Ph-D thesis: Coalition Governments and Presidential Regimes, The Southern Cone Experience (in...
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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE PARIS 3
UNIVERSIDAD DE LA REPÚBLICA/ UNIVERSIDAD DE
CHILE
Thèse pour le doctorat en Science Politique Elaborée en cotutelle entre :
l’Université Paris 3 Sorbonne Nouvelle, Institut des Hautes Etudes de l’Amérique Latine;
l’Universidad de la República, Instituto de Ciencias Políticas (Uruguay);
l’Universidad de Chile, Facultad de Ciencias Sociales (Chili)
Soutenue par :
Adrián ALBALA
COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET
SYSTEME PRÉSIDENTIEL
Les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay (1989- 2010).
Jury :
Mme Stéphanie ALENDA, Maître de conférences, Universidad de Chile (Chili), Co-Directrice de
recherches.
M. Nicolas BUE, Maître de conférences, Université de Nice -Sofia Antipolis.
M. Georges COUFFIGNAL, Professeur des universités, Université Sorbonne Nouvelle Paris 3,
Directeur de recherches.
M. Olivier DABENE, Professeur des universités, Sciences Po Paris.
M. Olivier IHL, Professeur des universités, Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, Rapporteur.
M. Jorge LANZARO, Professeur à l'Universidad de la República (Uruguay), Co-Directeur de
recherches.
M. Josep Maria RENIU, Professeur à l'Universitat de Barcelona (Espagne), Rapporteur.
Résumé
Bien que la littérature française n’ait presque pas abordé le sujet, les théories des coalitions ont
constitué, dans la littérature dite “mainstream”, un des principaux champs d’étude en science politique, ces
deux dernières décennies. Appliquées à l’analyse de gouvernements, ces études ont permis de développer un
ensemble de connaissances théoriques et des outils d’analyse quant à l’étude des processus liés à la
formation, le maintien et la conclusion de ce type de gouvernements.
Toutefois, le fait que la plupart des politistes ayant contribués à l’expansion de ces théories proviennent
d’Europe Occidentale, ces études se sont alors -pour leur majeure partie- concentrées à l’analyse des
coalitions gouvernementales suivant les particularismes de leur région d’origine : les systèmes
parlementaires d’Europe Occidentale. L’étude du phénomène en régime présidentiel, longtemps considéré
comme accidentel du fait de la supposée « combinaison indésirable » entre présidentialisme et
multipartisme, est de ce fait demeurée limitée. Ceci conduit à ce que, jusqu’à présent, la littérature en
science politique ne dispose que d’un faible niveau de connaissance quant à la manifestation des coalitions
gouvernementales sous la configuration présidentielle.
Cette thèse se propose donc de combler cette lacune ontologique, en centrant l’analyse sur les
particularités structurelles des systèmes présidentiels, tout en faisant le lien avec les théories les plus
récentes issues de la littérature portant sur les systèmes parlementaires. En se basant sur les trois pays du
Cône Sud, et l’analyse de huit gouvernements récents de coalition qui ont connus différentes fortunes, cette
thèse viendra insister sur l’impact de la configuration présidentielle quant à la formation et la gestion des
gouvernements de coalition. Cette « présidentialisation » de la théorie des coalitions, va ainsi mettre en
avant deux éléments généraux propres à la matérialisation du phénomène coalitionnaire en régime
présidentiel : la récurrence de la formation de coalitions électorales, et la tendance à la bipolarité de la
compétition politique.
Mots clés : Système de partis, Coalitions gouvernementales, Système présidentiel, clivages,
temporalité politique
Abstract
Coalition theories applied to governments developed during the last decades a huge literature so as to
provide theoretical knowledge and tools for the analysis of formation, maintain and breakdown of this kind
of governments. Nevertheless, these studies were focused especially on parliamentary systems and left away
the study of this phenomenon on presidential regimes. On another hand, coalition governments used to be
considered, otherwise, in these systems as an “undesirable combination”, or analysed as a functional trend
rather than the proper object of investigation. This approach conducts, then to a very low level of knowledge
of the coalition phenomenon under presidential configuration.
This thesis, proposes thus to fill this analytical gap, aiming to apply and compare recent findings and
approaches from parliamentary origins to presidential systems. Through the study of the three countries
forming the American Southern Cone, and eight recent governments of coalition with different successes we
will stress out the differentiated role and mechanisms of timing cleavages and party structuration, proper to
presidential systems. We will therefore “presidentialise” the theory, and show that the presidential
framework presents general peculiarities like a recurrent pre-electoral coalition formation, and a trend to
the bipolarity of party competition.
Keywords: Party Systems, Governmental Coalitions, Presidentialism, Cleavages, Political Timing
Remerciements
Cette thèse et son déroulement original, en tri-tutelle, n’aurait jamais pu voir le jour sans le soutien et
l’appui constant de mon directeur de thèse « originel », Georges Couffignal. Le professeur Couffignal a joué
un rôle central dans le déroulement de ma pensée et dans l’identification de l’objet de recherche et des
interrogations attenantes. Ce sont ses commentaires et ses questionnements qui m’ont conduit à considérer et
à m’intéresser à l’objet même de cette thèse : les coalitions gouvernementales en régime présidentiel, et à
identifier les problématiques attenantes. Il m’a en outre constamment incité à participer à des séminaires et
autres congrès internationaux afin que je puisse entrer en contact avec différents chercheurs spécialistes de
l’Amérique latine, et confronter mes recherches avec eux. Enfin, afin que je ne m’éparpille pas trop, il a su
me recadrer très aimablement, mais non sans raison, lorsqu’il considérait que je perdais du temps dans des
recherches « sans fin ». C’est donc tout naturellement que je souhaiterais le remercier pour sa clairvoyance
et sa patience.
Par ailleurs, la réalisation de cette « tri-tutelle » a été rendue possible grâce à la compétence et la
disponibilité de mes deux directeurs latino-américains : Jorge Lanzaro, pour l’Universidad de la República à
Montevideo, et Stéphanie Alenda pour l’Universidad de Chile, à Santiago. Les nombreux séjours que j’ai
réalisés en Uruguay et les contacts que j’ai pu y faire m’ont grandement facilité la tâche. De même, sa
connaissance du sujet, puisqu’il est le précurseur des études sur les coalitions politiques en Amérique latine,
m’a conduit à cerner de près l’avancée bibliographique et empirique de ce phénomène politique, et surtout à
cerner précisément la problématique des coalitions dans la région et les moyens de les étudier. Enfin, sans
l’aide et l’efficacité de Stéphanie Alenda, je n’aurais tout simplement pas pu réaliser mon terrain d’étude,
puisque la cotutelle avec l’Universidad de Chile m’a permis d’obtenir une bourse auprès de l’EGIDE, dans
le cadre du collège doctoral franco-chilien. Stéphanie Alenda a été très présente notamment lors de mon
séjour au Chili, en m’apportant son point de vue sur l’avancée de mes travaux, ainsi qu’en m’incluant dans
diverses présentations auprès de l’Universidad de Chile et d’autres universités chiliennes.
Les recherches sur le terrain ont été facilitées par la grande disponibilité de certains politistes et amis
argentins, chiliens et uruguayens. Je tiens à remercier tout particulièrement Federico Irazábal (Uruguay) et
María Mathilde Ollier (Argentine), pour m’avoir ouvert leurs portes (dans tous les sens du terme) et m’avoir
aidé dans la recherche empirique. Leur aide est inestimable. Les hommes politiques que j’ai pu rencontrer et
interroger, ont pratiquement tous montré une « chaleur » humaine et un intérêt non dissimulé pour mes
travaux. Je tenais tout particulièrement à remercier Alberto Volonté (Uruguay), Dante Caputo (Argentine) et
Gonzalo Martner (Chili) pour le temps qu’ils m’ont consacré et les réflexions que nous avons pu construire
ensemble.
De même, la combinaison des données empiriques avec la théorie n’aurait été la même sans les précieux
apports tirés de discussions formelles et informelles, réalisées avec des personnes aussi intéressées que
brillantes. Je remercie particulièrement Juan et Rocío Linz pour leur gentillesse et les heures passées
ensemble. Je ne saurais oublier les discussions infinies avec Jordi Matas, Germán Bidegain, José María
Bidegain, Alejandro Olivares et Fernando Pedrosa, sur ces thèmes des relations politiques et accords
politiques, et leurs exceptionnelles contributions intellectuelles.
Enfin, last but not least, la vie d’un doctorant est faite de hauts et de bas, et est souvent marquée par la
conjoncture et les événements. Ces cinq années de thèse, et surtout la dernière année, ont été marquées par
divers événements particulièrement décourageants. Le soutien inconditionnel de Paula, Tokichen, Mabel, et
Bernardo, a été fondamental. Je souhaiterais, à ce titre, remercier tout particulièrement Abigail pour sa
présence et ses mots justes, qui m’ont permis de mener cette thèse à bon port, tout en restant en bonne santé.
Sommaire
INTRODUCTION ............................................................................................................................................................ 8
PREMIERE PARTIE : « COALITION THEORIES », (DE)CONSTRUCTION THEORIQUE ET
CONCEPTUELLE .......................................................................................................................................................... 38
CHAPITRE 1 : RECONSIDERATION DES COALITION THEORIES ET DE LEUR ADAPTATION EN REGIME PRESIDENTIEL. ....... 41
CHAPITRE 2: LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE PAR LES INSTITUTIONS ......................................... 99
SECONDE PARTIE : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE MULTIVARIEE .......... 161
CHAPITRE 3 : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET LA THEORIE DES CLIVAGES. ................................................... 165
CHAPITRE 4 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET « CYCLE PRESIDENTIEL ». ......................................................... 234
TROISIEME PARTIE : LES COALITIONS GOUVERNEMENTALES COMME SOUS-SYSTEME
PARTISAN ? ................................................................................................................................................................ 273
CHAPITRE 5 : STRUCTURATION PARTISANE ET CONNEXITE INTERNE AUX COALITIONS. ............................................. 276
CHAPITRE 6 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES EN SYSTEME PRESIDENTIEL : CONGRUENCE PARTISANE ET REDDITION
DE COMPTES. .............................................................................................................................................................. 333
CONCLUSION : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION DANS LE CONE SUD, 25 ANS
D’EXPERIMENTATIONS ......................................................................................................................................... 394
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................................... 404
ANNEXES……………………………………………………………………………………………………………..460
TABLE DES MATIERES…………………………………………………………………………………………….478
8
Introduction
“Por lo menos medicucho usted no se esfuerza; por lo menos no conozco sus miedos,
no lo he escuchado mentirse, no lo he oído contar cien veces la misma aventura
Juan Carlos Onetti, La vida breve
La décennie 1980-1990 a vu l’ensemble de l’Amérique latine -à l’exception de Cuba- opérer une
transition à la démocratie1, dans le cadre plus global de la « troisième vague » de démocratisation
décrite par Huntington2. Jamais, depuis l’indépendance de la région, autant de pays latino-
américains n’avaient observé simultanément des processus similaires de sélection des gouvernants
et d’exercice du pouvoir. Ces événements ainsi que leur consolidation ont conduit à ouvrir sur le
continent un champ d’études politiques jusque-là confiné aux démocraties occidentales. Ainsi, on
observe depuis une vingtaine d’année, une prolifération de travaux inédits portant sur les systèmes
politiques et les systèmes partisans d’Amérique latine, que ce soit au travers de nombreuses
monographies ou en politique comparée. Cependant, malgré l’hétérogénéité de ces recherches,
aussi bien sur le propre champ d’étude, que sur la méthode appliquée, ou sur son étendue, les
référents culturels et analytiques utilisés pour l’étude et la compréhension des systèmes politiques
et partisans de cet « extrême Occident3 », sont généralement empruntés aux canons européens ou
plus largement « occidentaux ». Un des exemples les plus révélateurs et significatifs, revient à la
considération généralisée des partis latino-américains, suivant les critères propres aux « partis de
masse4 », dont la capacité de mobilisation et les liens programmatiques sont des éléments centraux.
Or, si ce patron d’analyse colle bien à l’étude des partis européens (surtout d’Europe Occidentale),
son application à l’Amérique latine n’en est qu’hasardeuse5 –à quelque exception près, comme
1 Ce n’est pas le propos de cette thèse que d’entrer dans le débat autour de la conception de la démocratie et ses
variantes ou critiques. Par « démocratie » ou « ordre démocratique », nous emprunterons une définition procédurale
« classique », supposant ainsi i) la tenue d’élection libres, ouvertes et compétitives au sein d’un cadre constitutionnel
légitime ; ii) le caractère représentatif et inclusif ou « universel » de ces même élections ; enfin iii) le respect et la
garantie de droits civils, tels que la liberté d’expression et d’organisation. Voir DAHL, R., La poliarquía, Tecnos,
Madrid, 2002 [1971] ; SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973. 2 HUNTINGTON, S., The third wave: democratization in the late twentieth century, University of Oklahoma Press,
1991. A noter que Garretón conceptualise une distinction dans les démocratisations politiques d’Amérique latine entre :
1) l’inauguration démocratique propre aux pays d’Amérique centrale, 2) la transition de puis un régime autoritaire
(dictature) vers la démocratie, et implique un retour à la démocratie ; enfin 3) l’approfondissement du régime et de la
pratique démocratique dans des pays (Mexique et Colombie) de « semi-démocratie » ou démocratie restreinte. Voir
GARRETÓN, M.A., “Revisando las transiciones democráticas en América Latina”, in Nueva Sociedad. No. 148, 1997,
pp. 20-29. 3 ROUQUIÉ, A., Amérique latine, introduction à l’extrême Occident, Paris, Seuil, 1987.
4 D’après les typologies de DUVERGER, M., Les partis politiques, Paris, Seuil, 1981 [1951] ; et PANEBIANCO, A.,
Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988. 5 Voir ABAL MEDINA, J., “Elementos teóricos para el análisis contemporáneo de los partidos políticos: un
reordenamiento del campo semántico”, in CAVAROZZI, M. et ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los
partidos latinoamericanos en la era neoliberal, Homo Sapiens Editorial, Rosário, 2003, pp 33-55.
9
celle du Chili notamment. Cet écueil génère non seulement une analyse faussée des systèmes de
partis, notamment dans l’étude des relations entre élites partisanes et « clientèles » électorales1,
mais entraîne surtout des erreurs méthodologiques et heuristiques en termes de typologisation et
alignements politiques2.
Il est, à l’inverse, quelques champs d’études « traditionnels » des systèmes politiques européens
qui demeurent encore trop partiellement explorés au niveau latino-américain. L’étude des coalitions
gouvernementales3 en fait partie. Ainsi, bien que Nicolas Bué et Fabien Desage aient relevé que
« […] l’étude des coalitions de gouvernements constitue l’un des domaines les plus actifs de la
recherche internationale en science politique, depuis une cinquantaine d’années »4, on observe que
son application demeure concentrée sur les systèmes politiques de type parlementaire propres à
l’Europe continentale5. De fait de nombreux politistes, spécialistes de l’Amérique latine
6 se sont
émus du manque notoire de travaux portant sur les coalitions gouvernementales dans la région. De
même, si on a vu apparaître quelques études ces dernières années7 (plutôt sous forme de
monographies compilées que d'analyses comparées), la qualité de la plupart de ces études fait
encore défaut8, alors même que le phénomène de coalitions gouvernementales se soit banalisé ces
1 Voir PERRINEAU P. et REYNIE D., Dictionnaire du vote, Puf, Paris, 2001.
2 Notamment quand il s’agit d’appliquer le clivage droite-gauche dans la compétition politique latino-américaine. Voir
à ce sujet, les récurrents travaux de Manuel Alcántara et son équipe Salamantine. 3 Nous utiliserons de manière indifférenciée tout au long de cette thèse le concept de “coalitions gouvernementales” ou
“gouvernements de coalition”. Pour autant nous préférons le terme de « coalition » à celui d’ « alliance »
gouvernementale, suivant la définition du dictionnaire de l’Académie française: « 1. Réunion de différents partis
politiques, ligue de plusieurs puissances militaires contre un ennemi commun. » et 2. « Entente momentanée conclue
entre des personnes, des institutions, etc., en vue d'un but commun ». Si le terme d’alliance suppose une dimension
temporelle plus durable, la notion de coalition est, de fait, plus précise et suppose à la fois un but, d’où l’élaboration
d’une stratégie propre, ainsi que la désignation d’un « ennemi » ou « adversaire » commun. 4
BUÉ, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la
croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22 , No. 88, 2009, p. 11. Josep Maria Reniu ne semble pas d’accord avec cela.
Voir RENIU, JM., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en
España, 1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001. 5 Plus récemment, des travaux se sont penchés sur l’étude des coalitions municipales ou provinciales, surtout au niveau
Européen. Voir les travaux conduits par l’Université de Barcelone notamment. 6 Dans une note de bas de page de leur ouvrage, Scott Mainwaring et Matthew Shugart observent qu’ « [i]l est
nécessaire de réaliser davantage de recherches sur les coalitions gouvernantes en systèmes présidentiels… », in
MAINWARING S., et SHUGART M.S., « Presidencialismo y sistema de partidos en América Latina », in
MAINWARING S., et SHUGART M.S, Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires,
2002 [1997], nbp 3 p. 258 ; voir également CHASQUETTI, D., Democracia, Presidencialismo y partidos políticos en
América Latina: evaluando la “difícil combinación”, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 7 Notamment LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos
Aires, 2001a. 8 A noter, les travaux précurseurs de Grace Ivana Deheza dont la thèse de doctorat a constitué un article important du
livre de NOHLEN, D et FERNÁNDEZ, B : DEHEZA, G., « Gobiernos de coalición en el sistema presidencial:
América del Sur », NOHLEN, D. et FERNÁNDEZ, B., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político
en América Latina, Nueva Sociedad: Caracas, 1998, pp.151-170; plus récemment, le livre de José Antonio CHEIBUB,
Presidentialism, parliamentarism, and democracy, Cambridge University Press, 2006. Ce livre reste néanmoins très
théorique, s’inscrivant davantage dans la lignée du débat présidentialisme vs/ parlementarisme. Enfin dans un genre
plus positiviste, relevons ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential systems of latin America: an
inquiry into the political conditions of governability”, Thèse de doctorat non publiée, Université d’Essex, 2001.
10
dernières années. En effet, 25 gouvernements se sont formés sous un format coalisé depuis 1985 en
Amérique du Sud. Certains pays, comme le Brésil ou le Chili n’ont d’ailleurs connu que ce type de
format gouvernemental depuis le retour de la démocratie, ce qui écarte donc toute considération
« accidentelle » quant au phénomène1.
Objet de recherche : la spécif ication du « facteur présidentiel » sur la formation
des coalit ions gouvernementales en régimes présidentiels
L’objet de cette thèse consiste en une mise à jour et un approfondissement théorique des
coalition theories, via une application de l’analyse sur les mécanismes politiques propres aux
systèmes présidentiels latino-américains. Cette approche éminemment théorique suppose une
comparaison constante entre les différents systèmes de gouvernement et entre les différentes
expressions du « présidentialisme de coalition »2. Via l’analyse comparée des phénomènes de
coalitions gouvernementales au sein des trois pays du Cône Sud (l’Argentine, le Chili, et
l’Uruguay), le propos de cette investigation s’attache à déceler d’éventuelles différences
structurelles dans la formation et le comportement des coalitions gouvernementales en régimes
présidentiel par rapport à leur expression en régimes parlementaires. Autrement dit, il est ici
question de réaliser une spécification du phénomène de coalitions gouvernementales en régime
présidentiel.
L’idée consiste à établir un cadre de compréhension du développement, du fonctionnement et
du maintien de la pratique des gouvernements de coalition en régime présidentiel, au travers de
l’analyse comparée des interactions entre les coalitions gouvernementales et les systèmes politiques
qui les contiennent. Ces derniers sont entendus comme configuration des organisations et règles
établissant les relations entre pouvoirs décisionnels3. Cela passe donc, par une qualification des
différentes formations de coalitions en fonction de critères, basés entre autres, sur la propension au
dialogue inter et intra-partisan, via une étude du système institutionnel, de l'historicité politique et
du fonctionnement interne aux blocs politiques. Il ne s’agit pas pour autant de faire de cette
taxinomie l’objet même de cette recherche4.
1 A l’inverse de ce que défendaient Alfred Stepan et Cindy Skach. STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional
frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs. presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1,
1993; LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, 1994. 2 Concept initialement proposé par Sergio Abranches, hostile au principe même de coalitions en régime présidentiel et
utilisé pour identifier les « carences » du système politique brésilien. Voir ABRANCHES, S., “Presidencialismo de
coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados, Vol. 31, No. 1, 1988, pp. 5-34. 3 LAGROYE, J., FRANCOIS, B., et SAWICKI, F., Sociologie Politique, Presses de Sciences Po/ Dalloz, Paris, 2002
4 SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis politiques », in Cahiers Français, n°276, 1996, p. 51-59.
11
Dans la lignée des travaux présidentialistes1 qui postulent une « possible combinaison » entre
régime présidentiel, multipartisme et coalitions gouvernementales, nous nous intéressons ici à la
formation de gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels, et leur impact sur la sphère
politique et la « culture de gouvernement », ou « historicité gouvernementale » des sociétés
concernées. Nous porterons une attention particulière aux mécanismes de types « excluant »
présents dans ces types de régimes à l’inverse du caractère inclusif des systèmes parlementaires. En
effet, comme le soulignent de nombreux auteurs, les “options de coalitions”2 sont plus limitées au
sein des systèmes présidentiels de gouvernement, puisque le formateur (celui en charge de
« former » le gouvernement) se trouve être le président lui-même3, ce qui suppose une dimension
de proximité ou volonté4 plus limitée que ce que l’on peut observer pour les régimes parlementaires
où tous les partis peuvent, potentiellement, s’allier dans le but d’obtenir une majorité, aussi fébrile
soit-elle.
Nos recherches nous amèneront de manière plus spécifique à nous focaliser autour de trois
problématiques de recherche. Tout d’abord, l’étude des relations d’ordonnancement, de constitution
et de formation des clivages structurants5 avec la compétition politique, et leur impact sur les
« alignements » partisans. Via la reconsidération du caractère non-segmentée des sociétés du Cône
Sud, il s’agit de montrer les interactions partisanes en vigueur au sein des trois sociétés qui
constituent le terrain de cette thèse, où les lignes de division partisanes reposent sur des logiques
distinctes :’une segmentarisation non institutionnelle existe notamment sur des bases sociales et
économiques au Chili et en Uruguay, et « symboliques ou culturelles » en Argentine. Ainsi, cela
suppose d’effectuer une mise à jour des théories sur les coalitions à partir de la théorie des
1 Notamment SHUGART, M.S., et CAREY, J., Presidents and assemblies, Cambridge University Press, 1992; puis
surtout NOHLEN, D., Sistemas electorales y partidos políticos, FCE, Santiago, 1995 [1994]; NOHLEN, D., et
FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina. Nueva Sociedad:
Caracas, 1998; LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos
Aires, 2001. 2 Ou « probabilités coalitionnaires » considérées en fonction de questions aussi bien idéologiques, stratégiques que
pragmatiques, voir AXELROD R., Conflict of interest : A theory of divergent goals with applications to politics,
Chicago, Markham, 1970; et DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formations, Amsterdam, Elsevier, 1973. 3 Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agisse du parti le plus “puissant” ou le plus représenté au Parlement. Voir entre autres
LANZARO, J. 2001, op. cit; AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: an analysis of 10 latin
American countries”. Document presenté lors du congrès LASA, à Chicago, 24 de juin 1998 ; GARRIDO, A.
“Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in Política y Sociedad,
Vol. 40, No. 2, 2003; ALBALA, A., « Rethinking coalition governments on presidential systems: the southern cone
enlightenment », communication présentée lors du Congrès international IPSA-ECPR, « Whatever happened to north-
south », São Paulo (Brésil), 17-19 février 2011. Texte disponible sur le site internet du congrès:
http://saopaulo2011.ipsa.org/sites/saopaulo2011.ipsa.org/files/papers/paper-345.pdf 4 DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976
5 Nous porterons un intérêt tout particulier à la définition de ce concept trop souvent « étiré », comme dirait Sartori.
Voir SARTORI, G., “Bien comparer, mal comparer”, in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 1, No. 1,
1994, pp. 19-36.
12
clivages1, en appliquant l’analyse sur les réalités du cône sud. Nous nous arrêterons
particulièrement sur les processus de formation des clivages et la constitution de « blocs »
politiques autour de ces nouvelles démarcations politiques.
Ceci débouche sur un deuxième point, qui vise à analyser les processus fonctionnels et
structurels propres aux gouvernements de coalition en système présidentiel, dont les principales
caractéristiques sont une autonomie vis-à-vis du parlement et une temporalité réglée sur le principe
de fixité du mandat présidentiel. Cela implique d’analyser les mécanismes de réseaux liés à la fois à
l'exercice du pouvoir et à la répartition des parcelles de pouvoir, ainsi que les processus
d’autonomisation de ces gouvernements et leur caractère « systémique »2. A ce titre, les thèmes de
la « cartellisation » des coalitions, entendue comme leur dépendance vis-à-vis des subsides de
l’Etat3, et la « notabilisation » de la classe politique, marquée par une faible rotation des élites
partisanes 4
, viennent occuper une place centrale dans l’analyse. Il en va de même de la dimension
informelle des modes d’expression et des relations inter e intra partisanes.
Enfin, et presque « naturellement », le dernier point consiste à établir un cadre de
compréhension des mécanismes internes et externes qui agissent sur le maintien ou la dissolution
des gouvernements de coalition. Cela suppose donc une analyse croisée entre les approches
(néo)institutionnalistes, qui se focalisent davantage sur l’ « environnement » des coalitions (les
« inputs » et « outputs »), avec les approches plus sociologiques davantage centrées sur le
fonctionnement pratique des coalitions, ou « ce qu’être en coalition » veut dire5. Pour ce faire, les
expériences chiliennes, uruguayennes et argentines de coalitions partisanes sont, tant dans leur
succès que dans leurs échecs, des éléments d’analyse particulièrement pertinents, et requièrent une
étude approfondie de leurs fondements idéologiques, politiques et fonctionnels.
1 Initiée par LIPSET, S., et ROKKAN S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une
introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]. 2 Dans le sens de la sociologie des systèmes de Luhmann. Voir LUHMANN, N., La sociedad de la sociedad, Herder/
Universidad Iberoamericana, Mexico, 2007; et La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009. 3 En ce qui concerne le facteur d'inclusion/ exclusion d'acteurs politiques aussi bien au parlement qu'au gouvernement.
Nous sommes néanmoins particulièrement conscient du caractère controversé du propre concept de « parti cartel »
présenté par Richard Katz et Peter Mair, et de ce fait nous ne reprenons que l’idée de confusion entre Etat et
gouvernement via l’accaparement des ressources étatiques. Voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party
organization and party democracy: the emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. 4
Entendu comme un désaccouplement de la structure partisane d’avec la structure sociétale. On observe ainsi qu’avec
une élitisation accélérée des partis politiques, ceux-ci observent des taux de militance en constante diminution et une
méfiance croissante de la part de l’électorat à leur encontre. Voir MANIN, B., Principes du gouvernement
représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995]. 5 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions… », op. cit., p. 24.
13
Autour du concept de « coalit ion gouvernementale ».
Si l’étude des coalitions gouvernementales, a effectivement connu plusieurs « vagues »
successives de mises à jour et d’élargissement heuristique, il est paradoxal que l’objet-même de
leur étude n’ait pas bénéficié d’un traitement conceptuel rigoureux. Les coalitions
gouvernementales y sont considérées la plupart du temps comme une « variable » d’analyse.
William Riker, considéré comme le « père » des coalition theories, prévenait pourtant que:
« Ce type d’événement est, à n’en pas douter, d’un intérêt crucial pour les sciences humaines,
mais ils n’ont, pour l’heure, admis aucune définition précise, ce qui est pourtant si nécessaire à
tout travail scientifique ».1
Dès lors, en fonction du champ d’application précédemment présenté, et suivant Jordi Matas et
René Mayorga, admettons de manière préliminaire qu’une coalition gouvernementale est avant
toute une alliance de partis entre partis, qui suppose un minimum de solidité et d’entente durable
sur une large liste de sujets2. Or, en repassant la littérature, nous pouvons trouver de nombreuses
combinaisons conceptuelles pour traiter de ce phénomène apparemment simple. A ce titre, peut-on
inclure à notre définition partielle de coalition gouvernementale : a) un parti au pouvoir qui
recevrait des soutiens plus ou moins sporadiques de la part de partis structurés ou parlementaires
isolés et/ou indépendants? 3
; b) un gouvernement composé de personnalités dites d’ « ouverture »,
sans l’appui de leur parti d’origine; c) un seul parti au gouvernement, qui aurait de nombreuses
fractions internes ?; d) un gouvernement composé d’un parti dominant et de partis personnalistes à
caractère satellitaire ?; enfin e) les gouvernements dits « d’Union Nationale »?
Déconstruction4 du concept de « coalitions gouvernementales »
L'exercice du pouvoir de manière coalisée suppose une responsabilité collective et une capacité
à rendre des comptes, notamment électifs, qui ne saurait être effective ou complète si elle ne
1 RIKER, W., The theory of political coalitions, New Heaven, Yale University Press, 1962, p.5, traduction propre.
2 MATAS, J., “Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe
congrès de l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003;
MAYORGA, R., “Presidencialismo parlamentarizado y gobiernos de coalición en Bolivia”, in LANZARO, J., Tipos de
presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 101-135. 3 David Baron propose en effet que: "[t]he term government will be used to refer to the parties that do not vote against a
motion of confidence on a policy proposal". Voir BARON, D., “A spatial bargaining theory of government formation
in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, p. 138. 4 A la manière de Derrida et Boltanski. Voir DERRIDA, J., L’écriture et la differance, Seuil, Paris, 2006 [1967] ;
BOLTANSKI, L., Les Cadres, Editions de Minuit, Paris, 1982.
14
reposait que sur de simples « soutiens » législatifs plus ou moins sporadiques. Un gouvernement de
coalition suppose donc un partage des portefeuilles ministériels entre plusieurs forces politiques.
Par conséquent, aucun des cinq cas de figures présentés précédemment n’entre dans la définition
que nous adoptons de ce concept.
En effet, les coalitions sporadiques ou ad hoc (« a ») ne supposent un recours que ponctuel à la
négociation autour, essentiellement, de politiques publiques et/ou soutiens parlementaires. Quand
bien même ces soutiens seraient renouvelés voire systématiques, ils n’impliquent pas de
responsabilité partagée de l’action gouvernementale. Ce cas de figure peut être considéré, tout au
plus, comme une « coalition législative »1 temporelle (« ponctuelle », « répétée », « systématique »
etc.). Un exemple parfait est le cas Uruguayen marqué par le soutien pratiquement systématique du
Partido Nacional auprès du gouvernement du Partido Colorado du président Batlle, après le retrait
des ministres blancos en novembre 2002. Après avoir retiré, en pleine crise économique,
l’ensemble de ses ministres du gouvernement de coalition du Dr. Batlle, le Partido Nacional a
adopté une posture de soutien systématique des projets législatifs proposés par le Partido Colorado.
Mais c’est bien le seul Partido Colorado qui assume la responsabilité politique au niveau
gouvernemental.
Le second cas dit de « gouvernement d’ouverture » (« b »), correspond à ce qu’Octavio Amorim
Neto nomme gouvernement de cooptation2. Bien plus qu’un accord entre partis, il s’agit d’un
accord entre individus, où une personnalité politique dont la trajectoire politique est plus ou moins
clairement identifiée, rejoint un gouvernement d’une autre « couleur politique » sur des bases qui
lui sont personnelles (ambition, affinités, opportunité, « sens du devoir », etc.…), sans l’appui et les
ressources (politiques, financières, organisationnelles) de sa formation politique d’origine. Ce type
de recours constitue un coup politique de la part du président, notamment à l’encontre de
formations concurrentes, via l’attraction d’un membre plus ou moins influent. Il s’agit également
d’une stratégie d’élargissement de sa base électorale, lorsque la personnalité est populaire. Ce
procédé peut néanmoins contenir un coût politique non négligeable, à la fois pour le gouvernement
(problème de « culture politique », éloignement de la base électorale traditionnelle, etc.…) et pour
la personnalité (aliénation et discrédit politique)3. Ce cas de figure est, en outre, à rapprocher des
1 Vincent Lemieux parlerait d’ « agrégats ». Voir LEMIEUX, V., Les coalitions, liens transactions et contrôles, PUF,
Paris, 1998 ; et Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval,
Laval (Québec), 2006. 2 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presiential regimes… » op. cit.
3 Un cas récent de cooptation partisane est la présence de Julio Cobos, membre originel de l’Unión Cívica Radical
(UCR), dans le « ticket présidentiel » de Cristina Fernández de Kirchner, en tant que vice-président de celle-ci, lors de
son premier mandat. Ainsi, bien que quelques membres l’aient suivi (ceux-ci, appelés les “Radicaux K”, pour Kirchner)
ils l’ont fait à titre individuel, l’UCR maintenant une posture d’opposition systématique au gouvernement. Par la suite,
15
gouvernements incluant massivement des ministres “indépendants”, comme lors des présidences de
Carlos Menem (1989-1999). La présence de technocrates1 suppose en effet une dimension a-
partisane, où la négociation ne se fait pas sur des bases politiques et/ou programmatiques, bien
qu’elle contienne généralement une empreinte idéologique. Dès lors, technocrates et indépendants
ne représentent pas une donnée pertinente de caractérisation de gouvernement de coalition2.
Les gouvernements monopartisans, où le parti au pouvoir contiendrait des fractions3 plus ou
moins institutionnalisées (cas « c »), ne sauraient, non plus, constituer des gouvernements de
coalition. En effet, ces partis fonctionnent de manière confédérée, c'est-à-dire que ce sont les
courants internes (ou « fractions » lorsqu'ils sont plus structurés) qui ont conduit à la formation du
parti. Dans ces types de partis, les fractions internes peuvent parfois diverger idéologiquement sur
divers points4, formant un « conglomérat complexe, pourvu d'identités propres et les marques de
leur biographie historique »5. Pour autant, les partis sont, par principe, des coalitions d’individus
qui décident de se regrouper suivant des considérations politiques, où l’idéologie ne constitue pas
nécessairement l’unique substrat identitaire6. Le regroupement autour d’une même marque
politique7 peut être ainsi le fruit de considérations stratégiques, historiques, conjoncturelles, etc. Or,
bien que ces « sous-partis » peuvent avoir un potentiel structurel et organisationnel relativement
fort8, et peuvent, en outre, avoir un potentiel de chantage
9, ces fractions ne sauraient néanmoins
constituer de « parti dans le parti ». En effet, aussi identifiables et structurées soient-elles ces
fractions n'en sont pas pour autant indépendantes de la structure de décision centrale du parti (à
moins de venir à quitter celui-ci). On observe ainsi dans ce type de parti une organisation formelle,
stable, permanente et présente sur pratiquement l'ensemble du territoire10
. Bien que ne fonctionnant
la majorité d’entre eux retourneront dans l’opposition, notamment à partir de juillet 2008 après le vote « non positif »
du vice-président Cobos sur un projet de loi de taxes à l’exportation du secteur agricole. Seul Julio Cobos restera à son
poste de vice-président formant ainsi un cas atypique de cohabitation présidentielle. 1 Nous n’entrons pas dans le débat autour des conceptions de “technocrates” et “technopols”. Voir DOMÍNGUEZ, J.,
Technopols, freeing politics and markets in latin America in the 1990s, Pennsylvania State University Press, 1997.
Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris, 2002. 2 Ceci ne signifie pas pour autant que nous considérions les technocrates comme des acteurs non pertinents, ni que les
gouvernements technocratiques soient astreints de responsabilité politiques. 3 Pour une distinction entre “fractions”, “factions” et “courants”, voir SARTORI, G., Parties and party system, ECPR-
Oxford University Press, Oxford, 2006 [1976]. 4 Comme c’est le cas du Frente Amplio uruguayen.
5 Certains conservent d’ailleurs le titre de “parti”. Voir LANZARO J., – “El Frente Amplio: un partido de coalición,
entre la lógica de oposición y la lógica de gobierno”, in Revista uruguaya de ciencia política, No.12, 2001, pp. 35-67. 6 LAPALOMBARA, J., et WINER, M., Political parties and political developpement, Princeton University Press,
1966. 7 OFFERLÉ, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006
8 ZUCKERMANN, A., « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-
443 9 Lorsque suffisamment structurés ils peuvent menacer de quitter le parti, soit i) pour en former un nouveau parti, soit
ii) pour rejoindre un autre parti concurrent 10
LAPALOMBARA, J., et WINER, M., op. cit.
16
pas de manière aussi « unifiée », ces partis sont semblables aux partis « catch all » décrits par
Kirscheimer1. Leur caractère confédéré renvoie à ce que Jorge Lanzaro définie comme « parti de
coalition ». Le cas Uruguayen du Frente Amplio vient illustrer ce propos. Si celui-ci était
effectivement une coalition de partis lors de sa fondation en 1971, qui regroupait entre autres les
partis d’ « idéologie »2 uruguayen comme le Parti socialiste, le Parti communiste, la Démocratie
chrétienne, etc., ce rassemblement a entamé une profonde convergence durant et au sortir de la
dictature civico-militaire (1973-1985), au point de construire une véritable « fusion »3 des
différents membres autour d’une marque partisane unifiée « frente amplista » structurée et stable4.
Aussi, bien que les anciennes sous-structures (lemas) aient gardé leur dénomination d’origine
celles-ci ne constituent plus que des fractions internes au parti « Frente Amplio »5.
Les gouvernements formés d’un parti dominant et de proto-partis, à caractère personnaliste et
satellitaire (cas de figure « d »), n’entrent pas non plus dans la conception de gouvernement de
coalition, pour les mêmes raisons que nous avons exclu les cas de cooptation de ministres et les
gouvernements technocratiques. Ces cas de figures constituent, en effet, davantage une stratégie
d’implantation locale entre un parti à vocation gouvernementale et un parti personnaliste,
d’implantation essentiellement locale, gravitant autour de structures partisanes institutionnalisées et
sans autre projet que l’accession du caudillo à des responsabilités gouvernementales6. Il ne s’agit
donc pas d’un cas de négociation entre institutions partisanes, mais plutôt d’un marchandage
politico-électoral. Les gouvernements de Carlos Menem et Cristina Fernández de Kirchner, en
Argentine, sont illustratifs de ce type de configuration, où pour cette dernière sa formation politique
le Frente Para la Victoria (FPV), fraction dominante du Partido Justicialista (PJ), a scellé des
accords avec une multitude de partis personnalistes et/ou proto partis satellites du PJ, tel que le
Frente Grande, jadis fraction du FREPASO (Frente Pais Solidario), et aujourd’hui parti
testimonial, satellite du FPV.
1 KIRSCHEIMER, O., « The Transformation of Western European Party System », in LAPALOMBARA, J., et
WINER, M., op.cit. 2 YAFFÉ, J., Al centro y adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Ed. Linardi
y Risso, Montevideo, 2005. 3 DI TELLA, T., Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos-Aires, 2003
4 Avec un président de parti, une assemblée nationale, et des comités locaux.
5 Ceci constitue de fait le principal écueil des travaux portant sur l’Uruguay de la part d’universitaires non spécialistes
qui se focalisent sur l’appellation des fractions pour en déduire qu’il s’agit in fine d’une coalition partisane. 6 On ne saurait confondre ce type de partis avec les partis régionalistes, qui bien qu’ils se limitent à une implantation
locale, disposent d’une structure organisationnelle et revendicative au-delà de la simple figure d’un leader local. Voir
RENIU, J.M., et ALBALA, A., “Los gobiernos de coalición y su incidencia sobre los presidencialismos
latinoamericanos: el caso del Cono Sur”, in Revista de Estudios Políticos, No. 155, 2012, pp. 101-150.
17
Enfin, le cas de figure des gouvernements d’Union Nationale ou « Grandes coalitions » (« e »),
peut paraître le plus discutable. S’il s’agit bien, généralement, d’accords entre partis dans le but
d’assumer un gouvernement coalisé et une reddition des comptes partagée, cette configuration pose
néanmoins deux problèmes. Tout d’abord, ce type de gouvernement en système présidentiel suit
une logique différente de ce qui existe en système parlementaire, où l’absence d’une majorité
parlementaire au sortir d’une élection peut conduire à la formation d’un gouvernement de ce type1.
En système présidentiel, la séparation des pouvoirs fait que le président ne « nécessite » pas d’une
majorité parlementaire pour se maintenir au pouvoir2. Or l’accession au poste de président de la
République découle nécessairement du vote populaire, où l’un des candidats a obtenu une majorité
de voix –relative ou absolue en fonction des lois électorales. Dès lors, les fondements de ce type de
gouvernement d’union nationale, en régime présidentiel, ne se trouvent donc pas dans un processus
politique de fonctionnement « normal », mais procèdent d’événements critiques particulièrement
sensibles et ponctuels3 (réconciliation nationale, guerre, etc…). Enfin, suivant certains cas, ce
phénomène peut également consister en une stratégie hégémonique de la part des acteurs politiques
dominants, d’exclusion politique d’acteurs tiers4.
L’adaptation aux régimes présidentiels
A la suite de ces considérations phénoménologiques et du processus de déconstruction
conceptuelle, il est donc nécessaire de souscrire à une définition raisonnablement stricte pour
délimiter le champ d’étude et éviter les à-peu-près méthodologiques et autres chats-chiens
conceptuels5. Cette définition doit être, également, suffisamment large pour pouvoir établir des
1 Le cas récent allemand de grande coalition entre la CDU et le SPD, entre 2005 et 2009, en est un parfait exemple.
2 De part l’absence de vote de confiance/ défiance notamment, même s’il existe des procédures, lourdes, de jugement
politique ou « impeachment ». 3 Nous nous inscrivons ainsi en accord avec la conception de Bogdanor qui considère nécessaire la tenue d’une
compétition électorale effective. Voir BOGDANOR, V., Coalition government in western Europe, Londres,
Heinemann, 1983. 4 Le cas colombien du Frente Nacional (1958-1974), en est un bon exemple, où les deux partis traditionnels, le parti
conservateur et le parti libéral, ont passé un accord d’alternance au pouvoir afin de se succéder l’un l’autre, tout en
excluant les autres mouvances politiques. Cette pratique est à l’origine de l’apparition des mouvements de guerrilla de
type marxiste, telles les FARCS ou autres M18. Voir ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas
prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in
Estudios Políticos, Vol. 9, No. 24, 2011, pp. 153-180. 5
En accord avec Giovanni Sartori “Bien comparer; mal comparer”, in Revue Internationale de Politique Comparée,
Vol. 1, No.1, 1994, pp. 19-36. Quant à l’absence de critères conceptuels comparables, retenons les travaux de
SUNDQUIST, J., "Needed: a political theory for the new era of coalition government in the United States", in Political
Science Quarterly, N° 103, Vol. 4, 1988, pp .613-635; POLSBY, N., “Does congress work”, in Bulletin of American
Academy of Arts and Sciences, Vol. XLVI, No. 8, 1993, pp. 30-45; ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão:
o dilema institucional brasileiro”, op. cit.; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government
18
éléments de comparaison notamment avec les systèmes parlementaires1. Sans chercher à recourrir à
une approche particulariste et encastrée dans un seul système institutionnel, nous insistons
néanmoins sur le caractère central de la figure du président, notamment dans la négociation et la
distribution des portefeuilles ministériels. En conséquence, le concept de coalition
gouvernementale, que nous aborderons dans le cadre institutionnel du « présidentialisme de
coalition », suppose un regroupement de partis politiques qui s'accordent à poursuivre une action
de gouvernement commune, autour d’un formateur présidentiel, et qui mettent en commun le
ressources politiques, organisationnelles et financières de chacun des participants, aboutissant à
une répartition équilibrée des principaux ministères. Cette coalition gouvernementale est alors
appuyée par une « coalition législative », proportionnelle de ses membres au parlement, et peut
découler d’une coalition électorale. Le tout est englobé dans le terme plus générique de « coalition
de partis ».
A partir de cette définition, il est possible d’établir une typologie des coalitions
gouvernementales, à l'image des travaux d'Octavio Amorim Neto2, en fonction de quatre éléments
(ou « variables »): i) la dimension temporelle (« timing ») et son degré de précocité (pré/ post)
électoral ; ii) la nature du pacte (coalition négative/ homogène) ; iii) la publicité et la portée3 de
l’accord et iv) la répartition des acteurs en présence (coalition équilibrée/ déséquilibrée).
Intérêt de la recherche
Les coalitions gouvernementales ont constitué un champ d’études particulièrement fertile dans la
littérature en science politique, à l’exception notoire de la littérature française4. Partant du constat
coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, in British Journal of Political Science,
Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587. 1 En accord avec les travaux de Collier et Levitsky, Seiler et Munk. Voir COLLIER, D., LEVITSKY, S., “Democracy:
conceptual hierarchies in comparative research”, in COLLIER, D. et GERRING, J., Concepts and method in social
science: the tradition of Giovanni Sartori, Routledge, Londres, 2009, pp. 270-288; SEILER, D.L, La méthode
comparative en science politique, Armand Colin/Dalloz, Paris, 2004 ; MUNK, G., “Canons of research design in
qualitative analysis”, in Studies in Comparative International Development, Vol. 33, N°3, 1998, pp 18-45. 2 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presiential regimes… » op. cit.
3 Notamment les considération de Royed sur la porté complète et publique des accords. Voir ROYED, T., “Testing the
mandate model in Britain and the United States: Evidence from the Reagan and Thatcher Eras”, in British Journal of
Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80. 4 La littérature française en science politique ne compte en effet aucune étude portant sur ce phénomène jusque l’année
2009, hormis l’article de BONNET G., et SCHEMEIL, Y. « La théorie des coalitions selon William Riker: Essai
d'application aux élections municipales françaises de 1965 et 1971 » in Revue française de science politique, Vol. 22,
No. 2, 1972, pp. 269 – 282 ; qui n’est en fait qu’une relecture critique de la théorie de Riker, appliquée au cas des
élections municipales de 1971. A ce titre, Nicolas Bué et Fabien Desage proposent trois pistes majeures pour
comprendre ce désintérêt de la littérature française: i) l’évolution de la science politique française peu orientée vers
l’étude des partis comme institutions; ii) le fort degré de présidentialisme, rendant les coalitions gouvernementales
19
empirique que la majorité des démocraties occidentales –donc parlementaires- connaissaient ce
phénomène tant dans l’action politique, électorale ou mobilisatrice que dans la pratique de
gouvernement, de nombreux universitaires se sont attelés à l’étude de ces phénomènes. Toutefois,
la littérature portant sur les coalitions gouvernementales en régimes présidentiels reste à ce jour
décevante. En effet, bien que les travaux liminaires de Gamson1 et surtout Riker
2 aient été amendés
et enrichis par des travaux empiriques, la grande majorité des études portant sur le phénomène
présentent, en plus des imprécisions conceptuelles relevées précédemment, certaines limites
épistémologiques et phénoménologiques.
Epistémologiques car si la majorité des travaux cherchent à établir des modélisations
généralisantes, la plupart néglige les dimensions conjoncturelle, historique et culturelle lors de
l’analyse des processus de coalitions politiques3. Le recours à l’abstraction mathématique
4, fait que
la majeure partie de ces études se caractérisent souvent par un positivisme normatif –tout
particulièrement dans les cas portant sur les systèmes présidentiels. Si cette critique peut
s’appliquer plus généralement à toute démarche déductive, elle est d’autant plus appropriée dans le
cas de l’étude des coalitions politiques et gouvernementales, qui ne sauraient se limiter à de simples
agrégats de variables, à forte teneur (ou ‘dépendance’) institutionnelle. En outre, ce recours à la
modélisation et complexisation, contribue à considérer les études sur les coalitions politiques, et a
fortiori les coalitions gouvernementales, comme un sous-champ abstrait de la science politique, où
les coalitions politiques s’établiraient, et se prévoiraient, sans tenir compte de leur essence: les
relations politiques des partis entre eux, et vis-à-vis de leur électorat.
Les principales limites phénoménologiques portent sur la focalisation des terrains d’études des
coalition theories sur les démocraties parlementaires d’Europe occidentale. il est notamment
frappant de constater l’absence d'études croisées entre systèmes parlementaires et présidentiels5.
Par souci d’économie de temps et surtout d’analyse, ou parce qu’ils s’inscrivent dans le débat
comme un « fait du prince » ; et iii) la supposée polarisation de la société française, rendant inutile l’élaboration de
travaux prédictifs, tant les coalitions apparaissaient comme « évidentes », voir BUÉ et DESAGE, op. cit . Voir
également la thèse, non publiée, de Nicolas Bué « Rassembler pour régner négociation des alliances et maintien d’une
prééminence partisane: l’union de la gauche à Calais (1971-2005) », Université de Lille 2, Décembre 2006. 1 GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961, pp. 373-382.
2 RIKER, W., The theory of political coalitions, op. cit
3 Voir néanmoins LUPIA, A., et STRØM, K., « Bargaining transaction costs, and coalition governance », in STRØM,
K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining : the democratic life cycle in western Europe,
ECPR/ Oxford University Press, 2008, pp. 51-84. 4 Notamment dans l’analyse de la distribution des postes à pourvoir. Voir entre autre SCHOFIELD, N., “Political
competition and multiparty coalition gouvernements”, in European Journal of Political Research, n°23, 1993, pp. 1-33. 5 Récemment une première ébauche a été avancée. Voir RAILE, E., PEREIRA, C., et POWER, T., “The executive
toolbox: building legislative support in a multiparty presidential regime”, in Political Research Quarterly, Vol. 64, No.
2, 2011, pp. 323-334; et CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative
success under presidentialism and parliamentarism”, op. cit. Enfin, aucun travail d’envergure, non journalistique, ne
traite de la comparaison avec les systèmes hybrides, dits « semi-présidentiels » ou « premier-présidentiels ».
20
Parlementarisme vs/ Présidentialisme1 -où pendant longtemps a régné un consensus autour du
caractère ‘‘accidentel’’ voire négatif des coalitions en système présidentiel-, la grande majorité de
ces travaux souffrent à la fois d’un ethnocentrisme marqué et d’une absence d’universalisme2
comparatif dans l’élaboration de modèles ou théories explicatives. En conséquence, les études qui
portent exclusivement sur les systèmes présidentiels sont à la fois moins nombreuses mais aussi
moins riches et variées. On observe en effet que ces travaux abordent généralement une démarche
unique, qui se focalise presque exclusivement autour d’une analyse à partir de la théorie des jeux
et/ou de « l’environnement » institutionnel3. Or, la démarche récente et -en constante expansion-
des études parlementaristes repose sur le principe de multi-dimensionnalité de l’analyse, ce qui
suppose une prise en compte à la fois de différents facteurs (ou « variables ») d’analyse, ainsi que
des finalités des coalitions.
L’objectif de cette thèse est à ce titre double. Il consiste d’abord à procéder à une mise à jour de
l’analyse des gouvernements de coalition, en portant le champ d’analyse sur les régimes
présidentiels sud-américains, au travers de l’étude des expériences récentes des trois pays du cône
sud. Il s’agit ainsi de « présidentialiser4 » l’étude des coalitions, en considérant les caractéristiques
spécifiques à ce type de régime. Par conséquent, cette thèse s’inscrit dans la lignée du débat
théorique initié par Linz5, sur les vertus et « périls » des systèmes présidentiels de gouvernement,
en nous inspirant des travaux encore incomplets qui portent sur le « présidentialisme de coalitions »
et qui vont à l’encontre de tout déterminisme institutionnel et culturel6.
Le second objectif repose sur l’établissement constant d’une double analyse comparée: entre les
différentes expériences « présidentielles » tirées du terrain d’étude et, indirectement, avec celles
ayant cours dans les régimes parlementaires d’Europe continentale. De ce fait nous partons du
principe de transposabilité des études sur les coalitions gouvernementales en système
1 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, vol. 1, no. 1, 1990, pp. 51-69; et LINZ, J.J., et
VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, 1994 2 Ce qui semble contradictoire avec l’approche utilitariste de laquelle s’inspirent la plupart de ces travaux.
3 A noter, néanmoins, les exceptions des travaux réunis par ZOVATTO, D., et OROZCO, H., Reforma política y
electoral en América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008; et LANZARO
2001, op cit. A noter également les efforts d' Octavio Amorim Neto de classifier les coalitions en fonction de la nature
des participants et des relations entre l'exécutif et le législatif. Voir AMORIM NETO « Cabinet formation in presiential
regimes… » op. cit.. 4 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in
Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483 5 Le premier texte de Linz sur les périls du présidentialisme remonte à 1978 avec le volume: “Crisis breakdown and
reequilibration” in LINZ, J.J., et STEPAN, A., The breakdown of democratic regimes, vol.1, Johns Hopkins University
Press, Baltimore, 1978. La charge “directe” contre les systèmes présidentiels étant développée douze ans plus tard
dans: LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, op. cit. 6 Voir à ce titre les travaux réunis dans LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América
Latina, op cit.
21
parlementaire sur les systèmes présidentiels, tout en défendant l’idée d’une spécificité de ces
derniers et donc d’une adaptation nécessaire de la théorie.
Cadre théorique de la thèse
Dès lors, le « sillon » théorique adopté dans cette recherche s'inscrit en parallèle avec la plupart
des travaux publiés jusqu'à présent, traitant des coalitions gouvernementales en système
présidentiel. En effet l'approche institutionnaliste, utilisée de manière hégémonique dans ces
travaux ne permet pas de comprendre, à elle seule, les mécanismes propres au fonctionnement de
gouvernements coalisés1. Si les institutions peuvent jouer un rôle facilitateur ou « contraignant »
dans les options politiques (notamment du fait de la loi électorale), les comportements politiques et
les affinités politiques sont autant d’éléments, parmi d’autres, qui viennent entrer en jeu à l’heure
de former des alliances politiques2. De plus, si la plupart des travaux semblent s’intéresser aux
seules « pages roses »3 des gouvernements de coalition, à savoir leur formation (mariage) et/ou
dissolution (divorce), ce qui se passe entre ces deux moments (disons « la vie de couple ») est, de
manière assez surprenante, presque totalement délaissé. En d’autres termes, nous ne savons que peu
de choses, en analyse comparée, sur les types de gouvernance en coalition4, et sur la perception des
gouvernements de coalitions, notamment en termes de reddition de comptes (accountability). Enfin,
une autre dimension habituellement délaissée et dont la considération est centrale, est la dimension
temporelle (ou le « cycle de coalition), ramenée à : a) l'origine contextuelle, b) la nature (formelle
ou non) et c) les objectifs du pacte initial. La question est donc de savoir si les cycles de coalitions
en régime présidentiel sont semblables à ceux constitutifs des régimes parlementaires5.
Nous nous inscrivons ainsi de manière résolue, dans une approche qualitative comparative6 et
multiniveau du phénomène des coalitions gouvernementales. On a vu apparaître, en effet, ces
dernières années de nombreuses études multidimensionnelles, s'intéressant pêle-mêle aux logiques
1 Nous relèverons les limites –empiriques- de l’analyse centrée sur les institutions dans le chapitre 2.
2 En paraphrasant Lupia et Strøm, « aussi importantes soient-elles les institutions ne sont pas tout ». Voir LUPIA, A., et
STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the future”, in
STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008, p.
56. 3 Müller et Strøm parlent de la « Hollywood story » des coalitions. Voir MÜLLER, W.C., et STRØM K., Coalition
government in western Europe. Oxford University Press, 2000. 4 PRIDHAM, G., Coalitional Behaviour in Theory and Practice, in Cambridge University Press, 1986; STRØM, K.,
MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008 5 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining…op. cit.,p.10.
6 De type “cross case”, voir BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking social inquiry diverse tools, shared standards,
Rowman and Littlefield, Lanham, 2004
22
internes1, à la culture politique locale
2, ou aux mécanismes de gestion de crises
3. Les travaux de
Lupia et Strøm4 et Matas
5, constituent des référents dans cette approche multivariée. L'important
est pour eux de définir le champ d’analyse propre à la formation et la « gouvernance » des
gouvernements de coalitions que l'approche institutionnelle, à elle seule, ne parvient à établir de
manière satisfaisante. D’où la nécessité de considérer le processus de négociation en insistant aussi
bien sur la dimension interne des partis (négociation intra-partisane) -tels que les mécanismes de
discipline partisane, de sélection des candidats, etc…-, qu'à leurs relations entre eux (négociation
inter-partisane). A cela vient se greffer le contexte de négociation lié à la pratique de la politique et
le système politique (système de partis, système électoral, etc.), comme le montrent Reniu et
Bergman:
« L'intérêt de l'étude se déplace depuis la simple combinaison arithmétique des partis, nécessaire
pour les théories formelles, vers les différentes formes que peuvent prendre les comportements
coalitionnaires des partis politiques, en fonction de différents objectifs que poursuivent ceux-ci. »6
Puisqu’il s’agit ici de procéder à une mise à jour de l'analyse des gouvernements de coalitions
des régimes présidentiels du cône sud, en se basant sur les travaux récents propres à l'étude des
systèmes parlementaires, c'est-à-dire en ouvrant le champ et en diversifiant l'approche d'analyse.
Nous prendrons alors comme point de départ les travaux récents de Strøm et alii7, qui centrent leur
analyse autour de six axes (ou « variables indépendantes »): i) les facteurs contextuels et la tradition
et culture politique, ii) les « caractéristiques structurelles » (en particulier ce qui à trait aux
systèmes partisans), iii) les caractéristiques des acteurs et leur affinités respectives8, iv ) les
institutions et les modes de scrutin (tout ce qui a trait à la loi électorale avec un accent portée sur les
1 BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation” in Party Politics, Vol. 14, No. 1, 2008, pp. 71-89
2 Voir notamment STRØM, K. 1990a, op. Cit; MÜLLER, W., et STRØM, K., 2000 op cit; MATAS, J., Coaliciones
políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000; RENIU, J.M., op. cit. 3 Voir entre autres LAVER, M., “Devided parties, devided government”, Legislative Studies Quarterly. Vol. 24. No.1,
1999; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press,
1994; LAVER, M., et SHEPSLE, K Making and breaking governments, Cambridge University Press, 1996. 4 LUPIA A., et STRØM, K., 2008 op cit
5 MATAS, J., Coaliciones políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000
6 RENIU, J.M. et BERGMAN, T. “Estrategias, objetivos y toma de decisiones de los partidos políticos españoles en la
formación de gobiernos estables”, in Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, p. 64. 7 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining…op. cit
8 Les auteurs parlent des « préférences des acteurs », en fonction du degré de probabilité de coalition. Ce facteur, plus
propre aux systèmes parlementaires sera remplacé par une analyse de path dependance et de positionnement/auto-
positionnement de la part des acteurs en présence, notamment vis-à-vis de clivages structurants. Nous reprendrons
également une analyse critique de la conception portant sur l’unicité des partis, en partant des travaux de Zuckermann
portant sur les factions internes de chaque parti. Voir ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition »,
in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443
23
réformes constitutionnelles des dernières années), v) les « événements critiques » le plus souvent
imprévus1, et enfin vi) le contexte ou « climat » de négociation.
Pour autant, l’application, tel quel, du modèle d’analyse autour de ces six « variables », et sa
transposition sur les régimes présidentiels, ne recouvrirait qu’un faible intérêt, au regard de l’objet
de cette recherche. D’où la nécessité de procéder à une actualisation de ces éléments de causalité en
vue de les rendre plus proches de la réalité des systèmes présidentiels, en mettant l’accent sur deux
facteurs que nous considérons centraux aux présidentialismes, à savoir la temporalité et la présence
de clivages « structurants »2.
Il s’agit d’adopter, tout d’abord, une dimension temporelle bidimensionnelle, aussi bien
synchronique que diachronique. En effet, tout accord de coalition ne se souscrit pas ex nihilo mais
procède des expériences et événements provenant du passé3, et d’éventuelles expectatives sur le
futur. Il est donc nécessaire d’identifier, dans une perspective de la dépendance du sentier4, les
« événements critiques »5 qui ont conduit à la formation du pacte, ainsi que la précocité de celui-ci
vis-à-vis du calendrier électoral. En effet, là où la plupart des travaux se concentrent sur une
dimension post-électorale –raccord avec les processus des systèmes parlementaires-, la question est
de voir si cette approche temporelle, quant à la formation de coalitions politiques, est pertinente
pour l’étude du phénomène en régime présidentiel, sachant que dans ces configurations
constitutionnelles le vote fait office de couperet et détermine l’identité du chef du gouvernement.
Via l’étude de la temporalité des coalitions du Cône Sud, l’analyse procède donc à une approche
cyclique plus ample afin de voir si ces phénomènes relèvent davantage d’accords pré-électoraux,
voire d’entre-deux-tours, lorsque la loi électorale prévoit cette possibilité.
Par ailleurs, les coalitions politiques qui débouchent sur des coalitions de gouvernement, sont le
fruit et à la fois l’expression de « lignes de démarcations sociales »6 et politiques organisées autour
de clivages structurels. Ainsi, en nous basant sur les travaux de Bartolini et Mair7, nous définissons
1 A ce titre la phase de transition à la démocratie avec ses incertitudes et les crises économiques (particulièrement celle
de 2001 pour sa forte valeur comparative) 2 ZUKERMAN, A., « Political cleavage: a conceptual and theoretical analysis », in British Journal of Political Science,
Vol. 5, No. 2, 1975, pp. 231-248. 3 Francklin et Mackie avancent en effet que: “the formation of a governing coalition should be viewed as part of a
historical sequence of events in which past experience plays an important role”, in FRANKLIN, M., et MACKIE, T.,
« Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary democracies », in British Journal of
Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, p. 276. 4 Voir PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science
Review, Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267 5 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, Princeton University Press, 1991.
6 BARTOLINI, S., « La formation des clivages », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, No. 1,
2005, pp. 9-33. 7 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability: the stability of European electorates,
1885-1985, Cambridge University Press, 1990.
24
le concept de clivage comme une combinaison d’orientations autour d’intérêts ancrés dans la
structure sociale, culturelle ou idéologique de la société, ordonnançant celle-ci autour de pôles
d’appartenance identitaires marqués et identifiables. Pour qu’il soit « total » ou « structurant », le
clivage doit s’exprimer de manière tridimensionnelle : 1) d’un point de vue structurel (être présent
et pertinent au niveau sociétal) ; 2) institutionnel (en ayant une représentation et en créant une
démarcation politique) ; et 3) mobilisatrice (les agents entrent en relation autour de celui-ci). En
l’absence de l’une de ces trois dimensions nous sommes, comme dirait Kevin Deegan Krause, en
présence de « quelque chose de moins » qu’un clivage1.
La complexité des sociétés aidant, y compris dans les sociétés ethniquement et culturellement
homogènes, conduit à une multiplicité voire « superposition » de clivages que façonnent et/ou
récupèrent les acteurs politiques. En effet, la théorie des clivages insiste bien sur le fait que ce sont
les partis politiques qui forment les champs d’élaboration et de structuration des principaux
clivages2. L’idée d’une vision « figée » des systèmes de partis et des lignes de démarcations, ainsi
que les causalités « mécaniques », propre aux travaux centrés sur les institutions, paraissent limitées
à l’heure d’étudier les comportements partisans. D’où la nécessité d’adopter une approche qui
insiste sur le caractère dynamique et endogène des liens entre système partisan et clivage
structurant. Ces derniers ayant, nous l’avons mentionné, un impact sur les « options de coalitions »,
en cristallisant la compétition électorale3.
Notons, de manière préliminaire, que l’alignement partisan ne se structure pas nécessairement
sur des bases idéologiques ou programmatiques4, comme il est le plus souvent appréhendé. En
outre, à l’inverse de ce que l’on peut observer dans la majorité des pays d’Europe continentale,
dans les régimes présidentiels du Cône Sud, les clivages s’imbriquent5 autour d’un clivage
structurant (ou « super-clivage »), plutôt qu’ils ne se croisent entre eux. Tout « mouvement
1 DEEGAN KRAUSE, K., “New dimensions of political cleavage”, in DALTON, R.J., KLINGEMANN, H.D., The
Oxford Handbook of Political Behaviour, Oxford, Oxford University Press, 2007, pp. 538-544 2 Voir ainsi OFFERLÉ, M., Les partis politiques, op. cit ; ZUCKERMANN, A. 1975 op. cit. ; HAEGEL, F.
“Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France », in Revue Internationale de
Politique Comparée, Vol. 12, No. 1, Bruxelles, 2005, pp. 35-45 ; et MARTIN, P., « Comment analyser les
changements dans les systèmes partisans d’Europe Occidentale depuis 1945 ? » in Revue Internationale de Politique
Comparée, Vol. 14, No. 2, Bruxelles, 2007, pp 263-280. 3
Lispet et Rokkan parlent de la structuration des systèmes partisans d’Europe Occidentale, comme la résultante du
« gel » des principaux clivages sociaux et politiques. Ce concept de « gel des clivages » ayant été, de fait, le fondement
de nombreuses mésinterprétations de la part de chercheurs, en associant l’image de « gel » à une vision figée de la
compétition politique. Voir HOTTINGER, J., « Le 'dégel des clivages' ou une mauvaise interprétation de la théorie de
Lipset et Rokkan? », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 2, No. 1, 1995, pp. 4 Voir KITSCHELT, H. et alii, Latin American party systems, Cambridge University Press, 2010
5 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].
25
sismique »1 dans l’alignement et la compétition politique a des répercussions sur le clivage
structurant et, inversement, l’apparition ou la projection d’un nouveau clivage a des effets sur la
structuration de la compétition politique, et donc la formation ou le maintien de coalitions. Ces
caractéristiques entraînent la nécessité d’identifier ce clivage « structurant » la compétition
politique, et la formation et répartition des différents « blocs » politiques autour de celui-ci.
Ces différents éléments entrent dans l’analyse de l’étude des « préférences des acteurs » et des
« conditions de négociations », facteurs sont tout aussi liés au cadre institutionnel sans en être pour
autant dépendants. Enfin ce recours à l’analyse structurelle permet d’éclairer l’impact et la
compréhension des événements critiques « déclencheurs » des réalignements et réordonnancements
partisans.
Après cette contextualisation de la théorie, il est possible d’identifier les éléments de causalité
« présidentialisés » propres à cette thèse : i) la temporalité, mesurée par la précocité de l’accord
coalitionnaire, où nous porterons une attention particulière sur la nature des accords (formels/
informels) ; ii) les « événements critiques » à l’origine de la formation des coalitions, iii) la
structuration de la compétition politique exprimée par l’alignement autour de clivages ; iv) les
institutions et modes de scrutins ; v) la culture politique et gouvernementale et vi) le contexte ou
« climat » de négociation. Nous pouvons observer que le champ d’observation englobe à la fois la
dimension « externe » aux coalitions et la dimension interne, conciliant ainsi les deux traditions
sociologiques et institutionnalistes.
Hypothèses de recherche
Compte-tenu de l’objet de cette thèse, qui vise à analyser les phénomènes coalitionnaires en
régime présidentiel, en mêlant des considérations de types institutionnalistes (système politique et
système partisan), structurelles (organisation sociétale, culture gouvernementale et clivages socio-
économiques), sociologique (organisation interne des partis et des relations interpartisanes) et
contextuelles ; trois types de postulats sont avancés pour asseoir de manière précise l’orientation de
cette recherche.
Tout d’abord, hormis les cas de « grande coalition » ou « gouvernement d’union nationale », la
formation de gouvernements de coalition se réalise par définition sous une configuration pluri ou
multipartisane de compétition politique (postulat 1). Si les conditions ou « normes », qui
1 DELFOSSE, P., « La théorie des clivages. Où placer le curseur ? Pour quels résultats ? », in Revue internationale de
politique comparee, Vol. 15, No. 3, 2008, pp.363-388
26
conduisent à ce type de représentation partisane sont variées, cette configuration tend à être une
constante dans l’évolution politique récente en Amérique latine. Les configurations bipartisanes
ont, en effet, disparu du spectre latino-américain de représentation politique.
En outre, et en faisant abstraction des considérations politiques de cette évolution, notamment en
termes de stabilité politique et « gouvernabilité », les partis politiques sont considérés comme des
vecteurs d’expression (postulat 2). A ce titre ils participent à la publicisation et la construction des
demandes sociales et politiques, et sont les créateurs des lignes de démarcation. Autrement dit, ce
sont bien les partis qui créent les clivages. De fait, l’émergence de nouveaux partis, quand ils ne
résultent pas de scissions personnalistes, s’accompagne d’une position clivée vis-à-vis de
l’ensemble du système partisan. Cela implique toutefois de considérer le système partisan et la
structuration des lignes de démarcation, comme des éléments dynamiques qui évoluent dans le
temps. Cela conduit alors à un examen systémique des partis, et suppose la nécessité d’approfondir
l’étude en allant au-delà d’une considération des partis comme « acteurs indivisibles ».
Enfin (Postulat 3), les coalitions politiques, et a fortiori gouvernementales, viennent
s’imbriquer à mi-chemin entre les partis et l’environnement (système partisan), lequel fonctionne
comme un « sous-système » politique avec ses propres logiques et mécaniques internes. Les
coalitions viendraient donc participer de la structuration de la compétition politique, de
l’ordonnancement des partis et du système de partis. Or, si les « options » politiques sont plus
identifiables, les alliances électorales tendent à être plus précoces.
Ces postulats permettent d’orienter cette thèse autour des trois principaux facteurs de
« causalité » que nous avons considéré précédemment : i) les institutions ; ii) les éléments de
démarcation politique et sociale ; et iii) la temporalité politique (« timing »). L’intérêt de l'étude des
coalitions électorales puis gouvernementales ne repose pas uniquement sur la question de la
formation et du maintien de ces mêmes coalitions. Si la plupart des travaux ont jusqu'alors présenté
le système politique et le système de parti comme principaux garants des logiques coalitionnaires, il
est question ici de prendre une orientation différente en considérant à la fois « l’environnement » et
l’analyse du processus coalitionnaire en soi. Tout en se gardant d’une dimension positiviste ou
culturaliste, nous analyserons ainsi les mécanismes réciproques de « contrainte » et de
transformation.
Dès lors, l’expérience de gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels du Cône sud
a conduit ou renforcé l’apparition d’une nouvelle historicité politique, contribuant entre autre à un
réalignement des forces politiques. Hypothèse 1, Les coalitions gouvernementales en régime
présidentiel, se matérialisent et s’expriment de manière différente par rapport à celles ayant cours
en régime parlementaire. Le recours et la répétition de formes coalisées de gouvernement
27
contiennent, en régime présidentiel, une dimension « excluante » et limitée s’imposant sur le
système politique et les patrons de compétition électorale (Hyp. 1.1). En régime parlementaire, le
facteur temporel (postélectoral) et le caractère « croisé » des clivages en présence conduit à une
logique plus intégratrice ou « inclusive » entre les partis. Si tous les partis sont susceptibles de
s’allier entre-eux en système parlementaire, notamment en fonction du caractère post-électoral des
accords pour la formation d’une majorité parlementaire1, cette caractéristique pose un problème de
visibilité du gouvernement formé et de reddition de comptes2. Inversement (Hyp. 1.2), en régime
présidentiel, les coalitions paraissent plus visibles et identifiables. La matérialisation temporelle en
régime présidentielle est-elle pour autant plus précoce ? Ceci impliquerait que le vote en système
présidentiel multipartisan soit davantage « coalitionnaire » que partisan3, réduisant le rôle et
l’influence des partis se déclarant « du centre ». Cette hypothèse s’inscrit dans la continuité de celle
de Duverger sur la dualité des options politiques, en assumant que l’organisation du système de
coalitions, et son impact dual4, tendant à reproduire une bipolarité de fait de la compétition
politique.
Hypothèse 2, les partis, canalisateurs de l’expression des clivages structurants, procèdent, au
travers de l’expérimentation de gouvernements coalisés, à un processus double de création et mise
à jour du clivage ordonnant la compétition politique. La ligne de démarcation originelle (ou
« structurante ») est constamment alimentée, dans un but de marginalisation et différentiation
d’avec le(s) groupe(s) partisan(s) opposant(s). Cette rétro-alimentation des clivages est motivée par
un facteur de différentiation politique et électorale, et elle est impulsée depuis l’Etat. Autrement dit,
ce sont les coalitions de gouvernement bien plus que les partis d’opposition qui nourrissent et se
nourrissent des clivages. En outre, sans sous-estimer la pertinence et les effets de l’environnement
(notamment institutionnel), l’ensemble de la communication propre aux gouvernements coalisés
provient et dépend des acteurs de cette même coalition. Si les débats internes sont le fait de
1 STRØM, K., a démontré que la formation de gouvernements minoritaires en systèmes parlementaires est beaucoup
plus courante que ne le prévoyaient les théories parlementaristes jusque-là. Voir STRØM, K., Minority Government
and Majorty Rule, Cambridge University Press, 1990a 2 STRØM K., Ibid; MAINWARING, S., SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós,
Buenos Aires, 2002 [1997]. 3 BLAIS, A., et al se posent d’ailleurs cette question pour les systèmes parlementaires: “Do voters vote for government
coalitions?; Testing Down's pessimistic conclusions”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705. Pour un
contre-argument, peu persuasif, voir DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in
Multiparty Democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719. 4 Ou bipolaire, entendu comme l’opposition de deux « pôles », non articulé autour d’un centre fort. Cela s’inclut dans
la typologie des systèmes politiques de Giovanni Sartori, comme un cas typique multipartisme modéré bipolaire et
centripète, et s’oppose alors la catégorie de système multipartite polarisé et centrifuge. Si le premier suppose un
nombre de partis « pertinents », modérés s’opposant autour de blocs modérément différentiés, le second cas suppose
qu’autour d’un centre existant viennent se polariser deux blocs et former donc trois pôles, relativement irréconciliables.
Le terme redondant de « polarisation » contribuant ainsi à semer le trouble entre ces deux cas distincts. Voir
SARTORI, G., 1976, op. cit.
28
l’hétérogénéité des acteurs, la communication « externe » est le fruit de négociations supposant
une position et une responsabilité commune. Lorsque les divergences internes viennent à
s’externaliser ou se “publiciser”, et lorsqu’un partenaire-clef de la coalition en vient à quitter celle-
ci, la coalition comme “système” se dissout dans le système politique, lequel formait jusque-là son
environnement immédiat.
Cette autonomisation de la politique se manifeste par une déconnexion croissante entre les
acteurs politiques et les agents « de base » 1 de tout mouvement politique (militants, sympathisants,
etc…), et conduit à une informalité « institutionnalisée » croissante dans les relations intra-
coalitionnaires2. Ce présumé désintérêt croissant envers la chose politique (ou « crise des partis » et
« crise de la politique ») se manifeste eu une méfiance envers les partis. Celle-ci est-elle
comparable dans le Cône sud, à ce que l’on peut observer en Europe parlementaire ?
Enfin (Hypothèse 3), dans les systèmes présidentiels du Cône Sud, il existe une logique de
routinisation des coalitions qui, suivant un processus auto-référent, se révèle particulièrement
stable. Cette stabilité des alliances (électorales, parlementaires et gouvernementales) se caractérise
par la création de mécanismes de maintien et de rétro-alimentation des « lignes de démarcation »
politiques. Si l’Argentine est un cas particulier, les cas chilien et uruguayen montrent combien la
pratique coalitionnaire au niveau gouvernemental et/ou dans l’opposition, vient constituer une sorte
d’invariant de leurs systèmes partisans. La compétition politique tend à se concentrer autour de
blocs identitaires et à faire la part belle aux coalitions qui viennent s’inscrire dans une logique
systémique plus ou moins autonome de l’environnement social. Ce recours constitue une sorte de
préservation des acteurs en présence, en raison de la logique « excluante » de ces coalitions,
notamment face à l’émergence de nouveaux acteurs. Ainsi, le système est plus exposé et fragilisé
face aux menaces de séditions internes, que face à l’émergence d’un nouvel acteur « hors
système ». Mais, si cette stabilité dépend de la capacité à maintenir visibles et actifs les clivages en
présence, ou d’élaboration de nouvelles, comment ces alliances s’organisent-elles pour se prémunir
de l’émergence de nouveaux acteurs (« díscolos »), provenant de leurs propres rangs ? Quelle
visibilité peuvent espérer ces acteurs qui pour exister doivent être vecteurs de nouvelles priorités
sociales, sans que leur discours ne soient récupéré par le système de partis « en place » ?
1 Pour les partis dont le schéma organisationnel correspond à celui des partis de masse, tels que décrits par Duverger.
Cette assertion ne peut s’appliquer aux partis plus « récents » (notamment le PPD et l’UDI au Chili, et le FREPASO en
Argentine), lesquels ont des structures organisatrices plus professionnelles et concentrées. 2 Ceci va à l’encontre des approches dominantes, se basant ouvertement sur les accords et les communications
publiques. Voir les travaux de BUDGE, I., et LAVER, M., “Office seeking and policy pursuit in coalition theory”, in
Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 485-506; et “The policy basis of government coalitions: a
comparative investigation”, in British Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519.
29
Justification du « terrain » d’étude et de l’analyse comparée
Cette thèse s’inscrit dans le registre de la théorie politique. La partie empirique adopte pour ce
faire une approche comparative, plutôt qu’une approche de type « étude de cas », afin de doter le
développement du cadre théorique d’un substrat empirique suffisamment solide et diversifié1,
suivant un procédé de rétro-alimentation.
La sélection du « terrain d’étude » de cette recherche s’inscrit dans la continuité de la notion
wébérienne d’affinités électives, où deux entités qui sont culturellement et historiquement proches
viennent former une paire de comparaison pertinente, pour étudier l’impact de phénomènes
communs à ces sociétés2. Nous adoptons une approche inductive dite de « concordance et
différence » (ou variations concomitantes), théorisée par Théda Skocpol3, qui suppose que :
« Prise séparément (la méthode de différence) est plus puissante pour établir des associations
causales que la ‘‘ méthode de concordance’’. Néanmoins il est parfois possible de combiner les
deux méthodes en utilisant à la fois divers cas positifs avec des cas négatifs convenables afin de les
contraster »4.
Le « terrain » d'étude de cette recherche regroupe les trois pays du Cône Sud5: l'Argentine,
l'Uruguay et le Chili, depuis le retour à la démocratie (respectivement 1983, 1985 et 1989).
S’agissant des coalitions gouvernementales, le principal champ d’étude porte sur les périodes
marquées par l’expérience de ces gouvernements, sans s’y limiter pour autant6. Si les huit
gouvernements qui ont pris une forme coalisée constituent les éléments d’analyse de cette thèse, il
1 Nous nous situons ainsi dans la tradition des comparative case studies, ou « small-N comparisons », telles que
défendues par HERMET, G., et BADIE, B., La politique comparée, Armand Collin, Paris, 2001; MAHONEY, J.,
“Qualitative methodology an comparative politics”, in Comparative Political Studies, vol. 40, N° 2, 2007, pp. 122-144;
RAGIN, C., The comparative method: moving beyond the qualitative and quantitative strategies, University of
California Press, Berkley, 1987, et RAGIN, C., et BECKER, H., What is a case: exploring the foundations of social
inquiry, Cambridge University Press, 1992. 2 Voir les travaux de LOWY, M., « le concept d’affinité élective chez Max Weber », in Archives de Sciences sociales
des Religions, No. 127, 2004, pp. 93-103 3 Theda Skocpol se base sur les travaux initiaux de différentiation/ assimilation de John Stuart Mill. Voir MILL, J.S.,
« On the logic of moral sciences », in MILL, J.S., A System of logic raciocinative and inductive, Livre VI, Routledge,
Toronto, 1974 [1843] ; SKOCPOL, T. « France, Russia, China: A structural analysis of social revolutions », in
Comparative Studies in Society and History, vol. 18, n°2, 1976, pp. 175-210; pour une application systématique voir
SKOCPOL, T., States and social revolutions: a comparative analysis of France, Russia and China, Cambridge
University Press, 1979. 4 SKOCPOL, T., Social revolutions in the modern world, Cambridge University Press, 1994, p 79. Traduction propre.
5 Notons que cette dénomination, « Cône Sud », est le fruit de nombreux débats entre politistes et géographes,
concernant la délimitation de cette aire géographique. Aussi suivant les travaux, le Brésil et/ou le Paraguay sont-ils
inclus, ou non. En ce qui nous concerne ici, nous délimitons le cône sud aux trois pays de notre champ d’étude suivant
des critères d’homogénéité géographique, culturelles et lingüistiques. 6 Nous allons ainsi dans le sens de David Collier, John Mahoney et John Seawright, sur la faisabilité et validité
scientifique de la démonstration autour de la sélection de variable dépendante. Voir COLLIER, D., MAHONEY, J., et
SEAWRIGHT, J., “Claiming too much: warnings about selection bias”, in BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking
social inquiry diverse tools, shared standards, Rowman and Littlefield, Lanham, 2004, pp 85-102
30
est toutefois nécessaire de les replacer dans un contexte historique plus ample afin de déceler les
facteurs particuliers à chaque société et les répercussions sur la formation de coalitions. Les cas et
périodes analysés seront, pour le Chili entrent les quatre gouvernements de la Concertación (1990-
2010), des présidents Patricio Aylwin (1990-1994), Eduardo Frei (1994-2000), Ricardo Lagos
(2000-2006) et Michelle Bachelet (2006-2010), pour l’Uruguay les gouvernements de Luis Alberto
Lacalle (1990-1995), la seconde présidence de Julio María Sanguinetti (1995-2000), et la
présidence de Jorge Batlle Ibáñez (2000-2005), enfin pour l’Argentine le gouvernement de
Fernando De La Rúa (1999-2001).
Bien que le Brésil soit la patrie du concept de « présidentialisme de coalition »1, nous ne
l’avons pas retenu. En effet, le recours à des gouvernements coalisés apparaît comme une constante
dans la courte tradition démocratique brésilienne2 - bien que dans certains cas il s’agit souvent
davantage de gouvernements cooptés et/ou formés d’indépendants3 (suivant la définition du
concept de coalition gouvernementale présentée précédemment). Inversement, notre intérêt pour les
cas d’étude retenus ici est celui de processus évolutifs, relativement récents et inédits. Cette
sélection permet de mieux analyser l’impact des expériences de coalition gouvernementale sur la
culture politique des pays concernés.
En effet, si l’historicité politique uruguayenne a été marquée par de nombreux co-
gouvernements, notamment à l’époque des gouvernements collégiaux4, ceux-ci ne découlèrent pas
d’accords interpartisans, les configurations se renouvelant à chaque élection au gré des relations
intra-partisanes et inter-factionnaires. Le cas chilien est différent, la culture gouvernementale
chilienne procédant exclusivement de gouvernements de coalition depuis la fin du XIXe siècle5. Si
l’expérience contemporaine se rapproche de celle précédant le coup d’État de 1973, avec un
système politique matérialisé par des identités et marques partisanes particulièrement fortes et
structurées, elle s’en différencie beaucoup par le caractère centripète et pacifié qu’a pris la
1 Voir ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão...”, op. cit.
2 SANTOS F., “Em defesa do Presidencialismo de coalizão”, in HERMANNS, K., et MORAES, F., Reforma política
no Brasil: Realizações e Perspectivas, Fundação Konrad Adenauer, Fortaleza, 2003; LIMONGI, F., “A Democracia no
Brasil; Presidencialismo, coalizão partidária e processo decisório”, in Novos Estudos, N°76, 2006 3AMORIM NETO, O., “Presidential cabinets, electoral cycles, and coalition discipline in Brazil”, in
MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative politics in latin America, Cambridge University Press, 2002, pp. 48-
78 ; RAILE, E., PEREIRA,C., POWER, T., « The executive toolbox: building legislative support in a multiparty
presidential regime », in Political Research Quarterly, Vol. 64, No.2, 2011, pp. 323-334. 4 Sous la constitution de 1918 le pouvoir exécutif était bicéphale. Le Président élu au suffrage universel (masculin)
direct, partageait son pouvoir avec le Conseil National d'Administration, autonome, également élu au suffrage universel
direct et composé de neuf membres dont un tiers provenant de l'opposition. Par la suite, entre 1952 et 1967 le pouvoir
exécutif sera strictement collégial autour du Conseil National de Gouvernement (CNG), composé de la même manière
que l'ancien CNA. Voir LANZARO, J., La « Segunda » transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria,
Montevideo, 2001. 5 VALENZUELA, J. S., “Orígenes y transformaciones del sistema de partidos en Chile”, in Estudios Públicos, No.58,
1995, pp. 5-78.
31
compétition partisane au sortir de la dictature. Enfin, le cas argentin est particulier en ce que le
gouvernement de l’Alianza constitue la première expression d’accord inter-partisan de
gouvernement dans l’histoire politique argentine, où les partis adoptaient traditionnellement, une
attitude nationale d’exclusion mutuelle1.
L’expérimentation de coalitions gouvernementales, depuis le retour à la démocratie, a constitué
dans ces trois pays, plus qu’ailleurs, un point de fixation générant un tournant culturel et
institutionnel particulièrement remarquable. Par ailleurs, comme le soulignent de nombreux
auteurs2, ces trois pays figurent parmi les plus précoces à avoir expérimenté des gouvernements
démocratiques et ils ont connu des itinéraires politiques semblables depuis les années 19603. En
outre, ils ont expérimenté au cours de vingt dernières années des gouvernements de coalitions avec
différentes réussites, en termes de maintien et stabilité politique. De plus, tous trois présentent des
traits politiques similaires: présidentialisme multipartite modéré et institutionnalisé autour
d’identités partisanes particulièrement fortes et identifiables4; absence de partis ethniques
5 et
régionalistes6 importants ; maintien des principales structures partisanes d’avant le coup d’Etat
7 ;
taux de développement humain comparables et parmi les plus élevés d'Amérique latine8. C’est
d’ailleurs dans un souci d’homogénéité de la comparaison que nous avons choisi de ne pas retenir
les cas de l’Equateur et de la Bolivie, en raison de leur particularités en termes de culture politique
et démocratique et d’aspect politiques relativement différents de ceux des pays du Cône Sud,
comme a forte présence sur le sphère politique de ces deux pays, de mouvements indigènes.
1 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo
Económico, v.25, n.100, 1986, pp. 659-682; CASTIGLIONI, F., ABAL MEDINA, J., “Transformaciones recientes del
sistema de partidos argentino”, in MANZ, T., et ZUAZO, M., Partidos politicos y representación en América latina,
Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 55-71. Voir le concept de “Parti Hégémonique”, in SARTORI, G., Parties and
party system,.. op. cit. 2 MOREIRA, C., “Sistemas de partidos, alternancia política e ideológica en Cono Sur”, in Revista Uruguaya de
Ciencia Política, n°13, 2006. pp 31-55; DE RIZ, L., op. cit; THIBAUT, B. “El gobierno de la democracia presidencial:
Argentina, Brasil, Chile y Uruguay”, in NOHLEN, D. et FERNANDEZ, M. op cit. pp 127-149. 3 De manière presque concomittante on a assisté à une polarisation, et une radicalisation politique croissante, marquée
entre autres par l'apparition de mouvements politiques révolutionnaires et réactionnaires armés, contribuant à une
autojustification des différents coups d'Etat. La vague de re-démocratisation s’est opérée de manière moins simultanée
mais suivant une périodicité proche. 4 À l'inverse du Brésil, du Pérou et plus récemment de la Colombie, notamment, où cohabitent un multipartisme
exacerbé avec une faible institutionnalisation partisane. 5 Ainsi nous ne trouvons pas de lien social « primordial » alternatif fort (dans le sens de Geertz), et qui entrerait en
concurrence ou nuirait à une « intégration nationale », à l'inverse de ce qui existe en Équateur ou en Bolivie
notamment. Voir GEERTZ, C., La interpretación de las culturas, Gedisa Editorial, Barcelona, 2006 [1973]. 6 À l'inverse de la Bolivie notamment
7 Voir CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el autoritarismo y las
transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989. 8Suivant Lipset. Consulter notamment les données de la Commission Economique des Nations Unies pour l’Amérique
Latine (CEPAL) pour 2009 sur le site web de l’organisation onusienne.
32
L’inclusion de ces deux pays aurait ainsi entraîné plus de lourdeurs dans la démarche
argumentative de cette investigation dont la principale portée est théorique.
D’un autre côté, les pays du Cône Sud malgré un parcours démocratique similaire, ont des
traditions de pratiques gouvernementales très différentes. Traditionnellement consensuelle et
polyarchique1 en Uruguay, franchement conflictuelle en Argentine, et intermédiaire pour le Chili.
Leurs sociétés sont également partagées autour de clivages sociaux relativement forts et
mobilisateurs, que les partis politiques reprennent (ou non) de manière différente. Par ailleurs, ils
ont expérimenté des changements constitutionnels et institutionnels récents, avec une centralité du
pouvoir exécutif.
Enfin il nous a semblé nécessaire de compléter ces comparaisons en procédant de manière
simultanée à une méthode de « nuancement » des résultats préliminaires
2, et d’après les « canons de
la différence3 » au travers de l’évolution récente de leurs systèmes politique et partisan. Alors que
les bipartismes traditionnels argentin et uruguayen ont rapidement disparu après le retour à la
démocratie, avec l’émergence d’un troisième acteur « anti-système »4
; le système de partis chilien a
connu un déplacement vers le centre de son système de partis5. Mais tous trois expérimentent une
articulation nouvelle de type bipolaire. En outre, la structuration institutionnelle de ces pays est
différente puisque deux sont unitaires (Uruguay et Chili), et l’autre une fédération (Argentine). Le
facteur géographique devra donc être analysé. Quelles que soient les différences cependant,
l’Argentine le Chili et l’Uruguay à l'image de la quasi totalité des pays de la région ont connu au
cours des années 1990-2000 de profondes réformes institutionnelles, qui ont eu un impact
important dans la reconfiguration de leurs systèmes partisans. Il faudra donc analyser les variations
des champs du pouvoir et les propensions au dialogue dans les différents cas, et la capacité de
« veto » des différents acteurs6.
1 DAHL, R., La Poliarquía: participación y oposición, Madrid, Tecnos, 2002 [1971].
2 FROGNIER, A.P., “De la méthode comparative en science politique à la politique comparée” in JUCQUOIS, G. et
VIELLE, C., Le comparatisme dans les sciences de l’Homme, De Boeck Université, Bruxelles, 2000, pp. 395-408. 3 Méthodologie qui couple ainsi la méthode dite de “concordance” et celle dite de “divergence”. Voir MILL, J. S., « On
the logic of moral sciences », … op cit. 4 Le Frente Amplio uruguayen d’inspiration essentiellement marxiste est apparu en 1971, contre les partis traditionnels
et s’est consolidé en 1984; le Frente Grande puis FREPASO est apparu dans les années 1990, comme scission du
péronisme, en signe de rejet de la gestion présidentielle de Menem. Ces systèmes partisans restent, pour autant,
largement structurés autour de deux pôles et n’ont pas enregistré l’apparition massive de proto-partis ou partis
personnalistes, comme en Colombie ou au Venezuela, qui également ont connu une explosion de leurs bipartismes.
Voir ALBALA, A. et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas?.. », op. cit. 5 ALCÁNTARA SÁEZ, M. et FREIDENBERG F., Los partidos políticos de América Latina: Cono Sur, Instituto
Federal Elector/Fondo de Cultura Económica: México D.F, 2003 [2001] 6 TSEBELIS, G., Veto players:how political institutions work, Princeton University Press, 2002.
33
Méthodologie de recherche et organisation de la thèse
Nous avons vu que l'un des principaux écueils lié à l'analyse des gouvernements de coalitions
réside dans le concept même de coalition, ou plutôt la non conceptualisation de ce concept, et la
multiplication de « chat-chiens1 » qui en découlent. Il nous faut donc tenter d’élaborer un cadre
théorique permettant de réaliser la comparaison. Il ne serait toutefois pas pertinent de ne retenir
qu’une seule méthode et approche d’analyse, tant le phénomène des coalitions de gouvernement
apparaît vaste et divers. Ceci pousse à adopter une approche méthodologique à mi-chemin de
l’approche modélisatrice propre à la littérature dominante, et de l’approche plus sociologique, à la
française. Ce mélange consiste en une approche de type circulaire ou rétroduction2, combinaison
d’induction et de déduction quant à la formation et reformation de théorie à partir de prénotions
établies au préalable, alimentée par une bonne connaissance du terrain d’étude pour la validation/
réfutation des hypothèses et élaboration de nouvelles3.
Concrètement, le déroulement et l’agencement de cette recherche s’inscrit dans la perspective
initiée par Abram De Swaan4, qui présente les évolutions ou « chemins » de la théorie des
coalitions, tout en s’appuyant sur des exemples et contre exemples tirés du terrain d’étude. Ceci
dans le but d’illustrer l’argumentation et contredire les modèles utilisés, afin de tenter d’aboutir à
une construction théorique propre aux systèmes présidentiels du Cône Sud. Si chaque chapitre
contient une méthode d’argumentation qui lui est propre, en fonction du sujet abordé, le chemin
épistémologique et méthodologique général, dont l’objet consiste à appliquer la théorie des
coalitions sur la configuration présidentielle, suppose toutefois dans tous les chapitres de mettre en
perspective cette configuration avec la pratique politique en régime parlementaire. Dans cette
perspective, l’Argentine servira de cas « crucial »5 à notre argumentation théorique, car c’est le cas
qui présente le plus de variance en termes de configuration politique et de « résultat » de
l’expérience de coalition gouvernementale, puisque celle-ci a tourné court moins d’un an après sa
formation.
1 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Economica, Mexico, 1995p.24
2 Combinaison de déduction et d’induction, dans le style « grounded theory », ou de « baignoire de Coleman ». Voir
entre autre HANSON N., Patterns of Discovery: An lnquiry Into the Conceptual Foundations of Science. Cambridge:
Cambridge University Press, 1958. 3 Ce qui, d’après Amenta et Poulsen consiste en une approche inductive. Voir AMENTA, E., et POULSEN, J., “Where
to begin: A survey of five approaches to selecting independent variables for qualitative comparative analysis”,
Sociological Methods & Research, vol. 23, n° 1, 1994, 22-53. 4 DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formations, Elsevier, Amsterdam, 1973.
5 Harry Eckstein définit ainsi le « cas crucial » comme: « celui qui doit correspondre étroitement à une théorie lorsque
l’on cherche à démontrer sa validité, ou, au contraire, s’inscrit en faux à la théorie proposée ». Voir ECKSTEIN, H.,
“Case studies and theory in political science”, in GREENSTEIN, F. I., et POLSBY, N., Handbook of political science.
Political science: Scope and theory, Addison-Wesley, Reading, 1975, p. 118
34
Parallèlement aux choix de la méthode d’investigation, et de la sélection des cas, la recherche
s’appuie sur les sources utilisées dans la démonstration. Cette sélection des sources conduit
également à choisir un niveau d’analyse en fonction de l’objet étudié. Puisque l’objet de cette thèse
est de nature particulièrement théorique et comparatiste, il était nécessaire de trouver un équilibre
entre une étude depuis la théorie (démarche externe) et une investigation empirique de l’objet
étudié (démarche interne).
En premier lieu, l’approche théorique est fondée essentiellement sur l’analyse de l’importante
bibliographie sur le phénomène des coalitions, depuis les travaux sur la théorie des jeux jusqu’aux
travaux « comportementalistes » emprunté à la psychologie sociale. Cette compilation est ensuite
ramenée à l’application des coalitions en science politique et sur son expression gouvernementale,
puis s’immisce dans le débat théorique présidentialisme vs/ parlementarisme. Dans cette
perspective, et en cherchant à établir des liens de comparaison entre les réalités parlementaristes et
présidentialistes, les ouvrages retenus seront de nature aussi bien théorique qu’empirique pour
l’application de l’analyse sur le terrain d’étude. Nous avons également procédé à de nombreux
entretiens, notamment avec Juan Linz1, théoricien du débat présidentialisme/ parlementarisme ;
Jordi Matas2, de l’Université de Barcelone, spécialiste de la théorie des coalitions en systèmes
parlementaires ; Grace Ivana Deheza3, Daniel Chasquetti
4 (Universidad de la Républica, Uruguay),
et María Matilde Ollier5 (Universidad San Martín, Buenos Aires, Argentine), principaux politistes
ayant étudié les coalitions gouvernementales en Amérique latine.
L’ouverture de la « boîte noire », s’inscrit dans une démarche plus inductive et interne à l’objet,
dans le but de déterminer les différents mécanismes de la vie interne à la coalition, et les modes de
gestion de crise interne et externe. Pour ce faire, il a fallu répertorier les compositions de
l’ensemble des cabinets6 des coalitions gouvernementales, des trois pays de ce terrain d’étude, afin
d’identifier les entrées et sorties des ministres de chaque coalition et mesurer l’équilibre partisan à
l’intérieur de chaque gouvernement. En outre nous avons procédé à une enquête de terrain auprès
de 63 représentants des trois pays, suivant trois nivaux : i) membres de l’exécutif coalisé ; ii) chefs
de partis durant la période de gouvernement de coalition ; iii) parlementaires « ordinaires » ayant
siégé pendant la (les) période(s) de gouvernement. Si ces trois positions ne sont pas excluantes (un
1 Entretien réalisé le 04/11/11
2 Entretien réalisé le 21/04/08
3 Entretien réalisé le 14/11/11
4 Entretien réalisé le 28/06/09
5 Entretien réalisé le 17/09/09
6 Nous entendons « cabinet » dans le sens anglo-saxon du terme, entendu comme les portefeuilles ministériels et les
secrétariats d’Etats les plus importants. Le concept gouvernement, dans la littérature anglo-saxonne, étant conceptualisé
comme l’ensemble des organes décisionnels de l’Etat.
35
ministre peut avoir été député et chef de parti), elles permettent d’avoir un regard croisé sur le
rendement et le fonctionnement interne des coalitions. S’ajoute, enfin, une quatrième position au
travers de l’entrevue de membres « díscolos » (membres ayant abandonné en cours de route ou à
postériori l’appareil coalitionnaire ou un parti de la coalition).
Ces entrevues ont consisté à des entretiens réalisées en personne ou par voie électronique des
personnels politiques, lesquelles ont été structurées sur la base d’un questionnaire commun adapté
aux huit gouvernements qui constituent le terrain de cette thèse. Le Chili ayant expérimenté un
nombre de gouvernements de coalition plus élevé que les deux autres pays, et sur une période
ininterrompue de plus de vingt ans, justifie que la « part » chilienne des entretiens soit plus
importante (36/63).
*
Cette thèse s’organise autour de trois parties égales, qui contiennent chacune deux chapitres. Les
deux premières, plus théoriques, analysent la majeure partie de la bibliographie utilisée et
l’approche « externe », puis confrontent les théories les plus communes tirées à la réalité des cas
étudiés. La troisième partie plus empirique, analyse notamment les résultats des entretiens réalisés
et s’immerge dans la « boîte noire ».
Pour notre démarche méthodologique, il était indispensable de nous doter des outils nécessaires
à la compréhension du phénomène coalitionnaire et mettre à jour les différentes « théories des
coalitions ». La première partie se propose de confronter la théorie des coalitions avec la
configuration présidentielle de gouvernement, et d’analyser de manière critique les différentes
approches. L’accent est porté sur l’étude des éléments constitutifs de la formation de
gouvernements de coalition, avec comme variable dépendante l’occurrence du phénomène de
coalition gouvernementale. Le premier chapitre tente de « déconstruire » la formation de la théorie
et son opérationnalisation pour les études sur les systèmes parlementaires, afin de tester leur
application empirique sur les systèmes présidentiels. Ce chapitre met ainsi en parallèle deux
champs d’étude qui ont dominé la littérature en science politique depuis les années 1980, sans
jamais se croiser : les coalition theories et le débat présidentialisme vs/ parlementarisme. Il place
donc l’étude du phénomène dans son contexte théorique, avec des apports empiriques latino-
américains sur l’expérimentation des gouvernements de coalition.
Le second chapitre s’interroge sur le véritable rôle des institutions sur les processus
coalitionnaires. Il s’attache à nuancer l’impact de celles-ci et, par-là même, des études centrées sur
les institutions. Au travers de la méthode comparative configurationelle, il procède à une étude en
deux temps d’association et différentiation. En effet, il s’agira tout d’abord « d’isoler » ou
36
comparer les trois cas de notre étude, en les séparant des autres cas latino-américains qui pourraient
potentiellement y entrer. En recourant à la méthode dite QCA1, il est possible d’identifier les
« conditions » ou « facteurs de causalité » propres à la formation de gouvernements de coalitions.
Nous chercherons à analyser le phénomène de coalitions en « sélectionnant » la variable
dépendante, afin de nous arrêter sur le processus conduisant à leur formation et leur
développement. Cela nous permettra de mieux isoler les éléments constitutifs, pour voir les limites
de la théorie dominante.
La seconde partie, à mi-chemin entre la théorie et l’empirie, adopte une méthode dite de « Cas
Similaires, Résultats Différents »2. La variable dépendante est laissée « flottante » (occurrence ou
non de coalitions gouvernementales), afin de se centrer sur les cas pour distinguer les éléments
constitutifs à la pérennisation, reproduction ou disparition des coalitions. Les deux chapitres qui la
composent analysent les cas afin d’isoler les éléments pertinents de causalité et à mesurer l’impact
du présidentialisme sur la formation des clivages. Le premier chapitre de cette partie (Chapitre 3),
étudie la relation entre la configuration présidentielle et l’ordonnancement des clivages, depuis une
approche centrée sur les dimensions structurelles, et particulièrement les configurations
sociopolitiques propres à chaque cas. Nous nous intéressons dans ce chapitre à analyser l’impact de
la configuration présidentielle sur les alignements partisans et la formation de « pôles » identitaires.
Ceci afin de mettre en évidence les contraintes plus importantes en termes « d’options » de
coalition, pour les régimes présidentiels. Le second chapitre de cette partie (chapitre 4) vise à
identifier puis différentier les cycles des coalitions politiques en régime présidentiel par rapport à
ceux des régimes parlementaires. Dans ce chapitre nous aborderons la question de la « visibilité »
des options en place au travers de la formation de blocs électoraux. Nous insisterons sur le
caractère plus prévisible des options de coalition en régime présidentiel et le recours plus fréquent à
la formation de coalitions électorales se transformant en coalitions gouvernementales.
1 Sigle anglo-saxon pour « Qualitative Comparative Approach ». En français, le sigle a été traduit par AQQC pour
« Approche Quali-Quanti Comparée ». Cette approche repose sur un algorithme binaire (ou « booléen »), où les
variables (appelés éléments de causalités) ainsi que les « résultats » sont opérationnalisés en « 1 » pour « présence », et
« 0 » pour « absence » de valeur. Cette méthodologie permet d’avoir une vision d’ensemble des cas étudiés, tout en
centrant l’analyse sur les cas plutôt que sur les variables. Nous aurons l’occasion de décrire plus en détail les procédés
de cette méthodologie assez récente. Pour une approche didactique, voir RIHOUX, B., et RAGIN, C. 2009 op. cit. Pour
une approche francophone, voir DE MEUR, G. et RIHOUX, B., L’analyse quali-quantitative comparee, Louvain, Ed.
Bruylant Académia, 2002. 2 Ou MSDO: Most Similar Cases, Different Outcomes. Voir une présentation de cette méthode dans DE MEUR, G., et
BERG SCHLOSSER, D., « Conditions of authoritarianism, facism and democracy in interwar Europe : systematic
matching and contrasting of cases for ‘Small N‘ Analysis », in Comparative Political Studies, Vol. 29, No. 4, 1996, pp
423-468; Voir également RIHOUX, B., et RAGIN, C., Configurational comparative methods, Sage, Londres, 2009. A
noter que d’après les auteurs, cette méthode reprendrait l’essence originelle des travaux, non aboutis, de
PRZEWORSKI, A., et TEUNE, H., The logic of comparative social inquiry, Wiley, New York, 1970 ; lesquels sont
eux-mêmes inspirés des travaux fondateurs de John Stuart Mill, A system of logic…, op. cit
37
Enfin, la troisième et dernière partie, déplace l’unité d’analyse depuis un niveau « macro »
(Argentine, Chili, Uruguay) vers une dimension plus intermédiaire, soit les huit différents
gouvernements de coalitions expérimentés : quatre au Chili, trois en Uruguay et un en Argentine. Il
s’agit d’entrer dans l’étude de la gouvernance coalitionnaire, et de l’impact de l’occurrence des
gouvernements de coalition sur les systèmes de partis et les traditions gouvernementales des pays
considérés, en adoptant une approche de type « systémique ». Le chapitre cinq étudie la question de
gestion interne des conflits et la double dimension intra-partisane et interpartisane, et remet en
question la considération habituelle des partis comme « acteurs unitaires », en montrant les
composantes internes d’hétérogénéisation des partis. Il s’attache ainsi à considérer les coalitions du
point de vue des partis et des membres qui composent ces partis, et à étudier les relations de ces
membres entre-eux, aussi bien à l’intérieur des partis qu’entre ceux-ci. Enfin le chapitre six analyse
deux dimensions cruciales: l’intérêt des partis à former des coalitions gouvernementales, en terme
de rétribution et stratégie politique ; et la perception des expériences coalisées qu’ont les acteurs et
leurs électorats. La première question suppose l’étude des processus de sélection des candidats
« coalitionnaires », et les compensations octroyés par le parti du président pour les membres issus
des autres partis de la coalition. Le thème de la reddition des comptes (accountability) est
également essentiel et est abordé aussi bien depuis les coalitions (reddition des comptes
« horizontale ») que dans leur relation à leur « environnement » immédiat, à savoir l’électorat
(reddition « verticale »). Cela conduira à analyser les évolutions organisationnelles et stratégiques
des partis ayant participé de gouvernements de coalition et leurs liens de avec leur électorat
originel.
39
L’étude des processus coalitionnaires, au sens large, suppose de par sa nature polymorphe une
approche appelant à plusieurs disciplines et plusieurs angles d’approches. Parce que la science
politique comme discipline scientifique à part entière ne s’est autonomisée que récemment tantôt
des facultés d’histoire, de sociologie, d’économie ou de droit ; et qu’à ce titre elle n’a cessé de se
chercher une voie propre, nous verrons que les théories des coalitions, appliquées à leur expression
politique, ont reçu des influences provenant aussi bien des mathématiques, de l’économie, de la
psychologie sociale, du droit comparé, etc. Par ailleurs, les études sur les coalitions politiques
semblent se confondre avec les évolutions paradigmatiques et disciplinaires de la science politique ;
et sont marquées par de constantes mises à jour critiques, provenant des différentes influences qui
les composent. Aussi, le projet initial de William Riker, père fondateur des « coalition theories »,
n’était-il pas « paradigmatique » en ce qu’il cherchait à doter la science politique d’outils
méthodologiques et théoriques propres, depuis sa propre théorie?
En outre, les croisements théoriques des coalition theories avec les théories « présidentialistes »,
met en évidence à la fois la faiblesse des principaux postulats anti-présidentialistes, et la nécessité
de présidentialiser l’approche, laquelle ne saurait se limiter comme bien souvent en l’élaboration de
typologisations de systèmes présidentiels plus ou moins propice à la formation de coalition. Dès
lors, si l’approche multivariée suppose la prise en considérations des différentes « conditions » ou
« variables indépendantes », permettant à la fois d’expliquer la formation de coalitions
gouvernementales et leur maintien/ dissolution1, dans les contextes présidentiels, encore faut-il
contextualiser l’analyse au terrain d’étude.
Ces considérations poussent à adopter une approche phénoménologique, dans le sens de Husserl,
des coalition theories, quant à leur capacité analytique des phénomènes coalitionnaires, et
permettent de créer des outils théoriques pour transcrire et analyser le « monde réel des
coalitions »2 ? Autrement dit, quelles sont les relations entre théorie et empirie ? Ou encore, de quoi
se nourrissent les théoriciens de coalitions pour élaborer leurs modèles d’analyse, plus ou moins
prédictifs ?
Enfin à ces questions d’ordre épistémologiques, nous avons déjà souligné que notre étude se
focalise sur la manifestation du phénomène coalitionnaire dans un contexte institutionnel et culturel
distinct de celui où sont nées les coalition theories. D’où la nécessité de vérifier à la fois la
transposabilité des théories des coalitions sur un « terrain » alternatif ou « critique », et les
considérations théoriques quant à la pertinence et l’utilité supposées d’une telle démarche, tout en
1 Ces résultats venant donc être les « variables dépendantes » de l’analyse.
2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la
croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37
40
nous abstenant de considérations normatives ou positivistes. Ceci nous poussera donc à croiser
notre analyse avec les études sur les régimes politiques (« Presidential-Parliamentary Studies »1).
Cette première partie divisée en deux chapitres. un premier chapitre à portée théorique qui
s’efforce de cartographier les fondements et les influences ayant conduit à la formation puis
l’avènement des coalition theories, et déconstruire ainsi leur implication sur la formation d’outil
d’analyse des coalitions gouvernementales en systèmes présidentiel. Un second chapitre qui vise à
identifier les éléments institutionnels censés « générer » ou faciliter la formation et le maintien de
coalitions gouvernementales et les confronterons avec la réalité empirique de nos trois pays qui
forme notre terrain de recherche, en ce sens qu’ils sont comparables et significatifs. Plutôt qu’un
« test » des théories existantes, il s’agit d’établir un cadre théorique de compréhension du
phénomène coalitionnaire en le rapportant, sans l’isoler complètement, à son expression
gouvernementale. Nous adoptons ainsi une démarche chronologique et dynamique de la
construction théorique, sans oublier de l’illustrer par des exemples empiriques.
Au travers de la contextualisation de l’analyse dans l’environnement temporel et institutionnel
de nos cas d’études, cette partie consiste à rapprocher des réalités différentes, mais ayant toutes
trois expérimentés des cas de coalitions gouvernementales. D’où un recours à la technique dite de
MDSO (Most Different Case, Similar Outcome). La « variable » dépendante -de type binaire
opérationnalisée par les chiffres 1/0, pour « présence/ absence- est orientée, dans un premier temps,
sur la formation et la dissolution de coalitions gouvernementales. Nous discriminerons au cours des
deux prochains chapitres, l’analyse autour des cas ayant un résultat d’une valeur « 1 », autrement
dit, nous nous concentrerons sur les cas ayant expérimenté des gouvernements de coalitions. Même
si nous utiliserons des contre-exemples, de valeur « 0 » (pas de gouvernement de coalition), nous
garderons cette ligne pour cette partie, avant de traiter nos champs d’analyse de plus près. En
conséquence, nous montrerons qu’il n’existe pas de mécanique universelle ni institutionnelle à la
formation de coalition, contrairement à ce que tendent à avancer la plupart des auteurs sur le
phénomène coalitionnaire.
1 ELGIE, R., “From Linz to Tsebelis: three waves of presidential/parliamentary studies?,” in Demcratization, Vol.12,
No.1, 2005, pp.106–122
41
Chapitre 1 : Reconsidération des coalition
theories et de leur adaptation en régime
présidentiel.
Caminante, son tus huellas
el camino y nada más;
Caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace el camino,
y al volver la vista atrás
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante no hay camino
sino estelas en la mar
Antonio Machado, « Cantares ».
Si les coalitions politiques puis gouvernementales ont fait l’objet d’une attention croissante
depuis les années 1950, force est de constater que la variété et l’hétérogénéité des approches
initiales ont laissé place à une uniformisation des analyses, dès les années 1960, autour d’un
schème unique économiciste basée sur la théorie des jeux1. Cet engouement scientifique s’est
massifié surtout depuis les années 19902 -notamment depuis les travaux de Strøm
3 et Müller et
Strøm4-, mais on observe depuis peu une résurgence d’approches épistémologiquement et
heuristiquement plus ambitieuses. Or ces nouvelles approches demeurent encore, à ce jour,
minoritaires et constituent l’apanage exclusif de quelques chercheurs, essentiellement européens.
Pour appréhender l’étude des coalitions, ce chapitre se propose un double objectif. Tout d’abord,
il consiste en une analyse critique de la littérature connue comme coalition theories, afin de
délimiter les champs d’analyse et pointer les limites de cette littérature. Cela nous conduira ainsi à
analyser l’évolution des travaux, originellement et essentiellement ‘parlementaristes’, puis nous
effectuerons un parallèle avec les travaux portant sur les systèmes présidentiels. Ceci nous
permettra de replacer l’étude des coalitions gouvernementales dans le contexte académique
dominant des coalitions theories. Nous pourrons alors établir le degré d’avancement des études
portant sur chaque système de représentation et leurs limites.
1 LEHINGUE, P., « L'analyse économique des choix électoraux (II) », in Politix, Vol. 11, No. 41, 1998, pp. 82-122.
2 RENIU, J.M., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,
1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001. 3 STRØM, K., Minority governement and majority rule, Cambridge University press, 1990a
4 MÜLLER, W.C., et STRØM, K., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, Oxford, 2000.
42
Dans un second temps nous chercherons à établir l’applicabilité heuristique de ces théories,
développées essentiellement pour l’analyse des systèmes parlementaires, en régimes présidentiels.
Plutôt que de chercher à faire des systèmes présidentiels des particularismes d’analyse, nous
verrons le caractère géo-centré, de la plupart des travaux portant sur les coalitions politiques et
gouvernementales. Nous insisterons sur trois dimensions : i) le caractère non fortuit des coalitions
en régime présidentiel ; ii) la nécessité de se doter d’un concept et d’une typologie unique et
standard, et iii) une approche temporelle différente de celle qui à trait aux régimes parlementaires,
en considérant à la fois une étape pré-électorale au « cycle coalitionnaire»1, et la nécessité d’une
vision temporelle diachronique.
1.1 Les « chemins théoriques » des coalition theories
Le propos de cette thèse consiste à analyser les coalitions gouvernementales en régime
présidentiel en portant une attention particulière à l’élaboration d’une définition solide et clairement
délimitée du concept de « coalition gouvernementale ». Dans un premier temps, il est donc
nécessaire néanmoins de remplacer l’étude phénoménologique par l’étude herméneutique. Cela
passe par considérer les coalitions au sens large, qu’elles soient politiques ou non, en analysant
l’avènement et l’évolution des coalition theories.
Les premiers balbutiements concernant des études portant sur les coalitions au sortir de la
seconde guerre mondiale, font état, de manière surprenante, d’une large diversité de leurs contenus.
Parallèlement et presque simultanément aux premiers travaux « économicistes » de Von Neumann
et Morgenstern qui jeté les prémisses de l’approche par la « théorie des jeux » 2
, des études
davantage inspirées par les sciences cognitives vont voir le jour. C’est le cas notamment des
travaux propres aux relations triangulaires ou « triades », développés entre autres depuis une
approche comportementaliste voire par la psychologie sociale3. Ces études, particulièrement
succinctes, qui s’inspirent de la psychologie sociale et/ou à la sociologie pour analyser les rapports
1 MÜLLER, W.C., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition theory and cabinet governance: an introduction”, in
STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008,
p.10. 2
VON NEUMANN, J., et MORGENSTERN, O., Theory of games and economic behavior, Princeton University Press,
1944. 3 SIMMEL, G., "The significance of numbers for social life", in HARE, E. P., BORGATTA, E. F., et BALES, R. F.,
Small groups: studies in social interaction, New York, Knopf, 1955 ; MILLS, T. M., "Coalition pattern in three person
groups", American Sociological Review, Vol. 19, No. 6, 1954, pp.657-667; STRODTBECK, F. L., "The family as a
three-person group", in American Sociological Review, Vol. 19, No.1, 1954, pp 23-29. CAPLOW, T., “A theory of
coalitions in the triad”, in American Sociological Review, Vol. 21, No. 4, 1956, pp. 489-493; et “Further development
of a theory of coalitions in the triad”, in American Journal of Sociology, Vol. 64, No. 5, 1959, pp. 488-493; VINACKE,
W. E., et ARKOFF, A., "Experimental study of coalitions in the triad,", in American Sociological Review, vol. 22, n°4 ,
1957, pp. 406-415
43
et/ou relations de forces entre individus ou groupes d’individus, constituent une sorte de « pré-
genèse » de la théorie des coalitions. Et malgré leur nature « expérimentale », il n’en demeure pas
moins que les auteurs voient dans leurs travaux une vocation holiste, modélisable et donc
réplicable :
«La théorie des triades, est promise à une application sur différentes échelles, bien que cet
avantage n’ait pas encore pleinement exploité jusqu’à présent. Il semble cependant que les
généralisations développées au sein des groupes de trois personnes, soient applicables à des
situations où les unités d’interactions se retrouvent être des groupes structurés, pouvant aller de la
taille de groupes politiques voire des Etats »1.
Bien qu’ils ne traitent pas directement des coalitions gouvernementales ni de processus
politiques à proprement parler, ces travaux sont toutefois pertinents en ce qu’ils considèrent la
présence d’intérêts particuliers et la capacité de mobilisation et regroupement autour d’un thème
pour produire un consensus2, ou dans une logique d’alliance « contre » un adversaire commun
3. La
dimension individualisante des acteurs et l’aspect psychologique et sociologique de la prise de
décision venant ainsi s’additionner et non se soustraire à l’assomption « maximisante » propre à la
théorie des jeux. Le recours à la modélisation et à la systématisation de l’analyse ne se soustrait pas,
ainsi, à un travail de rétroduction, comme le montre Theodore Caplow:
« Dans cette exploration préliminaire, les coalitions de fratries semblent être basées sur la
similarité de sexe, l'âge et l'intérêt plutôt que sur l'équilibre des forces dans la triade. Cela
apparaît comme décourageant car cela fixe des limites plus étroites quant à l'application du
modèle, que ce qui était initialement espéré. D'un autre côté, cela suggère que la formation des
coalitions dans les triades pourrait continuer de suivre une tendance de prédicabilité, dans des
conditions beaucoup plus complexes que celles que nous avions discutées. »4
Néanmoins, malgré cet intérêt heuristique, et bien que quelques-uns de ces auteurs soient repris
par William Gamson, l’un des « pères » des coalition theories, ces travaux conservent une
dimension assez confidentielle. Ils ont été critiqués pour leur caractère prétendument
préscientifique et leur prise de distance vis-à-vis à de la théorie des jeux5, alors en voie
d’expansion. Leur caractère transdisciplinaire tranche avec l’évolution de la théorie des coalitions
1 CAPLOW, T., 1956, op cit, p. 489. Traduction propre
2 Les travaux de Mills, op. cit., et Strodtbeck, op. cit., notamment
3 Les travaux de Caplow présentent un intérêt encore très actuel sur cette question, notamment en ce qui concerne les
procédés de « cartélisation » voir infra 4 CAPLOW, T., 1959, op cit, p. 493. Traduction propre.
5 Vinacke et Arkoff apparaissent parmi les plus virulents, bien qu’ils ne critiquent pas la théorie des jeux en soi, mais
plutôt –déjà !- le caractère abstrait de la théorie et ses lacunes en matière de prédiction : « A purely rational approach is
provided by the theory of games, although there has, as yet, been comparatively incomplete analysis of three-person
games. […] It is clear that the differential strength or power characterizing members of the group is a significant
factor, one, in fact, that has numerous psychological dimensions not envisaged in game theory. » VINACKE et
ARKOFF, 1957, op cit, p. 406.
44
et de la science politique anglo-saxonne en général, davantage écono-centrée et en quête de
scientifisme1. La portée de ces travaux restant donc, malheureusement, trop limitée, malgré les
efforts de chercheurs hétérodoxes essentiellement européens ou formés en Europe continentale2.
Enfin, si nous suivions une dimension chronologique, nous nous devrions de citer les travaux de
Maurice Duverger, comme les premiers travaux de science politique portant sur les alliances
partisanes3. Nous nous réservons néanmoins l’analyse de l’étude de Duverger, et son influence,
pour l’étude herméneutique des coalitions politiques au travers des considérations partisanes (infra
1.1.2).
1.1.1 L’approche par la théorie des jeux
L’émancipation, au sortir de la seconde guerre mondiale, de la science politique comme
discipline « scientifique » à part entière, indépendante de la tutelle sociologique et économique
(tradition anglo-saxonne4) ou des facultés de Droit (tradition française et italienne)
5, va conduire à
développer et systématiser une « approche » politologique à vocation scientifique6, cherchant à
émuler les méthodes de recherches propres aux sciences naturelles7. Pour autant, cette approche ne
sera pas unitaire ni unifiée car selon la tradition d’origine, différentes techniques se sont affirmées
et furent accompagnées d’une professionnalisation des recherches et méthodes d’investigation8.
1 LEHINGUE P., “L'analyse économique des choix électoraux (I)”, in Politix, Vol. 10, No.40, 1997, pp 88-112; voir
aussi VUILERME J-L., Le concept de système politique, PUF, Paris, 1989. 2 Notamment LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, PUF, 1998 ; et Le pouvoir et
l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval, 2006 ; ainsi que LANZARO,
J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001. 3 DUVERGER, M., Les partis politiques, Armand Collin, Paris, 1981 [1951]
4 A noter néanmoins que l’American Political Science Association (APSA) a été fondée en 1903 et que l’American
Political Science Review (APSR) a été lancée en 1906. Toutefois, les premiers départements « expérimentaux » de
sciences politiques s’autonomisent-ils, aux Etats-Unis, dans les années 1920 (école de Chicago). La discipline se
massifie quant à elle dans l’immédiate après-guerre. 5 A noter que la France s’était déjà dotée d’Instituts d’Études Politiques, autonomes, orientés autour de thématiques
propres à la sociologie politique (qui viendra a être dominante par la suite). Pour une présentation de l’histoire de la
science politique française, voir FAVRE, P., “La Science Politique En France Depuis 1945”, in International Political
Science Review, Vol. 2, No. 1, 1981, pp. 95-120, et MILET, M., « L'autonomisation d'une discipline. La création de
l'agrégation de science politique en 1971 », in Revue d'Histoire des Sciences Humaines, Vol.1, No.° 4, 2001, p. 95-116. 6 Si l’obsession scientifique et positiviste semble être une constante dans la tradition anglo-saxonne, comme l’a avancé
Jean Louis Vuilerme, et bien qu’elle soit assumée comme telle par le courant « mainstream », il n’en demeure pas
moins que la littérature fait état du débat sur le caractère ‘scientifique’ de la science politique. Aussi, Mattei Dogan dit-
il, à juste titre, que la science politique où qu’elle ait été développée et autonomisée, relève d’une hybridation en termes
d’approches et de méthodes. Voir DOGAN, M., « Political Science and the Other Social Sciences », in GOODIN R.E.,
et KLINGERMANN, H.D, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., A New Handbook of Political Science,
Oxford University Press, 1996. 7 Voir ROSS, D., The Origins of American Social Science, Cambridge University Press, 1992; et FLYVBJERG, B.,
Making Social Science Matter, Cambridge University Press, 2001. 8 Le terme de professionnalisation suppose de fait l’existence (ou la création) d’une « communauté » professionnelle
qui se reconnaît autour de « standards » et de « normes », permettant d’évaluer des « compétences » académiques (en
45
Très vite, et pour des raisons d’antériorité et de diffusion, et surtout de précocité dans la
délimitation de l’objet « science politique », l’approche anglo-saxonne –surtout Étatsunienne- va
s’imposer comme dominante1. Ainsi, suivant une volonté positiviste d’imiter les sciences exactes –
dites « dures »-, vont se répandre des méthodes dont la principale caractéristique est marquée par la
systématisation et mise en évidence des procédés de causalités (« inférence ») au travers de données
empiriques2, et l’élaboration de modèles à vocation holistique, universaliste et répliquable. Dans
cette veine, se développent alors deux courants qui ont « révolutionné »3 l’approche
méthodologique, anglo-saxonne, en science politique. Tout d’abord l’approche « behaviouriste »
(comportementaliste), inspiré par les méthodes propres à la psychologie et à la sociologie,
cherchant à analyser les comportements d’acteurs, les cultures politiques et les perceptions à grande
échelle, souvent au moyen de sondages d’opinion4.
L’autre « révolution », bien plus importante quant à son impact tant elle a cannibalisé
épistémologiquement la science politique nord-américaine et mondiale, au point d’en être le
courant dominant aujourd’hui, est l’approche économiciste. Cette approche, incarnée par les
économistes Kenneth Arrow, Anthony Downs et Mancur Olson, consiste en une transposition des
préceptes et méthodes propres aux sciences économiques -particulièrement de l’école néo-
classique-, sur l’action politique. Cette « économie politique », dont l’approche méthodologique
d’autres termes « scientifiques ») des autres professionnels. Voir GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D, “Political
science: the discipline”, in GOODIN, R.E., et KLINGERMANN, H.D., op cit. p. 6 1 SARTORI G., La política : Lógica y método en las ciencias sociales, Fondo de Cultura Económica, México, 1987.
En effet, jusque dans les années 1960, avec des répercussions sur sa pratique aujourd’hui, l’école française ne
considérait pas la science politique comme une discipline autonome propre à analyser la politique. Ainsi Eisenmann
considère-t-il la science politique comme l’une des disciplines des « sciences politiques », au même titre que l’histoire
politique, la doctrine politique ou la sociologie politique. Duverger lui-même délimite-t-il le champ d’application de la
science politique à la sociologie politique qu’il considère de fait comme synonymes, ce que ne saurait contredire, une
fois n’est pas coutume, Georges Lavau. Ces postures plus ou moins transdisciplinaires ont, de fait, conditionné
l’approche française de l’étude des phénomènes politiques en se refusant, ainsi, de recourir à une objectivisation des
études politologiques. DUVERGER, M., Sociologie politique, PUF, Paris, 1966 et FAVRE, P. op. cit. Pour une
discussion plus récente, voir notamment les discussions entre Bruno Latour, défenseur du « tout politique » et du
dialogue avec les sciences studies, et Pierre Favre, avocat d’une délimitation du champ d’application de la science
politique. LATOUR, B., « Pour un dialogue entre science politique et science studies », Revue française de science
politique, vol. 58, n° 4, 2008, pp. 657- 678 ; et FAVRE, P. « ‘‘Ce que les science studies font à la science politique’’.
Réponse à Bruno Latour », in Revue française de science politique, Vol. 58, No. 5, 2008, pp. 817-829.
A l’inverse, la posture nord-américaine tend, depuis l’après guerre et l’apparition des premières théories behaviouristes,
à objectiver et autonomiser la science politique comme « science », délimitée et avec sa propre méthode. Cette
différence d’approche n’étant pas vraiment spécifiée par l’ouvrage de GOODIN, R et KLINGERMAN, op. cit, et
notamment le chapitre de Gabriel Almond « Political Science: The History of the Discipline », pp. 50-96. 2
Gary King, Robert Keohane et Sidney Verba décrierons ainsi que la raison d’être des sciences et a fortiori des
sciences sociales et politiques comme la suivante: « [s]cientific research is designed to make . . . inferences on the basis
of empirical information about the world», KING, G., KEOHANE, R.O., et VERBA, S., Designing social inquiry:
scientific inference in qualitative research, Princeton University Press, 1994, p. 7. 3 ALMOND, G.A., op. cit.
4 Voir ainsi, les travaux de ALMOND, G. A., et VERBA, S., The civic culture : Political attitudes and democracy in
five nations, Princeton, Princeton University Press, 1961; INGLEHART, R., The Silent Revolution, Princeton,
Princeton University Press. 1977; et PUTNAM, R., Making Democracy Work, Princeton, Princeton University Press,
1993.
46
suppose l’élaboration de modèles essentiellement mathématiques, est basée sur deux postulats
majeurs : i) l’information pure et parfaite, et ii) le caractère rationnel des acteurs, guidé par le
principe utilitariste de maximisation des profits1.
Aussi, si les travaux sur les coalitions, que nous avons présentés jusqu’à présent, semblent être
proches du courant behaviouriste, la théorie des coalitions telle qu’élaborée par William Riker puis
par la plupart des politistes s’inscrit elle, de fait, dans la lignée économiciste. Riker qui a été
fortement influencé par l’analyse mathématique des phénomènes sociaux2, va appliquer la théorie
des jeux élaborée par Von Neumann et Morgenstern, au contexte des coalitions politiques. Théorie
qui, d’après lui, marque le début non seulement d’une « théorie des coalitions », mais surtout la
naissance d’une science politique authentique3.
En se centrant particulièrement sur les coalitions gouvernementales, et suivant un schéma
utilitariste, Riker tend à établir un modèle théorique déductif et prédictif quant à la formation des
coalitions possibles (coalition making). Considérant le postulat de la rationalité des acteurs, et de la
parfaite information disponible pour les joueurs, il incorpore le principe économiste de la
« fiduciarité » des échanges, comme rétribution à tout investissement et participation. L’élément
fiduciaire ou « gain » à partager étant matérialisé par les postes de pouvoir (office seeking). Les
motivations de tous les participants étant ainsi basées sur des aspirations « maximisantes » vis-à-vis
de ces gains. Les limites de la coopération reposant alors sur l’évaluation des gains espérés par
chacun: « Chaque joueur est ainsi, et de manière significative, intéressé par ses propres gains »4.
Riker reprend alors le modèle de la théorie des jeux basée sur les relations entre plusieurs
joueurs ou « personnes » (n-person games), se disputant un gain (accès au pouvoir) suivant le
principe de « jeux à somme nulle ». Cet axiome stipule que la somme des « gains » des membres de
la coalition « gagnante » est contrebalancée, de manière strictement égale, à la somme des
« pertes » de la partie perdante. De la sorte, le complément à une coalition gagnante est une
coalition perdante5. Riker dichotomise ainsi les options et joueurs en présence en fonction de
l’obtention du bien -coalition des gagnants, ou encore « coalition gagnante »- ou non (perdants),
1 DOWNS, A., “An economic theory of political action in a democracy”, in Journal of Political Economy, Vol. 65, No.
2, 1957, pp. 135-150; et DOWNS, A., An Economic Theory of Democracy, Harper and Row, New York, 1957. 2 Bien que sa biographie dise qu’il est politiste, la science politique d’alors était, nous l’avons vu, une branche des
sciences économiques ou de la sociologie. De fait William Riker est connu pour être l’un des fondateurs du courant
mainstream actuel, basé sur des fondements positivistes et mathématiques, empruntés aux sciences économiques. 3
En effet: “This theory is, of course, not restricted to coalitions formed for authoritative decisions about value, but it is
sufficiently applicable to political behaviour to offer political scientists -for the first time since Aristotle tried to
generalize about politics over two millennia ago- a model sufficiently descriptive and sufficiently unambiguous to
occasion some hope for a genuine science of politics”, RIKER, W., The theory of political calitions, Yale University
Press, New Haven, 1962, pp. 12-13.
4 RIKER, W., op. cit, p.36
5 Ibid, p.40
47
tout en stipulant qu’il existe une multitude de combinaisons « gagnantes » possibles, pour un seul
bien1.
La considération centrale quant à la formation d’une « coalition gagnante » passerait par une
sélection optimale des partenaires, afin d’obtenir une maximisation des gains en lice. Les
partenaires élaboreront alors une stratégie2 de sélection basée sur un partage optimal des gains, et
en vue de garantir la stabilité de l’alliance. Cette stratégie est considérée, initialement par les pères
de la théorie des jeux, Von Neumann et Morgenstern, comme « le plan d’action sur les décisions à
prendre dans chaque situation en fonction de l’information dont [chaque joueur] dispose et que le
‘‘jeu’’ peut lui fournir »3.
Comme le présente William Gamson, l’objectif principal réside dans le fait d’identifier les
coalitions les moins « chères »4, entendues comme celles supposant la mise en place de la moindre
quantité de ressources politiques, et une moindre concession des ressources en jeu, afin d’obtenir –
toujours- la plus grande part de « gains » possibles. Ces ressources politiques étant matérialisées, en
ce qui concerne les coalitions gouvernementales, en termes de voix et surtout de sièges à
l’assemblée. A noter que Gamson avait déjà élaboré un précepte similaire, avançant que le partage
des gains se doit d’être congruent, c’est-à-dire proportionnel à l’apport de chaque partenaire5.
Le postulat qui découle de cette logique suppose donc que du nombre de participants à la
« coalition gagnante », et de leur poids, dépend la part de « gains » correspondant à chaque
participant et, de fait, le succès de celle-ci. Riker élabore son principal apport qu’il nomme principe
« du nombre » ou principe « de la taille » (size principle), où il assume qu’en fonction des principes
précédents :
« Dans les jeux à personnes multiples et à somme nulle, où les paiements collatéraux sont permis,
où les joueurs son rationnels et où ils ont une information parfaite, il ne se forme que des
coalitions gagnantes minimales. [...] Les participants créent des coalitions suffisamment grandes
pour leur assurer la victoire »6.
Suivant les préceptes utilitaristes, ce principe stipule premièrement qu’un nombre moindre de
partenaires conduirait à optimiser les gains, et de ce fait réduire les coûts de négociation entre les
différents membres. Dès lors, parmi l’ensemble des « combinaisons » possibles de coalitions
gagnantes, seules les coalitions regroupant le plus petit nombre de joueurs (Minimal Winning
1 Ou une quantité « limitée » de bien, ce qui revient à la même chose.
2 Ibid, p. 35
3 VON NEUMANN, J., MORGENSTERN, O., op. cit p. 79.
4 GAMSON, W., “A Theory of Coalition Formation”, in American Sociological Review, Vol. 26, No. 3, 1961, pp. 373-
382 5 ibidem
6 RIKER, W. op. cit., p. 32-33
48
Coalitions) tendent à se former. Dit autrement, les coalitions victorieuses les plus raisonnables
seraient celles qui par la soustraction d’un seul de ses membres deviendraient perdantes1, et
viendraient de la sorte à être « rationnellement » préférables. Néanmoins, malgré ce précepte, il se
peut qu’il existe encore plusieurs « unions » possibles.
Riker introduit, dans un second temps, le « principe de la taille » (ou poids) des membres. Ce
principe englobe deux dimensions : les ressources mises à disposition, et la question de coalitions
« déséquilibrées ». Pour lui, la combinaison la plus désirable parmi l’ensemble des coalitions
minimales victorieuses, serait celle qui offre le moins de « marge » possible, afin de garantir la
cohésion des joueurs (Minimum Size Coalitions). Le poids de cette coalition -dépendant des poids
respectifs de chacun de ses membres-, devant être le moins large possible, soit juste nécessaire à
former une majorité, afin de ne pas avoir à subdiviser inutilement les gains en lice. Ceci implique,
dès lors, une considération du « rapport de force » entre les joueurs.
De cette manière, les coalitions « déséquilibrées » sont considérées comme irrationnelles et
« non désirables ». En effet, puisque les acteurs cherchent à maximiser leurs profits, seules les
alliances entre acteurs de taille similaire, viendraient à être satisfaisantes ; les acteurs les plus
« petits » obtenant par ce biais la part de gains la plus optimale possible. De plus, bien que ces
combinaisons –coalitions gagnantes de moindre taille (Minimum Size Coalitions)- aient un poids
global moindre, elles sont considérées paradoxalement comme plus stables du fait d’une
optimisation de la distribution des « parts » ce qui entraînerait une plus grande cohésion des
membres, et donc une moindre incitation à la sédition. Chaque joueur agissant de manière
rationnelle, leur comportement vise donc à assurer leurs gains, matérialisés, en ce qui nous
concerne, par des portefeuilles ministériels. Dans le cas où les incitations à la sédition ne permettent
pas d’envisager (ou « évaluer ») une meilleure maximisation des gains, les joueurs sont censés agir
de manière solidaire.
Pour illustrer la théorie de Riker avec les coalitions politiques et gouvernementales du Cône
Sud, considérons à tire d’exemple, les élections uruguayennes de 1994 et 1999. Précisons tout
d’abord, que le système électoral uruguayen est basé sur le principe d’élection simultanée,
présidentielle et législative, cette dernière découlant d’une représentation proportionnelle où les
résultats des élections se traduisent, de manière congruente, en sièges parlementaires. Ces sièges
parlementaires constituant dès lors le poids de chacun des joueurs en lice. Ces joueurs sont le
Partido Colorado et le Partido Nacional, les deux partis « traditionnels » uruguayens ayant dominé
la vie politique du pays depuis son indépendance en 1830. Le troisième joueur est le Frente Amplio,
1 Ibid. p.40
49
parti de coalition qui est né comme une coalition des partis « d’idéologie »1 lors des élections de
1971, et qui s’est constitué comme parti depuis le retour à la démocratie en 1985.
Reprenons alors à la théorie de Riker le postulat de suffisance de la majorité simple (50% +1), et
celui d’exceptionnalité des « grandes coalitions » regroupant tous les acteurs, et confrontons le ;
tout d’abord, aux élections générales de 19942, qui ont été marquées par un quasi « match nul ».
Chaque joueur recueillant à peu près un tiers des voix comme le montre le tableau 1.1. Si l’on suit
l’argument de Riker, la coalition la plus rationnelle aurait dû regrouper le Partido Nacional et le
Frente Amplio, car elle combinait un moindre poids total (61,82% des voix, et sièges
parlementaires3). Pourtant, c’est une coalition entre les deux premiers, ou plus « forts », qui s’est
formée, entre les « partis traditionnels » : Partido Colorado (1), et Partido Nacional (2) ; dès lors
cette coalition peut paraître « irrationnelle ».
Cinq ans plus tard, les rôles ont changé, et cette fois le Frente Amplio arrive en tête lors du
premier tour de l’élection présidentielle4, devant le Partido Colorado et le Partido Nacional, lequel
est éliminé pour le second tour de la présidentielle. Cette fois-ci, la théorie de Riker semble se
vérifier puisque c’est la combinaison de « moindre poids » qui s’est formée, entre à nouveau les
deux partis traditionnels, cette coalition ayant, par la suite, gagné le second tour de l’élection
présidentielle. Suivant l’argument de Riker, semble la plus « rationnelle ». De fait, le Partido
Nacional dans une alliance avec le Frente Amplio n’aurait pu prétendre qu’à un peu plus d’un tiers
des gains (22.3/ (40.1+ 22.3) = 35.7), alors qu’avec le Partido Colorado cette part se retrouve
« maximisée » à 40% (22.3/ (32.8+22.3) = 40.4). Le Partido Colorado avait également tout à
gagner d’une alliance avec le Partido Nacional, puisqu’il passait d’une position minoritaire avec le
Frente Amplio (45% des gains « envisageables »), à une position majoritaire (59.6%).
1 LANZARO, J.,
2 Jusqu’à la reforme de la constitution en 1996, les élections uruguayennes étaient “générales” dans le sens où pour
chaque scrutin se renouvelaient l’ensemble des organes administratif, électifs, de l’État, de manière simultanée. Ainsi,
les uruguayens élisaient à chaque scrutin le Président de la République, les deux chambres du législatif (Sénat et
Chambre des députés), et les autorités municipales. Pour une simplification de notre argumentaire, nous nous
limiterons aux élections parlementaires et présidentielles. 3 Le système électoral uruguayen combine une représentation proportionnelle totale au niveau du Sénat (une seule
circonscription nationale), et partielle au niveau de la chambre des députés (en fonction du poids démographiques des
départements) ; voir le chapitre 2. 4 La réforme constitutionnelle de 1996 a instauré, entre autres, le principe du « balottage » à l’élection présidentielle,
afin, officiellement, d’éviter tout nouveau « match nul », et donner le président une légitimité électorale.
50
Tableau 1.1 : Élections Uruguayennes de 1994 et 1999.
Élections de 1994 Élections de 1999
1. Partido Colorado : 32.35%
2. Partido Nacional : 31.21 %
3. Frente Amplio : 30.61%
1. Frente Amplio : 40.1%
2. Partido Colorado : 32.8%
3. Partido Nacional : 22.3%
Coalition formée : 1 + 2 Coalition formée : 2 + 3
Source: Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de la República, à partir de données de la Cour
Electorale Uruguayenne.
Les intérêts des deux joueurs, exprimés en termes d’accession à des postes de pouvoir, semblent
converger vers la formation de coalition, le second cas offrant une configuration apparemment
« optimale ». Les résultats « exceptionnels » des élections de 1994, où tous les acteurs présentaient
un même poids politiques, permettent d’expliquer et nuancer la combinaison « irrationnelle » qui
s’est formée1. Dès lors, la théorie rikérienne cherche à proposer un modèle théorique et prédictif
solide quant aux motivations des acteurs à former des coalitions. Les cas déviants seraient ainsi
expliqués soit par un comportement irrationnel des acteurs, soit par une absence d’information sur
le poids des différents joueurs. Cependant comme nous l’avons vu au travers de l’exemple
uruguayen, la formation de coalitions politiques suppose davantage de complexité qu’un simple
décompte des rapports de force.
1.1.2 Atterrissage de la théorie
Les travaux liminaires de William Riker ont eu le mérite d’ouvrir à la science politique un
champ d’étude inédit, tout en partant de considérations et postulats propres aux sciences
économiques. Néanmoins, bien que largement suivi par la suite, et bien que la démarche rikérienne
va tracer l’évolution de la science politique, il n’en demeure pas moins qu’une mauvaise théorie,
même bardée d’un élégant modèle, demeure une mauvaise théorie. Ainsi, la posture de métathéorie,
assumée par Riker, bien qu’ambitieuse et apparemment logique, recèle-t-elle de nombreuses
faiblesses tant au plan de ses propres postulats, qu’à l’heure de la confronter à la réalité partisane.
1 A ce titre, cela nous renvoie à la boutade de José Miguel Albala Bertrand: “economists do not make predictions, but
only excuses”. Voir ALBALA BERTRAND J.M., « A word about models: definition, verification, stages and
persistence», in Macroeconomics II, Lecture notes. Présentation des cours dictés à l’Université Queen Mary de
Londres, 2010, p. 11.
51
Ainsi, l’unité de mesure (ou d’analyse) employée par Riker pour étayer sa thèse, découle-t-elle
du paradigme du choix rationnel propre à l’école économique néoclassique, qui postule le caractère
indivisible des joueurs, duquel découle un comportement rationnel individuel. Or Riker semble
hésiter sur la propre qualité indivisible des joueurs. Si ce postulat semble servir la théorie en ce
qu’elle la simplifie, l’auteur semble néanmoins ne pas savoir identifier clairement « l’individu
rationnel » à qui il confère la capacité d’action et de prise de décision. Ainsi, bien qu’il avance qu’il
considèrera l’étude des institutions (ou partis) comme « des individus à part entière »1, l’ensemble
de son modèle se focalise sur les individus au sens propre, à savoir les parlementaires2. Ce seraient
donc les aspirations utilitaristes personnelles de ces derniers qui guideraient leur comportement,
sans réelle influence d’ordre institutionnel et contextuel, mais surtout « sans égard pour des
considérations idéologiques ou d’affinités historiques »3. La théorie pose le caractère a-historique
des coalitions en éludant les questions de la responsabilité des joueurs vis-à-vis du collectif.
Si ce postulat méthodologique paraît viable pour l’étude des parlements de l’époque des
notables, quand les parlementaires étaient élus au suffrage censitaire suivant des relations de
confiance et où le député agissait en son âme et conscience, il est beaucoup moins pertinent depuis
l’époque de la « démocratie des partis » 4
. Dès lors, la théorie initiale souffre-t-elle d’un degré
d’abstraction critique qui la rend peu propice à établir des prédictions fiables, alors que ce propos
était le fondement-même de la théorie. Ce postulat pose, par ricochet, un problème conceptuel
quant à l’élaboration d’une définition générique de « coalition politique » et « coalition
gouvernementale ». La théorie va alors recevoir de nombreuses mises à jour depuis le paradigme du
choix rationnel, en incorporant les avancées portant sur l’existence d’un choix rationnel collectif
(ou social), et d’une action collective utile5. La théorie des coalitions politiques se nourrit ainsi de
1 RIKER, W., op. cit. p.20
2 De là vient d’ailleurs l’une des principales faiblesses de la théorie du choix rationnel, en ce qui concerne la
transposition du comportement individuel à un comportement social, comme le présente le logicien Anatol Rapoport
dans sa préface du livre de Abram de Swaan, Coalition theories and cabinet formations, op. cit. : « For the analysis of
rational decisions in general conflict situations perforce turns the attention of the investigator to the dialectic
opposition between individual and collective rationality, which might be viewed as a central problem in political
science » (p. xvi). 3 RIKER, W., op. cit. p. 21.
4 Bernard Manin établit en effet trois étapes ou “métamorphoses” du principe représentatif. La première, la période dite
du « parlementarisme », où des personnes d’influence (notables) débattent de manière indépendante de chacun des
sujets en cours, sans réelle coïncidence avec une quelconque opinion publique. La seconde, la « démocratie des
partis », où la fidélité et la discipline partisane découlent d’une clientèle politique représentant une classe sociale, et
dont le lien est matérialisé par un programme politique. Enfin la troisième étape est appelée « démocratie du public »,
où malgré l’existence d’un appareil partisan, les liens avec l’électorat (et donc la marge de manœuvre) sont beaucoup
moins liés à une corporation, mais sont rythmés par « l’opinion publique » via les sondages et les médias. Voir
MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs Flammarion, Paris, 1996 [1995]. Voir également
GAXIE, D., La démocratie représentative, Clefs Monchrestien, Paris, 2003 5 Voir les apports sur la théorie du “choix social” de ARROW K., Social Choice and Individual Value, Wiley, New
York, 1963 [1951]; DOWNS, A., An Economic Theory of Democracy, Harper and Rawls, New York, 1957; OLSON,
52
l’évolution des travaux sur les partis politiques. Aussi, comme le recommande Leiserson tout en
gardant le même modèle déductif rikérien, l’étude des coalitions politiques et gouvernementales
passe donc par la considération systématique des partis comme unités d’analyse1. Dès lors, la
théorie des coalitions appliquée aux coalitions gouvernementales va logiquement suivre les
avancées portant sur la démocratie représentative et les partis politiques.
Notons que l’évolution et le « boom » des coalition theories s’inscrivent dans les débats
théoriques naissants sur les partis, qui se nourrissent -entre autres- des réfutations empiriques
récurrentes des modèles d’analyse employés et de l’incompatibilité supposée entre stabilité
(politique ? démocratique ? gouvernementale ?) et multipartisme. Ainsi, aux tenants du bipartisme
et du dualisme comme essence « naturelle » de toute société, et configuration la plus désirable pour
le maintien de la stabilité (ou « ordre ») politique2 ; vont répondre des auteurs qui, se basant sur des
données empiriques solides, vont démontrer la viabilité et l’utilité des systèmes multipartites des
parlementarismes européens, notamment dans le cas de sociétés segmentées3. Les coalitions de
gouvernements et le multipartisme semblent, alors, commencer à sortir d’une considération
normative négative.
Un autre postulat central va, en outre, être questionné et subir une « mise à jour ». Il s’agit du
caractère rationnel et utilitariste des joueurs en présence. En effet, l’axiome de fiduciarité des
relations entre joueurs, et la recherche de maximisation systématique des profits, souffre d’une
absence de constatation et validation empirique « en dehors du laboratoire »4. En se basant entre
autres sur les travaux de Duverger, le postulat de la rationalité des acteurs va se retrouver nuancé ou
« limité », notamment par « l’environnement » surtout institutionnel, mais aussi culturel ou
M., Logic of Collective Action, Harvard University Press, 1965. Voir également COLOMER, J., Instituciones Políticas,
Ariel, Barcelone, 2007. 1 LEISERSON, M. A., « Power and Ideology in Coalition Behavior: An Experimental Study », in GROENNINGS, S.,
KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study of coalition behavior : theoretical perspectives and cases from four
continents, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1970, pp. 323-335. 2 Ces auteurs sont surtout influencés par le parlementarisme britannique ou Westminster, traditionnellement stable, et
considèrent le multipartisme et le phénomène des coalitions qui en découle comme une « tare » pour la stabilité
parlementaire. Voir entre autres BRYCE, J., Modern Democracies, McMillian, New York, 1921 ; DUVERGER, M.,
Les Partis Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951], BLONDEL, J., « Party Systems and Patterns of Government in
Western Democracies », in Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 1, No.
2, 1968, pp. 180-203; et DAALDER, H., “Cabinets and party systems in ten European democracies.” Act Politica, No.
6, 1971, pp. 282–303. Ainsi d’après Blondel, op. cit., p. 199: « Coalition, whether small or large, appears directly
antagonistic to stable government… ». 3 LIPSET, S. M., et ROKKAN, S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une
introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]. LEISERSON, M.A., op
cit. ; AXELROD, M., Conflict of interest, Markham, Chicago, 1970; DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet
Formation, Elsevier, Amsterdam, 1973, LIJPHART, A., “Consociational Democracy”, in World Politics, Vol. 21, No.
2, 1969, pp. 207-225 et DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976. 4 DE SWAAN, A., op. cit. p.5
53
historique1. En conséquence, la considération de préférences non-utilitaires des joueurs
2,
matérialisées en termes « d’affinités idéologiques » opère comme un tournant dans l’étude des
coalitions politiques et a fortiori pour les coalitions gouvernementales.
D’ailleurs, l’introduction de la variable idéologique des joueurs va contribuer à transformer le
modèle initial, tout en cherchant à renforcer son caractère prédictif. En effet, la principale mise-à-
jour du modèle rikérien, provient de la dimension « d’ensembles consistants », avancé par Howard
Taylor stipulant que les coalitions tendent à se former entre membres de mêmes « ensembles »3.
Michael Leiserson, Robert Axelrod et surtout Abram De Swaan introduisent la distance
idéologique entre partis comme une variable centrale à la catégorisation d’ensembles idéologiques,
et la prédiction de formation de coalitions. Cette distance idéologique étant matérialisée autour
d’un axe Droite-Gauche, où se repartiraient les partis en fonction de leur idéologie « publique », sur
une échelle ordinale unidimensionnelle4. Axelrod prédit ainsi que les coalitions les plus à même de
se former sont les coalitions minimales idéologiquement proches ou « connectées » (Minimal
Connected Winning Coalition)5. Dans le but de minimiser les coûts de transaction et marchandage
inhérents à la formation d’un gouvernement, les membres cherchent donc à se rapprocher au sein
de groupes relativement homogènes, où l’amplitude idéologique serait la moins large possible6.
Abram de Swaan prolonge de fait cet argument, reprenant les travaux de Sjöblom7, en considérant
que les postes ministériels ne sont pas l’unique « gain » en jeu, mais sont accompagnés de l’action
gouvernementale et des politiques publiques élaborées. L’attention est alors portée non pas sur le
nombre de joueurs, mais sur l’extension de cette amplitude. En combinant les travaux d’Axelrod et
ceux de Leiserson, et en incluant l’ébauche d’une perspective clivée8, De Swaan pointe que ce sont
1 En appliquant ainsi les avancées d’alors sur les théories des partis politiques. Voir DUVERGER, M., Les Partis
Politiques, Seuil, Paris 1981 [1951] ; LAPALOMBARA, J., et WEINER, M., Political Parties and Political
Development, Princeton University Press, 1966 ; LIPSET, S., Political Man : The Social Bases of Politics, Heinemann,
Londres, 1960 ; LIPSET, S., et ROKKAN, S., Party Systems and Voting Alignments : Cross National Perspectives,
The Free Press, New York, 1967. 2 William Gamson avait déjà mentionné cette dimension. Voir GAMSON, W., op. cit.
3 TAYLOR, M., “Balance and change in the two-person group”, in Sociometry, Vol. 30, No. 3, 1967, pp. 262-279. Ces
travaux étant inspirés par ceux de Heider sur la psychologie des formes et affinités (Balance Theory). Voir HEIDER,
F., "Attitudes and Cognitive Organization", in Journal of Psychology, 21, 1946, pp. 107-112; et The Psychology of
Interpersonal Relations, New York, John Wiley and Sons, 1958. 4 Voir à ce propos les considerations de Daniel Seiler “la comparaison et les partis politiques”, in BCN Political Science
Debates/ICPS, n°2, Barcelone, 2003, pp. 5-27 ; et « L'Europe des partis: paradoxes, contradictions et antinomies », in
BCN Political Science Debates, n°5, ICPS, Barcelone, 2007. pp79-127. 5 AXELROD, M., op. cit
6 Michael Leiserson parle de “Minimal Range Coalition”, ou « Coalition de moindre amplitude idéologique ». Cette
amplitude est mesurée en observant les deux éléments de chaque « extrême » de la coalition. Voir LEISERSON, M., op
cit. 7 SJÖBLOM, G., Party Strategies in a Multiparty System, Studentlitteratur, Lund, 1968.
8 Qui sera reprise par Lawrence Dodd, pour élaborer le principe de « volonté » coalitionnaire et d’ « option »
coalitionnaire. Voir DODD, L., op. cit.
54
les perspectives de satisfaction1 de réalisation programmatique qui vont guider la formation des
gouvernements de coalition. Dans son argumentation, il met en rapport la question de connexité
idéologique avec la notion d’amplitude limitée et fermée2 (Close Minimal Range Coalitions). Il
avance qu’une coalition victorieuse peut inclure des joueurs dont le rôle serait « superflus » pour
l’obtention d’une majorité, du moment qu’ils se positionnent idéologiquement dans les limites
tolérées de l’amplitude. De la sorte les fondements-mêmes de l’axiome Rikérien sur la condition de
« minimalité » des joueurs sont critiqués.
Ainsi, tout en démontrant les confusions autour des questions de nombre et « taille » minimale,
la considération de marge utile ou « marge de sécurité » de la coalition contredit la supposée
suffisance du principe de « coalition gagnante de moindre taille »3. La nature synchronique de ce
principe ne permet en effet pas de considérer le caractère mouvant de ce type d’accord politique, et
le dimension multivariée des motivations pour la formation de coalitions. Il ne prend pas en compte
à la fois le caractère volatil des électeurs, et la motivation de captation électorale des appareils
partisans formant la coalition, notamment lors d’élection partielle ou locales4. Dès lors, le caractère
a-historique de la théorie initiale l’empêche de considérer la transposabilité des coalitions de
manière multidimensionnelle (électoral, régional, municipal, etc…), ce qui la rend myope et
presbyte à la fois.
Nous avons vu que la raison d’être du modèle de Riker basé sur la théorie des jeux, a consisté à
établir des éléments théorique en vue de la prédiction de la formation de coalitions. Toutefois, la
théorie souffre d’un degré d’abstraction beaucoup trop élevé pour contenir un niveau de
prédictibilité et d’explications pertinentes du phénomène coalitionnaire5, puisque Riker ne s’attache
à étudier que les contours fondationnels et séditionaires. Bien que le modèle ait reçu de nombreuses
mises-à-jours critiques, notamment au travers de considérations d’homogénéité idéologiques,
celles-ci ne remettent, cependant pas en cause les principes directeurs de la théorie que sont le
caractère inconditionnellement rationnel des individus et le principe d’information similaire, à
défaut d’être pure et parfaite. De plus, bien qu’ils cherchent à se rapprocher de la « réalité »
1 Et non plus “maximisation”.
2 DE SWAAN, A., op. cit.
3 Voir par exemple BONNET G., et SCHEMEIL, Y., « La théorie des coalitions selon William Ricker: Essai
d'application aux élections municipales françaises de 1965 et 1971 » in Revue française de science politique, Vol.22,
No.2, 1972, pp. 269 – 282 ; KOEHLER, D. H. “The meaning of minimal winning size with uncertain participation”, in
American Journal of Political Science. Vol. 19. No. 1.,1975, pp 27-39; FROHLICH, N., « The Instability of Minimum
Winning Coalitions », in American Political Science Review, Vol. 69, No. 3, 1975, pp. 943-946; HINCKLEY, B.,
“Beyond The Size Of Winning Coalitions”, in The Journal Of Politics, Vol. 41, 1979, pp.192-212. 4 BONNET G., et SCHEMEIL, Y., op. cit.
5 Voir notamment les critiques de Grégory Luebbert sur les coalition theories de type déductives. LUEBBERT, G.,
“Coalition Theory and Government Formation in Multiparty Democracies”, in Comparative Politics, Vol. 15, No. 2,
1983, pp. 235-249.
55
partisane, ces travaux souffrent d’un degré d’abstraction exacerbée, ce qui rend leur modèle
relativement peu prédictif. Enfin, en considérant les partis comme acteurs unitaires, ces travaux ne
prennent pas en compte suffisamment les processus et intérêts internes des partis, en posant le
caractère unitaire de ceux-ci. Ces travaux semblent, enfin, pêcher par ethnocentrisme en ayant
recours à une mesure des amplitudes idéologiques basées sur un continuum droite/gauche, propre
des canons européens1.
Néanmoins, à l’image des travaux sur les partis politiques, la théorie des coalitions va donner
lieu à une systématisation de l’analyse, ainsi qu’une diversité dans les objectifs de recherche et une
plus grande créativité méthodologique. Notons néanmoins que l’introduction de considérations
multi-motivationnelles autres que le simple intérêt à maximiser l’obtention de postes ministériels,
vont ouvrir la voie à une extension du domaine d’analyse des coalition theories. Ainsi Käare Strøm
va synthétiser les travaux de Sjöblom en avançant qu’à l’heure de former des coalitions
gouvernementales, les partis répondent à trois types de motivations : i) maximisation des postes
ministériels (office seeking) ; ii) convergence programmatiques (policy seeking) ; iii) maximisation
de résultats électoraux (vote seeking)2. La tâche consiste à identifier les motivations des partis et les
classifier en fonction de ces motivations directrices.
1.1.3 De nouvelles pistes de recherche
La première « salve » de mise à jour a donc contribué à complexifier les théories initiales de
Riker et Gamson sans parvenir à se défaire d’un niveau critique d’abstraction, et maintiennent un
faible degré prédictif3. Pour autant, à partir de ces mêmes travaux deux chemins parallèles se sont
structurés, comme autant de nouvelles « générations » d’analyses4 : une qui s’inscrit dans la lignée
1 Généralement sur une échelle ordinale allant de 1 à 10, ou 1 à 5, où « 1 » représente une position de gauche extrême et
5 ou 10, une position de droite extrême. Pour une défense de ce procédé voir LAVER, M., « Why should we estimate
the policy positions of actors », in LAVER, M., Estimating the Policy Positions of Political Actors, Routledge/ECPR,
Londres, 2001, pp. 3-10. Pour une contre proposition voir SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis
politiques », in Cahiers Français, n°276, 1996, p. 51-59. On observe ainsi que ce continuum n’est pas homogène ni
transposable à l’ensemble des système partisans européens. Dans certains cas, notamment en Belgique et aux Pays Bas,
on peut observer différentes « dimensions » de compétition et segmentation politique, sur des bases autres
qu’idéologiques, comme les questions lingüistiques (flamands/ francophones), religieuses (catholiques/ protestants).
Nous verrons ainsi que dans les cas argentin et uruguayen, l’ordonnancement idéologique des partis n’est pas si
évident. Sur ce propos, voir LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984 2 Voir STRØM, K., “Party goals and government performance in parliamentary democracies”, American Political
Science Review, 79, 1985, pp. 738-754; et STRØM, K., “A behavioral theory of competitive political parties”, in
American Journal of Political Science, Vol. 34, No.2, 1990b, pp. 565-598. 3 Voir LUEBBERT, G., op. cit.
4 Le terme de génération ne suppose pas nécessairement une dimension chronologique, puisque ces approches vont se
développer de manière quasi simultanée, mais plutôt une considération en fonction du degré d’émancipation ou
diversification d’avec les coalition theories originelles. Voir BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New Directions in
56
des travaux précédents (seconde génération), l’autre découlant d’une approche plus inductive,
multivariée et multidimensionnelle (troisième génération).
a. La seconde génération ou la complexification des modélisations
Dans la lignée des travaux précédents, se sont rapidement multipliées les études à caractère
universel, dites de « seconde génération », basées sur des modèles toujours plus complexes, dont
l’objectif est de prévoir la composition des coalitions en faisant fi de la dimension contextuelle. Ces
travaux déductifs et quantitatifs, s’inscrivant dans la tradition de la théorie des jeux, s’intéressent
essentiellement à la formation des coalitions gouvernementales, et sont centrés sur les
« rétributions », et la répartition/ sélection de celles-ci -essentiellement les portefeuilles
ministériels- entre leurs membres. Cette approche maintient la considération rikérienne que la
principale motivation pour la formation de coalition est de l’ordre de l’office seeking1, puisque
comme l’avancent Laver et Schofield :
« Il ne peut y avoir le moindre doute sur le fait que le processus de formation du gouvernement
[...] est l’une des principales questions des démocraties européennes. Comprendre comment une
élection donnée conduit à un gouvernement donné est, autrement dit, l’un des principaux projets
de la science politique »2
Dans cette démarche, le nombre de sièges et l’idéologie des joueurs (les partis considérés
comme acteurs unitaires) constituent les variables centrales. L’accent est placé sur la forme de la
négociation et de la répartition, les acteurs en présence sont divisés en acteurs « centraux »3 et
« suiveurs » (ou participants)4, et les rétributions (ou « récompenses ») sont ordonnées en fonction
du nombre et la qualité des postes répartis. Cette approche que l’on pourrait appeler « théorie du
Coalition Research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No. 4, 1986, pp. 469-483. Voir également LAVER, M.,
et SCHOFIELD, N., Multiparty government :The politics of coalition in Europe, Oxford University Press, 1990;
RENIU, J.M., “Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,
1977-1996”, Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001; et LANZARO, J., La « Segunda »
transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2001b. 1 En effet: « Payoffs in question derive primarily from holding cabinet portfolios». WARWICK, P. et DRUCKMAN, J.,
“Portfolio salience and the proportionality of payoffs in coalition governments”, in British Journal of Political Science,
n°31, 2001, p. 628; voir également BARON, D., et FREJOHN, J., “Bargaining in Legislatures”, in American Political
Science Review, Vol. 83, No. 4.,1989, pp. 1181-1206. 2 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., op cit p.89. Traduction propre.
3 Ou « core party ». Essentiellement le parti du “formateur” qui, comme on l’a vu précédemment, est celui en charge
des négotiations quant à la formation de la coalition. Ce parti n’étant pas nécessairement le parti le plus « gros », est
considéré comme le parti abritant le « législateur médian », dans le spectre idéologique. Voir entre autre les travaux de
Norman Schofield, et Laver et Shepsle. SCHOFIELD, N., “political competition and multiparty coalition governments”
in European Journal of Political Research, n°23, 1993, pp 1-33; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and breaking
governments, Cambridge University Press, 1996. 4 WARWICK, P., “Coalition government membership in west European parliamentary democracies”, in British
Journal of Political Science, vol. 26, No. 3, 1998, pp. 471-499.
57
marchandage » ou « théorie des rétributions »1, s’applique à élaborer des stratégies de négociation
en fonction: i) de l’information dont disposent les partis ; ii) du poids de chacun des acteurs et iii)
de l’idéologie des joueurs et leur position sur l’axe unidimensionnel droite/gauche. C’est par
ailleurs ce dernier qui permet de déterminer le caractère des partis -qu’ils soient négociateurs ou
suiveurs-, suivant qu’ils détiennent le législateur « médian » ou s’ils en sont proches. Ce dernier –le
parti du législateur médian- tant à être considéré comme le « dictateur idéologique » du système
partisan et membre de facto de tout gouvernement de coalition2, lorsqu’il n’en est pas le formateur.
Les théories exposent dans leurs grandes lignes et en recourant à des régressions mathématiques
complexes, que le processus de négociation en vue de l’allocation de portefeuilles ministériels,
concorde avec la théorie de la congruence de Gamson3, avec un bonus pour le formateur et les
petits partis.
Ainsi, si cette stratégie est testée et évaluée en fonction de la durée du maintien de la coalition,
elle apparaît toutefois comme dépendante des motivations et de l’envie de ses membres4. Surtout
elle implique un processus dynamique où les acteurs procèdent de manière séquentielle, ou non
coopérative, de par l’inégale et incomplète information dont ils disposent, notamment au sujet des
autres membres de la coalition5. Cette approche considère les coalitions gouvernementales comme
des moyens d’accéder à des postes ministériels ou de satisfaire à des politiques publiques.
Toutefois, compte tenu du caractère a-contextuel de ces modèles, ces approches ne parviennent
qu’à un degré de prédiction particulièrement modeste6. En outre, l’analyse des relations entre les
partis, bien que basée sur des postulats rationnels (proximité idéologique), fait preuve d’une
1 Voir BROWNE, E., et FRANKLIN, M., “Aspects of coalition payoffs in european parliamentary democracies”, in
American Political Science Review, 67, 1973, 453–69; BROWNE, E., et RICE, P., “A Bargaining Theory of Coalition
Formation”, in British Journal of Political Science, Vol. 9, No. 1, 1979, pp. 67-87; et WARWICK, P., op. cit.. 2 BUDGE, I., et LAVER, M., “The policy basis of government coalitions: a comparative investigation” , in British
Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519; et LAVER, M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers
and Parliamentary Government, Cambridge University Press, 1994. 3 GAMSON, W., op. cit. Laver et Schofield qualifient la théorie de Gamson de « one of the strongest relationships to be
found anywhere in the realm of the social sciences ». LAVER, M., et SCHOFIELD, N., 1990, op. cit. p. 171. 4 AUSTEN-SMITH, D., et BANKS, J., “ Elections, Coalitions, and Legislative Outcomes”, in American Political
Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., “A spatial bargaining theory of government formation
in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, pp. 137-164; SCHOFIELD, N.,
1993 op cit. 5 Pour une « théorie » de la négotiation non coopérative voir SUTTON, J. “Non-Cooperative Bargaining Theory: An
Introduction”, in Review of Economic Studies, Vol. 53, No. 5, 1986, pp.709-724. Ainsi d’après John Sutton (p. 709):
“In the case of two-person bargaining under complete information, an appeal to perfectness is sufficient to ensure
uniqueness […] The imposition of perfectness in this context appears natural, and possibly even compelling. The
restrictions which have been employed to ensure uniqueness in games of incomplete information are, however, at best,
less persuasive”. 6 BROWNE, E., et FRANCKLIN, N., op. cit. ; MARTIN, L., et STEVENSON, R., "Cabinet Formation in
Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 45, No.1, 2001, pp. 33-50.
58
perspective a-historique et statique. Les intérêts des joueurs apparaissent, de cette manière, comme
ponctuels ou contractuels1, les coalitions se formeraient ex nihilo.
En réponse à ces limites, certains auteurs vont peu à peu doter leurs modèles prédictifs d’une
optique diachronique. Ainsi les relations antérieures entre les joueurs, entrent en considération pour
prédire la formation de coalitions futures2. L’expérience commune d’une coalition
gouvernementale influe ainsi sur les motivations futures de reconduction ou re-formation
d’alliance. L’information disponible sur le caractère et le comportement des joueurs étant
incomplète et imparfaite, Mark Francklin et Thomas Mackie introduisent les facteurs de familiarité
(expérience commune passée) et d’inertie (reconduction d’une coalition)3. La temporalité exposée
en variable contribue à enrichir la théorie au travers d’une approche inspirée des travaux dits de la
« dépendance du sentier » (path dependence).
b. Limites de cette approche
Cette approche des coalition theories, qui constitue le gros de la théorie, se concentre sur la
partie fondationnelle et terminale du « cycle coalitionnaire », l’objectif étant de prédire la formation
des coalitions gouvernementales en fonction des membres en lice, puis d’établir la viabilité de
celles-ci en fonction des membres qui les composent, ceteris paribus. Si ces approches ont
contribué à un renouveau des coalition theories, et ont réalisé des apports certains en termes de
stratégie et communication politique, elles souffrent toutefois deux principaux écueils –au-delà des
considérations phénoménologiques pointant la superficialité de ces approches4.
Tout d’abord, l’axiome de rationalité combiné à la conception des partis comme acteurs unitaires
conduit, en effet, à mésestimer les évolutions et compétitions voire luttes intra-partisanes, en
considérant les partis comme inaltérables ou statiques5, et dont les chefs de partis sont supposés
1 GAUDIN, J.P., Gouverner par contrat, Presses de Sciences-Po, Paris, 2007.
2 BUDGE, I., et KEMAN, H., Parties and democracy. Coalition formation and government functioning in twenty
states, Oxford University Press, 1990. 3 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary
democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298. 4 Pour une perspective critique de cette approche voir RENIU, J.M., op. cit., et BUÉ, N., « Rassembler pour régner
Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la gauche à Calais (1971-2005) », Thèse
de doctorat non publiée, Université de Lille 2, 2006. 5 Laver et Schofield avancent que: «parties do in practice tend to go into and came out of government as single actors,
however painful the wounds inflicted upon them inside the black box might have been» LAVER, M., et SCHOFIELD,
N., op. cit. p.15. Les auteurs se défendent néanmoins en présentant les partis européens comme effectivement très
disciplinés (au niveau parlementaire), où les divisions sont davantage « verticales », qu’horizontales. De ce fait les
auteurs élaborent une typologie regroupant quatre « types » de partis en fonction de leur degré « d’unité » et de
« coalitionnalité » : i) les partis cohérents (partis communistes et personnalistes) ; ii) les partis confédérés mais
« unitaires » quand ils sont au gouvernement ; iii) les partis atomisés et peu institutionnalisés; et iv) les « coalitions
électorales de partis », celles-ci étant considérées alors comme un « supra-parti » considéré comme acteur unitaire. Et
bien qu’ils soient conscient du caractère tendancieux de leur approche, notamment en se référant aux travaux de
59
incarner la stabilité et la discipline interne1. Cette double conception qui sert la théorie en la
rendant plus modélisable, délaisse néanmoins la part informelle et symbolique propre aux relations
inter et intra partisanes ; variables, il est vrai, plus difficilement « mathématisables ». Suivant
Offerlé2 et Bué et Desage
3 nous considérons que s’en tenir à l’apparente stabilité interpartisane
reflète mal les tensions internes et les processus de négociation, sédition et recomposition.
De nombreux auteurs4 ont mis en évidence le caractère simpliste consistant à considérer la
cohésion interne des partis comme un acquis. En effet, cette « exogénisation des partis»5,
considérés comme unités données dans une temporalité « figée », conduit à une dématérialisation
des partis. Cela est d’autant plus vrai que les partis sont, eux-mêmes, des coalitions d’individus
ayant décidé de s’unir pour des motifs politiques, sans nécessaire adhésion à une idéologie définie
ou dogmatisée6. Ceci s’applique particulièrement, en ce qui nous concerne, pour les partis latino-
américains, généralement marqués par une grande hétérogénéité idéologique interne et considérés
comme faiblement disciplinés7. D’ailleurs, l'étude de la cohérence intra-partisane révèle que celle-
ci englobe trois dimensions: a) la cohérence idéologique, b) la cohérence programmatique, et c) la
cohérence organisationnelle. Là où l’accent est généralement porté sur la dimension idéologique8,
ces trois niveaux de cohérence sous-tendent, dès lors, la nécessité de la contextualisation de l'étude
des partis, dimension absente comme on l’a vu des « théories du marchandage ». Ceci met donc en
évidence les différents échelons de motivation et relation entre les partis et à l’intérieur de ceux-ci.
Gregory Luebbert, les auteurs concluent (p. 28) : “overall, our general conclusion on the matter of whether or not we
can treat parties as unitary actors for coalitional purposes is that we can indeed do so if we confine ourselves to
analyzing individual episodes of coalitional behavior at given time points and if we make a few significant exceptions
for parties that really are no more than coalitions of factions in every sense…”. 1 Voir LAVER, M., et SHEPSLE, K., « Events, equilibria and governemnt survival », in American Journal of Political
Science, Vol. 42, No.1, 1998, pp. 25-54. 2 OFFERLÉ, M.., op. cit.
3 BUÉ, N., et DESAGES, F., op cit.
4 LUEBBERT, G..M., op. cit ; DI TELLA, T. S. Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos-
Aires, 2003 ; LEHINGUE, P., op. cit. ; BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation” in Party Politics, Vol.
14, No. 1, 2008, pp. 71-89 ; et surtout RUIZ RODRÍGUEZ, L.M.,“La coherencia programática en los partidos
políticos”, in ALCÁNTARA, M., Políticos y política en América Latina, Fundación Carolina/Siglo XXI, Madrid,
2006a, pp. 281-310; et RUIZ RODRÍGUEZ, L.M La coherencia partidista en América Latina, Editions Centro de
Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2007. 5 GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party politics and coalition governments, Routledge/ECPR, Londres- New
York, 2009 6 Voir, notamment, OFFERLÉ, M., les partis politiques, Puf, Paris, 2006 [1987] ; DUVERGER, M., Les partis
politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951]; PANEBIANCO, A., Political Parties, Organization and Power, Cambridge
University Press, 1988 ; LAPALOMBARA, J., Political Parties and Political Development, Princeton University Press,
1966 7 On observe généralement que les systèmes de partis, où la compétition politique est structurée de forme bipartite,
présentent davantage d’hétérogénéité idéologique et programmatique interne. Le cas britannique constitue, cependant,
un contre-exemple à cette observation, d’où une nécessaire précaution face à des « lois » mécaniques. Voir ALBALA,
A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en
Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180. 8 Notamment lorsqu’il s’agit d’établir des typologies ou des échelles de positionnement de type droite-gauche.
60
Ces observations sont alors nécessaires lorsque l’on constate que la concurrence pour
l’attribution de parcelles de pouvoir1 se révèle être d’autant plus rude, à l’intérieur des partis
qu’entre eux. D’où la nécessité d’étudier les mécanismes formels et informels de discipline interne,
ainsi que les cas de désertions également individuelles ou collectives2. Les ambitions et motivations
personnelles et collectives entrent donc en considérations, et incluent les affinités voire les relations
d’amitiés ou inimitiés politiques et personnelles, entre acteurs politiques ne sont pas prises en
compte. Celles-ci contribuant grandement à la formation de relations de gratifications et de
loyautés. En outre, la dimension symbolique, entendue comme l’introduction ou la (sur)valorisation
d’acteurs a priori moins centraux mais tout autant stratégiques (accords avec des écologistes ou des
partis régionalistes par exemple), est considérée comme un coup de marketing politique3.
Surtout, la seconde limite de ces théories du marchandage découle du fait, comme l’avance Jean
Pierre Gaudin, qu’à se focaliser sur les acteurs on reste prisonnier « d’une actualité magnifiée par
ses protagonistes qui aiment à y voir tantôt un triomphe irénique de l’esprit consensuel ou, à
l’inverse, la valorisation des jeux stratégiques et des concurrences ouvertes de pouvoir »4. Par
conséquent, en n’abordant pas les coalitions gouvernementales comme des fins, et en se
désintéressant des « mobiles » (positifs ou « négatifs5 ») de la coalition, ces approches négligent
alors les questions de reddition des comptes (accountability), et de visibilité et identification6des
acteurs. Des questions qui vont au-delà des considérations inertielles ou de familiarité des acteurs,
et qui se trouvent être centrales pour comprendre, à la fois, la survie de coalitions et leur éventuelle
re-formation. Ainsi, comment ne pas invoquer ces considérations pour comprendre les parcours
parallèles des gouvernements de coalition argentin et uruguayen, lors de la gestion de crise qui a
touché les deux pays presque simultanément en 2001 ? Dans le cas argentin, en effet, l’absence
d’une « tradition de coopération » interpartisane propre à une forte culture gouvernementale
1 Cela peut aller de portefeuilles ministériels à des nominations à la tête d’entreprises étatiques, notamment. Voir infra
chapitres 5 et 6. 2 Pour comprendre les « intérêts à partir » (ou walk away value) voir LUPIA, A., et STRØM, K., « Bargaining,
Transactions Costs and Coalition Governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and
Coalition Bargaining, Oxford University Press, 2008, pp 51-83. Nous étendons le concept de Lupia et Strøm et
défendons ainsi l’idée que le walk away value relève d’une dimension institutionnelle-collective (au niveau des partis)
mais aussi individuelle (membre de partis). En ce qui concerne les travaux sur les mécanismes de discipline interne,
voir LAVER, M. “Devided parties, devided government”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 24. No.1, 1999; et
LAVER, M. et SHEPSLE, K.A., Cabinet ministers and Parliamentary Government, Cambridge University Press, 1994. 3 OFFERLÉ, M., op. cit.; GERSTLÉ, J., Les effets d’information en politique, Paris, L’Harmattan, 2001 ; GERSTLE,
J., La communication Politique, Paris, Armand Collin, 2004. 4 GAUDIN, J.P., op cit. p.10.
5 Nous entendons par « mobiles négatifs », les motivations visant exclusivement à écarter du pouvoir un adversaire
commun, ou à l’empêcher d’y accéder. Voir les conceptions de Théodore Caplow de « coalitions de deux contre un »,
in CAPLOW, T., 1956, op. cit. 6 STRØM, K., 1990a, op. cit
61
hégémonique et centrée sur le président, explique en bonne partie l’échec de l’Alianza1. Dans le cas
uruguayen, la culture polyarchique de l’exercice du pouvoir et la longue tradition de coopération
entre les deux partis « traditionnels », sont les principaux facteurs permettant de comprendre la
stabilité institutionnelle et politique qui a suivi la crise économique et sociale qui a touché le pays
des années 2002 et 2004.
L’absence de ces considérations a conduit à traiter les coalitions gouvernementales et leurs
acteurs des entités figées et adynamiques, et ce malgré l’introduction du facteur historique, comme
le montre le postulat suivant :
« Il peut être soutenu que la plupart des cas de formation de coalitions gouvernementales se
produisent dans les milieux politiques stables, où les principaux acteurs sont bien connus les uns
des autres, […]. Par ailleurs, nous devrions nous attendre à ce que les partis soient relativement à
l'abri de la défection de députés individuels pour des postes dans le gouvernement, précisément
parce que la structure de récompense pour les membres individuels du parlement dépend de
l’appartenance à un parti »2
Le fait de centrer l’attention uniquement sur la « Hollywood Story »3, à savoir la formation et la
dissolution des coalitions, en se focalisant sur les méthodes de sélection des membres comme
principal facteur d’explication, sans considérer l’« environnement » immédiat, contribue à
maintenir un degré d’abstraction critique de l’étude du phénomène. Et ceci est particulièrement vrai
si les indicateurs utilisés pour l’identification des acteurs (ou « joueurs »), sont basés sur des
questions de poids (force parlementaire) et de position (idéologique), indicateurs qui ne prennent
pas en considération l’évolution et la nature des partis4. En effet, comme le montre Nicolas Bué,
deux partis de « poids » similaire ne sont pas nécessairement d’un attrait identique si l’un se trouve
sur le déclin et l’autre en expansion5 ; le même problème se pose lorsqu’il s’agit d’opérationnaliser
l’évolution idéologique et programmatique d’un parti6. Surtout, la nature ou « structuration »
(d’aucuns diraient « institutionnalisation7 ») des partis est-elle primordiale afin d’analyser les bases
des relations intra et inter-partisanes. Ainsi, le faible degré de structuration du FREPASO explique-
t-il, en partie, l’implosion de l’Alianza argentine à la suite de la crise économique de 2001. En effet,
1 Les chapitres 5 et 6 développent davantage ce thème, et notamment la question d’équilibre interne à la coalition.
2 BROWNE, E., et RICE, P., op. cit., p.72. Traduction propre.
3 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, 2000.
4 Voir les considérations de Grégory Luebbert, op .cit.
5 BUÉ, N., 2006 op. cit.
6 Ainsi d’après ces considérations, le Partido Justicialista Argentin voit-il sa « position » changer inlassablement en
fonction de son leader. En effet, avec Antonio Cafiero il est considéré comme un parti de centre gauche, puis sous
Carlos Menem il « passe » à droite, enfin sous les Kirchner il est pratiquement d’extrême gauche. Voir ces
approximations notamment chez ALCÁNTARA, M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en
América Latina”, in Política y Gobierno, Vol. XIV, No. 2, 2007, pp. 349-390. 7 MAINWARING, S., et SCULLY, T., La Construcción de instituciones democráticas. sistemas de partidos en
América latina, Cieplan, Santiago, 1996.
62
le caractère personnaliste du parti, autour de son fondateur Carlos ‘Chacho’ Alvarez, a engendré
l’absence de la constitution d’un appareil partisan institutionnalisé. Ceci, combiné à une présence
concentrée autour de Buenos Aires, a placé le FREPASO dans une situation de déséquilibre face au
parti centenaire qu’est l’Unión Cívica Radical (UCR), et cela malgré de meilleurs résultats
électoraux lors des précédentes élections.
Dès lors, pour une compréhension du phénomène coalitionnaire et une meilleure approche des
processus de sélection (des candidats et des membres du cabinet), l’étude des coalitions
gouvernementales requiert-elle une approche plus varié et plus globale, allant au-delà du cadre de
l’analyse économique du vote1. En effet, les théories que nous avons exposées jusqu’à présent -dans
leurs grandes lignes-, se sont ainsi développées comme un sous-champ d’analyse particulièrement
déconnectée de la réalité matérielle et contextuelle des partis politiques2. Ce sont bien les
suppositions de base qu’il faut soit repenser soit simplement éliminer. Ainsi, comme l’avance
Arend Lijphart il y a quatre points centraux qui constituent autant de faiblesses des travaux de type
modélisateur: i) les motivations unidimensionnelles maximisantes; ii) une question d’ordre
phénoménologique portant sur la définition des types de « membres » de la coalition (membres à
part entière ou membre de « soutien » parlementaire) ; iii) la relation inversement proportionnelle
entre le nombre de participants et les coûts de transaction, liés aux questions d’information
respective des membres portant notamment sur le degré de loyauté de chacun d’eux; enfin iv) le
caractère de somme constante et des points d’équilibre (équilibre entre coalition gagnante/
perdante), faisant fi des recours aux majorités spéciales et à l’existence de gouvernements
minoritaires3.
Dès lors l’accent doit-il être porté comme l’avancent Eric Browne et Mark Franklin, sur
l’environnement des coalitions du cycle coalitionnaire en lui-même4.
c. Les approches multidimensionnelles
La « troisième génération » de coalition studies s’est ainsi caractérisée par une
« européanisation1 » de l’approche, en abordant entre autres des questions découlant du droit
1 LEHINGUE, P., « L'analyse économique des choix électoraux (I et II) », op. cit.
2 Barbara Hinckley avançait, déjà en 1979 (p. 194): “We are confronted by two anomalies: one of the discrepancy
between promise and practice in political coalition research; and the other that work on this supposedly "political"
subject matter appears to be proceeding most actively outside political science”. Voir HINCKLEY, B., “Twenty-one
variables beyond the size of winning coalitions”, in Journal of Politics, Vol. 41, No. 2, 1979, pp.192-212. 3 Voir LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in
Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; et LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984. 4 En effet: “Thus, any special theory of coalition behavior attempting to account for cabinet coalitional processes must,
in addition to formation and payoff distribution, consider the maintenance of cabinets over time.” BOWNE, E. et
FRANKLIN, M., op cit. p.474.
63
constitutionnel (les « institutions », au sens large, comme facteur décisif), et de la sociologie.
Surtout, c’est l’angle d’analyse qui est différent, puisqu’en laissant davantage la place à
l’environnement coalitionnaire (système politique, culture politique, histoire, etc.) et au contexte lié
à la formation des coalitions, cette approche propose ainsi un traitement inductif, en se fondant sur
des données empiriques solides2. L’objet d’analyse n’est plus centré et limité au caractère prédictif
de la formation des coalitions, mais il se constitue comme une boîte à outil pour comprendre le
fonctionnement, les limites et les évolutions de ces types de gouvernements. Aussi, si l’approche
est toujours basée sur le postulat du caractère rationnel des joueurs3, le postulat de l’information
parfaite, équilibrée, et complète va être de plus en plus critiqué.
Surtout la recherche modélisatrice à défaut d’être complètement abandonnée, va être amandée et
accompagnée de considérations (« dimensions ») moins mathématisables. La recherche visant à
agrandir le spectre d’analyse du processus coalitionnaire, les dimensions motivationnelles et
historiques étant aussi centrales que les considérations prédictives. Pour ce faire, nous avons relevé
cinq angles de recherche multidimensionnelle, répertoriés en fonction de l’accent porté (ou
« dominante »).
i) La dominante Institutionnelle
Paradoxalement, les premières études portant sur les alliances politiques, dix ans avant
l’avènement et la systématisation des coalition theories de Riker et Gamson, ont été élaborées par
un français -Maurice Duverger- dans le cadre de ses travaux sur les partis politiques. Si celui-ci
mentionne différents facteurs de causalité et d’analyse de la formation « d’alliances »4, tels que la
tenue d’un programme commun, la dimension historique et contextuelle, etc., l’accent est surtout
mis sur les organisations partisanes et plus particulièrement sur le rôle du système partisan et de la
loi électorale dont l’influence est, aux yeux de Duverger, « prépondérante »5. Le système électoral
tendrait, ainsi, à « conditionner » à la fois le nombre de partis ainsi que leur propension à s’allier.
Ainsi, aussi bien le système de représentation proportionnelle, que le système majoritaire avec
1 Ce qui ne veut pas dire que les travaux de “première” et “seconde” génération ait été nécessairement réalise par des
Européens, mais plutôt que cette approche répond davantage à la « tradition » européenne. 2 PRIDHAM, G., Coalition behaviour in theory and practice, Cambridge University Press, 1986.
3 Wolfgang Müller, Torbjörn Bergman et Kaare Strøm avancent ainsi dans leur livre qui fait acte de référence: “we
think that the mostusefully way to approach the study of coalitions is from the theoretical perspective that was founded
by Gamson (1961) in sociology and Riker (1962) in political science, The Rational Choice research programme”.
MÜLLER, W., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition Theory and Cabinet Governance: An Introduction”, in
STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., 2008, op. cit., p.32. 4 Duverger préfère le terme “alliance” qu’il considère comme ayant une plus grande portée temporelle notamment. Pour
autant nous préférons le terme coalition qui d’après le dictionnaire de l’académie française signifie : « 1. Réunion de
différents partis politiques, ligue de plusieurs puissances militaires contre un ennemi commun. » et 2. « Entente
momentanée conclue entre des personnes, des institutions, etc., en vue d'un but commun ». 5 DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit, p. 434.
64
balottage (second tour) sont, d’après Duverger, des éléments facilitateurs du multipartisme et, par
ricochet, de la formation des coalitions. Dans une perspective typologisante, l’auteur des Partis
Politiques souligne néanmoins la nature différente des coalitions qui se dégagent de ces deux
configurations, précisant que les coalitions issues d’accords d’entre-deux-tours, tendent à être plus
soudées que les premières. Ces lois vont être par la suite largement reprises et perfectionnées1, et ce
notamment depuis l’introduction et la généralisation de la théorie néo-institutionnaliste2.
L’approche par les coalitions, comme variable dominante va ainsi prendre une place prépondérante
dans l’analyse du phénomène coalitionnaire.
Dans cette perspective, Kaare Strøm, Ian Budge et Michael Laver vont rappeler que les partis
politiques et a fortiori les coalitions politiques (au sens large) n’opèrent pas dans un monde « libre
des caractéristiques institutionnelles qui accroissent la complexité de la gouvernance de la
coalition »3. En plus de modeler ou « faciliter la formation de coalitions », les institutions aussi
conditionnent à la fois la formation et la pratique gouvernementale. Ainsi les lois électorales et les
règles de votation parlementaire conduisent-elles à une diminution des « possibilités » de coalition4.
De même, les dispositions constitutionnelles de séparation des pouvoirs (Bicaméralisme,
Fédéralisme, etc…)5, les règles établissant les relations entre l’exécutif et le législatif
6, et les
prérogatives du chef de gouvernement7 sont autant d’éléments qui influent sur la pratique coalisée
et qui permettent d’établir à la fois des points de comparaison et de prédiction sur les attitudes des
gouvernements.
1 Voir notamment SARTORI, G., Parties and party system, ECPR- Oxford, Oxford, 2006 [1976]; SARTORI, G.,
Ingeniería institucional comparada, Fondo de Cultura Económica, México, 1995 [1994]; et LIJPHART, A.,
Democracies, Yale University Press, 1984; LIJPHART , A., “The political consequences of electoral laws, 1945-85, in
American Political Science Review, Vol. 84, No. 2, 1990, pp. 481-496. 2 MARCH, J., et OLSEN, J., “ The new institutionalism: organizational factors in political life” in American Political
Science Review, Vol. 78, No. 3, 1984, pp. 734-749; RHODES, R., BINDER, S., et ROCKMAN, B., The Oxford
Handbook of Political Institutions, Oxford University Press, 2006. 3 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., “Constraints on cabinet formation in parliamentary democracies”, in
American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, p. 305. 4 Voir DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976; LAVER, M., et
SCHOFIELD, N., op. cit.; STRØM, K., et MÜLLER, W., “The keys to togetherness: coalition agreements in
parliamentary democracies.”, in Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-82. 5 COLOMER, J.M., et MARTINEZ, F., “The paradox of coalition trading”, in Journal of Theoretical Politics, Vol.7,
No. 1, 1995, pp. 41-63; COLOMER, J., Instituciones politicas, Ariel, Barcelone, 2007 [2001]; 6 HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies.” American Political Science Review, Vol. 90,
1996, pp. 269–82; STRØM, K., Minority Government and Majorty Rule, Cambridge University Press, 1990a. 7 LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries, Yale University
Press, 1999; MÜLLER, W., et STRØM, K., 2000 op. cit.; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation
and accountability in parliamentary democracies, Oxford University Press, 2003.
65
Les travaux récents sur les coalitions relèvent pour leur majorité de cette approche. Ceci dit, la
tentation néo-institutionnaliste à utiliser une seule optique étant grande, certains auteurs ne
manquent pas de rappeler que « bien qu’importantes les coalitions n’expliquent pas tout »1.
ii) La dominante structurelle et clivée
Propre à la distribution et l’organisation sociopolitique des sociétés et, par ricochet, des systèmes
politiques, elle se réfère aux considérations propres à la « culture politique » propres aux sociétés
ainsi qu’aux acteurs en lice. Elle intègre également les questions portant sur le degré de
consensus/polarisation des systèmes politiques2, et la tradition
collaboratrice ou hégémonique, propres à la « culture d’organisation et de relation des partis »3.
Surtout, la prise en compte de la dimension relative aux clivages permet-elle d’appréhender plus
finement les lignes de divisions tant au niveau sociétal qu’au niveau politique, et d’analyser leur
degré de coïncidence4, suivant une « relation de principal- (électorat) agent (partis politiques) »
5.
Ceci permet entre autres d’incorporer une double approche verticale (intra-partisane) et horizontale
(interpartisane) de même que les « mouvements sismiques6 » opérant tant à l’intérieur des partis
(scissions, changement d’orientation) qu’à l’extérieur de ceux-ci (émergence de nouveaux partis,
désaffection des partis « traditionnels »). Cela permet d’établir une cartographie des « options » de
coalition crédibles7. Enfin, combiné à une approche diachronique, cette dimension permet d’avoir
une vision des « réalignements » partisans8, ainsi que des motivations de la nature (positive ou
négative) des acteurs à se coaliser et leur développement1.
1 LUPIA, A., et STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the
future”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and Coalition… op. cit, 2008 p. 56. 2Voir entre autres, SANI, G., et SARTORI, G., « Polarización, fragmentación y competición en las democracias
occidentales », in Revista del Departamento de Derecho Político, n° 7, 1980, pp. 7-37; LIJPHART, A., “The quality of
democracy and a ‘kinder, gentler’ democracy consensus democracy makes a difference”, in LIJPHART, A., 1999 op.
cit. pp. 275- 300. 3 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue d''histoire, Vol.35, No. 1, 1992, pp.
67 – 77 ; et MATAS, J., Coaliciones politicas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone,
2000 ; SARTORI, G., Parties and party system, ECPR-Oxford University Press, 2006 [1976]. 4 DODD, L., op cit; BARTOLINI, S. et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability: the stability of
european electorates, 1885-1985, Cambridge University Press, 1990. 5 LIPSET, S., “Cleavages, parties and democracy”, in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter
alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp 1-9; McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections, parties,
democracy, Oxford University Press, 2005; SCHOFIELD, N., et SENED, I., Multiparty democracy; elections and
legislative politics, Cambridge University Press, 2007. 6 HAEGEL, F. “Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France”, in Revue
Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, n° 1, 2005, pp 35-45. 7 DODD, L., op cit; DAALDER, H., “The rise of parties in western democracies”, in DIAMOND, L., et GUNTHER,
R., Political parties and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001. 8 KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, in Journal of Politics, Vol. 21, No. 2, 1959, pp. 198-210;
MAIR, P., Party system change: approaches and interpretations, Oxford University Press, 1997; MAIR, P., MÜLLER,
W., PLASSER, F., Political parties and electoral change: party responses to electoral markets, Sage Publications,
66
iii) La dominante temporelle : « temporalité » et « cycle coalitionnaire »
S’il est nécessaire, en sciences sociales, de se méfier des approches mécanicistes (tout ce qui se
présente comme des « lois »), les liens de causalité temporelle, -dépourvus de déterminisme-, sont
toutefois indispensables à analyser. Ainsi, bien qu’elles ne soient pas « automatiques »2, les
coalitions électorales sont des variables essentielles à prendre en compte pour l’étude de la
formation des coalitions gouvernementales. Et alors que la plupart des travaux abordent les
coalitions gouvernementales de manière ex-post, autrement dit une fois que les forces ou poids de
chacun des acteurs (voix, nombre de sièges à l’assemblée) sont connus ; de récents travaux se sont
attelées à considérer la dimension ex ante à savoir la transposition d’alliances électorales en
coalition de gouvernement3. De ce fait il s’agit d’aller au-delà des considérations inertielles de
Francklin et Mackie4 et d’englober, en sus de la dimension temporelle, le contenu de ces accords
pré-électoraux, l’origine sociologique et historique des relations entre les « contractants », ainsi que
les motivations (négatives ou positives) de l’accord5. Ces approches supposent pour autant la
différentiation conceptuelle entre les notions de pactes électoraux (désistements nationaux ou
locaux) et la conformation d’une véritable alliance électorale6. Cette dernière supposant notamment
des accords plus ou moins formels en termes de convergence programmatique, mécanismes de
cohésion, et de partage en amont des portefeuilles ministériels.
Cette dimension est, ainsi, particulièrement riche en ce qu’elle combine entre elles de
nombreuses variables. Néanmoins, la configuration institutionnelle (système électoral à
représentation proportionnelle à un tour) et la réalité empirique ont conduit à ce que les études sur
la formation des coalitions gouvernementales en régime parlementaire n’accordent qu’une place
limitée à cette dimension. Pour autant, cette dimension doit être ramenée au processus
Londres, 2004; ALLARDT, E., “Party systems and voter alignments in the tradition of political sociology”, in
KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp. 10-23. 1 HARMEL, R., et JANDA, K., “An integrated theory of party goals and party change”, Journal of Theoretical Politics,
Vol. 6, No. 3, 1994, pp. 259-287; JANDA, K., Political parties: a cross-national survey, NewYork, Free Press, 1980. 2 BIDEGARAY, C., “Coalition électorale”, in PERINEAU, P., et REYNIÉ, D., (eds.), Dictionnaire du vote, PUF,
París, 2001, pp. 206-207. 3 GOLDER, S., “Pre-Electoral Coalition Formation in Parliamentary Democracies”, in Bristish Journal of Political
Science, Vol. 36, No.2, 2006a, pp. 193 -212; GOLDER, S., The Logic Of Pre-Electoral Coalition Formation, Ohio
State University Press, Colombus, 2006b; CARROLL, R., et COX, G., “The Logic of Gamson's Law: Pre-election
Coalitions and Portfolio Allocations”, in American Journal of Political Science, Vol. 51, No. 2, 2007, pp. 300-313;
GOODIN, R., GUTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to Coalesce: Early Versus Late Coalition Announcement in
an Experimental Democracy”, in Bristish Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 2007, pp. 181–191; DEBUS, M.,
“Pre-electoral commitments and government formation”, in Public Choice, Vol. 138, 2009, pp.45-64. 4 FRANKLIN, M., et MACKIE, T., 1983, op. cit.
5 Sur la notion « verticalité » des coalitions voir le chapitre 6 de cette thèse.
6 Nous adoptons la définition générique de Pierre Martin d’alliance électorale, comprise comme : « un accord passé
entre plusieurs formations politiques à l’occasion d’une élection. Toute alliance électorale a un coût en termes
d’originalité programmatique et de leadership. Chacun des partenaires est obligé de sacrifier une partie de son
originalité […] il faut donc que l’alliance offre des bénéfices qui vont être supérieurs à ces coûts », MARTIN, P.,
« Alliance électorale », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D., Dictionnaire du vote, Puf, Paris, 2001, p. 49.
67
coalitionnaire dans son ensemble. Aussi, bien qu’ils ne considèrent pas vraiment la dimension pré-
électorale, les travaux de Müller et Strøm, et Strøm et al., en viennent à considérer quatre
différentes étapes faisant partie du « cycle coalitionnaire », lequel fonctionne en boucle, à savoir : i)
la tenue d’élections, ii) la formation du gouvernement, iii) la « gouvernance coalitionnaire », et iv)
la conclusion gouvernementale. Les auteurs préconisent ainsi de ne plus considérer les différentes
étapes comme autonomes les unes des autres, insistant dès lors à ne pas analyser la « Hollywood
Story » (formation et conclusion), sans la « vie de couple » (gouvernance coalitionnaire)1, ni les
considérations événementielles et contextuelles classées en fonction de leur périodicité et
fréquence2.
iv) La dominante interne et de « gestion » des conflits
Dans cette approche, l’accent est mis sur la partie organisationnelle de l’alliance, à savoir les
mécanismes internes formels ou non, de maintien de la cohésion. Les études s’inscrivant dans cette
« dominante » s’intéressent ainsi à la fois aux modalités de la prise de décisions3 et aux options se
présentant aux leaders partisans pour prévenir des tentations d’exit (« walk away value ») de
certains membres4. Cette approche permet également d’observer les stratégies des partis en fonction
de leurs priorités du moment qu’elles soient électorales ou programmatiques5. Ces considérations
s’attellent donc à étudier la formation et l’application d’accords et programmes6, notamment en
fonction de leur degré de i) publicité; ii) précision et iii) ampleur7. L’idée communément partagée
étant ainsi que plus l’accord est complet et compréhensif [entendu comme public et précis], plus la
coalition sera forte8. Nous pouvons également amender à ce postulat la dimension de la précocité,
ainsi « plus un accord est précoce, plus il a tendance à être passé et respecté ». Le recours à l’étude
1 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Coalition government in western Europe., op. cit., 2000; MÜLLER, W., STRØM,
K., et BERGMAN, T., “Coalition theory and cabinet governance: an introduction”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et
BERGMAN, T., Cabinets and coalition… op. cit., 2008, pp. 1-50. 2 GIBSON, J., “Political timing a theory of politicians’ timing of events”, in Journal of Theoretical Politics, Vol. 11,
No. 4, 1999. pp. 471–496. 3 LAVER, M., et SHEPSLE, K., 1996, op. cit ; MARTIN, L., et VANBERG, G., “Policing the bargain: coalition
government and parliamentary scrutiny”, American Journal of Political Science, vol. 48, 1, 2004, pp. 13-27. 4 LAVER, M., “Divided Parties, Divided Government”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 24, No. 1, 1999, pp. 5-
29; LUPIA, A., et STRØM, K., op. cit.; ANDEWEG, R., et TIMMERMANS, A., “Conflict management in coalition
government”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 269-300. 5 MÜLLER, W., et STRØM, K.., Policy, office, or votes?, Cambridge University Press, 1999.
6 TIMMERMANS, A., “Standing appart and sitting together: enforcing coalition agreements in multiparty systems”, in
European Journal of Political Research, Vol. 45, No., 2, 2006, pp. 263-283 ; MÜLLER, W., STRØM, K., « Coalition
Agreements and Cabinet Governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., 2008 op. cit., pp159-199; 7 ROYED, T., “Testing the mandate model in Britain and the United States: evidence from the Reagan and Thatcher
eras”, in British Journal of Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80; MOURY, C., « les ensembles flous pour
y voir plus clair: decoder les caractéristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue Internationale
de Politique Comparée, vol. 11, n°1, 2004, pp. 101-115. 8 STRØM, K., et MÜLLER, W., “The keys to togetherness…”, op. cit., p.269.
68
des accords programmatiques, quand ils existent, suppose donc de s’attaquer 1) aux processus de
distribution des parcelles de pouvoir, 2) aux processus de prise de décision (à l’unanimité ou à la
majorité), 3) aux mécanismes de maintien de la cohésion de la coalition.
Enfin, cette dominante s’attache également aux processus de délégation des tâches, qui bien que
propres à toute forme de représentation, se révèle corrélativement plus complexe lorsque le nombre
et l’hétérogénéité des acteurs augmente1.
v) La dominante propre aux effets rétroactifs
Cette cinquième dominante dans l’approche multidimensionnelle des gouvernements de
coalition, suppose une étude des relations dynamiques entre les coalitions et leur
« environnement », notamment en terme de stabilité. Ainsi, de manière quelque peu positiviste,
certains auteurs précisent que les gouvernements de coalition sont les plus aptes, dans les sociétés
segmentées ou « divisées », à maintenir tant stabilité institutionnelle que la stabilité
gouvernementale2. Surtout, les travaux qui s’inscrivent dans cette lignée considèrent deux thèmes
centraux liés aux effets rétroactifs des coalitions gouvernementales: la reddition de comptes
(accountability), et la visibilité des gouvernements de coalition, influant par ricochet sur la
« durabilité » de ces gouvernements.
Ainsi, si la reconduction d’un gouvernement, qu’il soit monocolore ou de coalition, peut être à la
fois une fin (se maintenir au pouvoir) et un moyen (obtention de fonds publics pour progresser
électoralement ; possibilité de réaliser et d’approfondir des politiques publiques, etc.), il s’agit alors
de pouvoir rendre effectif le travail collectif et rendre compte de l’activité gouvernementale3. Si les
électeurs paraissent être en mesure d'évaluer les politiques gouvernementales et attribuer les
responsabilités des gouvernements monocolores, l'attribution des responsabilités des
gouvernements formés par plus d'un parti, semble poser davantage problème4. D’où la
1 BERGMAN, T., et alii, “Democratic delegation and accountability: cross-national patterns”, in STRØM, K.,
MÜLLER, W., et BERGMAN, Delegation and accountability…, 2003 op. cit., pp. 109-220. 2 LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Heaven, 1984; LIJPHART, A, “Non majoritarian
democracy: a comparison of federal and consociational theories”, in Publius. Vol. 15. No. 2, 1985, pp. 3-15. Pour un
contre-argument, voir FARRELL, D., Electoral systems: a comparative introduction, Palgrave, Basingstoke, 2001. 3 Voir les théories sur les candidats sortants ou « incumbency effect ». NARUD, H.M., “Party policy and government
accountability”, in Party politics, Vol. 2, No. 4, 1996, pp. 479-506; STRØM, K., Minority Government… op.cit; STRØM, K., et alii, “Dimensions of citizen control”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation
and accountability…, 2003 op. cit, pp. 651- 707. 4 URQUIZU SANCHO, I., “Gobiernos de coalición y gobiernos unipartidistas: ¿Es posible la asignación de
responsabilidades?”, paper présenté lors du congres de l'Asociación Española de Ciencia política y de la
Administración, Madrid, Septembre 2004.
69
considération de responsabilité individuelle (partisane)1 ou collective
2, et la capacité à rendre des
comptes (sanctionnés électoralement)3.
Si la question de la capacité à rendre des comptes se pose, notamment à l’heure d’évaluer les
« résultats » mesurés en termes d’activité et efficacité4, notamment au niveau des politiques
publiques5. Ceci est d’autant plus pertinent en fonction de la visibilité
6 des « options
coalitionnaires », ce qui nous ramène donc à nouveau la question à la « temporalité » des
coalitions, et de l’existence d’une identification coalitionnaire7.
1.1.4. Bilan des chemins théoriques
Face à l’évidence empirique où « le multipartisme est devenu la norme [européenne] au XXe
siècle »8, les coalitions politiques et plus spécifiquement les coalitions gouvernementales en
système parlementaire, initialement décriées car considérées comme vectrices ou conséquences
d’instabilité politique, ont depuis lors constitué l’un des champs d’étude les plus prolifiques en
science politique. Nous avons vu l’évolution chronologique et analytique des coalition theories,
laquelle a suivi les évolutions et différents apports de la discipline et nous avons insisté sur la
1 URQUIZU SANCHO, I., “Coalition governments and electoral behavior: who is accountable?”, in SCHOFIELD, N.,
et CABALLERO, G., Political economy of institutions, democracy and voting, Springer-Verlag, Berlin, 2011, pp.185-
213. 2 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability…, 2003 op. cit; POWELL,
G.B.,“Election laws and representative governments: beyond votes and seats”, in British Journal of Political Science,
Vol. 36, No.3, 2000, pp. 291–315 3 VOWLES, J., “Making a difference? public perceptions of coalition, single-party, and minority governments”,
Electoral Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp. 370-380; FISHER, S., et HOBOLT, S., “Coalition government and
electoral accountability”, in Electoral Studies, Vol. 29, No. 3, 2010, pp. 4 LEWIS-BECK, M., “Comparative economic voting: Britain, France, Germany and Italy”, in American Journal of
Political Science, Vol. 30, No.2, 1986, pp. 315–346; LEWIS-BECK, M., Economics and elections: the major western
democracies, University of Michigan Press, Ann Arbor, 1988. Pour une définition des concepts d’ “efficience” et
“activité” politique, voir SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago,
1995. 5 AUSTEN-SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions, and legislative outcomes”, op. cit.; PRZEWORSKI A.,
STOKES S., MANIN B., Democracy, accountability and representation, Cambridge University Press, 1999. 6 Le cas récent de la Belgique fait figure de stéréotype à ce propos, où après les élections du 13 juin 2010, le pays a mis
plus de quinze mois avant de parvenir à former une coalition gouvernementale –fragile- autour du « formateur »
socialiste Elio Di Rupio. Voir STRØM, K., 1990a, op cit ; PINTO-DUSCHINSKY,M., "Send the rascals packing:
defects of proportional representation and the virtues of the westminster model" in Representation, n°36, 1999, pp. 117-
126; BARGSTED, M., et KEDAR, O., “Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect voter choice
under proportional representation”, in American Journal of Political Science, Vol. 53, No. 2, 2009, pp. 307–323. 7 BLAIS, A., et al., “Do voters vote for government coalitions?: Testing down's pessimistic conclusions”, in Party
Politics, Vol 12, No.6, 2006, pp. 691–705; DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in
multiparty democracies », in American Political Science Review, vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719; VOWLES, J.,
“Why voters prefer coalitions: Rationality or norms?”, in Political Science, Vol. 63, No. 1, 2011, pp. 126–145;
NARUD, H., et VALEN, H., “Coalition membership and electoral performance”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et
BERGMAN, T., Cabinets and coalition…, op. cit, pp. 369-402 8 MÜLLER, W., et STRØM, K “Coalition governance in western europe an introduction”, in MÜLLER, W., et
STRØM, K., 2000 op. cit. p.1.
70
différence dans l’approche et dans l’objet d’analyse lié aux gouvernements de coalitions. D’où le
fait de garder le concept anglo-saxon de « coalition theories » plutôt que sa traduction francophone,
la plus courante, de « théorie des coalitions », car ce sont bien plusieurs théories, différents angles
d’analyse, et différents objets d’études qui traitent pourtant d’un même thème.
Ainsi, si l’approche par la théorie des jeux, puis par les différentes mises à jour
« quantitativistes » ont permis de poser les questions de « marchandage », « motivation », et surtout
« rétribution », elle ne s’applique pas à analyser ni à comprendre le phénomène dans sa durée, ni
dans sa conduite. L’accent étant en effet mis sur la formation et la dissolution de l’accord. En outre,
la portée universalisante de la plupart de ces travaux (à travers le recours à la modélisation et
l’élaboration de « lois » déductives qui minimisent le contexte de formation et de « réalisation » ou
« expérimentation » de la coalition gouvernementale) conduit à l’élaboration de théories
généralisantes théoriquement infalsifiables1, mais sans support ou « vérification » empirique
consistante.
A l’inverse, les théories de troisième génération, empruntent-elles une démarche qui se veut
rétroductive, c’est-à-dire combinant une approche inductive, avec la formulation de modèles ou du
moins de cadres théoriques généralisant. Ces approches se proposent d’élaborer un cadre d’analyse
qui capte la dynamique des comportements coalitionnaires comme un « tout », en replaçant l’étude
des coalitions partisanes et gouvernementales dans les cadre de l’étude des systèmes partisans2.
Cela requiert un élargissement du champ d’analyse, via l’inclusion d’éléments de causalité
(« variables ») provenant de l’environnement immédiat des partis, et une approche à la fois
contextuelle et diachronique, éléments jusqu’alors peu considérés. Si la dimension motivationnelle
fait toujours partie de l’analyse, elle ne constitue plus l’unique front de l’analyse.
Malgré l’existence de « dominantes » d’analyses, et compte tenu de la complexité du jeu
coalitionnaire et des systèmes politiques et partisans où opèrent ces alliances, aucune variable n’est
considérée comme suffisante à la compréhension et la prédiction du phénomène. Au contraire et
bien que nous assumions qu’elles ne présentent pas un degré de pertinence uniforme, chacune de
ces dominantes est nécessaire à l’analyse phénoménologique, plus particulièrement en perspective
comparée. Bien que la dominante institutionnelle est une composante essentielle et centrale pour
l’étude du processus, elle ne constitue néanmoins qu’un des cinq maillons de l’analyse. Ces cinq
maillons se retrouvent explicités par les travaux récents de Strøm et al, où les « variables » retenues
sont : i) les facteurs contextuels et la tradition et culture politique, ii) les « caractéristiques
structurelles » (en particulier ce qui à trait aux systèmes partisans), iii) les caractéristiques des
1 Dans le sens poppérien du terme.
2 PRIDHAM, G., Coalitional behaviour in theory and practice, in Cambridge University Press, 1986.
71
acteurs et leur affinités respectives1, iv ) les institutions et les modes de scrutin (tout ce qui a trait à
la loi électorale avec un une emphase particulière portée sur les réformes constitutionnelles des
dernières années), v) les « événements critiques » le plus souvent imprévus2, et enfin vi) le contexte
ou « climat » de négociation.
Enfin, si ces approches supposent des considérations découlant, notamment, de la sociologie
politique, elles ont également insisté sur la nécessité à recourir à une dimension conceptuelle du
phénomène afin de mieux identifier l’objet et le phénomène coalitionnaire3. Néanmoins quelques
zones d’ombres subsistent, comme le postulat des partis comme acteurs unitaires ou l’absence de
travaux comparatifs sur les rapports partisans dans le cadre des processus coalitionnaire (les
questions d’intégrité de la « marque » partisane).
Après avoir établi ce cadre théorique, la section suivante s’attache à étudier l’avancée et
l’application de la théorie aux régimes présidentiels4. Il s’agit d’analyser comparativement le
traitement des relations entre branches de pouvoirs, suivant une « configuration » différente de celle
ayant servi à l’élaboration des théories originelles. D’où la nécessité de réaliser le travail de
compréhension des organisations et règles propres à ce régime politique, afin d’établir à la fois la
faisabilité d’une « transposabilité » telles quelles des théories en vigueur, et d’établir des points de
comparaison entre les deux configurations que nous assumons différentes sur trois points
principaux : i) la temporalité liée notamment au caractère « fixe » du mandat présidentiel; ii) une
reddition de comptes davantage verticale qu’horizontale ; et iii) l’exercice du pouvoir et
l’expression du leadership. Le propos de cette thèse étant, ainsi, de faire un parallèle constant entre
les deux configurations de gouvernements, et déceler ainsi les différences matérielles et
comportementales liées à l’expression des coalitions gouvernementales combinées au format
présidentiel.
1 Les auteurs parlent des « préférences des acteurs », en fonction du degré de probabilité de la coalition. Ce facteur,
plus typique aux systèmes parlementaires sera remplacé par une analyse de path dependance et de positionnement/auto-
positionnement de la part des acteurs en présence, notamment vis-à-vis de clivages structurants. Nous reprendrons
également une analyse critique de la conception portant sur l’unicité des partis, en partant des travaux de Zuckermann
portant sur les factions internes de chaque parti. Voir ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition »,
in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443. 2 Comme la phase de transition à la démocratie avec ses incertitudes propres, et les différentes crises économiques
(particulièrement celle de 2001 pour sa forte valeur comparative). 3 LAVER, M., “Between theoritcal elegance and political reality: deductive models and cabinet coalitions”, in
PRIDHAM, G., op. cit., pp.32-44. 4 Nous donnerons en infra une définition « générique » de ces systèmes.
72
1.2 Coalition Theories et système présidentiel : une conjonction critique ?
Dans la lignée de nombreux auteurs dont Geoffrey Pridham et Michael Laver, nous avons
jusqu’à présent insisté sur la nécessité de la mise en relation de la théorie avec le « monde réel », en
préconisant un recours constant à l’analyse circulaire ou « rétroductive ». C’est cette démarche qui
nous a conduit à relativiser les approches théoriques originelles ainsi que les recours à la
modélisation.
La plupart de ces approches souffrent d’une limitation heuristique, car ethnocentrique (euro-
centrée). En effet, il semblerait que les théories des coalitions se soient élaborées sur la base d’une
conception pratique de relative incommensurabilité, où ces mêmes théories déterminent les
concepts utilisés1, ordonnent les champs d’application et par-là même les données empiriques.
Ainsi, les théoriciens des coalitions (politiques, législatives et gouvernementales) étant
essentiellement européens2, le champ d’étude et d’application de la théorie tourne autour des
systèmes politiques existant en Europe occidentale, à savoir essentiellement les systèmes
parlementaires3. Ce « biais empirique » qui sert la théorie en confondant les éléments et les
applications de celle-ci, écarte de fait les autres champs d’analyse4. On peut donc parler d’un
certain degré d’eurocentrisme dans l’élaboration théorique. Aussi, à l’heure d’étendre le champ
d’analyse, la question d’extension du domaine d’application est, à défaut d’être « résolue »,
dissoute –car non traitée- sous couvert à la fois d’incommensurabilité -les concepts ou les contextes
n’étant, a priori, pas transposables-, et d’une supposée absence ontologique du phénomène dans
des contextes alternatifs.
Jusque très récemment la littérature portant sur la phénoménologie des coalitions politiques et
gouvernementales se désintéressait des États entrant dans la catégorie de « régime présidentiel », à
l’image de la totalité des démocraties latino-américaines5, et dont le système de représentation est
1 Encore que, comme le montre Jordi Matas, le travail conceptuel demeure largement incertain. Voir MATAS, J.,
“Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe congrès de
l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003 2 À l’exception significative des deux William, Riker et Gamson, tous deux américains.
3 Si la France, depuis 1958, le Portugal et la Finlande disposent de systèmes semi-présidentiel ou “premier-
présidentiel”, il est intéressant de noter que ces pays sont généralement exclus des travaux. Ainsi, lorsqu’il s’agit
d’inclure la France c’est généralement celle de la IIIe et IVe République qui est analysée, car constituant l’exemple
type d’une démocratie parlementaire combinée à une instabilité gouvernementale chronique. Pour les notions de
stabilité/ instabilité, et ses dérivées, voir supra chapitre 3. 4 Cela rappelle l’approche “antiméthodique” de Paul Feyerabend, où les concepts font partie du contexte dont ils
découlent. Voir FEYERABEND, P., Contra el método, Ariel, Barcelone, 1974. 5 Si Eldon Kenworthy a consacré une étude sur l’Amérique latine, dans les années 1970, celle-ci portait sur une analyse
de l’intégration et du développement politique de la région, mettant l’accent sur le comportement et la confrontation
d’acteurs non partisans pour l’obtention et l’utilisation des pouvoirs de coercition. Ni le particularisme présidentiel ni la
question de l’action gouvernementale n’étant centraux dans cette étude. Voir KENWORTHY, E., « Coalitions in the
political development of Latin America », in GROENINGS, G., KELLEY, E., et LEISERSON, M., The Study of
73
caractérisé par la combinaison irréductible de trois éléments : a) l’élection populaire directe ou
semi-directe du chef de l’État, lequel b) se trouve également être le chef d’un gouvernement dont le
mandat est fixe, et c) qui n’est responsable politiquement que face aux électeurs, ne pouvant être,
par conséquent, démis ou remplacé par une mise en minorité parlementaire1. Cette définition, que
nous avons mise à jour2, reprend notamment la dimension largement acceptée d’indépendance entre
les branches du pouvoir, invoquée par la plupart des spécialistes de l’ingénierie constitutionnelle
comparée3. C’est d’ailleurs sur ce principe de séparation des pouvoirs que se concentre une partie
des arguments justifiant la non-considération de la configuration présidentielle dans l’étude des
coalitions partisanes et gouvernementales. En effet, la tenue et la gestion d’un gouvernement de
coalition en régime présidentiel, semblerait s’assimiler à une forme de gouvernement de
cohabitation, ou « gouvernement divisé », où le président pourtant a priori omnipotent, se verrait
contraint de partager le pouvoir, alors qu’il ne serait pas tenu de le faire, constitutionnellement
parlant.
Comme l’écrit Giovanni Sartori:
« En système parlementaire, le Premier Ministre forme sa majorité en intégrant à son
gouvernement de coalition autant de partis que nécessaire. Les Présidents ne peuvent faire cela,
et doivent ‘‘trouver’’ une majorité chaque fois qu’ils veulent agir législativement. Le système
parlementaire n’a, par conséquent, pas ce problème de majorité divisée propre au
présidentialisme »4
Coalition Behaviour, Holt Rinehart et Winston, New York, 1970, pp. 103-140. A noter, au passage, qu’il existe
également une carence dans l’étude académique du phénomène coalitionnaire auprès des États régis par des systèmes
semi- (ou « premier») présidentiels. 1 Nous insistons ici sur le caractère « politique » de cette responsabilité ; les procédures de type impeachment, bien
qu’engagées au niveau parlementaire, découlent d’une responsabilité « légale » du président, où il s’agit de démontrer
un exercice délictuel de la fonction présidentielle (cas avérés de corruption, violence politique, voire trahison, etc.), ou
d’une « incapacité » -mentale ou physique- à continuer son mandat. Aussi, l’impeachment ne saurait donc être le
pendant parlementaire du pouvoir présidentiel de dissolution de l’assemblée. Voir PÉREZ LIÑAN, A., Juicio político
al presidente y nueva inestabilidad política en América latina, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2009
[2007]. 2 Cette définition nous permet ainsi de nous prémunir d’erreurs basiques de caractérisation, à l’image de John Carey.
En effet, l’existence d’un Premier Ministre ou d’un chef de cabinet ne suffit pas, à elle seule, à déprésidentialiser un
régime. Ainsi, bien que ces figures existent au Venezuela, au Pérou ou en Argentine, ces pays n’en sont pas moins des
régimes présidentiels, suivant notre définition. Voir CAREY, J., “Presidential versus Parliamentary Government”, in
MENARD, C., et SHIRLEY, M., Handbook of new institutional economics, Springer, Dordrecht, 2005, pp. 91-112. 3 Voir entre autres GAXIE, D., La Démocratie Représentative, Clefs- Monchrestien, 2003; DUVERGER, M.,
Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, PUF, 1990 ; DIAMOND, L., LINZ, J.J., LIPSET, S., Democracy
in developping countries, Lyne Riener, Boulder, 1989 ; SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de
Cultura Económica, Santiago, 1995 [1994] ; LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, 1984 ; SHUGART,
M., et CAREY, J., President and assemblies, Cambridge University Press, 1992; NOHLEN, D., “Sistemas de gobierno:
perspectivas conceptuales y comparativas”, in NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado:
Instituciones y cambio político en América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.85-110; COLOMER, J.,
Instituciones Políticas, Ariel, Barcelone, 2007; CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,
Cambridge University Press, 2006. 4 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995 [1994], p.193.
Traduction propre.
74
De même, Arend Lijphart présuppose que:
« Le présidentialisme entraîne invariablement une inclinaison majoritaire et moins de possibilités
pour l’option consensuelle. […] Le présidentialisme implique la concentration du pouvoir exécutif,
et constitue une option majoritaire extrême: le pouvoir est concentré non seulement autour d’un
parti, mais surtout autour d’une seule personne. Pour cette raison, il est extrêmement difficile
d'introduire un partage efficient du pouvoir dans les systèmes présidentiels […] le
présidentialisme est hostile au genre de compromis consociatif et autres pactes nécessaires aux
processus de démocratisation, […] tandis que la nature collégiale des gouvernements
parlementaires les rend propices à ces pactes. »1
Ces deux citations illustrent bien combien les systèmes présidentiels ont, pendant longtemps, été
considérés comme des terreaux peu propices à la formation de coalitions, entre autres à cause du
principe –théorique- de stricte séparation des pouvoirs. Pour autant, sans réel soutien empirique ces
travaux s'exposent aux risques d'une analyse en décalage avec la réalité ; la modélisation et
l’objectivité étant le fruit d'une relation incestueuse entre la théorie et son contexte d'élaboration2.
Surtout, les commentaires de Sartori et Lijphart viennent s’inscrire dans la continuité d’un débat
institutionnaliste, enclenché dès la fin des années 1970, portant sur les « meilleures formes » de
gouvernement et leur impact sur la stabilité politique et démocratique. Ce débat, propre à
l’ingénierie constitutionnelle, est matérialisé par l’opposition entre parlementaristes (ou « anti-
présidentialistes ») et présidentialistes. Si les tenants du parlementarisme ont longtemps semblé
tenir le haut du carreau, les arguments se sont équilibrés vers la fin des années 1990.
1.2.1 Linz et le « péril présidentialiste »
L’idée selon laquelle la stabilité démocratique et politique d’un État quelconque serait
déterminée par la nature de son régime et de la relation entre les différentes branches du pouvoir,
constitue l’un de plus anciens sujet de débat de la science et philosophie politiques. Depuis les
philosophes antiques Platon et Aristote, puis les « modernes » Machiavel, Hobbes, et Locke, le
1 LIJPHART, A., “Presidentialism and majoritarian democracy: theoretical Observation”, in LIJPHART, A., Thinking
about democracy power sharing and majority rule in theory and practice, Routledge, Londres 2008, p. 147. Traduction
propre, mes italiques. Lijphart entend par « majoritaire » ou « systèmes majoritaires » (majoritarian), les types de
régimes favorisant la première majorité (majorité relative), et dont les principales caractéristiques sont : i) un cabinet
(gouvernement) hypertrophié vis-à-vis ii) d’un parlement essentiellement unicaméral ou assymétrique, et conduit iii)
par un seul parti ; il ajoute à cela quelques caractéristiques (constitution non écrite, loi électorale « plurielle » et non
proportionnelle, etc…) propre à ce qu’il considère comme le système majoritaire par excellence, le modèle britannique
de Westminster. Lijphart oppose ainsi ce système aux systèmes « consensuels », ces derniers étant consiédérés par
l’auteur comme plus démocratiques car ne supposant pas la dictature de la (première) majorité. Voir LIJPHART, A.,
“Majority rule in theory and practice: The tenacity of a flawed paradigm”, in LIJPHART, A., Thinking about
Democracy…, op. cit., pp. 111- 124. 2 LAVER, M., “Theories of coalition formation and local government”, in MELLORS, C., et PIJNENBURG, B.,
Political parties and coalitions in european local government, Routledge, Londres, 1989, pp.16-17.
75
principe de l’exécution et la concentration du pouvoir constitue le point d’achoppement de la
discussion et de la pensée libérale1. Montesquieu et Madison vont mettre en avant les « vertus » de
la non-concentration et du non-cumul des pouvoirs2, le second cité y incluant également la question
de l’organisation verticale, fédérale, de l’État. Toutefois jusqu’alors, peu d’études comparatives,
d’envergure, se sont employées à statuer sur la supériorité d’un système institutionnel de
représentation sur un autre.
Cependant l’évolution de la science politique au début des années 1970 et la multiplication des
études constitutionnalistes provenant du droit comparé, vont ouvrir la voie à la question de la
performance démocratique des différents systèmes de représentation. Aussi, le débat intellectuel de
fond s’est ouvert avec comme principal « théoricien » le politiste espagnol Juan José Linz qui
considérait la multiplication et la concomitance des coups d’État en Amérique latine comme une
résultante du caractère institutionnel en vigueur3. Pointant les faiblesses apparemment structurelles
et inhérentes au présidentialisme, Linz ne limite pas son analyse à une dimension institutionnelle
puisqu’il considère la pratique et la culture politique, dérivées de ce schéma institutionnel4.
Ssi les crises présidentielles n’aboutissent pas nécessairement à la chute de la démocratie, Linz
va théoriser les «faiblesses du présidentialisme », ou le présidentialisme comme générateur à la fois
passif et actif d’instabilité autour de quatre axes majeurs5 : 1) le conflit de légitimité électorale et
1 Voir MANENT, P., Histoire intellectuelle du liberalisme, Hachette/Pluriel, Paris, 1997 ; et Naissance de la Politique
Moderne, Gallimard, 2007. 2 Montesquieu avance ainsi : « Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance
législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même
monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement » ; in MONTESQUIEU, C.,
L’esprit des lois, Livre XI, Chapitre VI : «De la Constitution d’Angleterre » (1748), d’après l’édition établie par
Laurent Versini, Éditions Gallimard, Paris, 1995. L’auteur ne parle, d’ailleurs, pas d’une structure séparée entendue
comme « indépendante » des pouvoirs ; mais il se réfère, en fait, à une interdépendance des pouvoirs organisée autour
d’une séparation ou « non-cumul » des mandats, permettant ainsi le principe du « pouvoir limitant le pouvoir », ce qui
serait impossible si les pouvoirs étaient indépendants. Pour une lecture analytique de Montesquieu voir ALTHUSSER,
L., Montesquieu, La politique et l’histoire, PUF, 1959 ; MANIN, B., « L’Esprit des Lois et la séparation des pouvoirs
», in Cahiers de philosophie politique, 1985, pp. 3-34 ; et « La pensée constitutionnelle de Montesquieu », in Cahiers
de philosophie politique, 1985, pp.35-66. 3 LINZ, J.J., The breakdown of democratic regimes: crisis, breakdown and reequilibration, Vol.1, Johns Hopkins
University Press, Baltimore, 1978. Si l’argument n’y est encore que partiellement esquissé, celui-ci prendra toute sa
forme en 1990 avec la publication de deux articles coups sur coups : « The perils of presidentialism » in Journal of
democracy, vol 1, n°1, 1990a. pp 51-69 ; et un article en défense de sa thèse “The virtues of parliamentarism”, in
Journal of Democracy, Vol. 1, No. 4, 1990, pp. 84-91. 4 En effet: « Mon approche serait mal comprise si elle était considérée comme strictement institutionnelle voire
juridico-constitutionnaliste. […] Je mets l’accent sur la logique politique des systèmes présidentiels et certaines de ses
conséquences probables sur le choix des dirigeants, les attentes populaires, le style de leadership, et l'articulation des
conflits », in LINZ, J.J., « Presidential or Parliamentary Democracy : Does it Make a Difference ?», in LINZ, J.J., et
VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994, Note
n°1 p.75, traduction propre. 5 Voir entre autres GODOY ARCAYA, O. (ed.), Hacia una democracia moderna: La opción parlamentaria, Ediciones
Universidad Católica de Chile, Santiago, 1990; LAMOUNIER, B., A Opção Parlamentarista, Sumaré, São Paulo,
1991; MAINWARING S., et SHUGART S. M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia; una revisión crítica” in
76
politique entre législatif et l’exécutif, et les conséquences apparemment inhérentes en terme de
visibilité et reddition de comptes (accountability), 2) la double casquette de chef de l’État et de chef
du gouvernement, incombant au président, 3) les dérives autoritaires du présidentialisme, liées au
principe du « winner takes all » (le gagnant emporte tout), et les problèmes de légitimité,
considérant l’absence de majorité forte pour le président à cause du système électoral (vote
majoritaire à un ou deux tours) ainsi que l’absence quasi systématique de majorité à l’assemblée ; et
4) les problèmes de temporalité électorale, liés au principe de mandats fixes (en plus d’éventuels
problèmes de non réélection le cas échéant).
Parallèlement et dans la même veine, la personnification du pouvoir exécutif propre à la
configuration présidentielle semble conditionner et déterminer des pratiques para-
constitutionnelles supposément incompatibles avec une conception libérale de la démocratie1. Ainsi
le caractère plébiscitaire supposément inhérent au présidentialisme, de par la relation directe avec
l’électorat, paraît renforcer et exacerber la propriété « providentielle » ou « salvatrice » de la figure
présidentielle. Les électeurs seraient ainsi amenés à s’en remettre, de manière hobbesienne, à une
unique personne2 à qui ils délègueraient les pleins pouvoirs
3.
En outre, en sus des potentielles dérives autoritaires présentées précédemment, ce dernier point
comporte, d’après la théorie de Linz, deux conséquences néfastes sur la stabilité démocratique des
régimes présidentiels. En effet, l’absence d’obligation de soutien parlementaire consistant rend
possible l’accession au pouvoir d’un amateur ou d’un « outsider » politique ce qui peut ainsi
favoriser l’occurrence de cas de président minoritaire4. Ce phénomène étant, à priori, peu probable
en système parlementaire, compte tenu de la dépendance de l’exécutif vis-à-vis de sa majorité
Desarrollo Económico, Vol. 34, No. 135, 1994, pp. 397- 418; MAINWARING, S., “Presidentialism in Latin America”,
in Latin American Research Review, Vol. 25, No. 1, 1990, pp. 157-179. 1 RIGGS, F., “The Survival of Presidentialism in America: Para-Constitutional Practices”, in International Political
Science Review / Revue internationale de science politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 247-278. 2 En effet d’après Arend Lijphart: “I have come to the conclusion, however, that a third essential difference must be
stated and that this difference accounts for much of the majoritarian proclivity of presidential democracy : the president
is one-person executive, whereas the prime minister and the cabinet form a collective executive body. Within
parliamentary systems, the prime minister’s position in the cabinet can vary from preeminence to virtual equality with
the other monsters, but there is always a relatively high degree of collegiality in decision making. In contrast, the
members of presidential cabinets are mere advisers and subordinates of the president”. Voir LIJPHART, A.,
“Presidentialism and Majoritarian Democracy” in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The Failure of Presidential
Democracy: Comparative Perspective, Vol.1 Johns Hopkins University Press, Baltimore 1994, p.93. 3 Linz récupère ainsi à son compte et pour servir sa théorie, le concept de « démocratie délégative » de Guillermo
O’Donnell, bien que ce dernier n’ai pourtant jamais attribué la notion d’un déterminisme institutionnel. Voir
O’DONNELL, G., “Delegative democracy”, in Journal of Democracy, Vol. 5, No. 1, 1994, pp. 55-69. 4 Voir notamment VALENZUELA, A., “Latin America: presidentialism in crisis”, in Journal of Democracy,Vol. 4, No.
4, 1993, pp. 3-16; HARTLYN, J., “Presidentialism and colombian politics”, in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The
failure of presidential democracy… op. cit. pp.220-253.
77
parlementaire ou tout du moins d’une « majorité tolérante »1, nécessaire à sa formation et maintien.
Ce péril est d’autant plus fort que suivant les systèmes électoraux, le président n’a, parfois, besoin
que de la majorité relative des votes pour être élu. Dans la plupart des cas on semble donc
s’éloigner du consensus Hobbesien originel, pour rallier la conception du winner takes all. De fait,
cette structure hégémonique ou unilatérale, puisque incarnée par une seule personne, propre au
présidentialisme découragerait l’avènement de pratiques consensuelles ou concertées ; le président
ne semble avoir ni intérêts ni nécessité à partager le pouvoir2. Le système présidentiel est ainsi
considéré comme peu propice au dialogue et à la formation de consensus:
« L’essence du présidentialisme pur consiste en une indépendance mutuelle des pouvoirs. A partir
de cette définition conditionnante apparaissent une série d'incitations et de prises de décision pour
favoriser l'émergence de gouvernements minoritaires, ce qui décourage la formation de coalitions
durables en maximisant les impasses législatives, en motivant les dirigeants à bafouer la
Constitution, et en stimulant la société politique à appeler périodiquement à des coups d'État
militaires. Les présidents et les législatures sont directement élus et ont leurs propres mandats
fixes. Cette indépendance mutuelle créée la possibilité d’une impasse politique entre le chef de
l’exécutif et le corps législatif, contre laquelle il n’y a pas d’issue de secours. »3
En conséquence, en l’absence de ce même soutien parlementaire, les systèmes présidentiels
s’exposeraient davantage à une situation d’impasse institutionnelle en cas de conflit politique ou
social. Les systèmes présidentiels seraient ainsi, en substance, générateurs d’instabilité
démocratique4. Les partis politiques n’y seraient amenés qu’à occuper un rôle de catalyseurs
électoraux. Le recours à des pratiques clientélaires (pork barrel) et les formations
gouvernementales ad voluntatem, propres au présidentialisme, seraient dès lors facteurs de
fractionnalisation des partis et des systèmes partisans. De même les démocraties présidentielles
seraient, à quelques rares exceptions près, marquées par des systèmes partisans dont la compétition
électorale ne serait pas structurée sur des bases programmatiques ou idéologiques, et seraient donc
plus volatils et imprévisibles5. La configuration présidentielle de représentation ne conduirait,
1 Si la logique, d’après Linz, veut que les gouvernements en systèmes parlementaires disposent d’une majorité de
soutien, Kaare Strøm a néanmoins montré qu’il s’avère assez fréquemment que le gouvernement soit « toléré » par le
parlement, en ce sens que bien que les forces qui le compose ne soient pas majoritaires, celui-ci peut recevoir des
« soutiens législatifs » afin de se maintenir, notamment en cas de vote de confiance et face à une motion de censure.
Voir STRØM, K., Minority government and majority rule, Cambridge University Press, 1990; HUBER, J., “The vote
of confidence in parliamentary democracies”, op. cit. 2 LIJPHART A., Democracies, New Heaven, Yale University Press, 1984.
3 STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs.
presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1, 1993, pp.17-18. Traduction propre. 4 A noter qu’à l’origine, les concepts d’instabilité démocratique, instabilité politique et instabilité gouvernementale
étaient indissociés. Voir à ce propos le chapitre 3 de cette thèse. 5 LIJPHART, A., Democracies, op. cit. Pour le concept de “structuration programmatique” voir KITSCHELT, H., et
WILKINSON, S., Patrons, clients, and policies, Cambridge University Press, 2007 ; KITSCHELT, H., “Linkages
between citizens and politicians in democratic polities.”, in Comparative Political Studies, Vol. 33, No. 6/7, 2000, pp.
845–879.
78
d’après la théorie de Linz, qu’à des démocraties incomplètes, au pire des démocraties
« dégradées »1 ; loin des canons de la « démocratie de partis » définie et désirée par Hans Kelsen
2.
Cependant, la portée de cet argument reste limitée dans un premier temps, car celui-ci ne permet
pas de tirer des conclusions directes quant à l’impact du régime présidentiel sur les crises
démocratiques latino-américaines des années 1970, à cause de l’absence de variance institutionnelle
dans la région. Dès lors le raisonnement est fondé sur une sélection partiale ou tronquée. La carence
d’éléments de comparaison ne permet en effet ni de valider ni d’infirmer (« falsifier ») l’hypothèse
principale3, à savoir la corrélation entre système présidentiel et chute de la démocratie. Le recours
aux excursus contrefactuels censés illustrer ce qui ce serait passé si ces pays avaient disposé d’un
système parlementaire, tendent à sur-dimensionner le caractère institutionnel de ces crises
démocratiques, en se limitant à une approche synchronique faisant fi d’aspects plus structurels4. De
plus, on pourrait à l’image Julio Faundez, établir des faits hypothétiques, en supposant que des
régimes parlementaires n’auraient –à leur tour- pas survécu à certaines crises politiques que le
régime présidentiel a su canaliser (notamment dans les années 1930)5.
L’argument anti-présidentialiste va évoluer et se limiter à démontrer la nature instable du régime
présidentiel et se concentrer sur les notions de « conflit politique » et « stabilité politique »,
délaissant peu à peu la question de la stabilité démocratique. Le régime présidentiel est alors
considéré comme propice aux « impasses institutionnelles », entre les branches du pouvoir, car
dénué de soupape de sécurité en cas d’apparition d’une crise institutionnelle et politique. Cette
hypothèse va éveiller un intérêt particulier, d’autant plus que durant les décennies 1990 et 2000, la
région latino-américaine a été le théâtre d’une litanie de crises gouvernementales et politiques au
point de se demander si « les démocraties latino-américaines [étaient] gouvernables »6.
1 DABÈNE O., Amérique latine : la démocratie dégradée, Ed. Complexe, Bruxelles, 1997.
2 KELSEN, H., Esencia y valor de la democracia, Guadarram, Barcelona, 1975.
3 COLLIER, D., et MAHONEY, J., “Insights and pitfalls: selection bias in qualitative research”, in World Politics, Vol.
49, No. 1, 1996, pp. 56-91. 4Juan Linz et Arturo Valenzuela ont ainsi recours à cet exercice pour montrer « ce qui ce serait passé si ». Voir Linz au
travers de deux « excursus », où l’auteur présente des événements contre-factuels dans l’Espagne des années 1930 puis
lors de la transition post franquiste, afin de comparer ce qui aurait pu se passer avec un schéma institutionnel différent.
Voir LINZ, J.J. ., « Presidential or parliamentary democracy : does it make a difference ?», op. cit.; et VALENZUELA,
A., “Party politics and the crisis of presidentialism in Chile: A proposal for a parliamentary form of government”, in
LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., op. cit., pp. 91-150 5 FAUNDEZ, J., « In defense of presidentialism: the case of Chile, 1932-1970 », in MAINWARING, S., et
SHUGART, M., Presidentialism and democracy in latin America, Cambirdge University Press, 1997, pp. 300-320.
Pour une analyse critique de la méthode contrafactuelle, voir LEVY, J., « Counterfactual and case studies », in BOX
STEFFENSMEIER, J., BRADY, H., et COLLIER, D., The Oxford handbook of political methodology, Oxford
University Press, 2008, pp. 627- 644. 6 COUFFIGNAL G. « Les démocraties latino-américaines sont-elles gouvernables ? », in FAVRE, P., HAYWARD, J.,
et SCHEMEIL, Y., Être gouverné. Études en l’honneur de Jean Leca, Fondation Nationale des Sciences Politiques,
Paris, 2003, pp. 225-241.
79
En effet, comme conséquence d’un désenchantement précoce avec la démocratie1, des suites
d’attentes sociales et populaires démesurées2, depuis 1985 dix-sept présidents latino-américains
(voir le Tableau 1.2) n’ont pu mener à terme leurs mandats, acculés à la démission par des
mouvements sociaux ou tout simplement démis de leurs fonctions à la suite de jugements
politiques, voire « coups de force parlementaires »3. Cette suite de troubles politiques semble ainsi,
dans un premier temps donner raison à la thèse de Linz : la rigidité des régimes et notamment le
principe du mandat fixe sont pointés comme responsables car vecteurs d’inamovibilité du pouvoir
exécutif. D’après les parlementaristes, la faculté constitutionnelle de mise en minorité du
gouvernement en régime parlementaire, soit à travers le rejet d’un vote de confiance (mouvement
réactif), soit par le biais d’une motion de censure (mouvement pro-actif), offre un avantage
structurel pour la résolution des crises, les présidents impopulaires pouvant ainsi être remplacés
sans que les électeurs des pays concernés n’aient à attendre une prochaine élection. De fait, l’idée
d’un changement constitutionnel va constituer l’un des « serpents de mer » des agendas électoral et
politique en Amérique latine, puisque de nombreux États vont se poser, de manière récurrente, la
question de la transition vers un système parlementaire4.
1 HERMET, G., Les désenchantements de la liberté, Fayard, Paris, 1993.
2 On se rappelle notamment du fameux discours du candidat et futur président argentin Raúl Alfonsín : « Con la
democracia se come, con la democracia se educa, con la democracia se cura, no necesitamos nada más … ». 3 PÉREZ LIÑÁN, A., “Instituciones, coaliciones callejeras e inestabilidad política: perspectivas teóricas sobre las crisis
presidenciales”, in América Latina Hoy, No. 49, 2008, pp. 105-126. 4 C’est particulièrement le cas en Argentine où l’actuelle présidente Cristina Fernández de Kirchner a replacé dans son
agenda programmatique, en vue des élections d’octobre 2011, la question d’une réforme constitutionnelle. Cette
question n’a toutefois pas été approfondie depuis. Il est intéressant et surprenant de noter que le principal argument à
l’encontre de ce changement constitutionnel consiste en ce que l’opposition y voit la faculté de la présidente Kirchner
de se maintenir indéfiniment au pouvoir. Ceci contredit donc la théorie Linzienne qui suppose la dépendance du
gouvernement envers sa majorité parlementaire. Nous renvoyons à ce sujet l’article “Fuerte debate en la oposición por
la reforma constitucional” du journal La Nación du 8 Octobre 2011.
80
Tableau 1.2 : Interruption des mandats présidentiels depuis le retour à la
démocratie
Pays
Président
(durée effective du mandat/ durée prévue par la
constitution)
Nature de l’interruption
de mandat
Argentine Fernando De la Rúa (1.5/ 4) Démission
Bolivie
1. Hernán Siles Zuazo(3/5)
2. Gonzalo Sánchez de Lozada (1.2/5)
3. Carlos Mesa (1.8/3.8) 1
Démission
Démission
Démission
Brésil Fernando Color de Melo (2/4) Procédure politico-judiciaire
parlementaire
Rép.
Dominicaine Joaquín Balaguer (2/4)
Démission/ Annulation
Élection
Équateur
1. Abdalá Bucaram (0.5/5)
2. Jamil Mahuad (1.5/5)
3. Lucio Gutiérrez (2/5)
Destitution parlementaire
Démission**
Destitution parlementaire
Guatemala Jorge Serrano Elías (2/4) Démission**
Haïti Jean Bertrand Aristide I (0.5/5)2
Jean Bertrand Aristide II (3/5)
Coup d’État2
Démission*
Honduras Manuel Zelaya (3.5/4) Coup d’État
Paraguay Raúl Cubas Grau (0.75/ 5)
Fernando Lugo (3.8/5)
Démission**
Destitution parlementaire
Pérou Alberto Fujimori (0.3/5) Démission**
Venezuela Carlos Andrés Pérez (4/5) Destitution parlementaire
Total 17 -
Notes : * Le président Aristide étant « démissionné » par l’armée et de mouvements armés ; ** Anticipant une procédure de
destitution 1 Le cas de Carlos Mesa est particulier puisqu’il succède constitutionnellement à Gonzalo Sánchez de Lozada, démissionnaire, en
occupant alors le poste de vice-président de la République. Il est amené à démissionner, à son tour, presque deux ans plus tard. 2 Le président Aristide a repris ses fonctions après avoir été « réinstallé » par les États-Unis, trois ans plus tard pour « clore » son
mandat.
Source : Élaboration personnelle à partir de Valenzuela (2004) et Pérez Liñán (2006 et 2009).
Seul le Brésil va soumettre un plébiscite populaire pour changer de régime, qui sera rejeté par la
population en 1993, ce qui montre la certaine réticence de la part des élites politiques et des
populations latino-américaines sur la question du changement de régime, du fait notamment d’un
attachement culturel et d’une perception prohibitive des coûts –financiers et techniques- attenants.
En outre, si nous omettons les cas d’Haïti et du Honduras, deux nations dont les respectives
« cultures démocratiques»1 demeurent à ce jour balbutiantes ; ces crises se sont en général réglées
1 Pour une approche croisée du concept de « culture démocratique », voir OTAYEK, R., « Démocratie, culture
politique, sociétés plurales. Une approche comparative à partir de situations africaines », in Revue Française de Science
Politique, Vol. 47, No. 6, 1997. pp. 798-822 ; BALKIN, J., « Digital speech and democratic culture: a theory of
freedom of expression for the information society », in New York University Law Review, Vol. 79, No. 1, 2004, pp. 1-
55; DIAMOND, L., Political Culture and Democracy in developing Countries, Lynn Rienner Publishers, Boulder,
1993; ALBALA BERTRAND, L. (dir.), Cultura y gobernabilidad democráticas, UNESCO/ Ediciones Imago Mundi,
81
démocratiquement, ce qui rend compte d’un « apprentissage institutionnel » et d’une consolidation
démocratique en progression1. Enfin l’argument de l’impossibilité de révocation des présidents
impopulaires, ne semble pas dépendre uniquement du cadre institutionnel. En effet, en Europe de
nombreux premiers ministres battant des records d’impopularité sont parvenus à se maintenir en
place en recourant à des mécanismes politiques tels que le lien de clientèle (pork barel)2. Ceci
invite à revoir l’idée selon laquelle en système parlementaire les règlements de conflits
dépendraient de façon automatique du seul cadre institutionnel.
1.2.2 Evolution de la position pro-parlementariste autour de la « difficile
combinaison » présidentialisme + mult ipartisme
Avec son caractère universaliste et normatif, la thèse de Linz a nourri des débats académiques
prolifiques au cours des années 1990, la corrélation ceteris paribus entre présidentialisme et
instabilité politique ayant trouvé de nombreux défenseurs. Néanmoins, le caractère « abstrait » de
l’argument de Linz va également être critiqué, notamment sa conception a-historique, a-
comparative et statique de la perception « du » présidentialisme comme un seul mode de régime
représentatif3. Pour certains l’approche de Linz va bientôt apparaître comme un « mirage »
théoriquement et logiquement parfait, mais méthodologiquement et empiriquement biaisé4. Aussi,
en plus d’arguments en faveur du présidentialisme5, la corrélation quantitative censée démontrer
une incidence directe entre crise politique et système présidentiel est critiquée et de nombreuses
autres variables avancées pour une meilleure prise en compte de ces crises (contextualisation,
Buenos Aires, 1992. Sans oublier TOCQUEVILLE, A., De la démocratie en Amérique, Folio/ Gallimard, Paris, 1986
[1840]. 1 COUFFIGNAL G., « les surprises de la démocratie » et « des démocraties pour les pauvres ? Réflexions su
l’évolution politique de l’Amérique latine » in Amérique latine Édition 2007, les Études de la documentation Française/
IHEAL, Paris, 2007 ; ALBALA, A., « Coaliciones gubernamentales y régimen presidencial: incidencia sobre la
estabilidad política, el caso del Cono Sur (1983-2005). » Documentos CIDOB América Latina, n°29, Barcelone, 2009.
Cette assertion doit toutefois être nuancée, notamment eu égard aux différences géographiques. Les pays d’Amérique
du Sud semblent en effet plus avancés que ceux d’Amérique Centrale, qui ont connu différentes tensions
institutionnelles. La présence de cartels et autres maras constitue en effet autant d’éléments contournant l’ordre
institutionnel, et leur implantation sur un territoire donné (au lieu d’en rechercher l’élimination) fait dans certains cas
de ces Etats des « Etats faillis ». 2 Nous pensons notamment aux cas récents de Silvio Berlusconi en Italie, et Ferenc Gyurcsany en Hongrie.
3 Voir ainsi HOROWITZ, D., Ethnic Groups in Conflict, University of California Press, Berkley, 1985; SHUGART,
M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies… op.cit; NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ, M., Presidencialismo versus
Parlamentarismo: América Latina, Nueva Sociedad, Caracas, 1991; et NOHLEN, D., “Presidencialismo vs.
parlamentarismo en América Latina”, Revista de Estudios Políticos, 74, 1991, pp. 43-54 4 NOHLEN, D., « Presidencialismo versus parlamentarismo : dos enfoques contrapuestos », in NOHLEN, D., et
FERNÁNDEZ, M., El Presidencialismo Renovado… op. cit, pp.15-26 5 Shugart et Carey mettent en avant notamment la dimension de visibilité des responsabilités, et le principe de
prévisibilité et projection du pouvoir, lié au à celui du mandat fixe, là où une motion de censure peut à tout moment
renverser un premier ministre. Voir SHUGART, M., et CAREY, J., op. cit.
82
culture « présidentielle », performance économique, etc…). Surtout, c’est l’argument de la variété
des schémas présidentiels qui va retenir le plus l’attention.
Matthew Shugart et John Carey vont en effet classifier les différents régimes présidentiels en
fonction des pouvoirs législatifs et « non législatifs » garantis constitutionnellement à l’exécutif,
que nous résumons en trois points : 1) le contrôle de l’agenda politique et le degré d’initiative
législative (la capacité du pouvoir exécutif de soumettre au parlement des projets de loi) ; 2) les
capacités de « forçage et blocage » législatifs du pouvoir exécutif, mesurés en termes de pouvoirs
proactifs (essentiellement la capacité de pouvoir légiférer par décret) et réactifs (pouvoir de véto) ;
et 3) l’équilibre des pouvoirs (checks and balances), notamment des procédures de nomination/
censure des membres du gouvernement et la faculté de dissolution du parlement. De manière peu
surprenante, les auteurs concluent que les régimes où les présidents possèdent le plus de facultés
législatives et une plus grande autonomie vis-à-vis du pouvoir législatif, seraient les plus
« problématiques » et les moins démocratiques.
Ces dimensions sont autant de variables nous permettant de relativiser l’existence d’un seul
présidentialisme, et par-là même, de remettre en question la conception d’un
« présidentialisme pur »1 (plutôt qu’ « originel », ergo Étatsunien
2), compte-tenu de la multiplicité
de schémas institutionnels. Ainsi, en plus des configurations promouvant des présidents-monarques
ou « impériaux »3, qui seraient finalement des rois nus, certains auteurs vont proposer des
typologies par adjectivation plus ou moins réussies4. Face aux réticences quant à la réalisation de
changements constitutionnels5, la priorité est alors déplacée et se porterait sur la réalisation de
réformes « en douceur » des présidentialismes latino-américains, afin d’améliorer leur performance
1 RENIU, J., et ALBALA, A., “Los gobiernos de coalición y su incidencia sobre los presidencialismos
latinoamericanos: el caso del Cono Sur”, in Revista de Estudios Políticos, No. 155, 2012, pp. 101-150. 2 Pour une critique du caractère paradigmatique du système Étatsunien, voir FABBRINI, S., “The American System of
Separated Government: An Historical-Institutional Interpretation”, in International Political Science Review / Revue
internationale de science politique, Vol. 20, No. 1, 1999, pp. 95-116. 3 COX, G., et MORGENSTERN, “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América Latina”, in Desarrollo
Económico, Vol. 41, No. 163, 2001, pp. 373-393 4 Voir ZOVATTO, D., et OROZCO, J., “Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007: lectura regional
comparada”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América latina 1978-2007, Instituto
de Investigación Jurídica/ IDEA, 2008, pp. 3-212; CENTELLAS, M., “Parliamentarized presidentialism: new
democracies, constitutional engineering, and the bolivian model”, Communication Présentée lors du 59e Congrès de la
Midwest Political Science Association, Chicago, 2001; CENTELLAS, M., “From ‘parliamentarized’ to ‘pure’
presidentialism: Bolivia after October 2003.”, in The Latin Americanist, Vol. 52, No.3, 2008, pp. 5-30; MAYORGA,
R., “Presidencialismo parlamentarizado y gobiernos de coalición en Bolivia”, in LANZARO, J., Tipos de
presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 101-135. 5 MARTINEZ, G., “El presidencialismo y la necesidad de su reforma: visión actual”, in ARIAS, C., et
RAMACCIOTTI, B., Presidencialismo y Parlamentarismo en América Latina, Organisation des Etats Américains/
Université de Georgetown, Washington, 2005, pp. 43-50; MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz:
Presidencialismo y democracia; una revisión crítica”, in Desarrollo Económico. Vol. 34. No. 135, 1994, pp. 397-418;
et NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., “El presidencialismo latinoamericano: evolución y perspectivas”, in NOHLEN,
D., et FERNANDEZ, M., El Presidencialismo Renovado… op. cit., pp.111-126.
83
démocratique et représentative. Autrement dit, il s’agirait de réduire les déséquilibres d’attributions
politiques entre les branches du pouvoir.
Lorsque l’on se penche sur les données empiriques, il est surprenant, toutefois, de noter que
d’après les « baromètres » internationaux, le Chili, qui est pourtant le pays dont la constitution est
la plus « présidentialiste »1, est également, avec l’Uruguay, le seul pays de la région à n’avoir pas
expérimenté de trouble politique majeur depuis le retour à la démocratie. En outre, le Chili est
également celui qui reçoit le meilleur indice de « performance démocratique »2. Bien que les
indicateurs de ces baromètres soient discutables, le cas chilien et son pendant inverse, le Paraguay,
qui est l’un des pays les plus « équilibrés » mais qui a souffert à la fois d’instabilité politique et
démocratique sur la même période, constituent autant d’éléments contradictoires pour la théorie, et
laissent supposer une relation de causalité beaucoup plus large que la seule dimension
institutionnelle. Le Tableau 1.3 montre ainsi qu’il n’existe aucune corrélation directe entre
attributions présidentielles et l’équilibre entre pouvoirs et contre-pouvoirs, avec les propensions à
l’instabilité démocratique. En effet, les pays qui ont subi le plus de crises présidentielles et de
tentatives de putsch sont les pays proposant des constitutions présidentielles relativement
« faibles »3, à l’image de la Bolivie et de l’Équateur. Ces exemples contribuent à relativiser la
portée explicative des précédents modèles et à se prémunir des considérations institutionnalistes-
mécanicistes toutes faites, quant à toute conséquence tant sur la forme de démocratie en place que
sur d’autres aspects (nombres de partis, polarisation, etc…), à moins de chercher à son tour à
émettre des « excuses plutôt que des éléments de compréhension et d’anticipation» 4
. Plus
récemment on a pu observer l’émergence d’un courant inverse qui tend à montrer la corrélation
entre une meilleure efficacité gouvernementale dans es régimes présidentiels forts, notamment en
termes de stabilité politique et sur la « qualité de la démocratie » ; ainsi que le caractère « non
désirable » de structure rigides de pouvoirs et contre-pouvoirs 5, propre au régime Étatsunien
1.
1 Peter Siavelis parle dailleurs de “présidentialisme exagéré”, in SIAVELIS, P., “Exaggerated presidentialism and
moderate presidents: executive– legislative relations in Chile”, in MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative
politics in latin America, Cambridge University press, 2002, pp.79-114. 2 ZOVATTO, D., “Balance electoral latinoamericano Noviembre 2005-Diciembre 2006”, in Elecciones, No. 7, 2007,
pp. 17-54. Voir ainsi l’indice de The Economist dans son rapport annuel “The World in”; voir enfin la publication de la
Banque Interaméricaine de Développement (BID), dirigée par Mark Payne et al, La política importa : democracia y
desarrollo en América Latina, BID, 2006; ainsi que la co-publication du PNUD / OEA 2010, Nuestra democracia,
disponible sur http://www.nuestrademocracia.org/pdf/nuestra_democracia.pdf. 3 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies… op.cit
4 ALBALA BERTRAND, J.M., op. cit.
5 Voir entre autres MELO, M.A., “Strong Presidents, Robust Democracy? Separation of Powers and Rule of Law in
Latin America.”, in Brazilian Political Science Review, Vol. 3, No. 2, 2009, pp.30-59; CENTRO MUNDIAL DE
INVESTIGACION PARA LA PAZ, El Giro Republicano, Trilce, Montevideo, 2009;
84
Tableau 1.3 : Comparaison des attributions constitutionnelles des présidents sud-américains
Pays Initiative
présidentielle
Pouvoirs proactifs/réactifs du
président
Censure de l’exécutif / jugement politique
de du président
Dissolution de l’Assemblée
Argentine* 1 modérés/modérés 1/1 0
Bolivie** 1# faibles/modérés 1/1 0
Brésil* 1# forts/forts 0/1 0
Chili 1# forts/forts 0/1 0
Colombie 1# modérés/forts 0/1 0
Costa Rica 1 Faibles/faibles 1/1 0
Équateur** 1 modérés/modérés 1/1 1
Paraguay** 1 faibles/faibles 0/0 0
Pérou* 1 forts/faibles 1/1 1
Uruguay 1# modérés/modérés 1/1 1
Venezuela** 1# Modérés/faibles 1/0 1
États-Unis 1 Faibles/modérés 0/0 0
Total 12 (4) - 7/9 4
Notes : * pays ayant subi une « crise présidentielle » majeure depuis 1980 ; ** Pays ayant subi une crise présidentielle et une
tentative de coup d’État depuis 1980 ; # Pays dont le président dispose de l’initiative exclusive sur les questions du budget et des
dépenses de l’État. A noter qu’il s’agit d’une comparaison constitutionnelle. Nous ne prenons pas en considération, pour l’heure, la
pratique présidentielle. Ainsi le recours massif aux « Décrets de Nécessité et Urgence » (DNU), disposition théoriquement
exceptionnelle en Argentine, vient fausser cette comparaison « plate ». Nous avons volontairement sélectionné les pays sud-
américains et le Costa Rica, et non pas les pays centre-américains, pour les mêmes raisons que précédemment
Source : Elaboration propre, à partir de PNUD (2004), Georgetown PDBA, et Pérez Liñán (2008).
Par la suite, la caractérisation de « l’impasse institutionnelle » va recevoir une mise à jour
institutionnaliste en fonction du nombre d’acteurs politiques –les partis- en présence. En écho aux
critiques des années 1950-60 portant sur l’inconstance du parlementarisme multipartite, c’est cette
fois la « difficile combinaison » entre présidentialisme et multipartisme qui est mise en accusation2.
1 NEGRETTO, G., “Diseño constitucional y separacion de poderes en America latina”, in Revista Mexicana de
Sociología, Vol. 65, No. 1, 2003, pp. 41-76; ALEMAN, E., et TSEBELIS,G., “The Origins of Presidential Conditional
Agenda-Setting Power in Latin America”, in Latin American Research Review, Vol. 40, No. 2, 2005, pp. 3-26. 2MAINWARING, S., “Presidentialism, multipartism and democracy: the difficult combination”, in Comparative
Political Studies, Vol. 26, No.2, 1993, pp. 198-228: MAINWARING, S., “Pluripartidismo, federalismo fuerte y
85
Scott Mainwaring, le premier, va théoriser sur la faiblesse du présidentialisme multipartite, en se
basant largement sur les présidentialismes latino-américains, et reproche à cette configuration
d’aggraver les faiblesses inhérentes au régime présidentiel, telles qu’élaborées initialement par
Linz1. Comme le montre le Tableau 1.4, si le présidentialisme bipartite semble (ré)habilité, et est
alors considéré comme comparable au parlementarisme pluraliste, il apparaît toujours inférieur au
système Westminster, notamment en terme d’efficacité et de gouvernabilité. Inversement, le
présidentialisme multipartite serait foncièrement inadéquat et inapproprié pour le maintien des
stabilités aussi bien politiques que démocratiques. L’inflation du nombre des partis tend en effet à
accroître le nombre de « joueurs à capacité de véto »2, réduisant de la sorte le potentiel du
contingent législatif du président et élevant par-là même les risques de présidence minoritaire3
proportionnellement au nombre de partis en lice. A son tour, a probabilité d’impasse
institutionnelle augmenterait exponentiellement produisant une « chaîne d’instabilité », dont les
conséquences directes supposées seraient une ingouvernabilité chronique ou, du moins, une
incapacité à élaborer et faire approuver des politiques publiques.
Il est également reproché à la configuration multipartite en régime présidentiel de multiplier les
sources de conflits et de limiter la professionnalisation et la discipline des partis. Les risques de
blocage institutionnel paraissent d’autant plus aggravés sous cette configuration que le
présidentialisme découragerait, par essence, la formation de partis stables, disciplinés et
institutionnalisés4, en favorisant la création de proto partis personnalistes. Or, si le fondement du
jeu démocratique repose sur l’action des partis politiques, la centralité de ceux-ci en constitue la
condition sine qua non à la pérennité des démocraties, d’où la nécessité de limiter les acteurs (le
nombre de partis) et les agents (les hommes politiques), par le biais de recours institutionnels visant
à une modification de la loi électorale.
Finalement, la propre question des coalitions est abordée dans la lignée des travaux de Linz.
Bien qu’elles soient considérées comme un gage de pragmatisme et d’efficacité gouvernementale,
le système présidentiel serait incapable de générer des mécanismes durables pour leur formation et
presidencialismo en Brasil”, in MAINWARING, S., et SHUGART, M., 2002 op. cit, pp. 65-120; MAINWARING, S.,
et SHUGART, M., “Presidencialismo y sistema de partido en América latina”, in MAINWARING, S., et SHUGART,
M., 2002 op. cit, pp. 255-291. 1 A noter toutefois que Linz n’a pas émis d’avis sur cette question. Dans un entretien réalisé le 4 novembre 2011, il
semblerait tout au contraire penser l’inverse. 2 TSEBELIS, G., Veto Players: How Political Institutions Work, Princeton University Press, 2002.
3 JONES, M., Electoral Laws and the Survival of Democracies, University of Notre Dame Press, 1995; LIJPHART, A.,
Parliamentary versus Presidential Government, Oxford University Press, 1992. 4 MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires,
2002 [1997]. Pour le concept d’institutionnalisation du système de partis, voir MAINWARING, S., et SCULLY, T., La
Construcción de Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996
86
maintien, notamment à cause du principe de conflit de légitimité entre les branches de pouvoir1.
Cette absence de « motivation » structurelle, ajoutée à une discipline partisane défaillante, où les
alliances peuvent se faire et se défaire en une nuit (Scott Mainwaring et Sergio Abranches prenant
le cas Brésilien comme exemple-type), conduit les auteurs à considérer la pratique d’alliances
gouvernementales en régimes présidentiels comme accidentelle voire indésirable2.
Tableau 1.4: Comparaison de la performance théorique sur la stabilité
politique/gouvernementale, entre les différentes formes de présidentialismes et
parlementarismes.
Stabilité gouvernementale/ politique
+ -
gouvern
abilité
+ Parlementarisme majoritaire ou bipartite
(Westminster) Parlementarisme pluriel ou
multipartite
- Présidentialisme bipartite Présidentialisme multipartite
Notes : les signes positifs « + », supposent une plus grande propension ; inversement, les signes négatifs «- », supposent une moindre
efficacité.
Source: élaboration propre, à partir de Mainwaring (1993) ; Mainwaring et Shugart (1994 ; 2002);
Lijphart (1999) et Lanzaro (2001).
1.2.3 Coalitions gouvernementales et régime présidentiel : un phénomène
déviant ?
Le débat présidentialisme vs/ parlementarisme a tourné, initialement, autour de considérations
essentiellement institutionnelles quant à l’aptitude à limiter les attributions et la capacité de
nuisance des deux principales branches du pouvoir. A la lumière de ces observations, le premier
système semble considéré comme « par essence » moins à même que le second à garantir à la fois
la stabilité politique, la production législative et la formation de consensus politiques. Or, en sur-
1 Dans une note de bas de page de leur dernier ouvrage, Wolfgang Müller, et al. soutiennent que “Both government and
parliamentary coalitions resemble divided government in presidential systems”, MÜLLER, W., BERGMAN, T., et
STRØM, K., « Coalition theory and cabinet govenance : an introduction », in STRØM, K., MÜLLER, W.,
BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, op. cit., nbp7, p.7. Voir également MAINWARING, S., et
SCULLY, T., “Introduction: party systems in latin America”, in MAINWARING, S., et SCULLY, T., Building
democratic institutions: party systems in latin America, Stanford University Press, 1995, pp. 1–34, LINZ, J.J., et
STEPAN, A., Problems of democratic transition and consolidation, Johns Hopkins University Press, 1996. 2 Ainsi, « les difficultés à construire des coalitions inter-partisanes stables font que la combinaison de multipartisme
fragmenté et présidentialisme soit problématique, ce qui permet d’expliquer l’absence de démocraties multipartidaires
durables » MAINWARING, S., et SHUGART S. M., 1994, op. cit, p. 414, traduction propre. Voir également
ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados. Revista de Ciências
Sociais, Vol. 31, No. 1, 1988, pp. 5-34.
87
dimensionnant l’aspect institutionnel, ces travaux ont délaissé des aspects structurels et culturels,
certes moins mesurables, mais néanmoins centraux pour comprendre les fonctionnements des
différentes démocraties présidentielles1. Par la suite, ces présupposés ont débouché sur des
hypothèses plus fines en s’inspirant de la théorie des jeux et du nombre d’acteurs en lice, et en
mettant l’accent sur la propension « multiplicatrice » d’instabilité de la combinaison
présidentialisme/ multipartisme. Ceci a débouché sur la formulation d’hypothèses centrales portant
sur la moindre « efficacité » de cette configuration en termes de stabilité politique et gouvernabilité,
dont les plus communément défendues sont :
Hypothèse 1, les régimes présidentiels ne disposent pas d’éléments institutionnels
« facilitateurs » ou « contraignant » à la formation de gouvernements de coalition, d’où le
fait que des gouvernements de cette nature ne sauraient être que sporadiques voire
« accidentels ».
Hypothèse 2, la formation de coalitions politiques suppose l’existence de plus de deux
partis, ergo l’existence d’une forme multipartite de compétition politique. Or, cette
configuration engendre une multiplication d’acteurs politiques, particulièrement au
niveau législatif, ce qui tend à généraliser les cas de « présidence minoritaire »
Hypothèse 3, Enfin, les présidents minoritaires s’exposent davantage à des cas d’impasses
institutionnelles avec le parlement. D’où le fait que les gouvernements de coalition tendent
à être moins stables politiquement que les gouvernements monocolores, et s’exposent à
des risques accrus de tentatives de destitution du président, indépendamment de la nature
légale ou non de ces tentatives.
Il existe bien une quatrième hypothèse relative à la moindre capacité des gouvernements de
coalitions à gouverner, et approuver des projets de loi provenant de l’exécutif. Mais une
comparaison basée uniquement sur des données quantitatives ne saurait être satisfaisante car elle ne
prendrait qu’approximativement en considération des éléments conjoncturels ou des spécificités
structurelles propres à chaque pays, et ne saurait se limiter alors qu’à une « description » peu ou
non analytique de faits observables superficiellement.
L’hypothèse 1 reprend ainsi deux présupposés émis par Linz de manière implicite, sur lesquels
elle fonde son argumentaire. Tout d’abord elle part du principe (1) que les « motivations » pour la
formation de coalitions gouvernementales en régime présidentiel sont limitées par l’absence
1 NOHLEN, D., Sistema de gobierno, sistema electoral y sistema de partidos políticos, Tribunal Electoral/IFE/
Fundación Friedrich Naumann, Mexico, 1999; MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y
democracia… op.cit
88
d’obligation à former un soutien législatif pour la survie de l’exécutif ; et que (2) le caractère du
« gagnant emporte tout », inhérent à l’élection présidentielle, confèrerait au président un sentiment
de légitimité populaire, qui inhiberait toute volonté de partage du pouvoir. Les cas de collaboration
avec d’autres forces politiques, seraient dès lors à la fois accidentels1, ponctuels
2 et limités à des
soutiens parlementaires en vue de l’approbation de politiques publiques spécifiques.
Ces considérations semblent faire preuve, tout d’abord, d’ornières à la fois théoriques et
empiriques, puisque Michael Laver et Norman Schofield3, puis Kaare Strøm
4, ont montré que les
gouvernements minoritaires étaient relativement fréquents en système parlementaires, remettant
ainsi à plat les dogme de la nécessaire formation de gouvernements « majoritaires » et celui de
l’obligation de la formation de coalitions en cas d’absence de majorité parlementaire. Kaare Strøm
insiste sur le fait que la formation d’un gouvernement minoritaire (qu’il soit ou non de coalition)
peut s’avérer être une stratégie préférable voire désirable, notamment en cas de multipartisme
polarisé. Le gouvernement, bien que ne disposant pas à priori d’un soutien parlementaire suffisant,
parviendrait ainsi à former des coalitions législatives sur différents sujets, et notamment en cas de
vote de confiance ou motion de censure5. Il semble alors juste de noter que d’après l’hypothèse
anti-présidentialiste, l’absence de considération quant à la faculté de créer des coalitions législatives
ad hoc en régime présidentiel (et semi-présidentiel), à l’image de ce qui se produit en système
parlementaire, peut laisser circonspect6.
La réalité empirique est une dimension têtue qui se plaît à contredire les hypothèses les plus
logiques et élégantes. En effet, l’apparition généralisée et parfois « incontinente » de nouveaux
partis a non seulement démenti des théories sur l’impossible « combinaison » entre multipartisme et
1 STEPAN, A., et SKACH, C., « Constitutional frameworks and democratic consolidation: parliamentarism vs.
presidentialism », in World Politics, Vol. 46, No. 1, 1993, pp. 1-22; LINZ, J.J., « Presidential or parliamentary
democracy : does it make a difference ?», op. cit. 2 ROBLES EJEA, A. “Reflexiones sobre las coaliciones políticas”, in Revista de Estudios Políticos, No. 77, 1992, pp.
303-320. 3 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government:The politics of coalition in Europe, Oxford University
Press, 1990. 4 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Cambridge University press, 1990a
5 Ibid, p. 14. Ainsi, les coalitions gouvernementales minoritaires ont, d’après Strøm, une orientation « office-seeking »
dominante, et les coalitions législatives qu’elles parviennent à former sont-elles à dominante « policy seeking ».
Cheibub et al ont montré que plus de la moitié des gouvernements d’après-guerre en systèmes parlementaires ont été
des gouvernements minoritaires, et que près de la moitié de ceux-ci ont été des coalitions minoritaires.Voir CHEIBUB,
J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under presidentialism and
parliamentarism”, in British Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587. 6 Scott Mainwaring et Matthew Shugart avance que : « Bien que les raisons pour croire que de telles coalitions
tendraient à être plus fragiles qu’en système parlementaire, il y a des facteurs institutionnels spécifiques qui affectent la
viabilité des coalitions tant dans le cadre des systèmes parlementaires qu’au sein des systèmes présidentiels» in
MAINWARING S. et SHUGART M.S. « Presidencialismo y sistema de partidos en América Latina », in
MAINWARING S. Et SHUGART M.S, Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,
2002, nbp 3 p. 258. Pour une discussion voir CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,
Cambridge University Press, 2006.
89
systèmes présidentiels, mais elle a surtout mis en évidence la nécessité de s’arrêter sur les alliances
partisanes jusque-là délaissées ou considérées comme néfastes1. Grace Ivana Deheza, la première, a
démontré en s’appuyant sur des cas latino-américains que, statistiquement, les gouvernements de
coalition en systèmes présidentiels, tendent à être aussi fréquents que les gouvernements
monocolores2. Qui plus est, depuis le début des années 2000, de nombreux auteurs ont montré le
caractère récurrent ou « invariant », depuis le retour à la démocratie dans la région, de la formation
de coalitions gouvernementales solides3, au-delà d’accords « cartellisant »
4. Et, si nous nous
centrons sur l’Amérique du sud, se sont près des deux tiers des gouvernements ayant accédé au
pouvoir depuis le retour de la région à la démocratie (ou depuis 1980 pour la Colombie et le
Venezuela) qui se sont constitués en coalitions gouvernementales. Ces gouvernements entrent ainsi
pleinement dans la définition que nous avons établie dans l’introduction de cette thèse, en fonction
de leur composition et de leurs objectifs. L’argument du caractère accidentel de la formation de
coalitions en régimes présidentiel ne tient plus. On observe plutôt que celles-ci conditionnent la vie
politique de la région, surtout après les processus de déconstruction des bipartismes traditionnels5,
en Argentine, Colombie, Paraguay, Uruguay et au Venezuela.
En outre, l’argument du « winner takes all » perd également de sa consistance. En effet,
l’inclusion de différentes forces politiques au sein d’un même gouvernement amène à nuancer la
perception d’unilatéralité des prises de décision, particulièrement lorsque l’on considère les
1 ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão…” op. cit.
2 DEHEZA, G. I., “Gobiernos de coalición en el sistema presidencial: América del Sur”, in NOHLEN, D. et
FERNÁNDEZ, B., El presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina, Nueva Sociedad,
Caracas, 1998, pp.151-170. 3
Voir AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: An analysis of 10 latin American countries”,
document présenté lors du meeting LASA de Chicago, 1998; ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the
presidential systems of latin America: an inquiry into the political conditions of governability”, Thèse de doctorat non
publiée, Université d’Essex, 2001; LANZARO, J., “Tipos de presidencialismo y modos de gobierno en América
Latina” in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos
Aires, 2001, pp. 15-49; CHASQUETTI, D., “Democracia, multipartidismo y coaliciones en América Latina: evaluando
la difícil combinación”, in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones…, op. cit., pp. 319-359;
CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil
combinación, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 ; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S.,
“Government coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, op. cit; RENIU, J. M. “Los
gobiernos de coalición en los sistemas presidenciales de Latinoamérica; elementos para el debate”. Documentos
CIDOB. América Latina. No. 25, 2008; ALBALA, A. “Coaliciones gubernamenales y régimen presidencial…”op. cit. 4 Entendus comme des accords de partage du pouvoir avec comme unique objectif une répartition équilibrée entre les
principaux acteurs politiques, des sources de pouvoir et des financements publics, au détriment des autres acteurs
politiques. Le cas colombien de 1958 jusque 1991 en est un bon exemple. 5 FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», in BLANQUER, J., et
alii, Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des Amériques, Paris, 2004 ; ALBALA, A., et PARRA, E.,
« ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina, Colombia y
Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos,Vol. 9, No. 24, 2011, pp.153-180 ; RAILE, E., PEREIRA, C., et
POWER, T., “The executive toolbox: building legislative support in a multiparty presidential regime”, in Political
Research Quarterly, Vol. 64, No. 2, 2011, pp. 323-334 ; WARE, A., The dynamics of two-party politics, ECPR/ Oxford
University Press, 2009.
90
différentes attributions -proactives et réactives- des présidents. Si l’élection du président, et dans la
plupart des cas du vice-président1, découle en effet du suffrage populaire, et s’il semble que
l’autonomie ministérielle vis-à-vis du chef du gouvernement soit moindre en système présidentiel2 ;
le partage du pouvoir entre différents acteurs constitue alors la condition à l’établissement et au
fonctionnement de gouvernements de coalition. D’ailleurs, du fait de la séparation des pouvoirs, les
gouvernements monocolores en systèmes parlementaires sont beaucoup plus enclins à des pratiques
« centrifuges »3 ou unilatérales, puisqu’ils ne représentent les intérêts que d’un seul parti, quand
bien même celui-ci serait majoritaire, et potentiellement sans contre-pouvoir politique.
Contrairement à ce que soutien la théorie, les coalitions gouvernementales constituent
effectivement une « réalité » tangible de la vie politique en système présidentiel. Cette réalité est-
elle néanmoins « positive »? En effet, à en croire l’hypothèse 2, la multiplication des acteurs
politiques au niveau parlementaire tend à favoriser les cas de présidence minoritaire, et ce en dépit
de la possibilité de former des coalitions. La probabilité d’avoir un président sans majorité
parlementaire, dans un cas de figure de compétition politique bipartisane, paraît « logiquement »
peu probable : les électeurs, considérés comme rationnels, et ayant moins d’options de dispersion,
sont supposés voter de manière cohérente (ou « utile ») pour le même parti du candidat présidentiel,
aux élections législatives. Ce d’autant plus si la loi électorale ne prévoit qu’un tour (pour le
président) et si le mode d’élection des parlementaires est uninominal et du style first past the post
(« le premier arrivé est élu4 »).
Encore une fois, la réalité empirique vient démentir cette hypothèse logique. En effet, lorsque
l’on réalise une observation globale des démocraties sud et nord-américaines, aucune corrélation
évidente n’apparaît. Si l’hypothèse semble se vérifier pour certains cas où les systèmes partisans
sont à la fois multipartites et instables comme au Pérou et Équateur ; les cas du Brésil et du Chili
qui abritent les deux systèmes de partis les plus « atomisés » de la région (respectivement 6,4 et 5.1
partis « effectifs » en moyenne5), font preuve d’une efficacité récurrente à former des majorités
parlementaires, dans respectivement 72 et 80% des cas1.
1 A noter l’absence de travaux d’envergure sur le rôle du vice-président, notamment dans la confection d’alliances
électorales. 2 MORGENSTERN, S., et NACIF. B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University Press, 2002;
STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability in parliamentary democracies, Oxford
University Press, 2003. Nous discuterons ce point de vue dans le chapitre 6. 3 GERRING, J., et THAKER, S., A centripetal theory of democratic governance, Cambridge University Press, 2008;
ZELAZNIK, J., “The Building of Coalitions in the Presidential Systems of Latin America…” op. cit.; CHEIBUB, J.A.,
Presidentialism, Parliamentarism, and Democracy, op. cit. 4 Appelé système « pluriel » ou « majoritaire », par Arend Lijphart. Voir LIJPHART, A., Democracies, op. cit. Nous
développerons une analyse critique de l’impact du système électoral sur la formation de coalitions au prochain chapitre. 5 Mesure à partir dela célèbre et controversée équation de Laakso et Taagapera pour le « comptage » du Nombre
Effectif de Partis (NEP). Voir LAAKSO, M., et TAAGEPERA, R., “Efective number of parties. A measure with
91
Surtout, si l’on considère deux des démocraties « bipartisanes » les plus durables et
paradigmatiques du continent Américain, le Costa Rica et les États-Unis, on observe des résultats
surprenants. Partant de la définition la plus appropriée du bipartisme (au-delà d’un simple
« comptage » analytiquement inintéressant des partis en lice aux élections) comme un système de
partis « où, pendant une période prolongée, les deux partis (mais pas plus de deux partis) ont
normalement eu le contrôle du gouvernement par eux-mêmes, et alternativement 2» ; nous pouvons
observer que ces deux démocraties ont expérimentés des cas de présidence minoritaire
respectivement dans 50% et 80% des cas3. L’argument sur la relation mécanique entre bipartisme
et gouvernement majoritaire, tombe à son tour.
Enfin, si les démocraties présidentielles bipartisanes ne sont pas nécessairement conductrices de
majorité, au moins les partis présents disposent-ils d’une large représentation qui leur octroierait de
fait à défaut d’une réelle majorité, une « quasi-majorité », qui limiterait alors les transactions ad
hoc lors de votes à l’assemblée. Aussi, suivant l’hypothèse 3, cette combinaison permettrait de
prévenir les impasses institutionnelles et notamment les cas de tension entre les deux principales
branches du pouvoir. Les systèmes bipartisans seraient de la sorte mieux armés pour faire face à des
crises présidentielles, sans avoir à recourir à des formes de résolution lourdes (démission forcée
voire destitution du président) ni extra-légales (coup d’État ou tentative de putsch). Ces
démocraties seraient aussi plus à même de garantir la stabilité politique et démocratique du pays,
tandis que la multiplication des acteurs et du nombre de joueurs opportunistes disposant d’un
« pouvoir de véto », rend la tâche plus imprévisible en système multipartite.
Suivant cette théorie, on devrait donc s’attendre à une surreprésentation de destitutions
présidentielles4 (ou démissions forcées) et tentatives de coups d’État dans les démocraties ou
opèrent des systèmes partisans multipartites. Or, le Graphique 1.1., met en évidence l’absence de
corrélation entre l’influence du système partisan et la recrudescence de destitutions présidentielles
ou tentatives de coups d’États. Nous avons volontairement écarté les cas du Pérou et Haïti, étant
application to west Europe”, in Comparative Political Studies, Vol. 12, No. 1, 1979, pp. 3-27. Pour une critique de cette
mesure, voir SARTORI, G., Parties and party system, Oxford University Press, 2006, et WARE, A., op. cit. 1FIGUEIREDO, A., SALLES, D., et VIEIRA, M., « Presidencialismo de coalizão na América Latina », in Insight
Inteligência, Année XII, No. 49, 2010, pp. 127-133. Les résultats pour le cas chilien sont à nuancer en ce que, bien
que la Concertación ait effectivement gagné toutes les élections jusqu’en 2010, et s’est effectivement dotée d’une
majorité de parlementaires « élus », l’existence de sénateurs désignés à l’époque de la dictature, et
constitutionnellement inamovibles jusqu’à la réforme constitutionnelle de 2005, renvoie à ce que Manuel Antonio
Garretón nomme les « enclaves autoritaires » auxquelles les gouvernements démocratiques ont dû faire face depuis
1990. Ces raisons extra-électorales expliquent d’ailleurs que la Concertación n’ait jamais eu de réelle « majorité »
parlementaire jusqu’en 2000. 2 WARE, A., op. cit., p. 8. Traduction propre.
3 ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential…” op. cit, FIGUEIREDO, A., et al, « Presidencialismo
de coalizão na América Latina », op. cit 4 Ou démissions forcées.
92
donné les réserves que l’on peut y porter quant à l’existence de systèmes partisans en tant que tels1.
On observe ainsi que si les cas de destitutions présidentielles, depuis le retour à la démocratie, ont
été plus nombreux en systèmes multipartisans (8), qu’en configurations bipartisanes (5)2 ; à
l’inverse, les cas de tentatives de coups d’État se trouvent surreprésentés dans les démocraties
bipartisanes (4) par rapport aux systèmes multipartisans (2)3.
Graphique 1.1. Démissions présidentielles et tentatives de putsch en fonction des
combinaisons bipartite/ multipartite des systèmes partisans.
Source : Élaboration propre.
Après ce détour par la « réalité » empirique, nous nous trouvons donc en mesure de déconstruire
l’argument de la difficile combinaison entre présidentialisme et multipartisme. Les gouvernements
de coalition en régime présidentiel ne sont ainsi ni accidentels, ni vecteurs d’instabilité per se,
contrairement à la thèse séduisante de Scott Mainwaring. En nous arrêtant sur la quatrième
hypothèse que nous avions brièvement formulée, nous observons également la non-vérification de
l’argument sur une moindre efficacité législative des gouvernements de coalition4. Enfin, la théorie
originelle de Linz, sur la plus grande propension à l’instabilité politique et démocratique des
1 Ainsi, Giovanni Sartori, Marcelo Cavarozzi et Esperanza Casullo, ou encore Liliana De Riz avancent-ils avec raison
que l’existence de parti n’est pas une condition suffisante à la conformation d’un « système de partis ». Voir SARTORI,
G., Parties and Party System,op. cit ; CAVAROZZI, M., et CASULLO, E., « Los Partidos en América Latina Hoy :
¿Consolidación o Crisis ?, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El Asedio a la Política, Homo Sapiens/
Konrad Adenauer, Rosário, 2002, pp. 9-31; DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado:
Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, pp. 659-682. Pour une
approche conceptuelle et analytique de la notion d’institutionnalisation des systèmes de parti, voir infra. 2 Systèmes multipartisans : Argentine (2001), Bolivie (1985, 2003 et 2005), Brésil (1993), Équateur (1996, 2000,
2005). Systèmes bipartites : République Dominicaine (1996), Guatemala (1993), Honduras (2009), Paraguay (1999 et
2012) et Venezuela (1993). 3 Bipartite : Guatemala (1993), Paraguay (1996 ), Venezuela (1992 et 1993), Honduras (2010) ; Multipartite : Équateur
(2000), Venezuela (2002). Nous avons volontairement laissé de côté la tentative de coup d’État en Équateur subie par
le président Correa en 2011, puisque celle-ci fut de nature corporatiste, étant le fruit d’un soulèvement d’une fraction
des forces de police. Cette tentative n’a ainsi rien à voir avec quelque impasse institutionnelle que ce soit. 4 Nous verrons une analyse plus fine de ceci dans le chapitre 5.
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présidents démis tentatives de putsch systèmes bipartisans systèmes multipartisans
93
régimes présidentiels par rapport aux régimes parlementaires nous est apparue discutable. Les
conditions ayant conduit aux coups d’États dans les années 1970 et aux crises politiques lors de la
décennie 1990-2000, étant plus profondes que la simple considération d’impasse institutionnelle, et
donc autrement plus compliquées à résoudre1.
En somme, si des études de plus en plus nombreuses ont fait état de la réalité des gouvernements
de coalition en régime présidentiel au début des années 2000, la portée de ces études est assez
inégale et disparate, et leur approche essentiellement monovariée voire monothématique. En effet,
la plupart de ces travaux ont seulement pris pour objets la formation et la composition des cabinets
ministériels et les conditions institutionnelles du partage des postes de pouvoirs2, l’élaboration de
modèles visant à prédire la période de scission de l’alliance3, voire à un mélange de ces deux
objets4. L’avancée des travaux sur les gouvernements de coalition en régimes présidentiels semble
donc se limiter essentiellement aux approches de « première et seconde génération » (voir supra
1.1.3a), essentiellement centrées sur l’impact des institutions (loi électorale, etc.). Si certains
travaux multivariés commencent à voir le jour très récemment5, il n’existe pas encore d’étude
structurelle, orientée sur les caractéristiques propres au présidentialisme en termes d’exercice du
pouvoir, de culture politique, d’historicité et temporalité politique, éléments marquant des
différences entre les deux types de régimes.
1ALTMAN, D., “Crisis de gobernabilidad democrática: orígenes y mapa de lectura”, in Revista Instituciones y
Desarrollo, No. 8 et 9, 2001, pp. 385- 410; CHEIBUB, J.A., 2006 op. cit.; CHEIBUB, J.A., “Minority governments,
deadlock situations, and the survival of presidential democracies”, in Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 3,
2002, pp. 284-312; CHEIBUB, J.A., LIMONGI, F., “Democratic institutions and regime survival: parliamentary and
presidential democracies reconsidered”, in Annual Review of. Political Science, No. 5, 2002, pp. 151–79; COLOMER,
J., et NEGRETTO, G., “Can presidentialism work like parliamentarism?”, in Government and Opposition, Vol. 40,
No.1, 2005, pp. 60–89. 2 AMORIM NETO, op. cit ; AMORIM NETO, O.”The presidential calculus: Executive policy making and cabinet
formation in the Americas, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4, 2006, pp. 415-440.ALEMAN, E., et
TSEBELIS,G., “Coalitions in presidential democracies: how preferences and institutions affect cabinet membership”,
Paper présenté lors du congrès annuel de l’Association Américaine de Science Politique (APSA), 2008; MARTÍNEZ-
GALLARDO, C., “Inside the cabinet: the influence of ministers in the policymaking process”, in SCARTASCINI, C.,
STEIN, E., et TOMMASI, M., How democracy works: political institutions, actors, and arenas in latin American
policymaking, BID, Washington D.C., 2010, pp. 119-145. 3
ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies: the case of
Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La supervivencia de
las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, in Postdata, No. 11, 2006, pp. 163-192;
CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil
combinación, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008. 4 GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in
Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp.41-62. 5 RENIU, J. M. “Los gobiernos de coalición en los sistemas presidenciales de Latinoamérica; elementos para el
debate”, in Documentos CIDOB América Latina, No. 25, 2008; RAILE, E., PEREIRA, C., et POWER, T., “The
executive toolbox..” op. cit.; et CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and
legislative success …», op. cit.
94
1.3 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons cherché à dresser un état des lieux des coalitions theories élaborées
à partir de l’étude des systèmes parlementaires. L’évolution des travaux sur le sujet montre que
l’approche utilitaire que nous avons vue à l’œuvre dans les écrits de Riker, etc. a progressivement
laissé place à la considération de variable de plus en plus fines et diversifiées. Ces mises à jour se
sont dans un premier temps limitées à des questions institutionnelles, avant d’élargir l’objet d’étude
sur l’analyse de considérations aussi bien systémiques qu’environnementales.
S’il est vrai que ces nouvelles approches témoignent d’une évolution à la fois pertinente et
exaltante quant à l’analyse des phénomènes coalitionnaires en politique, les travaux sur les
coalitions gouvernementales en régimes présidentiels demeurent minoritaires. Nous avons
également tracé l’évolution du débat opposant parlementaristes vs/ présidentialistes, et présenté sa
vivacité comme la raison centrale du retard pris par les études des phénomènes coalitionnaires en
régime présidentiel. Nous avons évoqué deux éléments nous persuadant à « multivarier » -à notre
tour- notre approche : l’absence d’homogénéité des configurations présidentielles, et 2) la réalité
empirique qui vient démentir les présupposés stipulant l’absence de motivations à la coopération et
au partage du pouvoir au sein de ce type de systèmes. Comme le disent Kaare Strøm et al.:
«La recherche sur les coalitions n'a pas besoin d'être limitée, même dans les démocraties
parlementaires. Tous les systèmes multipartites qui ne remettent pas tout le pouvoir entre les
mains d'un seul parti politique soudé, exigent la formation et souvent l'entretien d’une sorte de
coalition [...]. Bien que les régimes présidentiels aient une configuration institutionnelle distincte,
les logiques de base de la négociation devraient être les mêmes. Ce serait donc une tentative
notable que de formuler des théories de coalition qui couvrent les deux systèmes parlementaire et
présidentiel »1
Pour ce faire nous avons établis les bases des caractéristiques propres aux régimes présidentiels,
reprenant d’ailleurs, en partie, les éléments propres à l’argument initial de Juan Linz.
Premièrement, le fait que le président soit détenteur de la double casquette chef de l’État/ chef du
Gouvernement, ce qui comme l’avance Linz suppose une posture face à l’électorat, et une pratique
du pouvoir potentiellement plus chargée symboliquement et discursivement. Ceci engendre une
tendance clivée entre les partisans du président et « les autres », cherchant à être président à la
place du président. La séparation des pouvoirs, ou plutôt leur respective autonomie, fait du
gouvernement l’acteur central de la formation de politiques publiques et tend à augmenter le « prix
1 STRØM, K. et al. op. cit, p. 442. Traduction propre
95
d’entrée au gouvernement »1. Les portefeuilles ministériels sont à la fois des « actifs » précieux à la
disposition du président, susceptibles d’être distribués aux alliés les plus « méritants » ou
« engagés » ; et des « biens » convoités par d’autres acteurs politiques. Plus les prérogatives
législatives du pouvoir exécutif sont élevées, plus ceci semble se renforcer.
Le second élément principal de distinction avec les systèmes parlementaires, à la temporalité
politique. En effet, la caractéristique du mandat fixe permet de se projeter sur une temporalité plus
longue et précise qu’en régimes parlementaires, au sein desquelles le gouvernement peut être
censuré à tout moment. Deux propositions se présentent : a) les gouvernements de coalitions en
régimes présidentiels ont une durée de vie plus limitée et elle est davantage orientés vers la quête
du pouvoir (power seeking) ; ou b) les gouvernements de coalitions en régimes présidentiels ont
une vision à plus long terme, dépourvus qu’ils sont des soucis d’un marchandage constant visant à
maintenir leur unité et majorité parlementaire. Les membres du gouvernement tendraient alors à
inscrire leur action dans la durée en cherchant la réélection du président (si la constitution le
permet) ou de « l’équipe gouvernante ».
Conformément à ce que nous avons établi jusqu’à présent, nous proposons de laisser de côté
toute modélisation superficielle. Nous rejetons alors ces deux précédentes propositions, car le
contexte aidant, chacune peut tour à tour se présenter. Nous retenons néanmoins que la
caractéristique élective du mandat présidentiel confère à l’élection –plus ou moins directe selon les
constitutions– une dimension de « couperet », puisque celle-ci –qu’elle soit à un ou deux tours–
détermine l’identité du vainqueur. A l’inverse de ce qui se passe en système parlementaire, tel que
le présentent les différentes analyses, où le gouvernement est connu une fois établis les rapports de
force à l’assemblée2, la sélection du candidat serait donc amenée à être le fruit de davantage de
tractations aussi bien intra-partisanes (primaires ouvertes ou fermées), qu’inter-partisanes
(formation d’un front électoral commun et accord autour d’un candidat unique). Le « cycle »
présidentiel pourrait être différent de celui du premier ministre, l’application de la théorie des
1 PAYNE, M., “Balancing Executive and Legislative Prerogatives: The Role of Constitutional and Party-Based
Factors”, in PAYNE, M., ZOVATTO, D., et MATEO DÍAZ, M., Democracies In Development: Politics and Reform in
Latin America, BID, Washington DC, 2007; SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, Parties, and Prime
Ministers, Cambridge University Press, 2010; PRAÇA, S., FREITAS, A., et HOEPERS, B., “Political Appointments
and Coalition Management in Brazil, 2007-2010”, in Journal of Politics in Latin America, Vol. 3, No. 2, 2010, pp.
141-172. 2 A noter toutefois que la loi électorale bolivienne prévoyait, sous la constitution en vigueur jusqu’en 2009, qu’en
l’absence de majorité absolue au premier tour, le président était « élu » par le parlement, parmi les trois candidats les
mieux placés. Ceci conférait donc au parlement une responsabilité similaire à celle en vigueur en système
parlementaire.
96
coalitions doit donc prendre en considération cette dimension, lors de sa transposition aux régimes
présidentiels1.
Enfin, la formation de coalitions politiques (gouvernementales et législatives) suppose
l’élaboration d’une stratégie de coopération entre les acteurs impliqués, en vue de la réalisation de
l’objectif commun intrinsèque à l’accord (élection, politique publique, etc.), en dépit des distorsions
d’information entre les joueurs2. Or, si ceci est en adéquation avec la perception du « winner takes
all » établie par Linz comme propre aux systèmes présidentiels, nous avons nuancé ce postulat en
collectivisant les responsabilités du pouvoir exécutif. En effet, celui-ci ne saurait se limiter au seul
président. De plus, nous avons longuement insisté sur le fait que la pratique gouvernementale ne
doit pas être conditionnée uniquement par le cadre institutionnel. Dans ce domaine, les cultures
politique et gouvernementale sont autant d’éléments à prendre en compte pour considérer la
propension à la coopération des différents systèmes présidentiels. C’est la raison pour laquelle
Jorge Lanzaro différencie, parallèlement à l’existence de présidents monarques, deux types de
configurations présidentielles coopérantes: le présidentialisme de compromis, et le présidentialisme
de coalitions3.
Le premier type de configuration peut s’appliquer à toute forme de présidentialisme -majoritaire
ou pluriel. Il consiste à ce que le gagnant « partage d’une certaine manière sa victoire et se trouve
obligé de négocier les produits du gouvernement »4. Le gouvernement doit alors faire face à une
situation de négociation permanente avec l’opposition parlementaire, que ce soit en y étant
contraint institutionnellement, ou parce que cela relève de la culture gouvernementale, toute
décision étant discutée et prise conjointement, dans la mesure du possible, avec une large majorité
du parlement. Dans sa forme la plus élémentaire, ce type de régime s’appelle également le
présidentialisme modéré. Lanzaro cite les États-Unis comme exemple-type de ce régime, qui
suppose donc une « tradition » politique du compromis, et créé par-là même une culture politique
modérée voire « consensuelle » quant à la manière de concevoir et de faire la politique. Toutefois,
comme nous l’avons observé récemment, toujours dans le cas états-unien, la nécessité constante de
parvenir à un compromis avec l’opposition ne garantit pas pour autant le succès des négociations, et
donc l’adoption de politiques publiques.
Le présidentialisme de coalitions, concept initialement péjoratif5, consiste, quant à lui, à
l’institutionnalisation de la formation de coalitions électorales et gouvernementales. La modération
1 Voir supra, chapitre 4.
2 SUTTON, J. “Non-Cooperative Bargaining Theory: An Introduction”, op. cit.
3 LANZARO 2001, op. cit., p.22
4 Ibid p. 22
5 ABRANCHES, S., op cit.
97
idéologique et la stratégie de coopération constitue alors, d’après Jorge Lanzaro, l’un des pré-requis
de cette configuration présidentialiste. Ce concept doit-il être considéré dans son entièreté
ontologique, à savoir que ce qui incombe à la dimension coalisée ne saurait être séparé de la partie
« présidentielle ». Or, si nous avons manifesté une commensurabilité avec le phénomène
coalitionnaire, et dès lors une comparaison possible, nous avons également mis en avant la
nécessaire « présidentialisation » de l’approche analytique. Aussi, nous réutiliserons ce concept
comme la caractérisation de l’approche des coalitions gouvernementales en systèmes présidentiels.
Le prochain chapitre s’inscrit viendra isoler l’impact de la configuration présidentielle dans la
formation de la compétition partisane et la formation d’alliances politiques, en réalisant une
comparaison constante avec le type de gouvernance supposée des régimes parlementaires.
98
Chapitre 2: Le présidentialisme de coalition et l’approche par les institutions
Pour celui qui mène une investigation sur les constitutions et sur ce qu’est chacune d’elles
et sur ces propriétés, l’investigation première c’est de considérer la cité […]
Aristote, Les Politiques.
La conjonction théorique des coalition theories avec la prise en compte graduelle des
spécificités des relations inter-partisanes considérant les partis comme des organisations
fonctionnant en système -et non plus uniquement suivant le schème individualisant les membres
des partis1-, a constitué une évolution majeure dans l’approche de ce phénomène par la science
politique. Les coalitions politiques qui ont suivi ce schème d’analyse, ont constitué l’un des viviers
les plus prolifiques dans la littérature de cette discipline2. Nous l’avons vu, l’adjonction de
« variables » explicatives, en complément des conceptions utilitaristes initiales, est venue inaugurer
de nouvelles générations d’études sur les processus coalitionnaires. L’ingénierie constitutionnelle
comparée et l’émergence puis l’avènement du courant néo-institutionnaliste dans les années 19803
ont ainsi fortement imprégné la seconde génération d’études, au point d’en être le principal facteur
explicatif. Les institutions, ou plutôt certaines institutions peuvent, tour-à-tour, être
« facilitatrices » et/ou « contraignantes » quant à la formation et au maintien d’alliances. Le cadre
institutionnel opèrerait donc comme le conditionnant majeur de l’action politique, et certaines
« combinaisons » institutionnelles seraient supposément plus à même que d’autres, de produire
et/ou de maintenir une configuration coalitionnaire.
Parallèlement à cela, le débat présidentialisme vs/ parlementarisme, que nous avons analysé au
chapitre précédent, est également un débat fondé sur des questions institutionnelles. Ainsi, si les
« variables dépendantes » diffèrent entre les différentes études –« stabilité démocratique » pour
Juan Linz et Arturo Valenzuela4 ; « bonne gouvernance », « consolidation démocratique » et
1 Propre aux courants behaviouraliste et du choix rationnel.
2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions. L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la
croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37.
3 Si l’article de March et Olsen vient identifier ce nouveau paradigme, l’approche du fait social par les institutions était
pour autant déjà à l’œuvre. Voir MARCH, J., et OLSEN, J., “The new institutionalism: organizational factors in
political life” in American Political Science Review, Vol. 78, No. 3, 1984, pp. 734-749. Pour un tracé du paradigme
institutionnaliste et néo-institutionnaliste, voir PETERS, G., Institutional theory in political science: the 'new
institutionalism', Pinter, Londres/ New York, 1999. 4 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69; LINZ, J.J., et
VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994.
99
« stabilité institutionnelle » pour les études de la seconde vague du débat1 ; les « variables
indépendantes » utilisées pour l’analyse sont, quant à elles, toutes de dimension institutionnelle : le
seul régime présidentiel pour Linz et Valenzuela ou le régime présidentiel combiné au système de
partis et les pouvoirs de l’exécutif, pour les études postérieures. Ces études se focalisent, avec une
tendance normative, sur des « problèmes » institutionnels, et proposent à leur tour des réponses ou
des « solutions » de nature institutionnelle2.
Dans ce chapitre nous viendrons vérifier ces théories en reprenant, dans un premier temps, les
arguments de l’ingénierie constitutionnelle, puis ceux de l’approche néo-institutionnelle. Nous
confronterons, dans cette perspective, les principales hypothèses afin de mettre en évidence un
décalage qualitatif dans l’approche du phénomène coalitionnaire et sa dépendance à
l’environnement institutionnel, selon que les études traitent du phénomène en système
parlementaire ou présidentiel. Au plan théorique, nous identifierons les institutions qui entrent dans
l’élaboration de modèles de probabilité coalitionnelle (ou « coalescence »). Au plan empirique nous
tenterons d’observer la portée de ces modèles et le rôle de ces institutions au niveau latino-
américain, plus particulièrement dans nos trois pays étudiés. Nous porterons un intérêt particulier
sur les réformes constitutionnelles et notamment l’inclusion du balottage.
Nous verrons ainsi, dans un premier temps, l’impact des lois électorales sur le système partisan
et les hypothèses formulées, quant à leur propension à former des coalitions gouvernementales.
Nous considérerons ensuite les modèles mêlant les propriétés des différentes combinaisons de lois
électorales, avec les facultés législatives de l’exécutif et leurs supposés effets sur le maintien
d’alliances gouvernementales. Nous insisterons tout particulièrement sur trois points : a) la
simultanéité des élections présidentielles/ législatives ; b) la possibilité de réélection ; et c) les
configurations de présidentialisme « fort » ou exagéré3.
La seconde partie proposera une forme alternative de considérer le poids des institutions sur la
pratique coalitionnaire, en nous arrêtant à la fois sur les considérations endogènes (ou
« systémiques ») de création des institutions et « la dépendance du sentier» (path dependence) créé
par cette configuration initiale. Cette approche propre à l’institutionnalisme historique considérera
entre autres les contextes et les acteurs ayant participé aux créations et, suivant les cas, aux
1 ELGIE, R., “From Linz to Tsebelis: three waves of presidential/parliamentary studies?,” in Demcratization, Vol.12,
No.1, 2005, pp.106–122. 2 NORTH, D., Institutions, Institutional change and economic performance, Cambridge University Press, 1990.
3 SIAVELIS, P., “Exaggerated presidentialism and moderate presidents: executive–legislative relations in Chile”, in
MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative politics in latin America, Cambridge University press, 2002, pp.79-
114.
100
changements constitutionnels récents. Enfin, nous nous arrêterons sur l’impact des institutions
informelles et leurs facultés ordonnatrices sur les systèmes politique et partisan.
2.1 De l’impact du système politique sur les systèmes de partis et leur « potentiel
coalitionnaire » en régime présidentiel.
Les travaux initiaux de Maurice Duverger1 sur les partis politiques, et leur relation aux
institutions quant à la formation d’alliances, sont restés, pendant près de trente-cinq ans, sans suite2.
En effet, nous l’avons vu, les processus coalitionnaires étaient observés au travers du prisme
behaviouriste, courant dominant de la science politique jusque dans les années 1980. Il a fallu
attendre un changement de paradigme dominant dans la discipline et les travaux de David Austen
Smith et Jeffrey Banks et surtout de Kaare Strøm et al. 3, pour reconsidérer l’étude de ces
phénomènes dans une optique non dispensée d’institutions.
Or, si le propre concept d’institution politique, qui se réfère habituellement « aux organes de
l’État qui exercent des fonctions dites de souveraineté »4, demeure relativement flou et mouvant, en
raison du caractère plastique de la notion de souveraineté, notons toutefois qu’à l’heure de son
application à l’étude des alliances politiques, les « théoriciens des coalitions » parviennent à un
consensus quasi unanime quant à la délimitation et la spécification desdits organes et indicateurs
retenus, lesquels sont montés en variables indépendantes génératrices de la formation –et/ou
dissolution5- de coalitions politiques. Notons également un distinguo qualificatif entre la nature et
les effets de ces institutions.
Ainsi, Strøm et al., définissent par éléments contraignants ou restrictifs « tous types de
restrictions sur l’éventail de coalitions gouvernementales envisageables, allant au-delà du contrôle
à court terme des différents joueurs »6. Si ces éléments donnés et considérés comme relativement
stables influent à la fois sur la formation, le développement et la résiliation des alliances, les auteurs
distinguent toutefois des éléments contraignants « forts » (hard constraints), et des éléments plus
1 DUVERGER, M., Les Partis Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].
2 Si Laurence Dodd s’est référé aussi bien aux systèmes politiques et systèmes de partis, comme éléments à prendre en
considération, il ne les a toutefois pas opérationnalisé dans son approche. Voir DODD, L., Coalitions in parliamentary
government, Princeton University Press, 1976. 3 AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives outcomes” in American Political Science
Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; STRØM K., BUDGE,I., et LAVER M., “Constraints on cabinet formation
in parliamentary democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, pp. 303-335. 4 HERMET, G., BADIE.B., BIRNBAUM., P., BRAUD, P., Dictionnaire de la science politique et des institutions
politiques, Armand Collin/ Dalloz, Paris, 2005, p. 155. 5 Suivant la paire de résultats ou « variable dépendante » qu’il s’agirait d’expliquer (ici formation/ non formation ; et
maintien/ dissolution). 6 STRØM K., BUDGE, I., et LAVER M.J., op. cit. p. 308.
101
« légers » (soft constraints). Les premiers « éliminent » de facto des combinaisons d’acteurs, des
formes de prise de décision, etc. ; les seconds ont un rôle plus (des)incitatif1. Si ces deux types
d’éléments viennent limiter et diminuer la gamme de coalitions plausibles et factibles, les études
s’intéressent « naturellement » davantage aux éléments les plus à même de modeler fortement les
comportements et les stratégies d’alliance.
Dès lors, dans la recherche d’éléments contraignants forts, reprenant les « lois sociologiques »
de Duverger puis leurs amendements par Sartori, et en se concentrant sur les éléments liés à la
formation et à la dissolution des coalitions, l’accent vient se porter essentiellement sur l’impact des
lois électorales sur la formation de coalitions. Certains vont également postuler, pour l’analyse en
systèmes présidentiels, que plus l’exécutif est faible (entendu comme moins autonome vis-à-vis du
parlement), plus la nécessité de contrôler le parlement, donc d’obtenir une majorité, est élevée.
D’où la majeure propension à la formation de coalitions en systèmes « présidentiels modérés »2.
Les ensembles d’institutions exposés en variables d’analyse, dans la plupart des travaux qui portent
sur les coalitions gouvernementales depuis les années 1990, sont alors : 1) le système électoral,
entendu comme les éléments déterminant et organisant l’élection des représentants sur les deux
terrains électifs (législatif et présidentiel); 2) le système politique et le degré d’équilibre des
pouvoirs, ainsi que les règles établissant la formation et l’investiture du gouvernement ; et enfin, 3)
la nature et l’organisation du système de partis, via le nombre de partis en lice et le caractère
inclusif/ exclusif de ces systèmes. Relevons ainsi que cette troisième variable d’analyse est
largement considérée comme « dépendante» de la première, et déterminante pour qualifier les
coalitions3.
Considérons dans un premier temps cette troisième variable en la séparant des autres, puisque le
postulat tautologique stipule que pour qu’il y ait coalition de partis (quelque soit la nature de la
coalition), il faut au moins deux partis. Faisons-la passer du statut de variable indépendante, à celui
de variable dépendante, en étudiant ce que dit la théorie sur les éléments sensés conditionner le
1 Ibid p.309
2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia; una revisión crítica”, in
Desarrollo Económico. Vol. 34. No. 135, 1994, pp. 397-418; TSEBELIS, G., Veto players:how political institutions
work, Princeton University Press, 2002 3 Dans un système bipartisan, en effet, la principale coalition envisageable est la “grande coalition” ou coalition entre
les deux grands partis, des suites d’événements critiques. En revanche en système multipartite la typologie des
coalitions peut se fonder sur le résultat de la coalition (grande coalition/ coalition surdimensionnée/ coalition minimale
victorieuse/ coalition minoritaire) ; ou sur la taille comparée des partis coalisés (coalition équilibrée/ désequilibrée).
Tous ces qualificatifs supposent, avant tout, un travail préalable d’élaboration de la méthode de « comptage » des
partis. Les cas britannique ou espagnol en sont de bons exemples : tous deux considérés comme des bipartismes
paradigmatiques, ont toutefois été amenés récemment (Grande Bretagne), ou par le passé (Espagne), à former des
gouvernements de coalition, sans que le paysage politique n’ait été marqué par l’apparition soudaine de nouvelles
forces. Voir les considérations de Giovanni Sartori à ce sujet dans SARTORI, G., Parties and party system : a
framework for analysis, ECPR/ Oxford University Press, 2005.
102
nombre effectif de partis, ou le nombre de partis axiaux1. Observons ainsi ce qu’il en est de ces
théories dans les systèmes présidentiels latino-américains, en tentant d’analyser la congruence de
partis dits « présidentiels » avec leur pendants parlementaires, ainsi que l’impact de l’organisation
centrale/ fédérale de l’État sur ce même nombre de partis.
2.1.1 Le système partisan et sa relation à son « environnement » institutionnel
Si nous venons de voir que le fait d’encadrer la variable concernant le « nombre de partis » est
essentiel pour l’analyse des coalitions, nous avions déjà vu précédemment une apparente
corrélation entre ce même nombre de partis et la stabilité politique lorsque, combiné à un système
présidentiel, l’augmentation du nombre de partis viendrait supposer une probabilité accrue de
présidence minoritaire, et davantage de tension entre les acteurs politiques. D’où le fait qu’ « une
manière d’alléger les pressions sur les systèmes présidentiels consisterait à prendre des mesures
pour limiter la fragmentation du système partisan »2. Ainsi, les systèmes partisans sont souvent
identifiés en fonction de la capacité électorale des partis et la méthode la plus commune pour
déterminer le type de système (bipartite ou multipartite) consiste à « compter » le nombre de ceux
présents à l’assemblée, en pondérant leur poids respectifs (nombre de siège détenus), avec la
totalité des sièges de la chambre basse du parlement3.
a. Considérations théoriques : partis « axiaux », « institutionnalisation » du
système de partis et champ de la compétition partisane.
Le postulat général de la théorie sur les partis politiques avance que la configuration ou
qualification du système partisan engendrerait des dynamiques politiques particulières, en fonction
de sa nature bipartite ou multipartite. A partir de cela, un postulat plus spécifique pourrait stipuler
que la configuration bipartite est le système de parti qui garantit à la fois une stabilité
1 Si la notion de “relevant parties”, telle que l’a classifiée Giovanni Sartori, est généralement traduit en français par
« partis importants », nous préférons ici, parler de partis « axiaux » car cette notion est beaucoup moins vague que la
précédente, et reflète surtout la notion de centralité de ces partis sur la compétition politique. Nous préférons également
cette notion à celle de « partis centraux » afin d’éviter toute confusion avec les notions de « partis du centre » ou
« partis centristes », se référant à une éventuelle position idéologique sur un axe droite-gauche. 2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., “Juan Linz: Presidencialismo y democracia…” op. cit., p. 413. Traduction
propre. Notons, toutefois, que Juan Linz n’accorde pas d’importance majeure à la combinaison critique
« présidentialisme et multipartisme », le système présidentiel étant, pour lui, structurellement vulnérable à l’instabilité
politique ou le blocage institutionnel, peu importe la configuration de son système de partis. 3 En se basant sur la célèbre formule de Laakso et Taagepera : 1/∑pi
2; où « p » est la proportion de sièges obtenus au
parlement par chacun des partis « i », Voir LAAKSO, M., et TAAGEPERA, R., “The ‘effective’ number of parties: a
measure with application to west europe”, in Comparative Political Studies, Vol. 12, No.1, 1979, pp.3- 27.
103
gouvernementale et la discipline de ses membres au niveau parlementaire1, au prix d’une
concentration de l’offre politique. A l’inverse, les systèmes partisans suivant un format multipartite
sont considérés comme générant une meilleure représentation des préférences des électeurs et de la
diversité des sociétés (notamment les diversités ethniques, religieuses, géographiques…), aussi bien
en termes « d’offre » électorale qu’en termes d’élaboration de politiques publiques2, mais ce format
serait plus fragile et couteux dans la durée.
Toutefois, aucune unanimité scientifique ni empirique ne se dégage quant aux effets corrélatifs
de ces différents formats de représentation politique sur l’action publique, la pratique ou
« tradition » gouvernementale. Chacune des formules de systèmes partisans est considérée comme
génératrice de mécanismes et de procédures de gouvernance, tantôt de type centripète en systèmes
bipartisans3, ou consensuel en systèmes multipartisans
4 ; tantôt centrifuge pour chacun des deux
systèmes lorsque se présente une compétition politique polarisée5 ; ou tantôt sans réel effet direct
ou « sociologique »6. En somme, les deux systèmes sont potentiellement capables de former des
gouvernements incluant « l’électeur médian », lequel se situerait, par définition, au centre ou
proche du centre d’un axe unidimensionnel droite-gauche. Aussi, si le « dualisme de Duverger »
qui suppose que dans toute société se trouve une position duale symétrique chevauchant l’ensemble
des thèmes de société (pour/ contre ; gauche/ droite ; gouvernement/ opposition), paraît s’appliquer
1 DUVERGER, M., op. cit ; BRYCE, J., Modern Democracies, McMillian, New York, 1921 ; DOWNS, A., An
economic theory of democracy, New York, Harper, 1957; BLONDEL, J., « Party systems and patterns of government
in Western Democracies », in Canadian Journal of Political Science / Revue canadienne de science politique, Vol. 1,
No. 2, 1968, pp. 180-203; et DAALDER, H., “Cabinets and party systems in ten European democracies.” Acta Politica,
N°6, 1971, pp. 282–303. 2 LIPSET, S. M., et ROKKAN, S., Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs, une
introduction, Université de Bruxelles « Collection Fondamentaux », Bruxelles, 2008 [1967]; LIJPHART, A.,
Democracy in Plural Societies, Yale University Press, New Haven, 1977; POWELL Jr., G. B., “Election laws and
representative governments: beyond votes and seats”, in British Journal of Political Science, Vol. 36, No. 2, 2006, pp.
291-315. 3 En effet, l’absence de parti « du centre », en système bipartisan, déplacerait la compétition politique vers le centre.
Voir DUVERGER, M., op. cit ; DOWNS, A., op. cit ; COX, G., “Centripetal and centrifugal incentives in electoral
systems”, in American Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 1990, pp. 903-935; CALVO, E., et HELLWIG, T.,
“Centripetal and centrifugal incentives under different electoral systems”, American Journal of Political Science,
Vol.55, No.1, 2010, pp. 27-41. 4Voir entre autres LIJPHART, A., “Majority rule in theory and practice:The tenacity of a flawed paradigm”, in
LIJPHART, A., Thinking about Democracy, Routledge, Londres, 2008, pp. 111- 124; LIJPHART, A., “The quality of
democracy Consensus democracy makes a difference”, in LIJPHART, A., Thinking about Democracy, Routledge,
Londres, 2008, pp. 89- 110; GERRING, J., et THACKER, S., A centripetal theory of democratic governance,
Cambridge University Press, 2008. 5 Dans le chapitre suivant nous nous arrêterons sur la polarisation des systèmes partisans. Voir pour ce faire SARTORI,
G., “The influence of electoral systems: faulty laws or faulty method? “, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A.,
Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984]; 6 SCHOFIELD, N., et SENED, I., Multiparty democracy: elections and legislative politics, Cambridge University
Press, 2006; PEDERSEN, C.G., “Center parties, party competition, and the implosion of party systems: a study of
centripetal tendencies in multiparty systems”, in Political Studies, Vol.52, No. 2, 2004, pp. 324–341; GROFMAN, B.,
“Downs and Two-Party Convergence”, in Annual Review of Political Science, N°7, 2004, pp. 25–46.
104
à certaines démocraties ; le multipartisme serait plus approprié, notamment pour les sociétés
plurinationales ou pluriethniques1.
Dès lors, plus que le nombre de partis per se, c’est la polarisation du système de partis qui vient
à entrer en considération pour comprendre les effets du système de partis sur la pratique
gouvernementale. Or, si les facteurs historiques et culturels sont nécessaires à prendre en compte
pour comprendre les éléments polarisants de la compétition partisane2, le nombre de partis
politiques en lice est un facteur intervenant quant à lui dans la manifestation de cette polarisation,
notamment dans son degré et champ d’expression. Ainsi, le nombre de partis, ou plutôt la stabilité
de ce nombre, vient former de manière métonymique un indicateur de la structuration ou
institutionnalisation du propre système de partis3, et comme l’avance Sartori un système partisan
contenant un nombre modéré de partis est plus propice à l’organisation centripète de la compétition
politique et électorale. Encore faut-il savoir identifier et compter les partis composant ce système,
et surtout savoir où les compter.
En effet, comme tout système, le système partisan est le produit ou la fonction des sous-éléments
qui le composent, lequel vient dès lors déterminer et façonner les relations et la communication de
ces entités entre-elles et avec l’environnement extérieur au système4. De fait, l’ensemble de ces
interactions internes et externes, qui consiste en la « communication du système », vient marquer la
mémoire du système et sa délimitation. La structuration ou « institutionnalisation du système
partisan », suppose donc un processus de reconnaissance, légitimation et « routinisation » des
acteurs politiques, de leur comportement et des modes de compétition politique5. Ceci sous-entend
1 Pour une étude de l’approche du « dualisme duvergien », voir GROFMAN, B., BLAIS, A., et BOWLER, S.,
Duverger’s law of plurality voting, Springer, New York, 2009. 2 Voir infra 2.2
3 Par ce biais nous établissons ainsi la nécessité de différentiation ontologique de la notion d’institutionnalisation du
système politique d’avec celle d’institutionnalisation des partis politiques. Différentiation qui n’est que trop peu
effectuée. A l’image des travaux liminaires de Samuel Huntington et des travaux de « référence » de Mainwaring et
Scully et Mainwaring et Torcal. Voir HUNTINGTON, S., Political order in changing societies, Yale University Press,
New Haven, 1968; MAINWARING, S., et SCULLY, T., La construcción de instituciones democráticas. sistemas de
partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996; MAINWARING, S., et TORCAL, M., “La institucionalización
de los sistemas de partidos y la teoría del sistema partidista después de la tercera ola democratizadora”, in América
Latina Hoy, 41, 2005, pp. 141-173. Voir toutefois les contre-exemples de RANDALL, V., et SVASAND, L., “Party
institutionalization in new democracies”, in Party Politics, Vol. 8, No.1, 2002, pp. 5–29 ; STOCKTON, H.,“Political
parties, party systems, and democracy in east Asia: lessons from Latin America”, in Comparative Political Studies,
Vol. 34, No.1, 2001, pp. 94-119; et MAIR, P., “The freezing hypothesis: an evaluation”, in KARVONEN, L., et
KUHNLE, S., Party systems and voter alignments revisited, Routledge, Londres, 2000, pp. 24- 41; WILLS OTERO,
L., “From party systems to party organizations: the adaptation of latin American parties to changing environments”, in
Journal of Politics in Latin America, Vol. 1, No. 1, 2009, pp.123-141. 4 Nous reprenons et adaptons ici l’approche systémique de Niklas Luhmann, ainsi que les travaux pionniers de David
Easton. Voir LUHMANN, N., La sociedad de la sociedad, Herder/ Universidad Iberoamericana, Mexico, 2007; et La
política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009; EASTON, D., A system analysis of political life,
Chicago University Press, 1979. 5 MAINWARING, S., et SCULLY, T., op. cit.,; MORLINO, Democracy between consolidation and crisis: parties,
groups, and citizens in southern Europe, Oxford University Press, 1998; et CLEMENS, E., et COOK, J.,“Politics and
105
la question de la reproduction du processus, de manière relativement stable et prédictible dans le
temps.
Pour autant, la structuration de tout système partisan requiert que les sous-unités qui le
composent -les partis- soient, pour la plupart, elles-mêmes structurées ou institutionnalisées ; c’est-
à-dire qu’elles aient effectuées un travail d’identification et d’identification et aient entamé un
processus de pérennisation organisationnelle, ou de succession vis-à-vis de la (les) figure(s)
fondatrice(s)1. Ce fondement n’est toutefois pas circulaire et la réciproque n’est pas nécessairement
vraie. En effet, des partis structurés ou institutionnalisés peuvent évoluer au sein d’un système
partisan non ou faiblement institutionnalisé2. Aussi, l’un des indicateurs commun
d’institutionnalisation à la fois des partis et, par ricochet, du système de partis, est le degré de
volatilité des résultats électoraux des partis axiaux (« relevant parties »)3. A l’inverse, le
phénomène d’incontinence partisane, ponctuée par la généralisation de partis éphémères (« flash
partis ») ou proto-partis, sont des indicateurs d’un défaut d’institutionnalisation du système de
partis4.
Si le principal élément de visibilité d’un parti est sa force électorale et sa capacité à convertir ses
voix en source de pouvoir (sièges parlementaires essentiellement)5, Giovanni Sartori définit par
« partis axiaux » (relevant partis), les partis jouissant i) d’une possibilité coalitionnaire, entendue
comme leur capacité à former ou joindre une coalition gouvernementale, et/ou ii) leur pouvoir de
chantage ou de « véto »6. Suivant cette définition, la pertinence des partis se fonde donc sur le
« poids » des partis exprimé par leur assise parlementaire mais aussi, voire surtout, sur leur
positionnement idéologique. Ainsi, les partis « charnière » puisent leur importance du fait de leur
propension à faire et défaire des coalitions gouvernementales ou législatives, notamment lors de
votes de confiance ou de motions de censure, et découle davantage de leur position centriste ou
quasi centriste, que de leur réel poids en termes de sièges à l’assemblée7. Les formats bipartites et
institutionalism: explaining durability and change”, in Annual Review of Sociology, No. 25, 1999, pp. 441-66;
LEVITSKY, S., “Institutionalization and Peronism: the concept, the case and the case for unpacking the concept”, in
Party Politics, Vol. 4, No. 1, 1998, pp. 77-92. 1 MAINWARING, S., et SCULLY, op. cit; LEVITSKY, S., “Institutionalization and Peronism…” , op. cit.
2 Le cas péruvien où l’APRA est le seul parti relativement institutionnalisé, au sein d’un système de partis en perpetual
changement, vient à être paradigmatique. Actuellement, le cas Argentin semble s’en rapprocher quelque peu. 3 SARTORI, G., Parties and party system : a framework for analysis, op. cit; MAINWARING, S., et TORCAL, op.
cit ; ROBERTS, K., et WIBBELS, E., “Party systems and electoral volatility in latin America: a test of economic,
institutional, and structural explanations”, in American Political Science Review, Vol. 93, No. 3 1999, pp. 575-590. 4 Le cas péruvien est paradigmatique de ce phénomène.
5 SARTORI, G., Parties and party system…, op. cit., p. 124.
6 Ibid p. 127
7 C’est le cas traditionnellement du Parti radical en France, sous la IIIe et IVe République, ou du Parti Républicain
Italien, et plus récemment de l’UDEUR qui malgré un poids électoral relativement faible, se sont vu jouer un rôle
crucial dans la formation et la chute de gouvernements de coalition. Ainsi, la défection de l’UDEUR avec ses 14
106
multipartites, supposent surtout des mécaniques de gouvernance propre et une relation à l’État
différenciée. Mais une partie des considérations portant sur les « partis pertinents » sont valables
essentiellement pour les régimes d’assemblée (parlementaires et semi-présidentiels), où la
composition du parlement a un effet direct sur la survie du gouvernement. En effet, la dépendance
de l’exécutif sur le législatif en système parlementaire, fait que l’obtention des prébendes
gouvernementales passe nécessairement par le contrôle ou la formation d’une majorité
parlementaire. L’élection législative (ou « générale ») constitue l’étape préliminaire à la formation
du gouvernement1. La « survie » de celui-ci dépend donc des chantages internes (« walk away
value2 »), comme dans le cas précédent de l’UDEUR, et externes (vis-à-vis de l’opposition). En
conséquence, le champ d’application et d’expression de la compétition politique est confiné au
niveau parlementaire.
En système présidentiel, on peut inversement avancer qu’il existe une compétition politique
bidimensionnelle, d’aucuns diront qu’on recense deux systèmes de partis3. En effet la séparation
des pouvoirs qui entraine également une séparation des élections des deux principales branches du
pouvoir politique suppose donc une compétition politico-électorale sur les deux tableaux. Or, la
capacité à concourir sur les deux tableaux, de manière crédible et efficace, dépend des ressources
financières, organisationnelles et stratégiques des différents partis. L’accès au contrôle de l’État
étant à la fois plus direct et onéreux, on peut dès lors observer une absence de congruence du
nombre et de l’identité des partis présents sur les deux tableaux. Le comptage des partis
« effectifs », en système présidentiel, qui se base essentiellement sur les formations politiques
présentes au niveau parlementaire, même pondérées, équivaut donc à un double biais
méthodologique et ontologique. En effet, si tous les partis qui se présentent à l’élection
présidentielle ne sont pas centraux pour ce seul fait ; la présentation d’un candidat propre ou
commun (recevant le soutien plus ou moins officiel de plusieurs partis) est une condition nécessaire
pour le contrôle démocratique de l’État. Parallèlement, les partis ayant une projection
députés (2% de la chambre de députés) et 3 sénateurs (1% du sénat), de la coalition parlementaire et gouvernementale
l’Unione en 2008, est le détonateur de la chute du gouvernement Prodi. 1 En effet, le parlement joue un rôle de « collège électoral » pour la formation de l’exécutif.
2 Arthur Lupia et Kaare Strøm, parlent de ce concept économiciste, comme le facteur essentiel de la négociation et de la
crédibilité à négocier. Fonctionnant comme une menace permanente vis-à-vis des autres membres du gouvernement, les
acteurs (leaders de parti, membre du gouvernement, etc…) laissent planer leur possible démission (« walk-away »),
laquelle mettrait en difficulté la survie du gouvernement, afin d’obtenir des gains particuliers, que ce soit en terme de
politique publique, portefeuilles ministériels, nominations de candidats à des élections locales, etc… Voir LUPIA, A.,
et STRØM, K., « Bargaining transaction costs, and coalition governance », in STRØM, K., MÜLLER, W., et
BERGMAN, T., Cabinets and coalition bargaining : the democratic life cycle in western Europe, ECPR/ Oxford
University Press, 2008, pp. 51-84. 3 MAIR, P., Party system change: approaches and interpretations, Oxford University Press, 2002 [1997]; WARE, A.,
Dynamics of two-party politics, ECPR/ Oxford University Press, 2009.
107
essentiellement parlementaire (notamment les partis provinciaux dans les États fédéraux, ou les
partis corporatistes tels les « partis de retraités » en Argentine), disposent alors d’une capacité de
marchandage plus limitée, rationnellement de type policy seeking, consistant théoriquement à
monnayer un éventuel soutien parlementaire à un projet gouvernemental, contre la prise en
considération -de la part du gouvernement- de certaines revendications centrales à ces partis. Plus
prosaïquement, les termes de l’échange peuvent consister en un « achat » de voix de la part du
gouvernement1. Ainsi, l’absence d’un contrôle parlementaire direct sur l’exécutif, en régime
présidentiel, à l’inverse de ce qui se produit en système parlementaire2, fait que les relations des
partis de gouvernement (à vocation présidentielle et parlementaire) avec les partis de parlement
soient davantage ponctuelles, quand les premiers ne cooptent pas les seconds3. La tentation de sortir
du gouvernement paraît alors, théoriquement, plus limitée, puisqu’elle n’a pas d’incidence directe
sur la survie du gouvernement. Les partis « charnière », qui par définition n’occupent pas la
présidence, lorsqu’ils ne sont pas dans le gouvernement tiennent ainsi une position plus précaire
qu’en régime parlementaire.
Nous pouvons donc assumer que l’institutionnalisation du système de partis, en régime
présidentiel, passe par le fait que les partis « axiaux » sont ceux qui ont une capacité de coalition
et/ou de chantage, et qui ont vocation à exercer leur fonction de représentation tant au niveau
législatif qu'exécutif4 (présentation de candidats aux deux niveaux). La capacité de nuisance ou de
chantage des partis non-présents au gouvernement –mais qui ne se trouvent pas nécessairement
dans l’opposition-, dépend de leur capacité à mettre en minorité l’exécutif au parlement. De même,
l’existence de présidences minoritaires, sans être nécessairement le symptôme d’une non-
1 Notamment sous les présidences de Lula Da Silva au Brésil, ou Carlos Menem en Argentine.
2 Bien que certaines constitutions présidentialistes prévoient la possibilité de la destitution du président par le
parlement, ou de la tenue de motions de censures individuelles (contre un ministre) ou collective (le gouvernement),
comme en Uruguay, ces procédures sont extrêmement rares et lourdes à mettre en place. 3 En Argentine notamment, certains partis de parlements ne sont autre que des partis « satellitaires » ou
« testimoniaux » (testimoniales) au Partido Justicialista (PJ, ou parti péroniste), dont la dénomination de « parti », n’est
qu’artificielle et consiste à asseoir l’assise parlementaire du PJ. En effet, l’élection de la Chambre des Députés
argentins, se réalisant à la proportionnelle dans chaque province, suivant la technique par diviseur d’Hondt, aussi
l’inclusion de listes acquises au parti mais officiellement extérieur à celui-ci, multiplie les chances d’augmenter
artificiellement le nombre de soutiens justicialistes au parlement. Cette logique est encore plus forte pour les élections
des sénateurs ou, depuis la réforme de 1994, la loi électorale prévoit une représentation égale –et non équitable- des
districts provinciaux où chaque province élit trois sénateurs, les sièges se répartissant de la sorte : 2 sièges pour la liste
arrivée première, le siège restant ou « compensateur » pour la seconde liste la plus votée (ou « siège pour la première
minorité »). Aussi, dans certaines provinces, comme La Rioja ou la province de Buenos Aires, le PJ et ses alliés
arrivent-ils fréquemment premier et seconds et emportent donc 100% des sièges sénatoriaux en compétition dans ces
provinces. 4 La représentation au niveau de l’exécutif pouvant s’exercer au travers de la constitution de coalition ou de ralliement.
Ainsi, le parti socialiste chilien (PSCh) est un parti axial, même s’il n’a pas toujours présenté un candidat aux élections
présidentielles (1989, 1993, 2000 et 2010). Toutefois, la présence du PSCh au sein des différentes coalitions électorales
depuis 1990, et sa présence ininterrompue et « axiale » au sein de l’exécutif pendant la période 1989- 2010, en fait bien
un parti « axial » du système de partis chilien.
108
institution du système de partis, suppose plutôt une « disproportionnalité » dans les rapports de
force entre les deux niveaux de compétition électorale, présidentiel/ parlementaire. Nous avons
relevé précédemment1l’absence de corrélation entre les cas de présidences minoritaires avec le
nombre de partis, et nous avons montré que même en configuration bipartite on peut observer des
cas de présidents minoritaires, de manière plus ou moins récurrente. Incomber les cas de
présidences minoritaires et de non institutionnalisation du système de partis, avec le nombre de
partis revient en définitive à confondre les effets et les causes de ces deux phénomènes (présidence
minoritaire et non institutionnalisation).
La différence de « nature » entre l’élection présidentielle et l’élection législative, la première
étant de caractère majoritaire (une seule circonscription uninominale étendue à l’ensemble du
territoire), la seconde répondant davantage à des intérêts locaux, et n’influant pas directement sur la
formation du gouvernement2 ; et la coexistence des modes différents d’élections peuvent,
néanmoins, altérer en partie l’assise des partis axiaux en système présidentiel. A ce titre, le cas
argentin est symptomatique, puisque ces dernières années on a observé une croissance du nombre
de partis, notamment provinciaux, venant remettre en question la domination quasi hégémonique
des deux grands partis –le Partido Justisticialista (PJ) et l’Unión Cívica Radical (UCR). Plus
largement, le bipartisme qui était le format le plus commun de compétition politique en Amérique
latine, a pratiquement disparu de la région. La déconstruction de ces systèmes de partis ayant
entrainé une progression substantielle à la fois des partis axiaux, mais aussi de partis de parlements
(ou de proto-partis), tout particulièrement au niveau local3. Cette explosion du nombre de partis
intervient souvent après -ou cause selon les cas- une réforme constitutionnelle. Afin de se prémunir
contre une inflation incontrôlée du nombre de partis en lice, ce qui favoriserait d’après Sartori la
centrifugation ou polarisation de la compétition politique et électorale4, et dans le but de limiter les
configurations de “gouvernements divisés”, de nombreuses études se sont appliquées à analyser les
mécanismes institutionnels d’endiguement du nombre de partis. Ceci aurait alors des répercussions
sur la formation de coalitions électorales et politiques, puisque le nombre de parti a, d’après
Duverger, un « rôle déterminant » sur la formation d’alliances partisanes5.
1 Supra Chapitre 1.2.3, p. 93.
2 Sauf dans le cas bolivien, jusqu’en 2009, et chilien de 1925 à 1973.
3 Voir ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los
bipartidismos en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos, Vol. 9, No. 24, 2011,
pp.153-180. 4 SARTORI, G., op. cit.
5 Notamment les questions sur le « nombre » et la « taille » des partis en lice. Voir DUVERGER, M., Les Partis
Politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].
109
b. La loi électorale comme déterminante du nombre de partis ?
L’élévation du nombre de partis comme « résultat » ou « variable dépendante » à expliquer et
prédire, en se basant sur les travaux découlant de l’ingénierie constitutionnelle initiés par
Duverger1, a constitué le principal objet de recherche de la politique comparée et l’une des lignes
de recherches les plus foisonnantes de la science politique du XXe siècle2. Ainsi, cherchant à établir
un lien de causalité et de conséquence entre loi électorale et format du système partisan, Duverger a
établit trois hypothèses majeures qu’il élèvera lui-même (avant de nuancer3) au rang de lois. Les
« lois de Duverger », établissent que :
« système de partis et système électoral sont deux réalités indissolublement liées, […]. On peut
schématiser l’influence générale du mode de scrutin dans les trois formules suivantes : 1° la
représentation proportionnelle tend à un système de partis multiples, rigides indépendants et
stables […] ; 2° le scrutin majoritaire à deux tours tend à un système de partis multiples, souples,
dépendants et relativement stables […] ; 3° le scrutin majoritaire à tour unique tend à un système
dualiste, avec alternance de grands partis indépendants. »4
Le scrutin proportionnel est défini comme un scrutin de liste, où chaque circonscription permet
d’élire plusieurs représentants en fonction du résultat électoral des listes en course et du nombre de
sièges en liste, la représentation majoritaire uninominale (ou système du type « first past the
post »), est comprise comme un scrutin où chaque circonscription n’élit qu’un seul représentant à la
majorité relative. Par ailleurs, si l’auteur des Partis Politiques, semble maintenir une certaine
prudence quant au caractère « mécanique » de ses hypothèses5, il insiste néanmoins sur l’effet
« multiplicateur » de la Représentation Proportionnelle (RP), il avance ainsi que : « il est certain
que la RP coïncide toujours avec un multipartisme : dans aucun pays du monde la proportionnelle
n’a engendré ou maintenu un système bipartisan6. »
Même si les « lois » de Duverger ont été critiquées et surtout amendées, par l’inclusion de la
question de la taille des circonscriptions comme élément central7, l’inclusion de « seuil d’entrée »,
1 DUVERGER, M., ibid
2 SHUGART, M., “Comparative electoral systems research: the maturation of a field and new challenges ahead”, in
GALLAGHER, M., et MITCHEL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press, 2008, pp. 25-55;
TAAGEPERA, R., « Le macro-agenda duvergérien, à demi-achevé », in Revue Internationale de Politique Comparée,
Vol. 17, No.1, 2010, pp. 93-109. 3 DUVERGER, M., La République des citoyens, Ramsay, Paris, 1982. L’auteur y renie notamment le caractère
« sociologique » qu’il avait attribué initialement à ses lois, et que la littérature en ingénierie constitutionnelle comparée
s’est évertuée à reprendre massivement. 4 DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit, p.291.
5 Choses qui lui seront reprochées rapidement, tour à tour par Georges Lavau et John Grumm. Voir LAVAU, G., Partis
politiques et réalités sociales, Armand Collin, Paris, 1953 et GRUMM, J., “Theories of electoral system”, in Midwest
Journal of Political Science, Vol. 2, No. 4, 1958, pp. 357–76. 6 DUVERGER, M., Les Partis Politiques, op cit, p. 338.
7 RAE, D., The political consequences of electoral laws, Yale University Press, New Haven, 1971 [1967].
110
la genèse du système1 et la notion de polarisation du système
2, elles contiennent néanmoins
toujours de nombreux défenseurs de poids quant à leurs effets tendanciels3, et notamment la
considération de contraintes réciproques du système électoral sur la demande (depuis les électeurs)
et l’offre (depuis les partis politiques) électorales. Notons une fois de plus que la portée de ces
effets semble se concentrer sur la région originelle de Maurice Duverger : l’Europe Occidentale et
parlementaire. En effet, comme explication de la non-application de son hypothèse portant sur
l’effet multiplicateur de la RP, sur les cas irlandais et autrichien, Duverger avance que :
« Nous ne devons pas oublier que le président Irlandais est élu au travers d’une élection nationale
directe, ce qui conduit à une polarisation des citoyens autour de deux grands partis […]. Ce
facteur fonctionne également dans le cas Autrichien […]où les deux grands partis sont
profondément enracinées dans l'histoire du pays, où ils ne sont pas seulement les organisations
politiques, mais également des entités complexes liés aux syndicats, à des coopératives, des
entreprises économiques, et avec des associations intellectuelles, sportives, sociales et même
religieuses »4.
Or, telle que nous l’avons défini précédemment, et comme le soulignent Shugart et Carey5, puis
Cheibub6, l’élection directe du chef de l’exécutif n’est pas une condition suffisante pour caractériser
un régime comme « présidentiel ». De plus, ces deux pays sont, suivant les moments, considérés
par Duverger lui-même comme parlementaires ou semi-présidentiels. L’applicabilité de ces lois sur
les « doubles systèmes de partis » en régimes présidentiels, reste à confirmer.
En réponse à ce vide théorique, Arend Lijphart, qui va dans le sens de Duverger, a tenté une
typologie des systèmes partisans en fonction de leur degré de « désirabilité » et leurs effets sur le
type de gouvernance, assez similaire au tableau que nous avons présenté précédemment sur le débat
régime présidentiel vs/ régime parlementaire, en reprenant quatre « combinaisons » de
représentation : i) Régime parlementaire + RP ; ii) Régime parlementaire + Représentation
Majoritaire (RM) ; iii) Régime Présidentiel + RM ; et iv) Régime Présidentiel + RP. La quatrième
1 COLOMER, J., “It’s parties that choose electoral systems (or, Duverger’s laws upside down)”, in Political Studies,
Vol. 53, No.1, 2005, pp. 1–21 2 SARTORI, G., “The party effects of electoral systems”, in DIAMOND, L., et GUNTHER, R., Political parties and
democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2001, pp. 90-108; SARTORI, G., Comparative constitutional
engineering, New York University Press, 1994 3 En plus des ouvrages précédement cités voir RIKER, W., « Duverger’s Law Revisited », in GROFMAN, B., et
LIJPHART, A., Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp. 19-41 ;
RIKER, W., “The number of political parties: A reexamination of Duverger’s law”, in Comparative Politics Vol. 9, No.
1, 1976, pp. 93-106; RIKER, W., “Two-party system and Duverger‘s law: An essay on the history of political science”,
in American Political Science Review, Vol. 76, No. 4, 1982, pp. 753-766; NORRIS, P., Electoral engineering voting
rules and political behavior, Cambridge University Press, 2004; LIJPHART, A., Electoral systems and party systems:
a study of twenty-seven democracies, 1945-1990, Oxford University Press, 1994. 4 DUVERGER, M., “Duverger’s Law: Forty Years Later”, in GROFMAN, B., et LIJPHART, A., Electoral laws and
their political consequences, Agathon Press, New York, 2003 [1984], pp.72-73 5 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992
6CHEIBUB, J.A., Presidentialism, Parliamentarism, and Democracy, Cambridge University Press, 2006
111
combinaison étant celle qui s’applique à la quasi totalité des pays de la région latino-américaine,
avec certaines nuances1.
Et, comme le montre le Tableau 2.1, d’après Lijphart et Sartori (pour une fois d’accord) : « la
combinaison RP et système présidentiel, telle que présente en Amérique Latine, est une option
particulièrement peu attractive »2. Ainsi, d’après le politiste hollandais, cette configuration
combine à la fois les défauts de la représentation majoritaire et leur potentiel de type « le gagnant
emporte tout », en raison de l’élection de type « plébiscitaire » du président, avec ceux de la RP au
niveau parlementaire, quant à l’atomisation des systèmes de partis et la faible institutionnalisation à
la fois des partis et des deux systèmes de partis (parlementaires et présidentiels). De plus, cette
configuration serait marquée par une absence de transposition partisane sur les deux systèmes de
partis. Elle laisserait ainsi, d’après l’auteur, augurer d’une compétition partisane de type centrifuge,
donc potentiellement plus instable que dans les régimes parlementaires à RP, où la compétition
centripète est marquée par le consensus et la mesure.
Tableau 2.1 : Impact supposé des combinaisons de représentation
Impact sur la
qualité
démocratique
Combinaisons système politique/ système
électoral
Impact sur le nombre de partis/
type de compétition politique
+
-
Régime Parlementaire/ RP Multipartisme/ centripète
Régime Parlementaire/ RM Bipartisme/ centripète
Régime Présidentiel/ RM Bipartisme/ Centripète
Régime Présidentiel / RP Multipartisme/ centrifuge
Source: élaboration propre à partir de Lijphart (1991; 1994) et Sartori (1994)
1 La loi électorale mexicaine prévoyant, par exemple, un système de représentation mixte où les trois cinquièmes des
députés sont élus suivant le principe de représentation majoritaire, le reste étant élu de forme séparée suivant le principe
de proportionnalité des voix. L’Uruguay, à l’inverse, constitue le cas où la représentation tend à être la plus
proportionnelle de la région : les sénateurs uruguayens étant élus sur un seul district national. Entre ces deux cas
« extrêmes » oscillent la plupart des démocraties latino-américaines, suivant des degrés de proportionnalité différents.
Le système chilien étant notamment un cas particulier, voir infra 2.2.1. 2 “…the Latin American model of presidentialism combined with PR legislative elections remains a particularly
unattractive option”, in LIJPHART, A., “Constitutional choices for new Democracies”, in Journal of Democracy, Vol.
2, No. 1, 1991, p.77; Giovanni Sartori d’avancer à son tour: “Le système presidentiel est le format le moins adapté à la
RP”, SARTORI, G., 1994, op. cit, p.195. Voir également LARDEYRET, G., “The problem with PR”, in DIAMOND,
L., et PLATTNER, M., Electoral systems and democracy, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 86-91.
112
Si on se base donc sur les travaux de Lijphart, Duverger et leurs successeurs, la RP combinée au
système présidentiel conduirait à une compétition politique désolidarisée et atomisée au niveau
parlementaire. Or, cette combinaison est présente en Amérique latine depuis le XIXe siècle1, et elle
y a généré différents résultats sur l’impact du Nombre de Partis Axiaux (NPA) et sur le Nombre
Effectif de Partis (NEP). En effet, sous cette configuration se sont développés divers systèmes de
partis multipartites (Bolivie, Brésil, Chili, Équateur), plus ou moins polarisés suivant les époques ;
mais se sont également développés puis maintenus plusieurs systèmes stables de compétition
bipartite tout au long du XXe siècle, comme au Costa Rica, en Uruguay, en Colombie, au
Venezuela et en Argentine2. En outre, la disparition de ces bipartismes à la fin du vingtième siècle,
n’est pas nécessairement (ou « mécaniquement ») le fait de réformes constitutionnelles introduisant
un changement de la loi électorale. Ainsi, des quatre cas de démantèlement de ces bipartismes
« traditionnels », il n’y a qu’en Colombie que l’apparition de nouveaux partis paraît avoir été
induite par une réforme constitutionnelle3. Dans d’autres cas (Costa Rica et Uruguay), c’est au
contraire l’émergence ou l’ancrage de nouvelles forces politiques qui a conduit à l’approbation de
nouvelles règles électorales de type polyarchique (Costa Rica) ou avec une intention cartellisante
(Uruguay)4. Enfin au Venezuela et en Argentine, la déconstruction des bipartismes est le fruit d’un
effondrement total (Venezuela) ou partiel (Argentine) du système de partis, marqué par
l’effritement de l’un des deux partis5 (l’UCR en Argentine), ou de l’ensemble des partis
traditionnels (AD et COPEI au Venezuela). De même, dans les cas argentin et vénézuélien, les
réformes constitutionnelles concernant les lois électorales et notamment la possibilité de réélection
présidentielle, n’ont eu que peu d’incidence sur l’atomisation de la compétition partisane, quand
elles ne sont pas la conséquence directe d’un désalignement partisan (cas Vénézuélien).
1 Michael Krennerich et Martín Lauga ont montré que la RP s’est installée en Amérique du Sud, et initialement en 1893
au Costa Rica, puis comme suit en Uruguay (1910), au Pérou (1930), en Colombie (1932), au Chili (1937), au Brésil
(1945), en Équateur (1945), en Bolivie (1956), au Venezuela (1958), en Argentine (1963), et eu Paraguay (1993). Voir
KRENNERICH, M., et LAUGA, M., “Diseño versus política: Observaciones sobre el debate internacional y las
reformas de los sistemas electorales”, in NOHLEN, D., et FERNÁNDEZ M., El Presidencialismo Renovado:
Instituciones y Cambio Político en América Latina. Caracas, Nueva Sociedad, 1998, pp. 69-83. 2 Ce qui ne veut pas dire nécessairement que ce sont les mêmes partis qui se sont maintenus tout au long de cette
période, mais que la mécanique bipartite et le format bipartite se sont maintenus. 3 La réforme de 1991 a en effet facilité les modalités pour la présentation de candidats aussi bien à la présidentielle que
pour les élections locales. Des suites d’une incontinence partisane aux élections de 1991, 1994,1998 et surtout 2002, un
amendement à la loi électorale est introduit, fixant le seuil d’entrée au parlement à 3% de la représentation nationale.
Voir ALBALA, A., et PARRA, E., op. cit. 4 Face à la progression inexorable du Frente Amplio, les deux partis « traditionnels » Uruguayen ont proposé, et fait
adopter, en 1996, une réforme constitutionnelle visant à instaurer le principe de l’élection présidentielle à la majorité
absolue, instaurant le principe du ballotage en cas d’absence de majorité au premier tour, et de ce fait rendre plus
difficile l’accession du Frente Amplio. Pour ce qui est des élections législatives, la principale innovation constitue en
une « simplification » de la procédure via la suppression du séculaire système de double vote simultané (voir infra). 5 De fait le cas argentin semble s’être réaligné autour d’un système de « parti prédominant », au profit du PJ. Voir infra.
113
De manière inverse, le système binominal chilien qui est le système électoral le moins
proportionnel de la région (hormis le cas « hybride » mexicain), n’a pas réduit le nombre de partis
en lice, tel que le prévoiraient Duverger, Lijphart ou encore Mainwaring et Shugart. Ce système qui
consiste à ce que deux députés (et sénateurs, au niveau régional) soient élus par circonscription1, et
où pour pouvoir emporter les deux sièges, la liste arrivée en tête doit obtenir le double de voix de la
liste arrivée en second, soit un résultat théorique proche des deux tiers des voix2. Sans cela, les
sièges sont répartis entre les deux premières listes. Or malgré cela, le nombre de partis axiaux est
resté stable au Chili (5), même si ceux-ci ont été conduits à « routiniser » et institutionnaliser le
recours à des coalitions politiques stables, sans bouleversement majeur jusqu’en 2010. La stabilité
du NPA chilien découle davantage d’accords interpartisans de formation de coalitions électorales
que du maintien à proprement parler des structures électorales et militantes de ces partis politiques3.
c. Impact du cadre institutionnel sur le nombre de partis : étude du cas
Uruguayen et de la réforme de 1997
A l'heure où de nombreux pays entamaient des réformes constitutionnelles plus ou moins
profondes, visant le plus souvent à permettre la réélection du président de la République4,
l'Uruguay mettait en place une réforme portant presque uniquement sur la loi électorale et le
mécanisme d'élection du président de la République5. Le processus a duré plus d'un an, période
durant laquelle les partis traditionnels ont traité et considéré toutes les revendications du FA, dans
un souci de recherche de consensus. Celui-ci a occupé dans un premier temps un rôle conciliant,
puis il aviré vers une posture plus caractéristique de franche opposition6. En conséquence, le vote
de la réforme constitutionnelle à l'assemblée a été très serré, n’obtenant pour chacune des chambres
1 Cette loi électorale pose ainsi de nombreux problèmes de découpage électoral orienté en faveur d’une force politique
(de type « gerrymandering ») Ainsi la circonscription incluant la commune de Puente Alto, avec près de 1.000.000
d’habitants, élit autant de députés que celle incluant les communes de Providencia et Ñuñoa, quatre fois moins peuplée,
mais électoralement « acquise » à la droite. Cela pose ainsi le problème du poids du vote… Voir ROJAS, P., et
NAVIA, P., “Representación y tamaño de los distritos electorales en Chile 1988-2002”, in Revista de Ciencia Política,
Vol. 25, No. 2, 2005, pp.91-116. 2 Ainsi, une liste ayant obtenu, au niveau national, moins de 40% des voix peut très bien obtenir 50% des sièges ; à
l’inverse une liste qui ferait (par hypothèse) 66% des voix dans toutes les circonscriptions se retrouverait sans
opposition au parlement. Dès lors, les « petits » partis n’ont pratiquement aucune chance d’être représentés au niveau
parlementaire. 3 Voir infra chapitre 6.
4 Voir ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América Latina, op. cit.
5 Voir BUQUET, D., « Reforma política y gobernabilidad democrática en Uruguay: la reforma constitucional de
1996 », in Revista Uruguaya de Ciencia Política, n°10, 1998, pp. 9-25; LANZARO, J., 2008 op. Cit; et LAUGA, M.,
« la reforma constitucional Uruguaya de 1996 », in NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo
renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp. 309-324. 6 Non sans quelques dissensions de taille. Ainsi, le leader historique du FA, Liber Seregni ainsi que Danilo Astori,
candidat à la vice-présidence de la République en 1989 et dirigeant de la fraction Asamblea Uruguay.
114
le quorum nécessaire que de quelques voix1. Le vote lors du référendum suivant l'approbation de la
réforme au parlement fut également très serré, le « oui » ne l’emportant que par 50,4% des voix2.
Dans la pratique, cette réforme constitutionnelle (la sixième depuis l'indépendance du pays) n'a
entraîné aucune modification dans la Constitution sur les attributions du pouvoir exécutif ni de la
relation entre exécutif et législatif, comme les précédentes. Elle s'est presque essentiellement
limitée à modifier le mode d'élection du président de la République, puisque la principale mesure,
et la plus symbolique, a consisté en l'élimination du mécanisme de Double Vote Simultané (voir
supra 1.1.2), et l'introduction de primaires obligatoires et simultanées à tous les partis3. Chaque
parti ne pouvant, désormais, présenter qu'un seul candidat à l'élection présidentielle, laquelle se
déroule dorénavant suivant le principe plus classique de la majorité absolue « pure » (sans seuil
d'élection réduit). Est donc élu président celui qui obtient 50% + 1 des voix. Si ce résultat ne
s'obtient pas directement, la réforme introduit le principe du balottage entre les deux candidats
arrivés en tête. Le second tour ayant lieu un mois après le premier. La « course à la présidentielle »
se déroule ainsi, en quatre tours potentiels là où avant il n'y en avait qu'un avant4, ce qui allonge
considérablement la campagne et les coûts associés.
Pour les élections législatives, sont maintenus les principes de représentation proportionnelle
(départementale pour les députés, nationale pour les sénateurs) et de simultanéité avec le premier
tour de l'élection présidentielle. Néanmoins, le système de double vote simultané est également
supprimé pour l'élection de la chambre des députés (mais maintenu pour le sénat). Enfin, si les
élections municipales maintiennent l'ancien système de vote (DVS), ces élections sont
désaccouplées d'avec les élections nationales, contribuant à étaler le processus électoral sur une
période d'un an. Le processus électoral, lors d'une année d'élection s'initie donc en avril (primaires),
se poursuit le dernier dimanche d'octobre (premier tour de l'élection présidentielle et élections
législatives), continue éventuellement en novembre (second tour de la présidentielle) et conclut en
mai suivant avec les élections municipales.
Si cette réforme a suscité de nombreuses critiques, concernant son caractère « défensif » à
l'encontre du FA et sur l'allongement du processus électoral; les principales réserves entouraient la
suppression du Double Vote Simultané et l'introduction du second tour. En effet, avec l'élimination
de ce système qui avait su maintenir le pluralisme tout en limitant le nombre de partis, a surgit la
1 Les réformes constitutionnelles en Uruguay, s'obtiennent via un vote des 2/3 des membres de chacune des chambres,
votant séparément. Ainsi chacune des chambres dispose d'une réelle « force de blocage ». Lors du vote cette réforme
constitutionnelle, le qurorum a notamment été atteint d'une voix à la chambre de députés (67/99). 2 Toute proposition de réforme de la Constitution doit nécessairement être validée par référendum.
3 Ces primaires ne sont néanmoins pas obligatoires pour les électeurs.
4 En effet, les primaires peuvent également se dérouler en deux tours en cas de non départage entre candidats. Le
second tour se tient lors de la convention de parti.
115
crainte d'une « brasilianisation » de la compétition politique uruguayenne, c'est-à-dire une
atomisation du système de partis conjuguée à un affaiblissement de la stabilité et de l'efficacité
politique et la forte propension à l’expérimentation de cas de « président minoritaire ». Par la
« normalisation » de la loi électorale et la suppression de la distinction entre partis permanents et
accidentels1, la réforme électorale semblait en effet conduire à une incontinence partisane et
fractionnaire. Mais, comme le montre le Graphique 2.1, si l'on observe l'évolution du nombre
effectif de partis (NEP) et du nombre effectif de fractions (NEF), on voit que depuis l'introduction
de la loi, le NEP est en recul constant (équivalent en 2004 à celui des années 1950) et le NEF au
pire se maintient (pour le FA), mais diminue globalement pour les autres partis (PC et PN)2.
* NEF pris à partir des fractions présentes au Sénat. On considère ainsi la chambre haute, contrairement au comptage habituel
du NEP dans la chambre basse, de part le caractère national de l'élection des sénateurs, élus à la proportionnelle, sur une seule
circonscription électorale de la taille du pays. En outre, depuis la réforme de 1996, le système de Double Vote Simultané a été
supprimé pour l'élection de la chambre des députés.
Source: Elaboration propre à partir de la Banque de donnée de l'Institut de Science Politique de la
Universidad de la República
Cette diminution conjointe du nombre de partis et du nombre de fractions découle d'une
réorganisation de la compétition politique autour de blocs ou « familles » politiques; les partis étant
dès lors répartis, comme nous l'avons vu précédemment, autour d'un clivage structurant classique
droite/gauche, relativement marqué. Ceci a, par la même occasion, conduit à la marginalisation
voire la disparition des forces politiques se présentant comme ouvertement du centre (notamment le
1 Sont considérés « partis permanents » ceux disposant d'une représentation parlementaire. Les partis accidentels étant,
essentiellement, des fractions excisées des autres partis, ou des partis ultra-minoritaires. 2 Nous avons volontairement reprís les termes NEP et NEF, pour pouvoir interroger la théorie avec ses propres
arguments.
2,7 2,3
3,5
2,5
1,9 2 1,9
3,8
1,8
2,9
4,2
1,7
2,5 2
3,6
2,6 2,3
3,5
4,8 4,6
3,8
2,76
2,95 3,38
3,35 3,12
2,49 2,6
0
1
2
3
4
5
6
1971 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Graphique 2.1 Nombre Effectif de Partis (NEP) et Nombre Effectif de Fractions (NEF)*
P.C P.N FA NEP
116
Nuevo Espacio, sorti du FA en 1989). Aussi, bien que les lois de Duverger portant sur la relation
« mécanique » entre système électoral et nombre de parti semblent être démenties après l'analyse
du cas uruguayen (malgré un système à deux tours, on observe une diminution du nombre de
partis), on verra que l'hypothèse du même Duverger sur l'inexistence de « tendance » centriste
forte1, n’est pas si évidente.
Censée octroyer une légitimité renforcée au président via une élection à la majorité absolue, et
promouvant le rapprochement inter-partisan, la nouvelle loi électorale a pourtant conduit à la
présidence lors de l'élection de 1999, le candidat qui était arrivé second lors du premier tour. Le
président colorado Batlle a donc dû négocier avec le parti arrivé troisième (le PN) et les autres
forces minoritaires, entre les deux tours de l'élection. Paradoxalement, le PN se retrouvait en
position de force alors même qu'il avait subi la plus grande déroute électorale de son histoire. Il a
ainsi pu négocier sur des bases relativement avantageuses son entrée au gouvernement Batlle, en
jouant de sa capacité de chantage2, ce qui a poussé de nombreux analystes à parler de la présidence
Batlle comme la plus faible de l'histoire politique Uruguayenne3. Enfin la réforme électorale, n'a
pas non plus satisfait l'objectif officieux des deux partis traditionnels, consistant à empêcher
l'accession d'un FA majoritaire, en ne parvenant en effet qu’à repousser l'échéance qui se présentait
de plus en plus inéluctable, et qui s'est matérialisée avec l'élection de 2004 (puis à nouveau en
2009). Et si d'un point de vue formel, la réforme constitutionnelle de 1996, n'a en soit pas entraîné
de grands changements institutionnels, elle a néanmoins participé à réorganiser la vie politique
uruguayenne en posant les bases d'une nouvelle pratique et culture politique en Uruguay. Ainsi, le
changement de la loi électorale en Uruguay en 1996, prévoyant le maintien de la représentation
proportionnelle, et l'introduction de l'élection par majorité absolue (sans seuil abaissé), à travers le
mécanisme du balottage, aurait dû conduire à une inflation de l'offre partisane. Or, cela n'a non
seulement pas été le cas, sinon qu'au contraire on a observé une diminution du nombre de partis, les
mouvements ouvertement « centristes » n'ayant fait illusion qu'au milieu des années 1990. Il
semblerait que malgré ce changement de système électoral, les électeurs uruguayens aient conservé
leur tradition de « vote utile » dès le premier tour. Ceci permet à la fois de relativiser la portée de
1 DUVERGER 1951 Op. Cit; voir LANZARO, J., «La izquierda se acerca a los uruguayos, y los uruguayos se acercan
a la izquierda», in Les Cahiers des Amériques Latines. No. 46, Paris, Juillet 2005 2 Suite à la crise économique du début des années 2000, et face à de nombreux désaccords avec le parti du président, le
PN (à l'exception de quelques fractions minoritaires) sort du gouvernement, et entre dans l'opposition parlementaire. 3 BUQUET, D., 2005, op. cit.; et DE RIZ, L., “Uruguay: la política del compromiso”, in CASTILLO et alii, Cultura
Política y alternancia en América Latina, Ediciones Pablo Iglesias, Madrid, 2008. pp 217-231
117
l’argument du balottage ainsi que la conception qui établit la transformation en coalition
gouvernementale de ralliement d’entre-deux-tours1.
Ainsi, d'une crise économique (fin des années 1960) à une autre (début des années 2000), le FA
a connu une évolution fulgurante. En passant successivement du statut de force politique de
défiance à celui de force politique alternative de gouvernement, et des suites d’une accommodation
au système politique et une modération idéologique, le parti a su s'imposer -à l'image du Partido
Colorado des années 1950- comme le principal parti du système uruguayen, malgré un système
électoral théoriquement « hostile ». Si parallèlement les partis « traditionnels » ont pratiquement
divisé par deux leur soutien populaire en l'espace de 35 ans, leur sort n'est pas identique. En effet, le
Partido Nacional, qui a occupé pendant la majeure parti du XXe siècle un rôle d'opposant
« constructif », paraît être devenu la principale force d'opposition au FA et son principal concurrent
politique; à l'inverse, le PC est la principale « victime » de ce tournant politique, tel « l’arroseur-
arrosé ». Victime du sinistrisme du FA et d'une absence de ligne politique et idéologique le
démarquant clairement du PN (et ce malgré un sursaut aux élections de 2009), celui-ci semble pour
l'heure cantonné à occuper un rôle d'appoint et de soutien au PN2.
d. Conclusions préliminaires sur les facteurs institutionnels
Les lois de Maurice Duverger, reprises par Sartori puis Lijphart, semblent bien loin de
s’appliquer aux contextes de systèmes présidentiels propres à l’Amérique du Sud3. Même si les
« lois » théoriques en sciences sociales ne sauraient recevoir le même degré « poppérien » qu’en
sciences dites « dures », et peuvent alors tolérer quelques déviations4, dans la pratique seuls le
Brésil et l’Équateur5, soit deux cas sur huit (25%), semblent corroborer les hypothèses de Duverger
et Lijphart au niveau sud-américain. En outre, comme le soulignent Mainwaring et Shugart, la
théorie sur la taille des circonscriptions, considérée comme déterminante à l’étude des systèmes
parlementaires d’Europe Occidentale, ne joue pas un rôle pertinent dans les régimes présidentiels
1 BIDEGARAY, C., op. cit. ; CHASQUETTI, D., 2008 op. cit.
2 Sur l’évolution du système de parti uruguayen, voir infra 2.2.1
3 ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the presidential systems of latin America: an inquiry into the political
conditions of governability”, Thèse de doctorat non publiée, Université d’Essex, 2001. Pour une étude complète des
systèmes politiques latino-américains et des réformes constitutionnelles récentes, voir ALCANTARA, M., Sistemas
politicos de América latina, Tecnos, Madrid, 2003 ; et ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en
América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008. 4 « ... les lois en sciences sociales ne peuvent ni n’ont jamais été déterministes, et en conséquence elles doivent tolérer
d’éventuelles déviations. Pour autant, bien qu’une loi non déterministe ne se trouve pas falsifiée par ses exceptions […]
créent des difficultés et posent un problème ». SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura
Economica, Mexico, 1995, p.45. Traduction propre, mes italiques. 5 Ces deux cas de Système présidentiel + RP, présentent ainsi un système partisan multipartite.
118
latino-américains1. Les modes de scrutin influent davantage sur la qualité de la représentation, que
sur la structuration de systèmes partisans2. La configuration du système de partis et le nombre de
partis en lice, semblent en effet être « dépendants » d’éléments complémentaires, notamment les
facteurs socio-structurels et historiques propres à chaque démocratie3. Observons maintenant, si les
éléments de contrainte institutionnaliste quant à la formation et au maintien de coalitions
gouvernementales, sont aussi déterminants que la littérature le suppose, sous une configuration
présidentialiste.
2.1.2 Lois électorales, système politique et « facteur coalitionnaire »
a. L’influence des contraintes insti tutionnelles sur la formation de coalitions
de gouvernement en régime présidentiel
L’approche par les institutions a cherché à expliquer et modéliser la formation et le maintien/
dissolution des diverses coalitions au travers d’éléments prédéterminés. Ainsi, pour Duverger, les
conditions à la formation de coalitions sont : i) d’ordre juridique (le mode de scrutin, ou condition
« prépondérante ») ; ii) ordre électoral (le nombre de partis existants, lesquels ont un « rôle
déterminant ») ; et iii) d’ordre organisationnel, lié à la dimension des partis. Pour l’auteur des
Partis politiques, le mode de scrutin, cumulé au nombre de partis, serait la configuration
essentielle. S’il avance que la RP « facilite » le multipartisme et constitue un élément indirect à la
formation de coalitions, et donc une contrainte à la formation de gouvernements ; il insiste
particulièrement sur l’élection à deux tours, via l’introduction du ballotage, comme élément
générateur de coalitions électorales dont l’exemple type est le ralliement d’entre-deux-tours.
Les hypothèses de Duverger restent toutefois confinées à une logique électorale et mécanique,
sans réelle application quant à la propre formation de coalitions gouvernementales. En effet,
Christian Bidégaray rappelle que les alliances électorales ne conduisent pas automatiquement à la
formation de coalitions de gouvernement4. Toutefois l’approche prônant la « redécouverte des
1 « … une observation finale […] est la suprenante insignifiance de la magnitude effective des districts [au niveau
latino-américain]. Bien que la magnitude ait été considérée comme un facteur ‘‘décisif’’ dans la détermination du
nombre de partis […] les bases de données qui ont conduit à ce type de conclusions proviennent substantiellement de
systèmes parlementaires ». MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Conclusión: Presidencialismo y sistema de
partidos en América latina », in MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América
latina, Paidós, Buenos Aires, 2002 [1997], p. 298. Traduction propre. 2 MARTIN, P., Les systèmes électoraux et les modes de scrutin, Clefs Monchrestien, Paris, 2006.
3 NOHLEN, D., Sistemas electorales y partidos políticos, Fondo de Cultura Económica, Mexico, 1994.
4 BIDEGARAY, C. “Coalition électorale”, in PERRINEAU, P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, PUF, París,
2001, pp. 206-207.
119
institutions », va reprendre les travaux de Duverger en les incluant auprès d’autres variables
institutionnelles contraignantes, et vont se succéder diverses études établissant les contraintes
exogènes et endogènes sur la formation de gouvernements de coalition. Nous résumons les
principales variables « contraignantes », retenues comme suit : i) la taille et la composition des
acteurs, dépendant du système électoral1 ; ii) les procédures de reconnaissance des acteurs
« formateurs » de gouvernement ainsi que le rôle et le caractère tournant de celui-ci ; et iii) la
ratification de l’investiture gouvernementale (vote de confiance)2. Ces variables sont des éléments
de contrainte qui conditionnent la négociation pour la formation du cabinet et la répartition des
portefeuilles ministériels, mais elles n’expliquent pas la composition du gouvernement ni ne
modélisent les processus d’allocation de parcelles de pouvoir. Ce travail est délégué aux études se
basant sur une approche inspirée du behaviourisme et de la théorie des jeux3.
Ces variables ne sont toutefois pas applicables au niveau présidentiel. En effet dans ces systèmes
il est établi que : i) le président ne dépend pas de la composition du parlement, même si de plus en
plus les élections présidentielles et législatives tendent à s’effectuer de manière simultanée4 ; ii)
l’unique formateur du gouvernement est le président lui-même aidé de son parti ; et iii) les
procédures de ratification ou « investiture » du gouvernement, quand elles existent, sont d’ordre
symbolique, car davantage procédurales que réellement contraignantes5. Ceci ne veut pas dire, pour
1 Ainsi que des contraintes dans la propre composition du gouvernement, telle que l’obligation d’inclure un acteur
particulier. La constitution Belge oblige ainsi tout gouvernement d’inclure des partis francophones et néerlandophones. 2 Voir AUSTEN SMITH, D. et BANKS, J. “Elections coalitions and legislatives outcomes”. in American Political
Science Review, Vol. 82. No. 2, 1988, pp. 405-422; STRØM K., BUDGE, I., et LAVER M., “Constraints on cabinet
formation in parliamentary democracies”, in American Journal of Political Science, Vol. 38, n°2, 1994, pp. 303-335;
LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government :The politics of coalition in Europe, Oxford University Press,
1990; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and breaking governments, Cambridge University press, 1996;
MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition government in western Europe, Oxford University Press, 2000; STRØM, K.,
MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: The democratic life cylce in western Europe,
Oxford University Press, 2008; DE WINTER, L. et DUMONT, P. « Uncertainty and complexity in cabinet formation »,
in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinet and coalitions bargaining: the democratic life cylce in
western Europe, Oxford University Press, 2008; pp 123- 155;COLOMER, J.M., et MARTINEZ, F., “The paradox of
coalition trading”, in Journal of Theoretical Politics, Vol.7, No. 1, 1995, pp. 41-63; COLOMER, J., Instituciones
politicas, Ariel, Barcelone, 2007 [2001]. 3 Voir entre autre, BUDGE, I., et KEMAN, H., Parties and democracy. Coalition formation and government
functioning in twenty states, Oxford University Press, 1990; BARON, D., “A spatial bargaining theory of government
formation in parliamentary systems”, in American Political Science Review, Vol. 85, No. 1, 1991, pp. 137-164;
SCHOFIELD, N., “Political competition and multiparty coalition governments”, in European Journal of Political
Research, n°23, 1993, pp. 1-33; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of
payoffs in coalition governments”, in British Journal of Political Science, No.31, 2001, p. 628; MARTIN, L., et
STEVENSON, R., "Cabinet Formation in Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol.
45, No.1, 2001, pp. 33-50; MITCHELL, P., et NYBLADE, B., “Government Formation and Cabinet Type”, in
STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 201- 236; VERZICHELLI, L., “Portfolio Allocation”, in
STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., op. cit., pp. 237- 269. 4 Mis à part la constitution bolivienne en vigueur jusqu’en 2009
5 Par exemple en Uruguay, où d’après la Constitution uruguayenne, la tenue d’un vote de confiance au gouvernement,
de la part du parlement réuni en congrès, est optionnelle et découle de la seule volonté du président (art. 174). A noter
que la constitution ne précise pas de procédure à suivre en cas de vote négatif.
120
autant, qu’en système présidentiel il n’y ait pas de « contraintes » institutionnelles quand à la
formation de gouvernements de coalition.
Récemment, la littérature a commencé à s’intéresser à ces éléments institutionnels de
façonnement des coalitions, en complément des travaux d’Axelrod puis De Swaan sur la
« proximité idéologique » (voir chapitre 1). Aussi, suivant une approche combinant les paradigmes
néo-institutionnalistes et utilitaristes, les variables institutionnelles les plus retenues pour les
systèmes présidentiels tendent à être les suivantes : i) le système électoral, centré sur l’élection
présidentielle; ii) le nombre de partis ; et iii) les pouvoirs présidentiels. La théorie avance tout
d’abord qu’un système électoral « facilitateur » de coalitions, centré sur l’élection présidentielle,
devrait comprendre le balottage1 (pour l’élection présidentielle) et/ou la simultanéité des élections
présidentielles et parlementaires, comme facilitateurs de regroupement2. La seconde « variable »,
stipulerait que plus le nombre effectif de partis (NEP), est élevé plus la probabilité de
présidentialisme minoritaire est élevée, donc plus grande est la probabilité de formation de
gouvernement de coalition, par « nécessité ». A l’inverse, toujours d’après la théorie, plus le NEP
est proche de deux, plus la probabilité pour le président de jouir d’une majorité ou quasi-majorité
au parlement est élevé et donc la nécessité de former des coalitions serait nulle ou quasi nulle3 .
1 L’élection présidentielle majoritaire à un tour constituerait aindi une configuration “défavorable” à la formation de
coalition gouvernementale. Idem pour les systèmes de balottage avec seuil électif réduit, entendu comme les systèmes
prévoyant que lorsqu’un un candidat n’ayant pourtant pas reçu 50% +1 de voix, mais disposant d’une avance suffisante
sur son premier adversaire (+10 points par exemple), et/ou recueillant un nombre de voix « approchant » les 50% (45%
par exemple), est automatiquement déclaré vainqueur de l’élection présidentielle. Ce système est en vigueur,
notamment, en Argentine et en Equateur ainsi que dans certains pays d’Amérique Centrale. Voir, entre autre, NORRIS,
P., op. cit. ; McCLINTOCK, C., “Presidentialism under runoff vs. plurality rules”, Working-paper présenté lors de la
journée d’étude “The evolution of Latinamerican presidentialisms in comparative perspective”, Université de
Georgetown, Washington, 14 Novembre 2011. 2 COX, G., Making votes count: strategic coordination in the world’s electoral systems, Cambridge University Press,
1997; GOLDER, M. “Presidential coattails and legislative fragmentation”, in American Journal of political Science,
Vol. 50. No. 1, 2006, pp. 34-48; JONES, M. P. “The role of parties and party systems in the policymaking process”
Document présenté lors du Workshop « State reform, public policies and policymaking processes », de la BID.
Washington, 2005; SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University
Press, 2010; CHASQUETTI, D., « Balotage y coaliciones en América latina », in Revista Uruguaya de Ciencia
Política, Vol. 12, 2001, pp. 9-33 3 Ainsi, Daniel Chasquetti avance qu’une quasi-majorité de 45% de sièges à l’assemblée, constitue en soit une majorité.
En effet, la probabilité de recevoir un soutien parlementaire de parlementaires provenant d’autres formations politiques
que celle du président, serait accrue. il se fonde notamment sur le cas uruguayen et argentin de l’époque des
bipartismes. Cet argument rejoint ainsi celui de la necessité pour le président de disposer du “législateur médian”. Voir
CHASQUETTI, D., “Democracia, multipartidismo y coaliciones en América Latina: evaluando la difícil combinación”,
in LANZARO, J. Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, Clacso, Buenos Aires, 2001, pp.
319-359; et pour la théorie autour du législateur médian, voir entre autres McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections,
parties, democracy, Oxford University Press, 2005 ; et NEGRETTO, G., “Minority presidents and types of government
in latin America”, communication présentée lors du congrès l’Association d’Etudes Latinoaméricaines (LASA), 2003.
Enfin, sur le nombre des partis et la propension à former des coalitions voir JONES, M., op.cit.; GOLDER, op. cit.;
MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Presidencialismo y sistema de partidos en América latina », in
MAINWARING., S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,
2002, pp. 255-291; SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, México, 1994;
PAYNE, M., “Party systems and democratic governability”, in PAYNE, M., et al, Democracies in developement
121
Enfin, la troisième variable stipule que plus les pouvoirs du président –proactifs et/ou réactifs- sont
élevés, plus la tentation de gouverner seul est, à son tour, élevée. Ainsi, un « président-monarque »,
qui jouirait du contrôle de l’agenda ou du droit de légiférer par décret, pourrait se passer d’une
majorité parlementaire, et n’aurait donc pas de motivation à former une coalition, par définition
couteuse1.
Pour vérifier ces hypothèses, analysons dans un premier temps les cas de formations
gouvernementales dans les démocraties sud-américaines. Nous focaliserons donc notre analyse sur
les cas ayant connu au moins un cas de gouvernement de coalition et nous établirons les éléments
institutionnels en présence, voir le Tableau 2.2. Ce qui veut dire que nous nous intéressons aussi
bien aux cas ayant connu un gouvernement de coalition, aussi éphémère soit-il (exemple de
l’Argentine), comme des cas où les gouvernements de coalitions sont « la règle » (cas chilien,
brésilien et, dans une certaine mesure, équatorien).
politics and reform in latin America, Banque Inter-Américaine de Développement, Washington, 2007, pp. 149-178;
GARRIDO, A., “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: El caso de América Latina”, in
Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp. 41-62. 1 Voir entre autres, MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Juan Linz: Presidencialismo y democracia… » op. cit ;
AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presidential regimes: An analysis of 10 latin American Countries”,
Communication présentée lors du congrès LASA, 1998 ; AMORIM NETO, O., “The presidential calculus executive
policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4, 2006, pp. 415-
440; COX, G., et MORGENSTERN, S. “Legislaturas reactivas y presidentes proactivos en América latina” in
Desarrollo Económico, Vol. 41, No. 163, 2001, pp. 373-393; ALEMAN, E., TSEBELIS, G., “Coalitions in Presidential
democracies: how preferences and institutions affect cabinet membership”, Communiction présentée lors du congrès
APSA, 2008.
122
Tableau 2.2 : Formation de gouvernements de coalition en Amérique du Sud, depuis
la période de retour à la démocratie.
Pays Président Période Majoritaire*
Argentine (1) De la Rúa 1999-2001** Non
Brésil (6)
Sarney 1985-1990 Oui
Cardoso I 1995-1999 Oui
Cardoso II 1999-2003 Oui
Lula I 2003-2007 Oui
Lula II 2007-2011 Oui
Rousef 2011-… Oui
Bolivie (5)
Paz Estensorro 1985-1989 Oui
Paz Zamora 1989-1992** Oui
Sánchez de Losada 1992-1997 Oui
Banzer 1997-2002 Oui
Sánchez de Losada 2002-2004** Oui
Chili (5)
Aylwin 1989-1993 Oui
Frei 1993-2000 Oui
Lagos 2000-2006 Oui
Bachelet 2006- 2010 Oui
Piñera 2010-… Non
Colombie (3)
Gaviria 1990-1994 Oui
Pastrana 1998-2002 Oui
Uribe 2006-2010 Oui
Equateur (2) Borja 1988-1992 Non
Gutiérrez 2003-2005** Non
Uruguay (3)
Lacalle 1990-1995 Oui
Sanguinetti II 1995-2000 Oui
Battle 2000-2005 Oui
Total 25 - Oui: 21/ Non: 4
Note : *à la chambre basse ; ** mandat interrompu en cours d’exercice
Source : élaboration propre
L’opérationnalisation des variables, se réalise de telle façon à pouvoir garder un contact avec le
cas étudié, plutôt qu’en centrant l’analyse uniquement autour de données décontextualisées1.
Suivant la méthode dite d’Analyse Qualitative Comparée (QCA en anglais), nous attribuons à
chaque variable les valeurs suivantes : premièrement, le Système Electoral « Facilitateur » d’après
la théorie (variable 1 « SEF»), est calibré à « 2 », quand la loi électorale prévoit la concomitance
totale ou partielle entre élections parlementaire et présidentielle, cumulée à la possibilité de second
tour (« ballotage ») sans seuil réduit (voir précisions supra) ; le système est calibré à « 1 » lorsque
une seule des deux conditions est présente ; enfin le système est noté « 0 » lorsqu’aucune des
conditions ne sont en présence. Nous calibrerons le Nombre Effectif de Partis (variable 2 « NEP »),
1 COLLIER, D., MAHONEY, J., et SEAWRIGHT, J., “Claiming too much: warnings about selection bias”, in
BRADY, H.E., et COLLIER, D., Rethinking Social Inquiry Diverse Tools, Shared Standards, Rowman and Littlefield,
Lanham, 2004, pp. 85-102; SEILER, D-L., La Méthode Comparative en Science Politique, Collin/ Dalloz, Paris, 2004.
123
par un « 0 », lorsque le NEP inférieur ou égal à 3, condition minimale pour qu’il y ait
rationnellement une « nécessité » de coalitions ; et le calibrerons par « 1 » lorsque celui-ci est
supérieur à 31. Nous prendrons pour ce faire, comme indicateur, une moyenne pondérée des valeurs
établies d’après les données de Daniel Chasquetti et du rapport 2010 de la Banque Inter-Américaine
de Développement (BID)2. La troisième variable considérée par la littérature orientée néo-
institutionnaliste, la variable « pouvoirs du président » (« PWP ») sera calibrée de façon
dichotomique (1/0), et nous attribuerons une valeur « 0 » lorsque le régime est à dominante
présidentielle ; et attribuerons une valeur « 1 » lorsque ce n’est pas le cas. Nous nous baserons pour
l’attribution des valeurs, sur les indicateurs provenant de la littérature dominante, depuis les travaux
fondateurs de Matthew Shugart et John Carey aux travaux plus récents de Daniel Zovatto et Jesús
Orozco3. Enfin, nous avons dédoublé les cas (marqué « II ») lorsqu’un changement constitutionnel
est venu affecter dramatiquement l’une des trois variables présentées précédemment4-,
Dès lors, lorsque nous confrontons la théorie à l’empirie (Tableau 2.3), nous observons que la
conjonction des trois variables n’aboutit qu’à des conclusions hâtives et relatives, surtout si on reste
« collés » aux données brutes. Ainsi, la « combinaison théorique idéale » serait marquée:
SEF(2)*NEP(1)*PWP (1) =15.
1 Nous établierons les valeurs depuis les ouvrages de ALCANTARA, M., Sistemas Politicos de América Latina :
América del Sur, Tecnos, Madrid, 2003 ; CRESPO MARTINEZ, I., et GARRIDO, A., Elecciones y Sistemas
Electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico, 2008. 2 CHASQUETTI, D., Democracia presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la “difícil
combinación”, Cauce, Montevideo, 2008, p.159; SCARTASCINI, C., STEIN, E., et TOMMASI, M., How democracy
works: political institutions, actors, and arenas in Latin American Policymaking, BID, Washington D.C., 2010, p.35. 3 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992; ZOVATTO, D., et
OROZCO, J., Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM,
Mexico, 2008. Voir également GARCÉ, A., El Giro Repúblicano, Centro Mundial de Investigación para la PAZ/
TRILCE, Montevideo, 2009; et la base de donnée du Center for Latin American Studies (CLAS) de l’Université de
Georgetown, consultable sur internet: http://pdba.georgetown.edu/. 4 Cela regroupe aussi bien les changements de constitution comme les réformes constitutionnelles (ou réforme de la
Constitution) 5 Les valeurs sont présentées entre parenthèses. Le signe multiplicateur « * » , indique une conjonction, autrement dit,
les variables fonctionnent nécessairement en système (ensemble) et non pas séparément. Aucune variable n’étant donc,
à priori suffisante.
124
Tableau 2.3 : Application empirique des hypothèses néo-institutionnalistes sur la
formation de coalitions gouvernementales
Cas SEF NEP > 3 PWP Résultat
Argentine I 0 0 1 0
Argentine II 1 1 0 1
Bolivie I 2* 1 1 1
Bolivie II 2 1 1 0
Brésil I 2 1 0 1
Brésil II 2 1 0 1
Chili I 1 1 0 1
Chili II 2 1 0 1
Colombie I 1 2 0 1 0
Colombie II 1 1 0 1
Costa Rica 1 0 1 0
Équateur I 2 1 1 1 1
Équateur II 1 1 1 1
Paraguay 1 1 0 1 0
Pérou3 2 1 0 0
Uruguay I 1 0 0 1
Uruguay 2 0 0 1
Venezuela I 1 1 0 1 0
Venezuela II 4 1 1 0 0
Notes: Apparaissent en gras les configurations constitutionnelles ayant connu des gouvernements de coalition. * la Bolivie avait jusque 2009 un système électoral établissant que le second tour, lorsqu’il était nécessaire, avait lieu au parlement
et non pas directement par les urnes. Cette modalités « poussant » ainsi les candidats et les partis à établir des coalitions
parlementaires et, par ricochet, favorisant la tenue de coalitions gouvernementales ;
1) les cas types de « Frente Nacional » en Colombie et au Venezuela, et de manière plus nuancée au Paraguay, constituent des
« grandes coalitions », à caractère cartellisant, tel que nous l’avons mentionné en introduction, et n’entrent pas dans notre définition ;
2) L’Equateur est le pays ayant connu le plus de changement institutionnel en vingt ans. Nous avons gardé ici les éléments les plus
pertinents ;
3) Le cas péruvien est, nous l’avons vu, un cas atypique d’absence de système de partis.
4) si le premier gouvernement Chávez paraît être constitué de plusieurs partis autour du Movimiento Va República, ceux-ci sont plutôt
des proto-partis ou « partis satellitaires », gravitant autour du parti Chaviste. La preuve en est la disparition de la quasi-totalité de ces
formations ou mouvements politiques dès le second mandat de Chavez.
Source : élaboration propre
Or, si les cas équatorien (I et II), et bolivien I paraissent correspondre fidèlement aux hypothèses
néoclassiques, lorsque l’on s’arrête quelque peu sur ces cas on observe toutefois des nuances de
taille. Ainsi, les changements incessants des lois électorales en Équateur au cours des années 1980-
1990 ne permettent pas d’établir un facteur explicatif à cette variable, en raison du caractère
instable de ces lois électorales et de l’incapacité à tirer des conclusions sur la durée1. On peut ainsi
1 Ainsi, l’Equateur a adopté, en moins de vingt ans, sept réformes à sa loi électorale. Rendant tantôt, i) les élections
présidentielle et parlementaire concomitantes (réforme de 1985), puis séparée (1993), avant de retourner à la
simultanéité (1994) ; ii) faisant passer l’élection des députés de la RP à la RM (1993, 1998, 2004) avant de revenir à la
RP (1996) ; iii) interdisant la formation de coalitions électorales (1983), puis les autorisant (1997) ; iv) passant d’une
élection présidentielle à la majorité absolue, à une élection à la majorité avec seuil réduit (1998), etc… Pour plus
125
parler d’une absence d’institutionnalisation du système électoral qui se répercute sur une absence
d’institutionnalisation du système de partis équatorien, ou bien en est la conséquence. En outre, de
nombreux « gouvernements de coalition » équatoriens ne répondent pas aux critères que nous
avons défini en introduction, et seraient davantage qualifiables de gouvernements cooptés et/ou a-
partisans1.
Bien que nous nous basions sur des données relativement éloignées de la réalité empirique pour
élaborer ce tableau, notamment en ce qui concerne les données du NEP que nous avons déjà discuté
précédemment, nous observons dans un premier temps qu’aucune variable suffisante ne se détache
de ce tableau. De même, aucune configuration de variables nécessaires ne permet d’établir
clairement une relation directe avec la formation de coalitions gouvernementales2. Si la variable du
système électoral paraît « aider » à la formation, elle n’apparaît pas comme déterminante dans de
nombreux cas3 qui, cumulés, représentent statistiquement plus de la moitié des formations de
gouvernements de coalition de la région. Conséquemment, on observe des cas « contradictoires » à
la théorie, au sein desquels des lois électorales apparemment favorables voire très favorables,
d’après la littérature, n’ont conduit à la formation d’aucun gouvernement de coalition4.
De même, le balottage comme élément formateur de coalition d’entre-deux-tours n’apparait
comme efficace que dans un nombre réduit de cas5. La concomitance des élections, qu’elle soit
totale ou partielle (renouvellement d’une partie du parlement par roulement, comme en Argentine),
et plus ou moins simultanée (le jour même des élections présidentielles, ou quelques semaines
avant ou après celles-ci, comme dans le cas Colombien… et Français), ne semble ne pas non plus
avoir d’effets pertinents sur la conformation de coalitions gouvernementales. Le Chili n’avait, par
exemple, pas d’élections simultanées entre 1997 et 20066, or la Concertación a maintenu la même
d’information voir PACHANO, S., «Reforma Electoral en Ecuador», in ZOVATO, D., et OROZCO, J., op. cit, pp.
495-523. 1 C’est le cas des gouvernements Roldós (1979-1984), Febres Cordero (1984-1988), Durán (1992-1996) et Gutiérrez
(2003-2005). 2 Nous entendons par « variable suffisante » (ou « condition suffisante ») une variable qui à elle seule permet d’aboutir
au résultat ; ici le résultat étant la formation de coalition gouvernementale. Par « variable nécessaire », nous entendons
une variable sans laquelle, à défaut de la présence de condition suffisante, le résultat ne saurait se produire. 3 Les cas Argentine II (1 gouvernement), Chili I (3), Colombie II (4) Equateur I et II (2) et Uruguay I (2).
4 En Bolivie II, en Colombie I, au Pérou notamment.
5 Ainsi, le Brésil a élu son président au second tour à trois reprises (Lula 2003 et 2007 ; Dilma Roussef 2011), le Chili à
trois reprises (Lagos 2000 ; Bachelet 2006 et Piñera 2010) et l’Uruguay (Batlle 1999 ; Mujica 2009). Toutefois, ce
second tour n’a été déterminant que dans quatre cas (Lula 2003 ; Lagos 2000 et Bachelet 2006 ; Batlle 1999), et
l’inclusion des ralliés d’entre-deux-tours n’a été effectif que dans le cas de Lula 2003 et Batlle 1999. Enfin, le « second
tour » bolivien au parlement étant un cas à part, bien que nous le comptabilisions ici. 6 Ce qui va dans le sens des travaux de nombreux universitaires, quant à l’absence de « coattail effect ». Voir entre
autres NORRIS, P., op. cit ; SAMUELS, D., et SHUGART, M., «Presidents, prime ministers and parties: a new
madisonian theory of party organization and behaviour», Communication présentée lors du Congrès APSA 2006;
CALVERT, R. L., et FEREJOHN, J.A., “Coattail voting in recent presidential elections”, in American Political Science
Review, Vol. 77, No. 2, 1983, pp. 407-419 ; et THORSON, G., et STAMBOUGH, S., “Incumbency and the 1992
126
formule et les mêmes partenaires, lors de toutes les élections nationales, depuis 1989 jusque
aujourd’hui1.
Enfin nous observons, étrangement, une certaine adéquation empirique en ce qui concerne les
pouvoirs présidentiels et la formation de gouvernement de coalition. Mise à part la Bolivie et en
une moindre mesure l’Équateur, les cas ayant expérimenté des coalitions gouvernementales,
confèrent généralement une domination relative (Uruguay) voir franche (Argentine, Brésil, Chili,
Colombie) de l’exécutif sur le législatif, particulièrement en termes de pouvoirs législatifs (voir
supra Tableau 1.3). Ceci laisse à penser tout du moins à une possibilité de réversion théorique, où
plus les pouvoirs du président seraient élevés, plus le partage de ceux-ci au sein de l’exécutif
constitue un argument de négociation entre les mains du président, pour obtenir un soutien
politique. De même, plus les pouvoirs de l’exécutif sont forts, plus l’accession au gouvernement
devient attractive pour les partis en présence.
b. L’importance des contraintes institutionnelles sur le maintien des coalit ions
Comme l’ont montré Muller et Strøm, la majeure partie de la littérature sur les gouvernements
coalisés s’est limitée à établir des modèles visant à prévoir la formation et la rupture des coalitions
gouvernementales, en régime parlementaire2. Nous avons également avancé que cette
surconcentration d’études autour de cette seule démarche contextuelle, était également valable en
régime présidentiel. Or, nous venons de voir que les arguments, en provenance du paradigme
dominant néo-institutionnel, censés conduire ou faciliter la formation de coalitions
gouvernementales, semblent jusqu’à présent quelque peu limités dans leur portée empirique.
Pour ce qui est des éléments facilitateurs du maintien ou des dissolutions des coalitions, outre
les questions portant sur la cohésion des partis et l’institutionnalisation du système de partis, nous
pouvons répertorier depuis la littérature trois éléments dont deux clairement institutionnels, censés
influer sur le maintien des coalitions de gouvernement ou, à l’inverse, pousser à leur dissolution, en
elections: the changing face of presidential coattails”, in Journal of Politics, Vol. 57, 1995, pp. 210-220; THORSON,
G.,et STAMBOUGH, S., “Anti-Incumbency and the 1992 elections: the changing face of presidential coattails”, in The
Journal of Politics, Vol. 57, No. 1, 1995), pp. 210-220; PRESS, C., “Presidential coattails and party cohesion”, in
Midwest Journal of Political Science, Vol. 7, No. 4, 1963, pp. 320-33; SAMUELS, D., “Concurrent elections,
discordant results: presidentialism, federalism, and governance in Brazil”, in Comparative Politics, Vol. 33, No. 1,
2000, pp. 1-20; et “The gubernatorial coattails effect: Federalism and congressional elections in Brazil”, in Journal of
Politics, Vol. 62, No. 1, 2000, pp. 240–253. 1 Lors des élections municipales et de conseillers de 2008, le Parti Radical Social Démocrate (PRSD) et le Parti Pour la
Démocratie (PPD), ont néanmoins présenté une liste commune alternative à celle de l’appareil Concertationniste
Socialiste-Chrétien démocrate, mais ceci a consisté davantage en une stratégie de communication de ces partis plutôt
qu’en un schisme politique. De fait, si la stratégie fut un échec pour les élections municipales (constituant la première
« défaite » électorale de la Concertación en vingt ans), elle fut un succès au niveau de l’élection des conseillers
municipaux (découplée de l’élection du maire). 2 MÜLLER, W., et STRØM K., Coalition Government in Western Europe, Oxford University Press, 2000
127
régime présidentiel. Ces arguments1 sont : i) la caractéristique du mandat fixe du président, laquelle
lorsqu’elle s’approche de l’échéance finale (fin du mandat), tend à inciter la dispersion individuelle
et/ou collective des membres de la coalition ; à moins que ii) la constitution ne prévoit la possibilité
de réélection du président. Ceci suppose ainsi que l’élection présidentielle approchant, et en
l’absence de possibilité de réélection qui rendrait inutile les négociations sur la nomination d’un
candidat (le candidat naturel étant le président), les partis membres de la coalition sont tentés de
partir « en solitaire », se démarquant progressivement de l’action de l’équipe sortante. La
probabilité de rupture serait, théoriquement, accrue entre un an à six mois avant la prochaine
échéance électorale. Enfin, iii) plus la « taille » de la coalition, en termes de vote et de sièges au
parlement est élevée – avec un seuil de confort estimé à partir de 55%-, moindre est la propension à
la dissolution de la coalition. Cette vision allant à l’encontre de la vision « rikérienne » de coalition
minimale victorieuse.
Ces hypothèses jusqu’alors peu vérifiées et critiquées reprennent à leur tour des éléments
d’autres théories (présidentialisme vs/ parlementarisme, notamment), et se fondent sur des données
empiriques peu homogènes et comparables, notamment en termes de contexte institutionnel et
organisations partisanes2 ; ou sur un seul cas d’étude supposément paradigmatique –l’Uruguay-,
mais dont l’organisation particulière – autour de fractions (lemas)- des partis en fait un cas tout-à-
fait particulier, sans compter quelques problèmes conceptuels3. De plus, ces travaux font fi du
contexte politique et social en place en se consacrant uniquement sur le « résultat » (maintien/
dissolution de la coalition). Nous proposons alors, dans ce chapitre de tester cette théorie sur huit
gouvernements provenant de trois pays différents comparables car relativement « homogènes »
(l’Argentine, le Chili et l’Uruguay) : i) pour l’Argentine, le gouvernement de Fernando de la Rúa
(1999- 2001) ; ii) pour le Chili, les gouvernements de Patricio Aylwin (1990-1994), Eduardo Frei
1 Tirés de ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies, the
case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No. 3, 2001. pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La
Supervivencia de las Coaliciones Presidenciales de Gobierno en América Latina”, in PostData, Vol. 11, 2006, pp. 163-
196; CHASQUETTI, D., 2008, op. cit; GARRIDO, A., 2003, op. cit. 2 CHASQUETTI, D., 2006, op. cit. ; CHASQUETTI, D., 2008, op. cit. Daniel Chasquetti compare ainsi pêle-mêle des
pays comme l’Équateur, la Bolivie, la Colombie (post réforme de 1991), aux systèmes partisans et institutionnels
particulièrement peu institutionnalisés ; avec le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, dont la stabilité partisane et
institutionnelle est beaucoup plus marquée. 3 ALTMAN, D., op. cit. L’auteur reprennant l’organisation fractionnée des partis uruguayens comme unité d’analyse,
afin d’évoquer la dissolution oule maintien des coalitions. Si nous convenons avec David Altman, à l’inverse de Kaare
Strøm, de l’erreur à considérer les partis comme « acteurs unitaires », nous avons mentionné néanmoins que des
coalitions partisanes passent par des accords (formels ou informels) entre partis. Ce qui équivaut à dire que la sortie ou
l’entrée d’une faction d’un gouvernement de coalition ne fait ni ne défait l’accord. L’accord étant supra-factionnel,
c’est la position du parti qui compte en ce cas-là. Ceci ne revient pas pour autant à simplifier la stabilité des coalitions
sur les seuls accords entre chefs de partis. La sortie de membres (individuels ou fractions) constitue une fragilisation
et/ou une preuve d’instabilité, bien qu’elle ne remette pas nécessairement en cause la coopération. Voir infra les cas
récents de sortis de membres influants de la Concertación chilienne.
128
(1994- 2000), Ricardo Lagos (2000- 2006) et Michelle Bachelet (2000- 2004) ; enfin iii) pour
l’Uruguay, les gouvernements de Luis Alberto Lacalle (1990- 1995), Julio María Sanguinetti II1
(1995- 2000), et Jorge Batlle (2000- 2005).
L’étude comparée des configurations institutionnelles et des prérogatives présidentielles des
trois pays, laisse apparaître une similarité globale des systèmes politiques de ces trois cas, malgré
des résultats différents sur la « variable dépendante » (maintien/ dissolution des coalitions). En
effet, ces trois pays possèdent a) une pratique de la démocratie parmi les plus anciennes de la
région ; b) possèdent et ont conservé les systèmes partisan les plus stables et institutionnalisés de la
région, et c) un système politique à dominance présidentielle relative (Uruguay), ou franche
(Argentine et Chili). Inversement, nos trois cas divergent, institutionnellement parlant,
essentiellement sur deux points : les lois électorales et l’organisation administrative de l’Etat. Le
tableau 2.4 illustre les facteurs de formation et de maintien de gouvernements de coalitions dans les
trois pays, suivant la littérature dominante, et nous avons ainsi mis en gras les éléments théoriques
retenus comme ayant un impact direct sur le maintien ou la dissolution des coalitions
gouvernementales. Les autres éléments servent à illustrer la relative similarité entre nos cas quant à
la formation de coalition, en fonction des arguments, présentés précédemment.
Tableau 2.4 Stimuli institutionnels et “facteurs coalitionnaires”.
Variables Argentine Chili Uruguay
Pré 1994* Post 1994 Pré 2005 Post 2005 Pré 1997 Post 1997
Loi électorale
“incitative” - balottage
Binominal +
balottage
Binominal +
balottage - balottage
Élections
législatives
intermédiaires
Oui Oui Oui Non Non Non
Possibilité de
réélection Non Oui Non Non Non Non
Pouvoirs
Présidentiels
proactifs/
réactifs
modérés/
forts forts/forts forts/forts forts/forts
modérés/
forts
modérés/
forts
Organisation
Administrative
de l’Etat
Fédérale Fédérale Centrale Centrale Centrale Centrale
Notes: Nous reprenons ici les notions de pouvoirs pro-actifs et ré-actifs tels que nous les avons décrit au premier chapitre (voir
supra 1.2.2).
*Nous avons volontairement introduit l’Argentine pré- réforme constitutionnelle, à titre illustratif afin de mettre en évidence les
changements les plus évidents dont les répercussions sur la pratique politique paraissent les plus contraignantes, d’après la
littérature dominante.
Source : élaboration propre.
1 Nous nous référons au second gouvernement de Sanguinetti, lequel avait déjà occupé un mandat présidentiel (1985-
1990), mais sans former de coalition gouvernementale.
129
Ainsi si nous nous référons aux hypothèses qui prédisent le maintien ou la dissolution des
coalitions, nous observons : i) qu’en termes de réélection présidentielle, seule l’Argentine possède
constitutionnellement le facteur censé atténuer les velléités de sécession de fin de mandat, et que ii)
seul l’Uruguay n’a jamais présenté de configuration politique incluant la tenue d’élections
législatives intermédiaires. Parallèlement, si nous nous arrêtons sur la taille et le contexte des
coalitions, seuls les trois gouvernements uruguayens ont joui d’une ample majorité parlementaire,
contrôlant respectivement 69%, 64% et 56% de chacune des deux chambres du congrès, soit à
chaque fois au-delà du seuil de confort. En outre, le nombre de participants (ou « partenaires ») de
ces gouvernements a été à chaque fois limité à seulement deux partis, qui plus est particulièrement
équilibrés, soit logiquement la configuration la moins complexe et la moins onéreuse (voir supra,
chapitre 1.1.1).
Inversement, les trois premiers gouvernements chiliens post-transition démocratique (Aylwin,
Frei et Lagos) semblent avoir cohabité avec la configuration institutionnelle et organisationnelle la
moins favorable à leur maintien. En effet, la Constitution Chilienne ne permet pas de réélection
automatique du président de la République (Art. 29). Pour se représenter, le président en exercice
doit en effet laisser passer, au minimum, un mandat électoral1. En outre, les réformes successives
portant sur la durée du mandat présidentiel2, ont conduit à ce que les élections parlementaires se
retrouvent intercalées entre deux élections présidentielles à deux reprises, en 1997 et 2001, sous les
sextennats d’Eduardo Frei et Ricardo Lagos. Enfin, il est à noter que si la Concertación a gagné
toutes les élections nationales de 1990 à 2006, lui conférant une majorité à la chambre des députés
jusqu’en 2010, les élections de 1989, 1993 et 1997 lui ayant d’ailleurs confié autant de seuils de
confort (respectivement 57.5%, 56.6% et 58.3% des sièges de la chambre basse) ; les dispositions
de la Constitution héritée de l’ère Pinochet ont atténué ces majorités en raison de l’existence de
neuf postes de « sénateurs désignés », et des sénateurs à vie. Cette disposition constituant, jusqu’en
2006, l’une des principales enclaves autoritaires3 à la constitution chilienne, et consistant en la
désignation de forme discrétionnaire et corporatiste de neuf sénateurs, lesquels sont donc exempts
1 Avec le Conseil de Sécurité Nationale (COSAN), voir infra. Ainsi l’ex président Eduardo Frei (1994-2000), n’a pas
pu se présenter à sa succession aux élections de 2000, mais était le candidat de la Concertación lors des élections de
2010. Idem, Michelle Bachelet après avoir été présidente (2006-2010), sera probablement la candidate de la même
Concertación pour les élections de 2014. 2 La Constitution de 1980, adoptée sous la dictature, prévoyait qu’en cas de défaite de Pinochet au Référendum
révocatoire de 1988, le nouveau président élu verrait son mandat amputé de moitié, sois quatre ans (1990-1994). Par la
suite, une nouvelle réforme constitutionnelle en 1993 est venue fixer le mandat présidentiel à six ans. Cette norme
ayant prévalue pour les mandats des présidents Frei (1994-2000) et Lagos (2000-2006). Enfin, la réforme
constitutionnelle de 2006 est venue « abaisser » le mandat à quatre ans. Cette norme est toujours en vigueur
aujourd’hui. 3 GARRETÓN, M. A., La Posibilidad Democrática en Chile, FLACSO, Santiago, 1989. Pour une présentation plus
précise des “enclaves autoritaires” héritées de la constitution de 1980, voir infra 2.2.1
130
de responsabilité politique1, ainsi que l’accession automatique de chaque ex-chef d’Etat au poste de
sénateur à vie. Ainsi, le sénat chilien a jusqu’en 2006 a été contrôlé par une majorité hétérogène
mais idéologiquement proche de l’héritage pinochétiste. En considérant ces dispositions, seule la
présidence de Michelle Bachelet s’approche –sans les atteindre- des standards institutionnels
prévoyant une probabilité de maintien de la coalition. Notons enfin, que le nombre de partenaires
de la Concertación (quatre partis), certes stable tout du long, constitue toutefois d’après la théorie
une source potentielle de conflit, d’autant plus si l’on considère le caractère déséquilibré des forces
en présences, où la Démocratie Chrétienne a occupé, jusqu’en 2000, une position dominante.
Enfin, le cas argentin apparaît sur le papier comme jouissant d’importants outils institutionnels
et structurels pour maintenir la cohésion coalitionnaire. En effet, depuis les accords d’Olivos en
1994, la Constitution argentine prévoit la possibilité de la réélection du président sortant. En outre,
la formation de l’Alianza en 1997, dans le but de préparer l’élection présidentielle (remportée) de
1999, s’est organisée autour de deux formations politiques relativement stables et structurées : la
centenaire Unión Cívica Radical (UCR) et les péronistes dissidents du FREPASO. Toutefois, cette
coalition de deux partis (sur un NEP final de 3 partis) est marquée par l’absence de contrôle d’une
majorité propre à la chambre des députés (48,2%) ainsi qu’au Sénat (30,5%). De plus, la tenue
d’élections intermédiaires en 2001 a particulièrement fragilisé la coalition gouvernementale
moribonde, ces élection étant marquées par une victoire des votes blancs et nuls (voto bronca)
lesquels avec près de 26% des voix ont constitué la « seconde force politique argentine », lors de
cette élection.
Or, dans le Tableau 2.5 lorsque l’on pose les configurations de variables indépendantes (ou
« conditions »), que l’on ajoute la variable de contrôle « crise économique » (notée « ECO »,
supposant la survenue d’une crise socio économique pendant le mandat présidentiel), et qu’on les
confronte avec la variable dépendante centrée sur le maintien de la coalition, on observe que la
théorie n’est pas vérifiée par les résultats empiriques. Les valeurs de chaque variable sont
organisées suivant la méthode dichotomique d’absence/présence, notée par un « 1 » lorsque la
variable est « présente », et par un « 0 », lorsque celle-ci est absente. Ainsi les quatre autres
variables indépendantes à portée institutionnelle, sont : i) l’existence constitutionnelle de la
réélection du président (notée REELECT), « 1 » supposant la possibilité constitutionnelle attribuée
au président de se représenter pour un second mandat successif, et « 0 » l’impossibilité de se
représenter immédiatement; ii) le « contingent législatif » du président supérieur au seuil de
1 Ces sénateurs étaient nommés pour la première tranche (8 ans) par Pinochet lui-même. Par la suite, les commandants
en chefs des quatre corps d’armée désignaient chacun un sénateur ; la cour suprême deux ; et le président de la
République en fonction trois, dont un ex-ministre et un recteur d’université d’Etat.
131
confort, théorisé précédemment, fixé à un contrôle de 55% des sièges de la chambre basse (noté
LARGE), où « 1 » suppose que le président possède ce contrôle législatif, et « 0 » implique que le
président ne détient pas de seuil de confort législatif; iii) le nombre de partenaires coalisés (PART),
réparti autour du nombre minimal possible -deux partenaires-, où « 1 » remplit la condition de
nombre minimal de partenaire où seuls deux partenaires partisans forment la coalition, et « 0 »
implique que la coalition est formée par plus de deux partis ; enfin iv) l’existence d’élections
parlementaires intermédiaires, possibles éléments de fragilisation de la cohésion de la coalition,
(noté INTERM), où « 1 » décrit la survenue d’élections parlementaires intermédiaires survenues
entre deux élections présidentielles, et « 0 » supposant la simultanéité des élections présidentielles
et parlementaires.
On observe ainsi, à l’inverse de ce que laissait prévoir la théorie, que les quatre gouvernements
chiliens de coalition se sont maintenus intacts, et cela malgré des configurations à priori
défavorables (pas de réélection/ aucune majorité à seuil confortable/ nombre de partenaires élevés/
tenue d’élections intermédiaires à deux reprises/ deux crises économiques). L’Uruguay, avec à
chaque fois des configurations identiques, présente des résultats contradictoires. Et l’Argentine, le
seul cas présentant la capacité de réélection du président, a vu son unique expérience de
gouvernement coalisé imploser bien avant échéance (moins d’un an après le début du mandat).
Le test des hypothèses sur la survie des coalitions de gouvernements, rapporté à des cas
significatifs, comparables et institutionnellement stables, vient invalider les arguments considérés
comme facilitateur du maintien de ce type de gouvernements. Ni la réélection du président ni la
taille du contingent législatif de celui-ci, ne paraissent avoir d’effets directs sur le maintien des
gouvernements coalisés. Les résultats des théories de Altman, Chasquetti ou Garrido, rapportés à
des cas présentant des configurations politiques et institutionnelles particulièrement instables ou
peu institutionnalisés, semblent ainsi découler davantage d’éléments circonstanciels propres à la
nature instable des différents cas, plutôt que de conditions intervenantes tangibles.
De plus, l’inclusion de la variable dite « de contrôle », propre au contexte économique (noté
« 1 », lorsqu’une crise économique a marqué le mandat présidentiel ; « 0 » quand l’économie n’a
pas constitué un élément tensiogène), laisse poindre également différents résultats. Ainsi, lorsque
nous focalisons cette valeur sur « 1 », nous observons que le gouvernement De la Rúa pour
l’Argentine ; les gouvernements Lagos et Bachelet, pour le Chili ; et le gouvernement Batlle, pour
l’Uruguay, sont concernés. Or de tous ceux-ci, seule la coalition gouvernementale du président
uruguayen semble avoir été victime de la crise.
En effet, le gouvernement argentin avait déjà implosé avant même l’arrivée de la terrible crise
économique de 2001. Inversement, malgré des contextes économiques défavorables, certes à une
132
autre échelle que les crises argentine et uruguayenne de 2001-2002, les coalitions
gouvernementales de Ricardo Lagos et Michelle Bachelet n’ont pas été ébranlées dans leur
cohésion, du fait de ces crises. Enfin, en revenant sur le cas uruguayen, la sortie en 2002 des
principaux ministres du Parti Nacional (ou « Partido Blanco »), incitée par le chef de parti d’alors
Jorge Larrañaga, s’est réalisée en donnant au Parti du président Batlle –le Partido Colorado- toutes
les garanties d’appuis parlementaires de la part du groupe blanco. Dans les faits, le Parti Nacional a
appuyé toutes les décisions, sans restrictions, émanant de l’exécutif colorado jusqu’à la fin du
mandat de Jorge Batlle (2005). L’argument qui consiste à considérer les crises économiques
comme des éléments perturbateurs de la cohésion coalitionnaire est grandement invérifiée, à son
tour, par les résultats empiriques.
Tableau 2.5 : Test des hypothèses portant sur la survie des gouvernements de coalition
Pays/Gouvernements REELECT LARGE PART INTERM ECO MAINTIEN
Argentine
De la Rúa 1 0 1 1 1 0
Chili
Aylwin 0 0 0 0 0 1
Frei 0 0 0 1 0 1
Lagos 0 0 0 1 1 1
Bachelet 0 0 0 0 1 1
Uruguay
Lacalle 0 1 1 0 0 0
Sanguinetti II 0 1 1 0 0 1
Batlle 0 1 1 0 1 0
Source : élaboration propre.
Enfin, lorsque nous observons les différents cas de figure de fin de mandat présidentiel, et que
nous rapportons l’étude au cas chilien, nous observons que l’unique cas où la cohésion de la
Concertación s’est retrouvée fragilisée, sans pour autant rompre (sous le gouvernement Bachelet),
s’est tenu alors même que la configuration institutionnelle était, d’après la théorie, la plus favorable
au maintien coalitionnaire. Il semblerait que le maintien coalitionnaire, et la propre formation de
coalitions, dépendent de quelque chose de plus que du seul fait d’éléments institutionnels inspirés
133
par l’ingénierie institutionnelle. Citant Lupia et Strøm, « les institutions, aussi importantes soient-
elles, ne font pas tout »1.
2.2 Historicité politique et culture gouvernementale des démocraties du Cône Sud
Le paradigme de l’approche par les institutions en sciences politiques a connu diverses
approches épistémologiques. Si l’approche classique conférait une dimension importante à
l’histoire et aux relations humaines2 ; l’autonomisation de la science politique comme discipline à
part entière, et l’émergence du courant behaviouriste et des nouvelles techniques et méthodes
(numérisées) de recherche on supplanté cette approche, au profit d’une tendance modélisatrice et
abstraite. On retrouve notamment cette posture au sein du courant néo-institutionnalisme, le plus
répandu aujourd’hui. Parallèlement à cette évolution, de nombreux universitaires vont maintenir ou
réaffirmer l’indissolubilité de l’approche institutionnelle d’avec une approche historico-dynamique.
Ainsi l’institutionnalisme historique développé par Théda Skocpol puis Kathleen Thelen, se
fonde sur une analyse des interactions politiques, portée sur l’étude et la compréhension des
éléments institutionnels comme le produit d’interactions humaines, suivant une démarche
séquentielle dynamique3. Cette approche suppose donc une connaissance approfondie des cas
étudiés, plutôt qu’une photographie instantanée et figée de ceux-ci, et privilégie ainsi la
comparaison entre un nombre limités de cas : les cas sont « producteurs de théorie », plutôt que des
illustrateurs ou « validateurs » de théorie. Dès lors, tout en partageant la conception restrictive et
organisatrice des institutions, les intérêts de cette approche se penchent sur les éléments ayant
conduit à la formation, l’évolution et la pérennisation de ces mêmes institutions. En ce sens,
l’institutionnalisme historique va être enclin à considérer des variables plus macroscopiques et sur
une temporalité plus longue, tels que les éléments de contexte, de culture, ou de « la dépendance du
1 “… institutions, while important, are not the whole story” LUPIA, A., et STRØM, K.”, op. cit, p. 56. Idem, Wolfgang
Müller et al. semblent aller dans le meme sens lorsqu’ils avancent que: “…the relevance of institutions for coalition
politics […] as of yet no comprehensive picture of their impact on various aspects of coalition politics has emerged.
Indeed, the full impact of the range of relevant institutions clearly has not yet been fully explored either in theoretical
or case study work”, MÜLLER, W., BERGMAN, T., et STRØM, K., “Coalition Theory and Cabinet Governance: An
Introduction”, in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit., p. 25. 2 On retrouve cette approche auprès d’auteurs « pré-politistes » tels Max Weber, Maurice Duverger ou Alexis de
Tocqueville. 3 SKOCPOL, T., Social revolutions in the modern world, Cambridge University Press, 1994; SKOCPOL, T., States and
social revolutions: a comparative analysis of France, Russia and China, Cambridge, Cambridge University Press,
1979; THELEN K., et STEINMO S., “Historical institutionalism in comparative politics”, in STEINMO, .S, THELEN,
K., et LONGSTRETH, F., Structuring politics: historical institutionalism in comparative analysis, Cambridge
University Press, 1992, pp. 1-32; THELEN K., “Historical institutionalism in comparative politics”, in Annual Review
of Political Science, Vol. 2, 1999, pp. 369- 404; SANDERS, E., “Historical institutionalism”, in RHODES, R.,
BINDER, S., et ROCKMAN, B., The Oxford handbook of political institutions, Oxford University Press, 2008, pp. 39-
55.
134
sentier1 » (path dependence). Pour ce faire, les outils d’inférence causale et de comparaison utilisés
tendront à être davantage d’ordre qualitatif.
En nous limitant volontairement à l’analyse des « résultats » formation et maintien/ dissolution
des gouvernements de coalition, nous nous arrêterons sur les configurations historiques et
culturelles des systèmes de parti et des systèmes de gouvernement, sur la pratique gouvernementale
et les relations entre les différents acteurs politiques, des trois pays formant notre terrain d’étude.
Dès lors, nous porterons un intérêt particulier sur l’historicité des relations interpartisanes, et les
éléments de culture gouvernementale qui ont façonné la pratique gouvernementale de l’Argentine,
du Chili et de l’Uruguay. Ainsi, nous soutenons que la dimension inertielle et reproductive de
formations de coalitions, est venue former un « savoir-faire coalitionnaire » au Chili et en Uruguay,
à l’opposé en Argentine, la logique confrontationnelle a été davantage de mise. De plus, à l’inverse
des arguments juridico-institutionnalistes classiques « à la Duverger », nous défendons ici que les
acteurs ont un rôle actif sur la création institutionnelle. En conséquence, ce sont les configurations
contextuelles et relationnelles des acteurs décideurs qui contribuent à la création et au façonnement
des institutions, en fonction des différents objectifs recherchés (perpétuation, renforcement, etc.).
2.2.1. Trajectoire historique des partis et systèmes de partis Argentin, Chilien et
Uruguayen.
L’un des aspects commun les plus marquants propre aux systèmes partisans du Cône Sud, est la
visibilité et le maintien durable des différents organes de représentation politique. Aussi, selon
Francklin et Mackie, « la formation d'une coalition gouvernementale devrait être considérée
comme faisant partie d'une séquence d'événements historiques dans lesquels l'expérience passée
joue un rôle important »2. Cela suppose que si nous voulons considérer les coalitions partisanes,
quant à leur formation et structuration, nous devrions prendre en considération les aspects de
« culture » sur deux niveaux : i) habitus relationnel du système partisan ; et ii) les cultures
politiques et les trajectoires des partis concernés3. Cela ne suppose pas pour autant que nous
adoptions une approche « culturaliste » pour comprendre les phénomènes et les évolutions des
1 PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science Review,
Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267 2 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary
democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, p. 276 3 Nous allons ici dans le sens de Serge Berstein quant à la double signification du concept de culture rapporté au
systèmes de représentation. Voir BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue
d''histoire, Vol. 35, No. 1, 1992, pp. 67 – 77.
135
pratiques des différents auteurs, mais que nous reconnaissions à la pratique d’un phénomène et sa
routinisation, au sein d’un système signifié de valeurs et de représentation, un caractère
contraignant et répliquant1, au même titre que les institutions. Afin de nous doter d’un cadre
contextuel de compréhension, nous reprendrons la typologie de Jordi Matas2, pour la qualification
des systèmes de partis quant à leur capacité collaborative, classés comme suit : a) consensuel; b)
concurrent; c) inconsolidé ; et d) conflictuel.
Nous avons noté, ainsi, que les principales structures partisanes des pays du Cône Sud ont su
maintenir leur présence sur la sphère politique, sur une période particulièrement longue, et ont su
entre autres réapparaître et se placer comme les acteurs principaux des processus de transition à la
démocratie des années 19803. Il est intéressant de noter une éventuelle évolution dans la culture
collaborative des partis politiques, de faire un parallèle entre la période pré-autoritaire et la période
post-autoritaire. Nous observons ainsi deux cas de figure, l’Uruguay et le Chili, qui ont convergé
vers une pacification des relations interpartisanes, là où l’Argentine a connu plusieurs étapes de
structuration relationnelle de son système de partis, faisant penser à une consolidation incomplète
du système dans son ensemble.
a. La structuration de la polyarchie uruguayenne
La longue stabilité politique et démocratique uruguayenne repose sur une pacification entre les
différents acteurs politiques et sur l'accession précoce mais progressive vers un système de
représentation polyarchique4. Le fonctionnement de la démocratie uruguayenne, constitue en
raison de sa trajectoire, depuis le début du XXe siècle, une des rares exceptions de système
présidentiel stable en Amérique latine. Et, si le système politique uruguayen s'est établi rapidement
en polyarchie, c’est par l’action active et collaborative des deux partis « traditionnels » – le Partido
Colorado (PC) et le Partido Nacional (PN)- lesquels ont joué un rôle crucial dans le façonnement
de la culture politique uruguayenne, où à une large représentation politique correspond une offre
1 D’où le caractère ambivalent de la notion de « culture », et son application à la science politique, sans la recherche de
modélisation propre au courant behaviouriste. Voir CUCHE, D., La notion de culture dans les sciences sociales, La
Découverte, Paris, 2010 [1996]. Voir également GEERTZ, C., La interpretación de las culturas, Gedisa, Barcelone,
2010 [1973]. 2 MATAS, J., Coaliciones Políticas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000,
typologie tirée de SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973 ; et SARTORI, G., Parties and
party system, ECPR- Oxford University Press, 2006 [1976]. 3 Voir CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el autoritarismo y las
transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989. 4 Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay: una partidocracia de consenso”, in Política.
Vol. 42, 2004, pp. 221-248.
136
politique plurielle, et potentiellement alternative1. Le bipartisme a constitué en Uruguay, peut-être
plus qu'ailleurs dans le monde, le socle de sa démocratisation précoce, et le principal trait de son
système politique d'une période s'étalant du XIXe siècle à 1971. En tant que contemporains à
l'indépendance du pays et principaux acteurs des différents troubles politiques du pays2, les deux
partis ont jeté les bases de la polyarchie uruguayenne en mettant fin à la longue période d'instabilité
politique qu'a connu le pays, bien que la Constitution de 18303 ne prévoyait pas l'existence de partis
politiques. Les deux partis adoptent le principe de l'arbitrage électoral comme moyen de régulation
de leurs différents dès 1904, puis officiellement avec l'adoption de la Constitution de 1918, ils
initient ainsi leur institutionnalisation et la pacification du pays, renonçant ainsi –définitivement- au
soulèvement armé. PC et PN vont également tirer profit du faible degré d'implantation et de la
faible capacité de mobilisation des autres institutions (Eglise, Armée, et dans une moindre mesure
les syndicats, etc.), pour canaliser les demandes citoyennes, et contrôler à les ressources de l’Etat.
Colorados et blancos vont rapidement s'installer à la tête de l'appareil étatique4, et la nature et
forme de leurs relations vont être à la base de l'élaboration des politiques publiques ainsi que de
l'édification et évolution de l'État providence, dès 1918. Le caractère central des partis politiques,
en tant qu'acteurs hégémoniques de la vie sociopolitique uruguayenne, a conduit de nombreux
historiens et politistes à qualifier le pays de « partitocratie », en se référant au fonctionnement de la
société uruguayenne au rôle-clé des partis comme agents de stabilité politique et démocratique5.
Afin de maintenir leur prépondérance et leurs caractéristiques plurielles et hétérogènes, les partis
vont adopter un système électoral et de gouvernement particulier. En ce sens, la plupart des travaux
concordent pour affirmer que le système de parti et le système électoral y forment « les deux faces
d'une même médaille6 ». Ainsi, le système électoral et le système de partis uruguayen, s'établissent
dans une relation proche de la métaphore de l'œuf et la poule. Bien qu'il ne soit pas question de
1DAHL, R. La Poliarquía: Participación y Oposición, Tecnos, Madrid, 2002 [1971].
2Le Parti Colorado et le Parti Nacional (ou « Blanco »), se sont formés dès l'indépendance du pays, représentant pour le
premier l'élite intellectuelle de Montevideo et des centres urbains en général, s’opposant aux intérêts des grands
propriétaires terriens de l'intérieur du pays représentés par les blancos. Ces conflits ont également, à leur origine, pour
toile de fonds des conflits entre puissances étrangères. Ainsi, les Colorados étaient soutenus par la France, la Grande
Bretagne et les « unitaristes » Argentins, alors que les Blancos étaient alliés avec le gouvernement des Provinces Unies
(Argentine) du General de Rosas. Le nom de Blancos et Colorados a pour origine la bataille de la Carpintería, et leur
vient des couleurs qu'arboraient chacune des bandes opposées (blanche contre bleu ciel puis rouge). 3Instaurant l'indépendance du pays.
4LUNA, J.P., et ALEGRE, P., “¿Un callejón sin salida? Trayectorias políticas y alternativas de reforma en Uruguay”, in
Prisma, No. 21, Montevideo, 2005, pp 195-212 5On le voit, ce concept est assez éloigné du concept péjoratif de partitocrazia de Sartori, op. cit., mais il reste assez
proche du concept de parti-cartel de Richard Katz et Peter Mair. Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D.. op. cit. 6 MOREIRA C., “las vísperas del cambio: el triunfo de la izquierda y la reinserción del Uruguay en la región”, in
Análise de Conjuntura OPSA, n°1, 2004.
137
déterminer clairement lequel précède l'autre1, il est cependant évident que le système électoral de
double vote simultané (DVS) a particulièrement contribué à façonner l'organisation bipartisane de
la compétition politique uruguayenne, ainsi qu'à la consolidation de la partitocratie, du fait du
maintien du pluralisme à l'intérieur-même des partis. En effet, le vote s'effectuait en Uruguay
jusqu'en 1999, de manière simultanée pour toutes les instances de pouvoir nationales et locales, sur
un complexe mécanisme complexe sur plusieurs niveaux2. Suivant le principe de l'entonnoir,
l'électeur choisissait d'abord le parti qu'il préférait, puis le candidat du sublema qu'il préférait à
l'intérieur-même du parti. Les voix des sublemas s'additionnant, était ainsi élu le candidat du
sublema le plus voté appartenant au parti arrivé en tête3.
L’organisation représentative de l’exécutif uruguayen a influée de manière déterminante sur la
structuration du caractère coopératif des partis. La constitution de 1918 prévoyait la bicéphalité du
pouvoir exécutif; le Président élu au suffrage universel (masculin) direct, partageait son pouvoir
avec le Conseil National d'Administration, entité autonome, également élue au suffrage universel
direct et composé de neuf membres dont un tiers provient de l'opposition. Ce système était similaire
au proporz autrichien d’après-guerre, et fut marqué par des pesanteurs institutionnelles, lesquelles
vont justifier le coup d’Etat de Gabriel Terra en 1933. Au recouvrement de la démocratie pluraliste,
en 1942 par le biais du « bon » coup d'État d'Amézaga, correspond une nouvelle phase dans
l'historicité politique du pays. Cette période est marquée par deux changements de systèmes
politiques, fruit d'accords et de désaccords entre les deux grands partis, et tour à tour le CNA puis la
figure du président vont être supprimés de l'exécutif. En 1952, le système uruguayen adopte en
effet un système de représentation, le Conseil National de Gouvernement (CNG), inspiré du modèle
Suisse et prévoyant la collégialité et la présidence tournante du gouvernement. Ce système est à la
base de l'adoption de réflexes consensuels par le biais de mécanismes transversaux de collaboration
entre gouvernement et opposition, et le compromis d'une parti de celle-ci à collaborer avec le
gouvernement. De par sa composition, le CNG impose que majorité (six membres) et opposition (3
membres) travaillent ensemble au sein du gouvernement et à l'assemblée.
1 De manière formelle, le bipartisme précède le système électoral, puisque ceux-ci apparaissent quasiment dès
l'indépendance du pays, cependant la démocratisation et l'accès à la polyarchie ne seront réellement effectives qu’en
1918, soit huit ans après l'établissement du principe électoral de Double Vote Simultané (1910). 2 Comme le montre Buquet, pour les élections législatives il s'agit plutôt d'un « triple vote simultané », chaque fraction
de parti pouvant ainsi présenter plusieurs candidats répartis en différentes listes. Voir BUQUET, D., « El doble voto
simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 317-339. 3 Exemple théorique de fonctionnement du DVS : Parti X: 48%, candidat a) 15%, candidat b) 20%, candidat c) 13%/
Parti Y: 42%, candidat a) 30%, candidat b) 12% ; résultat : est élu le candidat b du parti X.
138
Néanmoins l'abandon définitif du pouvoir exécutif collégial en 19671, et l'incapacité marquée
des deux partis à juguler la crise du modèle social va conduire à une distanciation progressive de la
société uruguayenne avec ses partis traditionnels et la politique dans son ensemble; et conduire à
l'apparition du mouvement « foquiste » Tupamaro, ainsi qu’à la structuration des « partis d'idées »
autour d'un front de gauche coalisé, le Frente Amplio. Cette combinaison d'événements conduit à
une polarisation dramatique -certes déséquilibrée- de la politique et de la société uruguayenne et
débouche sur le coup d'État de 1973, qui met fin à cette période de 30 ans2.
b. La formation de la compétition polit ique chilienne
Le système de partis chilien a connu davantage d’évolutions et de changements en termes
d’acteurs et d’organisation politique du système. Ainsi, le Chili a connu une période relativement
courte de troubles postindépendance, en comparaison avec les autres pays de la région. L’absence
d’alternative ou d’opposition contestant la domination du « centre » capitalien, a fait que la
compétition politique s’est structuré et « cristallisé » autour de deux partis antagonistes. Le système
de partis devient rapidement multipartite, et se trouve marqué par la présence d’un « parti du
centre » particulièrement fort, incarné dans un premier temps par les libéraux, puis les radicaux et
enfin, depuis les années 1950 jusque 1970, la démocratie chrétienne3. De manière comparable à la
démocratie uruguayenne, les partis ont constitué la « colonne vertébrale » de la société chilienne4.
Le caractère multipartite du système de parti chilien s’est structuré originellement dans une
forme oligarchique et excluante, avant que l’accession au suffrage universel ne conduise à
l’apparition et au développement de partis ouvriers, transformant le système de partis en un système
« ouvert » et compétitif, avec des partis exerçant leur fonction de représentation des différents
secteurs et classes de la société5. A l’inverse de la plupart des pays de la région, le système de partis
chilien n’a pas laissé de place à la formation d’un parti d’Etat ou d’un parti de l’Etat. Parallèlement,
et contrairement au cas uruguayen, le système de partis chilien se crée dans un climat institutionnel
où l’Église -et dans une moindre mesure l’armée- dispose d’un prestige et d’un pouvoir
1 Au profit d’une configuration présidentielle personnelle, plus classique.
2 Renée Fregosi avance ainsi que c’est l’émergence du Frente Amplio qui, en bouleversant l’ordre bipartite en vigueur
jusqu’alors, aurait été la principale cause de l’autogolpe civico-militaire du président Juan María Bordaberry, en juin
1973. En effet, l’auteure montre que l’argument de la menace interne, en 1973, n’était plus valide puisque le
mouvement Tupamaro avait été évincé dès 1962. Voir FREGOSI R., « La déconstruction du bipartisme en Argentine,
au Paraguay et en Uruguay » in BLANQUER, J.M., et al., Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des
Amériques, Paris 2003, pp. 127- 136. 3 SCULLY, T., Los partidos de centro y la evolución política chilena, Cieplán, Santiago, 1992.
4 GARRETON, M.A., Reconstruir la Política: Transiciones y consolidación democrática en Chile, Editorial Andante,
Santiago, 1987. 5 BOENINGER, E., Políticas Publicas en Democracia, Cieplan, Santiago, 2008.
139
particulièrement lié au fonctionnement de l’État1. Une des caractéristiques organiques de ce
système est la centralité du caractère courantiste et idéologique des partis et sa dimension
universalisante. La compétition politique au Chili est, en effet, traditionnellement orientée et
structurée sur des bases idéologiques et programmatiques2. Or cette formation originelle du système
de partis, ordonnée de manière bipolaire (entendu autour d’un centre fort) à tendance polarisante, a
conduit, à certaines reprises, à une polarisation de fait de tout le système, dont les deux grandes
ruptures sont la courte guerre civile de janvier à août 1891 et surtout le coup d’État de 19733. Pour
autant il est difficile de parler de « cycles d’instabilité », tant le régime démocratique est demeuré
stable4 du fait, entre autres, de la culture institutionnelle du pays.
Notons que malgré cette culture institutionnelle de la société chilienne, le système politique a
connu trois types d’impulsion depuis le XIXe siècle, à savoir une série de changements profonds de
gouvernance et une tendance à la stabilité sur le long terme5. Changements, puisque le système
politique a connu trois alternances de régime politique. En effet, le système présidentiel en place
jusque la présidence de Balmaceda, bien qu’inspiré du modèle nord-américain, fut un système
hégémoniquement présidentiel et dominé par trois partis : le Parti conservateur, le Parti libéral et le
Parti radical, organisés autour d’une compétition politique dont la ligne de démarcation tournait
autour du débat sur l’autonomie de l’Eglise Catholique vis-à-vis de l’Etat. Le Parti libéral était pr
ailleurs l’acteur central du système jusque 1891.
Par la suite, un changement à 180 degrés s’est opéré lorsque le Congrès, institution ayant
conduit et gagné la guerre civile de 1891, s’est mis à dominer la sphère politique chilienne. Le Chili
est d’ailleurs régulièrement présenté comme le seul pays de la région a avoir connu un régime
parlementaire6. L’interprétation informelle de la Constitution établissait que l’exécutif devait
compter avec une majorité parlementaire, pour éviter ainsi toute confrontation entre les différentes
branches du pouvoir. C’est d’ailleurs à cette époque que s’installe la compétition multipartisane, et
le recours massif aux alliances partisanes. Ce système couplé à une loi électorale « accumulative »,
favorisait la formation de coalitions électorales et législatives qui dominaient l’exécutif. Toutefois,
1 VALENZUELA, S., “Orígenes y transformaciones del sistemade partidos en chile”, in Revista de Estudios Políticos,
Vol. 58, 1995, pp. 5-80. 2 Voir infra chapitre 3.
3 MOULIAN, T., « El sistema de partidos en Chile », in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., El asedio a la
política, Homo Sapiens – Konrad Adenauer, Rosário, 2003, pp. 241-257. 4 Le pays compte notamment une « culture démocratique » pratiquement aussi stable et longue que celle de la plupart
des démocraties « consolidées » d’Europe, dont la France. 5 ALCANTARA, M., « Chile », in ALCANTARA, M., Sistemas políticos de América Latina, Tecnos, Madrid, 2003,
pp. 141-194. 6 Même si dans les faits, la constitution de 1833 n’a pas été altérée, mais plutôt réinterprétée. Une chose est sûre, les
prérogatives du président, entre 1891 et 1925 ont été particulièrement affectées et remises entre les mains du ministre
de l’intérieur, lequel officiait de « premier ministre ».
140
les partis ne fonctionnaient jusque dans les années 1920, que comme des courants de pensée, où les
législateurs opéraient de manière relativement autonome, sans attachement électoral fort1.
En 1925, face à l’apathie du système parlementarisé, le Chili connaît une nouvelle interruption
démocratique éclaire, visant à rétablir le caractère présidentiel du système politique, et adoptant une
nouvelle constitution. Cette configuration a été marquée, notamment, par l’accession au droit de
vote universel masculin et conséquemment l’apparition des partis d’idéologie, essentiellement
« ouvriers » et urbains. C’est à cette période que se « structure » et s’institutionnalise le système de
partis sur une base tripolaire (droite, centre, gauche), où le parti du centre (le Parti Radical jusque
1958), vient occuper un rôle majeur, aussi bien dans le débat idéologique que comme « faiseur de
président »2. C’est également là que se structure la démocratie de partis au niveau urbain, puis dans
les années 1950 à l’ensemble du territoire avec l’accession de la Démocratie chrétienne comme
parti de centre alternatif, d’orientation progressiste inspirée notamment par les thèses sur la
« nouvelle chrétienté » de Jacques Maritain et avec une base électorale conformée par les
travailleurs ruraux. Cette nouvelle configuration couplée à une posture intransigeante et non
collaborative (« camino propio »), va conduire à tendre encore plus le système partisan chilien.
L’élection de Salvador Allende, en 1970, vient polariser à la fois le système de partis et la société
chilienne, en raison de l’augmentation des relations conflictuelles avec l’opposition et surtout avec
d’autres organes institutionnels politiques non partisans (l’Eglise et l’armée). Le contexte
international aidant, sans oublier l’intervention extérieure des Etats-Unis et la pression des
mouvements de gauche révolutionnaire à la gauche d’Allende, la traditionnelle tendance polarisante
du système de partis chilien, a atteint un point de non retour en 1973.
c. La lente structuration des partis en Argentine
Le cas argentin est relativement différent des deux précédents en ce sens que les partis n’ont
joué qu’un rôle alternatif dans la conduction de l’Etat jusque 1983, conduisant à une
institutionnalisation incomplète du système de partis et de la pratique démocratique, ainsi qu’en
alimentant une relation conflictuelle entre les partis eux-mêmes et les autres corps institutionnels.
En effet, malgré l’adoption d’une constitution en 18533, le pays a vibré pratiquement tout au long
du XIXe siècle, de l’indépendance en 1810 à la fédéralisation de Buenos Aires en 1880, au gré de
1 Ce type de configuration, serait à mi-chemin, entre le premier degré de représentation ( le parlementarisme) et le
second (la démocratie de partis), tel que décrit par Bernard Manin. MANIN, B., Principes du Gouvernement
Représentatif, Flammarion, Paris, 1996 [1995], pp. 247-303. 2 ADLER LOMITZ, L., et MELNICK, A., La cultura politica chilena y los partidos de centro, Fondo de Cultura
Economica, Santiago, 1998; SCULLY, T., op. cit. 3 Constitution qui malgré quelques retouches est toujours en vigueur aujourd’hui, ce qui en fait la seconde constitution
la plus ancienne du monde, après la constitution Etatsunienne.
141
soulèvements armés et conflits opposants fédéralistes et centralisateurs, et expansion territoriale. A
partir de cette date, la politique Argentine se stabilise et s’organise autour du Partido Autonomista
Nacional (PAN), organe politique de ce qui est appelé « l’ordre oligarchique ». La structuration et
le positionnement de ce parti, qui en fin de compte n’est autre qu’un club de notables ou caudillos
plus ou moins éclairés1 et composé de nombreuses fractions internes, est un paradigme de la
conception partisane argentine d’incarnation et d’aspiration nationale2. Le parti représente la nation,
la nation et le parti ne faisant qu’un. Ainsi, le président Juárez Celman avance lors du discours
d’inauguration parlementaire en 1889 : « Il n’y a d’autre parti que le Partido Autonomista
Nacional, auquel appartiennent les majorités parlementaires et tous les gouvernements de la
Nation et de ses Etats ».
L’ordre oligarchique s’est maintenu pendant plus de trois décennies, mais la pression montante
pour davantage de représentativité et l’incorporation du contingent d’immigrés comme citoyens
argentins, a conduit à ce qu’explosent de nombreux mouvements violents de contestation, en 1890,
1893, 1905 et 1912. Tous furent réprimés durement, mais cela a entraîné l’apparition et la
structuration d’un mouvement politique alternatif, se réclamant révolutionnaire3, anti-système, et
originellement anti-personnaliste : l’Unión Cívica Radical (UCR). C’est la loi Saenz Peña
instaurant le vote universel masculin, en 1912, qui ouvre la voie quatre ans plus tard à l’accession
de l’UCR, dirigée par Hipólito Yrigoyen, à la présidence et la désintégration du PAN, de l’ordre
oligarchique et de tout mouvement conservateur structuré. Dès lors, l’absence volontaire de
programme et d’idéologie, le caractère mouvementiste de l’UCR, la forme de leadership du
président Yrigoyen et l’absence d’opposition organisée ont caractérisé le positionnement
représentatif et organisationnel de l’UCR. Ainsi, le radicalisme se pose comme le représentant du
tout, c’est-à-dire comme le représentant de la nation argentine, confondant la cause avec la Nation,
avec un discours manichéen où les « ennemis » de la cause seraient par définition les ennemis du
régime et de la nation argentine4.
1 CORNBLIT, O., GALLO, E., et O’CONNELL, A., “La generación del 80 y su proyecto: antecedentes y
consecuencias”, in Desarrollo Económico, Vol. 1, No. 4, 1962, pp. 5-46; BOTANA, N., El orden conservador. La
política Argentina entre 1880 y 1916, Sudamericana, Buenos Aires, 1994 [1977]; ALONSO, P.,“La política nacional
entre 1880 y 1886 a través del Partido Autonomista Nacional”, Documento de Trabajo Universidad San Andrés, No.
26, 2002. 2 PUIGGROS, R., Historia crítica de los partidos políticos argentinos, Hyspamérica, Buenos Aires, 1986.
3 Comme principal mouvement organisateur et artificier de ces soulèvements populaires, dont le plus emblématique est
la “Révolution du parque” en juillet 1890. 4 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo
Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, pp. 659-682; DI TELLA, T., Los partidos politicos, A-Z Editora, Buenos Aires,
1998; ROCK, D., Politics in Argentina. 1890-1930: The rise and fall of radicalism, Cambridge University Press, 1975;
MUSTAPIC, A. M., “Conflictos institucionales durante el primer gobierno radical: 1916-1922”, in Desarrollo
Económico, Vol. 24, No. 93, 1984, pp. 85-108.
142
Les trois élections de suite, remportées par l’UCR, constituent la première expérience
démocratique du pays, mais cette étape sera interrompue en 1930 par le premier d’une longue liste
de coups d’Etat. Ainsi, ce qui avait fait la force de l’UCR face au régime oligarchique, constitue
également sa faiblesse. Sa dépendance à l’Etat, son incarnation de la Nation et l’atomisation
politique de l’opposition conservatrice, à l’inverse de ce qui s’est passé à pareille époque au Chili et
en Uruguay, replace les militaires comme acteurs centraux de l’histoire politique argentine
moderne1. De plus, le caractère mouvementiste et l’absence d’une plateforme programmatique
claire conduisent à la fractionnalisation de l’UCR, affaiblissant l’influence de celle-ci face aux
militaires.
L’apparition du péronisme, des suites d’un nouveau coup d’État en 1943, et sa propulsion
électorale en 1946, ne rééquilibre pas la sphère politique argentine. En effet, le Parti Justicialiste
qui s’appui sur le monde ouvrier et sur une fraction sécessionniste de radicaux, reprend et pousse à
l’extrême les caractéristiques mouvementistes de l’UCR2, avec une dimension personnaliste et
charismatique accrue. Cette dernière, pour se différencier du PJ, se dote alors pour la première fois
d’un programme. Mais l’expérience tourne court, puisqu’en 1955, un nouveau coup d’Etat
interrompt la structuration de la démocratie argentine. Celle-ci connaît alors des phases de
démocratie « protégée » où, si les fractions radicales gagnent les élections par deux fois et
gouvernent, ce n’est que parce que le PJ est privé de toute compétition politique et toute exercice de
représentation, son leader se trouvant en Espagne. Ces deux gouvernements sont tour à tour demis
par de nouveaux coups d’Etat. En pratique, entre 1930 et 1976 aucun gouvernement
démocratiquement élu n’est parvenu à terminer son mandat. La restauration de 1973, qui prévoyait
la réintroduction du PJ à la compétition politique, la victoire de celui-ci et le retour de Perón, ne
dure finalement qu’un an et demi, puisque dès la mort en fonction de Perón, l’instabilité et la
violence politique ressurgissent et débouchent sur un nouveau coup d’Etat en 1976, qui met en
évidence la fragilité des partis argentin dans leur capacité à canaliser les mouvements sociaux3.
Ainsi, la forte polarisation de la politique argentine, son fort degré de conflictualité, l’absence de
cohésion interne aux partis et surtout leur organisation et position excluante, ont conduit à une
politisation aiguë de la part d’institutions extra-partisanes, dont les forces armées vont être le
principal acteur. La litanie de coup d’Etats et de restauration sous conditions ont conduit à ce que
1 ROUQUIE, A., Pouvoir militaire et societe politique en republique Argentine, Fondation Nationale des Sciences
Politiques, Paris, 1978. De fait, le coup d’Etat de 1930 qui ouvre une période de dix ans appellée « la restauration
conservatrice », marque une poussée des éléments réactionnaires d’ancien régime. 2 MUSTAPIC, A., “Del partido peronista al partido justicialista. Las transformaciones de un partido carismático”, in
CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp. 137-162; BOTANA, N., Poder y Hegemonía, Emecé, Buenos
Aires, 2006. 3 DE RIZ, L., op. cit
143
les principaux partis –l’UCR et le PJ- ne parviennent à se structurer ni à s’institutionnaliser du fait
de l’absence de construction des repères politiques durables autres que ceux de leurs contextes
d’origine respectifs1. D’ailleurs, les seuls moments où le bipartisme argentin s’est exprimé et
organisé de manière polyarchique ce fut lors des élections de 1946 et de 1973. Pour toutes les
autres élections le PJ a été interdit de se présenter, cette incapacité recevant par à-coups le soutien
de fractions de l’UCR. Or, si les partis ont su survivre à leur fondateur ou à leur personnalité la plus
importante, ils ne se sont pas constitué d’identité programmatique solide, mais plutôt des
« clientèles » plus (PJ) ou moins (UCR) captives et réceptives, le pluralisme étant la règle à
l’intérieur de chacun des partis. De la sorte, le système de parti se cristallise, autour de ces deux
partis non-institutionnalisés et qui n’ont jamais pu rendre de comptes politiques, jusqu’au
recouvrement de la démocratie en 19832.
2.2.2 Partis hégémoniques, partis excluants et partis de la nation
La précédente sous partie vient d’analyser les conditions d’origines propres à la formation et la
structuration des trois systèmes de partis du cône sud jusqu’aux coups d’État des années 1970, leurs
stabilités respectives et leur cultures relationnelles internes (entre les différents partis) et externes
(avec les autres institutions). En effet, il s’agit de trois configurations différentes avec un système
bipartite (Uruguay), un système multipartite à tendance polarisante autours de « blocs »
idéologiques (Chili), et un système bipartite non consolidé (Argentine). Nous avons également
esquissé quelques tendances d’organisation qui vont au-delà du simple « comptage » des partis.
Ainsi, dans les cas argentin et uruguayen nous avons observé une tendance à la superposition des
intérêts d’un parti avec ceux de l’État, et la création d’appareils partisan de et depuis l’État,
particulièrement en Argentine. Au Chili nous avons vu plutôt l’exacerbation du centre comme
pierre angulaire de la compétition partisane.
Bien que présentant une configuration bipartite semblable à la quasi totalité de l'Amérique latine
du début du XXe siècle, le pluralisme en Uruguay, se présente de manière très éclaté à l'intérieur
même des partis politiques, comme conséquence du système électoral de double vote simultané
(DVS) et présentant une forme de « fractionnalisation organisée »3. Ainsi, le centre de gravité des
1 ABAL MEDINA, J., et SUAREZ CAO, J., “La competencia partidária em La Argentina: Sus implicancias sobre el
régmen democratico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp.163-185. 2 LEIRAS, M., “Organización partidaria y democracia: tres tesis de los estudios comparativos y su aplicación a los
partidos en la Argentina”, in Revista SAAP, Vol. 1, No. 3, 2004, pp. 515-560; DE RIZ, “La Argentina de Alfonsín: La
renovación de los partidos y el parlamento”, in Documentos CEDES, No. 19, 1989 3 ALCÁNTARA, M., “Uruguay”, in ALCÁNTARA, M., 2003, op. cit.
144
partis politiques, tourne autour de la relation entre ces mêmes fractions institutionnalisées -appelées
sublemas1- formés autour de courants idéologiques et/ou de logiques de fidélité de type clientélaire
auprès d’un caudillo. Mais contrairement à ce que certains politistes ont pu théoriser, ces fractions
internes sont le résultat et la conséquence du fort degré d'institutionnalisation du système de partis2.
L’apparition fugace de partis tiers, jusqu’en 1971, n’est le fait que de la scission de quelques lemas
blancos ou colorados avec leur parti d’origine, et ne représente que des événements ponctuels.
Toutefois, de 1918 jusque 1958, en excluant les courtes interruptions démocratiques de 1933 et
1942, le Partido Colorado fort de l'héritage de Batlle y Ordóñez s'érige comme le principal parti de
la scène politique uruguayenne en remportant toutes les élections. Certains associent ainsi le parti à
l’État, d’où il tire son capital économique et sa capacité clientélaire3. Pour autant, cette
configuration politique ne correspond pas à la situation de « parti prédominant » décrite par
Giovanni Sartori4. En effet pour être considéré ainsi, un système de parti doit présenter: a) un
système de parti prédominant et hégémonique, b) aucune alternance dans la représentation politique
(notamment parmi les élites politiques) et c) une très faible voire pas de compétition politique5.
Mais, comme le soulignent Gerardo Caetano et José Rilla, et Jorge Lanzaro6, la disposition
bicéphale puis collégiale du pouvoir exécutif de 1918 à 1933 et de 1952 à 1967, et la nécessité
constitutionnelle de formation de co-gouvernements polyarchique et collégiaux7, ont fait que ni le
PC ne puisse gouverner de manière hégémonique, ni le PN ne soit écarté du pouvoir. Pour autant la
première véritable alternative gouvernementale de l'histoire démocratique du pays, a lieu en 1958
avec la victoire du PN aux élections générales. Par la suite et jusque 1973, la compétition électorale
s'intensifie, les deux partis se partageant équitablement le pouvoir. Le caractère fractionnalisé des
1 Les sublemas constituent des subdivisions des partis, institutionnalisés et semi-autonomes, ayant parfois joué un rôle
de défiance au parti (généralement quand celui-ci était au pouvoir), ou même en sortant du parti pour en former ou en
rejoindre un autre (exemple notable de l'Encuentro Progresista récemment, comme lema sorti du PN et parti rejoindre le
FA). Ainsi il est important de bien distinguer ces lemas, ou fractions, considérés de manière indistincte et comme
synonymes, plutôt que courants ou factions nettement moins structurés. Pour une distinction voir ROSE, "Parties,
Factions and Tendencies in Britain", in Political Studies, Vol. 12, No. 1, 1964, pp. 33-46 ; et SARTORI, G., op. cit. 2 Daniel Buquet montre que les divisions internes des sublemas se sont traditionnellement articulées autour de deux
blocs, au sein de chaque parti, répondant grosso modo à l'opposition progressistes/ conservateurs. BUQUET, D.,
«Elecciones uruguayas 2004: el largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana Nordic Journal of
Latin American and Caribbean Studies, Vol. 34, No.1-2, 2004, pp. 65-95. 3 Voir MOREIRA, C., Final de juego, Trilce, Montvideo, 2004. De plus, dans un entretien réalisé avec le prosecrétaire
au patrimoine historique du Partido Colorado (Prosecretario del Acervo Histórico del Partido Colorado), Ernesto
Castellano le 1er
juillet 2011, celui-ci avance que « en Uruguay il y avait traditionnellement un parti : le Partido
Nacional. Le Partido Colorado correspondant à l’Etat ». 4 Sartori lui-même décrit le système uruguayen pré 1973 comme de parti dominant. Voir SARTORI, G., op. cit.
5 A l'image du système Mexicain en vigueur jusqu'à l'élection de Vicente Fox au début des années 2000.
6 CAETANO, G., et RILLA, J., “Relaciones interpartidarias y gobierno en el Uruguay (1942-1973)”, in Revista
Uruguaya de Ciencia Política, n°8, 1995, pp. 15-34; et LANZARO, J., “Uruguay: las alternativas de un
presidencialismo pluralista”, in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina,
CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 283- 317. 7 LIJPHART, A., Democracies. Yale University Press: New Heaven, 1984.
145
partis est à prendre en compte. En effet, comme le souligne Luis González, l’étape postérieure à
1942, connue comme la seconde polyarchie uruguayenne1, est marquée par une intensification de la
compétition politique entre les partis et à l’intérieur de ceux-ci2. Avec l'accession des femmes au
droit de vote (1938), les deux grands partis ont connu un élargissement de leurs bases et une
atomisation interne. Cela a conduit notamment à la première alternance blanca en près de cent ans
de gouvernements dominés par les colorados. Puis entre 1958 et 1973 les deux grands partis se
partagent le pouvoir de manière équitable. Enfin, il est à noter, que depuis cette date et jusque 1999,
jamais la même fraction n'a été reconduite au pouvoir.
Bien que le Partido Colorado ait bénéficié depuis 1918 de la plupart des prébendes de l’Etat, les
logiques interpartisanes ont consisté en l'ouverture systématique vers les fractions du Partido
National, même si ces « ouvertures » politiques ne soient pas toujours politiquement nécessaires3.
Cette logique s’applique à toutes les sphères de l'État, depuis les collectivités locales jusqu'au
gouvernement central en passant par les entreprises publiques. En effet les partis ayant depuis le
début du XXe siècle intégré toutes les structures politiques et économiques, cette « colonisation »4
des appareils socio-économiques d'État s'intensifie au cours des années 1950, comme une
« cartellisation » ou corporatisation de la part des deux grands partis de maintenir leur caractère
central auprès de la société uruguayenne, alors que le modèle économique de substitution
d'importations entrait en crise. Cette période marque ainsi le début de la métamorphose des partis
uruguayens qui sera reproduite au cours des années 19905.
*
Le caractère hégémonique des partis argentins s’est manifesté et exprimé de manière beaucoup
plus radicale. En effet, nous avons remarqué précédemment leur caractère confrontationnel et
excluant. La politique argentine s’est construite depuis sa relation à l’Etat, et à l’accession à ses
prébendes, celui-ci constitue ainsi un espace privilégié et unique de médiation générant une grande
1 CAETANO, G., et RILLA, J., Historia contemporánea del Uruguay: De la Colonia al Mercosur, CLAEH/Fin de
Siglo, Montevideo, 1994; CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay…”.op. cit. 2 Les colorados ont toutefois obtenu entre 1942 et 1958 un nombre répété de majorités parlementaires de suite.
3 Ainsi, le PC, bien que majoritaire de 1942 à 1958 à constamment eu recours à l'ouverture avec des fractions proches
du PN. 4 LUNA, J.P, et ALEGRE, P., “¿Un callejón sin salida? Trayectorias políticas y alternativas de reforma en Uruguay”,
in Prisma, n°21, 2005, pp. 195-212 5 YAFFE, J., “Institucionalización y adaptación partidaria. El caso del Frente Amplio (Uruguay)”, communication
présentée lors du XII congrès de latinoaméricanistes espagnols “Viejas y nuevas alianzas entre América Latina y
España”, Septembre 2006. Pour le concept de cartellisation ou « parti cartel » voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing
models party organization and party democracy: The emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1,
1995, pp. 5-28, ainsi que l'ouvrage compilé par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A., Les systèmes de partis dans les
démocraties occidentales: Le modèle de parti-cartel en question, Les Presses de Sciences-Po, Paris, 2008
146
dépendance des mouvements et partis politiques1. La conquête du pouvoir n’est pas un but mais
une nécessité, d’où l’accession par tous les moyens aux prébendes de l’Etat2 en adoptant un
discours et une « identité hégémonique »3, consistant en une négation des autres forces politiques,
partisanes ou non. D’aucuns définiront ainsi le système de parti argentin comme « système à double
parti avec intention dominante 4», en raison de la structuration mouvante et personnaliste des partis,
propre à leur nature originelle. Ainsi, l’absence d’une idéologie et d’une clientèle politique propre,
est le fruit d’une faible institutionnalisation volontaire de la part des deux partis (l’UCR et le PJ),
dérivé de leur stratégie de désintermédiation avec la société Argentine.
Nous avons également noté la difficulté de parler d’un système de parti consolidé ou structuré.
Si certains avancent volontiers l’absence de système partisan dans l’Argentine pré-Alfonsín5, nous
allons plutôt dans le sens de Marcelo Cavarozzi qui défend que la faiblesse des partis ne signifie
pas l’absence de partis, ni l’absence de système de partis6. Ainsi, le système partisan argentin
depuis la chute de l’ordre oligarchique (1916) et surtout depuis l’émergence du PJ, repose sur une
culture politique telle que la conçoit Carl Schmitt, comme une confrontation constante avec
l’adversaire, lequel est hissé comme « ennemi » à éliminer. Cette culture politique conditionne les
relations entre les différents acteurs politiques, et limite de fait, de fait de sa polarisation,
l’accession de nouveaux acteurs. D’ailleurs si les partis sont organisés en mouvements
particulièrement hétérogènes7, la compétition à lieu à l’intérieur des partis plutôt qu’entre eux.
Cette absence de culture collaborative propre à l’ensemble du système partisan argentin8 et la
relation à l’Etat qui extrapole l’identification politique de l’électorat argentin par-dessus sa propre
auto-identification sociale, débouche sur des pratiques hégémoniques9. Si l’UCR s’organise et
1 LORENC VALCARCE, F., La crisis de la política en la Argentina, Fundación Octubre/ Ediciones de la Flor, Buenos
Aires, 1998. 2 McGUIRE, J., « Partidos políticos y democracia en la Argentina », in MAINWARING, S., et SCULLY, T., op. cit.,
pp. 163-201. 3 LACLAU, E., On Populist Reason, Verso, Londres/ New York, 2005.
4 GROSSI, M., et GRITTI, R., “Los partidos frente a una democracia difícil. La evolución del sistema partidario en la
Argentina”, in Crítica y Utopía, Nº 18, 1989. 5 GROSSI, M., et GRITTI, R , ibid ; DE RIZ, L., op. cit ; O’DONNELL, G., Modernización y autoritarismo, Paidós,
Buenos Aires, 1972. 6 CAVAROZZI, M., “El esquema partidario argentino: partidos viejos, sistema débil”, in CAVAROZZI, M., et
GARRETÓN, M., Muerte y resurrección… op. cit, pp. 299- 334. 7 L’UCR, particulièrement, est marqué par la division personnalistes (Yrigoyennistes)/ anti-personnalistes
(Alvearistes) ; puis Intransigeants (Balbinistes)/ Conciliants (Frondizzistes) vis-à-vis du PJ. Le PJ, jusque 1974 se
trouve moins divisé tant que demeure la figure de Perón, mais va dès 1974 et surtout après le retour à la démocratie,
faire montre d’une grande hétérogénéité. 8 María Matilde Ollier souligne en effet que la seule tentative –échouée- de formation de coalition, l’Unión
Democrɢtica, à lieu en 1946, entre l’ensemble des forces non-péronistes (pilotées par l’UCR) sur des bases
essentiellement “négatives”. Cette expérience va être un échec puisque Perón gagne les élections avec 52.4% des voix.
OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Economica, Buenos
Aires, 2001. 9 TOURAINE, A., Les Sociétés dépendantes : essais sur l’Amérique Latine, Duculot, Paris, 1976.
147
s’impose tout d’abord comme parti dominant de la scène politique argentine depuis 1916 jusque
1943, sans réel contrepoids politique, c’est l’avènement du PJ qui radicalise et institutionnalise la
culture hégémonique de la politique argentine. Le PJ en raison de son organisation populiste1
autour de la seule figure de Perón et l’appui constant de la puissante CGT, ce qui la converti de fait
en syndicat de l’Etat, « péronise » le système partisan argentin et la société argentine, en les
cristallisant autour de la dichotomie pro/ anti péroniste2. Le PJ se pose, alors, en référant de la
politique argentine, même lorsqu’il est interdit de participer aux élections de 1955 à 1973.
*
Ceci contraste particulièrement avec le cas chilien où, comme nous l’avons montré, les
principales caractéristiques sont l’absence de partis d’État et surtout une compétition multipartisane
structurée dès les années 1920-1930, qui se base sur la représentation de classes sociales3. Bien que
le système de parti chilien ait pu connaître des cas de polarisation extrême, notons néanmoins la
culture collaborative de ce même système de partis. Ainsi Samuel Valenzuela a montré que, depuis
1891, aucun gouvernement chilien n’a été monopartisan4, le système partisan se structurait alors
autour de « trois tiers » particulièrement équilibrés, représentant les trois « blocs » dominants5. Le
recours à la formation de coalitions constitue ainsi une constante de la culture gouvernementale
chilienne, facilité par le processus d’élection présidentielle où le vainqueur de l’élection se devait
d’être « ratifié » par le parlement6.
Nous avons noté cependant que les partis du centre ont bénéficié d’un rôle politique clef, ainsi
que d’une assise électorale centrale. Contrairement à ce qu’avançait Maurice Duverger, dans le
système partisan chilien considéré comme un système à l’Européenne, le centre y a occupé à la fois
une tendance et une force politique de premier plan. Dans ce cadre c’est tout d’abord le Parti
Radical (PR), originellement une fraction sécessionniste du Parti Libéral, qui occupe cette place
centrale. Il fut le principal parti du pays pendant vingt-neuf ans (1932-1961), avec une moyenne à
1 Pour une défintion claire et structurée du concept de populisme “classique”, voir TAGUIEF, P.A., L’illusion
populiste, Berg, Paris, 2002; TAGUIEF, P.A., « Le populisme et la science politique du mirage conceptuel aux vrais
problèmes », in Vingtièmes Siècle, No. 56, 1997, pp. 4-33 ; et WEYLAND, K., « Clarifying a contested concept:
Populism in the study of latin American politics », in Comparative Politics, Vol. 34, No. 1, 2001, pp. 1-22. 2 DE RIZ, L., op. cit. ; CASTIGLIONI, F., ABAL MEDINA, J., “Transformaciones recientes del sistema de partidos
argentino”, in MANZ, T., et ZUAZO, M., Partidos Politicos y representación en América latina, Nueva Sociedad,
Caracas, 1998, pp. 55-71 3 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the Political Arena, Princeton University Press, 1991.
4 VALENZUELA, S., op. cit.
5 Timothy Scully montre ainsi que chacun des trois « blocs », a toujours regrouppé entre un quart et un tiers des votes.
Voir SCULLY, T., « La Reconstitución de la Política de Partidos en Chile », in MAINWARING, S., et SCULLY, T.,
op. cit., pp. 83- 112. 6 Plus qu’un second tour, il s’agissait surtout d’une sorte d’adoubement ou « vote de confiance » otorgué par le
parlement, et où se dessinaient les alliances de soutien législatif et de formation gouvernementales.
148
20% des voix1, et a été de tous les gouvernements ou toutes les majorités de 1932 à 1964, excepté
le second gouvernement de Carlos Ibáñez del Campo (1952-1958), dans un contexte institutionnel
informel où le président devait recourir à une majorité parlementaire.
Cet élément est central pour comprendre l’évolution « des centres » chiliens. En effet, la culture
consensuelle du PR contribue à ce que celui-ci forme diverses coalitions2, comme parti-charnière -
à l’image des radicaux français sous les IIIe et IVe Républiques-, avec alternativement chacun des
pôles du système de parti. Suivant les circonstances, le PR alterne tour-à-tour les alliances et ses
partenaires : il appuie d’abord législativement conservateurs et libéraux (1932-1938). Il forme
ensuite le « Front Populaire », sous la présidence de Pedro Aguirre Cerda avec le soutien des
socialistes et communistes (1938-1941), puis l’Alliance Démocratique sous la présidence de Juan
Antonio Ríos, incluant pour la première fois dans l’histoire du pays des ministres communistes
(1942-1946). Enfin, il opère un virage à 180°, sous le président radical Gabriel Videla (1946-1952)
lorsque celui-ci promulgue, en 1948, la Loi de Défense Permanente de la Démocratie, inhabilitant
et interdisant le Parti communiste pourtant allié électoral, et renoue avec les conservateurs. Après
cette date le parti entre en décadence, et bien qu’il participe à nouveau à un gouvernement avec les
conservateurs et libéraux, sous la présidence de Jorge Alessandri3 (1958-1964), le parti se divise
rapidement en plusieurs factions qui s’éparpillent vers les différents pôles politiques. Le parti perd
alors sa position centrale au profit de la Démocratie Chrétienne (DC).
L’origine de celle-ci, est le fruit de la scission de deux fractions « progressistes » du Parti
Conservateur (la Phalange Nationale et le Parti Conservateur Social-chrétien). Son ascension est
due à la perte d’influence du Parti Conservateur au sein de l’électorat rural, déplacé par le
populisme tardif de la seconde présidence de Carlos Ibáñez del Campo (1952-1958) et le Parti
Agrarien Travailliste, lequel à son tour va s’effondrer, avec la disparition de son fondateur (Ibáñez
del Campo). Aussi, dès 1es élections parlementaires de 1957, la DC fait match nul avec le Parti
Conservateur, puis en 1958, le candidat démocrate chrétien arrive en troisième position (20,75),
derrière le candidat « indépendant » Jorge Alessandri, et le candidat du Front d’Action Populaire –
Salvador Allende. Le fondement idéologique du PDC, bien que se déclarant parti « non-
confessionnel », se base sur la doctrine sociale de l’Église (ou « socialisme chrétien »), comme
alternative au socialisme marxiste4, et sur la conception du « chemin propre »
5. D’un point de vue
fonctionnel, cela se traduit par une posture intransigeante et hégémonique, où le PDC adopte un
1 URZUA VALENZUELA, G., Historia politica electoral de Chile (1931-1973), Tamarcos-Van, Santiago, 1986.
2 ADLER LOMNITZ, L., et MELNICK, A., op. cit. ; SCULLY, T., 1996, op. cit.
3 Étiquetté « indépendant », bien que comptant avec le soutien formel des partis de droite et du PR.
4 HUNEEUS C., Chile un País dividido: la actualidad del pasado, Ed. Catalonia, Santiago, 2003
5 Que l’on pourrait traduire par « troisième voie ».
149
comportement non-coopératif, refusant catégoriquement de rejoindre d’autres alliances de partis qui
ne soient pas dirigées par lui-même1. Ainsi, jouant du contexte international de guerre froide, de la
menace de contagion de la révolution cubaine sur toute l’Amérique latine et d’un léger effet positif
dû à l’élargissement du suffrage universel aux femmes (dès 1948), le PDC « absorbe » des pans
entiers d’électorats traditionnellement conservateurs ou radicaux, et se pose dès 1963 comme le
principal parti du pays et le seul capable d’empêcher la victoire de Salvador Allende aux élections
de 19642.
Le comportement hégémonique du PDC se matérialise après les élections présidentielles de
1964, où le candidat du parti –Eduardo Frei Montalva-, est élu à la présidence. Bien que ce dernier
ne jouisse pas d’une majorité absolue au parlement, il décide de ne pas former de coalition
gouvernementale, en pariant sur des alliances législatives d’appoint en fonction de l’agenda. Cette
position conduit, ainsi, à un braquement des deux pôles (droite et gauche) vis-à-vis du PDC, malgré
l’adoption de politiques publiques particulièrement progressistes.
Enfin, cette même posture hégémonique se manifeste dans la position ambigüe du PDC, après
l’élection de Salvador Allende (1970-1973), et est marquée par des scissions internes dont la
création du MAPU (Movimiento de Acción Popular Unitaria, 1969) et l’Izquierda Cristiana (1971)
tous deux créant ou rejoignant l’Unidad Popular autour du Parti socialiste de Salvador Allende.
D’ailleurs, le PDC joue initialement un rôle neutre voire favorable au gouvernement Allende3, puis
il décide d’adopter une attitude confrontationnelle et de diriger une coalition électorale avec les
forces de droite4aux élections parlementaires de 1973 –la Confédération Démocratique,
ouvertement anti-Allende-, dans le but d’obtenir une majorité des deux-tiers pour pouvoir penser à
destituer constitutionnellement Allende. Le score de l’élection bien que favorable a la
Confédération Démocratique (54%), s’avère toutefois insuffisant pour ce dessein5. Face à la
polarisation grandissante, la DC abandonne sa position de contention et appuie une intervention
militaire contre le président, jugeant que la tradition institutionnaliste chilienne et l’absence de
culture interventionniste de l’armée conduiraient à un retour démocratique rapide.
1 YOCELEVZKY, R., Chile : partidos politicos, democracia y dictadura 1970-1990, Fondo de Cultura Economica,
Santiago, 2002. 2 VALENZUELA, S., op. cit. Cette absorbtion rapide (moins de 5 ans) va conduire Esteban Montes, Scott Mainwaring,
et Eugenio Ortega à statuer sur cette volatilité de l’électorat chilien, comme preuve d’une institution icomplète du
système de partis chilien. Voir MONTES, E., MAINWARING, S., et ORTEGA, E., “Rethinking the Chilean Party
Systems”, in Journal of Latin American Studies, Vol. 32, No. 3, 2000, pp. 795-824. 3 La DC refusa un « coup législatif » de la part de la droite, consistant en la « non-ratification » du candidat Allende
pourtant arrivé premier lors de l’élection présidentielle de 1970, au profit du candidat démocrate chrétien Radomiro
Tomic, arrivé second. Rappelons que la Constitution de 1925 stipulait qu’une sorte de « vote de confiance
parlementaire » venait ratifié le résultat des élections présidentielles. 4 Conservateurs et Libéraux ayant fusionné pour former le Partido Nacional en 1966.
5 VALENZUELA, S., op. cit.
150
2.2.3. Transition démocratique et impact sur les système s de partis
Nous avons vu les trajectoires politiques et institutionnelles des systèmes de partis de
l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay. Nous nous sommes arrêtés sur les particularités en termes de
culture politique des différents acteurs et la culture gouvernementale en vigueur dans chacun des
partis, de manière rétrospective. Arrêtons-nous, maintenant, sur la nature et le mode de transition
démocratique que ces trois pays ont expérimenté, au cours des années 1980. Nous considérons ainsi
le concept de transition démocratique, d’après la définition classique de la littérature sur les
transitions à la démocratie (communément appelée transitologie), à savoir l’intervalle temporel
entre le passage d’un régime autoritaire vers un régime démocratique1. Dit autrement, il s’agit du
moment où les militaires remettent le pouvoir à un gouvernement civil2. L’analyse centrale consiste
ainsi à établir le contexte et les modalités de remise du pouvoir. Celles-ci peuvent prendre diverses
formes, comme : i) des suites de l’effondrement du régime suite à une révolution pacifique ou
violente3 ; ii) des suites d’une intervention extérieure contre le régime militaire ou après une défaite
militaire du régime4; iii) au travers la tenue d’élections plus ou moins encadrée par le régime.
Nous ne nous arrêtons pas, pour l’heure, sur l’ensemble du processus historique de transition
(nous le ferons au prochain chapitre), mais plutôt sur la forme de la transition et son encadrement.
Nous soulignons ainsi que les trois pays ont expérimenté trois types de transitions distinctes,
lesquelles ont eu un impact direct sur les alignements et réalignements partisans et sur la
(re)structuration de la compétition partisane. Dans cette perspective, les transitions uruguayenne et
chilienne suivent un patron commun, bien que relativement distinct, en ce sens que la transition
s’est voulue constitutionnelle. En effet, avec l’adoption de la nouvelle Constitution de 1980, la
junte militaire chilienne a inscrit constitutionnellement le processus de transition de régime, sur huit
ans via la tenue d’un référendum révocateur du régime qui stipule qu’en cas de rejet la tenue
d’élections présidentielles et parlementaires se tiendraient l’année suivante ; à l’inverse en cas de
1 O'DONNELL, G., SCHMITTER, P., et WHITEHEAD L., Transiciones desde un gobierno autoritario, Paidós,
Buenos-Aires, 1988 [1986]. Le concept de « transition démocratique » est une des composantes de la notion de
transition à la démocratie qui suppose d’autres étapes notamment une libéralisation, démocratisation, et une
consolidation démocratique. Voir entre autre LINZ, J.J., "Transiciones a la democracia", in REIS, No. 51, 1990. Cette
littérature recevant un accueil critique en France. Voir entre autres DOBRY, M., « Les voies incertaines de la
transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path dependence », in Revue
Française de Science Politique, Vol. 50, No. 4-5, 2000, pp. 585-614 ; et DOBRY, M., et MOREL, L., Les transitions
démocratiques: regards sur l'état de la "transitologie", Presses de Sciences-po, Paris, 2000. 2 Certains auturs soulignent toutefois que ce concept ne précise pas quand termine la phase de transition. Voir par
exemple HUNEEUS, C., "La transición ha terminado”, in Revista de Ciencia Política, Santiago, Vol. 16, No. 1-2,
1994, pp. 33-40. 3 Comme la révolution des oeuillets au Portugal en 1974, ou plus récemment les « printemps arabes ».
4 Le cas Irakien en est l’exemple paradigmatique
151
soutien au régime, le président de la République se verrait maintenu huit années de plus, jusqu’en
1996. Cette transition prévue constitutionnellement, opère donc comme une « contrainte »1 majeure
pour les différentes forces politiques, les incitant ainsi à accepter le jeu et à s’organiser dans ce but.
Cette contrainte conduit notamment à la création de mouvements et partis « héritiers » du régime2.
Bien que les règles du jeux aient été acceptées par la plupart des partis3, l’absence de « pacte » à
proprement parler et de négociation sur l’organisation de la transition, ainsi que l’existence de
nombreuses « enclaves autoritaires » fortes, nous laisse conclure que la transition chilienne a été
une transition encadrée et protégée par les militaires, plutôt qu’une « transition pactée », à
l’espagnole, comme le présentent la plupart des auteurs4.
En Uruguay, la transition à la démocratie s’est effectuée de manière plus rapide. Inspirés par le
précédent chilien, les militaires Uruguayens ont cherché à faire adopter par référendum une
nouvelle Constitution qui prévoyait les lois d’amnistie ainsi qu’un calendrier –plus court- pour la
remise de pouvoir aux civils. Le rejet électoral de la part de la société uruguayenne5, en 1980, a
contraint les militaires à remettre des civils au pouvoir -et relancer par-là, la prédominance des
partis- sur le devant de la scène ; jusqu’aux accords du Club Naval où l’ensemble des partis
politiques -dont le Frente Amplio-, ont négocié les conditions du retour à la démocratie. La
transition démocratique uruguayenne s’est donc opérée de manière consensuelle, dans la tradition
politique du pays, malgré quelques éléments autoritaires6.
Enfin la transition démocratique argentine fut un processus dans l’urgence, où la perte de
légitimité des militaires au sortir de la défaite de la guerre des Malouines, contre la Grande
Bretagne, et un contexte interne marqué par une situation économique délicate ont conduit à ce que
les militaires remettent précipitamment le pouvoirs aux civils, au travers de l’organisation hâtive
d’élections, après avoir pris le soin d’adopter des lois d’amnisties. Ainsi, le régime n’a pu ni
1 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., op. cit
2 La Unión Democrática Independiente (UDI), dont le fondateur est Jaime Guzmán, idéologue de la dictature, se
reconnaît ouvertement jusqu’en 1999 comme héritière du régime de Pinochet. Renovación Nacional (RN) bien qu’allié
politique et électoral à l’UDI, constitue plutôt une refonte du parti de droite, Partido Nacional, d’avant 1973. 3 Seuls le Parti Communiste, les mouvements d’extrême gauche (MIR, FPMR) et quelques mouvances (divisées) du
parti socialiste se sont opposés à « jouer le jeu des militaires », et sont restés dans la clandestinité. Voir MOULIÁN, T.,
Chile Actual, Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002 [1997], CAÑAS KIRBY, E., Proceso Político en Chile.
1973-1990, Editorial Andrés Bello, 1997; GARRETÓN, M.A., “Política, cultura y sociedad en la transición
democrática”, in Nueva Sociedad, No.114, 1991, pp. 43-49. 4 BRUNNER, J.J., “Chile: claves de una transición pactada”, in Nueva Sociedad, No.106, 1990, pp. 6-12; GODOY
ARCAYA, O., “La transición chilena a la democracia: pactada”, in Estudios Públicos, No. 74, 1999, pp. 79-106. 5 Les lois d’amnisties étant conservées et ratifiées lors du référendum de 1989.
6 Le représentant du Partido Nacional, Wilson Ferreira Aldunate, n’était toutefois pas présent lors de ces accords, en
exil à Buenos Aires, car proscrit par les militaires. Voir GUILLEPSIE, C. G., Negotiating democracy politicians and
generals in Uruguay, Cambridge University Press, 1991.
152
programmer une sortie contrôlée, ni créer de parti héritier1. Surtout, l’absence de période de
négociation entre les acteurs politiques a fait que cette transition forcée n’a pas nécessité de
rapprochement entre les partis. Ceux-ci maintenant la plupart de leurs cadres et leur culture
politique propre2.
En résumé, les éléments qui ont conduits au recouvrement de la démocratie sont assez différents
dans les trois pays. Celle-ci est marquée tantôt par l’émergence de certains acteurs nouveaux et de
nouveaux rapprochements (Chili) ; le replacement et le renforcement des acteurs légitimes
précédents le régime autoritaire et suivant les mêmes schémas organisationnels et relationnels
(Uruguay) ; ou le replacement des acteurs légitimes en place à l’époque précédent le régime
autoritaire, face au fait accompli sans que ceux-ci n’aient pu effectuer de rénovation interne
(Argentine).
2.2.4. La « renaissance » des partis et l’évolution des systèmes de partis
Nos trois cas d’études qui présentaient donc, à priori, de nombreuses ressemblances socio-
économiques et culturelles, ont toutefois montré de nombreux éléments dissemblables. Si le
système partisan uruguayen a fait preuve d’une forte institutionnalisation et d’une tradition
polyarchique et coopérative entre ses deux principaux éléments (Partido Colorado et Partido
Nacional), le système partisan argentin, à l’inverse, bien que présentant un format bipartite, a fait
preuve à la fois d’une institutionnalisation beaucoup plus fébrile de ses deux principaux partis,
lesquels souffraient d’ailleurs de la concurrence de l’armée comme acteur dominant de la vie
politique. Le Chili a quant à lui un système de parti fortement institutionnalisé mais, à l’inverse de
l’Uruguay, la culture politique du pays s’est particulièrement tendue lors des années 60-70.
Il est alors intéressant de noter qu’au Chili et en Argentine les deux partis « dominants » des
coalitions gouvernementales au retour de la démocratie, le PDC et l’UCR respectivement, se
caractérisaient originellement pour leur culture hégémonique et non coopérative. D’ailleurs, ces
deux partis se structurent et fonctionnent de manière semblable à la définition du parti attrape-tout
de d’Otto Kirscheimer3, et bien que l’expérience coalitionnaire argentine fut brève (moins d’un
an), elle demeure significative pour la tradition gouvernementale argentine. Pour le PDC
1 CAVAROZZI, M., « Mas allá de las transiciones a la democracia en America Latina”, in Revista de Estudios
Politicos, No. 74, 1991, pp. 85-105; NUN, J., et PORTANTIERO, J.C., Ensayos sobre la transición democrática en
Argentina, Buenos Aires, 1987 2 Le PJ se trouvant toutefois acéphale, avec la mort de son leader fondationnel et l’absence de relève charismatique.
3 KIRSCHEIMER, O., « The transformation of western european party system », in LAPALOMBARA, J., et WINER
M., Political Parties and Political Development, Princeton University Press, 1966
153
l’expérience est différente puisqu’elle représente à la fois une nécessité, en raison du système
électoral binominal (voir supra), mais également un changement de culture organisationnelle et
relationnelle, notamment avec le Parti socialiste (PSch).
Si la transition démocratique et son mode opératoire n’ont pas conduit à un changement
significatif des systèmes de partis argentin et uruguayen1, elle constitue une « conjoncture critique »
(« critical juncture »)2 dans le cas chilien, structurant et jetant les bases de la pratique politique
chilienne depuis l’élection du président « concertationniste » et démocrate chrétien, Patricio
Aylwin. La compétition politique se retrouve alors non plus divisée en trois tiers comme avant le
coup d’Etat, mais polarisée autour de deux blocs, s’alignant autour des différentes positions
politiques lors du Référendum de 1988. Surtout, le « Chili divisé »3 dans lequel s’opposaient deux
bords irréconciliables avant le coup d’État de 1973, s’est mué en un système « légitime, compétitif
et consensuel »4.
En Uruguay, bien que les négociations entre les partis lors des discussions aboutissant au pacte
du Club Naval (août 1984), ont laissé penser à un retour de la culture politique en vigueur avant le
coup d'État, la constante progression des résultats électoraux du Frente Amplio (voir tableau 2.7) et,
surtout, la nécessité d'une « seconde transition5 » -socio-économique cette fois- ont conduit à
l'émergence d'un nouvel ordre politique. On assiste ainsi à une transformation de la logique de
compromis, dont le champ d’application et de matérialisation dépasse peu à peu la seule sphère des
partis pour constituer une logique de « blocs » politiques. En effet, timidement d'abord sous le
premier mandat de Sanguinetti (1985-1990), puis plus explicitement sous le gouvernement de
Lacalle (1990-1995), les deux partis traditionnels opèrent un rapprochement concerté et inédit de
toutes leurs factions au parlement, et fonctionnent progressivement comme une coalition
législative. Ce rapprochement qui est initialement « réticent » ou négatif6, vise à garantir une
majorité législative qui leur est de moins en moins confortable et acquise, ainsi que le quorum
1 A cela près que l’élection du Radical Raúl Alfonsín constitue la première victoire électorale de l’UCR face au PJ dans
un contexte ouvert. 2 COLLIER, R., et COLLIER, D., « Framework : critical junctures and historical legacies », in COLLIER, R. et
COLLIER, D., Shaping the Political Arena: Critical Juncture, the Labor Movement, and Regime Dynamic in Latin
America, Princeton University Press, 1991, pp 27-39. Pour une analyse critique de ce courant, voir DOBRY, M., « Les
voies incertaines de la transitologie : choix stratégiques, séquences historiques, bifurcations et processus de path
dependence », op. cit. 3 HUNEEUS, C., Chile un País dividido… op.cit.
4 ALBALA, A., “Coaliciones gubernamentales y régimen presidencial: incidencia sobre la estabilidad política, el caso
del Cono Sur (1983-2005)”, Documentos CIDOB América Latina, n°29, Barcelone, 2009, p. 43. 5 LANZARO, J., La “segunda” transición en el Uruguay. Fundación de Cultura Universitaria- Instituto de Ciencias
Políticas, Montevideo, 2000 6 FILGUEIRA, C., et FILGUEIRA, F., « Coaliciones reticentes: sistema electoral, partidos y reforma electoral en el
Uruguay », In NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998, pp.
287- 308.
154
requis pour, entre autre, passer outre des censures parlementaires à l’encontre du gouvernement
(pris dans son intégralité ou en partie). Ce processus s’intensifie sous la seconde présidence de
Sanguinetti (1995-2000), via la formation d'un gouvernement de coalition uni intégrant toutes les
factions du Parti Colorado et du Parti National. Cette expérience s'est reproduite mais avec moins
de réussite sous la présidence suivante du Colorado Batlle (2000-2005). Depuis le retour à la
démocratie le PC et le PN ont passé les deux tiers de leur temps coalisés, sous trois mandatures.
Cette nouvelle forme de co-gouvernement, des deux partis, a accéléré leur rapprochement
idéologique ainsi que leur cohésion, d'autant plus que la coalition législative entre eux s'est
poursuivie alors même qu'ils se retrouvaient pour la première fois, ensemble, dans l'opposition (en
2005). Cette convergence idéologique accrue s’est accompagnée, d’ailleurs d’une accentuation de
la polarisation avec le FA1.
Tableau 2.7 Résultats électoraux aux présidentielles uruguayennes, depuis 1971*
Formules 1971 1984 1989 1994 19991 2004 20091
PC 40,9 41,2 30,3 32,3 32,8 - 10,6 16,7 -
PN 40, 2 35 38,9 31,2 22,3 - 35,1 29,5 -
PC+PN 81,1 76,2 69,2 63,5 55,1 52,52 45,7 46,2 43.5
FA 18,3 21,3 21,2 30,6 40,12 44.50 51,73 48,5 52.4
Autres* 0,6 2,5 9,6 5,9 4,8 2.98 2,6 5,3 4.1
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Notes : *dont blancs et nuls qui en Uruguay sont comptabilisés comme vote exprimés et comptabilisés dans le total des voix.; 1Ces
élections se sont tenues sur deux tours ; 2 Sous la formule Encuentro Progresista/ Frente Amplio; tours; 3 sous la formule Encuentro
Progresista/ Frente Amplio/ Nueva Mayoría.
Source: Corte Electoral de la República Oriental del Uruguay
Enfin en Argentine, si le retour de la démocratie n’a pas altéré le système partisan, il a
particulièrement affecté la culture gouvernementale du pays. La déroute militaire des Malouines et
le rapport « Nunca Más » (« jamais plus ») de la Commission National sur la Disparition de
Personnes (CONADEP), faisant état de près de 10.000 morts et disparus des suites de la dictature2,
a considérablement affecté le prestige de l’institution militaire. Dans ce contexte, l’armée a coup
sur coup subie une révocation des lois d’amnisties, que le régime militaire s’était empressé de faire
adopter en 1982, sous la présidence de Raúl Alfonsín ce qui entraîna l’ouverture de jugements de
nombreux militaires en 1987, au travers de la Loi dite de « point final » (Ley de punto final), soit
quatre ans après la transition démocratique. Or, si un soulèvement important de jeunes officiers en
second (dits « carapintadas ») a rappelé la culture putschiste de l’armée argentine et a laissé planer
1 Voir chapitre 3
2 D’autres chiffres provenant d’ONG parlent de 30.000 morts, chiffres le plus souvent repris, mais dont les sources ne
sont pas fournies.
155
la possibilité d’une guerre civile, le règlement par le président de ce fait d’armes via l’approbation
de la « loi d’obéissance due » (ley de obediencia debida), vient sceller la consolidation
démocratique et marquer un tournant dans la vie politique du pays. Ainsi, la bonne tenue des
élections à la fin du mandat d’Alfonsín, et l’assomption de son successeur, Carlos Menem1, sont
venu marquer la première alternance démocratique, dans l’histoire du pays. Et depuis lors, les
gouvernements militaires ont cessé de constituer une alternative politique aux gouvernements
civils2.
Dès lors, l’expérimentation de la démocratie sans interruption militaire a permis aux partis
d’opérer des mutations importantes, tant organisationnelles que discursives. L’élément le plus
important de transformation étant, ainsi, la sortie de plusieurs factions du PJ en 1990 qui viendront
par la suite former le Frente Grande, lequel sera à l’origine, en 1994, de la création du FREPASO
(FREnte PAis SOlidario), et qui déplacera l’UCR de la seconde place lors des élections
présidentielles de 1995. Ces deux derniers partis se rapprochent en 1997 pour former l’Alianza, la
première coalition partisane de l’histoire argentine3. Enfin, un autre élément intéressant bien que de
portée plus limitée, est l’apparition et l’organisation de partis provinciaux qui sont venus jouer un
rôle important au niveau local -élections des gouverneurs et législateurs provinciaux- et au niveau
national en poussant la création de listes communes avec des partis nationaux4.
2.2.5 Eléments institutionnels informels sur les systèmes de partis du Cône Sud.
Après nous être penché longuement sur le cas uruguayen, nous avons vu précédemment que le
système électoral chilien, et particulièrement le système binominal, agissait comme catalyseur sur
la formation de coalitions depuis le retour à la démocratie (voir supra 2.1.3). Toutefois, et bien que
la quasi-totalité des personnalités chiliennes interrogées reconnaissent l’importance et la pertinence
de la loi électorale sur la formation des coalitions, nous avons déjà vu au préalable que cet élément
ne saurait être suffisant pour expliquer à la fois la tenue et le maintien des différents gouvernements
1 Lequel assumant toutefois près de six mois avant la date constitutionnellement prévue, de part l’urgence de la crise
inflationniste touchant le pays à la fin de la décennie 1980. 2 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo : Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires,
2009; NOVARO, M., Historia de la argentina contemporánea. De Perón a Kirchner, Edhasa, Buenos Aires, 2006;
ABAL MEDINA, J., et SUAREZ CAO, J., op. cit. 3 CAMOU, A., “¿Del bipartidismo al bialiancismo? Elecciones y política en la Argentina posmenemista”, in Perfiles
latinoamericanos, No. 16, 2000, pp. 11-30; LEIRAS, M., Todos los caballos del rey. La integración de los partidos
políticos y el gobierno democrático en la Argentina, 1995-2003, Prometeo, Buenos Aires, 2007; CHERESKY, I., La
política después de los partidos, Buenos Aires, Prometeo, 2006 4 ALONSO, M. E., « Le vote des partis provinciaux en Argentine (1983-1999) », in BLANQUER, J.M., et alii, Voter
dans les Amrériques, op. cit,, pp.137- 149 ; CALVO, E., ESCOLAR, M. La nueva política de partidos en la Argentina:
Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral, Prometeo/ Pent, Buenos Aires, 2005
156
de coalition chiliens. En outre, l’Argentine a procédé à des changements constitutionnels supposés
générer ou faciliter des rapprochements partisans, avec différents résultats. Enfin, nous avons vu
précédemment, qu’en Argentine, les réformes institutionnelles dérivées du Pacto de Olivos entre
l’UCR et le PJ, consistent essentiellement en l’élection directe du président de la République (et
non plus par collège électoral comme aux Etats-Unis), la possibilité de réélection de celui-ci et le
balottage (avec un seuil abaissé), n’ont eu aucun effet significatif sur la formation de coalitions
gouvernementales.
Il est des éléments qui bien que non écrits, fonctionnent ou ont valeur d’institution. Ces
institutions informelles, doivent être distinguées de la notion d’« éléments faiblement
institutionnalisés », et être ramenées à une conception de type Common Law1. Ainsi, la culture
politique des partis politiques et la culture gouvernementale des systèmes de gouvernement ont une
influence de type path dependence sur la praxis politique. Il n’est pas surprenant de voir que les
deux pays ayant une tradition politique coopérative sont ceux qui ont expérimenté le plus de
coalitions gouvernementales et les plus durables. L’absence de savoir faire coopératif entre ainsi
grandement en considération pour comprendre l’échec de l’Alianza en Argentine (dix mois
d’existence). Par ricochet, la culture hégémonique des partis argentins et leur absence d’évolution a
certainement conditionné l’exercice du pouvoir et la relation entre les partis. L’élection de Carlos
Menem face au réformiste Antonio Cafiero lors de la primaire péroniste, en vue des élections
présidentielles de 1989, puis l’élection et réélection de celui-ci à la présidence de la République,
s’inscrit ainsi dans la continuité organisationnelle et dans la logique confrontationnelle de la
compétition partisane et politique en Argentine. A titre d’exemple, le recours aux Décrets de
Nécessité et Urgence (DNU), éléments non prévus par la Constitution argentine de 1853 mais
exceptionnellement appliqués à vingt-cinq reprises dans l’histoire argentine, de 1853 à 1989, a
littéralement explosé sous la présidence Menem (336 DNU en 5 ans), avant d’être inclus et
visibilisé dans la réforme constitutionnelle de 19942. De même, la capacité de mobilisation et de
nuisance du PJ3, et son rôle perturbateur et confrontationnel sous la présidence de De la Rúa
4, et la
1 LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., “Variation in Institutionnal Strength”, in Annual Review of Political Science,
No. 12, 2009, pp. 115-133; FREIDENBERG, F., et LEVITSKY, S., “Informal Institutions and Party Organization in
Latin America”, in HELMKE, G., et LEVITSKY, S., .Informal institutions and democracy : lessons from Latin
America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006, pp. 178-199. 2 JONES, M., “Una evaluación de la democracia presidencialista argentina: 1983-1995”, in MAINWARING, S., et
SHUGART, M., Presidencialismo y Democracia en América Latina, Paidós, Buenos Aires, 2002, pp.213-254. 3 DI TELLA, T., Coaliciones Políticas, ¿existen derechas e izquierdas ?, Capital Intelectual, Buenos Aires, 2004; DI
TELLA, T., “Actors and Coalitions”, in DI TELLA, T., Latin American Politics and theoretical Framework, University
of Texas Press, Austin, 1990, pp. 33-49. 4 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo… op. cit.; NOVARO, M., “Presidentes, equilibrios institucionales y
coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones
políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp.51-100.
157
perception ancrée dans l’imaginaire politique argentin de l’incapacité de gouverner des radicaux,
mettent en évidence le maintien de la culture hégémonique des partis et la culture de méfiance entre
les différentes branches du pouvoir1, et introduit des éléments d’explications de la faible durée de
l’Alianza.
Au Chili et en Uruguay, la culture politique coopérative et l’expérience de divers gouvernements
de coalition ont constitué un socle informel modélisateur de la pratique coalitionnaire et la gestion
de conflits. Ceci vient justifier l’argument de Franklin et Mackie sur la force de la familiarité et de
l’inertie expérimentale comme éléments conditionnant l’expérimentation de gouvernements de
coalition2. Surtout, Peter Siavelis a mis en évidence que la pratique de la répartition ministérielle
par « quota partisan » (« cuoteo ») dans les gouvernements de la Concertación, au Chili, a
contribuée à maintenir cohésionnés les quatre partis formant la coalition3, et contribue à expliquer
la survie de la coalition face aux nombreuses prédictions portant sur la mort future de la
Concertación4. Cette pratique, consistant en une double formule de distribution de portefeuilles
ministériels sur des bases partisanes plutôt que de compétences personnelles et/ou compensation
aux candidats non élus aux élections locales, consiste donc à répartir les prébendes de l’Etat entre
les différents membres coalisés. On observe le même type de pratique en Uruguay où la logique est
étendue aux entreprises d’Etat.
2.3 Conclusions
Ce chapitre nous a permis de réaliser à la fois un état des lieux des théories dominantes portant
sur l’expérimentation de gouvernements de coalition, de manière comparée, tant en systèmes
parlementaires que présidentiels, et de confronter ces théories avec la réalité des expériences des
1 LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., "Builiding castles in the sand? The politics of institutional weakness in
Argentina", in LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., Argentine Democracy, Pennsylvania State University Press, 2005;
pp. 21-45; LEVITSKY, S., "Crisis and renovation: institutional weakness and the transformation of argentine
peronism", LEVITSKY, S., et MURILLO, M.V., op. cit., pp. 181-206; OLLIER, M.M, op. cit. 2 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and Inertia in the Formation of Governing Coalitions in Parliamentary
Democracies”, op. cit. 3 SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in
LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001;
SIAVELIS, P., “Chile: The unexpected (and expected) consequences of electoral engineering”, in GALLAGHER, M.,
et MITCHELL, P., The politics of electoral systems, Oxford University Press, 2005, pp. 433- 452 ; CAREY, J., et
SIAVELIS, P., “Election insurance and coalition survival:formal and informal institutions in Chile”, in HELMKE, G.,
et LEVITSKY, S., op. cit., pp. 160-176. 4 Un exemple criant, et erroné, est à voir chez le même Peter Siavelis : SIAVELIS, P., “Sistema electoral,
desintegración de coaliciones y democracia en Chile: ¿el fin de la concertación?”, in Revista de Ciencia Política, Vol.
24, No. 1, 2004, pp 58-80. D’où la difficulté des prédictions en science sociale. Siavelis faisant une sorte de mea culpa
un an plus tard: SIAVELIS P., “Los peligros de la ingeniería electoral (y de predecir sus efectos)” in Política, No. 45,
2005, pp. 9-28.
158
différents gouvernements coalisés du Cône Sud. Il constitue donc une tentative de mise à jour des
approches relevant de l’ingénierie constitutionnelle comparée, et de l’institutionnalisme historique.
Nous avons remis en question les arguments de la littérature dominante portants sur l’impact des
institutions formelles sur la probabilité à former et maintenir des coalitions gouvernementales. La
démarche consistait à appliquer les arguments de la théorie mêlant, les coalition theories avec les
travaux s’inscrivant dans le débat présidentialisme vs/ parlementarisme, et à vérifier si les
institutions théorisées et modélisées comme « favorables » à la formation et au maintien de
gouvernements de coalition, détenaient l’influence critique que leur prêtaient la plupart des études.
Nous avons alors mis en évidence que ces aspects (ou « variables ») essentiellement
institutionnels -loi électorale « favorable », nombre de partis « partenaires » coalisés et pouvoirs
présidentiels restreints-, lorsqu’ils sont rapportés à des cas comparables et significatifs, comme
ceux constituant le « terrain » de notre étude, ne constituent finalement pas des conditions
suffisantes, ni même nécessaires à la formation et au maintien de coalitions de gouvernement.
L’approche par les institutions est donc clairement insuffisante pour comprendre les phénomènes
de coalition politique.
Nous avons avancé diverses pistes complémentaires mettant l’accent sur des aspects extra-
institutionnels, notamment les dimensions historiques et informelles, comme autant d’éléments
supplémentaires à l’analyse et requérant une prise en compte tout aussi centrale. Les résultats
empiriques préliminaires, portant sur le temps long, que nous avons relevés nous montrent bien que
la culture politique et le type de structuration partisane sont des éléments essentiels à intégrer à
l’analyse, pour comprendre tant les motivations de rapprochements partisans que les succès ou
« échecs » de ces alliances. Si ces éléments contiennent une dimension dynamique et difficilement
modélisable, ils constituent toutefois le socle de toute analyse portant sur l’étude des
rapprochements politiques, et un élément central pour toute tentative de prédiction analytique.
Ainsi, le Chili semble, a priori, constituer le cas le plus plausible pour vérifier l’impact des
institutions sur la formation et le maintien des coalitions gouvernementales, en raison de loi
électorale. Toutefois, si le système binominal de la représentation chilienne (qui ne se limite qu’aux
élections parlementaires) paraît effectivement « contraignante » et « facilitatrice » à la formation
d’alliances, elle n’explique pas à elle seule pourquoi la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste,
qui ont été de très forts adversaires politiques dans les années 1970, ont été amenés finalement à se
159
coaliser1. Cette « variable » n’explique pas, enfin, les conditions du maintien de la cohésion de la
Concertación pendant plus de vingt ans, et notamment après la perte du pouvoir en 2010.
Parallèlement, en Argentine et en Uruguay, les institutions formelles « coalisantes », ne
semblent avoir eu que peu, voire pas d’effets sur la formation et la propension à maintenir les
différents pactes. A l’inverse, l’historicité gouvernementale et la culture politique propres aux
différents partis, ont eu valeur d’institution influençant plus ou moins directement, et de manière
opposée dans les deux cas (favorable pour les gouvernements uruguayens, défavorable pour
l’expérience argentine), la pratique et l’expérimentation de gouvernements de coalition.
Nous avons enfin souligné que la transition à la démocratie a joué un rôle de conjonction
critique dans le cas chilien, opérant un réalignement de la compétition politique autour de deux
pôles et non plus trois. Dans les cas argentin et uruguayen, le contexte de formation est plus diffus
et découle soit d’un rééquilibrage dynamique et progressif des forces politiques (Uruguay), soit
d’un processus de rejet (Argentine). Ces deux cas se caractérisent, aussi et surtout, par une seconde
étape de transition, ou « seconde transition », économique et sociale. Dès lors dans la prochaine
partie nous nous intéresserons aux processus de formation et de structuration des accords
politiques, et analyserons leurs bases électorales et sociales. Ceci nous conduira à étudier le
caractère prédictif des regroupements partisans en régimes présidentiels, et à aborder la question du
« timing » présidentiel dans la formation des alliances.
1 Cela rappelle le travail de Sydney Tarrow: TARROW, S., “Transforming enemies into allies: non-ruling communist
parties in multiparty coalitions”, in Journal Of Politics, Vol. 44, 1982, pp. 924-954.
161
Les différents apports disciplinaires ont conféré aux coalition theories une dimension souvent
transdisciplinaire à l’étude du comportement coalisé. Si les modèles rationnels initiaux censés doter
les études d’un substrat théorique universel se sont avérés assez décevants, l’apport des études de
cas restent également frustrant quant à la capacité de déceler des éléments de comparaison entre
différents terrains d’études. Une approche politiste et comparative rigoureuse de l’étude des
coalitions politiques ne saurait faire abstraction des dimensions exogènes et endogènes propres à la
formation et l’exercice du processus en lui-même. Dans la pratique nous observons souvent des
travaux découlant d’une approche monovariée qui repose sur un seul type de variable d’analyse. La
troisième génération d’analyses commence néanmoins à se manifester depuis les années 2000.
Les croisements théoriques des coalition theories avec les théories « présidentialistes » ont mis
en évidence à la fois la faiblesse des principaux postulats anti-présidentialistes et la nécessité de
présidentialiser l’approche. Celle-ci ne saurait se limiter à des typologisations de systèmes
présidentiels plus ou moins propice à la formation de coalition. Si l’approche multivariée suppose
la prise en considérations des différentes « conditions » ou « variables indépendantes », permettant
à la fois d’expliquer la formation de coalitions gouvernementales et leur maintien/ dissolution1 dans
les contextes présidentiels, encore faut-il contextualiser l’analyse au terrain d’étude. Nous
identifierons ainsi les éléments à la fois institutionnels commun aux présidentialismes et ajouterons
les conditions culturelles et structurelles propres à nos trois pays étudiés.
En suivant ce premier objectif d’identification des éléments institutionnels communs aux
présidentialismes, nous pouvons déjà noter que les alliances politiques peuvent théoriquement se
limiter à une expression au travers d’« agrégats » plus ou moins ponctuels au niveau de prise de
décision, sans réel engagement sur le long terme2. Un exemple de ces alliances limitées consiste
notamment aux ralliements d’entre-deux-tours, sans concessions de postes dans le futur
gouvernement, mais en obtenant des garanties sur des politiques futures. C’est le cas, notamment
du Parti communiste chilien, qui représente près de 5% de l’électorat mais qui, jusqu’en 2010,
n’avait aucun élu au parlement, et qui « monnayait » néanmoins son soutien officiel aux candidats
de la Concertación au second tour3, au moyen d’engagements de la Concertación sur des politiques
publiques. Ces dimensions viennent ainsi nuancer le principe de jeux à sommes nulles4, en raison
1 Ces résultats venant donc être les « variables dépendantes » de l’analyse.
2 Nous reprenons ainsi la conception théorique de Vincent Lemieux, lequel définie de manière théorique les agrégats
comme le premier degré de coopération. Et si ces travaux sont de nature essentiellement sociologique et cognitive ils
demeurent néanmoins d’un grand intérêt pour l’étude des phénomènes coopératifs sur la scène politique. Voir
LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, PUF, 1998 ; et Le pouvoir et l’appartenance : une
approche structurale du politique, Presses de l’Université de Laval, 2006. 3 Lors des élections de Ricardo Lagos (1999- 2000) et Michele Bachelet (2005-2006)
4 Où les “gains” du vainqueur sont compensés par les pertes de l’ensemble des perdants. Voir supra chapitre 1.
162
de la diversité des « gains » et du partage de ceux-ci avec des membres « perdants ». On peut
d’ailleurs noter une évolution qualitative récente de cette alliance, la Concertación ayant accepté
dans quelques circonscriptions de passer des accords de coalitions électorales, pour permettre
l’élection de trois députés communistes aux élections de 2010. Ces phénomènes et leurs
imbrications répondent à une temporalité d’action qu’une simple vision synchronique ne saurait
mesurer. En outre, les cycles opératoires de formation de coalitions ne sauraient être considérés de
manière statique ni même uniforme.
Bien que la plupart des travaux sur les coalitions gouvernementales considèrent la formation des
coalitions une fois le « rapport » de force entre partis connus, après les élections, ceci dans un but
de modélisation et de mise en évidence des négociations sur la distribution des postes de pouvoir, il
semble judicieux et nécessaire de considérer le processus sur une temporalité d’analyse plus large.
Cela viendrait à considérer notamment la participation à des alliances électorales et la pérennisation
desdites alliances. Dans ce cas, les coalitions uruguayennes se placent à mi-chemin entre les cas de
reconduction et « systémisation » d’alliances au Chili, et l’absence totale de « tradition
coalitionnaire » en Argentine. L’absence de culture gouvernementale de coopération en Argentine,
conjointement à la tradition politique conflictuelle entres les différents acteurs, constitue le facteur
central pour comprendre l’éphémère expérience de l’Alianza et la chute du gouvernement de
Fernando De la Rúa. Au contraire, le « savoir faire » en matière de coalitions gouvernementales au
Chili semble avoir conditionné et facilité le dialogue inter-partisan. Ce savoir-faire s’est nourri des
expériences passées, mais semble surtout s’être constitué de manière dynamique et progressive1.
Cela n’explique pas pourquoi deux partis traditionnellement opposés, la Démocratie Chrétienne
et le Parti Socialiste Chilien, ont été amenés à élaborer un plan d’action commun en vue d’une
participation conjointe aux élections et la formation de plusieurs gouvernements coalisés. Cette
dimension ne permet pas non plus de comprendre les réalignements partisans qui se sont opérés au
Chili à la fin des années 1980, en particulier la propension à former des accords. Enfin l’Uruguay se
trouve, à nouveau, à mi-chemin entre les deux précédents cas. Si la tradition de co-gouvernement
entre colorados et blancos tout au long du XXe siècle, a jeté les bases d’une culture consensuelle
de la pratique de la politique dans ce pays, elle n’explique pas à elle seule la routinisation des
alliances entre ces deux partis ni leur convergence idéologique depuis les années 1990.
Si pour les cas chilien et uruguayen des « prédispositions » semblent avoir joué un rôle
important, d’autres aspects tels qu’une structuration de la compétition politique autour de lignes de
démarcation claire, ainsi qu’une précocité plus ou moins formelle des accords viennent à jouer un
1 Voir ARRATE, J., et ROJAS, E., Memoria de la izquierda chilena - Tome II (1970-2000), Ed. Javier Vergara,
Santiago, 2003.
163
rôle considérable. Il est indispensable de considérer ces éléments, afin d’aller au-delà de la
recherche de « principes de causalité » et considérer les coalitions au travers de leur
« environnement » et comme système1. La séparation des pouvoirs, beaucoup plus nette en régime
présidentiel, où la survie de l’exécutif ne dépend pas d’un soutien parlementaire, permet de
concevoir les coalitions gouvernementales via une approche systémique. Pour autant ce « système
coalitionnaire » ne saurait être hermétique, bien qu’il apparaisse plus autonome qu’en régime
parlementaire.
1 Voir les conceptualisations de PIAGET, J., Le structuralisme, PUF/ « Que sais-je », Paris, 1983 [1968].
164
Chapitre 3 : Le présidentialisme de coalition et la théorie des clivages.
Vous n’aurez pas fait seuls une seule grande affaire. Quand vous aurez fini vos coucheries avec l’Etat, vous prenez votre lâcheté
pour de la sagesse, et croyez qu’il suffit d’être manchot pour devenir la Vénus de Milo, ce qui est excessif.
MALRAUX, A., La condition Humaine.
Avant que ne se généralise l’approche institutionnaliste de type ingénierie constitutionnelle que
nous venons d’analyser, nous avons vu précédemment que la seconde génération des coalition
studies avait ajouté à la conception originelle de Riker la dimension « préférentielle » matérialisée
en termes d’affinités supposément idéologiques1. Ainsi, hormis les cas de gouvernements d’union
nationale, l’analyse de la formation de gouvernements pluripartisans a, depuis les années 1970,
systématiquement intégré le degré de proximité programmatique2 des joueurs comme principal
élément d’analyse. La mesure de cette proximité et son amplitude « maximale acceptable »3, est
opérationnalisée sur un axe Droite-Gauche, où les partis seraient positionnés de manière virtuelle
en fonction de leur idéologie « publique »4, sur une échelle horizontale et unidimensionnelle dont
les valeurs varient, en fonction des études, de cinq a dix échelons5. La position des partis sur cet
axe, établi à partir d’« avis d’experts » ou de « preuves écrites » (tels les manifestes partisans),
déterminerait ainsi leur attractivité gouvernementale, indépendamment de leur poids électoral ou
leurs nombre de sièges à l’assemblée6.
1 Voir supra 1.1.3
2 AXELROD, M., Conflict of interest, Markham, Chicago, 1970; LEISERSON, M. A., « Power and ideology in
coalition behavior: an experimental study », in GROENNINGS, S., KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study
of coalition behavior : Theoretical perspectives and cases from four continents, New York, Holt, Rinehart et Winston,
1970, pp. 323-335. 3 DE SWAAN, A., Coalition theories and cabinet formation, Elsevier, Amsterdam, 1973.
4 Concept il est vrai assez subjectif et sujet à interprétations, notamment lors du recours à l’avis « d’experts », Voir
SEILER, D-L., “la comparaison et les partis politiques”, in BCN Political Science Debates/ICPS, n°2, 2003, pp. 5-27 ;
et « L'Europe des partis: paradoxes, contradictions et antinomies », in BCN Political Science Debates, n°5, 2007, pp.
79-127. Aussi, afin de conférer davantage de poids scientifique à l’analyse, un indicateur « froid » s’est imposé ces
dernières années, d’après les travaux de Ian Budge, comme plus à même de reflêter la position des partis dans cet axe
horizontal : le manifeste partisan. Voir entre autres BUDGE, I., KLINGEMANN, H.D., et alii, Mapping policy
preferences: estimates for parties, electors, and governments 1945–1998, Oxford University Press, 2001; LAVER, M.,
Estimating the policy positions of political actors, Routledge/ ECPR, Londres – New York, 2001; LAVER, M., et
GARRY, J., “Estimating policy positions from political texts », in American Journal of Political Science, Vol. 44, No.
3, 2000, pp. 619-634 ; LAVER, M., BENOIT, K., « Le changement des systèmes partisans et la transformation des
espaces politiques », in Revue internationale de politique comparée,Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 303-324. 5 Traditionnellement, les échelons vont de 1à 5 ou 7, voire 10, où « 1 » place les positions d’extrême gauche, et « 10 »
d’extrème droite. Voir SEILER, D-L., La méthode comparative en science politique, Armand Collin, Paris, 2004 6 Ainsi, l’exemple du Parti communiste italien qui de 1948 à 1987 a occupé -en moyenne- 28% des sièges de la
chambre des députés (avec des « pics » à près de 35% dans les années 1970), mais dont la « position idéologique »
éloignée du centre, l’a rendu beaucoup moins attractif que les centristes Parti Libéral Italien et Parti Républicain Italien.
Ceux-ci, malgré une représentation moyenne de 3% sur la même période, ont participé à la majorité des gouvernements
de l’époque, alors que le PCI n’a jamais été qu’un parti d’opposition. Voir VERZICHELLI, L., et COTTA, M., « Italy :
165
La structuration de la compétition politique et, par ricochet, la tendance à la formation de
coalitions, semblent découler du positionnement des joueurs sur l’axe droite-gauche, de leur auto-
positionnement respectifs sur cet axe et de la capacité à capter ou se rapprocher d’un supposé
électeur médian, et donc a fortiori d’un « législateur médian » :
« La médiane est en soi un concept spatial –la personne du milieu sur une distribution ordonnée le
long d’une ligne ou à l’intérieur d’un complexe de lignes. Ce n'est pas seulement une abstraction
mathématique qui nous permet de concevoir des préférences politiques, comme si elles étaient
placées sur un plan quelconque ! Il y a un grand nombre d’évidences qui montrent que nous –
électeurs, partis, politiciens, journalistes et spécialistes- pensons la politique en termes spatiaux,
la plupart du temps le long d’un continuum s’étendant de gauche à droite, avec des partis et des
préférences personnelles situées autour de celui-ci »1.
Cette conception unidimensionnelle de la politique et de la compétition politique suit des canons
européens de représentation politique, où les liens entre les partis politiques et les électeurs sont
structurés sur une base programmatique2. Toutefois, même en Europe il y a des systèmes de partis
dont les lignes de démarcation politique ne sont pas basées uniquement sur l’aspect idéologique.
Certaines divisions comme l’opposition religieuse aux Pays-Bas, linguistique en Belgique, ou
régionale en Espagne et en Italie, font que la structuration de la représentation politique s’ordonne
également autour d’autres questions que celles d’ordre purement idéologique3. Au sein de ces
sociétés européennes, plusieurs clivages semblent coexister, se coupant souvent entre eux et
influant sur le degré d’attractivité des différents partis4.
En Amérique latine, nous observons que les systèmes partisans ne sont pas, non plus, tous
structurés sur des bases programmatiques. Mais la présidentialisation des systèmes de partis latino-
américains tend à limiter le croisement des clivages entre-eux, en imbriquant les différentes lignes
de démarcation politique autour d’un clivage « structurant »5. Ce chapitre cherche à éviter
l’écueil fréquent consistant à transposer les schémas européens sur les réalités latino-américaines
from constrained coalitions to alternating governments ? », in MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition governments in
western Europe, Cambridge University Press, 2000, pp. 433-497. 1 McDONALD, M., et BUDGE, I., Elections, parties, democracy: conferring the median mandate, Oxford University
Press, 2005, p. 30. Traduction propre, mes italiques. 2 EZROW, L., Linking citizens and parties, Cambridge University press, 2010.
3 Voir entre autres LIJPHART, A., Democracy in plural societies, Yale University Press, New Haven, 1977 ;
LIJPHART, A., “Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,
South Africa, and Switzerland”, in American Political Science Review, Vol. 73, No. 2, 1979, pp. 442-458;
KITSCHELT, H., “Linkages between citizens and politicians in democratic polities”, in Comparative Political Studies,
Vol. 33 No. 6/7, 2000, pp. 845-879; KITSCHELT, H., et WILKINSON, S., Patrons, clients, and policies: patterns of
democratic accountability and political competition, Cambridge University Press, 2007 4 TAYLOR, M., et RAE, D., “An analysis of crosscutting between political cleavages”, in Comparative Politics, Vol. 1,
No. 4, 1969, pp. 534-547; POWELL, G.B., “Political cleavage structure, cross pressure processes, and partisanship: an
empirical test of the theory”, in American Journal of Political Science, Vol. 20, No. 1, 1976, pp. 1-23. 5 ZUKERMAN, A. « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443
166
post-transitions1, en soulignant entre autres les différences d’impact du contexte transitionnel sur
les systèmes de partis et la compétition politique. Les trois pays étudiés constituent autant de cas de
figures différents, mais dont la compétition politique paraît présenter la même ordonnance
bipolaire. Les partis du centre, quand ils existent, s’alignent sur l’un des deux pôles. Nous
reprenons ainsi à notre compte l’argument de Maurice Duverger sur la dualité des options
politiques, en l’appliquant aux systèmes présidentiels. Cette dualité est exprimée en terme
numérique (deux partis), ou « polaire » (deux blocs plus ou moins homogènes).
3.1 Ordre et désordre partisan: une analyse structurelle
Comme tout ordre systémique, le système politique se compose de processus et d’évolutions qui
mettent en évidence la « plasticité »2 de sa nature face, notamment, aux pressions internes et
externes de transformation de la représentation. D’où la nécessité de considérer les phénomènes
d’alignements et de réalignements politiques des systèmes partisans de manière dynamique, en se
gardant également de considérer tout ré-ordonnancement partisan comme le résultat ou l'expression
mécanique d'une instabilité systémique3.
Cela suppose la mise en place, avant même une hiérarchie du changement, d’une compréhension
de la notion de «changement», et des termes connexes de (ré)alignement et (ré)ordonnancement4.
Pour ce faire, l’étude des rééquilibrages politiques requiert une approche temporelle mixte,
s’inspirant des trois temps braudéliens d’analyse5, que nous simplifierons ici en deux
temps, compte-tenu de la période relativement courte de notre étude –une vingtaine d’années: a) le
temps court rapporté à l’identification d’ « événements critiques »6 ; b) le temps moyen englobant
les variations cycliques propre à la sociologie des organisations, et attaché à la recherche
1 Nous suivons ainsi Bertrand Badie dans son rejet de « l’occidentalistion de l’ordre politique ». Voir BADIE, B.,
L’Etat importé. L’occidentalisation de l’ordre politique, Fayard, Paris, 1992. 2 Jacques Lagroye, citant Norbert Elias, fait ainsi état du caractère « modelable » de la nature humaine et de sa
propension au changement. Voir LAGROYE, J., et alii, Sociologie Politique, Presses de la Fondation Nationale des
Sciences Politiques/ Dalloz, Paris, 2002, p. 219. 3 MARTIN, P., « les élections de 2002 constituent-elles un ‘‘moment de rupture’’ dans la vie politique française ? », in
Revue Française de Science Politique, Vol. 52, No. 5-6, 2002, p. 593-606. 4 KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, in Journal of Politics, Vol. 21, No. 2, 1959, pp. 198-210;
MARTIN, P., « Comment analyser les changements dans les systèmes partisans d’Europe occidentale depuis 1945 ? »,
Revue internationale de politique comparée, Vol. 14, No. 2, 2007, p. 263-280 5 BRAUDEL, F., Les ambitions de l’Histoire, Editions de Fallois, Paris, 1997.
6 COLLIER, R., et COLLIER, D., « Framework : critical junctures and historical legacies » in COLLIER, R., et
COLLIER, D., Shaping the political arena: critical juncture, the labor movement, and regime dynamic in latin
America, Princeton University Press, 1991, pp 27-40
167
d’éléments répétitifs1. Nous garderons toutefois, en filigrane, une approche sur le temps long, afin
de déceler des évolutions ou maintien des éléments de langage et de positionnement clivés.
L’origine temporelle des ré-ordonnancements politiques, qu’elle soit soudaine, cyclique ou
progressive, influe de manière différente sur le système de partis et la capacité des partis politiques
à canaliser ces processus. En d'autres termes, le « gel de la représentation » et/ou l'apparition d'un
ou de plusieurs partis au sein du système de partis ne découle pas d’éléments mécaniques et n’a
pas, partout, le même impact sur la structuration de la compétition politique. Sans perdre de vue le
caractère systémique de ces phénomènes, la stabilisation du processus découle à la fois du degré
d'institutionnalisation du système de partis, de la représentativité et la légitimité de ceux-ci, ainsi
que des tentatives de résistance et maintien des acteurs dépositaires de l’ordre en place2.
3.1.1 Approche théorique de l’analyse structurelle du changement.
La prise en considération préalable du changement en politique, entendu comme un processus
dynamique, implique l’émergence d’une ou plusieurs options alternatives à un ordre établi, et
suppose par-là même un travail d’identification, en plus des événements critiques, des fenêtres
d’opportunités3 ayant conduit à l’émergence du changement. Ces opportunités se matérialisant sur
trois niveaux : i) la structure de la représentation, ii) la concurrence entre les acteurs autour de la
capacité de mobilisation, et iii) les références en terme de culture et valeurs, capitalisées en
ressources politiques par les mêmes agents politiques en présence. En fonction de ces
caractéristiques structurelles, les options peuvent émaner aussi bien depuis l’ordre établi
(mouvement interne) que contre celui-ci (mouvement externe).
Ces considérations supposent à leur tour de ne pas perdre de vue l’essentiel de ce qui façonne la
« vie » politique, à savoir les actions et interactions des différents agents politiques entre eux, et les
liens d’interdépendance qui lient les différents agents entre eux à l’intérieur du système politique,
mais également avec d’autres agents plus moins extérieurs au système (syndicats, entrepreneurs,
1 À défaut d’éléments “invariants” qui comme le souligne Daniel Louis Seiler, découle de l’approche temporelle
macro-sociologique ou du “temps long” en reprennant la typologie braudélienne. Voir SEILER, D.L, “la comparaison
et les partis politiques”, op.cit. Voir également KEY, V.O., op. cit. ; NORTH, D., Instituciones, cambio institucional y
desempeño económico, Fondo de Cultura Económica, México, 2006 ; et NARDULLI, P., “ The concept of a critical
realignement, electoral behaviour and political change”, in American Political Science Review, Vol. 89, No. 1, 1995,
pp. 10-22. 2 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009
3 KINGDON, J., Agendas, alternatives, and public policies, Harper Collins, New York, 1995.
168
intellectuels, des institutions à priori « non politiques » comme les institutions religieuses, l’armée,
etc.), plus ou moins influentes en fonction des régions1.
Dès lors, les évolutions de l’ordre politique – qui avec les processus de démocratisation est
indissociablement lié à l’ordre social d’où proviennent les ressources tant financières,
organisationnelles (mobilisatrices) que symboliques des différents acteurs-, s’inscrivent dans
différents contextes de tension interne et externe de modification des rapports entre les différents
agents. Le champ politique du changement tend donc à se produire aussi bien à l’intérieur des
structures établies préalablement2 (partis, système de partis, castes...), comme à l’extérieur du
système en place3, en fonction des aptitudes sociales particulières à chaque agent à produire ou
reproduire des structures de domination et représentation (Pierre Bourdieu parlerait d’habitus), en
fonction de leur capital économique et social, et de leur prestige (« capital symbolique »)4.
Rapporté aux partis et aux systèmes de partis, la question de la structuration du système dépend
également de l’organisation de celui-ci (le système de parti) et de ses composants (les partis), ainsi
que de leur degré d’institutionnalisation respectifs5 (voir supra 2.1.2).
Cela étant, nous pouvons établir une classification des types de changement de l’ordre politique,
en fonction du degré d’intensité et de l’origine de ce changement. Comme le montre le tableau 3.1,
nous pouvons isoler quatre types de changements de l’ordre politique en deux grandes catégories
suivant que le changement entraîne, ou non, une mutation de la structure de représentation et des
organes de représentation. Ainsi, en nous concentrant sur les seconds cas, à savoir la non-
transformation des structures de représentation, qui s’appliquent davantage à la réalité des
démocraties représentatives, nous distinguons deux cas de figure de « rupture » à savoir, en premier
lieu, les processus de réalignements où les acteurs du changement sont les propres agents de l’ordre
institué et où la rupture consiste en un processus dynamique de rééquilibrage des forces en présence
et une reconfiguration des habitus et ressources des différents agents. Il est important de souligner
le caractère évolutif de ce processus, et insister sur le fait que les réalignement s’inscrivent et se
1 LAGROYE, J., et al, op. cit., p.198.
2 Telles les luttes de successions à l’intérieur même des partis, où les différents agents parviennent à mobiliser
différentes ressources financières et/ ou symboliques et culturelles. Le cas du PJ Argentin en est un parfait exemple de
lutes internes pour le contrôle de la “marque” péroniste. Voir CAVAROZZI, M. “Cómo una democracia de libro de
texto desembocó en un régimen de partido único... es el peronismo estúpido”, in Política, Vol. 42, 2004, pp. 207-220;
LEVITSKY, S., Transforming labor-based parties in latin America: argentine peronism in comparative perspective,
Cambridge University Press, 2003. 3 Telle l’apparition des partis ouvriers au Chili dans les années 1920-1930, voir supra.2.2.2.
4 BOURDIEU, P., Question de Sociologie, Ed. Minuit, Paris, 1980
5 MAIR, P., “Left-Right Orientations”, in DALTON, R., et KLINGEMANN, H. D., The Oxford handbook of political
behaviour, Oxford University Press, 2007, pp. 206-222; HARMEL, R., et JANDA, K., “Changes in party identity.
evidence from party manifestos”, in Party Politics, Vol. 1, No. 2, 1995, pp. 171-1996; HARMEL, R. et TAYLOR-
ROBINSON, M., “Application of the integrated theory of party change to Latin America’s volatile party systems”,
Communication présentée lors du V° Congrès Européen de Latino-américanistes (CEISAL), Bruxelles, 2007.
169
produisent sur plusieurs périodes, notamment électorales, lesquelles constituent autant de « phases
de réalignement ». Appliqué à l’étude des systèmes politiques, le moment de rupture initiant un
réalignement du système correspond à une « élection critique »1, le processus se confirme et se
consolide, par la suite, au travers de nouvelles élections.
Ce phénomène se distingue de celui de « ré-ordonnancement », où le changement procède de
l’émergence d’acteurs externes au système en place, et qui tendent à opérer une rupture de l’ordre
établi par la création d’une nouvelle source de démarcation, tout en agglomérant entre eux les
agents de l’ancien ordre en les caractérisant comme « agents du système » ou « oligarques ». Dit
autrement, dans le premier cas le changement s’opère de manière systémique (à l’intérieur du
système et par les propres agents du système), alors que la seconde forme de changement se fait
par l’entrée d’un nouvel acteur qui devient agent d’un nouveau système basé à la fois sur et contre
l’ancien ordre, lequel tend à opérer un réflexe de convergence conservatrice de ses agents.
A titre d’exemple, la victoire du Partido Nacional aux élections de 1958, marque un
réalignement de la structure partisane uruguayenne, laquelle passe d’un système de parti dominant
(autour du Partido Colorado) à un bipartisme compétitif. Cette élection critique va installer une
succession de rééquilibrages, exprimés par une alternance des agents de gouvernement, là où
auparavant la compétition était essentiellement interne au Partido Colorado. Ceci consiste bien en
un réalignement, puisqu’il n’y a pas eu de rupture des structures de représentation (les partis sont
toujours les principaux organes de représentation). En outre le changement s’est opéré depuis le
système et les agents en place. Inversement, l’émergence puis la consolidation de l’UCR en
Argentine consiste en un cas de ré-ordonnancement du système politique. Nous l’avons vu
précédemment (voir supra chapitre 2.2.1), le mouvement radical en Argentine apparaît à la fin du
XIXe siècle comme un acteur anti-système et en dehors du système politique mis en place par le
Partido Autonomista Nacional (PAN), lequel était qualifié d’« oligarchique » par les membres de
l’UCR. L’apparition d’une force politique de défiance (l’UCR) a ainsi contraint le pouvoir en place
à recourir à des mesures et mécanismes de protection (incarcération de membres radicaux
influents), tout en libéralisant le système (loi Saenz Peña entérinant le vote universel en 1912). La
position de l’UCR comme représentante autoproclamée des classes moyennes et porteuse de
nouvelles revendications va la conduire à occuper l’espace publique et politique, remplaçant dès
1 La notion d’ « élection critique » a été avancée par Valdimer Key, laquelle constituait pour le politiste américain, le
processus du réalignement per se. Par la suite, les travaux d’Edward Carmines et James Stimson vont conférer au
concept de réalignement un caractère dynamique. Voir KEY, V.O., “Secular realignment and the party system”, op.
cit ; CARMINES, E., et STIMSON J., Issue evolution, race and the transformation of american politics, Princeton
University Press, 1989. Pour une analyse critique du concept de “réalignement”, voir MARTIN, P., Les systèmes
électoraux et les modes de scrutins, Monchrestien, Paris, 2006.
170
1916 l’ordre ancien1, en réordonnançant le système politique argentin autour d’elle-même jusqu’au
coup d’Etat de 1930, puis jusqu’au suivant ré-ordonnancement politique produit par l’émergence
d’une autre force politique alternative (et bientôt dominante) : le Partido Justicialista.
Enfin, les cas de changement politique entraînant une -ou découlant d’une- transformation des
structures de représentation sont, à leur tour, divisés en fonction de l’origine du changement. Les
cas i) d’origine depuis le système correspondant à ce que Robert Dahl appelle les cas de
« libéralisation »2 de la représentation politique, où un pouvoir ou une « caste » en place s’attèle (de
manière plus ou moins contrainte) à ouvrir l’accession de l’exercice du pouvoir (ou du moins de la
représentation) à de nouveaux agents auparavant exclus; et ii) où par « déposition » nous entendons
un changement brusque et radical du système politique, du fait de l’intervention d’acteurs
extérieurs au système établi, contribuant alors à un changement de régime. Cette appellation
regroupe ainsi autant les cas de « révolution démocratique » (à l’image des actuels « printemps
arabes »), coups d’Etat, invasion étrangère (telle l’invasion de l’Irak par les USA en 2003).
Concluons enfin que les cas d’effondrement des systèmes politiques depuis l’intérieur constitue un
cas de transformation atypique que l’on serait tenté de classifier comme « conséquence » d’une
libéralisation3.
Tableau 3.1 : Typologie du changement de l’ordre politique
Transformation des structures et organes de représentation
Non Oui
Orig
ine d
u
ch
an
gem
en
t
Interne Réalignement Libéralisation
externe Ré-ordonnancement Déposition
Source : Elaboration propre, à partir de Lipset et Rokkan (1967) Dahl (1970 ; 1971), Skocpol (1979),
Kalyvas et al. (2008) et Deegan Krause et Enyedi (2010)
1 Lequel se dilue par la suite.
2 Ce concept constituant l’une des étapes de la polyarchisation des sociétés. Voir DAHL, R., La poliarquía, Tecnos,
Madrid, 2003 [1971]. 3 L’effondrement de l’URSS, ne s’assimile pas a un cas de deposition comme nous venons de le definir, en ce sens
qu’aucune « revolution » n’est venue destituer le régime en place. Au contraire ce sont bien des membres de l’interieur,
Boris Eltsine comme acteur visible, qui ont accéléré le processus de perestroïka, profitant ainsi d’un contexte interieur
et exterieur favorable au changement de regime. voir KLINGEMANN, H.D., FUCHS, D., et ZIELONKA, J.,
Democracy and political culture in eastern Europe, Routledge, Londres et New York, 2006; SULEIMAN, E.,
“Bureaucracy and democratic consolidation: lessons from eastern Europe”, in ANDERSON, L., Transitions to
democracy, Columbia University Press, New York, 1999, pp. 141-167; et GRAEME, J. G., Democracy and post-
communism: political change in the post-communist world, Routledge, Londres – New York, 2002.
171
Nous notons donc, en résumé, que le degré et l’intensité du changement est davantage corrélé au
champ d’origine du changement. Ainsi, toute rupture provenant du propre système en place, et
contrôlé par celui-ci, est substantiellement « absorbable » par les agents en place. A l’inverse,
l’émergence d’acteurs hors-système est potentiellement plus critique pour l’ordre établi. D’où
l’intérêt des agents dudit ordre de capter voir récupérer tout élément externe potentiellement
subversif. Relevons enfin le caractère circulaire et graduel de ces processus. En effet, une
libéralisation peut par exemple, si elle est mal négociée, déboucher sur une révolution, laquelle, en
se stabilisant et s’institutionnalisant, pourra expérimenter des cas de rééquilibrages et réalignements
internes1. Ces processus ne sont donc ni arrêtés, ni excluants, les relations entre les différents agents
ne sont par conséquent ni statiques ni automatiques, ni « acquises ». L’étude du champ politique
requiert donc, comme l’avance Jacques Lagroye de :
« … ne pas opposer la stabilité et le changement, autrement dit les processus, ou les effets des
processus, qui contribueraient à la préservation de l’ordre institutionnel et des rapports de force
consolidés, et ceux qui tendraient à les modifier. »2
Si une typologisation et une analyse structurelle du changement de l’ordre politique,
apparaissent nécessaires pour qualifier et caractériser les évolutions de l’ordre partisan et les
réalignements ou ré-ordonnancements qu’il engage, encore faut-il déterminer et identifier cet ordre
partisan initial, de même que les agents de cet ordre, ainsi que les éléments de sa formation et de sa
structuration en système. Ainsi, dans les démocraties représentatives, l’organisation et la stabilité de
du système reposent traditionnellement sur des repères identitaires où les agents (les partis) se
reconnaissent et s’opposent, autrement dit s’alignent, autour d’éléments de structure « clivés ».
Tout l’intérêt de la théorie des clivages repose ainsi sur l’étude de la transposition de la
représentation des lignes de fractures sociétales sur la scène politique, et plus particulièrement sur
le système partisan. En effet, sans représentation institutionnelle, toute opposition serait quelque
chose de moins qu’un clivage, notamment en termes d’intensité et de durabilité
(« institutionnalisation ») du conflit3. En somme, les lignes de fractures nécessitent une
intermédiation politique pour parvenir à constituer un clivage4. Cela suppose, comme le dit bien
Michel Offerlé, qu’il n’y aurait non pas « d’un côté des clivages bons à ramasser et de l’autre des
1 Voir DAHL, R., ¿Después de la Revolución ?, Gedisa, Barcelone, 1994 [1970]
2 LAGROYE, J., et alii, Sociologie politique, op. cit., p. 199.
3 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability. the stabilization of the european
electorate, 1885-1985, Cambridge University Press, 1990; DEEGAN KRAUSE, K., “New dimensions of political
cleavage”, in DALTON, R.J., KLINGEMANN, H.D., The Oxford handbook of political behaviour, Oxford University
Press, 2007, pp. 538-544. 4 SAWICKI, F., « La science politique et l’étude des partis politiques », in Cahiers français, n°276, 1996, p. 51-59.
172
partis prêts à le faire »1, mais que ce sont, à l’inverse, les partis qui en publicisant et politisant les
sources de conflits, créent une identité sociale et politique de démarcation2 tout en structurant des
réseaux de représentation. Le processus est une réussite lorsque les partis parviennent tout en se
dotant d’une « identité politique », à créer une « marque » de légitimité autour de cette identité
auto-créée, à agglomérer différents acteurs entre-eux autour de cette marque et à les mobiliser.
Ainsi, à titre d’exemple les Partis socialistes et communistes ont su traditionnellement, en Europe
continentale, se poser comme les interlocuteurs privilégiés de la classe ouvrière, de par l’origine de
leurs membres, leurs relations directes avec les intérêts de la classe ouvrière et leur activisme
politique et syndical.
Les processus historiques de changement de l’ordre politique sont donc aussi bien des
conséquences que des causes de ces changements. Par exemple, les processus de libéralisation de
l’ordre politique, via l’élargissement de la représentation politique, ont particulièrement contribués
aux ré-ordonnancements partisans, au travers de l’apparition et le maintien de nouveaux partis
porteurs de nouvelles revendications. Ils ont également conduit à « cristalliser » la compétition
politique autour des débats centraux lors de l’accession au vote massif3. Ainsi, bien que les
divisions existent pratiquement partout, et que dans certains cas on observe un croisement des
clivages sur le champ politique, ces clivages n’ont toutefois pas tous, et partout, le même impact
sur la compétition politique et la capacité à mobiliser un nombre important d’acteurs4. Chaque
nouveau clivage n’est pas nécessairement porté par un nouveau parti. Dès lors, le nombre de
« partis significatifs » d’un système de parti dépend de la force et de l’ampleur de l’implantation
des réseaux partisans sur l’ensemble du territoire national5. En somme, à chaque clivage ne
correspond pas nécessairement une opposition partisane différente.
Ceci implique que, suivant les cas et les époques, certains clivages peuvent être plus
« structurants »6 que d’autres. A l’inverse de ce que défend Rogowski, l’articulation et la
structuration de lignes de clivages ne dépend pas d’un choix rationnel de la part des électeurs7, mais
1 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006, p. 30.
2 TILLY, C., « Stein Rokkan et les identités politiques », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 2, No. 1,
1995, p. 27-45. 3 LIPSET, S., « Cleavages, parties and democracy », in KARVONEN, L., et KUHNLE, S., Party systems and voter
alignments revisited, Routledge, Londres, 2001, pp 1-9; DELFOSSE, P., « La théorie des clivages. Où placer le
curseur ? Pour quels résultats ? », in Revue internationale de politique comparee, Vol. 15, No. 3, 2008, pp.363-388 4 ROKKAN, S., Citizens, elections, parties.., op. cit p.143.
5 SARTORI, G., Parties and party system, ECPR- Oxford University Press, 2006 [1976] ; FROGNIER, A-P., «
Application du modèle de Lipset et Rokkan à la Belgique », in Revue internationale de politique comparee, Vol. 14,
No. 2, 2007, pp. 281-302 6 ZUKERMAN, A., « Social structure and political competition », in World Politics, Vol. 24, No. 3, 1972, pp. 428-443
7 ROGOWSKI, R., Commerce and coalitions: how trade affects domestic political alignment, Princeton University
Press, 1990
173
tourne surtout autour d’une configuration historique accumulée des élites territoriales et la
structuration de leurs oppositions originelles1. Ainsi, du degré de contrôle et proximité des élites
politiques avec les éléments de la « périphérie » culturelle ou sociale dépend la capacité
d’additionner les « camps » respectifs de chacune de ces divisions vectrices d’oppositions
identitaires2. Les frontières entre chaque clivage tendent alors à coïncider et à se superposer
3, alors
que les démarcations identitaires demeurent fortes, de parts et d’autres des clivages. Bien que
diverses lignes de conflits peuvent exister dans une société, et diverses identités sociales peuvent en
venir à cohabiter sur un même territoire, il se peut qu’un parti ou un système partisan aligne ces
différentes lignes de fracture sur un clivage « dominant », autour duquel les différentes oppositions
identitaires viennent se superposer quasi symétriquement. Dans ces cas, les lignes de démarcations
se manifestent davantage à l’intérieur des partis, et ne sont vectrices de sédition que si le parti ou le
système de parti s’avère incapable de les absorber et réaligner.
3.1.2 La matérialisation et l’évolution des lignes de clivages entre les partis
Comme nous l’avons vu en introduction, le concept de clivage4 implique donc, en premier lieu,
une initiative de la part de représentants à proposer des biens d’identité politique (discours, valeurs,
programmes d’action, etc.), et à les diffuser au travers du double processus de construction d’une
identité collective délimitée rationnellement et symboliquement, par opposition et différence, avec
un ou des adversaires également identifié(s)5. Ceci suppose que la matérialisation et la pérennisation
des clivages dépendent d’une institutionnalisation ou « cristallisation » des oppositions sociales
préexistantes à l’intérieur d’une société donnée. Enfin, si « chaque clivage acquiert une normative
distincte de son profil et de son réseau d’organisation »6, cela suppose qu’à cette identité politique
collective créée par les partis se raccorde une identité organisationnelle et comportementale
reconnue par les acteurs qu’il mobilise. Or, il ne peut y avoir déplacement des lignes de fractures,
sans altération de ses éléments fondationnels que sont les partis et systèmes de partis7. La
réciproque n’est, toutefois, pas automatique. En effet, si un changement ou « dégel » des lignes de
1 LIJPHART, A., « Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,
South Africa, and Switzerland », in American Political Science Review, Vol. 73, No. 2, 1979, pp. 442-458. 2 TILLY, C., op. cit.
3 Maurice Duverger va dans ce sens lorsqu’il parle de la « superposition des dualismes ». DUVERGER, M., Les Partis
politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951]. 4 Nous avons présenté une définition du concept en introduction.
5 GAXIE, D., La démocratie représentative, Monchrestien, Paris, 2003.
6 BARTOLINI, S., et MAIR, P., Identity, competition, and electoral availability… op. cit, p. 217.
7 OFFERLE, M., Les Partis politiques, op. cit ; GAXIE, D., La démocratie représentative, op. cit.
174
clivages présuppose un changement critique du système de parti, tout changement dans le système
de partis n’entraîne pas mécaniquement une transformation des lignes de clivage. A l’étude de la
formation et de l’émergence des clivages doit précéder une analyse contextuelle et structurelle de
l’émergence des antagonismes collectifs pertinents et mobilisateurs, ainsi que des «mécanismes de
cristallisation »1. Cela suppose donc l’analyse des séquences historiques « critiques », énonciatrices
de la cristallisation des principales fractures sociales.
En se basant sur l’histoire politique des pays d’Europe occidentale, la théorie des clivages a
avancé que les identités sociales et politiques se sont alignées autour de quatre lignes, de manière
successive ou parfois concomitante, suivant différentes périodes de l’histoire moderne, et
l’émergence de différents types de révolutions « déclencheuses »2. Tout d’abord, les « révolutions
nationales »3, découlent des oppositions de type géographiques et culturelles où face à une
construction nationale et l’établissement d’une administration étatique, opérée par un « centre » de
pouvoir dominant, vient s’opposer des cultures régionales ou « provinciales » qui se résistent de
manière plus ou moins forte à une assimilation forcée, au motif de la préservation de leur
« identité » régionale. Le conflit tiendrait à être d’autant plus intense et durable dans les territoires
marqués par un degré élevé d’hétérogénéité culturelle, linguistique et/ou ethnique. L’Espagne
constitue un bon exemple de cela, où à la culture castillane dominante, s’oppose les « résistances »
basques, catalanes etc…
De cela émane un second clivage qui se résume par une opposition sur l’influence des Eglises
sur la sphère nationale. Ces oppositions se matérialisent autour de l’importance de la morale
religieuse sur les affaires humaines, en termes notamment d’éducation et de valeurs. Les défenseurs
d’une sécularisation de la société s’opposent aux « défenseurs des religions ». Ces oppositions,
débouchent sur la création de partis laïcs, tels les partis radicaux et les partis libéraux, et leurs
opposants « conservateurs », partis chrétiens (puis « chrétiens-démocrates »), et autres partis
religieux4. Ces clivages sont particulièrement présents dans les pays présentant plusieurs courants
religieux, et où la structuration du champ politique ne s’est pas opérée des suites de « déposition »
1 LIPSET, S., et ROKKAN, S., op. cit., p. 31; MAIR, P., Party system change, Cambridge University Press, 1998
2 Pascale Delfosse, plus directe, avance ainsi: “pas de clivage(s) sans révolution préalable”, in DELFOSSE, P., « La
théorie des clivages. Où placer le curseur ? Pour quels résultats ? », op. cit., p. 385. 3 Les travaux de Lipset et Rokkan se basent uniquement sur l’Europe Occidentale, aussi les cas relevant de la notion de
« révolution nationale », correspondent essentiellement à i) des réordonnements ou des « dépositions » politiques,
comme nous avons décrit les caractéristiques précédemment, dont les cas paradigmatiques seraient la Grande Bretagne
et la France ; et ii) des unifications ou confédérations nationales, tels les cas typique de l’Allemagne, l’Italie ou la
Belgique. Nous pouvons néanmoins étendre la notion aux processus d’émancipation et indépendance, caractéristiques
des nations latino-américaines au XIXe siècle. 4 ROKKAN, S., Citizens, elections, parties, New York, David McKay, 1970; et ERTMAN, T., “Western European
party systems and the religious cleavage”, in VAN KERSBERGEN, K., et MANOW, P., Religion, class coalitions, and
welfare states,Cambridge University Press, 2009, pp. 39-55.
175
politique1. Les Pays Bas, l’Autriche, la Belgique et d’une certaine manière l’Italie, sont autant de
cas ayant expérimenté l’apparition de partis de « défense des religions », à l’inverse de la France ou
la Grande Bretagne, ou les partis conservateurs jouent, entre autres choses, ce rôle2.
A ces révolutions politico-identitaires, dont le modèle initiateur et paradigmatique est la
révolution française, se succèdent les processus liés à la révolution industrielle, initiée en Grande
Bretagne à la seconde moitié du XIXe siècle, et dont les implications sont essentiellement d’ordre
socio-économique. La transformation des sources de production de richesse, leur délocalisation
depuis les champs vers les usines et l’apparition de la classe ouvrière, débouchent sur la naissance
de deux nouveaux conflits « fonctionnels »: le premier culturel, le second social. De cette seconde
révolution, naissent des conflits identitaires axés sur une dichotomie « d’intérêts », dont les deux
expressions les plus courantes sont les conflits d’intérêts culturels et économiques entre ruraux
(agrariens) et urbains, puis les conflits d’intérêts « de classe » opposants les travailleurs aux
possédants. Cette opposition conduit, au XXe siècle, à l’émergence d’une nouvelle révolution
internationale, la révolution bolchévique, de laquelle débouche le clivage le plus largement repris
pour faire état d’oppositions identitaires et politiques, est une dichotomie fonctionnelle de notions
abstraites ou « topographiques »3.
Cette ligne de fracture identitaire tient du clivage en raison de son origine, et du fait que chaque
pôle existe par opposition à l’autre. Elle apparaît, en effet, lors de la révolution française marquant
grosso modo, l’opposition entre tenants de l’ancien régime (droite) et députés révolutionnaires du
tiers-état (gauche)4. Mais la consolidation de cette opposition s’installe après la Révolution
industrielle et découle d’une métamorphose de la représentation des suites de la généralisation du
suffrage universel masculin marquant l’avènement de la démocratie de partis5. En effet, les
processus d’industrialisation des sociétés européennes, liés à la révolution industrielle, ont favorisé
les oppositions autour de la notion de progrès tant technique que social, en fonction des aspirations
et priorités des différents groupes concernés. Suivie des phénomènes de libéralisation démocratique
et de l’institutionnalisation de la représentation politique au travers de partis, cette notion de
progrès va se diversifier et être reprise et dichotomisée par les partis. Les partis ouvriers (gauche)
appelant au progrès social (ou justice sociale), les clubs puis partis des « entrepreneurs » (droite) au
1 KALIVAS, S., The rise of christian democracy in Europe, Cornell University Press, New York, 1996
2 ROKKAN, S., op. cit.
3 LAPONCE, J., Left and Right: The topography of political perceptions, University of Toronto Press, 1981; BOBBIO,
N., Left and right: The significance of a political distinction, University of Chicago Press, Chicago, 1996. 4 Voir SCHWEISGUTH, E., « Clivage droite-gauche », in PERRINEAU P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, Puf,
Paris, 2001, pp. 201-205. 5 Les notions de “métamorphose de la représentation” et “démocratie de partis” sont empruntés à Bernard Manin, dans
MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].
176
progrès économique et technologique. Enfin les partis « conservateurs », s’alignent également à
droite et prônent traditionnellement un discours revendiquant le maintien de l’ordre politique et
social, ainsi qu’une relation privilégiée avec le fait religieux.
Cette opposition qui constitue un clivage de classe1, repose essentiellement sur des questions
d’ordre socio-économiques. L’internationalisation puis le « gel » de la notion se produit des suites
de la Révolution Bolchévique de 1917, où à la dichotomie gauche/ droite va s’additionner et se
superposer symétriquement une série d’oppositions multithématiques où l’opposition entre progrès
se décline sur différents thèmes transversaux. De même, les notions de ‘gauche’, ‘gauche modérée’,
‘extrême gauche’, et leur pendant de droite, se calibrent et se mesurent en fonction du degré
d’identification avec la révolution russe, et de la proximité d’avec son organe politique : le Parti
communiste (dès 1918). Le caractère pluriel des notions de « droite » et « gauche », les rend plus
flexibles et en fait des éléments générateur d’identité politique d’autant plus forts, qu’il ne se trouve
pas nécessairement un seul parti de part et d’autre de ce clivage : on s’identifie ainsi plus aisément
de gauche que strictement communiste ou socialiste. La portée de l’identification partisane est en
effet plus sujette au changement, notamment au changement de personnel dirigeant, que celles
portant à un clivage aussi abstrait et flou soit-il.
Toutefois, dans le cas du clivage Droite/ Gauche, la théorie suppose que ce clivage, repose sur
trois dimensions structurantes : a) une composante idéologique, b) une composante
programmatique, et c) une composante organisationnelle. A chaque versant du clivage correspond
une idéologie particulière, matérialisée par une offre programmatique et une organisation interne
propre, vectrice de politisation2. Plus le clivage est structurant et imperméable, plus les acteurs
politiques seraient cohérents et cohésionnés de part et d’autre de chaque camp, plus polarisée se
trouverait la société, et par ricochet la compétition politique3. De même, plus une société
démocratique est clivée, plus les alignements électoraux sont considérés comme stables. Encore
faut-il que les organes de représentations de ces clivages se maintiennent stables et identifiables.
Ajoutons la conception d’interdépendance de chacun des deux camps. L’existence d’un pôle
constitue la « raison d’être » de l’autre4, les positions de chacun se plaçant et se matérialisant vis-à-
vis de celles de l’autre. Cependant comme nous venons de le mentionner, les marques identitaires
autour de cet axe gauche/ droite, ne sont que des photographies du moment, et ne sont donc figées
1 BARTOLINI, S., The political mobilization of the European left, 1860–1980: The class cleavage, Cambridge
University Press, 2000. 2 HAEGEL, F., “Pertinence, déplacement et renouvellement des analyses en termes de clivages en France », in Revue
Internationale de Politique Comparée, Vol. 12, No. 1, Bruxelles, 2005, p. 41. 3 SANI, G., et SARTORI, G., « Polarización, fragmentación y competición en las democracias occidentales », in
Revista de Derecho Político, No. 7, 1980, pp. 7-37. 4 BOBBIO, N., op. cit.
177
ni dans le temps ni dans l’espace, et sont sujettes à des réalignements ou ré-ordonnancements de
clivages1. Sans compter qu’il est des thèmes transversaux parfois difficiles à étiqueter de droite ou
de gauche2. Pour autant, l’opposition gauche/droite constitue un référent ou « repère » politique
identitaire3, permettant a priori une comparaison entre époques et sociétés. Enfin, si l’usage de
cette notion semble se résister aux sociétés anglo-saxonnes, qui lui préfèrent l’opposition
conservateurs/libéraux4, la notion d’aile droite/gauche pour « placer » les différentes fractions des
partis, est relativement courante auprès des politistes spécialistes de ces régions.
En conséquence, le principal argument pour parler de « dégel » des lignes de démarcation est
donc structurel (ou « matriciel »). La désindustrialisation graduelle et la rapide tertiarisation des
sociétés européennes (à l’exception notoire de la RFA, puis de l’Allemagne réunifiée) ont contribué
à ce que le clivage gauche/ droite, arrimé autour de l’antagonisme possédants/ travailleurs, se
distende et se diversifie des suites de nouvelles attentes et revendications de la part de populations
sociologiquement plus variées5. Ce processus constitue ce que Pierre Martin appelle la
« Révolution Globale »6. Ce nouvel événement critique est marqué par une transformation –ou
« diversification »- des revendications découlant soit d’agrégation de nouveaux antagonismes post-
matérialistes, soit de réactivations d’anciennes lignes de clivages.
Dans le premier cas, ces nouveaux clivages fonctionnels Homme/Nature et Universalisme/ Anti-
Universalisme7, sont soit « produits » par de nouveaux partis (partis écologistes, nationalistes, etc.),
soit mis en avant voire récupérés par d’ancien partis, et s’insèrent autour du clivage droite/gauche.
La recherche d’amplification de leur clientèles partisanes et le recours massif à la médiatisation de
leurs dirigeants, avec l’apparition des médias de masse, ont conduit la plupart des partis d’Europe
occidentale à une flexibilisation programmatique et organisationnelle, dont le fait marquant est une
autonomisation des partis de leurs structures militantes et une personnification accrue des élections.
Cette évolution renvoi à la description de Bernard Manin de transition depuis la démocratie des
1 Comme nous l’avons présenté précédemment dans notre typologie du changement, il s’agirait donc d’un réalignement
si ce sont les propres agents du système politique qui organiserait ou repositionnerait la ligne de clivage. Nous
parlerons, à l’inverse de réordonnement de clivage si le nouveau clivage est amené par un acteur étranger au système en
place. 2 La référence à la nation est-elle l’apanage de la droite ? Et, bien que les partis « verts » soient généralements alliés
aux partis de gauche, l’écologie est-elle une thématique de gauche ? 3 PARENTEAU, D., et PARENTEAU, I., Les idéologies politiques : le clivage gauche-droite, Presses de l’Université
du Québec, Québec, 2008 ; SCHWEISGUTH, E., « Clivage droite-gauche », op. cit. 4 Aux Etats-Unis, toutefois, cette opposition est davantage intra-partisane qu’ inter-partisane.
5 INGLEHART, R., Modernization and postmodernization: cultural, economic and political change in 43 countries,
Princeton University Press, 1997; INGLEHART, R., et WELZEL, C., Modernization, cultural change, and democracy:
The human development sequence, Cambridge University Press, 2005. 6 MARTIN, P., « Comment analyser les changements … », op. cit., p. 266.
7 Le premier consistant en une prise de conscience écologique le second en l’activation d’un réflexe identitaire,
essentiellement national et culturel, à l’encontre des processus de mondialisation. Voir SEILER, D-L., 2003, op. cit.,
178
partis, vers la démocratie du public1, et à la notion de transformation de la « nature » des partis
élaborée par Kirscheimer, depuis le « parti de masse » vers le parti attrape-tout2. L’élargissement
du clivage droite/gauche, a contribué à ce que celui-ci perde de son intensité manichéenne. Si cette
opposition continue d’être un facteur d’identité politique et idéologique, elle paraît ainsi en perte de
repères identitaires. La « disparition » des partis communistes (au sens de leur influence, aussi bien
qu’au sens figuré), a contribué à l’enclenchement de réalignements profonds, en supprimant la
raison d’être de certains partis significatifs, tels que la démocratie chrétienne italienne3 ; ou en
réordonnançant et « libérant » le vote ouvrier autour du clivage universalisme/ anti-universalisme4.
En résumé, l’émergence des clivages, d’après l’expérience européenne, est donc le fruit de la
combinaison de deux éléments : a) la survenue d’une « révolution » sociétale, qu’elle soit nationale,
internationale ou « globale », portée par b) l’influence et l’action de partis politiques représentant,
politisant et mobilisant autour de lignes de fractures préexistantes. Les changements d’équilibres
partisans procèdent, a leur tour, d’un déclin du soutien d’une « clientèle » partisane (rurale,
entrepreneuriale, ouvrière, etc.), des suites de transformations sociétales et matricielles. Ces
transformations s’expriment soit par un réalignement du système de partis, où certains partis
récupèrent la perte d’influence d’identité partisanes fortes, tout en maintenant ou réadaptant le
système de clivage en place ; soit par l’émergence de partis porteurs de nouvelles revendications
clivantes et de changement d’orientations en terme d’ organisation et de valeur, face auxquels se
répercute la réaction des partis « traditionnels »5. Surtout, la cristallisation du méta-clivage
droite/gauche implique, d’après la théorie, une compétition politique sur des bases idéologiques, où
ce clivage opère comme ligne de fracture de différentiation identitaire entre les partis. Les
successions d’événements critiques ou « révolutions » potentiellement tensiogènes et génératrices
d’antagonismes, ne viennent pas tuer les idéologies en place, mais les transformer dans leur contenu
et dans leur expression morale (de manière conflictuelle ou consensuelle)6. De la sorte, de nouvelles
lignes de tensions sont apparues, s’additionnant ou se substituant aux précédentes. Enfin, la
réactivation de lignes de clivages anciennes, des suites de la « Révolution globale », découle
essentiellement de la résurgence de thématiques régionalistes autour de l’opposition
1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, op. cit, p. 279
2 KIRSCHEIMER, O., « The transformation of western European party system », in LAPALOMBARA, J., et WINER
M., Political parties and political development, Princeton University Press, 1966 3 BOBBIO, N., Left and Right… op. cit.
4 SCHWEISGUTH, E., « Clivage Droite-Gauche », op. cit ; et MACK, C., When political parties die: a cross-national
analysis of disalignment and realignment, Praeger, Sant Barbara, 2010. 5 MAIR, P., MÜLLER, W., et PLASSER, F., “Introduction: electoral challenges and party responses”, in MAIR, P.,
MÜLLER, W., et PLASSER, F., Political parties and electoral change: party responses to electoral markets, Sage
Publications, Londres, 2004, pp. 1-19 6 BRECHON, P., Les partis politiques, Monchrestien, Paris, 1999.
179
centre/périphérie, et plus particulièrement au sein de sociétés où existaient des conflits
intercommunautaires latents1. Dans ces cas de figures, des partis régionalistes, ethniques ou
religieux sont venus couper le clivage fonctionnel dominant, en ajoutant un clivage qui ne se
superpose pas mais concurrence le précédent. D’ailleurs, ces thèmes « territoriaux » réactivés sont
difficilement identifiables et positionnable sur un axe droite/gauche2.
3.1.3 La formation des clivages dans le Cône Sud
De manière concomitante à de nombreux pays européens, la plupart des pays d’Amérique du
Sud, et d’Amérique latine en général, ont entamé leur construction nationale dans la première
moitié du XIXe siècle. Toutefois la forme de ces « révolutions nationales » latino-américaines, et
les acteurs de celles-ci diffèrent des processus européens. Ainsi, pour l’ensemble des pays de la
région, à l’exception notoire du Brésil, le processus de création nationale découle de guerres
d’indépendance contre la lointaine métropole espagnole, entrepris par des créoles (criollos) locaux,
les caudillos, essentiellement des grands propriétaires terriens. Ces deux éléments sont à prendre en
compte puisque la condition de distance avec l’ancienne puissance (à l’inverse des rares processus
similaires en Europe où l’ancienne puissance « occupante » se trouve être voisine), cumulé à la
faiblesse administrative et institutionnelle de la structure coloniale, plonge la région dans une
longue instabilité politique, où les lignes de tensions sont aussi bien internes (entre caudillos)
qu’externes (entre des coalitions de caudillos de « nations » différentes)3. Ce faisant, les révolutions
nationales en Amérique latine seront plus longues à se stabiliser qu’en Europe, les pays étant
marqués par de nombreuses guerres civiles (notamment en Uruguay et en Argentine) ; guerres entre
différents Etats (le Chili par deux fois contre la coalition Pérou-Bolivie) ; séparation et sédition de
1 LIJPHART, A., « Religious vs. linguistic vs. class voting: the "crucial experiment" of comparing Belgium, Canada,
South Africa, and Switzerland », op. cit; 2 Excepté le cas italien où la Ligue du Nord avec son discours à teneur xénophobe la positionne idéologiquement à
droite quand ce n’est « à la droite de la droite » sur l’echiquier italien. Le cas belge est différent, où chaque
communauté linguistique possède son propre système de parti droite-gauche, dont les différentes forces politiques
constituent autant d’îlots face à ce double clivage. 3 Ces processus se différentient des processus européens à la même époque, où les révolutions nationales découlent de
a) nations déjà consolidée dans des frontières plus ou moins stables (France, Grande Bretagne, et dans une moindre
mesure Espagne) et b) de « construction nationales » et confédérations de territoires se revendicant d’une même nation
(Suisse, Allemagne, Italie, Belgique). Les processus d’indépendance « violente » (guerre d’indépendance) ont eu lieu
plutôt vers la fin du XIXe siècle- début du XXe, et ontconcerné essentiellement des Etats d’Europe Centrale et
Orientale (Tchécoslovaquie, pays Balkaniques, Pologne, etc…) d’avec les puissances impériales Austro-hongroise,
Russe et Ottomane. Voir DABENE, O., L’Amérique latine à l’époque contemporaine, Armand Collin, Paris, 2005;
ROBERTS K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación política en la era neoliberal
latinoamericana”, in CAVAROZZI, M. y ABAL MEDINA, J. El asedio a la política; los partidos latinoamericanos en
la era neoliberal, HomoSapiens Editorial, Rosário, 2003, pp55-75
180
parties entières de territoires (la plupart des pays d’Amérique Centrale vis-à-vis du Mexique, et le
démantèlement de la Grande Colombie en trois Etats : le Venezuela, la Colombie et l’Equateur) ;
ou intervention de puissances extérieures (Panamá, Uruguay1).
Si la motivation première d’opposition et de conflit entre ces caudillos, dans la plupart des cas,
était l’accession ou l’octroi de parcelles de pouvoir politique et économique, la concurrence entre
les acteurs se matérialisait par une opposition généralement binaire autour de deux visions de
l’organisation politique de l’Etat en gestation : centralisateurs contre fédéralistes. Opposition qui
d’une certaine mesure rappelle la dichotomie centre/ périphérie. Or, à cette construction nationale et
stabilisation étatique tardives et chaotique, vient s’ajouter une modèle socio-économique centré sur
l’exportation extensive de produits essentiellement primaires (agricoles pour les zones littorales,
miniers pour les pays andins) jusque la moitié du XXe siècle pour la plupart des pays de la région.
L’instabilité politique et la spécialisation économique ont contribué à retarder et limiter, voire
étouffer, l’implantation de la révolution industrielle dans la plupart des pays de la région2. Ce
« passif » historique permet donc de douter de la structuration de la compétition politique autour de
réels clivages identifiables. D’aucuns postulent ainsi qu’il s’agirait à la fois d’un marqueur et une
cause d’instabilité politique :
« Dans la longue histoire des nations indépendantes d’Amérique latine, les clivages structurels ont
donné lieu à des partis, mais la plupart d’entre eux ont rarement été en mesure de former des
bases de soutiens durables et disciplinées. Ils ont de manière répétée disparu des suites de
l’occurrence de crise en tout genre. La troisième vague des années 1980 leur a donné une nouvelle
occasion de s’enraciner dans la société, mais la encore cela ne s’est produit que dans un nombre
limité de pays. Par conséquent, nous devons considérer la majeure partie des systèmes politiques
latino-américains, au mieux, comme des démocraties instables. »3
Cependant, comme le remarque Pierre Ostiguy :
« Les préférences politiques ne sont pas strictement liées à des thématiques politiques ou à des
idéologies, et ne sont pas toujours guidées par des calculs froids d’intérêts matériels, pour autant,
les motivations sur les préférences sont variées et l’identification est un facteur important »4
La construction des systèmes de partis et la compétition politique en Amérique latine est donc le
produit de concurrences originelles entre les oligarchies, où la relation entre gouvernants/gouvernés
1 L’indépendance de l’Uruguay, des suites de la guerre entre l’Argentine et le Brésil, découle d’une médiation
britannique afin de créer un Etat tampon entre les deux puissances, et surtout internationaliser le fleuve Uruguay et
faciliter ainsi le passage de bateaux britanniques. 2 DABENE, O., L’Amérique latine à l’époque contemporaine, op. cit, pp.7-32 ; ROUQUIE, A., Amérique Latine:
introduction à l’extrême occident, Seuil, Paris, 1998, pp. ; HALPERIN DONGHI, T., Historia contemporánea de
América latina, Alianza Editorial, Madrid, 2005 [1969], particulièrement entre les pages 220-280. 3 LIPSET, S., « Cleavages, parties and democracy », op. cit., p.8
4 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics:a two-dimensional political space for comparative analysis and
electoral studies”, Working Paper N°360, The Hellen Kellog Institute, Université de Notre Dame, Juillet 2009, p.42.
Traduction propre
181
et représentants/représentés, se fonde davantage sur des bases clientélaires et symboliques, plutôt
qu’idéologiques1. Les partis politiques latino-américains ont, en effet, traditionnellement été
considérés comme des partis dénués d’idéologies claires et dont l’opposition politique se fonderait
sur des antagonismes intra-oligarchiques2. De ce fait, les systèmes partisans de la région, à
l’exception du Chili, ne seraient pas structurés autour de clivages « sociétaux » mais autour
d’intérêts et conflits essentiellement personnels3. Les partis latino-américains seraient donc pour la
plupart, des machines électorales à l’image des partis Etats-uniens où les éléments de « sociation »4
entre les partis et leurs électorats reposeraient davantage sur des considérations utilitaristes et
personnelles. Cela expliquerait ainsi l’absence d’une structuration partisane sur des bases
idéologiques et programmatiques. Mais suppose-t-elle l’absence de lignes de clivage ? Et, par
ricochet, sur quelles bases se structure la compétition électorale quand les liens de sociation ne sont
pas programmatiques ?
Malgré ce que l’on vient de voir, il est remarquable d’observer que la plupart des auteurs vont
s’atteler à classifier les systèmes de partis latino-américains autour du clivage droite/gauche5, et à
décrire son expression partisane6. Aussi, à quoi correspond la dichotomie droite/gauche en
Amérique latine, et plus particulièrement dans le Cône Sud ?
a. Origines de la structuration partisane dans le Cône Sud
Nous avons analysé, au chapitre précédent, les trajectoires historiques des systèmes de partis du
Cône Sud-Américain, ainsi que la culture gouvernementale associée. Nous avons relevé,
notamment, le caractère particulièrement consensuel du système politique uruguayen (surtout au
1 ROUQUIE, A., Amérique Latine: introduction à l’extrême occident, op. cit. ; FREIDENBERG, F., GARCIA, F., et
LLAMAZARES, I., « Instituciones políticas y cohesión ideológica. Un analisis multinivel de la heterogeneidad
ideológica en os partidos latinoamricanos », in ALCANTARA SAEZ, M., Políticos y política en América Latina, Siglo
XXI/ Fundación Carolina, Madrid, 2006, pp. 255-280. 2 Voir respectivement DIX, R., “Cleavage Structures and Party Systems in Latin America”, in Comparative Politics,
Vol. 22, No. 1, 1989, pp. 23-37; et ROBERTS, K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación
política en la era neoliberal latinoamericana”, op. cit. 3 MAINWARING, S., Rethinking party systems in the third wave of democratization: the case of Brazil, Stanford
University Press, 1999; DIX, R.H., “Cleavage Structures and Party Systems in Latin America”,op. cit. 4 Notion propre à l’analyse weberienne des partis politiques, où ceux-ci servent à la fois de canalisateurs d’intérêts
communs et d’intermédiaire à la réalisation d’objectifs communs, idéaux ou matériels. Sur l’approche weberienne des
partis politiques voir OFFERLE, M., Les Partis politiques, op. cit ; et WINTER, E.,« Quelques "études de cas" et une
théorie des relations sociales : la sociologie des groupes ethniques de Max Weber », in Les Cahiers du Gres, Vol. 1,
No.1, 2000, p. 23-33. 5 Voir notamment COPPEDGE, M. “A classification of latin american political parties”, Kellogg Institute Working
Paper No. 244, Notre Dame University, 1997. 6 Voir récemment COLOMER, J., et ESCATEL,L., “La dimensión izquierda-derecha en America Latina”, in
Desarrollo Económico, Vol. 45, No. 177, 2005, pp. 123-136; ALCANTARA, M., “Partidos políticos en América
latina: precisiones conceptuales, estado actual y retos futuros”, in Documentos Cidob América Latina, No.3, 2004;
ALCÁNTARA, M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en América Latina”, in Política y
gobierno, Vol. 14, No. 2, 2007, pp. 349-390
182
XXe siècle) et, à l’inverse, les cultures confrontationnelles voire conflictuelles –suivant les
époques- propres aux systèmes chilien et argentin. De même, nous avons montré que le nombre
d’acteurs, et pour autant la structuration de la compétition politique, a constitué l’un des éléments
de différentiation entre les trois pays. La compétition est traditionnellement bipartisane en Uruguay
et en Argentine (avec le bémol de l’instabilité politique, et de l’influence du « parti militaire », pour
cette dernière), et multipartisane au Chili ; ce qui a influé notamment sur les contenus et les
fondements des oppositions partisanes. Pour autant, les trois sociétés ont en commun une forte
pénétration des différents partis dans la structure sociale, particulièrement après l’approbation du
suffrage universel (masculin)1 et une forte assimilation sociétale des lignes de démarcation
partisanes, lesquelles se structurent rapidement en oppositions d’identités sociales fortes et
institutionnalisées.
Structuration du système de partis uruguayen
Comparativement, le système de partis uruguayen est celui qui s’est formé et consolidé en
premier, n’ayant d’ailleurs pratiquement pas changé sur la majeure partie du XXe siècle, jusqu’en
1971. La structuration et postérieure consolidation du système partisan uruguayen, autour de la
dyade Blancos/ Colorados, procède du processus d’indépendance du pays, lequel est marqué
paradoxalement par de nombreux affrontements armés entre deux factions, appuyées initialement
par des nations étrangères rivales (entre autres l’Argentine, l’Angleterre, la France et le Brésil), qui
s’inscrivent dans le triple contexte d’indépendance des Provinces Unies du Río de la Plata, de
guerre civile qui s’en suit (opposant unitaires contre fédéralistes), et de la « guerre du Brésil »
opposant ce dernier à l’Argentine. Ainsi l’antagonisme originel structurant ultérieurement
l’opposition identitaire est fondamentalement belliqueux24
et découle aussi bien de différends entre
les « partis traditionnels », dans les visions politico-administratives (centralistes/ fédéralistes),
comme des soutiens internationaux. Le Partido Colorado dirigé par le caudillo militaire José
Fructuoso Rivera, initialement soutenu par les Brésiliens et les unitaires (défaits) Argentins, et
structuré autour de Montevideo, s’oppose alors au Partido Nacional (ou Blanco), conduit par
Manuel Oribe, appuyé par les fédéralistes Argentins, et essentiellement rural2. En raison de ce
1 Respectivement en 1888 au Chili, 1912 en Argentine, et 1918 en Uruguay.
24 CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., « La democracia en Uruguay : una partidocracia de consenso » in Política, Vol.
42, 2004, pp. 221-247; MOREIRA, C., “Problematizando la historia de Uruguay: un análisis de las relaciones entre el
Estado, la política y sus protagonistas”, in LOPEZ MAYA, M., et al, Luchas contrahegemónicas y cambios políticos
recientes en América Latina, Clacso, Buenos Aires, 2008, pp. 366-373. 2 Nous l’avons déjà mentionné, les noms « colorés » des partis, Colorado (Rouge en espagnol) vs/Blanco, provient en
réalité de la bataille de la Carpintería, six ans après l’indépendance formelle du pays, et représentant les couleurs de
chacune des deux factions, à ceci près que le rouge (« colorado ») est une couleur ad hoc, puisque les factions de
183
passif historique, le bipartisme qui s’instaure est donc marqué par une logique de confrontation.
Dans une société initialement non « polyarchisée » et non stabilisée, l’accession au gouvernement
contenait ainsi une dimension dramatique, jusqu’en 1904, où « perdre une élection revenait à
perdre tout, et cela suivant toutes les probabilités, sans aucune espérance de récupérer le pouvoir
sinon par la violence »1.
Les événements de la guerre civile de 1904, et son résultat particulièrement meurtrier (pour une
population totale inférieure au million d’habitants), marque la nécessité d’une pacification de la vie
politique uruguayenne. Pour ce faire, une Convention Nationale Constituante est adoptée en 1916
pour établir des changements constitutionnels et institutionnels. De cette convention débouche une
nouvelle Constitution qui établit entre autre l’organisation partiellement collégiale du pouvoir
exécutif28
et un système électoral (la Ley de lemas) favorisant la diversité des candidatures et des
fractions à l’intérieur des partis2. Surtout, des suites de cet événement s’installe la figure de José
Batlle y Ordóñez comme principale figure, colorada, de la vie politique uruguayenne.
Si la compétition politique découle initialement d'une dichotomie centre urbain (colorados)/
intérieur rural (blancos), faiblement polarisée, celle-ci évolue « naturellement » vers un
antagonisme de type libéral/conservateur. Le Partido Colorado, et son courant dominant héritier de
la gestion de Batlle, représente le camp libéral, laïc, centralisateur et développementaliste ; le
Partido Nacional, divisés entre suiveurs d’Oribe et du caudillo Aparicio Saravia (mort lors de la
guerre civile de 1904), représente le « camp » conservateur, décentralisateur, chrétien et libre-
échangiste3. Rappelons, toutefois, que la structuration des partis uruguayens en plusieurs
« fractions » (sublemas) internes, rend cette dichotomie finalement peu évidente, puisque dans
chacun des partis nous trouvons des fractions «libérales » et d’autres « conservatrices ». Les
courants dominants se succèdent à l’intérieur de chaque parti, en fonctions des époques, même si
l’impact de Batlle et Ordóñez sur la structuration de la compétition partisane demeure central
jusque 1958. Ainsi, de manière analogue au bipartisme nord-américain, le caractère hétérogène des
partis illustre une certaine permanence du clivage territorial centre urbain/ périphérie rurale, que
l’on retrouve dans les résultats électoraux des partis, où le Partido Colorado est essentiellement
Rivera ont du adopter sur le tard cette couleur en remplacement du bleu clair (« celeste ») qui se déteignait et se
confondait donc avec le blanc de la faction rivale. 1 RAMIREZ, J.A., Dos ensayos constitucionales, Ministerio de Instrucción Pública y Previsión Social/ Colección de
clásicos uruguayos, 1967, p. 130. 28
Nous avons vu dans un précédent chapitre que l’exécutif cétait constitué, d’un côté par le président de la République
élu au suffrage universel, et d’un autre par le Conseil National d’Administration (CNA), composé de neuf membres,
eux aussi élus au suffrage universel, suivant de modalités différentes. 2 Voir supra chapitre 2.2.1
3 GONZALEZ, L., “Continuidad y Cambio en el Sistema de Partidos Uruguayo”, in MAINWARING, S., et SCULLY,
T., La Construcción de Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996,
pp. 113-132
184
implanté à Montevideo et sur le littoral ainsi que dans le département nordiste de Rivera, alors que
le Partido Blanco est présent dans l’intérieur du pays1. Dès lors, la forte pénétration des partis dans
la société uruguayenne et la nature des liens entre ceux-ci avec leur électorat ne repose pas
vraiment sur des bases idéologiques, mais davantage sur des bases clientélaires et symboliques.
La « distance » en termes de polarisation idéologique entre les deux partis, demeure
particulièrement faible. Les courants internes, surtout au Partido Colorado, se succédant entre eux.
Ce sont donc des propres partis traditionnels, et plus particulièrement le PC en raison de son
caractère dominant sur le système politique uruguayen jusque 1958, que proviennent les
alternances, ce qui met en évidence le caractère hétérogène et la flexibilité de leur composante
programmatique et idéologique. Ainsi, le Batllisme, historiquement majoritaire et progressiste
s'oppose au Riversime (plus conservateur et minoritaire), au sein du Partido Colorado. Par la suite,
ces différents courants ont subi de nombreuses divisions et ont perdu progressivement leurs repères
identitaires originels. De même l'Herrerisme, courant initié par le leader blanco Luis Alberto de
Herrera constitue le courant majoritaire au cours du XXe siècle au sein du Partido Nacional. Celui-
ci, bien que de sensibilité plus conservatrice2, représente surtout les intérêts des estancieros
(propriétaires terriens de l'intérieur), auquel s’opposent des groupes blancos indépendants
initialement peu organisés, qui se structurent au cours des années 1960 autour de la personne de
Wilson Ferreira, de sensibilité plus progressiste. Ces différents courants vont tour à tour se disputer
la domination du Partido Nacional, jusqu'aujourd'hui.
Sur le plan du système partisan, la compétition est quelque peu plus monotone. Jusque 1971,
aucune alternative partisane significative n'apparaît viable, en dehors des deux partis. Les « partis
d'idées », cumulés, n'obtenant jamais plus de 8% de l'électorat. Cela est facilité par deux facteurs :
i) l’absence de révolution industrielle en Uruguay, où l’économie est essentiellement agro-
exportatrice, ce qui provoque ii) l’absence d’une classe ouvrière développée, au profit d’une
relative homogénéité socio-économique de la société uruguayenne3.
Pour autant, la principale caractéristique du système de parti uruguayen et facteur de sa stabilité,
à savoir la forte institutionnalisation de ses partis, va se révéler être sa principale faiblesse. Comme
le montre Angelo Panebianco4, à un fort degré d'institutionnalisation du système de partis,
1 FREGOSI, R., “La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay”, in BLANQUER et al.,
Voter dans les Amériques, Éditions de l’Institut des Amériques, Paris, 2004, pp. 127-136. 2En manifestant notamment son appui au coup d'Etat « civil » déclenché par le président colorado Gabriel Terra, des
suites de l'immobilisme politique au sein du pouvoir exécutif bicéphale (voir supra), produit par Grand Dépression des
années 1930. 3 LANZARO, J.,“ Continuidad y cambios en una vieja democracia de partidos: Uruguay 1910-2010”, in Cuadernos del
CLAEH, Nº 100, 2012. 4 PANEBIANCO, A., Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988, pp. 12-15.
185
correspond une plus grande rigidité organisationnelle et une moindre rénovation de l'élite politique.
La capacité d'adaptation des partis face à des situations critiques tant internes qu'externes suppose
une combinaison de critères tant organisationnels (proposition d'une nouvelle stratégie anticyclique
ou de sortie de crise, conjointement avec l'apparition ou l'affirmation d'un leadership fort),
idéologiques (avoir la capacité d'imposer cette stratégie comme dominante au sein du parti ou par
une neutralisation des stratégies dissidentes) et conjoncturelles (susciter l'adhésion autour du projet
tout en maintenant la «clientèle électorale traditionnelle »)1. Or, pour être viables, ces
transformations doivent s'inscrire dans la continuité de la culture d'organisation2 propre à chaque
parti, et respecter sa « marque » et son capital objectivé3. La capacité d'adaptation des partis
traditionnels uruguayens s'est révélée insuffisante alors que le modèle socio-économique du pays,
d'orientation keynésienne, entrait en crise. Ni le système de partis, ni le système politique collégial,
puis à nouveau présidentiel (depuis 1967), n'ont été suffisamment flexibles pour faire émerger de
nouveaux leaderships et des idéologies alternatives.
C'est dans ce contexte qu'émerge à la toute fin des années 1960 un nouvel acteur politique
regroupant l'ensemble des « partis d'idéologie » (de la gauche marxiste à la démocratie chrétienne)
jusqu'alors très minoritaires sur la scène politique du pays4; ainsi que des fractions coloradas et
blancas dissidentes. Cette coalition de partis, le Frente Amplio (FA), réalise une percée lors des
élections de 1971 et se présente comme une alternative, encore minoritaire, aux deux « grands »
partis, bouleversant la routinisation du système de partis uruguayen. En effet, en réalisant 18,3%
lors des élections de 1971, et bien que les deux « grands partis » regroupaient encore plus de 80%
de l'électorat, le FA va contribuer à porter atteinte à l'hégémonie bipartisane. Cette conjonction
d’événement critique (crise économique et apparition du FA), en plus de précipiter le coup d’Etat
de 1973, jette les bases d’un ré-ordonnancement du système de partis et du système de clivage.
Structuration du système de partis chilien
Le cas chilien est plus mouvant, mais à la fois plus « européen ». En effet, la période
d’instabilité post-indépendantiste, fut relativement courte (12 ans, de 1818 à 1830), en raison d’une
1 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Linardi y
Risso, Montevideo, 2005. 2 BRÉCHON, P., Les partis politiques, op. cit.
3 Entendu comme relation sociale et capacité de reconnaissance et d'adhésion envers le parti progressivement assimilés
par la communauté de militants, sympathisants ou simples électeurs. Voir OFFERLÉ, M., Les Partis Politiques, PUF,
Paris, 2006, pp.26-27. 4 Précédemment était apparu le Mouvement de Libération Nationale- Tupamaros (MLN-T), d'inspiration marxiste et
guévariste, organisé comme groupe guerrillero.
186
certaine homogénéité ethnique, sociale et géographique1 de la société chilienne. L’identité chilienne
s’est façonnée et développée sur les bases de la capitainerie coloniale s’étalant géographiquement
sur une superficie équivalant à trois régions françaises, fortement centralisée et en alerte perpétuelle
face à la « menace » Araucane, plus au sud. L’étroitesse du territoire a limité l’essor de grands
caudillos propriétaires terriens et a contribué à une certaine homogénéité sociale de la société,
laissant donc peu de place à la structuration et mobilisation de clivages territoriaux (suivant la
terminologie de Lipset et Rokkan)2. Les conflits intervenant après la « révolution nationale »,
opposant fédéralistes à centralistes, tourne court au profit de ces derniers, en 1830. La Constitution
de 1833, élaborée par Diego Portales qui contenait de forts traits autoritaires et qui jette les bases de
la « République conservatrice », a surtout conduit à la formation des premiers « clubs » politiques,
dont l’affiliation devait respecter certain degré de proximité et d’engagement idéologique. Ceux-ci,
formés par l’oligarchie et la bourgeoisie, s’articulent alors autour de deux questions centrales
d’ordre fonctionnel : i) la centralité des pouvoirs présidentiels et ii) le débat autour de la place de
l’Eglise catholique, ses attributions et influences. Et si ce second clivage est venu occuper une place
structurante, en subordonnant le premier, il ne l’a pas pour autant éteint3.
C’est sur ces bases que s’institutionnalisent les premiers partis politiques : le Parti conservateur
(proche de l’Eglise, centraliste, et défenseur d’un pouvoir fort), le Parti libéral (laïc,
décentralisateurs, et défenseur d’un pouvoir équilibré), et l’éphémère Parti national (laïc,
centralisateur, et autoritaire). La disparition de celui-ci (avec son fondateur Manuel Montt),
conjugué à une alliance « contre nature » entre libéraux et conservateurs, va conduire à la naissance
du parti radical, une fraction sécessionniste du parti libéral, comme parti laïc et représentant les
intérêts des classes moyennes et des fonctionnaires. Le système de partis se stabilise autour de ces
trois partis, jusque dans les années 1920, autour du clivage structurant clérical/anticlérical. Dans
cette compétition, le Parti libéral occupe une place centrale et centriste4, durant la majeure partie de
la « République parlementaire » (1891-1925).
Toutefois, la Guerre du Pacifique (1879-1883), opposant le Chili à une coalition militaire
stratégique entre le Pérou et la Bolivie, constitue un tournant dans la transformation de la société
chilienne. En effet, si la victoire chilienne renforce un sentiment national déjà particulièrement fort
1 Le Chili est caractérisé, comme nous l’avons vu précédemment, par une remarquable stabilité institutionnelle,
politique et démocratique, jusqu’en 1973. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de périodes de troubles (guerres
civiles en 1857 et 1891, coups d’Etat « éclairs » en 1925 et 1932), mais ces événements se sont révélés particulièrement
ponctuels et n’ont pratiquement pas affecté l’ordre politique et institutionnel du pays. 2 BOENINGER, E., Políticas públicas en democracia: institucionalidad y experiencia chilena 1990-2006, Cieplan/
Uqbar, Santiago, 2007, p.17. 3 VALENZUELA, S., J. S., “Orígenes y transformaciones del sistema de partidos en Chile”, in Estudios Públicos,
No.58, 1995, pp. 5-78 4 SCULLY, T., Los partidos de centro y la evolución política chilena, Cieplan, Santiago, 1992.
187
et consolidé, elle entraîne surtout un gain de territoire conséquent pour le pays (les actuelles Ière
, IIe
et partie de la IIIe région nordiste, soit près d’un cinquième du territoire actuel du pays) et
particulièrement riche en minerai (salpêtre et cuivre). Aussi, le début de l’exploitation minière, dès
la fin du XIXe siècle, puis la conversion de l’économie chilienne au processus d’industrialisation
du pays, conduit à une transformation de l’organisation sociétale chilienne, dont les principales
caractéristiques sont i) l’apparition et la constitution d’une classe sociale ouvrière minière puis
urbaine, ii) celle-ci commence à s’organiser en organisations mutualistes et syndicales1 conduisant
de nombreux mouvements et mobilisation ouvrières2; puis iii) des suites de l’avènement du
suffrage universel masculin (1888) les mouvements ouvriers se constituent en partis dont le Parti
démocrate (1887), le Parti ouvrier socialiste (1912) devenant plus tard le Parti Communiste chilien
(PCch, en 1922) ; puis le Parti Socialiste chilien (PSch, en 1933).
L’intensification de l’industrialisation au XXe siècle, impulsée par l’activité minière, conduit à
un ré-ordonnancement du système partisan, autour d’un clivage de classe, similaire et pratiquement
concomitant aux processus ayant cours en Europe3, et reposant sur des bases idéologiques et
programmatiques fortes. Ce processus socio-économique, combiné à une forte présence politique
de l’Etat et des agents de l’Etat, conduit dès les années 1940 à une transformation de la matrice
sociopolitique chilienne4, vers une structure de type Etato-centrique
5, où l’Etat se place au cœur du
modèle de développement économique et social (caractérisé pour les cas latino-américains par le
modèle d’industrialisation par substitution d’importations, ou modèle « ISI »), et via
l’intermédiation plus ou moins fort des partis politiques.
Pour autant, la compétition politique d’alors ne reposait pas uniquement sur des bases
idéologiques. En effet, les partis non-marxistes et antimarxistes, plus particulièrement le Parti
conservateur et le Parti radical (puis la Démocratie chrétienne) ont longtemps maintenu des
relations avec leur électorat autour de liens de type clientélaire (tel que le « cohecho », ou d’autres
pratiques diverses « d’achat » de votes), en particulier en milieu rural6. Dans les années 1930 la
1 Dont la Fédération Ouvrière du Chili, en 1909, d’inspiration communiste ; la Confédération Nationale Syndicale,
d’inspiration socialiste, en 1931, et la Confédération Générale des Travailleurs, d’inspiration anarchiste, en 1931. Les
deux premières intersyndicales fusionnant en 1936 pour former la Confédération des Travailleurs du Chili. 2 Dont la plus tristement célèbre et la grève générale des travailleurs du salpêtre (1904), aboutissant au « massacre de
l’école Santa María de Iquique » où furent exécutés plus de deux mille ouvriers avec leurs familles. 3 COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, Princeton University Press, 1991
4 Nous empruntons le concept à Manuel Antonio Garretón comme : « le cadre de relations entre l’Etat, le(s)
structure(s) de représentation politique (organisée(s) ou non en système), et la société civile, le tout encadré
institutionnellement par le régime politique». Voir GARRETON, M.A., et alii, América Latina en el siglo XXI : Hacia
una nueva matriz sociopolítica, LOM, Santiago, 2004. Traduction propre. 5 CAVAROZZI, M., “Beyond transitions to democracy in Latin America”, in Journal of Latin American Studies, Vol.
24, No. 3, 1992, pp. 65-84 6 LUNA, J.P., “Partidos políticos y sociedad en Chile. Trayectoria histórica y mutaciones recientes”, in FONTAINE,
A., et alii, Reformas de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago, 2008, pp. 75-124.
188
compétition s’articule de la sorte : Partis « ouvriers » (PSch et PCch) implantés dans les villes,
s’opposant aux partis de la bourgeoisie (Parti libéral) et aux propriétaires terriens cooptant les
travailleurs ruraux (Parti conservateur) ; enfin le Parti radical, dominant jusqu’à la fin des années
1950, et représentant de la classe moyenne et de la fonction publique. Ce dernier opérait comme
« parti charnière », formant tantôt des alliances avec les partis de gauche (Front Populaire de 1936 à
1941, puis en 1943-46), tantôt avec les partis de droite (de 1932 à 1936, entre 1941-1943 puis en
1947-1952 et à nouveau de 1957 à 1964), se créant ainsi une image de parti opportuniste.
Si ce clivage (de type possédant/ travailleur) est structurant, il n’efface pas d’autres lignes de
démarcation « secondaires » préexistantes, notamment la ligne cléricale/ anticléricale qui tend à se
fondre avec l’antagonisme rural/ urbain, comme le montre le maintien du Parti conservateur puis
l’émergence du Parti Démocrate Chrétien (PDC) à la fin des années 1950. L’émergence de ce
dernier, suite à un réalignement progressif de l’électorat « du centre » au détriment du PR, se base
sur une assise électorale originellement rurale. Cet électorat qui a pris forme et s’est mobilisé lors
de l’expérimentation de populisme tardif du gouvernement de l’éphémère Parti Agrarien
Travailliste de Carlos Ibañez, se retrouve orphelin après la disparition de celui-ci. A noter que la
progression du PDC est concomitante à une période de polarisation du système partisan. Les partis
communiste et socialiste, réagissent à l’adoption en 1948 de Loi de Défense Permanente de la
Démocratie présentée par le président radical Videla dont la conséquence est l’interdiction du PCch
(en vigueur jusque 1958), en adoptant une attitude de rejet des alliances avec les partis
« bourgeois ». En réaction, les partis « de droite », opèrent une fusion de leurs appareils en créant le
Parti National (PN). Enfin, dans ce contexte, la posture « de centre » de la démocratie chrétienne se
manifeste en ce que le parti embrasse une doctrine de type « socialisme confessionnel ».
Dès lors, le système de partis chilien s’est stabilisé, des années 1930 jusqu’au coup d’Etat de
1973, autour de la loi dite des trois tiers, où au « pôle » des gauches s’oppose un « pôle de droite »,
et entre les deux un « pôle du centre »1, incarné d’abord par le Parti radical, puis dès les années
1960 par la démocratie chrétienne. Ainsi, chacun des trois blocs politiques disposait d’une assise
électorale relativement significative, tendant à s’équilibrer à mesure que la polarisation de la société
chilienne se précisait (voir Tableau 3.2). Ce phénomène de polarisation a conduit à ce que la
compétition partisane soit de plus en plus axée autour d’un clivage sur la dichotomie Marxisme/
anti-Marxisme. C’est, d’ailleurs, sur cette base que sont élus les deux présidents « anti-marxistes »,
1 L’émergence et le succès fulgurant du PDC vient en quelque sorte faire mentir le postulat Duvergien sur l’abscence de
« posture du centre », l’auteur écrivait ainsi : « …il n’y a a pas une opinion du centre, une tendance du centre, une
doctrine du centre, distinctes par nature des idéologies de droite ou de gauche – mais simplement un affaiblissement de
celles-ci, une atténuation, une modération ». in DUVERGER, M., Les partis politiques, op. cit. p. 321.
189
Arturo Alessandri (indépendant, représentant le PN), puis Eduardo Frei Montalva (PDC, avec le
soutien législatif du PN). Dans cette configuration, la Démocratie chrétienne vient occuper en
termes programmatiques une position charnière, concurrençant d’un côté le Parti National sur les
questions de mœurs, et opposant la doctrine sociale de l’Eglise avec une assise rurale1 au
socialisme d’inspiration marxiste caractérisant le « bloc » des gauches. La polarisation du système
partisan, reflétait ainsi celle de la société chilienne2, laquelle connu son paroxysme sous le
gouvernement de l’Unité Populaire du socialiste Salvador Allende (1970-1973), qui se ponctua par
le coup d’Etat du général Pinochet.
Tableau 3.2 : Représentation parlementaire des trois « pôles » idéologiques chiliens
(1937-1973)
Pôles 1937 1941 1945 1949 1953 1957 1961 1965 1969 1973
Droite
Conservateur
Libéral
National
42
21.3
20.7
-
31.2
17.2
14
-
43.7
23.6
20.1
-
42
22.7
19.3
-
25.3
14.4
10.9
-
33
17.6
15.4
-
30.4
14.3
16.1
-
12.5
5.2
7.3
-
20
-
-
20
21.3
-
-
21.3
Centre
Radical
PDC1
Ibañistes
P. Démocrate
28.1
18.7
-
-
9.4
32.1
23
3.4
-
5.7
27.9
19.9
2.6
-
5.4
46.7
27.7
3.9
8.3
6.8
43
15.6
2.9
18.9
5.6
44.3
22.1
9.4
7.8
5
43.7
21.4
15.4
-
6.9
55.6
13.3
42.3
-
-
42.8
13
29.8
-
-
32.8
3.7
29.1
-
-
Gauche
Socialistes
Communistes
15.4
11.2
4.2
33.9
22.1
11.8
23.1
12.8
10.3
9.4
9.4
02
14.2
14.2
02
10.7
10.7
02
22.1
10.7
11.4
22.7
10.3
12.4
28.1
12.2
15.9
34.9
18.7
16.2
Autres 14.5 2.8 5.3 1.9 17.5 12.0 3.8 9.2 9.1 11
Total 100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
Notes : 1Nous avons inclus pour la période antérieure à 1958, année marquant la création du Parti Démocrate Chrétien, les résultats
correspondant au Parti phalangiste, fractions du Parti Conservateur ancêtre du PDC ; 2La période 1948-1958 (ici 1949-1957)
correspond aux années où régissait la Loi de Défense Permanente de la Démocratie, proscrivant la participation et représentation
politique du Parti communiste. On observe ainsi que le parti Agrarien Travailliste d’Ibañez surgit alors que le PCCh est interdit, et
disparaît lorsque celui-ci est à nouveau autorisé à se présenter
Source : SCULLY (1996)
La structuration du système de partis argentin
Le système partisan en Argentine, en place avant le coup d’Etat de 1976, reposait sur des bases
nettement plus mouvantes que les cas chilien et uruguayen, ce qui explique en partie le faible
niveau d’institutionnalisation des partis argentins. Pour autant, à l’image des autres bipartismes,
notamment nord-américain ou uruguayen, la pénétration partisane au sein de la société argentine,
surtout au XXe siècle, est particulièrement prononcée et différentiée.
1 C’est ainsi la démocratie chrétienne qui va lancer la réforme agraire sous la présidence de Frei Montalva (1964-1970).
2 HUNEEUS, C., Chile un país dividido, Catalonia, Santiago, 2003.
190
La formation du bipartisme argentin est, toutefois, quelque peu différente des autres formes de
compétition duale dans la région. Ainsi, ce format de compétition partisane est nettement plus
récent que celui en vigueur en Uruguay jusqu’en 1971, puisqu’ aucun des deux partis
« traditionnels » argentins n’a pris part à l’indépendance du pays, ni n’a fomenté d’épisodes
historiques violents1. Pour autant, sans hypothétiser une relation de cause à effets entre le caractère
récent du système de partis argentin et la stabilité politique du pays, nous observons à la fois une
forte pénétration des deux grands partis argentins, jusque dans les années 1990, comme en Uruguay
avant l’émergence du FA, sur des bases non idéologiques ou programmatiques. En outre, la
structuration bipartite de la compétition partisane, bien qu’interrompue à plusieurs reprises, est le
fruit d’une succession de conjonctures critiques propres au XXe siècle.
La construction de l’Etat argentin et son organisation politique postérieure découle de deux
éléments structurants. Tout d’abord, l’Etat de guerre quasi ininterrompue depuis la proclamation
d’indépendance en 1810, jusqu’en 1880, a empêché l’établissement de normes constitutionnelles
fortes et durables, ce qui provoqua, à l’inverse du cas chilien, une faiblesse institutionnelle palpable
marquée par une absence de protagonisme partisan jusqu’au début du XXe siècle. En effet, en plus
de conflits extérieurs avec ses voisins (Brésil, Bolivie, Paraguay) et autres « campagnes de
conquête de territoire » au sud, l’Argentine expérimentera un conflit intérieur latent sur près de
soixante-dix ans opposant les tenants libéraux d’un état unitaire et centralisé autour de Buenos
Aires, aux caudillos conservateurs grands propriétaires terriens et défenseurs d’un fédéralisme où
Buenos Aires verrait son influence encadrée. Ce conflit, que l’unitaire Domingo Faustino
Sarmiento résumera comme l’opposition entre civilisation et barbarie2, aboutit à la victoire finale
des caudillos fédéralistes sur les libéraux unitaires en 1880.
La période qui s’instaure alors, connue comme « l’ordre oligarchique », constitue le second
élément structurant du système politique argentin. A l’inverse de la situation uruguayenne où les
conflits successifs n’ont abouti à la victoire d’aucun des deux camps conduisant à une pacification
et consensualisation de l’exercice du pouvoir ; la disparition du camp des unitaires a conduit à un
exercice hégémonique du pouvoir3 par l’oligarchie des caudillos latifundistes, lesquels structurent
l’organisation socioéconomique du pays autour de leurs intérêts exportateurs de produits agricoles
1 Globalement ils en ont, de fait, été les principales victimes, puisque tout au long du XXe siècle, le pays a expérimenté
huit coups d’Etats contre des gouvernements dirigés par des leaders issus de l’un des deux partis traditionnels, élus de
manière plus ou moins libre. Ces putschs à répétition, appuyés voire fomentés par l’oligarchie argentine, ont largement
contribué à ce que le système politique et la compétition partisanne argentine n’arrivent pas à se consolider sur des
bases institutionnalisées. 2 SARMIENTO, D.F., Facundo, civilización y barbarie, Colección Austral, Buenos Aires, 1967 [1854].
3 Dont un contrôle militaire total sur l’ensemble du territoire
191
(viande, céréales et dérivés du cuir)1. Organisée autour du Partido Autonomista Nacional, le
premier « parti » du pays, l’oligarchie utilise ce dernier comme appareil de représentation et de
canalisation des éventuels désaccords qui pourrait apparaître en son sein. Cette caractéristique
hégémonique de négation des adversaires politiques constitue un des caractères invariants du
comportement politique argentin, jusqu’à la fin du XXe siècle2.
Avec la prospérité économique, s’accompagne la stabilisation politique du pays qui attire une
main d’œuvre immigrée provenant essentiellement d’Europe méridionale (Italie et Espagne
principalement), ce qui vient constituer la première conjoncture critique préalable à la fondation du
bipartisme argentin. En effet, la population argentine va croître de près de 400% entre 1875 et
1914, les Européens constituant plus de 50% de la population adulte en 1914, ce qui conduit à une
rapide hypertrophie de Buenos Aires (qui regroupe près d’un quart de la population en 1914, et
devenant au passage la première ville d’Amérique latine au tournant du siècle) et autres centres
urbains, vis-à-vis du monde rural d’où provient l’oligarchie au pouvoir. Surtout, ces immigrants qui
se concentraient davantage dans les villes, ont contribué à grossir les rangs de la classe ouvrière
naissante (donc urbaine) argentine, en en constituant près des deux tiers. De la sorte, la classe
ouvrière argentine devient rapidement la plus importante de la région (en nombre et en pourcentage
de population)3. Enfin, les immigrés européens (allemands, français et italiens notamment)
contribuent également à la diffusion d’idéologies nouvelles en Argentine, dont l’anarchisme et le
socialisme, et développent une culture contestataire via la formation d’organisations syndicales4 et
partisanes (Parti Socialiste Ouvrier Argentin, créé en 1896), jusqu’alors peu répandues dans le
pays5. Néanmoins leur représentation politique reste limitée, du fait d’un système de vote censitaire
et où seuls les argentins de naissance pouvaient voter.
Le développement fulgurant des centres urbains participe à la constitution d’une bourgeoisie
importante et d’une classe moyenne nombreuse, instruite et éloignée de l’influence des caudillos et
de l’oligarchie, et désireuses de davantage de participation et de représentation politique. C’est dans
ce contexte que naît l’Unión Cívica Radical (UCR), à la fin du XIXe siècle. Comme nous l’avons
vu précédemment, l’UCR va initialement tenter des « coups » politiques notamment armés face à
1 McGUIRE, J., “Partidos políticos y democracia en la Argentina”, in MAINWARING, S., et SCULLY, La
Construcción de Instituciones Democráticas… op. cit., pp. 163-201. 2 BOTANA, N., Poder y hegemonía, Emecé, Buenos Aires, 2006
3 Qui demeure en 1914 encore relativement faible, comparée aux standards européens, puisqu’elle regroupe environ
8.5% de la population active. Voir DABENE, O., L’Amérique Latine à l’époque contemporaine, Armand Collin, Paris,
2005 ; COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, op. cit., pp. 66-67. 4 Tels la Federación Obrera Argentina (FORA), d’inspiration socialiste, en 1901; et l’Union General de los
Trabajadores (UGT), anarchiste, en 1902. 5 Les conflits ouvriers se multiplient, et pour la seule période 1907-1910, Buenos Aires compte près de huit cent
mouvements de grève liés au syndicalisme ouvrier. Voir COLLIER, R., et COLLIER, D., op. cit., p.93
192
l’ordre oligarchique, dont la disparition constitue son objectif1. Constituée d’une base provenant à
la fois des clases moyennes et de dissidents de l’élite pampéenne, l’identité politique du
« mouvement radical » se caractérise par un libéralisme politique, avec une certaine tendance au
progrès social et à la défense des intérêts de la classe moyenne dans un pays, de plus en plus, de
classe moyenne2. Cette identité est marquée, toutefois, par l’absence d’une idéologie propre et
définie : l’objectif principal de l’UCR étant la chute de l’ordre oligarchique.
L’adoption de la loi Saenz Peña en 1912, autorisant le vote universel masculin, découle d’un
mouvement de « libéralisation » de l’ordre oligarchique dans le but d’absorber les mouvements de
contestation, contribue en fait à asseoir la victoire de l’UCR en 1916. Cette victoire réordonne le
système politique argentin et, tel l’arroseur arrosé, force le démantèlement de l’ordre oligarchique
et de son organe de représentation, le PAN. Cette disparition conduit à ce que l’Argentine se
retrouve, comme en 1880, dominée par un seul acteur politique –l’UCR- lequel reproduit les
schémas organisationnels du PAN avec une personnalisation du pouvoir3, et une gestion interne des
conflits et courants idéologiques. L’effondrement du PAN a d’ailleurs contribué à ce que l’UCR ne
s’organise comme un parti de militants ni se dote d’une idéologie de démarcation d’un quelconque
adversaire politique4. De même, la relative faiblesse du Parti socialiste ou du Parti communiste,
malgré une classe ouvrière en expansion, contrastant avec la puissance syndicale de la FORA puis
de la CGT à partir de 1933, découle de l’absence de représentativité d’une frange entière des
ouvriers (les deux tiers d’ouvriers étant étrangers) et, du fait de l’effondrement du PAN, de
l’absence d’adversaire politique clair.
Les partis ouvriers étaient, ainsi, dépourvus de raison d’être5. Pourtant, à la différence de 1880,
si l’UCR s’impose comme acteur gouvernemental hégémonique, son autorité politique ne s’impose
pas sur le pouvoir militaire. Celui-ci est largement dominé par les structures et acteurs
conservateurs du régime précédent et va s’autonomiser du pouvoir exécutif, formant ainsi l’organe
politique non-démocratique des conservateurs argentins. Sa première incursion, en 1930, inaugure
une période d’instabilité politique et démocratique. Cette « restauration conservatrice » maintient la
1ALBALA, A., et PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos
en Argentina, Colombia y Uruguay, desde los 1980s », in Estudios Políticos, No. 24, 2011, pp.153-180 2 MORA, M., “El cuadro político y electoral argentino”, in NOHLEN, D., et DE RIZ, L., Reforma institucional y
cambio político, Buenos Aires, CEDES-Legasa, 1991, pp. 207-235. 3 Malgré les tentatives du président Marcelo T. Alvear (1922-1928) de dépersonnaliser la conduite de l’UCR.
4 MALAMUD, A., “Acerca del radicalismo, su base social y su coalición electoral”,in Escenarios Alternativos, No. 2,
1997; et “Winning Elections versus Governing: A Two-Tier Approach to Party Adaptation in Argentina, 1983-2003”,
communication présentée lors du XIe Congrès de Latinoaméricanistes Espagnols, Mai 2005 ; ESCUDERO, L.,
“Argentina” in ALCANTARA, M., et FREIDENBERG, F., Partidos políticos de América latina, Cono Sur, Fondo de
Cultura Económica, Mexico, 2001, pp. 33-114 5 BOBBIO, N., Left and right: …, op. cit. pp. 22-28
193
position de l’UCR comme représentant légitime de la nation, tout en limitant son processus
d’élaboration d’identité programmatique et idéologique claire.
Durant la décennie suivant 1930, la matrice socio-économique argentine se transforme, passant
d’une nation centrée sur les intérêts ruraux et une activité tertiaire dans les villes, à celle d’une
nation industrielle sans que ne se consolide de parti proche des intérêts de l’industrie ni de la classe
ouvrière. Cette dernière, suivant un double effet de croissance démographique (croissance des
effectifs par un exode massif vers les principaux pôles urbains, et « argentinisation » des ouvriers
par reproduction générationnelle de personnes nés argentines), regroupant près de 50% de la
population active, est structurée en syndicats puissants et occupe alors une place centrale dans la
politique argentine comme classe défiante à l’ordre en place1. L’organisation corporatiste du
mouvement ouvrier, bien plus que partisane, explique en partie la faible pénétration du Parti
Socialiste Ouvrier Argentin, lequel est considéré par le mouvement comme une organisation
concurrente et opportuniste d’autant plus qu’elle participe du « jeu électoral » imposé par la
restauration conservatrice, durant la décennie infâme (1930-1943). Le mouvement ouvrier est à
cette époque un force politique sans attache ni cooptation partisane. C’est dans ce contexte
qu’apparaît la figure du colonel Perón puis le « mouvement péroniste »2.
Perón apparaît sur la scène politique argentine en 1943 suite à un coup d’Etat militaire, où il
occupe le portefeuille de secrétaire d’Etat au Travail. Il y développe une relation étroite directe et
personnelle avec la CGT. En deux ans, il s’impose comme l’interlocuteur et le représentant
politique des ouvriers et travailleurs ruraux, tirant notamment profit de sa relation privilégiée avec
la CGT. Appuyant les grèves organisées par les mouvements ouvriers et leur octroyant des
considérations substantielles3, Perón est alors marginalisé et incarcéré par la junte militaire dont il
était membre, ce qui conduisit les mouvements syndicaux et ouvriers à exiger sa libération. Perón
est parvenu, ainsi, tout en gagnant l’appui syndical et ouvrier, à être perçu comme anti-système et
anti-oligarque, alors même qu’il provenait du sérail militaire. La réincorporation de Perón assoit
son élection à la présidentielle de 1946, laquelle a pris une forme plébiscitaire où l’ensemble des
mouvements politiques, dont l’UCR et le Parti socialiste, forment une alliance du type « tout sauf
Perón ». Le mouvement péroniste structuré autour du Parti Travailliste (Partido Laboral), puis du
Parti Justicialiste (PJ, à partir de 1947), s’appuie sur le mouvement ouvrier et la CGT comme base
1 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo
Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, p. 673; LEVITSKY, S., Transforming Labor-Based Parties in Latin America:
Argentine Peronism in Comparative Perspective, Cambridge University Press, 2003. 2 TORRE, J-C., “Interpretando (una vez más) los orígenes del peronismo”, in Desarrollo Económico, Vol. 28, No. 112,
1989, pp. 526-548; McGUIRE, J., “Partidos políticos y democracia en la Argentina”, op. cit. 3 En imposant, notamment, au secteur entrepreunerial les conditions des syndicats ouvriers sur les questions laborales.
Voir COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the political arena, op. cit., pp. 337-338
194
électorale, en défendant une vision corporatiste de la société. Le péronisme reste, toutefois jusqu’à
la mort de Perón, indissociable de la figure du chef, ce qui pose en effet le problème de la
routinisation et l’institutionnalisation du mouvement péroniste comme appareil politique dès ses
débuts, ainsi qu’une hétérogénéité idéologique assumée.
Le mouvement péroniste est donc de nature charismatique, car il tire sa légitimité et son identité
de son chef et non d’une structure de représentation avec des règles d’organisations
institutionnalisées et autonomes au leader1. Les liens de sociation entre le leader et son électorat
sociologiquement homogène (travailleurs, sans chemises « descamisados » et ouvriers)2, sont aussi
bien collectifs qu’individuels, et reposent ainsi sur une relation directe sans fondement idéologique
et programmatique clair. Ce type de représentation correspond, d’ailleurs, de manière
paradigmatique à la définition classique du « populisme »3. Le péronisme devient, dès lors, le
principal courant politique d’Argentine, structurant la compétition politique autour et contre lui. La
compétition politique s’articule, en effet, autour du clivage Péronisme/ Anti-Péronisme, clivage de
nature symbolique ou organisationnelle, plutôt que programmatique ou idéologique. Cette
compétition tourne autour d’identités politiques et culturelles, dont la relation directe avec
l’électorat se fonde sur son capital culturel. Pierre Ostiguy établit ainsi la distinction entre position
“haute” et position “basse”, sans porter de vision normative, où il oppose une culture plus légaliste
et distante (UCR), à une culture plus informelle et « populaire » (PJ)4.
En effet, la nature mouvementiste des deux principaux partis, l’UCR et le PJ, et la dimension
hautement personnaliste du second, rend leur structure idéologique et programmatique
particulièrement flexible et ample, chaque parti constituant son propre « système de parti » ou
« système de courants »5. Si la base électorale originelle de chacun des deux partis est distincte
(classes moyennes et fonctionnaires de la capitale, et autour d’autres grands pôles urbains, pour
l’UCR/ base ouvrière et travailleuse des villes et banlieues industrielles et des centres ruraux, pour
le PJ), leur ligne de démarcation interpartisane est, suivant l’analyse d’Ostiguy, moins
1 PANEBIANCO, A., Political parties: organization and power, Cambridge University Press, 1988, pp. 144-146.
2 Voir les travaux d’Herbert Kitschelt sur les types de relations entre partis et électorat : KITSCHELT, H., «Linkages
between citizens and politicians in democratic polities», op. cit ; KITSCHELT, H., et WILKINSON, S., Patrons,
clients, and policies, Cambridge University Press, 2007 ; et KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems,
Cambridge University Press, 2010. 3 Nous précisons bien qu’il s’agit de la conception “classique”, en la différentiant de conceptions ultérieures, tout en
soulignant l’abus de l’utilisation de ce concept, lequel venant à former une sorte de « chien-chat » Sartorien au travers,
notamment, du recours au préfixe « néo », contribuant davantage à semer une confusion plutôt qu’une compréhension
de nouvelles pratiques de représentation. Pour une analyse du concept et de ses dérives et ce particulièrement en langue
française, voir notamment HERMET, G., Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, XIXe - XXe siècles,
Fayard, Paris, 2001 ; MENY Y., et SUREL Y., Par le peuple, pour le peuple : le populisme et les démocraties, Fayard,
Paris, 2000 ; TAGUIEFF P-A., L’illusion populiste: de l’archaïque au médiatique, Ed. Berg international, Paris, 2002. 4 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics: …” op. cit.
5 LEVITSKY, S., op. cit.
195
« horizontale » (idéologique sur un axe type droite/gauche), que « verticale » (comportementale)1.
La compétition idéologique est davantage le fait de divisions internes aux partis, lesquels se
comportent, cependant, de manière hégémonique et auto-excluante l’un envers l’autre.
Entre les deux, opère comme « médiateur » le parti militaire -l’armée-, qui est finalement le plus
idéologiquement défini et qui intervient à plusieurs reprises sur la scène politique (coups d’Etats de
1930, 1955, 1966, 1969 et 1976), ce qui contribue à fragiliser d’autant plus le système de parti que
le PJ sera interdit sur une période de près de vingt ans (1955-1973), ce qui conduira à une
institutionnalisation graduelle de l’appareil politique, grâce notamment à l’exil de son fondateur,
tout en maintenant son caractère charismatique2. Toutefois, cette faiblesse institutionnelle des partis
et du système de partis argentin ne suppose pas une absence de système. Preuve en est, le maintien
des partis et la stabilité de leur adhésion électorale jusque dans les années 1990. Le PJ et l’UCR
sont jusque 1995 les deux principaux partis de la vie politique regroupent près de 90% de
l’électorat, sur des bases compétitives demeurées stables.
*
En conclusion de cette approche de la structuration de la compétition partisane originelle dans le
Cône Sud, retenons que le clivage droite/gauche propre aux systèmes partisans européens ne
constitue pas, nécessairement, la norme en Amérique latine. Si le Chili s’est constitué rapidement
en un système reposant sur des bases relationnelles programmatiques reprenant la dichotomie « à
l’européenne », l’Uruguay et l’Argentine ont opéré sur la majeure partie du XXe siècle une
compétition sur des bases différentes, tout en gardant une pénétration partisane forte au sein de la
société. Les différents changements de matrice socio-économique opèrent dans les trois cas comme
catalyseurs de transformation du système partisan. Retenons donc, comme l’avance Juan Abal
Medina, que la vision européenne classique consistant à considérer les partis de militants comme
l’essence des partis modernes ou « parti 0 », ne s’applique pas à deux de nos trois cas latino-
américains, où des partis de type attrape-tout se sont constitué avant même leurs homologues
européens3. Ce contexte s’étend, grosso modo, jusque dans les années 1970 et la survenue des
coups d’Etats, d’abord en Uruguay (juin 1973), puis au Chili (Septembre 1973), puis trois ans plus
tard en Argentine.
1 OSTIGUY, P., “Argentina’s double political spectrum: party system, political identities, and strategies, 1944–2007”;
Working Paper No. 361 - Octobre 2009; The Hellen Kellog Institute, Université de Notre Dame 2 DE RIZ, L., op. cit., OLLIER, M.M., “El liderazgo político en democracias de baja institucionalización (el caso del
peronismo en la Argentina)”, in Revista de Sociología, Santiago du Chili, No. 24, 2010, pp. 127-150 3 ABAL MEDINA, J., “Elementos teóricos para el análisis contemporáneo de los partidos políticos: un reordenamiento
del campo semántico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J., op. cit, pp. 33-55.
196
b. La transition à la démocratie et le réalignement des lignes de clivage
Nous avons vu précédemment que les trois pays du Cône Sud-Américain, ont connu au cours
des années 1960-1970 des expériences politiques similaires de polarisation critique de la société,
qui ont conduit à la formation de groupes paramilitaires et ont abouti à l’occurrence de coups
d’Etats. Nous avons également relevé la constance des formations politiques, puisque les partis
présents avant la « vague autoritaire » des années 1970, étaient à nouveaux présents au retour à la
démocratie1. Toutefois les trois pays se différentient entre eux quant à la nature de leurs respectives
expériences autoritaires et, surtout, quant aux processus de transition à la démocratie.
Ainsi, nous avons relevé trois variables de caractérisation des différents régimes autoritaires et
des transitions à la démocratie venant entrer dans l’analyse comparative propre aux trois pays. Ces
variables contiennent des éléments critiques sur la matrice sociopolitique ainsi que les mécanismes
et organes de représentation partisane, tout d’abord, i) l’aspect socio-économique, où le régime
autoritaire entreprend une recherche de transformation de la matrice socio-économique d’une
société, rompant avec l’ordre précédent ; ii) l’aspect institutionnel, marqué notamment par la
recherche d’un changement de Constitution de la part du régime, jetant les bases juridique de la
transition démocratique, à laquelle il est l’un des principaux acteurs ; enfin iii) l’aspect de la
« légitimation » du régime et des bases économique et juridiques posées par lui, légitimation accrue
si elle se retrouve représentée par un ou des organes politiques « héritier(s) ».
Les régimes autoritaires au Chili, en Argentine et en Uruguay se différentient, alors, sur la teneur
de leur gestion politique et l’organisation de la transition à la démocratie. Nous pouvons ainsi
identifier, en fonction des variables, des « paires » de similarité, d’où nous pouvons ressortir que le
caractère institutionnel combiné à la durée du régime, constituent un trait pertinent dans la
transformation du système partisan, notamment dans le cas chilien. Nous avons schématisé, par la
figure 3.2, les lignes de similarités (exprimées par des doubles flèches) en fonction de chacune des
trois dimensions (socio-économique, institutionnelle, légitimation du régime), et ordonnée en
fonction de l’impact de l’expérience autoritaire sur le ré-ordonnancement du système de partis lors
du recouvrement démocratique. L’opérationnalisation de la variable dépendante « ré-
ordonnancement du régime », dichotomisée oui/ non, est établie en fonction de la transformation de
la structuration de la compétition politique autour d’un nouveau clivage structurant, différent de
celui en vigueur lors de la période antérieure au coup d’Etat. Ainsi, l’Argentine et l’Uruguay,
1 Si le Partido Nacional Chilien n’existe plus comme tel en 1990, la base de celui-ci se retrouve dans le parti
Renovación Nacional. CAVAROZZI M., et GARRETON, M.A., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el
autoritarismo y las transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989.
197
placés à la base, n’ont pas expérimenté de réelle transformation de leur système de parti, alors que
le Chili connaît un réagencement de la structuration de la compétition partisane autour d’un
nouveau clivage.
Source : élaboration propre
Nous observons ainsi que dans le « versant » socio-économique, les juntes chilienne et
argentine, toutes deux fortement idéologiques (conservatrices), tentent de s’appliquer à une rupture
avec l’ordre socio-économique précédent1, et transformer le modèle ISI jugé obsolète et inefficace.
Les transformations opérées cherchèrent, également, à rompre les liens de socialisation politique
avec les mouvements -partis et/ou syndicats- ouvriers ou d’obédience marxiste. Les deux pays
étant, des sortes de « laboratoires », où des équipes d’économistes issus de l’Université de Chicago
(les « Chicago Boys »), ont profité du contexte politique pour appliquer des stratégies de choc, afin
d’abandonner le modèle de développement en place jusqu’alors, au profit de doctrines néolibérales,
qui plus tard feraient florès dans les pays anglo-saxons2. Toutefois, la junte chilienne, en raison de
sa durée, la stabilité de ses membres et son organisation centralisée, est celle qui a conduit le plus
loin la transformation de sa matrice socio-économique, là où l’Argentine s’est arrêtée à mi-chemin,
du fait de mauvais résultats économiques et la déroute des Malouines. A l’inverse, en Uruguay la
dictature civico-militaire du fait de l’organisation socio-économique du pays et son modèle de
1 Tomás Moulián parle de « révolution capitaliste », in Chile actual : Anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002.
2 Naomi Klein montre comment les doctrines néolibérales se sont appliquées soit dans des contextes restreignant les
libertés civiles (comme les dictatures du Cône Sud), soit dans des sociétés « traumatisées », par des changements
sociopolitiques brusques (tels les pays de l’ancien bloc soviétique). Dans tous les cas, le Chili et dans une moindre
mesure, l’Argentine, font figure de « laboratoires ». Voir KLEIN, N., La Stratégie du choc, Actes Sud, Paris, 2008.
Chili
Chili
Versant
Institutionnel
Uruguay
Argentine
Versant socio-
économique
Figure 3.2: Eléments de comparaison des régimes autoritaires du Cône Sud,
et leur impact sur la transformation du système de parti
Ré-
ordo
nnan
cem
ent
du s
ystè
me
de c
liva
ge
Légitimation du régime
NON
OUI
N
198
développement (voir supra), ne comportait pas de dimension idéologique conservatrice aussi forte
que dans les cas chilien et argentin.
Pour ce qui est de la seconde dimension, le versant institutionnel, nous observons des lignes de
conduites similaires entre le Chili et l’Uruguay. Les juntes des deux pays ont cherché à se légitimer
en organisant la même année (1980) un référendum constitutionnel1 visant donc à les légitimer, et à
installer une démocratie « protégée », en incluant des restrictions politiques sous la surveillance du
pouvoir militaire. Les résultats de ces référendums diffèrent d’un pays à l’autre, puisque si les
uruguayens se sont exprimés contre -à près de 57%-, les chiliens ont accepté aux deux-tiers le
changement de constitution instaurant une institutionnalisation de fait du régime2, et sa
prolongation exceptionnelle sur dix ans. Ceci a donc conduit à ce que s’organisent la société et la
classe politique chilienne, aussi bien sur place que dans l’exil, autour du thème du légat du régime.
En Uruguay, le rejet du plébiscite a ouvert les portes à la transition à la démocratie, remettant les
civils au premier plan. Enfin, en Argentine, les mauvais résultats économiques, une organisation
collégiale conflictuelle de la junte et surtout la déroute militaire aux Malouines auront raison de
toute institutionnalisation du régime militaire.
Finalement, découlant de la dimension précédente, la légitimation des régimes et leur
représentation politique semblent découler de leur capacité à s’institutionnaliser. Ainsi, là où les
militaires ont échoué à institutionnaliser leur pouvoir –Uruguay et Argentine-, on n’observe aucun
appui social ni aucune formation politique se posant comme héritière du régime précédent. C’est
particulièrement vrai pour l’Argentine, où malgré la teneur idéologique de la dictature, l’institution
militaire souffre d’un fort discrédit social, jusqu’aujourd’hui. Inversement au Chili où la longévité
de la dictature combinée à i) la profonde transformation de la matrice socio-économique du pays du
fait de la conversion du régime aux doctrines néolibérales, et marquée par de relatifs succès macro-
économiques surtout dans la deuxième moitié des années 19803 ; ii) la disposition constitutionnelle
établissant une transition au moyen d’un plébiscite4 portant sur la continuité au pouvoir
du général
1 En Uruguay et au Chili sont appelés “plebiscites” tous les projets de lois de réforme de la Constitution.
2 Beaucoup d’interprétations peuvent être faites sur cette adhésion surprenante, partant d’un appui sincère au régime
militaire, ou considérée comme le résultat de coaction découlent du contrôle total des médias par le pouvoir lequel
jouent de la division de la société chilienne vis-à-vis du pouvoir –légitime- précédent, laisse planer la peur de retour
d’instabilités politiques ; sans compter les éventuelles manipulations de suffrage. Voir CAÑAS KIRBY, E., Proceso
político en Chile : 1973-1990, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1997 3 Bien que nuancés à la fois par une croissance atone, et un creusement dramatique des inégalités sociales. Voir
FFRENCH DAVIES, R., Entre el Néolibéralisme y el Crecimiento con Equidad: Tres Décadas de Política Económica
en Chile, Cieplan, Santiago, 2001; traduit, résumé et mis-à-jour, en français, dans “le Chili, entre néolibéralisme et
croissance équitable: trente ans de politique économique”, in BLANQUER, J.M., et ZAGEFKA, P., Amérique Latine
2005, La documentation Française, Paris, 2005, pp. 101-117. 4 Plébiscite que l’on pourrait appeler de « continuatoire », par opposition à la notion de “référendum révocatoire”. Ces
processus s’appliquent davantage à la forme présidentielle de gouvernement, de par la nature plébiscitaire de l’élection
présidentielle et où le gouvernement ne peut que difficilement être destitué par le pouvoir législatif. Ce processus n’a
199
Pinochet, en 1988, pour huit années supplémentaires ; et iii) son absolue certitude de victoire lors
de ce même plébiscite, du fait des bons résultats économiques apparents. Ces éléments ont alors
conduit à ce que le régime se dote d’un organe de représentation, lequel après la défaite lors du
plébiscite se positionnera comme parti « héritier » du Pinochétisme1.
Au sortir des dictatures, les lignes de clivages des trois pays ont donc été affectées, de manière
différente, par le degré de transformation de la société et le traumatisme lié à au type et à la forme
prise par la transition démocratique. Ainsi, la transformation de la matrice socio-économique
chilienne, opérée pendant le régime autoritaire, les garanties posées constitutionnellement quant au
maintien du nouveau modèle économique, l’institutionnalisation du régime et son exceptionnelle
longévité ; ont conduit à ce que la compétition politique chilienne se structure, dans le milieu des
années 1980, en fonction du plébiscite de 1988. Ce référendum forme la conjoncture critique
structurante du système politique chilien, pendant près de vingt ans, autour d’une dichotomie
opposant fidèles (puis « héritiers ») du régime pinochétiste, aux partisans de la transition
démocratique. Cette opposition, communément résumée par la dyade Autoritarisme/ Démocratie,
est d’autant plus clivante qu’elle cohabite avec une absence de débat profond sur les questions
socio-économiques. En effet, le modèle économique qui est acté par une loi organique, empêchant
ainsi tout changement radical sur l’orientation socio-économique du pays2et la relative bonne santé
de l’économie chilienne dans le contexte latino-américain de « décennie perdue », ont conduit à ce
que se forme un certain consensus politique autour de celui-ci parmi les différents acteurs
politiques. Ces éléments expliquent, en partie, les résultats surprenants des défenseurs du « oui » au
maintien du général Pinochet à la tête de l’Etat (44%), lors du référendum de 1988. Dès lors, ce
clivage de nature éminemment politique constitue le clivage structurant la compétition chilienne,
jusqu’au milieu des années 2000, autour duquel viennent s’aligner toutes les autres lignes de
fractures, notamment socio-économiques. Le versant « gauche » de ce clivage, y défend la rupture
avec le régime de Pinochet, et l’abandon des « enclaves autoritaires » et, de manière plus classique,
l’adoption d’ajustements sociaux au modèle économique, dont le principal slogan est « la
croissance équitable ». Inversement, la « droite » chilienne représente à la fois, jusque dans les
que peu d’intérêt en régime parlementaire, du fait de la dépendance du pouvoir exécutif vis-à-vis du législatif.
Néanmoins, ces distinctions sont communes en régime parlementaire entre « vote de confiance » demandé par le
gouvernement au parlement, par opposition à la « motion de censure », provenant d’une des chambres législatives en
défiance au gouvernement. Voir HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies”, in American
Political Science Review, Vol. 90, 1996, pp. 269–82; ARDANT, P., « Les développements récents du
parlementarisme », in Revue internationale de droit comparé, Vol. 46, No. 2, 1994, pp. 593-603. 1 NAVIA, P., “Participación electoral en Chile, 1988-2001” in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, 2004. pp.
81-103. 2 Bien que la crise économique des années 1982-1983 est contraint le régime à assouplir considérablement la politique
monétariste originelle des chicago boys, par le ministre des finances Hernán Büchi, futur candidat à la présidentielle en
1989.
200
années 2000, les héritiers du régime pinochétiste, et les défenseurs du modèle économique sans
ajustement voire avec encore moins d’Etat. Dans ce contexte manichéen, il peut difficilement y
avoir une position « de centre ».
En Argentine, la défaite militaire combinée aux mauvais résultats liés aux changements
économiques (incarnés par la politique cambiste de Martinez de Hoz), ainsi que le niveau de
répression du régime militaire, ont abouti à un fort rejet du régime et de l’institution militaire en
général. Ainsi, à l’inverse du Chili, aucun mouvement politique défenseur ou héritier du régime
militaire n’est apparu1. La compétition politique se réorganise donc sur les mêmes bases qu’avant
1976, à la différence près que le Parti Justicialiste, parti charismatique par nature, doit composer
avec un leadership vacant, depuis le décès du fondateur en 1974. Le maintien de lignes de
démarcations peu idéologiques, a conduit dans un premier temps à la première victoire électorale de
l’UCR sur le PJ, où le candidat radical –Raúl Alfonsín- usa de méthodes et manières rappelant la
« culture péroniste »2. Nous notons deux éléments caractéristiques, tout d’abord l’UCR commence
à adopter des codes communicationnel de culture « basse », en même temps qu’elle insiste à
communiquer sur son attachement à l’aspect institutionnaliste, propre à la « culture haute »; ensuite
le PJ qui entame une mue et se distancie de ses bases ouvrières et surtout syndicales. Dans ce
contexte, la crise économique de 1988-1989 aux conséquences hyper inflationnistes, et la victoire
du charismatique Carlos Menem à l’investiture péroniste de 1989, contre le courant modéré et
« centriste »3 de Antonio Cafiero, puis l’élection de ce même Carlos Menem à la présidence de la
République, constitue la conjoncture critique de réalignement d’opposition partisane. Menem
adopta en effet à la fois des codes « bas » voir de « bas extrême », et des positions économiques et
sociales à teneure néolibérale (« droite »), ce qui prolongea ainsi la « seconde transition »4
argentine, socio-économique celle-là. Enfin, la passation anticipée de pouvoir, cinq mois avant la
date prévue constitutionnellement, contribue à alimenter l’imaginaire argentin sur l’incapacité des
gouvernements radicaux à mener à bien leurs mandats, puisque depuis 1930 aucun gouvernement
radical n’est parvenu à arriver au terme de son mandat constitutionnellement établi.
Enfin, en Uruguay, les lignes de clivages traditionnelles se sont vues affectées par l’éclosion du
Frente Amplio en 1971 et surtout la consolidation de celui-ci après le recouvrement de la
1 Le seul groupscule qui pourrait s’en approcher est le MODIN d’Aldo Rico, mais il représente davantage les intérêts
de militaires carapintadas, et dont le meilleur score, aux élections législatives de 1993, culmine aux alentour de 5.5%,
avant que le « parti », ne se disloque, puis disparaisse. 2 Notamment avec son discours sur la démocratie où il déclame: « en démocratie on mange, en démocratie on s’éduque,
en démocratie on se soigne, nous n’avons besoin de rien d’autre… ». Voir OSTIGUY, P., « Argentina’s double
political spectrum: party system, political identities, and strategies, 1944–2007”, op. cit 3 Suivant une dichotomie verticale haut/bas.
4 LANZARO, J., La segunda transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2001; et
NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo: Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires, 2002.
201
démocratie. Après l’échec d’institutionnalisation du régime, par le rejet du plébiscite
constitutionnel en 1980, les militaires replacèrent des civils aux manettes du gouvernement pour
préparer et organiser la transition à la démocratie. Mais à l’inverse du cas chilien, le discrédit lié à
l’échec du changement de Constitution a fait que cette transition soit nettement moins contrôlée,
dirigée et imposée par le pouvoir militaire, et davantage pactée avec les différents acteurs politiques
présents avant 19731. Ceci est également facilité par le fait que, comme dans le cas argentin, le
régime n’a pas produit de « fidèles » et encore moins d’héritiers2. Le régime civico-militaire
uruguayen ne contenait, en effet, pas de dimension contre-idéologique forte, à l’instar des régimes
chilien et argentin, et n’a donc pas entrepris ou amorcé un changement de modèle économique ni de
matrice sociopolitique. Deux éléments ont, cependant, conduit à un réalignement du système
partisan uruguayen. Tout d’abord, la loi de 1986, dite de « caducité », vient constituer une
conjoncture critique importante. L’adoption de celle-ci, exigée par les militaires, quelques mois
après le recouvrement démocratique, qui signifia une amnistie pour ceux-ci, a conduit à produit de
fortes oppositions politiques entre la gauche (Frente Amplio, opposée au projet de loi) et les partis
traditionnels (en faveur)3. Cette opposition a reçu un certain écho au niveau social au point que la
discussion du projet d’amnistie des militaires ne recueille un nombre de signatures suffisant pour
qu’il soit soumis à une consultation populaire4. Le référendum de 1989 constitue en soi un
réalignement clair de la compétition partisane, où le FA vient former un pôle de la compétition face
aux partis traditionnels alignés au sein du même versant opposé. Si le résultat ponctuel de ce
référendum est une victoire pour les partis traditionnels, ratifiant par-là même la loi de caducité (par
57% contre 43%) ; l’activisme du FA pour le « bulletin vert »5, constitue, au final, une demi-
victoire pour celui-ci. En réalisant un score deux fois supérieur aux votations habituelles du FA, le
« vote vert » vient ancrer le FA comme parti du progrès social, et plus particulièrement dans la
1 Bien que les deux leaders du Partido Nacional et du Frente Amplio, Wilson Ferreira Aldunate et Liber Seregni, ne
soient empêchés de participer au pacte scellant la transition « le pacte du Club Naval » en 1984. Le premier interdit de
séjour en Uruguay et contraint à résidence à Buenos Aires, a entraîné l’abstention de son parti à la table des
négotiations ; le second étant assigné à résidence à Montevideo. 2 Bien qu’à l’intérieur des deux partis traditionnels on puisse retrouver quelques rares membres des mouvements
pachequistes ou bordaberrystes (Partido Colorado) et herreristes (partido nacional), relativement proches des
idéologies putschistes. 3 A l’exception d’une fraction du Partido Nacional. De fait, le propre Parti National avait exprimé son rejet initial au
projet de loi, mais son leader Wilson Ferreira, de conclure que les dispositions établies par ledit projet de loi étaient
déjà entérinée dans le pacte du Club Naval. 4 La Constitution de 1967, en vigueur de par l’échec de changement de constitution, établit à son article 79 se référant
aux conditions de tenues de référendums, que toute demande de dérogation de lois peut être soumise à la consultation
populaire, lorsque ladite demande de dérogation reçoit l’appui d’au moins 25% des électeurs inscrits sur les listes
nationales. 5 En référence à la couleur du bulletin stipulant l’abrogation de la loi
202
capitale, Montevideo qui regroupe près de la moitié des uruguayens, où le FA emporte la mairie –
qu’il détient toujours- aux élections municipales de la même année.
Enfin, le second élément critique porte sur l’opérationnalisation de la « seconde transition » en
Uruguay, qui se réalise dans un climat démocratique, et suppose que l’approbation de projets socio-
économique d’envergure soit également soumise à l’abrogation ou ratification populaire. Ainsi les
lois portant sur la privatisation d’entreprises, promulguées en 1991 par le gouvernement du libéral
blanco Luis Alberto Lacalle, et qui prévoient le transfert vers la gestion privée et la fin de
monopoles d’Etat d’une série d’entreprises de secteurs clés (télécommunications, électricité,
pétrole, etc…) aboutissent à une situation similaire à celle de 1989, puisqu’un projet de dérogation
de ces lois parvient à obtenir les 25% de signatures nécessaires pour soumettre le projet à
référendum. La dérogation appuyée par le FA, puis sur le tard par le secteur de Sanguinetti du
Partido Colorado, va recevoir -cette fois- près des deux-tiers des voix et donc aboutir au retrait des
lois gouvernementales. Cet événement a contribué à un réalignement progressif de la compétition
uruguayenne autour d’une opposition « à l’européenne » de type droite/gauche, fondée sur un
clivage de type socio-économique opposant des conceptions libérales ou sociale-démocrates portant
sur la part de l’Etat dans l’organisation de l’économie nationale. Ce clivage est habituellement
résumé par la dichotomie Etat vs/Marchés. En somme, le FA va faire basculer le système politique
en un tripartisme dont le paroxysme sera atteint lors de l'élection présidentielle de 1994. Enfin,
l’identification du FA avec le versant « gauche » de ce clivage, et la progression de son influence
au sein de la société, est le fruit de l’abandon de ce parti du discours marxiste qui le caractérisait
jusqu’au milieu des années 1970, pour une posture plus social-démocrate. Ce virage idéologique a
conduit cette force politique, qui était initialement une coalition de partis, à se constituer et
s’institutionnaliser comme un « parti de coalition »1, et à se positionner comme force de
gouvernement crédible.
Le FA a donc opéré une forme de sinistrisme sur le Partido Colorado, traditionnellement
considéré comme le parti progressiste et implanté dans la capitale. Si les progrès électoraux du FA
se font aux dépens des deux partis traditionnels, le principal perdant s'avérera être, à la longue, le
PC. En profitant de nombreux éléments favorables, le FA se hisse rapidement comme le premier
parti uruguayen puis comme parti majoritaire.
1 LANZARO, J., “El Frente Amplio: un partido de coalición, entre la lógica de oposición y la lógica de gobierno”, in
Revista uruguaya de ciencia política, No. 12, 2001, pp. 35-67.
203
c. Conclusion : les structurants de compétition politique dans le cône sud.
La compétition partisane s’organise en opposition d’identités partisanes autour de thématiques
clivantes. Ces oppositions peuvent être basées, on l’a vu, sur diverses questions, et autour de liens
de nature variés. Si de nombreux auteurs ont insisté sur le fait que les liens entre les partis et leurs
électorat ne sont pas toujours programmatiques1 et que l’identité partisane ne repose pas toujours
sur des bases idéologiques fortes et cohérentes2, il est surprenant de noter l’ancrage de la dyade
droite/gauche, aussi bien auprès de la plupart des politistes que dans l’imaginaire discursif des
propres parts latino-américains pour classer les systèmes partisans d’Amérique latine et du Cône
sud. Ceci, alors même que les conditions d’une telle opposition et l’organisation du système
partisan ne correspondent pas aux conceptions typiques (européennes) de ce clivage3. Nous ne
prétendons pas, en disant cela, qu’il n’existe pas de positions et discours de gauche ou de droite en
Amérique latine. Bien au contraire, nous avons relevé au travers des expériences du Cône Sud les
évolutions des partis et systèmes de partis, ainsi que les transformations de la compétition partisane.
Nous insistons d’ailleurs sur le fait que ces oppositions et leur assimilation discursive, à teneur
sémantique, y sont le fruit d’importations d’idéologies, provenant essentiellement d’Europe. Une
preuve à cela est la relative facilité de positionnement et auto-positionnement des personnels
politiques – et des citoyens- de la région sur une hypothétique échelle horizontale4. L’Amérique
latine n’a pas produit les notions de « gauche et droite », mais les a adaptées à sa propre réalité. Or,
si la sémantique droite/gauche et son identification sociale est présente, sa matérialisation comme
clivage structurant les systèmes partisans, ne l’est pas automatiquement. Le cas argentin constitue
le meilleur exemple à cet argument, où malgré des postures discursives sensiblement progressistes
ou conservatrices des acteurs politiques, celles-ci ne se matérialisent pas en termes d’oppositions
entre un parti de droite et un parti de gauche, ces oppositions s’exprimant en interne aux partis.
Ceci ne suppose cependant pas que la compétition latino-américaine, et particulièrement dans le
Cône sud, ne soit organisée autour de forts clivages identitaires. Nous avons en effet avancé que la
1 KITSCHELT, H., «Linkages between citizens and politicians in democratic polities», op. cit ; ZECHMEISTER, E.,
“Left-Right semantics as a facilitator of programmatic structuration”, in KISTCHELT, H., et alii, Latin American party
systems,op. cit, pp. 96-115. 2 JANDA, K., Political Parties: A cross national survey, Free Press, New York, 1980; et RUIZ RODRIGUEZ, L., La
coherencia partidista en América Latina, Centro de Estudios Poltiicos y Constitucionales, Madrid, 2007 3 Voir notamment COLOMER, J., et ESCATEL, E., “La dimension izquierda-derecha en America Latina”, in
Desarrollo Económico, Vol. 45, No. 177, 2005, pp. 123-136; COPPEDGE, M.,“A classification of latin american
political parties”, Kellogg Institute Working Paper No. 244, Notre Dame University, 1997; ALCANTARA, M.,
“Partidos políticos en américa latina: precisiones conceptuales, estado actual y retos futuros”, op. cit; ALCÁNTARA,
M., et RIVAS, C., “Las dimensiones de la polarización partidista en América Latina”, op. cit. 4 Pour ce qui est du positionnement et de l’auto-positionnement des élites politiques, voir les traveaux de l’Université
de Salamanque « Proyecto Elites LatinoAmericanas ».
204
création d’oppositions politiques est le propre même de la compétition politique de la région, bien
que sur des bases potentiellement différentes de celles en vigueur en Europe1. Nous présentons dans
le tableau 3.3 une évolution des réalignements et ré-ordonnancements de clivages dans le Cône
Sud, depuis l’indépendance.
Tableau 3.3 : Résumé des lignes de clivages structurantes dans le Cône Sud, en
perspective diachronique
Type de clivage structurant
Cas (période) Conjoncture « critique» Système de partis
Centre/périphérie
Argentine (1880-1916)1 Pacification nationale hégémonique
Chili (1818-1830) Indépendance nationale bipartite
Uruguay (1830-1904) Processus d’indépendance bipartite
Conservateur/ libéral
Uruguay (1904-1989) Pacification nationale bipartite2
Chili (1830-1930) Pacification nationale tripartite
« Gauche/ Droite »
Chili (1930-1973) Approbation du suffrage universel multipartite
Uruguay (1984-…) Consolidation d’une troisième force d’ « idéologie » tripartite
Chili (2006-…) Consolidation démocratique et mort de Pinochet multipartite
Symbolique et culturel/ou « vertical »
Argentine (1916-1943) Approbation du suffrage universel hégémonique
Argentine (1943-1990) Emergence de la figure de Perón bipartite
Argentine (1990-2003) Crise de la dette, émergence de la figure de
Menem multipartite
Argentine (2003-…) Crise économique de 2001 multipartite3
Autoritarisme/ Démocratie
Chili (1988-2006) Référendum révocatoire de 1988 multipartite
Notes : 1 jusque 1880, la politique argentine est soumise aux aléas des guerres civiles internes ce qui ne permet pas d’identifier des
lignes de clivages stables; 2 Bipartite bien que sur plus de la moitié du siècle, il s agit d’un système de parti dominant, avec le Partido
Colorado comme acteur majeur de la politique uruguayenne ; 3 Bien qu’il soit possible de « ranger » les différents partis issus de
l’éclatement de l’UCR, en familles « pan-radicales » et « proto-péronistes », notons néanmoins le rôle-pivot des partis provinciaux
cantonnés à un rôle local bien toutefois certaines forces ont émergées avec des visions nationales, tel que le PRO à Buenos Aires
Source : Elaboration propre
3.2 Théorie des clivages, théorie des coalitions et systèmes présidentiels : une combinaison
inductive
Si la seconde génération des études sur la théorie des clivages, a introduit le facteur
« préférentiel » dans les choix de formation de coalition, et avec lui la dimension idéologique2,
nous venons de voir avec les cas uruguayen et argentin, que les questions idéologiques ne sont pas
automatiquement génératrices d’identité partisane. Aussi, dans les systèmes de partis où les liens
électoraux reposent sur une multiplicité de facteurs, quels sont alors les indicateurs d’ « option de
coalition » ?
1 Voir notamment DIX, R., “Cleavage structures and party systems in Latin America”, op. cit; BENDEL, P., “Sistemas
de partidos en América Latina: criterios, tipologías, explicaciones”, in NOHLEN, D. et FERNÁNDEZ, M. (eds.), El
presidencialismo renovado: Instituciones y cambio político en América Latina, Caracas, Editorial Nueva Sociedad,
1991, pp. 197-211; ROBERTS K., “El sistema de partidos y la transformación de la representación política…” op. cit 2 Voir AXELROD, R., Conflict of interest. A theory of divergent goals with applications to politics, Chicago,
Markham, 1970; et LEISERSON, M. A., « Power and ideology in coalition behavior: an experimental study », in
GROENNINGS, S., KELLEY, E. W., LEISERSON, M. A., The study of coalition behavior : theoretical perspectives
and cases from four continents, New York, Holt, Rinehart et Winston, 1970, pp. 323-335.
205
L’aspect institutionnel, bien qu’insuffisant quant à prédire la forme des systèmes de partis,
influe-t-il sur l’alignement et l’organisation de la compétition politique ? Existe-t-il, en effet, une
éventuelle corrélation entre la structuration de la compétition partisane et le système électoral, et la
capacité de ce dernier à cliver ou, inversement, nuancer et entrecouper des oppositions politiques ?
Enfin, nous avons mis en évidence précédemment que la nature du régime n’influe pas
directement sur la formation de coalitions. Pour autant, système parlementaire et système
présidentiel, semblent répondre à des logiques de fonctionnement et d’alignement différents. Il
s’agit maintenant de voir en quoi ces différences institutionnelles ont un impact sur les options
d’alliances.
3.2.1 Polarisation des systèmes de partis et formation de coali tions
gouvernementales
L’alignement de la compétition politique autour d’un ou plusieurs clivages structurants et son
expression en termes de configuration de systèmes de partis varie en fonction du contexte
historique et géographique. Ainsi, l’émergence de lignes de démarcation sociopolitique dépend de
l’existence de conflits latents à une société, et de la capacité des différents acteurs sociaux à
institutionnaliser ces conflits. De même l’institutionnalisation de ces conflits et leur niveau de
perméabilité, influe sur la formation d’alternatives identitaires significatives et, par ricochet, sur le
degré de polarisation du système de partis. Du degré de porosité d’un clivage dépend la constitution
d’identités sociales et politiques et, par la même, la capacité structurante et ordonnatrice sur le
système partisan de ce même clivage. Certains auteurs stipulent que l’intensité de la compétition
politique et la polarisation du système partisan articulent la nature des relations inter-partisanes.
Comme l’avance Laurence Dodd :
« [p]lus le degré de conflictualité ou de polarisation d’un clivage parmi les partis parlementaires
est faible, plus la propension générale à ce que les partis négocient entre eux est grande»1.
Les clivages constituent donc, en fonction de leur perméabilité, autant de limitations à la
coopération partisane, et cela plus particulièrement en régime présidentiel. En effet, ans une
configuration multipartite, le caractère structurant d’un clivage et son impact sur la compétition
politique supposent la création de pôles d’appartenance autour d’un « principe de groupalité »2 plus
1 DODD, L., Coalitions in parliamentary government, Princeton University Press, 1976, p. 67. Traduction propre.
2 Vincent Lemieux définit le concept de ‘principe de groupalité’ ainsi : « [l]e principe de groupalité pose que les
relations politiques ne sont cohésives que si les acteurs peuvent être regroupés en pôles à l’intérieur desquels tous les
206
ou moins fort de part et d’autre de la ligne de clivage. Dès lors, plus un clivage se trouve être
imperméable, plus les relations interpartisanes sont intra-polaires et moins grande est la tendance à
la formation d’accords inter-polaire, de part et autre de la ligne de démarcation. De même, plus un
clivage est poreux moins risqués et improbables sont les cas de « transfugisme » personnels, inter-
polaires1. Nous défendons en effet qu’un clivage peut être imperméable sans pour autant influencer
le degré de polarisation politique2. Un système partisan peut ainsi générer des identités partisanes
particulièrement fortes et identifiées, tout en observant une compétition politique de type centripète.
La question étant alors d’isoler les facteurs d’ « imperméabilité des clivages ».
a. Structure de représentation, agencement des cl ivages et formation de
coalitions dans le Cône Sud: le facteur présidentiel
En régime parlementaire, la nécessité de compter sur une majorité parlementaire favorable, ou
du moins « non hostile »3, conduit comme l’a montré Abraam de Swaan a ce que se forment des
coalitions gouvernementales, parfois « surdimensionnées », entre des membres de diverses
tendance, avec –idéalement- une moindre « amplitude idéologique »4 (Close Minimal Range
Coalitions). Cette conception suppose que la nécessité créé le pragmatisme et que la formation
d’accords interpartisans s’articule autour de partis, dont les positions « charnières » permettent de
passer des accords avec des partis situés parfois de chaque côté d’une ligne de démarcation. En
fonction des cas de figures et des contextes, si le nombre de « combinaisons » possibles est
proportionnel au nombre d’acteurs politiques en présence, suivant une fonction factorielle, il est
néanmoins rationnellement limité par d’éventuels « cordons sanitaires » généralement idéologiques
et plus ou moins virtuels, lesquels sont le plus souvent placés contre les extrêmes. Ainsi, sur un axe
rapports d’appartenance sont positifs et a l’extérieur desquels (s’il y a plus d’un pôle) tous les rapports d’appartenance
sont négatifs ». Ceci pose donc la création d’éléments et identités propres à un pôle et distinctives de ce qui se trouve en
dehors de ce pôle. Nous simplifions, ici, cette conception systémique autour des lignes de clivage où à un versant de
clivage s’oppose un autre. Voir LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique,
Presses de l’Université de Laval, Laval (Québec), 2006, p. 1. 1 Le concept de « transfugisme », comme dérivé de transfuge, est entendu comme un changement de bord ou
d’étiquette partisane de la part d’un personnel politique, généralement un parlementaire. Ce concept que l’on pourra
décliner comme transfuge interpartisan, lorsque le transfuge reste dans un même bloc mais change d’étiquette ; ou
transfuge interpolaire lorsque le transfuge franchit la ligne de démarcation inter-bloquiste. Pour une définition et une
application intéressante du concept de « transfugisme », voir RENIU, J.,”La representación política en crisis: el
transfuguismo como estrategia política”, in PORRAS NADALES, A., El debate sobre la crisis de la representación
política, Tecnos, Madrid, 1996 pp. 265-290; et VARGAS, J. P., et PETRI, D., Transfuguismo: Desafíos político-
institucionales para la gobernabilidad parlamentaria en Centroamérica, Demuca, San José, 2010. 2 Si le degré de polarisation d’un système de partis tourne autour d’un clivage, les concepts de « polarisation » et
« clivage », ne sont pas pour autant synonymes. Voir infra chapitre 5. 3 Voir STRØM, K., Minority Government and Majority Rule, Cambridge University press, 1990.
4 DE SWAAN, A., Coalition Theories arid Cabinet Formations, Amsterdam, Elsevier, 1973.
207
classique droite/gauche, les « options » rationnelles de formation de coalitions dans une
configuration à cinq acteurs, toujours en système parlementaire, sont présentées par la figure 3.3.
Note : Ces cas de figure, qui reprennent la théorie du choix rationnel, sont exprimés en fonction du « poids » législatif des partis,
avec la considération théorique qu’aucun pôle ne dispose de la majorité absolue des sièges.
Source : élaboration propre
Ces options dépendent du poids de chaque acteur et de l’identité du parti du formateur1, or
lorsque celui-ci est en même temps celui qui détient le « législateur médian », le spectre
d’alternatives possibles s’agrandit2. De même, la « position » des acteurs sur l’axe droite/gauche,
semblerait influer sur leur « potentiel coalitionnaire », car d’après la théorie du choix rationnel, plus
un parti est situé vers une position centriste ou centrale, plus son attractivité –et par-là même son
pouvoir de négociation et/ou chantage- est grande à l’heure de former une coalition parlementaire3.
Enfin, rappelons les « tours de formation », propres aux systèmes parlementaires, où lorsqu’un
leader de parti chargé de former un gouvernement échoue, autant de leaders le remplacent jusqu’à
1 Nous avons donné en introduction une définition de ce concept.
2 LAVER, M., et SHEPSLE, K Making and Breaking Governments,Cambridge University Press, 1996
3 WARWICK, P., “Coalition government membership in west european parliamentary democracies”, in British Journal
of Political Science, vol. 26, No. 3, 1998, pp. 471-499; BUDGE, I., et LAVER, M., “The policy basis of government
coalitions: A comparative investigation” , in British Journal of Political Science, Vol. 23, No. 4, 1993, pp. 499-519;
BUDGE, I., KLINGEMANN, H.D., et alii, Mapping policy preferences: estimates for parties, electors, and
governments 1945–1998, op. cit.
Figure 3.3: “options” de coalitions en système parlementaire
208
ce que se forme une majorité parlementaire d’appui ou d’appoint. Toutefois, il est difficile de
trouver dans la littérature dominante une considération des clivages comme élément structurant la
compétition politique et limitant les « options de coalition ». Pour Laurence Dodd:
« Le système de clivage est ainsi à la fois une des principales sources de conquête du pouvoir et,
en même temps, une contrainte majeure de comportement possible dans la poursuite de cette
quête. » […] « [C]e qui constitue une contrainte claire sur la volonté des dirigeants des partis à
négocier »1
Par « système de clivage » s’appliquant au système de partis, Dodd se rapporte à l’intensité plus
qu’à la porosité des clivages. La notion de « système de clivages » est confondue avec le concept de
polarisation où à une configuration centripète (favorisant la négociation) s’oppose une
configuration centrifuge (plus polarisée et donc moins propice à la formation d’alliances). Suivant
cette conception, les clivages apparaissent davantage comme des « marqueurs de position » que
comme des « marqueurs d’identité ». Surtout, les partis poursuivant en principe des objectifs précis,
les positions politiques et les rapports de force (nombre de sièges au parlement) sont considérés
comme autant de facteurs d’intransigeance ou de négociation, tant sur les questions de politique
publique (Policy seeking) que sur l’attribution de portefeuilles ministériels (office seeking)2.
*
En régime présidentiel, les systèmes de partis et « systèmes de clivage » sont soumis à une
logique différente. Comme le soulignent Léon Epstein puis David Samuels, la double légitimité
électorale qui découle de ces régimes –élection du gouvernement au travers de l’élection
présidentielle, et élection des représentants d’intérêts plus « locaux », au niveau parlementaire-
influe à la fois sur la configuration et la compétition partisane3. Les partis optent en effet pour des
stratégies différentes en fonction de la nature de l’élection, et adoptent une attitude duale vis-à-vis
de l’électorat : une posture nationale, pour l’élection du « gouvernement », une autre plus « locale »
pour les élections parlementaires4. Cette dualité, à la fois électorale et comportementale permet de
canaliser les conflits en fonction de leur degré national ou local, là où en système parlementaire
1 DODD, L., op. cit, pp.58-59. Traduction propre, mes italiques.
2 Voir les critiques de Gregory Luebbert sur le caractère rationnel des partis, et plus précisément sur le présupposé que
tous les partis seraient intéressés à former une coalition gagnante. Voir LUEBBERT, G., “Coalition theory and
government formation in multiparty democracies”, in Comparative Politics, Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 3 EPSTEIN, L., Political parties in the American mold, University of Wisconsin Press, Madison, 1986; SAMUELS, D.,
“Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in Comparative Political
Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483. Ceci ne veut pas dire pour autant que les partis ne présentant pas de
candidats lors de l’élection présidentielle, soient mécaniquement des petits partis. 4 Nous ne négligeons certainement pas le caractère national de ces élections, les partis politiques s’appuient
généralement sur ces élections, particulièrement lorsqu’elles ne sont pas simultanées, comme instrument de défiance ou
confiance, vis-à-vis du gouvernement. De même les élections parlementaires, quand elles sont simultanées ou « très
rapprochées » aux élections présidentielles, servent de « ratification » ou « compensation » à l’élection présidentielle.
209
cette dimension est simultanée : les élections « générales » y sont en effet à la fois faiseuses de
gouvernement et génératrices de représentation locale. Nous nous attarderons donc essentiellement
sur l’attitude partisane, en régime présidentiel, au niveau national.
Le caractère personnel de l’élection présidentielle influe, non pas sur le système de partis et/ou
le nombre de partis de gouvernement, mais sur le système de clivages. En effet, l’élection
présidentielle qu’elle soit directe ou non1, est de type majoritaire puisqu’elle combine à une
circonscription nationale unique, une représentation uninominale. Or, comme nous l’avons vu
précédemment, l’empirisme dément les lois-mécaniques les plus élégantes, et les systèmes de
représentation majoritaire ne créent pas nécessairement des systèmes bipartisans (voir chapitre 2.2).
L’élection présidentielle comporte donc une dimension clivante et polarisante, intrinsèque, autour
de la personne du président et de son parti. Là où en système parlementaire, toutes les
combinaisons pour former un gouvernement sont -théoriquement- possibles, en régime présidentiel,
hormis les gouvernements uniquement technocratiques2, seules les combinaisons contenant le parti
du président le sont. Le formateur du gouvernement étant toujours le président3. Suivant la figure
3.4, dans un schéma simplifié à trois acteurs ABC, où A constitue le parti présidentiel, les seules
« combinaisons » possibles sont celles incluant A ; soit AB ou AC, soit un éventuel –et improbable-
gouvernement d’union nationale (ABC). Logiquement, un président ne voudra pas former un
gouvernement qui serait composé d’éléments opposés à celui à son propre parti (BC).
1 Excepté, peut-être, les cas de second tour parlementaire, où le président s’il ne reçoit pas de majorité absolue au
premier tour, est “élu” par le parlement. Voir le cas bolivien avant la réforme constitutionelle de 2009. 2 Sur cette question voir le chapitre 6.
3 Ce qui ne suppose pas qu’il soit le seul à la table des négociations, ni qu’il soit l’unique décideur, mais qu’il est le
décideur « final ». Rappelons qu’en régime présidentiel, le président est à la fois chef du gouvernement et chef de
l’Etat. Pour une présentation de cet argument, voir CHEIBUB, J.A., Presidentialism, Parliamentarism, and
Democracy, Cambridge University Press, 2006, p.54
210
La formation de gouvernements en système présidentiel est, ainsi, plus « excluante » et
« polarisante » qu’en système parlementaire où, par nécessité, le processus se révèle plus
intégrateur, et donc transpolaire (cas de figure 5, figure 3.3). Or, comme l’avancent Strøm, puis
Shugart et Carey, et sous couvert d’un niveau d’institutionnalisation comparable des partis et du
système de partis, la nature directe de l’élection du chef du gouvernement combinée au caractère
« excluant » du système de clivage en régime présidentiel, confère à ce type de régime un degré
plus important du potentiel d’identification et de prédictibilité des options politiques dans la
formation des gouvernements1. Le système de clivage en régime présidentiel est donc générateur de
« pôles », plutôt que marqueur de positions. On vote donc, paradoxalement, davantage pour un
« pôle » en régime présidentiel, qu’en régime parlementaire, où le vote – davantage partisan et/ou
localisé- peut être désagrégé autour d’accords post-électoraux2.
Contrairement à ce qu’avance Dodd, où quand il est faible le système de clivage présenterait une
configuration favorable au dialogue et à la formation d’alliances, la propension coalitionnaire d’un
système de partis n'est pas nécessairement liée à un degré moindre de l’intensité de ce « système de
clivage ». Dans les démocraties présidentielles du Cône Sud, et de manière emblématique dans le
1 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies: Constitutional design and electoral dynamics, Cambridge
University Press, 1992; STRØM, K., Minority Government and Majority Rule, op. cit. Kaare Strøm montrant en effet
que dans les démocraties parlementaires multipartisanes, le potentiel d’identification du futur gouvernement est de
l’ordre de 0.15 points, sur une échelle de 0.00 (identificabilité nulle) à 1.00 (identifiabilité totale). 2 BLAIS, A., et al.,“Do voters vote for government coalitions?; Testing Down's pessimistic conclusions”, in Party
Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705.
A
B C
AB AC
BC
Figure 3.4: Options de coalitions possibles en régime présidentiel
Source: Elaboration propre, à partir de Cheibub (2006)
211
cas chilien, la volonté de négociation semble s’articuler autour de la structure de clivage du
système de partis. Les divisions politiques et sociales, respectivement générées et récupérées par les
partis, façonnent les options de coalition entre partis situés généralement du même « côté » d’une
ligne de démarcation principale, laquelle tend à additionner les différentes lignes de conflits autour
d’elle. Si cela semble tautologique, l’argument suppose néanmoins une différence considérable
avec les systèmes parlementaires où l'absence d'élection directe du chef de l’État conduit à une
addition des lignes de clivages, d’où la multiplicité des « options de coalition » dans ce type de
régimes1. En régime présidentiel, les clivages tendent à se « chevaucher » autour d'un
clivage structurant principal2 ; le système de clivage tend donc vers l’unidimensionnalité. Antonio
Garrido souligne ainsi que la configuration présidentialiste du régime politique :
«..limite le nombre de gouvernements de coalition viables, ce qui implique inévitablement que,
potentiellement, les démocraties présidentielles ont une capacité moindre à développer des
alternatives politiques et gouvernementales que les démocraties parlementaires. La formation de
coalitions mouvantes et successives, soutenues par divers leaderships et participants en fonction
des besoins et des problèmes spécifiques du moment […], est plus difficile en systèmes
présidentiels.3 »
La compétition est alors -reprenant la phraséologie de Duverger- essentiellement « dualiste »,
entendue non pas comme bipartisane, mais plutôt comme bipolaire. Rappelons, toutefois, le
caractère dynamique de cette structuration. Les clivages, fruits de la compétition partisane, sont
donc sujets à des processus de réalignement et ré-ordonnancement en fonction de leur degré de
permanence et d’institutionnalisation. La nature de la compétition politique et la porosité du
système de clivage en régime présidentiel repose ainsi sur le type de liens –programmatique,
personnel, charismatique, symbolique, etc…- entre les partis de gouvernement et leur électorat
captif et conjoncturel, et du degré de persistance de ces liens et des relations interpartisanes. En
effet, plus les positions et les relations autour des lignes de démarcations sont institutionnalisées,
plus les éléments de familiarité apparaissent et s’affirment de manière claire et, par inertie4,
deviennent autant d’« éléments de groupalité »5. De plus, certaines contraintes institutionnelles
viennent renforcer -et non pas créer- le caractère « polarisant6 » du système de clivage et, par là-
1 Voir les cas paradigmatiques de la Belgique ou des Pays Bas.
2 ZUCKERMAN A., « Political cleavage: a conceptual and theoretical analysis », in British Journal of Political
Science, Vol. 5, No. 2, 1975, pp. 231-248. 3 GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso de América latina”, in
Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, p. 44-45. Traduction propre 4 FRANKLIN, M., MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing coalitions in parliamentary
democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298 5 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance… op. cit. p.1
6 Entendu dans son asception étymologique, à savoir « générateur de pôles ».
212
même, la constitution de « blocs » partisans intra-polaires. C’est le cas notamment du principe du
balottage, où le laps de temps entre les deux tours est sujet à la formation de ralliements et la
constitution d’alliances autour des deux candidats arrivés en tête1. On pourrait également inclure le
principe de simultanéité des élections, où sous cette formule de nombreux acteurs observent une
« congruence polaire » accrue des voix au niveau parlementaire et présidentiel, aussi appelé « effet
d’entraîne » (« coattail effect »)2 ; ainsi que, lorsque la constitution le permet, la possibilité de
réélection présidentielle qui tend à cliver la société autour du bilan du président sortant et de son
administration (« incumbency effect/ anti-incumbency effect »)3.
Dans des systèmes de partis institutionnalisés, les éléments de contexte (conjoncture nationale et
internationale) constituent les éléments « volatils » influents sur le résultat de l’élection, entre des
partis répartis autour de structures d’identification et de différentiation sociopolitiques stables4.
Parallèlement, la nature des liens d’identification et de différentiation partisane (idéologique,
programmatique et comportementale) influe sur l’institutionnalisation de la compétition partisane.
Plus le clivage structurant est institutionnalisé et « imperméable », plus les options d’alliances sont
prévisibles. De même, plus un système de parti est institutionnalisé, plus il est soumis à des
tensions aussi bien internes qu’externes, et plus sa propension au maintien dépend de la capacité
d’absorption et flexibilité des éléments qui le composent5.
1 Voir les chapitres 2 (pour les “effets institutionnels”), et 4 (pour la dimension temporelle).
2 Par « congruence polaire » nous entendons le fait de voter pour des candidats (ou des listes) issus du même pôle
identitaire, et non pas nécessairement du même parti. Voir la literature sur le coattail effect: PRESS, C., “Presidential
coattails and party cohesion”, in Midwest Journal of Political Science, Vol. 7, No. 4, 1963, pp. 320-335; CAMPBELL,
J., “Presidential coattails and midterm losses in state legislative elections”, in American Political Science Review, Vol.
80, No. 1, 1986, pp. 45-63; COX, G., Making Votes Count: Strategic Coordination in the World’s Electoral Systems,
Cambridge University Press, 1997; SCARROW, H., “Ballot format in plurality partisan elections”, in GROFMAN, B.,
et LIJPHART, A., Electoral laws and their political consequences, Agathon Press, New York, 2003, pp242-247;
GOLDER, M. “Presidential coattails and legislative fragmentation”, in American Journal of political Science, Vol. 50,
No. 1, 2006, pp. 34-48; JONES, M. P. “The role of parties and party systems in the policymaking process.” Document
présenté lors du Workshop « State Reform, Public Policies and Policymaking Processes », organisé par la Banque
Inter-Américaine de Développement, Washington DC, 2005. 3 NARUD, H.M., “Party policy and government accountability”, in Party politics, Vol. 2, No. 4, 1996, pp. 479-506;
STRØM, K., Minority Government… op.cit.; CAREY, J., “The reelection debate in latin america”, in Latin American
Politics and Society, Vol. 45, No. 1, 2003, pp. 119-133; CRESPO, I., et GARRIDO, A., Elecciones y sistemas
electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico, 2008; MAINWARING, S., et
WELNA, C., Democratic Accountability in Latin America, Oxford University Press, 2003. 4 Le concept de “volatilité électorale” est entendu comme la somme des ratios de transferts de votes interpartisans,
d’une élection à l’autre. Voir BARTOLINI, S. et MAIR, P., Identity, Competition, and Electoral Availability: The
Stability of European Electorates, 1885-1985, op. cit; MAINWARING, S., et SCULLY, T., La Construcción de
Instituciones Democráticas. Sistemas de Partidos en América Latina, Cieplan, Santiago, 1996;
ROBERTS, K., et WIBBELS, E., “Party systems and electoral volatility in latin america: a test of economic,
institutional”, in American Political Science Review, Vol. 93, No. 3, 1999, pp. 575-590; MAINWARING, S., et
TORCAL, M., “La institucionalización de los sistemas de partidos y la teoría del sistema partidista después de la
tercera ola democratizadora”, in América Latina Hoy, Vol. 41, 2005, pp. 141-173; MAINWARING, S., et ZOCO, E.,
“Secuencias políticas y estabilización de la competencia partidista: volatilidad electoral en viejas y nuevas
democracias”, in América Latina Hoy, Vol. 46, 2007, pp. 147-171. 5 PANEBIANCO, A., Political parties, organization and power, Cambridge University Press, 1988 [1982]
213
Or, si comme le théorise Juan Linz, le caractère personnel et direct de l’élection présidentielle
est supposé faciliter l’émergence « d’outsiders » dont l’espérance de vie politique est aussi
incertaine que n’est structurée leur assise partisane1, il est alors nécessaire de s’arrêter sur l’étude
de la nature des lignes d’oppositions partisanes, et leur persistance institutionnelle et mobilisatrice.
Le caractère durable des accords de coalition semble aussi bien dépendre des acteurs que de la
persistance du « contexte originel ». On est amené à se demander si les éléments critiques ayant
conduit à la formation des accords de coalition, existent encore lors de l'élection suivante2. Si oui,
quels sont les éléments de persistance et/ou de réalimentation propre à ces processus ? Si non, la
coalition a-t-elle su s'adapter au nouveau contexte et produire un réalignement du système de parti,
et par-là une nouvelle source de convergence intra-coalitionnaire?
b. Coalitions « positives» vs/ coalitions « négatives»
L’intensité d’un clivage sur la structure sociopolitique provient, nous l’avons vu, de la capacité
de mobilisation des acteurs autour de celui-ci. Toutefois, la nature du clivage découle de divers
facteurs qui débouchent sur diverses formes de manifestation. Ramenés à la compétition partisane,
et particulièrement en régime présidentiel, les clivages opèrent comme les ordonnateurs de la
compétition partisane, générateurs de « liens d’affinités », plus ou moins durable et
institutionnalisés, en fonction de la nature des lignes de conflits ainsi que de la nature des liens
politiques. D’où le fait que l’identification des « options de coalitions » puis des « options de
gouvernements », dépendent du degré d’identification partisane de chaque parti vis-à-vis de la ligne
d’opposition et du degré d’intensité des éléments structurant. Ainsi, plus intense est le clivage, plus
les pôles ou « fronts » sont distinguables. Encore faut-il spécifier les éléments clivants et les
processus de formation de ces fronts.
Les clivages que nous avons présentés jusqu’à présent (territoriaux, ethniques, socio-
économiques, etc.) sont autant d’ordonnateurs de « pôles » au niveau partisan. La conception
dynamique des systèmes de partis aidant, les éléments clivants peuvent donc prendre la forme
d’oppositions idéologiques (cas chilien comme nous l’avons vu), comportemental (cas argentin) ou
les deux se succédant (cas uruguayen). La constitution d’alliances autour de ces lignes de clivage
repose alors sur l’élaboration d’objectifs politiques variés entre les acteurs partisans. On parle ainsi
de « coalition positive » lorsqu’à l’intérieur d’un même pôle tendent à converger des positions entre
1 LINZ, J.J., “The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69
2 TIMMERMANS, A., “Standing appart and sitting together: enforcing coalition agreements in multiparty systems”, in
European Journal of Political Research, Vol. 45, No., 2, 2006, pp. 263-283; MOURY, C., « Les ensembles flous pour
y voir plus clair : decoder les caracteristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue Internationale
de Politique Comparée, Vol. 11, No. 1, 2004, pp. 101-115.
214
différents acteurs politiques en vue de la réalisation et la poursuite d’un objectif commun. Une fois
l’objectif atteint (élection présidentielle, référendum, etc.), le maintien et la pérennisation de
l’alliance dépend du degré d’institutionnalisation et identification des acteurs qui la forment et leur
capacité à reconduire ou réalimenter la dynamique coalitionnaire et les éléments d’identité sociale.
Ainsi comme le présente Niklas Luhmann :
« Le procédé de différenciation découlant des moyens propres aux systèmes fonctionnels, est
un long processus d'évolution destiné à ce que ses propres résultats soient réintroduits dans le
processus lui-même, suivant une voie de rétro-alimentation. »1
Inversement, la survenue d’acteurs anti-système plus ou moins institutionnalisés et
mobilisateurs, et/ou « d’événements critiques » majeurs, constituent autant de potentiels éléments
ré-ordonnateurs qui, lorsque la stabilité du système en place est menacée, peuvent conduire à une
transformation des facteurs d’affinité et d’inimitié. Ou comment des « ennemis deviennent des
alliés », par la force des choses2. Ainsi, le sentiment de rejet d’un acteur politique peut conduire,
lorsque la menace ou l’assise de celui-ci est conséquente, à la formation d’alliances « négatives »
entre acteurs traditionnellement opposés, dont le but essentiel est soit de renverser, soit d’empêcher
l’accession au pouvoir de cet opposant commun. Ce type de coalitions est donc fondé davantage sur
le partage réciproque d’un antagonisme commun, plutôt que sur une convergence « polaire ».
Toutefois, en cas de persistance de « l’ennemi commun », le ré-ordonnancement tend à ce que les
acteurs jadis opposés se retrouvent dans le même pôle, voire fusionnent lorsque leurs éléments de
différentiation identitaire s’estompent3. C’est le cas notamment du rapprochement, puis de la
fusion, entre libéraux et conservateurs chiliens, après l’apparition successive des radicaux puis des
partis ouvriers (voir supra 3.1.2.).
De même, en cas de ré-ordonnancement du système politique, les éléments d’ « ancien régime »,
bien qu’originellement opposés, voyant leur influence respective décroître, peuvent être tentés à un
rapprochement « défensif » vis-à-vis du nouvel acteur émergeant. Les coalitions « négatives »
apparaissent ainsi, à priori plus fragiles et conjoncturelles que les coalitions « positives » basées sur
une convergence dynamique. Toutefois, la routinisation et la répétition de ces alliances négatives,
et les manifestations de « résistance systémique4 », peuvent à leur tour conduire à une convergence
accélérée, notamment sur des bases motivationnelles de conservation d’influence.
1 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009, p.151. Traduction propre.
2 TARROW, S., “Transforming enemies into allies: non-ruling communist parties in multiparty coalitions”, in Journal
of Politics, Vol. 44, 1982, pp. 924-954. 3 DI TELLA, T., Latin American politics: a theoretical framework, University of Texas Press, Austin, 1990; et DI
TELLA, T., Actores y coaliciones, La Crujía/ Instituto Torcuato Di Tella, Buenos Aires, 2003. 4 LUHMANN, N., op. cit.
215
3.2.2 Alignements et ordonnancements des systèmes de partis du Cône Sud :
processus de création et de réalimentation de nouvelles lignes de clivages.
L’institutionnalisation des systèmes de partis, et par conséquent du système de clivage, et la
nature des liens d’appartenance politique constituent les principaux éléments caractéristiques des
régimes du Cône Sud. Ces éléments influent, à la fois, sur la nature des relations inter-partisanes et
sur la culture politique et gouvernementale des différents pays de cette région. Ces considérations
constituent aussi les principales « variables » distinctives des coalitions gouvernementales s’y étant
formé depuis le retour à la démocratie. Nous constatons, en effet, que les systèmes de clivages et
les ordonnancements des blocs politiques des trois pays du Cône Sud, constituent le facteur
explicatif causal des options de coalition, ainsi que leur limitation. Nous distinguons, ainsi, une
porosité particulièrement faible des systèmes de partis chilien, argentin et uruguayen, bien que la
nature des lignes de démarcation déteint sur la nature des coalitions et leur projection dans le temps.
a. La structuration de la compétition politique chilienne et l’héritage du
gouvernement autoritaire
Dans le cas chilien, l’institutionnalisation du régime militaire, via l’adoption d’une nouvelle
Constitution en 1980 instaurant le principe de plébiscite de 1988, constitue la conjoncture critique,
initiant le ré-ordonnancement du système de partis, au sortir de la dictature. En effet, si la
Démocratie chrétienne (DC) avait appuyé dans, un premier temps, le coup d’Etat de Pinochet en
1973 dans le but de mettre fin à la polarisation de la société chilienne qu’elle jugeait critique, ses
espoirs d’une restauration démocratique rapide déçus, la conduisent à entrer en opposition au
régime, dès la fin des années 1970. La proscription des partis d’obédience marxiste, l’entrée en
clandestinité ou en exil de la plupart des leaders politiques de ces partis, et une certaine tolérance
envers la démocratie chrétienne conduisent à ce que cette dernière apparaisse comme le principal
mouvement politique, structuré, d’opposition au régime.
Par la suite, les mouvements sociaux des années 1982-83-84, des suites de l’entrée en crise du
modèle économique et social, ont comme principale conséquence la recomposition des structures et
des réseaux partisans des principaux partis de gauche, qui jusqu’alors œuvraient dans la
clandestinité, autour de deux axes : i) les mouvements prônant une transition politique et
démocratique incluant –voire centrant sa stratégie sur- l’éventualité de la lutte armée1 ; et ii) les
1Option défendue par le Parti Communiste Chilien, pendant un temps par la fraction « Almeydiste » du Parti Socialiste
(fidèle au leader Clodomiro Almeyda), et du MIR (Mouvement de Gauche Révolutionnaire).
216
mouvements issus de la « Convergence Socialiste », ou les partis de gauche prônent un refondation
idéologique pour une approche de plus en plus social-démocrate1. Ces deux stratégies politiques de
transition à la démocratie vont marquer les prédispositions à la constitution de convergences et la
formations d’alliances politiques entres les acteurs opposés à la prolongation de Pinochet au
pouvoir. Ces mêmes partis partagent, suivant des degrés et des intensités distinctes, la position de
« perdants » suite aux événements postérieurs au Coup d’Etat de 19732.
Le PDC qui culturellement s’est toujours posée comme un parti à tentations hégémoniques et
anti-communiste, a ainsi privilégiée la tenue de discussions avec les mouvements de type sociaux-
démocrates, dont les fractions socialistes jadis ennemies, autour d’un projet alternatif démocratique,
l’Alliance Démocratique, abandonnant ainsi son discours traditionnel du « chemin propre »3.
L’objectif étant de battre le régime militaire sur le terrain institutionnel, politique et social, et non
pas sur celui de la violence. De son côté le PCch, pourtant présent dans le même « pôle » opposé à
Pinochet, prend la tête d’une alliance plus radicale autour du Mouvement Démocratique Populaire,
qui opte pour une chute du régime par les armes.
Les deux mouvements concurrents de l’opposition démocratique au régime de Pinochet se sont
alors cristallisés, non sans discussions et tentations réciproques. Mais la défaite de l’option armée,
patente après l’attentat manqué contre Pinochet par des membres du Frente Patriótico Manuel
Rodriguez (bras armé du PCch) en 1986, et la vague de répression qui s’en suit, contribue à isoler le
PCch et conforte la position de la Démocratie chrétienne comme acteur central de ce pôle, ce qui
renforce et consolide alors l’option politique de transition démocratique4. L’Alliance démocratique
subit néanmoins de nombreux soubresauts, dus à des conflits d’intérêts et d’influence, et surtout le
processus de réunification du parti socialiste. Ce dernier, est en effet divisé en plusieurs fractions
autour de la stratégie à adopter vis-à-vis du régime (entre défenseurs de la voie armée et défenseurs
de l’option démocratique), ainsi que sur la position à adopter vis-à-vis de la Démocratie chrétienne
-comme partenaire ou ennemi. Si la tentation armée est abandonnée après 1986, et le retour du PS-
Almeyda autour des autres fractions socialistes, la relation avec le PDC fait encore débat entre
1 Constitué du PS-Núñez, PS-Arrate, du MAPU, et de la Gauche-Chrétienne.
2 Les partis de gauche ayant été renversés et pourchassés, la DC se sentant, elle, trahie par l’institutionnalisation du
régime. Voir YOCELEVZKY, R., Chile: partidos politicos, democracia y dictadura 1970-1990, Fondo de Cultura
Economica, Santiago, 2002. 3 Originellement, l’Alliance Démocratique incluait également les partis et fractions de droite (fraction libérale du
Partido Nacional), mal à l’aise avec l’évolution du régime. Mais, par la suite ces fractions se sont recomposées autour
du nouveau parti Renovación Nacional. 4 Le PC se retrouve d’autant plus isolé que le régime militaire avait fait preuve d’une certaine ouverture au dialogue,
par l’entremise du ministre de l’intérieur Sergio Jarpa entre 1983-1984, après les mouvements sociaux concomitants
aux turbulences économiques que vivait alors le pays.
217
suivisme inconditionnel et coopération autonome1. Le soutien du PDC au coup d’Etat de Pinochet
contre le gouvernement d’Allende en 1973, est toujours présent dans les têtes des dirigeants
socialistes. De même, la position dominante du PDC du fait d’une certaine tolérance du parti et ces
cadres par le régime de Pinochet, contribue au maintien d’une certaine méfiance des membres du
PSch face à l’attitude et au degré de compromis à adopter avec le PDC.
L’acceptation de la transition « constitutionnelle », l’abandon de l’exigence de retrait
inconditionnel de Pinochet, l’échéance approchant, et la conversion du PSch à la social-démocratie
ont finalement conduit les différentes parties à approfondir leurs relations et leurs convergences
programmatiques et organisationnelles, afin de gagner le Référendum de 1988 et construire une
alternative gouvernementale crédible et stable. Cet événement constitue l’occasion pour la plupart
des partis de renouer de manière visible avec la société civile. Si le PDC a pu maintenir sa visibilité
et ses réseaux de manière relativement aisée, les différentes fractions socialistes ont dû faire avec la
proscription constitutionnelle de tous les partis d’inspiration marxiste. Ce qui explique que le
« monde socialiste » se présente soit fractionné autour d’un leader de courant (Núñez, Almeyda et
Arrate), soit sous une étiquette nouvelle et aseptisée : le Parti Pour la Démocratie (PPD). Ce parti
créé initialement pour contrer l’interdiction pesant sur les socialistes « modérés » de se doter d’un
organe de représentation électorale, va par la suite se maintenir et s’institutionnaliser, prenant les
traits d’un parti de cadres (ou de « professionnels de la politique ») dénué base militante2. Enfin, en
1988 se forme la « Concertation Pour le Non », en vue du référendum de 1988, composée
initialement de 17 « partis »3. A ce mouvement de construction d’alliance qui regroupe l’ensemble
des partis opposés à une reconduction de Pinochet, le seul parti d’opposition au régime militaire à
ne pas participer est le PCch, en raison de l’opposition ferme du PDC à s’allier avec un parti qu’elle
juge instable et inconstant.
En face, dans le « pôle du régime sortant », la préparation du référendum, conduit à la formation
d’un organe politique du régime, Renovación Nacional, au sein duquel coexistent deux courants
d’inspiration idéologique distincte, mais partageant la même relation au régime et à son legs
sociopolitique, et défendant la conception de « démocratie protégée »4. Ainsi l’Unión Demócrata
1 BOENINGER, E., Democracia en Chile: Lecciones para la gobernabilidad, Editorial Andrés Bello, Santiago, 1997;
ORTEGA FREI, E., Historia de Una Alianza, CESOC/CED, Santiago, 1992. 2 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfiles dirigenciales y
trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y
política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 3 Dont la DC, les deux PS (Almeyda et Núñez), le PPD, le Parti Radical, le Parti Social Démocrate, le MAPU, la
Gauche Chrétienne, et d’autres groupes et mouvements plus petits de centre-gauche. 4 Sous entendue « protégée des éléments de subversion par les diverses institutions établies par la constituion de
1980 ». Pour une conception de la notion de « démocratie protégée », voir GODOY ARCAYA, O., “Parlamento,
presidencialismo y democracia protegida”, in Revista de ciencia política (Santiago), Vol. 23, No.2, 2003, pp.7-42.
218
Independiente (UDI) constitue l’aile conservatrice et idéologique du régime militaire1, son
fondateur Jaime Guzmán -le principal rédacteur de la Constitution de 1980- étant un fervent
admirateur du régime espagnol de Franco et membre de l’Opus Dei. Ce nouveau parti est marqué
par une étroite relation personnaliste, envers Guzmán, et une homogénéité sociologique et
idéologique particulièrement forte de ses membres2. Enfin, le Partido Nacional -qui prendra par la
suite le nom de Renovación Nacional-, est un parti d’inspiration plus libérale, et présente une
position de droite plus « traditionnelle », entrepreneuriale et républicaine et moins attachée à la
figure de Pinochet.
La victoire du « non » au référendum de 1988 (par 55.9%), ouvre alors la voie à la tenue
d’élections présidentielles et parlementaires, prévues constitutionnellement l’année suivante, pour
lesquelles le bloc des opposants à Pinochet va reconduire son alliance autour d’un projet de
gouvernement visant à la formation d’une alternative gouvernementale démocratique au régime
militaire, créant ainsi la « Concertación de Partidos por la Democracia »3. Les partis
4 se mettent
d’accord pour l’élaboration d’une liste unique de candidats pour tous les postes électifs en balance
dont, naturellement, un candidat commun à l’élection présidentielle : le leader DC Patricio Aylwin.
En face, le pôle de soutien ou « héritier » du régime de Pinochet présente un candidat du sérail,
l’ex ministre de l’économie Hernan Büchi, et cherche ainsi à axer la compétition partisane autour
de thèmes socioéconomiques, dans l’espoir de limiter la dynamique anti-Pinochet issue du résultat
du référendum. La candidature de l’entrepreneur Francisco Errázuriz pour le compte de l’éphémère
Union de Centre Centre5, parti qui bien que « centriste » a construit ses politiques d’alliance
essentiellement avec le bloc « de droite » héritier du pinochétisme, constitue la troisième option à
l’élection amorçant la transition à la démocratie chilienne.
Si la Concertación se présente avec un programme économique progressiste dont le leitmotiv est
la « croissance dans l’équité », la symétrie des résultats de cette élection (55,2%) avec ceux du
référendum en faveur du camp du « non », fait preuve d’une corrélation entre les deux électorats.
Le vote « concertationniste » est donc davantage coalitionnaire que partisan, et son identification
sociale se cristallise autour de ce clivage anti/pro Pinochet, généralement simplifié dans la
1 ALENDA, S., “Dynamiques d’institutionnalisation et sociologie des élites de la « nouvelle droite » chilienne.
L’Unión Demócrata Independiente-UDI”, Texte préparé pour le Congrès de l’IPSA-ECPR, février 2011, São Paulo. 2 Ibid. Alenda parle de “cercles” d’appartenance et d’identification, tous reliés à Guzmán.
3 Nous mettons une emphase particulière autour de la notion de “projet gouvernemental”, quant à sa dimension plus
institutionnelle et durable. Voir FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y
proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC, I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago,
2002, pp. 191-222. 4 Après la fusion de partis (Parti Radical + Social Démocrate = PRSD), de mouvances (les PS ne faisant plus qu’un) et
l’absorption ou désintégration de petits partis (MAPU, IC, …) des dix-sept partis de la Concertación initiale il n’en
reste plus que quatre un an après : PDC, PPD, PS et PRSD. 5 Porteur d’un discours anti-système avec l’ineffable slogan : « Assez de blabla, votez frafra ! ».
219
littérature par la dichotomie Autoritarisme/ Démocratie. Comme le montre le Tableau 3.4 où sur
une échelle d’importance de 1 à 5, où « 1 » suppose un ordre d’importance primordial et « 5 » un
ordre d’importance insignifiant, on observe que la compilation des réponses des différents
personnels politiques, peu importe le parti, confirme la primauté du clivage
autoritarisme/démocratie comme vecteur de groupalité, au niveau des élites partisanes. Et, si le
système électoral -binominal- en place au Chili (voir supra chapitre 2.2.2), constitue une
« contrainte » institutionnelle favorable à la formation de coalitions, au moins parlementaires, il n’a
pas créé le système de clivage chilien et l’organisation polaire de la compétition politique. Son
impact est donc consolidateur et non ordonnateur du système partisan chilien.
Tableau 3.4 : perception de l’importance des lignes de clivages par las membres de
la Concertación, lors de la formation de la coalition (1989), par partis.
Clivage dominant PDC PS PPD Moyenne
“Autoritarisme/
Démocratie” 1 1 1 1
Intervention Etat/
Marché 2.58 2.83 2.69 2.70
Centre/ périphérie 4.5 4.77 3.61 4.29
“Valeurs” 4.16 3.66 3.30 3.70
Notes : Tableau élaboré sur la base d’un questionnaire pour l’ensemble des partis, à l’exception du PRSD, présenté à 36 membres de
partis ayant participé plus (ministres, présidents, chefs de partis) ou moins (député sénateurs) directement aux différents
gouvernements de la Concertación.
Source : élaboration propre
Une fois l’assomption du président Aylwin actée, les gestes en faveur d’une « réconciliation
nationale » vont être entrepris. C’est le cas de la formation, dès 1990, d’une commission nationale
de vérité et réconciliation sur l’état des exécutions et disparitions politiques pendant le régime de
Pinochet, dont les conclusions sont rédigées dans le rapport Rettig (du nom du président de la
commission) un an après. Néanmoins l’événement du « boinazo »1 survenu en 1993 pour mettre
une pression sur le gouvernement et le pouvoir judiciaire face à l’ouverture d’une instruction sur un
cas de corruption compromettant le Général Pinochet (les « pinochèques »), vient à la fois rappeler
que le processus de la transition démocratique demeure encore inconsolidé. Les résultats des
élections de 1993, indiquent d’ailleurs un renforcement de l’identification sociale avec la
Concertación (57.98%).
Le retrait de Pinochet du poste de chef des forces armées en 1998, son arrestation à Londres la
même année et l’apparition de nouvelles affaires de corruption l’impliquant contribuent, toutefois, à
1 Littérallement “coup de béret”, tiré du couvre-chef que portent les forces spéciales chiliennes.
220
ce qu’une partie de la droite chilienne ne prenne progressivement ses distances vis-à-vis du général,
ce qui participe à une baisse graduelle de l’intensité du clivage structurant pros/antis Pinochet. Le
bloc de droite va ainsi changer de nom à plusieurs reprises pour tenter de découpler son image avec
celle du régime, malgré les liens directs d’une part importante des cadres politiques des deux partis
de droite, surtout au sein de l’UDI, avec le régime militaire1. Ce phénomène de détachement est mis
en évidence lors des élections présidentielles de 1999, où le candidat du bloc de droite et maire de
Santiago ,Joaquín Lavín, force la tenue d’un second tour après avoir réalisé un score quasiment de
parité avec le candidat de la Concertación, Ricardo Lagos (47,5%, contre 47.8%), en forte
progression par rapport aux 44% du camp du « oui » au référendum de 1988. L’élection finale de
Lagos lors de ces élections constitue, toutefois, un événement particulier puisque pour la première
fois depuis l’élection de Salvador Allende, un socialiste s’installe à la Moneda sans heurt ni crainte
pour la stabilité politique et démocratique du pays2.
Malgré un effort de « réactivation du clivage », tel que la création de la Commission Valech sur
la prison politique et la torture, qui tend à remettre la question des violations des droits de
l’Homme pendant la dictature, et malgré la création de politiques publiques visant à indemniser les
victimes de la dictature et leurs familles ainsi que l’érection de nombreux monuments de mémoire
des victimes de la dictature, dont un « musée de la mémoire » à Santiago ; la mort du général
Pinochet en décembre 2006, constitue un événement critique porteur de réalignement du système
de partis. La disparition du dictateur met en effet symboliquement fin à la raison d’être initiale de
la Concertación. Par ailleurs, les partis de droite, sans pour autant critiquer ouvertement le régime
militaire, achèvent de la sorte leur émancipation de la figure de Pinochet, en cherchant à se doter
d’une image de droite plus « classique ».
La perte d’intensité du clivage structurant est illustrée par le tableau 3.5, où les personnels
politiques chargés de décrire les éléments identitaires constitutifs de coalition et d’opposition avec
le bloc de droite, paraissent beaucoup moins unanimes. En simplifiant le tableau précédent, le
personnel politique interrogé a été invité à classer par ordre d’importance, dans une liste de quatre
principaux clivages, les lignes de démarcations identitaires en vigueur à l’heure actuelle au Chili
(les entrevues s’étalant entre 2010 et 2012), en fonction de leur impact « primordial », « pertinent »
et « non pertinent » quant à la structuration de la compétition politique chilienne actuelle. Pour
1Adoptant pêle-mêle le nom de « Démocratie et Progrès » en 1989, puis « Union pour le progrès du Chili » en 1993,
puis encore « l’Union pour le Chili » en 1999, puis un nouveau nom en 2005 « l’Alliance pour le Chili », puis en 2009
« La coalition pour le changement ». Carlos Hunneus a montré que parmi les parlementaires de la période 1989-2001,
62,4% des législateurs UDI et 44,9 % des députés RN, avaient occupé des postes dans le gouvernement militaire, voir
HUNNEEUS, C.,El régimen de Pinochet, Editorial Sudamericana, Santiago, 2000. 2 Bien que Lagos apparaisse officiellement sous les couleurs du PPD, étant de fait le président du parti, mais le PPD
gardant la « double militance » avec le PS de ses membres, jusqu’au milieu des années 2000.
221
pouvoir pondérer les réponses, nous avons conféré aux réponses « primordiales » un coefficient
« 1 » ; aux réponses « pertinentes », un coefficient « 1.5 », et aux réponses « non-pertinentes » un
coefficient « 2 » ; puis divisé le tout par le nombre de réponses par parti (12). De ce fait, un score
s’approchant de « 1 » tend à supposer une considération de clivage « primordial » ; quand la
somme des réponses approche « 1.5 », le clivage est considéré comme pertinent, et si elles
approchent de « 2 », le clivage est alors considéré comme non-pertinent.
Tableau 3.5 : perception de l’importance des lignes de clivages par las membres de
la Concertación, vingt ans après la création de la coalition (2010-2012)
Clivage dominant PDC PS PPD Moyenne
“Autoritarisme/
Démocratie” 1.58 1.54 1.5 1.54
Intervention Etat/
Marché 1.25 1.08 1.23 1.18
Centre/ périphérie 2 1.96 1.61 1.86
“Valeurs” 1.62 1.30 1.30 1.40
Source : élaboration propre
On observe que d’après les personnes interrogées, si le clivage autoritarisme/ démocratie
demeure « pertinent » (moyenne à 1.54), les réponses de la part des élites partisanes montrent qu’il
est dépassé en ordre d’importance par le clivage socio-économique (« Etat/ marché », à 1.18), et le
clivage sur le thème des « valeurs »1 (1.40). Malgré les tentatives de réactivation et réalimentation
successives du clivage autoritarisme/ démocratie au Chili2, l’effritement de la coalition après vingt
ans au pouvoir, trouve ainsi une part d’explication certaine dans son incapacité à maintenir sa
cohésion, face au déclin du clivage qu’elle a elle-même forgé. Le nouveau clivage structurant de la
compétition politique chilienne ne semble pas pour l’heure totalement stabilisé, ce que vient
confirmer les cas de départs personnels depuis 2006, où des députés de la Concertación ont quitté la
coalition pour former leur propre parti ou rejoindre la coalition opposée. Enfin, nous le verrons
dans le chapitre 6, le réalignement des clivages est confirmé par une part grandissante, dès la fin
des années 1990, de perte d’identification partisane de pants entiers de la société chilienne.
1 La notion de « valeurs » est sujette à trois éléments de considération : i) les valeurs ne sont pas directement observées,
ii) les valeurs engagent des considérations morales, et iii) les valeurs sont des conceptions de ce qui est « désirable ».
En outre, les valeurs s’expriment aussi bien au travers d’action que d’attitudes personnelles et/ou collectives. Voir
VAN DETH, J., et SCARBROUGH,”The concept of values”, in VAN DETH, J., et SCARBROUGH, The Impact of
Values, Oxford University Press, 1995, pp.22-47. 2 Lors des élections de 2009-2010, la Concertación a relancé le débat, archives à l’appui, sur l’assassinat en 1980
d’Eduardo Frei Montalva, ancien président démocrate chrétien (1964-1970), et principal opposant sous la dictature… et
père du candidat –malheureux- à la présidentielle, Eduardo Frei Ruiz-Tagle.
222
b. Le cas uruguayen: entre convergence idéologique et coalition négative
La formation de coalitions en Uruguay semble s’articuler autour d’une logique différente vis-à-
vis de l’expérience chilienne, et est marquée par un processus beaucoup moins linéaire. Nous
l’avons vu, les systèmes partisans argentin et uruguayen n’ont pas conduit à la création d’un parti
« héritier » du régime militaire précédent, pour autant les caractéristiques de chacun des systèmes
se sont maintenues au retour de la démocratie. En fonction du cas, nous avons identifié deux
aspects centraux. Tout d’abord l’effritement du bipartisme uruguayen, en 1971 et qui se confirme
au retour à la démocratie, en 1984. Dans le cas argentin, la perte de repères du PJ argentin provient
de la disparition en 1974 de son « facteur de cohésion » originelle, à savoir la figure de Perón, qui
entraîne une période d’acéphalie au sein du principal parti argentin, au cours des années 1980.
Surtout, la déconstruction des bipartismes argentin et uruguayen1 est de nature différente car
l’émergence du nouvel acteur contestataire de l’hégémonie bipartisane traditionnelle, est externe en
Uruguay (émergence d’une coalition de petits partis qui forme, par la suite, un parti
institutionnalisé), alors qu’il est interne en Argentine, puisqu’il s’agit de la scission d’une fraction
de l’un des deux partis traditionnels. En Uruguay, le nouveau parti se positionne donc contre le
système en place, ce qui conduit à polariser le système autour de lui ; alors que le nouveau parti
argentin vient occuper une place « centriste » dans le système partisan de type « haut/bas » (plutôt
que droite/gauche).
Le maintien et la progression des scores électoraux du Frente Amplio en Uruguay, et son
activisme en faveur des droits de l’homme dans un premier temps, puis contre les mesures de
privatisation d’entreprises symboliques dans le cadre de la « transition économique »2, ont conduit
à un ré-ordonnancement du système de parti uruguayen. L’événement critique de ce ré-
ordonnancement consiste en la conquête de la municipalité de Montevideo par le FA, en 1989, aux
dépens du Partido Colorado, pour qui la capitale du pays constitue le bastion électoral historique.
Comme le montre Jaime Yaffé, tout en opérant un virage programmatique pragmatique3, le FA,
enregistre sa progression électorale sur tous les bastions du Partido Colorado, séduisant de fait
l’électorat progressiste de ce parti. Le FA opère, ainsi, une forme de sinistrisme sur le parti porteur
1 FREGOSI, R. «La déconstruction du bipartisme en Argentine, au Paraguay et en Uruguay», op. cit ; ALBALA, A., et
PARRA, E., « ¿Nuevos actores, nuevas prácticas? Los casos de reordenamiento de los bipartidismos en Argentina,
Colombia y Uruguay, desde los 1980s », op. cit. 2 LANZARO, J., “La ‘doble’ transición en el Uruguay. Gobierno de partidos y neopresidencialismo”, in Nueva
Sociedad, No. 128,1993, pp. 132-147; LANZARO, J., La segunda transición en el Uruguay, op. cit. 3 LANZARO J., « La izquierda se acerca a los Uruguayos, y los uruguayos se acercan a la izquierda », in Les Cahiers
des Amériques Latines n° 46, 2005, pp. 21-32.
223
de la tradition Batlliste uruguayenne1. En conséquence, la poussée du FA conduit rapidement les
partis traditionnels, voyant leur influence électorale décroître (voir Tableau 3.6), à adopter une
position défensive ou « négative » à son encontre.
On assiste, alors, à une transformation de la logique de compromis uruguayenne, passant d'une
logique de partis « triangulaire », suivant une logique du deux contre un2, à une logique de
« blocs » politiques. En effet, timidement d'abord sous le premier mandat de Julio María
Sanguinetti (1985-1990), puis plus explicitement sous le gouvernement de Luis Alberto Lacalle
(1990-1995), les deux partis traditionnels opèrent un rapprochement concerté de toutes leurs
factions au parlement, et fonctionnant comme une coalition législative. Cette première expérience,
bien que limitée3, entraîne un rapport inertiel de collaboration électorale et politique entre les deux
partis traditionnels, lesquels par-là même, forment un « pôle traditionnel » en opposition au Frente
Amplio4. Celui-ci représente le « pôle de gauche », les partis traditionnels se retrouvent, par
opposition à celui-ci, représenter un « pôle de droite ». Cette dichotomie identitaire est inédite dans
la tradition politique uruguayenne, et ces blocs ne sont cependant pas totalement homogènes, du
fait de la nature-même des partis uruguayens. A titre d’exemple, chacun des deux partis du bloc
« de droite », contient à la fois une aile plus « centriste » et progressiste (Sanguinetti pour le PC,
Volonté puis Larrañaga pour le PN), ainsi qu’une aile plus « néolibérale » (Batlle puis Bordaberry
Jr. pour le PC, Lacalle pour le PN).
Ce phénomène de polarisation de la compétition partisane uruguayenne se consolide juste après
l’élection générale de 1994, où les trois partis réalisent un « match nul électoral », recueillant
chacun grosso modo un tiers des voix. A cette occasion, et cherchant à garantir la gouvernabilité du
pays5, le Partido Colorado et le Partido Nacional forment un nouveau gouvernement de coalition
où l’ensemble des fractions de chaque parti s’engage a appuyer et/ou faire parti du gouvernement,
sur la totalité du mandat. Durant ce mandat marqué par une entente presque totale entre les partis et
une gestion de l’agenda partagée, les deux partis traditionnels entérinent la logique polaire, par un
changement de la loi électorale entraînant un changement de Constitution (voir supra 2.1.1c). Ce
1 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Linardi y
Risso, Montevideo, 2005. Par sinistrisme, nous reprennons le concept de Duverger supposant une poussée depuis la
gauche (de « sinistra » en italien qui veut dire « gauche »), ce qui a pour conséquence de tirer le parti victime du
sinistrisme de plus en plus vers la « droite ». 2 CAPLOW, T., “A Theory of Coalitions in the Triad”, in American Sociological Review, Vol. 21, No. 4, 1956, pp.
489-493; et “Further Development of a Theory of Coalitions in the Triad”, in American Journal of Sociology, Vol. 64,
No. 5, 1959, pp. 488-493; LANZARO, J., “Uruguay: del bipartidismo al pluripartidismo bipolar”, in ROVINA, J., La
democracia ante el nuevo siglo, Ediciones Instituto de Investigaciones Sociales, San José, 2001d, pp. 59-83 3 Le gouvernement de coalition ne se maintenant qu’un an et demi.
4 Ajouons quelques partis éphémères tel le « Nuevo Espacio » qui, cherchant à occuper une position centriste, va peser
sur la politique uruguayenne pendant deux élections (1989-1994) mais disparaî par la suite faute, d’allignement clair. 5 L’expression est du leader blanco Alberto Volonté, lors de notre entrtien le 24 Novembre 2009.
224
changement de loi électorale censé doter le président d’une légitimité indiscutable, afin d’éviter
tout blocage institutionnel du fait d’un gouvernement minoritaire, contient surtout –officieusement-
un principe « défensif » de la part des partis traditionnels. En rendant plus difficile l’élection du
Frente Amplio, via l’introduction du balottage1, les partis traditionnels tablent sur l’hypothèse que
le FA présenterait un fort niveau de rejet social au sein de la société uruguayenne, malgré ses
progrès électoraux constant. Ce qui conduirait ainsi in fine une majorité de l’électorat à vouloir
voter contre le FA. Le changement constitutionnel qui découle de cette perspective électoraliste,
s’assimile à une recherche de cartellisation du pouvoir des partis traditionnels2.
Par cette réforme électorale, le premier tour semble opérer comme « primaire de la droite » afin
de sélectionner le parti du bloc de droite qui affrontera le FA, lors d’un probable second tour. Cette
configuration s’est présentée en 1999, où le candidat du PC -Jorge Batlle- pourtant arrivé
deuxième, formera une coalition « d’entre-deux-tours » avec le PN et gagnera l’élection, ce qui
sembla ainsi confirmer l’hypothèse du rejet du FA. A la suite de cette victoire, le président Batlle
formera une coalition gouvernementale avec son allié « traditionnel ». En 2009, se reproduit le
recours au balottage, avec cette fois le PN comme parti représentant le bloc « traditionnel ». Celui-
ci reçu l’appui du Parti Colorado mais avec moins de succès qu’en 1999. A noter qu’entre temps, le
FA a accédé au pouvoir, en 2005, mettant à bas l’hypothèse du FA comme parti répulsif pour une
majorité d’uruguayens.
Dès lors, si la coopération entre colorados et blancos, semble être au départ essentiellement
« négative », cette nouvelle forme de routinisation de coalitions gouvernementales, incluant de
manière inédite les deux partis engagés dans leur totalité, a accéléré leur rapprochement
organisationnel, d'autant plus que la coalition législative entre les deux partis s'est poursuivie alors
même qu'ils se retrouvent, depuis 2005, pour la première fois ensemble dans l'opposition. Cela a
également conduit, par ricochet, à l’absence de démarcation idéologique entre eux, et une
accentuation de la polarisation avec le FA. Ainsi, la progression constante du Frente Amplio au
sortir de la dictature est essentiellement due à l'adoption d'une double stratégie de modération
idéologique et de radicalisation de sa logique d'opposition, sur un modèle compétitif/
1 LANZARO, J., “Uruguay: Reformas políticas en la nueva etapa democrática”, in ZOVATTO, D. y OROZCO, H.,
Reforma política y electoral en América Latina 1978-2007, IIJ/ UNAM, Mexico, 2008. pp905-952; ALTMAN, D.,
«Cambios en las percepciones ideológicas de lemas y fracciones políticas: un mapa del sistema de partidos uruguayo
(1986-1997)», in Cuadernos del CLAEH, n.º 85, 2e série, 2002, pp. 89–110. 2 voir KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party organization and party democracy: the emergence of the cartel
party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28, ainsi que l'ouvrage coordonné par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A.,
Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales: Le modèle de parti-cartel en question, Les Presses de
Sciences-Po, Paris, 2008
225
accommodatif1. Inversement, le Parti Colorado semble être la principale « victime » de la réforme
électorale puisque son confinement à l’intérieur du « pôle de droite » l’a conduit à opérer un virage
néolibéral, délaissant ainsi l’identification qui était la sienne tout au long du XXe siècle comme
parti modernisateur et progressiste. Ceci contribue à alimenter encore davantage la perception quant
à l’absence de ligne politique et idéologique se démarquant clairement du PN (et ce malgré un
sursaut aux élections de 2009). Le PC semble alors cantonné, pour l'heure, à occuper un rôle
d'appoint et de soutien au PN. Certains membres des deux partis ont ainsi appelé à une « fusion »
des partis traditionnels pour former un « parti rose »2, argumentant une caducité des lignes de
démarcation entre les partis traditionnels, face à l’opposition idéologique proposée par le Frente
Amplio. Cette position n’a, cependant, à moyen terme que peu de chance de voir le jour, en raison
de la réticence des appareils colorados et blancos à opérer un rapprochement qui serait vécu, par la
plupart des membres influents, comme une perte d’identité partisane. En effet, si les lignes
idéologiques des deux partis semblent se superposer de manière calquée, rappelons que la
structuration de la compétition politique du pays ne s’est pas établie, traditionnellement, sur des
bases programmatiques. Si le FA est parvenu à réordonnancer la compétition politique autour d’un
clivage structurant à forte teneur programmatique -suivant des canons classiques « droite/gauche-,
les démarcations identitaires à l’intérieur du « bloc de droite » demeurent relativement vivaces3.
c. L’évolution des « blocs » partisans en Argentine et l’impact de la disparition de
Perón
La constitution de blocs en Argentine et la possibilité qui en découle de former des coalitions
partisanes, est dépendante du -faible- degré d’institutionnalisation des partis. Si le retour à la
démocratie a supposé un maintien de l’alignement électoral traditionnel, autour des deux grands
partis, comme le montre le Tableau 3.6, le type de relation essentiellement clientélaire entre les
partis et leur électorat4, et le clivage de type « symbolique ou culturel» (Péronisme/ anti-Péronisme)
qui structure traditionnellement la compétition politique argentine, se retrouve affecté par l’attitude
1 SARTORI, G., Parties and Party System: a framework for analysis, Ed. ECPR Press, Oxford, 2005 [1976].
2 “Colorado” signifiant “rouge” en espagnol, le parti « rose » serait donc un marriage entre « blancs » et « rouges ». Ces
arguments sont essentiellement portés par l’ancien conseiller du président Batlle, Carlos Ramela, qui m’a confirmé sa
position lors de notre entretien le 22 Novembre 2009. Voir également BUQUET, D., «Elecciones uruguayas 2004: el
largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana: Nordic Journal of Latin American and Caribbean
Studies, Vol 34, No.1-2, 2004, pp 65-95; et LANZARO, J.,“Continuidad y cambios en una vieja democracia de
partidos: Uruguay 1910-2010”, in Cuadernos del CLAEH, Nº 100, 2012. 3 VAIRO, D., “Juntos pero no casados”: los efectos de la reforma constitucional al interior de los partidos”, in Revista
Uruguaya de Ciencia Política, Vol. 17, No. 1, 2007, pp.159-181. 4 AUYERO, J., “The logic of clientelism in Argentina: An ethnographic account”, in Latin American Research Review,
Vol. 35, No. 3, 2000, pp. 55-81.
226
du PJ. En effet, pendant l’UCR d’Alfonsín adoptait des codes de comportement de type péroniste,
l’absence de leader incontesté au sein du PJ dans les années 1980 conduit à la formation et
structuration de deux lignes antagonistes à l’intérieur du parti. La première, dite des réformistes ou
« modernisateurs » tendait à privilégier, en rupture avec la tradition du parti, une posture plus
« centriste », la seconde cultivait la culture clientélaire et directe du péronisme historique1.
La tenue de primaires internes au PJ, en 1988, en vue l’élection présidentielle de 1989, constitue
la conjoncture critique qui a conduit à la redéfinition de la compétition partisane argentine. En effet,
la victoire surprise du charismatique Carlos Menem conduit à l’adoption de la ligne de conduite du
PJ proche de la pure tradition péroniste, c’est-à-dire sans structure idéologique institutionnalisée et
provoque un schisme à l’intérieur du parti de la part de la fraction « réformiste », basée à Buenos
Aires et partisane d’une définition programmatique plus aboutie. La victoire de Menem aux
élections présidentielles, et sa conversion aux doctrines néolibérales a accéléré la sortie d’une partie
des membres de la fraction réformiste, en 19902. Cette fraction emmenée par Carlos « Chacho »
Alvarez et encore non institutionnalisée, se démarque rapidement de la gestion présidentielle et des
instances du PJ qu’elle considère obsolète et corrompue. La fracture porte sur deux dimensions:
alors que la présidence Menem épouse une posture politique, d’après la qualification de Pierre
Ostiguy, de type « bas-droit », en combinant les codes plus « populistes » avec une
idéologie néolibérale3, rompant ainsi à la fois avec la tradition « populaire » du mouvement
péroniste originel, ainsi qu’avec les alliés « naturels » (syndicats) du parti ; face à cela, le
mouvement de Chacho Alvarez, proposa une attitude plus « haute », plus institutionnalisée et
optant pour le dialogue, avec une sensibilité sociale de type social-démocrate, soit « de gauche ».
La constitution du mouvement comme « front » politique (« Front de la justice Sociale », puis
sobrement « Grand Front »), va attirer autour de lui divers acteurs politiques de moindre envergure
politique (démocrates chrétiens, communistes, radicaux dissidents…) pour former le FREPASO
(Front Pays Solidaire), sur une base essentiellement programmatique… et porteña (de Buenos
Aires). L’émergence médiatique de ce parti découle des accords formés entre les deux principaux
1 OSTIGUY, P., “The high and the low in politics: a two-dimensional political space for comparative analysis and
electoral studies”, op. cit; DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y
Uruguay”, op. cit. 2 OLLIER, M.M., Las coaliciones políticas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica,
Buenos Aires, 2001: ABOY CARLES, G., “El ágora turbi: reflexiones sobre populismo y ciudadanía en la Argentina”,
in CHERESKY, I., et POUSADELA, I., Política e institutiones en las nuevas democrcias latinoamericanas, Paidós,
Buenos Aires, 2001, pp 383-393 3 Voir WEYLAND, K., “Neopopulism and neoliberalism in latin America: How much affinity?” in Third World
Quarterly, Vol. 24, No. 6, 2003, pp. 1095-1115; AUYERO, J., “Repertorios insurgentes en Argentina contemporánea”,
in Iconos, No. 15, 2003, pp. 44-61.
227
partis (PJ et UCR) lors du pacte « d’Olivos »1, où pour la première fois de l’histoire argentine, les
deux principaux partis ont adopté une attitude de coopération réciproque. L’UCR est cependant
perçue comme « cédant toute prétention de récupérer un espace d’opposition claire »2. Obtenant
10% des résultats sur l’échelle nationale et surtout 37.4% sur Buenos Aires, le FREPASO, qui
s’inspire du Frente Amplio uruguayen, se positionne comme la troisième force politique argentine
et se démarque aussi bien du PJ Ménemiste que de l’UCR.
Toutefois, les événements viendront neutraliser la stratégie du FREPASO de création d’un bloc
politique se positionnant, à l’image du Frente Amplio en Uruguay, en opposition aux « partis
traditionnels ». Lors de l’élection présidentielle de 1995, où Carlos Menem est réélu dès le premier
tour (44.9%)3, le FREPASO recueille 28.40% des voix, se hissant comme second parti le plus voté,
devançant l’UCR (16.80%). Ce score va mettre, paradoxalement, en évidence les limites
organisationnelles et électorales du nouveau parti, ainsi que les carences institutionnelles de son
appareil de décisions. « Chacho » Alvarez qualifiera, en effet, ce score de prématuré4, car il lançait
au premier plan et de manière précipitée un parti qui n’était pas préparé institutionnellement à cela.
L’implantation électorale du parti, essentiellement sur les grandes villes (Buenos Aires, Rosário et
Córdoba) de l’électorat du FREPASO, son organisation pyramidale autour de la figure de Chacho
Alvarez, et son absence de structure organisationnelle, ont empêché la gestion de tensions internes,
lesquelles se résolvaient le plus souvent par la démission de cadres du parti, dont la plus
retentissante est celle d’Octavio Bordón, le candidat du parti à l’élection présidentielle de 1995,
moins d’un an après l’élection.
Les éléments d’identité politique promus par le FREPASO se fondaient sur des bases à la fois
programmatiques et comportementales (fin de la corruption et du « style » Menem) et se heurtaient
à la nécessité d’amplifier sa base électorale dans le but de battre Carlos Menem et/ou son éventuel
successeur5. Le FREPASO fut donc contraint de former des accords électoraux, et l’accord passé
1 Du nom de la résidence présidentielle, situé dans la banlieue “chic” de Buenos Aires. Accords qui prévoyaient
l’introductiond du principe de réélection présidentielle et l’introduction de mesures institutionnelles censées dé-
présidentialiser le système politique, telle la création du poste de « Chef de Cabinet » (sorte de premier ministre), et le
« bonus à la minorité » pour les élections sénatoriales (sur une trinominalisation des circonscriptions : deux sièges pour
le vainqueur, un pour la première minorité). 2 OLLIER, M.M., op. cit., p. 44.
3 La réforme constitutionnelle de 1994, suppose ainsi un “seuil abaissé” d’élection présidentielle où est élu au premier
tour president de la République qui reçoit : a) 45% des voix ; ou b) 40% +10% de plus que le candidat arrivé second.
Voir DALLA VÍA, A. R., “Reforma electoral en argentina”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y
electoral en América latina 1978-2007, IDEA/ UNAM, Mexico, 2008, pp. 213- 263. 4 Le leader du Frepaso avançan ainsi, au soir de l’élection : « son muchos votos » (« c’est beaucoup –trop- de voix »).
Propos rammené par FERNANDEZ MEIJIDE, G., La Ilusión El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial
Sudamericana, Buenos Aires, 2007; confirmés lors de notre entretien du 16 mai 2011. 5 Jusque debut 1999, le président Menem laissait planer la possibilité d’une interprétation de la nouvelle constitution
pour une nouvelle réélection (arguant que la constitution courrait depuis 1994 et non rétrocative, or ayant été élu en
228
avec l’UCR, le concurrent traditionnel du PJ et doté d’une assise provinciale forte, lors des
élections législatives partielles de 1997, s’inscrit dans la perspective finale de battre le PJ, et
constitue donc une sorte de préparation à l’élection de 1999.
Cet accord, est « négatif », de type deux-contre-un, où l’élément « repoussoir » unissait
davantage qu’une convergence programmatique et organisationnelle préalable. La victoire, étriquée
lors de ces élections, laissa néanmoins entrevoir la perspective de battre le camp péroniste1. Ce
facteur, et l’urgence de victoire sur Menem, enterrait donc les prétentions initiales du FREPASO de
constitution d’un bloc propre contre les deux partis traditionnels. Les membres du parti
participèrent ainsi à la rédaction d’un pacte gouvernemental avec l’UCR, la « lettre aux argentins »,
où seules les questions de « forme » furent avancées. La victoire contre le PJ fit de l’alliance UCR-
FREPASO une coalition « fonctionnelle » et structurellement et programmatiquement de courte
durée: l’Alianza. L’absence de vision sur le long terme et la dimension fonctionnelle de l’alliance
était incarnée, notamment, par les positions de la coalition en matière socio-économiques, pourtant
raison d’être du FREPASO, où le thème du maintien de la convertibilité monétaire ne fut pas
abordé ni discuté2.
Le pôle UCR-FREPASO organisa, en 1998, la tenue de primaires internes en vue des élections
de 1999, que l’UCR, mieux organisée et disposant d’un appareil de mobilisation et d’une base
militante beaucoup plus développée, va gagner facilement avec près des deux-tiers des voix (63%)
pour son candidat, Fernando De la Rúa, sur la candidate du FREPASO, Graciela Fernández
Meijide. Dès lors, le FREPASO se retrouvait tributaire de la culture hégémonisante de l’UCR et de
son absence de culture coopérative. La gestion du président radical De la Rúa essentiellement
partisane illustre le manque de structuration de la coalition3. En effet, la formation de l’Alianza dont
le but principal était de vaincre Menem puis Duhalde, se retrouvait donc sans perspective
1989, cette élection-ci ne comptant pas, Menem argumente qu’il se trouvait, constitutionnellement parlant,
« rééligible »). Par la suite il va jetter l’éponge et laisser les rênes du PJ à son successeur désigné, bien que frondeur,
Eduardo Duhalde. 1 Les résultats étant les suivant: PJ 36.3% ; Alianza 36.3%, UCR « autonome » (essentiellement Córdoba) 6.9 ; Frepaso
autonome 2.4. Total par « pôle »: PJ 36.3% ; Alianza + autnomes 45.6%. 2 Depuis 1990, l’Argentine avait adopté une convertibilité à taux fixe de sa monnaie, le peso, avec le dollar américain,
où un peso valait un dollar. L’adoption de ce « currency board » (caisse d’émission monétaire) artificiel a été mise en
place pour juguler une inflation dans un contexte d’hyper-inflation où les taux annuels s’élevaient à près de 3000%. La
mesure fut un succès important puisque l’inflation est rapidement redescendue à des niveaux plus soutenables en moins
d’un an. De plus l’économie argentine connaît alors un essor important, tiré par la consommation interne. Ces deux
éléments, jugulation de l’inflation et croissance économique, sont à la base de la réélection de Menem en 1995. Or, la
convertibilité artificielle du peso coûte cher. L’Argentine devat non seulement s’endetter pour maintenir le taux de
convertibilité fixe, mais voiyait également une baisse de ses exportations, la compétitivité étant grévée par la sur-
évaluation de la monnaie. A la fin de la décennie, l’Argentine est donc dans une situation économique compliquée, du
fait de l’absence de flexibilisation de son taux de conversion monétaire. A titre de comparaison, le Brésil qui avait
adopté un plan de « currency board » similaire (le plan real), a progressivement flexibilisé son taux de change, en 1998,
en réponse à la crise économique importée d’Asie. 3 Voir supra chapitre 5.
229
d’institutionnalisation ni d’évolution une fois atteint cet objectif1, ce que montra la désintégration
accélérée de la coalition seulement dix mois après la victoire du candidat commun aux
présidentielles.
L’implosion de l’Alianza, puis la crise économique argentine de 2001, aboutissent à une
atomisation du système politique et de l’offre politique argentine. Dans ce contexte, le PJ dont
l’absence de structure institutionnelle lui garantit une certaine flexibilité interne, d’un point de vue
organisationnel et idéologique, parvient à se hisser comme l’unique parti stable de gouvernement
dans le pays, et marque le ton de la compétition politique2. Malgré l’irruption de nouveaux partis,
essentiellement provinciaux, et de partis provenant de la « culture radicale », la compétition
partisane est marquée par un maintien de la dichotomie symbolique Mais l’alternance à lieu
essentiellement à l’intérieur du PJ, entre ses différents courants. L’absence de concurrence crédible
fait que le PJ vienne former une sorte de sous-système partisan3 (voir Tableau 3.6). Le facteur
polarisant demeure donc inchangé malgré une absence d’institutionnalisation. Les partis en place
n’ayant pas de structure programmatique continue, ils restent sujets à l’interprétation et la
considération de nouveaux leaders, lesquels proviennent essentiellement du PJ (Menem, Kirchner
et Fernández de Kirchner). En « face », le pôle comprenant les décombres de l’Alianza, et les
éléments sortis de l’UCR, formant ce que Rodolfo Terragno appelle le Pan-Radicalisme, est encore
aujourd’hui en cours de structuration et création d’identité politique. La plupart des tentatives
d’alliances électorales qui se sont formés, sur des bases essentiellement « négatives » d’opposition
aux époux Kirchner, ne résistant pas longtemps même lors de victoires électorales relatives, comme
en 2009.
1 CAMOU, A., “¿Del bipartidismo al bialiancismo? Elecciones y política en la Argentina posmenemista”, in Perfiles
latinoamericanos, No. 16, 2000, pp. 11-30; LEIRAS, M., Todos los caballos del rey. La integración de los partidos
políticos y el gobierno democrático en la Argentina, 1995-2003, Prometeo, Buenos Aires, 2007; NOVARO, M.,
“Presidentes, equilibrios institucionales y coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in LANZARO, J., Tipos
de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp.51-100 2 CHERESKY, I., La política después de los partidos, Buenos Aires, Prometeo, 2006; CALVO, E., ESCOLAR, M. La
nueva política de partidos en la Argentina: Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral, Prometeo/
Pent, Buenos Aires, 2005. Depuis 2001, en effet, au niveau national seuls de présidents péronistes ont été élus. Pis,
seuls des péronistes on été en mesure de gouverner, puisque les principaux rivaux des présidents élus étaient, à leur
tour, des péronstes « dissidents ». 3 MUSTAPIC, A.M., “Argentina: del partido peronista al partido justicialista. Las transformaciones de un partido
carsimático”, in CAVAROZZI, M., ABAL MEDINA, J., El asedio a la política; los partidos latinoamericanos en la
era neoliberal, Homo Sapiens Ediciones, Rosário, 2002, pp. 137-161
230
Tableau 3.6: Evolution des résultats électoraux des “partis traditionnels” argentins
et uruguayens, depuis le retour à la démocratie (élections présidentielles/
parlementaires).
Elections Argentine Uruguay
1983 91, 9% / 82% -
1984 - 76,20% / 76%
1989 79.94% / 72% 69,20% / 69%
1994 - 63,50% / 63%
1995 61.7% / 71.50% -
1997 -/83,4%1; 2 -
1999 86.24%1/ 65%1; 2 54,5%*/ 54%
2001 /60.5% -
2003 63,1%/ 58,9%2 -
2004 - 45,70% / 45%
2007 62.2%/ 75%2 -
2009 -/88.5%2; 3 44.71%*/ 47%
2011 79.06%/ 80.9%2 -
Notes; 1 Lors de ces élections l’UCR a formé une coalition électorale avec le FREPASO sur l’ensemble du territoire national
(excepté dans la province de Córdoba) et ce, jusque l’implosion du FREPASO en 2001; 2 Valeur agrégée en fonction de la représentation parlementaire de la chambre basse 3 Valeur agrégée de toutes les fractions du PJ, notamment autour du Frente Para la Victoria, officialiste, et des fractions du PJ
dissident. Enfin nous considérons le PAN-Radicalisme, où d’anciennes fractions de l’UCR se sont érigées en partis après
l’éclatement de celle-ci, avant de reformer un accord pré-électoral incluant l’UCR, le Parti Socialiste et l’éphémère Coalición Cívica,
autour du tout aussi éphémère Accord Civic et Social (ACyS) ;
*Lors de ces élections, le scrutin s’est réalisé sur deux tours, aussi la valeur constitue une moyenne des scores des deux tours.
Source: élaboration propre, d’après les résultats électoraux disponibles sur les sites www.minrel.gov.ar (Argentine), et Corte Electoral de la República Oriental del Uruguay ; Banque de donnée de l'Institut de Science Politique de l'Université de la République (Uruguay)
3.3 Conclusion
Dans ce chapitre, nous avons mis en évidence les processus d’émergence des lignes de conflits
et leur « montée » en clivage. Nous avons particulièrement insisté sur l’importance de l’acteur
porteur du clivage générateur suivant son origine de réalignement ou ré-ordonnancement du
système de partis, et sur les caractéristiques institutionnelles et structurelles dérivées du régime
présidentiel dans la génération des clivages.
Ainsi, le système présidentiel tend, dans sa structuration, à générer des identités polaires
particulièrement claires. Ces identités ne relèvent pas nécessairement d’aspects idéologiques ou
pragmatiques, à l’inverse des liens plus spécifiques aux systèmes parlementaires. Ceci suppose
donc que les liens de cohésion intra-partisans et, à fortiori à l’intérieur des différents pôles, en
systèmes présidentiels reposent sur quelque chose de plus que sur la seule affinité idéologique.
L’institutionnalisation de la compétition politique et des systèmes de clivages, s’articulent plus
volontiers autour d’une dimension structurante, qui vient « subordonner » les autres lignes de
231
conflits, autour du principe de la dualité des options, tel que décrit par Maurice Duverger. Or, les
institutionnalisations de ces lignes identitaires découlent également d’éléments du contexte. Le cas
argentin est particulièrement éclairant sur ce thème, où la présence de deux acteurs à vocation
hégémonique et l’interruption répétée de la compétition démocratique, par les militaires ont
cristallisé le système de parti autour de lignes de démarcation de type symboliques et
comportementales, plutôt qu’idéologiques. La répétition des coups d’Etat interagit également, de
manière négative sur l’institutionnalisation des deux partis et leur capacité à se renouveler. Mais la
faible structuration des partis argentin se répercute à la fois sur le maintien de lignes de
démarcation relativement floues, bien qu’identifiables (péronisme/ anti péronisme), tout en
contraignant la formation des pôles partisans, et à fortiori les options d’alliances partisanes.
De même, le caractère clivant du régime présidentiel influe sur la stratégie et les objectifs des
partis. Si en régime présidentiel la capacité à faire partie d’un gouvernement dépend de la
« position » sur l’échiquier politique, elle dépend également de la force parlementaire des partis,
exprimée en sièges. Les partis doivent donc combiner leur stratégie de négociation avec une autre
de captation de voix1. En système présidentiel, la dimension bipolaire tend donc à ce que seuls les
partis « présidentiables » entreprennent des stratégies de recherche de voix. Les autres partis
intrapolaires adoptant alors des positions de soutien et d’amplitude programmatique (« policy
seeking »)2, en se concentrant sur l’élection parlementaire.
L’Amérique latine constitue de ce point de vue un terrain particulièrement fertile de
d’apprentissage politique et institutionnel, où à une organisation sociétale postcoloniale sont venus
s’ajouter divers éléments « d’importation » institutionnels et philosophiques, tel que le modèle
constitutionnel présidentiel provenant d’Amérique du Nord, ou les courants de pensée
essentiellement européens (le positivisme comtien, puis le marxisme et l’anarchisme, enfin le
fascisme). Si l’expression de la compétition partisane ne reproduit pas tel quel les canons européens
articulés autour de la dyade Gauche/Droite, les systèmes partisans de la région produisent
néanmoins des éléments de polarisation et d’institutionnalisation sur des bases différentes3, et de
manière indépendante au degré d’institutionnalisation des propres partis. Cette caractéristique
influe, d’ailleurs, comme en Argentine, sur la durabilité des alliances.
1 MÜLLER, W.C., et STRØM, K., Policy, Office or Votes ?: How political parties in western Europe make hard
decisions, Cambridge University Press, 1999. 2 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, op. cit,
p.469 3NOHLEN, D., “Instituciones y Cutura política”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J.J., Reforma política y electoral en
América Latina 1978-2007. México- UNAM-IDEA, 2008, pp. 267- 288; BENDEL, P., “Sistemas de partidos en
América Latina: criterios, tipologías, explicaciones”, op. cit.
232
Les clivages paraissent plus contraignants en système présidentiel qu’en système parlementaire.
Nous avons vu que les coalitions gouvernementales en Uruguay et au Chili contiennent comme
élément commun la modération programmatique des partis de gauche. En ce sens, cette modération
a conduit à la progression de ces partis et l’organisation d’abord « défensive » des partis
traditionnels puis la routinisation de ces pratiques en Uruguay face à un nouvel ordre partisan
bipolarisé. Au Chili, cette modération et l’abandon de la lutte armée comme option de déposition de
la dictature de Pinochet a été la condition sine qua non de rapprochement entre le PSch et la
démocratie chrétienne, afin d’organiser la transition démocratique et proposer une alternative
gouvernementale crédible. Enfin, en Argentine, le contexte économique et social des années 1980,
et l’émergence de la figure de Menem combinant une culture d’action « populiste » avec un choix
de politique publique de type néolibéral, débouche sur l’établissement d’une coalition de partis sur
des bases essentiellement négatives. De même, l’absence d’institutionnalisation du Frepaso va
conduire à ce que la coalition une fois au pouvoir soit « hégémonisée » par les radicaux.
Finalement, rappelons le caractère dynamique des processus politiques et des relations sociales.
Le mouvement constant des systèmes partisans et des « systèmes polaires » conduisent à des
processus de rétro-alimentation des lignes de clivage et/ou d’assimilation de l’apparition de
nouvelles lignes de conflits. Plus un clivage est intense, plus les options en lice sont prévisibles et
identifiables. Inversement, l’irruption d’acteurs porteurs de revendications nouvelles et générateurs
de nouveaux conflits sociopolitiques, créé le trouble autour des perspectives d’alliance. Dans le cas
uruguayen on observe que cela a conduit à un ré-ordonnancement politique confinant les deux
acteurs traditionnels au sein du même pôle ; alors qu’en Argentine ce processus est venu opérer un
réalignement des forces où l’UCR a semblé tirer l’avantage de l’émergence du Frepaso, en noyant
ses revendications socio-économiques à l’intérieur du clivage péronisme/anti-péronisme.
Dans le prochain chapitre, nous analyserons ainsi les phénomènes d’identification des options de
coalition et leur matérialisation temporelle, en fonction des lignes de clivages que nous venons de
voir, ainsi que de variables indépendantes telles que la « familiarité » et «l’inertie »1.
1 FRANKLIN, M., et MACKIE, T., “Familiarity and Inertia in the Formation of Governing Coalitions in Parliamentary
Democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298
233
Chapitre 4 : Coalitions gouvernementales
et « cycle présidentiel ».
Quem vai pagar o enterro e as flores
Se eu me morrer de amores?
Vinicius de Moraes, “A hora íntima”.
Nous avons vu dans le chapitre premier que la majeure partie de la littérature en science
politique qui traite du phénomène des coalitions provient d’études portant sur leur processus de
formation dans les démocraties parlementaires d’Europe Occidentale. Ainsi, depuis les travaux
fondateurs de William Riker et William Gamson jusqu’à ceux plus récents de Strøm, Müller et
Bergman, la plupart des chercheurs étudient le phénomène dans des configurations propres à la
logique parlementaire. S’il en est qui ont abordé le sujet dans d’autres configurations, dont les
démocraties présidentielles, la plupart de ces études sont encore limitées et s’appliquent
essentiellement à mentionner l’existence du phénomène1, et/ou à en déterminer l’impact et la
relation sur la formation de politiques publiques ou sur la stabilité gouvernementale2.
L’approche la plus répandue quant à l’étude du phénomène coalitionnaire dans différentes
configurations institutionnelles demeure rigoureusement la même, et elle est basée sur le prisme de
la théorie des jeux, à l’exception notoire des travaux de Jorge Lanzaro. De surcroît, la plupart des
modèles prédictifs concernant la formation de gouvernements de coalition -peu importe le type de
régime étudié- reposent sur l’axiome économiciste du « choix rationnel », mis en avant par William
Riker, supposant des joueurs parfaitement informés3. Dit autrement, ces études prévoient l’analyse
de la formation gouvernementale une fois connus les rapports de force parlementaire. L’approche la
plus « classique » est l’approche « gamsonienne », qui consiste à établir une corrélation entre la
1 Voir entre autres LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos
Aires, 2001; CHASQUETTI, D., Democracia presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la
“difícil combinación”, Cauce, Montevideo, 2008; CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy,
Cambridge University Press, 2006. 2 ABRANCHES, S., “Presidencialismo de coalizão: o dilema institucional brasileiro”, in Dados, Vol. 31, No. 1, 1988,
pp. 5-34; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under
presidentialism and parliamentarism”, in British Journal of Political Science, Vol. 34, No. 4, 2004, pp. 565–587;
LIMONGI, F., “A democracia no Brasil; presidencialismo, coalizão partidária e processo decisório”, in Novos Estudos,
No.76, 2006; ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies:
the case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283; CHASQUETTI, D., “La
supervivencia de las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, in Postdata, No. 11, 2006, pp. 163-
192. 3 RIKER, W., The theory of political calitions, Yale University Press, New Haven, 1962, p.36.
234
formation des coalitions et la répartition des maroquins ministériels, de manière proportionnelle au
nombre de sièges au parlement. Elle est également reprise pour l’étude des systèmes présidentiels1,
alors même que les élections législatives ne décident pas, à proprement parler, de la formation du
gouvernement dans ce type de régimes.
Nous avons vu dans le chapitre précédent que les propriétés constitutionnelles propres aux
régimes présidentiels tendaient à exacerber les oppositions structurelles, qu’elles soient
fonctionnelles ou territoriales. L’élection présidentielle contient des dimensions institutionnelles,
organisationnelles et symboliques à forte tendance clivante, telles que l’effet « pro/anti-sortant ».
Nous avons établi comme présupposés le fait que : i) les systèmes de clivages en régime
présidentiel, cumulés au caractère « majoritaire » de l’élection présidentielle, rendent les
options gouvernementales plus visibles et « identifiables » dans ce type de configuration
constitutionnelle ; ii) ceci se produit de manière exponentielle en fonction du degré
d’institutionnalisation des systèmes de partis.
Si la configuration constitutionnelle propre aux systèmes présidentiels paraît offrir à la fois une
meilleur visibilité sur les options de gouvernement et une élection instantanée –après un ou deux
tours, suivant les cas- du chef de l’Etat (qui est en même temps chef du gouvernement), quelles
conséquences cela peut-il avoir sur la constitution d’alliances, et surtout sur la précocité de ces
alliances ? Quels en sont les effets sur la visibilité et la prédictibilité de telles alliances ? Enfin,
existe-t-il un « cycle coalitionnaire » et une temporalité politique différente en système
présidentiel ?
Ces questions supposent la prise en considération de trois éléments d’analyse qui sont: a)
l’existence, la détermination et la délimitation d’un « cycle temporel» présidentiel, par opposition à
un cycle « parlementaire » ; b) l’existence préalable d’accords coalitionnaires, plus ou moins
formels, ou la formulation de « feuille de route » ad hoc ; enfin, c) le principe de sélection ex ante
de candidats communs, et leur mode de désignation. En fonction de ces trois éléments, nous
pouvons formuler trois hypothèses :
Hypothèse 1: Les coalitions gouvernementales en système présidentiel en raison du
caractère plus prévisible de la configuration constitutionnelle, tendent à être plus
précoces et, par conséquent, pré-électorales.
1 AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presiential regimes: an analysis of 10 Latin American countries”,
Document présenté lors du meeting LASA de Chicago, 1998; ZELAZNIK, J., “The building of coalitions in the
presidential systems of Latin America: an inquiry into the political conditions of governability”, thèse de doctorat non
publiée, Université d’Essex, 2001; ALTMAN, D., op. cit.
235
Hypothèse 2 : Certains éléments institutionnels peuvent venir influencer le caractère
temporel des formations d’alliances, notamment la « sélection de candidats », le
caractère obligatoire de la tenue de primaires, l’existence du balottage, et/ou le
système électoral pour les élections parlementaires.
Hypothèse 3: Plus les alliances sont précoces, plus les coalitions gouvernementales
sont durables et solides.
Ce chapitre se concentre sur l’étude des processus de formation et conclusion de cycles
coalitionnaires en régime présidentiel. Nous procéderons tout d’abord à une révision de la
littérature en système parlementaire portant sur la temporalité gouvernementale et coalitionnaire ;
avant de la comparer avec celle concernant les régimes présidentiels, afin de tirer quelques
éléments à la fois de caractérisation « présidentialiste » et de similarité inter-systémique.
4.1 Temporalité gouvernementale et « cycle de vie coalitionnaire ».
Nous avons vu précédemment (au chapitre 1.1.3) que toute une « génération » d’études du
phénomène coalitionnaire en régime parlementaire a consisté à établir des modèles prédictifs de
formation coalitionnaire, qui incorporent ainsi diverses approches temporelles. Or, presque aucune
étude qui traite des coalitions politiques en système présidentiel n’incorporait la question de la
temporalité politique et, par ricochet, de la temporalité et du cycle des coalitions. Ainsi, les
processus politiques sont par nature dynamiques et soumis à différentes « phases », ce qui rend la
dimension temporelle particulièrement pertinente. Enfin, la variable, et son incorporation,
« temporalité de la coalition » ne devrait pas être traitée de manière indépendante et auto-
productive, et séparée de son environnement culturel, institutionnel et structurel. L’approche
implique donc l’élaboration d’un cadre macro-analytique et multivarié, en commençant par
l’opérationnalisation d’un « cadre conceptuel » de temporalité politique.
Par « cycle de vie coalitionnaire », nous entendons alors la durée de vie d’une coalition donnée,
depuis la formalisation de l’alliance jusqu’à sa désintégration, son rapetissement et/ou
élargissement. Toute entrée d’un nouveau partenaire suppose, par exemple, un bouleversement
cyclique entraînant le début d’un nouveau cycle coalitionnaire. Inversement, si la sortie d’un
partenaire institutionnel ne suppose pas pour autant la désintégration de la coalition, elle fait
toutefois entrer celle-ci dans un nouveau cycle. L’intérêt scientifique consiste à étudier ces cycles
non seulement du point de vue de leur formation puis conclusion, mais en prenant également pour
objet la période de « vie cyclique », sans oublier les éléments précédant leur constitution ainsi que
les conséquences de la conclusion des cycles. Précisons que par « partenaire coalitionnaire », nous
236
nous en tenons pour l’heure, et suivant notre définition de coalition gouvernementale donnée en
introduction, à un parti structuré en « acteur unitaire »1.
La formation de coalitions gouvernementales et le démarrage de leur « cycle coalitionnaire »
s’articulent donc a priori de deux manières autour de « l’événement critique » qu’est la réalisation
récente et/ou la tenue prochaine d’élections, dont le résultat est noté t0. Les différents cas de figures
représentés par la figure 4.2 supposent autant de degrés d’organisation, d’institutionnalisation et de
(pré)visibilité coalitionnaire.
Figure 4.1 : visibilisation temporelle de la formation de cycles coalitionnaires
En nous basant sur la figure 4.1, une coalition gouvernementale est considérée comme post-
électorale, quand sa formation et sa formalisation découlent de négociations interpartisanes se
tenant à un temps t1, des suites de la tenue d’élections récentes. Cette conceptualisation temporelle
synchronique, quelque peu évidente, ne doit pas pour autant occulter l’analyse de rapprochements
informels ni de liens de récurrence ou de « familiarité »2. Dans ce cas, des coalitions ex post
peuvent être amenées à être considérées comme prévisibles, « naturelles », ou inertielles.
De même, la formation de coalitions gouvernementales ad hoc se réalise sous l’effet
d’événements critiques tels que la sortie d’un ou plusieurs membres d’une précédente coalition,
et/ou l’amplification volontaire et après coup d’une coalition déjà existante, sans réelle relation
directe avec la tenue d’élections récentes ou prochaines. Cette conceptualisation, notée t2, t3, t4…,
implique donc une part d’inattendu et d’imprévu.
Par opposition, sont considérées comme ex ante les coalitions gouvernementales dont la
formation et la formalisation proviennent d’accords qui se sont produits avant l’élection, et sont
donc marquées à une position comme t-1. Ce type de configuration découle donc d’alliances
électorales aux dénominations variées et plus ou moins compromettantes (front électoral uni,
1 Nous reconsidérons ce postulat dans le chapitre 5.
2 GIBSON, J., “Political timing a theory of politicians’ timing of events”, in Journal of Theoretical Politics, Vol. 11,
No. 4, 1999, pp. 471–496; FRANKLIN, M., et MACKIE, T., “Familiarity and inertia in the formation of governing
coalitions in parliamentary democracies”, in British Journal of Political Science, Vol. 13, No. 3, 1983, pp. 275-298.
t-3 t-1 t0 t-2 t-0,5 t1 t2
Prochaines élections Précédentes
élections
Ad hoc Post- électorales
Pré- électorales
Entre-deux- tours
237
candidat unique, désistement de circonscriptions, etc.), où différents partis s’accordent à mettre en
commun leur ressources économiques, organisationnelles et logistiques, en vue d’élections
prochaines. Les trois critères pour parler de coalition électorale sont: i) la publicisation de l’accord
coalitionnaire, ii) le fait que les partis concernés s’engagent à participer ensemble aux élections et
non en tant qu’acteurs indépendants, enfin iii) l’accord conclu doit avoir une portée nationale1.
L’approche dynamique de ce type d’alliances doit adopter une perspective temporelle plus grande
ne démarrant non pas à la veille de l’élection, mais au minimum, à la veille du début de la
campagne électorale2, c’est-à-dire au moment t-2. Relevons également les cas de figure marqués
comme t-3, qui correspondent à la reconduction électorale de coalitions gouvernementales
« sortantes ».
Enfin, suivant les constitutions et les lois électorales qui le permettent, nous mentionnons
également la formation d’alliances dites « d’entre-deux-tours », considérées comme des ralliements
électoraux officiels, stratégiques et contraignant un ou plusieurs partenaire(s) lors d’une situation de
balottage. Ceci implique donc le transfert du soutien des équipes et des moyens du candidat éliminé
au candidat rallié qualifié pour le second tour, et ce au-delà de la simple « consigne de vote ». Nous
avons donc marqué ce cas de figure comme t-0.5.
4.1.1 L’analyse classique de la temporalité de s coalitions gouvernementales : la
logique parlementaire
Les travaux qui s’inscrivent dans la seconde génération d’études coalitionnaires3 se sont efforcés
de développer, depuis le paradigme du « choix rationnel », des modèles prédictifs portant sur la
composition de coalitions gouvernementales qui se forment. Le présupposé central, autour duquel
tournerait l’axiome établit par William Riker « d’information parfaite des joueurs », consiste en ce
que chaque joueur potentiel est à la recherche d’une minimisation des risques et des coûts de
marchandage politique. Ceci, d’autant plus que la situation institutionnelle liée au statut politique
du premier ministre est analysée, généralement, depuis la « structure d’autorité nucléaire »
constitutionnelle, comme de type primus inter pares dans une configuration multipartisane, ce qui
confère au chef du gouvernement de ce type de système une position particulièrement instable et
1 GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, Ohio State University Press, Colombus, 2006.
2 CARROLL, R., COX, G., “The logic of Gamson’s law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, in
American Journal of Political Science, Vol. 51, No. 2, 2007, p. 301. 3 BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New directions in coalition research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No.
4, 1986, pp. 469-483.
238
imprévisible1. Cela est notamment dû à l’adjonction de ministres qui proviennent de secteurs
partisans différents, « imposés » par le processus (ou « jeu ») de la négociation interpartisane. De
leur loyauté future dépend la survie du gouvernement:
« Ce sont les interactions entre les pouvoirs législatif et exécutif lorsqu’aucun parti ne dispose d’une
majorité de siège qui définissent […] l’essence des politiques de coalition en Europe. »2
La formation des coalitions gouvernementales est largement analysée et modélisée au travers
d’une perspective d’aversion au risque et de recherche d’une garantie de stabilité contre les
imprévus. De cet « inconnu de l’avenir »3, ou plutôt d’une optique de minimisation des risques liés
à cet imprévu, découle le principe de « Coalition Minimale Victorieuse »4. Ce point de départ
conduit à l’élaboration d’approches formelles qui réduisent la formation de
coalitions gouvernementales à autant de cas particuliers d'interaction sociale, formulant ainsi
des propositions théoriques déductives basées sur un ensemble fini d'hypothèses fondamentales5.
La modélisation de l’allocation de portefeuilles ministériels est ainsi rapportée à une dimension
d’ingénierie institutionnelle basée sur le principe « classique » de l’élection parlementaire à un seul
tour, qui présente la constatation suivante :
« Dans la plupart des démocraties d’Europe Occidentale, les élections ne décident pas de qui va
gouverner. La composition du gouvernement est en fait le fruit de négociations coalitionnaires entre les
partis »6
Suivant cela, l’élément principal de diminution du risque repose sur la connaissance du poids
des acteurs et des « tendances » exprimées. Ainsi :
« C’est conséquemment à des élections que les partis politiques reçoivent leur dotation en sièges
parlementaires, et tirent leur pouvoir de négociation. […] Alors que l’histoire relate un très grand
nombre de cas d’alliances gouvernementales de toutes sortes, toutes étant passées par l’étape de
formation, gouvernance, et conclusion, les coalitions politiques dans les démocraties parlementaires
[…] sont le résultat d’élections démocratiques. »7
1 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995, p.119.
2 LAVER, M., et SCHOFIELD, N., Multiparty government: the politics of coalition in Europe, Oxford University
Press, 1990, p.2. Traduction propre. 3 LUPIA, A., et STRØM, K. “Coalition governance theory: bargaining, electoral connections and the shadow of the
future”, in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University
Press, 2008, pp. 51-83. 4 RIKER, W., The theory of political coalitions, op. cit.
5 RENIU, J.M., « Las teorías de las coaliciones políticas revisadas: la formación de gobiernos minoritarios en España,
1977-1996 », Thèse de doctorat non publiée, Université de Barcelone, 2001, p.14. 6 LUEBBERT, G., Comparative democracy: policy making and governing coalitions in Europe and Israel, Columbia
University Press, New York, 1986, p.1. Traduction propre. 7 STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., « Coalition theory and cabinet governance: an introduction », in
STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, p.9. Traduction propre.
239
La grande majorité de ces études reposent donc sur le tryptique élection/tours de formation
gouvernementale/accord coalitionnaire (formel/informel). L’élection constitue ainsi l’élément
d’« information » de la position, du poids et du « potentiel de coalition » des différents acteurs
politiques. L’approche est donc post-électorale, et elle semble avoir comme principal argument ou
atout de négociation et de « marchandage » des partis en vue de l’obtention de maroquins
ministériels, l’importance de leur délégation parlementaire1. Ainsi, les tours de formations
gouvernementales consistent en la négociation d’accords qui portent à la fois sur le qui (le nombre
et l’identité des différents « associés »), le où (les postes qui sont « distribués »), et le quoi (ce qui
constituera l’agenda gouvernemental et les premiers contours des politiques publiques envisagées)
des gouvernements de coalition en gestation. L’issue et la durée de ces tours de formation et la
longueur des pourparlers reposent finalement, nous l’avons vu dans les précédents chapitres, sur les
contraintes institutionnelles, l’historique des relations entre les joueurs, l’hétérogénéité de leurs
« préférences »2 et la nécessité de constituer une combinaison recueillant, au moins, une majorité de
« tolérance », face à une motion de censure
Inversement, les processus de conclusion du cycle de coalition découleraient, d’après la théorie,
de facteurs fortement dépendants de la configuration constitutionnelle, du comportement des
joueurs associés et de l’occurrence d’ « événements critiques ». Rappelons que par conclusion
cyclique nous n’entendons pas uniquement la désagrégation de la coalition gouvernementale –bien
qu’il s’agisse du cas le plus répandu–, mais La transformation de la coalition relativement à sa
forme initiale . On peut également rappeler le caractère étonnamment et paradoxalement incomplet
de l’état des travaux qui portent sur la conclusion cyclique et les facteurs de désarticulation des
coalitions en système parlementaire, alors que ces thématiques ont été largement traitées pour les
systèmes présidentiels3. Aussi, via la combinaison entre une approche inspirée des théories des jeux
et du choix rationnel, et l’analyse quantitative basée sur les formes de conclusion des coalition dans
la plupart des démocraties d’Europe, de récentes études ont établi différents modèles de fin de cycle
1 Voir entre autres GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961,
pp. 373-382; AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives outcomes” in American
Political Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., et FREJOHN, J., “Bargaining in
Legislatures”, in American Political Science Review, Vol. 83, No. 4., 1989, pp. 1181-1206; LAVER, M., et SHEPSLE,
K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press, 1994; LAVER, M., et SHEPSLE,
K., Making and breaking governments, Cambridge University Press, 1996; WARWICK, P., “Coalition Government
Membership in West European Parliamentary Democracies”, in British Journal of Political Science, vol. 26, 1998, pp.
471-499; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of payoffs in coalition
governments”, in British Journal of Political Science, Vol. 31, 2001, p. 627- 649; LUPIA, A., et STRØM, K., op. cit.,
plus précisément entre les pages 55-59. 2 CARMIGIANI, F., “Cabinet formation in coalition systems”, in Scottish Journal of Political Economy, Vol. 48, No.
3, 2001, pp. 313-329. 3 Voir supra chapitre 2.
240
coalitionnaire, et ont identifié trois principaux cas de figure de terminaison cyclique : i) une fin de
cycle non suivie d’élection, soit au travers de « remaniements » ministériels, soit de changements
dans la composition des membres de la coalition ; ii) une fin de cycle accompagnée d’une
dissolution parlementaire (précoce ou non) et suivie d’élections ; enfin iii), la conclusion du cycle
coalitionnaire qui n’entraine pas pour autant la fin de la coalition au pouvoir, et pourrait conduire à
la « renaissance » du pacte coalitionnaire. Dans de nombreux cas au sein des systèmes
parlementaires d’Europe Occidentale, la composition des acteurs (partis) ou encore la répartition
des postes (surtout celui de premier ministre) dans le cadre de « nouveaux gouvernements », se sont
révélées identiques, à celles du gouvernement sortant1.
Dès lors, ces cas de figures peuvent se décliner en deux types idéaux de terminaisons en fonction
du degré de prévisibilité institutionnelle et du comportement des différents membres de la
coalition2. Par conclusion de type technique, la littérature entend l’ensemble des processus liés à un
contrôle effectif et constitutionnel de la terminaison coalitionnaire. Entrent dans cette catégorie les
conclusions de gouvernements de coalition des suites de la tenue d’élections « régulières », en
suivant les dispositions et les limites maximales prévues par la Constitution ; de même que
l’occurrence d’événements inattendus bien que constitutionnellement prévus, tels que le décès du
chef du gouvernement, ou encore sa démission pour des raisons non politiques (âge, maladie, etc.).
La notion de conclusion discrétionnaire comprend toutes les terminaisons qui découlent du seul
comportement – par nature imprévisible - des acteurs associés. Ce type de conclusion, plus répandu
et à la fois varié, inclut ainsi les cas de tenue d’élections précoces ; d’élargissement volontaire de la
coalition ; de mise en minorité du gouvernement via une motion de censure ou un vote de confiance
négatif ; ainsi que d’autres cas de conflits inter et intra partisans. L’approche par la théorie du choix
rationnel a notamment élaboré des modèles3, aussi attractifs qu’analytiquement limités, où le degré
de « proximité idéologique » serait d’une importance centrale à l’heure d’identifier le « taux
d’escompte », exprimé en termes d’une relation d’utilité coûts/bénéfices, et relatif à la tentation et à
l’opportunité pour un parti membre de la coalition de quitter celle-ci à un moment « t »4.
1 LUPIA, A., et STRØM, K., “Coalition termination and the strategic timing of parliamentary elections”, in American
Political Science Review, Vol. 89, No. 3, 1995, pp. 648-665; DAMGAARD, E., “Cabinet Termination”, in STRØM,
K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, pp. 301-326. 2 DAMGAARD, E., ibid; SAALFELD, T., “Institutions, chance and choices: the dynamics of cabinet survival”, in
STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., op. cit, pp.327-368. 3 Voir entre autres KING, G., ALT, J., LAVER, M., et BURNS, N., "A unified model of cabinet dissolution in
parliamentary democracies", in American Journal of Political Science, Vol 34, No.3, 1990, pp. 846-71; WARWICK,
P., Government survival in parliamentary democracies, Cambridge University Press, 1994 ; JÄCKLE,
S., “Government termination in parliamentary democracies – an event history approach with special attention to party
ideology”, paper présenté lors du congrès ECPR, Lisbonne, 14-19 Avril 2009. 4 Arthur Lupia et Kaare Strøm présentent le « taux d’escompte » (discount rate) de la manière suivante : « en plus de
manquer d’informations sur les désirs actuels des autres partenaires, les partis peuvent aussi manquer d’information
241
Toutefois, quel que soit le « type » de terminaison du cycle coalitionnaire, comme nous l’avons
montré précédemment, la littérature établit que les élections –récentes ou à venir- constituent
l’élément central ou « critique » autour duquel tourne tout cycle coalitionnaire. Ainsi, la figure 4.3,
reprend la considération « classique » et fluide du cycle de vie coalitionnaire, tel qu’il est le plus
largement compris et présenté par les théoriciens des coalitions de même que par les tenants du
parlementarisme, en général. Elle met aussi en évidence le facteur a priori déterminant des
élections sur la formation et la conclusion de cycles coalitionnaires.
Figure 4. 2: Le "cycle de vie coalitionnaire" en régime parlementaire
Source : Strøm et alii, 2008, p.10
quant à l’avenir. Cette incertitude fait du taux d’escompte un aspect essentiel de la négociation coalitionnaire. Le taux
d’escompte mesure l’évaluation d’un acteur en fonction du temps –et combien la jouissance d’un avantage certain,
actuel, est relative à la jouissance d’avantages futurs. Tout le reste demeurant constant, plus grande est l’incertitude
vis-à-vis de l’avenir, plus élevé est son taux d’escompte ». Voir LUPIA, A., et STRØM, K., “Coalition termination and
the strategic timing of parliamentary elections”, op. cit., p.63.
Formation du gouvernement
de coalition
"gouvernance coalitionnaire"
fin du mandat gouvernemental
Elections
242
4.1.2 Une nouvelle approche temporelle « ex ante »
Les élections constituent, comme nous venons de le voir, l’élément de cristallisation des
positions et des rapports de forces interpartisans dans le processus coalitionnaire et le cycle de vie
propres aux coalitions gouvernementales. Ainsi, l’approche ex post répond à la fois à des questions
de minimisation des coûts de marchandage, au travers d’une maîtrise de l’information complète sur
le poids de chacun des joueurs en présence, et à une considération rationnelle du comportement
électoral. Les électeurs sont sensés voter sincèrement pour leur parti « préféré » en fonction des
possibilités de celui-ci de gagner les élections et/ou de rejoindre une coalition minimale victorieuse.
Or, d’après la littérature, si jamais la perception des électeurs quant à leur premier choix est que
celui-ci n’est en mesure de ne réaliser aucun de ces deux objectifs, ils s’inclineront alors pour le
parti le plus proche idéologiquement, afin de ne pas « perdre » leur vote1. Le vote des électeurs
rationnels, dans les systèmes parlementaires qui présentent une configuration multipartisane
combiné à une représentation proportionnelle, serait donc un vote « coalitionnaire »2, où les
diverses combinaisons d’alliances plausibles seraient évaluées préalablement par les électeurs.
Toutefois, si de manière générale la constitution d’alliances pré-électorales paraît a priori aussi
inutile - à cause de ce supposé « vote coalitionnaire » - que couteuse et imprévisible, force est de
constater que l’absence de pacte préalable a conduit, dans de nombreux cas, à un très faible degré
d’identification préalable des coalitions qui se sont finalement formées de la part des mêmes
électeurs. Les électeurs ne savaient pas avec qui s’allieraient les députés pour lesquels ils avaient
voté, ni quel gouvernement quel gouvernement serait susceptible de se former. Les cas répétés,
voire récurrents, de la Belgique et des Pays Bas, puis plus récemment de la Grèce, en sont des
exemples parlants. De plus, la mise en évidence empirique qui montre que le recours à des
rassemblements partisans en vue d’élections « ne constitue pas un événement si exceptionnel », a
conduit à reconsidérer le postulat d’inutilité de ces mêmes alliances électorales. Comme le
remarquait il y a peu G. Bingham Powell :
1 DOWNS, A., An economic theory of democracy, Harper and Row, New York, 1957; RIKER, W., The theory of
political coalitions, op. cit. 2 BLAIS, A., ALDRICH, J., INDRIDASON, I., et LEVINE, R., “Do voters vote for government coalitions? Testing
Downs’ pessimistic conclusion”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705; HERRMANN, M.,
“Expectations about coalitions and strategic voting under proportional representation”, Working Paper No. 08-28,
Sonderforschungsbereich 504, Université de Mannheim, Décembre 2008; BARGSTED, M., et KEDAR, O.,
“Coalition-targeted duvergerian voting: how expectations affect voter choice under proportional representation”, in
American Journal of Political Science, Vol. 53, No. 2, 2009, pp. 307–323; DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D.,
« Coalition-directed voting in multiparty democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010,
pp. 698-719.
243
« Les phénomènes d’apparition et de publicisation de coalitions électorales interpartisanes constituent
un champ d’étude qui réclame davantage de travaux sérieux, aussi bien théoriques qu’empiriques. En
effet, nous ne savons pas grand chose sur les origines de ces coalitions… »1
Cependant, très récemment, certaines études se sont intéressées aux expérimentations de
coalitions pré-électorales, et à l’impact de celles-ci sur la formation gouvernementale, en
comparaison avec les coalitions gouvernementales à formation post-électorale. Quelles sont donc
les différences en termes de ressources, de cohérence idéologique et organisationnelle, et
d’éventuelle longévité, des deux cas de figures ? De ce questionnement découle, lorsque l’on
assume que les « options » de conclusion de cycle demeurent identiques indépendamment de la
précocité de l’accord, certaines questions à caractères positiviste et utilitaire surgissent, portant sur
le « quand » se coaliser, sur quelles bases et pour quels résultats ?2 Ces questions et leurs
implications supposent alors, s’agissant d’y répondre, l’élaboration d’éléments palpables de
comparaison.
Si nous convenons à notre tour qu’il est nécessaire d’étudier davantage le phénomène, et si un
nombre croissant de travaux s’est récemment appliqué à montrer le caractère « utile » et fréquent
du phénomène, il nous semble nécessaire de considérer deux étapes d’analyse : tout d’abord, une
approche ontologique, dans le but d’éviter les raccourcis analytiques et autres erreurs conceptuelles.
Comme le montre la figure 4.3, les coalitions électorales ne sont qu’une des diverses expressions
du phénomène métonymique de « coalition politique », dont les trois principales matérialisations
sont autonomes entre elles. Ainsi, les coalitions gouvernementales ne sont ni l’unique expression de
coalition politique, ni forcément les plus répandues ou les plus « courantes ». En effet, un
gouvernement monocolore ou une coalition minoritaire peuvent très bien, à certains moments,
former des coalitions législatives (ou « parlementaires ») dans le but de se maintenir en place, face
à un vote de confiance ou une motion de censure, et faire adopter un projet de loi3.
1 POWELL, G., B., Elections as instruments of democracy: majoritarian and proportional visions, Yale University
Press, New Haven, 2000, p.247. Traduction propre. 2 GOODIN, R., GÜTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to coalesce: early versus late coalition announcement in an
experimental democracy”, in British Journal of Political Science, Vol. 38, 2007, pp.181–191. 3 Le phénomène inverse, où un parti soutient ponctuellement un gouvernement sur des questions de politiques
publiques (« policy seeking »), tend à se produire avec une certaine fréquence. Voir par exemple BALE, T. et
BERGMAN, T., “A taste of honey is worse than none at all?: coping with the generic challenges of support party status
in Sweden and New Zealand”, in Party Politics, Vol. 12, No. 2, 2006, pp. 189–209.
244
Figure 4.3 : Matérialisation des différents « types » de coalitions politiques
Source: Adaptation de Reniu (2001)
De même, il se peut qu’après avoir concouru ensemble à une élection, et l’avoir gagné, certains
partis ne désirent pas transformer l’essai par la formation d’une coalition gouvernementale.
L’argument de « transformation » des coalitions électorales en coalitions gouvernementales se
fonde, notamment, sur l’axiome erroné que tous les partis en lice seraient désireux d’entrer au
gouvernement et seraient demandeurs de postes ministériels1. Christian Bidégaray met d’ailleurs en
garde contre tout écueil tentant qui consisterait à considérer comme automatiques les transferts de
coalitions électorales et gouvernementales :
« Ainsi, au fondement de la démocratie majoritaire, les coalitions électorales victorieuses se
transforment en majorités parlementaires. Mais celles-ci ne se confondent pas nécessairement
avec les majorités gouvernementales entendues comme l’ensemble des partis qui participent à la
formation du gouvernement. »2
1 LUEBBERT, G., “Coalition theory and government formation in multiparty democracies”, in Comparative Politics,
Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 2 BIDEGARAY, C. “Coalition électorale”, in PERINEAU, P., et REYNIÉ, D., Dictionnaire du vote, PUF, Paris, 2001,
p. 206.
Coalitions politiques
Coalitionsgouvernementales
Coalitionsparlementaires
Coalitions électorales
Coalitions “ponctuelles”
coalition“ de soutien”
Minoritaires
Surdimensionnées
Minimales Victorieuses
245
La seconde étape consiste en une analyse causale et séquentielle à proprement parler. Celle-ci se
divise en deux types : a) l’analyse des éléments générateurs et facilitateurs, et b) leurs conséquences
et implications sur le type de formation gouvernementale. Toutefois, la disparité des données
empiriques et la diversité des cas de figure ont contraint à ce que la plupart des travaux à vocation
modélisatrice -et mus de manière hégémonique par une approche quantitative utilitariste et
d’inspiration économiciste-, se focalisent sur l’analyse comparée d’un nombre souvent limité de
cas1. En effet, ces travaux s’inscrivent dans la continuité dominante de la plupart des études portant
sur les coalition theories qui reprennent la conception économiciste du caractère rationnel et
stratégique des joueurs impliqués. Les partis se coaliseraient donc tant de manière ex post qu’ex
ante, en fonction de calculs politiques, exprimés en ratio couts/bénéfices (« utilité »), en vue de
l’obtention espérée (outcome) de maroquins ministériels, et/ou de la négociation de politiques
publiques et de l’agenda gouvernemental2. Selon Sona Golder :
« … les leaders partisans formeront des coalitions pré-électorales s’ils pensent que de la sorte, ils
augmenteront leur probabilité d’entrer au gouvernement en fonction du raisonnement consistant à
ce que l’évaluation de l’utilité alors attendue sera plus positive que le calcul consistant à
concourir de manière indépendante »3
Aussi, comme éléments « facilitateurs », conduisant à la formation de coalitions pré-électorales,
le principal facteur de réalisation identifié, dans la lignée du paradigme néo-institutionnaliste,
correspond à l’impact du système électoral. Dans la lignée des travaux de Maurice Duverger4, les
systèmes électoraux de type majoritaire et vecteurs d’une « disproportionnalité » représentative
élevée, seraient ceux qui présentent le plus d’incertitude et de risque à ce que des partis ne
concourent seuls, surtout lorsque le nombre de partis serait substantiel. Ceux-ci peuvent
potentiellement tout gagner comme tout perdre. Autrement dit, plus le système électoral est
disproportionnel, plus la probabilité de voir se former des coalitions pré-électorales serait élevée5.
Les systèmes majoritaires uninominaux (de type « first past the post ») ou majoritaires à tendance
1 Dans les faits, ils sont souvent deux. Il est toutefois intéressant de noter la récurrence du cas français, en particulier
lors des élections de 2002 qui constituent un cas de figure « symptomatique » et paradigmatique du phénomène. Or, la
nature institutionnelle particulière de ce cas, à configuration semi-présidentielle, où le chef de l’exécutif (le président)
est élu directement et n’est pas responsable face au parlement, ne semble pas avoir ému outre mesure les chercheurs
lors de la comparaison avec des démocraties parlementaires. Voir, entre autres, GOLDER, S., “Pre-electoral coalition
formation in parliamentary democracies”, in Bristish Journal of Political Science, Vol. 36, No.2, 2006, pp. 193-212;
GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, Ohio State University Press, Colombus, 2006;
CARROLL, R., et COX, G., “The logic of Gamson's Law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, op. cit;
DEBUS, M., “Pre-electoral commitments and government formation”, in Public Choice, Vol. 138, 2009, pp.45-64. 2 MÜLLER, W., et STRØM, K., Coalition Government in Western Europe, Oxford University Press, 2000.
3 GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit., p.7. Traduction propre.
4 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981.
5 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., “Constraints on cabinet formation in parliamentary democracies”, in
American Journal of Political Science, Vol. 38, No. 2, 1994, p. 316.
246
« mixte » seraient donc théoriquement les principaux faiseurs d’alliances électorales1. Or, les
données empiriques ont montré que de nombreuses coalitions électorales ont lieu dans des
démocraties parlementaires avec une représentation proportionnelle. De même, et par extension,
s’il est un système considéré comme unanimement « générateur » de coalitions ex ante ou
d’« entre-deux-tours » (de t-1 à t-0.5), c’est le système uninominal à deux tours, incluant le principe
du « balottage ». D’où la quasi omniprésence du cas français (sous la Ve République) dans la
plupart des études portant sur le phénomène2.
Le second élément facilitateur ou « générateur » de coalitions pré-électorales, serait le facteur
idéologique. Des partis qui possèdent une affinité idéologique plus ou moins traditionnelle ou
ponctuelle se mettent d’accord pour mettre en commun leurs ressources pour l’élaboration d’un
« programme commun » de gouvernement, ou plus prosaïquement sur l’éviction d’un candidat ou
parti gênant. Ces éléments peuvent se voir renforcés par la conjoncture et la décision, de la part de
l’équipe gouvernementale sortante, de briguer un nouveau mandat. Celle-ci reconduit alors
électoralement son unité, voire amplifie celle-ci en ralliant à elle de nouveaux alliés ; on observe
inversement un bloc électoral d’opposition « négative » dont la principale raison d’être est d’éviter
sa réélection et postérieure reconduction gouvernementale3. Le facteur ré-électif (« incumbency
effect ») tendrait ainsi, en raison de sa dimension clivante, à la constitution de coalitions pré-
électorales.
Dès lors, en fonction du caractère incertain des résultats électoraux, et suivant l’objectif de
constituer une majorité parlementaire, la matérialisation des accords porterait sur la présentation de
candidats communs sur l’ensemble, ou la majeure partie, du territoire national. Le coût de cette
alliance pré-électorale consiste alors, généralement, en ce que chaque parti s’engage à retirer des
candidats propres et à soutenir ceux de la coalition dans les circonscriptions où des candidats du ou
des partis alliés seraient mieux placés pour l’emporter. Dans ce contexte, les « petits partis »
cherchent à négocier l’obtention d’investitures de personnalités symboliques. « L’investissement »
1 GOLDER, S., “Pre-electoral coalitions in comparative perspective: A test of existing hypotheses”, in Electoral
Studies, Vol. 24, 2005, pp. 643-663; et GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. Pour une
critique du caractère évasif de la notion de « nombre substantiel » de partis, ainsi qu’une considération ontologique sur
la tendance à concevoir de manière manichéenne les différents systèmes (majoritaires vs. proportionnels), voir
NAGASHIMA, D., “The formation of pre-electoral coalitions: actor strategy and institutional constraints”, Working
Paper présenté au Woodrow Wilson Department of Politics, University of Virginia, 25 Mars 2011. 2 Voir SARTORI, G., Ingeniería Constitucional Comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995 ;
LIJPHART, A., Electoral Systems and Party Systems: A Study of Twenty-seven Democracies, 1945-1990, Oxford
University Press, 1994; BLAIS, A., et INDRIDASON, I., “ Making candidates count: the logic of electoral alliances in
two-round legislative elections”, in The Journal of Politics, Vol. 69, No. 1, 2007, pp. 193–205; et GOLDER, S., The
logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. 3 MARTIN, L., et STEVENSON, R., “The conditional impact of incumbency on government formation”, in American
Political Science Review, Vol. 104, No. 3, 2010, pp.1-16.
247
consenti est tel qu’il serait dès lors irrationnel que les différents partis de la coalition électorale, en
cas de victoire, ne convertissent l’essai en coalition de gouvernement1.
Ainsi pour Kaare Strøm, Ian Budge et Michael Laver :
« … le fait que les coalitions préélectorales se transforment par la suite en coalitions
gouvernementales constitue, bien sûr, une question qui doit être empiriquement démontré. Il ne fait
aucun doute, cependant, qu'il y a une forte tendance pour que cela se produise. C’est un fait très
rare et sans doute très dommageable pour une alliance de partis que de participer ensemble à une
élection en tant que coalition, puis de refuser de partager le pouvoir une fois qu’il est possible de
le faire. »2
Ce faisant, les coalitions pré-électorales, bien qu’apparemment plus coûteuses initialement pour
les partis, paraissent à première vue moins superficielles. En cas de victoire, et si celle-ci
s’accompagne de l’obtention d’une majorité parlementaire, les tours de formation gouvernementale
pourraient donc, logiquement, n’être limités qu’au « où » seront affectés les différents alliés
électoraux au sein du gouvernement. Le qui et, dans une certaine mesure, le quoi ont
potentiellement été identifiés et en partie accordés préalablement3. En effet, les accords
coalitionnaires ne sont pas des phénomènes spontanés, mais découlent d’éléments aussi bien
extérieurs (contexte) que d’attitudes concertées et codifiées, et s’inscrivent dans Des processus
d’une négociation plus ou moins longue, en fonction : i) de l’objectif et la nature de la coalition
(« positive » vs. « négative »), ii) des acteurs en présence (type de partis, idéologie, culture
partisane « coalitionnaire »), et iii) du nombre des acteurs en présence (plus le nombre est élevé,
plus la négociation devient compliquée et « coûteuse »). Le processus débouche alors sur deux
types d’accords en fonction de leur dimension contraignante4, exprimée en fonction du degré de
précision et du caractère « complet »5 dudit accord de coalition, tels que les définit Catherine
1 CARROLL, R., COX, G.W., “The logic of Gamson’s law: pre-election coalitions and portfolio allocations”, op. cit.;
MARTIN, L., et STEVENSON, R., “Government formation in parliamentary democracies”, in American Journal of
Political Science, Vol. 45, No. 1, 2001, pp. 33–50. 2 STRØM, K., BUDGE, I., et LAVER, M., op. cit., p.317.
3 Il nous semble néanmoins nécessaire de désacraliser la portée des accords, qui constituent généralement davantage
une feuille de route qu’une ligne de conduite stricte. Voir de fait MÜLLER, W., et STRØM, K., « Coalition agreement
and cabinet governance », in STRØM, K., MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, op.
cit., pp. 159-199 ; TIMMERMANS, A., “Standing apart and sitting together: enforcing coalition agreements in
multiparty systems”, in European Journal of Political Research, Vol. 45, No. 2, 2006, pp. 263-283; BÄCK, H.,
DEBUS, M., DUMONT, P., “Who gets what in coalition governments? Predictors of portfolio allocation in
parliamentary democracies”, in European Journal of Political Research, Vol. 50, No. 4, 2011, pp. 441-478. Pour un
argument contraire voir BANDYOPADHYAY, S., CHATTERJEE, K., et SJÖSTRÖM, T., “Pre-electoral coalitions
and post-election bargaining”, Working paper non publié, disponible sur le site du département d’économie de la
Pennstate University, http://econ.la.psu.edu/papers/exante_coalitions_may26_2010.pdf 4 MÜLLER, W., et STRØM, K., “Coalition governance in Western Europe: an introduction”, in MÜLLER, W., et
STRØM, K., Coalition Government in Western Europe, op. cit, pp. 1- 32. 5 ROYED, T., “Testing the mandate model in Britain and the United States: evidence from the Reagan and Thatcher
eras”, in British Journal of Political Science, Vol. 26, No. 1, 1996, pp. 45-80.
248
Moury : a) soit des accords « rituels » et formalisés qui sont relativement imprécis et incomplets ;
b) soit des « accords complets » qui fonctionnent comme un véritable travail préparatoire pour
l’élaboration de politiques publiques et visant à prévenir d’éventuels conflits1.
Les coalitions pré-électorales viendraient, à la fois déterminer la composition du gouvernement,
mais également affecter la nature et l’intensité des relations internes des participants, sur des bases
idéologiques et programmatiques qui seraient plus identifiables. Ainsi, les coalitions pré-
électorales, qui ne se jaugent pas sur le poids parlementaire des acteurs, tendraient-elles à ne pas
présenter de configuration « minimale victorieuse » ; inversement, elles seraient potentiellement
plus « homogènes » d’un point de vue idéologique ; de ce fait plus cohérentes, soudées et donc, par
ricochet, plus stables2. Toutefois, si cette « proximité » idéologique permet d’économiser des tours
de formation, elle n’a pas d’influence automatique sur la composition et le « fond » de l’accord lui-
même3. Il semblerait que la confiance pré-électorale tendrait à favoriser la tenue d’accords de
coalition de type « rituels », où les ministres auraient davantage d’autonomie et où les « contrats
coalitionnaires » seraient moins précis et complets, particulièrement en ce qui concerne les
mécanismes de discipline et de comportement intra-coalitionnaire4.
4.1.3 Le facteur présidentiel comme intervenant dans la création et conclusion
des cycles coalitionnaires
Nous venons d’identifier les différences en termes d’organisation et de conséquence sur la
formation du gouvernement, entre les coalitions gouvernementales formées sur une ligne
temporelle ex post et celles apparaissant ex ante. Par ailleurs, certains facteurs ou « variables »
permettant de prévoir la mise en place et le maintien de coalitions électorales ont été mis en
évidence, en particulier le facteur institutionnel. Les systèmes majoritaires viendraient ainsi
favoriser les rapprochements partisans de manière précoce, afin de limiter le degré d’incertitude5.
1 MOURY, C., « Les ensembles flous pour y voir plus clair : décoder les caractéristiques des accords de coalition en
Europe occidentale », in Revue Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, No.1, 2004, pp. 104. 2 MARTIN, L., et STEVENSON, R., op. cit.; GOODIN, R., GÜTH, W., et SAUSGRUBER, R., “When to coalesce:
early versus late coalition announcement in an experimental democracy”, in op.cit. ; CARROLL, R., COX, G.W., op.
cit.; BÄCK, H., DEBUS, M., DUMONT, P., op. cit.; DEBUS, M., “Pre-electoral commitments and government
formation”, op. cit.; GOLDER, S., The logic of pre-electoral coalition formation, op. cit. 3 BANDYOPADHYAY, S., CHATTERJEE, K., et SJÖSTRÖM, T., op. cit.
4 MOURY, C., op. cit.
5 Notons toutefois que le système majoritaire par excellence, le système britannique de représentation majoritaire
uninominale ou “first past the post”, n’a jamais conduit à la formation de coalition pré-électorale. Les seules coalitions
gouvernementales formées postérieurement à une élection, aussi bien lors du « match nul électoral » de 1974, ou plus
récemment, en 2010, où les libéraux-démocrates ont rejoint les conservateurs, dans une alliance pourtant a priori
contre-nature, mais où les poids parlementaires de chacun des joueurs et où les propositions post-électorales ont joués
249
Cependant, la première remarque qui s’impose est que le cycle coalitionnaire en ce type de régime
est fortement lié au cycle gouvernemental. La conclusion du premier entraîne
presqu’automatiquement la conclusion du second.
Bien que nous ayons insisté sur le fait que ces théories se sont développées autour de l’analyse
de la réalité parlementaire, il est intéressant de les transposer à la configuration présidentielle.
Relevons d’ailleurs de nouveau le décalage le décalage quantitatif et qualitatif entre les travaux
parlementaristes et ceux qui traitent des systèmes présidentiels. En effet, comme le soulignent
David Samuels et Matthew Shugart, si pratiquement aucune étude ne s’est arrêtée jusque
récemment sur l’impact de la séparation des pouvoirs sur le processus de représentation1, nous
avançons ici qu’il en va de même de la prise en compte de la dimension temporelle, du moins en ce
qui concerne la formation de gouvernements et leur relation aux processus électoraux2. En effet, de
quelle manière l’élection directe -ou quasi directe- du président de la République influe-t-elle sur la
précocité des rapprochements partisans ?
Rappelons tout d’abord que l’un des arguments principaux de Juan Linz quant à la
qualification et évaluation du système présidentiel, réside dans l’élection de type « plébiscitaire »
du président de la République3. Le candidat le plus voté peut, potentiellement, être un « outsider »
de la politique, ou tout du moins être affranchi de toute affiliation partisane institutionnelle. Bien
que nous ayons auparavant défendu des arguments contraires cette thèse4, il nous faut aussi relever
deux points intéressants. Tout d’abord, la séparation des pouvoirs en système présidentiel établit
que l’élection du président de la République se déroule parallèlement -voire simultanément- à celle
du parlement, et surtout indépendamment de celle-ci. L’élection du président se fait au suffrage
direct sur une circonscription nationale unique5, sans recourir à un contrôle parlementaire
1. Ainsi,
un rôle déterminant. Pour une analyse du processus de formation du gouvernement Cameron, voir BOGDANOR, V.,
The coalition and the constitution, Hart Publishing, Oxford/ Portland, 2011. 1 SAMUELS, D., et SHUGART, M., “Presidentialism, elections and representation”, in Journal of Theoretical Politics,
Vol. 15, No. 1, 2003, pp-33-60. 2 Nous avons présenté dans le chapitre 1 certains travaux traitant du phénomène inverse de la probabilité de dissolution
gouvernementale et coalitionnaire, à l’approche de nouvelles élections. Voir ALTMAN, D., “The Politics of coalition
formation and survival in multiparty presidential democracies: the case of Uruguay, 1989–1999”, op. cit.;
CHASQUETTI, D., “La supervivencia de las coaliciones presidenciales de gobierno en América Latina”, op. cit. ;
CHASQUETTI, D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América Latina: Evaluando la “difícil
combinación”, Ediciones Cauce, Montevideo, 2008. 3 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 1, 1990, pp. 51-69; et LINZ, J.J.,
« Presidential or Parliamentary Democracy : Does it Make a Difference ?», in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The
Failure of Presidential Democracy, Vol. 2, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1994, pp. 3-88. 4 Voir supra Chapitre 1.2.2.
5 Mis à part le système états-unien et argentin jusqu’en 1983, où le vote -scrutin indirect- dépend alors au niveau
provincial, d’un collège de “grands électeurs”, dont le nombre varie proportionnellement au poids démographique de
chaque Etat. Est élu président celui qui recueille la majorité des voix des grands électeurs.
250
comme le montre la figure 4.4, le processus de formation de gouvernements, en régime
présidentiel, se distingue de celui correspondant aux régimes parlementaires, notamment en matière
d’instantanéité.
Figure 4.4 : Processus de formation de gouvernement en fonction du régime
Source : élaboration propre
Alors que les électeurs votent, en régime parlementaire, pour établir des rapports de force entre
les partis via l’élection des représentants au Congrès, ce sont ceux-ci qui, en tant que joueurs ayant
une capacité de véto, se chargent par la suite de trouver des accords de combinaison
gouvernementale2. En régime présidentiel, les électeurs votent pour élire le chef du gouvernement,
lequel se charge par la suite de former son propre gouvernement en nommant lui-même ses
ministres3. En résumé, là où en régime parlementaire l’électeur vote pour un parti ; en régime
présidentiel, le vote a une valeur couperet puisqu’il implique de se prononcer en faveur en faveur
d’un gouvernement, ou tout du moins du chef de ce gouvernement4.
1 Excepté les cas bolivien jusqu’en 2004, et chilien jusqu’en 1973. Dans le premier, le parlement était le lieu du
« second tour » lorsqu’un candidat n’était pas parvenu à regrouper la majorité absolue lors du premier ; dans le cas
chilien, le parlement servait à ratifier le vote populaire. 2 ALEMAN, E., et TSEBELIS, G.,“Political parties and government coalitions in the Americas”, in Journal of Politics
in Latin America Vol. 3, No.1, 2011, pp. 3-28. Pour une definition du concept de “veto players”, voir TSEBELIS, G.,
Veto players: how political institutions work, Princeton University Press, 2002. 3 Nous avons volontairement fait abstraction, pour des questions évidentes de simplification, du processus de formation
gouvernementale en régime semi-présidentiel, où: a) plus les élections sont proches dans le temps, plus la formation
gouvernementale est de type « présidentialiste » ; inversement, b) plus les élections sont éloignées dans le temps, ou
encore dans les cas de dissolution de l’assemblée, plus le processus est de type « parlementariste ». 4 SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and Assemblies, Cambridge University Press, 1992; ZELAZNIK, J., op.
cit.; CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government Coalitions…”, op. cit; SAMUELS, D., et
SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University Press, 2010.
Tours de “formation”
Parlementaires
élection
Electeurs
Gouvernement
nomme
Electeurs
Président élu Ministres
Systèmes présidentiels Systèmes parlementaires
Gouvernement
251
Si L’identité du chef du gouvernement en système présidentiel est instantanée, en régime
parlementaire elle peut être amenée, comme nous l’avons vu précédemment, à devoir attendre
l’exécution de multiples « tours de formation ». Par ailleurs, Juan Linz argumente, sans égard à la
distinction effective entre les différents type de régimes présidentiels, que l’élection du chef du
gouvernement déterminerait et constituerait à elle seule la de la couleur gouvernementale, suivant
une configuration où le président ferait figure de primus solus1. Cet argument fait néanmoins
abstraction de la composition du gouvernement et de l’existence de ministres, car s’ils sont
effectivement nommés par le président, leur nomination est dans les cas de gouvernements de
coalition davantage le fait de négociations intra-partisanes. Ceci implique que la configuration se
rapproche davantage d’un cas primus au-dessus d’inégaux2, où le président gouverne en tant que
chef d’Etat et chef du gouvernement ayant autorité sur ses ministres, mais potentiellement contraint
par la composition de son gouvernement et l’accord coalitionnaire alors conclu Si le président n’est
pas responsable face au parlement et que, dès lors, il n’est pas nécessairement à la recherche d’une
majorité parlementaire pour former son gouvernement3, sur quelles bases et stratégies politiques se
fondent alors les accords coalitionnaires ?
Bien que l’obtention d’une majorité parlementaire soit précieuse afin d’éviter l’émergence d’un
cas de « présidence minoritaire » et garantir ainsi la gouvernabilité politique d’un pays, elle n’est
pas pour autant nécessaire à l’assomption et au maintien en place de l’exécutif, étant donné le
caractère fixe du mandat présidentiel. La conclusion d’un éventuel cycle coalitionnaire en régime
présidentiel, à l’inverse de ce qui a cours en régime parlementaire, si elle conduit logiquement à un
« remaniement » ministériel et ne mène pas automatiquement à la tenue d’élection et donc à la fin
du cycle gouvernemental. Rappelons que cette conception de mandat fixe ou « rigide » est l’un des
potentiels facteurs générateur d’instabilité politique et démocratique, tel que l’a relevé Juan Linz,
car il entraînerait un déficit de flexibilité en cas d’impopularité ou perte de confiance de l’exécutif
et l’impossibilité institutionnelle de le « démissionner »4. C’est ce même principe de mandat fixe
qui opérerait, d’ailleurs, comme frein à la tenue de coalitions gouvernementales en systèmes
présidentiels d’après la littérature qui s’inscrit dans le débat présidentialisme vs. multipartisme. En
effet, l’absence de « motivation » structurelle, ajoutée, selon le cas, à une discipline partisane
1 SARTORI, G., Ingniería constitucional comparada… op. cit., p. 18.
2 Ibidem
3 Certaines constitutions, nous l’avons vu, établissent que les nominations ministérielles requièrent une ratification
parlementaire. Toutefois, ces dispositions sont, la plupart du temps, symboliques ou purement administratives. 4 LINZ, J.J.,“The perils of presidentialism”, op. cit.
252
défaillante où les alliances peuvent se faire et se défaire en une nuit1, favoriserait la personnification
de l’exécutif et les risques de dérives démagogiques voire autoritaires.
Les rapprochements politiques ont généralement été considérés comme des arrangements de
circonstance conçus comme des substituts des institutions et organes de représentation, et donc
voués à l’échec ou condamnés à se défaire une fois atteint l’« l’objectif » d’arriver au pouvoir. Bien
que les coalitions soient considérées comme un gage de pragmatisme et d’efficacité
gouvernementale, la littérature dominante semblait jusque récemment ne pas considérer celles-ci -
les coalitions- comme suffisamment stables et durables sous le régime présidentiel multipartite, à
cause d’un fort degré de polarisation idéologique, rendant plus difficile la quête de consensus tant
électoral que programmatique. Scott Mainwaring et Matthew Shugart ont par ailleurs relevé une
dernière difficulté structurelle compromettant la stabilité des coalitions dans le système présidentiel
multipartite, à savoir la dimension temporelle. En effet, les coalitions auraient tendance à se former
avant voire pendant les élections (quand elles sont à deux tours). Or la formation de ces coalitions
électorales ne garantirait pas leur transformation en coalitions gouvernementales, car « le fait qu’un
parti appartienne à un gouvernement, n’implique pas nécessairement un soutien partisan discipliné
au président », ces coalitions pré-électorales « n’engagea[nt] aucune contrepartie au-delà du jour
de l’élection »2. Les coalitions en régimes présidentiels seraient donc essentiellement des accords
électoraux, plutôt que des accords gouvernementaux3.
Toutefois, Daniel Chasquetti a montré que la plupart des coalitions électorales victorieuses, en
Amérique latine, se sont transformées en coalitions gouvernementales ou ont constitué le « noyau
dur » des gouvernements formés par la suite4. Ainsi, comme le montre le tableau 4.1, 87,5%
(21/25) des coalitions gouvernementales formées en Amérique du Sud depuis 1983, découlent de la
tenue de coalitions électorales ou de coalitions d’entre-deux-tours5. Seule la présidence de Víctor
Paz Estenssoro en Bolivie a constitué un cas « étrange » de transfert de coalition où le pacte
finalement formé au niveau gouvernemental, a différé de celui initialement souscrit par le président,
1 Nous avons présenté et critiqué préalablement, au travers d’exemples empiriques, le postulat selon lequel les systèmes
présidentiels auraient tendance à favoriser la personnification de la politique, conduisant ainsi à un faible degré
d’institutionnalisation des systèmes de partis. 2 MAINWARING, S., et SHUGART, M., « Presidencialismo y sistema de partidos en América latina », in
MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,
2002 [1997], p.258. Traduction propre. 3 VALENZUELA, A., “Party politics and the crisis of rsidentialism in Chile: a proposal for a parliamentary form of
government”, in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy: the case of Latin America,
tome 2, Johns Hopkins University Press, 1994, pp.91-150 4 CHASQUETTI, D., Democracia, Presidencialismo y partidos políticos en América Latina: evaluando la “difícil
combinación”, Ediciones Cauces, Montevideo, 2008 5 Ce qui confirme empiriquement l’argument de Fred Riggs, voir RIGGS, F., “The survival of presidentialism in
America: para-constitutional practices”, in International Political Science Review / Revue internationale de science
politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 247-278.
253
cela s’expliquant par le système de « second tour parlementaire » en vigueur en Bolivie jusqu’en
2008. Lorsqu’aucun candidat n’obtenait la majorité absolue des suffrages, les parlementaires
devaient alors choisir le président parmi les trois candidats ayant recueilli le plus grand nombre de
voix. Par opposition, seules les présidences de Gaviria en Colombie, Lacalle et Sanguinetti en
Uruguay, se sont formées de forme ex-post, mais elles l’ont été entre partis qui partagent des
traditions de coopération et qui avaient expérimentés de manière répétée de par le passé des formes
de co-gouvernements. Nous appelons ces cas de formations comme « inertielles » car découlant
d’accords de gouvernements s’inscrivant dans une logique de coopération entre partis « familiers ».
Tableau 4.1. Coalitions électorales et gouvernementales en Amérique du Sud
Pays Président Période Coalition électorale?
Argentine (1) De la Rúa 1999-20011 Oui
Brésil (6)
Sarney 1985-1990 Oui
Cardoso I 1995-1999 Oui
Cardoso II 1999-2003 Oui
Lula I 2003-2007 Oui*
Lula II 2007-2011 Oui*
Roussef 2011-… Oui*
Bolivie (5)
Paz Estensorro 1985-1989 Non2
Paz Zamora 1989-19921 Oui
Sánchez de Losada 1992-1997 Oui
Banzer 1997-2002 Oui
Sánchez de Losada 2002-20041 Oui
Chili (5)
Aylwin 1989-1993 Oui
Frei 1993-2000 Oui
Lagos 2000-2006 Oui
Bachelet 2006- 2010 Oui
Piñera 2010-… Oui
Colombie (3)
Gaviria 1990-1994 Non (inertiel)
Pastrana 1998-2002 Oui**
Uribe 2006-2010 Oui*
Équateur (2) Borja 1988-1992 Oui
Gutiérrez 2003-20051 Oui
Uruguay (3)
Lacalle 1990-1995 Non (inertiel)
Sanguinetti II 1995-2000 Non (inertiel)
Battle 2000-2005 Oui**
Total 25 - Oui: 21/ Non: 4 Notes : 1 Présidents n’ayant pas conclu leur mandat ; 2 Coalition gouvernementale différente de la coalition électorale à laquelle avait
souscrit initialement le parti du président ;
* Elections gouvernementales dont le noyau dur est composé des partis regroupés en coalition électorale auxquels sont venus
s’ajouter, de manière ex-post, de nouveaux partis ; ** coalitions d’entre-deux-tours.
Source: Elaboration propre, d’après Chasquetti (2008) et la Georgetown political database of the
Americas
Ces résultats mettent donc en évidence une corrélation certaine entre coalitions électorales et
coalitions gouvernementales en système présidentiel. Or si on se base sur les travaux portant sur les
254
systèmes parlementaires, le système électoral devrait être le principal facteur d’explication, mais
peut-on se demander quel système électoral pour quelle élection ? En effet, nous venons de montrer
qu’au-delà de la capacité de doter le président d’une majorité présidentielle et d’éviter ainsi tout
phénomène de blocage institutionnel, et mis à part le cas particulier de la Bolivie ; les parlements
n’ont pas de rôle déterminant dans l’élection du président, lequel est le seul formateur possible de
coalition gouvernementale. L’élection présidentielle via son mode d’élection directe et instantanée,
favoriserait la formation d’alliances pré-électorales. Cette hypothèse s’inscrit ainsi en faux contre la
littérature « anti-présidentialiste ». En effet, l’élection présidentielle est par nature « majoritaire »
car uninominale (un seul élu) et concernant une seule circonscription nationale. Cette configuration
est, on l’a vu, supposément celle qui offre le plus haut degré d’incertitude quant à l’issue de
l’élection ce qui pousserait donc les partis à se coaliser afin de minimiser les coûts d’incertitude, et
maximiser les chances de succès plutôt que de rester dans l’opposition. L’hypothétique possibilité
d’un succès électoral, suivant une perspective utilitariste, justifierait à lui seul les coûts de
transaction liés à la formation d’une coalition électorale.
Nous avons toutefois nuancé précédemment ce même argument en présentant l’exemple
britannique, qui bien que constituant un cas paradigmatique de système majoritaire n’a jamais
conduit de coalitions pré-électorales. Néanmoins, à la suite des travaux de Duverger et Sartori, de
nombreux auteurs vont relever le « facteur coalitionnaire » du second tour. Tandis que le premier
tour le premier tour consisterait à jauger les différents partis avant toute éventuelle mise en œuvre
d’alliances alliances d’entre-deux-tours1. Si la plupart de ces travaux ne font pas état des différentes
configurations de balottage2, nous observons toutefois que ces cas de figure ne sont pas dominants
puisque les coalitions d’entre-deux-tours débouchant sur des coalitions gouvernementales ne
représenteraient que 10% des cas (hormis le cas bolivien), et 24% d’entre eux en considérant les
coalitions d’entre-deux-tours issues d’une coalition pré-électorale préalable. Mais le principe du
second tour contribue-t-il à ordonner et stabiliser la structure bipolaire de la compétition partisane,
et notamment la structuration de coalitions au-delà de la campagne présidentielle, ce qui
contribuerait à la création de rapports inertiels entre partis.
1 Voir entre autres CRESPO, I., et GARRIDO, A., Elecciones y sistemas electorales presidenciales en América Latina,
Miguel Angel Porrúua/ Jurado Nacional Electoral, Mexico, 2008; McCLINTOCK, C., “Plurality versus runoff rules for
the election of the president in latin america: implications for democracy”, communication présentée lors du congrès
de l’Association Américaine de Science politique, Chicago, 2007; MARTIN, P., Les systèmes électoraux et les modes
de scrutins, Monchrestien, Paris, 2006. 2 En effet, si la logique veut qu’il y ait ballotage lorsqu’aucun candidat n’obtient la majorité absolue, il est de nombreux
cas où le second tour est limité par un « abaissement du seuil de l’élection » : si un candidat recueille un minimum de
voix (généralement autour de 40-45%), et/ou distancie son concurrent le plus proche par un nombre de voix
« significatif » (généralement 10%), il est élu président dès le premier tour.
255
Conformément à ce que nous avons vu au chapitre 2, nous pouvons d’une part conclure que les
institutions et le système électoral ne sont pas tout et ne conduisent pas à prédire en soi la formation
de coalitions électorales. Si le second tour catalyse le de rassemblement autour de blocs, et permet
d’analyser certains rapprochements, nous avons d’autre part montré dans le chapitre 3 que c’est la
visibilité des options « polaires », combinées au caractère majoritaire et national de l’élection qui
conduit à la formation de coalitions pré-électorales. Les systèmes présidentiels sont davantage
clivants et conduisent, lorsque le système de partis est suffisamment stable, à la formation de
coalitions « polaires ». Les accords sont donc le plus souvent pré-électoraux, ce qui suppose,
parfois, la tenue de primaires intrapolaires. Nous présentons dans la figure 4.5 un schéma du cycle
coalitionnaire en système présidentiel, où nous mettons en évidence que la rupture toujours possible
du cycle n’entraîne pas nécessairement la fin du gouvernement et la tenue de nouvelles élections.
C’est un fait qu’il existe plusieurs types de coalitions, qu’elles soient électorales ou
gouvernementales. La composition du gouvernement peut aussi se trouver affectée par la nature
(type d’accords), la précocité et la « motivation » originelle de la coalition. De même, nous avons
signalé que les gouvernements en régimes présidentiels nécessitent un certain appui parlementaire
pour se former et se maintenir (afin de faire face a l’apparition de majorités qualifiées sur certains
domaines tels que les réformes constitutionnelles, etc.), ce qui conditionne à son tour la
composition du futur gouvernement autour d’agents essentiellement politiques (affiliés à un parti).
Or, comme l’ont signalé différents auteurs, la séparation des pouvoirs en système présidentiel, et la
responsabilité donnée au président de former son propre gouvernement, fait que dans ce type de
régimes les gouvernements peuvent être composés d’une fraction plus ou moins importante de
membres « techniques » (technocrates) ou d’un mélange des genres (« technopols »)1.
1 Voir entre autres AMORIM NETO, O., et SAMUELS, D., “Democratic regimes and cabinet politics: a global
perspective”, in Revista Ibero-Americana de Estudos, Vol 1, No.1, 2011, pp. 10-23; AMORIM NETO, O., “The
presidential calculus executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies
Vol. 39 N° 4, 2006, pp. 415-440; AMORIM NETO, O., “Cabinet formation in presidential regimes: An analysis of 10
latin American countries”, communication présentée lors du congrès LASA, Chicago, 1998; ALESINA, A., et
TABELLINI, G., « Bureaucrats or Politicians? Part I: A Single Policy Task », in American Economic Review, Vol. 97,
No.1, 2007, pp. 169-179; ALTMAN, D., et CASTIGLIONI, R., “Gabinetes ministeriales y reformas estructurales en
América Latina, 1985-2000”, in Revista Uruguaya de Ciencia Política, Vol.18, No.1, 2009, pp. 15-39; DOMÍNGUEZ,
J., Technopols. Freeing Politics and Markets in Latin America in the 1990s, The Pennsylvania State University Press,
1997. Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris,
2002 ; JOIGNANT, A., “The politics of technopols: resources, political competence and collective leadership in Chile,
1990–2010” Journal of Latin American Studies, Vol. 43, No.3, 2011, pp. 517-546.
256
Figure 4.5 : Cycle coalitionnaire en système présidentiel
Notes : apparaissent en pointillé les éléments qui relèvent du domaine du possible et consistent en un agrandissement de la coalition.
Source : élaboration propre
257
4.2 L’impact du « cycle présidentiel » sur la constitution des coalitions dans le Cône Sud
Comme nous l’avons indiqué au début de ce chapitre, le caractère dynamique du phénomène fait
que l’étude de la précocité des accords coalitionnaires requiert, comme l’avance l’approche
historico-institutionnelle, d’une dimension temporelle diachronique. Ceci, afin de pouvoir identifier
les différentes étapes et isoler les jonctions critiques originelles, en adoptant une vision qualitative
des processus de formation de coalitions, plutôt que de se limiter à une approche essentiellement
déterministe et comportementaliste, dont l’objectif serait basé sur l’identification et la mise en
évidence de calculs stratégiques et rationnels1. Nous souscrivons à ce courant théorique et
paradigmatique, et après avoir validé notre première hypothèse sur l’existence d’un « timing
présidentiel », nous nous appliquerons dans cette seconde section à analyser la portée et la nature
des accords coalitionnaire dans le cône sud, puis la durabilité desdits accords.
4.2.1 Accords coalitionnaires, formation gouvernementale et cycle coalitionnaire
dans le cône sud
Les coalitions gouvernementales et électorales ont tendu à se former dans le Cône sud à la suite
d’un rejet commun envers un troisième acteur. Les conditions contextuelles et l’historique des
relations inter-partisanes ont toutefois influé sur la précocité des accords et leur caractère public.
Ainsi, l’absence de « tradition coopérative » dans la culture politique de l’UCR argentine et de la
Démocratie Chrétienne chilienne, semble avoir joué un rôle particulier dans la nécessité
d’apprentissage au dialogue inter-partisan avec d’autres forces historiquement adverses, ce qui a
entraîné une formalisation des accords coalitionnaires potentiellement plus lente. Inversement, la
culture consensuelle des deux partis « traditionnels » uruguayens, et de leurs fractions respectives, a
constitué un legs central à la culture de gouvernement du pays et a constitué l’élément de base des
rapprochements entre ces deux partis, qui dont les relations sont devenues « inertielles ».2.
De même, le contexte a particulièrement influencé la précocité des regroupements partisans et
son analyse est identifiable et opérationnalisable à partir d’une approche systémique, centrée sur le
système de partis et la compétition partisane. Aussi, nous pouvons remarquer que les coalitions sont
1 Voir PIERSON, P., “Increasing returns, path dependence, and the study of politics”, in American Political Science
Review, Vol. 94, No. 2, 2000, pp. 251-267; COLLIER, R., et COLLIER, D., Shaping the Political Arena, Princeton
University Press, 1991; THELEN K., “Historical Institutionalism In Comparative Politics”, in Annual Review of
Political Science, Vol. 2, 1999, pp. 369- 404; SANDERS, E., “Historical Institutionalism”, in RHODES, R., BINDER,
S., et ROCKMAN, B., The Oxford Handbook Of Political Institutions, Oxford University Press, 2008, pp. 39-55. 2 DIAZ CAPPUCCIO, T., Políticas de coalición: ensayo de genealogía política, Tradinco, Montevideo, 1999.
258
« positives »1, c’est-à-dire qu’elles reposent sur des bases de convergence politique et
programmatique, lorsque leur facteur de formation originelle provient de l’émergence d’un élément
perturbateur externe au système de partis (crise économique, réformes structurelles, etc.). C’est
ainsi le cas de la coalition gouvernementale de « coïncidence nationale » entre le Partido Nacional
et le Partido Colorado, sous la présidence de Luis Alberto Lacalle (1990-1995), qui visait à mettre
en œuvre une série de réformes structurelles de la matrice socio-économique uruguayenne2. D’un
point de vue pratique, et pour mener à bien ces réformes, l’objectif de cette coalition a consisté à
doter l’exécutif d’une majorité législative conséquente et suffisante pour limiter le pouvoir de
blocage de l’opposition. La formalisation de cette coalition s’est produite après les élections de
1989, c’est-à-dire dans une temporalité t+1, où blancos et colorados se partageaient près de 70% des
sièges au sein des deux chambres. Soulignons néanmoins que cette coalition gouvernementale
s’inscrit dans une relation de coopération inertielle entre ces deux partis « traditionnels » qui,
comme nous l’avons vu dans le chapitre 2, ont développé au cours du XXe siècle une culture de
consensus via la formation de « co-gouvernements ». Aussi, cette convergence fait surtout suite à
une tentative partiellement avortée, sous la première présidence de Julio María Sanguinetti (1985-
1990), de gouvernement « d’intonation nationale » entre les deux mêmes partis. Ce premier essai
s’est inscrit dans un contexte de transition puis consolidation démocratique, où les éléments de
convergence, notamment socio-économiques, étaient encore relativement ténus, d’où l’absence de
formation d’un gouvernement de type « union nationale »3. A l’inverse, sous le gouvernement de
coalition de Luis Alberto Lacalle, la convergence semble plus profonde, bien que les bases de
l’accord coalitionnaire (dont le titre évocateur est « bases del acuerdo ») demeurent vagues en
termes de compromis, de priorité d’agenda et de conduite politique commune.
Le gouvernement de coalition du second mandat de Julio María Sanguinetti (1995-2000) s’est
également inscrit dans une dimension temporelle post-électorale (t+1), la formation de ce
gouvernement ayant découlé du « match nul » de l’élection de 1994 où les trois premiers partis ont
recueilli chacun près d’un tiers des voix à la présidentielle, et des sièges au parlement. Cependant, à
la teneur « positive » des deux premiers regroupements, s’ajoute une dimension « négative », en ce
sens que les deux partis traditionnels ont exclu de facto de conclure un accord avec le Frente
1 Voir le chapitre 3 pour une définition de coalitions « positives/négatives ».
2 LANZARO, J., “Uruguay: las alternativas de un presidencialismo pluralista”, in LANZARO, J., Tipos de
presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 283- 317; LANZARO,
J., “El presidencialismo pluralista en la ‘segunda’ transición (1985-1996)”, in LANZARO, J., La segunda transición
en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 19-196. 3 En effet, seules deux fractions blancas vont appuyer le gouvernement Sanguinetti, et non pas le parti dans sa totalité.
Voir MANCEBO, M.A., “De la entonación a la coincidencia nacional”, in Revista Uruguaya de Ciencia Politica, No.
4, 1991, pp. 29-44.
259
Amplio. Dès lors, cette coalition bien que post-électorale reconduit de manière inertielle les
expériences précédentes de coopération et de compromis propres à ces partis traditionnels, et
permet un approfondissement de leurs relations.
Les coalitions sont dites « négatives » lorsqu’elles tirent leur origine du système de parti ou de la
compétition partisane, dans le cadre desquels au moins deux partis se coalisent pour empêcher
l’élection d’une troisième force, jugée menaçante pour l’ordre politique ; et/ou qui suscite à son
encontre de l’animosité commune. Ce cas de figure est celui de la Concertación chilienne, où la
démocratie chrétienne et les différents courants socialistes ont cherché à empêcher la victoire du
camp pro-Pinochet -du « oui »- au référendum de 1988. La dimension « négative », contre le
référendum plébiscitaire de 1988 (« jonction critique »), est ce qui donne l’impulsion à cette
coalition politique qui réunit ces différents partis sous un même label lors des élections
présidentielles de 1989. La formation de la coalition s’opère donc sur une base temporelle pré-
électorale de longue durée, puisqu’elle ne s’est pas formée simplement en prévision des élections
de 1989, mais à l’occasion du référendum de 1988, dont les bases ont été jetées, comme nous
l’avons montré au chapitre 3, dès 1986-1987. La formation de la Concertación découle ainsi d’un
processus marqué t-3, en raison des différentes étapes de formation et formalisation du pacte qui
précède la première expérimentation d’une coalition gouvernementale de ces caractéristiques, en
mars 1990. Les trois gouvernements qui se succèdent alors constituent autant de « reconductions »
et routinisations du pacte initial, sur les mêmes bases fondatrices (clivage anti/pro Pinochet),
comme cela a été montré au chapitre 3. Ce mode de reconduction est schématisé par la figure 4.5.
Notons que l’apprentissage de l’expérience de vie en coalition conduit au développement au sein
des partis en présence d’une importante convergence idéologique et programmatique, ce qui
conduit à une homogénéisation des gouvernements postérieurs à celui de Patricio Aylwin
notamment sur les questions socio-économiques1. Ces reconductions ont pris la forme de primaires
intra-coalitionnaires plus (1993 ; 1999) ou moins (2005 ; 2009) effectives et claires2.
Le cas de l’Alianza argentine suggère des conclusions similaires puisque sa formation succède
aux élections présidentielles de 1995 qui ont à la fois marqué la réélection de Carlos Menem à la
présidence, et la percée du FREPASO comme seconde force politique au niveau national, devant
l’UCR. Le rejet de la personnalité de Menem et de son éventuel successeur3, constitue cette fois
1 Le chapitre précédent a montré une certaine hétérogénéité sur la question des valeurs. Cette dimension sera
approfondie au chapitre 5. 2 Voir supra, Chapitre 6.
3 Jusqu’à mi-1998, Carlos Menem laissait présager une réinterprétation de la constitution de 1994 quant au principe de
réélection du president de la République, aléguant que ce principe n’était pas rétro-actif, et qu’ainsi il pouvait se
représenter une troisième fois. Sa première élection –en 1989- avait été antérieure au changement de constitution.
260
l’élément déclencheur du rapprochement entre FREPASO et UCR, dès les élections parlementaires
de mi-mandat en 1997 et en vue de l’élection présidentielle de 1999. Lors des élections de 1997,
cependant, la coalition électorale n’a pas « pris » sur la totalité du territoire, puisque certaines
provinces importantes (dont Córdoba est la plus emblématique) ne sont pas parvenues à présenter
des listes communes. C’est par la « lettre aux argentins », dès 1998, que se formalise la coalition
électorale. Le document porte essentiellement sur des questions de valeurs bien qu’il contienne
certains éléments idéologiques tels que le maintien de la parité peso-dollar, mesure à laquelle le
FREPASO s’était initialement opposé1. Le document établit également l’organisation de primaires
internes à la coalition dans le but de définir le « ticket » (président et vice-président) coalitionnaire
pour 1999. La dimension temporelle de la formation de cette coalition est donc pré-électorale et, à
l’image du cas chilien, elle se formalise dans une temporalité t-2, en ce sens que le précédent des
élections de 1997 constitue le socle de l’accord pré-électoral de 1999.
Enfin, le dernier cas de figure qui s’est présenté dans le Cône Sud est celui de la formation d’une
coalition de type entre-deux-tours, marquée t-0.5. L’élection présidentielle uruguayenne de 2000
s’inscrit dans cette configuration. Ainsi, après le changement de loi électorale instaurant le principe
du balottage en 1997, avec application directe pour les élections de 19992, la compétition électorale
uruguayenne a confirmé sa bipolarisation, en opposant d’un côté le « pôle des partis traditionnels »,
au « pôle de gauche » incarné par le Frente Amplio, qui s’est positionné lors des élections de 1999
comme le premier parti du pays. Dans cette compétition inter-polaire, le premier tour consiste dès
lors en une sorte de primaire interne au pôle des partis traditionnels3, permettant de définir laquelle
de ces deux forces –partido colorado ou blanco- sera qualifiée pour concurrencer le FA au second
tour. Cette « primaire », reste néanmoins symbolique et limitée en ce sens que le « ticket électoral »
n’est pas en soi inter-partisan. C’est la « qualification » pour le second tour du candidat colorado
Jorge Batlle face au candidat du Frente Amplio, Tabaré Vázquez, qui conduit au ralliement
« automatique » du candidat blanco –l’ancien président Luis Alberto Lacalle-, et à former une
coalition d’entre-deux-tours, à vocation gouvernementale. Celle-ci devient effective dès le
lendemain de la victoire du candidat Batlle.
Toutefois, sous la pression de son parti et d’éléments d’interdits constitutionnels, Menem renoncera à ce projet,
nommant le gouverneur de la province de Buenos Aires comme son « héritier » et en faisant de lui le candidat du PJ
aux élections présidentielles de 1999. 1 OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica,
Buenos Aires, 2001. 2 Rappelons que l’une des motivations, informelle, pour le changement de la loi électorale est de rendre plus difficile
l’accès au pouvoir du Frente Amplio, dont les résultats en progression constante depuis 1985 laissaient présager une
possible victoire lors des élections de 1999 sous la configuration du mode de scrutin traditionnel de double vote
simultané à un tour. Voir supra le chapitre 2.1.1.c. 3 La nouvelle loi électorale instaurant le principe de primaire interne pour chaque parti dans un “avant-premier tour”.
261
Dès lors, en résumé de cette section, lorsque nous reprenons la typologie des coalitions
gouvernementales en systèmes présidentiel, et que nous les incluons dans un tableau, nous
observons qu’un élément d’analyse paraît être mis en évidence par le Tableau 4.1, dont les résultats
partiels, montrent que les coalitions « négatives » seraient, généralement, plus précoces que les
coalitions « positives ».
Tableau 4.1 : Types idéaux partiels de coalitions gouvernementales et variantes en
systèmes présidentiels, appliqués aux pays du Cône Sud
Configurations Idéaltype Alternative
Timing
Pré-électoral
1. Chili 1988-2010 2. Argentine 1997-2001
a. Entre-deux-tours
1. Uruguay (Batlle) 2000-2002
b. ad hoc
1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000
Composition du
gouvernement À dominante partisane
a. À dominante technocratique
b. mixte
Type d’accord
Accord Programmatique
(“homogène’’)
1. Uruguay 1990-1992 2. Chili 1993-2010
3. Uruguay 2000-2002
a. Coalition “Négative”
1. Chili 1988- 1993 2. Argentine 1997-2001
3. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000
b. Opportuniste (”hétérogène”)
Allocation des portefeuilles
ministériels
Congruente/ coalition “équilibrée” Coalition déséquilibrée
Note : Les résultats de ce tableau ne sont que partiels. Dans la partie suivante, nous nous chargerons de présenter les résultats relatifs
à l’allocation des portefeuilles ministériels et à la composition des gouvernements
Source : élaboration propre
4.2.2 Précocité et durabil i té des pactes coalit ionnaires dans le Cône Sud
Nous avons relevé, en introduction à ce chapitre, une hypothèse qui stipule une plus grande
durabilité des coalitions coalitionnaires lorsque celles-ci tendaient à se former en amont aux
élections. Autrement dit, nous nous demandions si les coalitions de type ex ante étaient plus
durables que celles dont la formation serait plus récente et/ou sur « le tard » (ex post). En effet, la
262
logique voudrait qu’une convergence ex ante ait plus de temps et de recul pour pouvoir s’organiser
et prévoir des modes de résolution d’éventuelles controverses internes.
Nous ne prétendons pas, sur la base de données empiriques relatives à huit cas, formuler des
conclusions définitives sur la durabilité des coalitions dans le Cône Sud – nous traitons par ailleurs
des aspects de gestion interne des coalitions dans le prochain chapitre –, mais pouvons toutefois
avancer quelques hypothèses sur cette question en prenant en compte deux variables : l’antériorité
des pactes et le degré de « familiarité » des acteurs. Ainsi, le tableau 4.3 permet d’observer une
certaine relation entre le caractère précoce des rapprochements interpartisans et la culture politique
de chaque pays. L’expérience argentine du gouvernement de l’Alianza, malgré la structuration
d’une coalition gouvernementale suivant une configuration temporelle de type ex ante, semble
avoir souffert de sa tradition politique conflictuelle. En effet, l’attitude gouvernementale du
président De la Rúa s’est inscrit dans la tradition de gestion hégémonique de l’UCR. A cela
s’ajoute un manque de précision et d’envergure de l’accord de coalition, comme on l’a vu,
essentiellement négatif, ou encore la faible institutionnalisation du FREPASO, extrêmement
dépendant de son leader ‘Chacho’Alvarez1.
Dans le cas uruguayen, la coalition gouvernementale la plus « précoce », autour du président
colorado Jorge Batlle, s’est maintenue sur un peu plus de deux ans et demi, avant que le Partido
Nacional ne décide de se retirer du gouvernement, en octobre 2002. Il a néanmoins mais tout en
conservé une attitude de soutien total et inconditionnel au gouvernement au niveau parlementaire,
face à la crise économique qui commençait à s’installer. Les leaders blancos, l’ex président Luis
Alberto Lacalle et le sénateur Jorge Larrañaga, en rompant la coalition gouvernementale, ont
semblé avoir tiré les leçons de la logique de soutien gouvernemental jusqueboutiste préconisé par
l’ancien leader du directoire, Alberto Volonté, sous la seconde présidence de Julio María
Sanguinetti (1995-2000), lequel pensait que le parti se verrait de la sorte récompensé pour son
attitude constructive et responsable. Or, aux élections de 1999, le Partido Nacional a enregistré les
pires scores électoraux de son histoire, obtenant 22.3% des voix. La stratégie de Lacalle et
Larrañaga de se retirer du gouvernement tout en maintenant un appui législatif au gouvernement de
Batlle, s’est aussi inscrite dans une volonté de préserver une image de responsabilité politique, en
réduisant l’exposition politique et médiatique du parti.
Si la logique d’Alberto Volonté de préserver la cohésion gouvernementale jusqu’à la fin du
mandat présidentiel découle d’une stratégie politique faillie, elle témoigne aussi et surtout du travail
de convergence partisane démontré par les deux partis du « pôle traditionnel ». En outre, en sus de
1 NOVARO, M., Argentina en el fin de siglo: Democracia, mercado y nación (1983-2001), Paidós, Buenos Aires,
2009.
263
cette convergence intra-polaire accrue depuis le retour à la démocratie et des suites de l’émergence
du Frente Amplio, l’historicité gouvernementale uruguayenne marquée par la construction de
consensus et formations de co-gouvernements a conduit à l’établissement d’une « familiarité »
importante entre les deux partis. La recherche de coalitions gouvernementales depuis le retour à la
démocratie, en 1985, inscrit donc les formations de gouvernements de coalition sous les
présidences Lacalle puis surtout Sanguinetti II, dans une logique inertielle de collaboration
« bloquiste »1.
Enfin, en ce qui concerne le cas chilien, l’absence de variance causale fausse quelque peu la
possibilité de tirer des conclusions définitives au sujet de l’impact direct de la précocité du pacte
sur la reconduction ininterrompue de la coalition. Toutefois, la précocité de l’accord de coalition
originel semble avoir contrebalancé l’absence de « familiarité » entre les joueurs,
traditionnellement opposés. Elle semble également avoir fixé certaines lignes d’action face à des
cas de figures compliqués comme le coup de pression militaire de mai 1993, ou la gestion houleuse
des conséquences de l’arrestation de Pinochet à Londres. La politique du cuoteo2 et le recours aux
primaires internes semblent également avoir contribué à désamorcer l’émergence de controverses
internes sur des questions de rétribution en matière de postes ministériels, politique publique et
candidatures parlementaires. De fait, c’est lorsque la légitimité et l’organisation de ces dernières ont
été les plus critiquées, notamment en 2009, que la cohésion de la Concertación s’est trouvée
fragilisée, par la désertion d’éléments symboliques de la coalition (voir infra chapitre 5 et 6). De
même, l’attitude supra-partisane de Michelle Bachelet, lors du premier tour de la campagne
électorale de 2006, a conduit à une fragilisation des liens de cohésion interne. Les résultats
décevants de la candidate au premier tour ont conduit l’appareil du parti socialiste et plus
généralement la Concertación à s’afficher unis au côté de la candidate3. L’essoufflement du clivage
autoritarisme/démocratie, articulateur de la compétition politique chilienne et raison d’être de la
Concertación, cumulée à l’organisation de primaires internes alambiquées, fermées, peu
représentatives et biaisées4, explique en grande partie la défaite de la Concertación aux élections de
2009, malgré la forte popularité de la présidente sortante.
1 CHASQUETTI, D., et GARCE, A., “Unidos por la historia: Desempeño electoral y perspectivas de colorados y
blancos como bloque político”, in BUQUET, D., Las claves del cambio. Ciclo electoral y nuevo gobierno. 2004-2005,
Ediciones de la Banda Oriental - Instituto de Ciencia Política, Montevideo, 2005, pp. 187-204. 2 Voir supra chapitre 2.2.5
3 HUNEEUS, C., et alii, Las elecciones chilenas de 2005: Partidos, coaliciones, y votantes en transición, Catalonia,
Santiago, 2007. 4 En effet, tous les candidats à la candidature n’ont été autorisés à se présenter lors de ces primaires. De plus la
sélection s’est effectuée sur deux régions chiliennes parmi les moins peuplées, et ce afin de faciliter la sélection d’un
candidat pour une défaite anoncée mais honorable, celle du démocrate-chrétien et ex président Eduardo Frei Ruiz-
Taggle.
264
Tableau 4.3 : cycle coalitionnaire et cohésion (inter)partisane.
Périodes Type de
gouvernement Cycle
coalitionnaire Contingent législatif
du gouvernement Cohésion maintenue?
Argentine
1983-1989 Monopartisan - Majoritaire Cohésion rompue
1989-1995 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte ou quasi-
intacte
1995-1999 Monopartisan - Majoritaire Cohésion rompue
1999-2001(3)*
Coalition Pré-électoral Minoritaire Cohésion rompue/
implosion du gouvernement
2003-2007 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte ou quasi-
intacte
2007-2011 Monopartisan/ coopté - Majoritaire Cohésion fragilisée
Uruguay
1985-1990 Monopartisan - Majoritaire Cohésion fragilisée
1990-1995 Coalition Inertiel Majoritaire Cohésion rompue avant
terme
1995-2000 Coalition Inertiel Majoritaire Cohésion intacte
2000-2005 Coalition Entre-deux-tours Majoritaire Cohésion rompue avant
terme
2005-2010 Monopartisan - Majoritaire Cohésion intacte
Chili
1989-1993 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte
1993-1999 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte
1999-2005 Coalition Pré-électoral Majoritaire** Cohésion intacte
2005-2010 Coalition Pré-électoral Majoritaire Cohésion fragilisée
Notes : Apparaissent en gras les gouvernements inaugurés sous un format de coalition.
*le mandat du président De la Rúa était sensé durer jusqu’en 2003, mais les événements de la fin de l’année 2001 l’ont conduit à
quitter son poste ;
** la présence de sénateurs désignés (chambre haute), alliés ou proches de l’opposition a fortement nuancé le caractère
« majoritaire » du contingent présidentiel à la chambre basse.
Source : élaboration propre.
Nous ne pouvons pour l’heure, établir aucune relation théorique sur la mécanicité des rapports
entre l’antériorité de la conclusion du pacte et la prévision de maintien de la coalition. Néanmoins,
nous analyser cette antériorité en relation avec antériorité avec l’environnement politique propre à
chaque contexte coalitionnaire. Ainsi, l’on peut mettre en perspective la dimension temporelle avec
les dimensions que nous avons étudiées aux chapitres précédents : i) facteurs institutionnels
« facilitateurs », ii) culture « coalitionnaire », et iii) dimension polaire et « facteur clivage » ; le tout
ramené à une quatrième variable « de contrôle » que sont les éléments de contextes socio-
économiques. Nous établissons ces relations dans le Tableau 4.4, en recourant à la technique des
ensembles flous (« fuzzy sets »)1, dont les valeurs exprimées sont « calibrées » de « 0 » à « 1 ». La
1 Voir RAGIN, C., « Measurement versus calibration: a set theoretic approach », in BOX STEFFENSMEIER, J.,
BRADY, H., et COLLIER, D., The Oxford Handbook of Political Methodology, Oxford University Press, 2008, pp.
265
valeur nulle correspond à une non intervention, ou « absence totale» du facteur intervenant ; la
valeur unitaire suppose une présence « complète » ou très significative de ce même facteur. La
calibration suppose quant à elle une considération non dichotomisée1, où des éléments intervenants
(ou « variables ») peuvent être plus (quand elles tendent vers le « 1 ») ou moins (quand elles
tendent vers le « 0 ») présents. La colonne « RESULT » (pour résultat) exprime la durée effective
des coalitions exprimée en pourcentage d’extension temporelle par rapport à la durée
constitutionnelle du mandat. Ainsi, par exemple, 0.25 correspond à une période de maintien de la
cohésion coalitionnaire sur une durée correspondant à 25% de la totalité du mandat originel, soit
dans le cas de l’Alianza de De la Rúa 1/4 ans. Nous avons noté « 0.9 » la présidence chilienne de
Michelle Bachelet, car bien que la coalition ne se soit pas désarticulée, la défection de nombreuses
figures de la Concertación tout au long de ce mandat témoigne d’une cohésion interne quelque peu
fragilisée2.
La colonne « INST » (pour institutions) reprend le principe de ce que nous avons établi au
chapitre 2, en fonction de la considération supposément facilitatrice du système électoral quant à la
formation et au maintien de coalitions. Nous nous basons sur les considérations du courant
principal de la littérature den science politique, pour construire les indicateurs indicateur des
valeurs de chaque cas, avec un « bonus » pour le cas chilien en raison de l’impact supposé du
système binominal sur la formation et la continuité du pacte coalitionnaire3. Aussi, le Système
Electoral est considéré comme « facilitateur » et calibré « 1 », quand la loi électorale prévoit la
concomitance des élections parlementaire et présidentielle, ajoutée à la possibilité de second tour et
de réélection. Aucun cas de notre champ d’étude ne permet d’observer cette configuration, c’est
pourquoi nous avons « élevé » les cas chiliens à « 0.8 », en vertu du bonus précédemment
mentionné, malgré l’absence de réélection (c’est le cas des présidents chiliens Aylwin et Bachelet) ;
nous notons la valeur « 0.75 » pour les cas incluant la possibilité de second tour, combinée à celle
de réélection présidentielle, mais présentant la réalisation d’élections parlementaires partielles à mi-
mandat4 (cas argentin). En ce qui concerne le Chili, le système est évalué à « 0.66 » lorsqu’il y a
possibilité de second tour et d’élections parlementaires (sénat et/ou chambre basse) partielles
174- 198; et RAGIN, C., Redesigning social inquiry fuzzy sets and beyond, University of Chicago Press, Chicago et
Londres, 2008. Pour une utilisation appliquée à l’étude des gouvernements, voir MOURY, C., « les ensembles flous
pour y voir plus clair : decoder les caractéristiques des accords de coalition en Europe occidentale », in Revue
Internationale de Politique Comparée, Vol. 11, No. 1, 2004, pp. 101-115. 1 À l’inverse de la technique dite d’Analyse Qualitative-Quantitative Comparée (QCA, pour son sigle en anglais) que
nous avons présentée au chapitre 2 de cette thèse. 2 Relevons notamment les cas d’Adolfo Zaldivar, ancien président de la démocratie chrétienne et président de la
chambre des députés ; Jorge Arrate et Carlos Ominami, anciens ministres et figures centrales du parti socialiste, etc. 3 Pour une presentation du système binominal, voir le chapitre 2.
4 Facteur considéré par la littérature, nous l’avons vu au chapitre 2, comme supposément tensiogène pour le maintien de
pactes inter-partisans.
266
incluant également la tenue d’élections parlementaires partielles pendant le mandat présidentiel (cas
des présidences de Frei et Lagos) ; nous évaluons le système à « 0.5 » quand il suppose l’existence
simultanée d’un second tour et d’élections parlementaires, mais sans faculté de réélection
présidentielle (cas de l’élection de Jorge Batlle en Uruguay). Enfin, nous notons « 0.2 » les mandats
des présidents Lacalle et Sanguinetti en Uruguay, car présentant une élection présidentielle à un
tour suivant le principe du Double Vote Simultané, ce qui tend à accroître le nombre de
candidatures intra-partisanes1, et à fomenter l’absence de réélection présidentielle.
La colonne « CULT » (pour « culture coalitionnaire »), considère à la fois les dimensions de
familiarité entre les partis, le caractère inertiel des accords, et l’historicité gouvernementale des
systèmes politiques. Nous notons « 1 » les cas ayant une forte tradition politique de collaboration
inter-partisane, et de familiarité élevée entre les acteurs (présidences Lagos et Bachelet au Chili, et
Batlle en Uruguay) ; nous notons par « 0.75 » les cas qui présentent une certaine tradition de
collaboration interpartisane et d’expérimentation de coalitions gouvernementales récentes
(présidence de Frei au Chili et de Sanguinetti II en Uruguay) ; est évalué par 0.66 le cas présentant
une certaine tradition de collaboration interpartisane ou d’expérimentation de coalitions
gouvernementales récentes (présidence Lacalle qui constitue la première expérience réelle de
gouvernement de coalition en Uruguay). Par « 0.5 », nous évaluons la première présidence Aylwin
car bien que la culture gouvernementale chilienne fait état de nombreuses expériences de
gouvernements de coalition, les partis socialiste et démocrate-chrétien –formant la paire centrale de
la coalition-, n’avaient jamais jusqu’alors collaboré au sein d’un même gouvernement. Tout au
contraire, ces deux partis ont fait preuve depuis les années 1950 d’une inimitié réelle, accrue lors
des années 19702 ; enfin, le cas de la présidence De la Rúa est calibré « 0.2 », tant la culture
politique argentine est marquée par le conflit et les positions hégémoniques de ses partis, comme
décrit aux chapitres 2 et 3. En outre, la courte vie du FREPASO lors de la formation du pacte ne
permet pas de déterminer une « culture politique » propre à ce parti, en ce sens que les mécaniques
internes de ce parti n’ont pas eu le temps de se roder ni d’évoluer, en raison de sa récente création
(1995)3.
La colonne « CLIV » (pour clivage) fait état de l’intensité du système de clivage en présence,
exprimée par sa capacité ordonnatrice et son institutionnalisation. Sont notés « 1 » les cas qui
présentent un système de clivage particulièrement forts, « étanches » et institutionnalisés (cas des
1 Voir BUQUET, D., « El doble voto simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2, 2003, pp. 317-339.
2 Voir supra chapitre 3.
3 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle. Revue d''histoire, Vol. 35, No.1, 1992, pp.
67 – 77
267
présidences Aylwin, Frei et Lagos au Chili et des présidences Sanguinetti II et Batlle en Uruguay).
Nous notons « 0.66 » les cas présentant un système de clivages partiellement essoufflé (présidence
Bachelet) ; enfin, les systèmes de clivage à forte vocation structurante mais présentant un niveau
d’institutionnalisation ou « routinisation » encore inachevé sont notés « 0.5 » Il s’agit notamment
des cas des présidences De la Rúa (Argentine) et Lacalle (Uruguay) . Tous les deux surfent sur des
thématiques particulièrement clivantes, l’anti-Ménemisme pour De la Rúa, l’adoption de politiques
publiques d’orientation néolibérales pour Lacalle ; mais ces positions sont soit très floues ou
conjoncturelles (l’anti-ménemisme), soit totalement neuves et donc encore peu suivies (l’adoption
de positions néolibérales).
La colonne « PRECOZ » (pour précocité de l’accord coalitionnaire), reprend les considérations
temporelles et chronologiques présentées au début de ce chapitre au Tableau 4.1, ainsi que les
dimensions inertielles de reconduction d’accords. Sont notés « 1 », les cas présentant une formation
coalitionnaire sur un espace chronologique t-3, qui consistent donc en une reconduction de pacte
(présidences Frei, Lagos et Bachelet au Chili) ; « 0.8 », les accords formés sur un espace
chronologique t-2 (gouvernements Aylwin au Chili, et De la Rúa en Argentine) ; le gouvernement
Batlle en Uruguay est noté « 0.75 » car il combine une formation d’entre-deux-tours (t-0.5), à une
dimension de reconduction inertielle de pacte ; celui de Sanguinetti II obtient la note « 0.5 », car
bien que la coalition se soit matérialisée formellement de manière ex post (à t+1), elle s’inscrit dans
un contexte de formation inertielle des coalitions gouvernementales en Uruguay. Enfin, le
gouvernement de Luis Alberto Lacalle est noté « 0.33 », sa matérialisation post-électorale
s’inscrivant dans la continuation de la tentative –avortée- du gouvernement Sanguinetti I de
formation de coalition gouvernementale, dans un contexte de consolidation démocratique.
Enfin, la variable de contrôle « CONTXT » (pour contexte), reprend les éléments de
l’environnement socio-économique, censé favoriser le maintien de la cohésion coalitionnaire, et
elle est calibrée en fonction de conditions très favorables pour le maintien des coalitions (« 1 ») ou
très défavorables (« 0 »). Ainsi, nous notons par « 0 », les gouvernements marqués par une crise
économique de grande ampleur, ainsi que par une contraction importante du PIB (sur ce point,
l’Argentine de De la Rúa est évidemment emblématique). Nous notons « 0.2 » la présidence Batlle,
du fait de l’importation de la crise argentine, que le pays réussit néanmoins à contrôler davantage
que dans le cas argentin. Nous calibrons à 0.5 les gouvernements qui ont connu des périodes de
récession faible ou de croissance nulle (présidences de Lagos et Bachelet au Chili, et Sanguinetti II
en Uruguay). Nous notons « 0.66 » le gouvernement Aylwin qui, malgré un contexte économique
favorable, a expérimenté un coup de pression militaire qui aurait pu mettre en péril la stabilité
268
démocratique retrouvée. Enfin, les gouvernements Frei et Lacalle sont notés « 1 » car s’inscrivant
dans un contexte socio-économique particulièrement favorable.
Tableau 4.4 : Coalitions pré-électorales et durabilité des pactes coalitionnaires dans
le Cône sud : une relation peu évidente
GOUV INST CULT CLIV PRECOZ CONTXT RESULT
De la Rúa 0.75 0.2 0.5 0.8 0 0.25
Aylwin 0.8 0.5 1 0.8 0.66 1
Frei 0.66 0.75 1 1 0.8 1
Lagos 0.66 1 1 1 0.5 1
Bachelet 0.8 1 0.66 1 0.5 0.9
Lacalle 0.2 0.66 0.5 0.33 1 0.3
Sanguinetti II 0.2 0.75 1 0.5 0.5 1
Batlle 0.5 1 1 0.75 0.2 0.5
Source : élaboration propre
L’observation des valeurs de chacun des huit gouvernements qui constituent le champ d’étude
de cette thèse permet de confirmer qu’il n’y a pas d’effet mécanique institutionnel sur le maintien
des coalitions gouvernementales. En effet, le gouvernement Sanguinetti, formé dans un contexte
institutionnel peu favorable (« 0.2 »), a pourtant conservé sa cohésion sur l’ensemble du mandat. A
l’inverse, le cas chilien présente met en évidence une corrélation entre un système institutionnel
« favorable » et l’absence de dislocation coalitionnaire. Toutefois, certaines autres variables sont à
prendre en considération. Si nous prenons par exemple les coalitions s’étant maintenues tout au
long d’un mandat présidentiel, nous observons que ce sont celles qui combinent une tradition
coalitionnaire élevée (dans le cas d’Aylwin c’est bien la culture consensuelle plus que la familiarité
entre les acteurs qui entre en jeu, puisque la présidence d’Aylwin va consister en
« l’apprentissage » de vie commune entre le PDC et le PSch), avec une dimension polaire forte et
institutionnalisée et un certain degré de précocité et/ou d’inertie. Ces trois variables sont prises de
manière combinée, et non pas isolément. En effet, si le gouvernement de De la Rúa fut le fruit
d’accords précoces entre l’UCR et le FREPASO, marqués par des rapprochement pré-électoraux
notoires, il souffrait néanmoins d’e l’absence totale de culture collaborative de la part des deux
partis ainsi que d’un sentiment de « groupalité » interpartisan (voir supra chapitre ) relativement
peu évident.
269
De même, si nous nous considérons les coalitions à faible longévité (inférieure à la moitié du
mandat, comme dans les cas de Lacalle et De la Rúa), il apparaît que la culture consensuelle et
l’institutionnalisation du système de clivages influent sur le résultat final. Notons que le contexte
socio-économique n’entre, pour le coup, en ligne de compte que pour le gouvernement Batlle,
puisque dans le cas De la Rúa, la cohésion gouvernementale avait déjà implosée avant l’irruption
de la crise économique de 2001.
4.3 Conclusions
Nous avons développé dans ce chapitre, et plus largement cette seconde partie, l’argumentation
autour de trois paradigmes politistes, afin de déceler des éléments de différentiation dans la
manifestation et organisation des coalitions gouvernementales en régime présidentiel. Tout d’abord
nous avons suivi une analyse de type ingénierie constitutionnelle, consistant en une
contextualisation institutionnelle de l’approche et la prise en considération du “facteur présidentiel”
dans l’étude de la formation des coalitions gouvernementales. Ceci, afin de pouvoir comprendre la
formation de la compétition politique dans les systèmes présidentiels du Cône Sud (chapitre 3),
puis la temporalité des négociations interpartisanes. Nous avons montré que si la plupart des
travaux –encore trop rares- qui portent sur le phénomène des coalitions gouvernementales en
systèmes présidentiels se limitent à un examen synchronique de la formation coalitionnaire (le
moment “t” de la formation), dans la lignée de la plupart des travaux portant sur les systèmes
parlementaires, il est pourtant nécessaire de considérer la “temporalité présidentielle” comme un
élément d’analyse à part entière.
Nous avons ainsi cherché à présidentialiser l’étude des coalitions gouvernementales en régime
présidentiel1. Pour ce faire, nous avons mis en relief et confirmé l’hypothèse portant sur l’existence
d’un cycle politique présidentiel. Nous avons dès lors schématisé ce « cycle présidentiel » par
opposition au « cycle parlementaire » où, dans ce dernier, le gouvernement -et la réalisation de
politiques publiques par celui-ci- est beaucoup plus dépendant de la survie de sa coalition qu’en
régime présidentiel. En effet, le cas du président Batlle est assez symptomatique d’un cas de
stratégie politique où un parti –le Partido Nacional- décide lorsqu’il quitte le gouvernement, de
diminuer son exposition médiatique auprès d’un gouvernement de plus en plus impopulaire (voir
infra), tout en maintenant une image « responsable » via un soutien presque inconditionnel, sur le
plan législatif, aux mesures et décisions de ce même gouvernement.
1 Tournure qui, au-delà de l’anaphor, suppose une prise de distance avec les travaux « parlementaristes ».
270
Suivant une approche de type « path dependence », nous avons relevé l’influence significative
de l’élection présidentielle, à un et deux tours, sur la formation d’accords de coalitions, et avons
ainsi nuancé l’influence du système institutionnel sur la formation de ces accords. Après avoir
montré la valeur couperet de l’élection présidentielle (chapitre 3), il a été question de montrer
l’implication du type de coalition (négative vs/ positive) sur son degré de précocité, en montrant
que les coalitions négatives servent essentiellement à battre un troisième acteur, plutôt qu’à
déterminer l’orientation et la teneur d’un futur gouvernement (cas symptomatique de la présidence
De la Rúa). Le facteur temporel va ainsi de pair avec le principe de « groupalité ». Suivant Kaare
Strøm1, nous avons montré que la dimension polarisante, plus propre aux systèmes présidentiels,
inculque une dimension de visibilité des options politiques en compétition plus fortes qu’en
systèmes parlementaires, où l’élection suppose une dimension plus positionnante. Les régimes
présidentiels dont la compétition politique est institutionnalisée sont ainsi plus « prévisibles » quant
aux options gouvernementales, alors qu’en régimes parlementaires, ces formations peuvent
découler d’accords ex post où des « perdants » peuvent se retrouver à participer au gouvernement2,
ce qui laisse planer un doute sur la visibilité du vote des électeurs dans ce type de configuration
institutionnelle.
Enfin, nous avons eu recours à l’approche structurelle. Nous avons montré l’absence de
mécanicité déterministe entre temporalité coalitionnaire et un quelconque résultat sur le maintien de
la coalition gouvernementale, infirmant donc la troisième hypothèse posée initialement. Nous nous
sommes efforcés, en effet, de limiter l’influence de variables prises individuellement et la précocité
de formation de l’accord. Cela a entraîné une mise en évidence du caractère combinatoire des
variables et des contextes historiques pour l’appréhension de ces mêmes variables, aussi bien dans
l’espace (pays) que dans le temps (gouvernements).
Toutefois, nous nous sommes limités, pour l’heure, à l’étude des deux moments extrêmes
temporellement (formation/rupture des coalitions) propres à la seconde génération des études
coalitionnaires, telles qu’elles ont été présentées par Browne et Franklin3. Cette approche reste
incomplète voire superficielle puisque, comme cela a été montré, le « cycle coalitionnaire »
contient comme dimension centrale la « gouvernance coalitionnaire » qui n’a jusqu’à présent
encore été que peu étudiée. Une question centrale demeure la considération des partis comme
1 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Cambridge University press, 1990.
2 Ibid. Voir également à ce sujet ANDERSON, C., et TVERDOVA, Y., “ Winners, losers, and attitudes about
government in contemporary democracies”, in International Political Science Review / Revue internationale de science
politique, Vol. 22, No. 4, Oct., 2001, pp. 321-338 3 BROWNE, E., FRANKLIN, N., “New directions in coalition research”, in Legislative Studies Quarterly, Vol. 11, No.
4, 1986, pp. 469-483.
271
acteurs unitaires qui répondraient et fonctionneraient tels un seul homme, faisant fi de l’existence
de fractions ou courants internes, ou tout simplement de susceptibilités et affinités personnelles. La
prochaine partie vient répondre à cette nécessité d’une approche de la gouvernance coalitionnaire
par l’empirie, en s’arrêtant sur les dimensions « internes » et sociologiques des coalitions. Il s’agira
de voir, en plus de la composition de chaque gouvernement, les modes de sélection des candidats
puis des ministres, ainsi que les modes de résolution des controverses. Enfin, nous y aborderons
également les thèmes de la capacité et du mode de reddition de comptes.
273
Les coalitions, et autres alliances au sens large, sont le fruit d’interactions entre différents
acteurs, dont les motivations initiales viennent à converger de manière plus ou moins temporaire
autour d’un objectif commun. Quel que soit cet objectif, et pour aussi structuré et « commun » qu’il
soit, il suppose un processus de négociation intra-coalitionaire en fonction de l’objectif commun
initial. Rapporté au monde politique, les alliances peuvent se décliner de plusieurs formes suivant
les conjectures et les objectifs. Les coalitions gouvernementales ne sont qu’une forme d’alliance
politique inter-partisane, qui peut à son tour s’intégrer, de manière métonymique, dans un processus
plus large de coopération et d’intégration politique. De même, une alliance gouvernementale au
niveau national (ou « fédéral ») peut également supposer des traductions au niveau local. En outre,
les négociations encourues au niveau gouvernemental peuvent supposer différents accords quant à
la répartition de postes extra-gouvernementaux (entreprises étatiques, postes de hauts
fonctionnaires internationaux, etc…), ainsi que dans la sélection de candidats et la mise en commun
de ressources électorales (financières, organisationnelles, etc…) au niveau parlementaire.
Suivant cette optique, les deux premières parties de cette thèse se sont attachées à traiter les
phénomènes coalitionnaires de manière essentiellement théorique et politologique, depuis : i) une
considération phénoménologique et l’approche institutionnelle (partie I) ; et ii) par la
« présidentialisation » de l’approche (partie II). Si les arguments avancés dans ces deux premières
parties s’appuient sur les expériences gouvernementales du Cône Sud, et bien que nous ayons
embrassé, tout du long, une conception diachronique de ces expériences, nous nous sommes
jusqu’à présent limités à une étude de la formation et la conclusion des coalitions
gouvernementales dans le Cône sud.
Cette troisième partie est entièrement dédiée à l’étude de ce qui se passe entre ces deux
moments, que Wolfgang Müller et Kaare Strøm nomment la « gouvernance coalitionnaire »1, en
tentant de comprendre « ce que gouverner en coalition veut dire »2, en système présidentiel. Nous
chercherons à observer d’éventuelles conséquences ou évolutions à moyen et long terme, que ce
soit des changements de pratique, culture et gestion politique. En effet, en plus d’intégrer les
éléments analysés jusqu’à présent, notamment les dimensions groupales et temporelles. Il s’agira de
s’intéresser à la gestion de ces éléments et à leur implication sur « l’environnement » des coalitions.
Nous épouserons pour ce faire une optique semi-systémique du phénomène coalitionnaire en nous
1 MÜLLER, W., et STRØM, K., “The keys to togertheness: coalition agreement in parliamentary democracies”, in The
Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-282. 2 BUE, N., et DESAGE, F., « Le ''monde réel'' des coalitions L’étude des alliances partisanes de gouvernement à la
croisée des méthodes », in Politix, Vol. 22, No. 88, 2009, pp. 7-37
274
arrêtant, notamment, sur la perception de celui-ci depuis l’intérieur (par les acteurs de ce système),
puis depuis l’extérieur.
Si comme il a été précisé plus tôt, les coalitions gouvernementales -et plus particulièrement en
système présidentiel- peuvent contenir des dimensions et répercussions paragouvernementales1,
nous nous limiterons toutefois à l’analyse de leur expression au niveau du gouvernement central
(ou « fédéral »), dans le but de mettre en évidence les caractéristiques systémiques du phénomène,
tout en préservant sa comparabilité dans l’espace et le temps2. Nous inclurons en filigrane les autres
niveaux de l’alliance (notamment parlementaires) pour en déceler les éléments de négociations,
chantage ou gestion des conflits.
Le premier chapitre de cette dernière partie traitera de l’aspect organisationnel et structurel des
éléments centraux des coalitions gouvernementales: les partis politiques ; et ce afin d’analyser les
types de relation inter et intra-partisanes et les éléments qui font coalition. Il s’gira de comprendre
les motivations internes à former des coalitions et les formes de gestion d’éventuels conflits
internes à la coalition et aux propres partis. Nous combinerons alors à notre démarche structurelle
une approche plus sociologique, à la fois des gouvernements et des membres de ces
gouvernements. Enfin dans le second chapitre, nous nous intéresserons à deux thématiques : a) la
composition des différents gouvernements de coalition du Cône Sud, et leur impact présumé sur la
gestion gouvernementale, et b) la reddition de comptes des gouvernements de coalition, tant vis-à-
vis des partenaires de coalition que de la société. De la sorte nous replaçons le système
coalitionnaire dans son environnement politique immédiat et la perception/ évaluation de la gestion
gouvernementale et politique de la part des sociétés ayant expérimenté ce type de configuration
gouvernementale.
1 En ayant ou non, par exemple, des formalisations et matérialisations aux différents nivaux locaux et/ou provinciaux
(« régionaux », en français). 2 Les trois sociétés qui forment le terrain d’étude de cette thèse n’ayant pas nécessairement le même degré de
décentralisation. De plus certaines composantes constitutionnelles (niveau de représentativité locale), politiques (type
d’élection) et sociales (composantes ethniques et démographiques) entrent en compte, ce qui rend ardu la comparaison
de la matérialsiation des pactes nationaux au niveau local.
275
Chapitre 5 : Structuration partisane et
connexité interne aux coalitions.
« La synthèse c’est l’unité plus quelque chose… l’absence de synthèse c’est de toute façon l’unité »
François Mitterrand, discours de clôture du 61e congrès du Parti Socialiste
Nantes, 18 juin 1977
La formation d’un gouvernement de coalition, en régime présidentiel, découle, comme on l’a vu,
de facteurs structurels et temporels différents de ceux propres aux régimes parlementaires. Pour
autant c’est bien le modèle d’analyse de ce dernier type de régime qui était jusqu’à présent resté
sans questionnement, et appliqué tel quel pour tous les processus de coalitions politiques. Les
chapitres précédents ont partiellement abordé et testé d’un point de vue théorique, la considération -
assez répandue- de condition d’instabilité des gouvernements de coalition en régime présidentiel.
Les facteurs d’instabilité et de conflictivité contextuelle –notamment l’absence ou la perte de
majorité au niveau législatif- sont des éléments qui peuvent se produire dans toutes les
configurations constitutionnelles possibles1, mais dont les effets et les répercutions tant sur le
niveau que le type d’instabilité tendent à différer en fonction de la configuration constitutionnelle.
Les gouvernements en systèmes parlementaires –et à fortiori les gouvernements de coalition-
seraient, du fait de la dépendance de l’exécutif sur le législatif qui les caractérise2, plus enclins à
souffrir d’instabilité gouvernementale. Celle-ci se définit comme une incapacité, pour un Etat
donné, à se doter durablement d’un gouvernement effectif, ou plus généralement par la chute
précoce d’un gouvernement des suites, notamment, d’une motion de censure ou d’un vote de
défiance3. Tout changement dans la composition gouvernementale ne correspond ni ne caractérise
des cas d’instabilité gouvernementale. L’occurrence, relativement courante, de remaniements
ministériels ne constitue pas, non plus, des cas d’instabilité gouvernementale en soi, puisque
l’intégrité du gouvernement, n’est pas automatiquement remise en question.
Le principe de la fixité des mandats, propre aux systèmes présidentiels, fait que les cas
« d’instabilité gouvernementale » ne soient, d’un point de vue essentiellement théorique, que peu
récurrents. Comme il a été dit dans le chapitre 4, la sortie du gouvernement d’un partenaire
1 Nous rappelons que les configurations semi-présidentielles et apparentés (premier-presidentiel, semi-parlmentariste,
etc.) se rapprochent, sur ce thème, davantage de la logique parlementaire, le gouvernement rendant compte face au
parlement. 2 CHEIBUB, J.A., Presidentialism, parliamentarism, and democracy, Cambridge University Press, 2006.
3 On peut prendre comme exemple de cela l’Italie des années 1990- 2000 et les différents gouvernements Prodi, qui on
fait preuve d’une durée de vie n’atteignant jamais les deux ans (mai 1996- octobre 1998/ mai 2006- mai 2008).
276
coalitionnaire (un parti), des suites d’un remaniement ministériel ou d’une (auto)éviction, ne
conduit que très difficilement à ce que se produise un cas d’instabilité et de « vacance »
gouvernementale. En contrepartie, il est convenable de rapporter la notion de stabilité
gouvernementale à celle de « rendement gouvernemental ». La séparation des pouvoirs en système
présidentiel permet la survenue d’« impasses institutionnels » qui peuvent conduire à la possibilité
de cas de figures, où un président élu serait fragilisé voire bloqué par une majorité parlementaire
récalcitrante.
Parallèlement, les cas « d’acéphalie gouvernementale totale1 » en régime présidentiel, du fait de
la « double casquette » de chef d’Etat et de gouvernement, s’appliquent davantage à la notion
d’instabilité politique. La vacance y est double, puisque si un président démissionne, ou « est
démissionné », l’Etat reste sans cet élément de stabilité et d’unicité nationale, que sont censés
constituer les figures des monarques et autres présidents, dans les régimes parlementaires2. Ces
phénomènes supposent et entraînent, en effet, une dimension de blocage institutionnel beaucoup
moins probable, à priori, en système parlementaire, à cause du caractère non-électif (ou de manière
faiblement représentative) du chef de l’Etat3. Enfin, par extension, les cas « d’instabilité
démocratique » seraient une manifestation exacerbée d’instabilité politique4.
Pour autant, si nous nous en tenons aux gouvernements de coalition en systèmes présidentiels, et
à leur potentielle « durabilité », autour de la question, rappelons que nous avons précédemment
montré la faiblesse empirique des différents modèles théoriques qui prédisent la survie des
coalitions à partir de variables propres à « l’environnement politique », lequel est abordé d’après
des variables essentiellement institutionnelles et donc extérieures. La question qui suit celle
concernant les motivations à la formation de coalitions interpartisanes, consiste à se demander ce
qui rend uni les partis : observe-t-on des éléments de « maintien » et de
« stabilisation » coalitionnaire ? Et si oui, de quelle nature sont-ils et comment influent-ils sur la
cohésion coalitionnaire ?
1 MAURICH, M., “Cuando perdemos la cabeza. La acefalía del ejecutivo en los sistemas presidencialistas de gobierno:
Argentina en perspectiva comparada”, in Revista SAAP, Vol. 2, No. 3, 2006, pp. 537-562 2 Nous reprenons ainsi l’argument de Juan Linz sur la stabilité institutionnelle propre aux régimes parlementaires, dont
les chefs de l’Etat bien que ne tirant pas leur légitimité d’une élection directe, incarnent l’unité et l’ordre de la nation.
Voir LINZ, J. J., “The virtues of parliamentarism”, in Journal of Democracy, Vol. 1, No. 4, 1990, pp. 84-91. 3 En ce sens, les systèmes semi-présidentiels constituent un juste-milieu entre les deux options, le président étant à la
fois chef de l’Etat et de l’exécutif (mais pas du gouvernement) mais disposant d’un mandat électif sur un véritable cycle
électoral (le président n’est pas président ad vitam). Notons qu’Israel constitue un cas particulier, de système
parlementaire « pur » combiné à l’élection directe du premier ministre. 4 Notons, toutefois, dans la littérature portant sur les questions de stabilité et instabilité gouvernementale et politique la
contribution d’André Siegfried faisant état de la dualité entre instabilité gouvernementale et stabilité des corps de
fonctionnaires de l’Etat. Voir SIEGFRIED, A., Tableau politique de la France de l’ouest sous la troisième République,
Bruxelles, Editions de l'Université de Bruxelles, 2010 [1913] ; et SIEGFRIED, A., Aspects du XXe siècle, Hachette,
Paris, 1955.
277
Si nous avons présenté un début de réponse à cette question, en abordant au chapitre 3 le
principe de « groupalité polaire », particulièrement exacerbée en régime présidentiel, il s’agit
désormais d’étudier les éléments de structuration et de « connexité » internes aux coalitions. Cela
suppose de s’arrêter sur l’analyse du comment entrent en relation les différents membres et quelles
sont leur « stratégies » et autres patrons de cohésion interne. Cette question requiert une étude des
relations internes aux coalitions et, simultanément, des modus operandi interpartisans aussi bien
formels (via un accord commun) qu’informels. Nous allons donc analyser la forme de gestion ou de
prévention d’éventuels conflits internes aux coalitions gouvernementales et les éventuels
mécanismes de discipline coalitionnaire.
5.1 Connexité, cohésion partisane et la conception « d’acteurs unitaires » des partis.
Nous avons préalablement, au chapitre 3, étudié les partis en régime présidentiel en fonction de
leurs relations « polaire ». Nous avons relevé en effet que la figure du président et sa légitimité
élective tendait à renforcer la structuration du système partisan en « pôles d’identification » où les
différents acteurs se définissaient suivant la notion de groupalité polaire. Cette notion identitaire
situe donc les groupes de partis vis-à-vis d’un autre groupe ou « pôle » opposé. Ce principe
constitue ainsi un marqueur « d’appartenance groupale » dont les principes de structuration
reposent à la fois sur des bases de convergence et de différentiation commune avec un autre groupe.
Ce principe est donc, par définition, à la fois « positif » et « négatif ».
Pour autant, ce principe n’aborde pas, à lui seul, les liens ou « liants » intra-groupaux, ni ne
renseigne sur le fonctionnement interne de ces même groupes. Nous allons, ainsi, dans le sens de la
littérature structuraliste en cherchant à étudier les liens de connexion ou « connexité » interne aux
groupes (coalitions), ainsi que la nature des réseaux politiques. En effet, l’étude de la chaîne de
décisions et des rapports de pouvoirs entre les différents acteurs qui forment la coalition politique,
vient informer sur la structuration et l’organisation de cette même coalition. Ainsi, pour son
application à l’étude des phénomènes coalitionnaires, l’analyse du principe de connexité se réalise
en complément de celle de groupalité et non parallèlement à celle-ci. Les rapports de pouvoirs entre
différents acteurs s’inscrivent en plein dans le rapport d’appartenance ou d’identité qui les lie, et
forme de ce fait un « système social »1. Celui-ci vient former et assurer la cohésion de la coalition.
Une présentation théorique succincte et mise en condition de ces notions s’avère alors nécessaire
pour aborder l’étude des coalitions depuis l’intérieur.
1 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance, Presses Universitaires de Laval, Québec, 2006.
278
Enfin, il est une dimension, propre à l’étude des coalitions partisanes, qui est largement sous-
étudiée bien que fondamentale à l’élaboration de grille de compréhension du comportement
coalitionnaire : l’unité d’analyse. Comment doivent être abordés les partis et leurs agents dans leurs
relations avec les autres partenaires (ou « joueurs ») ? Y’a-t-il un acteur partisan minimal ou
« cellulaire »1, par défaut ? Et, de ce fait, de quelle manière l’organisation interne d’un parti peut-
elle influer sur ses relations avec d’autres partenaires ? Ce sous-chapitre s’intéresse donc, partant
d’un point de vue théorique, à la structuration des relations inter-partisanes et l’organisation des
mécanismes de gestion de la coalition.
5.1.1 Rapports et structuration du pouvoir politique
Le fondement de cette thèse consiste en une approche de type « théorie politique ». Pour ce
faire, il est nécessaire de déceler les différences structurelles et les particularismes propres aux
systèmes présidentiels quant à la formation de coalitions gouvernementales et la « gouvernance
coalitionnaire ». Cela pousse donc à s’intéresser à l’impact de la configuration constitutionnelle
présidentielle, sur les relations inter-partisanes et intra-partisanes.
Prise de manière schématique, la fonction principale d’un gouvernement -et à fortiori d’un
gouvernement de coalition- consiste à prendre des décisions à teneure politique quand à
l’élaboration, la ratification ou l’abrogation de politiques publiques. Dès lors, dans ce processus il
incombe de se demander quel est le rôle joué par les différents acteurs du gouvernement, et quelles
sont les relations de pouvoir décisionnel et de contrôle décisionnel à l’intérieur de l’équipe
gouvernementale. En effet, ce sont ces mêmes rapports de pouvoirs et la connexion des acteurs
entre-eux, et vis-à-vis de ce pouvoir, qui constituent la base du principe de connexité et qui
définissent ainsi la nature de la structuration systémique du groupe étudié. En se basant sur la
théorie des graphes, Vincent Lemieux identifie onze « types » de rapports de pouvoirs, en fonction
de la capacité à prendre une décision, et de la capacité de contrôle sur la décision finale2, lesquels
s’étalent sur trois niveaux de connexité : i) la connexité forte, ou « coarchie », lorsque les rapports
entre les différents acteurs sont fluides et directs, et où dans chaque couple d’acteur (A et B), la
prise de décision peut émaner et être contrôlée dans les deux sens (de A vers B, ou de B vers A) ; ii)
la connexité semi-forte ou « stratarchique », lorsque la prise de décision et/ou le contrôle incombe
1 Nous reprenons cette formule de la théorie des systèmes où la « cellule » constitue l’élément minimal cohérent et
indivisible. 2 En plus de l’absence de pouvoir, Vincent Lemieux dresse, au travers d’une relation “simple” entre deux acteurs –A et
B-, les rapports: i) unilatéraux, ii) conjoint, iii) nul, iv) bilatéral, v) supérieurs, vi) unidirectionnels, vii) équivalent, viii)
mutuel, ix) incompatible, x) prévalent, et xi) diversifié. Voir LEMIEUX, V., op. cit., p.27-35.
279
de manière directe et indifférenciée à plusieurs acteurs mais pas à tous ; enfin iii) la connexité est
qualifiée de quasi forte ou « hiérarchique » lorsque les rapports de pouvoirs émanent et convergent
vers un « centre ».
Dans cette même démonstration, Lemieux différencie également les formes de structuration de
la prise de décisions autour de deux types de structures organisationnelles opposées: a) les réseaux,
qui tendent à présenter une forme coarchique de connexité, où les relations entre les acteurs tendent
à être informelles, « pluri-redondantes » et constamment en relation avec l’environnement ;
lesquels sont opposés à b) les appareils qui présentent une forme plus hiérarchisée de prise de
décision et de contrôle et où seul le sommet serait relié à l’environnement. Entre les deux se
trouveraient c) les quasi-réseaux, où si bien tous les acteurs sont centraux, il existe des relations
unidirectionnelles entre certains acteurs ; et d) les quasi-appareils, marqués par une connexité
« semi-forte », où les centres de décisions sont limités et où il existe une certaine structuration en
arborescence entre certains acteurs1. Les réseaux présentent ainsi une plus grande dépendance vis-
à-vis de l’environnement, alors que les appareils sont structurés autour de relations de pouvoirs plus
définis, et semblent de ce fait fonctionner de manière quasi-autonome. Lemieux montre ainsi la
tendance à la rigidité des rapports, en fonction du niveau et du champ du pouvoir. Dit autrement
plus le pouvoir est important, plus la probabilité de la structuration en réseaux décroit.
De manière classique, les rapports de pouvoir dans un gouvernement en système parlementaire,
et plus particulièrement lorsqu’il est composé d’acteurs issus de différents partis, semblent être
connectés de manière quasi coarchique, et prennent la forme de structuration des rapports de
pouvoir proche du modèle du quasi-réseau, avec une légère prépondérance pour le premier
ministre2. Les décisions de chacun sont soumises au contrôle ou « l’approbation » de l’ensemble
des autres participants. De plus, le degré d’autonomie du gouvernement -et donc du premier
ministre-, vis-à-vis de son parti semble particulièrement faible ; ce dernier constitue alors en
quelque sorte, dans une relation de principal-agent, le « principal » qui veille et contrôle l’activité
de son « agent » (le gouvernement, ou du moins le premier ministre). Ainsi, lorsque l’action du
premier ministre, ou tout simplement sa popularité, dessert les desseins du parti –et à fortiori de la
coalition- qui le soutien, ce même parti peut alors manifester une défiance envers son propre chef.
Un exemple paradigmatique de ce cas de figure est l’abandon du soutien du Parti conservateur
britannique envers son premier ministre, Margaret Thatcher, en 1990 et la démission de celle-ci au
1 LEMIEUX, V., “Réseaux et coalitions”, in L'Année sociologique, vol. 47, no 1, 1997, pp. 351-370.
2 Tel un cas de “primus inter pares”, comme l’a défini Giovanni Sartori. Voir SARTORI, G., Ingeniería constitucional
comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995, p.118.
280
profit de John Major, lequel présentait une personnalité jugée moins fermée et controversée1. Ainsi,
Vincent Lemieux résume, en paraphrasant Groennings, que :
« …les coalitions gouvernementales fonctionnent selon une règle d'unanimité, pour empêcher les
adversaires d'exploiter les divisions internes à la coalition et pour promouvoir l'esprit de
consensus entre les membres. Cette règle d'unanimité, qui n'exclut pas le marchandage
(logrolling), suppose évidemment que chacun des participants puisse influencer directement ou
indirectement chacun des autres, par du pouvoir conjoint ou du pouvoir unilatéral. Cela est
d'autant plus facile qu'il y a peu de partis dans la coalition et que leurs atouts ne sont pas trop
inégaux. »2
Toutefois, ces cas de figure ne semblent pas correspondre tout-à-fait à la configuration
constitutionnelle des régimes présidentiels, où le président ne dépend pas d’une quelconque
majorité parlementaire pour se maintenir, même s’il a besoin de compter, au minimum, sur une
minorité de parlementaires afin de s’éviter la formation d’une majorité qualifiée hostile. Les
négociations internes peuvent paraître donc moins intenses et systématiques qu’en système
parlementaire. Les gouvernements en régime présidentiel tendent donc à être plus autonomes face à
leur « entourage partisan » qu’en système parlementaire, et paraissent présenter un fonctionnement
proche de la structuration de l’appareil, où les partis délèguent la tâche gouvernementale et
électorale au candidat puis président –et son équipe- en place, et tendent à s’aligner davantage
autour de celui-ci3. Nous avançons, ainsi, que les gouvernements de coalition en régime
présidentiel tendent à s’organiser tel des systèmes semi-étanches, où la figure du président demeure
prévalente mais où les rapports de pouvoirs ne sont pas, pour autant, unidirectionnels. En ce sens,
les gouvernements de coalition en régime présidentiel constituent une sorte de pont relationnel
entre le chef de l’exécutif autonome et l’environnement parlementaire, en ce sens qu’ils confèrent
une connexion légitimatrice et facilitatrice auprès du président avec le parlement, pour l’élaboration
de politiques publiques.
Ainsi David Samuels et Matthew Shugart vont dans ce sens lorsqu’ils avancent que :
« … la survie autonome signifie que les présidents ont peu à craindre de leurs propres collègues,
un fait qui donne lieu à des obstacles qualitativement différentiés quant à la cohésion intra-
partisane et modifie l'équilibre intra-partisan du pouvoir en faveur des cadres élus au suffrage
direct, et ce en ce qui concerne la formation du gouvernement et des nominations politiques et
bureaucratiques. »4
1 FOLEY, M., John Major, Tony Blair and a conflict of leadership: collision course, Manchester University Press,
2002. 2 LEMIEUX, V., “Réseaux et coalitions”, op. cit, p.395
3 SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers: How the separation of powers affects
party organization and behavior, Cambridge University Press, 2010, p.16. A noter que les auteurs montrent que ce
rapport de pouvoirs, en systèmes semi-présidentiels, semble similaire à celui des systèmes clairement présidentiels. 4 Ibid p.15. Traduction propre.
281
Ces considérations supposent donc d’étudier les types de rapports de pouvoirs entre les
différents postes de l’exécutif, ainsi que les relations entre membres issus de partis différents. De ce
fait, il est central de s’attarder sur la structuration organisationnelle des partis qui forment les
gouvernements de coalition, et sur l’impact de ceux-ci sur le type de connexité inter-partisane.
Toutefois, cela pose un problème en termes d’unité d’analyse. En effet, si les coalitions ne sont pas
des ensembles unitaires, puisqu’elles sont la convergence de différentes organisations partisanes, il
en va de même pour les partis, qui sont le fait de l’adjonction d’individualités mus par des intérêts
divers. Cela pousse alors se demander quel est le degré de cohérence interne à ces groupements
coalitionnaires et partisans ? Nous avançons comme piste d’analyse l’étude organique des partis et
systèmes de partis en système présidentiel, et leur niveau de cohérence propre. Les partis en
système présidentiel tendraient ainsi à présenter de niveaux de cohérence potentiellement plus
lâches qu’en régime parlementaire.
5.1.2. Cohérence, institutionnalisation partisane et le mythe de la
conception unitaire des partis ?
L’essence première des partis politiques consiste en la mise en commun de ressources
individuelles à l’intérieur d’une structure institutionnelle dans le but de faire valoir ou connaître des
intérêts politiques communs. Nous avons précédemment insisté sur le fait que le « fait générateur »
du parti, entendu comme la raison fondatrice et la nature sociologique des acteurs « fondateurs »,
ainsi que le contexte sociopolitique forment autant d’éléments qui constituent et conditionnent la
« marque identitaire » du parti et son degré d’homogénéité. Nous avons, notamment, montré que la
conception européenne de structuration des partis autour de clivages sociaux ne s’appliquait que
partiellement à d’autres réalités sociales et institutionnelles. Toutefois, il est judicieux de garder à
l’esprit que les partis sont, par nature, des sortes de « coalitions d’intérêts individuels », qui forment
des espaces de concurrence internes mus par des ambitions interpersonnelles, et régis par des règles
plus ou moins formelles. Nous allons alors dans le sens de Michel Offerlé:
« Etudier un parti, c’est étudier les interactions visibles qui se déroulent dans un certain espace de
jeu, c’est insister aussi sur le “liant” invisible qui associe des agents dans une coopération
concurrentielle. […] Un parti doit être analysé comme un espace de concurrence objectivé entre
des agents ainsi disposés qu’ils luttent pour la définition légitime du parti et pour le droit de parler
au nom de l’entité et de la marque collective dont ils contribuent par leur compétition à entretenir
l’existence ou plutôt la croyance en l’existence »1.
1 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006, pp.24-25
282
Or, pour des raisons de simplification analytique, on observe dans la littérature dominante une
approche « réifiante » des partis politiques et de leur homogénéité1. En effet, le présupposé du « gel
des clivages » dans les démocraties occidentales, a conduit à ce que la plupart des théoriciens des
coalitions -aussi bien en système parlementaires que présidentiels-, qui s’inscrivent à la croisée des
paradigmes néo-institutionnalistes et du choix rationnel, n’orientent leur analyse de manière
interpartisane, et considèrent les partis comme des acteurs unitaires, idéologiquement homogènes2.
La dimension intra-partisane relèverait d’une « boîte noire », dont la portée est largement
minimisée car difficilement accessible. C’est sur ce présupposé que reposent les travaux qui traitent
des relations de « préférence » des partis en matière de coopération. Celles-ci s’établiraient en effet
en fonction de leurs supposées « positions idéologiques unitaires »3 qui seraient déterminées, pour
les plus sophistiquées, par l’étude des « manifestes partisans ».
Suivant cette approche, les leaders partisans constituent autant de « gardiens du temple », qui
veillent à la fois sur le maintien de la marque partisane et sur l’unicité du parti. Ce présupposé a
conduit à ce que s’opère une approche exogène des partis comme des «faits donnés», où toutes les
sous-unités seraient homogènes et cohésionnées entre-elles et agiraient de façon cohérente sur un
champ temporel figé, car ces sous-unités seraient liées par un intérêt et une stratégie commune4. De
ce fait, les coalitions gouvernementales se limiteraient à n’être que la somme des intérêts des partis
« unifiés » qui les composent, et cela vers un but (ou « utilité ») commun(e). L’élaboration du
modèle d’analyse supplante ainsi le propre objet d’analyse, jusqu’en devenir le propos d’étude, ce
qui explique en grande parti le caractère abstrait de ces travaux et leur faible capacité prédictive.
Michel Offerlé résume ainsi cet argument en insistant sur le fait que cette approche constitue :
«…tout le problème de la sociologie des alliances et de la théorie des coalitions où l’on considère
que les choses que l’on additionne sont suffisamment unifiées pour qu’on puisse faire l’économie
de la sociologie interne »5
Pus récemment un nombre croissant de travaux, essentiellement parlementaristes6, s’est intéressé
à la dimension intra-partisane, et donc au « liant » intra-partisan. La principale grille de lecture
1 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la
gauche à Calais (1971-2005) », Thèse de doctorat, Université de Lille 2, Décembre 2006. 2 Et ce jusque récemment, à titre d’exemple, MÜLLER, W., et STRØM, K., “The keys to togertheness: coalition
agreement in parliamentary democracies”, in The Journal of Legislative Studies, Vol. 5, No. 3/4, 1999, pp. 255-282, et
STRØM, K., “A Behavioral Theory of Competitive Political Parties”, in American Journal of Political Science, Vol.
34, No.2, 1990b, pp. 565-598. 3 Ordonnées sur des échelles linéaires.
4 SARTORI, G., Partidos y Sistemas de partidos: Marco para un análisis, Alianza Editorial, Madrid, 1980, pp. 97-111.
5 OFFERLE, M., et LECA, J., « Un Que sais-je ? en questions. Débat autour des partis politiques de Michel Offerlé »,
in Politix, Vol. 1, No. 2, 1988, p. 58. 6 GIANNETTI, D., et BENOIT, K., Intra-party Politics and Coalition Governments, Routledge/ECPR, New York,
2009; BÄCK, H., et DUMONT, P., “Combining large-n and small-n strategies: The way forward in coalition research”,
283
passe par l’étude croisée de la cohérence partisane sur trois niveaux : i) idéologique, ii)
programmatique et iii) organisationnel ; et son impact sur l’aspect comportemental exprimé en
termes de cohésion ou « discipline » partisane. Ces notions sont généralement rapportées à celle
d’institutionnalisation des partis et des systèmes de partis, et semblent avancer l’hypothèse que a)
plus un parti est institutionnalisé et plus il présente un « degré de cohérence interne » élevé1, alors
b) plus le niveau de cohésion et de discipline partisane serait important, et donc plus leur degré de
« responsabilité » serait élevé. Dès lors les coalitions politiques structurées autour de ce type de
partis « cohérents » seraient donc censées être plus prévisibles et durables. Inversement, les partis
qui présentent des degrés de fractionnalisation interne élevés seraient moins propices à faire partie
de coalitions à cause de leur caractère supposément « imprévisible »2. Le Tableau 5.1, présente
ainsi la différence d’approche théorique en fonction de la présence d’acteurs partisans supposément
unitaires ou « homogènes » et d’acteurs plus « hétérogènes ». Nous serons amenés par la suite à
commenter et critiquer sa portée théorique, depuis les données empiriques des systèmes partisans
du Cône Sud.
Tableau 5. 1 : Différence théorique des considérations interpartisanes en fonction de
la « nature des partis » en présence.
Partis comme acteurs unitaires
Partis divisés ou “coalition
d’intérêts individuels”
Positions
politiques/
idéologiques
Position simple, affinités politiques clairement définies sur des bases idéologiques
Variété des positions idéologiques, affinités interpartisanes complexes
« options
coalitionnaires » Eventail simple, concernant la variété des
« préférences idéologiques »
Eventail ample et varié, préférences conflictuelles et divergentes de part la
variété des positions idéologiques.
Forme de la
négociation Bilatérale entre les différents leaders
partisans.
Multilatérale, entre les leaders de chaque faction interne et avec les leaders des
factions des différents partis.
Source : Laver et Schoffield (1990) et Reniu (2001)
in West European Politics, Vol. 30, No. 3, 2007, pp. 467-501; BÄCK, H., “Intra-party politics and coalition formation”
in Party Politics, Vol. 14, No. 1, 2008, pp. 71-89; STEFURIUC, I., “Party unity in multi-level settings”, in
GIANNETTI, D., et BENOIT, K., op. cit pp. 86-100. A noter, toutefois, l’incursion dans ce domaine en système
présidentiel réalisée par ALTMAN, D., “The Politics of Coalition Formation and Survival In Multiparty Presidential
Democracies: The Case of Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No.3, 2000, pp. 259–283. 1 Notion entendue comme le degré d’homogénéité comportementale et identitaire entre les membres d’un parti autour
de questions substantielles. Voir RUIZ RODRIGUEZ, L., La coherencia partidista en América Latina : parlamentarios
y partidos, Cento de Estudios Políticos y Constitucionales, Madrid, 2007. Nous sommes, néanmoins, tout-à-fait
conscient du caractère ambigü de la dénomination « membres », et de la représentativité des échantillons étudiés,
généralement législatifs ou autres « élites » partisanes. 2 BACK, H., “Intra-party politics and Coalition formation”, in Party Politics ,Vol 14, No.1, pp. 71–89
284
5.1.3. Cohérence, cohésion et discipline partisane : un modèle commun
d’application à la théorie des coalitions ?
Ces « mises à jour théoriques » sont venues enrichir l’approche dominante de la théorie des
coalitions, et ont ainsi renforcé l’ancrage de l’approche vers le paradigme du choix rationnel. En
effet, elles introduisent, en substance, certaines « variables indépendantes » et un niveau de
complexité au modèle d’analyse comportemental. Elles incluent, ainsi, une individualisation de la
dimension partisane au travers d’une modélisation des rapports internes aux coalitions autour d’une
relation de type principal-agent sur deux niveaux, entre trois acteurs fictifs issus de deux partis
coalisés X et Y : i) un membre α d’un parti X (parlementaire, ministre, etc…) ; ii) le chef β de ce
même parti X ; et iii) le chef λ du parti Y, et chef du gouvernement. Dans ce modèle simple1,
schématisé par la figure 5.1, le chef du parti X intervient comme principal de l’ensemble des
membres de son parti, lesquels détiennent un pouvoir d’action2 vis-à-vis de l’action
gouvernementale (vote au parlement, comportement ministériel, etc…), et intervient sur ceux-ci de
deux manières possibles : a) il peut exiger une discipline « coalitionnaire » avec le gouvernement ;
ou b) permettre que le comportement de chaque membre soit dicté par son libre arbitre.
Dans le même temps, le chef du parti X est également un « agent » du chef de parti Y –ou du
chef du gouvernement- auprès duquel il s’est engagé, généralement de manière tacite, à garantir et
préserver l’engagement de son parti en solidarité avec l’action gouvernementale. En résumé, β
détient un pouvoir de contrôle des actions des membres de son parti, tout en répondant de l’action
collective de son parti auprès de λ.
1 Voir, notamment, LAVER, M.,“Devided parties, devided government”, in Legislative Studies Quarterly. Vol. 24.
No.1, 1999, pp. 5-29. 2 A ne pas confondre avec le « pouvoir de véto » conceptualisé par George Tsebelis
285
Figure 5.1 : modèle de relation intra-partisane et solidarité coalitionnaire
La capacité de β à faire respecter l’engagement solidaire vis-à-vis de λ, sur les membres de son
parti, est ainsi conditionnée par la marge de manœuvre que ce même leader à imposé à l’intérieur
de son parti. Le pouvoir et la légitimité de sanction envers un membre α non-solidaire, est donc
moindre dans le cas où β permet le libre arbitre. En revanche, si β émet une directive de respect de
la cohésion de la coalition, et qu’un (ou plusieurs) membre(s) enfreint (enfreignent) cette consigne
disciplinaire, il revient alors à β, en fonction de l’impact de cet impair, de sanctionner le(s)
membre(s) rebelle(s). Le cas échéant, le non respect de la discipline coalitionnaire peut conduire
jusqu’au propre retrait du parti X de la coalition, en fonction des effets sur l’action du
gouvernement répercussions liés à ce manquement à la solidarité coalitionnaire, sur l’action et la
crédibilité du gouvernement ; et/ou des conséquences sur la propre cohésion du parti X1. Enfin,
chaque décision prise par β -sanction envers α ou rupture avec λ- est supposément déterminée en
fonction d’un rapport utile coût/bénéfice.
1 Perception en interne de la sanction ou de l’absence de sanction envers α.
Source : Laver (1999)
Non respectée
Liberté d’action autorisée
β α β λ
Dimension intra-partisane
286
Pour autant, malgré l’introduction de l’éventualité de la « complexité » intra-partisane, les
relations, schématisée par la figure 5.1, sont toujours considérées d’un point de vue utilitariste, dont
l’acteur central est le leader du parti, conformément à la notion de parti institutionnalisé (voir supra
2.1.1). Nous avons pourtant montré précédemment que la notion même de partis
« institutionnalisés » relevait d’une conception particulièrement ample où n’entrait pas
nécessairement en considération, contrairement à ce qui est largement préconisé, la définition d’une
ligne idéologique ou programmatique durable et unique. Ainsi, les grands regroupements partisans
décrits par Otto Kirshheimer comme « attrape-tout » (catch all), se structurent-ils sur des bases
sociales autrement différentes1, et présentent de degrés d’hétérogénéité plus ou moins amples et
plus ou moins institutionnalisés (en courants, mouvances, fractions…), et des « liants » tout aussi
divers et variés (patronage, relation personnelles, etc…). Les partis « d’idéologies », largement
considérés comme l’essence-même des partis (ou « partis 0 ») ne constituent, finalement, qu’une
sorte -ou type- de partis, dont la proportion tend à être de moins en moins courante2. Nous
convenons, cependant, en accord avec la théorie de l’action collective que les partis politiques
recherchent en général, le plus possible, à se prévenir de tout action individuelle, de type passager
clandestin, contraire à l’intérêt « général » du parti, via l’établissement de motivations
(rétributions) ou sanctions3.
Par ailleurs, la configuration constitutionnelle présidentielle semble interférer sur la forme de
structuration organisationnelle des partis politiques puisqu’elle structure, entre autres, la
compétition partisane de manière nationale autour de la propre élection présidentielle. Léon Epstein
a ainsi montré que le système présidentiel présente une compétition politique duale : la compétition
pour la présidence (ou le gouvernement), et la compétition pour les sièges parlementaires. Cette
dernière est une compétition plus régionale ou « provinciale »4, à l’inverse la compétition pour le
gouvernement est par nature nationale. En somme, en régime présidentiel5, les partis qui
ambitionnent de faire parti du gouvernement se doivent donc d’adopter une porté nationale et faire
partie de la compétition sur l’ensemble (ou la majeure partie) du territoire national. Et cela, soit en
présentant un candidat, soit en s’alliant dans une coalition électorale. Sans compter que l’élection
1 Voir supra, chapitre 2.
2 La pesonnalisation des partis ne constitue-t-elle pas d’ailleurs l’une des caractéristiques de la “démocratie du public”
telle que la décrit Bernard Manin? Ce dernier centrant pourtant son analyse de la « métamorphose du gouvernement
représentatif », essentiellement sur les démocraties d’Europe occidentale. Voir MANIN, B., Principes du gouvernement
représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995] ; ABAL MEDINA, J. “Elementos teóricos para el análisis
contemporáneo de los partidos políticos: un reordenamiento del campo semántico”, in CAVAROZZI, M., et ABAL
MEDINA, J., El Asedio a la Política, Homo Sapiens – Konrad Adenauer, Rosário, 2003, pp 33-55. 3 Le plus souvent directe : politique (risque d’exclusion du parti) ou financière ; mais également indirecte : sociale (non
valorisation ou rétribution à des membres proches, etc…). Encore faut-il établir quel est l’intérêt du parti… 4 Excepté, partiellement, en Uruguay où les sénateurs sont élus sur une circonscription nationale unique.
5 Et d’une certaine manière en système semi-présidentiel
287
présidentielle constitue le point de repère et d’ancrage de la compétition électorale, autour de
laquelle s’identifient et s’alignent les candidats parlementaires, ce qui leur permet ainsi de garder
une certaine autonomie1. La figure présidentielle (ou celle du candidat à la présidentielle) constitue
alors le principal liant entre les parlementaires (ou candidats parlementaires), et de sa popularité
nationale peut dépendre leurs résultats à l’échelle locale.
Cette dualité comportementale et organisationnelle, à la fois locale et nationale, peut donc
contribuer à ce que la structuration des partis politiques en système présidentiel et leur cohérence
interne –surtout idéologique-, ne présente des niveaux plus lâches qu’en système parlementaire2,
via la délégation de l’image partisane auprès du président, ou du candidat à la présidence. Enfin, le
cas uruguayen nous a éclairé précédemment sur le fait que les partis en système présidentiel ne
contiennent pas nécessairement « un » leader institutionnalisé car élu comme « chef » de parti, ce
rôle revient alors le plus souvent au candidat à la présidentielle, ou au candidat le de la fraction la
plus votée lorsque la loi électorale permettait la multiplication des candidatures partisanes à la
présidentielle. De même, on retrouve en régime présidentiel certains postes intermédiaires qui ne
sont pas toujours séparés en régime parlementaire (chef de parti, président du parti dans les diverses
chambres parlementaires, président du directoire, etc…), sans compter sur les figures du parti ou
« barons » dont l’aura peut venir concurrencer voir court-circuiter l’autorité du chef de parti en
exercice, tels les anciens présidents ou anciens candidats à la présidentielle etc…
De ce fait, la configuration présidentielle semble « affecter » le type de partis en lice, du moins
dans leur dimension organique, où ceux-ci paraissent présenter une présidentialisation -donc
« hiérarchisation »- de leur structure organisationnelle3. Les partis, même institutionnalisés,
lorsqu’ils sont d’envergure nationale sont considérés comme structurés pour l’élection
présidentielle, en ce sens qu’ils présenteraient un niveau d’hétérogénéité importante autour de la
« marque » du parti, lequel est le seul à même de faire accéder ses membres à des postes de
pouvoir. Ils présenteraient ainsi des niveaux de délégation interne auprès de l’agent « leader
partisan » (ou « président ») plus élevé qu’en système parlementaire. Ceci, en raison de l’absence
théorique de contrôle partisan et parlementaire sur l’action du président. Les partis
« présidentialisés » paraissent ainsi présenter des configurations plus « fédérales » que les partis
parlementaires, qui contrôlent à la fois le vote partisan et la « survie » de l’exécutif, et sont ainsi
1 Comme nous l’avons précisé au chapitre 3.
2 Pour une analyse éclairante sur l’impact de la separation des pouvoirs sur la structuration des partis, voir EPSTEIN,
L., Political parties in the American mold, University of Wisconsin Press, Madison, 1986. 3 SAMUELS, D., et SHUGART, M., op. cit.
288
orientés autour de l’élection présidentielle puis du président ou du « candidat » à l’élection
présidentielle :
« … à l’inverse des systèmes parlementaires, la configuration présidentielle pousse les partis à
décider comment ils vont allouer leurs ressources et personnel sur les deux niveaux, exécutif et
législatif, et ce souvent de manière simultanée. En général, on peut s’attendre à ce que les partis
ayant une option dans la course présidentielle concentrent leurs efforts et ressources sur cette
élection plutôt que sur les élections parlementaires […]. Cela parce que les candidats
présidentiels obtiennent la part du lion en terme de financement et de couverture médiatique et
parce que le parti organise généralement des candidatures présidentielles et peut également
contrôler le financement des campagnes, les candidats à des fonctions législatives peuvent
demander un soutien organisationnel et financier du parti national et / ou de son candidat. L’effet
d’entraîne présidentiel pouvant gonfler une marge de victoire – ou même fournir la marge de
victoire suffisante- pour des candidats parlementaires ou pour la totalité de leur liste électorale.
L’organisation électorale du parti [présidentiel] va ainsi concentrer ses efforts pour la victoire
dans la course présidentielle plutôt qu’à gagner des sièges parlementaires. » 1
La sélection du candidat -lorsqu’il y en a-, ou le choix d’appuyer un candidat commun entre
plusieurs partis, est d’autant plus importante qu’elle marque une ligne de conduite, de position et de
soutien de l’ensemble de l’appareil partisan face à l’élection, puis face à l’opposition une fois en
place. Dans le cas de coalitions électorales ceci suppose des éléments de « compensation » envers
les partis, et leurs membres, qui renoncent à présenter un candidat propre et soutiennent un candidat
issu d’un autre parti que le leur. La section qui suit vient tester ces postulats en décrivant les lignes
de relations internes des partis du Cône sud, puis les types de connexité des coalitions
gouvernementales dans ces mêmes pays. Nous verrons ainsi quelle est la portée de la différence de
« nature » des partis politiques en système présidentiels sur la cohérence et la cohésion interne.
5.2 Cohérence partisane et « cohésion coalitionnaire » dans le Cône Sud.
Les trois pays qui constituent le terrain d’étude de cette thèse ont en commun le fait de présenter
les systèmes partisans généralement considérés comme les plus institutionnalisés2 et routinisés de la
région latino-américaine. En effet, nous avons déjà insisté sur le fait que le recouvrement de la
démocratie par ces trois pays n’a constitué ni une « inauguration » démocratique ni, non plus,
d’inauguration du propre système partisan : la plupart des acteurs en compétition et qui participent
de la transition à la démocratie, sont les mêmes acteurs en place avant l’occurrence des coups
d’Etat et/ou, dans le cas chilien, des éléments qui se placent comme héritiers du régime militaire
récemment conclus. D’où le fait que ces mêmes acteurs ont dû expérimenter, durant la période
1 SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of powers and party organization and behavior”, in
Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 467-8. Traduction propre. 2 Voir notre critique à cette notion, aux chapitres 2 et 3.
289
autoritaire puis celle de transition démocratique, des phases similaires de tensions internes s’étalant
de l’insoumission/ résistance armée, au soutien du régime, en passant par l’acceptation de la
négociation « pactée »1. Le cas de l’Argentine diffère quelque peu, puisque les partis ont « hérité »
de la démocratie sans pour autant l’avoir réellement négociée, ce qui a conduit notamment à ce que
les partis argentins n’aient pas eu à réaliser d’aggiornamento profond de leurs postures
idéologiques, stratégiques et organisationnelles.
Aussi, ces contextes à la fois semblables et distincts, aident-ils et renforcent-ils, à la fois, la
pertinence de la comparaison et l’analyse des processus d’inférence que nous prétendons mettre en
évidence dans cette sous-section. Nous pouvons alors d’ores et déjà avancer que la nature des partis
et leur structuration interne, génératrice de « culture politique partisane »2, ont influé si ce n’est
conditionné le type de relation interpartisane, et par là-même le succès des processus de coalitions
gouvernementales.
S’il est une dimension qui fait parti des postulats sur les régimes présidentiels, qui est vérifiée
dans nos trois cas d’étude, et que l’on peut largement appliquer à la totalité des autres systèmes
présidentiels des Amériques, c’est le caractère et la portée nationale des acteurs faisant partie des
gouvernements. En effet, si les gouvernements peuvent de temps à autres former des accords de
type « pacte législatif », plus ou moins formels et plus ou moins « rétribués », avec des législateurs
indépendants ou issus de partis « provinciaux »3 -lorsque des partis de ce type possèdent une
représentation parlementaire-, encore est-il important de noter que les gouvernements de coalition,
dans la configuration constitutionnelle présidentialiste ne sont formés que par des acteurs partisans
dont la projection est nationale4.
Considérons enfin un élément central de distinction entre systèmes présidentiels et
parlementaire en termes d’éléments de canalisation interne : le candidat à l’élection présidentielle,
et/ou le président élu, n’est pas automatiquement le chef du parti5, contrairement à ce qui se passe
1 Nous avons précédemment évoqué des réserves quant à la dimension « pactée » de la transition chilienne. Voir supra
chapitre 3. 2 BERSTEIN, S., « L'historien et la culture politique », in Vingtième Siècle : Revue d'histoire, Vol. 35, No. 1, 1992, pp.
67 – 77. 3 Voir, entre autres, pour le cas Argentin: ALONSO, M. E., « Le vote des partis provinciaux en Argentine (1983-
1999) », in BLANQUER, J.M., et alii, Voter dans les Amériques, op. cit,, pp.137- 149 ; CALVO, E., ESCOLAR, M.
La nueva política de partidos en la Argentina: Crisis política, realineamientos partidarios y reforma electoral,
Prometeo/ Pent, Buenos Aires, 2005 4 Nous nous réferrerons aux acteurs a-partisans, aux technocrates et autres « indépendants », utérieurement. C’est une
autre question que la « cible » électorale. Ainsi certains partis à portée nationale possédant un discours ethnique -donc
vers une partie aussi majoritaire soit-elle- de la population nationale, se sont retrouvé à former des gouvernements de
coalitions. Le cas typique est le Movimiento Pachakutik en Equateur. 5 L’exemple des deux dernières candidatures présidentielles de la Concertación ou ni Michelle Bachelet ni Eduardo
Frei n’étaient les chefs respectifs de leurs partis vient illustrer ce propos. Plus généralement, l’introduction graduelle
des processus de primaire vient rajouter un élément de complexité dans les hiérarchies des partis. Voir infra chapitre 6.
290
en régime parlementaire où le premier ministre est, presque automatiquement, le chef du parti le
plus voté (qu’il s’agisse d’un gouvernement de coalition ou d’un gouvernement monocolore)1.
5.2.1 La cohérence interne des partis dans le Cône Sud
Ainsi, si l’on s’attarde aux cas qui contiennent des partis régionalistes présents à la chambre des
députés, l’unique cas de figure de notre terrain d’étude qui présente cette particularité est
l’Argentine. Notons, à titre de nuance, que si l’assise électorale du FREPASO Argentin repose
essentiellement sur la ville autonome Buenos Aires et les provinces de Buenos Aires2 et Santa Fe,
son discours et sa portée restent nationaux. Aussi, aucun membre d’un parti provincial n’a fait parti
d’un gouvernement au niveau national en Argentine. Cette précision est un nouvel élément
distinctif des gouvernements de coalition en systèmes présidentiels avec ceux propres aux systèmes
parlementaires, où la recherche d’une majorité parlementaire à conduit à ce que des gouvernements
de coalitions incluent des ministres dont l’origine partisane est ancrée sur des positions
régionalistes voire « autonomistes » (Partis a Portée Non Nationale, PPNN). Les cas italiens ou
belges constituent autant d’exemples récents3 de l’intégration de PPNN au sein de gouvernements
nationaux, ce qui inclue un niveau de complexité additionnelle pour les membres « régionalistes »
des gouvernements respectifs quant à la portée de leur action et la cohérence de leurs positions dans
le gouvernement national, vis-à-vis de leur discours et légitimité électorale, lesquelles sont
essentiellement locales.
La composition et organisation des partis argentins et uruguayens paraissent présenter des
similitudes organiques en ce sens que les deux partis « traditionnels » des deux pays -l’Unión
Cívica Radical (UCR) et le Partido Justicialista (PJ) pour l’Argentine, et le Partido Colorado (PC)
et le Partido Nacional (PN) pour l’Uruguay-, sont de par leurs origines des partis de type « attrape-
tout », en ce sens que ce ne sont pas des partis à structuration et filiation programmatique ou
idéologique, mais plutôt clientélaires4. Non pas que ces partis et leurs membres soient dépourvus
d’idéologie, mais celle-ci ne constitue pas le « liant » structurel entre les agents qui forment ces
1 CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI, A., et SAIEGH, S., “Government Coalitions and Legislative Success Under
Presidentialism and Parliamentarism”, in British Journal Of Political Science, Vol. 34, 2004, pp. 565–587 2 Le decoupage administratif en Argentine a, en effet, “découplé” la ville de Buenos Aires d’avec la Province de
Buenos Aires. La première constituant une sorte de District Fédéral, à l’image de Washington D.C, aux Etats-Unis, ou
Mexico D.F, au Mexique. Notons, dès lors, que la ville de Buenos Aires constitue traditionnellement un « fief » de
l’UCR, alors que la province de Buenos Aires est depuis les années 1940 le principal réservoir électoral du Péronisme. 3 En Italie la Ligue du Nord, et en Belgique le parti autonomiste flamand sont autant d’exemples récents où des partis
dont l’assise est strictement « provinciale » ou « régionale », ont fait partie de gouvernements de coalitions à l’échelle
nationale. 4 KITSCHELT, H. et alii, Latin American Party Systems, Cambridge University Press, 2010
291
partis, et dans leur relation avec leur électorat. Les partis traditionnels argentins et uruguayens
comptent en effet de nombreux courants ou « fractions » internes1, dont la diversité en termes de
positions politiques recouvre pratiquement tout le spectre traditionnel de type droite/gauche,
comme nous l’avons montré supra, aux chapitres 2 et 3.
a. Mode de structuration des partis traditionnels uruguayens
Cette dimension interne des partis est particulièrement importante dans le cas uruguayen, où la
formation des partis se rapproche d’une forme « confédérale ». Les fractions (lemas) internes y sont
particulièrement institutionnalisées et fortes, les partis n’ont pas de réel leader unique (pas de ‘chef’
de partis) mais une kyrielle de leaders de fractions, plus ou moins autonomes, ce qui rappelle la
caractérisation du réseau ou « semi-réseau » établit par Vincent Lemieux, telle que nous l’avons
précédemment montré. Le Partido Nacional présente, toutefois, un taux de fractionnement interne
traditionnellement moins important que le Partido Colorado, et une structuration clientélaire et
caudillesque plus prononcée.
En Uruguay les partis ne sont pas simplement divisés verticalement autour de la dichotomie
élites/ base militante, comme le prévoit la théorie traditionnelle sur la division des stratégies
partisanes, mais aussi et surtout de manière horizontale, autrement dit entre les propres élites. Ce
phénomène -l’autonomie des fractions- était d’ailleurs favorisé jusque 1994 par la loi électorale dite
de « double vote simultané »2, où les électeurs en plus de voter de manière simultanée pour les
présidentielles, législatives et municipales, devaient choisir un lema à l’intérieur des partis, ce qui
contribuait donc à ce que la compétition ait lieu aussi bien de forme interpartisane qu’intra-
partisane (inter-fractionnelle), les partis n’avaient ainsi aucun réel contrôle sur la sélection et
nomination des candidats de manière centralisée. Cette structuration organisationnelle des partis
uruguayens constitue la base de la culture gouvernementale du pays, puisque c’est suivant ce
principe que les lemas des deux principaux partis ont conduit à la formation de co-gouvernements
pratiquement tout au long du XXe siècle, où certains lemas du parti arrivé second (le plus souvent
le Partido Nacional) s’engageaient à participer au gouvernement alors que le gros du parti
demeurait dans l’opposition3. Rappelons également que ce sont des fractions progressistes
coloradas et blancas ayant fait sécession avec leur parti d’origine qui sont à la base de la formation
1 Nous reprennons le concept de Giovanni Sartori pour nous référer aux sous-unités partisanes structurés et visibles
influant i) sur le degré de cohésion et/ou de dispersion intra-partisane ; et ii) les formes et moyens d’intéractions intra-
partisane. Voir SARTORI, G., Partidos y Sistemas de partidos…, op. cit., p.102. 2 Voir supra chapitre 2.
3 Voir supra chapitre 2.2.1
292
de certains partis (dont le Frente Amplio1 ainsi que l’éphémère Nuevo Espacio), notamment sur des
bases programmatiques.
Le changement de loi électorale, avec la réforme constitutionnelle de 1996, et l’instauration de
primaires obligatoires en vue de la sélection d’un seul candidat à la présidentielle par parti, consiste
en une récupération, pour les appareils partisans, des facultés de sélection et nominations des
candidats présidentiels et donc du contrôle sur les différents candidats. Ceci a eu pour effet une
diminution du nombre des fractions (voir supra graphique 2.1) et un recentrage du parti autour de la
figure présidentielle, et/ou des candidats à la présidentielle. De plus, l’avènement des années 1990
et l’amorce de la « seconde transition » uruguayenne, cumulée à ce recentrage politique autour d’un
nombre réduit de fractions, ont conduit à une transformation organisationnelle des partis
traditionnels uruguayens et de leurs liens d’affiliation électorale. Les partis uruguayens semblent
dès lors s’articuler de manière de plus en plus claire sur des bases de type programmatiques et
idéologiques.
L’évolution récente des partis uruguayens est également structurelle et organisationnelle. La
multiplicité des lemas a conduit à ce que les partis soient traditionnellement fortement inclusifs,
compénétrant la société uruguayenne dans sa quasi-totalité, sans pour autant correspondre au
schéma du « parti de masse » comme décrit par Maurice Duverger2. Or, si le caractère inclusif de
ces partis se fait plus évident en milieux urbains, et tout particulièrement à Montevideo, les liens
sont plus verticaux et clientélistes dans le reste du pays. C’est d’ailleurs sur une approche inclusive
et participative que le Frente Amplio a capitalisé son ascension dans les années 1970, à Montevideo
justement, puis au recouvrement de la démocratie alors que les partis traditionnels -et le Partido
Colorado en particulier- commençaient à amorcer une transformation de leur organisation suivant
une logique de type « cartellisante »3, autrement dit de gouvernance sans assise militante
4. C’est
donc assez logiquement que l’assise électorale et militante du FA se retrouve dans les centres
urbains, et plus particulièrement à Montevideo, y délogeant le Partido Colorado5.
L’expérimentation des coalitions gouvernementales en Uruguay depuis le gouvernement de Luis
Alberto Lacalle, semble donc avoir amorcé auprès des partis traditionnels une convergence
1 Se « confédérant » avec les partis d’idéologies (Parti Socialiste, Parti Communiste, Démocratie Chrétienne),
jusqu’alors largement minoritaires dans l’espasce politique uruguayen. 2 DUVERGER, M., Les partis politiques, Seuil, Paris, 1981 [1951].
3 Voir CHASQUETTI, D., et BUQUET, D., “La democracia en Uruguay: una partidocracia de consenso”, in Política.
Vol. 42, 2004, pp. 221-248; YAFFE, J., “Institucionalización y adaptación partidaria: el caso del frente amplio
(Uruguay)”, communication présentée lors du XII Congrès de Latinoamericanistes espagnols, Santander, Septembre
2006. 4 Sur le thème des “partis sans le peuple” voir infra chapitre 6.
5 YAFFÉ, J., Al centro y Adentro: La renovación de la izquierda y el triunfo del Frente Amplio en Uruguay, Ed.
Linardi y Risso, Montevideo, 2005.
293
interpartisane ainsi qu’une confluence intra partisane autour de partis de plus en plus cohérents
idéologiquement et structurellement parlant1. Le Partido Nacional tout d’abord, puis le Partido
Colorado tendent, depuis la fin du XXe siècle à une unicité et personnification croissante de leurs
structures. Cette tendance est, récemment plus prononcée pour le Partido Colorado (autour de la
figure de « Pedro » Bordaberry), que pour le PN qui maintien un certain équilibre bi-personnel
(autour des figures de Lacalle et de Larrañaga).
b. Structuration des partis de l’Alianza argentine au retour de la démocratie
Dans le cas argentin, l’organisation fédérale de l’Etat joue un rôle important dans la diversité
idéologique et sociologique des membres des deux grands partis. Néanmoins dans le cas du
FREPASO, celui-ci semblait présenter une ligne interne plus cohérente de par sa dimension
originelle où ses membres fondateurs depuis la création du MODEJUSO puis du Frente Grande2,
proviennent de l’aile progressiste et réformiste du PJ, notamment capitalien, et surtout du courant
anti-Menem. L’agrandissement du Front via l’inclusion de nouveaux groupes, tous progressistes
mais dotés d’une culture particulière, va renforcer la dimension confédérale du parti. Toutefois,
malgré une inspiration fondatrice inspirée du modèle du Frente Amplio uruguayen, le FREPASO
demeure un « parti [argentin] comme un autre »3, en ce sens que la figure d’un leader ou d’un chef
demeure très ancrée dans la culture politique argentine, et que les divisions internes sont beaucoup
moins institutionnalisées que les lemas uruguayens. Les sous-divisions des partis argentins tiennent
ainsi plus des « courants » que des « fractions », dont les structures d’organisations et des relations
reposent davantage sur des bases personnelles et informelles.
L’organisation interne des partis argentins se rapprochent alors de la conception de « quasi-
appareil », de Vincent Lemieux, où des agents autonomes viennent à cohabiter au sein d’une même
structure partisane, laquelle est ainsi dirigée par un leader fort. Cet élément est important en ce sens
que bien que l’on retrouve les mêmes variations idéologiques à l’intérieur des partis argentins que
1 Voir ALCÁNTARA, M., et LUNA, J.P., “Ideología y competencia partidaria en dos post-transiciones: Chile y
Uruguay en perspectiva comparada”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 24, No. 1, Santiago du Chili, 2004, pp 128-
168; GARCE, A., “La partitura, la orquesta, el director y algo más”, in LANZARO, J., La “segunda” transición en el
Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria, Montevideo, 2000, pp. 339-377; et BUQUET, D., «Elecciones
uruguayas 2004: el largo camino del bipartidismo al bipartidismo », in Iberoamericana Nordic Journal of Latin
American and Caribbean Studies, Vol. 34, No.1-2, 2004, pp. 65-95. 2 Rappelons que le Frepaso argentin était un parti “confédéré” incluant sous la même marque partisane de nombreuses
structures partisanes pré-existantes (notament des secteurs communistes, la démocratie chrétienne, des « radicaux
indépendants », ect .), à l’image du Frente Amplio uruguayen, mais dont la base organique est constituée par les huit
péronistes dissidents qui se rassemblent autour du MOvimiento por la DEmocracia y la JUsticia SOcial (Modejuso),
puis Fredejuso (la dimension mouvementiste « movimiento », étant reléguée au profit d’une dimension frontiste,
« frente ») qui deviendra par la suite le « Frente Grande » (Grand front). 3 JOZAMI, E., Final sin gloria: Un balance del Frepaso y de la Alianza, Editoriales Biblos, Buenos Aires, 2004, p.81.
294
celles existant au sein des partis uruguayens, la possibilité de collaborer avec d’autre forces, ou de
manifester publiquement son opposition au leader tout en restant au sein du parti, est normalement
exclue1. De même, historiquement, et malgré la cohérence programmatique et idéologique
particulièrement faible à l’intérieur des partis traditionnels argentins, la cohésion partisane et la
discipline partisane semblent de mise. Le comportement politique, qui constitue ici le « liant »
partisan, est donc davantage dicté par des questions d’ordre motivationnelles et stratégiques plutôt
qu’idéologiques, en raison de la nature hégémonique de ces partis « traditionnels ». La diversité
sociologique des agents des partis, qui compose la nature-même des partis argentins et cause leur
caractéristique « non-institutionnalisée »2, est d’autant plus manifeste après le retour à la
démocratie où se conjuguent deux éléments majeurs au sein des deux grands partis : i)
l’apprentissage du « péronisme sans Perón », où l’acéphalie organique contribue à l’expression
publique des différentes lignes de tensions internes à défaut d’une figure « ordonnatrice », cette
même acéphalie facilitant l’émergence et la structuration de lignes « rénovatrices » autour
d’Antonio Cafiero, finalement battues par les « caciques » favorables à Menem et la sortie
postérieure du « groupe des huit », et futur noyau dur du MODEJUSO ; ii) le ré-agroupement des
radicalismes, qui après la sortie, dans les années 1950-1960, de nombreuses fractions se réclamant
du Radicalisme « intransigeant », « historique », ou autre, se sont rejoint pour garantir l’élection de
Raúl Alfonsín et la gouvernabilité de son gouvernement3, tout en gardant leur lignes propres ce qui
influe directement sur le caractère confédéral de la structuration du parti.
Ce deuxième point est particulièrement pertinent puisqu’alors que le PJ affichait une certaine
cohésion comportementale autour de la figure et la gestion du président Carlos Menem, surtout
après la sortie des fractions progressistes ; l’UCR, elle, après la gestion mouvementée de la fin du
gouvernement Alfonsín4 et les mauvais résultats électoraux du début des années 1990, s’engluait
dans une lutte interne de leadership qui opposait un secteur pro-Alfonsin à une ligne plus
1 Récemment, toutefois, sous la première présidence de Cristina Fernández de Kirchner, des dissidents péronistes dont
les plus médiatiques sont Felipe Solá et Francisco De Narváez, ont fait part publiquement de leur opposition au
gouvernement et mené deux campagnes électorales contre la présidence Kirchner, tout en maintenant « l’étiquette »
justicialiste. 2 DE RIZ, L., “Politica y partidos. Ejercicio de análisis comparado: Argentina, Chile, Brasil y Uruguay”, in Desarrollo
Económico, Vol. 25, No. 100, 1986, p. 673; CAVAROZZI, M., “El esquema partidario argentino: partidos viejos,
sistema débil”, in CAVAROZZI, M., et GARRETÓN, M., Muerte y resurrección: los partidos políticos en el
autoritarismo y las transiciones en el Cono Sur, Flacso, Santiago, 1989, pp. 299- 334; CAVAROZZI, M. “Cómo una
democracia de libro de texto desembocó en un régimen de partido único... es el peronismo estúpido”, in Política, Vol.
42, 2004, pp. 207-220. 3 A noter que le “Parti Intransigeant”, bien que modeste, est resté indépendant.
4 L’echec du “plan austral” contre l’inflation a conduit à un effet inverse à son propos puisque, en dépit de
l’instauration d’un nouveau « plan primavera », l’année 1989 sera marquée par des taux d’hyperinflation supérieurs à
2000% (données CEPAL), et où le président sortant à dû écourter son mandat pour favoriser l’assomption du nouvel
élu, Carlos Menem.
295
conservatrice organisée autour de la figure porteña de Fernando De la Rúa, autour de questions
socio-économiques et stratégiques1.
Le caractère organisationnel des partis argentins, est un structurant de la compétition
interpartisane et de la relation intra-partisane. Essentiellement verticaux, ils s’organisent et se
positionnent autour de leur chef, président ou candidat à l’élection. Ceci explique en parti les
changements de cap idéologiques opérés, ainsi que les postulats décrivant leur faible
institutionnalisation. Dans ce sens, le FREPASO, du fait de sa nature confédérale, se voulait un
parti inclusif et mû par une cohérence idéologique résumée par la définition d’un « ennemi »
commun. Graciela Fernández Meijide le résume ainsi :
«Les gens se rapprochaient de nous parce qu’on gagnait… et nous on ne leur faisait pas
d’examen de salive ni rien… on exigeait juste que ce ne soient pas des corrompus… on était très
hétérogènes, mais avec un ennemi identifié : Menem »2
Toutefois, sa structuration et les modes de prises de décisions internes, reproduisaient à leur tour
les schémas traditionnels des partis argentins, présentant une forte centralisation et dépendance
autour du leader Carlos Chacho Alvarez. C’est cette même dépendance, combinée à l’absence de
structures partisanes fortes de par l’ascension fulgurante du parti, qui conduisent à l’éclatement du
parti en 20003. Ainsi Graciela Meijide reprend :
« on n’avait pas d’appareil mais on savait communiquer, on a tous appris à dominer l’image et
on avait de quoi parler… Nous sommes apparus et avons progressé parce que nous nous sommes
construits comme une espérance, ce qui est très bien parce que les gens ont voté pour nous, mais
dangereux parce qu’en même temps ils attendaient tout de nous… »
c. Cohérence et cohésion au sein de la Concertación chilienne
Les partis chiliens, traditionnellement considérés comme des prototypes de partis à l’européenne
(comprendre « dont les liens de d’appartenance reposent sur des bases programmatiques»), ne sont,
à leur tour, pas des acteurs unitaires à proprement parler. Dans la (re)structuration récente de ces
partis, et plus particulièrement ceux qui ont formé la Concertación après le retour à la démocratie,
1 Le courant pro-Alfonsin plus “progressiste” et ouvert à d’éventuelles alliances; le courant pro-De la Rúa plus en
faveur de mesures économiques – néolibérale- alors en vogue, et tenant de la ligne « hégémonique » de l’UCR. Voir
NOVARO, M., “Presidentes, equilibrios institucionales y coaliciones de gobierno en Argentina (1989-2000), in
LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,
pp.51-100. 2 Entretien réalisé le 14/06/2011. Traduction propre.
3 FERNANDEZ MEIJIDE, G., La Ilusión El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial Sudamericana, Buenos
Aires, 2007. Dans une certaine manière María Matilde Ollier laissait entrevoir cette perspective en 2001, lorsqu’elle
parlait, en évoquant le Frepaso, d’un “leadership fort, mais parti faible”, in OLLIER, M., Las coaliciones politicas en la
Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2001, p.40.
296
deux éléments viennent participer à la constitution de « lignes » ou « courants » internes plus ou
moins structurés : i) la position individuelle vis-à-vis du régime de Pinochet graduée en fonction
d’une posture d’opposition frontale voire de lutte armée (particulièrement clivante à l’intérieure du
Parti Socialiste chilien –PSch- et certains éléments du Parti Pour la Démocratie –PPD-),
l’acceptation de la « règle du jeu » transitionnelle imposée par le régime, voire un soutien initial au
putsch de 1973 (fracture plus marquée au sein de la Démocratie Chrétienne) ; et ii) la part de l’exil
dans le développement des nouvelles élites partisanes et la constitution de réseaux nationaux et
internationaux. Ce second point est particulièrement important pour comprendre le postérieur
abandon du dogme de la lutte des classes de la part d’une frange importante du PSch et du PPD, et
leur conversion à la social-démocratie. Enfin, la création même du PPD constitue un élément
particulier en soi. Créé initialement comme plateforme d’unification des socialistes, dans une
période où les partis socialiste et communiste étaient proscrits par le régime, le PPD est venu attirer
de nombreux membres issus des différents mouvements progressistes ou révolutionnaires de la
période pré-autoritaire (notamment des membres du PC, PSch, Mapu, Izquierda Cristiana, etc.),
tout en se constituant comme un parti avec projection essentiellement élitiste1, c'est-à-dire dénué
d’une base militante. Par conséquent, il n’est pas surprenant de retrouver, parmi les agents qui
forment ce parti, la plus importante concentration d’agents ayant suivi des études universitaires
avancées, là où d’autres partis sont constitués de manière plus (notamment la démocratie
chrétienne) ou moins importante d’élites ayant suivi une progression « militante ». Le PPD
apparaît, de ce fait, comme un parti sociologiquement plus homogène que les autres partis chiliens.
D’ailleurs, les résultats du questionnaire réalisé auprès d’élites politiques du Chili semblent refléter
une certaine homogénéité philosophique intra-partisane en présentant des degrés significatifs de
concentration idéologique et de « perception » partisane.
Ainsi, si nous nous penchons sur les influences philosophiques des personnels interrogés, parti
par parti en nous concentrant essentiellement sur les trois principaux partis –PDC, PSch et PPD-,
nous pouvons apprécier de manière comparée dans les graphiques 5.1, 5.2 et 5.3, des disparités
internes en termes relativement limités et une faible dimension clivante parmi les élites politiques
de ces trois principaux partis2. De manière peu surprenante, c’est le Parti Démocrate Chrétien qui
par son caractère polymorphique et l’absence de rénovation philosophique forte, présente les plus
1 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfi les dirigenciales y
trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y
política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 2 Au cours de cette thèse nous n’avons pas rapporté de données sur le Parti Radical Social Démocrate (PRSD), pour des
raisons aussi bien fonctionnelles (absences de « sources » fiables et pertinentes) qu’ontologiques : le parti ayant une
dimension essentiellement instrumentaliste, et étant maintenu de manière quasi « artificielle ».
297
fortes variations internes, notamment en termes socio-économiques et de valeurs. Le PPD et le
PSch affichent des profils relativement similaires, d’où l’hypothèse d’une plus grande homogénéité
comportementale parmi ces deux partis, par rapport au PDC.
La forme organique des partis chiliens et leur structure d’organisation après le retour à la
démocratie demeure néanmoins particulièrement centralisée autour de la figure du chef de parti,
celui-ci est toutefois beaucoup plus instable que dans la plupart des démocraties européennes,
puisque la durée moyenne de permanence à la tête du parti, pour les deux partis « classiques » que
sont le PDC et le PSch, est inférieure à deux ans (respectivement 1.91 et 1.96 ans). Ces deux partis
connaissent une évolution organisationnelle profonde depuis le retour à la démocratie, et présentent
ainsi une professionnalisation ou « élitisation »1 rapide de leurs agents et des relations intra-
partisanes. En effet, ces deux partis traditionnellement composés d’un socle militant solide d’où ils
puisaient leurs leaders, ont entamé une mutation au cours des années 1990 marquées par une crise
des organisations militantes. La faible rénovation des élites partisanes et une homogénéisation
grandissante de celles-ci vers un profil plus technique et « professionnel » de la politique2, et par
cela un changement de la « culture partisane » de ces deux partis. Ainsi de partis participatifs et
inclusifs, ces partis sont devenus des plateformes d’ascension personnelle et, par ricochet, des
champs de lutte de pouvoirs personnels. Le PSch, dans ce registre, présente une cohérence externe
pragmatique « de sauvegarde », où la préservation de la marque socialiste reste centrale d’où une
moindre exposition médiatique, jusque récemment, des divisions internes existantes entre
socialistes « européisés » (ayant connu l’exil) et ceux qui sont restés au Chili sous la dictature (le
plus souvent dans la clandestinité ou détenus)3. Enfin, le PPD, constitue un cas paradigmatique de
partis de cadres ou « professionnels », sans réelle assise militante, constitué de professionnels de la
politique dont la plupart ont connu l’exil, et qui proviennent originellement de structures partisanes
diverses4, ce qui en fait le parti le plus stable ou « cohérent » idéologiquement. Tous trois
présentent, toutefois, de forts degrés de cohésion et de discipline interne (Voir infra).
1 Robert Michels parlerait « d’oligarchisation ». Voir MICHELS, R., Political Parties: A sociological study of the
oligarchical tendencies of modern democracies, Bartoche Books, Kitchener, 2001 [1916] 2 DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation des guerres de palais, Seuil, Paris, 2002. DAVILA, M.,
“Governing Together: The Concertación Administrations in Chile (1990-2009)”, thèse de doctorat, Université de
Caroline du Nord, Chapell Hill, 2010. 3 OTTONE, E., et MUÑOZ RIVEROS, S., Después de la quimera, Debate, Santiago, 2008; RUIZ RODRIGUEZ, L.,
“El sistema de partidos chileno: ¿hacia una desestructuración ideológica?”, in ALCÁNTARA, M., et RUIZ
RODRÍGUEZ L., Chile; Política y modernización democrática, Ed. Bellatera, Barcelone, 2006, pp. 73-109. 4 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas… » op. cit.
298
Graphique 5.1 : Influences philosophiques, PDC Graphique 5.2 : Influences philosophiques, PPD
Graphique 5.3 : Influences philosophiques, PSch
Dans cette organisation « d’appareils » partisans il est judicieux de considérer les éléments de
canalisation interne, où le candidat à l’élection présidentielle ou le président de la République bien
que référent dans la conduite de son parti ou sa coalition, contient toutefois des « relais » avec
lesquels il doit compter, tel que le(s) chef(s) de parti(s), le(s) chef(s) du(des) groupe(s) partisan(s) à
l’assemblée nationale, des figures institutionnelles (vice-président, président de chacune des
chambres du congrès, etc…), et autres « barons » partisans (les ex- présidents, les figures
historiques, etc…). Ces personnalités sont autant d’éléments négociateurs ou perturbateurs, qui
possèdent un réel un impact sur la connexité entre les sources du pouvoir et entre les agents
politiques institutionnels1.
1 Ainsi, la gestion du président du PSch, Camilo Escalona, sous la présidence de Michelle Bachelet, fut-elle fortement
critiquée de « staliniste », tant le contrôle du président du parti fut-il de tous les instants dans le maintien de la cohésion
0% 20% 40% 60% 80% 100%
Christianisme
Libéralisme
Marxisme
Nationalisme
Néolibéralisme
Socialisme
Social Démocratie
Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout
0% 20% 40% 60% 80% 100%
Christianisme
Libéralisme
Marxisme
Nationalisme
Néolibéralisme
Socialisme
Social Démocratie
Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout
0% 20% 40% 60% 80% 100%
Christianisme
Libéralisme
Marxisme
Nationalisme
Néolibéralisme
Socialisme
Social Démocratie
Un peu Beaucoup Totalement Pas du tout
299
5.2.2 Les formes de connexité des coalitions gouvernementales du Cône Sud
Maintenant que nous avons présenté les variations en terme de structuration des partis du Cône
Sud, il nous incombe de voir alors le « type » de connexité qu’ont engendré ces différences
organiques et d’analyser leur relation vis-à-vis de l’exécutif aussi bien depuis l’exécutif, que depuis
d’autres champs de connexion. Et si nous reprenons la typologie de Laver et Schoffield (voir supra
le tableau 5.1), et le modèle de relation d’agence (figure 5.1), nous devrions ainsi nous attendre à
une forme de relation plus complexe et instable dans les coalitions où un, plusieurs ou la totalité des
partis sont des « partis divisés » et, inversement, une meilleure « cohésion coalitionnaire » dans les
coalitions ou la plupart voire tous les partis se rapproche de la conception d’acteur cohésionné.
Il paraitrait logique d’attendre que les bases de négociations ou d’éventuelles tensions entre
acteurs cohésionnés, soient de natures plutôt idéologiques ou programmatiques, là où les relations
entre acteurs « divisées » viendraient à être à la fois plus lâches et stratégiques. Notons pour
commencer, que la portée nationale des partis en présence comporte une dimension importante
d’équilibre en termes de sociologie des acteurs et légitimité de leurs bases militantes et
sympathisantes. De plus, il est à préciser qu’aucune coalition gouvernementale dans le Cône Sud
n’a prévu, que ce soit au préalable ou lors de sa formation, un « code de discipline formel » censé
orienter le comportement des partenaires, tant institutionnels qu’individuels. Pour tester ces
postulats, repris par la plupart des études sur les coalitions gouvernementales, nous allons procéder
à une analyse distinctive entre nos cas.
a. Les quatre gouvernements de la Concertación au Chili : tout pour la
stabili té
Le cas chilien semble présenter les partis les plus cohérents et cohésionnés, malgré les nuances
que nous avons présentés quant à la notion d’acteur unique pour l’analyse des partis. Rappelons
également qu’il fut question à un moment donné, et par soucis de cohérence essentiellement
organisationnelle, de créer un seul parti ou « méta-parti » d’opposition à Pinochet, qui aurait
regroupé en son sein les structures partisanes du PDC, des différents PSch, du PR et des autres
partis opposés au régime. La poursuite d’un but commun, la fin de la dictature, et une organisation
unifiée étaient supposées approfondir le travail de mutation idéologique entrepris par la plupart des
partis de gauche. Ces positions défendues en leur temps plutôt par des membres socialistes (le PSch
partisanne auprès de la présidente, elle-même socialiste. Inversement, la gestion récente de Carlos Laraín, président de
Renvoación Nacional, le parti dont est issu l’actuel président Sebastián Piñera, est beaucoup plus critique voire
« pertubatrice » vis-à-vis de la présidence Piñera.
300
étant prohibé) n’a abouti finalement qu’à la création du PPD puis la re-formation du PSch, les
marques identitaires et idéologiques ont, elles, perduré1.
Ainsi, nous allons reprendre les postures philosophiques de nos trois partis témoins, présentés
dans les graphiques 5.1, 5.2 et 5.3, et établir des moyennes pondérées sur chaque réponse
individuelle, comme suit : i) les affinités présentant un degré de base « un peu » seront pondérées
par un coefficient « 1 » ; ii) les affinités beaucoup, seront pondérées par un coefficient « 2 » ; iii)
les affinités totalement seront pondérées par un coefficient « 3 » ; enfin, les affinités pas du tout
seront pondérées par un coefficient « 0 ». De sorte que les moyennes établies donneront une piste
des moyennes corrigées des membres de chaque parti sur chacune des affinités vis-à-vis de ces sept
courants philosophiques, où plus la moyenne tendra vers le « 0 », plus l’affinité pondérée sera
faible. Inversement, plus la moyenne tendra vers le « 3 », plus le degré d’affinité sera symbiotique,
et ainsi de suite….
Comme le montre le graphique 5.4, le PPD et le PSch présentent de fortes similitudes
d’inspirations philosophiques globales, malgré les différences sociologiques que nous avons
avancées précédemment. Sur des questions particulièrement clivantes, les membres socialistes et
PPD interrogés se sentent globalement distancés des idées marxistes (respectivement 1.33, et 0.85
de moyenne pondérée, équivalant à « un peu ») ; de même avec les idées néolibérales, le degré de
proximité est très faible ou quasi nul (0.16 et 0.07, respectivement). Parallèlement, nous pouvons
relever une corrélation fusionnelle en termes des affinités très fortes vis-à-vis des idées social-
démocrates (respectivement 2.33, et 2.3, correspondant à « beaucoup ») ; et dans une moindre
mesure avec l’identification avec le socialisme (2.33 et 1.8)2. Inversement, la Démocratie
Chrétienne semble présenter des degrés d’affinités assez peu corrélés à ceux du « bloc
progressiste », coïncidant presque uniquement sur un rejet du nationalisme (0.16 pur le PSch, 0.15
pour le PPD et 0.16 pour le PDC), et présente une identification partagée avec le courant
intellectuel libéral (1.5, 1.23 et 1.16). De même, un élément clivant par excellence dans le Chili
post dictature, à savoir la non-identification avec le modèle socio-économique néolibéral est
partagé à son tour par les membres du PDC (0.41).
1 RUIZ RODRIGUEZ, L., « Les décisions des partis et leurs coalitions dans le Chili démocratique », in DABENE, O.,
Amérique latine, les élections contre la démocratie, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, Paris,
2007, pp.79-103. 2 A noter, ainsi, qu’il est surprennant que les propres membres du parti socialiste ne présentent pas advantage d’affinité
ou d’identification avec le courant philosophique socialiste…
301
Graphique 5.4 : Transposition radiale des préférences philosophiques entre les partis chiliens
Par ailleurs, lorsque nous reprenons un procédé commun de mesure de positionnement et auto-
positionnement sur une échelle gauche/droite, où « 0 » équivaut à extrême gauche et « 10 »
représenterait une position notée extrême droite ; et en acceptant l’axiome sur la relative
homogénéité idéologique des partis chiliens1, nous avons ainsi collecté des données portant sur : i)
l’auto-positionnement sur cet axe ; ii) le positionnement du parti ; iii) le positionnement de la
coalition ; iv) le positionnement du parti dans la coalition (PPEDC) le plus éloigné de la personne
interrogée ; et v) le positionnement du parti d’opposition le plus éloigné. Ces données confirment
tout d’abord celles des graphiques précédents, quant à une similarité des (auto-)positions entre
membres du PPD et PSch (3.84 et 3.29 respectivement ; 4.85 pour le PDC), mais montrent
clairement le positionnement personnel de type centre-gauche de la coalition, à un positionnement
moyen situé à ‘4’.
1 Comme montré dans les graphiques précédents. Rappelons, au passage que ce procédé serait peu pertinent pour
l’étude des partis argentins et, dans une certaine mesure, uruguayens. Enfin, pour toute mise en garde contre les
tentations « scalomaniaques », voir SEILER, D-L., La méthode comparative en science politique, Armand
Colin/Dalloz, Paris, 2004
0
0,5
1
1,5
2
2,5
3 Christianisme
Libéralisme
Marxisme
Nationalisme Néolibéralisme
Socialisme
Social Démocratie
PSch PPD PDC
302
Graphique 5.5 : Perception et auto perceptions sur un axe gauche- droite
Note : *PPEDC : « parti le plus éloigné au vôtre dans la coalition »
De plus, ce graphique montre une plus grande concordance parmi les membres du PPD entre
leur auto-positionnement moyen (3.84), celui où ils positionnent leur parti (4.07) et la coalition
(4.7), présentant une déviation moyenne entre positionnement personnel et valorisation de la
coalition de +0.86, vers la « droite », ce qui montre le poids que semble avoir le PDC, d’après les
membres du PPD, dans le positionnement idéologique de la coalition (le PDC est valorisé par les
membres du PPD au « centre-droit » avec une moyenne à 5.77). Cette déviation est, sans surprise,
plus importante parmi les membres du PSch (respectivement 3.26 d’auto-positionnement personnel
moyen ; 4.16 de position partisane; 5.29 pour la coalition). Les socialistes placent clairement la
Démocratie Chrétienne comme un parti de « droite » (5.95, à + 2.66 à droite de leurs positions
personnelles et + 1.79 à droite de la position de leur parti). Enfin le PDC, navigue dans une position
inverse, mais relativement proche de la valorisation moyenne de la coalition (auto-positionnement
moyen à 4.87 ; positionnement partisan à 5.04, et coalition à 4.08, soit -0.79 à gauche de leurs
positions personnelles). Le PSch, est considéré comme le parti le plus éloigné du leur, par les
membres du PDC, évalué à ‘3.08’, soit près de 2 points plus à gauche de leur position, mais deux
fois moins éloigné que l’UDI -parti de l’opposition le plus éloigné- positionné à 8.79 (+ 3.92 points
0
2
4
6
8
10 Personelle
Partisane
coalition PPEDC
parti opposition
PSch PPD PDC
303
à droite). L’UDI, sans surprise recueille la palme du parti le plus à droite par les deux autres partis,
flirtant avec une position extrême (8.75 et 9.25, respectivement pour le PPD et le PSch).
Outre une concordance des positions quant à la proximité individuelle vis-à-vis des thèses socio-
économiques néolibérales1, cette faible correspondance interpartisane en termes d’identifications
philosophiques semble montrer que les « liants » coalitionnaire de la Concertación chilienne sont
autres que simplement idéologiques. La connexité entre ces partis se nourrit donc d’éléments extra-
programmatiques, et dans ce registre le couple PDC-PSch vient contribuer à un effort constant de
rétro-alimentation du projet coalitionnaire. Les deux partis et leurs respectifs leaders ont, en effet,
insufflés une unité comportementale et identitaire concertationniste, vis-à-vis de la coalition
gouvernementale et du président, sur tous les niveaux. Tous deux sont, en effet, des partis de
longue trajectoire militante, qui ont opéré une mutation récente vers une professionnalisation et
technicisation –essentiellement gestionnaire et financière- de ses membres, et jouissent ainsi de
symboliques et de marques identitaires comparables et sensiblement plus fortes que celles des
autres partis, car davantage fédératrices et mobilisatrices, du fait de leur propre assise militante.
Dans ce « ménage à trois », le PSch et la Démocratie Chrétienne ont donc opéré en catalyseurs et
exécutants, là où les figures du PPD ont, à la longue, opéré davantage comme structurants et
médiateurs2, présentant ainsi des niveaux de cohésion ou « discipline » particulièrement élevés à
l’heure de l’approbation de projets de lois émanant de l’exécutif3.
A ces considérations vient s’ajouter une dimension stratégique, propre au caractère « frontiste »
de la coalition4. En effet, la Concertación est beaucoup plus qu’une coalition gouvernementale,
puisque l’alliance se répercute sur tous les niveaux politiques et administratifs chiliens. Depuis la
présidence jusqu’aux conseillers municipaux, en passant par les parlementaires, la Concertación a
ainsi présenté des listes uniques sur tous les postes électifs, ce qui a contribué à renforcer la
perception de la marque « Concertación » et, par ricochet, l’engagement, les incitations et les
rétributions de la coalition. Nous pouvons, toutefois, identifier trois étapes de cette collaboration
interpartisane, caractérisée par un degré d’engagement partisan et un type de relation intra-
coalitionnaire relativement différent : i) l’inauguration, ou « phase d’apprentissage » sous la
1 Résultats qui viennent confirmer des precedents études telles que le PELA (Proyecto de Elites Latino Americanas) de
l’Université de Salamanque 2 La figure du Parti Radical Ernesto Silva Cimma a également joué un rôle important, mais sans réel relais de poids à
l’intérieur du Parti Radical, puis du Parti Radical Social Démocrate (à partir de 1994). 3 Voir notamment MORGENSTERN, S., Patterns of Legislative Politics Roll-Call Voting in Latin America and the
United States, Cambridge University Press, 2004; CAREY, J., “Parties, coalitions, and the chilean congress in the
1990s”, in MORGENSTERN, S., et NACIF, B., Legislative Politics in Latin America, Cambridge University press,
2002, pp. 222-253;ALEMÁN, E. ,et SAIEGH, S., “Legislative Preferences, political parties, and coalition unity in
Chile”, in Comparative Politics, Vol. 39, No.3, 2007, pp. 253-272. 4 GALLO, A., “Modelos de gobierno de coalición en Sudamérica”, in Revista Austral de Ciencias Sociales, No. 11,
2006, pp. 35-58.
304
présidence Aylwin ; ii) la consolidation et l’approfondissement, sous les présidences Frei et Lagos ;
et iii) la période de restructuration, initiée sous la présidence Bachelet et encore en vigueur.
Le gouvernement Aylwin (1990-1994)
La première période, dite « d’apprentissage de vie en coalition » pour des forces politiques jadis
opposées –PDC et PSch-, a été dictée par le contexte d’urgence transitionnelle où le premier
gouvernement de la Concertación, doublement légitimé par la victoire lors du Référendum de 1988
et des élections générales de 1989, a dû composer avec le maintien d’éléments d’ancien régime ou
« enclaves autoritaires » établis par la Constitution de 1980, dont les principales étaient : le
Général Pinochet qui restait chef des armées ; la présence de huit sénateurs désignés et fidèles au
régime sortant et qui entravaient le processus d’élaboration de politiques publiques ; et le Conseil
de Sécurité Nationale, organe politique composé de militaires et de civils fonctionnant comme
« chaperon » du pouvoir politique où des membres sans légitimité populaire (les militaires)
pouvaient court-circuiter le Président de la République et le citer à comparaître1.
Ce contexte difficile, marqué deçà-de là par des interventions ou « pressions » de la part de
membres, plus ou moins actifs, issus de la dictature –notamment le boinazo de 1993, voir supra
chapitre 2-, constituait ainsi une contrainte pour le gouvernement de Patricio Aylwin, pour qui la
peur d’un retour à l’ancien régime ou celle de l’accession au pouvoir d’héritiers du régime
militaire, rendait nécessaire la réussite du gouvernement et le maintien de la cohésion interne. Les
enclaves autoritaires et la propre figure de Pinochet viennent peser sur la cohésion du premier
gouvernement de la Concertación où les prises de décision et les éléments débattus l’ont été de
manière pragmatique. L’articulation des relations internes à la coalition découle d’une pression
externe qui devient, dès lors, une obligation de résultat en termes de réussite puis de cohésion
politique2, vis-à-vis du camp du « non » au référendum et, par extension, de la société chilienne.
Ainsi, le gouvernement de Patricio Aylwin, opère son apprentissage coalitionnaire dans
l’urgence de la réussite transitionnelle, via la réalisation de politiques publiques « consensuelles »,
à moindre potentiel diviseur, en mettant l’accent sur le thème de la « réconciliation nationale »3 et
« la croissance dans l’équité ». Ceci d’autant plus que le modèle socio-économique adopté sous le
1 Voir, entre autres, GARRETON, M.A., “La redemocratizacion política en Chile: Transición, inauguración y
evolución”, in Estudios Públicos, No. 42, 1991, pp. 101-133; MOULIAN, T., Chile actual: anatomía de un mito, LOM,
Santiago, 2002. 2 GARRETON, M.A., “La cuestión del régimen de gobierno en el Chile de hoy”, in LANZARO, J., Tipos de
presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001, pp. 189 – 202. 3 Commission Rettig sur les disparitions et assassinats sous la dictature, laquelle est toutefois dépourvue de toute
finalité concernant une ouverture d’un « procès » de la dictature.
305
régime autoritaire est, constitutionnellement parlant, intouchable1. De ce fait, la connexité existante
entre les différents membres de ce premier gouvernement, est dictée par ces impératifs, le principal
objectif est de garantir la stabilité à la fois gouvernementale, politique et économique. Pour ce faire,
la structuration du gouvernement et des relations entre les membres se fonde autour du leadership
fort (bien que controversé initialement2) et indépendant du président Aylwin
3, d’où se matérialise
une unicité « concertationniste », supra-partisane ou transversale, où les élites des différents partis
se compromettent à appuyer le président, participer à la prise de décisions gouvernementale de
manière relativement informelle4, bien plus qu’à des processus de délibérations
5, autant qu’au
maintien de la cohésion interne à la coalition6.
Dans cette structuration, les ministres du Secrétariat Général du Gouvernement (SEGEGOB,
Enrique Correa) et du Secrétariat Général du Président (SEGPRES, Edgardo Boeninger) viennent
jouer un rôle d’articulateur et de canalisateur des relations entre le président, son gouvernement et
les structures partisanes dont sont issus les membres du gouvernement, ce qui pourrait avoir laissé
l’impression que le gouvernement Aylwin (et les suivants) ne soie(nt) séparé(s) de leur base
partisane. Cette structuration de la connexité suivant un schéma d’appareil ou quasi-appareil, se
retrouve facilitée par quatre éléments : a) l’expérience traumatique de l’Unidad Popular de
Salvador Allende, où l’autorité du président était court-circuitée par les appareils partisans des
mêmes partis de la coalition, laissant une impression d’ingouvernabilité ; b) l’abandon du dogme
de la lutte des classes et de la révolution socialiste de la part de la majeur parti des cadres du PSch
et du PPD (comme montré aux Graphiques 5.2 et 5.3), puis leur « conversion » à la social-
démocratie et à l’économie de marché ; c) une part limité –inférieure à 5%- de postes entre les
mains de « technocrates » et autres indépendants7, ce qui a contribué à asseoir la centralité des
1 Ce qui en fait d’ailleurs une “enclave autoritaire” cachée.
2 Patricio Aylwin en tant que président du PDC avait appuyé, initiallement, le coup d’Etat de 1973 ; en outre, la
désignation de Patricio Aylwin comme candidat du PDC puis de la Concertación est entaché de suspiscions de fraudes
lors des primaires de la démocratie chrétienne, en 1988, dans le scandale dit du « carmengate » (du nom de la rue où se
trouve le siège du parti et où se seraient produites les irrégularités). 3 Au travers d’accords essentiellement informels.
4 Essentiellement au palais de la Moneda avec les membres du “segundo piso”, bien que les demandes internes soient
« remontées » et canalisées par les chefs de partis, à l’inverse de ce qui se passait sous la Unidad Popular. 5 Comme sous le gouvernement de Salvador Allende, où l’autonomie du président vis-à-vis de son parti et des partis de
la coalition était bien moindre, et les prises de décisions découlaient davantage de la délibération et d’âpres
négociations aussi bien etre les partis que à l’intérieur de ceux-ci. Voir ARRATE, J., et ROJAS, E., Memoria de la
izquierda chilena - Tome II (1970-2000), Ed. Javier Vergara, Santiago, 2003 ; et DAVILA, M., “Governing
together…” op. cit. 6 FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,
I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191- 222. 7 Nous soulignons ici la différence entre les notions de « technocrates », comme éléments purements « techniques » ou
« administratifs » et de « technopols », comme des membres dotés d’une expertise technique reconnue, tout en étant
affilié –plus ou moins activement- à un parti politique, mais ayant un parcours militant ou électif relativement limité.
Cette définition étant bien évidemment idéal-typique et par-là même limitée. Voir pour plus de précisions
306
partis ; et surtout d) le recours au quota partisan (« cuoteo 1») via sélection présidentielle, qui
garantissait aux partis de la coalition électorale une représentation gouvernementale2, ceci
s’accompagne d’une recherche constante de « mixité partisane » entre ministres et sous-secrétaires
d’Etats, où par exemple à un ministre Démocrate Chrétien correspondait une majorité de secrétaires
d’Etats issus des autres partis.
Le gouvernement Frei (1994-2000)
Le second gouvernement de la Concertación, qui débute en 1994, ouvre la seconde phase de
cette coalition dite de « consolidation » ou « approfondissement ». Cette phase est marquée à la fois
par une rupture en termes de style de leadership et d’acteurs gouvernementaux, et est matérialisée
par un renouvellement total des membres du gouvernement autour de personnalités plus jeunes et
dont les carrières ne sont, pour l’essentiel, que faiblement liées à la période pré-autoritaire et
transitionnelle ainsi que par un maintien de la pratique concertationniste inaugurée lors du premier
gouvernement Aylwin. Surtout, le second gouvernement de la coalition inaugure une période de
« présidence normale », où le spectre du retour à l’autoritarisme devient de plus en plus
improbable.
Le gouvernement de Frei est marqué par un leadership beaucoup moins fort que celui d’Aylwin,
et par une conduction davantage recentrée sur le gouvernement, tout en recherchant le consensus
aussi bien dans la coalition de gouvernement qu’avec l’opposition. Si cette posture est
caractéristique de certaines démocraties d’Europe Occidentale3, elle est relativement peu commune
dans la tradition politique chilienne récente. Cette recherche de consensus est également marquée
par une réorganisation de l’agenda politique où la hiérarchisation des priorités tient moins des
thèmes portant sur des réformes constitutionnelles, les droits de l’homme, etc., mais davantage sur
les questions à portée nationale (éducation, pauvreté, santé, etc.). Cette présidence est ainsi
marquée par une conduction moins « politique » du gouvernement et des relations partisanes, mais
DOMÍNGUEZ, J., Technopols. freeing politics and markets in Latin America in the 1990s, Pennsylvania State
University Press, 1997. Dans un autre style voir DEZALAY, Y., et GARTH, B., La mondialisation … op. cit ;
JOIGNANT, A., “The politics of technopols: resources, political competence and collective leadership in Chile, 1990–
2010” Journal of Latin American Studies, Vol. 43, No.3, 2011, pp. 517 – 546; DAVILA, M., “Tecnocracia y
democracia en el Chile contemporáneo: el caso de los gobiernos de la Concertación (1990-2010)”, in Revista de
sociología, No. 24, 2010, pp. 199-217 1 Mireya Dávila a montré que cette notion, née lors du gouvernement de l’Unité Populaire de Salvador Allende, avait
alors une autre materialization où c’étaient les partis qui prennaient leur part de quota, ayant une position plus pro-
active et confrontationnelle. Voir DAVILA, M., « Governing together… » op. cit. 2 Ainsi que sur tous les autres champs de pouvoir politique.
3 LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Heaven, 1984; LIJPHART, A, “Non Majoritarian
Democracy: a comparison of federal and consociational theories”, in Publius. Vol.15, No. 2, 1985, pp. 3-15 ;
HUNEEUS, C., “La democracia presidencial en Chile” , in ELLIS,A., OROZCO, J., et ZOVATTO, D., Como hacer
que el presdiencialismo funcione ?, UNAM/ IDEA, Mexico, 2009, pp. 249-266.
307
davantage technique ou pragmatique. Si les membres du gouvernement proviennent presque tous
d’un des partis associés (moins de 5% d’indépendants), ils ont toutefois des profils plus techniques
(« technopols »).
Surtout les collaborateurs de Frei sont, pour ceux issus du PDC, pour la plupart des proches du
président, ce qui conduit à créer des tensions au sein de ce même parti. D’ailleurs, l’agenda et la
conduite gouvernementale s’organise autour du président et ses assesseurs –pour la plupart
démocrates chrétiens- autour d’une « troika » d’assesseurs (Genaro Arriagada, Edmundo Pérez
Yoma et Carlos Figueroa1, qui forment le « cercle de fer » du président), à l’opposé du modèle
transversal instauré par la présidence Aylwin. L’urgence de résultats pour garantir la stabilité
démocratique, surtout après le retrait de Pinochet du commandement de l’armée en 1998, se faisant
moins pressante, les relations entre les partis et le gouvernement se retrouvent être, de quelque
manière, plus lâches et moins pressées par une nécessité de stabilité. Notons, toutefois, que le
mandat du président Frei –aussi « normal » soit-il- a été marqué par deux éléments majeurs,
potentiellement tensiogènes à l’intérieur de la coalition, et qui se sont déroulés pratiquement la
même année : i) la détention à Londres du général Pinochet et la demande d’extradition du juge
espagnol Baltazar Garzón, vers l’Espagne en 1998 ; et ii) l’importation de la crise financière
Asiatique entre 1997 et 1998.
Dès lors, le gouvernement de Frei est marqué par davantage de remaniements ministériels (10)
que le précédent (3), ce qui semble démontrer un leadership moins incontesté2, et un certain degré
d’amateurisme politique. Si la présidence Aylwin est « anormale » compte tenu du contexte, ce qui
explique en grande partie la cohésion de bout en bout et le faible changement de son administration,
il n’en demeure pas moins que la coalition est restée soudée et cohésionnée, à défaut de cohérente.
En effet, si des tensions sont apparues, aussi bien à l’intérieur du PDC qu’avec l’aile
« progressiste » (PPD et PSch), notamment sur trois points : i) la conduite de l’agenda politique ; ii)
la participation à la prise de décision ; iii) l’émergence de divisions « postmodernistes » ou de
valeurs, internes à la Concertación3 ; le bloc « concertationniste » est resté cohésionné, avec un
taux d’approbation des projet de loi issus de la présidence, particulièrement élevé et similaires à
ceux de la présidence Aylwin (54% et 58% réciproquement, l’impact des sénateurs « désignés »
1 Tous trois des amis proches du père d’Eduardo Frei Ruiz Taggle, l’ancien président de la République Chilienne et
fondateur du PDC, Eduardo Frei Montalva. 2 D’autant plus que le premier remaniement intervient quelques mois après l’accession à la présidence,.
3 Notamment le débat sur l’approbation de la loi sur le divorce, le Chili ne légalisant le divorce, finalement qu’ en
novembre 2004.
308
étant significatif), et une cohésion comportementale quasi fusionnelle1. Enfin, dans la pratique, à
défaut de la « forme », le gouvernement de Frei présente de nombreuses similitudes avec le
précédent: un élitisme partisan, une centralité des partis, qui conduit d’ailleurs à une déconnexion
croissante avec la société civile2.
Le gouvernement Lagos (2000-2006)
Les résultats précédents sont pratiquement identiques à ceux de la présidence Lagos, la troisième
présidence de la Concertación, malgré une gestion et un style différent de la précédente, est plus
politique et avec un leadership beaucoup plus fort. On remarque également un décentrage du PDC
au profit de « l’aile progressiste » (PSch + PPD), concomitant avec le déclin électoral des
démocrates-chrétiens (voir infra chapitre 6). Toutefois, la présidence Lagos est marquée, à
nouveau, par la nécessité de (bons) résultats notamment en termes de stabilité et de gouvernabilité.
Ceci, en raison de la nature plus politique et symbolique de la figure du président Lagos : premier
socialiste3 depuis Salvador Allende à entrer au palais de la Moneda, son élection et sa gestion en
sont d’autant plus fortes qu’elles réaniment certains fantômes du passé, d’où la volonté de la part du
président et du PSch, d’ailleurs, de réhabiliter l’image du parti, laver les stigmates liées au passé
récent et présenter une gouvernance stable et pacifiée.
En outre, l’élection du candidat Lagos s’est effectuée de manière moins nette et moins
confortable que celle de ses prédécesseurs, puisqu’à l’inverse de ceux-ci, la décision s’est faite au
second tour4, ce qui a entrainé un changement de stratégie électorale –dont un changement de
slogan- et un recentrage de l’influence de l’appareil concertacionniste. Surtout, la progression de
l’opposition est matérialisée, deux ans plus tard, par une poussée de ses élus à l’assemblée, où la
Concertación ne disposait plus que d’une majorité de deux députés (contre près d’une dizaine
précédemment). Or, suite à la suspension de quatre députés pour des raisons judiciaires, le rapport
de forces au parlement était pour la première fois équilibré.
1 Autour de 90% de soutien lors des votes en séances (« roll call votations »). Voir CAREY, J., “Parties, coalitions, and
the chilean congress in the 1990s”, op. cit.; et TORO, S., “Conducta legislativa ante las iniciativas del Ejecutivo:
unidad de los bloques políticos en Chile”, in Revista de Ciencia Política (Santiago), Vol. 27, No. 1, 2007, pp. 23- 41.
Nous sommes toutefois conscients du caractère limité des travaux portant sur les votes en séances, puisqu’ils
représentent qu’une partie visible et brut du travail parlementaire. Voir pour ce faire CARRUBBA, C., GABEL, M., et
alii,“Off the record: unrecorded legislative votes, selection bias and roll-call vote analysis” in British Journal of
Political Science, Vol. 36, No. 4, 2006, pp. 691-704. 2 Nous verrons en infra les implications de ceci dans la pratique politique actuelle.
3 Bien que president du PPD, Ricardo Lagos Escobar est une figure du socialisme et le fondateur du PPD à l’époque où
le PSch était encore prohibé. Il a maintenu sa double militance socialiste et ppd. 4 Au premier tour le candidat Lagos devançant le candidat de l’Alianza por Chile, Joaquín Lavín, de seulement 30.000
voix. Au second tour, la Concertación enregistrant le repport, quasi mathématique, des voix communistes et
hummanistes pour l’emporter de plus de 2.5 points, et presque 200.000 voix.
309
Ricardo Lagos recentre l’action politique entre les partis et leaders de partis, privilégiant le
dialogue avec le PDC, appuyé dans ce sens par le PSch, tout en gardant une certaine autonomie
supra-partisane, notamment à l’heure de nommer ou remanier son gouvernement1. A ce titre, a
présidence Lagos se place à mi-chemin entre les styles Aylwin et Frei. Ainsi, si le leadership est
politique et partisan, l’autonomie du président va de paire avec un contrôle moins serré des
ministres et parlementaires, ainsi que la centralisation des prises de décisions à la Moneda autour
des membres du segundo piso, ce qui constitue un court-circuitage partiel du ministre du secrétariat
général de la présidence (SEGPRES). Le leadership du président Lagos est beaucoup plus fort et
enclin à protéger la stabilité de la Concertación. Les cas de flottements sont gérés politiquement,
bien que de manière autonome par le président. Celui-ci a d’ailleurs dû gérer trois phases
particulièrement tensiogènes : i) la gestion de sortie de la crise économique et financière héritée de
la gestion précédente ; ii) le retour de Pinochet au Chili de manière quasi simultanée avec
l’inauguration du mandat, laissant une fenêtre ouverte à des revendications de jugement au Chili ;
et iii) l’éclatement de cas de corruption, notamment le cas du MOP-Gate2, incluant des membres
proches du président. Ces trois cas furent gérés efficacement par le président en étroite relation
avec les membres de sa coalition, et pour le troisième cas avec le président du principal parti
d’opposition (UDI), Pablo Longueira, évitant ainsi l’éclosion de conflits internes. La gestion
gouvernementale de Lagos fut donc essentiellement politique et centrée sur les partis et leur
relations intra coalitionnaire. Le bon déroulement du mandat ainsi que l’absence de crise politique
majeure mettant en péril la stabilité du pays, ont contribué à ce que de la plupart des observateurs
définissent cette période comme la fin de la consolidation démocratique au Chili. Lagos finit
d’ailleurs son mandat avec un taux d’approbation populaire record, supérieur à 75%.
Ces deux gouvernements « normaux » de la Concertación, ont été marqué par une forte cohésion
de la part des partis de la coalition, en dépit de l’émergence de quelques tensions. La centralité des
partis dans la conduite politique, malgré un désalignement croissant de la population chilienne vis-
à-vis du système de partis, une rétro-alimentation des thèmes clivants -notamment des
positionnements face au régime militaire-, et une politique de quotas partisans au niveau du
gouvernement (voir infra 5.2), constituent autant d’enclaves « transitionnels »3 qui ont participé au
maintien de la coalition. Ces éléments n’était pas acquis mais ont été appris et assimilés par les
1 Ce que nous confirme le propre Ricardo Lagos lors de notre entretient le 10/07/2009.
2 Sigles correspondan tau Ministerio de Obras Publicas (en français nous traduirerions “Ministères des Infrastructures et
transports) et du suffixe « -gate », en référence au scandale nord-américain du watergate, en 1972, ayant conduit à la
démission du président Nixon deux ans plus tard. 3 SIAVELIS, P., “Enclaves de la transición y democracia chilena”, in Revista de Ciencia Política, Vol. 29, No. 1, 2009,
pp. 3-21.
310
structures partisanes et les différents leaders de la coalition, les présidents en tête. De plus, nous
pouvons avancer que c’est à partir de la présidence Frei que le système électoral binominal, et le
timing politique ont commencé à jouer un rôle important, de consolidateur des blocs1. Ce système
électoral qui rend difficile l’élection de candidatures parlementaires se présentant en dehors des
deux principaux blocs politiques, ainsi que la tenue d’élection intermédiaires (en 1997 et 2001), ont
participé à la réalimentation du pacte coalitionnaire et à la réaffirmation des compromis
organisationnels et cohésionnels.
La présidence Bachelet (2006-2010)
La présidence Bachelet se différencie, à première vue, des deux précédentes en ce sens que la
candidate Bachelet, créée par l’opinion publique, s’est voulue une présidente « citoyenne » plutôt
que politique, se plaçant ainsi au-dessus des partis, des lignes partisanes et des intérêts partisans.
Faisant le constat du découplage avec la société civile, la candidate a notamment prôné la réforme
du système électoral, lors de sa campagne. Toutefois, les résultats électoraux décevants au premier
tour, laissant entrevoir la possibilité d’une victoire de l’opposition2, l’ont contrainte à modifier son
discours et ses priorités. La gestion du second tour s’est réalisée avec un retour du contrôle par les
appareils partisans de la coalition.
En somme, la présidence Bachelet oscille constamment entre cette position citoyenne au-delà
des partis et un nécessaire rappel de la logique coalitionnaire interpartisane. Bachelet voyait les
partis de manière fonctionnelle plutôt que de manière structurelle, d’où un recours plus enclin à la
« démocratie du public », le plus directe possible3, et surtout dés-élitisé. Ce style n’était pas sans
créer des tensions à l’intérieur de la Concertación et surtout parmi les « barons » et autres
« historiques » de la coalition dont le leadership fut ignoré ou court-circuité. De même, le
leadership de Bachelet, et sa position au dessus des partis, a conduit à ce que se négligent
l’arithmétique coalitionnaire et le contrôle des tensions interpartisanes et intra-partisanes. Enfin, la
mort du général Pinochet en décembre 2006, sans qu’il n’ait été jugé, constitue un événement
symbolique dans la structuration de la Concertación. Par ce décès, disparaît –symboliquement- la
raison d’être fondatrice de la coalition, à savoir l’organisation conjointe de la transition
1 Voir entre autres AVENDAÑO, O., “Competencia político – electoral en el cono sur los sistemas de partidos en las
experiencias de democratización de Argentina, Chile y Uruguay”, thèse de doctorat, Université de Florence, 2009;
MOULIAN, T., “El sistema de partidos en Chile”, in CAVAROZZI ,M., et ABAL MEDINA, J., El Asedio a la
Politica, Homo Sapiens, Rosário, 2003, pp. 241-257; et CAREY, J., “Partidos, coaliciones y el Congreso chileno en los
noventa”, in Política y Gobierno, Vol. 6, No. 2, 1999, pp. 365-405. 2 L’opposition ayant présenté au premier tour deux candidats dont les résultats cumulés, étaient supérieurs à ceux de la
candidate Bachelet : 48.64% (25.41% + 23.23%), contre 45.96%, respectivement. 3 MANIN, B., Principes du Gouvernement Représentatif, Flammarion, Paris, 1996 [1995].
311
démocratique entre deux acteurs traditionnellement opposés –le PSch et la PDC. S’amorce alors la
reconversion et adaptation des liants et structurants de la coalition.
Ce gouvernement est ainsi marqué par des tensions matérialisées par de nombreux remaniements
lors des douze premiers mois de mandat. Mais trois événements liés au leadership de Bachelet vont
conduire à un retour en scelle des partis et leaders partisans et à une amélioration des relations
intra-coalitionnaires. Tout d’abord, le mouvement social des élèves du secondaire ou « révolution
des pingouins »1, sur près de deux mois, où la gestion initiale de la présidente entrée en fonction
quelques mois auparavant, s’est révélée approximative. Le relais pris par les partis politiques,
particulièrement le PSch (parti de Bachelet) et le PDC, ont participé d’une politique de cooptation
du mouvement à la base, et ont conduit à son essoufflement près de trois mois après son
éclatement2. La gestion de ce conflit par les partis, a contraint la présidente à remplacer ses
ministres (intérieur et éducation) dont l’action était jugée insuffisante.
Ensuite, l’introduction calamiteuse du nouveau système de transports intégré de Santiago, le
Transantiago, dont la mauvaise gestion héritée du gouvernement antérieur a congestionné la
capitale du pays pendant près de six mois3. Le mécontentement généralisé de la population et la
pression de l’opposition ont forcé à un nouveau remaniement présidentiel et un changement de
ministres des transports. Néanmoins face à cet événement délicat, la coalition a fait bloc autour de
la présidence, et attendu que se normalise la situation. Cet événement débouche toutefois sur une
grave conséquence pour le PDC et la coalition, lorsqu’en novembre 2007 l’ex président du parti, le
sénateur Adolfo Zaldívar, vota contre une mesure qui visait à l’autorisation de refinancement du
Transantiago, ce qui mit ainsi en minorité parlementaire le gouvernement et fragilisa la cohésion de
la coalition. Cet événement débouche sur l’exclusion de Zaldívar du PDC et, par ricochet, la
défection d’une fraction de parlementaires dissidents (les « colorines » dont le nom découle du
surnom de Zaldívar : el colorín, « le roux »). La conséquence directe pour la Concertación est la
perte de contrôle du Sénat qui suit ces défections.
Enfin, lors des élections municipales de 2008, un événement vient marquer un passage critique
dans la coalition. Le PPD et le PRSD décident de faire liste à part pour les élections des conseillers
municipaux, face aux listes PSch-PPD. Cette décision débouche d’ailleurs sur la première défaite
1 De part l’uniforme que portent le étudiants du secondaire au Chili.
2 Même si certains événements ont ponctuellement rappelé le caractère latent du movement. Cette capacité de
cooptation propre aux deux partis « de masse » de la Concertación, contraste avec l’action du président Piñera, dont les
rganisations partisanes formant la coalition présidentielle (Renovación Nacional et UDI) se sont avérés incapables de
gérer et coopter le mouvement étudiant au Chili qui s’étale depuis mai 2011 jusqu’à l’actualité, et ayant marqué un
ressurgissement de la mobilisation sociale dans ce pays. 3 Dont deux mois de paralysie presque totale.
312
électorale de la Concertación1, et contribue à semer un trouble dans la cohésion coalitionnaire.
Néanmoins, la gestion de la crise économique et financière, dès 2008, et la gestion jugée autoritaire
du président du PSch, Camilo Escalona, vont conduire à un renforcement de la cohésion de la
Concertación autour de la présidente et son ministre des finances Andrés Velasco (PSch), malgré
une nouvelle salve de défections –moindre- depuis la gauche de la coalition, cette fois2. La bonne
perception de la conduite gouvernementale pendant la crise, conduit à ce que la Concertación
parvienne à se maintenir cohésionnée jusqu’à la fin du mandat Bachelet, sans autres heurts.
Bachelet est, paradoxalement, considérée comme la présidente la plus populaire de l’histoire
récente du Chili, avec plus de 80% d’opinion favorable à la fin du mandat. D’ailleurs, durant la
campagne générale de 2009, les différents candidats de la Concertación s’efforcent de se présenter
dans la lignée de Bachelet, en s’affichant dans les photos de campagne avec la présidente sortante
plutôt qu’avec le candidat à le présidentielle (Frei).
Malgré des événements potentiellement diviseurs, les différents gouvernements de la
Concertación ont ainsi présenté des niveaux de cohésion particulièrement élevée, eut égard des
différences de culture politique, de leaderships et de cohérence idéologique. Si les marques
partisanes se sont maintenues, particulièrement celles du PSch et du PDC, elles ont contribué à
former une identité et un actionnariat concertationniste.
b. L’Uruguay ou l’équation impossible entre compétition et consensus et
gestion des fractions internes des partis traditionnels
Nous l’avons montré précédemment, les divergences idéologiques entre le Partido Colorado et
le Partido Nacional ne sont que faiblement représentatives, eut égard de la diversité interne de ces
deux partis, en raison de leur niveau de fractionnement et leur faible structuration programmatique.
Les deux partis traditionnels contiennent ainsi en leur sein, un éventail de positions relativement
élevées, qui rend ainsi peu pertinent le postulat sur l’unicité des acteurs, même si la tendance à la
droitisation des deux partis semble se prononcer depuis la sortie de la plupart des fractions
« progressistes », à la fin du XXe siècle. Les deux partis fonctionnent de manière fédérale où le
« liant » intra-partisan repose davantage sur une dimension symbolique. De même, contrairement au
cas chilien, les partis uruguayens n’ont pas eu à composer avec une « urgence de résultats » après le
recouvrement de la démocratie. Le discrédit des militaires et leur faible « héritage » ne
1 En réalité il s’agit d’un « match nul », puisque si la Concertación perd effectivement les élections municipales, avec
une percée des listes de l’opposition particulièrement dans des grandes villes symbolique (dont Valparaíso), les listes
PSch-PDC et PPD-PRSD, cumulées, l’emporte pour les élections des conseillers municipaux. 2 Dont la plus amblématique est celle d’Alejandro Navarro qui, en quittant le PSch, s’en va fonder le Mouvement
Ample Social (MAS).
313
constituèrent ni une menace pour la stabilité démocratique ni une option politique alternative.
Toutefois, le cas uruguayen partage avec le cas chilien trois éléments : i) la longévité des partis
coalisés, et leur réciproque similarité organisationnelle et structurelle1 ; ii) la force de ces
« marques » partisanes et leur impact identitaire sur la société, et iii) leur traditionnel antagonisme,
même si dans le cas uruguayen cet antagonisme entre colorados et blancos est nuancé par
l’expérimentation tout au long du XXe siècle de co-gouvernements. Les « liants » et la nature de la
connexité dans le cas uruguayen sont toutefois relativement différents du cas chilien, car plus
changeants. Nous pouvons ainsi caractériser les trois expériences de gouvernements de coalition en
Uruguay comme trois expériences distinctes tant dans la construction de politiques publiques que
dans la dimension organisationnelle.
Tout d’abord le gouvernement du blanco Luis Alberto Lacalle, constitue une phase
d’apprentissage, et repose sur une convergence d’ordre plutôt idéologique. Ensuite, le second
gouvernement Sanguinetti, comme gouvernement unifié, et dont les bases sont plutôt stratégiques.
Enfin, le gouvernement de Batlle qui semble combiner un peu des deux expériences précédentes,
sans pour autant se maintenir cohésionné au niveau gouvernemental2. Les trois gouvernements
découlent toutefois d’un seul et même schéma qui relève plutôt de la notion de « pacte » politique,
entendu comme une collaboration ponctuelle dans le but de résoudre un problème donné entre des
acteurs hétérogènes, sans projection ni prétention transformatrice ; plutôt que d’un projet
coalitionnaire à la chilienne où la dimension transversale et la propension réformatrice sont
centraux, suivant une « communauté d’intérêts »3. Les agents sont donc autonomes les uns des
autres, les relations plus lâches, chacun contribue à sa façon, et suivant ses nécessités et objectifs,
au travail commun. Enfin, à la différence du cas argentin ces relations se font de manière
équilibrée, entre acteurs de poids et de structuration similaire.
La première expérience, sous le gouvernement Lacalle (1990 -1992)
Ainsi, le gouvernement de Luis Alberto Lacalle (1990-1995) constitue une première en termes
de collaboration interpartisane. En effet, l’absence de troisième force importante jusque 1971
plaçait la centralité de la compétition politique du système partisan uruguayen de manière duale :
aussi bien interpartisane qu’intra partisane (entre fractions internes). La conquête de la majorité des
sièges à l’assemblée n’était d’ailleurs pas un gage d’unicité gouvernementale, tant la concurrence
1 Pour ce qui est du cas chilien nous nous en tenons à la relation PDC- PSch
2 Mais présentant une unité presque sans faille au niveau parlementaire.
3Pour une analyse des concepts “pacte” et projet, voir FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90.
Entre pactos y proyectos”, op. cit.
314
intra-partisane était forte1. La structure des partis uruguayens conditionne donc le comportement
des lemas et, de ce fait, les relations inter-fractionnelles, sur des bases aussi bien personnelles
qu’idéologiques2. En ce sens, le premier gouvernement de Julio María Sanguinetti « d’intonation
nationale », qui a marqué le recouvrement de la démocratie, s’inscrit dans une dimension
négociatrice et inclusive assez inédite3. Or, la permanence du Frente Amplio et le maintien de sa
base électorale a conduit les deux partis à revoir leur mode de relationnement dans un contexte
partisan particulièrement transformé. En effet, si le Frente Amplio ne constitue pas une menace
pour la démocratie, il en constitue une pour la stabilité de l’hégémonie des partis traditionnels sur la
gestion gouvernementale du pays. En outre, la posture du leader blanco Wilson Ferreira Aldunate
de garantir la « gouvernabilité » du système politique uruguayen, s’inscrit dans une perspective de
collaboration accrue entre les deux partis traditionnels du pays.
Dès lors, le gouvernement de Lacalle inaugure non seulement une nouvelle forme de
relationnement entre les deux partis traditionnels, mais également une conversion et restructuration
de ces mêmes partis, le tout dans un contexte de changement de matrice sociopolitique4. De plus,
le Partido Nacional après la disparition en 1988 de son leader Wilson Ferreira, d’inspiration plus
progressiste, a été contraint d’entamer sa mue autour du seul leadership « valide » : celui de
Lacalle. L’absence de leadership de contrepoids interne au Partido Nacional, parait conduire à une
amorce de dé-fragmentation du parti, mais conduit surtout vers sa personnalisation, autour de
Lacalle.
La formation d’un gouvernement de coalition constituait d’ailleurs l’un des thèmes de campagne
des élections de 1989, et lorsque le Partido Nacional remporte les élections, avec près de 39% des
voix, le nouveau président propose naturellement au Partido Colorado la formation d’un
gouvernement de « coïncidence nationale » à l’européenne, c’est-à-dire de manière unie et
favorisant le dialogue, afin de mener à bien les réformes socio-économiques liés au processus de
transformation de la matrice socio-économique du pays. Cela bien que le Partido Colorado
connaisse des tensions internes entre trois fractions constituant deux courants: i) les deux fractions
–majoritaires- se reconnaissant du « Batllisme » en référence au leader colorado José Batlle y
1 Comme ce fut notamment le cas lors des élections de 1942, 1950, 1954, 1958, 1966.
2 CAETANO, G., et RILLA, J., “El gobierno como cogobierno. Despliegues y repliegues de la democracia uruguaya,
1943-1973”, in LANZARO, J., La “segunda” transición en el Uruguay, Fundación de Cultura Universitaria,
Montevideo, 2000, pp. 197-257. 3 L’ambition initiale de Sanguinetti était de constituer une sorte de gouvernement “d’union nationale”, pensant même
inclure le Frente Amplio. Mais seules quelques fractions blancas vont se joindre au gouvernement. D’ailleurs certains
membres du FA ont fait parti des conseils d’administrations de certaines entreprises publiques, nommés par le
gouvernement. 4 LANZARO, J., “Transition in transition: parties, state and politics in Uruguay, 1985- 1993”, Document de travail n°
90, Institut de Cienciès Politics i Socials, Barcelone, 1994.
315
Ordóñez : le Foro Batlliste de l’ancien président Sanguinetti, à teneur plus social-démocrate ou
« social-libérale », et la lista 15 de Jorge Batlle, petit neveu de Batlle y Ordóñez et fils du président
colorado Luis Batlle Beres, proche des positions néolibérales (« modernistes ») du nouveau
président Lacalle; et ii) la fraction faisant référence à l’ancien président Jorge Pacheco Areco
(1967- 1972) qui a incarné le versant plus « autoritaire » du parti, notamment dans la mise en place
de censures contre les moyens de communication et les partis de gauche, et le recours à la force
armée dans la lutte antisubversive face au Mouvement Tupamaro de Libération Nationale.
Ainsi, dans la forme, ce gouvernement est composé de représentants de toutes les fractions
blancas (malgré une sous-représentation du courant ‘wilsonniste’, alors minoritaire depuis la mort
de son leader) et coloradas ce qui permet donc de dire qu’il s’agit bien d’un gouvernement de
coalition. D’ailleurs, d’une certaine manière, la dimension idéologique vient à constituer le « liant »
de cette coalition gouvernementale. Cette expérience constituant la « jonction critique » pour la
postérieure convergence des deux partis traditionnels. Ainsi, l’ancien sénateur blanco puis ministre
du travail de Jorge Batlle, Alvaro Alonso, va dans ce sens en reconnaissant que :
« Lorsqu’apparaît le Frente, celui-ci vient occuper un espace… ‘Populaire’, plus ‘socialiste’, et les
partis traditionnels, bien qu’ils contiennent des flancs aussi ‘populaires’ se recroquevillent alors
sur les positions qui sont les-leurs aujourd’hui… […]Il est naturel que ces partis qui ont une vision
semblable, à l’heure de devoir gouverner, se mettent à gouverner ensemble… avec l’idée de
réaliser ensemble des choses pour lesquelles ils sont tous les deux convaincus… en matière
économique le grand saut vient du gouvernement de coalition nationale [de Lacalle] où on a
cherché a approfondir un modèle d’ouverture économique… tout en nous différentiant du Frente.
[…] Il y avait une identité commune dans la forme et le fond en termes de commerce, de
transformation économique… »1
Les relations entre les agents du gouvernement, et la coopération interpartisane fluctuent face à
l’absence d’unicité des deux partis, mettant à mal le projet de coalition à l’européenne. Le président
Lacalle devait ménager les trois principales fractions coloradas. Mais dans cette configuration
fragmentée du PC, c’est la fraction de Sanguinetti qui s’avère être la plus éloignée aussi bien
idéologiquement que dans les relations personnelles. Lacalle devait également composer avec ces
propres divisions internes, puisque bien que sans chef et minoritaire, le courant wilsonniste,
demeure toujours influant à l’intérieur du Partido Nacional et représentait près de 40% des voix du
parti (voir tableau 5.1). Par ailleurs, les relations avec le courant de l’ex président Sanguinetti dans
le gouvernement et au parlement sont relativement distantes, sans réelles négociations de fond ni de
délibération intra-gouvernementale systématique. Toutefois, dans un premier temps, les relations
demeurent relativement cohésionnées, particulièrement au niveau parlementaire, et ce jusqu’à la
1 Entretien réalisé le 28/06/2011. Traduction propre.
316
sortie précoce de la fraction pro-Sanguinetti du gouvernement, en mai 1991, soit quinze mois après
l’assomption de Lacalle. Alvaro Ramos, ministre de l’Agriculture du gouvernement Lacalle,
résume cette sortie de cette manière :
« Le partenaire coalisé, qui est généralement celui qui est arrivé second ou troisième, a toujours
des aspirations a être premier. Et si tout va bien pour le gouvernement alors il est probable que la
coalition dure plus longtemps. Si les choses ne vont pas, alors le coalisé s’en va avant. Ainsi,
Sanguinetti est sorti de la coalition de Lacalle à cause du thème des privatisations des entreprises
publiques […] personne ne veut être le partenaire de la tragédie et encore moins face aux
élections »1
Six mois plus tard, c’est la fraction colorada de Jorge Batlle qui se retire, malgré une forte
coïncidence idéologique et personnelle avec le président, puis certaines fractions blancas plus
progressistes. Ces défections marquent la fin de cette première expérience de coalition
gouvernementale. Les désaccords portent tant sur le « fond », notamment la privatisation
d’entreprise nationales (la compagnie aérienne, la compagnie de téléphonie, la distribution de l’eau,
de l’électricité, la compagnie pétrolière nationale…), que sur des divergences de forme, où le
leadership fort et stricte de Lacalle entrait en conflit avec les leaderships non moins fort de
Sanguinetti et Batlle. A noter, également, un certain « amateurisme », ou manque de culture
gouvernementale de la part du PN, traditionnel challenger et/ou « partenaire » du Partido Colorado,
à l’heure de diriger un gouvernement2.
Le caractère fractionné des partis traditionnels a eu par conséquent un impact direct sur la
structuration du gouvernement de Lacalle et le maintien de la coalition de gouvernement, ce qui a
rendu caduque la concrétion de la « coalition à l’européenne » initialement recherchée. Seule une
fraction minoritaire du PC (le « Pachéquisme ») se maintient pratiquement jusqu’à la fin du
mandat. Les différentes fractions des partis manifestent ainsi leur autonomie intra-partisane, au
niveau gouvernemental, la coopération interpartisane est ainsi grevée par la compétition inter-
fractionnelle. La coalition gouvernementale fait en effet les frais d’une réticence de la part de
leaders et de structures organiques traditionnellement antagonistes3. Le « pacte » entre les deux
partis, quant à faciliter la gouvernabilité et la réalisation de politiques publiques réformatrices,
souffre alors d’un double manque de coordination interpartisane et intra-partisane.
1 Entretien réalisé le 04/07/2011. Traduction propre.
2 MANCEBO, M.A., “De la entonación a la coincidencia nacional”, in Revista Uruguaya de Ciencia Politica, No. 4,
1991, pp. 29-44. 3 FILGUEIRA, C., et FILGUEIRA, F., « Coaliciones reticentes: sistema electoral, partidos y reforma electoral en el
Uruguay », in NOHLEN, D., et FERNANDEZ, M., El presidencialismo renovado, Nueva Sociedad, Caracas, 1998. pp
287- 308.
317
Le gouvernement de coalition « intégrale » de Sanguinetti (1995-2000)
Cette première expérience va, toutefois, constituer un référent dans la relation interpartisane
entre blancos et colorados, et jeter les bases dans la matérialisation des coopérations à venir entre
les deux partis. Ainsi, le suivant gouvernement s’efforce de conclure un gouvernement de coalition
explicite et de compromis, en réponse au « match-nul électoral » de 1994. L’assomption du second
gouvernement de Sanguinetti (1995-2000), compte avec un contexte politique particulièrement
différent de celui de Lacalle. En effet, le Frente Amplio sous la présidence Lacalle demeurait une
« troisième force », certes importante mais sans réelle capacité de blocage ni de véto (21.3%, quand
les capacités de blocage de réforme constitutionnelles sont établies à 33.3%, et à 40% pour
confirmer un premier véto parlementaire et/ ou une motion de censure) ; mais avec 31% des voix et
des sièges au parlement celui-ci vient constituer une force politique avec un réel potentiel de
blocage (quasi veto player). De plus, là où les deux partis traditionnels présentaient, encore, des
niveaux de fractionnement interne importants sous Lacalle, la présidence Sanguinetti jouît d’un
contexte favorable, où sa fraction est quasi hégémonique au sein du PC (plus de 78%), soit une
configuration quasi-unitaire ; et un Partido Nacional certes divisé en deux courants mais qui
présente un niveau de polarisation interne bien moindre, autour de la figure consensuelle de son
président du directoire et candidat le plus voté à l’élection1, Alberto Volonté, qui parvient à
conduire une convergence interne entre un secteur important des pro-Lacalle et le secteur orphelin
du leadership de Wilson Ferreira2.
Le leadership de Volonté est en effet beaucoup moins clivant et conflictuel en interne que celui
de Lacalle, ce qui conduit le Partido Nacional à s’organiser de manière moins fragmentée que sous
la présidence de Lacalle. De plus, les bonnes relations personnelles entre le président nouvellement
élu, Julio María Sanguinetti, et Alberto Volonté vont conduire à ce que tous deux recherchent à
conformer un gouvernement de coalition fort, afin d’empêcher la potentielle survenue d’un
« syndrome Allende » du fait du déficit de légitimité auquel a accouché l’élection de Sanguinetti
(moins de deux points de plus que le troisième parti, le Frente Amplio)3. Enfin, Alberto Volonté
considérait la collaboration étroite avec le gouvernement Sanguinetti, et la permanence des
1 Rappelons que le système électoral de “double vote simultanné” à l’élection présidentielle en Uruguay, en vigueur
jusqu’en 1997, consistait en un vote partisan puis à l’intérieur de celui-ci un vote pour une fraction. A ce titre, le
candidat Volonté est arrivé en première position regrouppant autour de son nom 47.62% des voix de son parti, devenant
par-là même président du directoire du PN. 2 L’Herrerisme étant le secteur de Lacalle. Pour un rappel des “secteurs” uruguayens, voir supra chapitre 3.1.3a
3 A titre de rappel, le résultat de cette éléction a été le suivant: Les résultats de cette élection ont été les suivants: PC
32.2%, PN 31.2%, FA 30.6%. Voir PODETTI, R., La política entre la cooperación y el conflicto: un balance del
cogobierno blanco entre 1995 y 1999, Ediciones de la Plaza, Montevideo, 2003; LANZARO, J., “Uruguay: Reformas
políticas en la nueva etapa democrática”, in ZOVATTO, D., et OROZCO, J., Reforma política y electoral en América
Latina 1978-2007, Instituto de Investigación Juridica/ UNAM, Mexico, 2008, pp. 905-952.
318
ministres blancos jusqu’au terme du mandat, comme une stratégie politique qui serait bien reçue
par l’électorat uruguayen car preuve d’une « vision » et d’une « responsabilité » nationale au-delà
des intérêts partisans, cette vision est confirmée par un sondage publié le 20 Août 1995, soit près de
six mois après l’assomption de Sanguinetti, où près des deux tiers des sondés (64%) voyaient
comme « positif » l’hypothèse du maintien de la coalition jusqu’au prochaines élections1. En
résumé, Alberto Volonté agissait et était perçu, par le Partido Nacional et le Partido Colorado,
comme une sorte de « premier ministre » du président Sanguinetti2, et de l’aveu du propre Volonté :
« Je ne comprenais rien à la logique politique, et moi je voulais créer un gouvernement contenant
un programme ordonnateur […] j’appartiens à un parti où sont nombreux ceux qui pensent de
manière différente, or il faut se demander quel est l’objectif des partis. L’objectif du mien est de
gouverner, et s’il y a des désaccords il faut savoir les gérer […] Ma vision c’était que nous
gagnerions les élections suivantes car les gens se rendraient compte que si ce gouvernement [de
Sanguinetti] faisait bien les choses, ce serait grâce au Partido Nacional, et donc ils voteraient
pour nous. […] et pour cela, on m’a traité de ‘chupapija’ (sic.) de Sanguinetti […] Sanguinetti est
une personne détestée par les blancos […] mais avec son charme et son talent il était naturel et
agréable de coopérer »3.
De manière opérationnelle, Volonté avance que la conclusion de la formation de la coalition
découle d’un programme et d’un agenda commun non-public, passé entre le président Sanguinetti
et le directoire blanco entre décembre 1994 et janvier 1995. D’ailleurs, durant quasiment toute la
présidence de Julio María Sanguinetti, le Partido Nacional a opéré de manière unitaire, où « le
président du directoire avait le dernier mot », cela était facilité par l’effacement circonstanciel de
Lacalle, en raison de son impossibilité constitutionnelle à se représenter à la présidence, et d’une
suspicion d’implication dans des affaires de corruption. Le Partido Nacional, opérait ainsi
davantage comme un partenaire plutôt qu’un potentiel concurrent. Dans les faits, le gouvernement
Sanguinetti a fonctionné de manière extrêmement cohésionnée et conjointement avec les groupes
colorados et blancos au parlement4, et cela jusque la mi-1998, où une fraction blanca dirigée par
Alvaro Ramos rompt avec le leadership de Volonté et sort du gouvernement. Ce gouvernement
constitue la première expérience pluripartisane effective, au-delà de la tradition pluri-fractionnelle
de gouvernement, dans l’histoire de l’Uruguay.
Le ministre blanco de l’intérieur d’alors, Raúl Iturria, confirme que :
1 Sondage publié dans le journal uruguayen El País. La question posée étant « Considérez-vous comme positif ou
négatif que les ministres blancos restassent en place au sein du gouvernement jusqu’aux prochaines élections ? », 13%
considérant cette option comme « négative », 11% comme « ni positif ni négatif », et 12% ne se prononçant pas. 2 D’après le ministre –colorado- de l’économie de Jorge Batlle, Isaac Alfie.
3 Entretien réalisé le 24 novembre 2009. Traduction propre.
4 De nombreux politistes parlent de délégation du parlement auprès du gouvernement, où les groupes parlementaires
approuvaient presque « automatiquement » les projets provenant de l’exécutif. Voir notamment MOREIRA, C., Una
mirada a la democracia uruguaya : Reforma del Estado y delegación legislativa 1995-1999, FLACSO/ Miguel Angel
Porrúa Editor, Mexico, 2003.
319
« Ce fut un gouvernement très uni, avec une volonté de Sanguinetti de donner une liberté totale. Il
s’agit d’un homme avec qui il est très facile de s’entendre, qui vous écoute, avec qui on peut
présenter des arguments… Nous travaillions avec beaucoup de commodité et facilité […] le
gouvernement de Sanguinetti de par son actuation et celle de Volonté a été très unificateur […]
Les deux ont de fortes personnalités en plus d’avoir de très bonnes relations. »1
Pour autant, malgré une gestion gouvernementale efficace et productive2, et populairement
approuvée, et malgré la bonne considération de l’action de Volonté, le résultat des élections
internes blancas de 1999 ne vont pas aller dans le sens de la logique de coalition. En effet, la
première réalisation de primaires obligatoires en Uruguay, depuis la réforme constitutionnelle de
1997, semble confirmer la thèse de Josep Colomer sur la différentiation entre expectatives
partisanes et nationales3, puisque c’est le candidat opposé à Alberto Volonté, l’ex président Luis
Alberto Lacalle, qui dans un climat extrêmement tendu et critique s’est imposé avec 48% des voix.
Le candidat Lacalle a d’ailleurs subi une campagne « négative », de la part du candidat arrivé en
seconde position, Juan Andrés Ramírez, autour de graves accusations de corruption, liées aux
affaires le concernant durant son mandat. Au sortir de cette élection interne, le PN renoue avec les
tensions et divisions internes qui ont marqué la période pré-Volonté, au début des années 1990.
Le gouvernement Batlle (2000-2005), et le « syndrome Volonté »
La troisième expérience uruguayenne de gouvernement de coalition, s’inscrit dans un cadre
politique particulièrement nouveau pour le pays. En effet, la tenue des « élections internes
obligatoires » à chaque parti, sensé consacrer l’unicité des candidatures et mettre fin au système de
double vote simultané (DVS, voir supra 2.1.1c), vient limiter en apparence la diversité fractionnaire
des partis, en contraignant celles-ci à appuyer aux élections présidentielles le candidat le plus voté4.
Ainsi, des partis qui présentent des niveaux de polarisation interne particulièrement élevés, comme
c’est le cas du Partido Nacional, peuvent apparaitre pourtant artificiellement unis le jour de
l’élection.
Surtout, les élections générales de 1999 marquent un tournant dans l’histoire politique
uruguayenne, puisque le Frente Amplio qui s’était précédemment positionné comme potentielle
1 Entretien réalisé le 27 juin 2011, traduction propre.
2 Ce que démontrent les travaux sur la production parlmentaire. Voir notamment MAGAR, E., et MORAES, J. A., « Of
coalition and speed : passage and duration of statutes in Uruguay’s parliament 1985-2000 », in Working Papers de
l’IBEI, No. 15, Barcelone, 2008. 3 Josep Colomer montre ainsi que le “meilleur candidat” pour les symphatisant d’un parti n’est pas forcément le
meilleur candidat au niveau national. Voir entre autres COLOMER, J., “Las elecciones primarias en América Latina”,
in Claves de Razón Práctica, No. 102, Madrid, 2000; et COLOMER, J., “Las elecciones primarias presidenciales en
América Latina y sus consecuencias políticas”, in CAVAROZZI, M., et ABAL MEDINA, J.M., El asedio a la política
: los partidos latinoamericanos en la era neoliberal, Rosário, Homo Sapiens, 2002. p. 117-134. 4 Le caractère obligatoire de ces elections s’appliquant uniquement aux structures partisans, et non pas aux électeurs.
320
force de blocage, s’érige alors comme le premier parti du pays, en contrôlant 40% des sièges au
parlement, et surtout il arrive en tête du premier tour des élections présidentielles « nouvelle
formule ». Pour la première fois, les partis traditionnels sont relégués au rôle de « challengers »
d’une troisième force politique, le Frente Amplio (voir le graphique 5.6).
Cette élection est particulièrement rude pour le Partido Nacional, qui enregistre le pire score
électoral de son histoire -22.3%-, ce à quoi les principaux leaders semblent voir, dans un premier
temps, comme une sanction à l’encontre du comportement gouvernemental sortant jugé trop
coopératif ; l’élimination de l’armateur de l’accord de coalition gouvernementale –Alberto Volonté-
dès les primaires viendrait appuyer cette thèse1. Cette posture, dominante au soir de la défaite,
oublie néanmoins de faire référence à la campagne négative et destructrice des primaires blancas et
surtout de s’arrêter sur le profil controversé du candidat Lacalle. Après le ralliement blanco d’entre-
deux-tours autour du candidat colorado Jorge Batlle, et la victoire finale de celui-ci, les dispositions
en vue de la formation d’un gouvernement de coalition avec ces mêmes colorados sont nettement
moins emballées et compromises qu’en 1994.
En effet, si les leaders des deux partis présentent des positions idéologiques – d’inspiration
libérales et néolibérales- particulièrement proches, ainsi que des relations réciproques de franche
1 Volonté n’arrive en effet qu’en troisième position, avec un peu moins de 11% des voix.
321
cordialité ; leurs positions en interne, dans leur parti respectif diffèrent aussi bien entre-elles qu’en
comparaison avec 1994. Ainsi, le Partido Colorado, après les élections internes de 1999 s’est
regroupé autour du candidat et futur président –Jorge Batlle- sans tensions particulières1, les deux
principaux candidats des primaires viennent au final former le « ticket présidentiel » (président +
vice-président) colorado pour les élections à venir. Ils affichent ainsi une image unitaire et
détendue du parti. A l’opposé, la candidature de Lacalle a été marquée, à cause des tensions
apparues lors des primaires, par une absence de cohésion et d’implication dans la campagne de la
part de « l’Alianza Nacionalista», secteur qui regroupe les quatre fractions perdantes, toutes anti-
Lacalle. Le parti se présente donc particulièrement divisé et désuni lors de ces élections2.
Or, si l’accord de formation de coalition gouvernementale s’est tenu sous Sanguinetti après son
élection et de manière détendue bien que privée, le contexte de la formation de l’accord de coalition
gouvernementale autour de Jorge Batlle, ainsi que la gouvernance de ce gouvernement s’est réalisé
dans un climat et un contexte autrement différent, du fait notamment de son origine, puisque
l’accord s’est tenu alors que le candidat Batlle n’était pas encore élu mais seulement qualifié en
deuxième position pour le second tour des élections présidentielles. L’élimination dès le premier
tour du Partido Nacional, combiné aux tensions internes, fruits du faible score de Lacalle et du
discrédit post-primaires des autres leaders favorables au dialogue inter-partisan, dont Volonté, a
braqué les leaders de ce parti. Certaines figures montantes, dont Jorge Larrañaga, se posaient
d’ailleurs contre tout accord de coalition. Jorge Batlle résume d’ailleurs le contexte de négociation
d’entre-deux-tours de la manière suivante :
« Le résultat de 1999 montre que le ballotage fonctionne. Mais avant çà nous avons dû aller au
‘bunker’ (sic.) du Partido Nacional pour leur dire ‘‘on va faire ceci et pour cela nous avons besoin
de votre soutien, et pour çà vous aurez cinq ministres dans le gouvernement’’ » 3
Bien que le Partido Colorado ait maintenu sa votation en comparaison avec 1994 (32,35% en
1994 ; 32,8% en 1999), la position de Batlle est beaucoup plus fragile que celle de Sanguinetti.
Batlle est en effet contraint de négocier avec le PN pour garantir son ralliement et donc son
élection. La posture du Partido Nacional dans ce processus de formation et de gouvernance
commune sera marquée par un comportement à la fois beaucoup plus proactif dans ses exigences et
beaucoup moins coopératif vis-à-vis du président et du Partido Colorado. Dès l’accord de
ralliement d’entre-deux-tours, le PN adopte une posture revendicatrice à l’opposée de celle de
1 Batlle l’emporte par 55%, contre 45% au candidat officialiste (issu de la fraction de Sanguinetti), Luis Hierro López.
2 Le partenaire du candidat Lacalle, et candidat à la vice-présidence, Sergio Abreu, bien que désigné par la convention
blanca pour représenter le secteur non-herreriste du parti, ne présentant pas un leadership capable de réunifier le parti. 3 Entretien réalisé le 01/07/2011, traduction propre.
322
Volonté, cinq ans plus tôt, dont l’attitude vis-à-vis de Sanguinetti est résumée de la sorte par
l’intéressé :
« Envoie-moi tout ce que tu veux faire (sécurité sociale, etc…) tu es le président, et le chef de la
coalition c’est toi. Celui qui perd ne commande pas […] faisons un gouvernement depuis la
présidence et non pas depuis le parlement car c’est trop instable »1.
L’attitude de Lacalle et du directoire du Partido Nacional découle de l’apprentissage de la
défaite aux élections, et est marqué par une attitude de proposition où le perdant est le « faiseur de
roi », celui-ci négocie son soutien contre davantage de postes ministériels (voir chapitre 6) et une
autonomie relative dans sa relation au gouvernement. Le Partido Nacional après la négociation de
Lacalle, va occuper une position charnière, puisque s’il garantit sa participation au gouvernement -
bien que Lacalle lui-même à l’image de Volonté sous la présidence de Sanguinetti ne fasse pas
partie du gouvernement-, tout en conservant une certaine autonomie et s’arrogeant un droit de
critique vis-à-vis de ce même gouvernement2. Ceci laisse ainsi entrevoir une possibilité de retrait de
la coalition si nécessaire, ce qui satisfait l’aile réformatrice du PN dirigée par Jorge Larrañaga et
hostile à la formation d’une coalition gouvernementale. De cette manière, l’expérience de cette
seconde coalition comme partenaire du Partido Colorado constitue, pour le PN, un moyen en vue de
sa restructuration : garantir sa visibilité et son autonomie tout en gardant un contrôle sur l’action
gouvernementale, alors même que le rapport de force lui était initialement défavorable. L’objectif
est donc de se présenter dans la meilleure position possible lors des élections suivantes (en 2005).
Avec la crise économique importée d’Argentine en 2002, le spectre d’un « syndrome Volonté »
se manifeste alors pleinement au sein du directoire du PN, et rend le maintien des ministres blancos
au gouvernement de plus en plus couteux, notamment en termes de responsabilité et reddition des
comptes. Le sénateur Jorge Larrañaga convainc ainsi le directoire du parti de l’urgence de la
réalisation d’une convention interne, pour statuer sur le maintien du soutien au gouvernement ou au
retrait ministres blancos de la coalition. La convention d’octobre statut finalement sur le retrait de
la coalition tout en maintenant une partisane de garant de la « gouvernabilité » du pays. Les
ministres blancos se retirent donc du gouvernement, afin de ne pas être associés à la gestion de
crise du président Batlle, mais les parlementaires du parti appuient sans réserve les mesures du
gouvernement. La coalition gouvernementale rétrograde, en quelque sorte, en une coalition
parlementaire. Par la même occasion, Jorge Larrañaga se présente comme figure alternative au
leadership, jusque-là « imbattable », de Lacalle.
1 Entretien réalisé le 24/09/2009, traduction propre.
2 Pressionant, par exemple, activement le président de la République pour le remplacement du ministre de l’économie,
Alberto Bensión, en juillet 2002.
323
Isaac Alfie, ministre de l’économie de Batlle dans la dernière partie de sa mandature, résume
ainsi la situation de la sortie des blancos du gouvernement:
“Les blancos sont partis mais au final ils ne sont jamais partis […] Ils ont tout voté, c’était une
manière de maintenir l’électorat, sinon les gens allaient voter à 60% pour le Frente… ce qui
aurait tout changé… »1
Le président Batlle va dans la même direction :
« [l’accord avec le Partido Nacional] était tellement fort qu’il aurait put durer cinq ans facile.
Pendant que les choses allaient bien et qu’on avait de la croissance il n’y avait aucun problème.
En pleine crise Larrañaga s’est rendu compte qu’il battrait Lacalle s’il profitait de la crise et
disait au blancos qu’ils devaient sortir du gouvernement pour se présenter aux élections sans être
lié au gouvernement. Malgré cela, le PN a appuyé tout ce que nous présentions.[…] en définitive
les choses ont fonctionné pendant qu’ils avaient des ministres et après qu’ils les retirent »
*
En résumé, la dimension structurelle interne des partis uruguayens a particulièrement influencé
le type de connexité prévalant entre les partis. Ainsi, ce n’est pas forcément le nombre de fractions
internes (exprimé par le nombre effectif de fractions présentes au parlement) qui viendrait à être
déterminant, mais plutôt le contrôle du président sur son parti et surtout le degré de cohésion ou
« polarisation interne » du parti allié. En effet, lorsque l’on observe le tableau 5.1, on observe que
sous la présidence Sanguinetti, la fraction de ce dernier détenait plus des trois quart (78%) des
sièges colorados au parlement ; et que, surtout, la cohésion interne du PN était particulièrement
forte autour du leadership de Volonté, malgré un fractionnement interne record (4.2). Inversement,
les deux autres gouvernements de coalition qui se sont maintenu cohésionnés moins de deux ans,
présentent des cas de figures où le partenaire du président apparaissait particulièrement divisé en
interne. Dans le cas de la présidence Lacalle, la circonstance aggravante est que le propre parti du
président présentait également un niveau de division et de polarisation interne élevée.
Ajoutons, enfin, le facteur contextuel. En effet, les trois gouvernements on été marqués par une
convergence idéologique de la part des deux partenaires, ce qui a mené certains partisans en interne
à évoquer une indifférenciation des postures des deux partis. Mais si les leaderships de Sanguinetti
et Volonté ont largement contribué au bon fonctionnement du gouvernement auquel ils ont
participé, l’aspect socio-économique n’est pas à sous-estimer, notamment pour la présidence Batlle,
bien qu’il n’explique pas tout : sous la présidence Lacalle le pays a connu une croissance soutenue
(7.75% de moyenne), mais n’a pas produit pour autant de « lune de miel » entre les deux partis au
gouvernement. Enfin, l’apprentissage des deux partis et la progression du frente amplio ont, à leur
1 Entretien réalisé le 04/07/2011, traduction propre.
324
tour, joué un rôle décisif. Quand il n’était encore qu’un élément « perturbateur » (sous Lacalle),
sans impact majeur sur le système politique, les deux partis pouvaient maintenir un certain degré
d’autonomie. Lorsque le frente amplio vient occuper une place de joueur avec potentiel de véto, la
cohésion interpartisane a été la plus forte. De même, le « syndrome Volonté », combiné au
réalignement du système partisan uruguayen et la « droitisation » du Partido Colorado (voir supra
chapitre 2.2.1), ont conduit à une dilatation de la cohésion interpartisane, et un changement de la
stratégie du PN1.
Tableau 5.2 : Contingents des partis et factions dans les gouvernements de coalition
uruguayens
Présidence Contingent
législatif de la coalition (%)
Contingent législatif
du parti/ de la fraction du président (N)
Nombre effectif de fractions du parti du président/ du parti
« allié »
Cohésion
interne du parti « allié »
Lacalle
(1990-1995) 67,7 39/ 23 (59%) 2.9/3.5 faible
Sanguinetti (1995-2000)
63,6 32/ 25 (78%) 2.5/4.2 forte
Batlle
(2000-2005) 55,6 33/ 16 (48%) 1.9/1.7 faible
Notes : entre parenthèses apparait la « part » de la fraction du président, en pourcentage, à l’intérieur de son propre parti.
Source : Facultad de Ciencias Sociales, Universidad de la República, à partir de données de la Cour
Electorale uruguayenne.
c. Argentine : l’Alianza, un mariage blanc ?
La formation et la structuration de l’Alianza argentine s’inscrit, d’une certaine manière, à mi-
chemin entre les expériences de coalitions chiliennes et uruguayennes. La coalition
gouvernementale qui se forme en 1999 découle d’un processus initié, au minimum, deux ans plus
tôt entre deux partis qui ont mis en commun leurs propres ressources au cours d’élections
législatives (1997) dans le but de former une force politique susceptible de représenter une
alternative crédible face à Carlos Menem, et le PJ. L’Alianza est donc, d’abord et à l’image de la
Concertación, une alliance électorale.
La portée de cette coalition relève cependant davantage d’un « pacte gouvernemental » plutôt
que d’un projet politique concret, les efforts se concentrent en effet essentiellement sur la victoire
1 Sur ce dernier point, voir notamment CHASQUETTI, D., et GARCE, A., “Unidos por la historia: Desempeño
electoral y perspectivas de colorados y blancos como bloque político”, in BUQUET, D., Las claves del cambio. Ciclo
electoral y nuevo gobierno. 2004-2005, Ediciones de la Banda Oriental - Instituto de Ciencia Política, Montevideo,
2005, pp. 187-204
325
contre Menem via la conquête à moyen terme de la présidence, d’où la formation d’une alliance
électorale pour les législatives de 1997. Rodolfo Terragno, alors président de l’UCR et artificier de
l’alliance, résume ainsi la situation :
« Pour les élections parlementaires de 1997, tout le monde, tant au Frepaso qu’à l’UCR, disait
qu’il fallait laisser passer, que on ne ferait rien en 1997… mais moi je disais qu’il ne pourrait y
avoir de ‘99’ sans ‘97’… parce que si nous entrions dans une logique de différentiation et
confrontation, alors nous ne nous rapprocherions plus… »1
La structuration essentiellement « pactiste »2, marquée par l’absence d’une réelle intégration et
interpénétration sur les autres niveaux de pouvoir a entravé la construction d’une réelle identité
Allianciste et encore moins des mécanismes institutionnels de type supra-partisans. Trois autres
éléments, en plus de l’absence de « culture de coopération » dans l’historicité politique argentine et
surtout dans la culture politique de l’UCR3, se sont ajouté à ceci : i) l’impact du type de structure
des partis en présence, notamment sur leur niveau respectif de cohésion organisationnelle interne;
ii) le contexte politique et électoral à partir duquel s’effectuent les premiers rapprochements ; et iii)
la spécificité du processus coalitionnaire de l’Alianza, en comparaison avec les cas chilien et
uruguayen, où le rapport de forces entre les acteurs de la coalition –électorale puis
gouvernementale- en termes d’infrastructures partisanes, est particulièrement déséquilibré.
Rappelons tout d’abord l’organisation traditionnelle de type « mouvementiste » des partis
politiques argentins, auquel n’a pas échappé le FREPASO, où l’organisation et la structuration des
lignes politiques et stratégiques se cristallisent autour de leaderships forts (voir infra 5.2.1). Ce sont
les leaders partisans qui détiennent le pouvoir étatique, ou qui sont en passe de pouvoir l’obtenir,
lesquels ordonnent et cohésionnent l’appareil partisan et non l’inverse. L’identité des partis
argentins se fonde et se projette, en effet, par et depuis l’Etat. Toutefois, les deux partis en présence
présentaient en 1997 un niveau de structuration et d’organisation asymétrique4. En effet, le retrait
de Raúl Alfonsín de la direction du parti, en 1995, comme conséquence des critiques vis-à-vis du
« Pacte d’Olivos » signé avec Menem5, a conduit à ce que se produise un vide de leadership et
affleurent des divergences aussi bien idéologiques qu’organisationnelles, autour des « héritiers »
d’Alfonsin dont le principal représentant était Rodolfo Terragno, et un secteur d’orientations de
1 Entretien réalisé le 28 août 2009. Traduction propre.
2 Nous reprennons la dichotomisation des notions « pacte » et « projet » coalitionnaire, tel que définis par Claudio
Fuentes in FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, op. cit… 3 Comme nous l’avons souligné précédemment, aux chapitres 2 et 3.
4 NOVARO, M., et PALERMO, V., Los caminos de la centroizquierda : dilemas y desafíos del Frepaso y de la
Alianza, Editorial Losada, Buenos Aires, 1998. 5 Accord passé en 1994, entre les deux leaders du PJ et de ‘lUCR –Menem et Alfonsin- aboutissant à la tenue d’une
réforme constitutionnelle, dont la principale conséquence est de rendre possible la réélection directe du président, et qui
débouchera sur la réélection effective de Carlos Menem.
326
type néolibérales, emmené par la figure de Fernando de la Rúa. Néanmoins, et malgré son retrait
des premiers postes, Alfonsin continuait à exercer une influence de fond, sans pour autant chercher
à occuper un premier rôle. Marcelo Stubrin, député radical pendant le gouvernement de l’Alianza,
résume ainsi de manière sibylline: « l’UCR c’était Alfonsín… »,1.
En face, le FREPASO présentait des caractéristiques inverses, à savoir une existence récente et
une faible institutionnalisation, mais un leadership accompagné de la figure consensuelle de
Graciela Meijide2. Ce tandem particulièrement fort et complémentaire
3, est parvenu à faire
progresser rapidement le parti tout en maintenant cohésionnés les membres de celui-ci derrière la
figure d’Alvarez, suivant l’idiosyncrasie argentine. Mais cette organisation a également constitué
une faiblesse structurelle marquée par une Alvarez-dépendance, comme le montre Rodolfo Rodil4:
« Une des limitations du Frepaso c’est qu’il n’a jamais eu vocation de construction partisane. On
n’a jamais construit cette identité ‘frepasiste’. Le Frepaso se résumait à Chacho et Meijide… la
preuve c’est que quand ils s’en vont, le parti disparaît » […] « Je me demande si nous qui faisions
partie du Frepaso, et particulièrement Chacho Alvarez, avons jamais eu l’intention sérieuse de
créer une alternative au bipartisme, ou si plutôt il s’agissait de construire une position politique
pour ensuite créer un raccourci pour arriver au pouvoir »5
Par ailleurs, le contexte électoral est central en ce qu’il positionne les tendances des deux partis,
et surtout l’aspect fonctionnel de l’alliance. En effet, si l’UCR est le parti le plus ancien du système
politique argentin, il est en 1995 en perte de vitesse dramatique comme conséquence de la
mauvaise gestion de la communication autour du « pacte de Olivos », passé avec le président
justicialiste Carlos Menem, dont les motivations n’ont pas été bien comprises ni accueillies par une
partie importante de l’électorat traditionnel du parti, provenant essentiellement de la classe
moyenne. C’est en réponse à cela que le FREPASO, récemment constitué, enregistre sa poussée
électorale aux dépends de l’UCR, puisqu’il se hisse à la seconde place lors des élections
présidentielles de 19956, et enregistre près de 13 points de plus que les radicaux. Mais les élections
législatives partielles tenues simultanément montrent la limitation de l’ancrage électoral du
FREPASO autour de Buenos Aires et quelques grands centres urbains (Santa Fe et Rosário,
1 Entretien du 17/07/2010. Traduction propre
2 Comme activiste pour la cause des Droits de l’Homme et sa participation active au sein de la Comission Nationle sur
les Disparitions de Personnes (CONADEP), établissant les faits de violations des droits de l’homme lors de la dictature
qui s’est étalée de 1976 à 1983. 3 Le « séducteur » et « l’institutrice », comme le résume Graciela Fernandez Meijide elle-même.
4 Rodil a été député du Frepaso au parlement national, pour Buenos Aires, et est l’un des principaux armateurs du
rapprochement avec l’UCR. 5 Entretien réalisé le 25/07/2010. Traduction propre.
6 Marquées par la réélection dès le premier tour de Menem.
327
notamment). Le parti obtient ainsi un groupe parlementaire inférieur à celui de l’UCR (21 députés
contre 28), laquelle conserve ainsi son caractère national et son implantation provinciale.
L’alliance électorale entre les deux partis est perçue comme un moyen nécessaire dans le but de
déplacer le PJ du gouvernement1 : l’UCR a besoin des votes du FREPASO, lequel à besoin de la
structure institutionnelle des radicaux. A l’initiative de Raul Alfonsin puis des deux figures
principales de chaque parti, Terragno et De la Rúa pour l’UCR et Alvarez et Meijide pour le
FREPASO, se crée le « groupe des cinq » qui consiste en la tenue de réunions et la formation de
comités pour élaborer la stratégie électorale et organisationnelle, en vue de conduire la formation de
la coalition électorale pour les législatives de 1997. Graciela Meijide résume cette approche ainsi :
« Nous [le Frepaso] n’avions personne à l’intérieur du pays, aucun observateur pour surveiller les
tables de votations… l’UCR nous était fonctionnelle et nous on lui était en retour, il s’agissait
essentiellement d’une convergence utilitaire… de fait il n’y a pas eu d’alliance sur l’ensemble du
territoire… »2
Le succès électoral3, a conduit à une intensification de la collaboration interpartisane en vue de
l’échéance présidentielle de 1999. Pour ce faire, Alfonsín décide de former l’Institut
Programmatique de l’Alliance (IPA) avec l’ambition sincère de doter l’Alianza d’une base
programmatique et comportementale solide : la « Lettre aux Argentins » (Carta de los Argentinos).
L’élaboration de ce programme est le fruit de débats et discussions communs entre figures
principales des deux partis de l’avis même de Dante Caputo, chargé de réaliser la synthèse du
document, il s’agissait d’un travail « très bien réalisé partant de paramètres argentins »4.
Toutefois, la dimension programmatique ne contenait pas de volet sur la prise de décisions
politiques et de routinisation des processus d’exercice structuré et partagé du pouvoir, ce qui
constituait pourtant un aspect essentiel pour la gouvernance de la coalition.
Or, le rapport des forces partisanes va conduire à ce que ce processus reste, au final, stérile. En
effet, l’un des principaux éléments de différentiation entre l’Alianza argentine et les processus
coalitionnaires chiliens et uruguayens, repose en partie sur la structure des partis au pouvoir et de
leur rapport déséquilibré en termes de ressources politiques et financières. Alors que les processus
uruguayens se sont déroulés entre les deux mêmes partis ayant marqué la structuration politique du
1 Jusque 1998, Menem laisse entrevoir un recours à une interpretation constitutionnelle, où la possibilité de réélection
serait effective non pas de manière rétroactive mais, à partir de l’entréen en vigueur de la réforme constitutionnelle de
1994. Menem renonçant finalement, abandonnant ainsi au gouverneur de la province de Buenos Aires, Eduardo
Duhalde, le soin de représenter le PJ. 2 Entretien réalisé le 14/06/2011. Traduction propre.
3 Si l’Alianza recueille plus de 45.6% des voix, et 48% des sièges (61/127 en lice), rappelons que le pacte électoral nes
s’est pas appliqué à l’ensemble du territoire, puisque notamment dans les provinces de Cordoba ou Neuquén, UCR et
Frepaso se sont présenté en listes séparées, soit un total de pres 9.5 points. 4 Propos recueillis lors de l’entretien du 27/10/2011. Traduction propre
328
pays depuis l’indépendance ; et là où la Concertación s’articule autour de deux partis –le PSch et le
PDC- à caractéristiques semblables (importantes bases de militants et d’élus, capacité de
mobilisations comparables), l’Alianza a rassemblé deux partis de tradition, de profil et surtout de
ressources déséquilibrés. L’UCR, bien qu’en perte de vitesse, maintenait un appareil partisan sur
l’ensemble du territoire et était capable de mobiliser des sympathisants et militants aux moyens de
ressources financières et clientélaires que le FREPASO était incapable de réunir, du fait de son
absence d’institutionnalisation et sa récente création. Ce déséquilibre des ressources devient
manifeste, pour la première fois, lors des élections primaires de novembre 1998 en vue de la
désignation du candidat commun à l’élection présidentielle de 1999. Sans surprise, c’est le radical
et gouverneur de la ville autonome de Buenos Aires, Fernando de la Rúa qui l’emporte très
nettement sur la candidate du FREPASO Graciela Fernandez (avec 63.5% des voix)1. L’aspect
coopératif reste d’apparence préservé, par le choix de la part de De la Rúa de prendre Chacho
Alvarez comme colistier à l’investiture vice-présidentielle s’inscrivant en conformité avec la Lettre
aux Argentins : « L’Alianza propose en résumé ses idées et projets avec un style de gouvernement
qui s’inscrit clairement en opposition avec l’administration qui prend fin. Sans ostentation et faits
du prince et […] cherchant à limiter les critères discrétionnaires du pouvoir. Le temps de la
décence, de la transparence et de l'austérité alliée au courage est venu, ainsi que celui de la
sagesse et de la tempérance alliée à la sensibilité et la responsabilité morale. »2
Cependant, les relations dégradées au sein même de l’UCR, entre les défenseurs De la Rúa et
ceux d’Alfonsin, et la légitimité électorale ressentie par le premier, ont conduit à ce que le candidat
De la Rúa se dévie du processus de rédaction de la Lettre aux Argentins, et ne créé son propre
comité programmatique, formé de proches et familiaux du candidat, sans que ne soit établie la
participation des leaders du FREPASO. De cette façon, l’Alianza arrive aux élections de 1999 avec,
en quelque sorte, deux programmes : l’officiel rédigé par l’IPA et rendu public par la Lettre aux
Argentins, et l’officieux rédigé et détenu par les membres du « premier cercle de De la Rúa ». Ce
revirement constitue d’après Dante Caputo « les germes de l'échec, l'incapacité à formuler une
politique commune pour un gouvernement de coalition ... »3, et laisse ainsi prévoir le type de
gouvernance à venir.
Ces événements et la propre structure des partis marqués soit par une polarisation interne forte
(UCR) soit par un déficit institutionnel (FREPASO) on conduit à ce que ne se concrétise aucun lieu
commun de formulation de politiques publiques et prise de décisions concertées. En outre, la
1 Nous verrons plus en detail cette election au chapitre suivant.
2 Carta de los Argentinos, 10/08/1998, epilogue. Traduction propre
3 Entretien réalisé le 27/10/2011. Traduction propre.
329
victoire sur Menem, puis son discrédit populaire, constitue la fin de la raison d’être de la coalition
originelle : celle-ci se retrouve sans réel « ennemi » politique auto-identifié, lequel constituait son
principal « liant » politique. Et bien qu’il ait constitué un gouvernement de coalition (voir infra
chapitre 6), De la Rúa répète au final les schémas habituels de gouvernance en Argentine de
président qui incarne l’autorité politique et gouvernementale par lui-même, entouré de son cercle de
confiance. Contrairement à ce que prévoyait la Lettre aux Argentins, de la Rúa ne collectivise pas
la prise de décision, encore moins avec Alvarez. Mario Brodesohn, conseiller d’Alfonsin se
rappelle:
« De la Rúa ne considérait pas Chacho Álvarez, celui-ci avait accepté la vice-présidence pour
participer au sein du cabinet de la prise de décision, mais De la Rúa l’a marginalisé. Nous, les
radicaux, on voyait cela de manière terrible, on était désespérés : à peine entamé, le gouvernement
tombait en lambeaux… Le président n’a jamais intégré ni fait participer les autres membres du
gouvernement au-delà de son cercle très réduit composé d’amis proches et de familiaux. »1
María Matilde Ollier, politiste doyenne de l’école de gouvernement et science politique à
l’Université de San Martín, et conseillère de Graciela Fernandez Meijide durant le gouvernement
de l’Alianza, précise :
« Ce n’était pas un panier de crabes, puisque seul De la Rúa commandait… il n’a jamais compris
que son mandat provenait d’un consensus… d’ailleurs il n’était même pas le chef de l’UCR…
autant d’éléments qui auraient dû lui indiquer de gouverner, au moins, avec Alfonsin et Alvarez,
plutôt que d’affronter celui-ci. »2
Ainsi, le gouvernement de l’Alianza n’a jamais réellement fonctionné comme un gouvernement
de coalition, ce qu’il était pourtant, alors même que le contexte socio-économique du pays devenait
insupportable. De la Rúa prenait des décisions sans aviser les membres du gouvernement, suivant
un répertoire d’action présidentielle mono-partisane et confrontationnelle, idiosyncratique de
l’Argentine et du radicalisme en particulier. Le problème est ainsi, essentiellement, un problème de
personnalités et de méfiance mutuelle, plus qu’un problème de relations inter-partisanes. Aspect qui
vient être aggravé par le déficit d’institutionnalisation du FREPASO.
En effet, lorsqu’éclate une affaire de corruption de sénateurs autour de la personnalité du
ministre FREPASO du travail, Alberto Flamarique, ce qui produit une levée de suspicions autour
de la figure du Vice-président Chacho Alvarez3, l’absence de soutien politique de la part du
président De la Rúa auprès de son propre vice-président, alimenta par-là même la défiance et les
1 Entretien réalisé le 24/07/2011. Traduction propre
2 Entretien réalisé le 16/09/2009. Traduction propre.
3 Le vice-président occupe en Argentine, comme en Uruguay, la presidence du Sénat.
330
suspicions d’implications d’Alvarez. Cet événement conduisit à la démission irréfutable d’Alvarez
de la vice-présidence, le 6 Octobre 2000, et à la démission d’autres membres du gouvernement dont
le secrétaire du gouvernement Rodolfo Terragno, et ce seulement dix mois après que le
gouvernement ne soit entré en fonction. Pour autant, Alvarez conserve son poste de chef du
FREPASO, et pense même un moment revenir au gouvernement en lieu et place de Terragno, tout
en insistant en interne pour que le maintien de la coalition. Graciela Meijide précise ainsi :
« Chacho s’en va parce que Chacho était déprimé, les gens dirait que c’est un bipolaire… il s’est
mal comporté vis-à-vis de nous… quand il quitte la vice-présidence de la République il ne quitte
pas pour autant le parti… on est tous restés parce que lui nous l’a de mandé ‘vous restez, le seul
qui s’en va c’est moi’… et quand il décide de revenir il nous donne un discours extrêmement
violent qu’il accepterait tout type de discussion et proposition à l’intérieur du parti excepté celle
de quitter l’Alianza… mais quand il comprend qu’il ne retournera pas au gouvernement il quitte le
parti, et le parti explose… »1
En définitive, si le contexte socio-économique très dur qui a touché l’Alianza détient une
importance indéniable quant à l’action et l’effectivité du gouvernement, les problèmes internes aux
deux partis, - les fortes divisions internes aux radicaux, et la Chacho-dépendance du FREPASO-,
combinées aux déficit des mécanismes de résolution des conflits interpartisans (intra-coalitionnaire)
et une gestion politique unilatérale de la part du président De la Rúa, sont autant d’éléments qui
sont intervenus de manière critique dans l’avortement prématuré de l’unique expérience de
coalition gouvernementale de l’histoire politique argentine.
5.3 Conclusions
Nous nous sommes intéressés dans ce chapitre aux processus coalitionnaires en interne, et aux
relations entre les acteurs de première ligne des gouvernements de coalition dans les régimes
présidentiels du Cône Sud, depuis l’intérieur de ces processus coalitionnaires. Le but était de
combiner les études portant sur « l’environnement coalitionnaire » tant institutionnel que structurel,
et pour pouvoir aborder l’impact des expériences de gouvernements coalisés sur l’évolution récente
des systèmes politiques du cône sud, en ajoutant une perspective depuis les acteurs centraux.
Pour ce faire, nous avons procédé en adoptant une approche mêlant l’étude de la sociologie des
partis politiques et des relations structurelles avec l’environnement sociopolitique, nous avons
particulièrement insisté sur trois dimensions, toutes trois liées entre-elles : i) l’impact théorique et
pratique de la figure présidentielle dans la constitution des partis politiques et l’organisation des
processus de prise de décision ; ii) l’importance de la structuration des partis politiques et leur
1 Entretien du 14/06/2011, traduction propre.
331
forme d’organisation et de relationnement ; et iii) les marges de manœuvres en terme de
collaboration politique.
Nous avons vu qu’à l’inverse des systèmes parlementaires, les partis en systèmes présidentiels
tendent à dialoguer avec d’autres partis semblables en terme de portée représentative (partis à
portée nationale exclusivement), en raison du caractère national de l’élection présidentielle. Nous
avons insisté sur le caractère précaire de la stabilité intra-partisane et sur le niveau de cohérence
interne aux systèmes partisans en régime présidentiels. Le Chili se rapproche à ce propos davantage
d’un exemple de partis à l’européenne, ce qui ne suppose pas pour autant l’absence de
fractionnements internes. Nous avons ainsi vu la nécessité de nous méfier des notions de
« stabilité », aussi bien politique, gouvernementale que démocratique, en y ajoutant différents
éléments de lecture plus qualitatifs (polarisation interne, efficacité gouvernementale, type de
structuration). Néanmoins, comme nous l'avons vu avec l'exemple du Chili, une stabilité apparente
entre les structures partisanes ne traduit pas nécessairement une stabilité au sein des membres.
Si la théorie utilitariste paraît séduisante, dans un premier temps, pour analyser les motivations
et incitations à gouverner de manière coalisée, la trop grande importance qu’elle confère à la figure
du leader partisan ne s’applique que partiellement à la réalité présidentialiste, sans compter
l’absence de considérations d’apprentissage politique, comme ont fait preuve les coalitions
chiliennes et uruguayennes. Il est donc nécessaire, à nouveau, de « présidentialiser » l’analyse et de
se poser la question de la véracité des perceptions d’unicité des coalitions et d’unicité des partis,
tout en insistant sur la nature et le type de forces en présences, et le pouvoir de nuisance des
éléments individuels et collectifs. Enfin, l’existence de menaces externes influe particulièrement sur
l’intensité du niveau de structuration et de cohésion des alliances. L’existence et la structuration
d’éléments externes perçus comme autant d’adversaires politiques viennent contribuer de manière
particulièrement forte et durable, sur la formation d’identités et de cohésion coalitionnaire.
332
Chapitre 6 : Coalitions gouvernementales
en système présidentiel : congruence
partisane et reddition de comptes.
« … ce que nous voulons dire, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme,
l’organisation, l’ensemble des relations qui constituent ces entreprises »
Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme.
Dans le chapitre précédent nous avons insisté sur l’impact de la structure interne des partis, et
sur l’organisation des alliances interpartisanes en système présidentiel. Nous n’avons toutefois
qu’effleuré la question de la composition des cabinets pluripartisans en ce type de régime. Cette
composition du cabinet est négociée et scellée en fonction : i) de la précocité de l’accord de
coalition (coalition pré-électorale, d’entre-deux-tours, etc.), ii) du degré de « familiarité » et
« proximité » des acteurs, iii) du poids politique de chacun des intervenants, en fonction de leurs
ressources propres, lequel est établi le plus souvent par la taille de leur groupe parlementaire à
l’assemblée. Sur ce dernier point, il a été argumenté précédemment que le « poids » d’un partenaire
peut également dépendre de variables autres que quantitatives, telles les dimensions symbolique
(par exemple l’attachement à une figure particulière de l’histoire nationale), idéologique
(notamment dans le cas des partis religieux) ou la capacité de mobilisation de la marque partisane.
Si l’interaction entre le gouvernement et son assise législative est évidente en système
parlementaire, puisqu’elle est marquée par une relation de dépendance du premier sur le second et
d’un effort constant de maintien de l’équilibre partisan, elle l’est beaucoup moins en système
présidentiel de par la séparation des pouvoirs et l’absence de reddition de compte de l’exécutif
auprès du législatif1. Dans le chapitre précédent nous avons, en outre, longuement insisté sur la
difficulté à considérer les groupes partisans comme autant d’acteurs unitaires ou « blocs » soudés,
et avons montré que la formation d’un gouvernement de nature pluripartisane en système
présidentiel ne garantissait pas un soutien automatique et corrélatif des coreligionnaires partisans
qui composent ledit gouvernement. Par ailleurs, le cas uruguayen a montré que la sortie d’un
membre d’une coalition gouvernementale peut, paradoxalement, ne pas se traduire par plus de
1 Eléments qui ont déjà été abordés aux chapitres 1 et 2.
333
difficultés à élaborer et faire adopter des politiques publiques1. Cela suppose donc d’analyser le
type de redditions de comptes aussi bien direct qu’indirect, qui s’impose aux gouvernements de
coalition en système présidentiel.
De plus, considérant la liberté –supposée- octroyée au président de nommer son cabinet de
manière indépendante -c’est-à-dire sans passer par un vote de confiance parlementaire-, et étant
donné que la distribution des postes ministériels constitue la principale source d’incitations à
participer à un gouvernement et/ou récompense pour un soutien politique (généralement électoral) ;
encore faut-il se demander quels sont les processus de nominations à la fois des ministres, mais
aussi de sélection du candidat présidentiel en cas de coalitions gouvernementales issues d’alliances
électorales. En somme, il s’agit de se demander quels sont les éléments négociés et sur quelles
bases à lieu la négociation, ainsi que de s’interroger sur l’ampleur des ressources significativement
distribuables. Il est donc nécessaire de voir si l’absence de ratification parlementaire quant à la
composition du cabinet présidentiel, peut conduire à une inflation des postes ministériels dans un
but d’augmenter, potentiellement ou artificiellement, les « récompenses » ou autres incitations à
rejoindre un gouvernement, et par-là même l’attractivité d’une formule de pouvoir coalisé.
Enfin, l’interaction interpartisane régulière et répétée au sein de gouvernements coalisés conduit
à ce que s’institutionnalisent, de manière plus ou moins formelle comme il a été montré lors des
deux précédents chapitres, des routines comportementales et organisationnelles entre les différents
acteurs de ces coalitions, constitutives d’un « ordre coalitionnel »2. Suivant la nature des processus
et des expériences respectives, qu’il s’agisse d’un pacte ou d’un « projet de coalition
gouvernementale », cet ordre sert alors au maintien de l’équilibre interne à la coalition et à
renouveler les conditions originales de formation, et/ou assimiler les évolutions aussi bien
conjoncturelles (socioéconomiques par exemple) que structurelles (telle la sortie ou l’entrée d’un
membre) ayant un impact sur l’équilibre des forces en présence et la stabilité-même de la coalition.
En somme, l’ordre coalitionnel veille à ce que le maintien ou, selon les cas, la reconduction de la
coalition continue à faire sens aussi bien pour les partis que pour les électeurs représentés par ces
partis. Cette condition est particulièrement critique en système présidentiel puisque, comme nous
l’avons montré au chapitre 4, la formation des alliances tend à être plus précoce –pré-électorale ou
d’entre-deux-tours- qu’en systèmes parlementaires. D’ailleurs, en ce sens, la Concertación
chilienne constitue une sorte de modèle d’adaptation où la coalition est parvenue à se réinventer et
à maintenir une cohésion forte, malgré la perte de sa raison d’être originelle (organiser la transition
1 Voir infra chapitre 5.
2 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la
gauche à Calais (1971-2005) », thèse de doctorat non publiée, Université de Lille 2, Décembre 2006, p.355.
334
démocratique au régime de Pinochet). Toutefois, les coalitions partisanes, à quelque niveau
qu’elles se produisent, ne sont pas des structures déconnectées de leur substrat social et demeurent
liées, comme l’a montré le précédent chapitre, à l’organisation et la structuration des acteurs – ici
les partis pris comme institutions socialisantes- qui les composent. Dès lors, tout ce qui affecte
directement ou indirectement la coalition, affecte en premier lieu les partis eux-mêmes, dans leur
communication et leur organisation interne. De cette manière, le renouvellement automatique (cas
chilien) ou « inertiel » (cas uruguayen) des accords de coalition1, qui semble supposer une certaine
stabilité des relations interpartisanes, ne saurait être la preuve in fine d’une stabilité des structures
partisanes. En conséquence il est nécessaire de s’attacher à analyser les transformations internes
récentes des partis formant des coalitions, en prêtant une attention particulière aux liens
d’association entre les élites partisanes et leur électorat ainsi qu’à l’évolution de ces structurations
partisanes sur les comportements politiques, et déceler ainsi un éventuel « effet coalitionnel » sur la
culture politique nationale.
Ce chapitre se divise en deux parties. La première analyse les dimensions causales des
comportements politiques liés à la sélection du candidat commun pour l’élection présidentielle, et
la transposition éventuelle de la coalition gouvernementale sur différents niveaux. Nous
observerons de cette façon les effets de la « profondeur » des coalitions, entendue comme
l’expression multiniveau de l’accord de coalition, sur la structuration des relations interpartisanes et
la formation d’une « identité coalitionnelle ». La seconde partie, s’attache à incorporer et tester
empiriquement les hypothèses générales de la littérature s’inscrivant dans le courant principal
(mainstream), qui soutiennent : i) que l’attention et l’intérêt partisan de la part des leaders des partis
politiques en système présidentiel sont portés, essentiellement, sur l’obtention de portefeuilles
ministériels2, et où ii) la répartition des portefeuilles ministériels constituerait à la fois la principale
source de convoitise entre les partenaires et la première source de rétribution entre les mains du
président. Ces hypothèses seront ainsi confrontées au processus de sélection des candidats, puis de
« répartition » des portefeuilles ministériels entre les différents partenaires, via l’étude de la
congruence3 des gouvernements de coalitions par rapport au « poids » des acteurs. L’analyse
portera également sur l’étude de la « taille » des cabinets ministériels, exprimée en fonction du
nombre de ministres en poste, en comparant d’une part les systèmes présidentiels et
1 Voir supra chapitre 4.
2 LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in
Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; LIJPHART, A., Patterns of Democracy: Government Forms and
Performance in Thirty-six Countries, Yale University Press, 1999; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T.,
Delegation and Accountability in Parliamentary Democracies, Oxford University Press, 2003. 3 Une definition de cette notion sera présentée en infra.
335
parlementaires ; d’autre part les gouvernements monocolores et de coalition. Enfin, nous
aborderons la question de la reddition des comptes aussi bien des acteurs gouvernementaux vis-à-
vis de leurs coreligionnaires partisans, que vis-à-vis de leur substrat social : l’électorat. Les
principaux indicateurs proviendront des perceptions des acteurs eux-mêmes et de l’opinion
publique sur les acteurs des gouvernements de coalition, au travers de l’étude des tendances
récentes de l’évolution des formes de participation politique.
6.1 La notion de « verticalité » dans la formation des cabinets coalisés en système
présidentiel : le cas du cône Sud
Dans le chapitre précédent, nous nous sommes intéressés à la question de la « connexité »
horizontale des acteurs1, c’est-à-dire dans leur forme de relation au niveau gouvernemental. Or, si
c’est du gouvernement central (ou « fédéral ») que provient la principale source de pouvoir
politique, il n’en demeure pas moins que la compétition politique s’exprime également à des
niveaux inférieurs, généralement plus « locaux ». En cela, les régimes présidentiels se différencient
des systèmes parlementaires, puisque le président, indépendamment de son mode d’élection, tire sa
légitimité du vote populaire à l’échelle nationale, alors que les parlementaires sont la plupart du
temps élus à des niveaux régionaux ou provinciaux2. En système parlementaire
3 le gouvernement,
bien qu’il représente les intérêts de la nation, tire sa légitimité de ces mêmes députés et de sa
majorité parlementaire. Ceux-ci portent donc une double casquette locale-nationale, à la fois élus
nationaux et représentants des intérêts de leurs circonscriptions.
Toutefois même en système présidentiel, le gouvernement ne constitue pas un objet séparable
des différents niveaux d’administration, ni un « ordre naturel supérieur » séparé de la société. Les
partis qui participent au gouvernement opèrent donc également aux niveaux inférieurs, d’où ils
tirent d’ailleurs la plupart de leurs ressources matérielles et financières. L’intérêt de l’analyse
concerne donc la « profondeur » de la coalition gouvernementale et sa transposition aux niveaux
inférieurs. La transposition d’une coalition gouvernementale sur les différents échelons
1 Voir supra 5.1.
2 Un contre-exemple serait le cas uruguayen où les sénateurs sont élus sur une seule circonscription nationale.
Cependant, en règle générale dans les systèmes présidentiels, les sénateurs sont les représentants de « l’unité de la
nation » (ou de la fédération suivant les cas), suivant deux éléments : i) nombre restreint produit de ii) leur répartition
égale sur l’ensemble des districts ou provinces (chaque province ou district élit le même nombre de sénateurs, plutôt
que proportionnellement à leur importance démographique). Ces éléments confèrent aux sénateurs une portée et une
visibilité plus « nationale » que les députés. De plus, leurs mandats sont souvent plus longs et, de ce fait, la fonction de
sénateur tend à être plus prestigieuse que celle de député. 3 Cela s’applique également pour les systèmes semi-présidentiels à la française, où le premier ministre qui est le chef
du gouvernement dépend de sa majorité parlementaire.
336
représentatifs et administratifs est supposée entraîner un plus grand niveau de complexité en
fonction de son « degré » de profondeur, de par la multiplication des sources de conflits possibles et
des intérêts particuliers et collectifs. Pour autant, la verticalité de la coalition gouvernementale agit
réciproquement sur sa structuration identitaire, en reliant le sort des partis qui l’intègrent sur les
niveaux local et national. Les intérêts des partis qui se coalisent et consolident leur coopération,
ainsi que leurs structures respectives (là où ils tirent leur légitimité électorale) sont donc à prendre
en considération pour comprendre ce qui les lie, et ce qui les différentie. Niklas Luhman résumait
ainsi ce propos : « ce qui fascine ce n’est pas l’unité mais la différence, ou en allant plus loin :
l’unité de la différence »1.
6.1.1. Mode de sélection des candidats et « degré d’ intégration » des alliances
partisanes.
La tenue d’élections constitue la matérialisation la plus courante de l’expression populaire dans
un régime démocratique, en capturant une « photographie » des préférences politiques de la part
des électeurs à un moment « t ». Les élections constituent pour les partis politiques le « moment de
vérité » du fait de leur capacité persuasive et mobilisatrice vis-à-vis de la concurrence. S’il est
communément admis que les différents partis disposent d’un électorat « captif », basé
essentiellement sur des divisions sociales où chaque classe aurait son représentant partisan attitré,
cette conception ne saurait expliquer le principe d’alternance politique, phénomène propre au temps
« court », là ou les changements de matrice sociopolitique et de stratification sociale relèvent de
processus découlant d’une temporalité plus longue2.
Par ailleurs, le chapitre 3 de cette thèse a insisté sur la démystification du concept de parti de
masse ou « parti d’idéologie » comme structure organisationnelle idéal-type, vers laquelle
devraient converger toutes les structures partisanes, en donnant les exemples américains, argentins
et uruguayens comme autant de systèmes de partis dont le lien de socialisation repose sur autre
chose que la seule idéologie. En effet, comme l’a montré Bernard Manin, les sociétés où priment
les partis « d’idéologie », renvoient à une période de l’histoire de la représentation politique et à un
contexte social particulier. Or le progrès technique et surtout l’évolution des moyens de
1 LUHMANN, N., La política como sistema, Universidad Iberoamericana, México, 2009, p. 187
2 Pour une introduction à la notion de “stratification sociale”, voir DAVIS, K., et MOORE, W., « Some principles of
social stratification », in American Sociological Review, Vol. 10, No. 2, 1945, pp. 242-249; pour une critique de cette
notion, voir TOURAINE, A., « Classe sociale et statut socio-économique » in Cahiers Internationaux de Sociologie,
Vol.11, 1951, pp. 155-176. Pour une introduction au concept de matrice sociopolitique voir GARRETON, M.A.,
Reconstruir la Política, Editorial Andante, Santiago du Chili, 1987.
337
communication de masse (radio, télévision, internet, etc.) aidant, le type de représentation politique
de ces sociétés tend peu à peu à évoluer vers ce que Manin appelle la « démocratie du public », où
l’idéologie et les dogmes partisans cèdent de plus en plus le pas à une individualisation de la
politique. Les personnalités politiques constituent alors un élément de persuasion aussi voire,
suivant les cas et les élections, plus puissant encore que les propres idéologies des partis1.
L’argument de la centralité des personnalités et des figures politiques, s’applique particulièrement
pour les élections à scrutin nominal « majoritaire », où le vote se porte sur une personnalité
détentrice du vote et du mandat octroyé. A l’inverse, l’argument est moins pertinent pour les
scrutins relevant d’une représentation proportionnelle de « liste partisane fermée »2, qui incluent
plusieurs personnalités dont l’ordre a été fixé au préalable par les instances centrales des partis,
lesquels sont dans ce cas les dépositaires du vote populaire, et donc les « propriétaires » du poste.
Ainsi, d’après Giovanni Sartori :
« La démocratie consiste en un procédé (1) de création continue de minorités ouvertes et rivales,
et (2) dont le comportement est orienté par la loi des ‘‘réactions prévues’’, c’est-à-dire par l’idée
que l’on se fait du comportement des électeurs aux prochaines élections […] La qualité du résultat
dépendant de la qualité du leadership… »3
D’une certaine manière, l’élection présidentielle constitue l’expression maximale du scrutin
nominal, voire l’expression paradigmatique du caractère majoritaire4. La figure du candidat à la
présidentielle occupe donc un rôle central pour tout parti à vocation gouvernementale, puisque de
ce candidat dépend grandement le sort du parti aux élections, et autour de ce candidat se structure
l’action du parti après l’élection, tant au gouvernement que dans l’opposition5. Le processus de
sélection du candidat à la présidence constitue ainsi un événement majeur pour les partis. De
même, et par opposition, le choix de renoncer à présenter un candidat propre à une élection
présidentielle, lorsqu’il correspond à une stratégie de ralliement autour d’un candidat alternatif,
1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].
2 Le scrutin de liste ouverte accentue encore plus la dimension personnaliste puisqu’il suppose l’élaboration d’un choix
pour un candidat à l’intérieur d’une même liste partisane. Enfin le panachage constitue une variante « extrême » du
scrutin de liste ouverte, où chaque électeur peut voter pour plusieurs personnalités de différentes listes partisanes. Voir
etre autres LIJPHART, A., Democracies, Yale University Press, New Haven, 1984 ; et MARTIN, P., Les systèmes
électoraux et les modes de scrutin, Clefs Monchrestien, Paris, 2006. 3 SARTORI, G., Théorie de la démocratie, Armand Collin, Paris, 1973, p. 107
4 LIJPHART, A., Patterns of Democracy: Government Forms and Performance in Thirty-six Countries, Yale
University Press, New Heaven, 1999; LINZ, J.J., « Presidential or parliamentary democracy : does it make a
difference ?», in LINZ, J.J., et VALENZUELA, A., The failure of presidential democracy, Vol. 2, Johns Hopkins
University Press, Baltimore, 1994, pp. 3-88. 5 FREIDENBERG, F., Selección de candidatosy democracia interna en los partidos de América latina, Asociación
Civil Transparencia e International/ IDEA, Lima, 2003. SAMUELS, D., “Presidentialized parties: the separation of
powers and party organization and behavior”, in Comparative Political Studies, Vol. 35 No. 4, 2002, pp. 461-483.
338
dans le cadre de la formation d’une coalition électorale, suppose certaines négociations préalables
en interne pour l’obtention de compensations en échange de ce sacrifice électoral.
Comme le rappellent José Antonio Cheibub, Adam Przeworski et Sebastián Saiegh, le chef de la
coalition gouvernementale en système parlementaire -le premier ministre- est, 85% du temps, le
chef du parti le plus grand de la coalition1. D’après ces mêmes données, en régime présidentiel, le
président, qui est le « formateur » de la coalition, proviendrait également, dans 76% des cas, du
« plus grand parti »2 en termes de voix et de sièges au parlement. Or, comme nous l’avons montré
au chapitre 4, le recours à des coalitions électorales est assez fréquent en système présidentiel et il
peut conduire à ce que le parti qui aurait reçu, en nombre absolu, le plus de voix ne s’intègre
finalement pas au gouvernement. L’exemple de l’élection de 1999 en Uruguay illustre bien ceci, où
le Frente Amplio était arrivé en tête lors du premier tour et avait obtenu une majorité relative au
parlement, mais était resté, au final, dans l’opposition à la suite de l’accord d’entre-deux-tours
conclu par le Partido Colorado et le Partido Nacional pour l’élection présidentielle. Cela conduit
alors à ramener cette hypothèse à la question de la « taille » des partis, à l’intérieur de la coalition
électorale. Dit autrement, le candidat commun à la présidentielle provient-il généralement du « plus
grand parti » de la coalition électorale ? Encore faudrait-il s’accorder sur certains indicateurs …
Par ailleurs, les motivations pour rejoindre une coalition électorale sont variées : l’obstruction à
un adversaire commun (« coalition négative »), l’incapacité matérielle à mener seul une campagne
électorale, des prévisions électorales défavorables, etc. sont autant de motivations justifiant le choix
de présenter une candidature conjointe. Les rétributions envisagées sont également diverses et
répondent à un objectif d’amélioration de l’influence du parti, comme l’avance Vincent Lemieux :
« les acteurs politiques quand ils s’allient entre eux, généralement contre des rivaux, cherchent à
occuper des positions de pouvoir plus avantageuses que celles qu’ils occupent ou occuperaient en
l’absence de telles alliances »3
Il est à prévoir que le désistement en faveur d’une candidature présidentielle commune entraîne
une collaboration interpartisane plus importante, matérialisée par une intégration verticale de la
coalition sur différents niveaux, notamment au plan législatif. D’où l’utilité de comparer les huit
cas de formations de coalitions gouvernementales dans le Cône sud, en intégrant les questions du
1 Cheibub et al., mesurent en effet les gouvernements en « années » gouvernementales sur cinquante-trois ans (1946-
1999), c’est-à-dire en fonction des temps de coalition et non en fonction de la seule formation de coalitions
gouvernementales, parfois éphémères (Italie, France de Ive République, etc…). Voir CHEIBUB, J.A., PRZEWORSKI,
A., et SAIEGH, S., “Government coalitions and legislative success under presidentialism and parliamentarism”, in
British Journal Of Political Science, 34, 2004, p 571. 2 Ibid
3 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de
Laval, Laval (Québec), 2006, p.16.
339
processus de sélection de candidats communs, lorsqu’ils existent, et la dimension de l’ « intégration
verticale » et les négociations qui en découlent.
Par intégration verticale nous entendons la transposition de l’alliance sur des échelons
inférieurs de représentation politique, tels que les niveaux législatifs, provinciaux (gouverneurs) et
municipaux. Le processus de verticalisation des alliances suppose en effet un engagement accru de
coopération interpartisane, contenu dans la notion de « projet » politique de formation de coalition
davantage que dans celle, plus circonstancielle, de pacte1 (généralement électoral). On parle ainsi
de verticalité de l’alliance pour évoquer la profondeur de l’intégration interpartisane, et partons du
présupposé que plus un accord de coalition est vertical, plus la relation interpartisane est intense ou
« profonde », et donc plus la coalition de partis sera solide et durable2. La verticalité d’une alliance
est considérée comme nulle, lorsqu’elle se limite à la dimension gouvernementale sans formation
de « bloc » parlementaire ; partielle lorsqu’elle inclut un autre niveau de représentation ;
incomplète, lorsque les accords aux niveaux inférieurs ne sont ni généralisés ni structurés ; elle est
totale lorsque, par définition, l’intégration interpartisane se transpose sur tous les niveaux de
représentation politiques.
Enfin, la reconduction de la verticalisation d’une alliance politique, engendre la formation d’une
consistance cognitive de l’alliance, et surtout la création d’une « mémoire » de collaboration
interpartisane. Cette mémoire opère au final sur la base de la routinisation de mécanismes de
collaboration interpartisane multiniveau, et sur la retro-alimentation des éléments fondateurs de la
coalition originelle. La coalition fonctionne comme un « sous-système », capable de survivre
malgré la disparition de sa raison d’être fondationnelle3. Autrement dit, plus une coalition partisane
se trouve intégrée et verticale, plus les intérêts des membres qui en font partie sont interdépendants,
l’alliance prenant ainsi un caractère « associatif » et pérenne4.
1 FUENTES, C., « Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,
I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191-222. 2 Voir les travaux de Georges Tsebelis sur les « jeux imbriqués » (nested games), in TSEBELIS, G., Nested games :
rational choice in comparative politics, University of California Press, Berkley, 1990 3 LUHMANN, N., La política como sistema… op. cit., p.216.
4 LEMIEUX, V., Les Coalitions, liens transactions et contrôles, Puf, Paris, 1998. Les quatre niveaux d’alliance, décrits
par Lemieux en fonction de leur durabilité et de leur niveau de négociation étant, partant du plus fort niveau
d’intégration et de permanence : i) l’association, ii) la coalition, iii) la tendance, et iv) l’agrégat.
340
6.1.2. Sélection des candidats et verticalité des coalitions gouvernementales
dans les systèmes présidentiels du Cône Sud.
Dans les chapitres précédents, nous avons analysé les éléments communs et divergents qui ont
conduit à la formation des coalitions gouvernementales dans le Cône Sud. Si la dimension
institutionnelle et le système électoral sont souvent mis en avant comme « variables » décisives, les
chapitres 3 et 4 ont insisté sur les questions de groupalité et sur la temporalité des processus, afin
d’analyser le processus de verticalisation, ou son absence, des alliances partisanes. Il s’agit
maintenant de voir quels sont les impacts de la groupalité partisane et surtout de la temporalité
politique dans les processus de verticalisation. Par exemple une coalition qui « descend », c’est-à-
dire qui part du niveau gouvernemental vers les niveaux locaux, est-elle aussi bien préparée et
susceptible de durer qu’une coalition qui « monte », depuis le niveau local vers le niveau
gouvernemental ?
a. Uruguay : l’union libre.
Les deux premières coalitions gouvernementales en Uruguay, respectivement sous le mandat de
Luis Alberto Lacalle puis celui de Julio María Sanguinetti, se sont formées après la tenue des
élections (1989 et 1994). Le système électoral d’alors facilitait les candidatures multiples à
l’intérieur de chaque parti, au travers du « double vote simultané » (DVS), qui consistait en une
sorte de scrutin à listes ouvertes, où l’électeur votait à la fois pour un parti ainsi que, de manière
simultanée, pour un des différents candidats de ce parti. De manière simultanée au vote
présidentiel, l’électeur élisait les parlementaires suivant un procédé similaire, mais sans possibilité
de « croiser » le vote1. En somme, ces alliances gouvernementales ne sont pas le fruit de coalitions
électorales et n’ont donc pas impliqué l’effacement d’une candidature au profit d’une autre, puisque
le timing de la formation des deux coalitions est de type post-électoral. Il s’agit donc de
gouvernements de coalition ad hoc où les partenaires sont solidaires entre eux au niveau
gouvernemental, le temps que dure la coalition, et où leurs formations respectives au parlement
agissent de manière cohérente avec le gouvernement, sans que ne se constitue pour autant un
véritable « bloc officialiste » parlementaire ; les deux partis, et leurs fractions, gardant leur
autonomie décisionnelle et organisationnelle.
1 Les électeurs ayant voté à la présidentielle pour le parti X devaient maintenir leur vote pour ce parti, et choisir une des
options à l’intérieur de celui-ci. Voir BUQUET, D., « El doble voto simultáneo », in Revista SAAP , Vol. 1, No. 2,
2003, pp. 317-339.
341
Le gouvernement de coalition de Jorge Batlle s’inscrit dans un contexte différent. Le candidat du
Partido Nacional, l’ancien président Lacalle, fut éliminé dès le premier tour de l’élection de 1999,
et son ralliement d’entre-deux-tours à la candidature de Batlle a été le fruit de fortes négociations
entre les candidats des deux partis. La réforme constitutionnelle de 1997, prévoyant la fin du DVS
pour l’élection présidentielle et la tenue de primaires partisanes pour désigner le candidat à la
présidentielle (voir chapitre précédent), les candidats désignés officient au final comme leaders
partisans et impriment la stratégie politique du parti. D’ailleurs, dans le cas particulier du PC, le
parti se retrouvait de plus en plus resserré après les défections des années 1990 et la chute du
nombre de fractions internes, qui est mis en évidence par l’absence de recours à des primaires
compétitives depuis 1999 du fait d’une absence d’alternatives internes.. Les deux candidats ont
donc été responsables des décisions de leurs partis respectifs, notamment des négociations
interpartisanes, Batlle se plaçant dans une certaine continuité avec le gouvernement Sanguinetti,
tandis que Lacalle présentait des réserves quant à la réédition d’une alliance gouvernementale qu’il
considérait responsable de la débâcle électorale (voir supra chapitre 5). Alberto Volonté, ex
président du directoire du PN et initiateur de la coalition gouvernementale sous le mandat de Julio
María Sanguinetti, soutient que:
«… à la fin du gouvernement de coalition [de Sanguinetti], c’est de nouveau le gouvernement de
coalition qui a gagné, puisque Batlle était un défenseur de la coalition »1
Ainsi, à l’image des expériences précédentes, la coalition gouvernementale de Batlle ne
constitue pas un « front politique » organisé, et ne contient pas de dimension verticale, et encore
moins une « identité de coalition ». La sortie du gouvernement, à l’approche de la crise
économique, est « compensée » par un soutien parlementaire où le Partido Nacional appuie les
politiques publiques du gouvernement sans en assumer le coût politique, et a fortiori électoral. Le
caractère unilatéral et tacite de cette décision de soutien législatif, certes inconditionnel, et par
conséquent l’absence d’une perspective temporelle d’appui durable, constituent les caractéristiques
de la définition de l’agrégat, soit le plus faible degré d’alliance politique, tel que décrit par Vincent
Lemieux. Alberto Volonté confirme cette analyse :
« Les différences sont immenses entre blancos et colorados. Ils peuvent se coaliser entre eux ou
même se coaliser avec le Frente mais pas fusionner. […] Ce n’est pas comme au Chili où la
Concertación a créé un espace politique et une identité propre […] La coalition électorale entre
blancos et colorados ne fusionnera jamais, parce que cela ferait le jeu du Frente Amplio, et parce
qu’il y a un rejet ‘biologique’ à cela. »
1 Entretien réalisé le 24/09/2009, traduction propre.
342
Le changement de loi électorale a, comme nous l’avons indiqué dans les chapitres 2 et 5, insufflé
un changement politique et contribué à un ré-ordonnancement du système de partis uruguayen,
autour de deux blocs : l’un réunissant les deux « partis traditionnels », et l’autre composé du seul
Frente Amplio. L’instauration du second tour a conduit à ce que le premier tour, lorsqu’il n’est pas
décisif, officie de primaire interpartisane à l’intérieur du « bloc traditionnel », afin de qualifier un
challenger face au candidat du FA. Cette configuration, inaugurée en 1999 et marquée par la
victoire du candidat Batlle, s’est répétée en 2009, où c’est cette fois le candidat blanco, Luis
Alberto Lacalle, qui s’est qualifié au second tour face au candidat du Frente Amplio, José Mujica1.
Toutefois, la loi électorale ne prévoit pas de partage des tickets présidentiels. En résumé, un
candidat blanco à la présidence ne peut proposer de partager son ticket électoral avec un candidat à
la vice-présidence colorado. Enfin, hormis quelques cas isolés lors des municipales de 2010,
aucune candidature commune ni fusion de liste n’a eu lieu entre les deux partis « traditionnels ».
Les partis continuent ainsi de conserver leur indépendance en matière de sélection de candidats, à
tous les niveaux électifs.
b. Argentine: fusion sous curatelle de l’UCR
La formation du gouvernement de coalition de l’Alianza est, à la différence des gouvernements
uruguayens, l’aboutissement d’un processus initié en 1997. L’ascension rapide du FREPASO sur la
scène politique argentine, de 1994 à 1995, aux dépens de l’UCR, restait liée aux figures fondatrices
du parti et, comme cela a été analysé au chapitre 5, ne s’est pas accompagné d’une structuration ou
« institutionnalisation » ni d’une « nationalisation » de l’influence et de la visibilité du parti. Celle-
ci restait confinée, essentiellement dans la ville de Buenos Aires et autres grandes villes de
l’intérieur du pays. Enfin, le FREPASO, à la différence des deux « grands » partis argentins,
demeure, en raison de sa récente création, un parti de cadres avec un réseau de militants encore très
limité2. Ce déficit d’organisation et de capacité de mobilisation va être décisif au moment de
constituer des listes communes avec l’UCR, aux élections législatives de 1997 et 19993, et de
désigner un candidat unique lors des primaires de 1999.
L’accord d’alliance entre l’UCR et le FREPASO semble reposer sur des bases de type politico-
électoral, plutôt que circonstancielles ou conjoncturelles. Les négociations en vue des différentes
échéances sont donc tout autant politiques que soucieuses de créer un équilibre entre les deux
1 Lors de l’élection de 2004, le candidat du FA, Tabaré Vázquez, l’a emporté dès le premier tour avec 50.5% des voix.
2 NOVARO, M., et PALERMO, V., Los caminos de la centroizquierda: dilemas y desafíos del Frepaso y de la Alianza,
Editorial Losada, Buenos Aires, 1998. 3 En Argentine, la chambre des députés est renouvelée de moitié tous les deux ans.
343
forces. Aussi, les accords qui ont conduit à la formation de l’Alliance pour le travail, la justice et
l’éducation –nom officiel de la coalition électorale-, ont défendu l’idée de création de listes
communes dans la plupart des provinces argentines pour le scrutin législatif partiel de 1997. Il était
ainsi stipulé que chaque liste commune présenterait un nombre identique de candidats de chaque
parti, distribués de manière intercalée1. La seule exception notoire concernait la province de
Buenos Aires, où les seconde et troisième places de la liste furent occupées par des figures
radicales, en compensation du retrait d’Alfonsín (UCR) au profit de Graciela Fernandez
(FREPASO) de Meijide comme tête de liste. Notons toutefois que dans la plupart des cas, comme
reflet des rapports de force locaux, les têtes de listes furent essentiellement radicales, augmentant
ainsi quasi mécaniquement leur chance d’être élues. En échange, Chacho Alvarez (Buenos Aires
Capitale) et Graciela Meijide (Province de Buenos Aires), conduisirent les listes des deux plus
grands districts.
Cette répartition des listes, fruit d’une négociation entérinée moins de trois mois avant la tenue
des élections, a rencontré de nombreuses critiques et résistances, car au moment même où les
leaders des partis passaient l’accord de coalition, à Buenos Aires le 2 Août 1997, de nombreuses
sélections et primaires internes au niveau provincial avaient déjà eu lieu et des listes partisanes
avaient été créées2. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui a conduit à ce que l’alliance électorale de
1997 ne soit que partielle, puisque dans neuf provinces les listes de l’UCR et du FREPASO se
présentèrent de manière autonome.
Le résultat de cette élection est, au final, mitigé. Si l’alliance dans son ensemble (en incluant les
candidats qui n’ont pas formé de pacte) parvient à faire élire un nombre élevé de parlementaires -
63 sur 127 postes à pourvoir -, elle n’a gagné que dans six provinces3, et le vote en faveur des listes
de l’Alianza est en fin de compte identique à celui du PJ (36.3%), parti au pouvoir alors considéré
en perte de vitesse. Des neuf provinces où l’UCR s’est présentée seule, elle ne l’a remporté que
dans quatre, le FREPASO n’a dépassé les 20% des voix que dans trois de ces mêmes provinces, et
ne l’a emporté qu’à Neuquén.
La victoire de la liste commune conduite par Graciela Meijide dans la province de Buenos Aires,
constitue cependant un élément important de satisfaction puisqu’elle consiste en la première défaite
1 Le système electoral argentin prévoit que les députés sont élus suivant un scrutin proportionnel à liste fermée, sur des
districts provinciaux dont la magnitude minimale (nombre de députés élus par district) est de 3. Ces districts sont
répartis au niveau provincial, chaque province recevant une délégation d’un minimum de 5 députés. De ce fait, dans
une liste α, la tête de liste revient à un membre du parti X, le second sur la liste doit être du parti Y, le troisième à
nouveau du parti X, et ainsi de suite jusqu’à compléter l’ensemble des places à pourvoir. 2 OLLIER, M.M., Las coaliciones politicas en la Argentina: el caso de la Alianza, Fondo de Cultura Economica,
Buenos Aires, 2001, p.116. 3 Buenos Aires Capitale, province de Buenos Aires, Chaco, Entre Ríos, Misiones et Santa Fe.
344
du PJ, dans des conditions d’élections libres, dans ce bastion électoral qui est à la fois la principale
province du pays et celle qui a le plus grand nombre d’électeurs -avec près d’un tiers de la
population du pays. Surtout, la victoire de Meijide prend une dimension nationale du fait de la
concentration des thèmes et discours de campagne contre la politique du gouvernement Menem.
L’organisation de « caravanes » électorales et l’assimilation de l’image de la candidate du PJ, Hilda
‘Chiche’ Duhalde, et à travers elle celle de son mari (le puissant gouverneur de la province de
Buenos Aires et candidat autoproclamé du parti pour les élections présidentielles de 1999, Eduardo
Duhalde) considéré comme successeur et continuateur du controversé président Menem, ont
contribué à la fois à fragiliser la candidature de Duhalde et à renforcer le propre prestige de Meijide
au niveau national. En mettant en lice, directement (Meijide) et indirectement (Duhalde), deux des
principales figures de chaque bord, cette élection, au-delà de ces résultats, constitue une sorte de
répétition du scrutin présidentiel de 1999.
La préparation de la campagne de 1999 s’inscrit dans la continuité du processus enclenché en
1997, via la recherche d’un approfondissement de la « verticalisation » des accords. Mais la tenue
d’élections provinciales (élection de gouverneurs) anticipées et simultanées tout au long de l’année
1999, où de nombreux désaccords et divisions locales conduisent à de mauvais résultats -3
gouverneurs avec l’étiquette « Alianza » sont élus, sur 16-, vient confirmer certaines limites déjà
entrevues en 1997. En outre, bien que le mode de scrutin ne soit alors encore qu’indirect, les deux
partis n’ont pas formé de réelle coalition électorale pour les élections sénatoriales. L’imbrication de
l’accord de coalition électoral et sa verticalisation sur plusieurs niveaux, demeurent donc floues et
beaucoup trop incomplètes.
La verticalisation montante, c’est-à-dire depuis la formation de l’alliance électorale pour les
législatives vers la coalition de gouvernement, repose donc sur un apprentissage local non routinisé
ni structuré, et la portée de l’accord électoral concerne essentiellement les postes à représentation
nationale (députés fédéraux). Au ticket commun à la présidence et vice-présidence, sont
« couplées » des listes communes aux élections législatives, ce qui est facilité par le caractère
simultané des élections présidentielles et législatives. Cependant, l’organisation de la sélection de la
formule commune à la présidence a a donné lieu à certains conflits. Le FREPASO voyait en effet
dans la victoire de Meijide lors des élections de 1997, la confirmation de son rôle de principal
opposant et sa place de seconde force politique du pays, acquise en 1995. Pour sa part, l’UCR ne
pouvait se résoudre à ne pas présenter, pour la première fois de son histoire, un candidat à l’élection
345
présidentielle. Deux possibilités sont alors apparues : un ticket commun de consensus, ou
l’organisation d’une primaire ouverte1.
La première présente l’avantage d’éviter les luttes internes fratricides et une fragilisation précoce
de la coalition, projetant une image d’unité. Cette option est davantage défendue au sein du
FREPASO, dont les membres savent que leur parti présente un déficit en matière de ressources
militantes et en capacité de mobilisation sur l’ensemble du territoire. De plus, le parti gardait un
mauvais souvenir d’une première expérience antérieure aux élections de 1995. En effet, pour ces
élections, le FREPASO qui était encore une coalition de partis récemment créée avait opté pour
l’organisation d’une primaire ouverte, à laquelle près d’un demi-million d’argentins participèrent,
mais qui s’était déroulée de manière suspecte et avait vu surtout un candidat ex-péroniste intégré de
fraîche date à la coalition, José Octavio Bordón, faire jouer ses réseaux pour l’emporter par 51%
des voix sur le leader naturel de la coalition et leader du Frente Grande, Carlos « Chacho »
Alvarez2.
Inversement, l’option de la primaire ouverte était plus populaire au sein des radicaux, qui
considéraient cette option comme plus « moderne », et susceptible d’attirer une forte couverture
médiatique et populaire. En cas de forte participation, le candidat « intronisé » recevrait ainsi un
fort soutien légitime. L’UCR était surtout convaincue de sa supériorité organisationnelle et
mobilisatrice. Mais cette option intégrait deux éléments importants : tout d’abord, la gestion de la
compétition interne et des précautions à prendre face à un « parasitage » de la part du PJ. Il
s’agissait ainsi de limiter le degré de confrontation, pour ne pas faire le jeu du PJ, et concentrer ses
attaques sur le candidat du PJ, Eduardo Duhalde. En outre, la question du niveau de structuration
des partis et le fait que les candidats se détachant pour participer à la primaire n’étaient pas des
présidents de partis, posait alors la question de l’influence des candidats et leur attractivité. En
effet, le déficit d’image de l’ancien président Alfonsín à l’UCR, bien que celui-ci agisse comme le
chef effectif de son parti, laissait au gouverneur de la ville de Buenos Aires, Fernando De la Rúa,
une place protagonique pour la primaire. Malgré des désaccords personnels et idéologiques avec
De la Rúa, Alfonsín se garda de fragiliser la position du candidat et du parti. Au FREPASO, le
prestige de Graciela Meijide et sa récente victoire aux législatives dans la province de Buenos
1 Les elections primaires peuvent être de deux grands types: “fermées” lorsque seuls les militants participent à
l’élection; “ouvertes” lorsque quiconque peut prendre part au vote, la sélection recevant ainsi une certaine « onction »
populaire. Bien que certains interdits à la participation peuvent être décrétés (ou la participation peut être limitée),
notamment pour les militants de partis d’opposition, dans la pratique, le contrôle des affiliations de tous les votants est
quasiment impossible. 2 Ces élections se voient entachées d’irrégularités, les résultats finaux n’ayant jamais été transmis. Précisons que peu
de temps après l’élection de 1995, le candidat du FREPASO, José Octavio Bordón, quitta la coalition qui commençait à
se structurer en un parti de coalition.
346
Aires, faisait d’elle une candidate légitime et consensuelle au sein du parti, bien que Chacho
Alvarez en fût le leader naturel et la « tête pensante ». Mais l’opposition d’Alvarez à la tenue de
primaires a conduit à troubler la position du parti et, par ricochet, l’image de la candidate. En effet,
Graciela Meijide rappelle que :
« Alors qu’il s’inclinait en faveur d’un accord consensuel, Chacho le commentait dans les médias.
Il déclarait qu’il n’était pas favorable à ce que nous participions à une primaire et qu’il préférait
les suspendre. […] Toutes ces opérations médiatiques journalières affaiblissaient notre capacité
de concurrencer De la Rúa. »1
C’est finalement cette seconde option qui s’est imposée pour désigner le candidat de l’Alianza,
l’élection primaire ayant été fixée au 29 Novembre 19982. Dans cette perspective, la stratégie du
FREPASO consistait à draguer un électorat essentiellement non affilié, car les membres du parti se
savent sans réserves fortes de militants, tout en promotionnant alentour l’image de Graciela Meijide
comme la candidate naturelle d’une Alianza unie, plutôt que celle d’un parti de l’Alianza. En plus
de la construction d’une figure supra-partisane, Meijide jouait sur le fait qu’elle « savait gagner
contre Duhalde », en référence à sa victoire de 1997. L’UCR, elle, table sur une position moins
confrontationnelle et plus expérimentée, en se positionnant comme rassembleuse et se disant
ouverte à la présence d’un membre du FREPASO comme colistier et candidat à la vice-présidence.
La participation citoyenne à la primaire est un franc succès populaire, attirant près de deux
millions et demi d’argentins sur l’ensemble du territoire, soit 12.5% de la population en âge de
voter. Si la stratégie de Meijide a semblé fonctionner jusqu’avril 1998, les résultats finaux montrent
que les carences structurelles du FREPASO ont eu raison de leur candidate. Les problèmes du parti
sont avant tout organisationnels et institutionnels, la candidate ne recevant qu’un soutien mitigé de
la part de ses propres coreligionnaires :
« [N]otre principal erreur repose sur la logistique spirituelle de la campagne, c’est-à-dire sur le
manque d’énergie et de conviction provoquées par l’espoir de nombre de nos dirigeants lié à la
conclusion d’un accord consensuel avec les radicaux qui les incluraient individuellement parmi la
liste des bénéficiaires. Pour cela on a perdu la capacité de lutter, indispensable pour faire face à
une bataille électorale difficile mais accessible. […] ces doutes sur la primaire et sur mon propre
rôle ont produit une érosion de notre candidature, cette fois-ci non plus seulement parmi les
dirigeants mais parmi les électeurs eux-mêmes 3».
1 MEIJIDE, G., La illusion: El fracaso de la Alianza visto por dentro, Editorial Sudamericana, Buernos Aires, 2007, p.
130. 2 Même si Chacho Alvarez tentera jusqu’au dernier moment de trouver un accord afin d’éviter l’organisation d’une
primaire qu’il savait compromise pour le FREPASO. 3 MEIJIDE, G., op. cit., pp. 134-135.
347
C’est finalement cette seconde option qui s’est imposée pour désigner le candidat de l’Alianza,
l’élection primaire ayant été fixée au 29 Novembre 19981. Dans cette perspective, la stratégie du
FREPASO consistait à draguer un électorat essentiellement non affilié, car les membres du parti se
savent sans réserves fortes de militants, tout en promotionnant alentour l’image de Graciela Meijide
comme la candidate naturelle d’une Alianza unie, plutôt que celle d’un parti de l’Alianza. En plus
de la construction d’une figure supra-partisane, Meijide jouait sur le fait qu’elle « savait gagner
contre Duhalde », en référence à sa victoire de 1997. L’UCR, elle, table sur une position moins
confrontationnelle et plus expérimentée, en se positionnant comme rassembleuse et se disant
ouverte à la présence d’un membre du FREPASO comme colistier et candidat à la vice-présidence.
La participation citoyenne à la primaire est un franc succès populaire, attirant près de deux
millions et demi d’argentins sur l’ensemble du territoire, soit 12.5% de la population en âge de
voter. Si la stratégie de Meijide a semblé fonctionner jusqu’avril 1998, les résultats finaux montrent
que les carences structurelles du FREPASO ont eu raison de leur candidate. Les problèmes du parti
sont avant tout organisationnels et institutionnels, la candidate ne recevant qu’un soutien mitigé de
la part de ses propres coreligionnaires :
« [N]otre principal erreur repose sur la logistique spirituelle de la campagne, c’est-à-dire sur le
manque d’énergie et de conviction provoquées par l’espoir de nombre de nos dirigeants lié à la
conclusion d’un accord consensuel avec les radicaux qui les incluraient individuellement parmi la
liste des bénéficiaires. Pour cela on a perdu la capacité de lutter, indispensable pour faire face à
une bataille électorale difficile mais accessible. […] ces doutes sur la primaire et sur mon propre
rôle ont produit une érosion de notre candidature, cette fois-ci non plus seulement parmi les
dirigeants mais parmi les électeurs eux-mêmes 2».
En plus de ces éléments qui confirment le déficit d’institutionnalisation du parti, évoqué dans le
chapitre 5 où nous avons montré le manque de cohérence organisationnelle, l’analyse des résultats
en fonction de la répartition géographique des votes vient mettre en évidence, à son tour,
l’implantation essentiellement porteña du parti. En effet, la candidate recueille moins d’un tiers des
voix dans seize provinces sur vingt-trois, notamment dans les « petites » provinces de l’intérieur,
excepté Neuquén (voir tableau 6.1). Même dans la province de Buenos Aires, où était pourtant
concentré le capital politique de la candidate du FREPASO, les résultats lui sont défavorables
(41,39% des voix dans la province).
1 Et ce, même si Chacho Alvarez tentera jusqu’au dernier moment de trouver un accord afin d’éviter l’organisation
d’une primaire qu’il savait compromise pour le FREPASO. 2 MEIJIDE, G., op. cit., pp. 134-135.
348
Tableau 6.1 : Résultats des primaires de l’Alianza par province
Province Meijide De la Rúa Total de
voix (%) (voix) (%) (voix)
Buenos Aires (Capitale)
Buenos Aires (Province)
Catamarca
Córdoba
Corrientes
Chaco
Chubut
Entre Ríos
Formosa
Jujuy
La pampa
La Rioja
Mendoza
Misiones
Neuquén
Río Negro
Salta
San Juan
San Luís
Santa Cruz
Santa Fe
Santiago del Estero
Tucumán
Terre de Feu
53,14%
41,39%
13,48%
23,10%
24,02%
10,88%
34,40%
20,15%
18,19%
23,97%
26,43%
12,85%
31,61%
14,62%
49,39%
31,49%
31,66%
36,31%
26,46%
29,42%
35,76%
30,60%
33,28%
37,55%
206.884
344.114
3.622
47.811
8.757
7.558
6.522
18.200
7.616
14.233
6.110
1.503
22.738
6.488
8.111
13.147
16.575
10.813
5.331
3.120
72.854
12.472
19.589
1.268
46,31%
58,22%
85,79%
76,35%
75,61%
88,57%
65,11%
79,43%
81,65%
75,55%
73,30%
86,50%
67,88%
84,97%
50,28%
67,29%
67,81%
63,37%
72,68%
70,13%
63,87%
68,80%.
66,33%
62,27%
179.372
484.032
23.052
158.007
27.566
61.553
12.344
71.728
34.189
44.864
16.946
10.121
48.822
37.708
8.257
28.090
35.502
18.869
14.643
7.438
130.104
28.043
39.049
2.103
386.256
828.146
26.674
205.818
36.323
69.111
18.866
89.928
41.805
59.097
23.056
11.624
71.560
44.196
16.368
41.237
52.077
29.682
19.974
10.558
202.958
40.515
58.638
3.371
- 36,09% 865.436 63,49% 1.522.402 2.387838
Source: Ollier 2001.
Avec près de deux tiers des voix (63,49%), Fernando De la Rúa est donc désigné candidat
unique de l’Alianza et prend comme colistier du ticket présidentiel, le leader du FREPASO,
Chacho Alvarez. La malheureuse Graciela Fernández Meijide est nommée candidate pour l’Alianza
au poste de gouverneur de la province de Buenos Aires, là-même où elle l’avait emporté pour les
législatives de 1997. Néanmoins, Meijide perdra cette élection avec plus de cinq cent mille voix de
retard sur l’ex vice-président de Menem, Carlos Ruckauf1. L’ampleur de ces résultats met en
évidence la relation déséquilibrée entre les deux partenaires, et la verticalité limitée et incomplète
de l’accord de coalition gouvernementale comme autant d’illustrations des difficultés de l’Alianza,
où la superstructure de la coalition est dépendante de la culture politique des deux partis en lice et
1 Ruckauf bénéficie d’une alliance électorale avec l’Ucédé et le Parti Acción por la República de l’ancien ministre de
l’économie de Menem, Domingo Cavallo, et l’emportant par 48,38% contre 41,36% pour Meijide.
349
leurs structures organisationnelles respectives. La logique semble ainsi respectée : le « plus grand »
parti en termes d’implantation, de militants et de capacité à mobiliser est celui qui a réussi à placer
son candidat comme le candidat commun de la coalition. L’Alianza apparaît, ainsi, bien plus
comme un moyen pour l’UCR de conquérir le pouvoir, que comme un projet politique de longue
haleine.
Les résultats lors des élections générales de 1999 sont, au final, trompeurs. Si l’Alianza remporte
l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 48,5% des voix1, la majorité qu’elle obtient à la
chambre des députés est très fragile (un siège), l’incapacité à former un accord sur le plan national
ayant conduit à ce que « chacun reste chez soi » : le FREPASO à Buenos Aires et ses alentours et
l’UCR sur le reste du territoire. Ceci contribue à aggraver le caractère déséquilibré de la relation,
notamment en ce qui concerne l’apport respectif de députés au contingent législatif de l’Alianza :
85 sont de l’UCR, soit 70% du total de la coalition ; moins de la moitié (36) du FREPASO. En
outre, la coalition reste largement minoritaire au Sénat (21/72), et bien que l’Alianza ait acquis une
dimension nationale avec la victoire de Meijide dans la province de Buenos Aires, il semblerait que
la portée de la coalition soit cantonnée à Buenos Aires et sa province. L’approfondissement des
relations interpartisanes est ainsi limité et en partie conflictuel, le FREPASO sortant au final
fragilisé de cette élection : il a perdu le dynamisme politique et médiatique qui était le sien en
s’alliant avec un parti mieux organisé et structuré, et a interrompu de la sorte sa progression et son
institutionnalisation. Enfin, la défaite de Meijide à l’élection de gouverneur de la province de
Buenos Aires a en parti effacé la victoire de 1997 dans la même circonscription.
Si l’apprentissage de 1997, comme coalition électorale législative, en vue de la formation d’une
verticalisation montante vers une coalition gouvernementale paraît être une bonne forme
d’initiation aux logiques de coalition, l’apprentissage n’en a finalement été que partiel. Les bases de
cette alliance étant incomplètes elles ont entraîné, d’une certaine manière, l’absence d’une véritable
verticalisation de la coalition, de même qu’une faible intégration des équipes partisanes, comme l’a
montré la gestion de De la Rúa. Le déséquilibre interne à l’Alianza, en termes de rapport de force et
de ramification sur le territoire argentin, en faveur de l’UCR, a eu au moins autant d’influence que
l’absence d’institutionnalisation du FREPASO : les partenaires ne se sentent pas indéfectiblement
liés ; ils se tolèrent simplement
1 L’élection du president de la République, en Argentine, contient le principe de « seuil électoral abaissé », en ce sens
qu’un candidat est élu dès le premier tour s’il receuille plus de 45% des voix, ou 40% et 10 points d’avance sur le
second candidat le plus voté.
350
c. Chili: la Concertación, une alliance 4x4
Si « le principal but de tout parti consiste à maximiser ses chances d’obtenir des voix et des
sièges au parlement »1, cette logique ne semble pas s’appliquer telle quelle aux partis chiliens
formant la Concertación puisque ceux-ci se sont accordés sur la formation de listes de candidatures
« communes », au-delà des simples intérêts partisans. Le projet politique que constitue la
Concertación, diffère donc des coalitions à l’uruguayenne, et se matérialise au travers de la
conclusion de coalitions électorales à tous les niveaux électifs, et notamment par la formation d’un
« bloc politique » parlementaire. Ceci est facilité par le système électoral, et les districts à
représentation binominale.
Comme il en a été question dans les chapitres précédents, plusieurs éléments ont contribué à la
formation de la Concertación, desquels découlent aussi bien le « format » que la « profondeur » de
l’alliance. Lorsque celle-ci se forme, en 1987-88, dans le cadre du plébiscite du 5 octobre 1988
portant sur le maintien ou non du général Pinochet comme « Président de la République »2,
l’absence de sanction élective à cette échéance conduit à ce que diverses figures soient mises en
avant, et contribuent à la victoire de la coalition. La victoire du « non » rendait ainsi quasi évidente
la victoire de la Concertación lors de l’élection présidentielle de 1989 ; se posait alors la question
de la sélection d’un candidat commun de cette coalition. Or, la constitution chilienne ne prévoit pas
de mécanisme particulier de sélection des candidats, à l’inverse d’autres constitutions sur le
continent américain3, ce qui suppose que la désignation de ceux-ci relève du seul ressort des partis.
En outre, dans la constitution chilienne de 1980, à l’inverse de pratiquement tous les autres
systèmes présidentiels, le statut de vice-président n’existe pas : lorsque le président est en
déplacement, c’est le ministre de l’intérieur qui assure l’intérim. Enfin, il est utile de rappeler que la
constitution chilienne ne permet pas non plus la réélection directe du Président de la République, ce
qui oblige les partis à présenter ou soutenir un candidat différent à chaque élection.
1 SIAVELIS, P., “The hidden logic of candidate selection for chilean parliamentary elections”, Estudios Públicos, No.
98, 2005, p. 10 2 La constitution approuvée en 1980 octroie au general Pinochet le titre de president de la République, titre « légitimé »
par cette approbation. Voir supra chapitres 2 et 3. 3 Le modèle-type étant la sélection des candidats aux Etats-Unis, où la loi établi l’organisation de primaires internes
puis la désignation officielle d’un candidat pour chacun des partis lors des conventions partisanes. Nous avons vu
précédemment que l’Uruguay et l’Argentine ont également intégré l’obligation de réalisation de primaires pour chacun
des partis lors de récentes réformes constitutionnelles.
351
La sélection du candidat Aylwin et les accords électoraux
Lors de l’élection présidentielle de 1989 quatre figures principales se détachent à l’intérieur de la
Concertación à l’heure de la désignation d’un candidat commun : deux pour la démocratie
chrétienne, Gabriel Valdés et Patricio Aylwin, ce dernier président du parti ; Ricardo Lagos, leader
socialiste et fondateur du PPD ; et Enrique Silva Cimma, président du Parti Radical1. L’issue de
cette question passait dans un premier temps par la sélection d’un candidat unique du PDC, ce qui
se produit trois semaines après la victoire du « Non » au plébiscite, dans un climat de suspicion et
forte tension conduisant finalement à la désignation de Patricio Aylwin2. Par la suite, les divisions
internes des socialistes3 et le possible impact négatif d’une candidature socialiste sur l’électorat
chilien, ranimant le souvenir de l’élection de Salvador Allende, et la polarisation de la société
chilienne qui s’ensuivit, conduisent Ricardo Lagos, le 6 janvier 1989, à se retirer de la course à la
présidentielle, et à soutenir la candidature plus « consensuelle » de Patricio Aylwin. Ce retrait est,
toutefois, monnayé contre différents gages politiques (voir infra)4. Lagos sera immédiatement suivi
par Enrique Silva Cimma. La sélection du premier candidat à la présidentielle de la Concertación
se fait donc en interne. Le caractère consensuel de la nomination ainsi que la forme de gouvernance
de la coalition, s’inscrivent dans la logique fondationnelle de l’alliance, à savoir l’objectif de
constituer un « projet » politique visant dans un premier temps à mobiliser les forces politiques
démocratiques et pacifiques en vue du plébiscite de 1988 (rejetant ainsi le PCch et les autres partis
en faveur d’une issue armée), et dans un second temps à préparer puis organiser la transition
démocratique du pays. Cela passe par la construction d’une « marque » Concertación qui réussit à
fédérer tous les acteurs de ce projet, sans impliquer seulement une convergence électorale autour
d’un chef ou représentant, dans ce cas Aylwin5.
Pour marquer la dimension collective et coalisée du projet de la Concertación, deux éléments
vont se conjuguer, à commencer par la dépersonnalisation de la campagne électorale. Autour du
1 Valdés, Lagos et Silva Cimma ont tous trois occupé la présidence de l’Alianza Democrática, « ancêtre » de la
Concertación. Voir chapitre 2 et 3, et ORTEGA FREI, E., Historia de Una Alianza, CESOC/CED, Santiago, 1992. 2 Cette désignation suscite encore aujourd’hui des commentaires relatifs à son déroulement, puisque quelques semaines
après la désignation d’Aylwin apparaissent des rumeurs de bourrage des urnes au profit du vainqueur, au siège d’alors
du parti (rue Carmen, débouchant sur l’appélation de « carmengate »). Jusqu’à sa mort, en 2011, Gabriel Valdés a
soutenu que cette manipulation lui a coûté la victoire, ce qu’a toujours démenti Patricio Aylwin. 3 Les socialistes sont alors divisés en trois groupes, organisés autour de trois personnalités influentes : Ricardo Núñez,
Clodomiro Almeyda et Ricardo Lagos (ce dernier ayant fondé le PPD). Voir supra chapitre 2. 4 SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in
LANZARO, J., Tipos de presidencialismo y coaliciones políticas en América Latina, CLACSO, Buenos Aires, 2001,
pp. 203-249. 5 NAVARETTE, B., “Las negociaciones electorales en la Concertación de Partidos Por la Democracia (1989-2008)”, in
BASCUÑAN, C., CORREA G., MADONADO, J., SÁNCHEZ, V., Más acá de los sueños, más allá de lo posible; la
Concertación en Chile, Vol. 1, LOM, Santiago, 2009, pp. 131-199.
352
slogan « Gana la gente » (Le peuple gagne), il s’agissait de montrer qu’Aylwin n’était pas le
candidat d’un parti, mais le candidat de la mouvance politique et populaire qui avait conduit à la
victoire du « non » au référendum de 1988. De la sorte, c’est le programme et l’idéologie de la
Concertación qui étaient mis en avant, en vue d’une transition pacifiée et de la réconciliation
nationale, tandis qu’est mis sous silence le passé du candidat1. Celui-ci remporte l’élection
présidentielle dès le premier tour avec 55,2% des voix, soit un résultat similaire à celui du
plébiscite de 1988 (55,8%).
Surtout, il s’opère une verticalisation descendante de la coalition électorale, puisque la
Concertación se matérialise également à des niveaux de représentation inférieurs, lesquels ne
consistèrent pas en de simples désistements ponctuels et localisés, mais en l’élaboration de listes
électorales uniques sur l’ensemble du territoire national et, à l’inverse de l’Alianza argentine, dans
la totalité des circonscriptions. La Concertación présenta en effet des candidats communs sur
l’ensemble des circonscriptions et des sièges de parlementaires à pourvoir, soit 120 députés et 38
sénateurs, et donc autant de candidats. La formation des listes et la répartition des candidats
législateurs étant le fait des partis et de négociations interpartisanes, les listes électorales de la
coalition se divisent alors en deux « sous-pactes » ou « secteurs électoraux » : i) le premier est
dominé par la démocratie chrétienne autour de laquelle gravitent la plupart des candidatures
« indépendantes » ou affiliées, ainsi que le Parti Radical ; ii) le second est constitué par les partis du
« secteur progressiste », soit le PPD et le PS à partir de 1992 (en plus des partis de gauche tels le
MAPU et la Gauche Chrétienne qui se fondent par la suite dans le PPD et le PS). Chaque « sous-
pacte » présente un candidat dans l’ensemble des circonscriptions du pays, afin que dans chaque
circonscription les électeurs aient le choix entre un candidat de la Concertación de « tendance »
démocrate-chrétienne ou de « gauche ». Enfin, s’il incombe aux partis de fixer les procédures de
sélection de leurs candidats aux élections locales, ce sont la plupart du temps les instances
dirigeantes réunies en comités qui s’en chargent2. De ce fait, la répartition géographique des
candidats constitue un des points de négociation les plus tendus entre les partis, puisqu’elle dépend
du poids organisationnel et politique de chacun d’entre eux. En favorisant la constitution
d’alliances électorales, le système binominal a donc influé, non pas sur la formation de la
Concertación, mais sur sa « verticalisation ».
1 En tant que president de la démocratie chrétienne, Patricio Aylwin avait en effet mené une rude opposition au
gouvernement de Salvador Allende, appuyant même le coup d’Etat du 11 septembre 1973. Ce n’est d’ailleurs que vers
1980 qu’il prend vraiment ses distances du régime militaire. ALTMAN, D., « Political recruitment and candidate
selection in Chile, 1990 to 2006 : The Executive branch », in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to
power: political recruitment and candidate selection in latin America, Pensylvania State University Press, University
Park, 2008, pp.241-270. 2 SIAVELIS, P., “The hidden logic of candidate selection for chilean parliamentary elections”, in op.cit.
353
Le choix stratégique des candidats devait répondre au dilemme posé par le système
binominal selon lequel la liste des candidats de la coalition arrivée en tête doit recevoir le double
des voix de celle arrivée en seconde position pour espérer remporter les deux sièges d’une
circonscription. Théoriquement, il faut donc arriver à obtenir 66.7% des voix. Dans le cas contraire
les deux sièges de la circonscription sont attribués aux deux têtes de listes ayant reçu le plus de
suffrages. La stratégie électorale qui en découle est la suivante : i) soit les partis présentent deux
figures importantes dans une même circonscription, afin de gagner les deux sièges à pourvoir, mais
ils courent le risque de perdre une de ces deux figures importantes ; ii) soit les partis préfèrent
s’assurer un siège en présentant un candidat moins connu, parallèlement à une figure importante1.
La non-qualification de Ricardo Lagos comme sénateur du district ouest de Santiago en 1989,
malgré un score important (30,91%), permet de mettre le doigt sur ce dilemme. Celui-ci se
présentait en effet, comme représentant du secteur progressiste, dans la même circonscription
qu’Adolfo Zaldivar, « baron » du PDC. Le score global de la liste de la Concertación (61,89%) ne
fut pas suffisant pour « doubler » le score global de la coalition arrivée seconde (32,5%). Dès lors,
Ricardo Lagos ne fut pas élu malgré un total de voix supérieur au premier candidat en termes de
poids électoral du bloc opposé2.
La Démocratie chrétienne semble toutefois avoir été davantage favorisée que les autres
formations. En effet, comme le montrent les tableaux 6.2 et 6.3, pour les élections de 1989, elle a
présenté à elle seule près de 39% de l’ensemble des candidats de la Concertación à la chambre
basse et plus de 40% au Sénat. Ces résultats sont surtout parlant en fonction du ratio candidats élus/
candidats présentés, puisque le PDC est parvenu à faire élire respectivement 84% (38/45) et 86,7%
(13/15) de ses candidats, soit 25 points de plus que la moyenne de la coalition. En conséquence, les
députés du PDC en viennent à constituer 55% du contingent de la Concertación à la chambre basse
(31, 6% des sièges de la chambre), et 59% des sénateurs de la Concertación (34% de l’ensemble
des sénateurs élus). La « distorsion » entre les voix recueillies par le PDC au niveau national et son
contingent de parlementaires est positivement significative dans la chambre basse (+5,6, soit six
députés de plus que si le scrutin était de type proportionnel « pur »). Ce taux d’éligibilité de ses
candidats permet toutefois de penser que le PDC a été favorisé par le système électoral et par un
1 NAVIA, P., “Legislative candidate recruitment in Chile”, in SIAVELIS, P., et MORGENSTERN, S., Pathways to
power: political recruitment and candidate selection in latin America, Pensylvania State University Press, University
Park, 2008, pp.92-118; TORO, S., et GARCÍA, D., “Mecanismos de selección de candidatos para el poder legislativo:
un examen a las lógicas de mayor y menor inclusión”, in FONTAINE, A., LARROULET, C., NAVARRETE, J., et
WALKER, I., Reforma de los partidos políticos en Chile, Cieplan, Santiago, 2008, pp. 395-412. 2 Bien qu’elle reçût 13,4% des suffrages exprimés en moins que Ricardo Lagos, c’est la tête de liste de la coalition de
droite, Jaime Guzmán, qui fut élu, l’ensemble de la liste Democracia y Progreso ayant obtenu un peu plus de la moitié
des voix sur ce district, par rapport à la Concertación (32.5%). Voir à ce propos COUFFIGNAL, G., « Stabilité
politique et crise de la représentation au Chili », in Cahiers des Amériques Latines, No. 68, 2011, pp. 109-124.
354
placement judicieux de ses candidats. Le PDC sort donc favorisé par les élections de 1989, avec un
corps de parlementaires comparable à celui qui était le sien dans les années 1960. Inversement, la
visibilité du Parti Radical se limite presque uniquement au Sénat. Enfin, au sein de la coalition, la
Concertación sort également bénéficiée par le système électoral, avec une « distorsion » positive à
la chambre des députés, de six points (sept députés) par rapport à son score national, et un taux
global d’éligibilité de ses candidats s’élevant respectivement à 59,5% (députés) et 61.1%
(sénateurs). Ces succès électoraux se perpétuent et se confirment en 1992 avec la reconduction de
la coalition lors des premières élections municipales depuis le retour à la démocratie, marquées par
un très large succès, puisque près de 80% des maires et 57% des conseillers municipaux élus sont
issus de la Concertación.
Tableau 6.2 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des
députés, 1989
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence
PDC 55,1% 38,8%/ 84% 26%/31,6% (38) +5,6
PS* - -/ - - -
PPD 23,1% 21,15%/ 64% 11,5%/13,33% (16) +1,8
PR 7,3% 13,8%/ 31,3% 3,9%/4,1% (5) +0,2
Autres 14,5% 25,9%/ 33,3% 10,1% / 8,33 (10) -1,77
Concertación 100% 100%/ 59,5% 51,5%/57,5% (69/120) +6
Notes : * Le Parti Socialiste Chilien n’a pas pu présenter de candidats jusqu’en 1992. Les « autres » partis regroupent en partie les
futurs députés socialistes, lorsque le parti sera à nouveau autorisé
Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Tableau 6.3 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1989
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N) différence
PDC 59,1% 41,6%/ 86,7% 32%/34% (13) +2
PS** - -/ - - -
PPD 18,2% 25%/ 44% 12,1%/10,5% (4) -1,6
PR 9,1 11%/ 50% 2,2%/5,2% (2) +3
Autres 13,6% 22,2%/ 37,5% 8,1% / 8 (3) -0.1
Concertación 100% 100%/ 61,1% 54,6%/57,9% (22/38) +3,3
Notes : *le sénat compte huit sénateurs « désignés » ne tirant pas leur légitimité de l’élection, et ayant été nommés par le régime
antérieur. Les pourcentages donnés concernent les postes de sénateurs éligibles ; ** Le Parti Socialiste Chilien n’a pas pu présenter
de candidats jusqu’en 1992. Les « autres » partis regroupent en partie les futurs députés socialistes, lorsque le parti sera à nouveau
autorisé
Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
355
La sélection de Frei et les élections attenantes
Les élections « générales » de 19931 s’inscrivent dans la continuité voire l’approfondissement de
l’accord de coalition, et du « projet Concertación ». Ainsi, la coalition présente une innovation dans
la sélection du candidat commun par rapport à 1989. En effet, la transition démocratique qui est
marquée par le déroulement sans encombre de quatre ans de gouvernement, a conduit à ce que
« l’urgence conjoncturelle » et fondationnelle de la Concertación laisse place peu à peu à un projet
plus « normal ». Pour ce faire, Ricardo Lagos proposa la réalisation de primaires de la
Concertación, comme un procédé moderne de sélection du candidat commun. La proposition fut
acceptée par le PDC qui présenta comme candidat son président, Eduardo Frei. Face à lui, les partis
formant l’aile gauche de la coalition (PS et PPD) ainsi que le Parti Radical (qui après l’élection a
fusionné avec le Parti Social Démocrate), proposèrent la candidature du président du PPD, Ricardo
Lagos2.
Eduardo Frei pouvait compter sur un parti bien organisé, sur la popularité de son patronyme
(étant le fils du populaire président démocrate-chrétien Eduardo Frei Montalva), sur une carrière
politique relativement récente (il ne s’est affilié au parti qu’en 1986), ceci empêchant toute
éventuelle controverse quant à son passé politique, à la différence de Patricio Aylwin ; enfin sur sa
bonne relation avec le monde de l’entreprise. Lagos avait pour lui une grande popularité liée à son
action d’opposant à Pinochet3, et il était le leader indiscuté du secteur de la gauche chilienne non
armée.
Cette primaire se déroula de manière semi-ouverte avec une convention mixte de 3.000
délégués, constituée pour 40% (1.200) d’entre eux de délégués de partis, non-élus, distribués
proportionnellement en fonction des scores partisans obtenus respectivement lors des municipales
de 19924 ; et à 60% (1800) de délégués divisés en deux groupes de neuf cents membres, l’un
représentant le « vote des militants » affiliés à l’un des partis de la Concertación, l’autre celui d’
1 Si les elections présidentielles et législatives sont simultanées, la Constitution de 1980 prévoit toutefois que les
sénateurs des régions impaires (le Chili compte alors douze régions), verraient exceptionnellement leur mandat de huit
ans réduit à quatre pour la période 1989-1994, afin de pouvoir renouveler partiellement le sénat tous les quatre ans. 2 Lagos, militant PS a fondé le PPD en 1987, initialement comme un supra-parti regroupant l’ensemble des opposants
au régime de Pinochet, puis plus modestement comme un parti rassemblant les forces de la gauche favorables à une
transition pacifique. Le PPD se substitue ainsi temporairement au PS, alors interdit par le régime. De fait jusqu’en 1993
les membres du PPD pouvaient conserver leur affiliation au PS présentant, en ayant ainsi une « double affiliation » PS-
PPD. Ce fut le cas de Lagos. 3 Notamment lors de son allocution en avril 1988, dans l’émission De cara al país où, en pleine dictature militaire, il
interpelle directement le Général Pinochet sur la question des droits de l’homme et la grande opportunité offerte aux
Chiliens de sortir de ce régime. 4 Lors de ces elections, le PDC avait recueilli 54% des votes, le PR 9,5% et le sous-groupe PPD-PS 33%.
356
« adhérents » inscrits1, davantage sympathisants « concertationniste » que réels adhérents à un
parti. La primaire a eu lieu en mars 1993, et fut un large succès puisque près de 600.000 personnes
s’y sont inscrites pour pouvoir y participer, soit en tant que militants, soit comme adhérents. Plus de
430.000 personnes ont pris part à cette élection qui aboutit sur une large victoire du candidat
démocrate-chrétien, avec près de 63% des voix, réparties de la sorte : 60,8% du vote des
« militants » et 64,1% du vote des adhérents, sans compter que par anticipation le candidat du PDC
escomptait le soutien d’une large majorité des délégués « non-élus », du fait des résultats du parti
lors des municipales de 1992. La Concertación était donc conduite pour la seconde fois par un
candidat démocrate-chrétien à la présidentielle, qui sera élu dès le premier tour avec près de 58%
des voix, soit 2,7 points de plus qu’en 1989.
Par ailleurs, au-delà de la sélection d’un candidat commun à la présidentielle, l’alliance
électorale au niveau parlementaire est reconduite avec succès. Comme le montrent les tableaux 6.4
et 6.5, la Concertación recueille un niveau de votation en hausse (+4 points, à 55,4% à la chambre
des députés ; + 1 point au sénat, à 55,5%), et parvient à élire un député de plus par rapport à
l’élection précédente (70). Elle ressort toutefois lésée aux élections sénatoriales partielles, puisque
son score global de 55,5% ne lui permet pas d’élire davantage de sénateurs (9) que la coalition
d’opposition, qui ne recueille pourtant que 37,3% de voix. En interne, les listes de candidats ont été
établies en fonction des résultats aux élections municipales de 1992, ce qui favorise le PDC (40%
de l’ensemble des candidats de la coalition), tout en donnant une priorité aux candidats sortants, et
tandis que le PSch est depuis 1992 autorisé à présenter des candidats. On observe donc toujours de
meilleurs résultats de la part des candidats PDC, avec 77% (députés) et 66,6% (sénateurs) de « taux
de réussite », alors que la moyenne de la Concertación est respectivement inférieure de vingt et
seize points.
Enfin, pour ce qui est de la distorsion de la proportionnalité du vote, hormis le « match nul »
artificiel façonné par le système binominal pour les sénateurs ; à la chambre des députés, la
différence s’est atténuée, avec une distorsion légèrement favorable au PDC, de +3.7 points (soit
quatre députés « en plus ») ainsi qu’à la Concertación (+2,9 points soit quatre députés « de plus »
également). Celle-ci est insignifiante pour les autres partis.
1 Voir NAVARRETE, B., “Las negociaciones electorales en la Concertación de Partidos Por la Democracia (1989-
2008)”, op. cit; AUTH, J., “Las primarias en la concertación. un camino sin retorno”, in Agenda Pública, Vol. 4, No. 7,
2005; et NAVIA, P., “La elección presidencial de 1993. Una elección sin incertidumbre”, in SAN FRANCISCO, A., et
SOTO, A., (eds.), Las elecciones presidenciales en la historia de Chile. 1920-2000, Santiago, Centro de Estudios
Bicentenario, 2005. pp. 435-462.
357
Tableau 6.4 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des
députés, 1993
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence
PDC 52,8% 40%/ 77,1% 27,1%/30,8% (37) +3,7
PS 21,5% 23,3%/ 53,6 11,9%/ 12,5% (15) +0,6
PPD 21,5% 20,8%/ 60% 11,8%/12,5% (15) +0,7
PRSD 2,8% 12,5%/ 13,3% 3,8%/1,7% (2) -2
Autres 1,4% 3,3%/ 25% 0,8% / 0,8 (1) -
Concertación 100% 100%/ 58,3% 55,4%/58,3% (70/120) +2,9
Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Tableau 6.5 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1993
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges* (N)
PDC 65% 33,3%/ 66,6% 20,2%/22,2% (4)
12,7%/ 16,6% (3)
14,7%/11,1% (2)
6,4%/-(0)
1,5% / - (0)
PS 20% 22,2%/ 75%
PPD 10% 22,2%/ 50%
PRSD 5% 16,6%/ 0%
Autres - 5%/ 0%
Concertación 100% 100%/ 50% 55,5%/50 (9/18)
Note :* les pourcentages figurant dans ce tableau s’appliquent au nombre de sièges soumis à élection. De plus, étant donné le petit
nombre sur lequel repose notre analyse (18) toute distorsion apparente ne saurait être réellement significative.
Source : Elaboration propre à partir de Navia (2008) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Le mandat de Frei connaîtra deux élections de mi-mandat qui seront autant de succès pour la
Concertación, laquelle se présentera à nouveau comme une alliance électorale. Lors des élections
municipales de 1996, la coalition progresse en nombre de voix (57,9% contre 53,3% en 1992) et
parvient à augmenter son nombre de conseillers municipaux (+20), bien qu’elle « perde » une
centaine de maires des suites de la réforme du mode de leur élection. Les élections parlementaires
de 1997 où, comme le montrent les tableaux 6.6 et 6.7, le niveau de votation en faveur de la
coalition est constant, marquent toutefois deux tendances distinctes. Tout d’abord, un constat
semble s’imposer : le PDC truste les candidatures aux deux chambres (45,8% des candidats à la
chambre des députés ; 50% des candidats pour le Sénat), avec un taux de réussite parfait au sénat
(100%) et toujours très élevé à la chambre des députés (69,1% d’élus) malgré une baisse constante
depuis 1989 (-15 points). Ces résultats sont d’autant plus significatifs que le niveau de votation
global des candidats du PDC est en baisse (-5 points par rapport à 1993). Le PPD confirme, quant à
lui, sa position dominante au sein du secteur « progressiste » (seize députés). Enfin le PRSD est
plus que jamais « sous perfusion » avec 4 députés et aucun sénateur.
358
La distorsion de la proportionnalité des voix joue toujours en faveur de la Concertación à la
chambre des députés, avec +7 points, soit autant de députés « en plus » provenant tous du PDC
(+8.7 de distorsion favorable par rapport au niveau de votation nationale, soit dix députés « de
plus » qu’un scrutin à la proportionnelle pure). Au sénat, la proportion est respectée, puisqu’avec
50% des voix, la coalition recueille 55% des sièges. Or, étant donné le faible nombre de postes à
pourvoir, cette distorsion « en faveur » de la Concertación n’est pas significative.
Tableau 6.6 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des
députés, 1997
Parti Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence
PDC 55% 45,8%/ 69,1% 22,9%/31,6% (38) +8,7
PS 16% 21,6%/ 42,3% 11,1%/ 9,2% (11) -2
PPD 23,2% 24,4%/ 55,2% 12,6%/13,3% (16) +0,7
PRSD 5,8 6,6%/ 50% 3,1%/3,3% (4) +0,2
Autres - 1,5%/ - 0,8% / - (0) -0,8
Concertación 100% -/ 61,1% 50,5%/57,5% (69/120) +7
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Tableau 6.7 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 1997
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges* (N)
PDC 70% 50%/ 100% 29,22%/50% (10)
14,58%/5% (1)
4,29%/- (0)
2,2%/5,2% (0)
- / -
PS 20% 25%/ 20%
PPD 10% 20%/ -
PRSD - 5%/-
Autres - -/ -
Concertación 100% -/ 55% 50%/55% (11/20)
Note :* les pourcentages apparaissant s’appliquent au nombre de sièges soumis à élection
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
La sélection de Lagos et le maintien de l’alliance
Pour la première fois depuis le retour à la démocratie, l’élection présidentielle de 1999 n’est pas
accompagnée d’élections parlementaires simultanées. La sélection du candidat commun pour la
présidence est donc « libérée » de tout autre compromis. Le processus de sélection s’inscrit donc
dans la continuité de celui de 1993, bien que le mode de désignation dépende désormais d’une
primaire ouverte à toute personne non formellement affiliée à un parti autre que ceux intégrant la
Concertación. Toutes les voix ont le même poids.
359
La gauche qui sentait que son heure était venue, après deux présidences démocrates-chrétiennes,
présentait à nouveau Ricardo Lagos, candidat malheureux à la primaire de 1993 ; pour sa part, le
PDC qui comprenait les aspirations de la gauche soutenait cependant Adolfo Zaldívar. Cette
primaire va être un très large succès, mobilisant près d’un million et demi de personnes -1.388.484,
soit 17,5% de l’ensemble du corps électoral chilien1-, et va conduire à un basculement de
l’équilibre des forces à l’intérieur de la Concertación, puisque pour la première fois la coalition est
emmenée par un candidat de son « aile gauche ». Lagos recueillit en effet 71,4% des voix et il sera,
par la suite, élu à la présidence malgré une campagne compliquée et la nécessité de disputer un
second tour face au candidat UDI, Joaquín Lavín.
La présidence Lagos connaîtra trois élections de mi-mandat, municipales (2000 et 2004) et
législatives (2001), qui entérinent un certain déclin du PDC, malgré le maintien de la cohésion
électorale de la coalition. Lors des élections municipales de 2000, le PDC s’est maintenu comme
principal pourvoyeur de conseillers municipaux et maires2, mais ses résultats sont en net recul et
sont dépassés en nombre de voix par le sous-pacte PS-PPD, récemment rejoints par le PRSD. Les
élections législatives de 2001 viennent confirmer cette tendance, pour les deux chambres. Malgré
un contexte socio-économique difficile, les candidats « progressistes » semblent avoir bénéficié du
facteur d’entraînement lié à l’élection de Ricardo Lagos, puisqu’ils remportent plus de 58% du
contingent législatif de la coalition. Pour la chambre basse, cela s’observe par le taux de succès aux
élections, où jusqu’à présent le PDC parvenait à faire élire, en moyenne, 75% de ses candidats.
C’est cette fois le PPD qui présente un taux de succès impressionnant (83,3% de ses candidats élus)
alors que le PDC est en baisse (42,6%). Les résultats au Sénat sont encore plus critiques pour le
PDC, puisque si le parti était parvenu à faire élire tous ses candidats au Sénat lors de l’élection
précédente, ne l’emportent alors que 22% de ses candidats (2/9), malgré un nombre équivalent de
postulants ; cela alors que le PS et le PPD réalisaient un sans-faute (100% de réussite,
respectivement quatre et trois sénateurs élus). Le PDC maintient toutefois, grâce aux résultats de
l’élection précédente, un contingent confortable de sénateurs (12), soit près de soixante pourcent de
l’ensemble des sénateurs de la coalition.
1 Mais pas de la population en âge de voter. Jusqu’en 2011, l’inscription sur les listes électorales n’était pas
automatique mais impliquait une démarche volontaire. 2 Depuis 1996, les élections des conseillers municipaux et des maires se font à part: ce ne sont plus les premiers qui
élisent les seconds.
360
Tableau 6.8 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des
députés, 2001
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus % voix/ % sièges (N) différence
PDC 37,1% 45%/ 42,6% 18,9%/19,2% (23) -
PS 16,1% 17,5%/ 47,6% 10%/ 8,3% (10) -1,7
PPD 32,2% 20%/ 83,3% 12,7%/16,75% (20) +5
PRSD 9,8% 11,6%/ 42,9% 4,1%/5% (6) +0,9
Autres 4,8% 5,9%/ 42,9% 2,2% / 2,5 (3) -
Concertación 100% -/ 51.7% 47,9%/51,7% (62/120) +3.8
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Tableau 6.9 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 2001
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N)
PDC 60% 50%/ 22,2% 22,8%/11,1% (2)
14,7%/22,2% (4)
12,6%/16,6% (3)
1.1%/- (0)
- / - (0)
PS 25% 22,2%/ 100%
PPD 15% 16,6%/ 100%
PR 0% 11,1%/ 0%
Autres 0% - / -
Concertación 100% -/ 50% 51,3%/50% (9/18)
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
La primaire « avortée » de 2005 et l’élection de Michelle Bachelet.
Le rendez-vous électoral de 2005 est marqué par le retour de la simultanéité des élections
présidentielles et parlementaires. La sélection du candidat commun s’organise de la même manière
qu’en 1999, soit par la réalisation d’une primaire ouverte à tous les chiliens désireux de participer
et qui ne sont pas affiliés à un parti qui ne soit pas de la Concertación. Se pose alors la question de
la nomination des « candidats à la candidature » à l’intérieur de chaque parti, ou de chaque « sous-
pacte ».
Ainsi, l’aile gauche de la coalition (PS-PPD-PRSD) s’est rapidement entendue pour désigner
comme sa candidate la populaire ministre de la défense de Lagos, Michelle Bachelet, qui
démissionne de son ministère en septembre 2004 pour préparer la primaire. La démocratie
chrétienne présente, quant à elle, deux désavantages : i) le président sortant, très populaire auprès
de l’électorat1, soutenait explicitement la candidate Bachelet ; et ii) le parti devait gérer puis
désigner trois candidats déclarés : Soledad Alvear, populaire ministre des relations étrangères de
Lagos, l’ancien président Eduardo Frei et le président du parti, Adolfo Zaldívar, candidat
1 Le président Lagos quitte la présidence avec un taux de popularité supérieur à 70%
361
malheureux à la candidature de 1999. Ce second élément est particulièrement handicapant parce
qu’il introduisait un contretemps dans la préparation de la primaire. Après le désistement de
l’ancien président Frei, le comité national du parti désigna finalement Soledad Alvear comme
candidate, par 287 votes contre 239 à Adolfo Zaldívar, alors que les primaires sont censées se tenir
le 31 juillet 2005.
Si les taux de popularité des deux candidates étaient relativement semblables (respectivement
72% pour Bachelet et 71% pour Alvear1), les sondages mettaient toutefois en évidence un déficit
d’image présidentielle pour Alvear. En effet, la désignation précoce de Bachelet comme candidate
du secteur « progressiste » a conduit à ce que celui-ci s’organise rapidement autour de sa
postulante, notamment lors des municipales de 2004 où les candidats aux postes de maires ou
conseillers municipaux posaient sur les tracts avec celle-ci. Ceci permit ainsi à la population
d’assimiler la stature présidentielle de la pré-candidate Bachelet2. Dans tous les sondages
d’opinions, Bachelet s’imposait comme la pré-candidate la mieux placée pour l’emporter en 2005.
Soledad Alvear renonça finalement à l’investiture en mai de la même année, laissant à Michelle
Bachelet le soin d’assumer la candidature de la Concertación à la présidentielle, qu’elle remportera
après le second tour de janvier 2006. La Concertación présenta de la sorte un équilibre entre ses
composantes, puisque la candidature, puis la victoire de Bachelet viennent équilibrer la balance
entre les sous-pactes, ayant eu deux candidats (puis présidents) chacun.
La candidature de Bachelet se répercute également au niveau parlementaire, puisque les
candidats à député et sénateur issus de l’aile gauche de la coalition, bénéficient de l’ « effet
d’entrainement » de la candidate. On observe ainsi un déclin accéléré de la position du PDC au
niveau national et à l’intérieur de la Concertación. Avec 20 députés élus, la démocratie chrétienne
ne représente « plus que » 30,7% du contingent de la coalition à la chambre basse, alors que le
PPD, avec moitié moins de candidats, obtient un député de plus (Voir les tableaux 6.10 et 6.11). De
fait, les trois partis du sous pacte progressiste recueillent séparément et conjointement leurs plus
hauts niveaux de représentation dans chacune des chambres, et constituent66% des députés et 65%
des sénateurs de la Concertación. Les taux de réussite des candidats du secteur sont ainsi
particulièrement élevés dans les deux chambres.
Le PDC obtient, quant à lui, son plus bas taux de votation au niveau national, parvenant à ne
faire élire qu’un tiers environ de ses candidats au poste de députés. En outre, le parti souffre d’un
déficit de leadership mis en évidence par les sondages de préparation à la primaire. Le déclin du
1 Enquête CEP de juillet 2004.
2 HUNEEUS, C., BERRIOS, F., et GAMBOA, R., Las elecciones chilenas de 2005: partidos, coaliciones y votantes en
transición, Catalonia, Santiago, 2005.
362
parti est illustré par le graphique 6.1, où le contingent PDC à la chambre des députés représentait en
1989 près de 60% de la coalition, là où en 2005 il n’en représente plus que la moitié. Si ces
résultats s’améliorent légèrement en 2009, avec la nomination de Frei comme candidat de la
coalition (voir infra 6.2.2), il paraît évident que le déclin du parti est corrélé à la progression de
l’aile gauche de la coalition. Les partis d’opposition, particulièrement l’UDI, sont également les
grands bénéficiaires de ce déclin, particulièrement auprès de l’électorat populaire.
Il est enfin utile de préciser que lors des élections municipales de 2008, un événement a mis en
péril la verticalisation de la coalition. Sous l’initiative du président du PPD, José Auth, ce parti et le
PRSD ont pris la décision de présenter des listes séparées de celles du pacte PDC et PSch. Ces
listes prirent le nom de « Concertación progressiste ». Si les résultats des deux listes séparées
conduisirent à un match nul avec l’opposition (perdant les élections des maires, mais remportant
celles des conseillers municipaux), c’est une image de désunion que donne la coalition, qui aura
pour conséquence en 2009 une désertion importante de nombreux parlementaires, provenant
essentiellement de l’aile gauche de la Concertación.
Tableau 6.10 : pourcentage de candidats et résultats électoraux à la chambre des
députés, 2005
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N) différence
PDC 30,7% 46,6%/ 35,7% 20,7%/16,7% (20) -4
PS 23,1% 17,5%/ 71,4% 10%/12,5% (15) +2,5
PPD 32,3% 22,5%/ 77,8% 15,4%/17,5% (21) +2,1
PRSD 10,8% 7,5%/ 77,8% 3,5%/5,8% (7) +3,3
Autres 3,1% 5,8%/28,5% 1,99% / 1,7% (2) -
Concertación 100% -/ 54,2% 54.6%/57.9% (65/120) +3.3
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
Tableau 6.11 : pourcentage de candidats et résultats électoraux au Sénat, 2005
Parti
Concertación Votation nationale
% contingent intra-coalition % candidats présentés /%élus* % voix/ % sièges (N)
PDC 35% 45%/ 55,6% 29,7%/25% (5)
12,1%/20% (4)
10,7%/5% (1)
2,4%/5% (1)
0,8% / - (0)
PS 40% 30%/ 66,7%
PPD 20% 10%/ 50%
PR 5% 10%/ 50%
Autres 0% 5%/ 0%
Concertación 100% -/ 55% 55,7%/55% (11/20)
Source : Elaboration propre à partir de Navarrete (2009) et Servicio electoral : www.elecciones.gov.cl
363
0
10
20
30
40
50
60
1989 1993 1997 2001 2005 2009
PDC PS PPD PS + PPD PRSD Autres*
Graphique 6.1 : évolution des contingents de députés des partis de la Concertación
1989-2012
Notes :* jusqu’en 1992, le PS ne pouvait pas présenter de candidat propre. De même jusqu’alors la Concertación regroupait près
de 15 partis qui ont disparu dès 1991, en fusionnant(PR et SD en 1993), ou accueillant les militants d’autres partis (en général du
PS ou PPD). Enfin en 2009 l’alliance électorale s’est agrandie en incluant le parti communiste. Entre-temps, les « autres » son
essentiellement des indépendants rattachés à la Concertación.
Source : Service électoral du ministère de l’intérieur. Données disponibles sur : www.elecciones.gob.cl
6.2 Formation des cabinets coalisés et reddition de compte en régime présidentiel
La seconde partie de ce chapitre aborde la formation de gouvernements de coalitions en système
présidentiel de manière horizontale, à savoir la composition du gouvernement. Il s’agit ainsi de voir
si la séparation des pouvoirs en système présidentiel possède un impact sur les processus de
formation gouvernementale quant au « type » de coalitions en place, et sur la stabilité du
gouvernement qui en découlerait. L’étude des huit gouvernements de coalition du Cône sud nous
permettra d’examiner ces questions, en nous intéressant aux mécanismes de négociation ainsi qu’à
la forme que prend la répartition des postes. Celle-ci ne fait, au final, pas tout et ne permet pas par
elle-même de tirer de conclusion quant à la stabilité d’un gouvernement. Il est donc nécessaire
d’étudier les formes de reddition de comptes interpartisanes issues de ces processus de nominations
ministérielles.
Enfin, une seconde sous-partie s’applique à analyser les types de contrôle pouvant s’exercer sur
les gouvernements de coalition en système présidentiel et l’identification des responsabilités des
agents de ces gouvernements. Ainsi, si le format présidentiel de gouvernement tend à personnifier
la gestion politique et la reddition de comptes, comment les différents partis qui prennent part à des
gouvernements de coalition dans ce type de système sont-ils évalués ? Quel est, de ce fait, le degré
364
de « couplage », notions par laquelle nous entendons les liens d’interdépendance1 entre ces
gouvernements et les autres sous-systèmes de gouvernance (parlement, structures partisanes), ainsi
qu’avec leur « environnement » (la société) ?
6.2.1 Attribution des portefeuil les ministériels et gouvernements de coalition en
système présidentiel : le président comme « formateur »
S’il est un thème qui a été largement travaillé dans la littérature en science politique, et plus
particulièrement en ce qui concerne les phénomènes des coalitions gouvernementales, c’est celui de
la composition des gouvernements et des répartitions ministérielles parmi les partis coalisés. Dans
ces travaux, une constante se dégage toutefois, la plupart d’entre eux s’appliquant à corréler la
stabilité de la coalition à la forme de la répartition des différents portefeuilles ministériels. Partant
du supposé que tous les partis politiques ambitionnent d’entrer au gouvernement2, le type de
répartition des portefeuilles ministériels et autres parcelles de pouvoir gouvernementales3,
respecterait la logique de proportionnalité des ressources propres à chacun des acteurs concernés,
telle que décrite par William Gamson4 :
« Chaque participant devra attendre des autres qu’ils demandent à la coalition une récompense
proportionnelle à la quantité de ressources qu’ils contribuent à apporter à la coalition […] Et là où
un joueur devra choisir entre plusieurs alternatives de coalitions, là où la totalité des récompenses
possibles est constante, il choisira de maximiser ses rétributions personnelles en maximisant sa
propre part. »5
Rapporté au phénomène des coalitions gouvernementales, l’hypothèse de Gamson, reprise très
largement dans la littérature6, suppose ainsi que les ressources propres aux partis politiques
1 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de
Laval, 2006, p.16. 2 Les partis étant considérés, dans leur quasi totalité comme “office seekers”, supposé que critique, à juste titre,
Grégory Luebbert in LUEBBERT, G., “Coalition Theory and Government Formation in Multiparty Democracies”, in
Comparative Politics, Vol. 15, No. 2, 1983, pp. 235-249. 3 La notion de parcelle de pouvoir guvernementale, souvent considérée comme synonyme de « portefeuille ministériel »
est prise ici dans son sens générique, et est définie comme toute institution liée au gouvernement, c’est-à-dire dont les
cadres dirigeants sont nommés par le gouvernement ou la majorité gouvernementale, et ayant un impact direct sur la
prise de décision et l’application de politiques publiques. Entrent dans cette définition, en fonction des cas, les
entreprises publiques stratégiques (énergie, télécommunications, etc.), les agences publiques, et les postes de président
de la chambre basse au parlement (la chambre haute ayant souvent des règles différentes en matière de réprésentation),
etc. 4 GAMSON W.A. “A theory of coalition formation”, in American Sociological Review, No. 26, 1961, pp. 373-382.
5 Ibid, p. 376.
6 Voir entre autres BURHANS, D.T., “Coalition game research: A reexamination”, in American Journal of Sociology,
Vol. 79, No. 2, 1973, pp. 389-408; AUSTEN SMITH, D., et BANKS, J., “Elections, coalitions and legislatives
outcomes” in American Political Science Review, Vol. 82, No. 2, 1988, pp. 405-422; BARON, D., et FREJOHN, J.,
365
associés, en vue de la négociation pour la répartition des portefeuilles ministériels, sont constituées
essentiellement par le nombre de sièges au parlement. La taille du contingent électoral constituerait
ainsi le principal argument de négociation des acteurs. De récents travaux sont venus compléter,
plutôt que réfuter, cette hypothèse en intégrant à l’analyse de nouvelles variables telles que : i) la
question de la surreprésentation des petits partis et du parti du législateur médian1, ii) la prise en
compte de différences « qualitatives » au sein des postes ministériels2, ou iii) la considération
d’autres modélisations des « combinaisons » de ministres en fonction de leur couleur politique, leur
âge, leur genre…3. Ces études appartiennent en effet à la « seconde génération » de travaux sur les
coalitions, voir infra chapitre 1.1.3. La notion de proportionnalité constitue donc l’étalon de mesure
des travaux de modélisation portant sur la composition des gouvernements de coalition, et un
argument central pour rendre compte du caractère prévisible de la stabilité de la coalition.
Dans cette optique, la notion de « congruence » consiste donc à établir le degré de
proportionnalité des gouvernements de coalition, en établissant un parallèle entre le pourcentage de
portefeuilles ministériels (ou « parts ministérielles ») de chacun des membres de la coalition
gouvernementale à l’intérieur du cabinet, rapporté à la part de leurs blocs parlementaires respectifs,
sur la totalité du contingent législatif dont dispose la coalition. Une composition est ainsi
congruente si les apports à la coalition de chacun des acteurs sont « récompensés » par des parts
équivalentes en termes de portefeuilles ministériels. Octavio Amorim Neto établit ainsi un modèle
mathématique pour “mesurer” le taux de congruence (cg) des gouvernements en fonction de
l’assise parlementaire des partis et l’octroi des portefeuilles ministériels, par l’équation suivante :
“Bargaining in Legislatures”, in American Political Science Review, Vol. 83, No. 4., 1989, pp. 1181-1206; LAVER,
M., et SHEPSLE, K., Cabinet ministers and parliamentary government, Cambridge University Press, 1994;
WARWICK, P., “Coalition Government Membership in West European Parliamentary Democracies”, in British
Journal of Political Science, vol. 26, 1998, pp. 471-499. 1 SCHOFIELD, N., “political competition and multiparty coalition governments” in European Journal of Political
Research, n°23, 1993, pp 1-33; LAVER, M., et SHEPSLE, K., Making and Breaking Governments, Cambridge
University Press, 1996; WARWICK, P. et DRUCKMAN, J., “Portfolio salience and the proportionality of payoffs in
coalition governments”, in British Journal of Political Science, Vol. 31, 2001, p. 627- 649; MARTIN, L., et
STEVENSON, R., "Cabinet Formation in Parliamentary Democracies”, in American Journal of Political Science, Vol.
45, No.1, 2001, pp. 33-50 2 DRUCKMAN, J., et ROBERTS, A., “Context and coalition-bargaining: comparing portfolio allocation in eastern and
western Europe”, in Party Politics, Vol. 11, No.5, 2005, pp. 535–555; MITCHELL, P., et NYBLADE, B.,
“Government formation and cabinet type”, in STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Cabinets and coalition
bargaining: the democratic life cycle in western Europe, ECPR/ Oxford University Press, 2008, pp. 201- 236. 3 GIANNETTI, D., et LAVER, M., “Policy positions and jobs in the government”, in European Journal of Political
Research, Vol. 44, No. 1, 2005, pp. 91–120; VERZICHELLI, L., “Portfolio allocation”, in STRØM, K., MÜLLER, W.,
et BERGMAN, T., op. cit., pp. 237- 269.
366
Où Mi correspond au pourcentage de ministres qu’un parti « i » reçoit lorsque le cabinet est
formé; et Si correspond au pourcentage du contingent législatif à la chambre basse, de ce parti « i »
sur la totalité des sièges de la coalition de gouvernement1. Par exemple, si un parti X « apporte »
près de 20% de la base parlementaire d’une coalition, sa part de participation au gouvernement
devrait frôler les 20% de portefeuilles ministériels à l’intérieur du cabinet. Inversement, une
composition est disproportionnelle (ou faiblement congruente) lorsque la répartition des ministères
ne reflète pas le rapport de forces interne à la coalition parlementaire2. S’il est plus aisé pour un
parti important de chercher à se coaliser avec des forces de moindre envergure, l’hypothèse qui
découle de cette notion de congruence suppose que plus un gouvernement est congruent, plus il
sera solide et, de ce fait, stable et susceptible de durer.
Bien que cette hypothèse ait été développée et « testée » à de nombreuses reprises, elle semble
s’appliquer particulièrement à la réalité propre aux systèmes parlementaires où les ministres qui
composent le gouvernement, lorsqu’il s’agit de gouvernements de coalition, sont autant de
« représentants » de leurs contingents parlementaires respectifs. Il s’agit alors de voir l’impact
supposé d’un « facteur présidentiel » dans la formation de cabinets en système présidentiels. Ainsi,
l’absence de ratification parlementaire du cabinet peut-elle influer sur la composition du
gouvernement, et sur son niveau de « congruence » partisane ? En outre, qu’en est-il de la
provenance des individus et de la part de ministres apolitiques (« technocrates »)? Enfin, à qui
répondent les coalitions gouvernementales en systèmes présidentiels ? Si le gouvernement ne
répond pas devant le parlement, qui sont alors les mandants, et comment sont perçus ces
gouvernements par les propres agents qui en ont fait partie et l’opinion publique ?
La séparation des pouvoirs en système présidentiel a constitué, comme nous l’avons montré dans
le premier chapitre de cette thèse, le sujet principal de la plupart des critiques contre ce type de
régime constitutionnel (voir supra chapitre 1.2). Au-delà du fait qu’une personnalité non-politique
(« outsider ») peut, potentiellement, être élue à la plus haute magistrature3 ; si l’on ramène le débat
sur la question de la formation du gouvernement, le fait de tirer sa légitimité du vote populaire
1 AMORIM NETO, “Cabinet formation in presidential regimes: an analysis of 10 latin American countries”,
Communication présentée lors du congrès LASA, 1998, p. 13. 2 Voir la notion de “disproportionnalité” définie et modélisée par Richard Rose, bien que correspondant à la
“disproportionnalité” des systèmes électoraux et de la traduction du nombre de voix en sièges parlementaires. ROSE,
R., “Electoral systems: A question of degree or of principle?”, in LIJPHART, A., et GROFMAN, B., Choosing an
electoral system: Issues and alternatives, Praeger, New York, 1984, pp. 73-81. Son application au niveau
gouvernemental a été realisée par AMORIM NETO, O., op. cit; AMORIM NETO, O., “The presidential calculus
executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39, No. 4,
2006, pp. 415-440. 3 Les événements récents ont montré qu’une personnalité non affiliée à un parti pouvait également, en fonction de
circonstances certes particulières, être désignée comme Premier Ministre. Les cas italien (Mario Monti) ou grec (Lukas
Papademos) en sont des exemples.
367
(direct ou non) convertit le président en seul chef du gouvernement, qu’il a la responsabilité de
« former ». La formation de celui-ci et sa perpétuation ne sont généralement pas soumises à un vote
d’investiture ni à un contrôle strict de la part du parlement. Il n’incombe donc –théoriquement- qu’à
lui de choisir ou révoquer les membres de son cabinet1. De cette façon, le président n’est pas un
primus inter pares mais bien un primus solus2 ; ses ministres et le gouvernement dans son ensemble
lui sont donc directement redevables.
En somme, la composition du gouvernement peut donc ne pas refléter l’équilibre des forces
politiques à l’assemblée ni engager, nécessairement, les partis d’origine des membres du cabinet.
Puisque le gouvernement n’est pas révocable par le parlement, ces membres ne sont pas,
contrairement à ce qui ce passe en système parlementaire, des « représentants » des partis ou
mouvements qui le composent3. Il existe donc davantage de combinaisons possibles pour la
composition de gouvernements en régime présidentiel, qu’en régime parlementaire où les
gouvernements doivent recevoir l’aval d’une majorité de parlementaires4. Les différentes
alternatives peuvent ainsi être classées en fonction de l’origine partisane (ou non) de ces membres :
a) les gouvernements apolitiques ou népotiques, formés essentiellement par des indépendants,
« experts » ou « technocrates » sans relation avec les partis parlementaires ; b) les gouvernements à
dominante technocratique, mais qui contiennent un certain nombre d’agents partisans en lien avec
le parlement ; c) les gouvernements à dominante partisane, avec des agents partisans en lien avec le
parlement et/ou « cooptés » ; et d) les gouvernements partisans, dont la plupart sinon la totalité des
agents sont des membres déclarés et reconnus de partis politiques, ayant une représentation
parlementaire et/ou image symbolique forte (tels que les Partis communistes, etc…).
Le recours à chacun de ces types de gouvernements dépend d’éléments aussi bien institutionnels
que culturels. D’après Octavio Amorim Neto, plus un président dispose de pouvoirs forts (pouvoirs
pro-actifs et réactifs, voir supra chapitre 1.2), plus sa « tentation » est grande de former un
gouvernement peu, voire a-partisan5. Ces considérations, du fait de leur vocation universaliste,
1 Si certaines constitutions requièrent la ratification du gouvernement par le parlement, celle-ci est la plupart du temps
procédurière et symbolique plus que contraignante. Voir MAINWARING, S., “Presidentialism, multipartism and
democracy: the difficult combination”, in Comparative Political Studies, Vol. 26, No.2, 1993, pp. 198-228. 2 SARTORI, G., Ingeniería constitucional comparada, Fondo de Cultura Económica, Santiago, 1995.
3 Fred Riggs en vient à argumenter que les ministres forment davantage l’« entourage » du président qu’un réel cabinet
ministériel. Voir RIGGS, F., “The survival of presidentialism in America: para-constitutional practices”, in
International Political Science Review / Revue internationale de science politique, Vol. 9, No. 4, 1988, pp. 258. 4 LIJPHART, A., “Power sharing versus majority rule: patterns of cabinet formation in twenty democracies”, in
Government and Opposition, 16, 1981, pp. 395-413; et LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and
performance in thirty-six countries, Yale University Press, 1999. 5 AMORIM NETO, O., “Cabinet Formation in Presiential Regimes: An analysis of 10 Latin American Countries”.
Document presenté lors du congrès LASA, à Chicago, 24 de juin 1998 ; AMORIM NETO, O., “The presidential
calculus: Executive policy making and cabinet formation in the Americas”, in Comparative Political Studies, Vol. 39,
No. 4, 2006, pp. 415-440; GARRIDO, A. “Gobiernos y estrategias de coalición en democracias presidenciales: el caso
368
s’appliquent donc aux gouvernements qui incluent un ou plusieurs partenaire(s) partisan(s). La
littérature récente a ainsi établi une typologie des options de gouvernements pluriels en fonction de
ces mêmes critères, et les a classés en fonction de leur degré de cohésion et de relation avec le
pouvoir législatif.
Ainsi, les gouvernements de coalition structurée (« tight coalition governement »), présentent
un niveau de couplage étroit avec le parlement et une composition gouvernementale reposant sur
des critères essentiellement, voire exclusivement, partisans. Cette formule constitue l’idéal-type des
coalitions gouvernementales en raison de leur potentielle stabilité et leur cohésion
gouvernementale. Ces coalitions sont celles se rapprochant le plus du critère de proportionnalité de
Gamson.
Les gouvernements de coalition « lâche », présentent comme leur nom l’indique un degré
moindre de cohésion gouvernementale du fait de leur composition mixte. Ils sont constitués par des
membres affiliés politiquement à des partis parlementaires avec une part importante de ministres
« indépendants » (technocrates) et/ou de figures partisanes « d’ouverture » (cooptées), c’est-à-dire
sans l’aval de leur parti d’origine.
Les gouvernements de cooptation sont les dernières formes de gouvernements qui incluent des
personnalités issues d’horizons distincts. Ils découlent de critères mixtes réunissant des
indépendants et des membres de différents partis sans que celles-ci ne reçoivent l’aval de leur parti
d’origine. Ce type de gouvernement – qui n’entre toutefois pas dans la définition de
« gouvernement de coalition » proposée dans cette thèse - se produit essentiellement lorsque le
président ne provient pas lui-même d’une structure partisane institutionnalisée (outsider).
Nous prenons en compte une quatrième « distinction » qui porte sur la nature de la structuration
des partis intégrant un gouvernement. Ainsi, sont considérées comme coalitions gouvernementales
équilibrées, celles qui incluent des partis dont le poids politique et le type d’organisation sont
similaires. Inversement, seront jugées comme « déséquilibrées » les coalitions dont une des
organisations partisanes qui l’intègrent possède un avantage ou un inconvénient organisationnel
et/ou matériel déterminant, par rapport aux autres organisations coalisées. Les notions
d’équilibrées/déséquilibrées dépendent de la taille des contingents législatifs (chambre basse) des
partis en présence. Plus une coalition est formée d’organisations de type et de poids similaires, plus
les contingents législatifs de ces partis seront similaires et plus la coalition sera « équilibrée ».
de América latina”, in Política y Sociedad, Vol. 40, No. 2, 2003, pp.41-62; CRESPO MARTINEZ, I., et GARRIDO,
A., Elecciones y Sistemas Electorales presidenciales en América Latina, Miguel Angel Porrúa Ediciones, Mexico,
2008; MARTINEZ-GALLARDO, C., “Designing cabinets: presidential politics and cabinet instability in latin
America”, working paper #375, Notre Dame University, Hellen Kellogg’s Institute, janvier 2011.
369
Inversement, une coalition déséquilibrée est caractérisée par la présence de, généralement, un parti
dominant, et il est à prévoir que les autres partis formant cette coalition aient une représentation
parlementaire amoindrie.
Enfin, il est évident que tous les ministères ne disposent pas de la même exposition médiatique
et donc du même prestige. Les ministères régaliens étant à ce titre les plus « prisés », ils sont à leur
tour moins exposés que l’est le poste de chef du gouvernement, a fortiori en système présidentiel.
Mais les comparaisons entre pays sont difficiles à établir, puisqu’en fonction du type de
développement, notamment socio-économique, certains ministères peuvent être amenés à occuper
un rôle central dans un pays et un rôle secondaire dans un autre. A titre d’exemple, le ministère de
l’Agriculture en France tient, de par l’importance du secteur agricole et agro-alimentaire dans
l’économie française, une place beaucoup plus important qu’au Royaume Uni ou en Allemagne, où
les économies sont beaucoup plus tournées vers le secteur tertiaire (Royaume Uni) ou l’industrie
(Allemagne)1. Aussi, comment sont partagés les gouvernements de coalition en régime
présidentiels ? En outre, lorsque les coalitions gouvernementales découlent d’alliances électorales,
observe-t-on un « bonus » pour les partis ayant accepté de soutenir le président et de ne pas
présenter de candidat propre ?
Le tableau 6.12 offre un résumé de ces possibilités en les articulant avec la notion de
« verticalité ». L’idéal-type de gouvernement de coalition en régime présidentiel combine les deux
notions de congruence et de verticalité. Bien que la définition de gouvernement de coalition,
donnée en introduction, ne permet pas de considérer comme tels les gouvernements « de
cooptation », ce type de gouvernement y apparaît toutefois à titre illustratif. Le tableau laisse ainsi
sous-entendre que pour qu’un gouvernement de coalition en régime présidentiel parvienne à se
maintenir, il requiert que ces deux conditions soient présentes. Par ailleurs, la dimension de la
« profondeur » de la coalition, via une verticalisation parlementaire, apparaît comme une variable
déterminante pour comprendre le degré degré de cohésion interpartisane.
1 Bien que l’industrie et les services participent pour une part plus importante en termes d’apport au PIB ou du nombre
de main d’œuvre rattachée, l’histoire économique française et la pérennité d’une économie agro-exportatrice octroient à
ce ministère un rôle important au sein du gouvernement français.
370
Tableau 6.12 : caractérisation des gouvernements de coalition en fonction de leur
composition et profondeur
Configurations Idéal-type Alternative
Allocation des portefeuilles
ministériels
Gouvernements de coalition congruents et “équilibrés”
1. Coalition déséquilibrée 2. Gouvernement de coalition
lâche 3. Gouvernement de cooptation
“verticalité” de la coalition
Totale ou multiniveau Un seul niveau (gouvernemental)/ ou
verticalité partielle
Cohésion/pérennisation
supposée ++/++
1. -/+ 2. -/- 3. +/-
Source: élaboration propre, à partir de Amorim Neto (1998) et Garrido (2003)
6.2.2 Coalitions gouvernementales et congruence partisane dans le Cône Sud.
Si on s’attarde sur les données empiriques, on observe que les présupposés défendus ne tiennent
pas. Ainsi, reprend le tableau 2.3 du chapitre 2 de cette thèse, qui porte sur les éléments de
l’environnement favorables à la formation de coalitions, met en évidence une corrélation
particulièrement forte entre les pouvoirs du président et la propension à former des coalitions.
Quand on considère l’ensemble des formats constitutionnels de l’Amérique du sud, qu’on y inclut
le Costa Rica et les Etats-Unis et que l’on s’arrête sur les formats qui ont expérimenté au moins un
gouvernement de coalition, on observe de manière très significative que plus les pouvoirs du
président sont élevés plus la tendance à former des coalitions l’est également. En effet, 80% des
constitutions qui offrent des pouvoirs forts au président, ont expérimenté au moins un
gouvernement de coalition, alors que seuls 31% des constitutions où les pouvoirs du président sont
limités l’ont fait1. De ces résultats on peut donc avancer, à l’inverse de la théorie principale, qu’une
constitution qui offre davantage d’attributions au pouvoir exécutif est plus propice à susciter
l’intérêt des différents acteurs politiques, qu’une constitution où l’exécutif est plus contrôlé.
a. Éléments préliminaires d’analyse
Il est utile d’apporter une précision quantitative sur la répartition des portefeuilles ministériels
des pays du Cône Sud. Le nombre de maroquins ministériels y est fixe et établi par des lois
organiques, dont la modification ou dérogation suppose la formation de majorités qualifiées lors
des votes des parlementaires réunis au sein des Congrès respectifs (4/7 au Chili et la majorité
absolue en Argentine et Uruguay). Ces dispositions viennent donc entraver la possibilité d’un
1 Voir le tableau 2.3, p 126 de cette thèse.
371
recours à la multiplication ministérielle comme inflation artificielle des ressources dont dispose le
président. Ainsi, le nombre de ministères est fixé à onze pour l’Argentine -incluant le poste de
« chef de cabinet »- (loi N° 22520, de Mars 1992 dite « loi des ministères », modifiée par la loi N°
26338 du 07 décembre 2007, augmentant à douze le nombre de ministères) ; treize pour l’Uruguay;
et à dix-huit puis dix-neuf pour le Chili (loi N°18.575, du 5 décembre 1986, amendée en mars
1990).
Notons que ces chiffres correspondent aux seuls cabinets ministériels et non à l’ensemble des
gouvernements de ces pays qui supposent un nombre extra de secrétariat d’Etat (au moins un par
ministère). La taille de ces cabinets est donc relativement étriquée dans les cas argentin et
uruguayen, et s’inscrit dans le cas du Chili autour de la « moyenne » européenne depuis 1946
(18,27 ministres en moyenne par cabinet) et en parfaite concordance avec les cas Belge (19,35) et
Suédois (18,85)1. En outre, en menant la comparaison avec les cabinets ministériels issus des vingt-
trois gouvernements britanniques depuis 1945 jusqu’en 2007, et dont la caractéristique principale
est de n’avoir jamais eu à former de coalition gouvernementale sur cette même période2, on observe
que ceux-ci ont présenté un taux de variation de leur composition passant du simple, soit seize
membres (dirigés par le conservateur Winston Churchill du 26 octobre 1951 au 6 avril 1955 ; et
sous le mandat du travailliste James Callaghan, du 6 avril 1976 au 5 mai 1979), à plus du double,
soit trente-trois membres (sous le gouvernement du travailliste Clement Atlee, du 26 juillet 1945 au
28 février 1950), avec une « taille » moyenne des cabinets s’élevant à vingt-et-un ministres3. Ces
résultats empêchent donc de conclure que les gouvernements en régime présidentiel, fussent-il de
coalition, soient artificiellement gonflés afin de rétribuer les différents partenaires politiques les
intégrant.
Toutefois, à sept reprises, pour ce qui est de la période traitée dans cette thèse, des
gouvernements de coalition sont parvenus à augmenter le nombre de membres de ces ministères.
En Uruguay, le gouvernement de Batlle est passé de 13 à 14 membres avec la création du ministère
de la jeunesse et des sports. Au Chili sous la Concertación trois nouveaux ministères ont été créés
depuis 1990, faisant passer le total à 21 : i) le « Service Nacional de la Femme » (SERNAM), créé
en janvier 1991 sous la présidence Aylwin, ii) le ministère de la culture (« Conseil National de la
Culture et des Arts ») créé en 2003 sous la présidence Lagos, et iii) la Commission Nationale de
1 Moyenne prise parmi douze pays d’Europe Occidentale (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Finlande, France,
Irlande, Italie, Pays Bas, Portugal, Suède, Royaume-Uni), où il apparaît que les cabinets finlandais sont les plus petits
(13.52) ; les italiens les plus fournis (24.14). 2 Mis à part les six mois du second gouvernement Wilson (05/03/1974 – 18/10/1974).
3 L’ensemble de ces données a été gracieusement mis à notre disposition par le professeur Jaap Woldendorp,
WOLDENDORP, KEMAN, J., et Budge, I., Party government in 40 democracies 1945-2008: composition-duration-
personnel, Université d’Amsterdam, 2010.
372
l’Environnement (puis simplement « Ministère de l’environnement ») en mars 2007, sous la
présidence Bachelet. Enfin en Argentine, sous la présidence de De la Rúa, ont été créés trois
nouveaux ministères : i) le ministère du développement social, fondé lors de l’assomption du
nouveau président ; ii) le ministère de la sécurité sociale, émancipé du ministère du travail, datant
d’octobre 2001 ; iii) le ministère du tourisme, de la culture et des sports, comme jonction de ces
trois ex-secrétariats d’Etat en octobre 2001.
Mais la création d’un nouveau ministère sous un gouvernement de coalition n’est pas censé
servir à la « rétribution » des partenaires coalisés du président. En effet, si dans le cas uruguayen, le
ministère de la jeunesse et des sports, créé par le président Colorado Jorge Batlle, est effectivement
revenu à un membre –Jaime Trobo- issu du Partido Nacional ; dans le cas chilien les trois
ministères créés ont été attribués à des personnalités issues du même parti que le président. Enfin,
dans le cas argentin, seul le ministère du développement social est revenu à un membre du
FREPASO, Graciela Meijide ; la ministre en charge de la sécurité sociale, Patricia Bullrich, étant
une personnalité cooptée provenant du PJ ; le troisième ministère créé revint à un indépendant,
Hernán Lombardi. Il en ressort donc qu’il n’existe pas de « règle universelle» pour la création et la
distribution de nouveaux ministères sous des gouvernements de coalition.
b. Répartit ion des portefeuilles ministériels: inauguration des gouvernements
et remaniements ministériels
Si les coalitions se sont formées suivant une temporalité différente dans les trois pays du Cône
sud, essentiellement pré-électorales au Chili et en Argentine et post-électorale en Uruguay, le
partage des maroquins ministériels reste un processus auquel ne participent pas uniquement des
partis politiques. Il est possible d’ailleurs, à ce titre, de poser qu’il n’y a pas de corrélation
définitive entre un certain type de composition gouvernementale et la durée de vie des coalitions1.
Le tableau 6.13 montre ainsi que des gouvernements composés uniquement de ministres ou
secrétaires d’Etat politiques, n’ont pas plus de chance de se maintenir que les gouvernements qui
incluent des ministres « indépendants » ou « technocrates », lesquels n’ont pas de comptes
politiques à rendre. Si le cas de l’Alianza argentine semble aller dans ce sens, avec une part
importante de ministres indépendants, les gouvernements uruguayens, qui constituent des cas de
coalitions « structurées » sont contradictoires. En effet, alors que sous le mandat de Sanguinetti le
processus de nomination des ministres s’est réalisé sur des bases essentiellement politiques et
partisanes, la logique est identique sous Lacalle et Batlle avec des résultats distincts en termes de
1 Voir les listes exhaustives des gouvernements de coalition, ministère par ministère, et parti par parti, en annexe.
373
longévité coalitionnelle. De même, la quasi-totalité des gouvernements de la Concertación
chilienne a inclus une part de ministres non-partisans –de un à trois par cabinet-, ce qui n’a pas
empêché la coalition de se maintenir pendant vingt ans.
Il est néanmoins possible de distinguer la dimension de la congruence gouvernementale comme
un facteur intervenant décisif1. En reprenant la notion du « taux de congruence » développée par
Amorim Neto, et en matérialisant la différence de proportionnalité par le nombre de ministères
manquants/en surplus par parti, il est possible de déceler une tendance confirmant l’hypothèse de
l’équilibre des coalitions et de la proportionnalité des gouvernements. Ainsi lorsqu’un parti possède
une assise parlementaire dominante (supérieure à 50% du total du contingent de la coalition), et que
le nombre de postes ministériels qui revient à ce parti ne le place pas en position hégémonique,
alors ce parti ne pourra s’imposer sur les autres et la coalition sera plus encline à durer
(gouvernements Aylwin et Frei). Inversement, si dans une coalition gouvernementale un parti jouit
d’une assise parlementaire dominante à l’intérieur de la coalition, et que cela se répercute sur un
nombre hégémonique de postes ministériels, alors ce parti, qui est souvent celui du président, aura
plus de difficultés à maintenir la cohésion de la coalition (gouvernements Lacalle en Uruguay et De
la Rúa en Argentine). D’où la conclusion que plus une coalition est déséquilibrée, plus le président
troque sa fonction de canalisateur politique pour celle de « shérif », se chargeant d’imposer l’ordre.
En somme, plus un gouvernement est déséquilibré (gouvernement de la Rúa), moins la coalition qui
le forme est durable (dix mois).
Néanmoins ces éléments ne tiennent pas compte du processus de négociation et de ses effets sur
la composition des gouvernements ainsi que sur les remplacements ou « remaniements »
ministériels sociétés. Celui-ci constitue en effet, comme le suppose la théorie, un « fait du prince ».
Si le président est le dernier décideur, cela ne veut pas dire qu’il soit l’unique décideur. Le
président Ricardo Lagos résume ce fait de la manière suivante :
« Le sujet[de la répartition des postes] ne s’est jamais présenté. C’est le président qui organise
son gouvernement. On n’est pas en régime parlementaire… ici la première chose qui compte c’est
l’élection du leader. Je n’ai jamais parlé avec qui que ce soit en ma qualité de candidat à la
présidence de la République en lui disant “vous serez mon ministre” […] dans mon cabinet j’ai
voulu exprimer la diversité de la Concertación tout en respectant les équilibres politiques… c’est
quelque chose d’implicite qui n’implique pas de négociation. Les partis et présidents de partis
peuvent suggérer tel ou tel personne mais au final c’est le président qui décide.»2
Bien que l’analyse de la composition des gouvernements de coalition du Cône sud, conjuguée
avec la culture politique telle que nous l’avons montrée aux chapitres 3 et 5, mettent clairement en
1 AMORIM NETO, O., « Cabinet formation in presidential regimes », op. cit.
2 Entretien réalisé le 14/07/2009. Traduction propre
374
évidence cette réalité, trois éléments appartenant à l’environnement du « système gouvernemental »
viennent, toutefois, influencer le président dans ses choix ministériels ; en particulier lorsqu’il
s’agit de nommer un ministre issu d’un parti différent ou un « indépendant » : i) le contexte
politique ; ii) la nature des acteurs et de l’institutionnalisation des partis en présence ; et iii) la
culture politique des acteurs, particulièrement celle du président de la République. Ces
considérations valent à la fois pour l’entrée en fonction des gouvernements comme pour les
remaniements ministériels. Or, en accord avec Jordi Matas, tous les changements de ministres
n’impliquent pas nécessairement un changement de gouvernement1. Sont en effet considérés
comme remaniements ministériels, les changements dans la composition du cabinet ayant entraîné
une modification de l’équilibre partisan en son sein. Autrement dit, seuls les changements de
ministres qui ont un impact sur la proportionnalité partisane du cabinet sont considérés comme des
« remaniements ». Les changements de ministres où un ministre d’un parti X est remplacé par un
ministre issu du même parti n’entrent pas en ligne de compte.
Dans le cas chilien c’est le contexte d’origine qui a joué un rôle essentiel dans la répartition des
ministères. Si le PDC paraissait être le parti le mieux (ré)organisé, il devait donner des garanties
aux autres membres avec lesquels il s’était allié lors du référendum de 1988, et inclure la plupart
des personnalités issues des autres partis. La pratique de tous les gouvernements de la Concertación
fut celle du « cuoteo », c’est-à-dire une désignation des ministres en fonction de leur affiliation
partisane, suivant une logique d’équilibre partisan, fondée le plus possible sur les résultats
électoraux2. Le Tableau 6.13 montre ainsi que jusqu’à l’élection de Lagos, le PDC recueillait près
de 50% des ministères, soit une part comparable à son « apport » au contingent législatif de la
Concertación. Par la suite, après les élections parlementaires de 2001, la part des portefeuilles
ministériels détenus par les ministres démocrates-chrétiens, diminue au même moment que le poids
du parti au parlement. Sous le gouvernement Bachelet, la part de portefeuilles ministériels attribuée
au PDC redevient positive afin de contrôler le mécontentement de ses cadres dirigeants. La
démocratie chrétienne va ainsi disposer de plus de ministres que ne le suppose son poids
parlementaire. Il est, en outre, intéressant de voir que le seul candidat battu lors d’une primaire
ayant été inclus dans deux gouvernements successifs est Ricardo Lagos, à la fois du fait de son
1 MATAS, J., “Problemas metodológicos en el análisis de los gobiernos de coalición”. Document présenté lors du VIe
congrès de l’Association Espagnole de Science Politique et de l’Administration, Barcelone, septembre 2003. 2 De plus comme le montre Peter Siavelis, chaque ministre dispose de secrétaires d’Etat issus de partis autres que les
leurs, afin de limiter le contrôle d’un parti sur un ministère. Voir SIAVELIS, P., “Chile: las relaciones entre el poder
ejecutivo y el poder legislativo después de Pinochet”, in LANZARO, J., op. cit, p.230; et SIAVELIS, P., “Election
insurance and coalition survival: formal and informal institutions in Chile”, in HELMKE, G., et LEVITSKY, S.,
Informal institutions and democracy: lessons from Latin America, Johns Hopkins University Press, Baltimore, 2006,
pp. 160-176.
375
statut de référent central de la gauche, et pour parfaire son « rodage » gouvernemental. De même,
les figures importantes qui n’ont pas réussi à se faire élire au niveau parlementaire, à cause du
système binominal (voir supra), trouvent également une place au gouvernement (une fois de plus,
Ricardo Lagos en 1990, en constitue un bon exemple)1. Ceci fait parti de l’ « apprentissage » de la
Concertación quant à la gestion des relations inter-partisanes.
En outre, une des constantes qui ressort de presque tous les gouvernements de la Concertación
est que le parti du président tend, en général, a présenter une proportionnalité négative au
gouvernement : il contrôle moins de ministères que ce que laisserait prévoir son contingent
parlementaire. Il est également saisissant de voir le nombre important de remaniements ministériels
–vingt-sept en vingt ans-, et leur différence de nature : i) pour aérer le gouvernement ou lui
redonner un second souffle (Aylwin II, Aylwin III, Frei IV, Frei VII, Lagos III et Lagos IV) ; ii)
des suites de « couacs » importants (Frei II et III Bachelet II) ; iii) pour permettre à des ministres de
préparer des primaires (Aylwin III, Frei VI, Lagos IV), ou pour préparer des élections locales ; iv)
lors de scandales de corruption (Lagos III) ; v) à la suite d’élections de mi-mandat (Frei V et VI,
Lagos II) ; vi) lors de mouvements sociaux importants (Bachelet III et IV) ; enfin vii) des
changements de fin de mandats sans réelles implications ni causes profondes (Aylwin IV, Frei X et
XI, Lagos VI et VII, Bachelet V). Enfin, la part des indépendants ou « technocrates », présents dans
tous les gouvernements de la Concertación, ne cesse de croître.
*
En Uruguay, la répartition des ministères est le fruit de différents éléments qui sont la plupart du
temps liés au contexte de la formation gouvernementale. Sous Luis Alberto Lacalle, la distorsion
quantitative de proportionnalité n’est pas flagrante (un ministre), mais la répartition qualitative est
nettement disproportionnelle, puisque tous les portefeuilles des ministères régaliens reviennent à
des ministres issus non seulement du parti du président, mais de sa propre fraction. Le Partido
Colorado doit se « contenter » de quatre ministères de moindre exposition (santé, industrie,
logement et tourisme). Or, comme nous l’avons montré au chapitre 5, la sortie du PC du
gouvernement (une fraction est restée toutefois jusqu’à la fin du mandat de Lacalle), est due
davantage à la façon de gouverner Lacalle qu’à un mécontentement relatif aux répartitions
ministérielles.
Sous Sanguinetti, la proportionnalité partisane des ministères est davantage respectée tant
qualitativement que quantitativement, et inclut notamment toutes les principales figures du Parti
Nacional. Si le Partido Colorado présente une « bonification » avec davantage de ministres que ne
1 CAREY, J., et SIAVELIS, P., «El ‘seguro’ para los subcampeones electorales y la sobrevivencia de la Concertación»,
in Estudios Públicos, No. 90, 2003, pp. 5-27.
376
le laisserait prévoir son contingent de parlementaires, les postes clefs sont mieux répartis entre les
partenaires mineurs issus d’accords électoraux ponctuels avec certains partis (PGP et Union
Civique). Lors du décès du ministre de l’Union Civique, Federico Slinger (décembre 1996), celui-ci
est remplacé par un membre du PC. Par la suite, les changements d’équilibres partisans sont le fait
d’acteurs isolés (Alvaro Ramos, ministre des relations internationales rompt avec Alberto Volonté
et se prépare pour la primaire de 1999), ou ils se produisent dans le cadre de la préparation aux
élections de 1999. Ainsi, la composition du dernier gouvernement de Sanguinetti ne suppose pas un
renfermement du Parti Colorado sur lui-même, mais répond à la temporalité électorale uruguayenne
et au fait que les coalitions de ce pays n’aient pas eu de vocation pérenne1 (voir chapitres 3 et 5).
Le gouvernement Batlle, dont la part de ministres blancos (5) a été pactée en amont, du fait de la
forme de l’élection du président ; le ralliement du PN au second tour de l’élection s’étant en effet
décidé en échange d’une augmentation du nombre de postes ministériels. Et si les principaux
ministères régaliens revinrent à des colorados, le ministère de l’agriculture, important en Uruguay,
revint à un membre du PN. Enfin c’est davantage le contexte socio-économique, comme nous
l’avons montré au chapitre 5, qui aura raison de ce gouvernement, au printemps 2002.
*
Pour finir, le cas de l’Alianza Argentine est paradigmatique du cas de gouvernement de coalition
déséquilibré. Le président De la Rúa forma un gouvernement composé de près de 70% de membres
issus de son parti (8 ministres UCR/ 11), avec lesquels il entretenait une relation privilégiée. Les
30% restants se divisent entre membres du FREPASO (2) et indépendants (1). L’iniquité est
particulièrement criante dans la répartition des portefeuilles, puisque tous les ministères régaliens
revinrent à des radicaux, le FREPASO héritant de portefeuilles secondaires (travail et
développement social). Le scandale de corruption de sénateurs (voir supra), dans lequel s’est
trouvé impliqué le ministre FREPASO Alberto Flamarique, et qui conduisit à la démission
précipitée de ‘Chacho’ Alvarez, en octobre 2000, va accentuer ce déséquilibre, puisque la présence
du FREPASO au gouvernement ne se matérialise alors qu’autour de la seule Graciela Fernández
Meijide (développement social) jusqu’en avril 2001, puis ses remplaçants (Marcos Makón et Juan
Pablo Cafiero), ce jusqu’en octobre 2001. Les indépendants sont alors plus nombreux au
gouvernement que les propres membres du FREPASO. L’absence de culture politique de coalition
pour l’UCR, combinée au déséquilibre des forces en présence, a largement contribué à cette
composition ministérielle déséquilibrée.
1 ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies, the case of
Uruguay, 1989–1999”, in Party Politics, Vol. 6, No. 3, 2001. pp. 259–283.
377
Tableau 6.13 : Gouvernements de coalition dans Cône Sud, remaniements
ministériels et proportionnalité des portefeuilles ministériels
Pays Cabinets*
(N) partis
Ministères
(%)
députés du
parti/ députés
de la coalition
Proportionnalité
des cabinets par
partis**
(N)
Chili
(27)
Aylwin I (19)
11/03/1990
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
52,7% (10)
26,4% (5)
5,2% (1)
10,5% (2)
-
5,2% (1)
55,1%
-
23,1%
7,3%
14,5%
-
=
-
- 3
+1
-
-
Aylwin II (20)
03/01/1991
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
55% (11)
25% (5)
5% (1)
10% (2)
-
5%(1)
55,1%
-
23,1%
7,3%
14,5%
-
=
-
-3
+1
-
-
Aylwin III (20)
28/09/1992
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
55% (11)
20% (4)
10% (2)
10% (2)
-
5%(1)
55,1%
-
23,1%
7,3%
14,5%
-
=
-
-2
+1
-
-
Aylwin IV
16/12/1993
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
55% (11)
20% (5)
10% (1)
10% (2)
-
5%(1)
55,1%
-
23,1%
7,3%
14,5%
-
=
-
-2
+1
-
-
Frei I (20)
11/03/1994
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
45% (9)
15% (3)
20% (4)
5% (1)
-
15% (3)
52,8%
21,5%
21,5%
2,8%
1,4%
-
-1
-1
=
+ 1
-
-
Frei II (20)
20/09/1994
PDC
PSch
PPD
PR
Autres
Ind.
50 (10)
15% (3)
21% (4)
5,3% (1)
-
10 (2)
52,8%
21,5%
21,5%
2,8%
1,4%
-
=
-1
=
+ 1
-
-
Frei III (20)
24/07/1997
PDC
PSch
PPD
PRSD
Autres
Ind
45% (9)
15% (3)
20% (4)
5% (1)
-
15% (3)
52,8%
21,5%
21,5%
2,8%
1,4%
-
-1
-1
=
+ 1
-
-
Frei IV (20)
05-16/01/1998
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
45% (9)
15% (3)
25% (5)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
-2
=
=
=
-
Frei V (20)
19/05/1998
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
50% (10)
10% (2)
25% (5)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
-1
-1
=
=
-
Frei VI (20) PDC 50% (10) 55% -1
378
01/08/1998 PSch
PPD
PRSD
Ind.
20% (3)
20% (4)
5% (1)
10% (2)
16%
23,2%
5,8%
-
+1
-1
=
-
Frei VII (20)
24/11/1998
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
50% (10)
20% (4)
15% (3)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
=
+1
-2
=
-
Frei VIII (20)
13/04/1999
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
55% (11)
20% (4)
15% (2)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
=
+1
-2
=
-
Frei IX (20)
22/06/1999
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
60% (12)
15% (3)
10% (2)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
+1
=
-3
=
-
Frei X (20)
13/08/1999
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
55% (11)
15% (3)
15% (3)
5% (1)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
=
=
-2
=
-
Frei XI (20)
03-16/12/1999
PDC
PSch
PPD
PRSD
Ind.
45% (9)
20% (4)
15% (2)
10% (2)
10% (2)
55%
16%
23,2%
5,8%
-
-1
+1
-2
+1
-
Lagos I (20)1;2;3
11/03/2000
PPD
PDC
PSch
PRSD
Ind.
15% (3)
45%(9)
25%(5)
10% (2)
5% (1)
23,2%
55%
16%
5,8%
-
-2
-2
+2
+1
-
Lagos II (20)
07/01/2002
PPD
PDC
PSch
PRSD
Autres
Ind.
25%(5)
35% (7)
15 % (3)
10 (2)
-
15% (3)
32,2%
37,1%
16,1%
9,8%
4,8%
-
-1
=
=
=
-
-
Lagos III (21)
06/08/2003
PPD
PDC
PSch
PRSD
Autres
Ind.
28,5%(6)
33,3%(7)
14,3%(3)
9,5% (2)
-
14,3% (3)
32,2%
37,1%
16,1%
9,8%
4,8%
-
-1
-1
=
=
-
-
Lagos IV (21)
29/09/2004
PPD
PDC
PSch
PRSD
Autres
Ind.
28,5%(6)
28,5%(6)
19,1% (4)
9,5% (2)
-
14,3%(3)
32,2%
37,1%
16,1%
9,8%
4,8%
-
-1
-2
+1
=
-
-
Lagos V (21)
03/01/2005
PPD
PDC
PSch
PRSD
Autres
Ind.
19,1%(4)
28,5%(6)
28,5%(6)
9,5% (2)
-
14,3% (3)
32,2%
37,1%
16,1%
9,8%
4,8%
-
-3
-2
+3
=
-
-
Lagos VI (21)
22/04/2005
PPD
PDC
PSch
19,1% (4)
33.3% (7)
23,8% (5)
32,2%
37,1%
16,1%
-3
-1
+2
379
PRSD
Autres
Ind.
9,5% (2)
-
14,3% (3)
9,8%
4,8%
-
=
-
-
Lagos VII (21)
14/12/2005
PPD
PDC
PSch
PRSD
Autres
Ind.
14,3% (3)
38,1% (8)
23,8% (5)
9,5% (2)
-
14,3% (3)
32,2%
37,1%
16,1%
9,8%
4,8%
-
-4
=
+2
=
-
-
Bachelet I (21)4
11/03/2006
PSch
PDC
PPD
PRSD
Autre
Ind.
19% (4)
33,3% (7)
23,8% (5)
4,75% (1)
-
19% (4)
23,1%
30,7%
32,3%
10,8%
3,1%
-
-1
+1
-2
-1
-
-
Bachelet II (21)
14/07/2006
PSch
PDC
PPD
PRSD
Autre
Ind.
19% (4)
38,09% (8)
19%(4)
4,75%(1)
-
19% (43)
23,1%
30,7%
32,3%
10,8%
3,1%
-
-1
+2
-3
-1
-
-
Bachelet III (22)
26-27/03/2007
PSch
PDC
PPD
PRSD
Autres
Ind.
22,7% (5)
36,4% (8)
22,7% (5)
4,5% (1)
-
13,6 (3)
23,1%
30,7%
32,3%
10,8%
3,1%
-
=
+ 1
-2
-1
-
-
Bachelet IV (22)
08-10/01/2008
PSch
PDC
PPD
PRSD
Autres
Ind.
22,7% (5)
36,4% (8)
22,7% (5)
9,1% (2)
-
9,1% (2)
23,1%
30,7%
32,3%
10,8%
3,1%
-
=
+ 1
-2
=
-
-
Bachelet V (22)
28/10/2009
PSch
PDC
PPD
PRSD
Autres
Ind.
27,2% (6)
31,8% (7)
22,7% (5)
9,1% (2)
-
13,6 (3)
23,1%
30,7%
32,3%
10,8%
3,1%
-
+1
=
-2
=
-
-
Uruguay
(6)
Lacalle I (13)
01/03/1990
PN
PC
69,2% (9)
30,8% (4)
61%
39%
+1
-1
Sanguinetti I (13)
1/03/1995
PC
PN
Autres
53,8% (7)
30,7% (4)
15,5% (2)
47,2%
45,5%
7,3
+1
-2
-
Sanguinetti II (13)
23/12/1996
PC
PN
Autres
61,5% (8)
30,7% (4)
7,7%(1)
47,2%
45,5%
7,3
+2
-2
-
Sanguinetti III (13)
02/02/1998
PC
PN
Autres
69,2% (9)
30,7% (4)
-
47,2%
45,5%
7,3
+3
-2
-
Sanguinetti IV
24/08/1999
PC
PN
Autres
Ind.
76,9% (10)
15,5% (2)
-
7,7% (1)
47,2%
45,5%
7,3
-
+4
-4
-
-
Batlle I (14)
01/03/2000
PC
PN
57% (8)
43% (6)
59,2%
40,8%
=
=
Argentine
(2)
De la Rúa I (11)
10/12/1999
UCR
FREPASO
Ind.
72,7% (8)
18,2% (2)
18,2% (1)
68,91%
31,09%
-
=
-1
-
De la Rúa II (11)
5/10/2000
UCR
FREPASO
72,7% (8)
9,1% (1)
68,91%
31,09%5
=
-2
380
coopté
Ind.
9,1% (1)
9,1% (1)
-
-
-
-
Note : *Ne sont comptabilisées que les périodes où les gouvernements se présentaient coalisés. Ainsi, pour les cas uruguayen
(Lacalle et Batlle) et argentin (De la Rúa), le nombre total de remaniements ministériels est supérieur à celui indiqué ici, les suivants
se réalisant sous des gouvernements essentiellement monocolores ;** les résultats sont exprimés en termes de postes ministériels
manquants ou en surplus par rapport à la part revenant à chaque parti dans le contingent législatif (chambre basse) de la coalition.
1 Les ministères des Œuvres publiques (MOP) et des transports sont occupés par le même ministre ; 2 Le ministère de l’économie et
de l’énergie sont représentés par le même ministre ; 3 Les ministères des biens publics et celui du logement sont représentés par le
même ministre ; 4 Le ministère de l’énergie et des mines sont représentés par le même ministre ; 5 Dès juillet 2000, la part des
députés du FREPASO s’amenuise à la suite de la désaffiliation partisane de nombreux députés.
Source: élaboration propre. Nous tenons à remercier particulièrement Federico Irazábal, María Belén
Retamales, Alejandro Olivares, et Fernando Pedrosa pour leur précieuse collaboration à la compilation de
ces informations.
6.2.3 Reddition des comptes des coali tions gouvernementales en régime
présidentiel : les cas du Cône Sud
La reddition des comptes constitue l’essence-même du contrôle de l’action d’un gouvernement.
Cette notion suppose donc une superposition des relations d’agence (ou relations
« hiérarchiques »), où le gouvernement est mandataire auprès de différents mandants. Cette sous-
partie s’intéresse ainsi à la reddition des comptes politiques des gouvernements de coalition dans
les systèmes présidentiels du Cône Sud, laissant la reddition légale ou pénale de côté1. Guillermo
O’Donnell identifie deux types de reddition de comptes : i) la reddition horizontale, qui consiste en
un contrôle interinstitutionnel entre les différentes sources de pouvoir (notamment celui du pouvoir
législatif sur l’exécutif) et acteurs du pouvoir (les partis sur le gouvernement) ; et ii) la reddition
verticale, plus classique, marquée par l’évaluation de l’action du gouvernement par l’électorat2.
Ces deux éléments supposent un double couplage du gouvernement avec les autres sources de
pouvoir et vis-à-vis de « l’environnement » politico-électoral. Toutefois, comme le rappellent José
Antonio Cheibub et Adam Przeworski, « la reddition des comptes est un mécanisme rétrospectif
dans le sens où les actions des gouvernants sont jugées de manière ex-post en fonction de leurs
effets […] les gouvernants sont donc susceptibles de rendre des comptes si la probabilité de leur
survie au gouvernement dépend de leur performance ; sans cela ils ne sont pas redevables de
comptes »3.
1 Pour ce faire, nous renvoyons aux travaux sur les jugements des presidents de PEREZ LIÑAN, A., Juicio político al
presidente y nueva inestabilidad en América Latina, Fondo de Cultura Económica, Buenos Aires, 2008. 2 O’DONNELL, G., Disonancias: Críticas democráticas a la democracia, Prometeo, Buenos Aires, 2007, pp. 85-151.
3 CHEIBUB , J.A., et PRZEWORSKI, A., « Democracy, elections and accountability for economic outcomes », in
PRZEWORSKI, A., STOKES, S., et MANIN, B., Democracy, accountability and representation, Cambridge
University Press, 1999, p. 225. Traduction propre.
381
Dans un premier temps, il s’agit de voir comment se manifeste la reddition des comptes d’un
gouvernement de coalition, dans une configuration présidentielle de séparation des pouvoirs, avec
une prédominance du pouvoir exécutif sur le législatif. Nous chercherons ensuite à montrer si
l’élection directe du chef de l’exécutif implique une majeure visibilité et responsabilité vis-à-vis de
l’électorat.
a. Reddition « horizontale » des comptes et évaluation par les pairs
En système parlementaire, la reddition des comptes du gouvernement vis-à-vis de sa majorité est
simple : qu’il soit de coalition ou non, le gouvernement dépend de celle-ci. Ainsi, l’action du
gouvernement et de son chef vis-à-vis des composantes de sa majorité et des représentants des
différents partis, est étroitement contrôlée1. Les négociations sont courantes et constantes afin de
préserver la cohésion parlementaire à son tour garante de la cohésion gouvernementale, et cela dès
l’inauguration du gouvernement via le mécanisme de ratification gouvernementale par le
parlement2. Face à un quelconque problème, le gouvernement peut chercher la « confiance » des
parlementaires, par un vote de confiance auprès du parlement, ou défier une motion de censure qui
serait déposée par des parlementaires provenant en général de l’opposition. Ces mécanismes
simples ont l’avantage d’être immédiats, en ce sens que le gouvernement doit préserver cette
majorité s’il souhaite se maintenir, à moins qu’il n’anticipe une victoire électorale proche, pouvant
dans ce cas se dissoudre ou se délester d’un membre encombrant. Enfin, le retrait –unilatéral ou
forcé- d’un membre du gouvernement ne suppose pas pour autant la chute de ce gouvernement,
dans la mesure où la force partisane du membre en question maintient sa confiance et son appui
auprès du gouvernement.
En somme, en système parlementaire, si le gouvernement peut « sonder » facilement le soutien
dont il bénéficie à un moment « t » de la part de ses partenaires, ce même soutien est le fruit de
négociations intenses et de concessions importantes de la part des acteurs, lesquels maintiennent
leur appui au gouvernement en fonction de leurs prévisions sur les futurs résultats électoraux, ou
sur des positions en matière de politique publique.
Inversement, et par définition, suivant le principe de la séparation des pouvoirs, le gouvernement
en régime présidentiel n’est pas tenu de rendre des comptes politiques au parlement. Si celui-ci
1 LIJPHART, A., Patterns of democracy: government forms and performance in thirty-six countries, Yale University
Press, 1999; STRØM, K., MÜLLER, W., et BERGMAN, T., Delegation and accountability in parliamentary
democracies, Oxford University Press, 2003. 2 LAVER, M., et SHEPSLE, K., “government accountability in parliamentary democracy”, in PRZEWORSKI, A.,
MANIN, B., et STOKES, S., Democracy, accountability, and representation, Cambridge University Press, 1999, pp.
279-296; et HUBER, J., “The vote of confidence in parliamentary democracies.” American Political Science Review,
Vol. 90, 1996, pp. 269–82.
382
dispose, suivant les pays et les constitutions, de moyens institutionnels pour interroger des
ministres (en Uruguay notamment) ou opposer son véto à une loi, ses moyens sont généralement
limités. La responsabilité politique des gouvernements et des parlements est donc moins
automatique et surtout moins immédiate qu’en système parlementaire. L’accountability horizontale
y est essentiellement interpartisane et intra-partisane, plutôt qu’entre les sources du pouvoir
politique (institutionnelle)1. Elle se matérialise ainsi par la publicisation des désaccords entre le
gouvernement et les groupes parlementaires qui le soutenaient jusque-là2, ce qui est susceptible de
déboucher, dans les cas extrêmes, sur la démission unilatérale d’un ou plusieurs membres du
gouvernement, ou sur la désaffiliation partisane de certains parlementaires (comme dans le cas du
FREPASO en Argentine). Dans le chapitre 5 nous avons montré, par l’exemple de la sortie du PN
du gouvernement de Jorge Batlle, que le fait pour un parti de quitter une coalition gouvernementale
ne signifiait pas, automatiquement, le retrait de confiance du groupe parlementaire concerné à
l’égard du gouvernement.
Par ailleurs, si le fait d’abandonner un gouvernement de coalition pour un parti, et la mise en
pointillés du soutien parlementaire partisan ne constituent pas des événements « dramatiques »
pour un gouvernement en régime présidentiel3, ils le mettent face à la possibilité d’un blocage
institutionnel dans le cas où ce retrait supposerait une perte de majorité parlementaire. Les
présidents sont donc, comme les premiers ministres mais à des degrés moindres, tenus de ménager
leur majorité et les membres qui forment leur gouvernement.
Ainsi, dans le cas argentin c’est l’absence de soutien du président De la Rúa vis-à-vis de son
propre vice-président, Chacho Alvarez, dans le cadre d’accusations de corruption impliquant un
proche de ce dernier, qui a acculé le numéro deux du gouvernement à la démission. Celle-ci a eu
pour effet immédiat la sortie d’une dizaine de parlementaires FREPASO de l’alliance et le retrait de
ceux-ci du parti. Toutefois, par ordre d’Alvarez, l’Alianza s’est maintenue. La coalition s’est
irréparablement démantelée lorsque pour faire face à la crise économique qui commençait à toucher
le pays en mars 2001, le président De la Rúa décida, sans tenir compte de l’opinion de ses
partenaires, de nommer Domingo Cavallo comme ministre de l’économie. La personnalité de celui-
ci et sa relation au gouvernement Menem, dont la chute constitue la raison d’être de l’Alianza, a
conduit à ce que les membres du FREPASO se retirent définitivement du gouvernement. Nous
voyons ainsi comment une décision présidentielle, relative à la composition et à l’orientation
1 SAMUELS, D., et SHUGART, M., Presidents, parties, and prime ministers, Cambridge University Press, 2010.
2 KENNEY, C., « Horizontal accountability: concepts and conflicts », in MAINWARING, S., et WELNA, C.,
Accountability in Latin America, Oxford University Press, 2003, pp. 55-76. 3 En ce sens qu’elle ne vient pas mettre en péril la stabilité du gouvernement.
383
économique du gouvernement, a été sanctionnée par son principal partenaire politique. Le président
perdit toute majorité « acquise » au parlement, malgré la recherche du soutien des parlementaires
Justicialistes, via la nomination de Cavallo. On ne s’étonnera pas, rétrospectivement, que la totalité
des cadres ayant pris part à l’Alianza, jugent ce gouvernement « conflictuel » et « apathique »1.
*
En Uruguay, le parti « partenaire » n’a pas eu, comme dans le cas argentin, à faire face à un
président gouvernant de manière unilatérale. La tradition politique uruguayenne a conduit à ce que
le modèle de gouvernance soit de type polyarchique. Aussi, le retrait de la plupart des fractions du
Parti Colorado, un peu moins de deux ans après l’inauguration du mandat du blanco Luis Alberto
Lacalle, a découlé de désaccords sur la politique économique adoptée et du souhait de ne pas être
associé par l’électorat à ces décisions. Si Lacalle a exercé un leadership fort et potentiellement
clivant, face au Frente Amplio notamment (voir supra chapitre 3 et 5), le différend qui a conduit à
la sortie des Colorados du gouvernement est essentiellement idéologique2.
Sous le gouvernement de Julio María Sanguinetti, l’action d’Alberto Volonté a consisté à
maintenir la confiance du PN sur les accords passés en amont avec le président Sanguinetti. Les
défections gouvernementales (dont Alvaro Ramos, ministre des relations intérieures) n’ont donc
pas consisté en des critiques au gouvernement de coalition et à son action, mais en un désir de se
démarquer du propre Volonté, à l’intérieur du PN, en vue de préparer les élections de 1999.
Enfin, comme il a été dit, la sortie du gouvernement de l’ensemble du Parti National sous la
présidence de Jorge Batlle, n’a pas consisté en un retrait de la confiance des blancos dans le
gouvernement colorado. Comme le dis bien Isaac Alfie : « les blancos sont partis, mais au fond, ils
ne sont jamais partis »3. La sortie du gouvernement résulte d’un refus d’assumer les coûts
politiques et électoraux d’une participation à ce gouvernement en période de crise, et elle est
contrebalancée par un appui sans faille aux décisions prises par le gouvernement de Jorge Batlle.
*
Dans le cas chilien, c’est l’origine de la Concertación et le parcours respectif des différents
membres qui la composent, ainsi qu’un « apprentissage » de la culture du consensus qui ont conduit
à ce que les différents gouvernements ne conservent pas la confiance de la totalité de leurs
membres. Dans un premier temps, la crainte de l’éventualité d’un retour à un régime autoritaire, de
même que la présence d’enclaves autoritaires (telles que le Conseil de Sécurité Nationale et les
sénateurs désignés sous Pinochet) ont contribué au maintien de la cohésion entre les partis et leurs
1 D’après les entretiens réalisés et les questionnaires envoyés.
2 ALTMAN, D., “The politics of coalition formation and survival in multiparty presidential democracies,…” op. cit.
3 Entretien réalisée le 04/07/2011. Traduction propre.
384
bases parlementaires. De même, les processus de modération idéologique engagés dès les années
1980 (voir supra, chapitre 3), de la part des partis et personnalités de gauche, surtout lors de leurs
exils respectifs en Europe, ont conduit à ce que ces mêmes forces politiques n’émettent pas de
critique forte vis-à-vis de la politique économique de la coalition de gouvernement, aussi bien sous
Frei que sous Lagos, malgré la poursuite des politiques économiques engagées sous Pinochet1.
Dans la pratique, la Concertación a maintenu sa cohésion en conservant la confiance des partis qui
la composent2, du fait d’une politique interne du consensus, en évitant d’aborder des thèmes
potentiellement conflictuels (loi de divorce, étendue des politiques sociales, réformes
institutionnelles)3, en réalisant un partage équilibré et quasi proportionnel des ministères (voir
tableau 6.13) et en plaçant des experts à certains postes clés. En outre, compte tenu de la logique du
système binominal, les partis étaient sûrs d’obtenir une représentation parlementaire (notamment le
PRSD), ce qui leur permettait d’avoir accès à une source de pouvoir – et de financement- qu’ils
n’auraient pas eue en dehors de la coalition4.
Toutefois ces pratiques ont conduit à ce que les partis de la Concertación voient dans l’Etat et
l’administration publique, une source de revenus « garantie » pour ses membres, et qu’ils
développent des reflexes et des pratiques tels que ceux décrits par Richard Katz et Peter Mair sous
le label de « partis-cartels »5. Les partis se transformeraient ainsi en des sortes d’agences pour
l’emploi, ce que suggère le profil socioprofessionnel des cadres dirigeants de la Concertación6. Or,
ces mécanismes de consensus fonctionnel ne peuvent constituer la seule logique d’organisation
d’une coalition, parce que celle-ci créé d’une part des mécontents, mais aussi parce qu’elle conduit
à ce que Philip Shmitter appelle la « règle du désenchantement »7, marquée par un
désaccouplement progressif entre les partis de gouvernement et leur base électorale. C’est dans ce
sens que s’explique la sortie d’Adolfo Zaldívar, lors de ses critiques au Transantiago, ou encore
1 MARTNER, G., Remodelar el modelo, LOM, Santiago, 2007.
2 A noter toutefois que le petit Parti Humaniste qui comptait deux représentants parlementaires en 1990 s’est retiré de la
coalition dès 1992. 3 FUENTES, C., “Partidos y coaliciones en el Chile de los ’90. Entre pactos y proyectos”, in DRAKE, P., et JAKSIC,
I., El modelo chileno ; Democracia y desarollo en los noventa, LOM, Santiago, 2002, pp. 191- 222. 4 LEMIEUX, V., Le pouvoir et l’appartenance : une approche structurale du politique, Presses de l’Université de
Laval, Laval (Québec), 2006. 5 KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party organization and party democracy: the emergence of the cartel
party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. Pour une actualisation du concept et une approche francophone,
voir l'ouvrage compilé par AUCANTE, Y., et DEZÉ, A., Les systèmes de partis dans les démocraties occidentales: Le
modèle de parti-cartel en question, Les Presses de Sciences-Po, Paris, 2008. 6 ALENDA, S., et SEPÚLVEDA, J., “Pensar el cambio en la organizaciones partidistas: perfiles dirigenciales y
trayectorias de moderación en la Concertación y la Alianza”, in DE LA FUENTE, G. et alii, Economía, instituciones y
política en Chile, Segpress/LOM, 2009, pp 133-178. 7 SCHMITTER, P., “La cuarta onda de democratización”, in BARBA, C., BARROS, J.L., et HURTADO, J.,
Transiciones a la democracia en Europa y América latina, Ed. Miguel Angel Porrúa, Mexico, 1991.
385
d’Alejandro Naranjo, puis d’autres membres du PSch (Jorge Arrate notamment) sur des questions
idéologiques (voir supra chapitre 5).
Enfin, l’organisation « consensuelle » d’un simulacre de primaires en 20091, conduisant à la
sélection du candidat et ex président, Eduardo Frei, comme représentant unique de la Concertación,
a conduit à ce que différents dirigeants issus du PS manifestent leur mécontentement en
abandonnant la Concertación. Ainsi le socialiste Carlos Ominami, l’un des fondateurs de la
Concertación et père du candidat PSch n’ayant pas pu disputer ces primaires, Marcos Enríquez
Ominami, justifie sa démission de la sorte :
Sans que cela se matérialise formellement, le parti [socialiste] est entré ces derniers temps dans
un processus aigu d’atomisation, reflété dans la multiplication des options présidentielles
souhaitant se montrer à la société, mais le parti a opéré de sorte que la citoyenneté reste sans
candidature socialiste […] c’est très déroutant de constater que la direction du parti a été
totalement incapable de reconnaître la force de certaines candidatures […] Toutefois ma décision
ne se réduit pas uniquement à une question électorale. Il y a beaucoup d’autres thèmes de fond qui
m’ont conduit à démissionner. Je ne peux continuer sous la tutelle d’un parti contrôlé par de petits
groupes qui s’allient uniquement pour garantir des positions au sein de l’Etat, se livrant à un
pragmatisme vulgaire qui privilégie un type d’alliance opportuniste avec la démocratie-chrétienne
tout en pratiquant un clientélisme souvent déshumanisé…2
En effet, si les différents acteurs de la Concertación que nous avons interviewés considèrent à
une écrasante majorité (94%), que l’action de la coalition a été positive, voire un franc succès
(85%), la mauvaise sélection des candidats apparaît en tête des critiques sur le fonctionnement de la
coalition (2.45 sur une échelle de 1 à 5 où « 1 » veut dire « tout à fait d’accord »).
b. Reddition verticale des comptes , les mouvements sociaux et partis
politiques dans le Cône Sud des années 2000
Si les gouvernements de coalition en régime parlementaire sont éminemment redevables à leur
majorité parlementaire, la reddition de comptes envers l’électorat n’est pas évidente, car elle
découle du caractère essentiellement post-électoral de la formation des alliances. Ainsi, comme
nous l’avons montré aux chapitres 3 et 4, les électeurs ne savent pas toujours pour quel
gouvernement ils ont voté ni pour quel premier ministre, et encore moins pour quelle politique. En
effet, « la formation de l’exécutif est le résultat de négociations parlementaires entre de nombreux
participants. Pour ce faire, le calcul que doit réaliser l’électeur pour savoir comment donner son
appui de la manière la plus efficiente possible à un gouvernement déterminé, est virtuellement
1 Celles-ci n’ayant eu lieu que dans deux régions, n’incluant notamment pas Santiago, et étant marquées par un contrôle
strict des candidats. 2 Lettre publique de démission de Carlos Ominami au Parti Socialiste chilien, le 30/06/2009.
386
impraticable »1. Kaare Strøm a montré que dans 80% des cas, les électeurs ne savaient pas pour
quels gouvernements ils avaient voté. En ce sens, la reddition de comptes en systèmes
parlementaires est essentiellement de type ad hoc, ceci étant dû à l’absence de visibilité des options
en présence2.
Sur ce point, le présidentialisme semble avoir un avantage sur le parlementarisme, grâce à une
identification plus précoce et facile des « options » (de coalitions) gouvernementales, notamment le
recours aux coalitions pré-électorales, ce qui rend les gouvernements électoralement responsables
face aux électeurs, puisque le gouvernement en place a été directement élu, lors de l’élection de son
chef . C’est toutefois auprès de ce dernier que s’effectue la reddition des comptes, davantage que
sur son gouvernement. De même les élections de mi-mandat, servent généralement à sonder la
réception par les électeurs de l’action du gouvernement. Les élections prennent de la sorte une
dimension nationale, malgré l’implantation locale des élus. Néanmoins, certaines caractéristiques
institutionnelles tendent à réduire cet avantage, telles que la limitation des mandats voire
l’impossibilité de réélection directe, comme c’est le cas au Chili et en Uruguay. , Les
gouvernements de coalition dans les régimes présidentiels du Cône sud-américain ont, à des degrés
divers, opéré en système plus ou moins étanche vis-à-vis de leur base parlementaire et leur base
électorale. Or comme tout système, la recherche à l’autonomisation et la pérennisation passe par
« l’habilité à s’autodéterminer et transformer, suivant les besoins, les critères permettant de créer
du lien avec l’environnement »3. Les partis doivent, de la sorte, maintenir un degré de complexité
ou de connexité en rapport avec celui existant dans la société.
Si l’Alianza n’a pu briguer la réélection, car elle s’est disloquée bien avant la fin du mandat de
Fernando De la Rúa, les élections de mi-mandat ont constitué un signe fort du rejet de l’action
gouvernementale par la société argentine puisque la part des votes blancs et nuls comme expression
du « voto bronca » (vote de rejet) a été supérieure de dix points (25,86%), au niveau national, à la
part de votes reçus par la coalition gouvernementale (15,35% des voix). Par ailleurs, l’élan
populaire, bien que relatif (voir supra 6.2.1) suscité par la coalition, va se retourner contre elle, et
ce sont les mouvements sociaux de la fin 2001, combinés à une gestion politique hasardeuse de la
part du gouvernement (la police ayant ouvert le feu sur les manifestants, faisant une vingtaine de
1 MAINWARING, S., et SHUGART, M., Presidencialismo y democracia en América latina, Paidós, Buenos Aires,
2002, p. 43. Traduction propre. 2 STRØM, K., Minority governement and majority rule, Cambridge University press, 1990; et URQUIZU SANCHO,
I., “Coalition governments and electoral behavior: who is accountable?”, in SCHOFIELD, N., et CABALLERO, G.,
Political economy of institutions, democracy and voting, Springer-Verlag, Berlin, 2011, pp.185-213. 3 LUHMANN, N., La politica como sistema, Universidad Iberoamericana, Mexico, 2009, p. 56. Traduction propre.
387
morts) qui conduisirent à la fin de l’Alianza, via la démission du président, et étant donné le
caractère incontrôlable de la situation.
En Uruguay, les partis traditionnels ont dû faire face à la progression constante du Frente
Amplio, élection après élection. Toutefois la préférence de la société uruguayenne pour la
formation de gouvernements de coalition a semble-t-il été comprise et recherchée par les partis
traditionnels, d’où les tentatives initiales du premier mandat de Sanguinetti (1985-1990), puis
l’essai de Lacalle, et surtout la transformation de l’essai lors du second mandat de Julio María
Sanguinetti. Néanmoins, dans ce second cas, la popularité du président sortant n’a pas semblé
« transférable » sur le candidat le plus compromis de la coalition, Alberto Volonté, puisque lors de
la primaire du PN celui-ci a été battu. Cependant la reconduction d’un candidat en faveur d’un
gouvernement de coalition, via la victoire du colorado Jorge Batlle en 1999, semble indiquer
l’attractivité de la formule de gouvernement coalisé auprès de l’électorat uruguayen.
Dans le cas chilien, le maintien au pouvoir de la Concertación durant quatre mandats successifs
témoigne d’un soutien populaire et électoral important. Celui-ci est constamment recherché par la
Concertación au travers de la réactivation de sa raison d’être originale : l’opposition à la dictature
de Pinochet. Diverses commissions ont été ainsi organisées autour du thème de la violation des
Droits de l’Homme (Commission Rettig en 1990, Commission Valech en 2000), un « musée de la
mémoire » a été créé en 2006, et rouverts certains dossiers liés à des disparitions sous la dictature,
notamment lors de l’élection de 2009 où le candidat Frei a annoncé publiquement que son père
(l’ex-président DC Eduardo Frei Montalva), mort en 1982 des suites d’une chirurgie avait en fait
probablement été assassiné par les agents de la dictature. Cette rétro-alimentation a conduit à la
création et au maintien de la culture et de l’identité de la Concertación et a facilité la convergence
entre les membres du PDC et du PSch1. Elle s’est toutefois peu à peu déconnectée des attentes
sociales de son électorat, comptant sur le fait que celui-ci maintiendrait un fort niveau
d’identification en termes de rejet de la dictature. Or, avec les années et la figure de moins en moins
centrale et clivante de Pinochet (particulièrement depuis 1999 et la candidature de Lavín), la société
chilienne s’est transformée, plus profondément et rapidement que ne l’avaient perçu les partis de la
Concertación ; avec des attentes davantage orientées vers des questions socio-économiques, selon
Tomás Moulián2. Ces attentes n’étant que faiblement reprises par les partis de la Concertación, la
1 BOENINGER, E., Politicas publicas en democracia: institucionalidad y experiencia chilena 1990-2006, Cieplan/
Uqbar, Santiago 2007, p.43. 2 Moulián insiste en effet sur les attentes nouvelles en termes de consommation, propres au « citoyen credit-card »
apparu au sortir de la dictature. Voir MOULIAN, T., Chile actual: anatomía de un mito, LOM, Santiago, 2002. Cette
déconnexion reprend l’idée de Pierre Héritier ou le gouvernement ferait fi des attentes de la société, voir HERITIER,
P., Gouverner sans le peuple, Editions de l’Atelier, Paris, 2001.
388
démarcation vis-à-vis de l’opposition a été beaucoup moins nette. Enfin, l’absence de possibilité de
réélection présidentielle a montré que la popularité d’un président sortant n’était pas
automatiquement transposable à sa coalition. Ainsi lorsque Michelle Bachelet quitte le pouvoir en
2010 avec 80% d’opinions favorables, cette popularité ne s’est pas reportée sur la coalition
puisqu’elle n’a pas permis d’élire l’ex-président Eduardo Frei, candidat désigné de la Concertación,
soutenu publiquement par Bachelet.
Ce désaccouplement progressif entre la coalition et son environnement social chaque fois plus
complexe, a conduit à une désaffection grandissante envers la chose publique de la part d’une
frange de plus en plus importante de la société chilienne, en particulier les jeunes. Cette
désaffection est marquée par des niveaux de participation électorale en chute libre depuis 1988.
Comme le montre le tableau 6.14, les niveaux de participation électorale comparés entre le Chili,
l’Argentine et l’Uruguay témoignent d’un maintien des taux de participation argentins et
uruguayens (colonne « f ») globalement supérieurs à 80% (Argentine), voire frôlant les 90%
(Uruguay). Dans le cas chilien, la participation est masquée par le système électoral, qui veut que le
vote soit obligatoire, comme en Argentine et en Uruguay, mais que l’inscription soit facultative. Ce
qui fait que pour échapper à des sanctions économiques (assez élevées) en cas d’abstention, de
nombreux électeurs préféraient ne pas s’inscrire. Or, lorsque l’on additionne les non-inscrits avec
les abstentionnistes, on atteint des taux de participation « à l’européenne » et en constante
progression, allant jusqu’à 41% de personnes n’ayant pas voté lors de l’élection présidentielle de
2009.
Enfin si le vote est légalement obligatoire en Argentine et Uruguay, la sanction en cas de non
respect est relativement minime (difficultés à renouveler des documents administratifs tels que
passeports, etc.). C’est donc davantage une question de culture civique que de crainte d’une
sanction qui conduit aux taux de participation observés dans ces deux pays1. Bien que le Chili ait
récemment modifié sa loi électorale, en adoptant le vote facultatif et l’inscription automatique, les
résultats de participation lors de premières élections ayant eu lieu sous cette configuration
(municipales de 2012), ont confirmé la tendance à la baisse de la mobilisation électorale (45% de
participation).
1 Voir à ce sujet COUFFIGNAL, G., « Le vote en Amérique latine », in PERRINEAU, P., et REYNIE, D.,
(dir), Dictionnaire du vote, Paris, PUF, 2001.
389
Tableau 6.14. Niveau de participation électorale depuis le recouvrement de la
démocratie (aux élections présidentielles)
Elections
Population en
âge de voter
(milliers)
Inscrits
(milliers)
Non- inscrits
a-b
Abstention
(milliers)
C/A
(%)
c+d
(%)
a b c d e f
Argentine
1983 17.930 17.930 - 2.580 - 14,40%
1989 20.034 20.034 - 2.948 - 14,71%
1995 22.178 22.178 - 3.975 - 17,92%
1999 24.109 24.109 - 4.260 - 17,67%
2003 25.480 25.480 - 5.550 - 21,78%
2007 27.090 27.090 - 7.638 - 28,19%
2011 28.916 28.916 - 6.051 - 20,61%
Uruguay
1984 2.197 2.197 - 0.266 - 12,10%
1989 2.319 2.319 - 0.263 - 11,34%
1994 2.330 2.330 - 0.331 - 14,20%
1999** 2.402 2.402 - 0.197* - 8,20%
2004 2.488 2.488 - 0.258 - 10,37%
2009 2.563 2.563 - 0.258 - 9,93%
Chili
1988*** 8.062 7.436 0.626 0.185 7% 10,05%
1989 8.243 7.558 0.685 0.399 8% 13,15%
1993 9.052 8.085 0.866 0.708 9% 17,38%
1999** 10.126 8.084 2.042 1.029 20% 30,32%
2005** 11.323 8.221 3.102 1.117 27% 37,26%
2009 12.277 8.285 3.992 1.052 32,5% 41,08%
Notes: *nous n’entrons pas ici dans le débat sur la visibilité et l’utilité du vote blanc ou nul ; ** Lors de ces élections il
y eut deux tours, les données sont donc des moyennes ; *** plébiscite
Sources: Argentine: ministère de l’intérieur argentin/ Honorable Congrès de la Nation Argentine;
Uruguay: Instituto de Ciencia Política, Universidad de la República, Montevideo; Chili: INE, Servel, Tricel.
Finalement, une donnée intéressante est la relation entre les sociétés chilienne, argentine et
uruguayenne et leurs partis politiques, et notamment ceux ayant pris part à des coalitions
gouvernementales. Ainsi on observe aujourd’hui que tous les partis dans ce cas ont cessé d’être des
canaux d’expression pour les mouvements sociaux, comme ils avaient pu l’être. La présence au
gouvernement a réduit l’activité militante et protestataire de partis dont le répertoire d’action
collective traditionnelle passait, justement, par des mobilisations de masses, et une fois retournées
390
dans l’opposition aucun des partis qui ont pris part à ces gouvernements ne sont parvenus à
recouvrer leur capacité mobilisatrice. Ces éléments semblent donc rendre compte d’une certaine
forme de « cartellisation » des systèmes de partis, et de la perte d’attractivité de ceux-ci pour les
sociétés concernées.
En Argentine, l’UCR a perdu sa base sociale au profit du PJ version Kirchner, voire d’autres
partis (notamment le PS Argentin, lors des élections de 2011) et l’ensemble des tentatives
d’alliances électorales entreprises depuis la chute de De la Rúa se sont soldées par des échecs, ou
au mieux des demi-victoires. L’UCR a sélectionné, par exemple, un candidat coopté au PJ lors des
élections présidentielles de 2007 (Roberto Lavagna).
Au Chili, ce phénomène est encore plus radical puisque c’est l’ensemble du système de parti qui
a perdu sa capacité de mobilisation. Les mouvements sociaux que connaît le pays depuis 2010 se
sont initiés depuis la société civile, laquelle a signifié un désaccouplement radical avec toute
structure partisane existante. Les partis qui jadis constituaient la « colonne vertébrale » de la société
chilienne1, semblent aujourd’hui relégués au second plan, les mouvements sociaux, dont le plus
médiatisé fut le mouvement étudiant de 2011-2012, se revendiquent d’ailleurs comme apolitiques.
En Uruguay, les partis traditionnels semblent avoir perdu leur capacité mobilisatrice au profit du
Frente Amplio. Celui-ci, bien qu’au gouvernement depuis 2005, conserve un certain « monopole »
d’action collective et mobilisation politique dans le pays.
6.3 Conclusions
Les coalitions gouvernementales s’inscrivent dans une perspective qui dépasse la seule
dimension gouvernementale. La constitution d’une alliance gouvernementale, et a fortiori
électorale, conduit à ce que la responsabilité des décisions prises ait des répercussions sur
l’ensemble des participants, de manière certes inégale.. Dès lors, les alliances partisanes
lorsqu’elles s’expriment au niveau gouvernemental se maintiennent tant que chacune des parties a
conscience d’y trouver un intérêt propre, qu’elle ne saurait trouver hors de cette alliance. Ces
intérêts sont décuplés lorsque la coalition se verticalise à des échelons inférieurs. La construction
d’une identité propre à la coalition vient donc renforcer à la fois l’alliance et les liens
d’interdépendance. Encore faut-il que cette verticalisation ne soit pas bancale ni déséquilibrée.
Le renoncement d’un ou plusieurs parti(s) à présenter une candidature propre lors d’une élection
présidentielle, qui constitue la principale échéance électorale en termes de visibilité et
1 GARRETON, M.A., Reconstruir la política: Transiciones y consolidación democrática en Chile, Editorial Andante,
Santiago, 1987. Voir également Le dossier « le Chili déconcerté » in Cahiers des Ameriques latines, No. 68, 2012.
391
identification, suppose donc un degré important de structuration conjointe et implique une
négociation en amont quant à l’obtention de rétributions. On observe ainsi, que les cas les plus
soudés et intégrés de coalition gouvernementale ont supposé un renoncement, de la part du parti du
président, à une représentation proportionnelle de sa représentation partisane à l’assemblée. Les
petits partis reçoivent, généralement, une part supérieur à celle qui correspond à leur poids politique
réel, comme l’a montré le tableau 6.13. Le président est le dernier décideur en la matière, et de ce
fait la forme que prendra le processus de nomination des membres de son cabinet lui revient.
En outre, nous avons montré que les systèmes présidentiels n’ont pas forcément recours à
l’inflation des portefeuilles ministériels afin de rétribuer artificiellement les membres qui les
auraient accompagnés. En ce sens il serait intéressant de voir quelle est la part d’autonomie dont
disposent les ministres dans ce système, par rapport aux systèmes parlementaires, étant donné que
les ministres ne répondent, dans la première configuration constitutionnelle, qu’auprès du président
de la République.
Par ailleurs, si une coalition a pour vocation de se pérenniser elle se doit d’établir des règles
durables de fonctionnement. Si les mécanismes de connexité ont été étudiés au chapitre 5, nous
avons ici insisté, à partir de l’échec de l’expérience de l’Alianza argentine et le succès de la
Concertación chilienne, sur la part d’informalité des processus de décision et sélection de candidats
ainsi que sur l’importance de contrepoids à l’intérieur de la coalition. Les coalitions fonctionnent
ainsi comme des sous-systèmes politiques (ou « systèmes partiels »), où la nécessité de se
constituer vis-à-vis de l’extérieur ne saurait éliminer le travail de constitution et de communication
interne. Pour qu’une coalition se maintienne, les liens d’association qui unissent les partis doivent,
être constamment réalimentés vers l’extérieur comme vers l’intérieur, et parallèlement les liens de
couplage avec leur environnement doivent être maintenus le plus possible afin d’éviter que la
coalition n’entame un processus d’autonomisation vis-à-vis de l’environnement, dont l’expression
la plus radicale consisterait en une cartellisation de ses membres autour des ressources de l’Etat.
Vingt ans après le début des expériences de gouvernements de coalitions dans le Cône sud, un
constat global est difficile à faire, tant les différences en termes de culture politique et de
structuration partisane sont fortes parmi les trois pays qui constituent le terrain de cette thèse.
Toutefois, la place des partis ayant pris part à ces expérimentations est intéressante et instructive.
Les partis de l’Alianza argentine ont soit disparu (FREPASO), ou se maintiennent de manière
difficile et sans réel cap (UCR). Les partis uruguayens qui avaient gouverné le pays pendant près de
150 ans, hormis les périodes autoritaires, ont perdu beaucoup de leur capacité mobilisatrice et laissé
l’initiative à un parti récemment créé (le Frente Amplio). Enfin le système politique chilien, qui
était considéré comme l’un des plus structurés du continent américain et qui a su se reconstruire
392
malgré la dictature de Pinochet a, à son tour, perdu sa condition de canalisateur sociopolitique et,
fait plus grave, a suscité une désaffection grandissante de la part de la société chilienne.
Paradoxalement, et bien qu’il faille nuancer les résultats d’opinion portant sur des questions
politiques en temps de crise, on peut observer que les citoyens argentins, uruguayens et chiliens
conservent un taux de confiance envers leurs partis politiques, bien plus élevé que les européens
(tableau 6.15). Les partis du Cône Sud semblent donc être entrés, comme leurs homologues
européens, dans une étape de métamorphose de leurs bases sociales et de leurs structurations et
liens d’association.
Tableau 6.15 : évolution comparée de la confiance envers les partis politiques Cône
Sud/ Amérique latine/ Europe
Pays/ Región 1997 2002 2007 2010
Argentine 29 4 14 21
Chili 35 12 20 23
Uruguay 45 28 34 45
Amérique Latine 19 14 20 23
France 17 13 17 10
Union Européenne 25* 18* 18** 15**
Notes: * Europe des15; ** Europe des 27
Source: i) Latinobarómetro 1996-1997, 2002, 2007, 2011; ii) Eurobaromètre standard n°48, Décembre
1997; n°57, Octobre 2002; n°68, Décembre2007 ; n°74, février 2011.
393
Conclusion : Le Présidentialisme de coalition dans le
Cône Sud, 25 ans d’expérimentations
"¿De qué sirve saber o creer que cada camino es falso si no lo caminamos con un propósito que ya no sea el camino mismo?"
Julio Cortázar, Rayuela.
Le propos de cette thèse, qui s’inscrit dans une approche de type « théorie politique », consistait
à réaliser une mise à jour des théories des coalitions en comblant un vide théorique important. En
effet, si l’approche théorique fondationnelle pour analyser le phénomène des coalitions
gouvernementales provient essentiellement d’auteurs européens ou nord-américains, malgré une
vocation holiste et universaliste, leur substrat cognitif et empirique s’applique, par ricochet,
essentiellement sur la structuration sociopolitique propre aux systèmes parlementaires européens.
De même, les études qui, par la suite, se sont attachées à l’étude du phénomène en régimes
présidentiels ont, pour la plupart, repris les modes opératoires et postulats posés par les études
parlementaristes, sans jamais proposer de différentiation systémique entre les réalités de
fonctionnement propres à ces différentes configurations constitutionnelles.
Dans le cadre de cette thèse, l’objectif n’a pas simplement été d’établir, ici, une simple typologie
des mécanismes propres aux régimes présidentiels, mais plutôt une comparaison systématique avec
la matérialisation du phénomène en régime parlementaire. Pour ce faire, nous avons cherché à
mettre en commun dans cette thèse trois champs d’études de la science politique, parmi les plus
étudiés au XXe siècle, mais qui n’avaient jamais été combinés jusqu’à présent : la théorie des
coalitions, le débat parlementarisme vs/présidentialisme et la théorie des clivages.
L’approche par le premier champ d’étude, la théorie des coalitions, a nécessité un recentrage de
l’analyse d’un point de vue phénoménologique et conceptuel, afin d’adopter une définition stricte
du concept de coalition gouvernementale, et procéder à une comparaison précise du phénomène
entre les deux types de régimes. De cet effort épistémologique, nous avons pu identifier, dans la
continuité des travaux récents trans-configurationnels1, les objectifs et motivations majeurs qui
conduisent à la formation de coalitions (électorales et) gouvernementales comme suit: i) impulsion
1 STRØM, K., Minority Governement and Majority Rule, Oxford University Press, 1990; MÜLLER, W.C.,
BERGMAN, T. et STRØM, K., « Coalition theory and cabinet governance : An introduction », in STRØM, K.,
MÜLLER, W.C., et BERGMAN, T., Cabinet and coalition bargaining, Oxford University Press, 2008; MATAS, J.,
Coaliciones politicas y gobernabilidad, Institut de Ciències Polítiques i Socials, Barcelone, 2000; et CHASQUETTI,
D., Democracia, presidencialismo y partidos políticos en América latina: evaluando la “difícil combinación, Ediciones
Cauces, Montevideo, 2008.
394
d'une action de gouvernement commun au travers de ii) des valeurs communes (projet politique et
idéologique convergeant, ou rejet d’un concurrent politique commun, ordonnés autour de clivages
politiques), iii) le contrôle de la plupart des instances gouvernementales disponibles (via une
redistribution des portefeuilles ministériels parmi les forces politiques « coalisées ») et iv) la
formation d'un gouvernement stable (avec l'objectif de mettre en place des politiques publiques,
sans omettre une visée ré-élective). Si ces objectifs et motivations n'ont pas prétention à
l’exhaustivité, ils ont l'avantage de dresser les outils d’analyse préalable à l’étude de la formation et
organisation des coalitions, au-delà de la simple considération de rétribution par répartition de
portefeuilles ministériels.
Du débat théorique initié par Juan Linz, portant sur les vertus et défaut des systèmes
présidentiels et parlementaires, nous avons repris la dimension polymorphique de ces systèmes, où
il n’existe pas « un seul » type de présidentialisme ou de parlementarisme1, et la considération
d’autonomie politique de l’exécutif sur le législatif en système présidentiel. Ceci pose donc la
problématique de la survie du gouvernement, et par ricochet l’opposition entre les notions de
« stabilité gouvernementale », plus applicable aux régimes parlementaires, là où en régime
présidentiel les conflits interinstitutionnels, lorsqu’ils sont sérieux, peuvent mettre en péril la
stabilité politique du régime, voire sa stabilité démocratique. De ces éléments, il a été possible de
postuler la différence de portée des partis gouvernementaux entre les deux types de régime : là où
les régimes parlementaires peuvent conduire à ce que se côtoient des partis à visée nationale et
régionale ; en régime présidentiel, ce sont presque uniquement des partis à portée nationale qui
entrent au gouvernement. De plus, le caractère décisif de l’élection présidentielle sur l’identité du
chef du gouvernement conduit à ce que le type de structuration et d’organisation des partis
« présidentialisés » soit altéré par l’échéance électorale. A ce titre, la sélection du candidat
présidentiel prend, pour un parti à vocation gouvernementale, une importance particulière ; de
même que l’absence de candidature en cas de soutien à un candidat issu d’un autre parti.
Enfin le recours à la théorie des clivages a servi de « lien » entre les deux premiers champs
d’étude. Le principe de groupalité en termes de « préférences » et « attractivité » des options
partisanes, qui s’exprime tant en termes positifs (attraction homogène) que négatifs (rejet commun
d’un troisième acteur) vient en effet s’imbriquer dans la dimension bipolaire qu’induit le principe
de « dualité »2 des options, lié à l’élection présidentielle. Les clivages servent ainsi à la fois de
marqueur d’identité et d’éléments de différentiation. Ils occupent également un rôle dans la forme
que vient prendre l’accord, que ce soit comme « projet » politique où le facteur identitaire est fort,
1 Voir SHUGART, M., et CAREY, J., Presidents and assemblies, Cambridge University Press, 1992.
2 DUVERGER, M., les partis politiques, Seuil, Paris, 1980.
395
ou lorsque l’alliance relève du simple « pacte », où c’est la question de la différentiation d’avec un
troisième acteur qui est plus importante. Enfin, la nature de cette alliance et son niveau de cohésion
est à la fois mesurée et affectée par la verticalité que vient prendre l’alliance. En effet, plus une
coalition est « verticale », c'est-à-dire effective sur plusieurs niveaux de pouvoirs, plus les acteurs
sont engagés et compromis entre eux.
Principaux résultats de la recherche
La première étape de cette thèse a consisté en une vérification par un « test » empirique de la
théorie dominante et des principaux postulats quant à la formation et le maintien des coalitions
gouvernementales en régime présidentiel. Cet exercice a permis à la fois de réfuter la plupart des
hypothèses ayant court, liées notamment à un surdimensionnement de l’impact des institutions (en
particulier la loi électorale). Elle a par ailleurs montré l’absence de fondement empirique des thèses
qui traitent du caractère « accidentel » des coalitions gouvernementales en régime présidentiel. A
ce titre, nous avons montré, au travers de l’exemple latino-américain, que ce sont les régimes qui
présentent une configuration plus présidentialiste (entendue par un rapport de force plus favorable
au président) qui tendent à expérimenter plus de gouvernements coalisés. Dit autrement, plus le
« gâteau » est grand plus les parts à distribuer seront intéressantes et susceptibles d’attirer des
partenaires. Par la suite, la sélection du terrain d’étude de cette thèse a permis à la fois d’illustrer
l’argumentation et de remonter vers la théorie, de manière rétroductive1, et a notamment mis en
évidence que les gouvernements de coalition en régime présidentiel n’ont pas recours à « la
multiplication des pains » (ou des postes ministériels) pour rétribuer leurs partenaires.
Dès lors, les principaux résultats de cette thèse viennent à montrer que l’expérimentation de
gouvernements de coalition en régime présidentiel, par rapport à la matérialisation du phénomène
en régime parlementaire, portent sur trois niveaux : organisationnel, temporel et comportemental.
Ainsi, nous avons montré que le recours et la répétition de formes coalisées de gouvernement
contient, en régime présidentiel, une dimension « excluante » en vue à l’accession au pouvoir, en
s’imposant sur le système politique et les patrons de compétition électorale. Ceci se distingue donc
de ce qui se produit en régime parlementaire, où le facteur temporel (postélectoral) et le caractère
« croisé » des clivages en présence conduit à une logique plus intégratrice ou « inclusive » entre les
partis. En système parlementaire, tous les partis peuvent être susceptibles de s’allier entre-eux, du
fait de la nécessité de former une majorité parlementaire et de la temporalité post-électorale des
1 Entendu comme combinaison de déduction et d’induction.
396
« tours de formation » qui précédent la formation d’accords de coalition. Inversement, les
« options » de coalition en régime présidentiels sont plus limitées puisque le formateur de la
coalition gouvernementale est par définition le président élu. La valeur couperet de l’élection
présidentielle, sauf cas exceptionnels (notamment le cas bolivien antérieur à 2004), ordonne donc la
compétition et les affinités politiques de manière plus précoce, en vue des résultats électoraux
escomptés.
Cette caractéristique pose alors le problème de la visibilité et la capacité d’identification du futur
gouvernement, et par ricochet la question de la reddition des comptes (accountability). Si en régime
parlementaire, le caractère post-électoral ne permet pas à coup sûr de savoir quel sera le chef de
l’exécutif ni par qui il sera accompagné1 ; à l’opposé, en régime présidentiel, les coalitions sont
plus visibles et identifiables a priori, notamment du fait du caractère pré-électoral de la formation
des coalitions. Si le mandat fixe du président ne permet pas un contrôle immédiat et contraignant
sur son action politique par le parlement (reddition des comptes horizontale), comme cela se
produit en régime parlementaire ; la meilleure identification des membres du gouvernement permet
un contrôle électoral (reddition verticale) plus effectif, aussi bien quant à la réélection du président
(si la constitution le permet) ou de son équipe, que lors d’élections de mi-mandat (législatives
partielles, notamment).
Ceci se matérialise alors par une bipolarisation de la compétition politique. Dès lors, le vote en
système présidentiel multipartisan serait davantage « coalitionnaire » que partisan2, réduisant ainsi
le rôle et l’influence des partis se déclarant « du centre », qui refusent par-là de se positionner
autour de la ligne de clivage. D’autre part, le fait que les partis soient les canalisateurs de
l’expression des clivages structurants, ils procèdent au travers de l’expérimentation de
gouvernements coalisés à un processus double de création puis mise à jour constante du clivage
structurant la compétition politique. La ligne de démarcation originelle (ou structurante) est
constamment alimentée, dans un but de marginalisation et différentiation entre les groupes
polarisés. Cette rétro-alimentation des clivages est motivée par un facteur de différentiation
politique et électorale impulsée vers et depuis l’Etat. Autrement dit, ce sont les coalitions de
gouvernement bien plus que les partis d’opposition qui nourrissent et se nourrissent du « gel » des
clivages. Les partis d’opposition cherchant davantage à changer les lignes de démarcation. Nous
1 Kaare Strøm parle « d’identifiabilité » (identifibility) des gouvernements, et montre que dans près de 80% des cas, les
électeurs ne savaient pas, dans les cas de coalitions gouvernementales d’Europe Occidentale, pour quel gouvernement
ils avaient voté. Voir STRØM, K., Minority governement and majority rule, op. cit. 2 BLAIS, A., et al. se posent d’ailleurs cette question pour les systèmes parlementaires: “Do voters vote for government
coalitions?; Testing Down's Pessimistic Conclusions”, in Party Politics, Vol. 12, No. 6, 2006, pp. 691–705. Pour un
contre-argument, peu persuasif, voir DUCH, R., MAY, J., et ARMSTRONG, D., « Coalition-directed voting in
multiparty democracies », in American Political Science Review, Vol. 104, No. 4, 2010, pp. 698-719.
397
avons montré que cela est particulièrement vrai au Chili et en Uruguay, et cela implique une
autonomisation croissante du système de partis (et donc des partis coalisés) d’avec l’environnement
social.
Néanmoins, cette métamorphose de la politique en une « démocratie du public »1 a pour
conséquence une déconnexion croissante entre les acteurs politiques et les agents qui constituent la
base2 (militants, sympathisants, etc…), et une informalité « institutionnalisée » des relations intra-
coalitionnaires. Néanmoins, si ce présumé désintérêt croissant envers la chose politique semble
alerter de la même manière les partis et les politistes, autour d’une supposée « crise des partis » et
« crise de la politique », il est à noter que cette méfiance envers les partis dans le cône sud est
comparable à ce que l’on peut observer en Europe. En effet, bien que les partis tendent à maintenir
leurs « marques » électorales3, nous observons que les processus de coalitions s’organisent en
systèmes semi-hermétique, dans la conception de Luhman. Et, sans sous-estimer la pertinence et les
effets de l’environnement (notamment institutionnel), nous observons que l’ensemble de la
communication propre aux gouvernements coalisés provient et dépend des acteurs de cette même
coalition. Si les débats internes sont le fait de l’hétérogénéité des acteurs, la communication
« externe », elle, est le fruit de négociations supposant une position et une responsabilité commune.
Lorsque les divergences internes en viennent à s’externaliser ou se “publiciser”, et lorsqu’un
partenaire-clef de la coalition vient à quitter celle-ci, la coalition comme “système” se dissout dans
le système politique, lequel formait jusque-là son environnement.
Nous avons montré, enfin, que dans les systèmes présidentiels du cône sud il existe une logique
de routinisation coalitionnaire qui, suivant un processus auto-référent, se révèle particulièrement
stable. Si l’Argentine constitue un cas « crucial » pour notre démonstration4, les cas chilien et
uruguayen montrent combien la pratique coalitionnaire au niveau gouvernemental et/ou dans
l’opposition, vient constituer une sorte d’invariant de leurs systèmes partisans. La nouvelle
historicité politique tend, en effet, à centrer la compétition politique autour de « blocs » (ou pôles)
identitaires, et à faire la part belle aux coalitions, lesquelles viennent s’inscrire dans une logique
systémique plus ou moins autonome de l’environnement social. Ce recours constitue une sorte de
préservation des acteurs en présence, de par la logique « excluante » de ces coalitions, notamment
1 MANIN, B., Principes du gouvernement représentatif, Champs/Flammarion, Paris, 1996 [1995].Cette notion se
rapprochant de celle de “cartellisation” des partis présentée par KATZ, R., et MAIR, P., “Changing models party
organization and party democracy: the emergence of the cartel party”, in Party Politics, Vol. 1, No. 1, 1995, pp. 5-28. 2 Pour les partis dont le schéma organisationnel correspond à celui des partis de masse, tels que décrits par Duverger.
Cette assertion ne peut ainsi s’appliquer aux partis plus « récents » (notamment le PPD et l’UDI au Chili, et le
FREPASO en Argentine), qui ont des structures organisationnelles plus professionnelles et concentrées. 3 OFFERLE, M., Les partis politiques, PUF, Paris, 2006.
4 BÄCK, H., et DUMONT, P., “Combining large-n and small-n strategies: the way forward in coalition research”, in
West European Politics, Vol. 30, No. 3, 2007, pp. 467-501.
398
face à l’émergence de nouveaux acteurs. Cependant, cette stabilité dépend de la capacité à
maintenir visibles et actives les lignes de « démarcation » en présence, ou d’élaboration de
nouvelles. Sans cela, l’émergence de nouveaux acteurs (« díscolos »), provenant des coalitions
elles-mêmes, et vecteurs de nouvelles priorités vis-à-vis du système de parti « en place », peut
contribuer à fragiliser le « système coalitionnaire » dans son ensemble ou l’un des membres de
celui-ci. Ainsi, le système est-il plus exposé et fragilisé par les menaces de séditions internes, que
par l’émergence d’un nouvel acteur « hors système ».
Retour au terrain
La sélection de notre terrain n’a, on vient de le voir, pas servi uniquement d’illustration à la
démonstration théorique. L’étude des phénomènes de coalitions gouvernementales dans le Cône
Sud a ainsi mis en avant le caractère dynamique et évolutif de « la vie en coalition ». Les coalitions,
de même que les partis, ne sont pas des éléments donnés qui répètent des schémas préétablis. Elles
sont composées d’acteurs divers, mus par des intérêts et des motivations également diverses. Nous
avons vu, toutefois, que le type d’acteurs en présence, leur culture politique et les rapports de force
sont autant d’éléments centraux à prendre en compte. En effet, l’Alianza argentine ne se disloque
pas pour des raisons d’incohérence idéologique, ni ne fait les frais de la crise économique de 2001,
puisque cette désarticulation a lieu plus d’un an avant. Les causes de ceci découlent de la nature des
acteurs, et de la culture peu coopérative des partis argentins. De même le déséquilibre des forces et
l’absence d’un comportement « coalitionnaire » de la part du président De la Rúa ont constitué les
fondements de l’échec de cette coalition. A l’inverse de ce qui se produit en régime parlementaire,
où un parti dominant peu s’allier à un ou plusieurs petits partis, voire des partis régionalistes (ou à
portée non nationale), en régime présidentiel, le cas argentin montre que les coalitions doivent
inclure des partis qui présentent une organisation et une portée semblables, ainsi qu’un rapport de
force équilibré en termes de leurs ressources (contingent électoral, ressources mobilisationnelles,
etc.).
Le cas chilien constitue un cas d’apprentissage de vie en commun, où des acteurs jadis
antagonistes ont occupé ensemble le pouvoir et appris à vivre ensemble pendant vingt ans. Cela
malgré une configuration présidentielle où le président possède des pouvoirs particulièrement forts.
En ce sens, l’expérience des gouvernements de coalition à favorisé une gestion pragmatique et
nuancée du pouvoir, dans un pays qui était marqué par une polarisation des positions politiques. En
ce sens, les gouvernements de coalition constituent une sorte de soupape de modération. Juan Linz
399
va d’ailleurs dans ce sens lorsqu’il dit que « les coalitions gouvernementales en régime présidentiel
constituent une sorte de ‘parlementarisation’ de la praxis gouvernementale »1.
Le cas uruguayen s’inscrit à mi-chemin entre les expériences argentine et chilienne. Si la culture
gouvernementale uruguayenne s’inscrit dans une tradition coopérative et consensuelle, qu’illustre
la réalisation de co-gouvernements entre colorados et blancos, la traduction en termes de coalitions
de gouvernement n’a pas été automatique. Si le second gouvernement Sanguinetti (1995-2000) a
constitué une référence de soutien et cohésion interpartisane, il est surtout le fait d’un acteur,
Alberto Volonté, persuadé –à tort- que de la sorte son propre parti, le Partido Nacional, serait
récompensé par son attitude « responsable ». Les autres gouvernements (Lacalle 1990-1995 ; et
Batlle 2000-2005) ont connu des fortunes diverses, puisque leur partenaire partisan de coalition a
quitté le gouvernement avant la mi-mandat. Cette rupture est, toutefois, plus évidente dans le cas de
Lacalle, où son leadership fort et la prise de positions idéologiques clivantes, ont conduit les leaders
colorados, même ceux qui partageaient les mêmes affinités idéologiques que lui (comme Jorge
Batlle), à se retirer,. Inversement, la défection des blancos sous la présidence de Batlle, est
davantage le fait de calculs électoraux, dans un contexte de crise socio-économique, censés
épargner au parti une nouvelle débâcle. Cette défection n’est en effet pas totale puisqu’elle s’est
accompagnée d’un soutien constant au parlement.
Ces trois expériences résumées ici sommairement montrent bien l’étendue polymorphique des
formes que peuvent prendre les coalitions gouvernementales en régime présidentiel. Celles-ci son
en effet soumises à différents contextes culturels et politiques, qui les modèlent.. Nous présentons
ainsi, dans le tableau final une typologie qui compile les apports empiriques de cette thèse, et
montre les formes qu’ont prise les coalitions gouvernementales dans le Cône Sud, en termes de
matérialisation temporelle (timing), de composition gouvernementale, de nature originelle,
d’équilibre des forces et de profondeur ou « verticalité ». Le tableau est divisé en deux colonnes ;
une intitulée « idéal-type » et l’autre « alternative », en fonction de leur probabilité à maintenir la
cohésion interpartisane.
1 Propos recueillis lors de notre entretien du 04/11/11. Traduction propre.
400
Tableau Final : Récapitulatif de la matérialisation des caractéristiques des coalitions
gouvernementales dans le Cône Sud
Configurations Idéal-type Alternative
Timing
Pré-électoral:
1. Chili 1988-2010 2. Argentine 1997-2001
a. D’Entre-deux-tours:
1. Uruguay (Batlle) 2000-2002
b. Post-électorale/ “interiel”:
1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000
Composition du gouvernement
À dominante partisane:
1. Chili 1990-2010 2. Uruguay 1990-1992 3. Uruguay 1995- 2000 4. Uruguay 2000-2002 5. Argentine 1999-2000
a. À dominante technocratique
-
b. mixte
-
Type d’accord
fondationnel
Accord Programmatique (“homogène’’)
1. Uruguay (Lacalle) 1990-1992 2. Uruguay (Batlle) 2000-2002
a. Coalition “Négative”
1. Chili 1990-2010 2. Argentine 1997-2000 3. Uruguay (Sanguinetti) 1995-2000
b. Opportuniste (”hétérogène”)
-
Forme de la coalition et
allocation des portefeuilles ministériels
coalition “équilibrée”:
1. Chili (1990-2010) 2. Uruguay (1995-2000) 3. Uruguay (2000-2002)
Coalition déséquilibrée:
1. Uruguay (1990-1992)
2. Argentine (1997- 2000)
“Profondeur” de l’alliance
Coalition “totale” ou multiniveaux:
1. Chili (1988-2010)
a. Verticalisation partielle ou
défectueuse :
1. Argentine (1997-2000)
b. Coalition sur un seul niveau (uniquement gouvernemental):
1. Uruguay 1990-1992 2. Uruguay 1995-2000** 3. Uruguay 2000-2005**
401
Pistes à creuser
Une thèse de doctorat est, par définition, incomplète en ce sens qu’elle ne saurait « clore » une
discussion sur un thème. Si certaines thèses constituent un questionnement des théories
communément admises, elles n’en constituent pas le point final. Il en va de même pour cette
recherche. Si nous avons mis en évidence les manques théoriques et empiriques liés à la théorie des
coalitions dominante, en « présidentialisant » l’approche, il reste de nombreux points à approfondir.
Nous avons relevé trois pistes dignes d’intérêt pour l’approfondissement de la connaissance du
phénomène coalitionnaire.
Tout d’abord, nous avons étudié la thématique de la « verticalisation » des coalitions
gouvernementales en la ramenant au niveau gouvernemental. Autrement dit, nous nous sommes
intéressés à la verticalité des coalitions en fonction de leurs conséquences au niveau
gouvernemental. Or, nous n’avons pas abordé les types de « liants » locaux, ni les expressions de
ces coalitions au niveau local. Comme l’a montré Nicolas Bué dans sa thèse sur les coalitions
municipales dans la ville de Calais, la part liée à l’identité politique et idéologique, se confond avec
des réalités et des intérêts locaux1. Ce postulat semble alors particulièrement fort pour les systèmes
partisans où l’idéologie ne constitue pas le « liant » entre une élite politique et son électorat, comme
c’est traditionnellement le cas en Uruguay et en Argentine. De même, la dimension fédérale, et
l’expression d’alliances partisanes à ce niveau intermédiaire entre le local et le national, revêt un
intérêt particulier pour l’étude des coalitions en systèmes présidentiels. En effet, l’accession à des
responsabilités provinciales (gouverneur d’Etat) peut constituer dans de nombreux cas de
fédéralismes, des tremplins vers une visibilité nationale. C’est notamment vrai dans les cas
mexicain, brésilien et, dans une moindre mesure, argentin. D’où la nécessité de comprendre la
teneur de ce types d’accords, et leur durabilité.
Par la suite, nous nous sommes intéressés à un terrain présentant des similarités en termes
d’institutionnalisation des systèmes de partis2. Or, qu’en est-il de l’expérimentation de
gouvernements de coalition dans des systèmes politiques moins stables, et/ou de plus récente
formation ? De même, dans des sociétés plurinationales, comme de nombreuses sociétés africaines,
comment se manifeste les rapports « d’affinité » et de clivage ? Les coalitions gouvernementales
ont-elles ainsi un impact sur l’ordonnancement et la stabilisation du système de parti ?
1 BUE, N., « Rassembler pour régner Négociation des alliances et maintien d’une prééminence partisane: l’union de la
gauche à Calais (1971-2005) », Thèse de doctorat, Université de Lille 2, Décembre 2006. 2 Nous sommes conscients du caractère controversé de cette notion, que nous ne considérons pour l’heure qu’à son
interprétation primaire, à savoir la reconduction des « marques » partisanes dans le temps.
402
Enfin, il est un poste institutionnel propre au régime présidentiel, mais pas à tous les régimes
présidentiels, qui n’a jamais été étudié et dont l’impact sur la gestion gouvernementale et la
structuration des coalitions peut être significatif : le poste de vice-président. En effet, aucune étude
n’a jamais étudié sérieusement les retombées et les implications de ce poste, traditionnellement
considéré comme « décoratif ». Or, il est à noter que toutes les constitutions ne prévoient pas ce
poste, notamment la constitution chilienne, et que la plupart des autres lui confèrent un rôle
institutionnel intéressant, notamment la présidence de la chambre haute du parlement (en Argentine
et en Uruguay). Dans le cas argentin, on a notamment vu que le poste de vice-président à constitué
une rétribution pour le FREPASO, de la part de l’UCR, alors qu’en Uruguay la formation du ticket
président-vice président ne peut être, jusqu’à aujourd’hui que partisan (ils doivent être nommés lors
des primaires partisanes). Aussi, de nombreux cas récents ont montré la pertinence de l’étude de
cette institution incarnée ; le cas le plus intéressant étant notamment celui de l’Argentine où en
2008, le vice-président, Julio Cobos issu de l’UCR, a été « coopté » par la présidente péroniste
Cristina Kirchner. En effet, lors d’un vote, le 17 juillet 2008, consistant à remonter les taxes à
l’exportation du soja -principale source de devises de l’Argentine actuelle-, le vote au Sénat s’est
matérialisé par un équilibre parfait face auquel le vice-président a finalement tranché, dans le but de
départager le rapport de force, contre le projet de loi gouvernemental1. Or le poste de vice-président
procédant d’une élection, la démission de celui-ci ne peut venir que de lui (le vice-président ne peut
être démis par le président), ce qui fait que l’Argentine a connu une situation ubuesque où le vice-
président a constitué la principale figure d’opposition au gouvernement dont il faisait indirectement
parti. Ce cas met donc en évidence l’utilité de l’étude de l’impact du vice-président dans la
formation d’alliances et dans la prise de décisions.
1 Mesure qui a été appelée « vote non-positif ».
403
Bibliographie
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-Littérature généraliste et épistémologique
- Littérature sur les partis, systèmes de partis et les systèmes électoraux
-Littérature sur les phénomènes des coalitions politiques
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452
Liste des sigles utilisés
CGT : Confederación General de Trabajadores (Argentine)
CNA : Conseil National d’Administration (Uruguay)
CNG : Conseil National de Gouvernement (Uruguay)
CONADEP : Commission National sur la Disparition de Personnes (Argentine)
DNU : Décrets de Nécessité et Urgence (Argentine)
DVS : Double Vote Simultanné (Uruguay)
FA : Frente Amplio (Uruguay)
FREPASO : Frente País Solidario (Argentine)
MAPU : Movimiento de Acción Popular Unitario (Chili)
MODEJUSO : Movimiento por la Democracia y la Justicia Social (Argentine)
NEF : Nombre Effectif de Fractions
NEP : Nombre Effectif de Partis
NPP : Nombre de Partis Pertinents
PAN : Partido Autonomista Nacional (Argentine)
PC : Partido Colorado (Uruguay)
PCch : Parti Communiste Chilien
PCU : Parti Communiste Uruguayen
PDC: Parti Démocrate-chrétien (Chili)
PJ : Partido Justicialista (Argentine)
PN : Partido Nacional (Uruguay)
PPD : Partido Por la Democracia (Chili)
PPNN: Partis a Portée Non Nationale
PR: Partido Radical (Chili)
PRSD: Partido Radical Social Demócrata (Chili)
PSch : Parti Socialiste Chilien
RM : Représentation Majoritaire
RN : Renovación Nacional (Chili)
RP : Représentation Proportionnelle
QCA/ AQQC : « Qualitative Comparative Approach », Approche Quali-Quanti Comparée
UCR : Unión Cívica Radical (Argentine)
UDI : Unión Demócrata Independiente (Chili)
453
Annexes
Annexe 1 : composition des gouvernements de coalition dans le Cône Sud
Annexe 2 : Questionnaire commun soumis aux personnes interrogées
Annexe 3 : Liste des personnes interrogées par pays et par parti.
454
Annexe 1 : Composition des gouvernements de
coalition dans le Cône Sud*.
Argentine :
Gouvernement de l’Alianza, Présidence de Fernando De la Rúa, UCR (10/12/1999- 20/03/2001)
Ministère Ministre
Periode
en
exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode
en
exercice
Parti
Chef de Cabinet Rodolfo
Temagno
10/12/99-
05/10/00 UCR
Chrystian
Colombo
05/10/00-
21/12/01 UCR
Intérieur Federico
Storani
10/12/99-
20/03/01 UCR … … UCR
Economie et
Production*
José Luis
Machinea
10/12/99-
05/03/01 UCR
Ricardo López
Murphy
05/03/01-
20/03/01 UCR
Domingo
Cavallo**
20/03/01
21/12/01
Acción por
la
República
Relacions
Internationales,
Comerce
International et
Culte
Adalberto
Rodríguez
Giavarini
10/12/99-
21/12/01 UCR - - -
Défense Ricardo López
Murphy
10/12/99-
05/03/01 UCR
Horacio
Jaunarena
05/03/01-
21/12/01 UCR
Education Juan José
Llach
10/12/99-
25/09/00 Ind.
Hugo Juri 25/09/00-
20/03/01 UCR
Andrés Delich 20/03/01
21/12/01 UCR
Santé et Action
Sociale
Héctor
Lombardo
10/12/99-
21/12/01 UCR - - -
Travail, Emploi et
Formatión de
Ressources
Humaines
Alberto
Flamarique
10/12/99-
06/10/00 FREPASO
Patricia Bullrich 06/10/00-
29/10/01 PJ
José Dumón 29/10/01-
21/12/01 UCR
* Nous ne considérons ici que les périodes de gouvernements qui ont fonctionné en coalition.
455
Justice et Droits de
l’Homme
Ricardo Gil
Lavedra
10/12/99-
06/10/00 UCR Jorge de la Rúa
06/10/00-
21/12/01 UCR
Infrastructure et
Logement* Nicolás Gallo
10/12/99-
05/10/00 UCR
José Luis
Machinea
05/10/00-
05/03/01 UCR
Ricardo López
Murphy
05/03/01-
20/03/01 UCR
Carlos Bastos 20/03/01
21/12/01 ARI
Développement
social
Graciela
Fernández
Meijide/
10/12/99-
12/03/01 FREPASO
Marcos Makon 12/03/01-
20/03/01 FREPASO
Juan Pablo
Cafiero
20/03/01-
22/10/01 FREPASO
Daniel Sartor 22/10/01-
21/12/01 UCR
Sécurité sociale Patricia
Bullrich
29/10/11-
20/12/11 PJ - - -
Tourisme, Culture
et Sport
Hernán
Lombardi
29/10/11-
20/12/11 Ind. - - -
Note : en italique les gouvernements crées pendant le déroulement de la présidence.
*Les ministères de l’économie et de l’infrastructure et du logement passent à être occupés par les
mêmes ministres entre le 05/10/00 et le 20/03/01.
**Nous incluons ici Domingo Cavallo, car sa nommincation constitue l’éclatement de la coalition.
Chili :
1. Gouvernement de Patricio Aylwin, PDC (11/03/1990-11/03/1994)
Ministère Ministre
Periode
en
exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode
en
exercice
Parti
Interieur Enrique Krauss 11/03/90-11/03/94
PDC - - -
Secrétaire Général du Président
(SEGPRES)
Edgardo Boeninger
11/03/90-11/03/94
PDC - - -
Secrétaire Général du
gouvernement (SEGEGOB)
Enrique Correa 11/03/90-11/03/94
PSch - - -
Agriculture Juan Agustín
Figueroa
11/03/90-
11/03/94 PR - - -
Défense Patricio Rojas 11/03/90-11/03/94
PDC - - -
456
Economie Carlos Ominami 11/03/90-
28/09/92 PSch
Jorge Marshall 28/09/92-16/12/93
PPD
Jaime Tohá* 16/12/93-11/03-94
PSch
Finances Alejandro Foxley 11/03/90-11/03/94
PDC - - -
Education Ricardo Lagos 11/03/90-28/09/92
PPD Jorge Arrate 28/09/92-11/03/94
PSch
Biens Nationaux Luis Alvarado 11/03/90-
11/03/94 PSch - - -
Energie Jaime Tohá 11/03/90-11/03/94
PSch - - -
Justice Francisco Cumplido
11/03/90-11/03/94
PDC - - -
Ministère du Plan
(MIDEPLAN) Sergio Molina
11/03/90-
11/03/94 PDC - - -
Œuvres Publiques (MOP)
Carlos Hurtado 11/03/90-11/03/94
Ind. - - -
Mines Juan Hamilton 11/03/90-28/09/92
PDC Alejandro Hales 28/09/92-11/03/94
PDC
Relations Extérieures
Enrique Silva 11/03/90-11/03/94
PR - - -
Santé Jorge Jiménez 11/03/90-30/10/92
PDC Julio Montt 30/10/92-11/03/94
PDC
Travail René Cortázar 11/03/90-11/03/94
PDC - - -
Transport Germán Correa 11/03/90-
28/09/92 PSch Germán Molina
28/09/92-
11/03/94 PPD
Logement Alberto
Etchegaray 11/03/90-11/03/94
PDC - - -
SERNAM Soledad Alvear 03/01/91-11/03/94
PDC - - -
Notes : Jaime Tohá assumme le double ministère économie et énergie, le 16/12/93, dans la période transitoire entre la fin du mandat de Aylwin et l’assomption de Frei.
457
2. Gouvernement de Eduardo Frei, PDC (11/03/1994 – 11/03/2000)
Ministère Ministre Periode
en exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Interieur Germán Correa 11/03/94-20/09/94
PSch
Carlos Figueroa 20/09/94-01/08/98
PDC
Raúl Troncoso 01/08/98-11/03/00
PDC
Secrétaire Général du
Président
(SEGPRES)
Genaro Arriagada 11/03/94-
28/09/96 PDC
Juan Villarzú 28/09/96-01/08/98
PDC
John Biehl 01/08/98-
22/06/99 PDC
José Miguel Insulza
22/06/99-11/03/00
PSch
Secrétaire
Général du gouvernement
(SEGEGOB)
Víctor Manuel Rebolledo
11/03/94-20/09/94
PPD
José Joaquín Brunner
11/03/94-01/08/98
PPD
Jorge Arrate 01/08/98-
22/06/99 PSch
Carlos Mladinic 22/06/99-11/03/00
PDC
Agriculture Emiliano Ortega 11/03/94-28/09/96
PDC
Carlos Mladinic 28/09/96-22/06/99
PDC
Ángel Sartori 22/06/99-
11/03/00 PDC
Défense Edmundo Pérez
Yoma 11/03/94- 16/01/98
PDC
Raúl Troncoso 16/01/98- 01/08/98
PDC
José Florencio 01/08/98- 22/06/99
PDC
Edmundo Pérez
Yoma
22/06/99-
11/03/00 PDC
Economie Álvaro García 11/03/94-01/08/98
PPD Jorge Leiva 01/08/98-11/03/00
PPD
Finances Eduardo Aninat 11/03/94-03/12/99
PDC Manuel Marfán 03/12/99-11/03/00
PSch
Education Ernesto
Schiefelbein 11/03/94- 20/09/94
Ind.
Sergio Molina 20/09/94-28/09/96
PDC
José Pablo Arellano
28/09/96-11/03/00
PDC
Biens Nationaux Adriana Delpiano 11/03/94-
13/04/99 PPD
Jorge Heine 13/04/99-
29/07/99 PDC
Sergio Galilea 29/07/99-11/03/00
PPD
Energie Alejandro Jadresic 11/03/94-05/01/98
Ind.
Álvaro García* 05/01/98-01/08/98
PPD
Jorge Leiva* 01/08/98-24/11/98
PPD
Óscar Landerretche
24/11/98-11/03/00
PSch
458
Justice Soledad Alvear 11/03/94-16/12/99
PDC José Antonio
Gómez 16/12/99-11/03/00
PRSD
Ministère du Plan
(MIDEPLAN) Luis Maira
11/03/94-28/09/96
PSch
Roberto Pizarro 28/09/96-
19/05/98 PSch
Germán Quintana 19/05/98-11/03/00
PDC
Œuvres Publiques (MOP)
Ricardo Lagos 11/03/94-01/08/98
PPD Jaime Tohá 01/08/98-11/03/00
PSch
Mines Benjamín Teplizky 11/03/94-03/08/97
PRSD Sergio Jiménez 03/08/97-11/03/00
PRSD
Relations Extérieures
Carlos Figueroa 11/03/94-20/09/94
PDC
José Miguel Insulza
20/09/94-22/06/99
PSch
Juan Gabriel Valdés
22/06/99-11/03/00
PDC
Santé Carlos Massad 11/03/94-07/08/96
PDC Alex Figueroa 07/08/96-11/03/00
PDC
Travail Jorge Arrate 11/03/94-
01/08/98 PSch Germán Molina
01/08/98-
11/03/00 PPD
Transport Narciso Irureta 11/03/94-
28/09/96 PDC Claudio Hohmann
28/0996-
11/03/00 PDC
Logement Edmundo Hermosilla
11/03/94-24/07/97
PDC Sergio Henríquez 24/07/97- 11/03/00
Ind.
SERNAM Josefina Bilbao 11/03/94-11/03/00
Ind. - - -
3. Gouvernement de Ricardo Lagos, PPD (11/03/2000 –11/03/ 2006)
Ministère Ministre Periode
en exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Interieur José Miguel
Insulza 11/03/00-24/05/05
PSch Francisco Vidal 24/05/05-11/03/06
PPD
Secrétaire Général du
Président (SEGPRES)
Álvaro García 11/03/00-
07/01/02 PPD
Mario Fernández 07/01/02-03/03/03
PDC
Francisco
Huenchumilla
03/03/03-
03/06/04 PDC
Eduardo Dockendorff
03/06/04-11/03/06
PDC
Secrétaire Général du
Claudio Huepe 11/03/00-07/01/02
PDC Heraldo Muñoz 11/03/06-03/03/03
PPD
459
gouvernement (SEGEGOB)
Francisco Vidal 03/03/03-24/05/05
PPD
Osvaldo Puccio 24/05/05-11/03/06
PSch
Agriculture Jaime Campos 11/03/00-
11/03/06 PRSD - - -
Défense Mario Fernández 11/03/00-07/01/02
PDC
Michelle Bachelet 07/01/02-29/04/04
PSch
Jaime Ravinet 29/04/04-11/03/06
PDC
Economie* José De Gregorio 11/03/00-
19/06/01 PDC Jorge Rodríguez
19/06/01-
11/03/06 PDC
Finances Nicolás Eyzaguirre 11/03/00-11/03/06
PPD - - -
Education Mariana Aylwin 11/03/00-
03/03/03 PDC
Sergio Bitar 03/03/03-
14/12/05 PPD
Marigen Hornkohl 14/12/05-11/03/06
PDC
Biens Nationaux**
Claudio Orrego 11/03/00-29/12/00
PDC
Jaime Ravinet 29/12/00-29/09/04
PDC
Sonia Tschorne 29/09/04-
11/03/06 PSch
Energie* José De Gregorio 11/03/00-19/06/01
PDC Jorge Rodríguez 19/06/01-11/03/06
PDC
Justice José Antonio
Gómez
11/03/00-
03/03/03 PRSD Luis Bates
03/03/03-
11/03/06 Ind.
Ministère du
Plan (MIDEPLAN)
Alejandra Krauss 11/03/00-07/01/02
PDC
Cecilia Pérez 07/01/02-03/03/03
Ind.
Andrés Palma 03/03/03-01/10/04
PDC
Yasna Provoste 01/10/04-
11/03/06 PDC
Œuvres Publiques (MOP)***
Carlos Cruz 11/03/00-07/01/02
PSch
Javier Etcheberry 07/01/02-03/01/05
PPD
Jaime Estévez 03/01/05-11/03/06
PSch
Mines* José De Gregorio 11/03/00-19/06/01
PDC
Jorge Rodríguez 19/06/01-07/01/02
PDC
Alfonso Dulanto 07/01/02-11/03/06
Ind.
Relations
Extérieures Soledad Alvear
11/03/00-
29/09/04 PDC Ignacio Walker
29/09/04-
11/03/06 PDC
Santé Michelle Bachelet 11/03/00-07/01/02
PSch
Osvaldo Artaza 07/01/02-03/03/03
PDC
Pedro García 03/03/03-11/03/06
PDC
460
Travail Ricardo Solari 11/03/00-22/04/05
PSch Yerko Ljubetic 22/04/05-11/03/06
PDC
Transport*** Carlos Cruz 11/03/00-07/01/02
PSch
Javier Etcheberry 07/01/02-
03/01/05 PPD
Jaime Estévez 07/01/02-
11/03/06 Ind.
Logement** Claudio Orrego 11/03/00-29/12/00
PDC
Jaime Ravinet 29/12/00-29/09/04
PDC
Sonia Tschorne 29/09/04-11/03/06
PSch
SERNAM Adriana Delpiano 11/03/00-
03/03/03 PPD Cecilia Pérez
03/03/03-
11/03/06 Ind.
Culture José Weinstein 06/08/03-11/03/06
PPD - - -
Notes : *Les ministère de l’économie et de l’énrgie et des mines sont occupés par le même ministre, jusqu’au 07/01/02, où le ministère des mines se sépare.
** Les ministères des Biens Nationaux et du logement sont occupés par le même ministre. *** Les ministères des Œuvres Publiques et des transports sont occupés par le même ministre.
4. Gouvernement de Michelle Bachelet, PSch (11/03/2006 –11/03/ 2010)
Ministère Ministre Periode
en exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Interieur Andrés Zaldívar 11/03/06-14/07/06
PDC
Belisario Velasco 14/07/06- 03/01/08
PDC
Edmundo Pérez Yoma
03/01/08-11/03/10
PDC
Secrétaire Général du Président
(SEGPRES)
Paulina Veloso 11/03/06-26/03/07
PSch José Antonio Viera-Gallo
26/03/07-11/03/10
PSch
Secrétaire Général du
gouvernement (SEGEGOB)
Ricardo Lagos Weber
11/03/06-06/12/07
PPD
Francisco Vidal 06/12/07- 12/03/09
PPD
Carolina Tohá 12/03/09-14/12/09
PPD
Pilar Armanet 14/12/09-
11/03/10 PSch
Agriculture Álvaro Rojas 11/03/06-08/03/08
PDC Marigen Hornkohl 08/03/08-11/03/10
PDC
Défense Vivianne Blanlot 11/03/06-26/03/07
PPD
José Goñi 26/03/07-12/03/09
PPD
Francisco Vidal 12/03/09-
11/03/10 PPD
Economie Ingrid Antonijevic 11/03/06-14/07/06
PPD
Alejandro Ferreiro 14/07/06-08/01/08
PDC
Hugo Lavados 08/01/08-11/03/10
PDC
461
Finances Andrés Velasco 11/03/06/-11/03/10
PSch - - -
Education Martín Zilic 11/03/06/-14/07/06
PDC
Yasna Provoste 14/07/06-
16/04/08 PDC
Mónica Jiménez 16/04/08-11/03/10
PDC
Biens Nationaux Romy María
Schmidt 11/03/06-06/01/10
PPD Jacqueline Weinstein
06/01/10-11/03/10
PPD
Energie Karen Poniachik 11/03/06-26/03/07
Ind. Marcelo Tokman 26/03/07-11/03/10
PPD
Justice Isidro Solís 11/03/06-26/03/07
PRSD Carlos Maldonado 26/03/07-11/03/10
PRSD
Ministère du Plan
(MIDEPLAN) Clarisa Hardy
11/03/06-08/01/08
PSch Paula Quintana 08/01/08-11/03/10
PSch
Œuvres Publiques (MOP)
Eduardo Bitran 11/03/06-11/01/08
PPD Sergio Bitar 11/01/08-11/03/10
PPD
Mines Karen Poniachik 11/03/06-
08/01/08 Ind. Santiago González
08/01/08-
11/03/10 PRSD
Relations Extérieures
Alejandro Foxley 11/03/06-12/03/09
PDC Mariano
Fernández 12/03/09-11/03/10
PDC
Santé María Soledad
Barría 11/03/06-28/10/08
PDC Álvaro Erazo 28/10/08-11/03/10
PSch
Travail Osvaldo Andrade 11/03/06-10/12/08
PSch Claudia Serrano 10/12/08-11/03/10
PSch
Transport Sergio Espejo 11/03/06-27/03/07
PDC René Cortázar 27/03/07-11/03/10
PDC
Logement Patricia Poblete 11/03/06/-11/03/10
PDC - - -
SERNAM Laura Albornoz 11/03/06/-
19/10/09 PDC Carmen Andrade
19/10/09-
11/03/10 PSch
Culture Paulina Urrutia 11/03/06/-
11/03/10 Ind. - - -
Environnement Ana Lya Uriarte 26/03/07-11/03/10
Psch - - -
462
Uruguay1
1. Gouvernement de coalition de Luis Alberto Lacalle, PN (01/03/1990-11/02/1992)
Ministère Ministre Periode
en exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Intérieur Juan Andrés
Ramírez 01/03/90-10/11/93
PN … … PN
Défense Mariano Brito 01/03/90-18/08/93
PN … … PN
Relacions Extérieures
Héctor Gross 01/03/90-04/01/93
PN … … PN
Economie et Finances
Enrique Braga 01/03/90-11/02/92
PN … ... PN
Transports et
Œuvres Publiques
Wilson Elso Goñi 01/03/90-01/02/93
PN … … PN
Santé Alfredo Solari 01/03/90-09/07/91
PC Carlos Delpiazzo 09/07/91-11/08/92
PN
Agriculture Álvaro Ramos 01/03/90-01/02/93
PN … … PN
Industrie, énergie, mines
Augusto Montes de Oca
01/03/90-11/02/92
PC Eduardo Ache 11/02/92-04/05/94
PC
Education et Culture
Guillermo García 01/03/90-12/08/92
PN … … PN
Logement, aménagement du territoire et
environnement
Raúl Lago 01/03/90-11/02/92
PC … … PN
Plan et budget (OPP)
Conrado Hugues 01/03/90-28/08/91
PN Carlos Cat 28/08/91-18/03/93
PN
Travail et
sécurité sociale Carlos Cat
01/03/90-
28/08/91 PN Alvaro Carbone
28/08/91-
01/09/93 PN
Tourisme José Villar 01/03/90-
05/11/1994 PC … … PN
1 Dans les cas des gouvernements Lacalle et Batlle, dont les coalitions gouvernementales se sont disloquées avant la fin
de leur mandat, n’apparaissent les changements de ministres seulement lors des périodes correspondantes aux
coalitions gouvernementales. Pour les changements ultérieurs nous mettons volontairement des « … ».
463
2. Gouvernement de Julio María Sanguinetti (01/03/1995-01/03/2000)
Ministère Ministre
Periode en
exercice Parti
Ministre Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Intérieur Didier Opertti 01/03/95-02/02/98
PC
Luis Hierro López 02/02/98-
09/10/98 PC
Guillermo Stirling 09/10/98-01/03/00
PC
Défense Raúl Iturria 01/03/95-16/10/98
PN Juan Luis Storace 16/10/98-01/03/00
PN
Relacions Extérieures
Álvaro Ramos 01/03/95-02/02/98
PN Didier Opertti 02/02/98-01/03/00
PC
Economie et Finances
Luis Mosca 01/03/95-01/03/00
PC - - -
Transports et
Œuvres Publiques
Lucio Cáceres 01/03/95-01/03/00
PC - - -
Santé Alfredo Solari 01/03/95-18/03/97
PC José Raúl Bustos 18/03/97-01/03/00
PC
Agriculture Carlos Gasparri 01/03/95-16/02/98
PC
Sergio Chiesa 16/02/98- 04/01/99
PN
Ignacio Zorrilla 04/01/99- 24/08/99
PC
Luis Brezzo 24/08/99- 14/02/00
PC
Juan Notaro 14/02/00-01/03/00
PC
Industrie,
Energie et Mines
Federico Slinger 01/03/95-23/12/96
Unión Cívica
Julio Herrera 23/12/96-15/02/00
PC
Primavera Garvarino
15/02/00-01/03/00
PC
Education et Culture
Samuel Lichtenztejn
01/03/95-18/08/98
PGP* Yamandú Fau 16/02/98-01/03/00
PGP/PC
Logement, aménagement du territoire et
environnement
Juan Chiruchi 01/03/95-24/09/99
PN Beatriz Martínez 24/09/99-01/03/00
PN
Plan et budget (OPP)
Ariel Davrieux 01/03/95-01/03/00
PC - - -
Travail et sécurité sociale
Ana Lía Piñeyrúa 01/03/95-07/12/99
PN Juan Ignacio
Mangado 07/12/99-01/03/00
PC
Tourisme Benito Stern 01/03/95-01/03/00
PC - - -
Note : le PGP est un fraction initiallement issue du PC, mais qui a rejoint le Frente Amplio en 1989, avant de revenir auprès du PC en 1994-1995. Samuel Lichtenztejn, toutefois, a refusé de rejoindre le PC, ce qui l’a conduit à la démission.
464
3. Gouvernement de Jorge Batlle (01/03/2000-13/11/2002)
Ministère Ministre Periode
en exercice
Parti Ministre
Reemplaçant
Periode en
exercice Parti
Intérieur Guillermo Stirling 01/03/00-16/03/04
PC … … PC
Défense Luis Brezzo 01/03/00-20/09/02
PC Yamandú Fau 20/09/02-01/03/05
PC
Relations
Extérieures Didier Opertti
01/03/00-
01/03/05 PC - - -
Economie et Finances
Alberto Bensión 01/03/00-24/07/02
PC
Alejandro Atchugarry
24/07/02-20/08/03
PC
… … PC
Transports et Œuvres
Publiques Lucio Cáceres
01/03/00-15/07/04
PC … … PC
Santé Horacio Fernández 01/03/00-16/05/01
PC
Luis Fraschini 16/05/01- 14/03/02
PC
Alfonso Varela 14/03/02-19/02/03
PC
… … …
Agriculture Gonzalo
González* 01/03/00-03/07/03
PN … … PC
Industrie, Energie et
Mines Sergio Abreu
01/03/00-13/11/02
PN … … PC
Education et culture
Antonio Mercader 01/03/00-13/11/02
PN … … PC
Logement,
aménagement du territoire et environnement
Carlos Cat 01/03/00-13/11/02
PN … … PC
Plan et budget
(OPP) Ariel Davrieux
01/03/00-
01/03/05 PC - - -
Travail et
sécurité sociale Álvaro Alonso
01/03/00-
13/11/02 PN … … PC
Tourisme Alfonso Varela 01/03/00-14/03/02
PC Pedro Bordaberry 14/03/02-01/03/05
PC
Sport et jeunesse
Jaime Trobo 01/03/00-13/11/02
PN … … …
Note : * la présence jusque 2003 du ministre Gonzalo González s’explique par la nature de son ministère, agriculture, et a donc été maintenu afin de pouvoir boucler l’année « agricole ». Il s’est par la suite retiré à l’instar des ministres du PN
465
Annexe 2 : Questionnaire commun soumis aux
personnes interrogées
1. A qué partido pertenece/ pertenecía ?
….............................................................
2. Cuándo ingresó al partido?
> Cuándo estableció los primeros lazos con miembros del partido?
3. Perteneció a alguna estructura de Juventud Partidaria (JS, JJ.CC, J.P...)? □ sí □ no
>En qué año la ingresó? ….................................
>Qué puesto llegó a ocupar?...............................
4. Cómo llegó a formar parte del partido?
Mediante el acercamiento o invitacion de miembros del partido □
Por decisión personal □
Otra forma □
5. Se salió del partido/ coalición?..................................
> de ser positiva la respuesta, lo que lo motivó a desvincularse del partido fue:
Ambiciones personales/ problemas con atribución o designación de cargos □
Problemas ideológicos más o menos profundos □
Estrategia política/ electoral □
Problemas personales con miembros de la directiva del partido □
Otros.................................................................................................................................... □
6. En una escala de 1 a 10, donde 1 equivale a “continua” y 10 “unicamente electoral”; La
estructura del pacto coalicional al que adhiere (adhirió) su partido, ¿le parece (parecía) continua o
meramente electoral?
….................................
7. Según su parecer, ¿cuáles son las variables más relevante en cuanto a la conformación y
consolidación de la coalición de partido a la que pertenece (perteneció/ pertenecía)?
466
Fidelidad a una
figura politica/
carisma de un
dirigente
Convergencia
ideológica
avanzada
Valores
compartidos
(religion,
DD.HH, ...)
Oportunidad
electoral
Configuración del sistema
político (ley electoral, etc.) Otro
Primordial □ □ □ □ □ □
Muy relevante □ □ □ □ □ □
Relevante □ □ □ □ □ □
Poco relevante □ □ □ □ □ □
Insignificante □ □ □ □ □ □
No sabe/ no se pronuncia □ □ □ □ □ □
>Dentro de éstas, ¿Cuáles fueron, según su parecer, los puntos “gatillante” de la coalición?
…..........................................................................
8. En qué área, según su parecer, su coalición supo ser más cohesionada ideológica y
organizativamente y efectiva?
Repudio compartido en contra de una tercera
fuerza (en contra herederos de régimen anterior,
contra un partido emergente)
1. 2. 3. 4. 5.
El modo de selección de candidatos/ repartos de
parcelas de poder 1. 2. 3. 4. 5.
Mérito de liderazgos 1. 2. 3. 4. 5.
Mecanismos internos de incentivo a la disciplina
interna 1. 2. 3. 4. 5.
otro(s).................................................................... 1. 2. 3. 4. 5.
9. De lo contrario en qué área peca (pecó) más la coherencia y cohesión de la coalición?
El modo de selección de candidatos/ repartos de
parcelas de poder 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Coherencia ideológica baja 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Coherencia organizativa baja 1. 2. 3. 4. 5. 6
Problemas de liderazgos 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Falta de mecanismos internos de incentivo a la
disciplina interna 1. 2. 3. 4. 5. 6.
Otro(s).................................................................... 1. 2. 3. 4. 5. 6.
10. Cuando hablamos de política nos referimos, habitualmente al eje izquierda derecha. En una
escala de 1 a 10, donde 1 es la extrema izquierda y 10 la extrema derecha, adónde se colocaría
467
usted en el abanico? a su (ex)partido? (ex) coalición?, partido dentro de la coalición menos cercano
al suyo?, el partido (o coalición) opositora?
Usted 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
Su partido (sublema) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
Su coalición 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
El partido de la coalición más alejado del suyo 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
El partido / coalición opositor(a) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.
11. ¿En qué medida se siente Ud. identificado(a) con los siguientes tipos de pensamiento?
(Marque una alternativa para cada tipo de pensamiento)
Un poco Bastante Totalmente Nada
Cristianismo □ □ □ □
Liberalismo □ □ □ □
Marxismo □ □ □ □
Nacionalismo □ □ □ □
Neoliberalismo □ □ □ □
Socialismo □ □ □ □
Socialdemocracia □ □ □ □
12. Según su parecer cuál sería el clivaje político estructurador más relevante en la competición
política de su país, y por ende que lo diferencia(ba) con la oposición, Cuando se formó la
coalición?
Autoritarismo/ democracia 1. 2. 3. 4. 5.
Estado/ mercado 1. 2. 3. 4. 5.
Centro urbano/ periferia rural 1. 2. 3. 4. 5.
Laicidad/ intervención de la Iglesia 1. 2. 3. 4. 5.
Otro......................................................... 1. 2. 3. 4. 5.
468
13. Según su parecer cuál sería el clivaje político estructurador más relevante en la competición
política vigente en su país, y por ende que diferencia a su coalición con la oposición, en la
actualidad?
Primordial Relevante Irrelevante/ no sabe
Autoritarismo/ democracia □ □ □
Estado/ mercado □ □ □
Centro urbano/ periferia rural □ □ □
Laicidad/ intervención de la Iglesia □ □ □
Otro................................................ □ □ □
14. Qué cargo llegó a ocupar dentro de la coalición?
Presidente de partido/ vocero de coalición □
Diputado/ Senador nacional □
Representante local □
Ministro/ secretario de gobierno □
Presidente de la República □
Otro............................................................................... □
15. ¿Cómo calificaría el desempeño político de la coalición a la que pertenece
(perteneció/pertenecía)?
Exitoso □
Regular □
Conflictivo □
Apático □
Otro............................................................ □
16. ¿Cómo calificaría su relación, global, con los demás partidos dentro de la coalición?
Consensual □
Competitiva □
Regular □
Conflictiva □
Nula □
469
17. ¿Cómo calificaría su relación, global, con los demás partidos de la oposición?
(pueden caber 2 respuestas)
Consensual □
Competitiva □
Regular □
Conflictiva □
Nula □
Otra................................................ □
18. ¿ Según su parecer, la experimentación de gobiernos de coalición y/o el recurso a la formación
de coaliciones electorales ha generado transformaciones en la forma de hacer la política en su país?
…......................................................
> De ser afirmativa, las transformaciones han sido:
Hacia una consensualización de las practicas y relaciones entre partidos □
Condujo a una polarización de las practicas y relaciones entre partidos □
Se observó un arraigamiento (o “cartelización”) en el poder □
No sabe □
Otras.................................................................................................................................... □
470
Annexe 3 : liste des entretiens, par pays et par
parti.
Nom
Poste le plus élevé
occupé en contexte de
gouvernement de
coalition
Rencontré le Forme de l’entrevue
Chili (n= 36)
PARTI SOCIALISTE CHILIEN (n= 12)
Jorge Arrate* Ministre - Par e-mail
Enrique Correa Ministre - Par e-mail
Germán Correa Díaz Président du parti/ Ministre - Par e-mail
Marco Enríquez
Ominami* Député (2006-2010) - Par e-mail
Clarissa Hardy Ministre 11/03/2012 En personne
José Miguel Insulza Ministre - Par e-mail
Gonzalo Martner Président de parti 28/03/2012 En personne
Carlos Montes Député/ president de la
chambre des députés 06/03/2010 En personne
Clemira Pacheco Députée (2006-…) 04/05/2010 En personne
Paula Quintana Ministre - Par e-mail
Ricardo Solari Ministre/ Président du parti 30/03/2012 En personne
José Antonio Viera
Gallo Ministre 04/05/2011 En personne
PARTI POUR LA DEMOCRATIE (n= 12)
Enrique Accorsi Député (2002-2014) 14/05/2010 Par e-mail
Pepe Auth Député/ Président de parti 04/05/2010 En personne
Sergio Bitar Ministre/ Sénateur 09/06/2010 En personne
Ramon Farias Député (2006-2014) 17/05/2010 En personne
Rodrigo González Député (2002-2014) 17/05/2010 En personne
Patricio Hales Député (1998-2014) 17/05/2010 En personne
Felipe Harboe Député (2006-2010) 17/05/2010 En personne
Jorge Insunza Député (2006-2010) 30/10/2010 En personne
471
Ricardo Lagos Président de la République
(2000-2006) 14/07/2009 En personne
María Antonieta Saá Députée 1994-2014 06/11/2010 et 13/11/2010 En personne
Esteban Valenzuela* Député (2002-2006) 18/11/2009 Par e-mail
Ximena Vidal Députée (2002-2014) 04/05/2010 En personne
PARTI DÉMOCRATE CHRÉTIEN (n= 12)
Mariana Aylwin Députée/ Ministre - Par e-mail
Jorge Burgos Député/ président de parti 26/01/2010 En personne
Eduardo
Dockendorff Ministre - Par e-mail
Mario Fernández Ministre - Par e-mail
Eduardo Frei Président de la République - Par e-mail
Gutemberg Martinez Président de parti - Par e-mail
Andrés Palma Ministre - Par e-mail
Jaime Ravinet* Ministre - Par e-mail
Mariano Ruiz
Esquide Sénateur 11/03/2012 En personne
Husain Sabag Sénateur - Par e-mail
Alejandra
Sepúlveda* Députée (2002-2014) 04/05/2010 En personne
Adolfo Zaldivar* Sénateur/ président du parti 26/01/2010 En personne
Argentine (n=13)
UNION CIVIQUE RADICALE (n=7)
Mario Brodesohn Conseiller du président 04/06/2011 En personne
Nicolás Gallo Ministre des transports 04/06/2011 En personne
José Luis Machinea Ministre de l’économie - Par e-mail
Jesus Rodriguez député 09/07/2009 En personne
Marcelo Stubrin Sénateur 17/07/2010 En personne
Rodolfo Terragno Ministre/ 17/06/ 2009 En personne
Héctor Lombardo Ministre - Par e-mail
FREPASO (n=6)
472
Edgardo Mocca Conseiller du vice-
président 24/07/2010 En personne
Rodolfo Rodil Député 26/07/2010 En personne
Dante Caputo Ministre 27/10/2011 En personne
Graciela Fernández
Meijide Ministre 14/06/2011 En personne
Juan Pablo Cafiero Ministre - Par e-mail
Mario Albornoz Ministre - Par e-mail
Uruguay (n = 14)
PARTIDO COLORADO (n=8)
Carlos Ramela Sénateur/ Conseiller du
président Batlle 22/11/2009 En personne
Jorge Batlle Président de la République 01/07/2011 En personne
Julio María
Sanguinetti Président de la République - Par e-mail
Rubén Díaz Député 06/08/2010 En personne
Juan Adolfo Singer Député 19/11/2009 En personne
Alfredo Solari Ministre - Par e-mail
Lucio Cáceres Ministre 01/07/2011 En personne
Isaac Alfie Ministre 04/07/2011 En personne
PARTIDO NACIONAL (n=6)
Alberto Volonté Sénateur/ Président du parti 24/11/2009 En personne
Raúl Iturria Ministre 27/06/2011 En personne
Luis Alberto Lacalle Président - Par e-mail
Alvaro Alonso Ministre 28/06/2011 En personne
Alvaro Ramos Ministre 04/07/2011 En personne
Antonio Mercader Ministre 30/06/2011 En Personne
Total des personnes entrevues : 63 Total entretiens présenciels: 42 (66%)
473
Table des matières
INTRODUCTION……………………………………………………………………………………………8
Objet de recherche : la spécification du « facteur présidentiel » sur la formation des coalitions gouvernementales en
régimes présidentiels ............................................................................................................................................................ 10
Autour du concept de « coalition gouvernementale »........................................................................................................... 13
Déconstruction du concept de « coalitions gouvernementales » .......................................................................................... 13
L’adaptation aux régimes présidentiels ................................................................................................................................ 17
Intérêt de la recherche .......................................................................................................................................................... 18
Cadre théorique de la thèse................................................................................................................................................... 21
Hypothèses de recherche ...................................................................................................................................................... 25
Justification du « terrain » d’étude et de l’analyse comparée ............................................................................................... 29
Méthodologie de recherche et organisation de la thèse ........................................................................................................ 33
PREMIERE PARTIE : « COALITION THEORIES », (DE)CONSTRUCTION THEORIQUE ET
CONCEPTUELLE .......................................................................................................................................................... 38
CHAPITRE 1 : RECONSIDERATION DES COALITION THEORIES ET DE LEUR ADAPTATION EN REGIME PRESIDENTIEL. ....... 41
1.1 Les « chemins théoriques » des coalition theories ............................................................................................ 42
1.1.1 L’approche par la théorie des jeux ............................................................................................................................... 44
1.1.2 Atterrissage de la théorie ............................................................................................................................................. 50
1.1.3 De nouvelles pistes de recherche ................................................................................................................................. 55
a. La seconde génération ou la complexification des modélisations ........................................................................ 56
b. Limites de cette approche ..................................................................................................................................... 58
c. Les approches multidimensionnelles .................................................................................................................... 63
1.1.4. Bilan des chemins théoriques ..................................................................................................................................... 70
1.2 Coalition Theories et système présidentiel : une conjonction critique ? .......................................................... 72
1.2.1 Linz et le « péril présidentialiste » ............................................................................................................................... 75
1.2.2 Evolution de la position pro-parlementariste autour de la « difficile combinaison » présidentialisme + multipartisme
............................................................................................................................................................................................. 81
1.2.3 Coalitions gouvernementales et régime présidentiel : un phénomène déviant ? .......................................................... 87
1.3 Conclusion ........................................................................................................................................................ 94
CHAPITRE 2: LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE PAR LES INSTITUTIONS ......................................... 99
2.1 De l’impact du système politique sur les systèmes de partis et leur « potentiel coalitionnaire » en régime
présidentiel. .......................................................................................................................................................... 101
2.1.1 Le système partisan et sa relation à son « environnement » institutionnel................................................................. 103
a. Considérations théoriques : partis « axiaux », « institutionnalisation » du système de partis et champ de la
compétition partisane. ................................................................................................................................................... 103
b. La loi électorale comme déterminante du nombre de partis ? ............................................................................ 110
c. Impact du cadre institutionnel sur le nombre de partis : étude du cas Uruguayen et de la réforme de 1997 ..... 114
474
d. Conclusions préliminaires sur les facteurs institutionnels ................................................................................. 118
2.1.2 Lois électorales, système politique et « facteur coalitionnaire » ......................................................................... 119
a. L’influence des contraintes institutionnelles sur la formation de coalitions de gouvernement en régime
présidentiel .................................................................................................................................................................... 119
b. L’importance des contraintes institutionnelles sur le maintien des coalitions.................................................... 127
2.2 Historicité politique et culture gouvernementale des démocraties du Cône Sud ............................................ 134
2.2.1. Trajectoire historique des partis et systèmes de partis Argentin, Chilien et Uruguayen. .......................................... 135
a. La structuration de la polyarchie uruguayenne .................................................................................................. 136
b. La formation de la compétition politique chilienne ............................................................................................ 139
c. La lente structuration des partis en argentins .................................................................................................... 141
2.2.2 Partis hégémoniques, partis excluants et partis de la nation ...................................................................................... 144
2.2.3. Transition démocratique et impact sur les systèmes de partis .................................................................................. 151
2.2.4. La « renaissance » des partis et l’évolution des systèmes de partis ......................................................................... 153
2.2.5 Eléments institutionnels informels sur les systèmes de partis du Cône Sud. ............................................................. 157
2.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 159
SECONDE PARTIE : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET L’APPROCHE MULTIVARIEE .......... 161
CHAPITRE 3 : LE PRESIDENTIALISME DE COALITION ET LA THEORIE DES CLIVAGES. ................................................... 165
3.1 Ordre et désordre partisan: une analyse structurelle ................................................................................. 167
3.1.1 Approche théorique de l’analyse structurelle du changement............................................................................. 168
3.1.2 La matérialisation et l’évolution des lignes de clivages entre les partis .............................................................. 174
3.1.3 La formation des clivages dans le Cône Sud ...................................................................................................... 180
a. Origines de la structuration partisane dans le Cône Sud ................................................................................... 182
Structuration du système de partis uruguayen ......................................................................................................... 183
Structuration du système de partis chilien ............................................................................................................... 186
La structuration du système de partis argentin ........................................................................................................ 190
b. La transition à la démocratie et le réalignement des lignes de clivage .............................................................. 197
c. Conclusion : les structurants de compétition politique dans le cône sud. .......................................................... 204
3.2 Théorie des clivages, théorie des coalitions et systèmes présidentiels : une combinaison inductive .......... 205
3.2.1 Polarisation des systèmes de partis et formation de coalitions gouvernementales .............................................. 206
a. Structure de représentation, agencement des clivages et formation de coalitions dans le Cône Sud: le facteur
présidentiel .................................................................................................................................................................... 207
b. Coalitions « positives» vs/ coalitions « négatives» ............................................................................................. 214
3.2.2 Alignements et ordonnancements des systèmes de partis du Cône Sud : processus de création et de
réalimentation de nouvelles lignes de clivages. .................................................................................................................. 216
a. La structuration de la compétition politique chilienne et l’héritage du gouvernement autoritaire ............... 216
b. Le cas uruguayen: entre convergence idéologique et coalition négative ............................................................. 223
c. L’évolution des « blocs » partisans en Argentine et l’impact de la disparition de Perón .................................... 226
3.3 Conclusion................................................................................................................................................... 231
CHAPITRE 4 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET « CYCLE PRESIDENTIEL ». ......................................................... 234
4.1 Temporalité gouvernementale et « cycle de vie coalitionnaire ». ............................................................... 236
4.1.1 L’analyse classique de la temporalité des coalitions gouvernementales : la logique parlementaire ................... 238
4.1.2 Une nouvelle approche temporelle « ex ante » ................................................................................................... 243
4.1.3 Le facteur présidentiel comme intervenant dans la création et conclusion des cycles coalitionnaires ................ 249
475
4.2 L’impact du « cycle présidentiel » sur la constitution des coalitions dans le Cône Sud ............................. 258
4.2.1 Accords coalitionnaires, formation gouvernementale et cycle coalitionnaire dans le cône sud .......................... 258
4.2.2 Précocité et durabilité des pactes coalitionnaires dans le Cône Sud ................................................................... 262
4.3 Conclusions ................................................................................................................................................. 270
TROISIEME PARTIE : LES COALITIONS GOUVERNEMENTALES COMME SOUS-SYSTEME
PARTISAN ? ................................................................................................................................................................ 273
CHAPITRE 5 : STRUCTURATION PARTISANE ET CONNEXITE INTERNE AUX COALITIONS. ............................................. 276
5.1 Connexité, cohésion partisane et la conception « d’acteurs unitaires » des partis. ....................................... 278
5.1.1 Rapports et structuration du pouvoir politique .......................................................................................................... 279
5.1.2. Cohérence, institutionnalisation partisane et le mythe de la conception unitaire des partis ? ................................... 282
5.1.3. Cohérence, cohésion et discipline partisane : un modèle commun d’application à la théorie des coalitions ? ......... 285
5.2 Cohérence partisane et « cohésion coalitionnaire » dans le Cône Sud. ......................................................... 289
5.2.1 La cohérence interne des partis dans le Cône Sud ..................................................................................................... 291
a. Mode de structuration des partis traditionnels uruguayens ............................................................................... 292
b. Structuration des partis de l’Alianza argentine au retour de la démocratie ....................................................... 294
c. Cohérence et cohésion au sein de la Concertación chilienne ............................................................................. 296
5.2.2 Les formes de connexité des coalitions gouvernementales du Cône Sud .................................................................. 300
a. Les quatre gouvernements de la Concertación au Chili : tout pour la stabilité ................................................. 300
Le gouvernement Aylwin (1990-1994) ..................................................................................................................... 305
Le gouvernement Frei (1994-2000) ......................................................................................................................... 307
Le gouvernement Lagos (2000-2006) ...................................................................................................................... 309
La présidence Bachelet (2006-2010) ....................................................................................................................... 311
b. L’Uruguay ou l’équation impossible entre compétition et consensus et gestion des fractions internes des partis
traditionnels .................................................................................................................................................................. 313
La première expérience, sous le gouvernement Lacalle (1990-1992) ...................................................................... 314
Le gouvernement de coalition « intégrale » de Sanguinetti (1995-2000) ................................................................ 318
Le gouvernement Batlle (2000-2005), et le « syndrome Volonté » .......................................................................... 320
c. Argentine : l’Alianza, un mariage blanc ?.......................................................................................................... 325
5.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 331
CHAPITRE 6 : COALITIONS GOUVERNEMENTALES EN SYSTEME PRESIDENTIEL : CONGRUENCE PARTISANE ET REDDITION
DE COMPTES. .............................................................................................................................................................. 333
6.1 La notion de « verticalité » dans la formation des cabinets coalisés en système présidentiel : le cas du cône
Sud ........................................................................................................................................................................ 336
6.1.1. Mode de sélection des candidats et « degré d’intégration » des alliances partisanes. ......................................... 337
6.1.2. Sélection des candidats et verticalité des coalitions gouvernementales dans les systèmes présidentiels du Cône
Sud. …………………………………………………………………………………………………………………..341
a. Uruguay : l’union libre....................................................................................................................................... 341
b. Argentine: fusion sous curatelle de l’UCR ......................................................................................................... 343
c. Chili: la Concertación, une alliance 4x4 ............................................................................................................ 351
La sélection du candidat Aylwin et les accords électoraux ...................................................................................... 352
La sélection de Frei et les élections attenantes ........................................................................................................ 356
La sélection de Lagos et le maintien de l’alliance ................................................................................................... 359
La primaire « avortée » de 2005 et l’élection de Michelle Bachelet. ....................................................................... 361
476
6.2 Formation des cabinets coalisés et reddition de compte en régime présidentiel ........................................ 364
6.2.1 Attribution des portefeuilles ministériels et gouvernements de coalition en système présidentiel : le président
comme « formateur » ......................................................................................................................................................... 365
6.2.2 Coalitions gouvernementales et congruence partisane dans le Cône Sud. .......................................................... 371
a. Éléments préliminaires d’analyse ....................................................................................................................... 371
b. Répartition des portefeuilles ministériels: inauguration des gouvernements et remaniements ministériels ....... 373
6.2.3 Reddition des comptes des coalitions gouvernementales en régime présidentiel: les cas du Cône Sud ............. 381
a. Reddition « horizontale » des comptes et jévaluation par les pairs .................................................................... 382
b. Reddition verticale des comptes, les mouvements sociaux et partis politiques dans le Cône Sud des années 2000
…………………………………………………………………………………………………………………..386
6.3 Conclusions ..................................................................................................................................................... 391
Principaux résultats dela recherche .................................................................................................................................... 396
Retour au terrain ................................................................................................................................................................. 399
Pistes à creuser ................................................................................................................................................................... 402
BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................................................................... 404
LISTE DES SIGLES UTILISÉS ................................................................................................................................. 453
ANNEXES ..................................................................................................................................................................... 454
ANNEXE 1 : COMPOSITION DES GOUVERNEMENTS DE COALITION DANS LE CONE SUD. .............................................. 455
ANNEXE 2 : QUESTIONNAIRE COMMUN SOUMIS AUX PERSONNES INTERROGEES ........................................................ 466
ANNEXE 3 : LISTE DES ENTRETIENS, PAR PAYS ET PAR PARTI. ..................................................................................... 471
COALITIONS GOUVERNEMENTALES ET SYSTEME PRÉSIDENTIEL :
Les cas de l’Argentine, du Chili et de l’Uruguay (1989- 2010).
Résumé
Bien que la littérature française n’ait presque pas abordé le sujet, les théories des coalitions ont constitué, dans la
littérature dite “mainstream”, un des principaux champs d’étude en science politique, ces deux dernières décennies.
Appliquées à l’analyse de gouvernements, ces études ont permis de développer un ensemble de connaissances
théoriques et des outils d’analyses quant à l’analyse des processus liés à la formation, le maintien et la conclusion de
ce type de gouvernements.
Toutefois, le fait que la plupart des politistes ayant contribués à l’expansion de ces théories proviennent d’Europe
Occidentale, ces études se sont alors -pour leur majeure partie- concentrées à l’analyse des coalitions
gouvernementales suivant les particularismes de leur région d’origine : les systèmes parlementaires d’Europe
Occidentale. L’étude du phénomène en régime présidentiel, longtemps considéré comme accidentel du fait de la
supposée « combinaison indésirable » entre présidentialisme et multipartisme, est de ce fait demeurée limitée. Ceci
conduit à ce que, jusqu’à présent, la littérature en science politique ne dispose que d’un faible niveau de connaissance
quant à la manifestation des coalitions gouvernementales sous la configuration présidentielle.
Cette thèse se propose donc de combler cette lacune ontologique, en centrant l’analyse sur les particularités
structurelles des systèmes présidentiels, tout en faisant le lien avec les théories les plus récentes issues de la littérature
portant sur les systèmes parlementaires. En se basant sur les trois pays du Cône Sud, et l’analyse de huit
gouvernements de coalition récents qui ont connus différentes fortunes, cette thèse viendra insister sur l’impact de la
configuration présidentielle quant à la formation et la gestion des gouvernements de coalition. Cette
« présidentialisation » de la théorie des coalitions, va ainsi mettre en avant deux éléments généraux propres à la
matérialisation du phénomène coalitionnaire en régime présidentiel : la récurrence de la formation de coalitions
électorales, et la tendance à la bipolarité de la compétition politique.
Mots clés : Système de partis, Coalitions gouvernementales, Système présidentiel, clivages, temporalité
politique
COALITION GOVERNMENTS AND PRESIDENTIAL SYSTEM:
The cases of Argentina, Chile and Uruguay (1989 – 2010) Abstract
Coalition theories applied to governments developed during the last decades a huge literature so as to provide
theoretical knowledge and tools for the analysis of formation, maintain and breakdown of this kind of governments.
Nevertheless, these studies were focused especially on parliamentary systems and left away the study of this
phenomenon on presidential regimes. On another hand, coalition governments used to be considered, otherwise, in
these systems as an undesirable combination, or analysed as a functional trend rather than the proper object of
investigation. This approach conducts, then to a very low level of knowledge in presidential configuration.
This thesis proposes thus to fill this analytical gap, aiming to apply and compare recent findings and approaches
from parliamentary origins to presidential systems. Through the study of the three countries forming the American
Southern Cone, and twelve recent governments of coalition with different successes we will stress out the differentiated
role and mechanisms of timing and cleavages. We will therefore “presidentialise” the theory, and show that the
presidential framework presents common peculiarities like a recurrent pre-electoral coalition formation, and a trend to
the bipolarity of party competition.
Keywords: Party Systems, Governmental coalitions, Presidentialism, cleavages, political timing