exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Interieur José Miguel

Insulza 11/03/00-24/05/05

PSch Francisco Vidal 24/05/05-11/03/06

PPD

Secrétaire Général du

Président (SEGPRES)

Álvaro García 11/03/00-

07/01/02 PPD

Mario Fernández 07/01/02-03/03/03

PDC

Francisco

Huenchumilla

03/03/03-

03/06/04 PDC

Eduardo Dockendorff

03/06/04-11/03/06

PDC

Secrétaire Général du

Claudio Huepe 11/03/00-07/01/02

PDC Heraldo Muñoz 11/03/06-03/03/03

PPD

459

gouvernement (SEGEGOB)

Francisco Vidal 03/03/03-24/05/05

PPD

Osvaldo Puccio 24/05/05-11/03/06

PSch

Agriculture Jaime Campos 11/03/00-

11/03/06 PRSD - - -

Défense Mario Fernández 11/03/00-07/01/02

PDC

Michelle Bachelet 07/01/02-29/04/04

PSch

Jaime Ravinet 29/04/04-11/03/06

PDC

Economie* José De Gregorio 11/03/00-

19/06/01 PDC Jorge Rodríguez

19/06/01-

11/03/06 PDC

Finances Nicolás Eyzaguirre 11/03/00-11/03/06

PPD - - -

Education Mariana Aylwin 11/03/00-

03/03/03 PDC

Sergio Bitar 03/03/03-

14/12/05 PPD

Marigen Hornkohl 14/12/05-11/03/06

PDC

Biens Nationaux**

Claudio Orrego 11/03/00-29/12/00

PDC

Jaime Ravinet 29/12/00-29/09/04

PDC

Sonia Tschorne 29/09/04-

11/03/06 PSch

Energie* José De Gregorio 11/03/00-19/06/01

PDC Jorge Rodríguez 19/06/01-11/03/06

PDC

Justice José Antonio

Gómez

11/03/00-

03/03/03 PRSD Luis Bates

03/03/03-

11/03/06 Ind.

Ministère du

Plan (MIDEPLAN)

Alejandra Krauss 11/03/00-07/01/02

PDC

Cecilia Pérez 07/01/02-03/03/03

Ind.

Andrés Palma 03/03/03-01/10/04

PDC

Yasna Provoste 01/10/04-

11/03/06 PDC

Œuvres Publiques (MOP)***

Carlos Cruz 11/03/00-07/01/02

PSch

Javier Etcheberry 07/01/02-03/01/05

PPD

Jaime Estévez 03/01/05-11/03/06

PSch

Mines* José De Gregorio 11/03/00-19/06/01

PDC

Jorge Rodríguez 19/06/01-07/01/02

PDC

Alfonso Dulanto 07/01/02-11/03/06

Ind.

Relations

Extérieures Soledad Alvear

11/03/00-

29/09/04 PDC Ignacio Walker

29/09/04-

11/03/06 PDC

Santé Michelle Bachelet 11/03/00-07/01/02

PSch

Osvaldo Artaza 07/01/02-03/03/03

PDC

Pedro García 03/03/03-11/03/06

PDC

460

Travail Ricardo Solari 11/03/00-22/04/05

PSch Yerko Ljubetic 22/04/05-11/03/06

PDC

Transport*** Carlos Cruz 11/03/00-07/01/02

PSch

Javier Etcheberry 07/01/02-

03/01/05 PPD

Jaime Estévez 07/01/02-

11/03/06 Ind.

Logement** Claudio Orrego 11/03/00-29/12/00

PDC

Jaime Ravinet 29/12/00-29/09/04

PDC

Sonia Tschorne 29/09/04-11/03/06

PSch

SERNAM Adriana Delpiano 11/03/00-

03/03/03 PPD Cecilia Pérez

03/03/03-

11/03/06 Ind.

Culture José Weinstein 06/08/03-11/03/06

PPD - - -

Notes : *Les ministère de l’économie et de l’énrgie et des mines sont occupés par le même ministre, jusqu’au 07/01/02, où le ministère des mines se sépare.

** Les ministères des Biens Nationaux et du logement sont occupés par le même ministre. *** Les ministères des Œuvres Publiques et des transports sont occupés par le même ministre.

4. Gouvernement de Michelle Bachelet, PSch (11/03/2006 –11/03/ 2010)

Ministère Ministre Periode

en exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Interieur Andrés Zaldívar 11/03/06-14/07/06

PDC

Belisario Velasco 14/07/06- 03/01/08

PDC

Edmundo Pérez Yoma

03/01/08-11/03/10

PDC

Secrétaire Général du Président

(SEGPRES)

Paulina Veloso 11/03/06-26/03/07

PSch José Antonio Viera-Gallo

26/03/07-11/03/10

PSch

Secrétaire Général du

gouvernement (SEGEGOB)

Ricardo Lagos Weber

11/03/06-06/12/07

PPD

Francisco Vidal 06/12/07- 12/03/09

PPD

Carolina Tohá 12/03/09-14/12/09

PPD

Pilar Armanet 14/12/09-

11/03/10 PSch

Agriculture Álvaro Rojas 11/03/06-08/03/08

PDC Marigen Hornkohl 08/03/08-11/03/10

PDC

Défense Vivianne Blanlot 11/03/06-26/03/07

PPD

José Goñi 26/03/07-12/03/09

PPD

Francisco Vidal 12/03/09-

11/03/10 PPD

Economie Ingrid Antonijevic 11/03/06-14/07/06

PPD

Alejandro Ferreiro 14/07/06-08/01/08

PDC

Hugo Lavados 08/01/08-11/03/10

PDC

461

Finances Andrés Velasco 11/03/06/-11/03/10

PSch - - -

Education Martín Zilic 11/03/06/-14/07/06

PDC

Yasna Provoste 14/07/06-

16/04/08 PDC

Mónica Jiménez 16/04/08-11/03/10

PDC

Biens Nationaux Romy María

Schmidt 11/03/06-06/01/10

PPD Jacqueline Weinstein

06/01/10-11/03/10

PPD

Energie Karen Poniachik 11/03/06-26/03/07

Ind. Marcelo Tokman 26/03/07-11/03/10

PPD

Justice Isidro Solís 11/03/06-26/03/07

PRSD Carlos Maldonado 26/03/07-11/03/10

PRSD

Ministère du Plan

(MIDEPLAN) Clarisa Hardy

11/03/06-08/01/08

PSch Paula Quintana 08/01/08-11/03/10

PSch

Œuvres Publiques (MOP)

Eduardo Bitran 11/03/06-11/01/08

PPD Sergio Bitar 11/01/08-11/03/10

PPD

Mines Karen Poniachik 11/03/06-

08/01/08 Ind. Santiago González

08/01/08-

11/03/10 PRSD

Relations Extérieures

Alejandro Foxley 11/03/06-12/03/09

PDC Mariano

Fernández 12/03/09-11/03/10

PDC

Santé María Soledad

Barría 11/03/06-28/10/08

PDC Álvaro Erazo 28/10/08-11/03/10

PSch

Travail Osvaldo Andrade 11/03/06-10/12/08

PSch Claudia Serrano 10/12/08-11/03/10

PSch

Transport Sergio Espejo 11/03/06-27/03/07

PDC René Cortázar 27/03/07-11/03/10

PDC

Logement Patricia Poblete 11/03/06/-11/03/10

PDC - - -

SERNAM Laura Albornoz 11/03/06/-

19/10/09 PDC Carmen Andrade

19/10/09-

11/03/10 PSch

Culture Paulina Urrutia 11/03/06/-

11/03/10 Ind. - - -

Environnement Ana Lya Uriarte 26/03/07-11/03/10

Psch - - -

462

Uruguay1

1. Gouvernement de coalition de Luis Alberto Lacalle, PN (01/03/1990-11/02/1992)

Ministère Ministre Periode

en exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Intérieur Juan Andrés

Ramírez 01/03/90-10/11/93

PN … … PN

Défense Mariano Brito 01/03/90-18/08/93

PN … … PN

Relacions Extérieures

Héctor Gross 01/03/90-04/01/93

PN … … PN

Economie et Finances

Enrique Braga 01/03/90-11/02/92

PN … ... PN

Transports et

Œuvres Publiques

Wilson Elso Goñi 01/03/90-01/02/93

PN … … PN

Santé Alfredo Solari 01/03/90-09/07/91

PC Carlos Delpiazzo 09/07/91-11/08/92

PN

Agriculture Álvaro Ramos 01/03/90-01/02/93

PN … … PN

Industrie, énergie, mines

Augusto Montes de Oca

01/03/90-11/02/92

PC Eduardo Ache 11/02/92-04/05/94

PC

Education et Culture

Guillermo García 01/03/90-12/08/92

PN … … PN

Logement, aménagement du territoire et

environnement

Raúl Lago 01/03/90-11/02/92

PC … … PN

Plan et budget (OPP)

Conrado Hugues 01/03/90-28/08/91

PN Carlos Cat 28/08/91-18/03/93

PN

Travail et

sécurité sociale Carlos Cat

01/03/90-

28/08/91 PN Alvaro Carbone

28/08/91-

01/09/93 PN

Tourisme José Villar 01/03/90-

05/11/1994 PC … … PN

1 Dans les cas des gouvernements Lacalle et Batlle, dont les coalitions gouvernementales se sont disloquées avant la fin

de leur mandat, n’apparaissent les changements de ministres seulement lors des périodes correspondantes aux

coalitions gouvernementales. Pour les changements ultérieurs nous mettons volontairement des « … ».

463

2. Gouvernement de Julio María Sanguinetti (01/03/1995-01/03/2000)

Ministère Ministre

Periode en

exercice Parti

Ministre Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Intérieur Didier Opertti 01/03/95-02/02/98

PC

Luis Hierro López 02/02/98-

09/10/98 PC

Guillermo Stirling 09/10/98-01/03/00

PC

Défense Raúl Iturria 01/03/95-16/10/98

PN Juan Luis Storace 16/10/98-01/03/00

PN

Relacions Extérieures

Álvaro Ramos 01/03/95-02/02/98

PN Didier Opertti 02/02/98-01/03/00

PC

Economie et Finances

Luis Mosca 01/03/95-01/03/00

PC - - -

Transports et

Œuvres Publiques

Lucio Cáceres 01/03/95-01/03/00

PC - - -

Santé Alfredo Solari 01/03/95-18/03/97

PC José Raúl Bustos 18/03/97-01/03/00

PC

Agriculture Carlos Gasparri 01/03/95-16/02/98

PC

Sergio Chiesa 16/02/98- 04/01/99

PN

Ignacio Zorrilla 04/01/99- 24/08/99

PC

Luis Brezzo 24/08/99- 14/02/00

PC

Juan Notaro 14/02/00-01/03/00

PC

Industrie,

Energie et Mines

Federico Slinger 01/03/95-23/12/96

Unión Cívica

Julio Herrera 23/12/96-15/02/00

PC

Primavera Garvarino

15/02/00-01/03/00

PC

Education et Culture

Samuel Lichtenztejn

01/03/95-18/08/98

PGP* Yamandú Fau 16/02/98-01/03/00

PGP/PC

Logement, aménagement du territoire et

environnement

Juan Chiruchi 01/03/95-24/09/99

PN Beatriz Martínez 24/09/99-01/03/00

PN

Plan et budget (OPP)

Ariel Davrieux 01/03/95-01/03/00

PC - - -

Travail et sécurité sociale

Ana Lía Piñeyrúa 01/03/95-07/12/99

PN Juan Ignacio

Mangado 07/12/99-01/03/00

PC

Tourisme Benito Stern 01/03/95-01/03/00

PC - - -

Note : le PGP est un fraction initiallement issue du PC, mais qui a rejoint le Frente Amplio en 1989, avant de revenir auprès du PC en 1994-1995. Samuel Lichtenztejn, toutefois, a refusé de rejoindre le PC, ce qui l’a conduit à la démission.

464

3. Gouvernement de Jorge Batlle (01/03/2000-13/11/2002)

Ministère Ministre Periode

en exercice

Parti Ministre

Reemplaçant

Periode en

exercice Parti

Intérieur Guillermo Stirling 01/03/00-16/03/04

PC … … PC

Défense Luis Brezzo 01/03/00-20/09/02

PC Yamandú Fau 20/09/02-01/03/05

PC

Relations

Extérieures Didier Opertti

01/03/00-

01/03/05 PC - - -

Economie et Finances

Alberto Bensión 01/03/00-24/07/02

PC

Alejandro Atchugarry

24/07/02-20/08/03

PC

… … PC

Transports et Œuvres

Publiques Lucio Cáceres

01/03/00-15/07/04

PC … … PC

Santé Horacio Fernández 01/03/00-16/05/01

PC

Luis Fraschini 16/05/01- 14/03/02

PC

Alfonso Varela 14/03/02-19/02/03

PC

… … …

Agriculture Gonzalo

González* 01/03/00-03/07/03

PN … … PC

Industrie, Energie et

Mines Sergio Abreu

01/03/00-13/11/02

PN … … PC

Education et culture

Antonio Mercader 01/03/00-13/11/02

PN … … PC

Logement,

aménagement du territoire et environnement

Carlos Cat 01/03/00-13/11/02

PN … … PC

Plan et budget

(OPP) Ariel Davrieux

01/03/00-

01/03/05 PC - - -

Travail et

sécurité sociale Álvaro Alonso

01/03/00-

13/11/02 PN … … PC

Tourisme Alfonso Varela 01/03/00-14/03/02

PC Pedro Bordaberry 14/03/02-01/03/05

PC

Sport et jeunesse

Jaime Trobo 01/03/00-13/11/02

PN … … …

Note : * la présence jusque 2003 du ministre Gonzalo González s’explique par la nature de son ministère, agriculture, et a donc été maintenu afin de pouvoir boucler l’année « agricole ». Il s’est par la suite retiré à l’instar des ministres du PN

465

Annexe 2 : Questionnaire commun soumis aux

personnes interrogées

1. A qué partido pertenece/ pertenecía ?

….............................................................

2. Cuándo ingresó al partido?

> Cuándo estableció los primeros lazos con miembros del partido?

3. Perteneció a alguna estructura de Juventud Partidaria (JS, JJ.CC, J.P...)? □ sí □ no

>En qué año la ingresó? ….................................

>Qué puesto llegó a ocupar?...............................

4. Cómo llegó a formar parte del partido?

Mediante el acercamiento o invitacion de miembros del partido □

Por decisión personal □

Otra forma □

5. Se salió del partido/ coalición?..................................

> de ser positiva la respuesta, lo que lo motivó a desvincularse del partido fue:

Ambiciones personales/ problemas con atribución o designación de cargos □

Problemas ideológicos más o menos profundos □

Estrategia política/ electoral □

Problemas personales con miembros de la directiva del partido □

Otros.................................................................................................................................... □

6. En una escala de 1 a 10, donde 1 equivale a “continua” y 10 “unicamente electoral”; La

estructura del pacto coalicional al que adhiere (adhirió) su partido, ¿le parece (parecía) continua o

meramente electoral?

….................................

7. Según su parecer, ¿cuáles son las variables más relevante en cuanto a la conformación y

consolidación de la coalición de partido a la que pertenece (perteneció/ pertenecía)?

466

Fidelidad a una

figura politica/

carisma de un

dirigente

Convergencia

ideológica

avanzada

Valores

compartidos

(religion,

DD.HH, ...)

Oportunidad

electoral

Configuración del sistema

político (ley electoral, etc.) Otro

Primordial □ □ □ □ □ □

Muy relevante □ □ □ □ □ □

Relevante □ □ □ □ □ □

Poco relevante □ □ □ □ □ □

Insignificante □ □ □ □ □ □

No sabe/ no se pronuncia □ □ □ □ □ □

>Dentro de éstas, ¿Cuáles fueron, según su parecer, los puntos “gatillante” de la coalición?

…..........................................................................

8. En qué área, según su parecer, su coalición supo ser más cohesionada ideológica y

organizativamente y efectiva?

Repudio compartido en contra de una tercera

fuerza (en contra herederos de régimen anterior,

contra un partido emergente)

1. 2. 3. 4. 5.

El modo de selección de candidatos/ repartos de

parcelas de poder 1. 2. 3. 4. 5.

Mérito de liderazgos 1. 2. 3. 4. 5.

Mecanismos internos de incentivo a la disciplina

interna 1. 2. 3. 4. 5.

otro(s).................................................................... 1. 2. 3. 4. 5.

9. De lo contrario en qué área peca (pecó) más la coherencia y cohesión de la coalición?

El modo de selección de candidatos/ repartos de

parcelas de poder 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Coherencia ideológica baja 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Coherencia organizativa baja 1. 2. 3. 4. 5. 6

Problemas de liderazgos 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Falta de mecanismos internos de incentivo a la

disciplina interna 1. 2. 3. 4. 5. 6.

Otro(s).................................................................... 1. 2. 3. 4. 5. 6.

10. Cuando hablamos de política nos referimos, habitualmente al eje izquierda derecha. En una

escala de 1 a 10, donde 1 es la extrema izquierda y 10 la extrema derecha, adónde se colocaría

467

usted en el abanico? a su (ex)partido? (ex) coalición?, partido dentro de la coalición menos cercano

al suyo?, el partido (o coalición) opositora?

Usted 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

Su partido (sublema) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

Su coalición 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

El partido de la coalición más alejado del suyo 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

El partido / coalición opositor(a) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

11. ¿En qué medida se siente Ud. identificado(a) con los siguientes tipos de pensamiento?

(Marque una alternativa para cada tipo de pensamiento)

Un poco Bastante Totalmente Nada

Cristianismo □ □ □ □

Liberalismo □ □ □ □

Marxismo □ □ □ □

Nacionalismo □ □ □ □

Neoliberalismo □ □ □ □

Socialismo □ □ □ □

Socialdemocracia □ □ □ □

12. Según su parecer cuál sería el clivaje político estructurador más relevante en la competición

política de su país, y por ende que lo diferencia(ba) con la oposición, Cuando se formó la

coalición?

Autoritarismo/ democracia 1. 2. 3. 4. 5.

Estado/ mercado 1. 2. 3. 4. 5.

Centro urbano/ periferia rural 1. 2. 3. 4. 5.

Laicidad/ intervención de la Iglesia 1. 2. 3. 4. 5.

Otro......................................................... 1. 2. 3. 4. 5.

468

13. Según su parecer cuál sería el clivaje político estructurador más relevante en la competición

política vigente en su país, y por ende que diferencia a su coalición con la oposición, en la

actualidad?

Primordial Relevante Irrelevante/ no sabe

Autoritarismo/ democracia □ □ □

Estado/ mercado □ □ □

Centro urbano/ periferia rural □ □ □

Laicidad/ intervención de la Iglesia □ □ □

Otro................................................ □ □ □

14. Qué cargo llegó a ocupar dentro de la coalición?

Presidente de partido/ vocero de coalición □

Diputado/ Senador nacional □

Representante local □

Ministro/ secretario de gobierno □

Presidente de la República □

Otro............................................................................... □

15. ¿Cómo calificaría el desempeño político de la coalición a la que pertenece

(perteneció/pertenecía)?

Exitoso □

Regular □

Conflictivo □

Apático □

Otro............................................................ □

16. ¿Cómo calificaría su relación, global, con los demás partidos dentro de la coalición?

Consensual □

Competitiva □

Regular □

Conflictiva □

Nula □

469

17. ¿Cómo calificaría su relación, global, con los demás partidos de la oposición?

(pueden caber 2 respuestas)

Consensual □

Competitiva □

Regular □

Conflictiva □

Nula □

Otra................................................ □

18. ¿ Según su parecer, la experimentación de gobiernos de coalición y/o el recurso a la formación

de coaliciones electorales ha generado transformaciones en la forma de hacer la política en su país?

…......................................................

> De ser afirmativa, las transformaciones han sido:

Hacia una consensualización de las practicas y relaciones entre partidos □

Condujo a una polarización de las practicas y relaciones entre partidos □

Se observó un arraigamiento (o “cartelización”) en el poder □

No sabe □

Otras.................................................................................................................................... □

470

Annexe 3 : liste des entretiens, par pays et par

parti.

Nom

Poste le plus élevé

occupé en contexte de

gouvernement de

coalition

Rencontré le Forme de l’entrevue

Chili (n= 36)

PARTI SOCIALISTE CHILIEN (n= 12)

Jorge Arrate* Ministre - Par e-mail

Enrique Correa Ministre - Par e-mail

Germán Correa Díaz Président du parti/ Ministre - Par e-mail

Marco Enríquez

Ominami* Député (2006-2010) - Par e-mail

Clarissa Hardy Ministre 11/03/2012 En personne

José Miguel Insulza Ministre - Par e-mail

Gonzalo Martner Président de parti 28/03/2012 En personne

Carlos Montes Député/ president de la

chambre des députés 06/03/2010 En personne

Clemira Pacheco Députée (2006-…) 04/05/2010 En personne

Paula Quintana Ministre - Par e-mail

Ricardo Solari Ministre/ Président du parti 30/03/2012 En personne

José Antonio Viera

Gallo Ministre 04/05/2011 En personne

PARTI POUR LA DEMOCRATIE (n= 12)

Enrique Accorsi Député (2002-2014) 14/05/2010 Par e-mail

Pepe Auth Député/ Président de parti 04/05/2010 En personne

Sergio Bitar Ministre/ Sénateur 09/06/2010 En personne

Ramon Farias Député (2006-2014) 17/05/2010 En personne

Rodrigo González Député (2002-2014) 17/05/2010 En personne

Patricio Hales Député (1998-2014) 17/05/2010 En personne

Felipe Harboe Député (2006-2010) 17/05/2010 En personne

Jorge Insunza Député (2006-2010) 30/10/2010 En personne

471

Ricardo Lagos Président de la République

(2000-2006) 14/07/2009 En personne

María Antonieta Saá Députée 1994-2014 06/11/2010 et 13/11/2010 En personne

Esteban Valenzuela* Député (2002-2006) 18/11/2009 Par e-mail

Ximena Vidal Députée (2002-2014) 04/05/2010 En personne

PARTI DÉMOCRATE CHRÉTIEN (n= 12)

Mariana Aylwin Députée/ Ministre - Par e-mail

Jorge Burgos Député/ président de parti 26/01/2010 En personne

Eduardo

Dockendorff Ministre - Par e-mail

Mario Fernández Ministre - Par e-mail

Eduardo Frei Président de la République - Par e-mail

Gutemberg Martinez Président de parti - Par e-mail

Andrés Palma Ministre - Par e-mail

Jaime Ravinet* Ministre - Par e-mail

Mariano Ruiz

Esquide Sénateur 11/03/2012 En personne

Husain Sabag Sénateur - Par e-mail

Alejandra

Sepúlveda* Députée (2002-2014) 04/05/2010 En personne

Adolfo Zaldivar* Sénateur/ président du parti 26/01/2010 En personne

Argentine (n=13)

UNION CIVIQUE RADICALE (n=7)

Mario Brodesohn Conseiller du président 04/06/2011 En personne

Nicolás Gallo Ministre des transports 04/06/2011 En personne

José Luis Machinea Ministre de l’économie - Par e-mail

Jesus Rodriguez député 09/07/2009 En personne

Marcelo Stubrin Sénateur 17/07/2010 En personne

Rodolfo Terragno Ministre/ 17/06/ 2009 En personne

Héctor Lombardo Ministre - Par e-mail

FREPASO (n=6)

472

Edgardo Mocca Conseiller du vice-

président 24/07/2010 En personne

Rodolfo Rodil Député 26/07/2010 En personne

Dante Caputo Ministre 27/10/2011 En personne

Graciela Fernández

Meijide Ministre 14/06/2011 En personne

Juan Pablo Cafiero Ministre - Par e-mail

Mario Albornoz Ministre - Par e-mail

Uruguay (n = 14)

PARTIDO COLORADO (n=8)

Carlos Ramela Sénateur/ Conseiller du

président Batlle 22/11/2009 En personne

Jorge Batlle Président de la République 01/07/2011 En personne

Julio María

Sanguinetti Président de la République - Par e-mail

Rubén Díaz Député 06/08/2010 En personne

Juan Adolfo Singer Député 19/11/2009 En personne

Alfredo Solari Ministre - Par e-mail

Lucio Cáceres Ministre 01/07/2011 En personne

Isaac Alfie Ministre 04/07/2011 En personne

PARTIDO NACIONAL (n=6)

Alberto Volonté Sénateur/ Président du parti 24/11/2009 En personne

Raúl Iturria Ministre 27/06/2011 En personne

Luis Alberto Lacalle Président - Par e-mail

Alvaro Alonso Ministre 28/06/2011 En personne

Alvaro Ramos Ministre 04/07/2011 En personne

Antonio Mercader Ministre 30/06/2011 En Personne

Total des personnes entrevues : 63 Total entretiens présenciels: 42 (66%)

473

Table des matières

INTRODUCTION……………………………………………………………………………………………8

Objet de recherche : la spécification du « facteur présidentiel » sur la formation des coalitions gouvernementales en

régimes présidentiels ............................................................................................................................................................ 10

Autour du concept de « coalition gouvernementale »........................................................................................................... 13

Déconstruction du concept de « coalitions gouvernementales » .......................................................................................... 13

L’adaptation aux régimes présidentiels ................................................................................................................................ 17

Intérêt de la recherche .......................................................................................................................................................... 18

Cadre théorique de la thèse................................................................................................................................................... 21

Hypothèses de recherche ...................................................................................................................................................... 25

Justification du « terrain » d’étude et de l’analyse comparée ............................................................................................... 29

Méthodologie de recherche et organisation de la thèse ........................................................................................................ 33

PREMIERE PARTIE : « COALITION THEORIES », (DE)CONSTRUCTION THEORIQUE ET

CONCEPTUELLE .......................................................................................................................................................... 38

CHAPITRE 1 : RECONSIDERATION DES COALITION THEORIES ET DE LEUR ADAPTATION EN REGIME PRESIDENTIEL. ....... 41

1.1 Les « chemins théoriques » des coalition theories ............................................................................................ 42

1.1.1 L’approche par la théorie des jeux ............................................................................................................................... 44

1.1.2 Atterrissage de la théorie ............................................................................................................................................. 50

1.1.3 De nouvelles pistes de recherche ................................................................................................................................. 55

a. La seconde génération ou la complexification des modélisations ........................................................................ 56

b. Limites de cette approche ..................................................................................................................................... 58

c. Les approches multidimensionnelles .................................................................................................................... 63

1.1.4. Bilan des chemins théoriques ..................................................................................................................................... 70

1.2 Coalition Theories et système présidentiel : une conjonction critique ? .......................................................... 72

1.2.1 Linz et le « péril présidentialiste » ............................................................................................................................... 75

1.2.2 Evolution de la position pro-parlementariste autour de la « difficile combinaison » présidentialisme + multipartisme

............................................................................................................................................................................................. 81

1.2.3 Coalitions gouvernementales et régime présidentiel : un phénomène déviant ? .......................................................... 87

1.3 Conclusion ........................................................................................................................................................ 94

CHAPITRE 2: LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE PAR LES INSTITUTIONS ......................................... 99

2.1 De l’impact du système politique sur les systèmes de partis et leur « potentiel coalitionnaire » en régime

présidentiel. .......................................................................................................................................................... 101

2.1.1 Le système partisan et sa relation à son « environnement » institutionnel................................................................. 103

a. Considérations théoriques : partis « axiaux », « institutionnalisation » du système de partis et champ de la

compétition partisane. ................................................................................................................................................... 103

b. La loi électorale comme déterminante du nombre de partis ? ............................................................................ 110

c. Impact du cadre institutionnel sur le nombre de partis : étude du cas Uruguayen et de la réforme de 1997 ..... 114

474

d. Conclusions préliminaires sur les facteurs institutionnels ................................................................................. 118

2.1.2 Lois électorales, système politique et « facteur coalitionnaire » ......................................................................... 119

a. L’influence des contraintes institutionnelles sur la formation de coalitions de gouvernement en régime

présidentiel .................................................................................................................................................................... 119

b. L’importance des contraintes institutionnelles sur le maintien des coalitions.................................................... 127

2.2 Historicité politique et culture gouvernementale des démocraties du Cône Sud ............................................ 134

2.2.1. Trajectoire historique des partis et systèmes de partis Argentin, Chilien et Uruguayen. .......................................... 135

a. La structuration de la polyarchie uruguayenne .................................................................................................. 136

b. La formation de la compétition politique chilienne ............................................................................................ 139

c. La lente structuration des partis en argentins .................................................................................................... 141

2.2.2 Partis hégémoniques, partis excluants et partis de la nation ...................................................................................... 144

2.2.3. Transition démocratique et impact sur les systèmes de partis .................................................................................. 151

2.2.4. La « renaissance » des partis et l’évolution des systèmes de partis ......................................................................... 153

2.2.5 Eléments institutionnels informels sur les systèmes de partis du Cône Sud. ............................................................. 157

2.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 159

SECONDE PARTIE : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE MULTIVARIEE .......... 161

CHAPITRE 3 : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET LA THEORIE DES CLIVAGES. ................................................... 165

3.1 Ordre et désordre partisan: une analyse structurelle ................................................................................. 167

3.1.1 Approche théorique de l’analyse structurelle du changement............................................................................. 168

3.1.2 La matérialisation et l’évolution des lignes de clivages entre les partis .............................................................. 174

3.1.3 La formation des clivages dans le Cône Sud ...................................................................................................... 180

a. Origines de la structuration partisane dans le Cône Sud ................................................................................... 182

Structuration du système de partis uruguayen ......................................................................................................... 183

Structuration du système de partis chilien ............................................................................................................... 186

La structuration du système de partis argentin ........................................................................................................ 190

b. La transition à la démocratie et le réalignement des lignes de clivage .............................................................. 197

c. Conclusion : les structurants de compétition politique dans le cône sud. .......................................................... 204

3.2 Théorie des clivages, théorie des coalitions et systèmes présidentiels : une combinaison inductive .......... 205

3.2.1 Polarisation des systèmes de partis et formation de coalitions gouvernementales .............................................. 206

a. Structure de représentation, agencement des clivages et formation de coalitions dans le Cône Sud: le facteur

présidentiel .................................................................................................................................................................... 207

b. Coalitions « positives» vs/ coalitions « négatives» ............................................................................................. 214

3.2.2 Alignements et ordonnancements des systèmes de partis du Cône Sud : processus de création et de

réalimentation de nouvelles lignes de clivages. .................................................................................................................. 216

a. La structuration de la compétition politique chilienne et l’héritage du gouvernement autoritaire ............... 216

b. Le cas uruguayen: entre convergence idéologique et coalition négative ............................................................. 223

c. L’évolution des « blocs » partisans en Argentine et l’impact de la disparition de Perón .................................... 226

3.3 Conclusion................................................................................................................................................... 231

CHAPITRE 4 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET « CYCLE PRESIDENTIEL ». ......................................................... 234

4.1 Temporalité gouvernementale et « cycle de vie coalitionnaire ». ............................................................... 236

4.1.1 L’analyse classique de la temporalité des coalitions gouvernementales : la logique parlementaire ................... 238

4.1.2 Une nouvelle approche temporelle « ex ante » ................................................................................................... 243

4.1.3 Le facteur présidentiel comme intervenant dans la création et conclusion des cycles coalitionnaires ................ 249

475

4.2 L’impact du « cycle présidentiel » sur la constitution des coalitions dans le Cône Sud ............................. 258

4.2.1 Accords coalitionnaires, formation gouvernementale et cycle coalitionnaire dans le cône sud .......................... 258

4.2.2 Précocité et durabilité des pactes coalitionnaires dans le Cône Sud ................................................................... 262

4.3 Conclusions ................................................................................................................................................. 270

TROISIEME PARTIE : LES COALITIONS GOUVERNEMENTALES COMME SOUS-SYSTEME

PARTISAN ? ................................................................................................................................................................ 273

CHAPITRE 5 : STRUCTURATION PARTISANE ET CONNEXITE INTERNE AUX COALITIONS. ............................................. 276

5.1 Connexité, cohésion partisane et la conception « d’acteurs unitaires » des partis. ....................................... 278

5.1.1 Rapports et structuration du pouvoir politique .......................................................................................................... 279

5.1.2. Cohérence, institutionnalisation partisane et le mythe de la conception unitaire des partis ? ................................... 282

5.1.3. Cohérence, cohésion et discipline partisane : un modèle commun d’application à la théorie des coalitions ? ......... 285

5.2 Cohérence partisane et « cohésion coalitionnaire » dans le Cône Sud. ......................................................... 289

5.2.1 La cohérence interne des partis dans le Cône Sud ..................................................................................................... 291

a. Mode de structuration des partis traditionnels uruguayens ............................................................................... 292

b. Structuration des partis de l’Alianza argentine au retour de la démocratie ....................................................... 294

c. Cohérence et cohésion au sein de la Concertación chilienne ............................................................................. 296

5.2.2 Les formes de connexité des coalitions gouvernementales du Cône Sud .................................................................. 300

a. Les quatre gouvernements de la Concertación au Chili : tout pour la stabilité ................................................. 300

Le gouvernement Aylwin (1990-1994) ..................................................................................................................... 305

Le gouvernement Frei (1994-2000) ......................................................................................................................... 307

Le gouvernement Lagos (2000-2006) ...................................................................................................................... 309

La présidence Bachelet (2006-2010) ....................................................................................................................... 311

b. L’Uruguay ou l’équation impossible entre compétition et consensus et gestion des fractions internes des partis

traditionnels .................................................................................................................................................................. 313

La première expérience, sous le gouvernement Lacalle (1990-1992) ...................................................................... 314

Le gouvernement de coalition « intégrale » de Sanguinetti (1995-2000) ................................................................ 318

Le gouvernement Batlle (2000-2005), et le « syndrome Volonté » .......................................................................... 320

c. Argentine : l’Alianza, un mariage blanc ?.......................................................................................................... 325

5.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 331

CHAPITRE 6 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES EN SYSTEME PRESIDENTIEL : CONGRUENCE PARTISANE ET REDDITION

DE COMPTES. .............................................................................................................................................................. 333

6.1 La notion de « verticalité » dans la formation des cabinets coalisés en système présidentiel : le cas du cône

Sud ........................................................................................................................................................................ 336

6.1.1. Mode de sélection des candidats et « degré d’intégration » des alliances partisanes. ......................................... 337

6.1.2. Sélection des candidats et verticalité des coalitions gouvernementales dans les systèmes présidentiels du Cône

Sud. …………………………………………………………………………………………………………………..341

a. Uruguay : l’union libre....................................................................................................................................... 341

b. Argentine: fusion sous curatelle de l’UCR ......................................................................................................... 343

c. Chili: la Concertación, une alliance 4x4 ............................................................................................................ 351

La sélection du candidat Aylwin et les accords électoraux ...................................................................................... 352

La sélection de Frei et les élections attenantes ........................................................................................................ 356

La sélection de Lagos et le maintien de l’alliance ................................................................................................... 359

La primaire « avortée » de 2005 et l’élection de Michelle Bachelet. ....................................................................... 361

476

6.2 Formation des cabinets coalisés et reddition de compte en régime présidentiel ........................................ 364

6.2.1 Attribution des portefeuilles ministériels et gouvernements de coalition en système présidentiel : le président

comme « formateur » ......................................................................................................................................................... 365

6.2.2 Coalitions gouvernementales et congruence partisane dans le Cône Sud. .......................................................... 371

a. Éléments préliminaires d’analyse ....................................................................................................................... 371

b. Répartition des portefeuilles ministériels: inauguration des gouvernements et remaniements ministériels ....... 373

6.2.3 Reddition des comptes des coalitions gouvernementales en régime présidentiel: les cas du Cône Sud ............. 381

a. Reddition « horizontale » des comptes et jévaluation par les pairs .................................................................... 382

b. Reddition verticale des comptes, les mouvements sociaux et partis politiques dans le Cône Sud des années 2000

…………………………………………………………………………………………………………………..386

6.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 391

Principaux résultats dela recherche .................................................................................................................................... 396

Retour au terrain ................................................................................................................................................................. 399

Pistes à creuser ................................................................................................................................................................... 402

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................................... 404

LISTE DES SIGLES UTILISÉS ................................................................................................................................. 453

ANNEXES ..................................................................................................................................................................... 454

ANNEXE 1 : COMPOSITION DES GOUVERNEMENTS DE COALITION DANS LE CONE SUD. .............................................. 455

ANNEXE 2 : QUESTIONNAIRE COMMUN SOUMIS AUX PERSONNES INTERROGEES ........................................................ 466

ANNEXE 3 : LISTE DES ENTRETIENS, PAR PAYS ET PAR PARTI. ..................................................................................... 471

COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET SYSTEME PRÉSIDENTIEL :

Les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay (1989- 2010).

Résumé

Bien que la littérature française n’ait presque pas abordé le sujet, les théories des coalitions ont constitué, dans la

littérature dite “mainstream”, un des principaux champs d’étude en science politique, ces deux dernières décennies.

Appliquées à l’analyse de gouvernements, ces études ont permis de développer un ensemble de connaissances

théoriques et des outils d’analyses quant à l’analyse des processus liés à la formation, le maintien et la conclusion de

ce type de gouvernements.

Toutefois, le fait que la plupart des politistes ayant contribués à l’expansion de ces théories proviennent d’Europe

Occidentale, ces études se sont alors -pour leur majeure partie- concentrées à l’analyse des coalitions

gouvernementales suivant les particularismes de leur région d’origine : les systèmes parlementaires d’Europe

Occidentale. L’étude du phénomène en régime présidentiel, longtemps considéré comme accidentel du fait de la

supposée « combinaison indésirable » entre présidentialisme et multipartisme, est de ce fait demeurée limitée. Ceci

conduit à ce que, jusqu’à présent, la littérature en science politique ne dispose que d’un faible niveau de connaissance

quant à la manifestation des coalitions gouvernementales sous la configuration présidentielle.

Cette thèse se propose donc de combler cette lacune ontologique, en centrant l’analyse sur les particularités

structurelles des systèmes présidentiels, tout en faisant le lien avec les théories les plus récentes issues de la littérature

portant sur les systèmes parlementaires. En se basant sur les trois pays du Cône Sud, et l’analyse de huit

gouvernements de coalition récents qui ont connus différentes fortunes, cette thèse viendra insister sur l’impact de la

configuration présidentielle quant à la formation et la gestion des gouvernements de coalition. Cette

« présidentialisation » de la théorie des coalitions, va ainsi mettre en avant deux éléments généraux propres à la

matérialisation du phénomène coalitionnaire en régime présidentiel : la récurrence de la formation de coalitions

électorales, et la tendance à la bipolarité de la compétition politique.

Mots clés : Système de partis, Coalitions gouvernementales, Système présidentiel, clivages, temporalité

politique

COALITION GOVERNMENTS AND PRESIDENTIAL SYSTEM:

The cases of Argentina, Chile and Uruguay (1989 – 2010) Abstract

Coalition theories applied to governments developed during the last decades a huge literature so as to provide

theoretical knowledge and tools for the analysis of formation, maintain and breakdown of this kind of governments.

Nevertheless, these studies were focused especially on parliamentary systems and left away the study of this

phenomenon on presidential regimes. On another hand, coalition governments used to be considered, otherwise, in

these systems as an undesirable combination, or analysed as a functional trend rather than the proper object of

investigation. This approach conducts, then to a very low level of knowledge in presidential configuration.

This thesis proposes thus to fill this analytical gap, aiming to apply and compare recent findings and approaches

from parliamentary origins to presidential systems. Through the study of the three countries forming the American

Southern Cone, and twelve recent governments of coalition with different successes we will stress out the differentiated

role and mechanisms of timing and cleavages. We will therefore “presidentialise” the theory, and show that the

presidential framework presents common peculiarities like a recurrent pre-electoral coalition formation, and a trend to

the bipolarity of party competition.

Keywords: Party Systems, Governmental coalitions, Presidentialism, cleavages, political timing