Notre librairie (Paris)

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Notre librairie (Paris). 1991/10-1991/12.

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N° 107 OCTOBRE-DÉCEMBRE 1991

ÀOPLITTÉRATURENIGÉRIENNE

notre librairieREVUE DU LIVRE: AFRIQUE, CARAÏBES, OCÉAl\' I\D1E\

ÀIPLITTERATURE,NIGÉRIENNE

Sommaire

I. APPROCHE DU NIGER

Histoire du Niger André SALIFOU 6

Diversité culturelle et linguistique Kélétigui A. MARIKO 11

Le Niger dans la littérature française Daniel MIGNOT etJean-Dominique PENEL 24

II. LES SOURCES DE LA PAROLE

Aux sources de la littérature orale Fatimata MOUNKAÏLA 34

L'éducation à travers le conte Manama HIMA 38

Les chants de chasseurs haoussa Kélétigui A. MARIKO 41

Le théâtre en langues africaines Chaïbou DAN INNA 44Tombokoye Tessa Fatimata MOUNKAÏLA 47

Portrait d'un artiste: Tinguizi Fanta MAÏGA 49

Deux versions d'un même récitFantaMAÏGA 51

Le CELHTO Diouldé LAYA 52

III. ENTRE LA PAROLE ET L'ÉCRITURE

L'épopée O. Mahamane TANDINA 58

Le théâtre Chaïbou DAN INNA 63

Un théâtre mixte : Yazi Dogo Jean-Dominique PENEL etMarie-Clotilde JACQUEY 69

Hima Adamou Jean-Dominique PENEL 74Typologie du bestiaire dans les contes Annie CONSTANTY 76Boubou Hama Diouldé LAYA 80

Hawad : l'écriture nomade Gérard MARTIN 82

Marcheur, poète et calligraphe HAWAD 86Cinéma et littérature Saley Hamidou KO 92

L'oralité dans la littérature écrite Moussa MAHAMADOU etK. Seyni MAÏGA 96

IV. ROMAN, POÉSIE, LITTÉRATURE ENFANTINE

Littérature et politique Jean-Dominique PENEL 104

Le roman nigérien Michel CONSTANTY 110

Les niveaux de langue dans le roman Kangaï Seyni MAIGAnigérien et Moussa MAHAMADOU 115

La littérature enfantine Martine DOCEKAL 120

Le petit peuple dans l'oeuvre Amadou MAILELEd'Idé Oumarou 126

Journaliste et romancier, A. Ousmane Jean-Dominique PENEL 128

Idé AdamouJean-Dominique PENEL 131

V. AUTOUR DU LIVRE

Journaux et bibliothèque villageoises Th. de LOUSTAL et 136A. BONNASSIEUX

Au service du public: les archives Elh.M.SADE 141

A la recherche d'une littératurepositive Bania Mahamadou SAY 145

Les problèmes de l'édition Albert ISSA 147

Le CCFN et sa bibliothèque M. BOCCARA et A. CIROU 150

Le Club des amis du livre Harouna COULIBALY 152

Lemoisdulivre MaiMOUSTAPHA 153

Le Festival national de la jeunesse Maï MOUSTAPHA 154

VI. NOTES DE LECTURE 156

VII. BIBLIOGRAPHIE 186

Approche du Niger

Histoire du Niger

André SALIFOU

Il va sans dire que retracer l'histoired'un pays des origines à nos jours enquelquespages est tout simplementunegageure.

Ce qui est présenté ici est donc forcé-ment schématique et vise beaucoupplus à tracer un cadre par l'indicationde quelques repères, qu'à satisfaire lesattentes des spécialistes.

La préhistoire

La préhistoire du Niger a d'abord étémarquée par les principales civilisations pa-léolithiques du Sahara, en particulier l'A-cheuléen et l'Atérien.

A Silémi (Bilma), l'un des plus anciensgisements du pays livre un outillage archaï-que composé de galets aménagés et de bi-faces, d'ailleurs grossiers. Dans l'état actuelde nos connaissances, il semble que la findu néolithique au Niger ait été marquée parle gisement atérien de Seggedine et de Ché-midour dans le Kawar où prédomine lapointe pédonculée. Il s'agissait donc, dansl'ensemble, d'outils plutôt rudimentaires ca-ractéristiques d'une civilisation où l'hommene produisait encore rien par lui-même, se

contentant de tirer de son milieu tout ce quiétait nécessaire à sa survie.

Le néolithique, quant à lui, a donné nais-sance à deux groupes de civilisations: lenéolithique saharien et le néolithique sahé-lien, situés de part et d'autre de la falaisede Tiguidit, au sud d'Agadez. C'est au coursde cette période de son évolution quel'homme affine la taille de la pierre: désor-mais celle-ci devient polie et se présentesous diverses formes: « pièces de grandesdimensions à retouches bifaciales compo-sées de haches, d'herminettes, de disques,de couteaux ».

Plusieurs autres événements ont marquél'évolution de l'homme au néolithique: dé-placements de populations vers le sud et ap-parition de l'art rupestre, des monumentsfunéraires, de la céramique et de la métal-lurgie.

Le mouvement des populations saha-riennes, en direction du sud, a contribué aupeuplement de l'actuel territoire nigériendont les habitants avaient fini, avec letemps, par organiser leur existence dans desstructures étatiques plus ou moins élaboréesselon les temps et les lieux, au cours d'unehistoire ponctuée, comme celle de tous lespeuples de la terre, par une multitude de pé-ripéties, ainsi que nous allons le voir.

L'espace nigérien jusqu'à la fin duXVI siècle

La position géographique du Niger, payscharnière entre le monde arabe au nord etles cités-états hausa au sud d'une part, lesétats du Soudan occidental et ceux du bassintchadien d'autre part, en fait un territoireplacé au cœur d'une multitude d'influencessociales, culturelles, en un mot historiques,dont les moins importantes ne sont ni cellesdes cités-états hausa au sud, ni celles del'empire du Kanem-Bornou à l'est ou del'Aïr au nord.

L'Empire songhay

A l'ouest, le premier État dont l'existenceest attestée par l'histoire est l'empire son-ghay qui s'est développé entre le VIIe et leXIe siècle, d'abord le long du fleuve Niger,en aval de Gao.

Deux grands noms ont marqué l'histoirede ce pays, Sonni Ali Ber (1464-1492) etAskia Mohammed Touré (1493-1528).

Plus qu'un guerrier, Sonni Ali Ber futsans conteste un authentique conquérant, levrai fondateur de l'empire songhay qui s'é-tendra entre le Dendi et le Macina. Sa forcemilitaire résidait essentiellementdans la ca-valerie. Ses sujets le désignaient par le titrede Dâli, « le Très Haut ». Sa fidélité auxcroyances animistes n'a guère favorisé l'é-tablissement de bons rapports entre lui et lesmilieux musulmans de son Empire.

Mohammed Touré (1493-1528), quant àlui, était un général de l'armée songhay. Ilaccéda au pouvoir à la suite d'un coup d'étatperpétré contre Sonni Bakari Dia, fils et suc-cesseur de Sonni Ali Ber. Il fonda la dynas-tie des Askia en janvier 1493. Son règne futune période de prospérité et de gloire pourl'Islam et ses ulémas dont l'empereur fit desconseillers.

Askia lutte contre la dissolution desmœurs et comble les marabouts de présents.En 1496, il accomplit un pélerinage à LaMecque d'où il revient avec le titre de Ca-life du Soudan, ce qui rehausse davantageencore son prestige.

Askia Mohammed laisse à ses succes-seurs un état vaste et fortement centralisé,doté d'une véritable organisation politiqueet administrative.

Les cités-étatshausa

A l'est de l'empire songhay, l'aire peu-plée par l'ensemble hausa s'inscrit dans uncadre allant du fleuve Niger aux limites del'ancien empire du Borno, et du massif del'Aïra à la forêt guinéenne. Sur cet espacegéographique vivent de nombreux peuplesdont le plus important semble avoir été, as-sez tôt, celui des Hausa. Et, comme poursouligner l'importance de la langue pour cespopulations, leur pays lui-même n'a pas denom particulier: on l'appelle simplementKasar Hausa, « la terre, le pays de la lan-gue hausa ». « Parlant la même langue,obéissant aux mêmescoutumes,se soumet-tant aux mêmes institutions politiques, lesHausa constituent l'un des plus importantsensembles ethniques d'Afrique. Nombreuxsont les peuples voisins qui, attirés par leurculture, ont abandonné leurs langues etleurs coutumes d'origine pour s'y inté-grer. »

Parmi les cités-états Hausa, citons princi-palement Dawra, Kano, « la reine des citéshausa », Katsina et Zaria (1). Toutes, à despériodes diverses de l'histoire, grâce à leurprospérité, ou au prestige de leurs dirigeants,ont attiré de nombreux lettrés du mondearabe (magrébins, cairotes, mecquois notam-ment).

A la fin du XVIe siècle, les rapports entrela prospérité économique, due notammentaux bénéfices tirés du commerce à longuedistance (inter-régional et transsaharien) etl'épanouissement culturel du pays hausa,sont plus que jamais évidents.

Heureux résultats d'un véritable brassagede populations, les Hausa se sont proba-blement répandus au cœur du Soudan cen-

(1) En fait. la légende parle de 7 Hausa légitimes(DaIVra. Kano, Katsina. Gobir, Rano, Hiram et Zaria)face auxquels elle campe, dans un souci desymétrie, 7Hausa illégitimes (Kahhi. Zamfara. Youri. Gwari. Nupé.Yoruba et Jukun).

tral entre le Xe et le XVe siècle. Paysansavant tout, ils vivent dans des communautésrurales dispersées dans la savane et obéis-sant, au départ tout au moins, à de bien mo-destes chefferies. Puis, progressivement, cesdernières se dotent d'un appareil politico-administratif élaboré et d'une armée demieux en mieux équipée, agrandissent lesterritoires sur lesquels s'exerce leur autoritéet finissent par devenir des cités-états.

La société hausa elle-même se diversifieconsidérablement aux XVe et XVIe siècles.En effet, en plus de la classe dirigeante etdes hommes du commun (talakkawa) qui lacomposaient jusque-là,elle comprend désor-mais d'autres catégories de personnes: lesmarchands, les esclaves, mais aussi les let-trés (malumeye). Une activité intellectuellese développe: à la culture traditionnelleanne (païenne) vient s'ajouter la culture mu-sulmane. Les deux coexistent pacifique-ment, dans l'ensemble du moins, tout enopérant, entre elles, quelques échanges debons procédés. Elles finissent par donner laculture hausa telle qu'elle se présente à nousaujourd'hui et dont « l'originalité (.) estdifficile à cerner tant elle est imprégnéed'emprunts à diverses civilisations avec les-quelles elle est en contact étroit depuis dessiècles ».

Ainsi, les immigrants arrivés par vaguessuccessives dans différentes régions du ter-ritoire hausa ont fini par ne former qu'unseul groupe. Mais, beaucoup plus qu'un

peuple, c'est d'une civilisation hausa qu'ilconviendraitde parler, civilisation « faite desynthèse à tous les niveaux », à l'image deses créateurs eux-mêmes, et qui est déjà uneréalité à la fin du XVIe siècle.

A l'extrême est du pays hausa, sur lesrives du lac Tchad, se développe le Kanem-Borno qui ne connut une paix et une pros-périté véritables que sous le règne d'IdrisAlimi Amsami (1464-1596), plus connusous le nom d'Idris Alawoma, du nom dela localité située au sud de Maïduguri (dansl'actuel Nigéria) où il aurait été enterré.

En accédant au pouvoir, Idris trouve unpays plongé dans une situation peu relui-sante: fragilité de l'autorité de l'Etat et del'unité nationale, faiblesse des troupes bor-noanes face à deux ennemis permanents ettoujours menaçants, à savoir les Sao à l'in-térieur, qui refusent toute assimilation parles Kenembu, et les Bulala à l'extérieur.Idris Alawoma se donne donc pour missionde modifier cet état de choses et, pour cela,il envisage trois types d'actions:

• réduction des Bulala ;

• domination et assimilation progressivedes Sao en vue de la formation d'un grandBorno ;

- développement d'une économie pros-père et d'une brillante culture islamique.

Intelligent, fort diplomate et pragmatique,Idris réussit effectivement à se doter des

moyens indispensables à l'accomplissementde sa mission.

Il n'est donc point surprenant qu'à samort il ait laissé à son successeur un Étatpuissant, riche et respecté.

Le royaume de l'Aïr

Au nord, aux portes du Sahara, habité aunéolithique ancien par des chasseurs et despêcheurs et plus tard (entre 2500 et 1000avant J.-C.) par des pasteurs, comme en té-moignent les peintures rupestres, l'Aïr destemps historiques est d'abord peuplé par desNoirs, ancêtres probables d'une partie aumoins des Gobirawa, Adarawa et Tazarawaactuels, tous hausaphones. Puis des Kel Ta-majaq (ceux de la langue tamajaq) encoreappelés Kel Tagelmust (ceux qui portent lelitham, le voile), d'origine berbère, arrivésdans le pays par vagues successives, s'y éta-blissent entre le VIIIe et le XIVe siècle.

Le royaume de l'Aïr fut créé, d'après lalégende, par un certain Younous, prince d'o-rigine turque, en 1405. Le premier siècle de

son histoire fut une période de grande ins-tabilité. En revanche, le XVIe siècle fut sy-nonyme de calme et de prospérité, ce quipermit à l'Islam d'accomplir des progrèsconsidérables dans le pays.

L'Adar et l'Azawak

Au sud-sud-ouest de l'Aïr, l'Adar est peu-plé d'Azna (animistes) de langue hausa, ini-tialement établis dans l'Aïr aux côtés desGobirawa et des Tazarawa et qui, commeces derniers, doivent abandonner ce payspour descendre vers le sud et le sud-ouest,devant la poussée des Touareg. Mais« contrairement aux Gobirawa qui se sontdéplacés en bloc de l'Aïr vers le Gobir ac-tuel (région de Madaoua, Tsibiri, etc. au Ni-

ger, Sabon Bimi au Nigéria), les Azna sontarrivés par petits groupes, à des momentsdifférents et suivant des itinéraires variés.Les principaux groupes issus de l'Aïr avantle XVIIe siècle sont ceux des Anuankarawaet Gazurawa dans l'Adar nord, Mambawa,Jibalawa et Kayasawa dans l'Adar de l'est,

Darayawa au centre, Gunamawa au sud, etFolakawa au sud-ouest. » (2)

L'Azawak, quant à lui, est plutôt un lieude passage des populations Azna qui, venantde l'Aïr, se dirigent vers l'Ader et le Kurfay.

Au XVIe siècle son peuplement ne s'estpas encore stabilisé.

L'espace nigérien jusqu'au XIXesiècle

Au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, lesdifférents États de l'espace nigérien ontconnu des fortunes diverses: émiettementde l'empire songhay, constitution d'un ÉtatZarma, affirmation des États Hausa parl'Aïr, éclipse du Borno pourtant porté à sonapogée par Idris Alawoma au XVIe siècle,et mainmise des Touareg Immouzourag surle Damargou.

Parce que plus proche de nous sansdoute, le XIXe siècle est la période lamoins mal connue de notre histoire préco-loniale. Chacune de ses moitiés offre laparticularité d'avoir été fortement mar-quée par un certain nombre d'événementsdont quelques-uns avaient même large-ment débordé le cadre strict de l'actuelleRépublique du Niger. C'est au cours de lapériode allant de 1800 à 1850, que se pro-duit l'événement du siècle dans cette sous-région, à savoir le jihad d'Ousman DanFodio et la fondation de l'empire peul deSokoto. Ousman Dan Fodio (Ousman, filsde Fodio, en hausa) est né le 15 décembre1754 à Maratta, près de Galmi, dans l'ac-tuel arrondissement de Konni, en Républi-que du Niger. On ne sait pas grand-chosesur Mohammed Fodio, son père, si cen'est que c'est un fin lettré musulman etqu'il appartient à une famille peule origi-naire de Fouta-Toro (Sénégal).

Trouvant trop tiède l'islam pratiqué parles souverains hausa, Ousman Dan Fodiomena contre ces derniers un véritablejihadau terme duquel il soumit successivementBirnin-Kabbi, Zaria, une partie du Kassino,Kano, Gobir etc.

(2)HAMAN1DJIBO. L'Adarprécolonial (Républiquedu Niger). Contribution à l'étude de l'histoire des Etatshausa, 1975, p. 28 (collection des Études Nigériennes).

Dans cette vaste région du Soudan cen-tral et tchadien, une demi-douzaine d'Étatssont néanmoins restés invaincus par lestroupes de Dan Fodio, soit pour n'avoirjamais été directement atteints par lesguerres peules, à cause de leur éloigne-ment ou de la difficulté qu'il y avait à yaccéder; c'est le cas de l'Aïr, du Kawar-Jado et du Damargou ; soit parce qu'ilssont parvenus à opposer une résistance fa-rouche aux conquérants peuls (cas du Bor-no et du Damagaram).

De la colonisationà l'indépendance

Dans la seconde moitié du XIXe siècle,l'histoire du peuple nigérien fut marquée,entre autres, par la pénétration, dans l'es-pace nigérien, de plusieurs missions euro-péennes d'exploration, dont la plusintéressante a sans doute été celle de l'Al-lemand Heinrich Barth qui, entre 1851 et1855, visita, dans ce qui allait devenir le Ni-ger, les localités de Tessaoua, Gazaoua,Gouré, Mirria, Zinder, Say, N'Guigmi etl'oasis du Kawar.

A la fin du siècle, la Mission AfriqueCentrale partie à la découverte des terri-toires compris entre le fleuve Niger et le lacTchad, se rendit tristement célèbre en jon-chant son parcours de cadavres d'indigènes,impitoyablement assassinés par ses chefsVoulet et Chanoine ou sur leurs instructions.Les soldats noirs de cette mission furent àtel point excédés par le comportement cruelde leurs chefs, qu'ils finirent par les assas-siner à leur tour! C'était les 16 et 17 juillet1899, à Maijirgui, près de Tassaoua.

Néanmoins, les Français atteignirent lesrives du lac Tchad en avril 1900 puis déci-dèrent d'étendre leur influence sur le terri-toire nigérien. Mais pour y parvenir, ilsdurent se battre contre plusieurs mouve-ments pré-nationalistes, Fihroun, Aménokaldes Kel Attaram, Kaoussan et Tagama, etc.Malheureusement pour la résistance nigé-rienne, l'occupant français a fini par s'im-poser grâce notamment à la puissance de feudont il disposait. Après avoir militairementconquis le pays, la France installa progres-sivement au Niger une administration detype européen dont les principaux collabo-

rateurs furent les chefs traditionnels, hiermaîtres absolus du territoire, aujourd'hui ré-duits au rang de simples auxiliaires. Bref, lanouvelle autorité mit en place les conditionsde l'exploitation économique de sa nouvellecolonie: une situation qui allait durer 60ans pendant lesquels la France imposa, entreautres, à ses sujets, son enseignement et salangue.

Le 3 août 1960, Diori Hamani, présidentde la République, proclame l'indépendancedu territoire qu'il dirige sans partage jusqu'àl'aube du 15 avril 1974. A cette date, le lieu-tenant-colonel Seyni Kountché, chef d'état-major des Forces Armées Nigériennesrenverse le régime politique en place au Ni-ger, en fait depuis décembre 1958 et le rem-place par un Conseil Militaire Suprême(CMS).

Le Niger entre ainsi dans un régime d'ex-ception caractérisé par une véritable dicta-ture doublée, comme cela arrive d'ailleurstoujours, d'un pillage systématique du pays,par les militaires et leurs alliés civils exer-çant le pouvoir.

L'avènement du colonel Ali Saïbou à latête du pays, en novembre 1987, après lamort de Kountché, apporte une certaine dé-crispation dans le pays. Malheureusement,très vite, cet homme sans autorité est prisen otage par un entourage à la fois cupide,médiocre et incompétent qui dirige le paysà sa place.

Résultat: l'État est en banqueroute sansque les responsables du MouvementNatio-nal pour la Société de Développement(M.N.S.D.), parti unique créé au mois demai 1989, puissent y remédier.

Finalement le vent de démocratie quisouffle un peu partout permet aux Nigériensde réclamer et d'obtenir l'autorisation dumultipartisme dans le pays, ainsi que laconvocation, en juillet 1991, d'une Confé-rence Nationale qui avait pour mission dediagnostiquer tous les maux dont souffre leNiger en vue de trouver des solutions dontla mise en œuvre pourrait relancer l'écono-mie de ce pays qui compte parmi les 42États les moins avancés du monde.

Professeur André SALIFOU

Le Niger:Diversité culturelle

et linguistique

El Hadj Keletigui Abdourahmane MARIKO

Situé au cœur de l'Afrique, le Niger,dans son contextegéographiqueactuel,est une création, maintes fois retou-chée, de l'administration colonialefrançaise. D'une superficie de1 267 000 kilomètres carrés, le paystient à la fois du Maghreb et du Ma-chrek sahariens, de l'Afrique centraleet de l'Afrique occidentale.Limitropheet voisin, à la fois, de l'Algérie au nord,de la Libye à l'est, du Tchad et duNigéria à l'est et au sud-est, du Béninau sud, du Burkina Faso et du Mali àl'ouest et au nord-ouest, le Niger a septfrontières,qui en font un pays enclavé,éloigné de près de 1000 kilomètres dela côte atlantique la plus proche.

A la fois saharien et sahélien, il ne dis-pose que d'une mince zone de climat sou-danien, étendue le long de ses frontières sudavec le Burkina Faso, le Bénin et le Nigéria.

Le peuplement nigérien

La portion saharienne du Niger est un desplus anciens lieux habités de l'Afrique cen-trale. C'est du moins ce qu'affirmaient déjà,il y a bien longtemps, les géographes et lesvoyageurs de l'antiquité et du haut moyen-âge. Et c'est ce que confirment aujourd'huiles spécialistes de l'archéologie et de la cli-matologie du Sahara.

Dans leurs traditions, la plupart des po-pulations nigériennes se reconnaissent di-verses origines. Les unes seraient venues del'est, du côté de Massar (l'Égypte), du bas-sin du Nil (Soudan), de Habasha (Abyssi-nie), les autres du Sahara (Hoggar, Aïr,Adrar des Iforhas, Kawar, Djado, etc.) D'au-tres, enfin, seraient les descendants des pre-miers occupants de la terre nigérienne,occupation qui remonterait au déluge, aunéolithique à l'époque des chasseurs, descueilleurs, des pasteurs bovidiens.

Les nombreuses peintures et gravures ru-pestres découvertes dans les massifs monta-gneux sahariens attestent de l'ancienneté du

peuplement de l'espace que nous connais-sons aujourd'hui sous le nom de désert duSahara, et dont près de 600 000 kilomètrescarrés recouvrent le nord et l'est du territoirenigérien. Les objets archéologiques saha-riens, pointes de flèches, haches en pierrepolie, meules dormantes, tessons de pote-ries, couteaux en pierre, et, plus au sud, lesscories de fonderies remontant à 2500 ansavant Jésus-Christ, etc. sont des preuves ir-réfutables de l'ancienneté du peuplement decette région du Niger.

Les dix groupes ethnolinguistiquesnigériens

Le Sahara humide et le Niger, c'est-à-direl'espace compris entre le bassin du lacTchad et la vallée du fleuve Niger, furent,d'est en ouest, et du nord au sud, un vastecarrefour qui permit à de nombreuses popu-lations, venues de l'est et du nord, de se ré-pandre dans l'espace qui constitue leterritoire national du Niger.

Si certaines des populations actuelles duNiger se déclarent « autochtones », descen-dant des plus anciens occupants de la terrenigérienne, d'autres groupes humains sontvenus assez récemment dans les régions etles terroirs qu'ils occupent aujourd'hui. Cesdescendants des plus anciens occupants sedisent, dans différentes langues, « les fils dela terre », donc autochtones.

D'autres populations, sahariennes et sahé-liennes, reconnaissent leur établissement ré-cent, et l'antériorité de l'occupation de ceuxqui se disent « les fils de la terre». Les KelTamajak (les Touaregs), les Arabes, lesgroupements peulhs, certains groupementssonghoy et zarma, sont parmi ceux dontl'installation est relativement récente. Cespoints de détail qui ont leur importance pourune meilleure compréhension de l'organisa-tion sociale de ces populations, et aussi desmodes de tenure foncière, seront examinésen ce qui concerne chacun des groupesethnolinguistiques.

Chacun des dix groupes ethnolinguisti-ques nigériens possède sa langue propre,donc sa culture, mais ne refuse pas la languedu groupe voisin. Si bien que de très nom-breux Nigériens sont polyglottes, alors

même qu'avec une seule ou deux langues,tout voyageur peut se faire comprendre del'est à l'ouest et du nord au sud du pays.Dix groupes ethnolinguistiques bien identi-fiés et vivant dans la paix et la tolérancemutuelle se répartissent les sept millionssept cent mille Nigériens qui peuplent le

pays. Une revue sommaire de chacun de cesgroupes nous permettra de dégager les élé-ments et les complexes culturels qui fontque la nation ait précédé l'État moderne auNiger.

Les Toubou

Les Toubou que leurs lointains voisins delangue haoussa appellent Toubawa, au plu-riel, Batoubé au singulier, et même Toubos-hi en général sont connus sous l'appellationde « nomades noirs du Sahara ». Ce sontles «

Éthiopiens troglodytes» des géo-graphes et des voyageurs anciens, grecs, ro-

D'est en ouest, les différents groupes ethno-linguistiques sont :

1 °) les Toubou, représentant 1 de la popu-lation;

2°) les Boudouma ou Yédina ;

3°) les Kanouri, qui. avec les Boudoumareprésentent 4 de la population;

4°) les Kel Tamajak ou Touaregs ;

5°) les Arabes. A eux deux, ces groupesreprésentent 10 de la population;

6°) les Peulhs ou Halpoularen, 10 de lapopulation;

7°) les Haoussa, ou, mieux Haoussawa, re-présentent 54 de la population;

8°) les Zarma-Songhoy, localisés dans lesdeux départements de Dosso et de Tillabéry etdans la communauté urbaine de Niamey:

9°) Les Tienga ou Tiengawa ;

10°) les Gourmantché ou Bimba.

Ces trois groupes ethnolinguistiques sontétablis sur les deux rives du fleuve Niger etreprésentent 21 de la population totale dupays.

Ces différents pourcentages ne sont que desapproximations, les recensements n'étant pasfaits sur la base strictement ethnolinguistique.

mains et arabes, et qu'il ne faut pas confon-dre avec les Touaregs, les Arabes noirs etles Kanouri. Les Toubou, qui constituentl'essentiel du peuplement du Sahara orien-tal, dans ses portions libyenne, nigérienne ettchadienne, s,ont un peuple très ancienne-ment établi dans son habitat actuel, enplaines, en montagne comme dans les oasis.Au Niger, les Toubou, dans leur grande ma-jorité sont dans les régions montagneuses duKawar, du Djado, du Mangueni, du Katzel,de Termitt.

Les Toubou nigériens constituent deux en-tités, les Téda et les Daza, qui comportent,chacune, des sous-groupes liés aux structurestraditionnelles, coutumières, qui font à la foisla force et la faiblesse de leur société. Lestermes téda et daza ont trait, à la fois, à lalangue parlée ou mieux au dialecte utilisé parles éléments du groupe, et à l'habitat. Ainsi,les Toubou dits Téda parlent le dialecte téda,ce sont des montagnards, habitants des mas-sifs montagneux qui leur servent d'environ-nement-habitat, d'environnement-ressources,d'environnement-cadrede vie, et d'environ-nement humain et social, alors que les Tou-

bou dits Daza utilisent le dialecte daza ethabitent les plaines. Les premiers sont descaravaniers,habitent des oasis ou des grottesdans les massifs montagneux, élèvent desdromadaires. Autrefois, et ce jusqu'à unepériode assez récente, ils constituaient leplus grand danger pour les caravanes et lespopulations riveraines du Sahara à cause despillages, des razzias qu'ils pratiquaient àgauche, pour vendre à droite. Car, dans lasociété toubou, nul jeune homme ne pouvaitse marier s'il n'avait, auparavant, accompliun exploit, une razzia, et rapporté le butinà domicile.

Les Daza, Toubou des plaines, sont deséleveurs de bovins, d'ovins, de caprins,d'ânes et même de chevaux de chasse. Cul-tivateurs de mil dans les vallées, et aussi,souvent, exploitants des palmeraies de dat-tiers dans les oasis, ils sont plus stables,moins agressifs que les Téda.

Les Téda et les Daza ne se comprennentsouvent pas, à moins qu'ils n'utilisent unelangue comme le kanouri ou même lehaoussa. Mais, malgré cela, Téda et Dazarelèvent de la même culture, vivant dans des

conditions similaires, dans le même environ-nement saharien, confrontés aux mêmes pro-blèmes. Partout, du Tibesti au Damergou, duDjado à la Komadougou, milieux toubou, le

genre de vie est le même.

L'organisation sociale des Téda et des Da-

za est identique à celle des autres groupestoubou. Au sommet de la société, sont lesnobles téda et daza. Par nobles, il fautcomprendre la classe sociale la plus élevéede la société, qui s'arroge une supériorité surles autres, soit à cause de son origine, soit à

cause de ses qualités guerrières, ou simple-ment de la richesse en bétail de ses membres.Cette classe comporte beaucoup de clans.

Immédiatement au-dessous des Téda etdes Daza nobles, sont les Azza, moins nom-breux, hommes libres, mais exerçant desmétiers manuels que les nobles considèrentcomme avilissants et méprisables. Tels sontles Azza chasseurs, forgerons, bijoutiers,puisatiers, également vaillants et bravesguerriers, mais vassaux des Téda et des Da-za. Ils sont soumis à toutes les contraintessociales, à tous les us et coutumes desgroupes auxquels ils appartiennent.

Après les Azza, viennent les Kamadja, lesagriculteurs, cultivateurs, paysans, souventdescendants d'esclaves affranchis par lesTéda et les Daza eux-mêmes, ou, plus ré-cemment par l'administration coloniale.

Enfin, au bas de l'échelle sociale sont lesTiyéni, esclaves, captifs, serfs, employés à lagarde des troupeaux, ou leurs descendants.

En conclusion, les Toubou sont, avec lesBoudouma, les Tienga et les Gourmanché,les Nigériens les moins bien connus de leurscompatriotes, pour de nombreuses raisons.Ils n'ont pas de littérature écrite, mais unelittérature orale épique, qui chante, exalte,glorifie les hauts faits guerriers des ancêtres,comme des contemporains. Par leurs lan-gues classées dans le groupe kanouri et leurscultures, ils constituent un groupe ethnolin-guistique indépendant et différent de tous lesautres groupements humains nigériens.

Leur culture comporte des nomades et dessédentaires, des montagnards, des oasiens etdes campestres, des musulmans et desadeptes des religions sociales ancestrales,des pasteurs et des cultivateurs.

Les Boudouma ou Kouri

Les Boudouma sont des pêcheurs, éle-veurs, cultivateurs et bateliers des îles d'a-bord, des rives du lac Tchad ensuite. Ils seconsidèrent comme les premiers, ou, dumoins, comme les plus anciens occupants deleur environnement lacustre. Répartis entre leNiger, le Nigéria, le Cameroun et le Tchad,ils vivent dans les îles du lac, sans s'intégrerà aucune des ethnies voisines, dominantes oudominées. Disposant d'une langue propre à

eux, qui a été classée dans le groupe tchado-hamitique, ou encore haoussa-kotoko, lesBoudouma, outre leur culture générale propre,véhiculée par leur langue, le yédina, ont em-prunté les éléments de culture au groupeethnolinguistique kanouri, constituant le prin-cipal groupement humain de l'Empire du Bor-nou. Ces emprunts sont à l'origine descomplexes culturels variés qui caractérisent lespopulations du bassin du lac Tchad.

Dans cette région, grâce à la religion mu-sulmane et aux conquêtes très étendues duKanem-Bornou, de nombreuses populations,sédentaires et nomades, insulaires et cam-pestres, agricoles et pastorales, noires etblanches, urbaines et rurales, ont subi pen-dant quelques siècles le joug d'un pouvoircentralisé islamique exercé par le « cheick »du Bomou, empereur tout puissant détenantà la fois le pouvoir spirituel et le pouvoirtemporel, le Coran et le Sabre. Les Boudou-ma, insulaires et riverains du lac Tchad,n'ont pas échappé à la domination politiqueet au métissage, biologique et culturel despopulations bornouanes. Toute leur littéra-ture orale, leur musique, les arts et l'artisa-nat, s'inspirent amplement de la civilisationdu Bornou, dont les origines historiques re-montent au VIIIe siècle de l'ère chrétienne.

Un fait important est à signaler, à proposdes Boudouma qui sont les seuls noirs afri-cains à utiliser les pirogues en roseaux, iden-tiques à celles des anciens Égyptiens. Dansleurs traditions, ils font remonter l'originede leurs ancêtres à l'époque pharaonique, àune époque où le lac Tchad, véritable merintérieure, couvrait près de 350 000 kilomè-tres carrés, et communiquait avec le coursdu Nil, à travers le Soudan.

Les Kanouri

Le terme kanouri désigne le grand ensem-ble de populations établies de très longuedate dans la plus grande partie du bassin dulac Tchad. Il indique à la fois la langue fon-damentale et les groupes et sous-groupes depopulations dont elle constitue la principalelangue de communication. Toute la régionconcernée, aujourd'hui relevant des quatreétats riverains du lac Tchad (Niger, Nigéria,Cameroun, Tchad), a été totalement, ou par-tiellement sous l'autorité de l'empereur duBornou, jusqu'à la fin du XIXe siècle.

Le groupe ethnolinguistique kanouri (oubornouan), compte une cinquantaine d'enti-tés unifiées sur le plan religieux de l'Islam,et sur le plan politique, par l'empire du Bor-nou. Tout en gardant leurs dialectes respec-tifs, les groupes et sous-groupes utilisaientet utilisent encore la langue kanouri commelangue nationale. L'éducation officielle, is-lamique, a conduit le peuple à former unenation (al oumma) musulmane tolérant lescultures et les civilisations particulières.

L'empereur du Bornou ayant étendu, à unmoment donné, ses conquêtes jusqu'au Fez-zan, à l'Aïr, au Damagarm (sultanat de Zin-der), à Kano, au Kawar, vers l'ouest, le nordet l'est, créa un État et une nation, malgréla diversité linguistique, religieuse et cultu-relle.

Les éléments et les complexes culturelset civilisateurs de toutes ces populationssoumises à la même autorité centralisée duBornou, sont à la base de la richesse de laculture populaire kanouri qui tire certains deses éléments du Fezzan, du Soudan, du Ba-ghirmi, du Kanem, du Waday, du payshaoussa et des régions nigériennes voisines,particulièrement favorables au pastoralismeen général, à l'élevage du cheval et du dro-madaire en particulier. La richesse culturelledes Kanouri, leur artisanat, très varié, l'édu-cation populaire, la place éminente de lafemme dans la société, le sentiment d'ap-partenance à la même nation et à la mêmereligion que manifestent, partout, les ressor-tissants des localités du bassin du lac Tchad,représentent une partie de l'héritage consi-dérable légué par le Bornou à ses popula-tions, aujourd'hui écartelées entre quatreÉtats issus de la décolonisation franco-bri-

tannique: Niger, Nigéria, Cameroun etTchad.

Les érudits kanouri du Bornou et de l'estdu Niger ont légué à la postérité une abon-dante documentation écrite sur l'histoire, etdes « guirgam » ou chronologies des règnesdes rois et empereurs du Bornou.

Les Kel Tamajak ou Touaregs

Les Kel Tamajak (Kel Tamasheq) ouTouaregs sont des berbères et des berbéro-phones sahariens chassés de leur environne-ment par l'aridification du climat du Sahara,les invasions arabes musulmanes à partir duVIIIe siècle, et les conquêtes coloniales, àpartir de 1830.

Al'origine, les Kel Tamajak formaientcinq grandes confédérations, aujourd'hui ré-parties entre cinq États nord et sud-saha-riens: Libye, Algérie, Nigéria, Tchad etNiger.

Les Touaregs nigériens appartiennent es-sentiellement aux deux confédérations dusud: la confédérationde l'Aïr dont le sultanréside à Agadez, et la confédération Ouel-leminden scindée en deux entités: l'unemalienne, établie entre Ménaka, sur la rivegauche et Gossi, sur la rive droite du fleuveNiger, et l'autre, nigérienne, établie de lavallée du fleuve jusqu'à Tchin Tabaraden,dans le nord-est de Tahoua.

Ainsi, les Kel Tamajak nigériens, no-mades, oasiens de l'Aïr, et sédentaires de la

zone agricole, se trouvent dispersés sur unegrande étendue du pays. On en trouve dansles départements d'Agadez, de Diffa, deZinder, de Maradi, de Tahoua et de Tillabé-ry. Malgré leur unité linguistique et cultu-relle fondamentale, ces populationsconnaissent tous les inconvénients, et aussitous les avantages du nomadisme pastoral,de la sédentarisation agricole, de la décul-turation avec la perte de leur langue, le ta-mashek, et de l'acculturation au contact desethnies négro-africaines et peulhes, séden-taires, plus nombreuses. Si au nord, dans leSahel des nomades, en bordure du Sahara,et dans certaines oasis, on trouve les typesberbères à peu près purs, en zone de noma-disme, dans la partie centrale du pays, les

métissages de plus en plus nombreux ontdes répercussions sur la langue, la culture,et sur le type physique même des Kel Ta-majak.

L'organisationsociale,jadis très rigide, perdaujourd'hui son caractère féodal, moyenâgeux.Les distinctionsentre les nobles (Imageren), leshommes de l'Islam (Ineslémen), les vassaux,hommes libres (éleveurs, caravaniers connussous le nom d'/mrad), les artisans (Enaden) etles esclaves(Eklan)sonten trèsnette régression,et tendent à disparaître.

Le tifinar, l'écriture des Kel Tamajak, géné-ralement plus connue par les femmes nobles,tend à disparaître. Même la littérature orale,jadis florissante dans les deux principaux do-mainesde la vie des nomades, que sont la guerreet l'amour, régresse.

L'unité culturelle et linguistique des KelTamajak sédentarisés est en pleine érosion,et sa déliquescence fait entrevoir aux spé-cialistes de ces populations assez particu-lières, la fin, sinon du nomadisme intégral,du moins des nomades pastoraux dans leurgenre de vie sous la tente.

Chassés de leur environnement par l'ari-dification du climat et les conséquences dela sécheresse persistante, les Kel Tamajakne peuvent plus aspirer à leur vie d'hier,faite de chevalerie, d'insouciance, deconfrontations, de razzia, de dettes de sang,de liberté d'aller et de venir suivant leur vo-lonté. Ils sont aujourd'hui les plus grandesvictimes de la longue sécheresse qui ravagele Sahel depuis 1968.

Les Arabes et les arabophones

Les Arabes et les arabophones nigérienssont tous essentiellement sahéliens, hommesde religion, pasteurs, commerçants, trans-porteurs, caravaniers. La majorité d'entreeux vivent en symbiose avec les Touaregs,principalement dans les départements d'A-gadez, de Tahoua, de Diffa, de Zinder.Quelques-unes des plus anciennes famillesvivent dans les villes, spécialisées dans lenégoce et le transport. L'origine de la plu-part de ces Arabes et arabophones est bien

connue. Il y en a dont les ancêtres sont ve-nus du Fezzan, de Trablis (Tripoli), deMourzouk, de Gatroun, de Koufra, de Tunis(Tunisie), de Reggan, de Colomb-Béchar(Algérie), du Maroc, via la Mauritanie et leMali. Enfin, d'autres arabophones auraientpour pays d'origine le Yémen, le Hedjaz,l'Irak, et même la Turquie, à l'époque del'Empire ottoman et du Khalifat.

Très minoritaires et dispersés entre lesdifférentes régions naturelles ou administra-tives du pays, les Arabes nigériens neconstituent nulle part une population suffi-samment dense pour valoir à leur habitat,l'appellation de pays arabe, comme lors-qu'on parle du pays toubou, du pays kanou-ri, du pays gourmantché. Ils maintiennentcependant leur identité linguistique et cultu-relle partout où ils se trouvent. Musulmanscomme la très grande majorité des Nigé-riens, ils s'intègrent à la société négro-afri-caine comme à la société kel tamajakpartout où ils se trouvent. Grâce à l'ensei-gnement coranique, aux médersas, aux col-lèges et aux lycées franco-arabes ouvertsdans les grands centres urbains, les Arabesnigériens, presque tous polyglottes, restenten liaison permanente avec la langue arabe,la langue de la religion musulmane.

Les Peulhs ou Halpoularen

De la Mauritanie à l'extrême ouest-nord-ouest de l'Afrique occidentale, à la Répu-blique centrafricaine, tous les pays,sahariens, sahéliens, soudaniens et forestiersont des populations peulhs, ou mieux, « hal-poularen », c'est-à-dire parlant le « foul-fouldé », la langue des Peulhs. Cespopulations ne se disent pas elles-mêmesPeulhs, terme wolof vulgarisé par les Fran-çais. Elles se désignent par le terme de« halpoularen », comme les Kel Tamajakqui ne se disent pas Touaregs.

De nos jours, les érudits peulhs, parlantde leurs collectivités, utilisent les termes« poullo » au singulier, et « foulbé » aupluriel. Comme on peut le constater, de l'o-céan Atlantique à la République centrafri-caine, toutes les populations connaissent lesPeulhs, groupes ethnolinguistiques bienidentifiés, parties intégrales de toutes nos

cultures en Afrique occidentale sahélienneet soudanienne. Grâce à une souplesse re-marquable, à une plasticité exemplaire, àune facilité d'adaptation et d'intégration peucommune, les Peulhs ont réussi à s'établirun peu partout à travers le Sahel et le Sou-dan, tant parmi les plus importants groupesethniques que parmi les plus modestes. AuNiger, les groupements sédentaires et no-mades des Peulhs se retrouvent, plus oumoins métissés, dans les sept départementsdu pays, et font partie du panorama ethno-linguistiqueet culturel national, au même ti-tre que les groupements humains les plusanciennement établis dans les terroirs. LesPeulhs du pays haoussa se sont adaptés à laculture haoussa, comme ceux du pays ka-nouri, du pays zarma et songhoy, du paysgourmantché et du pays touareg se sontadaptés à leur milieu, aux us et coutumesdes populations qui les ont accueillis, sou-vent avec réticences. Ils se sont adaptés par-tout, même en perdant souvent l'usage deleur langue, le foulfouldé, comme en payshaoussa. Le seul problème auquel ils n'ontpas trouvé de solution durable est celui del'intégration sociale des Bororodji, commu-nément et improprementappelés Bororo, quisont les derniers venus au Niger, et qui nedisposent même pas de terroirs, de pâtu-rages, de points d'eau, de villages propres à

eux.Enfin, si en Mauritanie, au Sénégal, au

Mali, la littérature écrite peulhe est abon-dante, (le coran est traduit en foulfouldé parOmar Bâ en 1982) au Niger, elle est trèsmodeste, sinon inexistante.

Les Haoussa ou Haoussawa

Les Haoussawa, ou populations de languehaoussa, sont répartis entre le Nigéria, oùréside la très grande majorité de ce groupeethnolinguistique, estimée aux environs de30 à 40 millions d'âmes, le Niger, dont85 de la population parle la languehaoussa, le Tchad, le Cameroun, le Bénin,le Togo, le Ghana, et toutes les villes por-tuaires de l'Afrique occidentale.

En ce qui concerne le Niger même, lespopulations de langue haoussa représententà elles seules plus de la moitié de la popu-

lation totale. Dans les sept départements du

pays et dans la communauté urbaine de Nia-mey, on rencontre partout des Haoussawa etdes locuteurs, de plus en plus nombreux, decette langue, en plus de leurs langues ma-ternelles. Les départements à très grandemajorité de population haoussa sont ceux deZinder, de Maradi, de Tahoua.

En gros, sur les 8 125 279 Nigériens, d'a-près les plus récentes estimations de l'Orga-nisation des Nations Unies pourl'alimentation et l'agriculture (FAO), envi-ron 5 500 000 appartiendraient au groupeethnolinguistique haoussa, majoritaire dansle centre-est du pays (départements de Ta-houa, de Maradi, de Zinder) et plus oumoins fortement représenté dans les autresdépartements et dans la communauté ur-baine de Niamey. Près de 85 de ces Ni-gériens, d'après les estimations officielles etcelles de l'Institut de Recherche en SciencesHumaines (I.R.S.H.) comprendraient lehaoussa. En effet, beaucoup de Nigérienssont bilingues ou même polyglottes, leshaoussawa étant ceux qui apprennent rare-ment une deuxième langue.

Les origines du terme haoussa

De nombreuses explications sont don-nées, concernant les origines et le sens duterme haoussa, désignant à la fois le pays,la langue et des populations nombreuses,établies entre le fleuve Niger, le Sahara, lebassin du lac Tchad, et la forêt tropicale duNigéria. Pour André Berthelot*, le termehaoussa en berbère signifierait « en deçà(dufleuve) par opposition à gourma, le paysau-delà du Niger ». Aujourd'hui, de Nia-founké au Mali, jusqu'au Nigéria, la rivegauche du fleuve Niger est appelé rivehaoussa, et la rive droite, rive gourma. Parextension, toutes les populations de la rivegauche sont appelées « gens du haoussa»et celles de la rive droite « gens du gour-ma ». Les deux termes ont donné « haoussant-ché », gens du haoussa et « gourmantché »,gens du gourma, sans distinction ethnique.

Pour les Haoussa, ba haouché au singu-lier, haoussawa au pluriel, plusieurs origineset significations sont données à ce terme.Pour les uns, il s'agirait de « Aous », nomclanique d'une tribu arabe ancienne, défor-

mé en « haoussa ». Pour d'autres, il s'agi-rait plutôt du terme « habasha » (abyssine)déformé en haoussa. Enfin, pour les meil-leurs traditionnistes, « haoussa» signifiesimplement langue, et haoussawa, les locu-teurs de cette langue (haoussantché).

Les sept haoussa et les sept nonhaoussa

Les États haoussa sont entrés dans l'his-toire sous le nom de « Haoussa Bakwoy »,soit « les sept haoussa purs », ayant en faced'eux sept Etats impurs, dits « Banza Bak-woy ». Les sept États d'origine « HaoussaBakwoy » sont: Dawra, Kano, Rano, Bi-

ram, Gobir, Katsina et Zw-Zaw (ou encoreZeg-Zeg), alors que les sept États impursd'origine non haoussa, mais conquis, subju-gués et convertis en partie à la langue et àla culture haoussa sont: Gwari, Kabi (ouKébi), Kororaafa, Ilorin, Noupé, Yelwa etZanfara. Les populations de ces États ont,chacune, une langue propre, mais recourentà la langue haoussa pour se comprendre.

Aujourd'hui, les haoussawa occupent unespace beaucoup plus étendu que celui jadiscouvert par les sept États historiques.

Les Haoussawa nigériens, malgré prèsd'un siècle de séparation arbitraire avecleurs parents du sud, se reconnaissent uneorigine commune, une histoire commune etune culture commune. Au sein de cette nom-breuse population musulmane, vivent descollectivités animistes et chrétiennes de lan-gue haoussa, les premières connues sous le

nom de Azna, Ama ou Anna, qui se préten-dent les descendants des premiers ou desplus anciens occupants des terroirs du payshaoussa. Ils ne parlent que la seule languehaoussa, sont les seuls pratiquants des reli-gioins sociales ancestrales, plus connuessous le nom de religions des terroirs.

Tous ces groupes et groupements, desplus petits aux plus grands, sont reliés entreeux par des relations de parenté à plaisan-teries et d'entraide, des alliances, des cama-raderies de jeux, de blagues, qui interdisentles discriminations, l'égoïsme, l'agressivitéetc. Les mêmes relations de convivialité

existent entre les villes, les terroirs, les ré-gions et aussi vis-à-vis des autres groupesethnolinguistiquesnigériens et quelques au-tres Africains.

La langue haoussa en Afrique et dansle monde

La langue haoussa joue en Afrique occiden-tale et centrale, et dans les oasis du Sahara, lerôle que joue le kiswahili en Afrique de l'Est.Dans le monde, plusieurs radiodiffusions natio-nales émettent en haoussa. En Afrique, il s'agitdes radiodiffusions du Niger, du Nigéria, duGhana, du Cameroun, du Togo, de la chaîneELWA, émettant autrefois d'Ethiopie, puis duLiberia, des radiodiffusions de l'Egypte et duSoudan. En Europe, émettent en haoussa la BBCde Londres, la Voix de l'Allemagne, de Co-logne, Radio-Moscou. En Asie, outre ChineNouvelle, la radiodiffusion japonaise, la radio-diffusion indienne et Radio Pakistan émettent(ou émettaient) en haoussa. En Amérique duNord, c'est la Voix d'Amérique (U.S.A.) quiémet en haoussa.

Sur le plan de l'écriture, aussi bien en al-phabet arabe adapté (adjami) qu'en phonéti-que et en alphabet latin, les publications sonttrès nombreuses en langue haoussa. Outre laBible, les Évangiles et les Psaumes, le Coranet la Risala sont traduits en haoussa, et éditésà des millions d'exemplaires. Les ouvrageslittéraires de vulgarisation scientifique sonttrès nombreux, plus particulièrement au Ni-geria. Les Journaux-Jarida, en haoussa, sontégalement nombreux, et leur publication re-monte aux premières années de ce siècle.Cette situation est due au fait que les Britan-niques imposaient, à l'école primaire, l'en-seignement en langue maternelle, dans leurscolonies. Pour tout le Nigeria septentrional,c'est la langue haoussa qui sert à la scolari-sation, jusqu'à la fin du cycle primaire. Lesimprimeries de Zaria, depuis plusieurs dé-cennies, impriment et éditent des ouvragesvariés en langue haoussa.

La langue haoussa, très riche en pro-verbes, maximes, adages, sentences, allégo-ries, rébus et jeux de mots divers, est unvéhicule et un instrument de culture dont lecaractère international est reconnu mondia-

lement. Le haoussa, en effet, est une langueenseignée aussi bien en France (à la Sor-bonne) qu'en Grande-Bretagne, en Alle-magne, aux États-Unis d'Amérique, enUnion Soviétique, qu'en Chine. Les univer-sités du Nigeria délivrent des diplômes demaîtrise et de doctorat de langue haoussa.

L'histoire générale de l'Afrique, éditéesous l'égide de l'UNESCO, a été traduite enlangue haoussa. Ce qui confirme le caractèrede grande langue de communication inter-nationale du haoussa.

Les Zarma-Songhoy

Alors que les Haoussa, dans leur ensem-ble, se prévalent d'une même origine histo-rique, les Songhoy et les Zarma, bienqu'habitant de part et d'autre de la boucledu Niger, et parlant une même langue fon-damentale, le « koïra tchini », pour les Son-ghoy, le « zarma sanni ou zarma tchini »pour les Zarma, ne se prévalent ni de lamême histoire, ni des mêmes mythes.

Les Songhoy sont répartis entre le Mali,le Burkina Faso, le Niger et le Bénin. Leurhistoire qui commence autour de Bentia ou

de Koukia, est suffisamment connue, avecles Dia ou Za, d'origine yéménite (Za al ya-man), les Sonni, dont le plus célèbre estSonni Ali Ber (Sonni Ali le grand) et avecles Askiya, dont le plus célèbre est AskiyaMohammed Touré. La destruction de lapuissance songhoy en 1591 par le corps ex-péditionnaire marocain, provoqua l'exodemassif des hommes vers le sud, le « dendi »,le long du fleuve Niger.

Les Zarma, eux, font remonter leur his-toire, soit à Zabarkan, soit à Mali Béro.Dans l'un comme dans l'autre cas, le mythecôtoie la légende et l'histoire, qui font venirles Zarma de la région malienne du lac Dé-ro.

Suivant les traditions orales des Zarma etde leurs voisins manding, les Zarma feraientpartie des populations dispersées de l'ancienEmpire du Ghana. La diaspora des habitantsdu Ghana les aurait conduits vers la boucledu Niger, plus précisément vers la zone la-custre d'où les Zarma de Mali Béro seraientpartis à bord d'un panier volant en directiondu sud, vers le Zarmaganda et leur habitatactuel.

Malgré tous les travaux sur le peuple zar-ma, beaucoup de zones d'ombre, beaucoupd'inconnues et d'énigmes restent à éclaircir,tel le fait par exemple de deux peuples leSonghoy et le Zarma dont les origines sontdifférentes, mais qui sont voisins depuisquelques siècles au Niger et qui parlent lamême langue fondamentale.Pour les spécia-listes maliens, les Songhoy ou Koïraboreyseraient les autochtones de la vallée dufleuve, parlant le koïratchini, la langue ur-baine, alors que les Zarma, proches des So-ninké du Ghana, seraient des chasseursmigrants ou des paysans qui auraient em-prunté la langue des Songhoy.

Historiquement parlant, les Songhoy sontplus anciennementconnus que les Zarma, queles Songhoy et les Arma de Gao et d'Ansongoappellent « gabidi », ou encore « arbi », termesqui signifient corps noirs ou hommes noirs. LesKel Tamajak les appellent « ihétane », ce quipéjorativement signifie « buveurs d'eau ». En-fin, les Zarma ont fait irruption dans l'histoiredu Niger vers la fin du XVIIIe siècle, alors quele Tarik ElSudanet le Tarik El Fettach lessignalentplu^oumoinsvaguementsouslenomde«arbiJSi les Songhoy sont des hommes des

villes ou des villages de la vallée du fleuveNiger, qu'ils appellent « Issa Ber» legrand fleuve, les Zarma eux, sont plutôt àl'intérieur des terres, des hommes desplaines et des plateaux, des cultivateurs etdes chasseurs de la proche rive gauche du

fleuve Niger, qu'ils appellent simplement« Issa» le fleuve Si les premiers sont desriverains du fleuve dans leur grande majo-rité, les seconds sont des campestres, établissur les terres arides du plateau zarma, dansle zarmaganda, au nord et jusqu'à Dossodans le sud. Quelques collectivités zarmasont cependant riveraines du fleuve (Goudel,Saga, N'Dounga, Kollo, Kirtachi, etc.).

Une assertion des Gollé, un des clans zar-ma, les fait venir de l'Adrar des Iforhas, etcertains parmi les Gollé se déclarent mêmed'origine Kel Tamajak, donc Berbère.

La langue parlée par les Songhoy, les Zar-ma et les autres groupements qui leur sontlinguistiquement inféodés bien que n'ayantni la même origine historique, ni les mêmesmythes, appartient aux langues soudanaiseset au groupe nigritique.

Entre le Songhoy de Djenné, de Diré, deTombouctou,de Hombori, le Zarma de Dos-so, de Ouallam, le Dendi du Nord-Bénin etle Songhoy d'Aribinda, au Burkina Faso,l'intercompréhension n'est pas automatique,comme dans le cas du Haoussa. La languefondamentale est la même, avec toutefoisdes dialectes fortement influencés par d'au-tres langues: manding, bozo, peulh, arabe,tamajak, moré, haoussa, etc.

S'agissant des Zarma, comme d'ailleursles autres peuples envahisseurs, en arrivantdans les terroirs qu'ils occupent aujourd'hui,ces peuples ont trouvé sur place des popu-lations autochtones qui se donnent le nomde « laabizé », correspondant au terme grecautochtone ou fils de la terre (ou du terroir).Au nombre d'une quarantaine, ces groupe-ments autochtones des descendants des plusanciens occupants du pays subsistent encorede nos jours et se reconnaissent par leursmarques faciales, leurs mythes, leurs lé-gendes, leurs interdits, leurs alliances etleurs parentés à plaisanteries et leurs habi-tants.

Tous ces groupements qui constituent le

groupe ethnolinguistique zarma sont exclu-sivement nigériens et ne débordent aucunefrontière, contrairement à la plupart des au-tres groupes ethnolinguistiques nigériens.

Au Mali, au Niger, comme au Burkina-Faso et au Bénin, la littérature écrite son-ghoy-zarma en arabe ou en alphabet

phonétique est peu développée. La languen'a pas l'envergure et la dynamique duhaoussa ou du foulfouldé, qui sont utilisésdans toute l'Afrique occidentale. Commed'autres langues à usage local, malgré l'im-portance du nombre de leurs locuteurs(comme le moré, langue des Mossi), le son-ghoy-zarma n'a pas franchi les limites du

pays zarma ou les frontières du Niger. Ses

locuteurs hors des pays habités par les Son-ghoy et les Zarma, sont des migrants desmêmes régions qui vivent généralementdans les centres urbains des pays côtiers où

ils vont chercher du travail pendant la mortesaison. Enfin, il convient de signaler qu'il y

a très peu d'écrits en songhoy-zarma.

Les Tienga

Les Tienga, que les Haoussa appellent

« Tchangawa » sont considérés, à travers latradition orale et les mythes, comme les plusanciens occupants de la rive gauche dufleuve Niger, de Falmèye jusqu'au Nigeria.Dominés numériquement par les Haoussad'un côté, les Zarma-Dendi de l'autre, ils

sont en voie d'assimilation culturelle par cesdeux groupes ethnolinguistiques qui domi-nent la sous-région. Comme toutes les po-pulations frontalières, les Tienga ont été etrestent divisés par le partage colonial. Eneffet, des groupements de cette populationd'autochtones subsistent au Niger dans leseul département de Dosso et l'arrondisse-ment de Gaya, au Nord-Bénin et au Nigériaoù réside un « roi des Tienga ». Ils ont unelangue que les Haoussa appellent « tchan-gantchi », mais parlent presque tous l'unedes deux autres langues dominantes: lehaoussa ou le songhoy-zarma. Véritables filsde la terre, les Tienga sont d'excellents cul-tivateurs qui vivent en petites communautésvillageoises non encore totalement islami-sées. Auprès d'eux, comme auprès des Aznadu pays haoussa, on trouve les éléments au-thentiques de la culture africaine, mêlant lesrites agraires aux pratiques ésotériques desreligions sociales ancestrales. Leur langue etcelle des Boudouma sont les deux languesque n'utilisent pas les médias nationaux. Cequi est très regrettable et préjudiciable car,

à la longue, ces deux groupes perdront l'u-sage de leurs langues, et conséquemment,leurs cultures authentiques et leurs tradi-tions.

Les Gourmantché ou Bimba

Répartis entre le Burkina Faso, le Niger,le Togo et le Bénin, les Gourmantché, qui

se disent eux-mêmes Bimba, font partie du

rameau des populations voltaïques. Ceux duNiger sont tous localisés dans les arrondis-sements de Say et de Téra, dans le départe-ment de Tillabéry, sur la rive droite dufleuve. Suivant les légendes sur l'origine desfamilles royales du pays mossi, et du paysgourmantché, - et le mythe qui prévaut end'autres localités, - on peut, sans risqued'erreur, affirmer qu'il s'agit de deux ou deplusieurs groupements qui constituent ceque nous appelons les Gourmantché.

D'après les Mossi, Diaba Lompo, le fonda-teur du premier royaume gourmantché, serait lefils cadet de Ouidiraogo, lui-même fils de laprincesse Yenenga et du chasseurRialé.

Suivant le mythe des Gourmantché, DiabaLompo serait descendu du ciel, sur un cheval,portant en croupe une jeune fille du clan Kom-bari. Diaba Lompo, dans les deux cas, serait lefondateur du premier royaume gourmantché.Au total, suivant la tradition, une vingtaine deroyaumes auraient vu le jour dans le pays, gra-vitant autour de Noungou, la capitale que lesHaoussawa ont surnommée« Fada-l-gourma »,c'est-à-dire la cour (des rois) du Gourma, appel-lation retenue par les Françaissous fonne deFada N'Gourma.

Les traditions orales diverses, aussi bien desGourmantché que des autres populations del'ouest du Niger, font du peuple gourmantchéun des plus anciens occupants, d'abord de larive gauche du fleuve Niger, ensuite de la rivedroite. Une tradition particulièreles ferait venirdu Bornou, ou, en tout cas, de l'Est. Un interdittoujours en vigueur défend au roi des Gour-mantché, sous peine de mort subite et violente,de voyager vers l'est. Le même interdit s'appli-que au Moro Naba, de Ouagadougou, empereurdes Mossi. ,.,

Les Gourmantché du Niger constituentaujourd'hui une minorité dont l'identitéethnolinguistique et culturelle est reconnue.Leur langue, le « gulmancema » est classéedans le groupe voltaïque. Elle est utilisée parles médias nationaux, au même titre que lehaoussa, le zarma, le foulfouldé, le tamajak,l'arabe et le toubou. Mais, malgré tout, lesGourmantchésont, avec les Tienga, les Bou-douma, et dans une certaine mesure les Tou-bou, les moins bien connus parmi lesgroupes ethnolinguistiquesnigériens. Vivantdans les mêmes terroirs avec des Songhoy,des Peulhs et dans les centres urbains avecdes Haoussawa, les Gourmantché nigérienssont généralementpolyglottes, parlant, outrele « gulmancema », le foulfouldé, le son-ghoy-zarma et le haoussa. Sur le plan cul-turel et linguistique, sans jamais se laisserassimiler par les populations d'envahisseurssahéliens musulmans, en particulier les Son-ghoy et les Peulhs, les Gourmantché (ouBimba) ont pris aux uns et aux autres, leséléments culturels qui leur ont permis de co-habiter avec eux, sans conflits majeurs, etsans perdre leur identité culturelle.

Ni le christianisme, ni l'islamisme n'ontréussi à faire d'eux d'autres hommes queceux qu'ils sont, très attachés à leur société,à leur humanité, à leur langue, à leur culture.

L'unité dans la diversité

Avec dix groupes ethnolinguistiquesbienindividualisés, le Niger est l'un des pays del'Afrique occidentale dont l'unité nationalea précédé la naissance de l'État moderne.Outre l'appartenance à la religion musul-mane de la très grande majorité de la popu-lation, l'existence de relations diverses dereconnaissance les uns des autres, d'al-liances, de cousinages, ont créé entre les dixgroupes ethnolinguistiques, ce que tous re-connaissent sous la forme de la parenté àplaisanteries, de parenté parallèle, de cama-raderies de blagues, de pactes de tolérance,de non-agression, etc. que nul n'ose trans-greser, sous peine de « honte », de déshon-neur.

Au sein des dix groupes ethnolinguisti-ques, les traditionnistes (marabouts, griots,généalogistes, conteurs, éducateurs popu-laires bénévoles, artistes du peuple, grands-parents, artisans divers, etc.) perpétuent lestraditions en rappelant à tous les héritageslégués par les ancêtres bienveillants, afinque tous ceux qui vivent ensemble seconnaissent et se reconnaissent des droits,se tolèrent, s'acceptent les uns les autres etforment une nation qui interdit toutes lesdiscriminations.

Dans le contexte socio-culturel et politi-que authentiquement africain, nous ne nouslasserons jamais d'affirmer, avec foi, forceet conviction sincère, qu'au Niger, grâce àl'unité dans la diversité, la Nation a précédéla naissance de l'État moderne, menacé ausommet par les intolérances politiques, lenépotisme, le régionalisme et l'ethnocen-trisme.

Docteur Kélétigui A. MARIKOVétérinaire en retraite

* L'Afrique saharienne et soudanaise: ce qu'en ontconnu lesanciens. Pavot, Paris, 1927.

Le Niger dansla littérature française

*1863-1991

Daniel MIGNOT et Jean-DominiquePENEL

A l'exception du tifinar qui est auto-chtone mais qui dépasse le cadre duNiger et ne concerne que les Touaregs,l'écriture a été introduite dans la ré-gion du Sahel par les Arabes et par lesexplorateurs de l'administration colo-niale. Tous ces étrangers ont fini parimposer leur présence et leurs modesd'écriture qui furent plus ou moinsadoptés selon les domaines (écoles co-raniques pour l'arabe, école occiden-tale pour les autres). Les étrangers,Arabes et Européens, ont commencépar produire une littérature dans leurlangue sur le pays, puis progressive-ment les littératures du pays ont écritet créé eux-mêmes sans la graphie desnouvelles langues.

Ainsi en français, il existe sur le Niger,depuis la fin du XIXe siècle jusqu'à aujour-d'hui, une littérature spécifique des Fran-çais. Cependant, depuis la veille de la

Seconde Guerre mondiale, dans la mêmelangue écrite, se développe une productiond'auteurs nigériens: cette autre littératureécrite francophone ayant avec la premièredifférents rapports qui vont de l'imitation aurefus, de la contestation à l'indifférence mu-tuelle. Le présent article se propose d'appor-ter quelques éclaircissements sur cettelittérature des Français au Niger qui, parcequ'elle est marginale, est oubliée, à tort ouà raison. Toutefois, il importe au préalablede délimiter les contours de cette littératurecar tout ce qui est écrit n'est pas pour autantlittérature et de se demander comment ladésigner.

En effet, qualifier la littérature des Fran-çais sur le Niger de « coloniale» est troprestrictif, car, même si certains textes sonteffectivement liés au phénomène colonial età sa justification, ce n'est pas le cas de tous,soit qu'ils aient été écrits avant la colonisa-tion ou depuis l'indépendance, soit qu'ils sedéroulent au Niger sans lien direct avec lacolonisation. C'est pourquoi il parait préfé-rable d'intituler cette brève présentation:

« Le Niger dans la littérature française(1863-1991) ». Les références temporellesvont de Jules Verne (1863) à Michel Claux(1991) et dépassent largement la période co-loniale. D'autre part, comme on le verra, l'i-mage du Niger est multiple selon lesépoques et les personnes.

Pour cerner notre domaine, on doit mettrede côté certaines productions proches de lalittérature mais qui restent en dehors d'elle:les textes documentaires comme les mis-sions historiques et les récits de traversée dudésert (de type sportif). Beaucoup de livres,dans la lignée des allemands Barth (1860)et Nachtigal (1881), relatent des explora-tions ou des expéditions militaires. En de-hors de Monteil (1894) et Hourst (1898), il

faut rappeler tout ce qui a trait aux missionsFourreau-Lamyet Voulet-Chanoine.Pour lapremière, on dispose des textes de Fourreau(1902), Ch. Guilleux (1904), Reibell(1931) ; très récemment, ont été édités lescarnets de route du médecin Haller (1989)et du lieutenant Britsch (1989). Pour la se-conde, on se rapportera aux livres de Joal-land (1931), de Madame Klobb (1931) et deMeynier (1947). Dans le même genre, maispour une période plus proche, il faut men-tionner Méhariste de Louis Alibert en 1936et le livre du général Gouraud, Zinder-Tchad. Souvenirs d'un africain (1944).

Outre ces textes, il existe un grand nom-bre de récits de traversées de désert depuisl'Algérie jusqu'au Niger avec les moyens dedéplacement les plus divers: à pied, en cha-meau, en auto-chenille, en voiture, en vélo-moteur, en moto, en ballon, en aéroplane,etc. (pour ne pas parler des récits du Paris-Dakar). Ces récits d'aventures sportivesn'ont jamais été dénombrés de manière ex-haustive mais on en compte au moins unecinquantaine.

On ne retiendra donc ici que les textesécrits à des fins littéraires: ce qui apparaîtclairement lorsqu'il s'agit de roman, de poé-sie, de théâtre, de tableaux en prose poéti-que, de nouvelles et ce qui permet d'intégreraussi des textes de vulgarisation historiqueset des souvenirs dont la présentation est ro-mancée ou au moins écrite avec une inten-tion esthétique qui les situe dans lalittérature au sens strict.

Leroman

C'est de loin le genre le plus représentéet on se doit de distinguer plusieurs sous-catégories qu'il n'est pas toujours aisé dedénommer, faute de termes appropriés.

Le roman d'aventure

L'ancêtre, sinon le modèle du genre, datede 1863 : il s'agit de Cinq semaines en bal-lon de Jules Verne. Deux gentlemen britan-niques et leur serviteur traversent l'Afriqueen ballon, de Zanzibar au Sénégal. Deux desquarante-quatre chapitres sont consacrés ausurvol du Niger:1e Samergou et Zinder,puis le pays songhay. L'auteur, qui connaîtles récits de Burton, Speke et Barth, allie àla connaissance historique la plus grandefantaisie sur les sites et les peuples survolés.

En 1980, les rapports entre la France etl'Angleterre ont changé quand Armand Du-barry publie Les tueurs de serpents, aven-tures d'un officier français au lac Tchad.Le capitaine Borojoli doit tracer avec un re-présentant anglais les limites territoriales deSay à Barroua. L'Anglais s'y oppose partous les moyens les plus odieux que notrehéros parvient, bien sûr, à surmonter.

Vers le Tchad, roman aérostatique deLéo Dex, paru en 1897, s'inspire de lamême veine. Une mission française est blo-quée à Baroua ; un capitaine vient la déli-vrer en ballon: avec lui, un scientifique, untechnicien, un journaliste, un traître italo-germanique, une fille déguisée en homme etun chien. La fibre nationale vibre fort. Lespéripéties sont multiples; le ballon sera dé-truit mais la mission libératrice parviendraà son but. L'aventure se poursuivra dans undeuxième ouvrage, Du Tchad au Dahomeyen ballon (1897).

En 1902, H. de Noville publie Le trésorde Mérande où l'on voit un jeune hommetraverser une partie de l'Afrique, dont le

pays songhay, et parvenir à découvrir unénorme diamant au centre du continent d'or.

A travers le Sahara: les aventuresmerveilleuses de Marius Mercurin, de G.Dernage, en 1914 expose les tribulationsd'un Marseillais dans le désert. Il passe à

Agadez, dans le Damergou, à Tessasoua etretourne par Nguigui et Zinder.

En 1936, quand paraît Au pays de lapeur de E. de Riche, le vent de l'histoire aencore tourné et les Anglais ne sont plus deperfides ennemis. Les membres d'une mis-sion de prospection pétrolière dans l'Aïrsont attaqués et pris en otages par des Tou-bous et des Touaregs. Ils seront sauvés parun missionnaire et une colonne anglaise (lespuissances coloniales ne s'opposent plus,mais s'entraident !).

En 1945, Ténéré, roman fantastique deLouis Santy se déroule dans un lieu parfai-tement imaginaire comme l'était également

un autre livre de Marcel Barrière en 1909La dernière épopée, Le monde noir.

Cette catégorie de romans reflète l'His-toire puisqu'elle manifeste les aléas des re-lations entre les puissances colonisatrices,mais aussi la primauté de la science et dela technique. D'autre part, même si les au-teurs utilisent une documentation sérieuse,l'imagination débridée a libre cours, le Ni-ger se trouvant doté d'une flore, d'une fauneet d'hommes souvent fort inattendus. Quantà l'image que cette littérature traduit des po-pulations nigériennes, elle varie d'un auteurà l'autre: si l'idée de sauvagerie domine,elle n'est cependant pas systématique.

Le roman proprement dit

En 1919, Ma femme au Niger d'É-douard de Meringo dépeint la société descolons dans une ambiance assez déprimante.Un administrateur arrive en poste au Nigeravec son épouse qui faisait autrefoiscommerce de ses charmes et qui reprend seshabitudes. Elle entraîne une vertueuseépouse de fonctionnaire sur son chemin etretrouve un ancien amant, en poste à Ta-houa. Officiers méharistes séduisants, petitsfonctionnaires hépatiques, administrateurqui « s'indigénise », tout y est et ressembleà bien d'autres romans du même genre, àl'époque où l'on voit ces micro-sociétés decolons sombrer et se perdre.

En 1926, Toum, sous le pseudonyme deLouis Faivre, est l'œuvre du gouverneur gé-néral Delafosse. Dans une belle langue quitraduit une bonne connaissance de ce genre

de situation, il relate la liaison entre un ad-ministrateur et une jeune fille de la régionde Tessaoua. Thème classique, mais pasmoins humain, des difficultés d'un couplémixte, reposant très souvent sur l'attraitsexuel alors qu'à la différence des races s'a-joutent non seulement celle des culturesmais surtout celle de la formation intellec-tuelle.

La grande fauve de Christian Chéry en1955 est un des rares romans à prendre pourhéros non un fonctionnaire (de haut rang ousubalterne) mais un jeune homme qui tra-vaille pour une société commerciale. D'a-bord à Zinder puis à Diffa, il vit une passionpour une jeune Nigérienne et voue une hainemortelle à un commerçant qu'il finira partuer. Ce n'est plus l'exaltation de la civili-sation mais plutôt un voyage du côté de J.Conrad ou L.F. Céline.

L'Atlantide du Nord de Stéphane Des-ombre, en 1974, raconte l'histoire d'unjeune lieutenant en poste à Nguigui en 1947.Vivant avec une jeune Peule, il voit arriverune belle Suédoise avec qui il avait eu desrelations en Europe. Tout s'enflamme, maisune épidémie de méningite permettra de dé-tourner les emportements affectifs des unset des autres.

L'action de L'arbre du Ténéré de H.Si-mart, en 1978, se passe à Niamey mais leNiger joue plutôt un effet de décor. Un mé-decin venu de France est poursuivi par unde ses anciens patients. Doublée d'une aven-ture sentimentale entre le médecin et unejeune femme qui travaillle au Fofo, l'affairese terminera mal.

L'hivernage de Guy Belloncle, en 1980,est l'occasion pour l'auteur de présenter sesidées sur le développement puisque le per-sonnage central est un expert venu en mis-sion en pays haoussa. Une passion éclairavec une jeune infirmière française laisseracependant la morale sauve, la consciencemorale de cet homme marié reprenant ledessus au dernier moment.

Ton blanc arrive avec le courrier deMichel Claux est le dernier en date des ro-mans puisqu'il date de 1991 (bien que l'ondevine beaucoup d'autobiographie dans letexte). Il raconte les aventures et mésaven-tures d'un jeune coopérant, en 1967, au

CEG de Sibingué (Filingué ?). Ce profes-seur novice aimera une jeune Nigériennemais sera victime de l'animosité du provi-seur et du préfet qui l'expulseront.

Dans ces sept textes, on retrouve un cer-tain nombre d'éléments semblables: une in-trigue sentimentale soit entre un Blanc etune Nigérienne (4 cas), soit entre un Blancet une Blanche (3 cas). La haine est toutaussi présente, elle engendre des violencesqui conduisent à la mort ou à l'exclusion,d'une manière ou d'une autre, de certainspersonnages.

Le roman local

Même s'il s'agit de textes écrits par desFrançais, il existe une catégorie de romansque, faute de terme approprié, on nommera« roman local », ce qui signifie que tous lespersonnages principaux sont des Nigériens,les Blancs éant totalement absents ou se-condaires.

En 1935, Joseph Peyré publie Sous l'é-tendard vert qui présente la révolte desTouaregs de 1916-1917 vue de l'intérieurpar un guerrier, Kel Rela : on suit l'entréeen dissidence des fractions algériennes, l'at-

taque de Djanet, les mouvements senous-sistes, la rébellion de Kaocen et le sièged'Agadez ; on assiste aux querelles entresous-groupes touaregs, on observe le rôledes commerçants, et on constate, à la fin dusoulèvement, l'impunité des riches.

En 1937, Jean Sermaye obtient le prixde littérature coloniale pour son livre Barga,maître de la brousse. Le héros, Barga, estoriginaire de Dogondontchi, il vit dans labrousse avec sa femme et son enfant. L'au-teur manifeste sa connaissance du paysmaouri et des coutumes locales. Le succèsobtenu par le roman conduira l'auteur à ré-diger une suite, Barga l'invincible en 1941.

En 1954, Louis Carl et Joseph Petit pu-blient La vallée de sel. Du Hoggar au Ti-besti. La moitié de l'ouvrage intéresse leNiger et retrace l'histoire de l'oasis de Se-guedine. On suit ainsi une famille depuis leXVIIIe siècle jusqu'à nos jours.

En 1972, Jacqueline Cervin dans Letambour des sables raconte la vie d'un petitgroupe des Kel Rela. L'histoire se situe auxconfins du Niger et du Mali et décrit l'exis-tence des nomades et leurs difficultés d'a-daptation au monde moderne. Agadez estprésenté comme un endroit où le Touaregperd sa civilisation. Tandis que la fille épou-

sera un semi-sédentaire et rêvera de faire de

son fils un camionneur à Arlit, le fils tour-nera le dos au Sud et choisira le maintiendes modes traditionnels nomades.

Si le roman forme le genre le plus repré-senté et le plus diversifié, il est cependantloin d'être le seul type d'expression litté-raire.

La nouvelle

En 1949, Jean d'Esme, dans Sables defeu, présente trois récits dont l'un est consa-cré au Niger: « La marche vers le soleil ».Il y rapporte l'assassinat de Cazemajou àZinder et les combats ultérieurs menés parles tirailleurs privés de leur chef.

En 1944, sous le pseudonyme de ClaudeFilleux, paraît à Hanoï une série de nou-velles dont le titre est L'âme de Sirré Som-ba. L'ensemble, légèrement modifié, estrepublié en 1961 sous le titre L'imprévudans les dunes avec le nom de l'auteur,Guy le Rumeur. L'avant-propos de la pre-mière édition faisait l'éloge d'un paysan deBirmi Nkonni, et le recueil compte 4 nou-velles qui ont trait au Niger: « L'imprévudans les dunes» décrit l'aventure d'un mé-hariste perdu dans le nord du Tamesna ;

« L'explorateur n'est pas revenu» met enscène trois explorateurs dans la région deTermit ; « L'officier marinier» racontecomment un Breton, méhariste au nord deTahoua, abandonne le petit confort de la ci-vilisation pour la vie pure et dure du désert;enfin « Le dioula méhariste» met enscène un petit commerçant qui ravitaille ungroupe nomade.

Guy Tirolien, en 1977, publie Feuillesvivantes au matin. Une des nouvelles de

ce recueil s'intitule « Awa » et montre lesrelations difficiles et conflictuelles d'uncouple éphémère formé par un administra-teur antillais et une jeune femme peule. GuyTirolien, auteur de Balles d'or où figure latrès célèbre « Prière d'un petit enfant» pourne pas aller à l'école des Blancs, a séjournéà deux reprises au Niger: comme adminis-trateur entre 1951 et 1952, puis commecommissaire à l'Information pendant 4 ansaprès l'indépendance.

Enfin, rappelons que le concours de nou-velles organisé, pendant plusieurs annéesdurant par le Centre Culturel Franco-Nigé-rien a suscité non seulement la créativité dejeunes Nigériens mais aussi celle de jeunesFrançais et Africains. Parmi ces derniers, oncitera le Béninois Djondo Codjo Claude,plusieurs fois primé (« Le tunnel », « Dol-

lion », « Le gourdin de la haine », « Leschemins de l'illusion»), le Sénégalais PapeKhassoum Diagne (« Ndjebel ou la lune demiel»), le Centrafricain Betina Begong Bo-dolo (« Mon mari est capable »). Lestextes de ces auteurs portent sur le Niger,

ce qui montre que le problème de la littéra-ture française dont on parle ici n'est pas ex-clusivement le propre de Français mais plusgénéralement d'écrivains francophones.

Les souvenirs

Certains textes littéraires relèvent pure-ment et simplement de la narration de sou-venirs, soit directement, soit avec quelquespetits éléments de fiction qui n'en modifientpas vraiment la nature.

En 1901, dans le «Journal desvoyages », des numéros de décembre àavril, paraît par épisodes, sous le pseudo-nyme de Henri Nielle, Mon roman au Ni-

ger. Le personnage central commande unposte sur le fleuve entre Labezanga et San-sanné Haoussa. Il raconte la période de pé-nétration et de pacification coloniale danscette région. La liaison du héros avec unejeune femme, Adiza, vient se greffer surl'histoire. L'ensemble des fascicules est pu-blié, groupé, en 1913 sous le même. titreavec le nom de l'auteur, Louis Carpeaux.

En 1949, André Thiellement dans Aza-war retrace les activités d'un administrateurde la subdivision nomade à Tahoua au coursdes années 1934-35. Avec assez de clair-voyance, il souligne les incohérences del'autorité, les refus des administrés, lescontradictionsentre les systèmes culturels etmanifeste les doutes d'un administrateurquidoit assumer un jeu souvent faussé.

En 1978, René Persyn dans Les Talakasnous livre ses souvenirs des trois annéespassées de 1927 à 1930 à Zinder et à Ngui-gui. L'auteur, qui a par ailleurs écrit ungrand ouvrage sur les Toubous en 1957, dé-peint l'existence des postes coloniaux à cetteépoque.

On peut, pour terminer, citer La dernièretournée du capitaine Patin de J. Pascaldont le manuscrit inédit a été déposé à labibliothèque de la rue Oudinot à Paris (le

texte présente la passation de service, enpays haoussa, entre un administrateur qui avécu quinze ans au Niger et son jeune rem-plaçant) et les souvenirs non publiés du co-lonel Robert le Roy sur le groupe nomadede Ngourti.

Les tableaux

Ce genre littéraire, parfois proche de lapoésie, a connu autrefois assez de succèsmais a presque complètement disparu au-jourd'hui. C'est l'équivalent littéraire d'unecarte postale artistique: présenter un pay-sage, une scène observée, un événement, encherchant à rendre une atmosphère et à sug-gérer une impression plus large. Quelquesœuvres illustrent ce genre: Le visage de labrousse de Pierre Bonardi en 1920, Tam-tam de mes nuits de Saint-Flores en 1931,Bêtes et hommes du Niger du général In-gold en 1953 ; ce dernier reprendra sontexte en le modifiant et le republiera, en1962, sous le titre Dans les hautes herbes.Il faudrait également citer un certain nombrede petits textes, répondant à la même défi-nition, publiés par Andrée Clair, entre 1963

et 1974, dans le journal « Le Niger ».

La poésie

L'ouvrage de Michel Perron, L'ère ni-gérienne, paru en 1926 et préfacé par M.Delafosse, est une épopée versifiée des évé-nements importants de l'histoire de l'Afri-que. Intéressent le Niger deux poèmes surles Peuls et Touaregs et surtout l'histoire ducaporal Kouby Keïta à Zinder qui, après le

massacre de Cazemajou et Olive reprit ledrapeau et le commandement des tirailleurs.

Plus près de nous, on doit mentionner lesnombreux poèmes, surtout pour enfants, pu-bliés par Andrée Clair dans le journal « LeNiger », entre 1963 et 1974, certains d'entreeux ayant été regroupés dans un recueil in-titulé Le babiroussa.

Parmi les Français dont des poèmes ontété publiés dans des journaux nigériens, onmentionnera Gérard Ferrant parce qu'il estsurtout l'auteur de la première Anthologiede la poésie nigérienne (1972).

Le théâtre

En 1905, François de Curel monte unepièce en 3 actes, Le coup d'aile: un desdeux protagonistes de l'affaire Voulet-Cha-noine aurait survécu au cœur de l'Afriqueet retourne en France avec le désir de rece-voir le pardon et l'hommage du « mondecivilisé ». Pour cela, il propose de donner àla France un nouvel empire africain. En finde compte, il retrouve sa fille naturelle lâ-chement abandonnée et s'engage dans la lé-gion étrangère!

En 1905, la pièce a été présentée unevingtaine de fois. En 1916, l'auteur a mo-difié le 3e acte mais la pièce fut interditepar la censure et ne put être jouée qu'enSuisse.

Au terme de cet inventaire succinct, quine prétend pas être exhaustif, on resteconscient de la difficulté à définir clairementcertaines catégories (celle de « souvenirs»par exemple) ou sous-catégories (principa-lement à l'intérieur du roman), cependant ilapparaît avec suffisamment de preuves àl'appui que, si marginale et limitée soit-elle,cette littérature francophone sur le Niger aune réalité certaine. Il conviendrait, au-delàd'un simple et nécessaire inventaire, d'enfaire avancer la connaissance par des ana-lyses de contenu et de forme. On pourraitainsi mieux la situer et l'évaluer. Une orien-tation possible, qui la sortirait de sa margi-nalité, consisterait à adopter une perspectivecomparatiste avec les thèmes et formes dela littérature écrite francophone des Nigé-riens. Les sujets ne manquent pas; en voiciquelques-uns:

L'administrateur vu par les uns et lesautres (à ce propos, on reconnaîtra que plu-sieurs Nigériens ne se sont pas limités à desquestions de race mais ont décrit de manièreanalogue les représentants du pouvoir,Blancs puis Noirs).

Les autres Blancs (militaires, commer-çants, enseignants, coopérants, etc.) et d'unemanière plus large l'image des deuxcommunautés à travers les deux littératures.

On peut confronter directement Sarraou-nia de Mamani Abdoulaye avec les diverstextes d'écrivains français sur la missionVoulet-Chanoine ; mais on n'oubliera pas

non plus que Jean Sermaye a lui aussi parléde la Sarraounia.

Si le thème du couple mixte est majeurdu côté français, il apparaît très souvent ducôté nigérien (par exemple dans 15 ans, çasuffît de Amadou Ousmane et Awa de Dji-bo Mayaki).

La question de l'environnement estabordée de façon différente selon les uns etles autres (le désert n'inspire pas tout lemonde de la même façon).

Des thèmes plus limités peuvent être en-visagés : ainsi le mythe de l'Atlantide, traitépar Ibrahim Issa est commun avec ses de-vanciers comme Guy Tirolien et Pierre Be-noît.

C'est probablement au prix d'un tel tra-vail d'analyse et de comparaison que cettelittérature cessera d'être marginale et trou-vera sa place.

Daniel MIGNOTet Jean-Dominique PENEL

Référencesbibliographiques

1863 VERNE Jules Cinq semaines en ballon Lac Tchad,Damergou,Agadez

1891 DUBARRY Armand Les tueurs de serpents Say, Est Niger,Bornou, Lac

1896 DEXLéo Vers le Tchad. Roman ésotérique Kaouar,Lac1897 DEXLéo Du Tchad au Dahomey en ballon Lac,Bornou1901 NIELLE Henri Mon roman au Niger Fleuve Niger1902 NOVILLEH.de Le trésor de Mérande PaysSonghaï1905 CURELF.de Lecoupd'aile

Voulet-Chanoine

1906 DEMAGEG. A travers le Sahara. Aventures Agadez, Zinder,merveilleusesdeMariusMercurin Lac Tchad

1909 BARRIEREMarcel La dernière épopée. Say,DossoLe monde noir

1913 CARPEAUX Louis Mon roman au Niger Fleuve Niger1919 MERINGOE.de Ma femme au Niger Niamey, Tahoua,

Tillabéry1920 BONARDI Pierre Le visage de la brousse1926 FAIVRELouis Toum Tessaoua1931 SAINT-FLORES Tam-tamde mes nuits1934 PEYREJoseph Sous l'étendardvert Air, Agadez1936 RICHE E. de Au pays de la peur Agadez, Ténéré1937 SERMAYEJean Barga maître de la brousse Arewa,Doutchi1937 ESMEJeand' Les défricheursd'empires Ténéré,Kauar1941 SERMAYEJean Bargal'invincible Arewa,Doutchi1944 FILLIEUXClaude L'âmedeSirréSomba NordNiger1945 SAUTYLouis Ténéré. Roman fantastique Ténéré91949 THIELLEMENTAndré Azawar Tamesna,Azawak1953 INGOLD Général Bêtes et hommes du Niger Fleuve, Kaouar1954 CARL Louis et Lavilledesel Séguédine

PETIT Joseph1955 CHERYCh. La grande fauve Zinder,Diffa1961 LE RUMEUR Guy L'imprévu dans les dunes NordNiger1962 INGOLD Général Dans les hautes herbes Fleuve, Kaouar1972 CERVON Jacqueline Le tambour des sables Tamesna1974 DESOMBRE Stéphane L'atlantideduNord Nguigmi1977 TIROLIEN Guy Feuillesvivantes au matin1978 PERSYNRené LesTalakas Tessaoua1978 SIMARTH. L'arbre du Ténéré Niamey

1980 BELLONCLEGuy L'hivernage Niamey,payshaoussa

1987 CHAPELLEJean Souvenirs du Sahel Zinder, Nguigmi1991 CLAUXMichel TonBlancarriveaveclecourrier Filingue,Doutchi1991 JARIG Isabelle Voyageau Ténéré Ténéré

Les sources de la parole

Aux sourcesde la littérature orale:

* « Beaux parleurs et maîtres de la parole»

Fatimata MOUNKAÏLA

Décrivant la vision dioula de la litté-rature orale, Jean Derive note quecelle-ci repose sur deux critères essen-tiels :

le critère d'anciennetéqui fait de laparole littéraire une tradition et un pa-trimoine ;

• la nécessité d'un décodage autreque linguistiquequi suppose à la mêmeparole un sens profond non directe-ment lié à la communication quoti-dienne (1). Or, il en va, semble-t-il, demême pour le locuteur songhay-zarmaqui, lorsqu'il cite un texte littéraire nese réfère qu'à l'habitude que ses conci-toyens ont « de dire. » et à l'art que leschampions du verbe ont « de dire. »eux aussi, comme s'il était certainqu'on ne répète que la parole que l'ef-fort et la réussite esthétiques ont ren-

due digne de traverser l'espace et letemps, digne d'être redite donc. La pa-role qui ne possède pas ces qualités-làn'est que du vent avec lequel elle s'enva et se perd d'ailleurs. La parole afri-caine bien dite et dans la circonstancequi convient, donne accès à presquetout, et permet de dénouer quasimenttous les problèmes, mais celle mal dite,la méchante parole, donc, peut fairetrès mal, si mal que la marque qu'elleimprime sur l'individu ou le groupedemeurera toujours.

Or la parole littéraire comme les autres,est faite de mots; et les mots sont, commel'écrit Jean-Paul Sartre, « despistolets char-gés » (2). Voilà pourquoi il importe de neles manier qu'avec circonspection et pru-dence ; et voilà pourquoi la parole est ici

objet d'un apprentissage et d'un entraîne-ment:

- dans des écoles formalisées pour la lit-térature de tradition et les professionnels;

- à la maison et dans les innombrablesfoires du verbe de tous niveaux que la so-ciété met en place pour la formation de sesmembres.

La momie et ses interprètes

Il existe chez les Songhay-Zarma commedans toute l'Afrique de la savane et du Sa-hel, une littérature immémoriale sans auteur,ou dont les auteurs se perdent avec les an-cêtres dans la nuit des temps. Cette littéra-ture, en raison même de son ancienneté,exige d'être restituée, identique à elle-mêmeà chaque prestation, étant entendu qu'elle aacquis depuis longtemps sa meilleure formeet quelquefois son contenu. C'est la momie!faite de textes sacrés ou sacralisés, agencéspour résister à l'épreuve du temps et auxfaiblesses de la mémoire, et qui ne peut enconséquence accepter que des interprètes.C'est sur son corps que se disputent aujour-d'hui ses dépositaires traditionnels (griotshistoriographes et généalogistes, prêtres desreligions indigènes et initiés divers) et sesdépositaires nouveaux (lettrés musulmans,transcripteurs-traducteursdes universités etinstituts de recherche en toutes sciences).Les premiers asseoient leur légitimité surleur antériorité dans la fonction; les se-conds, forts du prestige que leur confère lamaîtrise de l'écriture, s'affirment seuls aptesà sauver un patrimoine que tous disent enpéril.

(I) Jean Dérivé: « Lefonctionnement sociologiquedela littérature orale:l'exemple des Dioula de Kong (Côte-d'Ivoire) ». Paris, La Sorbonne-Nouvelle (Paris III),1986.

(2) Jean-Paul Sartre: « Qu'est-ce que la littérature »,Paris, Le Seuil.

(3) Hale Thomas Albert, « Scribe, Griot, and Novalist,Narrative Interpretersofthe Songhay-Empire», Gaines-ville, UniversityofFloridaPress, 1990.

Les vétérans

Griots historiographes et généalogistes

« Djaassare » songhay-zarma, « gesere »soninkés, « jeli » mandingues, « maabo »peuls, « madu mannama », kanouris rem-plissent partout les mêmes fonctions d'ex-plication et de justification des situationspolitiques. Mythes et légendes d'origine,épopée et généalogie sont leur apanage. Ilssont la mémoire du peuple, et surtout celledu pouvoir aux côtés duquel ils se rangenten toute circonstance. Quand le futur empe-reur Askia Mohammed, selon une traditionen cours au Niger (3), abat son oncle pours'emparer du pouvoir, le « jasare », le pre-mier, prend la mesure de l'événement etproclame:

« Mohammed Askia, fils de KassaïQui s'est fait seul, sans l'aide de per-

sonne»devant l'assemblée de notables qui enté-

rine le fait. Les historiens pourront long-temps disserter sur l'authenticité del'événement, leur doute n'entamera en rienl'admiration du littéraire devant ce conden-sé, véritable spot publicitaire avant la lettre,dont la réussite est telle que les griots le ré-pètent tel quel, depuis quatre cents ans

Les prêtresCeux, adeptes de la religion traditionnelle

songhay-zarma peuvent se répartir en troisgroupes:

- les « sorko » : pêcheurs et amis desgénies du fleuve, les sorko sont seuls habi-lités à réciter les devises des « tooru », fi-

gures magistrales du panthéon traditionnel.Aucun « ziima » (prêtre-médecin-psychia-tre) ne se hasarderait à flatter Dogno (maîtrede la foudre) en présence d'un « sorko » ;

- les « ziima » : officiant continuelle-ment pour les génies, le « ziima » auraittoute latitude pour chanter les autres figuresdu panthéon, qui possèdent chacune ses in-signes et ses textes;

- les « sonancé », enfin, que nous asso-cions à ce groupe sont les rescapés de l'il-lustre dynastie des Sonni du Songhay.Moitié prêtres, moitié magiciens (en raison

de cette ascendance), ils possèdent le pou-voir de réciter des textes qui protègent lesjeunes enfants notamment, contre les entre-prises des « sorciers mangeurs d'hommes »,croque-mitaines de tous âges qu'ils traquentinlassablement.

Les initiés des sciences et techniques

C'est l'ensemble de ceux qui possèdentles sciences et les techniques auxquelles ilsaccèdent toujours par une littérature ésoté-rique. On trouve, dans ce groupe, quasimenttous ceux qui font profession de quelquechose: des chasseurs qui accompagnent deleur récitation la cuisson du poison pour lesflèches, des forgerons qui louent le métal enfusion, des pêcheurs sorko qui rappellentdans les termes le pacte qui les lie aux gé-nies du fleuve, des guérisseurs qui saventdire le texte antidote des causes des mala-dies, etc.

Les nouveaux dépositaires

Les lettrés musulmansIl a sans doute existé depuis longtemps

une chronique occasionnelle des cours del'Afrique médiévale, faite par des gens depassage ou en tous cas, en dehors du pou-voir; mais c'est le succès des tavikh sou-danais qui semble avoir installé lesmarabouts dans l'idée que le contrôle de latradition littéraire devait leur revenir aussi.Il est vrai que leur mainmise sur la traditionconstitue une arme efficace dans l'entreprisede création d'une classe politique dominanteà laquelle ils participent depuis de nombreuxsiècles (4).

Les transcripteurs-traducteurs:Les mutations sociales, les ouvertures in-

duites par les nouveaux développements dessciences humaines ont poussé au-devant dela scène une nouvelle race de dépositairesdes textes oraux et littéraires. Ce sont lestraditionnalistes d'aujourd'hui qui, pour desraisons nombreuses et quelquefois contra-dictoires, se retrouvent au coude à coudepour recueillir, transcrire, traduire et désor-mais critiquer la littérature orale africaine.

Privilégiant inévitablement quelques textes,ils deviennent la référence qui tuera imman-quablement les autres versions. Et, qui pour-ra dire si dans l'avenir les seuls « maîtresde la parole» ne seront pas ceux-là, à l'ex-clusion de tous les dépositaires mentionnésplus haut. Heureusement, il nous resterasans doute et toujours des « beaux par-leurs », créateurs infatigables de littérature !

La littérature vivante et ses créa-teurs

Autour de la momie et sur le terreauqu'elle nourrit, existe depuis toujoursunelittérature vivante qui laisse libre cours à lacréativité. Elle offre un champ de créationcontinue aux professionnels de la précédentelittérature et à tous les amateurs.

Les femmes pour l'éducation de base

Peu représentés en tant qu'interprètes, sil'on excepte le domaine de la religion tra-ditionnelle où elles sont prêtresses à égalitéavec les hommes, les femmes excellent parcontre dans la littérature quotidienne.

« Qu'est-ce qui se trouve caché dans lenœud de la bande-ceinture de ton pagne?fait demander Boubou Hama à la femmesonghay-zarma (5) qui répond: « L'essencedu verbe» ! à croire qu'il y a toujours untexte littéraire en gestation dans ce mysté-rieux nœud, sac à main de la femme afri-caine. Quoi qu'il en soit, c'est à ellequ'incombe la première éducation de l'en-fant et sa première culture littéraire. Déjàdans le giron de sa mère et des substituts decelle-ci, il apprend en poèmes cadencésqu'il est le plus beau des bébés, à la contem-plation duquel on oublie l'urgence destâches ménagères.

« Cebon dijo«miroir du giron

ce bon wura or du gironhaabo si bindi le coton ne peut se carderkongo si kay» et les feuilles de palmier

ne peuvent plus se tresser»

Plus tard, on lui enseignera l'idéal del'homme songhay-zarmaà travers devises etcontes que l'on n'hésite pas à adapter pourlui.

Les classes d'âge

Associations de jeunesse et organisationsdes femmes offrent des terrains privilégiésde création littéraire. Ici, on crée des poèmesà chanter pour son bien-aimé, mais égale-ment pour le jeune homme, la jeune fille, lafemme de l'homme ayant fait preuve detelle ou telle qualité. C'est là que se créentet se disent les chants pour le travail, leschants nuptiaux, etc.

(4) Rey Pierre Philippe, « Les classes sociales en Afri-que de l'Ouest de 750 à 1600 ». Texte communiquéparDiouldé Laya.

(5) Hama Boubou, « L'Essence du Verbe », Niamey,Celhto,1989,p.5.(6) ZumthorPaul, « Introduction à la poésie orale »,

Paris, Le Seuil,1983, p. 10.

Les vieillards

Les vieillards sont des sources toujoursdisponibles, qui dégagés des corvées quoti-diennes, peuvent mettre leur expérience,leur mémoire et leur imagination au servicede la création littéraire.

Les griots ambulants

Les griots ambulants vont de marché enmarché, de maison en maison, de cérémoniesocio-culturelle en cérémonie socio-cultu-relle animer les diverses manifestations,sontinstructeurs, amuseurs, moralistes à l'occa-sion.

L'ensemble des créateurs ci-dessus men-tionnés se meut dans une littérature dont ladynamique est attestée par le renouvelle-ment et l'actualisation continuels des thèmeset des formes. Tous les sujets y passent: lapolitique et l'économie, la religion et lesmœurs en termes très durs quelquefois,grâce au décryptage auquel se livre encorelargement l'auditoire. Cette littérature-làreste ouverte aux « beaux parleurs », ceuxqui auront toujours leur place dans la sociétéparce qu'ils savent « faaji kaaray; faakaa-ray », animer la conversation et le cercle,et chasser la solitude.

Quand la nuit tombe en poussière.

Finalement, on peut dire que dans l'en-semble la littérature orale a encore de nom-breux beaux jours devant elle, et ses sourceségalement. Paul Zumthor se référant aujournal « Le Matin» du 16 avril 1981 (6)rappelle « qu'il se compose chaque annéeen France dix mille chansons, livrées à troismille chanteurs de profession» ! Et au Ni-ger donc? serait-on tenté de demander. Lalittérature vivante et ses créateurs se portentbien. Quant à la momie qui, sous les coupsdes mutations sociales et culturelles finirapar faire ce que font toutes les momies,c'est-à-dire tomber en poussière, elle conti-nuera encore longtemps à ensemencer et ànourrir les nouvelles créations.

Fatimata MOUNKAILAUniversité de Niamey

L'éducationà travers le conte

*dans la société zarma-songhay

Mariama HIMA

Après un rude combat, les fonda-teurs de l'École des Annales ont réussià imposer une vision multidimension-nelle des sources de l'histoire, rempor-tant ainsi une victoire sur leursadversaires positivistes qui n'accep-taient que l'écrit comme uniquesource.L'issue de ce combat clarifie notam-ment la situation de l'Afriquejusque-làconsidérée comme un continent « ahis-toire » parce que « sans écrit ».

En conséquence, c'est à juste titre que lessociétés traditionnelles africaines sont qua-lifiées de sociétés de tradition orale ou so-ciétés de l'oralité. L'oralité se définit par desformes d'expression variées: proverbes,dictons, récits, légendes et. contes.

Ici, nous allons nous intéresser au conte,singulièrement à travers la grand-mère, sadétentrice dans la société Zarma-Songhay.Dans cette société comme ailleurs dans pres-que toutes les sociétés de tradition orale,« les femmes constituent un élément mineursoumis à des institutions masculines ».

Pourtant, elles sont des valeurs par excel-lence, à la fois du point de vue biologiqueet social, sans lesquelles la vie n'est pas pos-sible. La grand-mère est, partout et danstous les temps, ce personnage caractérisé parune grande tolérance, une expérience hu-maine qui en fait la « bibliothèque fami-liale ». Elle occupe une place de choix dansla conservation des valeurs traditionnellesdans la société zarma. La fonction de grand-mère s'obtient dans cette société en vertu del'âge (mûr mais serein), de la descendance(nombre de générations), des qualités et del'engagement sociaux. Ces différentesconditions permettent à la grand-mère d'êtrenon seulement conservatrice de la traditionmais aussi médiatrice indispensable à l'édu-cation sexuelle de ses petits-enfants avantleur mariage; car en dehors du forgeron, dugriot, elle est la seule habilitée dans la fa-mille à parler ouvertement de sexe aux en-fants. Aussi, les enfants se saisissent-ils dumanque de barrière qui existe entre elle eteux pour poser toutes sortes de questionsimpudiques. La grand-mère se plaît d'y ré-pondre avec force détails.

Au plan pratique, la grand-mère apprendà ses petits-enfants les techniques d'usage

courant tel que l'allumage d'un feu de boisqui commence par la bonne disposition desmatériaux nécessaires.

Au plan social, elle aide l'enfant à déchif-frer une visite impromptue, un décès, unmariage. une séance de « Holley-Ho-ri » (1) tout en assurant son gardiennage.

Enfin, au plan spirituel, elle aide l'enfantà déchiffrer quantitativement les faits, c'est-à-dire à apprécier les choses en fonction desrecettes qu'il a faites à leur sujet. Ceci ex-clut en quelque sorte l'esprit du jugementpar analogie.

Somme toute, voilà un personnage qui, apriori, apparaît comme obscur parce que trèssouvent aussi archaïque que les temps qu'ila vécus mais qui joue un rôle déterminantdans une société acquise à l'oralité, mêmesi l'écrit persévère dans ses conquêtes quo-tidiennes. Il y a lieu de s'interroger sur sonmoyen d'action. C'est ici que le conte s'im-pose.

Le conte, une production sociale

Pour parodier D. Paulme, « le conte estune production sociale; chacun est produc-teur et consommateur; chacun est à volontéauditeur et orateur ». Malgré le caractèrepopulaire que laisse sourdre cette assertion,il n'en demeure pas moins qu'il faut avoirun capital d'expériences et de talents pourexercer la fonction de conteur. Ce capitalest détenu dans la société Zarma-Songhaypar la grand-mère qui, « lorsque survinrentles civilisations orageuses, tempéreuses,portées par des artisans de ruines, pressésde tout niveler sur leur passage, le soir aucoin du feu, de sa voix calme et sereine,nous déballait les trésors du passé. »Connaissant le talon d'Achille de son audi-toire, la grand-mère prend tous ses airs, ef-filoche et « assaisonne» son style, à telleenseigne que quand elle exerce son art« chacun écoute émerveillé, les prouessesou les ruses du lièvre et de l'araignée qui,

(1) Rite en l'honneur des génies et des ancêtres setraduisantpar des chants et danses d'incantation et depossession; pratique très répandue chez les Zarma-Son-ghay.

tous deux, savent se jouer de la force bru-tale opposant mentalité libre à mentalitéfaite de bassesse».

Or, en Afrique comme ailleurs, dans lescontes, les animaux sont assimilés auxhommes. Ils n'ont d'animal que leurs nomsrespectifs car les rapports qu'ils entretien-nent sont des rapports entre humains. Sousle couvert du lion, du lièvre, de l'hyène, del'araignée, le conteur, la grand-mère, pré-sente des institutions et des comportementssur lesquels chacun peut s'exprimer libre-ment.

La grand-mère a le plus souvent l'habiletéde conclure ses contes soit de façon tragique(ce qui arrive aux personnes désobéissantespar exemple) soit de façon paradisiaque (casdes obéissants). Bref, le conte, privilège dela grand-mère dans la société Zarma-Son-ghay, est, pour cette société, un excellentmoyen didactique.

A travers lui, l'enfant apprend à déchif-frer les réalités de son environnement et àappréhender les situations énigmatiques. Ilarrive à comprendre que tel comportementprocède de celui de l'hyène; d'où il porteen lui les germes d'unepunition plus quecertaine.

Le conte, gardien de l'ordre social

La grand-mère apprend aussi à l'enfantde par la morale qui se dégage de certainscontes, le respect du droit d'aînesse, de lahiérarchie, des institutions et des valeurs sa-cro-saintes de la société. Elle le met engarde contre les interdits avec des expres-sions imagées telles que: « c'est depuis cejour que tel animal est dans telle situationqui ne l'honore pas, etc. ».

En règle générale, suivant la manière dontle conte est raconté, il s'en suit une partiede questions-réponses car les petits-enfants,se sentant plus ou moins caricaturés, veulenten savoir plus. Chacun pose donc des ques-tions à grand-mère soit pour s'assurer si telcomportement qu'on juge proche du sien estmauvais, soit pour se moquer du cousin quien a eu pour son compte. Dans ses réponses,grand-mère use au maximum de son talentpour railler les petits-enfants ayant des

comportements grossiers ou bien pour met-tre dans ses grâces ceux d'entre eux qui seconduisent bien. Elle fait tout pour rappelerles liens qui unissent les différentes famillesd;ariimaux par des formules imagées quis'appliquent pratiquement au collectif despetits-enfants qu'elle a devant elle. L'objec-tif ici est que la leçon du jour soit comprisede tous et qu'on se quitte sans bagarre, dansla communion familiale.

Au regard de ce texte, il serait incorrectde soutenir certaines thèses fantaisistes et àla limite partisanes visant à subordonner latradition orale à l'écrit. Le conte, un élémentparmi tant d'autres de l'oralité, est, au mêmetitre que le meilleur chef-d'œuvre littérairede morale, riche d'enseignements. Il fut,bien avant l'implantation de l'école corani-que et de l'arrivée de la civilisation hellé-nistique en Afrique, un outil d'éducation desjeunes par excellence. Cependant, sansl'existence de son « cheval », pour emprun-ter ce terme au monde ésotérique, c'est-à-dire la grand-mère, il serait inerte.

Le rôle unique de la grand-mère

En effet, l'enfant passe d'abord par l'é-cole de la grand-mère et c'est là qu'il reçoitl'Afrique telle qu'elle l'a reçue et enrichiede ses propres expériences, de ses proprescréations.

L'identité culturelle de l'Afrique (aujour-d'hui à l'ordre du jour) est confortée engrande partie par ces « obscures femmes dufond des cases qui ont passé leur temps àenseigner, consoler et distraire les tout-pe-tits et même les grands. »

Dans l'Afrique traditionnelle, la médecineinfantile, (la pédiatrie) ainsi que la gynéco-logie sont du ressort quasi exclusif de lagrand-mère. Les soins aux tout-petits, leuréducation, leur formation spirituelle, tout estdu ressort de la grand-mère.

La grand-mère c'est, pour conclure, d'a-bord le savoir, l'âge, l'esprit. Comme le sou-ligne si bien Seydou Badian, « une vieillequi ne sait pas autant de choses qu'une sor-cière n'a pas été fécondée par les ans ».

Mariama HIMA

Les chantsde chasseurs haoussa

Kélétigui A. MARIKO

Les chants de chasseurs, les dithy-rambes, panégyriques, récits épiques,ayant pour thèmes la chasse, les ex-ploits et la vie de chasseurs célèbres,font partie du patrimoine culturel lé-gué par les ancêtres, au même titre queles mythes, les légendes, et toutes lestraditions et croyances anciennes etleurs survivances.

Au même titre que toutes les professionsexercées par les haoussawa, la chasse, soustoutes ses formes, individuelle ou collective,a une histoire, des mythes, des légendes, desrécits merveilleux qui mettent les hommesen présence de génies, d'êtres surnaturels,de monstres humanoïdes comme les ogresou les lutins, capables de favoriser le chas-seur honnête et respectueux de la pure tra-dition africaine de la chasse utilitaire, ou, aucontraire de compromettre la carrière dumauvais adepte de Namaroudou (Nemrod,en haoussa).

Comme l'agriculture, le pastoralisme, laforge, la pêche, le négoce, le tissage, la ma-çonnerie, la teinturerie, la boucherie, lachasse était pratiquée, dans le pays haoussa,en véritable profession, toute la vie durant,entourée de secrets et de pratiques ésotéri-ques. Car, autant que les humains, le gibieren général, les fauves et les grands rumi-nants en particulier, sont censés être douésdu mauvais œil, de la capacité de lancer lemauvais sort, de frapper le chasseur de sté-rilité, de folie, de paralysie, de cécité, etc.

C'est pour toutes ces raisons et pour biend'autres encore, liées aux croyances an-ciennes dont les superstitions et certainespratiques quasi-religieuses sont les survi-vances, que seuls les hommes aguerris, ini-tiés aux pratiques ésotériques, détenant dessecrets protecteurs, pouvaient prendre lachasse comme profession. Et pour toute unevie. Les traditionnistes de la chasse le disentbien, à travers leurs conseils aux novices:« La brousse inculte n'est pas la cour de laconcessionfamiliale. Elle a ses maîtres, lesgénies et les esprits, et ses habitants, visibleset invisibles, petits et grands, bons et mé-chants. Comme le lion, l'éléphant, le buffle

ou le léopard sournois aux yeux phospho-rescents, le petit scorpion, blanc ou noirpeut tuer, le serpent peut tuer, les abeillespeuvent tuer. Une souche d'arbuste peutprovoquer une fracture, une flaque de bouegluante peut faire glisser et tomber le chas-seur qui ignore les traquenards de labrousse. Que le chasseur s'égare dans labrousse est compréhensible. Nul n'est infail-lible. Mais qu'il ne cherche pas le cheminet la direction du village ou de son campe-ment est intolérable. »

Ainsi, à travers les chants, les récits hé-rités des anciens, les historiens de la chasseperpétuent les traditions millénaires qui fi-rent des chasseurs les premiers guerriers, lesprotecteurs des collectivités, les pour-voyeurs en venaison, les héros civilisateursqui domptèrent les génies et les fauves, pa-cifièrent les brousses jadis incultes pour enfaire des établissements humains.

Les sociétés haoussa conservent les sou-venirs et les traditions des ethnies et des cor-porations de chasseurs.

Le folklore des chasseurs du pays haous-sa, comme tous les folklores des peuples sa-héliens, est très riche en chants,dithyrambes, panégyriques, récits divers,louanges, mythes et légendes qui perpétuentles souvenirs des grands chasseurs, desgrands maîtres de la brousse inculte. Car lesmusiciens-poètes, paroliers des chasseurs etde la chasse, ne parlent que de ceux qui ontlégué un gand nom, un souvenir inoubliable,

Les ethnies de chasseurs, connues sous lenom de « Kabiloun Mahalba » habitaient le Sa-hel, la Mauritanie(avecles Némadi),àlaboucledu Niger (avec les Gaw), au pays haoussa (avecles Mahalba), au bassin du lac Tchad (avec lesMagouzawa, les Kérébinadu Bornou). Les ma-halba du pays haoussa étaient des hommesrouges du néolithique. Leurs ethnies ontcomplètementdisparu aujourd'hui.

A la place des ethnies des chasseurs, ontrouve, de nos jours, des associations ou descorporations des chasseurs dont les membresviennent de divers groupes ethnolinguistiques.La principale condition pour appartenir à cesassociations est l'initiation et la détention desecrets qui font du chasseur un magicien, unhomme redoutable, un homme dont il ne fautjamais se moquer.

un nom, un exploit dignes d'être retenus ettransmis à la postérité. En somme, des hérosdont les exploits surhumains se confondent

avec les merveilleux récits des mythes et deslégendes, racontés le soir, au clair de lune

ou à la lueur de feux de bois par les conteursspécialisés, narrant, chantant, mimant lesfaits et les gestes du gibier et du chasseur,imitant la danse des maîtres de l'arc et des

flèches mortelles, après les dures épreuvesd'une campagne cynégétique fructueuse.

Un chant de chasseurs haoussa ac- 0

compagne et complète cet article.

Docteur Kélétigui A. MARIKOVétérinaire en retraire

Lechasseur

Et le chasseur? me demanderez-vous?Ah ! voici l'élu entre tous,

Le benjamin,l'enfant surdoué,

Le maître de la brousse inculte,

Celui qui parle et qui comprend

Tous les messages de la nature,Des hommes, des animaux, des végétaux,

Des vents, des génies, des esprits, des mi-néraux !

Voici le maître de l'arc et des archers!Celui qui parle à la flèche et au poison,

Celui qui appelle le gibier et l'abat,Sans le faire souffrir, outre-mesure,Ou, au contraire, le rend invisible

A l'adversaire, à l'égoïste, au gourmand,

Celui qui détient tous les secrets desbêtes,

Qui connaît les divinités et les interdits

De la chasse, l'activité réservée

Aux braves, aux bons, aux patients.

Et aux loyaux serviteurs de la société.

Le chasseur, le maître de l'arc et du poi-sonEst le bouclier, le protecteur de la col-lectivité,

Du village, des champs, des troupeaux,Des enfants, des femmes, des hommes.

Il comprend les messages des astres.

Et les traces sur terre de l'araignée etduchacal,Parce que les secrets du ciel sont lesmêmes

que ceux d'ici-bas, de la terre nourri-cière.

Le langage des chasseurs est aussi clair

que le lait frais ou l'eau de source.Mais, pour le profane et l'ignorantIl est aussi obscur que l'inconnu,

Aussi sombre que la tombe fermée,

Aussi lourd que la montagne.Aussi hermétique que le regard fermé

Et sans expression du sphinx

Qui ordonne, impératif, à l'homme:« 0 homme, connais-toi toi-même! »

Le chasseur, le maître de la brousse in-culte,

De l'arc, des flèches et du poison

Est le grand maître de l'inconnu,

Qui parle tous les langages de la nature,Comprend les messages des oiseaux,

Déchiffre toutes les traces desfauves,

Et s'oriente la nuit, grâce aux étoiles

Dont il interprète les mouvements.

Texte recueilliet transcritpar K.A. MARIKO

Le théâtre en languesafricaines au Niger

Chaïbou DAN INNA

Comment expliquer l'obscuritédanslaquelle le théâtre nigérien est confinéalors qu'il est d'une extraordinaire vi-talité ? Cela tient, à notre avis, à deuxraisons: il se démarquedu théâtre afri-cain « classique» tel qu'il est habituel-lement pratiqué à Dakar, à Brazzavilleou à Abidjan car ce n'est pas un théâtred'auteur et il n'est pas, en grande par-tie, francophone. Des œuvres dramati-ques francophones existent, mais ellesrestentminoritaires.

Il y a donc deux types de théâtre qui exis-tent au Niger, menant des existences paral-lèles. Tandis que l'un est populaire, l'autrereste l'apanage d'une minorité, celle quiparle le français et qui vit majoritairementdans les villes.

Dans sa forme, le théâtre en langues na-tionales a été grandement influencé par le

théâtre occidental. Il est en effet fort éloi-gné, même s'il partage avec elles quelquespoints communs, des formes traditionnellesde théâtralité africaines.

Dans la ligne du théâtre occidental

L'influence du théâtre occidental s'est ré-pandue grâce aux activités théâtrales desscolaires pendant les vacances depuis l'épo-que de l'Ecole normale William-Ponty. Pen-dant les grandes vacances, la veille des fêtesnationales, le 14 juillet puis le 3 août, desreprésentations, essentiellement en français,étaient réalisées par les collégiens et les ly-céens dans les grandes villes du pays. Puisil y eut l'institution, avec l'indépendance, dela Semaine nationale de la Jeunesse quifamiliarisera les populations rurales ou se-mi-citadines avec le théâtre: des compéti-tions étaient organisées entre les différentesvilles du pays avec des éliminatoires entreles troupes des villages d'un même arron-dissement, ce qui permit de recruter des ac-teurs parmi les jeunes non scolarisés.Progressivement, les pièces qui étaient es-

sentiellement en français utilisèrent les lan-gues nationales au point que, depuis1975/1976, les pièces théâtrales en françaisau Festival de la Jeunesse, des Arts et de laCulture constituent l'exception.

Il faut aussi dire que le développement duthéâtre en langues nationales résulte de l'in-fluence positive de quelques hommes: d'a-bord de quelques animateurs de radiocomme Sani Na Haoua, Hadjia Délou à Zin-der, Hima Adamou Dama-Dama et Alfazazià Niamey et ensuite d'André Salifou quicommuniqua son amour du théâtre et saflamme à des enseignants tels que Yazi Do-go, Abdou Louché, Oumarou Neïno qui sontaujourd'hui de véritables vedettes nationalesen matière de spectacle. Comme le dit YaziDogo dans l'interview qu'il a accordée àDominique Pénel dans Rencontre, c'estgrâce à André Salifou pour les besoinsd'une pièce historique, Tanimoune, qui re-présentera d'ailleurs le Niger au Festival pa-nafricain d'Alger en 1969, qu'il s'adonna authéâtre.

Le théâtre en langues nationales

Aujourd'hui, le théâtre nigérien en lan-gues nationales est connu et aimé de tous.Se jouant essentiellement en hausa et en zar-ma, il a une audience transnationale surtoutavec les pays africains qui partagent avec leNiger les mêmes langues véhiculaires: leMali en ce qui concerne le zarma-songhaï,le Nigéria, le Tchad pour le hausa, sanscompter les fortes communautés immigréeshausaphones de Côte-d'Ivoire, du Togo, duSoudan et d'Arabie Saoudite. Les pièces ra-diophoniques sont régulièrement suivies surles ondes, les dramatiques télévisées sontenregistrées en vidéo-cassettes et traversentles frontières.

Il faut dire à ce niveau que l'acceptionque le public nigérien a du théâtre est assezlarge. Elle dépasse la conception étriquéequi ne définit le théâtre que comme piècereprésentée sur scène, devant un public quiassiste à l'exposition d'une intrigue, à sondéveloppement et à son dénouement. Lethéâtre est aux yeux du public nigérien aussibien scénique que radiophonique ou télévi-

suel. Ainsi, la troupe de Yazi Dogo ou cellede Sani Na-Haoua de Zinder joue indiffé-remment sur ces tableaux. C'est d'ailleurscette utilisation des médias qui a permis lesuccès du théâtre populaire en langues na-tionales en le transportantjusqu'au fond descampagnes nigériennes car, en fin decompte, on trouve toujours dans le théâtreradiophonique comme dans le théâtre télé-visuel ce qui fait son essence: l'imitationde la vie, la représentation de la vie, mêmes'il n'y a pas contact physique, contiguïtéspatiale entre acteurs et spectateurs.

Les acteurs du théâtre en langues natio-nales ne sont pas des professionnels du théâ-tre, bien que certains d'entre eux y aient étéamenés par leur profession: c'est le cas desanimateurs de radio Sani Na-Haoua, HimaAdamou et Alfazazi. Les autres sont ensei-gnants, postiers, agriculteurs ou sans profes-sion fixe. Les troupes ne sont pas toujourspermanentes, même si on y trouve desnoyaux durs qui sont l'âme de la troupe etqui constituent son ossature. Les troupes re-crutent en effet à l'approche des festivals oumême pendant la morte-saison. Quand unhomme arrive, se disant intéressé par ce quefait la troupe, il n'est jamais rejeté. Il

commence par de petits rôles et, en fonctionde son talent, il peut devenir un pilier de latroupe jusqu'au jour où il décide de la quit-ter. C'est de ces « noyaux durs» que latroupe tire souvent sa dénomination:(Troupe de Yazi Dogo) quand ce n'est pasde la structure dont elle dépend: troupe duC.C.O.G., troupe de l'O.R.T.N. de Niamey,troupe de l'O.R.T.N. de Zinder, etc.

Que gagnent ces troupes? Comme à l'ac-coutumée et sous toutes les latitudes, la viede l'artiste n'est pas facile. Les gains sontdérisoires, qu'ils viennent des entrées lorsdes représenations scéniques ou des hono-raires payés par la Télévision nationale.Mais une évaluation du gain en monnaiecourante et trébuchante ne reflète pas la réa-lité : il yale plaisir d'être ensemble, la no-toriété, etc. J'ai une fois participé à uneréunion avec quelques acteurs de la troupede Yazi Dogo : quand ils sont ensemble,même hors des planches, ils s'amusent et jecrois que c'est un de leurs secrets: le théâ-tre pour eux est un divertissement, on prendplaisir à plaisanter, à jouer avec les mots.

Des créations collectives

Car les créations du théâtre populaire sontcollectives. Il n'y a pas de pièce écrite àl'avance, dont on apprend le texte par cœuret qu'on récite. Le théâtre est création vi-vante qui résulte, certes, d'un travail mais

sans que l'acteur soit prisonnier d'un carcan.La troupe se réunit pour discuter et trouverun thème. Collectivement, une idée généraleest trouvée, en relation parfois avec l'actua-lité sociale et politique du pays. Dès que le

thème est retenu, les grandes lignes de l'ac-tion et les principaux personnages connus,on passe à la répétition en faisant confianceà la verve satirique et à l'éloquence de cha-

cun. Les meilleures trouvailles sont consi-gnées pour ne pas être oubliées. Et c'estainsi que la pièce se constitue, l'un des ob-jectifs poursuivis par la troupe étant de faireréfléchir et de divertir.

Éviter le didactisme

C'est justement pour faire prendreconscience de certains problèmes sociauxqui minent la société que les principauxthèmes du théâtre populaire ont trait au ma-riage et à la vie conjugale, à la religion etau charlatanisme, à la corruption des pou-voirs publics, à la malhonnêteté descommerçants, à l'infidélité des femmes, à laprévarication et à l'inconduite de la jeu-nesse.

Parfois, les pièces de théâtre ont leurssources d'inspiration dans la littérature oraletraditionnelle, notamment les contes. On aainsi vu la troupe de Yazi Dogo interpréterde nombreux contes tirés de Magana Jaricee, recueil de contes rassemblés par l'écri-vain nigérien hausa Aboubacar Imama.D'autres fois, c'est l'actualité qui les inspire,que ce soient les faits divers ou les événe-ments politiques. On a même vu quelquestroupes mettre au service de la politiqueleurs talents: en 1987. au moment de la po-pularisation de la Charte nationale et en1989 quand il s'est agi de voter la Consti-tution, des sketches télévisés hautement co-miques ont permis d'expliquer ce que ladémocratie n'est pas, en évitant l'écueil dudidactisme et du moralisme.

En effet, le théâtre en langues nationalestire sa force de la conception qu'il a du théâ-tre : celui-ci est considéré avant tout commeun divertissement qui, même quand il doitaborder des problèmes sérieux, doit le fairede manière plaisante.

La place du rire

Le rire y occupe ainsi une place cardinale.Comique de situation, comique des gestes,comique des mots surtout, rien n'est mis decôté pour parvenir à détendre l'atmosphère.La parole dans le théâtre en langues natio-nales est faite pour plaire: surtout quandelle est mot d'esprit, proverbes ou répliquecinglante. Le public prend un grand plaisirà écouter la virtuosité verbale des auteurs.Le proverbe montre en effet l'intelligencede celui qui l'emploie et sa connaissance dela culture de son milieu. « La parole indi-recte » permet de frapper l'adversaire par ri-cochet, sans en avoir l'air. C'est une figurede rhétorique centrale dans la vie socialeafricaine et surtout dans les situations deconflit (querelles dans les foyers polygamespar exemple) où on se fait la guerre à fleu-rets mouchetés.

L'enracinement

Le théâtre en langues nationales doit ainsison succès à la communion qui le lie à sonpublic. Il utilise certes une scène résultantd'une influence étrangère, mais ce qui y estdit, ce qui y est fait est profondémentenra-ciné dans la culture nationale. Le public sereconnaît dans les proverbes, dans lescontes, dans les mythes, dans les situationsqui y sont mises en scène. Spectateurs, ac-teurs, personnages, sont imprégnés de lamême culture, ont les mêmes références cul-turelles, religieuses et linguistiques. Il n'y apas le divorce qu'on remarque entre le théâ-tre africain de langue française et son public.

Chaibou DAN-INNAUniversitéde Niamey

Tombokoye Tessa

*Un homme, une voix

Fatimata MOUNKAÏLA

Une voix s'estéteinte

il y a un an,cellede Tombokoye

Tessaqui a tenu en ha-

leine son public pendant cinquanteans; voix solitaire qjhi n'avait pas be-soin d'accompagnement musical pourfaire vibrer l'auditoire à son rythme.L'artisteest né dans le petit hameau deSinadaye ; mais c'est à Tessa, gros vil-lage aux prétentions de capitale sanstrône, d'une chefferÍe que les hasardsde l'histoire ont installée à Harikanas-sou, qu'il doit sa renommée ! Chosequ'il reconnaît à sa façon en formulantpour le village ce vœu dont la réalisa-tion lui restituerait une partie de sonimportance passée.

« Da moo ga looma bay Si l'œil pouvaitdéchiffrer la ligne d'horizon

Teesa ma te kumandaw Tessa deviendraitun centre administratif

A ma te ofis ndalikita Avec bureaux et dis-pensaires

Nda komi cimante» Et des commis bienformés

Marabout dévoyé

L'artiste se définit lui-même comme unmarabout dévoyé au sens propre du terme.Fils et petit-fils de lettrés musulmans, savoie était tracée, et on l'y pousse pour fairedes études islamiques qu'il ne terminera pas.L'école coranique va pourtant marquer sapersonnalité et son art parce qu'elle lui aurarendu au préalable deux services utiles:l'ouverture sur un monde dont les frontièresdépassent celles du village, du pays et ducontinent, et l'exercice de la mémoire.

Culture islamiqueet connaissanceco-ranique

Elles marquent continuellement l'œuvrede Tombokoye, sous forme de versets men-tionnés ou cités, et sous forme d'éloges oude querelles livrés pour ou contre la gentmaraboutique. Il y a, dit-il, ceux auprès des-quels on se doit d'aller chercher le savoircomme le Maître Daouda, et ceux qui sontà rayer de l'ordre des marabouts. S'il y ena qui possèdent la connaissance, il en existepar contre qui n'ont fait des études que pourêtre au premier rang lors de la distributiondes colas des cérémonies socio-religieuses,dit presque textuellement l'artiste.

La guerre des guides

Dans une société largement analphabèteoù griots éduqués et lettrés musulmans ontlongtemps joué, et jouent encore le rôle d'é-claireurs, les motifs d'opposition ne man-quent pas entre les deux groupes qui viventtous deux de la générosité et des largessesdes dignitaires. Tombokoye, en effet, ne mé-

nage pas certains membres d'une classe pri-vilégiée dont il a raté l'entrée, et qui, il fautbien le dire, le regardent de haut avec con-descendance et mépris. Or, justement, il estbien placé pour savoir que tous ne sont pasrespectables et que certains d'entre eux sontpresque complètement ignorants. C'est le

cas de quelques-uns qui « récitent avec destrémolos dans la voix, des textes qui ex-cluent la ouma qui ne sait pas lire, oubliantqu'ils ont eux-mêmes, père et mère analpha-bètes. » Il arrive même qu'il devienne mé-chant, comme lorsqu'il exprime sonétonnement d'avoir vu « un des estomacs duruminant abattu être transformé en sacocheà livrets ». Telle est la réponse de Tombo-koye à des marabouts dont certains n'hési-tent pas à vouer à la « géhenne» uneactivité comme la sienne. Même si celaétait, dira-t-il comme en guise de conclu-sion, c'est le même arbre qui a donné lestrois branches dont on a tiré la « tablettedes marabouts », le « mortier des pileuses»et le « vase de chambre ». L'usage trouvépour l'un ou l'autre de ces objets ne doitpousser aucun d'eux à mépriser les deux au-tres. Pourtant, ce n'est pas tant de dire touthaut ce que les autres pensent tout bas, quiassure à Tombokoye son succès, mais sa fa-çon inimitable de le dire.

Un artiste complet

Tombokoye Tessa anime tout seul sonspectacle et parvient à retenir constammentl'attention par des variations sur le fond etsur la forme.

Les thèmes abordés

Artiste traditionnel, les valeurs qui struc-turaient la société constituent ses thèmes pri-vilégiés. S'il flatte volontiers la générosité

d'un prince d'aujourd'hui, il n'oubliera pasde lui rappeler que le courage et la bravouredes ancêtres lui ont seuls permis d'asseoirson trône, et qu'il ne doit pas démériter vis-à-vis d'eux.

« Seul un descendant de guerrier sait quela guerre ne peut décimer toutes les vies»

Tombokoye chantera pour divers chevauxen insistant sur la qualité de leur robe, surla grâce de leurs pas, sur l'étendue de leurrenommée parce qu'il sait que chaquehomme songhay-zarma caresse dans soncœur l'image du cheval qu'il ne possède paset qu'il ne peut même pas nourrir, étant lui-même affamé pendant un, voire deux tiersdu temps. Par ailleurs, les difficultés de lavie actuelle ne lui échappent pas, commecette crise des valeurs qui frappe de pleinfouet la société songhay-zarma, où aux diresde l'artiste, les vœux formulés par les nou-veau-nés ne visent plus que la longue vie.Est donc ainsi occultée une partie tout aussiimportante du souhait, celle qui souffle aubébé d'acquérir les valeurs qui font le « son-ghay-zarma » !

Irkoy ma funandi no ga baa Ce sontles "Dieu-fasse-vivre" qui abondent

Irkoy ma albarka dan si baa Les"Dieu-donne-de-la-valeur" sont rares

Ize kan si nga baaba sanni kakaw Desfils qui ne fassent pas mentir la parole dupère

Si no hunkuna Il n'yen a guère au-jourd'hui »

Enfin, Tombokoye chante des valeurs detoujours, il chante le mil, il chante le lait etses sous-produitsqui constituent la crème del'aisance alimentaire, en faisant en sorte queson poème devienne « savoureux comme lebeurre ».

Par l'exercice de style

Tombokoye Tessa est désormais un ar-tiste que l'on cite dans les conversationsquotidiennes depuis que par la magie dutransistor et de la bande magnétique, tousles songhay-zarma ont connaissance de lafaçon originale qu'il a d'exprimer des réa-

lités dont la tradition populaire a souvent dé-jà très largement ouvragé le libellé. Le lan-gage indirect, manière de dire les choses defaçon détournée, est son domaine de prédi-lection. Tombokoye crée des images, re-compose des structures en orfèvre de lalangue pour le bonheur des oreilles songhay-zarma.

« Oui! a dit un jour un de ses admira-teurs, quand on a entendu Tombokoye, onne peut pas ne pas aimer sa langue» !

Peut-on trouver meilleure conclusion à unportrait de l'artiste?

Fatimata MOUNKAÏLAUniversité de Niamey

Portrait d'un artiste,Tinguizi

Fanta MAÏGA

Tinguidji ou Tinguizi, de son vrainom Boubacar Loumbo Sêdi, était ungrand artiste traditionnel. Il est mort le18 février 1983, à l'âge de 85 ans, si l'onpasse sous silence les confusions quantà la date exacte de sa naissance.

En effet, en 1972, il déclare à Mme Chris-tiane Seydou qu'il a 61 ans, ce qui laisse à

penser qu'il est né vers 1911, ainsi il seraitdonc mort à 72 ans et non à 85 ans commel'annonçait le bulletin nécrologique du quo-tidien nigérien « Le Sahel ». Une autre fois,il dit qu'il est né après la grande famine de1913-1914 à Moroukarma en pays Gourma(1913-1983 = 70 ans, 1914-1983 = 69 ans).Cependant, dans un de ses récits, il dit avoirété un témoin oculaire à l'âge de 17 ans dudestin tragique de Labidiédo, un chef gul-

mance de Koala (région de Fada N'Gour-ma). L'affaire en question, qui fait partie de

son répertoire, s'étant passée le 12 août1920, Tinguizi serait alors né en 1903 etmort à 80 ans en 1983.

Ce décalage de près de dix ans dans lesdifférentes dates intéresse les historiens.

Pour notre part, nous dirons que Tinguiziétait originaire de l'arrondissement de Téraà 185 km au nord-ouest de Niamey.

Ce point géographique a son importancedans I'oeuvre de Tinguizi ; en effet d'un cô-té l'artiste se dit de mère et de père gulman-ceba (gourmantché), de Téra, alors que lesGulmanceba affirment qu'il est en fait ori-ginaire du village gulmance de Bilanga, unvillage de l'actuelle province de la Gna-Gna.

Artiste polyglotte, Tinguizi maîtrisait par-faitement les langues peule, gulmancema etsonghay.

Rien n'empêche de croire que Tinguizisoit de Bilanga, que ses parents se soientinstallés à un moment donné à Téra, etqu'ils soient revenus en pays gulmance à

nouveau où est né ce fils. Ensuite, ils parti-ront s'installer à Dargol, ville située entreTéra (Niger) et Dori (Burkina Faso).

Le père de Tinguizi était un cultivateur,sa mère une chanteuse. Du côté maternel,tout le monde jouait du luth (« molo »),d'où les prédispositions du jeune Tinguiziqui très tôt posséda son propre instrumentde musique: le molo ou guitare tradition-nelle à 3 cordes.

Après un apprentissage, long et harassantmais fructueux, auprès de ses oncles mater-nels, et un séjour à l'école de Golabou, cecélèbre joueur de luth, de violon et de tam-bour, Tinguizi, devient le griot du chef deDargol, Amirou Mossi Gaïdou et ce, pen-dant 26 ans. A la mort de celui-ci, il par-court de nombreuses régions; après tous cespériples, il vient résider à Niamey en 1969où il tire partie de son grand talent; lors-qu'il allait à Say se produire, les spectateursperdaient tout leur sang-froid, c'était un vé-ritable délire. Certains même prétendaientque son luth avançant derrière lui, se jouaittout seul à la manière de son propre maîtreGalabou.

Tinguizi a laissé une œuvre importante,objet d'une étude exhaustive et d'une pub-lication de Mme Christiane Seydou, sous letitre de Silamâka et Poullôri (voir p. 181).

De par leur nombre et leur diversité, cestextes enregistrés et conservés à l'Institut deRecherches en Sciences humaines (I.R.S.H.)de Niamey (Niger), d'autres encore àl'O.RT.N., témoignent bien du grand talentde Tinguizi comme spécialiste de l'histoire.

La publication de Christiane Seydou apermis de faire découvrir et apprécier par lepublic français et international la littératureorale nigérienne.

Dans le genre historique, le conteur s'ac-compagne toujours du luth (molo), instru-ment unique pour cette spécialité littéraireau sens large du terme (épopées, légendes,récits historiques, etc.).

Grand artiste, disions-nous, Tinguizi a unregistre de compositions très large, relatantses récits en 3 langues: peule, zarma (son-ghay) et gulmancema.

Même quand il profère en songhay, ilchante en gulmancema. Ses récits sont trèsémouvants, car Tinguizi a un art très parti-culier : l'humour, le savoir et le désir de vé-rité y sont harmonieusement mêlés.

La version de Labidiédo en est un exem-ple. Cette épopée traditionnellement dite engulmancema, Tinguizi la relate en songhayet en peul, ce qui permet un brassage decultures extraordinaire. En effet, cela inviteles uns et les autres à découvrir leurs cul-tures respectives.

Fanta MAÏGAUniversitéde Niamey

Voici les titres Je quelquesautres légendesde Tingui-zi:

SilamâkaArdo Macina-

Fatimata Bidâni-Labidiédo

-Doula Pendo

- MossiGaïdou-

Sambo Mama -YowliDiawandoBokom

-DourowelBâli Boulo

-Boubou Ardo

Galo-

Hama Bodédjo Pâté- Hama Alla Seyni Gakoye

-Sambo Thiam

Deux versionsd'un même récit

Fanta MAÏGA

En littérature orale, il nous arrive depouvoir comparer la qualité artistiquede deux griots traditionnels: le mêmerécit traité différemment par deux ar-tistes permet d'étudier et d'analyser lesqualités de chacun d'eux: art de ra-conter, capacité de mémorisation, decaptation de l'intérêt des auditeurs, fi-nesse de maniement des langues, ri-chesse des expressions, subtilité desnuances, vérité historique des faits, etc.

Pour en revenir à l'œuvre des deux artistes,disons que lorsque l'on est bien imprégné dela culture gulmance, l'on voit une nette diffé-

rence dans le traitement du « thème ».

D'un côté, le texte de Tinguizi reflète letravail d'un artiste de profession, fort d'unevaste culture, doté d'une prodigieuse facilitéd'expression, d'une verbe inépuisable, debeaucoup d'humour, voire de fantaisie.

De l'autre côté, le texte de Tchanyiénou,autre grand artiste qui a appris « sur le tas»mais dont le sérieux et la mélodie sont iné-galables.

Tinguizi, c'est l'homme de métier àl'aise, au verbe facile: témoin oculaire, ilsemble bien placé pour nous faire revivrel'événementdans toute sa trame dramatique.

Deux artistes, Tinguizi et TchanyiénouCombary ont eu par exemple à traiter Labi-diédo*

Labidiédoc'est l'histoire du chef gulmancede Koala qui s'est donnéla mort pour sauvegar-der son honneur. Cela se passait en 1920. Cechef fut convoquépar le commandantde cerclede Fada N'Gourma, suite à la mort d'un de sessujets qu'il avait privé de nourriture et d'eauparce que celui-cin'avaitpas payé l'impôt obli-gatoire fixé par l'Administrationcoloniale.

Voyant son honneur bafoué par un indigneemprisonnement,Labidiédo se porte un coupdecouteaudans le ventre. Il est sauvé une premièrefois, soigné et « recousu» ; mais sur l'insis-tance de sa femme préférée qui lui dit que seulun vieux pagne ou une calebasse cassée peut sefaire recoudre et non un homme digne de cenom, il défait les points de suture et cette foisdécoupe ses intestins en petits morceaux, carpour lui plutôt mourir que de connaîtrela honte.De cette façon il n'échappe pas à son destin.

Cette même femme qui lui avait promis dene pas lui survivre se suicida à son tour aumoment de l'enterrement de son valeureuxépoux, c'est du moins ce que dit une des nom-breuses versions de ce drame. C'est égalementla version chantée par Tinguizi. Voilà le faithistorique, consigné par un procès-verbal defaçon plus sèche et moins colorée.

* Par ailleurs sujet de mes recherches actuelles entraditionorale (Lettres Modernes).

Tchanyiénou, artiste à la voix d'or estégalement bon joueur de luth. Son récit estpeut-être moins riche et l'intrigue moinsétoffée, mais chez lui c'est la mélodie qui

occupe une place de choix. Le rythme mêmedu récit de Tchanyiénou, tantôt accéléré,tantôt ralenti lui permet d'accentuer ledrame. Quand il joue le morceau « Labidié-do », il le vit réellement et sa voix dénote

une certaine tristesse.

A écouter Tinguizi, nous apprenonsbeaucoup sur l'histoire africaine, les lé-gendes, les faits historiques et nous sommesravis par les notes de son luth. C'est un artconsommé du récit et de l'humour.

La douce musique et la voix mélodieusede Tchanyiénou nous transportent dans le

monde de l'enchantement. C'est un art iné-galé du chant et de la rêverie.

S'exprimant sur le même thème selonleurs formations, l'une professionnelle, l'au-tre fortuite (naturelle) ces deux artistes éta-lent deux facettes du même talent deconteur.

L'un, Tinguizi en professionnel expéri-menté, nous instruit tout en nous divertissant

par la magie du verbe; l'autre Tchanyié-nou, en artiste aux dons innés, nous bercede ses douces mélopées.

Fanta MAÏGAUniversitéde Niamey

Le CELHTO/OUAet la littérature orale

Diouldé LAYA

Le Centre d'Études linguistiques et his-toriques par Tradition orale de l'Organi-sation de l'Unité africaine,CELHTO/OUA, doit s'appeler plus sim-plement et plus justement Centre desTraditions orales, CTO. En effet, il étaitchargé, à sa création, de la mise en œuvredu Plan décennal pour l'étude systémati-que de la tradition orale et la promotiondes langues africaines comme véhicules

de culture et instruments d'éducationpermanente. Et ce texte précise: « La tra-dition orale qui, par le moyen de la langue,véhicule cette culture (africaine) englobe lepatrimoine littéraire, artistique, historique,philosophique, politique, social, religieux,etc. ainsi que les rituels sacrés ou initiati-ques. Elle s'étend à des domaines aussi va-riés que la pédagogie ou la pharmacopéetraditionnelles»

On mesure alors l'attention que devrait re-cevoir la littérature orale. Immédiatementaprès la création du Centre, un recueil bilin-

gue (songhay-français)fut produiten octo-

bre 1969 : son but était de montrer la variétédes textes susceptibles d'être utilisés pourl'étude des cultures africaines, et de vulgari-ser les systèmes de transcription recomman-dés par la réunion de Bamako (1966). Lerecueil se composait d'un texte dit par Bou-bou Hama, deux enquêtes auprès de djessé-rés, maîtres de la parole dans la sociétésonghay-zarma,enfindeux récits et deux épo-pées dus à un djesséré précisément; lors de lapublication, les proverbes donnés et expli-qués par Boubou Hama seront retranchés, ettransférésdans un autre ouvrage. Pour mieuxmontrer cette diversité, le Centre publia enoctobre 1973 Moremi, l'opéra yoruba présen-té par Duro Lapido, transcrit et traduit enanglais par Joël Yinka Adedeji.

Nous allons citer les réalisations les plusmarquantes.

Contes

Le Centre a recueilli ou fait recueillir denombreuxcontes en fulfulde (région de Dôri,au Burkina Faso).

Un travail systématiquea été entreprisavecfeu Albarka Tchibaou, célèbre conteur hausade la région de Tahoua (Niger). En avril 1971il a récité 120 contes, enregistrés sur 28bandes. Plusieursd'entre eux comportentunepartie chantée. Pour le moment, 75 contes ontété transcritset publiés3.MoustaphaAlassanea réalisé, à partir de l'un d'entre eux, le filmDeela ; à l'artiste que l'on voit en train deraconter, succèdent les acteurs; la traductionen français permet au spectacteur de suivrel'histoire.

1. Alfâ Ibrâhîm SOW, Langues et politique des lan-gues en Afrique noire. L'expérience de l'UNESCO.Paris,Nubia,1977,p.440.

2. Le recueil revu et corrigé, a étépublié en 1978 sousle titre « Textes songhay-zarmas ».

3. Sous le titre Baakii abim maganaa 1. II et III; lesdeux premiers volumes ne portent pas d'indication dedate, le dernier a été réalisé en mars 1979.

Le Burkinabé Gaston Kaboré a montré,avec son film Weend Kuuni, ce qu'un cinéastepeut tirer du conte, tout en le préservantet enle mettant en valeur.

Poésie

En 1967-68, le transcripteur de tamajaq arecueilli auprès de nombreuxauteurs ou inter-prètes, transcrit et traduit 37 poèmes, ditstisiway (sing. tesawit). Du point de vue duthème, 7 ont trait à l'histoire (période colo-niale), 8 chantent la femme, 10 sont des satireset 12 ont trait à divers aspectsde la vie socialedu Touareg (2 odes au chameau). Le recueilest en voie de publication: la traductionn'estpas facile, il faut déterminer la nature et lenombre de notes qui l'accompagnent, alorsque la dactylographie est difficile, faute demachines à caractères spéciaux.

En décembre 1968, en coopération avecl'Institut de recherche en science humaines(I.R.S.H.) de Niamey, 21 caw dooni, poèmesreligieux, ont été enregistrés: ils ont été chan-tés par l'un des derniersgrands lettrés de Say,Abdoulbaki Kourreïssiou, dit Agano. Ils ont

été composés en zarma par Alfa MammanDiobbo, son fils et successeur Boubakar, ditModibbo, et Agano lui-même. Ils ont ététranscrits, mais pas traduits: on y distinguedes sermons (aux fidèles, aux dirigeants, auxfemmes, etc., sur la mort) et des textes histo-riques (islamisation du Soudan occidental;hymne au Zarmakoye Saidou de Dosso ; listedynastique de Say mise au point à la mort deKâka). Du point de vue littéraire, ces auteursont recours aussi bien à l'arabe qu'au fulfuldelorsqu'ilfaut respecter la métrique. Ils ont uneremarquable aptitude à utiliser les formes ap-propriées (dogo ra au lieu de nongo ra, « à laplace », marsan au lieu de sohon « à pré-sent », etc.) ; et de nombreux lettrés de Sayfaisaient leurs études à Gao.

Le Centre a publié en 1974 la transcriptiond'un manuscrit hausa en caractères arabes,suivie d'une traduction en

français Ce longtexte embrasse de multiples aspects de la viesociale.

La poésie divinatoire ifa, recueillie, trans-crite, traduite et présentée par Wande Abim-bola, a été publiée5 en 1975. Cet excellentouvrage qui mène au cœur de la culture Yo-

4. Issaka DANKOUSSOU, Rai'iya, hausa-français,225pages.

5. Wande ABIMBOLA, Sixteen great poems of Ifa,vnruba-anglais. 468pages.

6. Récits peuls du Macina, du Kounari, du Djelgodjietdu Torodi (Mali

-Haute-Volta

- Niger),fulfulde-français,142 pages.

ruba, doit être traduiten français, en attendantqu'il le soit dans une langue africaine.

Malheureusement, l'impression et la pré-sentationdes deux publicationsci-dessus lais-sent à désirer: cette tentative d'éditer enAfrique, et dans un délai raisonnable, un ou-vrage bilingue n'a pas donné entière satisfac-tion.

Geste

Grâce à la coopération de l'Université deDakar et l'aide financière de l'UNESCO, lesrécits peuls6 recueillis et traduits par GilbertVieillard,transcritset présentéspar Mohamma-dou Eldridge, ont été publiés en 1977. La gestede Hambodédjo occupe presque la moitié de labrochure, épuisée il y a longtemps.

La collection « Culturesafricaines» s'estenrichie de deux titres. En 1987, le Centrepublie un ouvrage bilingue (bambara-fran-çais) intitulé « La geste de Fanta Maa, ar-chétype du chasseur dans la culture desBozo ». L'auteur, Shekh Tijaan Hayidara, arecueilli, transcrit, et traduit deux récits sur lemême personnage. Il précise que la premièreversion est celle de « l'un des meilleurs inter-prètes de l'histoire ancienne et de la culturedes Bozo » (p. 8) : le texte a été dit, au lieud'être chanté. La seconde version n'est pascelle d'un professionnel, mais se présentecomme « une causerie au clair de lune» (p.11). En soi, un texte sur les Bozo en languebamanan (bambara) dénote une interpénétra-tion des hommes et des cultures. Cet ouvragede 201 pages conduit le lecteurchez des chas-seurs d'eau du Mali, aux bords du fleuveNiger, grâce à un « classique» de la littératurebozo.

Tout aussi « classique» est le texte quiconstitue la substance de l'ouvrage bilingue(songhay-français) de Fatimata Mounkaïla,publié par leCentre en 1988, sous le titre« Lemythe et l'histoire dans la geste de Zabar-kâne ». Ses 242 pages se partagent entre l'in-troduction, le corpus (textes transcrits ettraduits) et l'analyse. C'est un travail univer-sitaire (thèse de doctorat de 3e cycle), légère-ment modifié pour les besoins de l'édition. Ala diversité des sources d'information (pro-fessionnel de la parole, marabout, notable,etc.) se superpose la distinction/textes poéti-

ques/textes en prose, avec ou sans accompa-gnement musical; une étude des techniquesdu récit fait pénétrer le lecteur dans un art oùla connaissancede séquencesen soninké, lan-gue dans laquelle sont conservées les tradi-tions historiques « nationales », est la preuveque l'on a fait son apprentissage « classi-que» : c'est l'une des caractéristiques de lasociété songhay-zarma, tout au moins au Ni-ger.

L'établissement de texte bien transcrits,bien traduits, susceptibles de faire connaître,comprendre et aimer les cultures africainesaux Africains et aux autres est une tâchecomplexe et pénible: en fait, elle est en cours,un peu partout.

Théâtre

Le théâtre en langues nationales est trèspopulaire au Niger. Depuis de nombreusesannées, chaque dimanche après-midi, deuxheures lui sont réservées sur les antennes dela radiodiffusion: une heure pour le théâtreenhausa (depuis Zinder) et une heure pour lethéâtre en zarma (depuis Niamey). Plus ré-cemment, le théâtre en fulfulde occupe luiaussi une heure, le samedi après-midi. Il nesemble pas que la production soit écrite; rienne garantit que les enregistrements soientconservés, alors que grâce à leur transcrip-tion, il aurait été possible de constituer un trèsriche répertoire dans chacune des trois lan-gues.

Le Centre a d'ailleurs fait l'expérience avecune troupe de Zinder, distincte de celle qui jouele théâtre radiophonique: la pièce « Gado Ka-rhin Alla », présentée à la Semaine de la Jeu-nesse à Zinder en 1973, a été transcrite parAboubacar Mahamane. Le texte hausa, de 55

pages, a été publié en juin 1977.

En conclusion, si les difficultés sont nom-breuses et variées, les perspectivesde produc-tion de bons textes en langues africaines oubilingues sont illimitées. En effet, seul l'écritpeut être consulté à n'importe quel moment:la démocratisationpassera par là en Afrique,ou elle ne sera point.

Diouldé LAYADirecteur du CELHTO/OUA. Niamey

filtre la parole et l'écriture

L'épopée

Ousmane Mahamane TANDINA

L'épopée est une forme d'expressionorale qui permet de circonscrire quel-ques données idéologiques, sociologi-ques, linguistiques, ce qui définit saplace dans la vie littéraire du Niger.Elle fait ressortir ainsi l'apport indé-niable de « l'oralité », les ressourcesmultipleset les potentialités infinies del'expression parlée.

Une étude de l'évolution de l'épopée auNiger peut s'articuler autour de trois étapesessentielles. Elle était essentiellement orale,poétique, récitée en langues nigériennes.Puis, elle fut enregistrée en peul, en son-ghay-zarma, en haoussa, en gourmantché.transcrite et traduite. Furent publiées ensuited'autres œuvres telles que Dans Kassawa,Sarraounia, respectivement de MamaneGarba et de A. Mamani, œuvres dont lesthèmes sont tirés de l'histoire traditionnelledu Niger sans avoir cependant de corres-pondants dans les langues orales.

L'épopée orale traditionnelle

Il est difficile de parler d'épopée tradi-tionnelle nigérienne. La société féodale quia produit ce genre a existé avant les indé-pendances africaines et elle s'étendait au-de-là du Soudan français (Mali), au-delà des

frontières actuelles. On comprend assez ai-sément pourquoi Albouri Ndiaye (Sénégal),Da Monzon, Soumaoro Kanté (Soudan fran-çais), Bachar Dans Moussa (Daura, Nigéria)sont encore aujourd'hui chantés par lesgriots nigériens!

L'épopée constitue de nos jours le genremajeur de la poésie orale au Niger. Très ré-pandue, elle revêt parfois des formescomplexes, mythes (Zabarkâne de DielibaBadji), contes, théâtre (Labdiédo de Tingui-zi. Askia Mohamed de Nouhou Malio) les-quels compliquent son appréhension. Demême, d'une région-à l'autre, elle comportedes particularités.

Al'Ouest, le répertoire du récit épiqueest très riche. Les griots peuls et songhay-zarma rivalisent de talent. Les épopées sontessentiellement peul, à n'en considérer queles titres. Elles sont contées par des griotspeuls et surtout par des griots songhay-zar-ma avec plus ou moins de bonheur. Une re-marque s'impose. Pourquoi cette profusiond'épopées peuls et pourquoi sont-ellescontées par les Songhay-zarma ?

Nous ne pouvons apporter que quelquesréponses partielles. L'épopée selon RenéLouis naît chez « les peuples où l'état deguerre est presque permanent », elle « cé-lèbre les hautsfaits guerriers et les transmetde génération en génération par la traditionorale» ; or les Peul et les Zarma sont despeuples voisins toujours en belligérancedans le Zarmaterey.

Nos récits épiques, alors, tirent leurs re-présentations de ces différentes considéra-tions. Ils construisent leur trame sur unpouvoir politique et religieux peul, souventcontesté par les Songhay-zarma et les autrespeuples animistes. Cette situation fera naîtrede grands textes et de grands héros dont lesactions seront glorieuses et marqueront lessociétés songhay-zarma et peul.

Les textes et les héros sont alors à touset pour tous. Le chanteur songhay-zarmapeut modifier les textes peul tout en main-tenant la substance, ainsi ils font toujoursleur chemin les mêmes et toujours rénovés.

L'épopée, dans cette région, s'ac-compagne très souvent de musique claméepar les spécialistes de la parole que sont lesMabo et les Djesseré. Les récits sont longset envoûtants. Ils servent à exalter les ac-tions des héros, à donner vie à l'histoire dupeuple. Ces griots qui passent de longuesheures à réciter ces textes forment une castebien précise au sein de la société. Autrefois,ils étaient des conseillers des rois, les déten-teurs et les enseignants de la tradition his-torique. Aujourd'hui, on peut encore trouverle griot presque dans son cadre ancien, sevantant de perpétuer les anciennes cou-

tumes, transmettant son savoir à son filscomme il l'avait reçu. C'est ainsi que lesrécits, ceux de l'épopée en particulier sontdits après de longues années d'apprentissagede l'histoire et de la profération de la parole.

A Tahoua et à Maradi, on rencontre aussices mêmes bardes appelés « Makadey »,bons joueurs d'instruments, bons orateurscapables de dévider longuement une his-toire, d'envoûter un très large auditoire. Lechant constitue un élément très important deleur récit. Il en est le point de départ. Ceschansons indiquent aussi les différentspoints de la vie des héros. Les épopéeshaoussa sont alternance de chant et decommentaire. Le commentaire s'étoffe peuà peu et le chant ne fait que l'accompagner.

Dans la région de Maradi, on rencontreégalement un autre type d'épopée différentde celui des grands chasseurs ou des pê-cheurs. Le Dembé est une pratique exclusi-vement réservée à une certaine classesociale, les bouchers, et constitue encore de

nos jours une discipline sportive captivantequi attire pour l'occasion une marée despectateurs. Compte-tenu de cet état de faits,le griot, en général, ne retient que les nomsde ceux qui parviennent à se distinguer phy-

siquement. Dan Anaché dans Shago nousprésente son héros, un homme d'un mériteélevé à qui on reconnaît des dons exception-nels. Il l'investit d'une force presquecomparable à celle d'un Dieu. Il chante l'in-vincibilité de son héros que le Dogoua (my-thologie haoussa) assiste.

Quant à l'épopée des lutteurs traditionnelsou Kokououa, nous notons la prodigieuse

Épopées racontéesen langue zarma

Badjé Babia Liboré (conteur)Babatu

• Garba Dicko

* Manta

Djado Sékou

* Dondu Garba Dicko

* El Hadj oumarou Foutiyu

* Hama BodeïzéPathé

• Hamala Seyni Gakoy

Djeliba Badio

• Garba Mama

* Damonzon

* Hama Bodeïzépathé

• MamoudouDiawondo* Zabarkane

Koulba Baba

* Mayyahi

• Djikan Djibrilla

* Sambo Soga Lobo Soga

* Soumangourou Kanté

Tinguizi

* Silamaka - poullori

* FatoumataBidani

* Samba Tchiam

• Labdiedo

Nouhou Malio

- Askia Mohamed

œuvre de Sogolo : elle se rapproche beau-

coup plus de la chanson.

En outre, les gestes, la musique et la pa-role de certains griots de Maradi (Mazuma-

wa de Sarkin Makada Nabulodo)apparentent épopée et généalogie.

La grande caractéristique des épopées auNiger est la bataille, le fait politique, l'af-frontement des seigneurs. Elle sont deschants de gloire.

L'importance de cette littérature orale en-traîne la nécessité de sa collecte, de sa trans-cription, de sa traduction, en un mot de sonexploitation.

L'épopée, expression du groupe

Pour enregistrer un récit épique, on s'a-dresse à des gens spécialisés parce que l'é-popée est une littérature qui exprimel'idéologie d'un groupe, de son organisationsociale. C'est une littérature qui milite pourla préservation de quelque chose. Le récitpeut être dit en une semaine ou en un jour.Le récit épique est conflit. Il commenceavec deux éléments et il ne se termine quequand l'un est supprimé. C'est pourquoi ilfaut chercher à créer un cadre adéquat au-tour du griot pour qu'il puisse rendre vi-vante son histoire.

Aujourd'hui, des textes épiques ont étéparfaitement constitués auprès des conteurspar les chercheurs de l'I.R.S.H., du CEL-THO, et des différentes facultés de l'Uni-versité de Niamey. Ils ont été enregistrésdans les différentes langues nationales. Latâche n'estpas toujours facile parce qu'ilfaut trouver le conteur compétent: chaquegriot hérite d'une tradition qu'il doit rendrevivante. Le griot compétent doit être douépour la récitation des textes afin que l'œuvrepuisse exprimer avec puissance les spécifi-cités de la culture. Le griot compétent, c'estcelui qui connaît l'histoire du groupe et quirecherche aussi au niveau de l'expression,les mots capables de toucher la sensibilitédu public, celui qui maîtrise la langue.

Ensuite, c'est le travail fastidieux de latranscription et de la traduction du texte en-registré. Ce n'est pas tout. Après, ce sera lecommentaire pour élucider les problèmes de

lecture et de compréhension à un premierniveau.

C'est ainsi que depuis quelques années,les étudiants de Niamey ont entrepris decombler les immenses lacunes laissées parla recherche ethnologique dans leur patri-moine traditionnel et des écrivains nigériensse sont mis à « re-penser»l'histoire, à la

« re-créer» et en ont composé de véritablesépopées.

Un exemple littéraire: Sarraouniad'AbdoulayeMamani

Sarraounia est l'expression de la vie tra-ditionnelle et historique des Azna du Niger.L'œuvre a pour point de focalisation unecrise politique: la résistance des Azna auXIXe siècle à l'invasion de leur territoire parla mission Voulet et Chanoine, chargée d'ar-rêter la marche de Rabat, un aventurierarabe qui promet de se tailler un royaumeau cœur même de l'Afrique.

C'est donc cette belle étape de la résis-tance de Sarraounia face à la machine deguerre des colonisateurs que Mamani tentede perpétuer dans un cadre purement litté-raire. Quels sont les traits pertinents quinous ont autorisé à ranger l'œuvre de Ma-mani dans le genre de l'épopée?

La forme

Mamani, dans un style qui lui est propre,use des multiples techniques relatives à l'é-popée, à savoir les phénomènes de l'addi-tion et de la suppression, de la multiplicationet de la réitération, de la substitution et dela comparaison. pour alimenter son récit etlui donner une consistance. Les images sontabondantes et significatives. Certaines en-racinent l'oeuvre dans le terroir. D'autressont plus agressives, peignant Chanoine, sesacolytes et les mercenaires dans toute leurlaideur morale. Le symbolisme est exploitéen suivant la structure dichotomique de l'é-popée. Nous avons des symboles positifs quirenvoient au monde azna et des symbolesnégatifs qui renvoient au monde ennemi del'héroïne. Ces symboles peuvent être des ré-férences soit à l'histoire, soit à la religion,

Épopées racontéesen langue haussa

Amadou Toudou

- Agabba

- Garga Dicko

Sarkin Makadanabulodo

• Mazumawa

Abdo Maïgouroumina Konni

• Biibé Dan Zangina

Dan Kwairo

• Amadu Bello de Sokoto

• BaharDan Moussa (Daura)

Dan Anaché

• Shago

Sogolo

- Kokooua

Oumarou dit El Hadj Agna

• El HadjAboubacar garba

En peulFulfuldé Bare sambre

- Sékou Amadou

soit encore à un fait culturel quelconque. Ilssont en outre empruntés à différents regis-tres : animal, religieux, sacrificiel, astrolo-gique, objectai, etc.

- La panthère, symbole positif, totem etinsigne du royaume azna ; symbole de laforce et de la fierté, renvoie à la Sarraounia.

- Les sauterelles, symbole négatif, sontl'image du fléau, de la pullulation dévasta-trice, de l'invasion historique de la colonnede Voulet.

- Les zèbres et surtout les chiens repré-sentent les mercenaires, les tirailleurs pourmarquer leur fidélité et leur docilité.

Les proverbes et les joutes oratoires abon-dent également dans le texte de Mamani.

Les légendes de Samory, de Tafinat, de Jin-gha et les clichés, les traits de caractère dechaque peuple incrustent l'œuvre dans latradition.

Les langues locales, le haoussa, le zarma,le bambara y trouvent aussi un terrain favo-rable. Cette écriture constitue la marque spé-cifique de l'esthétique traditionnelleafricaine: elle est essentiellement l'art de laparole, l'art du dire.

Les descriptions sont abondantes. Lesspectacles effroyables de villages rasés pardes canons visent à créer une atmosphère detension entre les belligérants.

L'ironie et l'humour, formes de démysti-fication, mettent à nu toute l'hypocrisie del'idéologie colonialiste et mettent en ques-tion l'invulnérabilité des Blancs.

Quant à l'aspect du merveilleux, il estsurtout de nature religieuse; enfin, il semanifeste sous différentes formes et se fo-calise au niveau du psychisme des person-nages.

Le contenu

L'œuvre tire sa sève de l'histoire des Az-na du Niger que Mamani a transformée afinde répondre au livre « Le Grand Capi-taine » de Roland où celui-ci déforme l'his-toire de l'héroïne des Azna en la traitant depetite sorcière: « le long corps à corps s'é-tait déroulé dans un chaos de rochers. Fa-natisés par le glapissement de la sorcière.les nègres avaient affronté les salves qui lesrenversaient ruisselants de sueur et de sangcontre les buissons épineux où les cadavresdemeuraient accrochés, presque deboutcomme pour continuer à interdire la pro-gression ».

La fonction

L'épopée représente une civilisation avecses déterminations sociales et politiques:une féodalité aux mœurs déjà raffinées oùl'individu bien né s'illustre par des valeursnouvelles. Elle est un chant de gloire, untexte idéologique. Le groupe ou le conteursélectionne les faits qui méritent mémorisa-

tion. C'est à ce titre que Mamani a travailléla langue pour exalter les prouesses de sonhéroïne, pour la proposer en modèle de ré-férence à la société.

Voilà les éléments qui constituent le ca-ractère épique de ce texte.

En évoquant ici les perspectives de l'épo-pée orale et littéraire au Niger, nous pou-vons dire qu'elle constitue encoreaujourd'hui le genre majeur de la poésieorale. Poésie de circonstance, elle survit en-core lors des intronisations et des grandescérémonies familiales. Elle s'enrichit mêmepar des situations nouvelles (pratiques poli-tiques et culturelles) et ne se laisse pas figerdans ses créations anciennes. Notre étude de

« Sarraounia » met à jour les nouvellesformes de l'épopée au Niger. Le texte re-nouvelé s'appuie sur des faits connexes àl'actualité. La substance du récit se nourritde la réalité sociologique des Azna du Ni-ger, nous plongeant ainsi dans un milieu quinous est familier et dont nous pouvons saisirfacilement les données.

Ousmane Mahamane TANDINAUniversité de Niamey

BIBLIOGRAPHIEBÉLINGA (Eno) : Comprendre la litté-rature orale, Classiques africains, Saint-Paul, Paris, 1978.

CAUVIN (Jean) : Comprendre la paroletraditionnelle africaine, Classiques afri-cains, Saint-Paul, Paris, 1978.

KESTELOOT (Lilyan) :L'Épopée bam-

bara de Ségou, F. Nathan, Paris, 1978.

Comprendre la poésie traditionnelle, F.-Nathan, Paris, 1971.

L'épopée traditionnelle, F. Nathan, Paris,1971.

LOUIS René: L'épopée vivante, revue dela Table Ronde, Paris, décembre 1958.MADELÉNAT Daniel: L'épopée, PUF,Paris, 1986.

ROLAND (Jacques Francis) : Le GrandCapitaine, Bernard-Grasset, Paris, 1966.

Le théâtre

Chaïbou DAN INNA

Parler aujourd'hui du théâtre nigé-rien en se limitant aux seules œuvresécrites ou aux représentations scéni-ques équivaudraità mettrede côté toutun aspect, d'ailleurs peut-être le plusriche, de la production artistique natio-nale. Il y a en effet une variété deformes artistiques ne correspondantpas toujours aux critères strictementadmis par les critiques pour définir lethéâtre mais qu'on ne saurait ignorer.

Le théâtre traditionnel

Deux ouvrages, Théâtralité en pays hau-sa (1) et Hausa theatre : an oral contem-porary art (2), ont montré la diversité et larichesse du théâtre nigérien traditionnel.Leurs conclusions rejoignent la classifica-tion établie par E.T. Kirby des différentesformes du théâtre traditionnel africain. Ilclasse celui-ci en sept catégories dans les-quelles on trouve de simples imitations, descérémonies rituelles, des cultes de posses-sion, des mascarades ou parodies, des co-médies, etc. (3) Certaines de ces formes dethéâtre sont rituelles et ont une connotationreligieuse importante tandis que d'autressont totalement profanes.

Le théâtre rituel

Bien qu'il y ait de nombreuses formes dethéâtre rituel, nous ne parlerons ici que dela « Koora ».

Elle est, à l'instar de l'abissa ivoirien, unecérémonie collective qui a lieu tous les ansdans certaines villes du pays pour chasserde la cité les génies malfaisants. Les prêtresanimistes possédés par les dieux protecteursdont ils portent chacun les signes distinctifs(vêtements, chaussures, etc.) et accompa-gnés de la population vont attaquer leurs ad-versaires dans un simulacre de guerre. Lacérémonie durera toute une après-midi, aumilieu de danses, au son de la musique sa-crée dédiée aux dieux de la cité. Quand elleaura pris fin, c'est toute la population quise sentira délivrée de l'angoisse de l'avenir:l'année sera bonne puisque la ville a été ex-purgée de tout ce qui pourrait nuire auxhommes.

(1) DAN-INNA (Chaibou) : Théâtralité en pays haw-sa. Mémoire de maîtrise, université d'Abidjan. 1979.

(2) BEICK (Janet) : Hausa theatre : an oral contem-porary art.

(3)Antonin ARTAUD : Le théâtre et son double citépar Claude Abastado dans Eugène Ionesco, Bordas,1981,p.219.

Certains pouraient nous faire remarquerqu'il n'y a pas là véritablement théâtre dansla mesure où ceux qui jouent sont en étatde transes. Cela est vrai, il faut cependantconstater qu'on y retrouve ce qui constituel'essence du théâtre: jeu, action, acteurs etspectateurs.

On y trouve d'autre part « ce pouvoir ma-gique », cette participation, que recherchaitArtaud dans le théâtre. Par la koora il y al'exorcisation des angoisses de la vie pourtoute une communauté et pendant une an-née. Et c'est ce que voulait Artaud:

« A chaque spectacle monté, nousjouonsune partie grave (.).Nousjouons notre viedans le spectacle qui se déroule sur la scène(.). Le spectacle sera secoué et rebroussépar le dynamisme intérieur du spectacle etce dynamisme sera en relation directe avecles angoisses et les préoccupations de toutesa vie» (3)

Le théâtre profane

Le wassan karaSe déroulant généralement après les mois-

sons, le wassan kara (jeu des tiges) est lareprésentation dans des décors naturels d'unévénement. L'un des sujets favoris du was-san kara est la reconstitution de visites: vi-site dans une localité d'un préfet, d'unministre, d'un chef d'État etc. Les jeunesgens de la ville s'organisent, cherchent par-mi eux ceux qui ont des ressemblances avecles personnalités considérées, étudiant leurphysionomie, leur démarche, leurs tics. Lejour du wassan kara, c'est toute la popula-tion qui est conviée à la re-présentation del'événement, les personnalités imitées setrouvant parfois même dans l'assistance.

La gambaraDans de nombreuses sociétés africaines,

la réserve et la pudeur sont élevées au rangde vertu. La grossièreté n'est acceptée qued'hommes de castes tels les forgerons, lesgriots, etc.

On rencontre en pays hausa (Niger etNord Nigéria) des artistes dont l'essentiel duspectacle est fondé sur la sexualité: ce sontles yan gambara. Se produisant à deux ou

trois, ils tournent en ridicule la conduitesexuelle de leurs contemporainsdont ils dé-nigrent les traits physiques et moraux. Lesréparties entre les différents acteurs sontversifiées et ont une certaine régularité mé-trique. Ils peuvent prendre à partie un spec-tateur ou faire allusion à une tiercepersonne. Leur langage est extrêmementcorsé, faisant fi de tous les tabous.

La dankamanciLe dankama (pluriel: yankama) est un

griot dont le jeu dénommé dankamanci estune imitation burlesque agrémentée dechants, de récitation poétique et de jonglerie.

La troupe est constituée du dankama lui-même jouant le rôle d'acteur principal et deses suivants, les yaran dankama (les enfantsdu dankama) faisant office de chœur et luidonnant la réplique.

Le personnage du dankama est la cristal-lisation des défauts qu'on trouve chez lecommun des mortels à des degrés divers:gourmandise, vantardise, lâcheté, paresse,etc. mais il imite aussi très souvent le ma-rabout et ses élèves en tournant en dérisionleurs prières auxquelles il enlève toute gran-deur. Tout son jeu est fait dans une intentioncomique: comique de gestes par les acro-baties et les jongleries et comique de motspar l'imitation parodique de chansons célè-bres.

Le théâtre moderne:Du fait de la colonisation, de nouveaux

spectacles ont fait leur apparition, éclipsantles formes traditionnelles de théâtralité. Ilssont différents par la langue, par la concep-tion de l'espace scénique et parfois par leurmode de diffusion. -

Le théâtre de languefrançaise

Comme dans les autres pays d'Afrique del'Ouest francophone, le théâtre moderne auNiger a été grandement influencé par ce quia été fait, dans les années 1930, à l'Écolenormale William Ponty. En effet, de 1940 à1957, la vie théâtrale, à Niamey, à Zinder

et dans bien d'autres villes du pays, seramarquée par les anciens de cette École:Mahamane Dandobi, Ly Souleymane, ZadaNiandou, Yacouba Djibo etc.

Leurs pièces permettent de saisir, par lesthèmes qu'elles abordent, les problèmes dela vie en Afrique coloniale: naissance d'uneélite occidentalisée se laissant parfois pren-dre au piège de l'alcool et de la rechercheeffrénée des plaisirs comme dans les Invitésdu Welcome Bar de Mahamane Dandobi,exode (Marcel Inné: Partir et Souvenir),difficulté de la vie urbaine (YacoubaDjibo :

Le Marché noir), conflit des cultures, etc.Dans L'Aventure d'une chèvre de Maha-mane Dandobi, se dessine même la critiquedes abus d'un pouvoir colonial.

D'autres œuvres s'inspirent des épopéeset des mythes traditionnels. Ainsi La lé-gende de Kabrin kabra de MahamaneDan-dobi s'attache à montrer la démesurede ce roi de l'Aréwa (Niger centre actuel)qui, Pol Pot avant la lettre, fera assassinertous les anciens de son village parce qu'ilvoulait instaurer une société nouvelle. Danssa soif de puissance, il voudra avoir commemonture non un simple cheval mais un cerf.Sa démesure et son orgueil auront uneconclusion exemplaire: il mourra, le corpsdéchiqueté et dispersé aux quatre vents.

Après l'indépendance, dans le cadre de lasemaine de la Jeunesse instituée à partir de1965, Boubou Hama, qui était Président del'Assemblée et avait à son actif une œuvrelittéraire déjà vaste, aura à écrire deuxpièces de théâtre qui n'ont malheureusementpas été publiées: La Force du lait (1971)et Sonni Ali Ber (1973).

Sonni Ali Ber est une illustration de laforce du destin. A la suite d'un rêve, SonniAli, empereur du Songhaï, est averti qu'ilsera tué et remplacé par un de ses neveux.Comme Laios, père d'Œdipe et roi deThèbes, il fera tout pour changer le coursdu destin, préserver les institutions et l'unitédu pays: six des enfants auxquels sa sœurKassaye donne naissance sont tués. Elle par-viendra cependant à sauver le septième enl'échangeant avec la fille d'une de ses ser-vantes. Ce sera lui qui tuera Sonni et pren-dra les rênes du pays sous le nom d'AskiaMohamed.

Cette pièce écrite en 1973 a représenté leNiger au Festival des Arts et de la Culturede Lagos en 1977. Elle sera traduite en hau-

sa en 1986 et jouée dans plusieurs villes ni-gériennes et du nord du Nigéria.

A l'instar de Boubou Hama, l'histoire est,pour André Salifou, un thème de prédilec-tion. Historien de profession, il a choisi dethéâtraliser l'histoire pour permettre à sonpeuple de mieux connaître son passé. Ainsi'Tanimoune (Présence africaine, 1973) quireprésenta le Niger au Festival Panafricain

Corruption de Joseph Keïta (I.N.N. 1974)est une satire du pouvoir politique civil quivenait d'être renversé par les militaires. Cettepièce montra toutes les tares (détournement devivres, corruption, trafic d'influence) à la ma-nière du roman Quinze ans ça suffit d'Ama-dou Ousmane ou des romans dudésenchantement de nombreux écrivains afri-cains.

Le titre de la pièce de Djibo Mayaki (lacrise) est suffisamment explicite sur soncontenu: la société nigérienne traverse unecrise née du choc des cultures et de la mau-vaise assimilation des valeurs occidentales.Les jeunes ne respectent plus les anciens, lesfilles n'ont plus de morale et les vieux eux-mêmes ont été corrompus par l'argent dontl'introduction a perverti les mœurs et trans-formé les rapports sociaux. Par ses thèmes,Mariama d'Idé Oumarou est assez proche deLa Crise de Djibo Mayaki, mettant l'accentsur l'aliénation des femmes et la mercantili-sation de l'amour.

Cady ou l'amour fétiche d'Albert Issa quivient d'être publié à la Pensée universelle,traite de l'amour contrarié de deux jeunesgens, Cady et Kasko ; la jeune fille est telle-ment belle que le roi du pays veut se l'appro-prier en proférant des menaces à l'endroit deson père. Cady préfère se donner la mort. Kas-ko l'imite. Mais le père de Kasko est un grandprêtre animiste; il les fait revenir à la vie àla suite d'une séance de wassan bori (dansede possession) en se servant des dépouillesd'un lion et d'une antilope. Le roi, quant àlui, devient aveugle et est chassé du trône parson fils. Kasko et Cady pourront donc vivreheureux.

d'Alger et y fut primée et Ousmane DanFodio, serviteur d'Allah (I.N.N. 1988) re-tracent respectivement la vie de Tanimounequi régna sur le Damagaram au début duXVIIIe siècle et celle du prédicateur Ous-mane Dan Fodio (dont le village natal se ,trouve en territoire nigérien). Il nous montrele combat de Dan Fodio pour l'instaurationd'une société nouvelle, guidée par les pré-ceptes de l'islam. Dans Si les cavaliersétaient là, Salifou décrit la tentative quiéchoua, hélas, du sultan Amadou Dan Bassaessayant de se libérer de la tutelle françaiseet du joug colonial.

Malgré la fascination que l'histoire sem-ble exercer sur de nombreux dramaturges auNiger, il y a cependant des œuvres qui serapportent au présent et aux temps plus ac-tuels. C'est le cas de la Crise de DjiboMayaki, de Mariamaa d'Oumarou Idé, deCorruption de Joseph Keïta ou plus récem-ment de Rêve déçu de la Troupe des Mes-sagers du Sahel. 1

Ces œuvres théâtrales écrites en françaisrestent, malgré leur intérêt, d'un impact li-mité à cause de la barrière linguistique. Laplupart des troupes, en effet, jouent en lan-

gues nationales, à l'exception notable desMessagers du Sahel dont tout le répertoireest français.

Le théâtre en langues nationales

Le théâtre en langues nationales a débutéà la radio dès 1962 tandis que le théâtre té-lévisé n'a vu le jour qu'en 1979, deux ansaprès la création de la télévision nationale.S'il y a une production artistique jouissantd'un impact certain auprès du public, c'estbien ce théâtre en langues nationales hausaet zarma. « L'heure du théâtre populaire»est l'une des émissions les plus suivies, à laradio comme à la télévision. Les acteurs Sa-ni Na Dalou de la troupe de l'O.R.T.N. deZinder, Hadjia Delou de la même troupe,Yaji Dogo et Oumarou Neino de la troupedu C.C.O.G., Hima Adamou et SoumaneMoumouni dit Alfazazide de la troupe del'O.R.T.N. de Niamey sont, par leur noto-riété, de véritables vedettes, connues desvilles comme des campagnes.

Les troupesOn peut en distinguer deux genres: les

troupes saisonnières constituées à l'ap-

Kara de kiashi (la tige aux termites) de la

troupe de l'O.R.T.N. de Zinder met en scèneun couple et ses deux filles. La femme estacariâtre: le mari la regarde en silence maisd'un air désapprobateur, se servir de leursdeux filles comme d'objets qu'il faut fairefructifier. L'aînée des enfants, impolie et dé-vergondée, finit par tomber enceinte, victimede la cupidité de sa mère tandis que la cadette,plus sage, parvient à faire un beau mariage.

ALHaji mai lamu (Alhadji le vendeur d'o-ranges) montre un commerçant arrogant et in-solent à l'endroit des faibles qu'il maltraite.Une opération frauduleuse le met en faillite.Son ancien employé, qu'il a maintes fois hu-milié et qui est devenu riche entretemps,acceptera cependant de lui porter secours.

proche du Festival National des Arts et dela Jeunesse où sont en compétition lesjeunes des différents départements enchants, ballets et théâtre et les troupes per-manentes comme celles du C.C.O.G. (Cen-tre Culturel Oumarou Ganda), de l'O.R.T.N.de Zinder ou de l'O.R.T.N. de Niamey. Cesdernières ne sont cependant pas composéesde professionnels, les acteurs ayant toujoursun autre métier. C'est ainsi que Yaji Dogo,Oumarou Neino sont enseignants. Sani NaHaoua, Hima Adamou et Soumana Mou-mouni dit Alfazazi animateurs de radio, etc.

La composition des pièces

Le mode de composition des pièces estidentique dans la plupart des troupes.Comme dans la Commedia dell'arte, latroupe met au point avec son leader un ca-nevas de l'intrigue. C'est à partir de ce ca-novaccio dans lequel ont été arrêtés la suitedes scènes, les situations-clés, les passagescomiques, que les acteurs improvisent, la li-berté leur étant donnée de montrer leurverve et leur sens de l'humour.

Cette liberté laissée à la créativité verbalede l'acteur se retrouve d'ailleurs dans denombreuses formes de la littérature oraletraditionnelle. Elle montre que la littératureorale n'est ni morte ni figée; elle est toutau contraire dynamique, s'adaptantconstamment à son époque; le théâtre po-

pulaire en langues africaines est assurément

une de ces nouvelles formes de la littératureorale.

Structure et thèmes:Les thèmes les plus fréquents sont ceux

de la vie quotidienne dans la productionthéâtrale radiophonique et télévisée: le ma-riage, le divorce, la polygamie, les commer-çants, les marabouts etc.

Les pièces représentées aux festivals parles troupes des samarias se rapportent trèssouvent à des sujets d'importancenationale:on a ainsi vu traiter de l'affairisme descommerçants (Alhaji dan kwangila, Alhajil'entrepreneur), des échecs scolaires (Ma-man arrivé), du pélerinage à la Mecque(Kuskuro karatu ne, La faute est une le-çon), etc.

Dans l'ensemble, les structures desœuvres sont les mêmes et sont proches decelles des contes populaires. On y retrouvesoit un personnage chez qui la persistancede traits caractériels donnés conduit à lafaute, soit deux personnages aux caractèreset aux comportements antithétiques. Ainsi,lorsque l'un est un modèle de bonté ou desagesse, l'autre s'enfonce dans le mal. Les

mauvaises actions s'accumulent jusqu'aupoint de rupture, celui-ci pouvant être la dé-chéance physique (le personnage principalde Kaîkai koma kan Masheki, véritable mé-gère semant la zizanie dans les foyers, finitpar devenir aveugle), la faillite pour uncommerçant jusque-là opulent (Alhaji maiLemu ou Debaya) ou même la honte pourles jeunes filles tombant enceintes (Taxi).

Il y a donc toujours un fond de morale,le personnage au comportement déviant fi-nissant par être puni de ses défauts.

La mise en scène des pièces

Dans la production théâtrale en languesnationales, le jeu est d'un grand réalisme.Nous avons dit que, dans les pièces télévi-sées, l'action se déroule dans des décors na-turels, la caméra suivant parfois lespersonnages dans leurs déplacementscomme dans un film. Dans les représenta-tions scéniques, cependant, les décors sontplus symboliques, une simple toile à l'ar-rière-fond de la scène permettant de figurerle lieu de l'action.

Les représentations des festivals n'ont pasune scénographie lourde. Ayant banni le ri-deau, ne disposant pas toujours d'éclaira-

gistes, il y a des ruptures dans l'action quiest montrée sur scène, mais cela a un avan-tage : le spectateur n'oublie jamais qu'il estau théâtre et que ce qui lui est présenté estune fiction. C'est pourquoi d'ailleurs lesspectateurs rient beaucoup plus des défautsdes personnages qu'ils ne compatissent àleurs malheurs. Le plaisir naît de la virtuo-sité verbale des personnages dans leurs ré-parties, de la cocasserie de certainessituations et même des malheurs qui sur-viennent au personnage ayant un comporte-ment déviant. N'est-il pas symptomatiqueque la manifestation organisée par le CentreCulturel Oumarou Ganda s'appelle Semainedu théâtre et du rire?

Une activité privilégiée

Le théâtre est aujourd'hui au Niger l'unedes activités culturelles les plus vivantes.

Que ce soit dans le domaine de la littératured'expression française où la production desœuvres dramatiques se poursuit avec des au-teurs comme André Salifou et Albert Issaou dans celui des créations culturelles po-pulaires.

Il suscite chez la population un engoue-ment réel. Mais s'il est perçu par le publiccomme un lieu de délassement où l'on vientpour se détendre, pour rire et s'amuser, il

est considéré par le pouvoir comme unmoyen privilégié pour transmettre un mes-sage politique. Certaines troupes parvien-nent d'ailleurs à satisfaire ces deuxexigences: ou a ainsi vu lors de la dernièrecampagne présidentielle la troupe de YaziDogo illustrer avec maestria et humour lecontenu des discours politiques.

Chaïbou DAN-INNAUniversitéde Niamey

Un théâtre mixte

*Entretien avec Yazi DOGO

Propos recueillis par J.-D.PENEL et M.-C. JACQUEY

Yazi Dogo est un auteur très connuet très apprécié du public nigérien. En-seignantde carrière, il a à son actif unetrentaine de pièces de théâtre.

Un talent précoce

I Est-ce que vous pouvez nous expliquercomment vous êtes arrivé au théâtre, pour-

quoi vous avez commencé à créer et quandvous avez commencé à produire?

D Avant même d'être enseignant, déjà àl'école primaire, je jouais dans les petitestroupes de l'école avec ceux qui s'expri-maient en français: on montait des pièces,des saynètes pour préparer la fête scolaire.C'est le maître qui nous donnait les sujetset les idées et nous, on les développait.

I Est-ce que vous vous souvenez de cer-

taines de ces saynètes? Est-ce que vous lesavez utilisées après?

o Oui, il y en a que j'ai conservées, quej'ai même modifiées, que je présente main-tenant même au grand public. C'est le caspar exemple de La fille qui ne sourit pas.Avec mes amis de la troupe, nous l'avonsdéveloppée pour en faire une pièce que nousavons interprétée en haoussa.

Ensuite, en Haute-Volta (Burkina Faso),je suis entré au collège De la Salle, à Oua-gadougou. Et là-bas, j'ai trouvé une autreéquipe à laquelle je me suis rapidement in-tégré. Et j'étais presque le patron de latroupe de notre établissement, organisateuret créateur en même temps.

Je suis revenu au Niger en 1960, juste àl'indépendance, je suis devenu directeur del'actuelle école Canada à Niamey. Parallè-lement, j'étais chef scout et à l'occasion dessorties que nous organisions, nous faisionsdes feux de camp. Autour de ces feux decamp, on organisait des saynètes, des jeux,etc. C'est là encore que j'ai commencé àinitier les louveteaux et quelques scouts àfaire du théâtre. Puis, je suis arrivé à Zinderen 1969, où le théâtre était déjà lancé.

M Qui est-ce qui avait lancé le théâtre àZinder ?

D C'étaient André Salifou, Marcel Inné,Abdou Toujoukou. André Salifou avait écritde vraies pièces. Il y avait ce qu'on appelait« La Semaine de la Jeunesse ». Et chaquedépartement devait présenter une pièce pourêtre récompensé. Alors André Salifou étaitl'encadreur, il avait ses pièces et nous onjouait les rôles. Quatre ans après, j'ai prisla relève. Souvent, s'il a des pièces, il meles donne, je les monte, il vient, il me donneun coup de main pour la mise en scène.

M Et la première création, la premièrepièce de Yazi Dogo, peut-on la situer?

D Elle date de 1973, c'était une piècemixte, c'était une production mélangée dehaoussa-français. C'était la première pièceSojen da sur la préparation militaire à l'é-poque coloniale.

Cette pièce, ce qui l'a inspirée, c'est que,avant d'aller au collège, j'ai chômé pendantun an, je ne faisais rien, donc je traînais unpeu devant la Poste, je faisais le scribe. C'é-

tait à Doutchi, il y avait des gens qui rece-vaient des lettres de leurs parents qui étaientlà-bas dans l'armée, et je répondais. Alors,quand je recevais la lettre d'un militaire,c'est son français qui me faisait rire. Ça m'adonné vraiment des idées.

M Quand vous écrivez une pièce, est-ceque vous écrivez tout le texte ou bien est-cequ'il y a une espèce d'indicationpour cha-cun de ce qu'il doit faire? Comment ça sepasse?

D C'est à l'acteur de trouver des idées,de voir ce qu'il doit dire et comment poserses mots. C'est dans la mise en scène quesouvent on dit : « attention, ce mot est malplacé, ce mot n'est pas à la portée de toutele monde».

et improvisé

I Et cette technique de création, donc desaisie du texte, c'est toujours- la façon dontvous travaillez même encore aujourd'hui?

D Oui. On commence par choisir unthème, par exemple l'exode rural, le gaspil-lage, ou bien sûr le mariage traditionnel, onforme un petit comité chargé de la mise enscène, on discute à bâtons rompus. Qu'est-ce-que l'exode, de quoi faut-il parler? pour-quoi partir en exode, quelles sont lesconséquences, qu'est-ce qu'on va trouver là-bas, et le retour, comment se passe-t-il ?Une fois que c'est arrêté, on recense qui vaintervenir dans cette pièce. Il y aura un mon-sieur qui va partir en exode et qui va réussir,un autre qui ne réussira pas. Quelles sontles conséquences, quels sont les problèmesque l'on va rencontrer? En même temps,au fur et à mesure que l'on parle de ça, onse dit : « ah ! pour celui qui s'en va et quirevient bredouille, untel est mieux placépour jouer ce rôle », et ainsi de suite. Nousdistribuons les rôles et une fois que c'estmis au point, on convoque les acteurs. Onexplique seulement le thème, et dès qu'onleur confie un rôle, c'est à chacun de trouverles éléments qu'il faut.

M C'est un théâtre de l'improvisation?

o Oui c'est improvisé. Et une fois quecela est terminé, la pièce est montée, on laprésente une première fois au public avecles critiques, une deuxième fois, on la pré-sente et ainsi de suite et quand on saitqu'elle est bien assise, on l'enregistre surcassette, et je la transcris.

M Est-ce que dans la société nigérienne,vous vous référez seulementà des situationsoù les gens rient à des plaisanteries?

o Le type haoussa, c'est le type qui aimevraiment plaisanter. Le type haoussa, il aimerire, blaguer, jouer des mots. C'est cette si-tuation que nous avons donc saisie, nousavons vu donc qu'à travers le rire nous pou-vons faire passer un message.

Un inspiration purement nigé-rienne

I Est-ce que vous avez eu l'occasion devoir des pièces de théâtre européen, de Mo-lière par exemple?

o Pas beaucoup. Mais quand j'étais aucollège, on avait souvent des troupes qui ve-naient de France jouer pour les établisse-ments.

M Je vous pose la question parce que fi-nalement votre formation d'acteur et decréateur, on peut dire qu'elle s'est réaliséevraiment surplace;c'est ici que vous avezfait votre formation et votre création. Sansmodèle extérieur, sauf par l'intermédiairede Salifou qui, lui, avait reçu uneformationd'acteur en France?

o Oui c'est cela.

M Est-ce que vous avez eu l'occasion detravailler avec des gens qui ne sont pas desfonctionnaires mais simplement des villa-geois ?

D Oui, cela arrive souvent. Après AndréSalifou, beaucoup de fonctionnaires ont étéaffectés et on était obligé de prendre des il-lettrés, on leur confiait de petits rôles, il fal-lait écrire la phrase, les entraîner à la dire.Si c'est en haoussa, il n'y a pas de pro-blème.

M Donc vous avez finalement décelé lesqualités théâtrale chez les gens du village?

D Oui, il y en a qui se sont montrés trèsintelligents, Kaïlou Bako, qui a peut-être faitdeux ans à l'école primaire, c'est un acteurde talent. Des gens comme Mallam Sani dela radio Zinder, ce sont des gens qui n'ontjamais été à l'école, mais qui jouent trèsbien.

Le rôle des femmes

I Et pour les femmes, est-ce que tousavez eu des problèmes pour les recruter?

D Au début, les femmes pensaient que lethéâtre n'était pas leur affaire. Aussi, aumontage, le metteur en scène s'arrangeaitsouvent pour faire des pièces qui ne pré-voient pas de rôles de femmes. Au tout dé-but, je me rappelle très bien, même quandil y avait des rôles de femmes, on faisaitdéguiser des hommes; moi j'ai interprétédes rôles de femmes. On y était obligé. Audébut, les quelques femmes lettrées avaientun peu honte de jouer avec les hommes,mais petit à petit, avec le temps, elles ontcompris qu'un rôle de femme doit être jouépar une femme. Donc avec insistance, avecsensibilisation, on y est arrivé. André Sali-fou, avec toute sa compétence, est arrivé àfaire venir des femmes dans la troupe.

M Et comme c'est une création collective,les femmes participent aussi à la création?

D De la même manière que les hommes.Elles ont leur point de vue, elles ont deschoses à dire et on travaille ensemble. Cha-cune amène un petit mot à dire dans le mon-tage et dans le découpage.

M La pièce dont vous venez de parler, lapremière pièce à être jouée à la télévision,c'est une pièce « mixte ». Comment cela sepasse-t-il ?

D Souvent, quand on monte la pièce, onlance la conversation par exemple en haous-sa. A un moment, on ne peut pas s'y tenir,on lance deux, trois mots en français. On secomprend quand même. l'intervention enfrançais, ce sont des expressions qui arriventcomme ça, automatiquement. On ne peutpas ne pas les accepter.

L'adaptation au public

M La première pièce sur le recrutementdu soldat, vous l'avez jouée au Nlgéria.Comment ça s'est passé? Vous avez traduiten anglais ?

o Au Nigéria par exemple, pour les ex-pressions en français, on s'arrange avantd'aller sur scène pour trouver presque l'é-quivalent en anglais. Souvent, il y a destextes que nous amenons entièrement enhaoussa ici à Niamey, mais nous savons quedans le gros du public de Niamey, il y a desZarma ; donc on s'arrange pour trouverquelques expressions aussi en zarma. De lamême manière, quand on va à Agadez, ons'arrange pour trouver quelques mots en Ta-masheq et les lancer dans la pièce.

M Quand vous passez à la télévision, il ya des choses que vouspouvezfaire mais quevous ne faites pas quand vous êtes au théâ-tre devant un public. Il yale décor.

o Quand c'est un enregistrement pour latélévision, c'est très différent de ce qu'ondoit présenter devant un public, donc surscène, par exemple au C.C.O.G.* ou biendans une Maison des Jeunes. A la télévision,on peut se permettre certaines choses, onpeut créer un décor. Souvent aussi, la mêmepièce qu'on présente au C.C.O.G., si on la

passe à la télévision, on sent une différence.Devant un public, il y a des choses qu'onfait passer en sous-entendu car on ne peutpas les montrer, tandis que pour la télévisionon peut tricher et faire certaines choses. Onpeut se rendre dans un décor naturel, et c'estce qui manque sur les vraies scènes, on estobligé de raccourcir, c'est cela la différenceentre la télévision et la scène même.

M A propos du public: qui vient vousécouter?

o Pour le moment, on est reconnucomme étant la meilleure troupe. Nousavons même des gens qui n'ont pas l'occa-sion de venir à Niamey pour nous voir, alorsils nous lancent des invitations, ils passentpar le Sous-Préfet, ou par le Chef de Poste

* Centre culturel Oumarou Ganda

pour chercher à faire inviter la troupe de Ya-zi Dogo pour présenter des spectacles chezeux. Et c'est cela qui explique que nous fai-sons des tournées dans les arrondissementset même dans les départements.

Une troupe au quotidien

M Donc le soir vous présentez la pièceen plein air devant tout le monde?

o Oui, devant tout le monde. Souvent, onarrive dans des régions où il n'y a mêmepas de salle. Nous-mêmes, nous préparonsnotre scène avec des séko, des nattes, on faitun petit décor pour présenter la pièce.

I A l'heure actuelle vous êtes combiend'acteurs?

o Une trentaine.

M Il y a beaucoup de femmes dans latroupe?

oElles doivent être une dizaine.

I C'est lourd, trente acteurs. Est-ce queça pose des problèmes?

D Oui, ça pose des problèmes. Surtoutquand il y a un déplacement: si la pièce necomprend que quinze acteurs, il faut partiravec les 15. Les autres attendront leur tourlorsqu'on montera une autre pièce, on s'ar-rangera pour les faire partir eux aussi. Auniveau de Niamey, il n'y a pas de problème,on joue à 30.

M Vous préparez d'autres pièces?o Oui, nous préparons d'autres pièces.

On suit l'actualité. Dès qu'il y a un pro-blème, pour nous c'est une façon de sensi-biliser le public. Ainsi, en ce moment, on apréparé une pièce sur les responsables ad-ministratifs. La pièce nous l'avons intitulée« Monsieur texte ». On l'a préparée, on de-vrait même la filmer.

I A propos de la 2e République, le pro-blème des députés, des électeurs, vous allezles aborder aussi?

o Oui, il faut d'abord qu'on ait des ren-seignements, car nous ne devons pas faired'erreurs. On est en train de recenser les élé-ments. C'est pourquoi on traîne un peu.Mais on a déjà envie de préparer quelquechose sur la députation.

Les relations avec les autres troupes

M Si on voulait donner une idée du théâ-tre nigérien aujourd'hui, il y a votretroupe: mais vous avez aussi d'autres col-lègues qui sont des créateurs, souvent dansd'autres langues. Est-ce que vous avez desrapports avec eux ? Quels sont ces auteursen ce moment?

D Il y a Djibo Mayaki, il y a Hima DamaDama, Alpha Zaze et Moumouni, commu-nément appelé Koutoukouli. Ce sont descréateurs qui montent et qui écrivent sou-vent les pièces.

I Vos collègues qui jouent en zarma, est-ce qu'ils traitent les mêmes thèmes quevous, ou bien est-ce différent?

D Il y a des moments où l'on joue lesmêmes thèmes. Seulement, eux, ils font laversion zarma, nous la version haoussa.

M Est-ce qu'il y a des différences?D Oui. Il y a des différences dans le lan-

gage. Le haoussa est très riche en expres-sions, plus que le zarma. Souvent, quand onessaie d'interpréter une pièce qui a été jouéeen zarma, nous ne pouvons pas la réussirparce que la façon de s'exprimer diffère. Etc'est pareil quand eux aussi prennent unepièce haoussa et qu'ils veulent la jouer enzarma, ça change. Les expressions vontmanquer.I Est-ce que l'on peut dire ou non qu'ilexistait avant la période coloniale desformes locales de quelque chose qui auraitressemblé au théâtre ou pas?

D Oui. Bien avant la colonisation, il exis-tait déjà dans les pays haoussa d'autresformes de théâtre et souvent on s'en est ins-piré. Par exemple, dans le département deZinder, il y a une sorte de théâtre populairequi a existé de tout temps et qui existe en-core. C'est le « Wasankara ». On n'a pasbesoin de scène, c'est dans la rue mêmequ'on joue.I Est-ce que vous avez eu une ou plu-

sieurs de vos pièces qui s'inspirent du Wa-sankara ? Quels rapports pouvez-vous avoiravec ce Wasankara quand vous vous faitesvotre pièce à vous?

o Quand il y a un rôle de chef ou un rôlede notable, c'est à partir de Wasankara queles acteurs s'inspirent. Même s'il faut fairedu théâtre, présenter par exemple une scèneen chefferie, il faut se référer au Wasankara.C'est la forme traditionnelle du théâtre auNiger. Le Wasankara c'est tout, c'est ça lethéâtre même du type haoussa.

De quoi demain sera-t-il fait?I Selon vous, quelles sont les perspec-

tives du théâtre au Niger dans les conditionsactuelles?

o Le théâtre est une grande richesse ici

au Niger, mais seulement ce n'est pas en-couragé. Notre troupe s'est formée sur le

tas, on n'a jamais eu l'occasion d'aller dansune école d'art. On a eu des encadreurscomme André Salifou et Marcel Inné. maisil est urgent qu'on y pense. On devrait avoirau Niger au moins une troupe nationale. Il

y a longtemps qu'on parle de ça mais jus-qu'à présent elle n'a pas vu le jour. Et il esttemps. Surtout, nous sommes en train devieillir, il faut déjà même penser à la relève.A Niamey,nous sommes les seuls, un jouron va être dispersés, alors ce sera fini pourle théâtre; on n'a même pas une équipe derelève jusqu'à présent. On nous laisse.faire,mais le jour viendra où ce sera fini.

M Qu'est-ce qu'on pourrait souhaiterd'heureux à votre troupe, avez-vous desprojets,des souhaits?

o Je suis en train de faire un travail per-sonnel. Je suis en train de recenser toutesles pièces, sur cassettes d'abord et de lestranscrire parce que je pense en faire un jourdes fascicules.

M Cela vous permettrait d'avoir un pu-blic en dehors du Niger. Car pour le mo-ment vos pièces sont strictement réservéesaux spectacteurs nigériens. Et s'il y avaitun support écrit, cela serait plus facilementexportable.

Propos recueillispar Jean-DominiquePENEL et Marie-ClotildeJACQUEY

Hima Adamou

*Propos recueillisparJean-Dominique PENEL

M Jean-Dominique Penel : Je voudraisque vous nous parliez de votre rôle dans lalittérature et, plus largement encore, dansla culture nigérienne. En effet, on ne peutpas parler du théâtre nigérien sans vousévoquer: vous êtes le plus grand produc-teur de théâtre depuis 1962 ; chaque di-manche vous n'avez cessé de produire despièces de théâtre ce qui représente un nom-bre considérable.

o Hima Adamou : J'ai démarré avec unepièce intitulée « La Congolaise» qui a duré6 mois.

I Quel était le thème de la pièce et quicollaborait à la réalisation?

o Je réunissais mes gens la veille, j'en-registrais le dimanche matin et la diffusions'effectuait à 13 h 30. Au démarrage, j'avaisdébuté avec ceux que j'avais sous la main:Madame Vacher, qui s'occupait du maga-zine féminin; Aïssa Salbeke qui est décédéedepuis, Adamou Guirba, et un certain Bana.

I Vous étiez 5 ou 6 ?

o Oui. Il m'est arrivé de monter unepièce avec 2 personnes car à moi seul je

faisais 3 ou 4 personnages. Je faisais la voixdu petit, qui répond à l'appel de son père.J'étais également le père de la congolaise,etc. La Congolaise est l'histoire d'un ou-vrier, plus précisémentd'un mécanicienqui,à force de boire est devenu un soulard. Ilpart régulièrement dans un bar nommé « LaCongolaise ». Le bar de Niamey qui s'estappelé « La Congolaise» a emprunté cenom à notre pièce. Mais nous avons donnéce nom-là à partir de la musique congolaisequ'on passait dans les émissions. A cetteépoque en effet, la musique congolaise étaiten vogue. Et c'est ainsi qu'on a démarré.Petit à petit, les gens ont commencé à s'in-téresser au théâtre. Certains venaient mevoir pour participer à mes pièces. En fin decompte, la troupe s'est agrandie. Après « LaCongolaise», j'ai eu une note de félicitation

,du directeur des programmes. Il m'a dit decontinuer à faire régulièrement des piècesde théâtre. Donc, pendant 18 mois on a pro-duit du théâtre en zarma, qui était suivi duconcert des auditeurs. On s'est renducompte alors qu'il fallait aussi du théâtre enhausa. Je suis allé en mission à Zinder entant qu'adjoint au directeur des programmes.

J'ai réuni les animateurs de Zinder, et ilsont démarré le théâtre en hausa, 18 moisaprès le théâtre en zarma.

M Donc, depuis fin 62 ou début 63, il ya du théâtre en zarma tous les dimancheset également du théâtre hausa ?

o Avant de quitter la radio pour la télé-vision en 1978, je crois que j'ai eu à fairequelque 700 émissions de théâtre.

N Une pièce tous les dimanches?o Tous les dimanches. Même si je m'ab-

sentais pour une mission de 2 mois, j'enre-gistrais la nuit les pièces de théâtre. Il m'estarrivé de faire 4, 5, 6, 7 pièces, de les mon-ter et de les déposer prêtes pour la diffusion.

M Vous avez donc un répertoireconsidé-rable,je crois qu'on n'en a pas fait l'inven-taire. C'est un peu dommage. Maispourriez-vous donner des titres, car en de-hors de La Congolaise, certaines de cespièces ont été très célèbres?

o Oui, il y a des pièces comme: Madar,El Hadki garo, Wanzan, Maïgari, Ize, Maï-moto, Kimba Kaïna, Zimboni, Alfa Tira, Za-mo, Yamaïzo, etc. Je ne peux citer descentaines de pièces.

M Pouvez-vous dire ce qui vous sertd'inspiration pour les sujets de vos pièces?

o Il y a d'abord l'actualité qui m'inté-resse. Par exemple, quand il s'agit de la sai-son des cultures, la pièce est axée sur lestravaux champêtres, les litiges entre les ber-gers et les agriculteurs, les litiges entre lespaysans eux-mêmes pour les histoires defrontières, les limites des champs, ou entreles commerçants et les paysans qui veulentacheter le mil en herbe auprès des paysansqui s'y opposent comme dans « SoukoutouBaba». Après les cultures, il y a l'exoderural, c'est le cas de Yamaïzo qui va enCôte-d'Ivoire, qui y séjourne 6 mois et re-vient bredouille ou plus exactement tuber-culeux.

M Dans un autre secteur d'activité, vousavez collaboré avec Boubou Hama?

o Oui, Boubou Hama m'appelait souvent,on parlait à bâtons rompus, mais le gros dutravail que j'ai eu à faire avec lui, c'est lacollecte des proverbes zarma. De 1968 à1970, tous les jours je devais lui apporter10 proverbes zarma.

Avez-vous eu l'occasion de collaboreravec lui pour d'autres genres: des contes,des légendes des mythes ?

o Je lui ai fourni une dizaine de contes,sinon plus. Certains ont paru. Par exemple:« L'œuf de Marie», « Ize gani ».

M De 1966 à 1978, vous avez cumulé vospostes administratifs avec celui d'anima-teur ?

o J'ai toujours fait mon théâtre, donnéles informations en zarma, matin et soir, etc.Je réalisais toutes les émissions. Puis quandla télévision a été créée en 1978, c'était ennoir et blanc. Je donnais les informations etje faisais des pièces de théâtre pour lecompte de la télévision.

M Avez-vous changé d'équipe pour lethéâtre ou était-ce avec les mêmes?

o Avec la même équipe. Car on s'enten-dait bien. Je leur ai proposé d'essayer lethéâtre à la télévision. On a démarré la pre-mière pièce « Mouskourou Baba» en zar-ma. J'ai passé cette pièce la veille de mondépart pour Bordeaux car je partais pour unrecyclage de 3 mois dans le cadre de la Té-lévision. La veille de mon départ, on a pro-grammé la pièce, aussi la semaine suivanteles gens ont demandé pourquoi il n'y avaitplus de théâtre en zarma. On leur a réponduque j'étais parti. A mon retour de France onm'a demandé de reprendre et je l'ai fait.

M Pouvez-vous donner quelques titres depièces?

o Mouskourou Baba, El Hadji Kadian-go, Alborkiré, Zanka baba, Robert, TéBonsé, Chef Koutoukouli, etc. Je pensequ'il y en a une vingtaine.

M Les enregistrements de ces pièces, onpeut les trouver car ils sont restés à la té-lévision ?

o Il y a même des copies en grand nom-bre. Les gens les apprécient et si aujourd'huivous passez Chef Koutoukouli, vous aurezbeaucoup de téléspectateurs, bien que lapièce fasse six épisodes. Si c'était repris encinéma, la pièce aurait beaucoup de succès.

Propos recueillispar Jean-Dominique PÉNEL

Typologiesommaire du bestiaire

dans les contes

Annie CONSTANTY

Expressiondes cultures populaires duNiger, les contes sont autant le refletd'une certaine réalité quotidienne qued'un imaginaire dont l'interprétation serévèle parfois délicate. Dans le cadre dela brousse, des champs ou du village,évolue un monde humainauquel se mêleun monde animal, parfois si anthropo-morphe qu'il fournit les principaux pro-tagonistes de tout un ensemble de contesoù les hommes, quand ils interviennent,ne sont le plus souvent que de simplesfigurants. La fréquence et l'importancedes rôles varient considérablement selonles espèces recensées qui atteignent lacinquantaine. Si des détails significatifsdiffèrent d'un conte à l'autre au seind'un même ensemble, selon les horizonsethniques (ce que nous n'étudierons pasici, dans ce trop court article), il fautcependant ajouter que les contes aux-

quels il est fait référence appartiennentà des cycles qui débordent largementles frontières du Niger.

Parmi les animaux qui partagent la viedes hommes, on trouve des animaux fami-liers tels que le chat ou le chien, d'autresdont la fonction est avant tout nourricière,qu'ils servent aux travaux des champs ouqu'ils fournissent la viande comme le bœufou la vache, et, enfin, ceux qui servent avanttout de montures tels que le cheval ou lechameau. Les rares occurrences de ce typed'animal vont de pair avec une certaine pas-sivité. Aucun n'est vraiment le héros d'unconte. Ici, un chien sert d'appât à un garçonqui réussit ainsi à ramener un singe au vil-lage (CH pp, 39-40). Là, c'est un chat, sim-ple comparse parmi sept autres, dont lechien, le bœuf ou le bélier, qui aide unejeune fille dans sa recherche matrimoniale

(ESC pp. 43-55). Et encore, dans cescontes-ci sont-ils pourvus de parole, ce quin'est pas souvent le cas.

Le bœuf et la vache: au bas de l'é-chelle

Si le bœuf ou la vache correspondent à cetype d'animaux, il faut cependant leur réser-ver un traitement particulier car ils sont por-teurs d'autres sens. Ils représentent le bétail,la viande, autrement dit une richesse non né-gligeable dans le monde de la brousse. Pres-que toujoursprivés de parole, ils se situenttout au bas de l'échelle des créatures vi-vantes. On ne leur prête jamais de réactions,de pensées ou de comportements humains;ils ne s'élèvent jamais au-dessus de leurcondition animale. Ils sont la propriété del'homme, faits pour le servir et le nourrir deleur chair ou de leur lait; dans la plupartdes cas, ils sont abattus et dévorés, victimesde la gourmandise des carnassiers, hommesou bêtes. En effet, même dans les contes oùce sont des animaux qui occupent les fonc-tions humaines, eux restent toujours à leurplace. Quand on nous raconte les démêléssentimentaux du lion dont « la femme» sefait courtiser par le chacal et le phacochère(BH IV pp. 79-80), la vache n'est rien d'au-tre que l'animal qui « meugle» et qu'on fait« conduire au puits par un domestique» etle bœuf est allègrement « dévoré ».

En tant que monture, le chameau et lecheval sont moins maltraités sans toutefoiséchapper à leur nature.

La brousse environnante fournit à l'ima-ginaire un certain nombre d'animaux qui oc-cupent un espace parallèle et en tout pointsimilaire à celui des hommes; généralementces deux mondes ne se rencontrent pas mais,quand cela est, c'est toujours pour le malheurde la gent animale sur laquelle le conte prendsa revanche, probablement pour compenserla dure réalité quotidienne où lions, chacalset hyènes représentent une menace perma-nente, tant pour les nomades que pour lessédentaires. La plupart des animaux non do-mestiqués sont en effet source de dangers.Excepté l'autruche, dont la sottise et la du-perie sont sans égal, le caméléon, dont onvante toujours la tranquille assurance, et

quelques oiseaux de proie, les espèces lesplus fréquemment représentées sont plutôtredoutables: le lion et la lionne, l'éléphant,et surtout, distribués de maintes façons, lechacal et la hyène. On accordera une placespéciale au serpent qu'on rencontre très ra-rement, toujours dans le même rôle, commesi les contes qui lui étaient consacrés étaientsans cesse repris et réinterprétés, chacun yinjectant sa fascination et/ou sa répulsion.

Le lion et la lionne

Le lion est un des rares animaux à êtreperçu différemment selon qu'il est mâle oufemelle. Mâle, il ne jouit que très rarementd'un certain prestige. Seuls, quelques contestouaregs lui reconnaissent le titre de Roi oude chef des animaux (CTA pp. 68-78 ;112-114). Ailleurs, au contraire, il fait plutôt piè-tre figure; image d'une force brutale ouaveugle, il ne brille pas par son intelligenceet finit souvent victime de la ruse du chacal(CTA pp. 116-124 ; 112-114) ou même de

l'âne (BH 11 pp. 11-20), de la force de l'é-léphant (CF pp. 123-126) ou du bélier(CH pp. 101-109). La lionne, en revanche,est beaucoup plus fine et pourvue de quali-tés toutes féminines qui la rendent aussi at-tirante que dangereuse. Dans un conte deBoubou Hama, elle comprend vite que l'â-nesse et son mari qu'elle héberge ne sontpas à craindre et constituent bien les proiesidéales qu'elle convoitait. Elle n'hésite pasà trahir son « amie» et déploie tous ses ta-lents de séductrice pour convaincre sonépoux de vérifier les dires de l'âne; le lionmontre alors une faiblesse toute masculinedevant les charmes féminins mais ses scru-pules prouvent, il faut l'ajouter à sa dé-charge, un sens de l'amitié et de l'hospitalitébien sympathiques. Séductrice, délatrice, lalionne est aussi vindicative et a alors partieliée avec le monde des génies. Elle possèdele don de se transformer en une superbejeune fille pour se faire épouser par le chas-seur qui a tué son mari ou son petit; ellel'entraîne un jour dans la brousse pour letuer à son tour et il s'en faut de peu qu'elleneréussisse. Elle offre donc une image trou-blante de la féminité, fascinante mais dan-gereuse, tout comme l'amour conjugal oufilial qui la motive, trop absolu, et quiconduit celui qui s'y laisse prendre hors dumonde des hommes, c'est-à-dire à la mort.

L'éléphant ridiculisé

L'éléphant n'est guère mieux loti que lelion. Victime de l'homme, du lion ou duchacal, il subit même le ridicule d'être vain-cu par le coq. La femelle, de nouveau, icimère engrossée par un chasseur, là enfantmonstrueuse puis radieuse, participe à lafois du monde animal et du monde humainet établit un lien entre ces deux univers anti-nomiques que constituent le village et labrousse.

Le serpent mythique

Le serpent, généralement un python, in-tervient dans un type de conte bien particu-lier; il n'est jamais associé à d'autresanimaux et semble provenir davantage dumythe que de l'environnement naturel. Dansles contes appartenant au « cycle de la jeunefille difficile », il emmène sa jeune épouséetrès loin en brousse au fond d'une grotte;ailleurs il loge dans un puits et n'en sort quepour avaler une jeune fille offerte en sacri-fice pour que la pluie tombe (CZN pp. 23-32); ailleurs encore (CHN pp. 156-162), ilprend la fonction d'un forgeron et loge aucœur de la terre; seul un génie peut menerà son repaire. Transcendantle monde terres-

tre, relevant de la nature ou de la culture, lereptile semble l'expression d'un au-delà in-quiétant auquel on peut associer deux fonc-tions ; il terrorise et annihile l'homme ets'apparente alors à un ogre, monstrueux etrépugnant; il rétablit l'ordre social en don-nant une leçon à la jeune fille et à sa marâtrequi voulaient le transgresser, chacune à samanière, et apparaît alors commejuste et gé-néreux. Dans tous les cas, son aspect phy-sique en impose et inspire la crainte.

Le lièvre, le chacal et la hyène

Mais les animaux les plus populaires sontà coup sûr le lièvre, le chacal et la hyène,les seuls qui soient dotés de noms propreset presque toujours d'une famille. La hyène,bête, méchante et égoïste, n'est motivée quepar une goinfrerie maladive qui lui fait ou-blier jusqu'aux valeurs fondamentales de lafamille puisqu'elle n'hésite pas à frapper àmort ses petits dans ses accès de colère oude dépit. Affublée d'un accent ridicule, elleconnaît toutes sortes de vexations, de cor-rections et de morts, toutes plus stupides les

unes que les autres. Souvent victime de sapropre sottise, elle est l'ennemie jurée duPeul chez les hommes, du chacal ou du liè-

vre chez les animaux. Le lièvre, principalefigure animalière des contes d'Afrique del'Ouest avec l'araignée, apparaît assez peuau Niger. Intelligent, sage, « philosophe »,il y est « doublé» par le chacal au profilplus complexe. Dans les contes touaregs, sicelui-ci séduit par sa ruse qui lui permet detendre des pièges mémorables à ses enne-mis, il peut tout aussi bien se faire rosserou mettre à mort. Son rôle est plus positifchez les Haussa où l'on apprécie son intel-ligence et ses interventions favorables auxhumains qui en font souvent une sorte detransfuge par rapport à la gent animale.

La tourterelle, la chèvre et l'âne

D'autres animaux apparaissent çà et là :

la tourterelle, toujours messagère; la chè-vre, très maline, qui sait fort bien se défen-dre du lion ou du chacal; l'âne, sansmoyens de défense, qu'il s'agisse d'armesnaturelles ou d'intelligence, mais qui sym-

bolise dans les contes islamisés de BoubouHama la créature simple et honnête queDieu n'abandonne pas.

Le conte, facteur d'équilibre

Dans cette rapide évocation du bestiairedes contes nigériens, il ressort que ce sontles gros animaux non domestiqués qui ontla vedette, ainsi que certaines femelles et leserpent par les rapports privilégiés qu'ils en-tretiennent avec le monde des génies. Qu'ilsinterfèrent dans le quotidien des hommes ouqu'ils évoluent dans un univers parallèle,tous mettent en scène des situations de ten-sion où l'harmonie du groupe social est me-nacée, où il est même question bien souventde sa seule survie alimentaire. Le conte ré-tablit presque toujours l'équilibre, les ani-maux jouant ainsi le rôle d'intermédiaireentre culture et nature. L'homme prend sarevanche sur les dommages causés et sur lespeurs suscitées, et, l'espace d'un moment, ilredevient maître du monde.

Annie CONSTANTYUniversité de Niamey

Références bibliographiques

CH: Contes haussa, Edicef, coll. Fleuveet Flamme, Paris, 1985.

CHN: Contes haussa du Niger, éd. Kar-thala, Paris, 1982.

CTA: Contes touaregsde l'Aïr, SELAF,Paris, 1974.

Dominique CASAJUS, Peau d'âne et au-tres contes touaregs, L'harmattan, Paris,1985.

ESC : En suivant le calebassier, Edicef,coll. Fleuve et Flamme, Paris, 1979.

Contes zarma du Niger, coll. Fleuve etFlamme, Paris, 1979.

Nicole TERSIS, La Mare de la Vérité,SELAF. Paris. 1976.

Boubou HAMA, Contes et légendes duNiger, tome III et IV, Présence Africaine,Paris, 1973.

Boubou Hama

*Le développementde la littérature

Diouldé LAYA

La création du prix Boubou Hama aété très bien accueilie au moins par ceuxqui connaissent la « Vallée de la cul-ture », nom que Boubou a donné à l'en-semble constitué par le Musée national, leCentre culturel franco-nigérien(C.C.F.N.), l'Institut de Recherches enSciences humaines (I.R.S.H.), le Centredes Traditions orales (CELHTO/OUA),l'Imprimerie nationale du Niger (I.N.N.),et l'ancien ministère de l'Informationavec ses salles de projection en plein airet d'exposition.

Boubou Hama a veillé à la participationrégulière du Niger à toutes les manifes-tations culturelles, en Afrique d'abord ethors d'Afrique. Il est intervenu dans toutesles directions pour faire connaître les cul-tures africaines du Niger, qu'il s'agisse ducinéma ou de la littérature. Chaque fois qu'ily avait une exposition de livres, on dressaitune liste de ceux qui étaient susceptibles d'yêtre envoyés, et on les lui présentait.

A partir de notes et de souvenirs, ce texteveut souligner sa contribution au dévelop-pement de la littérature.

Du Comité national au Fonds duLivre

Le démarrage de l'alphabétisation en lan-

gues nationales en 1963 impliquait l'élabo-ration et la publication de matérielspédagogiques: le retard enregistré provientde la très forte volonté d'adopter, dès le dé-part, une orthographe unique pour toute lan-gue utilisée dans un autre pays africain,sinon d'harmoniser les systèmes de trans-cription. Cette question ne sera réglée qu'enmars 1966, à la réunion de Bamako. Et en-core! Mais cela ne justifie pas le caractèreinsignifiant de toute la production de livresau Niger, même si on peut légitimement seconsoler de la qualité de quelques-uns.

En un an, à partir d'août 1971, profitantde l'Année internationale du Livre, BoubouHama fait mettre en place un Comité natio-nal du Livre, et créer le Fonds du Livre.

A la réunion du 16 août 1971, les troisobjectifs à atteindre en matière de promotiondu livre sont très clairement définis: aiderà la collecte (de la littérature orale en par-ticulier), produire des livres (très bon mar-ché mais pas gratuits), favoriser leurdiffusion (par la création de centres ou clubs

de lecture, et la distribution dans diversesbibliothèques, scolaires en particulier). Onnote que les auteurs ne disposent pas defonds pour publier leurs œuvres; on revientévidemment sur les livres en langues natio-nales, et on mentionne même la publicationd'ouvrages destinés à l'apprentissage deslangues nationales pour ceux qui ne lescomprennent pas. Parmi les obstacles, onévoque l'inexistence sur place d'une impri-merie adéquate, et le long délai du transportmaritime, à l'époque le moins onéreux. Aucours des débats, il n'a pas été perdu de vueque le livre était intégré au plan de déve-loppement. Très peu de temps après, le Co-mité national du Livre est créé.

Le 28 juillet 1972, le Comité constitueson jury. Parmi les membres, il convient deciter Emmanuel Wright (dont le nom devraitêtre donné à l'école qu'il a dirigée), en saqualité de pédagogue, et Abdou Moumouni,pour les éventuels ouvrages scientifiques.Environ 14 œuvres furent présentées: ellesétaient diverses, et de qualité inégale. Le ju-ry présente son rapport à la réunion du 15mai 1973 ; il ne semble pas que le prix delangue nationale ait été décerné, peut-êtreparce qu'il n'y avait pas de candidat. Entretemps le Fonds du Livre avait été créé.

De la collecte à la rédaction

Pour accélérer l'élaboration d'ouvragesdidactiques en langues africaines, BoubouHama s'initia à la transcription. Son premiertexte en langue songhay, du moins à maconnaissance, a été publié en décembre1969, sous le titre Manta Mantaari. Dansce recueil d'épopées songhay, on découvre,à côté des effets dévastateurs de cette mu-sique « nationale », les exploits du princequi allait devenir célèbre sous le nom d'A-skiya Daouda.

Boubou réunit, durant l'année 1972 etgrâce à des informateurss parlant songhay,haussa, fulfulde ou bambara, plusieurstextes de littérature orale. Ille fit avec beau-coup d'application et en mars 1973, paruten deux tomes un volumineux ouvrageconsacré à « l'éducation africaine », tra-duction du songhay biirimey.

Le premier tome est intitulé « Sentences,maximes, proverbes et locutions zarmas,songhays, haoussas, peuls et bambaras ».Destiné aux maîtres, le texte songhay y estsuivi de la traduction et des commentairesen français. Cette œuvre de pédagogueaide le maître à imprégner l'élève de sapropre culture. Malgré les insuffisances dela traduction et les défauts de la présenta-tion, ce texte multigraphié a été très viteépuisé. Mais sa préparation pour l'éditionest très avancée: il a fallu vérifier latranscription, réviser la traduction, exami-ner très soigneusement les explications,sans négliger le problème du regroupe-ment des textes.

Le second tome réunit les textes en son-ghay : ses 3 volumes totalisent 603 pages,sûrement parce que l'interligne est double.Par la suite, Boubou en fit la traduction,ce qui l'a conduit à numéroter les textes:il y en a environ 3 400. Alors que les unss'étalent sur plus de 10 pages, d'autressont tout simplement des expressions, deslocutions, dont le sens n'est pas toujoursfacile à saisir. Manifestement, une troi-sième catégorie permet au maître de fairedes exercices de langage, sans transporterl'élève dans la culture française: ce der-nier se familiarise avec des expressions etdes locutions caractéristiques du songhay,apprend quelques synonymes qui méritentdes explications, etc. Une sélection étaitdonc nécessaire et inévitable. Le textemultigraphié que le CELHTO publie en1978, reposant sur la catégorisation enusage dans la langue concernée, distingueles yaasey (proverbes), durukayaasey (pro-

verbes de pileuse),faakaarey (plaisanteries),sanni (propos), et zammuyan (devises).L'ouvrage est déjà plus maniable, et plusclair, même si l'on dpit déplorer l'absencedes scories qui font précisément la saveurdu langage. Cependant, ce premier effort estinsuffisant: il faut contribuer à la solutionde quelques questions relatives à l'ortho-graphe du songhay (pour le moment, il n'ya pas d'orthographe unique, chacun des paysconcernés ayant la sienne, malgré le désir etla volonté de régler la question), revoir latraduction, approfondir le problème de la ty-pologie en littérature orale, et expliciter lescritères qui président au regroupement.

C'est ce qu'a fait Mme Fatimata Moun-kaïla. Le CELHTO a donc publié en 1988une nouvelle version de 185 pages, sous letitre « L'essence du verbe» ; de 3 400« textes» mentionnés plus haut, on descendà 1 320. Après un bref historique, l'intro-duction évoque successivement les difficul-tés inhérentes à la typologie, à la traduction(et il faut distinguer l'ignorance, elle est, ici,inculture absolue, et le recours à l'ambiva-lence), puis justifie le regroupement opéré.Viennent alors les « textes» suivis de la tra-duction : à la fin du livre, le lecteur pourratoujours vérifier qu'il en a retenu un oudeux.

Connais-toi toi-même

Le 5 novembre 1978, Boubou Hama aterminé la traduction d'un ouvrage en son-ghay, dont le titre est « Connais-toi toi-même. comprends ce qui est ». C'est uneréflexion sur la philosophie africaine, tellequ'elle se manifeste chez les Zarma-Son-ghay. Cet essai sera publié dès qu'un spé-cialiste compétent acceptera de le lire.

Amadou Hampâté Bâ apostrophait sou-vent Boubou Hama en disant « Jeunehomme! » car il avait appris à transcrire salangue après avoir dépassé la soixantaine, sinous retenons la date de 1969. Il était sûre-ment convaincu qu'apprendre à faire vautmieux que l'éternel « Fais pour moi ».

Diouldé LAYADirecteurdu CELHTO/OUA

Hawad

*L'écriture nomade

Gérard MARTIN

Hawad, poète touareg de l'Aïr, est l'au-teur de quatre recueils en langue tifinar.Ces recueils mêlent écriture et calligra-phie dans un rapport qui n'est pas d'il-lustration. Les recueils d'Hawad sontessentiels pour l'identité touareg car, ain-si que l'écrit Hélène Claudot en introduc-tion à Caravane de la soif, ils sont « lesigne d'une transition, d'un passage entreune littérature orale et anonyme fonduedans un creuset collectif, et l'œuvre indi-vidualisée, fixée par l'écriture, marquée etsignée par une personnalité singulière ».

Les écrits d'Hawad comme ses calligra-phies paraissent dirigés vers un de ces trousnoirs que postulent les physiciens, semblentfrôler le rien et l'instant où la trajectoire versces pièges à matière devient irréversible, maiss'écartent toujours au moment ultime, ne gar-dant de la tentation de ce repos définitif quel'éveil du corps et de la pensée devant le gouf-fre. Poussière d'étoiles des calligraphies;« silence embrasé» (ainsi que l'indique le ti-tre d'un poème) de l'écriture.

Au centre donc de l'œuvre d'Hawad ladispersion des savoirs, la perte à soi quitrouve son expression dans la coexistence:du langage et du trait: « La calligraphie:

« La pensée n'existe qu'en marchant ou enchantant. Mais nous ne sommes plus dans cetteépoque de nomadisme à cause des frontièresqui ont tout coupé.

On ne peutplusnomadiseraujourd'hui.L'écriture est pour moi une autre manière de

nomadiser. »HAWAD

c'est pour dépasser tout ce qui est culturel,c'est pour entrer dans le domaine d'avantla nomination» dit Hawad. Cette recherchea son équivalent au niveau de l'écriture:« selon moi, il est possible d'arriver à unephase où on pense mais on ne pense pas, jeveux dire où on pense mais en refusant unepensée qui nomme les choses. C'est cet étatque l'on obtient par la litanie. La litaniec'est encore une écriture particulière, unesorte de glossolalie, c'est comme un moulinà paroles, c'est ce goût qui nous consume,qui nous brûle: on écrit, on écrit et au boutd'un moment il n'y a plus d'écume, plus debave, la bave c'est fini, on arrive à un étatde fusion ».

Hawad indique la source de ce momentdans la pensée soufi, où l'extérieur disparaîtpour que vive le réel, mais aussi dans latranse propre à la pensée touareg, sans pourautant fixer le sens de son propre texte à cesorigines. C'est que la pensée touareg, lapensée nomade en général est perçuecomme pensée « dogmatisée », culture fi-gée pour laquelle il importe de faire naîtreà nouveau l'étincelle du mouvant, donc duchangeant. L'œuvre d'Hawad, enracinéedans ces deux cultures, exprimée dans cesdeux modes d'expression, traduite du toua-reg (tamajaq)2 est une œuvre ouverte.

La litanie, la poussière des traits ne sontqu'un moment précis d'actes et théorique-

ment ouvrant sur d'autres actes. Condensa-tion extrême de la vie pour faire rejaillirlavie. Le lyrisme brûlant d'Hawad dans cesmoments privilégiés n'est pourtant pas, etloin de là, simple esthétique locutoire ; Ha-wad parle et ne cesse de parler de la brûlure,de la souffrance et du désespoir de l'exil,du laminage du peuple touareg. Exil quidans les premiers textes n'est qu'un regretpuis au fil des recueils devient un combat.Il faut à ce propos, lire dans leur suite chro-nologique les dédicaces des différents re-cueils.

« Ces gémissements, paroles de fièvreembrasées devant la source tarie, je lesdédie à Tellent, aux mirages vagues dedunes, à l'errance du vent, au concertdu silence et aux oreilles de l'oubli,seule étoile de ma caravane divaguant àtravers les tempêtes qui ont brisé lacharpente constellée des textes no-mades. »(Caravane de la soif)

1. Hawad in J.D. Penel etA. Mailele, Rencontre, vol.I,éd.duTénéré,1990,p.217.

2. En ce qui concerne l'analyse de la pensée et de lacosmogonie touareg et soufi,je renvoie aux explicationsessentielles de Hélène Claudot en ouverture des diffé-rents recueils d'Hawad. H. Claudot est par ailleurs latraductrice des textes originaux tifinar d'Hawad.

« Brille Pléiadeje suis le pillardqui au cri de la guerretire la longe

de la mémoire nomade

pour toi je ramène aux tentesl'archet embrasé du souffle

vapeur de paroles brûlantes

javelots tifinagh

cambrés par lefeu

rouge et sanglots jetés

sur le linceul

du désert»(Chants de la soif et de l'égarement)

« A Tayart la sourde et la muetteTayartla veuvedes bas-fonds de Tamanrassetdont l'âme fut broyée

par la semelle d'un bulldozer

une nuit de braises et de vent

par lefiel de l'encre

je hisserai ta complainte au-dessusde tout porteur de drapeau. »

(Testament nomade)

D'abord « gémissements» puis « fiel »,les paroles crient l'exil du nomade, l'exil del'errance nomade, l'exil des signes tempo-raires tracés sur le désert.

« l'errance a accueilli nos premiers crisrivages tracés par le venthorizons tatoués d'étoiles»(Caravane de la soif)

et l'infini de l'errance (même si un tempselle fut, ainsi que le note Hawad, chaos)s'est muée en clôture d'exil:

« l'exil me noue comme les cordes desmarins

l'angoisse m'élime en une aiguille de

douleur»(Caravane de la soif)

Le combat pour les origines devra avoirlieu, qui est combat d'une mémoire à retrou-ver pour la dépasser tout en la réinventant,combat qui n'a rien d'une mythique et réac-tionnaire volonté de retour fondamentalisteaux sources, mais lutte avec sa propre cul-ture, qu'Hawad exprime, tant dans l'absencedu souci réaliste revendicatif (la pensée doitêtre autre chose que le manifeste), que dansl'usage qu'il fait de l'écriture tifinar, la por-tant au-delà de la simple note écrite, usagequi jusqu'alors était le sien.

Le constat:« Aujourd'hui des milliers et des milliers

d'étapesvallées de vipères, falaises de fuméesténèbres

me séparent des campements de jadisoù les corbeaux ont dévoré les rayons dela vie nomade. »

(Caravane de la soif)

Le devoir:« Pourcreverle furonclede l'oubli

pour déchirer le voile pudeurqui enveloppe la cicatrice du silenceil me faut le venin

de la vipère à cornesdes salines saumâtres

et une langue aiguisée mordante

comme la rouille. »

(Testament nomade)

Là où la vieille femme nomade fait appelà la nuit :

« Enfants mes enfants

revenons à nos abris

laissons venir la nuit

elle seule apportera la réponse»

Là où le héros Tégéré reçoit du patriarche« ce breuvage qui t'emportera au-delà desgrèves du sommeil et au terme du galop em-brasé de la transe. »(L'anneau sentier)

Hawad, me semble-t-il, dépasse l'universmythique créé et recréé, pour lancer sonécriture de poète comme une trace entredeux dunes que le vent n'atteindrait pas, oumieux, comme ces dessins qui depuis desmillénaires ornent les pierres du désert. Ha-wad invente et témoigne pour une culture.Il joint le métissage au nomadisme.

Si les textes d'Hawad sont à part entière,c'est-à-dire pouvant être lus sans connais-sance particulière de leur référent, ils n'endemeurent pas moins simultanément destextes engagés comme nous venons de levoir, et qui parlent à voix haute du nomaderejeté au carrefour des villes. Ni hommeibleu des clichés de pensée, ni mendiant vo-leur, le touareg est issu d'une communautécomplexe, et possède une identité. C'est ce-là, si simple en apparence, que nous en-seigne Hawad.

3. Rencontre, op. cit., p. 214.

Je voudrais ajouter que lire Hawad, c'estaccepter un monde de mouvement, unmonde de feu et de nuit, une cosmogoniequi ne laisse rien au néant, sinon d'êtreétape d'un cycle. Le désert et le ciel sontstriés de sentiers, de drailles, d'êtres énig-matiques en quête ou en perte d'eux-mêmes; lire Hawad c'est accepter d'entrerdans le mythe, comprendre le moment oùles mots doivent entrer en transe pour lesredistribuer dans le texte.

Au fur et à mesure, les textes d'Hawadse sont durcis. Il précise que Caravane dela soif et Chants de la soif et de l'égare-ment ne furent qu'un rideau « pour se pro-téger de la fracture qui m'a chassé de chezmoi» et que, avec les textes suivants « jeme dégage de ce rideau et maintenant jesuis arrivé à l'écriture »3. Cependant, c'esttoujours de l'exil que parle Hawad et, si dé-sormais il reconstruit au lieu de simplementinvoquer, il me semble que son trajet estloin d'être achevé. L'errance est encore là,

ne pouvant s'arrêter à la seule extase, quin'ouvre malgré tout que sur la réalité del'exil. Les yeux s'ouvrent encore, identitéreconquise, sur la perte. Hawad désormaispeut commencer à bâtir. Retrouver, recons-truire, construire. Hawad Charpentier etTaureau.

Gérard MARTINFaculté des Lettres de Niamey

RECUEILSD'HAWADCaravane de la soif. Édisud, Aix-en-Pro-vence, 1985 (2e édition, 1988).

Chants de la soif et de l'égarement. Édi-sud, Aix-en-Provence, 1987.

Testament nomade. Sillages, Paris, 1987(2e édition: éditeur Amara, le Pigeonnier,1989).

L'anneau Sentier. L'Aphélie, Céret,1989.

Une bibliographie complète se trouve dansle recueil de J.D. PENEL et A. MAILELE,Rencontre, déjà cité. L'interview de HA-WAD par J.D. PENEL est une approcheessentielle de l'oeuvre du poète.

Hawad, marcheur, poèteet calligraphe

*Propos recueillis par J.D. PENEL

Hawad a publié quatre ouvrages depoésie en français: Caravane de la soif,Chants de la soif et de l'égarement, Testa-ment sauvage et L'anneau sentier. Il a parailleurs en réserve plusieurs manuscritsen tifinar car il écrit ses textes d'aborddans sa langue maternelle.

Ses graphismes et calligraphies ont faitl'objet de plusieurs expositions, en Eu-rope et aux États-Unis.

I Pourrais-tu nous expliquer les grandeslignes de cet itinéraire qui t'a conduit d'uncampement de l'Aïr où tu es né voici qua-rante ansjusqu'à ce nouvel espace de l'é-criture poétique et de la calligraphie?

L'éducation touarègue

D Je suis né en 1950, au nord d'Agadez,dans une famille nomade qui appartient àune confédération que l'on appelle Ikaska-zen et qui fait partie de l'ensemble de laconfédération des Kel Aïr. Donc, dès monplus jeune âge, j'ai suivi l'éducation touarè-gue. Quand je dis « touarègue », ça ne veutpas dire une éducation islamique. Je sépare

l'Islam et la culture touarègue. Cette éduca-tion repose sur un apprentissage de la viedans le désert, la transhumance, la connais-sance et la classificationdes végétaux et desanimaux mais aussi un enseignement trèsélaboré des cycles des contes touaregs (il ya 5 cycles, le dernier d'entre eux contenantdes paraboles pour examiner si l'on a vrai-ment appris cette culture). En même tempsque ces contes, j'ai suivi une autre école tra-ditionnelle, j'ai reçu l'éducation de la sœurde ma mère. Dans une famille, il y a beau-coup de vieilles femmes qui n'ont jamaisété mariées, ce sont des sortes de prêtressesqui enseignent la cosmogonie et la penséetouarègues ou plutôt la pensée nomade quiest une pensée mouvante, basée sur le mou-vant. Le support de cet enseignement, cesont l'espace, l'architecture de la tente et laprojection de son corps dans l'espace. C'estune cosmogonie, une pensée qui va à l'en-contre de plusieurs pensées rigides. La pen-sée dont je parle est une pensée mobile,nomade.

Avec mon grand-père, j'ai appris autrechose: maîtriser la parole devant l'assem-blée politique des hommes (qui sont souventcontrôlés derrière par les femmes). C'esttrès important la projection de soi, de son

corps, dans cet espace politique. Après leverbe, la parole. C'est comme un arbre quis'attache au sol mais dont les palmes et les

rameaux se distribuent. Le corps devrait êtreflexible et en même temps rigide dans sesconstructions. Et dans ces assemblées, qu'onappelle asagawar, on projette l'organisationpolitique touarègue mais aussi la cosmogo-nie. C'est l'assemblée politique, la parole yest très importante.

La parole n'est qu'un plus

J'ai aussi participé, en suivant ma mèreet mon oncle maternel, à ce qu'on appelleles ahal ou veillées, qui sont d'autres écolesthéâtrales, tragiques, poétiques (l'éducationde l'amour courtois comme chez les Occi-tans du Sud de la France), philosophiques.On passe des nuits entières à faire la des-cription d'une chamelle ou d'une gazelle età la fin on a l'impression qu'on épuisecomplètement les mots. On part de l'objet,puis on dépasse sa beauté, sa forme et, à lafin, on rentre uniquement dans le flou del'objet ou de la matière, ou du graphismeou de l'espace. Et c'est là que s'instaure l'é-tat de vision que recherchent les touaregs.Pour parvenir à cF stade, on a besoin deconversations

quiXJurentdes nuits, des mois,

des années entières. On commence uneconversation, on l'arrête et le lendemain, onla reprend. La parole n'est qu'un fil: cha-que fois il faut tisser, détisser, broder, il fauttresser au-delà. Donc j'ai reçu cette éduca-tion qui est très complexe, diverse et riche.

La rupture

Al'âge de 7 ans, j'ai perdu soudainementmon grand-père, celui qui était pour moi lereprésentant de cet univers. Certes, il n'étaitpas le seul, il y avait ces femmes, ces prê-tresses, ces vieilles femmes du côté de mamère qui m'avaient enseigné la vie et quise trouvaient souvent en opposition avec lesmilieux politiques touaregs. Ces prêtresses,ces vieilles femmes sont là avec le doigt ac-cusateur sur tout ce qui bouge en dehors dumouvement cosmique, qui est cyclique etsur lequel s'use toute aspérité. Cela signifieque toute forme qui n'adhère pas à ce mou-

vement sera broyée, cassée. C'est cela levrai nomadisme qui ne se confond pas avecle pastoralisme et la recherche des pâturagespour les bêtes.

Donc mon grand-père meurt. Il avait eubeaucoup d'esclaves. C'.était un homme ex-traordinaire qui avait su tirer l'expérience dela défaite de 1917. Il avait compris que lesFrançais étaient devenus les maîtres du paysmais qu'il fallait faire quelque chose pourles gens. Il a aidé les affranchis à travaillercomme dans une espèce d'entreprise. C'est-à-dire qu'il leur a donné des chameaux etdes moyens d'échange sur lesquels ils per-cevaient unepartie des revenus. Cela dansle but de faire travailler tous les gens de laconfédération.

Un jour, donc, il est mort. Pour moi, cefut comme si le fil qui me reliait à la vies'était rompu. Tout un univers s'écroulait.Avant de mourir, il avait préparé sa mort:c'était une sorte de « suicide» organisé. Il

a libéré 300 esclaves en un seul jour. Il leura dis: je vous anoblis. Et moi je voyais tousces esclaves qui chantaient, qui dansaient dejoie et qui pleuraient de tristesse car tousavaient compris. Au coucher du soleil, il apris sa jument, il est parti au galop en sui-vant la course du soleil. Il est revenu avecla nuit. Quand il est descendu de sa jument,il a pris son fusil, il l'a posé sur ses genoux,il s'est orienté vers l'est, dans la directiondu cimetière de la tribu. On a compris, toutle monde a compris qu'il allait mourir. A cemoment, juste avant sa mort, moi j'ai quittéle campement. Je suis parti car celui qui ser-vait de pilier central, qui soutenait notre cos-mos, venait de s'effondrer, fendu, brisé. Je

me suis dit alors: le chaos va venir. Je suisen train d'assister au chaos. Il faut trouverun autre remède contre le chaos car désor-mais la philosophie et la cosmogonie toua-règues ne donnent plus de solution. Il y al'infini. Pour un enfant, l'infini c'est insup-portable sauf s'il y a quelque chose qui voussoutient. Je suis parti de la maison. Je ne vou-lais plus entendre parler de la cosmogonietouarègue. Il me fallait un univers tangible etsûr où il yale Bien et le Mal. Je suis parti.J'ai voulu mourir comme mon grand-père.

Je suis parti dans le désert avec quelqueschameaux. Au coucher du soleil, j'entendsles chants, les voix de gens qui sont là dans

le désert. Ce sont des soufis. A cette épo-que-là, j'avais un mépris inconcevable,qu'on ne peut pas définir, pour tout ce qui

est l'Islam. Nous sommes païens, noussommes des guerriers, nous avons notre cos-mogonie, nous n'avons pas besoin de l'Is-lam.

La voix verticale

Ces hommes dans le désert, je les ai sui-vis. J'ai été attiré par cette voix verticale,une sorte de pilier qui remplaçait le pilier

que je venais de perdre, mon grand-père. Jeles ai suivis, un peu par hasard, attiré parl'invocation. Au bout d'un moment, ils sesont arrêtés, ils ont formé un grand cercle,ils ont chanté. Les chants sont en touareg,mais évidemment ce sont des soufis. Je suisresté à côté d'eux et, à la fin, j'ai découvertparmi eux mon oncle maternel. Je lui ai de-mandé de me prendre, de m'intégrer, dem'accepter comme son élève.

Et je vais avoir un choc quand je vaisdécouvrir l'écriture arabe. Je retrouve dansle chaos harmonisé de l'alphabet arabel'harmonie que je viens de perdre, j'ai vutoutes ces lettres arabes comme une forêtcalcinée, brûlée, mais liée par un ordre. J'aiaussi suivi cette nouvelle éducation sans merenier ni négliger la culture touarègue. J'aisuivi cette éducation en observateur critiquemais par le biais du soufisme, j'ai lu lestextes des auteurs grecs anciens, hin-douistes, j'ai étudié le christianisme et lesarabes. J'ai regardé les touaregs : j'ai essayéde déchirer tout ce qui est touareg en moi,de le brûler, comme une flèche qui s'estplantée et que je n'arrivais pas à arracher.

Du côté de ma société, de ma mère parti-culièrement, il y a eu un rejet. Elle m'a traitéde musulman, m'a poussé dehors. Cet étatest inconfortable. J'appartiens à deux identi-tés, je vis dans la métamorphose. Je gardequand même les valeurs touarègues : le côtéchevaleresque, le côté guerrier, la cour etc.

J'ai fini par quitter mon oncle et suis partisuivre l'enseignementd'un soufi qui était unancien affranchi. J'ai appris des choses im-portantes. J'ai étudié la Kabbale, la géoman-

cie et bien des choses. Il m'a appris vrai-ment à penser par moi-même.

Les années d'errance

En 1967 (j'ai 17 ans), je décide de partiren Libye, Égypte, Irak. J'ai suivi des cara-vanes à la manière d'un auto-stoppeur. EnLibye, je fréquente une sorte de lycée oud'université islamique. En même temps, jetravaille comme gardien pour me permettrede vivre. Ça a duré.

Je suis revenu un jour, en 1969. L'Aïr aété pris dans la sécheresse. En rentrant, j'aiconstaté que ma mère et les gens de cheznous ont tout perdu. Tous les troupeaux sontmorts, ils ont vendu leurs bijoux et leurs ta-pis. j'ai à peine pris le temps de serrer lamain de ma mère et je me suis sauvé de lamaison. C'est insupportable, cette misère.

Je suis reparti en Afrique du Nord, enOrient, au Maghreb. Je suis resté là-bas pen-dant des années. Je me suis retrouvé en Eu-rope comme vagabond. J'ai couché sous lesponts. Je me suis intéressé au mouvementhippy après 1969. Ce qui les a réduits à cetétat, c'est la machine. Et pour infiltrer lamachine, il faut passer là où il y a une faille,comme ce mouvement hippy, dans la ma-chine européenne et étatique. Et j'ai ren-contré une affinité, une ressemblance entreles hippies et ma vie de nomade.

Puis je suis rentré chez moi pour inter-préter l'écriture touarègue, cette géométriequi se trouve sur les bijoux, les cuillères, lespiquets de tente. J'ai aussi beaucoup étudiéla psychologie; c'est-à-dire la transe. Jesuis resté dans l'Air pendant 7 ans.

La pensée et la marche

Entre temps, j'ai écrit. J'ai commencé descommentaires sur les textes des autres.Après, je me suis rendu compte que je nepouvais pas exprimer la philosophie et lacosmologie touarègues par l'écriture habi-tuelle. Ce n'est pas pour rien si les touaregsqui ont le tifinar n'ont pas écrit leur histoire,n'ont pas écrit leurs pensées. Le tifinar ne

leur sert qu'à écrire des lettres ou des notespour le commerce, des choses qu'on dé-chire. Mais tout ce qui est nécessaire et es-sentiel n'est pas écrit: ni leur histoire, nileur pensée, ni leur médecine. Rien n'estécrit, pourtant ils ont une écriture. C'est quecette pensée touarègue s'exprime soit par lamarche, le nomadisme dans l'espace, soitpar une écriture plutôt métaphorique, unesorte de géométrie. Les géomètres tracentdes angles et ces angles eux-mêmes sont desespaces, des parcelles d'espace. De même,l'algèbre regroupe des éléments épars pouressayer d'avancer.

J'ai commencé à chercher une autreforme de langage et d'écriture où chaquemot peut avoir plusieurs sens et plusieursportées. J'ai chanté et puis j'ai commencé àécrire de la poésie.

Tous les rideaux métaphysiques que j'a-vais construits pour me protéger de la frac-ture qui m'avait chassé de chez moi, cesparavents dressés pour me protéger, il fautque je les délaisse pour tisser d'autrestrames. C'est ainsi que j'ai écrit Caravanede la soif et Chants de la soif et de l'éga-rement. Tout en faisant cela, je me suis ren-du compte de l'incapacité des mots pourdécrire la pensée. Tout ce qui est nomade

doit être soit chanté, soit marché pour êtrevraiment tel. J'aime beaucoup cette phrasede Lanza del Vasto: « Il faut mettre le

corps sur le sillage de sa pensée ». La pen-sée n'existe qu'en marchant ou en chantant.Mais nous ne sommes plus dans cette épo-que de nomadisme à cause des frontières quiont tout coupé. On ne peut plus nomadiseraujourd'hui.

La parole primordiale

J'ai dit tout à l'heure que l'écriture et lesmots ne suffisent pas. Il faut les dépasser.Il faut parvenir à une sorte de litanie où onrécite, où on parle jusqu'à atteindre l'épui-sement du moulin à paroles, et où on accèdeà l'état de la vraie parole, à la parole pri-mordiale, à la parole désincarnée. C'estalors que le mot, la parole, devient une bri-que pour construire une pensée à venir, unepensée éphémère. Car chez les nomades,tout ce qui existe est éphémère et ne peutexister que dans l'espace qui sépare départet arrivée. C'est un sillage sur le sillage, lavéritable écriture.

Donc, j'avance. En avançant, je trouvedes moyens pour mon nomadisme de l'écri-ture. L'écriture est pour moi-une autre ma-

nière de nomadiser. La page est un espacecomme le désert. Le désert on ne peut leremplir de plusieurs traces. Pour support, ilfaut une seule trace. C'est ainsi que je faisdes calligraphies car je me retrouve plusdans le trait que dans le mot. Dans le trait,c'est le geste. J'arrive à saisir le nomadismespontané et éphémère du geste et du mou-vement. Je n'aime pas le terme « calligra-phique » au sens grec du terme de « belleécriture ». Il n'y a pas de souci de l'esthé-tisme dans ce que j'écris et dans les traitsque je trace. Ce qui importe c'est de saisirl'infiniment petit par l'infiniment grand. Etce que je cherche ne se trouve ni dans l'in-finiment grand ni dans l'infiniment petit,c'est entre les deux. C'est comme quand tujettes la pierre dans l'eau. Ce n'est pas lapierre qui m'intéresse ni l'eau, mais lesondes, les multiples ondes que la pierre pro-jette.

Calligraphie et litanie

I Cela signifie donc que dans tes gra-phismes, on ne doit pas chercher à lire lareprésentation, même lointaine, d'un objetou d'un personnage? On ne peut y décelerune analogie avec les formes concrètes?

o Rien, rien du tout. Pour moi, la meil-leure calligraphie, c'est de jeter une pierredans l'eau. La calligraphie c'est dépassertout ce qui est culturel, pour entrer dans ledomaine d'avant la nomination. C'est cetétat qu'on obtient par la litanie. La litaniec'est comme une écriture particulière, unesorte de glossolalie, c'est comme un moulinà paroles, c'est ce fait qui nous consume,qui nous brûle: on écrit, on écrit et au boutd'un moment, on arrive à un état de fusion.La fusion, c'est la wadjd des soufis ; la li-tanie, c'est le wird des soufis. C'est commesi tu fends le tronc d'un palmier par le wird,la litanie. Et après, il yale dhikr, l'invoca-tion, qui est la fusion, c'est-à-dire qu'ellesse déploient pour former une sorte de soleilmais ce soleil revient à la racine. Les palmeset les racines se rejoignent. L'état de fusionest superbe, magnifique. C'est beau, biensûr. C'est le soulagement, on n'a plus d'an-goisse, plus de conflit en soi. La meilleure

étape n'est pas l'aboutissement mais l'es-pace éphémère qui, à l'intérieur de la bou-cle, sépare les palmes des racines qu'elles.veulent embrasser pour former un cycle.

M La poésie n'est-elle pas la seule voiedu langage qui resterait. ?

o La poésie, selon moi, c'est la voix der-rière le trait. Elle suit le trait. La poésie peutremplacer le trait mais elle devient a-sociale,non compréhensible. Elle n'est pas, commela parole, faite pour se communiquer. Lameilleure poésie, pour moi, est celle du son,celle qui est basée uniquement sur le son.Pour moi, l'écriture c'est une recherche demoi-même. J'écris: c'est comme marcherdans le désert, nomadiser dans l'espace,dans le cosmos. Quand je nomadise, je nenomadise pas pour que les autres mecomprennent ni pour que les autres m'ai-ment. Non, je nomadise pour me retrouvermoi-même: pas pour devenir un être parfaitni pour me réaliser. Je n'existe pas, sauf enmarchant.

Ma calligraphie peut se danser, elle peutse chanter. Je peux la psalmodier. Maiscomme j'aime les livres, j'écris les mots.Mes calligraphies accompagnent ma poésieparce que ma poésie est imparfaite, n'est pasjuste. Les mots ne seront jamais justes et nedécriront jamais ce que nous cherchons.

La transhumance du souffle

M Que prépares-tu maintenant en poésieou dans d'autres domaines, théâtre notam-ment?

o Ce que je fais, je ne sais pas si on peutl'appeler « théâtre». J'ai en effet plusieursmanuscrits qui sont du « théâtre» et de lapoésie. Très précisément, je suis arrivé dansla poésie à une sorte de dialogue: plusieurspersonnes dialoguent et chantent, c'est unepoésie plutôt théâtrale, c'est un chant qui estincantatoire. Il y a plusieurs acteurs. Là, jem'inspire complètement de l'espace de laparole des veillées touarègues.

En même temps, j'ai un manuscrit dans cegenre qui s'appelle La transhumance dusouffle, un long texte, un long poème chantépar plusieurs personnes. J'essaye de prendre

l'inexistence du temps dans l'espace saha-rien. Je fais parler plusieurs personnes au-tour d'un puits ou autour d'une théière. Onpeut parler de roman, de récit, mais pourmoi ce n'est pas ça. Je les appelle en touareg« veillées ».

Donc, j'ai du théâtre, j'écris des « piècesde théâtre» qui sont entre le chant incanta-toire et la poésie, c'est plutôt du théâtre dela transe et de la guerre. Je m'inspire ausside l'érotisme au sens physique. J'ai environune dizaine de manuscrits de ce genre.I Ton séjour en France a-t-il un impactparticulier dans ton œuvre ou non?

D Je tamise la culture des autres avec laculture touarègue, je fais la même choseavec la culture française. Autrefois, je l'aifait avec la culture arabe, aujourd'hui je lefais avec la langue française: cela m'ap-porte des richesses extraordinaires. Parcequ'elle est une langue étrangère, elle tamisele touareg. Il y a des choses que j'écris entouareg et je pense en touareg il y a beau-coup de choses qui passent dans les rythmesavec la facilité d'un élément qui coule dansson eau. Si je passe dans le moule de lalangue française et de la pensée française,elle me sort des défauts et de l'imperfectionde ce que j'ai fait, et inversement.

M Dans cette culture européenne, quivient en dernier sur ton itinéraire, y a-t-ildes auteurs, des écrivains qui t'aient appor-té quelque chose de très marquant?

D Moi, je ne fais pas la différence entrece qui est ma culture traditionnelle, ma cul-ture personnelle et les autres cultures. Maculture c'est l'ensemble, c'est la synthèse.

Nomadismeet spiritualité

M Quand je suis allé près d'Aix-en-Pro-vence, à Senanque en France j'ai vu uneexposition sur le Sahara etje me suis renducompte que tu y étais complètement asso-cié.

D C'est moi qui l'ai organisée avec mafemme Hélène Claudot-Hawad. Un amifrançais, directeur du Centre Culturel del'abbaye de Senanque (il n'y a plus demoines, c'est un centre culturel maintenant)

voulait faire une exposition sur le désert defaçon à rejoindre le désert des moines cis-terciens. Comment réaliser une expositionsur le désert sans tomber dans l'exotisme etdans les clichés que les gens ont du désert?J'ai réfléchi longtemps et j'ai voulu montreret présenter le désert par ce qui n'est pasdésert, c'est-à-dire désigner la mort par lavie. J'ai montré la vie par des traces. D'a-bord les traces des éléments naturels, levent, les eaux et diverses traces naturelles.Ensuite les traces des animaux jusqu'auxtraces des hommes en intégrant celles deshommes préhistoriques. J'ai montré le par-cours d'un jour de nomade, depuis le matinjusqu'au coucher du soleil et du coucher dusoleil jusqu'au matin. Et d'une certaine fa-çon, je suis arrivé à rejoindre le désert cis-tercien car le désert n'est pas seulementl'espace de sable et de dunes comme on le

pense Le désert peut être le désert intérieur.

M Lorsque tu résides en France, de quelsmoyens disposes-tu pour ton travail et lesrecherches que tu poursuis?

D Je lis, j'écris des articles dans les re-vues. Je suis souvent invité pour lire mapoésie et exposer mes calligraphies, maisdans des cercles vraiment restreints. Je suisencore l'homme de la périphérie.

Je suis isolé. Cependant en France, enHollande, en Belgique, il y a des gens quime comprennent. En milieu touareg, je n'aipas encore d'accès direct mais cela ne faitrien. Je ne me décourage pas. J'ai envie deformer un groupe de théâtre, mais aussid'encourager d'autres personnes à écrire. Je

pense que je peux rencontrer dans la sociététouarègue des jeunes poètes qui sont capa-bles d'écrire bien mieux que moi. J'ai envievraiment de les aider à éditer leurs textes etde leur montrer que sans jeter sa peau, onpeut reforcer sa peau avec la peau des au-tres. Je voudrais être en quelque sorte unpont entre la société touarègue et l'extérieur.Il faut que les touaregs ne perdent pas lenomadisme, je parle du nomadisme spiri-tuel.

Propos recueillis parJean-Dominique PENEL

Cinéma et littérature

Saley Hamidou KO

Dans cette étude, nous nous propo-sons de faire une analyse succincte ducinéma et de la littérature: de dégagerleurs points de rencontre et leur dyna-mique respectivedans la situation cul-turelle actuelle de notre pays.

Nous nous interrogerons égalementsur le type de rapport qui existe entrecinéma et tradition orale. Cette der-nière peut-elle, face au cinéma, resterauthentique? Que gagne-t-elle, ouperd-elle, à être fixée?

Les rapports cinéma/littérature

Mais qu'en est-il à présent des similaritésdu cinéma et de la littérature dans notrepays?

Le cinéma nigérien, à l'image des autrescinémas d'Afrique, ne recourt pas générale-ment à l'adaptation littéraire dans le choixdu scénario.

Au Niger, les œuvres littéraires qui ontété adaptées au cinéma se comptent sur lesdoigts d'une main; il s'agit de Toula ou legénie des eaux réalisé par Mustapha Alhas-sane à partir d'une histoire de Boubou Ha-

ma ; Si les cavaliers est une fresque histo-rique adaptée par Mamane Bakabe grâce àl'œuvre littéraire d'André Salifou. Il y a lieude signaler également Lelee, une coproduc-tion FR3/Télé-Sahel, réalisée à partir d'unenouvelle de Abdou Kanfa. Notons aussi leroman, Quinze ans, ça suffit de AmadouOusmane et celui de Abdoulaye Mamani,Sarraounia, qui ont, tous, été adaptés à l'é-cran par des cinéastes étrangers.

Au Niger comme partout en Afrique, lesrapports du cinéma et de la littérature s'ins-crivent sous un autre angle, dans une pers-pective plus générale. Ces rapports laissentapparaître quelques composantes spécifi-ques qui sont propres aux cinématographiesafricaines et qui se retrouvent égalementdans les littératures. Car, jouant le mêmerôle de libération, véhiculant une même ac-tion culturelle, ancrés dans la même réalitéhistorique, cinéma et littérature constituent,en Afrique, un miroir à multiples facettes.

La critique de la société

Bien que les deux arts paraissent suivredes voies autonomes, leur parcours est,ce-pendant, similaire. Saisi dans une perspectived'ensemble, le cinéma nigérien affiche dans

son histoire comme dans sa fonctionnalitédes ressemblances avec la littérature écrite.La plupart des films rendent compte, chacunavec sa spécificité, de questions qui traver-sent la société nigérienne aujourd'hui: cri-tique de l'ordre socio-économique, combatcontre l'obscurantisme et les forces occultes(marabouts, charlatans, etc.), revalorisationde la tradition, lutte contre les effets néfastesdu modernisme et j'en passe. Dans sa vo-lonté de réappropriation culturelle, le ciné-

ma nigérien s'ancre fondamentalement dansle présent de notre société. Ces traits, le ci-néma les partage avec la littérature.

Il est un autre point de convergence entreles deux médias, qui tient à leur fonction.De même que les romanciers, dramaturges,poètes et traditionnalistes assignent le plussouvent à leur activité une finalité émanci-patrice, le cinéma entend œuvrer dans le

sens d'une prise de conscience.

Face au déferlement d'images venues del'étranger, face à cette invasion massive etpernicieuse, qui impose à notre société uneautre vision des choses, et face donc à l'ac-culturation qui en découle, les cinéastes ni-gériens vont d'abord montrer des images dechez nous, faire entendre des sons et desmusiques au timbre familier, aux réson-nances quotidiennes ou ancestrales; bref, ilsvont rendre compte des préoccupations so-ciales. Ils vont surtout en faire la critique.Mais ils vont proposer aussi des réponsesaux sollicitations et interrogations de la so-ciété. Donner à voir, renvoyer au spectateurdes images de lui-même, la fonction spécu-laire du cinéma joue un rôle majeur, ici, toutcomme elle le fait dans la littérature.

Tradition et modernité

Par ailleurs, les thèmes de l'oppositionentre tradition et modernité, rationalisme etanimisme, vie rurale et vie urbaine, chô-mage, parasitisme, dégradation des valeursanciennes, etc. constituent des sujets quel'on retrouve tant dans les films que dans lalittérature. Et s'ils n'ont rien de spécifique-ment nigérien, ils sont nigériens dans la me-sure où ces questions se posent à l'ensembledu continent africain.

Outre ce parallèle du cinéma et de la lit-térature, il existe encore d'autres points

communs. En effet, lorsqu'on examine lesproductions filmiques, on peut voir quepresque tous les films ont recours, de ma-nière différente, aux formes du récit oral. Lecinéaste, à l'instar de l'écrivain, est influen-cé par les techniques de narration duconteur. On retrouve, ainsi, les traces de latradition dans la structuration du récit dansbeaucoup de films, de même que la réfé-rence à la gestuelle et aux mimiques tradi-tionnelles s'observe dans la conception dela mise en scène. Ainsi, le poids, la pesan-teur de la tradition du récit agit fortementsur l'évolution du langage cinématographi-que; l'organisation dramatique du dévelop-pement de la diégèse en est redevable.

L'Exilé d'Oumarou Ganda

C'est ce que nous tenterons de faire res-sortir maintenant à travers L'Exilé d'Ouma-rou Ganda qui nous servira d'exemple. Cefilm qui porte en effet le cachet de la tradi-tion orale, se résume de la façon suivante:à l'annonce du brutal revirement politiquede son pays, un ambassadeur décide de re-noncer à ses fonctions et s'exile en Suisse.Et pour répondre aux interrogations de sesamis européens sur la motivation de songeste, il décide de raconter une histoire destemps anciens. C'est un récit second, un ré-cit à l'intérieur d'un récit qui narre les aven-tures de Sadou qui, après avoir failli à saparole, entreprend un long itinéraire physi-que et spirituel qui le conduira à se sacrifierpour n'avoir pas respecté sa parole donnée.L'intrigue de ce conte filmique tourne doncautour de la valeur de la parole dans les so-ciétés traditionnelles africaines.

Unfilm de parole

L'Exilé apparaît alors comme un film surla parole, un film de parole. La parole so-ciale s'intègre à l'organisation narrative, elleen est la composante structurelle fondamen-tale. Cette parole, qui se donne comme lavraie parole sociale, apparaît comme la pa-role sacralisée, ritualisée. Elle engage au re-gard de la société celui qui en fait usage, etde ce fait, devient un acte social.

C'est encore cette parole qui produit lamise en route du récit. Elle en commandele déroulement. Ayant manqué à sa parolesous la pression de son épouse, Sadou sevoit contraint de fuir le village. Un long iti-néraire, au cours duquel il aura traversé plu-sieurs fois l'épreuve de la parole, leconduira finalement au sacrifice ultime. Lemanquement à la parole donnée se trouveainsi converti en parcours actionnel. Deplus, chaque étape, déjà justifiée par la tra-hison initiale, sera l'objet d'une épreuvefondée sur la parole qui devient ainsi causeet finalité de la progression de l'intrigue.

Elle est ensuite et surtout constitutive dela structure filmique. Et par-delà, elle meten jeu, au sein du système diégétique, laforce de cohésion qui est la sienne dans l'u-nivers social.

Deux conséquences majeures quant auxeffets de sens en découlent: la premièresouligne la force d'ordre, au plan de la nar-ration comme celui de la société, que repré-sente la parole.

La mise en relation du premier récit avecle second fait, en effet, apparaître une nettedifférence, porteuse de sens: à l'histoire deSadou qui s'enclenche puis se déroule sansheurts, répond l'accumulation des images deviolence transmises par la télévision dans lepremier récit.

La perte de la parole: une ère dedésordre

Ces deux sens sont produits par le conte-nu des images (affrontements, manifes-tations, violences racistes, etc.) ainsi que parla configuration même qui agence l'his-toire : en effet, le montage par juxtaposition,accumulation et contraste renforce le carac-tère hétéroclite du matériau visuel. Or, ceséléments visuels chaotiques s'estomperontsitôt que la parole sociale s'élèvera.

Ainsi, la perte de la parole et des valeursqui lui sont attachées ouvre une ère de dé-sordre dans la société. C'est le signe de ladégradation des valeurs et de la société.Mais mettre l'accent sur cet aspect, c'estaussi affirmer la force de cohésion de la tra-dition.

La seconde conséquence s'inscrit surl'axe de la temporalité. Chacun des récitsdu film renvoie à une époque différente. Ce-lui, basé sur le présent, s'articule sur le pré-sent et les événements actuels du monde;le second, lui, fait référence au passé pré-colonial et à son équilibre social. On peutmême ajouter à ces deux récits un troisièmequi renvoie à un passé encore antérieur,comme à une sorte de temps très ancien,quasi mythique (le récit du roi). Ces troishistoires sont emboîtées, chacune ayant enson centre la parole. On peut donc dire quela fable du film s'inscrit dans l'épaisseur dela durée.

Or, des temps les plus anciens jusqu'auprésent de la modernité, une même donnéeaffirme sa présence: la valeur de la paroledonnée et de son caractère sacré. Un effetde sens majeur en découle: par sa perma-nence et sa résistance aux transformationsde l'histoire, celle-ci, c'est-à-dire la paroledit sa perversité et sa puissance, elle affirmeson caractère de cohésion sociale et sa va-leur supérieure.

Mais il importe de dire que le film nereprésente pas cette valeur, il la produit àpartir de sa structure même. Du point de vuenarratif, le sens est capital, car on passe dusimple enregistrement de l'acte de parole àla reproduction dans le cadre des méca-nismes filmiques, d'un ensemble de valeursqui, bien que créditées au compte de la pa-role, sont celles-là même du film. La pa-role ainsi conçue devient une donnéefondatrice de la diégèse. Elle marque sonpouvoir fondamental de régulation et demise en ordre, et sa capacité à veiller à lacohésion du système, qu'il soit social ou fil-mique.

Une société en constante évolution

Le schéma idéologique sous-jacent estclair: afin qu'elle trouve son nouvel équi-libre, face aux agressions de la modernité,l'Afrique (le Niger, donc) doit regarder versson passé et puiser aux sources de la tradi-tion mais à condition de ne pas se laisserscléroser dans une autarcie culturelle.

Une société doit être facteur de constanteévolution, de progrès et, dans cette perspec-

tive, elle ne saurait être renvoyée seulementvers un passé mythique. Parce qu'elle doitmanifester aussi son pouvoir d'invention, sacapacité à s'ouvrir sur le monde d'aujour-d'hui en produisant des formes neuves etbien enracinées.

Aussi, le cinéma, comme la littérature etles autres arts de spectacle, ne peuvent êtrevivants, source d'authenticité, que dans lamesure où ils sont producteurs jusque dansles techniques narratives. Et dès lors qu'ilssauront puiser dans les sources de la tradi-tion, pour donner naissance à ces formesneuves, ils affirmeront leur spécificité etleur identité culturelle. C'est à ce prix, et à

ce prix seulement qu'ils pourront jouer plei-nement leur rôle de nouveaux vecteurs prin-cipaux de développement socio-culturel.

Tradition et imagination

Et pour terminer, nous allons citer Kadi-ma Nzuji qui écrit:

« Face aux pouvoirs des nouveaux mé-dias, nous, écrivains, cinéastes, chercheurs,professionnels de l'audiovisuel, éducateursafricains, nous sommes contraints de nousdébarrasser de notre torpeur en faisantconstammentpreuve d'imagination. Le tra-vail qui reste à accomplir pourfaire connaî-tre davantage la parole traditionnelle touten la préservant dans son identité, est en-core immense. Immense aussi notre respon-sabilité devant l'histoire ».

Saley Hamidou KO

L'oralité dansla littérature écrite

d'expression française

Moussa MAHAMADOUet Kanguèye Seyni MAÏGA

La colonisation a créé un hiatus cul-turel qui a favorisé la domination del'Afrique par l'Europe. Aussi une en-treprise de « glottophagie » a fait de lalangue française, anglaise, portugaiseou espagnole un instrumentde commu-nication,de connaissanceet de pouvoir.L'Afrique est transformée par voie defait en un entonnoir qui reçoit les cou-rants de pensée du dominant. Elle estdevenue poreuse et fragile par son in-capacité à imposer son propre maté-riau linguistique.

Toutefois, le processus de phagocy-tose des langues nationales est ralentipar la résurgence du fonds linguistiquematernel des écrivains africains (d'ex-pression française). Le refus d'intério-riser passivement la langue de l'Autres'opère de plus en plus depuis quelquetemps. Une race d'écrivains, tels Ah-madou Kourouma, Massa Makan Dia-baté émerge et s'impose: la sensibilitéafricaine passe dans les textes écrits.

Au Niger, la pratique est remarquable etse nuance, voire se différencie, d'un écrivainà l'autre. Certains textes sont totalementécrits en langues nationales (toute la produc-tion de Hawad est composée en tamasheqet rédigée en tifinar, l'écriture des Touaregs)tandis que d'autres le sont partiellement(Adamou Idé a écrit dans Cri Inachevé unedizaine de poèmes en langue zarma). Maisnotre travail sera axé essentiellement sur lestraces de l'oralité dans l'écriture d'expres-sion française au Niger. Aussi l'insertion oula traduction des langues nationales dans lestextes évoque sans doute la profonde aspi-ration des créateurs à perpétuer le patri-moine culturel oral. Cette pratique secaractérise par des toponymes, anthropo-nymes, expressions, traductions littérales etproverbes propres au milieu.

Les toponymes

Les toponymes ou noms de lieux se rat-tachent au contexte historique et/ou géogra-phique du village ou de la ville dansI'oeuvre. Ils sont souvent fonctionnels et se

réfèrent à des réalités socio-culturelles. Ilss'intéressent de même à la production agri-cole d'une région. Nous avons retenu ceuxqui désignent des noms de villages.

Ainsi, on trouve dans Sarraounia (lareine), « Babbaqn roumbou » qui signifie

« vaste grenier» en langue haoussa. Celamontre que le village était fertile en vivres.En outre, dans Kotia Nima (enfant, entends-tu ?), « Doungouro » veut dire en languezarma « niébé ». Les toponymes peuventaussi indiquer l'abondance de la flore dansune région. Dans Sarraounia, « Kalgo » estle nom haoussa d'un arbuste connu pour sesvertus médicamenteuses et qui abonde danstoute la zone soudanienne alors que dans LeNouveau juge, « dadin kowa »signifie enhaoussa « plaisir de tous» et dans La Ca-misole de paille, « dubaani » exprime enzarma « avoir la santé» tandis que dans LeBaiser amer de la faim, « boni gorou»veut dire en zarma « la vallée de la paix ».

Les toponymes s'attachent entre autres àdiverses significations selon le gré des au-teurs et des contextes. Dans Waay Dulluu,« Toullou » est le nom donné au récipienten terre cuite servant à recueillir de l'eautandis que dans la même œuvre « tanna-mou» signifie « étoiles» en haoussa.

Par contre, certains mots revêtent des sensbien singuliers tels que « Bankéta » dansCaprices du destin qui a le sens de « ren-verse-la» en haoussa. Dans la même œuvre,nous rencontrons une métaphore bien signi-ficative : « Wuta » en haoussa veut dire « lefeu ». C'est le nom que l'auteur donne à uncamp pénal.

Les anthroponymes

Les anthroponymes ou noms de per-sonnes sont relatifs à l'environnement natifdes personnages. Leur nombre augmente aufur et à mesure que la trame romanesquegrossit et crée des situations nouvelles. Ilss'adaptent aux circonstances ou aux rôlesjoués par les personnages qui les portent età la langue utilisée dans le texte. Nous lesavons classés en anthroponymes humains etanthroponymes divins.

Les anthroponymes humains

Ils sont pour la plupart liés au métierexercé par le personnage. En haoussa « ba-ka » signifie « arc» mais dans Sarraouniail désigne le chef de guerre de la reine. Demême, « Gogué » veut dire en haoussa« violon» et il désigne le griot de Sarraou-nia dans l'œuvre. Le même constat se faitpour « Kountigui » (autre genre de violon)qui s'adresse au personnage Kountigui.

Certains anthroponymes sont de vraiesmétaphores: dans Sarraounia, « Guiwa »(éléphant) est donné à un personnage fémi-nin qui s'impose parmi les autres femmes.D'autres sont relatifs aux caractéristiquesphysiques ou morales du personnage. Ainsi

« yoohi » en haoussa signifie vaurien. C'estle nom attribué dans Waay Dulluu à un per-sonnage. L'auteur écrit en parlant de lui:« Yoohi appartenait à cette race bâtarded'hommes qui. aiment perturber la paix etla tranquillité des autres» (p. 59).

De plus, dans Caprices du destin, nousavons relevé des anthroponymes qui sontdes périphrases. Ainsi en haoussa « Kafi ra-na zahi » se traduit par « tu es plus chaudque le soleil ». Ce nom désigne le garde-cercle chargé de réprimer les populationsqui ne s'acquittent pas de leurs impôts. Onrencontre dans la même œuvre « Idon gari »(œil du village) qui désigne le personnagechargé de recueillir des renseignements pourle commandant de cercle. Le même rôle estattribué à « Majimagana » (celui quiécoute la parole), autre personnage au ser-vice du Commandant de Cercle.

Les anthroponymesdivins

Ils sont légion dans la littérature nigé-rienne d'expression écrite. Ils s'intéressentà la vie traditionnelle et sacrée du Nigérien.Les populations polythéistes ont maintenu,malgré la présence de l'Islam, leurs idoleset leurs dieux. Il n'est pas rare de voir unindividu pratiquer l'Islam et l'Animisme si-multanément.

On rencontre leurs traces dans les œuvresécrites. C'est pourquoi dans Sarraounia,« Komo» signifie « dieu protecteur »,« dogoua » désigne « la déesse protectrice

des Aznas. Dans Le Représentant, « Kir-Kira» est, en zarma, « la reine de toutesles sirènes» tandis que, dans Waay Dulluu,« Sidikoy » désigne une représentation dedieu chez les génies ou les dieux de la my-thologie zarma-songhay. On retrouve dansCaprices du destin, « Doguwa » qui repré-sente le génie des féticheurs. Aussi, dansLes souffles du cœur, une kyrielle de divi-nités zarma couvre l'œuvre. C'est ainsiqu'on découvre « dongo » (dieu du ton-nerre), « Kiré » (dieu de l'éclair), Babou-lé » (le bourreau bouillant), « Harakoye »(déesse des eaux profondes), « dogoau »(dieu de la paralysie), « Irkoye » (Dieu).

Les mêmes divinités se retrouvent dansLe Baiser amer de la faim; « dongo »,« kirey », «dogoua », «harakoy ». Lamême œuvre nous désigne « Fassiogna »,« Magagia », « Dicko » comme étant desesprits puissants.

Les anthroponymes divins, du fait de leurpluralité et de leur appartenance à l'in-conscient collectif nigérien sont quasimentcommuns aux auteurs. Ils se particularisentselon qu'il s'agisse de la région haoussa ouzarma-songhay. De façon générale, les an-

throponymes campent l'œuvre dans son aireculturelle et géographique. Ils s'adressentaux fonctions et aux caractères des person-nages.

Les expressions

Certaines pensées se manifestent directe-ment en langues nationales dans les textesécrits en français. Ce sont des expressionsqui agrémentent l'ensemble de l'œuvre et setraduisent par des substantifs que nous dé-couvrons au fil des textes.

Les substantifs

En langue zarmaLe titre Waay Dulluu se traduit littérale-

ment par « Aie, fumée» (qui pique lesyeux). Le sens complet s'estime par « l'É-tau » (dans lequel va se jeter le personnagecentral). Dans La Camisole de paille,« boogu » signifie « travail collectif de laterre » et « tumbulaje » (haoussa et zarma)se rapporte à un « pantalon bouffant tradi-

tionnel ». Et Gros Plan présente le « don-don» qui prend le sens d'une « réjouis-sance populaire traditionnelle animée enpays zarma par des tam-tams d'aisselle ap-pelés dondon ». Dans Les souffles du cœur,« djanna » veut dire « jeu traditionnel» et« gondo » est une espèce de poisson res-semblant à l'anguille. De plus dans Le Bai-ser amer de la faim, « Kaidia » signifie ladouceur par analogie à la saison des pluiesalors que « gaba » ou « gola-gola » se rap-porte à « la culotte de travail ». et dansGomma, adorable Gomma !, « Follay »c'est « esprit» tandis que « zima» indiquele guérisseur et prêtre traditionnel. Dans Ko-tia Nima, « bari » signifie le médium, « ta-barmahou » désigne une alcôve abritantl'intimité familiale chez les zarma et lessonghay, alors que « lola » est une longuebaguette de fer et « Ifo » veut dire « un »(unité).

En langue haoussa

Dans Sarraounia, « mata» se rapporteà femme ou concubine. « Nassarou » signi-fie les Blancs tandis que dans Les soufflesdu cœur, « gogué » c'est le violon tradi-tionnel. Dans Gomma, adorable Gomma !,

« baïko » signifie un cadeau symboliquecomposé d'une petite somme d'argent, quel-ques pièces de tissus et divers articles detoilette que le prétendant fait remettre à safuture belle-famille. Et « biki » se traduitpar une manifestation au cours de laquelles'exprime la solidarité communautaire.

Nous découvrons aussi un grand nombrede substantifs (haoussa ou zarma) qui appar-tiennent au lexique alimentaire. Dans GrosPlan, « fankassou » se rapporte à une es-pèce de beignet large et spongieux. Dans AI-gaïta il s'agit de « brabouscou » (motemprunté à la langue kanuri) qui signifiecouscous tandis que « motolbali » prend le

sens de purée de niébé. Les substantifs nom-ment des choses absentes du lexique fran-çais en majeure partie. Les auteurs lesécrivent tels quels (par exemple le lexiquealimentaire) pour enrichir les langues étran-gères.

Nous disons donc que les expressionsconstituent des « chevilles» du texte dansla mesure où elles unissent les langues na-

tionales aux autres vivant sur un continentétranger. Les expressions renforcent lesidées et leur donnent plus de saveur. Ce quifournit un ensemble solidaire de différentesformes d'expressions d'Afrique et d'ail-leurs.

Les traductions littérales

Elles concernent le passage de l'oral à l'é-crit en ce sens que nous découvrons destermes ou formules en langues nationalestraduites strictement en français.

Dans Le Représentant, un personnageKalifa dit à Siddo qui lui demande de l'ar-gent: « Mais, où donc mets-tu tout cet ar-gent que tu fais avec "votre" pirogue? (p.84). Le verbe faire est une traduction enusage dans le milieu. En haoussa l'argentque « tu fais» se dit: « kudin da ka ke yi ».Dans ce contexte faire veut dire gagner.Plus loin dans la même œuvre, on parle de

« maux réputés introduits» (p. 111) pourdésigner le fait que quelqu'un soit atteintd'un mal provoqué par un ennemi qui pos-sède la maîtrise de certaines puissances oc-cultes. Alors que dans Gros Plan, « troiscalebasses de cola» (p. 28) représente troiscents noix de cola. En langue haoussa,« koirya uku » (calebasses trois) « na go-ro » (de cola) se rapporte à cette significa-tion de trois cents noix de cola. Dans lamême œuvre, on découvre cette phrase del'auteur à la page 46 : « le fonctionnaire leplus modeste» « casse » d'abord sa pre-mière mobylette. avant de prendre uneépouse ». Le verbe casser signifie braderou se payer. En langue haoussa casser =karyawa. Parlant du comportement hypo-crite de certaines gens, l'auteur emploie lestermes «deux cœurs» dans son œuvre. Cequi veut dire en haoussa « zuciya biyu »(cœurs deux). Cela signifie qu'un individuest de mauvaise foi, il est pris entre deuxdécisions.

Ainsi, les traductions littérales sont utili-sées de façon à respecter l'exigence de lalangue nationale qui a besoin d'une certainefidélité de la part de ses usagers. On trouveles traductions littérales autant en zarmaqu'en haoussa. Elles constituent donc le

« petit parlé français» du Niger, car « il

faut casser la langue française pour y in-troduire notre propre sensibilité, notre cul-,ture, la façon dont nous vivons»

Les proverbes

Ils expriment la sagesse populaire et ser-vent à corriger certains travers sociaux telsque désobéissance, impatience, imprudenceetc. Les proverbes sont porteurs de plusieurssens et se profèrent sans référence spatio-temporelle. Leur compréhension dépend dela compétence du récepteur à bien pratiquerla langue utilisée. Les proverbes sont large-ment employés par les écrivains nigériensqui s'en servent pour attirer l'attention surla prudence, la patience, la vérité ou pourrépudier la désobéissance.

La prudence

« Si la barbe de ton voisin prendfeu, dé-pêche-toi de mettre de l'eau sur la tienne»(Sarraounia, p. 32). Ce proverbe est dit parle chef de Gobir au moment où il apprend

1. MassaMakan Diabaté,in Notre LibrairieIl084.p.43.

que la colonne Voulet-Chanoine marche surle village de la reine. Ce qui signifie qu'ilfaut se protéger à l'approche d'un danger.Ce même proverbe se retrouve dans WaayDulluu (p. 33) et dans Gomma, adorableGomma! (p. 71).

La patience

« L'éleveur d'un oiseau ne doitpas leverle bras ». Donc de la patience mon cher pé-dagogue et « tu pourras cuire la pierre pouren boire le jus» (Caprices du destin, p.89). Ceci est la réponse donnée à Kasko quin'écoutait pas les paroles de son interlocu-trice et s'impatientait. Ces proverbes disentqu'en toutes choses il faut garder son calmeet savoir attendre. Le Représentant nousfournit ces autres proverbes illustrant la pa-tience.

« A force de patience, le bout de cordeaura unjour un usage à sa mesure, qui vien-dra » (p. 29). Cette pensée provient de Sid-do quand le représentant lui a enfin signifiéqu'il avait besoin de ses services.

La vérité

« A l'heure du bain, il est vain de cher-cher à cacher son nombril» (Sarraounia,p. 36). C'est la réponse de Serkin Gobir quireconnaît qu'il sera difficile de tenir tête auxBlancs quand ils attaqueront Konni. Ceci si-gnifie que, le jour où la vérité éclate, nul nepeut l'occulter. Dans Waay Dulluu ontrouve à la page 6 cet autre proverbe:« L'appareil génital du lézard ne se voitqu'en le mettant au feu ». Le père essayaitde retenir son fils qui voulait aller en exodevers la ville. Il prononce ces paroles poursouligner au jeune homme qu'il est préféra-ble de rester chez soi avec ses tares ou sessecrets. En allant en ville, le fils risque detomber en position de faiblesse.

Dans Le Représentant, Siddo dit ceci àTouré: « je m'excuse d'être aussi franc,mais tu sais que nous, les petites gens, nousne savons pas mentir. Si tu nous entendscrier que le fleuve brûle, c'est que tu peux,sans hésiter, chercher un récipient pour al-ler en ramasser la cendre» (p. 88). Ce pro-

verbe signifie que l'homme n'a qu'une pa-role, il ne peut la changer pour mentir. DansCaprices du destin, le charlatan dit à Kaskovenu le consulter: « Pourquoi demanderquel animal a-t-on égorgé alors qu'on voit

sa tête et sa peau» (p. 106). Autrement ditla terre ne peut lui cacher la vérité quand illa consulte. Plus loin (à la page 112-113),le griot apercevant Kasko qui arrive, se metà clamer: « Quand le soleil apparaît, im-possible de le cacher avec la paume de lamain ». Et il ajoute que « la vérité est dif-ficile à digérer parce qu'elle est plus amèreque la quinine. »

Désobéissance

Waay Dulluu nous présente à la page 6

ces proverbes: « Qui vanne contre le ventsera couvert de son ». « Qui ne lève pas latête ne verra jamais la couleur du ciel» ditle père à son fils Gambo qui insiste pouraller en ville chercher de l'argent. Autre-ment dit, celui qui n'écoute pas les conseilsdes autres le regrettera un jour. Plus loin, àla page 37, il est dit: « Celui qui restesourd à la voix qui l'appelle n'en entendraplus que l'écho quand elle s'éloigne ». Cequi veut dire qu'il faut être à l'écoute de lavoix de la sagesse avant qu'il ne soit troptard.

En définitive, chaque société possède sesproverbes inhérents aux réalités culturelleset géographiques de son milieu. Ils consti-tuent la substance de la littérature nigériennedans la mesure où la moralisation y est ex-trême. Les proverbes sont nés et continuentà naître de l'expérience humaine.

La transmission du savoir

De façon générale, les traces de l'oralitédans la littérature écrite d'expression fran-çaise dépassent la simple folklorisation deslangues nationales. Les écrivains s'effor-cent, par l'emploi des termes du milieu,d'enseigner certaines réalités aux Nigériens.Pour cela, ils utilisent des proverbes et destraductions littérales qui les obligent à uneplus grande maîtrise de leur outil linguisti-

que. Mais cette transmission du savoir s'a-dresse aussi aux non-pratiquants du Djerma,haoussa ou kanouri. De fait, les langues na-tionales sont spontanément insérées dans lestextes écrits quand l'écrivain ne parvient pasà trouver le mot correspondant en français.Le cas du lexique alimentaire est patent.Cette cohabitation entre le français et leslangues nationales dans les œuvres engendrele rapprochement des peuples.

Moussa MAHAMADOUet Kanguèye Seyni MAÏGA

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Roman, poésie, littérature 4i

ptine

Littératureet politique

Jean-DominiquePENEL

La littérature est produite dans cha-que société par les représentants, spé-cialisés ou non, des groupes qui laconstituent et dont ils expriment lesidéaux et les émotions: un captif quiregrette sa liberté d'antan, un griot quiloue les grands, un homme qui a dûs'exiler de son village, un jeune forge-ron qui voudrait épouser la fille d'unnotable, etc. ; autant de chants, avecleurs formes appropriées, qui tradui-sent l'appartenance à une catégorie so-ciale. Ainsi, quelles que soient lescultures et les sociétés, toute littératuretémoigne d'une dimension « politi-que» ce terme désignant, au senslarge, les problèmes de la société dansson ensemble, et, au sens restreint, lesdonnées scientifiques à l'autorité quigouverne et organise les différentsgroupes.

Le recours des créateurs littéraires à laprotection des hommes au pouvoir et, inver-sement, l'exercice de la censure par les auto-rités, manifestent clairement les liens entrela politique et la littérature. Les productions

littéraires nigériennes n'échappent pas à larègle, tant pour l'oralité que pour l'écriture.Pour des raisons de place, on se limiteradans la présente étude aux seuls textes écritspar des Nigériens en français depuis lesalentours de la Seconde Guerre mondiale (ilexiste au Niger une tradition écrite très an-cienne : d'un côté par le tifinar des Toua-regs dont on trouve déjà les traces gravéessur les rochers du désert, de l'autre par lesmanuscrits en caractères arabes qui rappor-tent des textes dans les langues locales). Lefrançais n'inaugure pas l'écriture commedans d'autres pays d'Afrique.

On s'efforcera donc de situer l'imbrica-tion du littéraire et du politique en observantd'abord la situation des auteurs et l'actionculturelle du pouvoir, ensuite en survolantle contenu de quelques ouvrages d'écrivainsnigériens.

Écrivains et régimes politiques

Comme dans la plupart des pays d'Afri-que, au Niger, les premières générationsd'intellectuels ont été happées par la politi-que mais beaucoup ont su mener leurcombat sur le front de la littérature et de lalutte pour le pouvoir. En outre, les autorités,

qu'elles soient coloniales ou nigériennes,ont cherché à encourager et à contrôler lavie culturelle. Cela apparaît avec évidencelorsqu'on esquisse à grands traits les princi-pales étapes de la vie contemporaine dupays.

De 1935 à 1946

Les partis politiques locaux n'existent pasencore légalement, aussi la vie culturelleconcentre-t-elle l'essentiel des activités:

- En 1935 est créée une association, « lajeunesse française de Niamey» dont lesbuts couvrent l'agriculture, l'artisanat, laculture et le sport. Boubou Hama y participedéjà comme secrétaire. En 1936, cette asso-ciation semble remplacée par l'Amicale quidurera jusqu'en 1974 et dont seront mem-bres bien des futurs leaders du pays. BoubouHama est vice-président de l'Amicale en1939 ; Diori Hamani et Djibo Bakary diri-geront la section sport en 1942. Pendant 2à 3 décennies, l'Amicale verra passer dansses rangs des grands noms de l'élite nigé-rienne.

- Les Nigériens commencent à publier desarticles dès cette époque: L'Éducationafricaine à Dakar publie un article de L.Kaziende en 1939 et des textes de BoubouHama à partir de 1943.

* Les associations de jeunes, notammentle scoutisme avec ses variantes religieuseset laïques, joueront un rôle non négligeable.On rappellera à ce propos que Djibo Bakarya été responsable du groupe éclaireur.

De1946à1960

* Avec la nouvelle constitution française,les partis politiques peuvent se créer dansles colonies. Ils seront nombreux au Nigermais on retiendra seulement la création duPPN-RDA qui, après quelques annéesd'existence, se scindera en deux, consé-quence de la rupture provoquée au niveaudes dirigeants de l'Afrique de l'Ouest. Latendance plus modérée, dirigée par DioriHamani, avec l'aide de Boubou Hama s'op-

posera à la tendance plus radicale, dirigéepar Djibo Bakary qui compte parmi ses par-tisans Mamani Abdoulaye. Ce derniercommence à rédiger ses premiers articles etpoèmes: à partir de 1952 dans Talaka (or-gane des syndicats), et à partir de 1954 dansLe démocrate (organe de son parti).Comme on le sait, Djibo Bakary, majori-taire, sera mis en minorité au référendum deseptembre 1958 pour lequel il demandait devoter NON. Écarté par le gouverneur qui leremplace par le groupe Diori-Boubou Ha-ma, le parti de Djibo Bakary mène une vivecampagne contre ses adversaires.

- Dans la même tranche de temps, le gou-vernement crée en 1952 des centres culturelsdans toutes les grandes villes de colonies.Un journal lie tous ces centres: Trait d'u-nion où publient les premiers auteurs nigé-riens: Ibrahim Issa présente ses premierspoèmes en 1955. Les activités théâtralesdans ces centres sont encouragées et le Ni-ger participe à la finale de Théâtre de l'A-frique de l'ouest à Bobo-Dioulasso,en 1955,avec une pièce de Dandoby Mahame, L'a-venture d'une chèvre.

Au même moment, paraît Niger-Infor-mation qui ouvre ses colonnes aux jeunesécrivains: Boubou Hama, Bania Mahama-dou Say, Ibrahim Issa etc. Les associationsà caractère culturel se multiplient dans le

pays et, à la veille de l'indépendance, leRDA et le Sawada de Djibo Bakary aurontleurs propres groupements culturels, surtoutà l'intention des jeunes.

Dans les écoles, les fêtes scolaires serontl'occasion pour plus d'un Nigérien de révé-ler ses talents (Djibo Mayaki, Yazi Dogo,etc.).

De 1960 à1974

Sous l'angle littéraire et culturel, le pre-mier régime a apporté des contributions no-tables dont certaines sont dues au goût deBoubou Hama pour ce domaine: créationdu Musée national, du Centre de Recherchesen Sciences humaines, développement desjournaux et revues (Le Temps du Niger,Le Niger, Niger), création des Semaines de

la Jeunesse, du Comité du Livre, productiondu théâtre radiophonique (avec Hima Dama-Dama en 1963) et des émissions littérairesà la radio, etc.

Pendant toute cette période, Boubou Ha-

ma présida l'Assemblée nationale, il rédigeade très nombreux ouvrages et obtint leGrand prix littéraire de l'Afrique. Deshommes de culture occupèrent des postesministériels comme Dandoby Mahame etBarkine Alidou qui présida l'Amicale pen-dant 19 ans.

A cette époque, la lutte RDA-Sawada de-vint fort violente et passa au stade de la luttearmée. Mamani Abdoulaye s'exila et c'està l'étranger qu'il publia Poémérides, An-thologie de la poésie de combat, Le Balai.Un autre écrivain, Ibrahim Issa, fut empri-sonné ainsi que, dans un contexte différent,le capitaine Diallo Amadou Hassane, quin'avait pas encore publié de livre à cettedate.

Tout au long de ce premier régime, lepouvoir exerça un contrôle plus poussé surles activités culturelles et, d'autre part, cer-tains excès furent certainement commis, cequi sera fustigé par les écrivains après 1974.

De1974à1987

Avec l'arrivée de Seyni Kountché, on re-lève un certain nombre de données: retourd'exil de certains opposants dont MamaniAbdoulaye ; formation de la première asso-ciation des écrivains nigériens avec IbrahimIssa pour président; transformation des Se-maines de la Jeunesse à Niamey en Festivalsde la Jeunesse se déroulant à tour de rôledans chaque département du pays; créationdu Centre culturel Oumarou Ganda ; débutde la télévision avec des émissions consa-crées au théâtre et à la littérature orale, etc.

Lors de ce deuxième régime, trois écri-vains occupèrent les fonctions de ministre:Mahamadou Halilou Sabbo, Soly Abdoura-hamane et Ide Oumarou (Grand prix litté-raire de l'Afrique noire) qui devintsecrétaire général de l'OUA.

On relève pourtant que Mamani Abdou-laye et Ibrahim Issa furent emprisonnés pen-dant cinq ans et qu'il y eut des pressions

politiques évidentes sur des productions cul-turelles à des fins de propagande, ce qui di-minua la qualité de certaines œuvres (surtoutén théâtre, chant et poésie).

Ce trop bref survol n'a d'autre ambitionque de prouver combien certains écrivainsont été mêlés directement à la vie politiqueet combien l'État lui-même a mené une ac-tion de développement ou de frein vis-à-visde la culture.

Le politique chez les écrivains

A travers leurs œuvres, les écrivains ni-gériens traitent de l'autorité et de ses moda-lités d'exercice ou bien ils envisagent lesproblèmes généraux du fonctionnement dela société (qu'elle soit nigérienne ou non).

La peinture du pouvoir

On sélectionnera deux éléments caracté-ristiques des procédés utilisés par les au-teurs. Il en reste bien d'autres mais cesdeux-là paraissent révélateurs: les figuresdu pouvoir et l'introduction du coup d'Étatcomme fait littéraire.

Les figures du pouvoir qui reviennent leplus souvent sont l'autorité administrative,les représentants de l'ordre, et parfois lesmarabouts comme auxiliaires cachés dupouvoir. Les chefs coutumiers et les chefsde famille sont impliqués comme complicesou comme victimes, selon les circonstances,de l'autorité administrative

L'autorité administrative

Dans Caprices du destin, Halilou Sabbodépeint longuement les mésaventures deKasko, un enseignant, avec l'autorité colo-niale représentée par Goumaibe puis parGuizo, le commandant de cercle nigérienqui prend ses fonctions avec l'indépen-dance: si la couleur de peau change, lesabus demeurent. Corruption, la pièce dethéâtre de Joseph Kéïta, est centrée sur lecomportement injuste du sous-préfet quis'en prend à tort à Bouréïma, le jeune ingé- i

nieur agronome. Si Karim, dans Le repré-sentant d'Ide Oumarou, semble biencommencer sa carrière, lui qui sort fraîche-ment de TÉcole d'Administration, il dériveprogressivement au fil du récit vers les er-reurs de ses aînés. Dans 15 ans, ça suffitd'Amadou Ousmane, le personnage central,Sidi Balima, est à la fois député et commer-çant, double fonction qui lui permet de dé-tourner des vivres à grande échelle. Lenouveau juge d'Amadou Ousmane met auxprises Ali Yobo, un jeune juge, avec le Se-crétaire politique régional qui prétend toutrégenter en despote local. La camisole depaille d'Ide Adamou montre le « comman-dant » Illiassou Boutasso qui abuse de sonpouvoir et de sa richesse pour enlever à unjeune homme, Karim, la jeune fille, Fatou,qu'il voulait épouser.

L'autorité administrative est donc fré-quemment représentée mais toujours de pré-férence de manière négative.

La force publique

Le pouvoir exerce sa puissance grâce auxexécuteurs des ordres que sont les représen-tants « légaux» de la force publique:garde-cercle, policier, gendarme, soldat,douanier. Les auteurs nigériens les décri-vent de deux façons:

Sous les traits de personnages méchantsqui redoublent les excès de leurs chefs: ainsiBirga, le garde du « commandant », Gou-maibe dans Caprices du destin, Toure, lepuissant auxiliaire de Karim dans Le repré-sentant, le garde-cercle Sarsan Gwari puis lecommissaire Dodo dans Waag Dulluu. Là en-core le constat est amer: par-delà les régimes,la force s'exerce de manière illégitime.

Sous la forme d'un univers anonyme d'u-niformes de toute nature dont la fonction esttoujours répressive. Ainsi le héros d'Abbokiest-il successivement la proie de multiplesgendarmes, douaniers, policiers et militairesde son pays et du pays de la côte où il aémigré et dont il sera expulsé. De même,chez Hawad, l'action de Froissevent se dé-roule sur des dunes autour desquelles gisentles corps de nombreux gendarmes et dansYasida les personnages se meuvent dans un

espace entouré de policiers qui interviennentdurement de temps à autre.

Coloniale (dans Caprices du destin etWaag dullum), nigérienne (Caprices dudestin, Waag dullum, Abboki, Le repré-sentant), africaine d'autres pays (Abboki,Froissevent), ou américaine (Yassida), ladominance cœrcitive et abusive reste samarque essentielle.

Le marabout

Cette figure est peu représentée. On l'ob-serve dans 15 ans, ça suffit, puisque SidiBalima a recours à son marabout dans lesproblèmes difficiles qu'il rencontre. L'ac-tion est peu efficace malgré son renom. Sansêtre présent, c'est un marabout qui motivetoute l'action de Darga dans Jeux sous ladune de Soly Abdouramane : pour devenirministre, le héros doit rapporter un coq noirà deux têtes, quête décrite dans le texte maisqui n'aboutit pas.

Le personnage du marabout n'est doncpas dépeint dans sa puissance mais dans saduperie: le pouvoir le redoute et le vénère,même s'il ne dispose pas des pouvoirs qu'ilprétend détenir.

Le coup d'État comme fait littéraire

La personne du Chef de l'État est peuévoquée à l'exception d'apparitions fugi-tives dans Le représentant et dans 15 ans,ça suffit. Par contre, l'événement par lequelle 15 avril 1974, Seyni Kountché a mis finau régime de Diori Hamani est mis en scèneau moins dans trois textes littéraires, per-mettant ainsi aux héros respectifs d'échap-per à un sort injuste ou d'en être libéré.

Dans Corruption, de Joseph Keïta, lesous-préfet détourne de l'argent et abuse deson pouvoir. L'ingénieur Boureima, dont lepère est emprisonné parce qu'il est contrele Parti, s'oppose au sous-préfet double-ment: d'une part, il attaque de front ses pra-tiques coupables; d'autre part, il refuse dese laisser ravir sa fiancée, la jeune Dissa.C'est au moment où le sous-préfet fait ar-rêter Boureïma que l'annonce du coup d'É-tat est transmise à la radio et le sauve, dejustesse, de la prison.

Dans Caprices du destin de Mahama-dou Halilou Sabbo, Kasko qui est le hérosdu livre a été emprisonné pendant la périodecoloniale. A la veille de l'indépendance, ilpréfère le parti de l'éléphant (RDA) à celuidu chameau (Sawaba). Il n'en tirera pas au-tant d'avantages qu'il le croyait car il s'op-posera au commandant de cercle nigérienqui l'éloigné et qui l'empêche plus tard defigurer sur la liste des candidats à l'Assem-blée nationale. Il est même ensuite accuséd'appartenir au parti clandestin du chameauet emprisonné pour ce motif. Il ne sera li-béré qu'avec le coup d'État.

Dans 15 ans, ça suffit de Amadou Ous-mane, Sidi Balima est un député, commer-çant transporteurde son état, détourneur desbiens et fonds publics. Il est dénoncé à l'oc-casion d'une terrible sécheresse qui rend sesmalversations plus honteuses et coupables.Accusé par la presse étrangère, il est traînéau tribunal par la justice de son pays. Il estdéfendu par son propre fils, jeune avocat.Pour défendre son père, le fils fait le procèsdu régime. Malgré tout, le père seracondamné et, peu de temps après, le fils seraarrêté, mesure arbitraire qui confirme sesaccusations Le coup d'État du général Wa-ta entraînera la libération de l'avocat et aussicelle de son père.

Dans ces trois illustrations, le coup d'État,comme un coup de théâtre, permet le ren-versement de la situation et le retour d'unecertaine justice pour un héros victime de laméchanceté.

Les problèmesgénéraux de la société

Quelques auteurs nigériens ont abordédans leurs œuvres les questions fondamen-tales de la société; ce sont donc aussi desréflexions politiques au sens large. On don-nera ici deux exemples: la question de l'i-dentité et celle des conditions d'existence del'homme.

Identité

Dans une société en proie à de nombreuxbouleversements où les valeurs et les modesde comportement se modifient, il est néces-

saire de s'interroger sur ce qui fonde l'iden-tité d'une collectivité. Les illustrations nemanquent pas.

Grandes eaux noires d'Ibrahim Issa estle premier grand texte littéraire en prose pu-blié avant 1960 : ce n'est ni un roman à pro-prement parler ni une œuvre de penséeabstraite. A propos de la rencontre entre lesGaramantes et les Romains, voici plusieurssiècles, l'auteur entame une réflexion sur lescontacts entre les cultures et sur les rapportsqui s'instaurent entre les groupes, sans ja-mais tomber dans un manichéisme simplistequi place tous les bons d'un côté et tous lesméchants de l'autre: les Garamantes serontvictimes de leur humanité mais cela ne si-gnifie pas pour autant que tous les envahis-seurs romains sont des êtres mauvais etmalfaisants. Sous un angle un peu différent,Ibrahim Issa reprendra le thème de l'identitédans certains poèmes de La vie et ses facé-ties comme « Korombeize Mody », « Labataille de Kousseri », à partir de l'histoiredu pays.

Sarraounia de Mamani Abdoulayeconstitue certainement la tentative la plusétonnante pour poser aujourd'hui la questionde l'identité nigérienne. Le personnage cen-tral de ce roman est une jeune femme ani-miste : elle est la seule à s'opposer àl'envahisseur étranger (la colonne Voulet-Chanoine) car ceux qui devraient l'aider re-fusent de le faire, comme l'émir de Sokotoqui traite la reine des Aznas de païenne, oun'en ont pas les moyens, malgré l'estimequ'ils lui portent, comme l'aménokal desTouaregs. Cette volonté de trouver les ra-cines de l'identité nigérienne dans une fi-

gure de femme plutôt que dans celle d'unhomme, dans une religion animiste de pré-férence à toute autre, est délibérément affi-chée par Mamani Abdoulaye pour rappelerà ses compatriotes des valeurs plus an-ciennes que celles introduites par l'Islam.

Les deux derniers « romans» (est-ce leterme qui convient ?) de Hawad formentune méditation sur le problème de l'identitédans le contexte moderne qui a détruit l'es-pace et l'organisation sociale traditionnelle(Froissevent) ou qui pose des problèmes deconfrontations avec les nouvelles conditionsde vie (Yasida) et la nécessité de rester soi-même sans s'effacer dans d'autres cultures

mais sans pour autant reproduire le passé ré-volu des ancêtres.

La condition humaine

Particulièrement chez les poètes nigé-riens, on lit des textes qui dénoncent l'inju-stice et l'oppression au Niger commeailleurs dans le monde.

Ibrahim Issa dans La vie et ses facétiesa consacré des poèmes à Steve Biko, à Lu-mumba, à la diaspora noire, à l'Afrique.

Mamani Abdoulaye dans Poémérides aévoqué la souffrance des hommes (« Liber-té », « Chant nègre », « Cantiques des pau-vres », « Sang », « Révolté »,« Contestation », « Civilisation ».) ; il aposé la question des Noirs américains dansEboniques et il a constitué un recueil depoèmes dont le titre est suffisamment signi-ficatif : Anthologie de la poésie decombat.

Ide Adamou dans Cri inachevé exprimeson émotion aussi bien sur la sécheresse etla survie des hommes du Niger (« Les affa-meurs », « Lettre de Zongoé », « Si tu ai-mais le peuple ».) que sur les problèmesdes peuples en guerre, qu'il s'agisse de laPalestine, du Tchad ou de l'Angola.

La démonstration serait facile à poursui-vre en prenant des poèmes d'autres écrivainset poètes nigériens.

La considérationdes problèmes politiquesconstitue donc une donnée importante de lalittérature nigérienne. Si certains livres ap-paraissent exclusivement liés à descontextes historiques précis, avec le recul dutemps, ces références s'estompent pour lais-ser place à la revendication de justice quiles anime. Quant aux livres, ils exprimentdéjà clairement cette réflexion sur la condi-tion humaine. L'écrivain ne peut fermer les

yeux ni sur la société dans laquelle il vit, ni

sur les communautés humaines qui coexis-tent avec lui dans le monde. Se taire équi-vaudrait parfois à n'être plus un hommedigne de ce nom.

Jean-DominiquePENEL

Le roman nigérien

Originalitédu dialogue

Michel CONSTANTY

Nombreuses sont les études effec-tuées sur la littérature orale et sur lethéâtre en Afrique et au Niger en par-ticulier. On peut à partir de ce constatsans appel se demander ce que peutapporter une réflexion sur le dialoguedans le texte romanesque. Simplecomposante très souvent considéréecomme trop littéraire, le dialogue ro-manesque est marqué par un certaindésintérêt de la part des critiques.

Pourtant, il semble bien que le roman soitaujourd'hui le seul genre littéraire à la croi-sée des chemins de la vie et de la littérature,grâce justement à la présence du dialogue,qui fait parler des êtres d'une société donnéeen prise avec un monde en pleine évolution.Voilà précisément ce qui le différencied'une littérature orale profondément ancréedans une tradition légendaire et littéraire. Onpourrait objecter que le théâtre peut jouer cerôle de témoin, mais le théâtre au Nigern'est pas un théâtre en langue française. Deplus, nous savons que la parole théâtrale estambiguë en raison des exigences de la re-présentation.

Un roman historique

Il reste pourtant qu'un roman nigérien quiest certainement celui dont les qualités es-thétiques sont les plus raffinées contredit parle choix de son sujet les avantages que nousvenons de porter à l'actif du dialogue roma-nesque. En écrivant Sarraounia, AbdoulayeMamani a offert à la littérature nigériennesa plus belle évocation historique. Du rap-port que fait le tirailleur Coulibaly au capi-taine Voulet jusqu'aux exhortations deSarraounia, de beaux dialogues littéraires,écrits dans une langue superbe, agrémententdes scènes très colorées. Rien ne manque,du tirailleur parlant « petit nègre », des of-ficiers aux formules lapidaires, aux ordresmordants, aux raisonnements colonialistes, àl'héroïne pétrie d'expressions imagées di-rectement issues du fonds des contes et lé-gendes. Prières, échanges de proverbes,insultes rituelles, les mots, chargés de poé-sie, affirment partout leur présence. Car toutest parole en ce beau livre où le choc tantattendu entre la Reine des Aznas et les of-ficiers français ivres de gloire se résume àquelques lignes. Et même Sarraounia, laguerrière, choisit pour amant le griot, celuiqui sait la séduire par des mots.

L'évocation de la réalité

Hormis ce chef-d'œuvre, le roman nigé-rien dans son ensemble évoque avant toutla réalité vécue par les Nigériens de l'épo-que actuelle. Notons tout d'abord deux ro-mans très courts qui sont des récits à lapremière personne. Ce choix qui déterminecomme focalisation unique le discours dunarrateur affaiblit du même coup la qualitédu dialogue qui dépend trop fortement duseul point de vue d'un des interactants. Ab-boki ou l'appel de la côte de Halilou SabboMahamadou met en scène deux narrateursqui prennent en charge la totalité du récit àla manière d'un conte. Comme le titre l'in-dique, ce roman est un roman de l'exil avectoutes les vexations que subit le déraciné,un « abboki ». Mais le personnage infirme,de retour au pays, jouit aussi d'un pouvoiret d'un savoir engrangés par cette expé-rience. De même le roman de Ada Boureï-ma, Waay Dulluu ou l'étau, est l'histoirevécue, racontée par Gombo, venu à la villepour y réussir. La confession, la confidenceet les expériences vécues y sont représentéespar le même regard. La discussion avec lepère n'est qu'un défilé de proverbes qui rap-pelle que la parole ne sert souvent qu'à ré-péter indéfiniment un savoir culturel

mémorisé. L'arrivée de Gombo en ville avecun passage en règle au commissariat, la vi-site malvenue au cousin Manou mécontentde cette intrusion, la difficile intégration of-frent quelques dialogues très animés. Le re-tour au village, après bien des annéescitadines, correspond à la fin de la coloni-sation. Tout s'achève par le jugement d'uncollaborateurque la sagesse séculaire épargne.

Le premier livre d'Amadou Ousmane, 15

ans, ça suffit, choisit d'emblée un récit à latroisième personne. Si le roman témoigned'un changement politique qui marqueral'histoire du Niger, il évoque l'histoire d'unprocès qui dénonce les abus d'un régime.Ce qui prédomine dans le roman est le pro-cès de Balima, accusé d'avoir détourné15 000 tonnes de céréales. Il est défendu parson fils qui, en la circonstance, est promuporte-parole du peuple mécontent. Malgrésa formation occidentale, Ali, qui sera cré-dité d'une brillante plaidoirie, se met à re-gretter de ne pouvoir s'exprimer dans lalangue de ses ancêtres: « Il imaginait quesous l'arbre à palabres le jugement de sonpère se serait déroulé dans la dignité, lasimplicité,lapureté, etpeut-être l'équité ».Mais ce serait réduire l'intérêt de ce romanque ne pas évoquer des dialogues enracinésdans la réalité nigérienne comme ceux oùBalima fait appel à plusieurs reprises au ma-rabout, ceux où Ali et « la sauvageonne»Aïcha apprennent à s'aimer, ceux où père etfils s'affrontent et se réconcilient.

L'univers de la justice

Amadou Ousmane dans Le Nouveaujuge présente cette fois-ci un nouvel Ali,jeune président de Tribunal, qui fera respec-ter la justice, en s'opposant notamment aureprésentant local du pouvoir politique. Par-delà les interactions publiques du Palais deJustice où réquisitoire" plaidoirie et sen-tences se succèdent, il y a l'évocation dupuits, qui est « dans le village au carrefourprivilégié de la communication ». Le res-pect qu'Ali manifeste à l'égard de sa mère,la scène de séduction qu'il doit subir, sonaltercation avec les gardes du Palais de Jus-tice au parler approximatifqui ne reconnais-sent pas en ce jeune homme le nouveau

juge, sont quelques-uns de ces dialogues quiapportent une note de fraîcheur et de sel à

cet austère univers de la justice.

Les romans d'Ide Oumarou

Avec Gros plan, Idé Oumarou nousplonge dans la capitale du Niger, Niamey.Son héros, Tahirou, est le chauffeur du pa-tron de la Bonaf, M. Guidiguir, arrêté denuit par erreur et libéré quelques heures plustard. Cet épisode qui constitue l'intriguecentrale du roman est précédé et prolongépar les différentes activités de Tahirou, qui

se souvient de la rencontre déterminante de

son père et de l'instituteur, qui reçoit lesconfidences de sa patronne angoissée, quirecherche tout au long de ce jour l'aide fi-nancière qui lui pemettra de subvenir auxbesoins de sa maisonnée. Savoir se sortir àmoindre frais d'un accident de circulation,savoir traduire le vrai sens des paroles deSalifou, fonctionnaire à la direction de la

« formation professionnelle », sont quel-ques-uns de ces dialogues où l'interactionverbale africaine contemporaine est pleine-ment représentée.

Ce qui surprend dans le second roman deIdé Oumarou, Le Représentant, c'est cettemême omniprésence de l'argent qui, cettefois, s'empare de tous les personnages. Cen'est plus seulement Tahirou, mais Siddo lepiroguier, Karim le Représentant et tousceux qui l'entourent. Siddo voit sa situationfinancière s'améliorer. Élément indispensa-ble du développement touristique, il estscandaleusement manipulé, exploité et me-nacé par Touré, le « goum », l'homme demain de Karim. Aidé par la sorcière Tanti-binta qui, d'une part, foudroie au sens pre-mier du terme, Touré, et qui, d'autre part,aliène l'esprit de Karim, Siddo accepte dequitter ce beau monde à la demande de safemme. Dans ce roman, les dialogues quiconstituent près de la moitié du récit, consi-gnent la plupart des moments importants del'expérience de Siddo en tant qu'employéaffecté au tourisme: les convocations du re-présentant. du vigilant, du goum « Touré »,les tractations immobilières de ce dernier,son ultime confrontation, les décisionsgraves qu'il prend avec son épouse consti-

tuent les temps forts du roman. Mais il fautindiquer aussi des séquences dialogales quin'ont pas toujours un rapport direct avecl'intrigue principale. Ainsi la destitution endirect de Fodé, le premier représentant deGuidiguir qui « déconcerte quand il lui ar-rive de discourir en français qui est pour-tant la langue officielle de la nation »,anime de sa conjugaison défaillante, de sesnéologismes tout un chapitre. Enfin le pactesigné entre Touré et Karim est révélé dansune analepse qui occupe les dernières pagesdu roman, preuve que tout s'explique, toutse révèle, tout se dénoue dans et par le dia-logue.

Une société en crise

Avec La Camisole de paille, AdamouIdé nous présente le premier personnage fé-minin du roman nigérien, si l'on exceptebien évidemment Sarraounia qui est une hé-roïne mythique. Une jeune fille, Fatou, queses parents ont refusé de marier à un jeunehomme du village qu'elle aime, Karimou,contraint à l'exil en raison du déshonneurinfligé, est mariée de force à un riche quin-quagénaire qui la viole pendant sa nuit denoces. Choisissant la fuite, Fatou découvrirala ville indifférente et bigarrée où une pros-tituée, Oumou, essaiera en vain de la proté-ger des différents pièges du monde duplaisir. Karimou de retour la retrouve parhasard; ils tentent tous deux de revivre auvillage. Mais cet amour, que la vie et la so-ciété ont lentement détruit, est impossible etFatou, mère d'un enfant de père inconnu,renonce à épouser Karimou et décide de re-venir avec Oumou à la ville.

Si ce roman s'apparente à un petit dramede la vie moderne, il n'en est pas moins untémoignage extrêmement précieux de la vienigérienne d'aujourd'hui. Du village à laville, de nombreux dialogues représententcette société en pleine crise, déchirée par leconflit des générations, par la force de latradition et par la réalité vécue au jour lejour. Si le roman paraît, de l'avis de certainscritiques, mal écrit, il semble paradoxale-ment le plus authentique et le plus riche eninteractions verbales et non-verbales. Lesjeunes gens apprennent ainsi l'art du « fa-

j karey », une causerie galante en langue zar-ma qui en dit long sur l'art de séduire. L'ondécouvre que ce n'est ni Karimou, ni « Ko-mandaw » qui viennent demander la mainde Fatou mais des fidèles ou de prochesamis. Avant d'en venir au refus catégoriquepour ce qui concerne Karimou, plusieursstratégies verbales sont essayées en vue deménager l'honneur des uns et des autres. Sile « cilili » retentit dans la nuit annonçantque le mariage est consommé, il suffit de

« montrer la nuque» ou de ne pas offrirComme siège la « belle natte aux couleursvives et chatoyantes », à celui ou à celle àqui l'on s'adresse pour que le désaccord soitimmédiatement interprété. La force de latradition est symbolisée tout autant par lerefus du père de Fatou, le vieux Mazou, quepar le monde des femmes avec ses règles,ses secrets, ses mesquineries, ses lieux decommérages comme le puits, mis en scèneà plusieurs reprises. On voit bien que la dé-cision du départ de Fatou est en grande par-tie motivée par le comportement belliqueuxdes femmes du village qui ont appris la vé-ritable profession de son amie Oumou.Toute une série de signes révèle ainsi laforce de l'implicite de la vie traditionnelle.C'est en ce sens que le roman apparaîtcomme celui où la réalité vécue semble êtrela plus enracinée dans une observation ri-

goureuse, fait d'autant plus louable que

celle-ci n'est souvent qu'une traduction enlangue française d'échanges effectués dansla langue zarma.

Un témoignage de vie

Si nous avons vu fort brièvement les par-ticularités des dialogues des romans nigé-riens, on peut tenter de découvrir lesinteractions qui y sont représentées et ana-lyser leurs fréquences, leurs différences,pour se demander en quoi elles constituentun témoignage de la vie des Nigériens.

Ce qui apparaît le plus nettement danscette communication sociale, c'est que leslieux d'échange y sont très compartimentés.Les femmes se rencontrent au puits, à la cor-vée de bois et dans les cuisines. Ces lieuxd'échange, décrits dans deux romans, per-mettent de faire circuler l'information maisaussi les commérages les plus divers. Enville, cette séparation est moins marquée,même si les secrétaires bavardes sont dé-crites par Idé Oumarou. L'arbre à palabresn'est plus, mais de nouveaux lieux d'é-changes apparaissent. Les hommes dialo-guent à présent dans la maison du parti, dansles rues après le travail et se retrouvent autribunal, à la mosquée et pour les grandesfêtes comme le mariage ou le baptême.

On parle de tout et de rien. Ce qui consti-tue cette société paysanne et urbaine, c'estle qu'en dira-t-on. Les mots « Rumeurs» et« Conversations », qui constituent deux in-titulés de chapitre, révèlent cette omnipré-sence de la société qui exerce une pressionpermanente sur l'individu. S'opposant augouvernement, jugeant injustement un jugeintègre, forçant tel prétendant déshonoré às'exiler, telle jeune fille enceinte à quitter levillage, cette force sourde, larvée ou carac-térisée par un groupe d'individus, jeunesgens blasés, femmes scandalisées, complo-teurs de tous poils, pèse énormément sur lesactions, les pensées et forcément les parolesde chacun.

Les relations hommes-femmes

C'est peut-être la force de cette pressionsociale qui explique que les relations entre

les sexes sont très définies. Les relations en-tre filles et garçons et, plus particulièrementles scènes de séduction ne sont pas fré-quentes. Les fiancés se parlent en présencedu père. Peu de dialogues représentent lesrelations conjugales. Seuls Zeno et Siddodans Le Président, Tahirou et son épousedans Gros plan dialoguent vraiment et s'en-traident. Les interactions familiales les plusreprésentées sont les relations parentales:mère/fille; mère/fils; père/fils. Curieuse-ment, les dialogues entre père et fille sontrares. Seul un dialogue dans La Camisolede paille, le dernier, met en présence leVieux Mazou et Fatou. C'est dire la toute-puissance du père que conteste bien évidem-ment le fils arrivant à maturité.

Les relations d'amitié entre personnes dumême sexe sont assez fréquentes, mais, miseà part La Camisole de paille qui nous offredeux couples d'amis, l'un d'enfance, Kari-mou et Alfari et l'autre de circonstance, Fa-tou et la prostituée Oumou, où l'amitié estindéfectible, ces relations d'amitié sontavant tout sociales. Souvent, au gré des évé-nements, ces liens se révèlent fragiles, éphé-mères et dangereux comme en font la tristeexpérience Madame Guidiguir dans l'em-barras ou Siddo le piroguier.

Le poids de la société

Mais ce qui ressort en dernière analyse,c'est bien la force rituelle de ces interac-tions, qu'elles soient familiales, sociales,grégaires ou commerciales. Celui qui ne res-pecte pas le rituel interactif dans les diffé-rentes situations de communication verbalequ'imposent les relations sociales, qui ensalle de justice, qui dans la palabre, qui danssa relation avec ses parents, qui avec sesamis comme le goum Touré dans Le Re-présentant, est promis un jour ou l'autre àessuyer de sérieux revers de fortune.

L'importance du verbe

Ces dialogues révèlent enfin l'extrêmeimportance portée à la compétence du sujetparlant. On recherche le mot qui porte, laphrase qui fait sensation, la parole qui s'im-

pose. Comment s'étonner dès lors qu'unpère qui s'exprime mal, comme celui de Ta-hirou dans Gros plan, qu'un représentantqui ne respecte pas la langue de Vaugelassoient ridiculisés et même sévèrement châ-tiés ? Si les difficultés d'élocution et decompréhension d'une langue souvent vécuecomme étrangère sont monnaie courante, iln'en reste pas moins que dans la majoritédes cas cette ignorance sert de faire-valoirà ces hommes qui peuvent, tel un juge, telun avocat, tel un gouverneur ou tel un habileparleur, subjuguer l'auditoire quel qu'il soit.Dialoguer, c'est aussi et surtout paradoxale-ment montrer son savoir-parler en public.

Michel CONSTANTYUniversité de Niamey

Ouvrages romanesquescités par ordre de référence

Abdoulaye MAMANI, Sarraounia,L'Harmattan/collection Encres Noires,Paris,1980.

Halilou Sabbo MAHAMADOU, Abbokiou l'appel de la côte, Les Nouvelles Édi-tions Africaines, Dakar, 1978.

Ada BOUREIMA, Waay Dulluu ou l'é-tau, Imprimerie nationale, Niamey, 1981.

Amadou OUSMANE, 15 ans, ça suffit,Imprimerie nationale, Niamey, 1977.

Amadou OUSMANE, Le Nouveau juge,Les Nouvelles Éditions africaines, Dakar,1985.

Idé OUMAROU, Le Représentant, LesNouvelles Éditions africaines, Dakar,1984.

Idé OUMAROU, Gros plan, Les Nou-velles Éditions africaines, Dakar, 1977.

Adamou IDE, La Camisole de paille, Im-primerie nationale du Niger, Niamey,1987.

Les niveaux de languedans le roman nigérien

Kangaï Seyni MAÏGAMoussa MAHMADOU

et Jean-Dominique PENEL

Lorsque l'on parcourt la littératurenigérienne écrite en français, on re-marque rapidement la réelle diversitéde maniementdu langage selon les per-sonnages et les circonstancesévoquéespar les auteurs. Il importe en effet quela langue utilisée convienne aux situa-tions décriteset qu'elle reflète la naturedes êtres qui l'emploient: du villageoisau citadin,du ministre au planton. L'é-ventail des faits de langue dans un ro-man particulier,ou plus généralementdans l'ensemble de la littérature nigé-rienne, manifeste clairement la qualitéde maîtrise du français par les écri-vains nigériens.

Pour en juger, on dispose au moins dedeux possibilités. On peut inventorier les ni-veaux de langue dans un texte précis: ainsi,dans Sarraounia, on recense des descrip-tions, des dialogues et discussions de toutesnatures, des lettres, un article de journal, deschants, des discours, des contes, et la langue

va du style le plus recherché au langagegrossier du tirailleur en passant par tous leséchelons intermédiaires. On peut aussi adop-ter une vue plus large en montrant cettemême richesse pour l'ensemble des romans;c'est ce point de vue synthétique qu'on re-tiendra ici. Les deux voies se complètentmais, quelles que soient les méthodes, lescontraintes d'un bref article nous limitent àdes suggestions de recherches et à des es-quisses d'analyse. Aussi, pour aborder suc-cinctement la question des niveaux delangage, on se cantonnera à deux situationslittérairement opposées: la lettre quand les

personnages des romans écrivent, le discoursquand ils parlent. On verra que ces deux si-tuations de parole sont traitées à des niveauxfort différents soit dans un seul texte soitdans l'ensemble des romans nigériens.

L'écrit dans l'écrit: la lettre et l'ar-ticle de journal

Dans les récits où ils s'insèrent, les lettreset articles jouent un rôle important pour le

déroulement du roman. Il est donc assez fa-cile de les repérer et de mettre en évidenceles niveaux de langage que ces écrits tradui-sent.

La lettre

Au sommet de la spécialité administra-tive, on trouve des textes juridiques de deuxordres: des jugements et un mandat d'arrêt.Amadou Ousmane donne des exemples dejugements dans15 ans ça suffît:

« Attendu que Gidi Balima estprévenud'avoir à Ehma, depuis temps non-prescrit,frauduleusement détourné aux préjudicesdes populations. » (pp. 130-132) ainsi quedans Le nouveau juge à propos de l'affaireDodo Maïgari

« parcesmotifs,vousdéclare coupa-« /~r c' w~,ble d'homicide involontaire en la personne

de Moustapha Souleymane et vouscondamne. » (pp. 109-110).

Le même écrivain fait délivrer par le jugeAli Yobo, dans Le nouveau juge un mandatd'arrêt contre le Secrétaire Politique régio-nal :

« Enjoignons au surveillant-chefde la-dite maison d'arrêt de le recevoir et reteniren état d'arrêt jusqu'à ce qu'il en soit au-trement ordonné. Requérons tout déposi-taire. » (pp. 117-118). C'est ce texte dontla rédaction est parfaitement conforme auxnormes du droit, qui fera rebondir l'actionet précipitera son auteur dans une positionpérilleuse.

Dans Sarraounia, on lit deux lettres ad-ministratives d'écriture et de ton légèrementdifférents.

La lettre du capitaine Granderye, résidentdu Bas-Niger, au capitaine Voulet (pp. 59-62) respecte les conventions administra-tives emploi du passé simple (« après labataille de Djoundjou où vous fûtes bles-sé ») ; exhortation (« Je vous en conjure,mon cher compagnon, cessez les repré-sailles ») ; usage de clichés faciles et pom-peux (Vous êtes un bon Français:soyezun bon chrétien et un homme de coeut-») ;

etc. Toute la lettre reste sur le même ton etveut attirer l'attention de Voulet sur la né-cessité d'arrêter les excès mais sans lecondamner expressément.

La lettre du médecin Martinet de Say auDocteur Henric au sujet de l'approvisionne-ment de la colonne en médicaments diffèrequelque peu. On note au début des formulesadministratives (« j'ai le regret de vous direqu'il m'est impossible pour le moment derépondre positivement à toutes voscommandes») ; on suit un inventaire deproduits pharmaceutiques où abondent lestermes techniques (« Les salicylates sont lesmeilleurs analgésiquesqu'on ait trouvésjusqu'à présent en rhumatologie ;.). Ce-pendant en fin de lettre le ton change, il de-vient familier et même argotique, ce quidéroge aux règles du genre (« je suis sûrque le salopard qui s'est taillé avec votrepharmacie a eu l'idée d'aller la bazarderchez nos voisins du Sud: les anglichesplan-qués à Sokoto. »).

En dehors des lettres administratives, ontrouve des lettres personnelles. Certainessont rédigées en une fort belle langue: ain-si, dans Le nouveau juge, la lettre qu'en-voie Ali, l'avocat, à la Françoise, la jeunefemme qu'il aimait et qu'il a laissée enFrance. Après avoir dépeint sa situation de-puis son retour, il termine par ces mots « Ehoui, c'est cela l'Afrique. Vous autres Blancs,vous ne pouvez pas comprendre. Et je suissûr que tu n'es pas faite pour cette vie-là.Adieu Françoise. Oui, adieu» (pp. 87-88).L'auteur ajoute, pour sauver son personnaged'une certaine gêne: « Il espérait bienqu'elle saurait lire entre les lignes ».

De nature tout autre est, dans La camisolede paille la lettre que Fatou fait parvenir àOumou. D'abord Fatou ne sait pas écrire etOumou ne sait pas lire. Elle ont donc recourstoutes deux à des intermédiaires. La lettre,commence par des salutations d'usage querappellent l'oralité « Ma première parole estpour te dire que je me porte bien et que jedemande des nouvelles de la santé ». Cer-taines tournures sont liées à la culture locale:ainsi pour annoncer qu'elle a accouché, Fatoudit à Oumou : « Je t'apprends aussi que tues devenue depuis deux jours mère de deuxjumeaux ». D'autre part, comme dans la pa-role proférée, on observe des répétitions:« Vraiment, je ne me plains pas beaucoup»est répété deux fois.

Si Fatou et Oumou passent par des auxi-liaires, le jeune Hamidou, héros du livre

d'Asa Boureïma Le baiser amer de lafaim, se sert de ses seules ressources ac-quises rapidement à l'école. C'est lui quiécrit une courte lettre à son ami Ousmanepour l'avertir des ravages de la sécheresseau village: « Zé écrit pour toi un létar ;Kère pour moi tro gaté ; moi plére. Il y agrande malère à Bani Gorou. Pa la nourri-tir ya mantina un moi; tou garnié vide. »(p. 35). A cause du peu de connaissance,l'écriture est presque phonétique; le stylereproduit un français parlé de manière rudi-mentaire. La lettre n'en est pas moins déci-sive car elle fera venir le secours.

t-

V

L'article de journal

S'il y a peu de lettres dans les romansnigériens, les articles de journaux y sontbien plus rares encore mais ils permettentde manifester l'art des écrivains.

Dans 15 ans ça suffit, deux articles dejournaux sont à l'origine de la chute de SidiBalima : l'un lui est présenté par le ministre(p. 11) l'autre est lu par son fils dans l'avion

(pp. 28-30). Amadou Ousmane, journalistede profession, a su retrouver le style et lespratiques du reporter qui veut provoquer lastupeur du lecteur: « Des morts vivants àla dérive, errant parmi les amoncellementsde cadavres, un pays foudroyé ». « Six mil-lions d'hommes, de femmes et d'enfants sonten train de mourirà petitfeu dans les campsdu Sahel. » On relève des séries emphati-ques (« parce que. parce que. ») et toutesles techniques journalistiques, que l'auteurpossède à fond.

D'un style différent est l'article imaginépar le docteur Henric, personnage de Sar-raounia. A l'intention des gazettes de l'é-poque (la fin du XIXe siècle), il se dépeintrevenant en France avec la Sarraounia dansses bagages: « Le docteur Henric, médecinde deuxième classe des troupes coloniales,revientd'Afrique avec une époustouflantenégresse, ci-devant reine d'une très puis-sante tribu du Soudan (.) La charmante en-fant rappelle par sa beauté la reine de Saba(.) Ses belles dents si blanches qu'on croi-rait de délicates perles plantées une à unesur ses gencives roses par quelque orfèvrede la rue Vendôme » (pp. 52-53). Mamani

Abdoulaye a dû rédiger ce texte selon lasensibilité des journalistes de cette période,ce qui est fort remarquable.

Ces exemples, dans le cadre très limité detextes écrits par des personnages des romansnigériens, prouvent la variété des niveaux delangue et la valeur des écrivains qui les pro-duisent. L'illustration qui va suivre se placeà l'inverse de la précédente. Il s'agit de si-tuations où les personnages parlent. Cepen-dant on se référera non aux conversations(qui font l'objet d'un autre article de la re-vue) mais aux discours.

L'oral dans l'écrit: le discours

Les romans nigériens offrent au lecteurun très grand nombre de discours qui consti-tuent, eux aussi, des moments importants,parfois essentiels, pour les récits dans les-quels ils s'insèrent. Ils s'énoncent dans unelarge gamme de niveaux de langage.

Le modèle le plus relevé dans le genreoratoire est probablement celui de la justice.Amadou Ousmane qui fut longtemps chro-niqueur judiciaire à Niamey, nous offre,

dans 15 ans, ça suffit et dans Le nouveaujuge (pour ne pas parler des Chroniques ju-diciaires), des exemples achevés de plaidoi-ries d'avocat, de réquisitoires du procureur,de discours de juge. Toutes les ressourcesoratoires du corps judiciaire s'y trouvent:emphase (« je le dis, je l'affirme, je leclame»), glissement de mots (« oui, ils ontleurs raisons mais ils n'ont pas raison»),recours à la pitié (« c'est en effet un hommebrisé par une longue détention, un hommeaccablé et solitaire qu'on vous demande dejuger. Et cet homme, c'est mon père. »),abondance d'expressions recherchées(« Vous qui avez toujours su vous placerau-dessus des querelles byzantines, des ques-tions partisanes, des dénonciationscalomnieuses. »). Une analyse détaillée dé-cèlerait aisément toutes les tactiques langa-gières des gens de la Justice.

Il existe une catégorie de discours énon-cés dans une très belle langue. En voici deuxexemples:

Dans Froissevent de Hawad, l'essentieldu texte est constitué par les discours despersonnages qui participent à une longueveillée autour d'un feu dans le désert.

« Homme d'honneur, puisque c'est ainsi quetu te considères, voyons si ta langue s'hanno-nise avec ta noblesse» (p. 31). Or, quellesque soient leurs pensées et leurs positionssociales, les personnages d'Hawad parlentdans une langue superbe qui magnifie le lo-cuteur autant que ce qu'il signifie. Il faudraitciter le livre entier : Froisse-Vent lui-mêmeparle ainsi: « Il y a quelques années, pour-tant c'est comme l'intervalle que met la gouttede l'âme détachée du cœur avant d'épouserles carreaux des veines. » (p. 62).

Dans Sarraounia, plusieurs discoursponctuent le déroulement de l'histoire. Ilsne sont pas tous sur le même ton, mais pourillustrer les plus beaux d'entre eux, on men-tionnera celui de la reine qui clôt le livre etréordonne l'événement passé; il transformela défaite partielle en une autre victoire. Lareine exhorte les transfuges qui l'ont re-jointe. Elle use de grandes périodes ora-toires : « Nous ne vous demanderonspas.nous ne vous demanderons pas. » Elle ré-pète au début, au milieu et à la fin du dis-cours la même phrase insistante: « Frère etsœurs, venus d'ailleurs, vous êtes les bien-venus en terre azna ». Le vocabulaire estsimple, le style est clair: « Vous partagereznos joies et nos peines. Vos enfants grandi-ront avec les nôtres. Des liens familiaux setisseront entre nous. »

On constate que dans tous les romans ni-gériens, les villageois et les paysans sont va-lorisés à travers et par leurs discours. DansWaay dulluu, Amirou, le chef de villagesauve Gwari, l'ancien garde-cercle, d'unevengeance fatale grâce à sa parole. DansAbboki, Madougou trouve une solutionpour se libérer des tracas policiers, ainsi queses compagnons, grâce à un subtil discours.Caprices du destin fourmille de discours:on y retrouve les formules initiales qui sontdes précautions oratoires obligées: « Oh,

sages de Korzale, nos parents, je vous de-mande plusieursfois pardon. Je comprendsmon audace de vouloirprendre la parole envotre présence. Je ne l'aurais jamais fait entemps normal mais. » (p. 34). Les phrasesde conclusion habituelles ne manquent pasnon plus: « Puisse le Tout Puissant te gar-der longtemps parmi nous », etc. Chaquediscours est truffé d'images, de proverbes etd'allusions à la culture du terroir. Et il fau-

drait mettre en relief les stratégies oratoirespar lesquelles les orateurs réussissent àconvaincre leurs interlocuteurs.

Les discours qui ne manquent pas d'effetni sur les personnages des romans ni sur leslecteurs sont ceux qui sont prononcés dansun français mal maîtrisé. Deux illustrationsen témoignent de manière évidente:

Dans Le représentant, Fode prononce undiscours devant le président de la Républi-que. Il croit plaire mais déplaît profondé-ment et pour cause! Il commet de gravesincorrections de français: « Depuis que, à99,97 le peuple vous a élisé (.) le bon-heur nous est acquéri ». Il se trompe sur le

sens des mots: « La belle fille qui vous aremetté les fleurs et que vous avez baiséetrois fois tout à l'heure ». Il emploie desimages incongrues: « notre peuple n'a plusles caractères généraux des poissons ». Ildit à son insu la vérité qu'il faut taire :

« grâce à votre sagesse, la raison du plusfort est toujours la meilleure» (pp. 39-40).Le discours coûtera son poste à Fode.

A un niveau social et linguistique beau-coup plus bas, on placera le discours dugarde Birga à Kas Ko et aux villageois dansCaprices du destin: « Zordui li soulair ya trappé le loune ! toi Kas Ko, petit nanfant,tu vé te montré plou malin que Zorpian !

Toi y a fou. Blanc y a fort plous ton famillepour toi (.) Touzour on dit y a pas zouéavec le fe, mais vous y a zamé compris min-tinan y a puni pour vous. » (pp. 46-47). Siles villageois n'ont probablement pas saisile contenu du discours, ils en ont tout demême compris le sens tout de suite.

L'analyse esquissée de deux situations delangage dans le roman nigérien devrait êtreprolongée: elle permettrait de continuer à

prouver que les écrivains du Niger usent d'unregistre d'écriture très ouvert et que les ni-

veaux de langue traversent de manière analo-gue des genres aussi différents que la lettre etle discours. Si la littérature orale nigérienneabonde de richesses, les écrivains s'emploientdésormais à tirer du français écrit le maximumde ses virtualités et de ses ressources.

Kangaï Seyni MAÏGAJean-DominiquePENELMoussa MAHAMADOU

La littérature enfantine1i

*écrite enfrançais:--i

Martine DOCEKAL

Bien que souvent négligée, voire to-talement ignorée du public, la littéra-ture enfantine occupe une placeimportante dans la production litté-raire du Niger: les textes sont nom-breux, variés et émanent parfois desauteurs les plus connus, ceux dits de« la première génération », tel BoubouHama.

Panorama

Si nous cherchons une vision d'ensemblede cette production à la fois dans le tempset dans l'espace, nous pouvons nous attacherà trois repères qui marquent son origine etsa diffusion. En tout premier lieu, il faut ci-ter l'événement que représente la rencontredu Nigérien Boubou Hama et de la Fran-çaise Andrée Clair dans les années 60 : dela collaboration amicale de ces deux ensei-gnants naîtront plusieurs textes destinés à lajeunesse, de même que chacun d'eux sépa-rément continuera à entretenir ce dialoguesi riche avec le monde de l'enfance du Niger(ici nous ne retiendrons de l'œuvre abon-dante d'Andrée Clair que les textes qui luiont été directement inspirés par le terroir ni-gérien).

La seconde étape, c'est la création et ledéveloppement dans les années 70 et 80chez les éditeurs, des collectionspour la jeu-nesse qui rendent possible la diffusion destextes et en favorisent donc la production.Un marché s'est ouvert pour un vaste publicet s'est considérablement enrichi car; autexte, s'est presque systématiquement asso-ciée l'image, déjà présente dans les pre-mères éditions de certains ouvrages.

Al'époque du plein succès des albums pourla jeunesse, saluons la parution des œuvres deBoubou Hama et d'Andrée Clair aux éditionsMessidor La Farandole pour: Le baobabmerveilleux, La savane enchantée, KangueIze, Les fameuses histoires du village deTibbo. puis, pour les tout petits, Safia et lefleuve, Safia et le puits, écrits par AndréeClair en 1974, 1976, et merveilleusement il-lustrés par Béatrice Tanaka.

Dans les années 80, d'autres éditeurscréent leur collection pour la jeunesse : ainsiPrésence Africaine qui avait déjà édité Ba-gouma et Tiégouma de Boubou Hama en1973, publie, dans sa collection Jeunesse,Izé Gani du même auteur, en 2 tomes, des-tiné aux enfants de 11 ans et plus. L'éditeurNEA-Edicef crée également sa collectionjeunesse dans les années 80 en deux sériessymbolisées par une différence de couleur

*4

le couverture; les livres à couverture verte,t jaune s'adressent aux 11/12 ans, citons:Le voyage d'Hamado de Bania Mahama-lou Say en 1981, Issilim ou le voyage im-Drévu d'Andrée Clair en 1983, Founya le/aurien de Boubou Hama et Andrée Clair,)ublié une première fois en 1975, et chezvIEA-Edicefen 1985, Halimatou d'Abdoua<anta, publié en 1987 mais ayant déjà vue jour pour la première fois sous formel'une nouvelle intitulée L'aînée de la fa-nille, primée dans le cadre du 3e concoursadiophonique de la meilleure nouvelle de

angue française en 1973 et publiée dans « la;érie de Dix nouvelles de. » par l'ACCT;t RFI.

Une série d'ouvrages à couverture orangeît jaune s'adresse aux lecteurs de 13/14 ans:L'aventure d'Albarka d'Andrée Clair et3oubou Hama en deux tomes, publiés unepremière fois chez Julliard en 1972 et Gom-ma, adorable Gomma! de Halilou SabboMahamadou, dernier-né en 1990.

La maison Nathan Afrique, quant à elle,Il publié en 1984 une œuvre à caractère pé-dagogique : Les Contes du Niger, par Ada-mou Garba et Claudie Coppe, d'après lescontes de Boubou Hama et de Mariko Ke-Jletigui (Présence Africaine 1973/76).

Le troisième repère de ce tour d'horizonest sans nul doute la précieuse bibliographiede la littérature nigérienne de Jean-Domini-que Penel et Chaïbou Dan Inna qui, depuis1988, recense pour nous des œuvres jusque-là disséminées et confrontées aux problèmesplus généraux de l'édition en Afrique.

C'est dans les bibliothèques de certains éta-blissements scolaires ou inspections que nousavons retrouvé deux recueils poétiques nondatés: Harandan recueil de poèmes pour en-fants par Issaka Soumaïla Karanta, illustré parAwali Arzika, sans doute imprimé par l'IN-DRAP et La vie et ses facéties par IbrahimIssa, imprimé par l'Imprimerie nationale duNiger, illustré par Mme Calin. Dans ce recueil,sept textes semblent s'adresser plutôt aux en-fants.

Formes et contenus

Si une tentative de classification pargenres de ces œuvres (destinées aux enfants)s'avère difficile et peu pertinente, nous pou-vons toutefois remarquer qu'elles appartien-nent presque toutes à la grande catégorie durécit: c'est évident pour les contes, les nou-velles et les romans mais c'est aussi vraipour les poèmes d'Harandan qui relatentde petits faits de la vie quotidienne des en-fants, des activités liées aux saisons ou leursrapports avec leurs animaux préférés.

Quelle que soit la forme du texte, lescontenus s'articulent presque toujours au-tour des mêmes constantes, révélant des ca-ractéristiques particulières de ces œuvres etune vision commune de l'univers enfantinchez les auteurs.

Des œuvres dont les héros sont desenfants

La première caractéristique est que les hé-ros ou les personnages principaux sont desenfants, à l'exception d'Hamado1 (jeuneagriculteur de 28 ans) et de Biro et Gomma"(jeunes instituteurs) déjà engagés ou débu-

1. Cf. Le voyage d'Hamado.

Cf. Gomma, adorable Gomma!

tants dans la vie socio-professionnelle. L'en-fant lecteur peut ainsi s'identifier aux per-sonnages des œuvres, et il le peut encoreplus facilement quand l'œuvre lui présenteune vision manichéenne du monde où lesmeilleurs, les enfants sages, raisonnables etcourageux triomphent de tous les obstacles.Ajoutons que les « mauvais garnements »,personnages secondaires comme Boubacardans Issilim, ou Ouéhiza dans Founya levaurien sont confondus par la bonté et lagénérosité de leurs compagnons et sont eux-mêmes atteints par « la grâce» qui lestransforme en charmants jeunes gens.

Dans les Contes de Boubou Hama, àcette image de l'enfant sage se superposecelle de l'enfant extraordinaire, l'enfant pro-dige, qui comme Ize Gani peut parfois ac-complir des actes très cruels mais toujourspour le triomphe de la justice, de la véritéet de la sagesse; l'enfant devient mêmesymbole, incarnation de « la parole» entant que vérité première, vie à protéger et àperpétuer. La synthèse et l'harmonisationdes contraires sont représentées chez Bou-bou Hama par les jumeaux inséparables, Ba-gouma « Le sage en herbe », réservé etraisonnable, et Tiégouma, l'enfant espiègle,

exubérant, raisonneur, complémentairedansle genre humain et bien sûr dans l'espacesonghay, dont est originaire l'auteur.

De bons parents pour des enfantssages

L'entourage immédiat de l'enfant, c'estd'abord la famille. L'image qui en est don-née est celle d'un univers de formation etde protection de l'individu, auquel il ne peutse soustraire. Les parents, en général, sontde « bons parents» même si les enfantssouffrent comme Halimatou, la fillettepeule, aînée de la famille: celle-ci doit être,selon la coutume, « sacrifiée» en vivantloin de son père et sans les signes extérieursd'amour de sa mère et de sa famille. Toutest généralement fait « pour leur bien» etpour leur insertion dans la société: « les dé-cisions des parents sont irrévocables » dit-on à Halimatou qui, sagement, se résigne àson sort.

Au sein de la famille, c'est la mère quiest la plus présente, prodiguant soins, affec-tion, soutien indéfectible, alors que la figuredu père paraît plus lointaine, soit parce qu'il

iestmort comme le chasseur, père d'Ize Ga-

r ni, soit parce qu'il est absent en raison des

: coutumes de la société comme le père d'Ha-limatou ; celui de Safia n'est vu que dansson rôle social au sein de la communautévillageoise. Le père d'Halimatou explique à

sa fillette les raisons qui l'obligent à garderses distances vis-à-vis d'elle au moment desretrouvailles.

Les pères inflexibles finissent par céderj devant l'obstination des mères et des en-: fants : le père de Gomma accepte le mariagede sa fille avec l'homme de son choix et lepère d'Issilim (dans Issilim ou le voyageimprévu) accepte que son fils fasse desétudes alors qu'il préférerait l'avoir auxchamps avec lui.

Cette prédominance de la figure mater-nelle reflète bien les réalités de vie descommunautés nigériennes où les hommes,polygames ou non, n'ont que peu de rap-ports personnels et privilégiés avec leurs en-fants dont le soin est laissé aux seulesfemmes, aux mères. Ibrahim Issa dans sonpoème Baby fait dire à la petite Bibata :

« J'aime papa, j'adore maman. »

A côté de l'entourage humain: famille ausens large, amis, on voit dans ces textes évo-luer toutes sortes d'animaux, compagnonsde prédilection des enfants. Les poèmes deKaranta ou d'Issa, véritables bestiaires, don-nent des leçons de vie ou créent tout sim-plement l'émerveillement devant la beautéde la nature et de la création tel que se l'i-magine l'adulte, écrivain en quête de sesémotions enfantines.

Des récits qui sont des invitations auvoyage

Une autre caractéristique frappante de cesrécits écrits pour les enfants, c'est leur rap-port avec le thème du voyage. Les titres déjàle font apparaître (Le voyage d'Hamado,Issilim ou le voyage imprévu, L'aventured'Albarka, Itinéraires 1 et 2) mais égale-ment la division en chapitres ou encore l'é-tude de l'espace dans les romans.

Ce voyage, il est d'abord réel, car c'estlui seul qui permet la découverte du mondeet l'aventure au sortir du cercle familial.

L'espace parcouru de la brousse au village(Halimatou.) du village à la ville (Albarka,Issilim.) à travers les régions du Niger (AI-barka, Biro.) et à travers l'Afrique, repré-sente l'espace de formation pour le jeunecar le récit rejoint là le proverbe bien connuaffirmant que « les voyages forment la jeu-nesse » ! Il permet aux protagonistes de dé-couvrir l'école (Albarka), la vieprofessionnelle (Gomma, Biro, Issilim.) lemonde moderne technologique (Hamado)afin de se préparer un avenir « bien pensé ».Très vite, nous voyons bien que ce« voyage-aventure » dont sont friands lesjeunes lecteurs, devient un voyage symboli-que, « un voyage initiation ».

En effet, le schéma narratif du récit destemps modernes (Albarka, Hamado, Issi-lim.) est le même que celui du récit ima-ginaire ou fantastique, tel qu'il est présentédans les contes comme Founya le vaurien,Ize Gani, Bagouma et Tiégouma de Bou-bou Hama. Les enfants voyagent au traversd'épreuves qui leur permettent d'acquérirdes connaissances, celles-ci sont ensuite ungage de sagesse, véritable passeport pour lemonde adulte: c'est bien là la reproductiondu modèle de l'initiation, transposé de la so-ciété traditionnelle à la société moderne oudu conte au roman. Les piliers de la vieadulte, conformément à l'image de la socié-té sont le mariage, la vie professionnelle oules tâches à accomplir (le pouvoir à exercerpour le prince N'Dounya), les connaissanceset la pratique des diverses coutumes et tra-ditions qui permettront aux jeunes d'assurerla continuité, de reproduire le modèle quiles a précédés ou bien de le faire évoluersans le détruire.

Les fins des récits sont des « fins heu-reuses » car il s'agit toujours de conserverl'équilibre et l'harmonie en toute chose,dans la conservation de la tradition commedans sa lente évolution.

Une langue simple qui interpelle lelecteur

Écrire pour les enfants pose aussi le pro-blème de la langue: elle doit être claire etsimple sans toutefois devenir simpliste; eneffet, une langue trop réduite et appauvrie

diminuerait l'intérêt de la lecture pour desenfants capables de comprendre et d'imagi-ner bien plus que ce qu'on pense être deleur niveau. Pour pallier cet écueil, certaineséditions proposent un lexique à la fin dechaque ouvrage: cela facilite la lecture touten comportant malheureusement un certaincôté scolaire.

Pour faciliter encore la communicationavec « leur» monde de l'enfance, les écri-vains multiplient les passages de discours,souvent directs et écrits au présent pourmieux actualiser les scènes; le récit à la lre

personne permet également une meilleureidentification de l'enfant lecteur à l'enfanthéros et une conversation permanente avecun environnement qu'il s'approprie au furet à mesure que son acquisition du langagelui permet de le nommer. Le narrateur aimeinterpeller son lecteur comme pour lui rap-peler que la langue écrite est venue après latradition orale, celle qui a raconté les pre-mières histoires, celle de la mère ou duconteur. Et ce retour aux origines, c'est aus-si celui du retour à la fonction poétique dulangage qui s'exerce dans les jeux sur lessons, les images et les. symboles à l'imagedu babillage enfantin reproduit dans Babyou Le jeu cercle d'I. Issa.

Les poèmes et leur typographie proposenttoutes les fantaisies possibles qui libèrentvraiment l'imagination et le plaisir de l'en-fant, ou de l'adulte redevenu enfant.

Des textes associés à des images

Si la langue doit être plaisir de la commu-nication et de l'imagination, il ne faut pasoublier le pouvoir de fascination qu'exer-cent les images qui y sont associées. Nousne pouvons malheureusement pas nous éten-dre sur les illustrations et leurs auteurs, nimême prétendre avoir vu la totalité desœuvres mais nous pouvons quand même dis-tinguer deux fonctions assurées par la pré-sence des dessins et images à côté destextes. Tout d'abord l'image ou le dessinsert d'illustration au texte: elle facilite salecture en l'explicitant mieux, elle estcomme une traduction, plastique cette fois,des contenus ou de quelques phrases sim-plement.

Mais, parfois, elle va au-delà de ce rôlede subordonnée au texte car à elle seule, elleest capable d'entraîner l'œil, de le distraire,de multiplier pour lui et à travers lui les ca-pacités de l'imagination de l'enfant et decréer pour lui de nouveaux rêves; n'ou-blions pas également que le livre peut êtrelu à l'enfant aussi bien qu'il peut le lire lui-même. Et ici il faut mentionner le nom deBéatrice Tanaka, auteur de très bellesimages de la série des Safia ou d'Ize Ganiqui permettent à elles seules d'imaginer l'A-frique et le Niger avec ses couleurs, sesscènes quotidiennes ou le fantastique Son-ghay. Chacune des Safia se termine par ledessin en pointillés du rêve de la petite fille,nous invitant à d'autres histoires pour uneautre fois.

£

Fonction

Cette évocation rapide des caractéristi-ques des œuvres pour la jeunesse nousconduit tout naturellement à poser la ques-tion de leur fonction et de leur significationau sein de la production littéraire.

Certains auteurs, comme certains éditeurs,ont pris les devants en annonçant dans lespréfaces leurs intention ou la spécificité deces écrits.

Dans la préface de Bagouma et Tiégou-ima, Boubou Hama déclare que son but estide « donner au passé un visage capable demieux faire comprendre le présent» auxjeunes; il invite « l'enfant à mieux partici-perà son propre enseignement, à lejouer »,il donne au maître une source d'inspiration.

Voici donc affirmée la valeur didactiqueet même pédagogique de cette littérature.

Les textes véhiculant des connaissances,celles du monde passé ou du monde contem-porain, qui permettent à l'enfant de s'enra-ciner dans son milieu et dans la continuitédes générations. Par leur exploitation ludi-que (lecture, dramatisation, etc.) ils permet-tent également à l'enfant de réalisertotalement sa propre formation.

Du côté des éditeurs, on affirme égale-ment le souci d'articuler le présent et la tra-dition du monde noir en donnant aux enfantsdes leçons, en leur proposant des héros etdes aventures exemplaires.

Il y a parfois même une prise en chargedélibérément scolaire du texte en le faisantsuivre de commentaires ou d'explicationslexicales par exemple, en multipliant les ré-pétitions, les reprises ou les leçons dans lesdiscours des personnages.

Au-delà de ce parti pris pédagogique,nous constatons à la lecture de ces œuvresqu'elles apprennent à accepter, reproduire etrenforcer des stéréotypes de comportementcorrespondant aux normes de la société tra-ditionnelle nigérienne: nous avons dit, parexemple, que les enfants sont invités à obéirà leurs parents car ceux-ci finissent toujourspar prendre de « sages» décisions. Lesjeunes trouvent leur avenir généralementdans le mariage, la vie de famille et la vieprofessionnelle mais leurs aventures dans lemonde moderne ne leur font jamais oublierle milieu et les règles qui les ont vu naître,ils voient que les marginaux ou les méchantssont punis ou ramenés vers « le droit che-min », vers la sagesse.

Ajoutons tout de même que si cescomportements correspondent à des normessociales, ils sont parfois éloignés des réalitésde la société que vivent la plupart des en-fants ; en effet le schéma narratif dominantde tous ces textes est celui du conte de fées-type avec fin heureuse, qui voit le héros

épouser l'élue de son cœur: donnonsl'exemple de la malheureuse Halimatou ré-compensée de toutes ses souffrances d'en-fant puisqu'elle épouse son PrinceCharmant, son cousin Aldo, qui lui était des-tiné depuis son plus jeune âge; or nom-breux sont les jeunes qui refusentaujourd'hui les mariages arrangés par les pa-rents.

Le modèle dominant reste donc celui dela reproduction du passé et il n'y a pas depossibilité d'émancipation pour l'enfanthors de ce cadre moral et social.

Le voyage d'Hamado semble un peu dif-férent du conte de fées-type mais, à la fin,Hamado découvre quand même que la nou-veauté n'est pas toujours ce qu'il y a demieux.

Gageons qu'à l'heure où la société nigé-rienne connaît de profondes remises enquestion et de profondes mutations, lesœuvres destinées aux enfants proposeront àces derniers une image d'eux-mêmes plusdiversifiée, plus éclatée et peut-être plus li-bératrice : c'est à cette condition qu'ellesrencontreront demain un public plus nom-breux.

Une littérature à part entière

Il semble fondamental d'encourager ledéveloppement de ce type de littérature quiest une composante à part entière de la lit-térature nationale nigérienne car les enfantsont besoin de livres et surtout de beaux li-

vres : nul besoin de répéter que c'est dansla petite enfance que se créent et se cultiventle goût et le plaisir de jouer avec les motset les images. L'enfant apprend égalementla mesure et le pouvoir de ces mots, fussent-ils d'une langue d'emprunt.

Enfin, il existe chez les jeunes Nigériensune véritable soif de contacts avec les livreset, malheureusement, elle se heurte à unequasi totale pénurie d'ouvrages. La diffusiondes textes ne passera pas seulement par l'é-cole mais doit être le résultat d'une véritablepolitique du livre qui reste à faire dans le

pays.

Martine DOCEKAL

Le petit peuple dansl'œuvre d'Idé Oumarou

Amadou MAÏLELE

Ni à thèse, ni didactique, l'œuvred'Idé Oumarou doit être considéréecomme une forme d'exutoire où il ex-prime ses sentiments, mais aussi etpeut-être surtout comme une œuvre oùil médite et nous invite à une doubleréflexion: politique et morale.

La réflexion morale et politique

Si la politique est un thème d'une grandestabilité dans l'œuvre d'Idé Oumarou, nousdirons qu'elle nous a permis de découvrirune autre facette de l'écrivain: celle d'unauteur qui excelle dans la peinture morale.C'est la lucidité qui caractérise ses person-nages et fonde la morale de I'oeuvre qui peut

grosso-modo être celle-ci: « Connaîtrc'est souffrir ». Il a tout au long de setextes voulu extérioriser la souffrance dceux à qui la société refuse une juste ré

compense pour les loyaux et inestimableservices rendus à la cité. C'est un coup d

semonce aux grands de ce monde qui doi

vent prendre conscience de certaines évidences : on ne peut continuer à berner,piétiner impunément tout un peuple; on ncompte pas les pauvres, mais il faut compteavec eux. Enfin, il faut être avec les autresc'est une loi sociale.

L'auteur voudrait que le petit peuple file reflet de notre conscience qui peut noirenvoyer l'image de la vilénie ou de la grardeur morale. Les souffrances, qu'endureiTahirou et Siddo résultent tout simplemeide la faillite d'un système de valeurs. A qwassistons-nous? Au triomphe de la mesqu

lerie, de la couardise, de la magouille et dea méchanceté. Il se dégage de tout ceci une)rofonde laideur morale. Il semble que lesîommes ont oublié tout sens du sacrifice,oute noblesse d'âme. Nous évoluons dansm monde où la notion du partage a désertées cours et ou tout engagement pour aiderlutrui devient un délit. Chacun tient à sauveria place, ses acquis et peut-être sa tête. Sa-ou qui, devant le malheur de Guidguir renie

feon amitié est l'archétype de ces barons\:( incrustés dans des sinécures ». Il est éga-lement la parfaite illustration de cette mé-diocrité morale qui affecte grands et petits,jouissants et faibles.

Autant d'actes déshonorants pour une so-iété qui n'aspire pourtant qu'à se construirelu lendemain des indépendances. Cetteonstruction ne saurait se faire dans uneelle débâcle. Il faut absolument éjecter les/ieux démons de la Cité, moraliser hommesît institutions, bref il faut, conformémentlUX rêves de l'écrivain, œuvrer à l'instaura-ion d'une société plus égalitaire, plus hu-naine. Il faut refuser le silence et dénonceres injustices pour espérer le triomphe de'humain. Il faut toujours et encore plus élar-gir les espaces de justice et d'expression.

Dans Le Représentant, l'œuvre se re-'erme sur la projection d'un retour à la cam-pagne, symbole par excellence de laquiétude, de l'harmonie et des valeurs im-périssables.

Ainsi Idé Oumarou semble vouloir conci-ier les valeurs humanistes et les réalités de

a gestion sociale et politique. Une entre-prise délicate s'il en est où plus d'un y a'aissédesplumes. Mais qu'importe! Idé enx accepté les règles et c'est l'essentiel. Il apien sûr servi des régimes ce qui l'autoriseprécisément à les critiquer de l'intérieuravec. perspicacité. Maillon d'une chaîne, il:onnaît mieux que personne l'appareil d'É-tat de son pays. Ses traits de plume les plusacérés, Idé Oumarou les a adressés à ceuxde son sérail politique, parce qu'il y a,sstime-t-il, péril en la demeure. Cela traduità notre sens la cohérence interne del'homme qui fait de la participation son cre-do. « Pour participer il faut bien pouvoircritiquer en décrivant autant que possibledes situations irréprochables, objectives» acoutume de dire Idé Oumarou.

L'œuvre d'un humaniste

C'est à travers ce petit peuple que nousdécouvrons toute la sensibilité d'un écrivainqui place la morale, qu'elle soit sociale et/oupolitique, au-dessus de toutes les exigences.C'est pourquoi, autant que l'acuité de sesobservations et la finesse de ses analyses,c'est sa sincérité et sa conviction qui rendentsi féconde la démarche de l'auteur et de sesparias. En effet, avec eux on passe de lalogique d'exclusion à l'intiative, de l'indif-férence à la prise de conscience d'une crisesociale et d'une déroute morale qui secouele pays à un moment crucial de son histoire.On passe enfin d'une vie sans enjeu réel à

une rébellion contre les réalités humainesblessantes et intolérables. Le petit peuple,par sa révolte, exorcise ses souffrances, re-vendique l'équité et nous interpelle à proposdu grand problème qui se pose à toute col-lectivité humaine: comment promouvoir unmonde de justice, d'harmonie et de partage:partage des richesses, des idéaux, de la paix.En mettant au centre de sa création les plushumbles avec leurs tourments, leurs luttes etleurs victoires, Idé Oumarou insère ses ro-mans dans la lignée des grandes œuvres hu-manistes.

Amadou MAÏLELEUniversité de Niamey

Journalisteet romancier

* Amadou Ousmaner-

Propos recueillis par J.-D. PENELé?e

M Jean-Dominique Penel : Amadou Ous-

mane, vous êtes un journaliste et écrivainnigérien. Vous êtes connu pour 3 titres : 15

ans, ça suffit! publié en 1977, Le Nouveaujugepublié en 1981, et enfin Chronique ju-diciaire publié en 1987. Peut-on savoir cequi vous a amené à l'écriture, et quel a étévotre cheminement?

D Amadou Ousmane: Cela remonte àbien loin. Très certainement à ma toute ten-dre enfance. A l'âge de 12 ou 13 ans déjà,alors que j'étais en classe de cours moyen,j'ai été pour certains habitants de mon vil-lage (Tibiri-Doutchi) une bourgade rurale dequelques milliers d'habitants, une sorte d'éjcrivain public. C'était avant l'accession denotre pays à l'indépendance. Et il y avaitbeaucoup de soldats de ma région quiavaient été enrôlés dans l'armée française,et qui étaient alors éparpillés sur tous lesfronts où l'armée française avait pu se dé-ployer: Indochine, Algérie, Madagascar,etc. Ces soldats, nostalgie oblige! écri-vaient régulièrement à leurs familles. Nousétions une poignée d'écoliers dans le villageà pouvoir déchiffrer ces lettres pour les fa-milles concernées, et à y répondre. On nous

?donnait 25 F CFA par ci, un poulet ou uncoq par là, pour les services que nous ren-dions à ces familles." Je ne sais trop si cesont les petits cadeaux ou le plaisir d'enten-dre les petits secrets des familles qui m'ontfait aimer cela. Quoiqu'il en soit, je dois re-connaître que j'y étais aidé par mon grand-père maternel celui qui m'a élevé jusqu'àcet âge-là Il éprouvait une certaine fierté,je crois, à voir des gens venir solliciter messervices.

Bien plus tard, au Collège d'Enseigne-ment Général deZinder où j'ai fait ma 3e,

j'ai acquis la sympathie de notre professeurde français qui m'avait pris en amitié aupoint de me conseiller de faire du journa-lisme plus tard. 9H

M Vous vous rappelez du premier articleque vous avez signé? «II

o Bien sûr! Ce sont des choses qu'onn'oublie pas. C'était un article sur la rizièrede Daïkaïna, près de Tillabéry. Je m'en sou-viens très bien. A l'époque, il y avait desChinois qui encadraient les paysans. C'é-tait ma première grande mission. Je n'avaisjamais vu de Chinois d'aussi près, et ce qui

m'avait frappé alors, c'était leur disciplineau travail, leur courage, leur dévouementpour notre cause. Il m'avait semblé qu'ilsmettaient bien plus d'enthousiasme que lesgens qu'ils étaient venus aider à repiquer ouà récolter le riz.

Certains de vos articles vous ont, jecrois, valu quelques déboires.

D En 1973, la sécheresse était à son pointculminant. Les animaux mouraient par trou-peaux entiers, les populations fuyaient à larecherche de la moindre subsistance. Il yavait une situation sociale explosive. Lesresponsables politiques et administratifs dupays ne savaient que faire. Certes, l'aide en-voyée par la Communauté internationale ar-rivait, mais au compte-gouttes. Il y avait detoutes façons un tel désarroi au sein des po-pulations que cette aide n'était pas distri-buée à temps, et convenablement; c'est lemoins qu'on puisse dire. Soit parce qu'il yavait des problèmes d'acheminement, soittout simplement parce que les hommes char-gés de la distribuer le faisaient selon des cri-tères qu'ils étaient seuls à connaître. Pourtout dire, l'aide ne parvenait pas aux vraisnécessiteux.

Je vous ai dit que la Presse avait depuisplusieurs mois déjà réalisé quelques repor-tages sur les zones sinistrées; reportagesqui, lorsqu'ils avaient été publiés par le quo-tidien national, avaient suscité un certainémoi dans la population urbaine (principa-lement à Niamey) qui, il faut bien le dire,n'était pas correctement informée du dramequi se jouait alors dans le pays profond.

J'avais dénoncé cette injustice qui voulaitqu'on distribue gratuitement de l'aide dansles villes et pas du tout dans certainescontrées reculées comme Goudoumaria oùles populations manquaient de tout. J'avaiségalement, dans la synthèse générale quej'avais faite, relevé quelques cas flagrantsde détournements de vivres constatés çà etlà. Figurez-vous que certaines personnesn'hésitaientpas à nourrir leurs chevaux avecle sorgho de l'aide, au lieu de le distribueraux populations. Une telle audace ne pou-vait pas se tolérer. Je m'en suis renducompte à mes dépens.

Aux environs de 13 h, j'ai vu 2 miliciensen treillis faire irruption dans ma chambre

après avoir bousculé ma femme dans les es-caliers.

L'interrogatoire allait durer très exacte-ment huit jours. Avec deux séances quoti-diennes : à des heures irrégulièrescorrespondant sans doute à leurs momentsde loisirs. Inutile de vous en décrire dansles détails les multiples séquences. Vous neme croirez peut-être pas. Gifles, coups depieds, insultes. Je n'ai jamais cru pouvoirsurvivre à cela. J'en porte encore les mar-ques. J'ai été libéré le lundi suivant, sur or-dre du Président de la République qui, jel'ai su plus tard, n'était pas du tout au cou-rant de mon arrestation. La milice aurait agiseule, sans en référer à sa hiérarchie. C'étaittout de même incroyable! Ainsi donc, dansce Niger-là, la milice pouvait arrêter qui ellevoulait quand elle le voulait, le « passer àtabac », le torturer des jours durant dans leslocaux de la police officielle, sans que lesautorités gouvernementales en soient avi-sées.

M Après le coup d'État du 15 avril 1974,

vous êtes monté en grade, puisque vous avezété nommé Attaché de Presse à la Prési-dence de la République. En d'autres termes,vous avez été en quelque sorte « récupéré»parlepouvoir, vous, lejournalisteengagé.

a C'est en octobre 1975, précisément le3 octobre, que le Président Kountché m'afait l'honneur de m'appeler pour me propo-ser d'être son Attaché de Presse. Proba-blement sur les conseils de Idé Oumarou quiétait alors son Directeur de Cabinet.

Cela se passait d'ailleurs dans le bureaude M. Idé. Kountché avait dit simplement:« Tu seras mon attaché de presse. Tucommences demain. Idé te montrera cequ'il faut faire ». Je n'ai même pas eu àréfléchir.

M Il semble que le Président Kountchéavait beaucoup d'estime pour vous.

o C'est bien exact. Sinon, comment au-rais-je pu travailler cinq ans à ses côtés?I A combien d'exemplaires avez-vous ti-

ré 15 ans, ça suffit! ?

D A 3 000 exemplaires, au tout début.3 000 autres par la suite.

M On remarque - et c'est une constantedans votre œuvre - la place importante que

vous accordez à la justice et à la presse,qui apparaissent toutes deux dans leur rôlele plus noble. Que faut-il en déduire?

o Que j'ai une passion pour la justice,et pour mon métier de journaliste. J'ai vouluêtre juge, je suis devenu journaliste.

N En 1981, vous avez publié un deuxième

roman Le Nouveau juge. Ce roman quicomporte 16 chapitres met en scène unjeune juge qui se débat contre le système.Est-ce qu'on peut savoir quelle était votreintention en écrivant ce livre?

o Bien sûr. Je crois qu'en écrivant ce se-cond livre consacré à la justice, je reste fi-dèle à ma passion pour It droit, la vérité, laliberté. Ce juge qui se débat contre une ad-ministration corrompue était peut-être à

mettre en parallèle avec le journaliste quis'est battu, lui aussi, pour faire passer sesidées à travers des articles de dénonciationqui lui ont valu quelques désagréments danssa carrière professionnelle.

Il y a beaucoup de grandeur et de no-blesse dans le combat de ce jeune magistratmême imaginaire, qui a voulu rester incor-ruptible dans une société corrompue.

Hélas, « La raisond'Etat a fini pat avoirraison de son bel entêtement» selon la belleexpression du magistrat nigérien Soli Ab-douramane, qui a eu la bonté de rédiger pourmoi la préface de ce roman.

M Dans 15 ans, ça suffit! il y a deuxpersonnages féminins qui sont importants:Françoise, la jeune amie française de l'a-vocat, et Aïcha, son ancienne camarade declasse. Dans votre second roman, Le Nou-veau juge, le personnage féminin qui do-mine c'est surtout Inna Bagaya, la mère dujeune juge. Mais il y en a d'autres commela secrétaire du juge, et la jeune avocatequi l'aimait secrètement. On constate donc-

que dans votre œuvre les personnages fémi-nins ont presque toujours de beaux rôles.Comment doit-on interpréter cela?

o Je crois que cela peut parfaitements'expliquer. Il est reconnu que dans chaqueœuvre, l'auteur laisse une partie de lui-même. Dans mon cas, j'ai en effet tendanceà idéaliser l'image de la femme. Sans douteparce que j'ai beaucoup de respect pour lesfemmes. Mais plus encore pour ce qu'elles

représentent à mes yeux d'essentiel: cellesqui enfantent et éduquent l'homme.

M Vous avez publié un troisième livre,Chronique judiciaire en 1987. Dans ce li-

vre qui est en fait un recueil de vos anciensarticles consacrés aux affaires judiciaires,vous présentez 27 affaires qui sont typiquesdes dossiers traités par les tribunaux nigé-riens. Quel a été le travail littéraire réaliséà partir de l'œuvre originale? Y a-t-il eudes modifications par rapport aux articlestels qu'ils étaient publiés?

o Cela est inévitable! Parce que dans laforme où ils avaient été publiés dans lesjournaux, il y à 10 ou 15 ans, on ne pouvaitpas reprendre ces articles sans retouche. Ilm'a fallu donc en réécrire certains, maquil-ler les noms des lieux et des personnes,changer les dates, et prendre toutes les pré-cautions nécessaires pour me prémunircontre d'éventuelles poursuites. Noussommes quand même sur le terrain du droit !

Ainsi arrangées, elles ont pris l'aspect de

« nouvelles» anonymes où il n'est pluspossible de reconnaître qui que ce soit.

M Amadou Ousmane, je vais vous poserune dernièrequestion: vous êtes mainte-nant directeur de l'Agence Nigérienne dePresse, et vous publiez depuis 3 ans sousvotre responsabilité un journal qui s'appelleNigerama. Pouvez-vous nous en dire quel-quesmots?

o Nigerama, dans notre conception,c'est le panorama du Niger, en d'autrestermes « le Niger en images ». Effective-ment, la revue se voulait et se veut toujoursun « panorama du Niger» parce que dansl'esprit même de son créateur, son but c'estde « faire connaître, faire comprendre et ai-mer le Niger ». aux étrangers. mais aussiaux Nigériens eux-mêmes. Car en définitive,nous nous sommes aperçus que les Nigé-riens ne connaissent pas assez ou même pasdu tout le Niger.

C'est cette lacune que nous essayons decombler.

Propos recueillisparJ.-D.PENEL

Idé Adamou :

Du Cri inachevéà l'Eclipse

*Propos recueillis par Jean-Dominique PENEL

M Jean-Dominique PENEL : Vous êtesconnu du grand public par un premier re-cueil de poésies qui paraît en 1984 et quis'intitule « Cri inachevé» ; il contient 44poèmes et est préfacé par Siddo Issa. Pour-quoi « inachevé» ?

o Idé ADAMOU : « Inachevé» c'estpeut-être une espérance. C'est aussi une in-satisfaction. parce qu'il y a tellement desouffrances que peut-être vous avez ressen-ties en parcourant le livre, tellement de dé-tresses humaines, que j'ai essayé d'avoiraussi beaucoup d'amour à transmettre à tra-vers les différents poèmes.

M Le recueil « Cri inachevé» estcomposé de plusieurs parties. La lre parties'appelle «

Épreuves», la seconde « Ap-

pel », la troisième « Afrique », la qua-trième « Signes» et puis la cinquième estune partie en zarma sur laquelle nous allons

revenir. Pouvez-vous nous expliquer pour-quoi vous avez regroupé ainsi vos poèmes?

D Ces regroupements ne sont pas le faitdu hasard. Les poèmes d'« Épreuves» ontessayé de traduire toutes les souffrances quenous traversons. Ce sont donc des poèmesqui montrent les conditions de vie des po-pulations de notre pays. Mais dans l'épreuveon sollicite, on espère, on attend et on ap-pelle. C'est ce que j'ai essayé de traduiredans les autres poèmes qui suivaient, où onappelait à plus de cohésion, plus d'amitié;je crois que tous les poèmes regroupés sousle titre « Appel », manifestaient le désird'amour, le désir de résurrection. Sur lethème « Afrique », là aussi j'ai essayé dedire tout ce qui me montait au ventre, envoyant tous nos pays en proie à ces mal-heurs qu'on leur a imposés. « Signes» re-groupe des poèmes de complicité, si l'on

peut dire, puisque nous ne vivons pas seuls:j'ai espéré un monde d'amour, et puis j'aiessayé de traduire mes sentiments pour despersonnes qui m'étaient très proches.

I La dernière partie qui comprend dixpoèmes est exclusivement en zarma. Est-ceque vous pouvez nous expliquer cette pré-sence de poèmes écrits, non pas dits, direc-tement dans votre langue?

o Oui les dix poèmes regroupés sous letitre « Bon Beyyan » écrits totalement etdirectement en langue zarma sont très im-portants pour moi. J'ai remarqué, au fur età mesure que j'écrivais, que j'étais un peuinsatisfait de moi-même; je voulais m'ap-procher davantage de moi-même, me redé-couvrir; mais cela nécessitait un travail deretour vers soi et la langue nationale se prê-tait à cette quête d'expression. Alors je lesai directement écrits en zarma.

I Ensuite, le deuxième texte qui vous faitconnaître, c'est un roman. Vous changezdonc complètement de genre littéraire etvous publiez, en 1987, toujours à l'Impri-merie nationale, ce texte qui s'appelle LaCamisole de paille, et qui est préfacé (unetrès belle préface d'ailleurs) par Paul Da-

keyo, l'éditeur-poète camerounais qui estinstallé en France. Comment vous est venuce goût de changer de genre?

D La Camisole de paille marque non pasun tournant mais une quête, une autre expé-rience ; je voulais m'essayer à tous les

genres.N Pouvez-vous nous éclairer sur le titre?D Oui pour La Camisole de paille

comme pour Cri inachevé, c'est le person-nage central qui m'a poussé à l'intituler decette façon. Le personnage central, c'est Fa-tou, une femme, ce que j'ai voulu décriredans son expérience, c'était l'enfermementdans une société où les lois traditionnellessont très fortes, comme le désir de s'affran-chir de ces lois traditionnelles. Donc, jevoyais cela comme une sorte de robe, decamisole qu'on mettait sur cette jeune fillemais, au fur et à mesure qu'elle s'en revê-tait, les tissus s'avéraient fragiles et pou-vaient se rompre si on les ajustait sur le

corps qui n'était pas à leur mesure. Voilà à

peu près ce que j'ai voulu traduire.

M Quand on lit La Camisole de paille,il est certain qu'il y a quelque chose de trèsfrappant, c'est ce personnage de femme. Le

thème de départ est classique: celui d'unejeune femme à qui sa famille impose un ma-riage dont elle ne veut pas, puisqu'elle aimequelqu'un d'autre. Mais ce qui m'a paru in-téressant et je voulais vous interroger à cepropos, c'est que lorsque finalement elles'est affranchie de cette tutelle dont elle neveut pas, et lorsqu'elle retrouve ce jeunehomme, Karimou, qu'elle a aimé (qui re-vient lui-même du Ghana), eh bien finale-ment, contrairement à ce qu'on pouvaitattendre, ils ne se remettent pas ensemble.Elle choisit une autre voie, une voie soli-taire. Est-ce que vous pouvez nous expliquerpourquoi?

D La Camisole de paille n'est pas un ro-man d'amour. Dans ce roman, j'ai voulu ré-fléchir sur la condition de la famille etl'héroïne Fatou est apparue, au fur et à me-sure que j'écrivais, comme un personnagetrès fort qui, à la longue, s'est imposé à moi.Au fur et à mesure que j'avançais, je voyaisque Fatou s'affranchissaitmême de l'auteur.Fatou a un goût de liberté tellement pousséque, finalement, au lieu de vivre une exis-tence qu'elle avait toujours désirée, elle pré-fère vivre sa vie, parce qu'il y a d'autresengagements (elle a un enfant dont elle neconnaît même pas le père), et ne pas entra-ver, gêner Karimou : cet enfant n'a pas depère et, dans la société où elle est, c'est unetare importante. Donc, par amour peut-êtrepour Karimou, elle préfère, elle, choisir savoie et marquer sa soif de liberté, son désirde s'assumer complètement.

I Je suis frappé en vous écoutant et enlisant La Camisole de paille. Comme dansun autre texte, Sarraounia, de Mamani Ab-doulaye, un personnage féminin est chargélui aussi de porter toutes les valeurs de ceNiger nouveau, et c'est à travers des per-sonnages féminins plutôt qu'à travers des

personnages masculins qu'on essaye demarquer cette libération; ce n'est pas lefait du hasard.

o Oui, je pense que c'est tout à fait nor-mal. La femme a toujours joué dans nos so-ciétés un rôle extraordinairement important.Dans Sarraounia, la femme guerrière estresponsable, chef d'État même. Elle aconduit des hommes au front, elle les a aidésà préserver l'identité et l'intégralité de sonpays. La femme est vraiment le point in-

contournable de l'évolution de toutes nossociétés. C'est par elle que les chosescommencent: la vie, ensuite l'éducation fa-miliale. Elle joue un très grand rôle dans lafamille; contrairement à ce que les genspensent d'habitude, la femme n'est pas bri-mée, et on sent le rôle qu'elle joue au seinde la famille. Peut-être un rôle discret maisfondamental dans l'évolution de la familleet de la préservation des valeurs tradition-nelles et du progrès puisque l'éducation desenfants doit s'ouvrir par elle sur le mondeextérieur.I On va passer maintenant à un troi-

sième texte qui n'est pas encore édité, maisqui est proche de la publication, c'est unnouveau recueil de poèmes (22 poèmes, soitla moitié de Cri inachevé) qui s'appelleÉclipse. Pouvez-vous nous parler de ce re-cueil ? D'abord, quand va-t-il sortir? A

Paris? Ou bien à Niamey?D Je ne suis pas décidé. J'aimerais bien

recommencer l'expérience des deux précé-dents, le faire publier à Niamey; c'est monsouhait, même si j'ai quelqu'un qui le prendici à Paris.

Éclipse, c'est un autre cheminement quirejoint peut-être aussi Cri inachevé: il fal-lait continuer la recherche et l'expérienceaussi, et s'il y a des zones d'ombre, il fautégalement les manifester; Éclipse se situedans cette zone d'ombre que nous traver-sons. Tous les poèmes, si vous avez pu leslire, marquent encore une fois les souf-frances, les détresses.

I Il y a certains textes qui sont très lyri-

ques : ily a un souffle peut-être même plusfort encore que dans Cri inachevé; jepense à des poèmes comme « Senteur dumatin », je pense aussi à « Chant ». Vous

avez là un rythme qui est nouveau. Si, pourl'écriture, certains textes ressemblentà ceuxde Cri inachevé, vous en avez d'autres quiont un souffle plus puissant ou plus lyrique

que ceux du premier recueil.

o Je pense effectivement que dans lespoèmes d'Éclipse, il y a peut-être quelquechose de nouveau, mais ce n'est pas à moid'en parler, c'est au lecteur.

Popos recueillisparJean-DominiquePENEL

Autour du livre

Journaux en languesnationales

et bibliothèquesvillageoises

Thierry de LOUSTALet Alain BONNASSIEUX

Au Niger, le service de l'Alphabétisa-tion, par l'intermédiaire d'une trentained'inspections réparties sur l'ensemble duterritoire, supervise le fonctionnement deplus de 1300 centres d'alphabétisation.Enmilieu rural où le recours au français estrare, les auditeurs font l'apprentissage dela lecture-écriture dans les différentes lan-gues nationales: hausa, zarma, songhaï,tamashek, kanuri, fulfuldé, toubou, gour-mantché. C'est seulementà Niamey et dansles principaux centres urbains que l'alpha-bétisation a lieu en français.

Comme dans la plupart des villages, lesnéo-alphabètes ont très peu de documents àlire, le risque d'un retour à l'analphabétismeest donc important. Pour l'éviter, le service del'Alphabétisation au niveau national et danscertaines inspections réalise des journaux. Deplus, dans les villages où existe un groupe

d'alphabétisés, des bibliothèquesvillageoisesqui réunissent un certain nombre d'ouvragesont été installées.

Consolider l'alphabétisation

Ces outils de lecture mis à la dispositiondesvillageois alphabétisés font partie des raresdocumentsen langues nationalesqui sont édi-tés au Niger. Ils permettent de consolider lesconnaissancesacquises en alphabétisation,etd'avoir accès à d'autres sources d'informa-tion. L'utilisation de supportsécrits contribueaussi à faire vivre la langue du milieu et c'estun moyen de conserver certains éléments dela tradition orale. Par exemple les contes, lesproverbesou les savoirs populaires.En lisantles journaux et certainesbrochures, les alpha-bétisés peuvent acquérir d'autres connais-sances dans différents domaines: santé,agriculture, environnement, qui leur permet-

tent d'améliorer leurs conditions de vie. En-fin, la presse et les livrets de post-alphabéti-sation peuvent être utilisés pour faciliter ladiffusion des messages techniques dans lesopérations de développement.

En dehors du cadre de l'alphabétisation,lapresse en langues nationales et les bibliothè-ques villageoises sont mal connues. Cet arti-cle devrait aider à en préciser lescaractéristiques.

La presse rurale en langues natio-nales au Niger

La presse rurale au Niger est apparue dès1968, quelques années après la création duservice de l'Alphabétisation. Expérimentéetout d'abord dans la région de Tillabery, elles'est peu à peu généralisée à plusieurs inspec-tions départementales et d'arrondissement.

Actuellement, la presse rurale s'articuleautour de trois niveaux: une presse villa-geoise, organisée autour de certains « vil-lages-centres » qu produisent des journauxvillageois. Une presse régionale réalisée parquelques inspections d'alphabétisation. En-fin, une presse nationale avec le journal

« Ganga » publié par la Direction de l'Alpha-bétisationàNiamey.

C'est en 1974 que le système est mis enplace, il vise à développer les échanges entreles différents niveaux tout en faisant du vil-lage « le moteur de la presse rurale ».

La presse villageoise

Les néo-alphabètes du village-centre et desvillages environnants rédigent des articles qui

seront tirés grâce à un limographe. Il s'agit d'unpetit appareil très simple qui reproduit par séri-graphie des textes écrits sur des stencils ordi-naires. La dépendance du point de vuetechnique est minime mais le village doit toute-fois financer les stencils et l'encre.

Les textes écrits par les alphabétisés sontsouvent des contes, des devinettes, des anec-dotes de village ou des questions d'informa-tion posées aux cadres des différents servicestechniques (santé, agriculture, ressources ani-males.). En effet, les objectifs assignés à la

presse villageoise sont clairs: « il s'agit d'as-surer le dialogue à tous les niveaux, de main-tenir et renforcer les connaissancesintellectuelles des populations rurales, de lesaider à améliorer leurs conditions de vie enparticipant activement aux projets locaux dedéveloppement» (interview du Directeur del'Alphabétisationpublié dans le quotidien « leSahel» du 23/7/80).

Une étude de 1985 relève 73 presses villa-geoises concentrées surtout dans les régionsde Tillabery et de Maradi.

Malheureusement, la fréquence des tiragesest relativement faible et les difficultés pourmaintenir une parution régulière ne manquentpas. Les journaux qui devraient être vendus à10F CFA sont la plupart du temps distribuésaux villageois gratuitement, et l'autofinance-ment nécessaire à l'achat de stencils et d'encren'est pas suffisant. D'autre part, les équipeslocales chargées de la collecte des articles etde leur tirage sur limographe sont bénévoles,et souvent plus intéressées par les profits en-gendrés par l'exode rural. Enfin, les languesnationales ne peuvent être lues que par lesagents d'alphabétisation et quelques autrespersonnes initiées à la transcription. La portéede l'outil de communication créé par la pressevillageoise est donc limitée.

La presse régionale

Elle est publiée par certaines inspectionsrégionales et départementalesdans la langued'alphabétisation de la région. On dénombreune dizaine de titres dont six en haoussa, troisen zarma et deux en tamacheq. Les titres sontévocateurs: « Saabon Rayii» (Point de vuenouveau), « Muryar Damagaram» (Lavoie du Damagaram) et « Tarmaamun Aa-dar» (Les étoiles de l'Ader).

Initialement, l'édition devait être men-suelle et le nombre d'exemplaires défini sui-vant les besoins. Ces journaux contiennentquatre à six pages, ils sont tirés sur les ma-chines ronéo des inspections.Depuis quel-ques années plusieurs inspections ont étééquipées d'imprimeriesoffset, ce qui a permisd'augmenter l'édition de certains journaux.

Le plus fameux d'entre eux est « Jine KoyYan» (Le progrès) édité à 1 000 exem-plaires, en zarma, sur l'imprimerie offset deTillabery. Examinons les différentes rubri-ques du journal qui se répartissent ainsi:

Un « éditorial» qui donne des informa-tions sur la campagned'alphabétisation et surla région.

«Les nouvelles du village» apportéesparles presses villageoises.

« Les nouvelles nationales» et « inter-nationales» puisées soit dans le quotidiennational« Le Sahel» ou dans d'autres revuesinternationales (« Jeune Afrique ») ou cap-tées à la radio.

« La page féminine », avec ses conseilsménagers sur la cuisine, les soins aux enfantsou le jardinage.

« Les proverbeset devinettes », proposéspar les néoalphabètes du village ou par l' é-quipe du journal.

« Les conseils sur la vie quotidienne»« Le courrier des lecteurs» où figurent

les lettres des alphabétisés et interrogationssur différents problèmes.

« Les jeux et loisirs» : mots croisés, cha-rades, devinettes.

La diversité du contenu, et le souci de per-mettre aux villageois alphabétisésde pouvoirs'exprimer à travers ce journal s'inscrit biendans la logique de communication qui doitexister entre les différents niveaux de la

presse rurale.

« Jine Koy Yan » paraît en moyenne tousles deux mois, il est vendu à 25 F, et sadistribution se fait à l'occasion des marchés.Il est très apprécié par les paysans alphabéti-sés qui ont pris l'habitude de le lire et leréclament aux agents d'alphabétisation s'il ya du retard dans sa parution.

La presse nationale

Créé en 1965, le journal «Ganga» (Letambour) est actuellement à son 54e numéro.A l'origine, il était édité en français et dansles principales langues nationales. Mais cetteformule ne permettait d'offrir aux lecteursqu'un nombre limité d'articles. C'est pouquoiactuellement il existe deux versions du jour-

nal : l'une en haoussa avec deux ou troisautres langues, l'autre en zarma avec troisautres langues.

La conception de Ganga est assurée parune équipe du Bureau pédagogique de la Di-rection de l'Alphabétisation à Niamey, quicentralise les échanges entre les autres ni-veaux de la presse rurale. Imprimé en offset àla Direction de l'Alphabétisation, il contientune dizaine de pages et il est édité à 1 000exemplaires pour la version zarma et à 1 500exemplaires pour la version haoussa. Créépour être initialement un journal mensuel, safréquence de parution a considérablement di-minué ces dernières années. Il est pourtantfort apprécié par les alphabétisés. Sa distribu-tion dans les villages se fait par l'intermé-diaire des inspections régionalesd'alphabétisation. Le contenu du «Ganga »est sensiblement le même que celui de « JineKoy Yan », mais il contient parfois plus d'ar-ticles d'actualité.

La structure de dialogue et d'échanges en-tre les différents niveaux, qui devait être miseen place par le système de la presse rurale, n'amalheureusement pas atteint tous ses objec-tifs. Depuis ces dernières années, on a consta-té qu'il y a une certaine stagnationde la presseen langues nationales; la fréquence de paru-tion des journaux s'est beaucoup ralentie.

La presse régionale et nationale rencontresensiblement, à une échelle différente, lemême type de problèmes que la presse villa-geoise.

La quasi gratuité des journaux n'a pas per-mis l'autofinancement nécessaire à l'achatdes fournitures ou à l'amortissementdu ma-tériel. Certaines imprimeries offset sont enpanne pendant plusieurs mois car on attend lapièce de rechange nécessaire à la remise enmarche de la machine.

De plus, la presse rurale en langues natio-nales reste souvent l'affaire des villageois oude quelques agents initiés à la transcriptiondes langues. Il n'y a pas de véritable politiqued'utilisation des langues nationales qui per-mettrait d'en étendre l'audience.

Enfin, en tant qu'outil d'information, elleest fortement concurrencée par d'autres mé-dias : radio, télévision.Cependant, l'habitudede la lecture d'un journal en milieu rural s'estcréée et il faut la préserver.

Au départ, l'objectifdes auditeurs des cen-tres d'alphabétisation se limitaità l'apprentis-sage de la lecture et de l'écriture,actuellement,avec l'existencedesjournaux etdes autres documents en langues nationales,ils peuvent lire pour « apprendre ».

Les bibliothèques villageoises auservice de la post-alphabétisation

En 1990, il y avait 407 bibliothèques villa-geoises au Niger. Leur nombre augmente ré-gulièrement. Ainsi, en 1982, elles n'étaientque 175. Mais leur répartition sur l'ensembledu territoire est très inégale: par exemple, il

yen a 47 dans l'arrondissement de Maradi eton en trouve seulement 3 dans l'arrondisse-ment de Kollo à proximité de Niamey.

Par « bibliothèques villageoises» on en-tend un petit stock de livres déposé dans unecantine sous la responsabilité d'un adulte al-phabétisé ou de l'instructeur du centre d'al-phabétisation. Les lecteurs du village etparfois des villages environnants empruntenttour à tour les différents ouvrages en fonctionde leurs centres d'intérêt. Des causeries peu-vent avoir lieu avec l'animateurde la biblio-thèque sur les thèmes abordés dans unebrochure.

Documents d'éducationde base etou-vrages du Nigéria

Plusieurs types de brochures se trouventdans les bibliothèques villageoises.

Des livrets de post-alphabétisation quiportent sur des thèmes d'éducation de base:santé, agriculture, élevage, environnement,organisation coopérative, éducation civique.

Des brochures à caractère religieux, sur lavie sociale ainsi que des ouvragesdistractifs :

contes, proverbes etc.Des journaux publiés par le service de

l'alphabétisation sont également placés dansles bibliothèques villageoises.

Les sujets traités par les livrets de post-al-phabétisation sont variés: santé de la femmeenceinte, traitement des plaies et fractures,

fonctionnementd'une coopérative.Ces docu-ments édités par la Direction de l'Alphabéti-sation sont réalisés soit par des agentsd'alphabétisation, soit par des élèves du Cen-tre de Formationdes Cadres de l'alphabétisa-tion. Rédigés d'abord en françaisfondamental, puis traduits ensuite dans leslangues nationales, ils sont présentésde façonvivante avec des illustrations.

Les brochures qui ne sont pas produitesparle service de l'alphabétisation viennent pourla plupart du nord du Nigéria et sont édités enhausa. Une grande partie sont des ouvragesd'édification religieuse (signification du Co-ran, histoire des prophètes)ou des recueils decontes, de légendes, de proverbesou de chan-sons. Des enquêtes faites en 1990 sur lesstocks de brochures mis à la disposition desbibliothèques villageoises ont montré quecertaines inspections d'alphabétisation deszones frontières du Nigéria disposaient d'unvolume très important de documents, parfoisautour d'une centaine de titres, presque tousédités chez le grand voisin dans des régionsoù il y a près de 50 millions de locuteurshausa.

Par contre, dans les régions où prédomineune autre langue, zarma-songhaïpour Dossoet Tillabery, Tamachek pour Agadès, Kanuripour Diffa, le stock de brochures se limite engrande partie aux documentsde post-alphabé-tisation du service de l'Alphabétisation. Etcomme la production d'ouvrages n'est pasrégulière, beaucoup de bibliothèques villa-geoises voient le nombre de leurs lecteursdiminuer parce que les brochures qu'ellescontiennent ont déjà été lues par les alphabé-tisés.

Plus d'ouvrages pour un vaste public

Afin de remédieraux difficultésauxquellessont confrontées les bibliothèques villa-geoises, il serait utile de réaliser une enquêtepour apprécier les besoins actuels des « let-trés » dans les villages. Les informations ob-tenues pemettraient de mieux orienter laproduction du service de l'alphabétisation etde sélectionner les titres qui paraissent lesplus intéressants dans le grand nombre d'ou-vrages en hausa en provenance du Nigéria.

1

Des moyens supplémentaires devraient êtrerecherchés auprès des organismes publics ouprivés pour finaliser et imprimer des travauxfaits par des agents d'alphabétisation etconcevoir de nouvelles brochures.Comme laproduction du service de l'alphabétisation nepeut suffire à alimenter les bibliothèques vil-lageoises, il faudrait que les agents des ser-vices techniques se familiarisent avec latranscriptiondes langues nationalespour réa-liser les documents sur des messages qu'ilsveulent vulgariser. Le recours aux languesnationales permettrait de mieux prendre encompte ce qui vient des villages: relationd'expériences dans le domaine agricole ousanitaire, expression des savoirs et des be-soins des populations. Ces échanges contri-bueraient à réduire la distance qui sépare lesagents de développementdu milieu rural.

Dans le domaine culturel, un effort devraitêtre fait pour transcrire un plus grand nombrede contesou de légendes et traduiredes textesd'auteurspopulairesnigériens. Certainesbro-churespourraientêtre éditéesdans les languesnationaleset en français. Les auditeursalpha-bétisés en français dans les centres urbainsauraient ainsi des documents pour maintenirleurs connaissances et en acquérir de nou-velles. Ces brochures pourraient aussi êtrelues par des ex-élèves du primaire, même dupremier cycle du secondaire,qui trouvent ra-rement des textes à lire adaptés à leur niveau.

Thierry de LOUSTALet Alain BONNASSIEUX

C.F.C.A. Niamey

Au service du public

*Les Archives Nationales

Elhadji Mahaman SADE

A l'instar de tous les services d'Ar-chives des huit autres colonies fran-çaises de l'Afrique de l'Ouest, lesArchives du Niger doivent leur exist-ence légale à la publication d'un arrêtédu Gouverneur général le 9juillet 1953« portant règlement général desArchives de l'Afrique occidentale fran-çaise ». Le premier article de cet acteétablit un dépôt d'archivesau gouverne-ment général à Dakar et au chef-lieu dechacun des territoires de l'Afrique occi-dentale française, à savoir: le Sénégal,la Côte-d'Ivoire, la Mauritanie, le Sou-dan, la Guinée, le Dahomey, la Haute-Volta et le Niger.

Mais peut-on véritablement parler d'ar-chives sans archivistes? Quelles informa-tions pertinentes peut-on en tirer? Lamultiplicité des tâches dévolues à cettedeuxième section du cabinet du Gouverneurlui permettait-elle de s'occuper rationnelle-ment d'archives? Sans prétendre apporterune réponse satisfaisante à ces questions, leprésent aperçu sur les archives du Niger bros-sera un historique des archives administra-tives en Afrique de l'Ouest francophone; les

fonds documentaires conservés au Niger, leslocaux et mobiliers, les ressources humaineset financières.

Historique des archives dans l'envi-ronnementafricain francophone

C'est par un arrêté daté du 1er juillet 1913

que le Gouverneur général William Ponty acréé un dépôt d'archives au Gouvernementgénéral afin de conserver les documents detout ordre provenant des services du Gouver-nement général d'une part, de recueillir lesdocuments d'un caractère purement histori-que existant dans les chefs-lieux de coloniesou de cercles. Cette typologie documentairepermet d'affirmer que les archives del'A.O.F. sont essentiellement constituées dedocuments produits ou reçus par les servicespublics. Les prédispositionsà faire du servicedes Archives un centre de documentationad-ministrative sont contenues dans la circulairerelative à l'organisation des archives et datéedu 2 juillet 1913 (Journal Officiel de l'Afri-que occidentale française n° 499 du 19 juillet1913, p. 689). En effet, outre les attributionssus-citées, ces attributions complémentairesimpliquent quotidiennement le service des

Archives dans le fonctionnementcourant des

rouages administratifs. Les fluctuations ad-ministratives, la diversité des documents in-fluenceront grandement la constitution desfonds documentaires des archives de cha-que colonie.

Les fonds documentaires

LesArchives

Les Archives proprementdites renfermentplusieurs fonds correspondant aux appella-tions successives du pays au gré des fluctua-tions administratives*

Les documentsgraphiques

Une collection non moins importante dedocuments graphiques complèteutilementlesarchives tant pour la documentation histori-que de la recherche (rapports d'activité desservices) que pour les besoins d'informationadministrative et juridique. Il s'agit des jour-naux officiels, recueils de textes, bottins, an-nuaires, statistiques, budgets et comptesdéfinitifs, etc.

L'exploitation dufonds documentaire

L'absence de professionnels de l'archivis-tique, la multiplicité des tâches dévolues auxagents chargés des archives, le manque delocaux et matériels appropriés à la conserva-tion et à la préservation sont autant de facteurscompliquant la structuration logique de l'in-formation. Aussi, plusieurs plans et systèmes

* 1900-1905: 3e Territoire militaire du Zinder1905-1920: Territoire militaire du Niger1920-1922: Territoire civil du Niger1922-1958: Colonie du Niger1958-1960:ÉtatduNiger

1960-1974: lrLRépublique

1974-1989: Conseilmilitaire suprêmeDepuis le 6 octobre 1989: 2e République.

de classement coexistent avec la perspectived'un système de correspondance toutes lesfois qu'un fonds viendrait à changer de clas-sement. Ainsi les documents produits ou re-çus entre 1899 et 1922 ont fait l'objet de 25séries réparties par secteurs géographiques.

Un classementnumériquepermet l'accès àdiverses catégories de dossiers.

L'utilisateur désirant accéder à la mono-graphiede la région d'Agadezétablieen 1913

aura commeréférenceindicative2 (la région)1 (type de document 3 énième document dutype précité, soit 2.1.3. comme cote. Lesfonds documentaires correspondant à la pé-riode 1922-1958 sont classés conformémentau plan de classement annexé à l'arrêté géné-ral du 9 juillet 1953 cité plus haut et quidispose les archives de A à Z :

A Actes officiels, c'est-à-dire les recueils delois, décrets,décisions,circulaires,ordrede ser-vices.

B Correspondancegénérale

C Personnel etc. jusqu'àZ Fonds privés.

La documentation législative et régle-mentaire

Les journaux officiels des pays franco-phones constituent l'essentiel de ce fonds.

Ces journaux officiels sont rangés avec lespublicationsen série renfermant plus de cinqcents titres selon une numération continue.

Cette catégorie documentaire renfermantles publications en série répondant aux prin-cipales fonctions des archives: ; juridico-ad-ministratives ; historico-culturelles ;auxquelles s'ajoutent des périodiques desti-nés à la formation permanente du personnelde l'information documentaire, des périodi-ques d'information générale, des périodiquesscientifiqueset surtout une importantecollec-tion de titres de journaux nigériens reflétantles idées de syndicats, de scolaires, de partispolitiques. Le premier titre nigérien est d'o-bédience syndicale et s'appelle «Talaka».Organe des syndicats confédérés du Nigerdont la première livraison parut le 1er mai1951. Parmi les journaux des partis politi-ques, on peut également signaler:

« Le Niger» : organe du Parti progressistenigérien 1953-1974.

« Le démocrate» : organe bimensuel del'Union démocratiquenigérienne 1954-1956.

« L'unité» : organe d'informationhebdo-madaire du Front démocratique nigérien.

Les journaux scolaires produits générale-ment dans les établissements d'enseignementsecondaire sont nombreux: « Aspects nigé-riens ». Organe bimensuel de la Ligue desAmis de l'école; bulletin des étudiants nigé-riens; «Le »Dankassawa », organe de pressedu lycée technique de Maradi ; « Dounia SeiLabari », étincelle, organe de l'Union desétudiantsnigériensde l'universitéde Niamey,etc.

Les publications officielles

Cette catégorie documentaire qui renfermeles publications parlementaires, les textes lé-gislatifs et réglementaires, les documents fi-nanciers, les textes de jurisprudences, lesstatistiques, les rapports et études des admi-nistrations centrales, les brochures d'infor-mationset autrespublications,est un véritablecasse-tête tant au niveau de la collecte que dutraitement.

La collecte

Une disposition règlementaire datant dumois d'août 1953 (Arrêté du Gouverneur gé-néral n° 6033/SG) oblige les administrationspubliques à verser leurs publications offi-cielles dans les dépôts d'archives. Par publi-cations officielles, cet acte vise « tous lesécrits, gravures et cartes, reproduits par l'im-primerie ou par d'autres moyens mécaniquesou chimiques, édités et mis en vente ou endistribution, par les administrations, établis-sements et services publics, les cours et juri-dictions, les assemblées représentatives éluesde l'Afrique occidentale française ».

L'ignorance,la méconnaissancede cet acterèglementaire et surtout l'absence de res-sourceshumaines sont les principaux facteursqui entravent la collecte. Comment sont donctraitésces documentsrassemblésau petit bon-heur la chance?

Le traitement des publicationsofficielles

Les journaux officiels sont rangés avec lesautres publications en série; les rapports,études, comptes rendus subissent un classe-ment par la collecte.

On y distingue 4 groupes classés par for-mats rassemblant les autres monographiesconstituant la bibliothèque administrative ethistorique des Archives.

Locaux et mobiliers

Depuis octobre 1974, les Archives du Ni-

ger sont logées dans un édifice construit à leurusage exclusif. Cet édifice situé en plein cœurdu quartier administratif est d'accès facile àtous les utilisateurs. Il comprend trois parties,

une aile administrative,une partie renfermant

les services techniques, la portion la plus im-portante est réservée aux magasins destockage.

L'aile administrative

Occupée totalement depuis octobre 1974,elle comprend une salle de lecture et de con-sultation de documents sur place. Cette sallepeut recevoir quinze personnes à la fois pen-dant les heures normales d'ouverture des bu-

reaux, un couloir de dégagement qui sertégalement de salle des catalogues, de salled'information du public, un bureau d'archi-vistes, un secrétariat, un bureau de chef deservice.

Les ateliers techniques

Dépourvus de tout équipementjusqu'en dé-cembre 1978, les locaux réservés aux atelierstechniques comprennent: un atelier de désin-fection de 6 x 6,5 m non encore équipé, unatelier de reliure et de restauration de 5 x 6,5 mfonctionnel, une salle de tri et de classement de7 x 7 m, une salle de prise de vues de 3,5 x 7 m ;

enfin un laboratoire de 3,5 x 7 m.Ces deux ailes administratives et techni-

ques sont pourvues d'une climatisation cen-trale qui fonctionne de manière épisodiquemalgré l'effort d'entretien suivi. Des clima-tiseurs individuels ont été installés depuis1980 pour suppléer les défaillances éven-tuelles.

Les magasins

Occupent la partie la plus importante dubâtiment. Le premier magasin de 14 x 34 mrenferme 3652 m linéairesde rayonnages typemétallique de « Strafor » installés depuis1975.

Le second magasin bâti sur 22,5 x 34 m nerenferme que 2876 m linéaires de rayonnagesmétalliques de type « Italedil ».

Ces deux magasins sont climatisés depuis1979.

Ressources humaines

Le dépôt central des Archives nationalesemploie onze personnes: 4 fonctionnaireset7 agents auxiliaires.

Ce personnel est régi par la conventionnationale interprofessionnelle.

Ressources financières

Les Archives nationales ne disposent pasde budgets propres. Elles émargentdans l'en-veloppe globale de crédits alloués au Secréta-riat général du Gouvernement tant pour ledépenses d'équipement que pour les dépensesde fonctionnement.

Relations avec les usagers

L'accès aux Archives est libre et gratuit.Les documentsrendus publics conformémentaux dispositionsrèglementairesse communi-quent sans restriction aucune. Une autorisa-tion de reherche est requise pour accéderà desdocuments quelque peu délicats. Seul le mi-nistre de l'Enseignement supérieur de la Re-cherche, de la Technologie et de l'Éducationnationale est habilité à délivrer à tout utilisa-teur une autorisationde recherche. Cette auto-risation est valable sur l'ensemble duterritoire national. Le dépôt central est ouverttoute l'année aux heures normales d'ouver-ture des bureaux c'est-à-dire du lundi au ven-dredi de 7 h 30 à 12 h 30 et de 15 h 30 à 18 h30.

Un bilan optimiste

L'avènement irréversible de l'État de droitau Niger, la mise en formation de personnelspécialisé en documentation, l'insertion desservices de documentationet d'archives dansla structure organique de l'administrationcentrale nigérienne laissent augurerune situa-tion beaucoup plus rationnelle des Archivesnationales.

Elhadji Mahaman SADEDirecteur national des Archives

A la recherched'une littérature

« positive»*Entretien avec Bania Mahamadou Say,

Président de l'Association des écrivains Nigériens.

I Je voudrais que vous nous parliezd'a-bord de l'association des écrivains nigé-riens.Est-ce que vous pouvez nous dire dansquelles circonstances elle a été créée etquand ?

DL'association des écrivains a été crééeen 1975 en tant qu'association des écri-vains; auparavant il existait une union desécrivains et avant l'union il y avait déjà unesociété des gens de lettres qui était animéepar le Président Boubou Hama, Président del'Assemblée Nationale; cette société desgens de lettres avait pour but d'abord de réu-nir tous ceux qui s'intéressaient à la littéra-ture, orale ou écrite.

En 1975, on a créé l'association des écri-vains nigériens. Elle avait pour but d'abord ladéfense des écrivains; c'était un lieu de ren-contre pour tous les écrivains nigériens. Etl'objectif était de faire connaître la littératurenigérienne, de l'affirmer et d'œuvrer à son

rayonnement, dans le cadre de l'Afrique etdans le cadre de la francophonie, puisque lefrançais est notre langue de travail.

N L'association regroupe-t-elle l'ensem-ble des écrivains nigériens?

D En principe, l'association regroupel'ensemble des écrivains nigériens, maiscomme dans tous les pays, il y en a qui nes'intéressent pas à la vie de l'association.

M Est-ce que les buts actuels corres-pondent à la définition que vous avez don-née tout à l'heure de la création del'association des écrivains?

D Oui, les buts correspondent et mêmeles dépassent. Actuellement l'associationœuvre pour l'édition, encourage les jeunesà écrire, aide les jeunes qui ne peuvent passe faire éditer; nous prenons contact avecles éditeurs non nigériens. Maintenant nousavons deux maisons d'édition sur la place:

les Éditions du Ténéré et les Éditions du Sa-hel.

M Je crois aussi que l'association avaitcréé un magazine culturel?

D Oui, nous avons créé un magazine cul-turel où nous avions, (mais il n'y a eu quequatre numéros), l'ambition de vouloir défen-dre la langue française. Parce que nous noussommes dit qu'on rencontrait trop de mots an-glais dans les textes français, des mots anglais

comme « parking ». Et nous avions réservé

une page pour les équivalents français.

M Je crois que votre associationfait partiede l'Unionpanafricaine des écrivains. Qu'est-ce que vous apportent ces contacts avec d'au-tres associations d'écrivains africains?

D L'Union panafricaine permet aux écri-vains africains de se connaître physique-ment, et par un échange d'œuvres.L'association panafricaine voudrait créeraussi une maison d'édition dans chaque ré-gion parce qu'une maison d'édition conti-nentale c'est voir trop grand; c'est pourcela que cette association est divisée en 5sous-divisions qui ont à leur tête des vice-présidents: Afrique du Nord, Afrique del'Ouest, Afrique Centrale, etc. Et il y auraaussi, c'est un projet, un bureau de défensedes écrivains africains.

M Je voudrais maintenant qu'on parle devos activités d'écrivain car vous avez plu-sieurs volumes à votre actif. Un ouvragepour enfants qui s'appelle « Le voyage d'A-mado », un recueil de poèmes « Algaïta »et un guide du Niger « Le Niger et ses mer-veilles ». Qu'est-ce qui vous a poussé àécrire pour la jeunesse?

D Je pense que c'est pour moi la cible laplus sensible; pour l'aborder il faut écrireselon certaines règles. Il faut choisir desphrases vraiment françaises (sujet, verbe,complément). J'ai commencé à faire descontes, dans le journal « Le Niger informa-tion » en 1956 et dans une revue de l'Afri-que que l'on appelait « Trait d'union» en1957. Dans ma jeunesse, ma grand-mère, lesoir, m'occupait par des contes. Et je mesuis dit que maintenant nous n'avons pas letemps de raconter ces belles histoires à nosenfants. Que faut-il faire? Essayons de lesfixer. Voilà comment je suis arrivé à écrire

des contes pour les enfants. J'ai aussi écritdes récits: les jeunes doivent savoir quel'homme blanc n'est pas seulement le mau-

-vais. Quand l'homme blanc chicotait pourfaire des routes, ces routes nous servent ac-tuellement ; l'homme blanc chicotait pourconstruire des hôpitaux, c'est nous quisommes dans ces hôpitaux, dans ces dispen-saires, ces écoles. Il fallait, c'était obliga-toire. En Europe, partout, c'était par laforce qu'on faisait certains travaux. C'est cequi m'a amené à écrire pour que ces jeunesaient une autre idée de l'homme blanc.

I On a l'impression que vous avez voulufaire une œuvre pédagogique.

o Oui, c'est là une œuvre pédagogique:il faut que ces jeunes qui vont lire certainsouvrages de combat, lisent aussi certains ou-vrages d'explication. Je compte préparer unmémoire, une thèse sur ce que j'appelle lalittérature positive qui cherche à rapprocherles hommes. Moi, je ne m'intéresse pas àce qui est négatif, je cherche ce qui nousrapproche, ce qui est positif, ce qui construit.

Je présente ce qu'il y a de bon dans monpays pour que les autres aiment mon pays,pour les encourager à venir. C'est dans ce sensque j'ai fait cet ouvrage « Le Niger et ses mer-veilles ». Quand vous dites, « les autorités ontdétourné l'aide », c'est vrai mais est-ce queça nous sert? Ceux qui ont donné les aidesne les donneront plus, et les bénéficiaires ris-quent de ne plus avoir rien du tout.

Il y a des choses que l'on doit réserverpour les journaux et des choses pour les li-vres.

M Est-ce que je peux vous demanderpourfinir ce que vous pensez de la littérature ni-gérienne dans son ensemblepuisqu'en tantque président des écrivains, vous devezavoir une vue panoramique de l'ensemblede la production nigérienne?

o Je crois qu'actuellement la littératurenigérienne se porte bien. Nous avons unéventail d'écrivains, de thèmes. Et noussommes épaulés par des compétences;Monsieur Penel a fait beaucoup pour la lit-térature nigérienne.

Propos recueillisparMarie-Clotilde JACQUEY

Les problèmesde l'édition au Niger

Albert ISSA

L'édition au Niger a commencé par l'ins-tallation de la première imprimerie vers lesannées 1957-1958. Cette imprimerie s'appe-lait: l'Imprimerie du Niger. Ses activitésconsistaient surtout en confection des docu-ments officiels de l'administration coloniale.Elle appartenaità un privé européen. Il a falluattendre l'avènementde l'indépendance pourque le gouvernement nigérien puisse monterune imprimerie nationale d'une certaine am-bition. Les premièresmachinesétaienten sys-tème typo. Vu l'importance que prenait petità petit l'édition au Niger avec, particulière-ment, l'apparition du quotidien « Le Niger»et l'hebdomadaire le « Temps du Niger »,tous deux journaux gouvernementaux, etl'ampleur des textes officiels naissants avecla nouvelle république, des machines offsetremplacent les premières. Aujourd'hui en-core, l'Imprimerie nationale du Niger (INN)n'est pas à un « top-niveau» souhaité, maiselle supplante largement les quelques impri-meries privées qui se sont créées entre temps.Les imprimeries au Niger atteignent à peinela dizaine. Non seulement elles sont sous-équipées (elles viennent de commencer à uti-liser les machinesinformatiques)et manquentcruellementde cadres compétents (formationsur le tas à partird'un niveau d'études très basdes ouvriers), mais elles manquenttotalementde compétitivitédans la sous-région (coût defabrication trop élevé).

Au début, l'INN a été le précurseur del'édition en général, puisqu'elle jouait en

même temps le rôle d'une imprimerieet celuid'une maison d'édition. Donc, les premierslivres parus au Niger ont été édités dans cetteimprimerie qui continue d'ailleurs, malgrél'apparition des maisons d'édition privéesdont la dernière en date est gouvernementale(ONEP) à concurrencercelles-ci. Ce fut d'a-bord quelques privés qui avaient vu des exem-ples ailleurs, qui ont commencé à s'installeren tant que publicitaires.Leur travail consis-tait à chercher un marché, à concevoir lestravaux et à faire la fabrication dans une im-primerie de la place. Il s'agit d'affiches, debanderoles, d'auto-collants etc. ou ils louentles services d'un artiste (dessinateur-peintre)s'il s'agit de panneaux, de pancartes ou dedessins au mur etc. Vienrent enfin les pre-mières maisons d'édition inscrites au registredu commerce,dans les années 1980-1990. Laplus importante était une société anonymedénomméeADEP (Agence de Diffusion d'É-dition et de Publicité) qui comptait 7 mem-bres-fondateurs avec un capital social de 10millions de F/CFA. Bien qu'elle ait été régie

par le droit privé, quelques institutionsnatio-nales telles que l'ORTN (Office de Radiodiffusionet Télévisiondu Niger), l'OPT (Of-fice des Postes et Télécommunications), laCNE (Caisse nationale d'Épargne), l'INNetc.en étaient actionnaires. Après quelques réali-sations fort appréciées du public comme lemensuel« L'opérateuréconomique », cettesociété est tombée dans la léthargie. Si juridi-quement elle a encore une existence, par

contre, sur le terrain, elle est totalement ab-

sente.

Il n'existerait aujourd'hui que cinq mai-

sons d'éditions reconnues officiellement dans

tout le pays.L'Agence, les Éditions du Sahel, a été

créée de notre propre initiative en février1990 et nous la présentons comme une agenced'édition et de publicité. Partie de rien, si onpeut dire, si ce n'est de notre volonté, nousnous sommes présentés d'abord comme pu-blicitaire. Ce qui nous a permis d'avoir unmarché, celui notamment de la réalisation du

« Répertoire des Entreprises nigériennes»1990. Or « L'annuaire de la chambre deCommerce du Niger» qui avait les mêmesprétentions que notre document ne paraissaitplus depuis 1986, car l'éditeur agréé qui étaitétranger, après avoir récolté les prix de publi-cité, a disparu sans laisser de trace. Pour 1991,

nous essayons de répéter l'opération avec le

tome II du Répertoire des Entreprises nigé-riennes » mais les difficultés inhérentes aupays et celles des entreprises, ne permettentpas beaucoup d'espoir dans la collecte despublicités qui demeurent notre seule sourcede financement. A notre actif, on peut ajouter1'« Affiche Prix Dan-Gourmou 1990» (syn-thèse d'une semaine de compétition musicaleau niveau national), le calendrier SHELL1991, un panneau publicitaire CNLP et, der-nièrement, notre journal bimestriel intitulé

« L'Entreprise ».

Notre problème principal est celui du man-que de fonds. Difficulté dans la collecte dessouscriptionspublicitaires payantes mais aus-si dans le règlement de ces frais après parutiondu document, sans compter les coûts exorbi-tants de fabrication au niveau des imprimeurs.

Ensuite, vient le manque d'équipementadéquat,au moins pour réaliser soi-même unemicro-édition dans le but de minimiser lescoûts de fabrication auxquels nous faisionsallusion tout à l'heure.

Enfin, notre découragement vient surtoutdu mauvais travail des imprimeurs locaux, quin'ont aucune notion du respect du délai.

Albert ISSADirecteur général des Éditions du Sahel

Le Centreculturelfranco-0nigérien

« Nous entendons offrir au monde unexemple de ce que peuventproduire d'inde-structible deux civilisations qui, au lieu des'ignorer, se rencontrent et sefondent. »

C'est par ces mots que le Président de laRépublique du Niger inaugurait le 20 mai1965 le Centre culturel franco-nigérien deNiamey.

Association de droit privé à vocation pure-ment culturelle, le « Franco» comme l'ap-pelle affectueusement la populationnigérienne a pour but:

- de constituer un centre de rayonnement etd'échanges d'idées entre tous les hommes;

• de participer à l'épanouissement dessciences, des arts et des lettres;

•de mettre à la disposition des ressortis-sants français et nigériens les moyens de par-venir à une meilleure connaissanceréciproque des patrimoines culturels de leursdeux pays.

Doté de l'autonomie financière, le Centreculturel franco-nigérien est bénéficiaire desubventions des deux gouvernements etcomprend deux centres: celui de Niamey etcelui de Zinder.

Le Centre de Niamey construit face auMuséum national du Niger, en plein centreville, dispose d'une bibliothèque de 600 m,d'une galerie d'exposition, d'une salle vidéode 90 places, d'un atelier de productionvidéo(U'MATIC), d'une cinémathèque, d'un vi-déo-club, d'un atelier graphique, d'un atelierde reliure et de bureaux dans le bâtimentprincipal. A l'extérieur, un amphithéâtre de500 places permet de recevoir les spectaclesvivants et d'assurerdes projectionscinémato-graphiques. Un petit café-théâtrede plein-air,une salle de répétition, une salle de cours, unstudio d'habitation et une très agréable bu-vette complètent son équipement.

Bénéficiant d'une excellente image demarque auprès de la population, le Centre deNiamey propose des activités diverses:

* Bibliothèque (près de 5 000 adhérentsdont 3 500 jeunes lecteurs (18 000 volumes) ;

• Expositions(28 présentéesdurant la sai-

son 1990);

- Vidéo: club vidéo, diffusion en directet en différé de CFI (Canal France Interna-tional) ;

* Cinéma: prorammation quotidienneen 35 mm et en 16 mm ;

* Spectacles vivants (théâtre, musique,danse, variétés) : en 1990, 27 spectacles ontété présentés à près de 8 000 spectateurs ;

• Conférences.Outre ces activités de diffusion, le Centre

de Niamey propose des activités de loisirs(cllibs divers: Amis du livre, Échecs, Scrab-ble, Des chiffres et des lettres, Photogra-phie.), des animations (L'heure du conte,animation lecture à la bibliothèque.), parti-cipe à la formation (cours de langues: Fran-çais, Zarma, Haoussa, stages debibliothécaires, stages de théâtre.) et à lacréation: ainsi, durant la saison 1990, deuxcourts métrages scientifiques ont été réalisésen vidéo dont l'un a été primé au FestivalInternational du Film Scientifique d'Amienset le Centre a participé à la réalisationde deuxlongs métrages cinématographiques (« LaCaptivedu désert» de R. Depardon et« Sir-ga » de Patrick Grandperret).

Du fait de son statut particulier, le Centreest très impliqué dans la vie culturelle duNiger et participe comme opérateurou parte-naire à de grandes manifestations culturellesnationales: « Semaine sportive et culturellede la francophonie », « Mois du livre et de lalecture publique », « Fête de la musique ». Ilapporte également son appui (documents, li-

vres, films, matériels divers.) au réseau des40 Maisonsdesjeunes et de la culture implan-tées dans tout le pays.

Zinder, situé à près de 1000 kilomètres deNiamey, dispose d'un très beau Centre cultu-rel implanté au centre ville. Équipé d'uneremarquablebibliothèque de 40 000 volumesdont un important fonds de littérature nigé-rienne et africaine en cours d'enrichissement,d'une salle de spectacles découverte de 300places permettant également des projectionscinématographiquesen 16 mm, il propose à

son public des animations et ateliers divers(dont un atelier de marionnettes proposé ré-cemmentlors d'un Festival international de lamarionnette). Une galerie d'exposition et unesalle vidéo complètent son équipement.

Michel BOCCARADirecteur du Centre culturel franco-nigérien

La Bibliothèquedu C.C.F.N.

1

Aline CIROU

La Bibliothèque du C.C.F.N. est spacieuseet agréable avec une salle de lecture pouvantaccueillir 80 personnes.

Un « coin presse» offrant un choix d'unecinquantaine de revues, est aménagé confor-tablement avec 30 fauteuils.

L'espace réservé aux enfants (1/6 de lasurface environ) s'avère insuffisant les joursde grande affluence. Aussi la constructiond'une bibliothèque enfants est-elle en projet.

Les lecteurs

Bibliothèque Adultes

Ils sont près de 2 000 à fréquenter réguliè-rement la Bibliothèque avec une forte majo-rité d'étudiants nationaux à qui nousfournissons un moyen de travail.

Bibliothèque Enfants

Le nombre des petits lecteurs croîtconstamment (3 500 en 1991), et les 5 000livres du fonds sont bien insuffisants ; pourl'instant, tous n'empruntent pas de livres carbeaucoup se contentent de lire sur place illus-trés et bandes dessinées. Il n'empêche qu'en1991 nous avons enregistré 55 %d'augmenta-tion dans les prêts. Les enfants lisent plus etsont de plus en plus nombreux à venir, surtoutle mercredi et le samedi où leur afflux estsouvent problématique.

Cette hausse de la fréquentation est, enpartie, due aux facilités d'inscription depuisque nous nous déplaçons dans les différentsétablissementspour cette formalité.

Le fonds documentaire

Il est constitué d'environ 20 000 livres etce stock est en augmentation constante grâceaux nombreuses acquisitions (2 000 à 3 000par an) et aux pertes réduites, limitées en effetpar un système électroniqueantivol.

Chez les adultes

Sur les 15000 volumes qui leur sont consa-crés, on a constitué un secteur « Afrique»d'environ 3 000 livres qui est constammentenrichi car très demandé. On enregistre cha-que année plus de 18 000 prêts avec une pré-dilection, outre les documentaires surl'Afrique, pour les romans et les sciencessociales.

Chez les enfants

Le fonds est très insuffisant avec à peine5 000 livres car de 1987 à 1989, très peud'acquisitionsont été faites. De plus, les livres

étant très manipulés (plus de 25 000 prêts paran), ils se dégradent très vite et quelquefoisdoivent être mis au pilon, faute d'être remisen état. Leur reliure exigerait un budget im-portant. Les livres les plus demandés sont lesromans, et surtout les contes et les albums qui,grâce au support de l'image, sont plus acces-sibles à des enfants ne pratiquantpresque pasla langue française.

Les activités

L'animation-lecture a pour but d'aider lesenfants nationaux (de 9 à 11 ans) à mieuxcomprendre les textes français, en faisant ap-pel aux langues vernaculaires (2 séances cha-que mercredi).

La découverte des auteurs nigériens s'a-dresse aux enfants de plus de 11 ans s'intéres-sant à cette animation qui leur permet demieux connaître la littérature de leur pays,quelquefois même à travers des manuscritsnon encore édités. Les séances ont lieu ledimanche).

Quant à l'initiation à la recherche docu-mentaire, son objectif est d'apprendre, prin-cipalementaux étudiants et lycéens, à trouverles renseignements ou les documents recher-chés dans une bibliothèque (séances sur ren-dez-vous pour des groupes).

La Bibliothèque organise également des

concours au niveau national et international,ainsi que des expositions d'ouvrages sur desthèmes différents, tous les 15 jours.

De petites expositions, également, permet-tent d'informerle lecteursur des sujets variéstout en créant une animation toujours renou-velée dans l'espace bibliothèque.

Notons aussi les manifestationsautour dulivre qui se déroulent chaque année comme:la Francophonie, la Fureur de lire, la promo-tion des livres universitaires (« programmeP.L.U.S. »), le Mois du livre (autour d'unthème) avec participation des éditeurs, à desexpositionset des conférances.

Enfin, on peut voir voir des célébrationsd'auteurs, selon l'actualité.

Aline CIROUBibliothécaire du C.C.F.N.

Le Club des Amisdu Livre

Harouna COULIBALY

Le Club des Amis du Livre constitue unforum littéraire réunissant des personnes inté-ressées par la culture dans le dessein d'échan-ger, de partager les fruits de leurs réflexion surdes œuvres choisies.

Ce club a été créé en 1978 par un Béninois,littéraire de formation, Quénum Alexis Bio-dé.

A cette époque, les activités comprenaientdes exposés-débats sur des œuvres littéraires,des auditions d'archives sonores suivies dediscussions.

A partir de 1983, SomaïlaBoukarysuccédaà Quénum et poursuivit les activités du clubavec le même dynamisme.

Pour notre part, nous avons donc pris letrain en marche et l'équipe actuelle fut instal-lée en 1988.

A partir de 1990, nous avons jugé néces-saire d'élargir ce créneau de créativité si peuexploité, en insérant d'autres activités cultu-relles, à savoir: inviter régulièrement desconférenciers, projeter des films suivis de dé-bats, organiser des activités théâtrales.

Le Club se réunit tous les samedis à partirde 16 heures. Des quatre séances mensuelles,deux sont réservées aux exposés-débats, latroisième à la projection d'un film et la der-nière aux conférenciers du mois.

,Pour nos échanges avec l'Association des

Écrivains, le Club se prononce sur les manus-crits inédits qui transitent par la dite associa-tion par le Ministère de la Culture. Le Clubrenferme également en son sein des artistes en

herbe. Autrement dit, des jeunes disposantdes manuscrits allant de la nouvelle à la piècethéâtrale, au recueil des poèmes et romansnourrissant l'espoird'être édités.

Par ailleurs, le Club avait depuis longtempsl'ambition de s'étendre à l'échelle nationale.Mais à une époque où toute tentative d'asso-ciation et de réunion était suspectée de sub-version, le goût et le sens s'en trouvèrentankylosés, paralysés.

Nous avons donc dû freiner notre élan.

L'avènement de la politique de décrispa-tion nous a octroyé des chances réelles deconcrétisernos actions. Nous avons en ce sensdéposé au ministère de l'Intérieur un dossiercomplet pour faire agréer notre associationdénommée:APROCULT(Association pourla Formation de la Culture). En érigeant leclub en association, nous voulons, en plus denos occupations normales, engager une stra-tégie pour atteindre la jeunesse rurale par lebiais des maisons des jeunes. S'enracinerdonc dans les milieux ruraux pour échanger,chercherdes thèmes de discussions, poserdesproblèmes, remettre en cause et trouver dessolutions autres que celles imposées d'en-haut par l'État pour réveiller la consciencecollective de la jeunesse.

Telle doit être notre pierre dans le domaineculturel en vue de la construction nationale.

Harouna COULIBALYCoordonateur des activités au Club

des Amis du Livre, Niamey

Le mois du livre,de la littérature

et de la lecture publique

Depuis l'Indépendance du Niger en1960, aucune action d'envergure n'a étémenée en faveur de la promotion et de ladiffusion des lettres nigériennes. Elle selimitait aux expositions et aux séances decontes durant la Semaine nationale de laJeunesse nigérienne du Rassemblementdémocratique africain, jusqu'en 1973 et auFestival de la Jeunesse nigérienne à partirde 1976.

Pourtant, la littérature nigérienne était re-présentée par d'éminents écrivains plusieursfois lauréats de divers concours. Parmi lesplus connus, on peut citer Boubou Hama etIssa Ibrahim, Mamani Abdoulaye, AndréSalifou, Idé Oumarou, Bania Say, Hawad etIdé Adamou, etc.

Toutefois, il a fallu attendre la tenue àTillabéri en 1985 du Séminaire nationalpour la définition d'une politique culturellepour que des recommandations soient faitesen faveur de la promotion et de la diffusiondes lettres. C'est conformément à celles-ciqu'en 1988 « Le mois du Livre, de la lit-térature et de la Lecture Publique» futinstitué par le ministère chargé de la Cul-ture, le C.C.F.N., l'Association des Écri-vains nigériens, l'Université et laCoopération française.

C'est ainsi que durant tout le mois de mars,l'attention des Nigériens se focalise sur « Le

mois du Livre ». A travers toute l'étenduedu pays, diverses manifestations ayant pourthème central le livre et la littérature se dé-roulent au sein des Maisons des Jeunes etde la Culture, des infrastructures culturellesnationales et des établissements scolaires.

Il s'agit, par des actions décentralisées, desusciter le goût de la lecture chez les jeuneset les moins jeunes en mettant à leur dispo-sition des livres et des documents riches etvariés à des prix promotionnels.

C'est ainsi que les Nouvelles Éditions Afri-caines (N.E.A.), l'Harmattan, Hatier, CEDA,EDICEF, les éditions comme Ténéré, Medeet les librairies de la place ainsi que l'univer-sité, l'Institut national de Documentation etd'Application pédagogique (INDRAP), la Di-rection de l'Alphabétisation orale (CELTHO)disposent et vendent leurs produits à des prixdéfiant toute concurrence.

La présence de maisons d'édition metface à face producteurs et écrivains, permet-tant ainsi la production de manuscrits et ladiffusion des œuvres des auteurs nigériens.

Ce cadre permanent d'échange culturelpar le biais de manifestations diverses, estenrichi par des conférences-débatsaniméespar des personnalités du monde littéraire etartistique.

C'est ainsi qu'entre 1987 et 1991 le pu-blic a assisté à des conférences-débatsani-mées par les universitaires: JacquesChevrier, Chaïbou Dan Inna, FatimataMounkaïla, Étienne Galle, Ousmane Tandi-

na, les dramaturges André Salifou, JeanPliya et les romanciers Jean-Marie Adiaffi,Sony Labou Tansi, Paceré Titinga. Ces dis-cussions ont permis au public d'apprécier lerôle de l'écrivain dans la société mais aussila qualité de la production littéraire nigé-rienne et africaine. Dans le domaine artisti-

que, le « Mois du Livre », en plus desspectacles donnés par les ensembles natio-

naux, les séances de conte par des profes-sionnels et des griots traditionnels. LesNyogolon du Mali se sont produits dans toutle pays, tandis que les Hatiers de la SoifNouvelle ont joué à Niamey l'œuvre du prixNobel Wole Soyinka, « La métamorphosedu Frère Jero ». Une exposition spécifiqueest créée chaque année, les deux premièressur « La littérature nigérienne» et « Lafemme et la littérature nigérienne» ont étéexposées ultérieurement au Festival desFrancophonies à Limoges. La troisième ex-position concernait « Le livre et la jeunessenigérienne ». Enfin, des livres ont été édi-tés: en 1988 « Douze nouvelles du Nigeret une Bibliographie de la littérature ni-gérienne ; en 1990, Rencontre ».

L'effervescenceculturelle qui s'empare dupays, la durée de l'événement ainsi que laqualité des participants fait du « Mois du Li-vre, de la Littérature et de la Lecture Publi-que» la manifestation culturelle la plusimportante du Niger après le Festival nationalde la Jeunesse.

Chaque année, un thème autour duquel le

« Mois du Livre» se déroulera est retenu.

En marge de cette manifestation, il a étéinstituéen 1989 un prix dénommé« Prix Bou-bou Hama », d'une valeur d'un million defrancs CFA. Al'origine, ce prix devrait êtredécerné chaque année à un écrivain, un cher-cheur, un artiste ou tout homme de culturenigérien dont les travaux constituent unecontribution certaine à une meilleure connais-sance du Niger et de ses valeurs de civilisa-tion. En 1990, le prix devint « Prix LittéraireBoubou Hama» qui en plus de la recherche,s'élargit au domaine du roman, de la poésie,de la nouvelle, du théâtre et du conte. Lelauréat du premier Prix Boubou Hama futl'écrivain Issa Ibrahim, à titre posthume.

Maï MOUSTAPHAMinistère de la Culture

Le Festivalnational

de laJeunesse

Le Festival national de la Jeunesse insti-tué en 1976 par le régime militaire au pou-voir depuis 1974 fait suite au Festivalnational artistique,sportifet culturel de laJeunesse qui s'est déroulé de 1974 à 1975.Ces deux manifestations remplacent la Se-maine nationale de la Jeunesse du Partiprogressiste nigérien du Rassemblementdémocratique africain (P.P.N./R.D.A.) aupouvoir de 1960 à 1974.

Le Festival national de la Jeunesse, impor-tant rendez-vous du donner et du recevoir,permet, une semaine durant, aux jeunes detout le pays de se retrouverune fois l'an et deconfronter leurs efforts, leurs compétencesartistiques et culturelles dans un chef-lieu dedépartement.

D'annuel et tournant, il devint biennal en1984 et réunit plus de deux mille cinq centsjeunes avec pour objectifde renforcer l'uniténationale.

Par leurs prestations, cesjeunes permettentla réhabilitation des cultures spécifiques desdifférentes composantes de la communauté

nationale dans des infrastructuresculturellesbien équipées. Il s'agit en fait d'assumer lepassé dans ce qu'il a de meilleur, mais aussiet surtout de l'enrichir pour répondre auxpréoccupations de la société et relever lesdéfis de l'époque.

Durant une semaine, grâce aux médias, leNiger tout entier est en communion à traversces arts et traditions populaires. Les départe-ments s'affrontent en chants, ensembles ins-trumentaux traditionnels,en ballets et piècesde théâtre. En même temps, des expositionsd'arts et d'inventions ainsi que des travauxd'enfants sont présentés. Des concours detresses, de costume traditionnel, de contes etde littérature sont organiséset permettentà lajeunesse d'assurer son épanouissement, sonenracinementet sa prise de conscienceen vuede sa participation au développement natio-nal.

Si le volet culturel est l'aspect le plus spec-taculaire et le point saillant du festival, lajeunesse concourt aussi dans les disciplinessportives suivantes: athlétisme, basket bail,boxe, cyclisme, football, hand-ball, judo, ka-

raté, tennis de table, volley-ball. Il faut noterque le Ianga et la lutte traditionnelle, deuxdisciplines qui remontentà la nuit des temps,sont inscrites dans les compétitions.

Il est à noter que le chef-lieu de départe-ment qui abrite le Festival fait face à d'impor-tantes dépenses. Aussi l'État et les sponsorsinterviennentdans l'organisation matérielle ;

les retombées économiqueset financières nesont pas négligeables pour la région: réfec-tion, voire constructiondes centres socio-cul-turels (maisons de jeunes et de la culture,maisons de Samaria), construction de bâti-ments, de monuments, embellissementde laville, etc.

Quand les lampions du Festival s'éteignentet que rendez-vous est pris pour la prochaineédition, les vainqueurs ne sont pas les déten-teurs des trophées mais plutôt l'amitié, lacommunion des cœurs et des esprits au seinde la Jeunesse nigérienne.

Mai MOUSTAPHAMinistère de la Culture

Notes de lecture

sommaire

Moussa ALBAKA Chants et poésies touaregsde PAyr J. Drouin

Ghoubeïd ALOJALY Histoire des Kel Denneg avantl'arrivée des Français D. Casajus

J. BISILLIAT Les zamu ou poèmessur les noms L. Vidal

Ada BOUREIMA Waay dulluu ou l'étau J.-D. Pénel

Dominique CASAJUS Peau d'âne et autres contestouaregs J. Drouin

Andrée CLAIR Safia et le fleuve M. Laurentin

M.GHABDOUANE Poèmes touaregs de l'Ayr D. Casajuset Karl G. PRASSE

Boubou HAMA Kotia Nima A. Guyon

Boubou HAMA Merveilleuse Afrique E. H. K. Moustapha-

Boubou HAMA L'aventure d'Albarka M. Laurentinet Andrée CLAIR

Boubou HAMA Izé-Gani V. Quinones

M. HALILOU SABBO Caprices du destin J.-D. Pénel

M, HALILOU SABBO Gomma, adorable Gomma! M. Mahamadou

HAWADFroissevent - Yasida J.D. Pénel

JAdamou IDE La camisole de paille J.D. Pénel

Mlbert ISSA Ballade poétique L. Vidal

ilbrahim ISSA Nous de la coloniale L. Vidal

1Ibrahim ISSA Grandes eaux noires A. Guyon

Mngelo B. MALIKI Dud'al, Histoire de famille ethistoire de troupeau U. Baumgardt

jAbdoulaye MAMANI Poémérides J.D. Pénel

FahmataMOUNKAÏLA La geste de Zabarkane J.D. Pénel

)Idé OUMAROU Le Représentant I. Rayalouna

jAmadou OUSMANE Le nouveau Juge I. Rayalouna

1 Jacques PUCHEU Contes haoussa du Niger N. Echard

>1 Jean ROUCH La religion etla magie songhay J.D. Pénel

: Christiane SEYDOU Silâmaka et Poullôri J. Chevrier

Abdourahmane SOLI Le chemin du pèlerin K. S. Maïga

3 Boubé ZOUMÉ Les souffles du cœur J.D. Pénel

M. Aghali ZAKARA Traditions touarègues: et J. DROUIN nigériennes D. Casajus

Moussa ALBAKA, DominiqueCASAJUS Chants et poé-sies touaregs de l'Ayr, Alger,Bouchène 1991, Paris Awal296p.

Ce volume de poésie, totali-sant 1 600 vers, comprend unchoix de poèmes et de chantsappartenantaux groupes toua-regs des Kel Ferwan et des KelEwey. Ces populations no-mades ou sédentaires viventau sud ou au cœur du massifde l'Ayr, dans le nord de l'Étatnigérien.

Le recueil de textes présen-tés, nous disent les auteurs,« donne un aperçu assezcompletde la littérature en versqu'on peut trouver aujourd'huichez les Touaregs de l'Ayr». Il

est composé de poèmes ap-partenant au genre élégiaque,de chants de mariage, dechants traditionnels dits« chants de chameaux» et« chants de danse», de chantsà thèmes religieux exécutéslors de la fête qui commémorela naissance du prophète Mo-hammed.

Les poèmes sont dus à unpoète récemment disparuconsidéré comme le plus grandde la région. Il faisait partie delignées d'hommes qui se trans-mettent répertoire et art poéti-que de père en fils ou enneveux, après un long appren-tissage. Il s'agit de poèmes surles tourments de l'amour nonpartagé, les blessures que lafemme aimée porte au poète,mais aussi l'amour heureux quipeut parfois triompher de laperfidie des femmes et des ri-

vaux.Les autres textes sont plus

ou moins anonymes quant à lacréation. Les « chants de ma-riage » s'accompagnentde pasdansés dont les caractéristi-ques correspondent à desnoms spécifiques. Les auteursnous expliquent non seulementla technique mais aussi la qua-lité des acteurset leur rôle. Cescaractéristiquescorrespondentaux spécificités de la structuresociale dans la société touarè-

gue, société hiérarchisée danslaquelle, à chaque statut,correspond un comportementextérieur qui est la manifes-tation d'un savoir-vivre très co-difié l'élégance du noble, sadémarche, ses modesde parti-cipation ne sont pas les mêmesque celles du roturierou de l'ar-tisan forgeron, de l'hommed'o-rigine servile ou de l'affranchi.Le forgeron joue un rôle impor-tant dans les étapes rituelles etles réjouissances du mariage.C'est un véritable « maître decérémonie» son rôle d'inter-médiaire et d'assistant majeurest à mettre en relation avecson exclusion lignagère desautres catégories sociales quela sienne dans une société oùl'on ne peut, traditionnellement,se marier hors de son groupesocial. Les chants choisis illus-trent les rites du sacrifice dutaureau, le cortège de la mariéeet de l'arrivée à latente nuptialeoù le marié précède la mariée.

Les « chants de chameaux»nous donnent à connaître unaspect central de la culturetouarègueoù se trouventasso-ciés les acteurs majeurs de lasociété: la femme, l'homme etle chameau. Des femmes as-sises en groupe impriment unrythme à leurs chants à l'aided'un instrument à percussion:c'est sur cette cadence que deshommes, montés sur les plusbeaux chameaux dont la quali-té du harnachement rivaliseavec celle du cavalier, règlentle pas de leur monture et tour-nent autour du groupe des cho-ristes. Le chameau et sonmaître ont des rapports deconnivence qui dépassentceux créés par un long dres-sage qui aboutit à ces marchescadencéessur des rythmesva-riés, y compris à la marche surles genoux, pattes antérieurespliées. On a là, dans cettemanifestation esthétique, unbel exemple de cohésion cultu-relle montrantaussi la place depremierplan du chameau dansla hiérarchie animale. Lestextes célèbrent la monture etson cavaliermais peuvent aus-si rapporter des anecdotes ou

des informations qui ont unevaleur sociologiqueet font par-tie de la mémoire collective.

Lepanoramaserait in-complet sans les exemples dechants célébrant le Prophèteets'apparentant autant au sacréqu'au profane, les rassemble-ments nocturnes et ceux dujour de la fête étant l'occasionde jeuxetde réjouissancesem-preintsd'unecertaine liberté decomportement.

La traduction française, entête de volume, dont il faut louerla qualité, est suivie des textestouaregs et de nombreusesnotes qui complètent les intro-ductionsspécifiques explicitantles situations et les rites. Plu-sieurs index permettent de re-trouverles thèmes des poèmeset des chants, les noms de lieuxet de populations ainsi que lesauteurs cités.

Voilà une précieuseintroduc-tion à une société complexedans laquelle la poésie et lechant sont particulièrementpri-sés.

Jeannine DROUINC.N.R.S.

Ghoubeïd ALOJALY: Histoiredes Kel Denneg avant l'arri-vée des Français. Copenha-gue, Akademisk Forlag, 1975.Publié par Karl-G. Prasse.

Ghoubeïd Alojaly est un bonconnaisseur de la langue et dela culture de son peuple. Il apublié par ailleurs, avec leconcours du linguiste danoisKarl-G. Prasse, un lexiquetouareg-françaisqui fait autori-té. Il est également animateurdes émissions en langue toua-règue de la radiotélévision ni-gérienne, ce qui en fait unefigure populaire de la vie cultu-relle du Niger.

Cet ouvrage rapporte lesprincipales traditions oralesque les Touaregs de l'ouest duNigerentretiennentsur leur his-toire. Il donneen regard le textetouareg et la traduction fran-çaise, due à Noureddine Re-maoun, de l'université d'Alger.La période couverte va du XIVesiècle à la fin de l'insurrectionqui, en 1916 et 1917, opposal'ensemble des Touaregs duNiger au pouvoir colonial fran-çais.

Ce travail a à la fois un intérêthistoriqueet un intérêt littéraire.L'intérêt historiqueva de soi; il

faut cependant insister sur lefait qu'il ne s'agit pas là d'unouvrage d'historien mais sim-plement de la scupuleuse re-cension de traditions orales.On se doute bien que la véritéhistorique y est parfois défor-mée, que les traits de certainspersonnages sont grossis àproportion de leur rôle et de laplace qu'ils ont dans le cœur deceux qui entretiennentleur sou-venir. C'est ainsi que la figuredu grand Saint musulman SidiMakhmoud AI-Baghdadi, véné-ré aujourd'hui encore par tousles Touaregs nigériens, qui vé-cut, enseigna et subit le mar-tyre au nord du Niger au XVIIesiècle, semble assez peuconforme au peu qu'on sait dela réalité historique. Cepen-dant, au fur et à mesure quel'on s'approche de la période

contemporaine, les renseigne-ments se font plusprécis et plusfiables et on peut considérerqu'à partir du XIXe, la traditionorale est pratiquement dignede foi.

L'intérêt littéraire tient à notresens à deux choses. D'unepart, ce livre est l'un des toutpremiers à avoir été écrit enlangue touarègue. En effet, siGhoubeïd Alojaly s'est inspiréde traditions orales, il a re-composé un texte; de sorteque nous n'avons pas ici latranscription d'une bande ma-gnétique, comme c'est souventle cas pour les documents litté-raires dans les langues tradi-tionnelles de l'Afrique, maisbien d'un texte écrit. Si l'on serappelle l'importancede la pub-lication de textes écrits dans lafixation d'une langue, ce livredoit être considéré comme im-portant. Par ailleurs, et c'est ledeuxième aspectde son intérêtlittéraire, le volume comprendégalement la transcription denombreux poèmes épiquescomposés au coursdes événe-ments relatés. On sait, et c'estlà un trait attachant de leur cul-ture, que les Touaregs avaientl'habitude de célébrer les évé-nements où certains s'étaientilustrés par leur bravoure dansdes poèmes au ton épique. Detels poèmes ont été recueillisau début du siècle au Hoggarpar le Père de Foucauld; nousen avons très peu pour le Niger,ce qui donne tout leur prix àceux qui ont été recueillis ettranscrits par l'auteur du pré-sent volume.

Ghoubeïd Alojaly donne enanexe une chronologie desprincipauxévénements relatésainsi qu'une intéressante ana-lyse des mètres poétiques utili-sés dans les poèmes recueillis.L'ensemble nous paraît devoirretenirl'attentionaussi bien desuniversitaires que de ceux,Touaregs ou non, qui s'intéres-sent à la langue et à la culturetouarègues.

Dominique CASAJUSC.N.R.S.

J. BISILLIAT et Diouldé LAYA.(Recueillis, traduits et éditéspar) Les zamu ou poèmessur les noms, coll. Traditionsorales et culture, C.N.R.S.H.,Niamey, 160 pp., ill., photos,1972.

Recueillis en 1967 et publiés5 ans plus tard à Niamey ac-compagnés d'un appareil criti-que précis, ces textespoétiques autour de nomsd'enfants constituent une intro-duction nuancée à la cultureSonghay-Zarma des riverainsdu fleuve Niger. Récité ouchanté par des femmes, le za-mu, tout en évoquant les quali-tés et les défauts de lapersonne, met en lumière lespréoccupations et les attentesd'une société, perçues à tra-vers le regard porté par desfemmes.

Dans leur introduction, lesauteurs développent une ana-lyse thématique des zamu pro-posés dans la 2e partie del'ouvrage,distinguantceux por-tant sur des noms féminins despoèmes destinés aux garçons.La « beauté», l'« abondance»et la « plénitude», le « mil», la

« maternité» et la « polyga-mie», la « progéniture », d'unepart, « l'harmonie physique»,le « pouvoir» et la « richesse »de l'autre, résument les thèmesabordés dans les zamu.

Autour d'un thème central,trait de caractère, aptitude oufaiblesse de l'homme ou de lafemme, il apparaît que «lacomposition d'un zamu prisdans sa totalité peut varierbeaucoup avec le temps» (p.37). Les modifications inévita-blement apportées par les réci-tants au fil des générations(longueur, complexité) ne tou-chent cependant pas la « forteunité rythmique» qui permetune « stabilité du sens» (p. 37)des zamu. A l'image de ce quel'on observe dans certainesmanifestations rituelles chezles Zarma et les Peul de la ré-gion du Fleuve, ces variationssont peut-être la condition de lapermanence du messagevéhi-

culé par le zamu, qu'il s'agissed'évocations historiques (à tra-vers les valeurs incarnées parles figures historiques Son-ghay-Zarma)ou d'événementsquotidiens (la sécheresse, lemariage).« Processus de création conti-nu » (p. 41), le zamu, au-delàde ses qualités littéraires clai-rement mises en évidencedans les 46 textesprésentés enversions zarma et françaisecirconscrit les devoirs du gar-çon ou de la fille en rappelantdes interdits, des normes so-ciales, tout en conservant unregard critique, au détour d'uneparabole ou d'un proverbe, surcertaines situations de lafemme zarma dans ses rela-tions avec le monde masculin.Enfin, la présentation bilinguedes textes, le respect de leursspécificités stylistiques rendentce recueil instructif et novateurà la fois pour le connaisseurdela société Songhay-Zarma etpour l'amateur de récits d'unedimension indéniablementpoétique.

Laurent VIDAL

Ada BOUREÏMA Waay dul-luu ou l'étau, Niamey, 1981,65p.

Dans Le baiser amer de lafaim, Ada Boureïma décrit lavie d'un petit village qui connaîten l'espace de trois généra-tions le passage d'un état pai-sible et économiquementviable à une situation catastro-phique due à la sécheresse età une certaine imprévoyance.Le village exsangue et prochede l'agonie met toute l'énergiedu désespoir pour survivre.Une aide alimentaire apportéein extremis et enfin la pluie sau-veront la petite communautéqui en tirera les conclusionsquis'imposent.

Waay dulluu ou l'étau(1981) aborde un problèmevoi-sin mais manifeste une plus

grande maîtrise littéraire. Letexte est tout entier énoncé à lapremière personne, ce qui leplace dans une position tout-à-fait originale parmi les œuvresécrites de la littérature nigé-rienne.

Dans les douze chapitres, onécoute le jeune Gambo parlerde lui-même et des dix der-nières années de sa vie. Dansle chapitre initial, le jeunehomme raconte son départ duvillage puisque les conditionsne permettent plus à tous leshabitants de subsister surplace. Cette réalité a pris uneampleur considérable dans lesvilles voisines, d'autres partantpour les pays voisins (c'est lethème du livre de MahamadouHalilou Sabbo, Aboki ou l'ap-pel de la côte). Du chapitre 2

au chapitre 8, Gambo évoquela ville avec son cortège inces-sant de déboires, de malheurset de contraintes; ces der-nières sont représentées par lecommissaire Dodo qui veille ja-lousement, avec ses agents,au respect de l'ordre. Gambo« chôme» presque tout letemps et, lorsque son épouseet son fils viendront le rejoindre,il ne pourra ni sauver son filsmalade de la mort ni nourrirMariama, sa femme, qui retour-nera au village; il ne pourramême pas se protéger du malpuisqu'il passera deux ans enprison pourvol.

Dans les chapitres 9 à 12,Gambo est rentré au villagemais ce n'est pas de sa nou-velle vie qu'il parle. En effet, àl'occasionde la suppressiondel'impôt, des villageois font unesorte de procès au chef et sur-tout à l'ancien garde-cercle,« sarsan » Gwari qui pendantla période coloniale a servi l'ad-ministrationavec trop de zèle eta commis des excès innombra-bles. Au dernier moment, lechef Amirou sauve Gwari d'unemort certaine et se sauvera lui-même par un discourséloquentoù il montre que les effets dusystème ne peuvent être assu-més par les petits exécutantsàla place des hauts responsa-

blesqui vivent loin du village.Ainsi l'étau dont il faut se libérern'est pas seulementcelui de laville, mais aussi celui d'un pas-sé qui a transformé l'existencedes villages eux-mêmes.

Le style, au ton humoristique,plein d'imageset de proverbes,est agréable. Même si le fil del'histoire paraît rompu dans ladernière partie où le person-nage central s'efface, le livremérite une plus grande publici-té qu'il n'en a connue.

Jean-Dominique PÉNEL

Dominique CASAJUS Peaud'âne et autres contes toua-regs, préf. G. Calame-Griaule,Paris, L'Harmattan, 1985,173p.

Cet ouvrage comporte neufcontes recueillis entre 1976 et1980 par D. Casajus, cher-cheurau C.N.R.S.,chez les KelFerwan qui font partie des po-pulations touarègues de la ré-gion de l'Aïr, au nord du Niger.Ces textes concernent les rela-tions de parenté et notammentla relation frère-sœurpour cinqd'entre eux. Ils ont été choisisdélibérément et réunis par l'au-teur, parmi beaucoup d'autresde son corpus, en liaison avecses travaux sur les rapportscomplexes de parenté qui ontfait l'objet d'une thèse publiéeet de différents articles.

Ces récits fictifs donnent àvoir, par le biais de l'imaginaire,des situations sociales dontl'exposé infléchit la réalité. C'estdire qu'ils exigent deux niveauxde lecture, car ils transposent etcaractérisent de façon tran-chée, et par des cheminementsmythiques, des tendances quirelèvent de la psychologie so-ciale dans la réalité, une fillen'épouse pas son frère, mêmesi leurs rapports affectueux sontétroits. Le contexte surnatureldoit alerter le lecteur sur l'écartentre fiction et réalité car l'épouxincestueux(le frère qui peut être

aussi le père) peut apparteniràl'au-delà du monde souterrainet avoir maille à partir avec gé-nies et sorcières.

Le lecteur est le récent béné-ficiaire de ces textes éditéspour la première fois: ils appar-tiennent à la tradition orale,composés et véhiculés par legroupe qui évoqueainsi sa pro-pre organisation sociale et sesproblèmes. Cette évocationprend des chemins détournésdont l'hyper-réalismeattire l'at-tention sur la vie réelle tout enlaissant entendre qu'il y a unepart de « menterie".

On touche là à l'attentionqu'ilfaut porter à la littérature orale,à ses techniques et à ses ad-jectifs, afin de ne pas être tentépar l'interprétation simpliste etnaïve qui consiste à croire quela tradition orale est à prendretelle quelle et à considérerqu'elle est tout bonnement le« miroir de la société,. Ce se-rait s'exposer à faire descontre-sens.

Ces neuf contes ont été choi-sis aussi pour la qualité de leursvariationset pour leur composi-tion qui fait alterner des pas-sages, récités, chantés oudéclamés (nuances qui échap-pent, hélas, à l'écrit).

L'un des motifs littéraires dupremier conte donne son titre àl'ouvrage. Dans ce texte, unejeune fille s'échappe de la tentenuptiale et fuit son frère-époux,se transforme en oiseau qui estenfermé dans des contenantsde plus en plus grands puis fi-nalement dans la dépouille d'unâne. Surprise hors de cette dé-pouille qui lui est dérobée, elleest convoitée par le fils du te-nant de la chefferie (amenokal)qui, après des subterfuges,réussit à l'épouser. Très belle,elle est désirée par son beau-père mais celui-ci sera finale-ment puni après que le fils aittriomphé des entreprises dan-gereuses de son propre père.De tous les contes, celui-ci ap-paraît comme le plus achevé enraison du mode d'articulationdes séquences narratives et deleur progression que l'on re-

trouve inégalement dans lesautres: mariage incestueuxavec le frère et fuite; mariageconventionnel et risque d'in-ceste avec le beau-père; riva-lité du fils et de son père;épreuves surmontéespar le filset châtiment subi par le père.

L'auteur montre que le conte9 est une version affaiblie duconte 1. Les contes 2, 3 et 4 onten commun le thème de lajeune fille très belle enlevée parun génie; elle est trahie par desfemmes jalouses (2, 3) sauvéepar son frère (2) ou échangéepar ses frères (3, 4). Dans leconte 5, des jumeaux,garçon etfille. Ayor et Tayort, sont nés dedeux fragmentsde la rotuled'unhomme. La sœur, très belle,épousée par VAmenoksA, est enbutte aux jalousies des co-épouses et sauvée d'une situa-tion mortelle par son frère quil'appelle « ma Tayort ».

Ces textes donnent une vueschématique des rapports fa-miliaux dans la parentéproche: on retrouve le motifuniverselde la méchantemarâ-tre (6, 7) du père qui est bon(7), s'il n'est pas sous une mau-vaise influence conjugale (6)la mère est exceptionnellementféroce (2), mais les femmessont unanimement jalouses dela beauté d'une de leurs sem-blables (2, 3, 4, 5) parce quetous les hommes en sont

amoureux. La relation frère-sœur est la plus originale et laplus ambiguë: entre la ten-dresse la plus dévouée (2, 5) etla tendresse-passion (1), d'au-tres sentimentséquivoques in-terfèrent (3,4) où la générositévient après les intérêts person-nels et comme repentanced'une faiblesse désastreuse.

A partir de ces différents ré-cits, on peut cerner le portraitd'une femme-héroïne, à la foisvulnérableet forte, et le portraitd'un homme montré à la foiscomme incertain et déterminé,mais changeant et opportu-niste, c'est-à-dire en retraitmême dans le meilleurdescas.

La présentation de ces textesest juxtalinéaire, en touareg eten français, permettant unelecture simultanée dans lesdeux langues. De nombreusesnotes linguistiques, ethnologi-ques, sociologiques, enrichis-sent et élargissent le contenudes textes et participent à leurcompréhension. Mais le lecteurpeut simplementse laisser em-porter par le jeu des métamor-phoses, les aventures deshéros et les embûches dont ilstriomphent en sachant que lasociété exprime là, de façonplaisante, ce qui pour elle estgrave et important.

JeannineDROUIN

C.N.R.S.

Andrée CLAIR, ill. BéatriceTA-NAKA. Safia et le fleuve(1974),1985. Safia et le puits(1976), 1985. Safia et le jar-din, 1980, épuisé. ÉditionsMessidor/La Farandole (Milleimages).

Les livres pour enfants d'An-drée Clair jalonnent une lon-

gue période et, avec eux, ons'interroge sur ce qui fait qu'unlivre vieillit bien ou non, s'ilreste adapté à une lecture ac-tuelle. La question se pose demanière plus aiguë encorelorsqu'il s'agit de l'évocationpar un occidental de l'Afriquenoire: fascination, clichés,exotisme de pacotille ou pater-nalisme condescendant, la lit-

térature pour enfants sur cethème n'a pas échappé à tousces qualificatifs. Son analysesur une longue période resteassez instructive!

Mais, disons-le tout de suite,avecAndréeClair, le regardestdifférent; il plonge au cœur desgens, au cœur des choses; levieillissement prématuré del'œuvre nous est épargné!

Voici donc en trois albumsune histoire centrée autour dela petite Safia. Elle vit dans unvillage de l'Afrique sahélienne.La recherche de l'eau y est vi-tale et c'est l'affaire desfemmes qui vont la chercherloin, au fleuve, matin et soir.Tantde fatigues, tant de temps,si peu d'eau à chaque fois, etchaque jour recommencer.Pour atteindre le fleuve, il fautdescendre parmi les cailloux, lafalaise abrupte. Safia tombe,se blesse. Les femmes sont encolère et demandent la réunionde l'assemblée du village. Ondécide de construire un puits(Safia et le fleuve). Ledeuxième album nous racontel'inauguration du puits, la fêtequi réunit tout le village: on separe, c'est la joie; c'est aussi lenouveau rituel de l'eau qu'il fautmaintenant puiser (Safia et lepuits). L'eau, si proche mainte-nant, va susciter l'idée d'un jar-din (Safia et le jardin). Leslivres d'Andrée Clair, seule ou

en collaboration avec BoubouHama, occupent une placebien à part dans les livres pourenfants; inlassable « rappor-teuse » de l'Afrique, de son hé-ritage culturel, de son histoire,on aime son approche sensi-ble, directe, dépouillée de pré-jugés, tournant résolument ledos aux visions honnêtementethnologiques, ou tout bonne-ment exotiques. ou trop expli-catives. La connaissanceprofonde, intériorisée qu'elle ades pays, des lieux, des gensdont elle parle donne à ses li-

vres une coloration autre. Celase mêle à ce qu'on pourrait ap-peler maladroitementcomment dire autrement? -une démarche « progres-siste », et que l'on perçoit biendans cette série d'albums, s'a-dressant pourtant à des petits;ils montrent la pénibilité du tra-vail des femmes, leur espritd'autorité pourfaire avancer leschoses, leur force intérieure;ce monde essentiellement fé-minin est courageux, respon-sable, efficace (Safia est unepetite fille, elle a une grandesœur et une amie, elle suit etadmire sa mère qui aura l'idéedu jardin). Les hommes bien-veillants, certes, restentà la pé-riphérie de l'histoire.

L'efficacitéde ces albums (ilspourraientaprès tout dater: les

premières éditions sont de1974) tient aussi en grandepartie au refus de l'effet gratuit,du cliché. Le récit se déroule demanière limpide, la phrase eststructurée simplement, courte,économise les mots et, par là,renforce leur sens, leur poids,leur pouvoir d'émotion. Le ryth-me est rapide. Une leçon pourles auteurs pour enfants!

L'audace de l'auteur c'estaussi de penser qu'on peutécrire pour les petits, de ma-nière sensible et chaleureusecertes, mais en faisant passerdes choses fortes, des préoc-cupations d'adulte, des infor-mations précises quasidocumentaires. Andrée Clairne sous-estimepas la capacitéde compréhension de l'enfant.Il y a pourtant dans ces deuxalbums la recherche pénible,dure, de l'eau; les femmessont en colère, exigent, discu-tent, mais l'arrivée de l'eau auvillage ne rendra pas sa re-cherche moins pénible. Cen'est pas une histoire « miracu-leuse », c'est dans la vie. Etpuis, on peut avoir prise sur leschoses, les faire avancer: à ladernière page de chaque al-bum, le gros plan sur Safia quirêve au futur puits, au futur jar-din, s'en fait l'illustration.

Il faut aussi parler de la belleillustration de BéatriceTanaka,si complice de l'histoire. Ellejoue sur une stylisation quin'enlève rien à sa vitalité, elleenvahit les pages, s'enrouleautour du texte, s'allonge enfrise, fait éclateren gros plan unobjet simple et cela à partir dequelques couleurs.

Andrée Clair évoque ici uneAfrique traditionnelle: le vil-lage, les rites quotidiens; au-cune intrusion de la modernitési ce n'est par l'attitude desfemmes. Mais la force de ceslivres auprès des petits enfantstient aussi au climat qui s'endégage: chaleur du groupe so-cial, gestes de tendresse. L'en-fant vit dans un monde dur sansdoute, mais serein, chargéd'af-fection. Idéalisation exces-sive ? on peut le penser, mais

on préfère voir la démarcheau-dacieuse et novatrice de l'au-teur, son humanité quiconfèrent à ces albums toutleur prixet une belle jeunesse.(On peut déplorer que cette tri-logie soit amputée de son der-nier album épuisé !).

Marie LAURENTIN

GHABDOUANE Mohamed etKarl-G PRASSE Poèmestouaregs de l'Ayr. Révision etintroduction de Karl-G. Prasse.The Carsten Niebuhr Instituteof ancient near eastern studies.UniversityofCopenhagen.Mu-seum tusculanum press. 1989.Volume 1, texte touareg. Vo-lume 2, texte français.

Ce livre est une contributionimportante à l'étude de la lan-gue et de la littérature touarè-gues. La poésie a un rôleimportant dans les sociétéstouarègues, et cependant, peude recueils de poèmes toua-regs ont été publiés dans lepassé récent. C'est direcombien toute publication detextes poétiques touaregs estbienvenue.

Les textes recueillis, qui nereprésentent pas moins d'unedizaine de milliers de vers, ontété composés par des poètescontemporainsou morts au dé-but du siècle. Le premier vo-lume donne le texte touareg; il

comprend également des no-tices biographiques sur lespoètes, ainsi qu'un longcommentaire linguistique deKarl-G. Prasse, consacré auxparticularitésde la langue toua-règue du nord du Niger et auxrègles de la prosodie. Cecommentaire intéressera biensûr les chercheurs mais aussiles intellectuels et étudiantstouaregs dont nous savonscombien ils sont demandeursde travaux concernant leur lan-gue et leur littérature. Le se-cond volume donne latraduction française et est pré-cédé d'une introduction de

Karl-G. Prasse présentant lesprincipaux thèmes mis enœuvre dans la poésie.

Il y avait deux options possi-bles pour cette traduction: untexte rendant au mieux la beau-té de l'original mais contraintepour cela à prendre quelqueslibertés avec lui, ou un textescrupuleusement proche del'original, avec la lourdeur quecela - peut impliquer. Les au-teurs ont opté pour le secondchoix. C'est dire que, si leurtraduction suit presque mot àmot le texte touareg, elle n'enrend pas toujours la beauté. Onpeut le regretter, mais il n'y amalheureusement pas d'alter-native, à moins de publier à lafois une traduction mot-à-motet une traduction libre, ce quiest dans l'absolu la solutionidéale mais aurait en l'occur-rence accru démesurément lesproportionsd'un travail déjà fortimposant.

La plupart des poèmes sontdes poèmes élégiaques. Lepoète y peint les affres de sapassion, loue la beauté d'unefemme trop aimée, gémit sur sacruauté et se plaint de la mal-veillancede ses rivaux. On doitnoter l'abondance de ce qu'onpourrait appeler les méta-phores végétales: l'aimée estvolontiers comparée à un lieuombragé,sa peau luisante évo-que la luxurianced'un jardin ir-rigué où les eaux ruissellent,son teint réjouit la vue commele ferait un pays abreuvé depluie où abondent les her-bages. A l'inverse, la solitudedu poète en quête de celle qu'ilaime et dont il ne sait s'il estaimé est décrite comme unesoif qui brûle l'âme, aussi réelleque la soif étreignant le voya-geur allantsa route dans l'aridi-té du désert. En un mot, lepaysage même dans lequel vi-vent les Touaregs, fait deplagesde luxurianceisoléesaumilieu de l'aridité, leur fournit leplus beau de leurs thèmes élé-giaques. On trouve aussi despoèmes lourdement mélancoli-ques, où le poète pleure sur ladésagrégation de la société

touarègue et les misères pro-voquées par la sécheresse. Ontrouve enfin des textes à carac-tère plus religieux, en particu-lier de longues et bellesméditations sur la mort et la viefuture (notamment chez Keru-man, l'un des plus attachantsdes poètes du recueil, pour le-quel nous confessons un faibleparticulier).

On pensebeaucoupà la poé-sie arabe archaïque. Cette si-militude permettra d'ailleurs demesurer le mérite de Ghab-douane Mohamed et Karl-G.Prasse. Rêvons un instant etimaginons que, du vivantmême des hommes ayant don-né naissance aux antiques etlégendaires figures de'Antara,Imru-al-Qays ou Tarafa, on aitrecueilli leurs poésies. Son-geons au prix qu'auraient lestextes que nous posséderionsalors. C'est là sans doute le prixdes textes que nous livrent cesdeux chercheurs, au momentoù les profonds bouleverse-mentsdes sociétés touarèguesfont craindre que ces textesmagnifiques soient parmi lesderniers poèmes touaregs ja-mais composés.

Les mérites des deux au-teurs sont distinctset il convientde les souligner. GhabdouaneMohameest, croyons-nous sa-voir, instituteur et fait partie deces nombreux jeunes intellec-tuels touaregsqui ont décidé deconsacrer du temps et de l'é-nergie à la préservation desplus beaux monuments de leurculture littéraire. Quant à lacontribution de K.-G. Prasse,sous la direction de qui Ghab-douane Mohamed est le troi-sième auteur nigérien à publierun recueil de textes, elle ne selimite pas à la traduction,l'intro-duction et aux commentairescar la notation de toutJe textetouareg a été établie selon sesprincipeset révisée par lui. Par-mi les contemporains, ce cher-cheur est assurément l'un deceux auxquels les études toua-règues sont le plus redevables.

Dominique CASAJUSC.N.R.S.

Boubou HAMA: Kotia-Nima.Rencontre avec l'Europe, 3vol., éd. Présence Africaine,1968-1969 (vol. 1, 168p. vol.2, 192p. ;vol.3,280p.).

En publiant à l'âge desoixante ans Kotia-Nima,Bou-bou Hama (1909-1982) livre

son testament spirituel qu'en1972 va reconnaître le Prix lit-téraire de l'Afrique noire. Cestrois volumesfont charnière en-tre les premiersouvrageshisto-riques et ethnographiques deBoubou Hama et ses ouvragesultérieurs, recueils de contesou récits autobiographiques(de nombreuxélémentsdu pre-mier volume se retrouvent en1972 dans L'Aventure d'AI-barka).

L'auteur a choisi de faire lebilan de son existence en ra-contant son double, Kotia-Ni-ma (pseudonyme signifiant« Enfant, entends-tu? » (t. 2,p. 41)) parfois en dialoguantavec lui (t. 3, p. 52 sq.). Et c'estun ouvrage hybride qui en ré-sulte. Le premier volume res-sortit au genre des mémoires,retraçant la naissance en 1909et la première enfance à Foné-ko-Dibilo, puis l'ouverturecroissante de l'horizon et l'ex-périence du déracinement parl'école (Téra, Dori, Ouagadou-gou, Gorée, l'école William-Ponty.), enfin les débuts dansl'enseignement et, dès 1935,dans l'ethnographie. Les deuxautresvolumesconstituentplu-tôt un « livre blanc », un recueilde textes divers (discours, arti-cles, études, poèmes, médita-tions) écrits par Boubou Hamade 1954 à 1966, au milieu desévolutions que connaissent leNigeret l'Afriqueaprès 1945, etqui jalonnent sa carrière politi-que: conseiller général en1947, militant du R.D.A., GrandConseillerdel'A.O.F.,députéàVersailles, conseillerd'HamaniDiori, et président de l'Assem-blée nationale du Niger (jus-qu'à la chute d'Hamani Diori en1974).

A ce livre double, le titre Ko-tia-Nima veut donner une uni-

té aussi bien le pseudonymelui-même désigne cette unitéintérieure de la personne quis'est formée en Boubou Hamaà travers les déchirements etles évolutions qui ont marquésa vie; une humanité nouvellemal perçue de ceux qui ont vuen lui« l'homme des Blancs, leToubab noir » (t. 1, p. 98). Il

fallait un nom particulier pourexprimerl'unité nouvelle de ce-lui qui veut, sans renier les ori-gines africaines, obéir à lamutation qui s'impose à l'Afri-

que. « Kotia-Nima » exprime lacontinuité de la vie de BoubouHama: « entre le Kotia-Nimade la colonisation et celui del'indépendance, il n'y a aucuneantinomie. Sa conception deschoses n'a pas varié. » (t. 3, p.36) le pseudonyme traduitaussi la conviction que cette viea été prophétique, symboliquedu destin moderne de l'Afri-

que; « Kotia est l'Afrique » etmême plus, un symbole pourl'humanitéfuture, «Le Barbarede l'universelle civilisation quivient» (t. 3, p. 193). « Kotia-Ni-ma » c'est le nom de cette hu-manité métissée qui s'estd'abord constituée en BoubouHama et en d'autres, et qui luisemble être le mot définitif del'évolution humaine (t. 3, p.259).

Par l'intermédiaire du pseu-donyme, Boubou Hama ne de-vient-il pas son propre griot?La troisième personne met àdistance le moi, objective sonexistence, la transporte dansl'imaginaire, c'est-à-dire danssa réalité profonde. Le pseudo-nyme permet d'abord de dire lemystère poétique et religieuxde l'existence africaine origi-nelle expérimentée dans l'en-fance du conteur. Il donneaussi à Boubou Hama son sta-tut et sa stature d'homme poli-tique, poussé par la destinée àjouer sur la scène du monde unrôle historique. Enfin, il confèreà sa parole le caractère loin-tain, détaché, la résonance dela voix du sage. Le pseudo-nyme est ici comme un masqueafricain exprimant une visionde la vie dont le Moi s'est trouvé

porteur en même temps qu'ilétait poussé à revêtir un Per-sonnage.

A ces trois fonctions du pseu-donyme, il est possible (et sansdoute utile) de faire corres-pondre trois approchesde l'ou-vrage car ce livre hybridenécessite une lecture modulée.

La première lecture est laplus troublante, la plus suscep-tible de marquer le lecteur.C'est celle que propose en par-ticulier le premier volume. Ellemet au contact de l'existenceoriginelle comme d'un paradisperdu, considéré d'entre les ca-tégories et les cadres rigoureuxde l'Occident moderne: l'hori-zon du monde y est vaste, lar-gement ouvert, l'élan le plusprofond, le plus religieuxde l'ê-tre y est libre et spontané, l'au-delà des apparences sembleévident et continuellementproche. C'est sans doute, chezBoubou Hama,ce que l'Euro-péen trouve de plus précieux. Il

nous fait éprouver une autreexpérience de la réalité. Il peutêtre notre passeur vers cettevie hors de l'histoire dont nousavons la nostalgie, vie savou-reuse et libérée du temps, desmenaces et des contraintes, re-pos du septièmejour qui renou-velle et rafraîchit l'être.Toutefoiscette lecture de Bou-bou Hamaest assez immédiateou familière pour que nous n'yinsistions pas davantage.

A partirdu deuxièmevolume,il nous semble indispensabled'ajouter un autre regard surKotia-Nima si l'on veut enpoursuivre la lecture.

Regard d'historien, tout d'a-bord, pour une lecture singuliè-rement instructive. C'est unrecueil de documents que nouspropose l'auteur. Et il est bond'être mis ou remis devant cesétrangesannées1946-1958oùla Quatrième République met-tait sur pied l'Union Françaiseau milieu des craquements etdes effondrements; organisaitune« république françaisenuancée de couleurs» et fédé-raliste et où, dans cette logi-que, Boubou Hama veut faire

en sorte que chaque Nigérienpuisse considérer l'Afriquecomme française (t. 2, p. 110),invoquer la France comme unemère (t. 2, p. 45) il s'agit doncaussi pour le député de persua-der la France que les pro-blèmes nigériens (ensei-gnement, développement ru-ral) sont des problèmes fran-çais et se posent dans lesmêmes termes que dans la mé-tropole (t. 2, p. 91). Après l'In-dépendance, Kotia-Nimagarde le langage de l'ouvertureet, dans ses déclarations,nousrevoyons l'histoire se matériali-ser. Très tôt, entre la confé-rence de Belgrade (1961) etcelle du Caire (1964) apparaîtun langage de non-alignement(t. 2, p. 145), d'indépendanceface à la tension qui opposeU.R.S.S. et U.S.A. ; mais trèsvite aussi, Boubou Hama inviteses compatriotes à délaisserles thèmes de la lutte anticolo-nialiste (t. 2, p. 150) et à lesremplacer par ceux de la co-opération (t. 2, p. 128), «en-tente fraternelle entre l'Afriqueet l'Occident », et même rêved'une «Eurafrique» (t. 2, p.149). Cette politique est contre-balancée par une stratégied'entente avec les autres paysafricains, par un appel à créerl'Unitéafricaine (t. 3, p. 163 sq).L'O.U.A. va être fondée en1964, précédée par le Conseilde l'Entente (t. 3, p. 176). Lesdeux lignes politiques se syn-thétisent dans l'idée d'un« marché commun africain as-socié à l'Europe » (t. 2, p. 149).

Mais, trente ans après, la lec-ture de l'historien ne peut pasne pas s'accompagner d'unelecture critique, qui interromptde ses questions le discoursconvaincu de Kotia-Nima lesage. Le lecteur d'aujourd'huine peut en effet qu'être frappé,et, disons-le, sans doute aga-cé, par la continuité du langageidéaliste de Boubou Hama. Unnouveau langage n'apparaîtque timidement en 1964, avecles chiffresdu sous-développe-ment (t. 2, p. 169) et la mentiondes « produits tropicaux déva-lués » (t. 3, p. 274). Avant cette

date, Boubou Hama développeen politique ce qui est le thèmede sa vie personnelle (t. 3, p.258), l'idéal de la synthèse: àtravers des appels au dialogue,à la fraternité, à l'amour, il veutfavoriser l'accord entre l'Afri-

que et l'Europe, l'accord entrel'âme africaine et l'esprit mo-derne. Sa politique se définit àplusieurs reprises dans lestermes mêmes de Senghor, le

« rendez-vous du recevoir etdudonner» (t. 3, p. 43).

Le sens de cette politique estexprimé en une parabole:comment les relations entreAfrique et Occident, commen-cées par un viol, pourront-ellesdevenir épousailles un accordlibre où chaque partenairetrou-vera son épanouissement, sonéquilibre et sa fécondité? C'estla préoccupation lancinante deBoubou Hama: dans les rela-tions avec l'Occident, faireconsidérer l'Afrique, leNigerenparticulier, comme un parte-naire égal. Un partenaire dotépar conséquent d'une person-

nalité (t. 3, p. 213) et d'un passéqui font sa dignité; Boubou Ha-ma se fait ici l'écho des pre-miers historiens africains etrevendique souventen particu-lier, à la gloire de l'Afrique, l'ex-périenceantique de l'Egypte (t.3, p. 202). Et comme l'Egypteaété aux origines des civilisa-tions méditerranéennes et dudéveloppement occidental, il

veut persuaderque le partenaireafricain est l'espoirde l'humani-té: le partenaire européen peutattendre de lui un soutien éco-nomique (t. 2, p. 149) mais sur-tout un soutien spirituel: dansune vision syncrétique asso-ciant l'Islam et le Christianisme,Teilhard de Chardin et TiernoBokar, Boubou Hama montrel'Afrique ramenant l'OccidentàDieu et répondant à la crisespirituelle provoquéepar le ca-pitalisme et le communisme (t.3, p. 247) en une époque deguerre froide, l'Afrique est l'es-poirde l'humanité.

Face à ces assurances et àces promesses, comment nepas penserqu'en trenteans, undémenti cruel leur a été oppo-sé? Le rôle de l'Afrique devraitêtre, disait Kotia-Nima, d'« em-pêcherla décadencede la pen-sée, la morbidité de l'esprit, lanaissance des ogres et desfous qui, périodiquement, fau-chent les meilleursde notre es-pèce» (t. 1, p. 77). Rêves,hélas! simples rêves bafouéspar l'histoire et qui font mesurerla stagnation, en particulierquand, au fil des pages de Ko-tia-Nima,on voit définis tant deproblèmes restés intacts aprèstrente ans (quand ils ne se sontpas aggravés), toujours aussiurgents (ou plus) insécuritéalimentaire (t. 2, p. 109), me-naces sur l'approvisionnementen eau et sur les sols (t. 2, p.107), absence d'industrie detransformation (t. 2, p. 110), ef-fets économiquesdu voisinagedu Nigéria (t. 2, p. 106), pro-blèmes démographiqueset so-ciaux tels que l'exode rural (t. 2,p. 109), la dislocation de lachefferie (t. 1, p. 136), l'insuffi-sance de l'enseignement à lacampagne (t. 2, p. 107). Le

moins qu'on puisse dire, c'estque la solution de ces pro-blèmes n'a guère avancé.

Aussi la lecture de Kotia-Ni-ma peut être aussi l'occasiond'une interrogation sur le rôlejoué par une certaine rhétori-que exaltant les valeurs tradi-tionnelles de l'Afrique. Cetterhétorique, certes, a sa fonc-tion elle veut équilibrer l'effetmêmedu«sous-développe-ment» (t. 2, p. 134) qui soumetà « la pression de tous les voi-sinages (.) qui interviennentdans l'aide» et fait des paysafricains« non un partenaire àpart entière mais un consom-mateur de civilisation, mêmequand celle-ci n'intéresse pasl'Afrique» (ibid). Par le dis-cours narcissique, on se dé-fend, on s'encourage aussi àaccueillir le modernisme occi-dental dont on craint par ail-leurs qu'il n'arrache à unsystème de vie, « à uneconception de la réalité aussivalable que l'universmathéma-tique de l'Europe « (t. 1, p. 48).

Mais, d'autre part, ce dis-cours idéal doit avoir occulté laconscience des problèmesréels. Trop soucieux de restau-rer la confiance en soi, il a puminimiser les difficultés afri-caineset exagérerles périls oc-cidentaux. Il entretient unevision constamment mani-chéenne qui attribueà l'Europela raison, la science, l'abstrac-tion, l'inhumanité et à l'Afriquela sensibilité, le sens du mys-tère et du métaphysique, lecontact de la vie, la bonté decœur (t. 3, pp. 29-30). Cettevision autosatisfaiteetfixiste nepeut-ellepas avoir eu poureffetde bloquer les volontés afri-caines d'évolution, de leur en-lever sournoisement touteréalité et toute efficacité?

Devenue indépendante, l'A-frique s'est trouvée jetée sansle vouloir dans une partie mon-diale à laquelle elle a dû s'ada-pter au plus vite. Elle a dûmontrer qu'elle pouvait jouersur la même table, avec lesmêmes cartes, au même jeu,avec la même assurance que

les « Grands ». Ne s'est-ellepas laissée ainsi entraîner aujeu de l'idéologie, le jeu qui pré-cisément donne toute assu-rance à ceux qui y sont maîtres,mais qui n'est trop souventqu'un jeu de Menteur. ?

A présent que cette partie-làa l'air finie et ce jeu cassé, àprésent que le Niger, commed'autres pays, se remet au pieddu mur de la réalité, il est pos-sible de trouver dans Kotia-Ni-ma des intuitions porteusesd'avenir. Si tels appels à la mo-bilisation nationale pour« uneéconomie saine, des structuressociales et politiques équili-brées »(t. 2,156) ont de l'alluremais risquent malheureuse-ment de passer pourdes décla-mations d'estrade, on peutsans doute penser que BoubouHama désigne les voies de l'é-volution nécessaire, d'une évo-lution qui ne renierait pas l'âmeafricaine, quand il rappelle ledynamisme de la prise deconscience (cc comprendre lasituation économique et politi-que du monde », «repenserl'Afrique» t. 2, p. 150), quandil rappelle les exigences qu'en-traîne la prise de conscience(" se dominer et dominer lescirconstances », « détruiretous les goulots d'étranglementde l'économie tribale afri-caine» t. 2 p. 188), quand il

encourage donc son pays à« accélérer la conscience del'individu, celle de la nationdans un État qui respecte et laliberté du citoyen et le droit duPeuplequia foidans son destinlibre» (t.3, p. 161). Mais il fautvite l'entendre dire que ce n'estpas le discours seul qui obtien-dra cet effet, mais surtout« l'action et la pratiqueconsciencieuse » (t. 2, p. 179).Par ce principe d'une actionobéissant à la fois au réalismeet à l'humanité, les débats mé-taphysiques et idéologiquessont peut-être dépassés, et l'onpeut alors avec Boubou Hamaespérer à nouveau voir naîtreen Afrique« une autre versionde l'humain conscient de lui-même, constamment transfor-mé par sa création où il

s'identifie sans cesser de pen-ser et d'agir, en homme tou-jours plus responsable de sesactes» (t. 3, p. 239). Et l'onpeut encore penser que Bou-bou Hama formule dans Kotia-Nima ce qui demeure la tâched'avenir pour l'Afrique: « Tra-vailler à une régénération del'Afrique susceptible de l'inté-grer à partir de ses propresforces, de ses propres res-sources, dans un contexte mo-derne du développementet duprogrès» (t. 2, p. 141).

André GUYON

Boubou HAMA, MerveilleuseAfrique, Paris, Présence Afri-caine, 1971.

Boubou Hama fut à la fois unlittéraire et un personnage poli-tique. Il présida l'Assembléenationale de la République duNiger de 1960 à 1974 puis il futincarcéré plusieurs années parles auteurs du coup d'État du15 avril 1974. Il est mort en1980 à l'âge de 74 ans.

MerveilleuseAfriqueest di-visé en trois parties. La pre-mière est intitulée « Le peuplezarma-songhay. Essai d'ana-lyse de la conception del'hommeetdu monde». L'au-teur rappelle d'abord l'aventuregénérale de l'humanité et del'Afrique, puis il présente demanière détaillée la manièredont les Zarma-Songhayconçoivent et se représententl'homme. Selon eux, l'hommese compose d'une partie maté-rielle et visible, ga-ham, etd'une partie non-visible, le hun-di, double de la matière, quirecouvre des réalités telles quel'âme, l'intelligence, la sa-gesse. Ces deux composantesde l'homme agissent l'une surl'autre et ce qui touche l'unepeut atteindre l'autre. Pour lamême raison, tout ce qui existea un esprit; c'est pourquoi

l'homme et la nature s'influen-cent réciproquement. La meil-leure connaissance, BeyreyKouarey, est l'expérience pui-séeauprèsdes grands maîtres.

La deuxième partie s'intitule:« L'aventure courue sousl'œil de l'esprit ». Boubou Ha-ma affirme que la conceptionoccidentale place l'homme auservice de sa création alorsqu'enAfriquenoire il s'établitunéquilibre et une harmonie entrele sujet et l'objet. Le domainede l'invisible est connu desseuls initiés qui peuventdéchif-frer et décoder les signes aux-quels doivent se référer lesjeunes pour comprendre leursociété. Dans cette Afrique, il ya les vrais tenants des tradi-tions, capables de faire degrandeschoses, mais il faut seméfierdes falsificateurs qui ga-gnent leur vie en usant de sub-terfuges, grâce à la crédibilitédes gens.

La troisième partie a pour ti-tre : « Mogo, l'homme nou-veau. Dialogue avecl'Occident ». L'auteur imagineun dialogue entre l'Occident etl'Afriqueà travers deux person-nages, Jean et Mogo. SelonBoubou Hama, ce dialogue estnécessaire pour sauverl'homme menacé par la civilisa-tion matérielleoccidentalequi abesoin d'une philosophie hu-maniste comme celle des Zar-ma-Songhay et plusgénéralement comme celle del'Afrique.

Les deux premières partiessont illustrées par des mythes,des contes, des témoignagesvécus ou entendus et de nom-breux textes bilingues (zarma-français). L'auteur, en effet,étaye toutes ses idées en s'ap-puyant sur des textes ce quiintéresse directementceux quiveulent approfondir la connais-sance de la littérature zarma-songhay La dernière partie,quant à elle, nous est présen-tée à la manière des dialoguesde Platon, répartis en six mo-ments.

El Hadji Kola MOUSTAPHA

Boubou HAMA et AndréeCLAIR. L'aventured'Albarka.Vol. 1 et 2. NEA/Édicef, 1981,139 p. chaque vol.

Boubou HAMA; ill. BéatriceTANAKA. Izé-Gani. PrésenceAfricaine, 1985, 2 volumes(Jeunesse).

Albarka (Boubou Hama ?)raconte la vie dans son villagede brousse au début du siècleau Niger: les jeux avec les au-tres enfants, les travaux auxchamps, la chasse, l'initiation à7 ans, les récits légendaires, laprésence familière et terrifiantedes esprits. Mais sa vie bas-cule l'administrationfrançaisele désigne pour aller à l'écoleloin de son village il a 8 ans!Rien ne sera plus commeavant. Quel sens donner à cedéracinement imposé par lesBlancs? Après la soumissionvient le désespoir. La révolte le

sauve. Pour cet enfant de labrousse, le monde s'est élargidémesurément. Il ne renierarien cependant de sa conditiond'Africain, refusant d'être un« nègre blanc». Riche de savérité autobiographique, le ré-cit est exemplaire dans sa sim-plicité. Il est accessible auxjeunes lecteurs à partir de 12

ans.

Marie LAURENTIN

Un très beau livre, et uneperle pour les conteurs (qui au-ront besoin de plusieursséances, le conte est long ettrès riche). C'est un homme quipossédait lui-même le génie dela parole qui raconte la merveil-leuse aventure d'un héros, Izé-Gani, le Génie de la Parole.Boubou Hama a écrit d'autresbelles histoires, celle-ci estspéciale, elle porte plus qued'autres un héritage, un mes-sage spirituel et concret: « Izé-Gani est une Parole, une leçonconcrète, donnée sur le vif»,« Izé-Gani et un triomphe: ce-lui de la patience sur l'impa-tience, de la pitié sur laméchanceté, de l'amoursur lahaine, de la charité sur l'é-goïsme, de la foià la recherchede l'âme et de Dieu».

C'est le récit d'un parcoursd'initiation. Izé-Gani « naît à lalumière de la parole» à la mortde son père, quand il est dansle ventre de sa mère, et de-mande à naître avant terme.Dans l'air frais du matin, les

enfants du village, stupéfaits,voient à côté d'eux un bébéprodige, « pas plus gros que ledoigt de sa mère», fier sousson petit bonnet blanc, dans sapetite blouse, dans son petitpantalon et ses petits souliersde la même couleur que sonbonnet. Les aventurescommencent avec une enfancetumultueuse de sept jours;épreuveaprès épreuve, héritierdes armes de son père, il de-vient le héros du royaume, plusfort que le roi qui finit parcomprendre qu'lzé-Gani n'estpas venu pour régner maispour enseigner. Il laisse sa lé-gende à son peuple et part àtravers le monde, connaîtred'autres aventures plus pas-sionnantesencore. A travers laforêt, la savane, les sables, lesennemis sont vaincus et se joi-gnent à lui l'un après l'autre; il

tue Touru Cirey, l'oiseau de laVie et de la Connaissance,mange sa chair, en donneà seshommes et franchit alors leseuil du monde visible. Il entre,seul, encore enfant, dans unmonde intermédiaire,« conquérir la modestie, la pa-tience où le sage prend letemps d'écouteren lui: le désirdéraisonnable qu'il faut domi-ner la passion aveugle qu'ilfaut dompter l'élan généreuxdu cœur qu'il faut cultiver l'a-mour des autres auquel lesage doitouvrirle vaste champde sa conscience». Il vaincKoutouro-Koumba, la déessedu mal, et s'ouvre à lui la portede la sagesse. La dernière par-tie du parcours se dérouledans un monde paradisiaqueaux visages multiples. Il y ren-contre la beauté, la loi, la jus-tice, la pitié, les contes et leurbonne morale pratique, la cha-rité et l'amour, et enfin la foi.Après un long sommeil, Izé-Gani retourne sur la terre, il

revient au ventre de sa mère,renaît à la vie pour enseignerce qu'ilsait.

Izé-Gani a-t-il réellementexisté? Oui, répond tranquille-ment le conteur, « Izé-Ganiexiste de la tradition où je suisallé le chercher», « Izé-Gani

est venu pour enseignerla tra-dition oubliée dans les vio-lences de notre époque, quiperd sa mémoire et son imagi-nation [et] n'enchante plus lajeunesse». Le conte de Bou-bou Hama est plein d'ensei-gnement mais il n'ennuiejamais, il enchante. Les illustra-tions (les conteurs devraientles montrer) scandent parfaite-ment un texte délicat à illustrer,l'accompagnant même dansses répétitions et reprises d'é-léments.

VivianaQUINONES

Mahamadou HALILOU SAB-BO, Caprices du destin,I.N.N., Niamey, 1981, 137p.

Mahamadou Halilou Sabboa connu un succès pour un petitlivre, Aboki ou l'appel de lacôte (1978) qui raconte lesmésaventuresd'un jeune Algé-rien, à l'image de nombre deses compatriotes, tenté d'allergagner dans un pays voisin cequ'il ne peut avoir chez lui etdont il reviendra aussi démuni

qu'il en était parti, découvranttardivement qu'il vaut parfoismieux travailler dur chez soique chez les autres. Son se-cond ouvrage, Caprices dudestin, n'a pas bénéficié d'unsemblable succès; pourtant il

méritait un meilleur accueil caril constitue la première tenta-tive littéraire pour reconstituerun fragment de l'histoire politi-que récente du Niger: depuisla période coloniale jusqu'aurenversement du régime deDiori. La couverture d'un livreest, à elle seule, fort élo-quente de la fenêtre d'une pri-son s'échappent deux bras etune colombe (allusion à des si-tuations vécues deux fois par lehéros du livre), et l'on voit sur lebas du mur deux affiches col-lées l'une sur l'autre, la pre-mière portant NON, malrecouverte d'une autre mar-quée OUI (allusion évidenteaux événements du Niger en1958).

Caprices du destin comptesix chapitres de longueurs iné-gales qu'on peut regrouper entrois parties. Dans les trois pre-miers chapitres, l'action se dé-roule au temps de lacolonisation. Kasko, le héros,jeune instituteur, est affectédans un petit village de broussedont les habitants sont très ré-ticents à la scolarisation deleurs enfants. Couvert dedettes car il n'est pas payé pen-dant des mois, Kaskose rend àGarin Kowa pour informer lecommandement de cercle, unFrançais, MonsieurGoumaibe,qui le reçoit fort mal et qui, à lasuite d'une altercation, le meten prison. Le directeur de l'é-cole de Kasko, venu à son se-cours, sera lui aussi incarcéré.A peine libérés, ils sont as-treints à participer aux funé-railles du chien de MadameGoumaibe!

De retour au village, Kaskoessaye d'organiser la vie de lacollectivité pour en améliorer lefonctionnement; il redonneainsi de la vitalité à une institu-tion traditionnelle, la samaria.Malheureusement, cette entre-

prise est mal perçue par l'admi-nistrateur qui taxe l'affaire decommunisme. Kasko et quel-ques-uns de ses adjoints sontarrêtés et punis; il est éloignéde ce village et affecté discipli-nairementailleurs.

Le chapitre quatre nous re-place en 1958, dans la périodedu référendum qui fut très agi-tée au Niger. A l'époque, le par-ti Sawaba, majoritaire,soutenait le « Non», à la ma-nière de la Guinée, tandis quele PPN-RDA faisait campagnepour le « Oui» qui l'emportaaux élections, ce qui entraîna lerenversement de Djibo Bakari.Dans le livre, l'auteur ne cite niles noms des partis ni ceux deleurs chefs, mais il garde l'em-blème des deux organisationsrivales: le chameau (Sawaba)et l'éléphant (PPN-RDA) et il

décrit longuement le renverse-ment du parti du chameau.Kasko,de façon un peu inatten-due, change de camp en quel-que sorte puisqu'il se trouve lié

avec le parti de l'éléphant aunouvel administrateur.

Au chapitre cinq, noussommes au début de l'indépen-dance. Kasko est haut placédans la hiérarchie du Parti aupouvoir, mais il va rapidements'opposerà Guizo, le comman-dantde cercle nigérien, qui l'en-verra dans un petit village. Ainsirelégué, Kasko ne se démontepas, et il décide de s'occuperdes jeunes. Le renouvellementde l'Assembléenationale lui of-fre, croit-il, l'opportunité de de-venir député. Pour mener sapré-campagne, il emprunte del'argent. Malheureusementpour lui, sous la pression deGuizo, le parti refuse sa candi-dature et Kasko n'arrive plus àrembourser ses dettes.

Dans les années 1963-64, leSawaba interdit se mit à consti-tuer une oppositionclandestinearmée. L'affaire se termina malet des exécutionspubliques eu-rent lieu à Niamey et ailleurs.Le dernier chapitre retrace cetépisode douloureux de l'his-toire du Niger. Kasko qui n'ap-partient plus au parti de

l'éléphantest soupçonné d'êtremembre au parti du chameau:on l'emprisonne. Il ne sera libé-ré qu'au moment du coup d'É-tat de 1974.

Ce n'est donc pas sans rai-son qu'Ibrahim Issa a préfacéce livre puisque cet écrivain asubi bien des dommages pourses opinions politiques.

Jean-DominiquePÉNEL

Mahamadou HALILOU SAB-BO Gomma! AdorableGomma! N.E.A.-EDICEFJeu-nesse, 1990, 109p.

Autour de plusieurs poèmes,contes, légendes, nouvelles etarticles parus dans les co-lonnes de journaux nigériens,Halilou Sabbo Mahamadou seveut aussi un romancier. Sonpremier roman intitulé Abbokiou l'appel de la côte a étépublié par les N.E.A. en 1979.Le second, ayant pour titre Ca-prices du destin, est parusous les presses de l'Imprime-rie nationale du Niger (I.N.N.)en 1982. Il nous donne à la finde l'année 1990 un autre ro-man: Gomma! AdorableGomma!

Gomma! Adorable Gom-ma ! a déjà été publié en feuil-leton dans l'hebdomadairenigérien Sahel-Hebdo. Sa pub-lication définitive s'avère êtreune consécration pour l'auteur.L'œuvre relate une histoired'a-mour entre Biro, un moniteurd'enseignement, et Gomma,une institutrice. Mais tout sem-ble se liguer contre cetteflamme, du fait de la différencede classe existant entre lesdeux amoureux. Si Gomma estissue d'un milieu aisé, Biro, lui,vient d'une modeste famille.Autour d'eux, deux clans anta-gonistes se créent. D'une partBiro, son ami Duna et tous sescollègues enseignantsœuvrent pour la sauvegardede

cet amour « shakespearien».D'autre part, Elhaj Maïkudi,père de la jeune fille, le députéKaro, prétendant malheureuxde Gomma et ses sbires sedressent contre cette union enusant de tous les moyens,même des plus machiavéli-ques. Mais grâce au respectdes traditions et à la soliditéinébranlable de leurs senti-ments, Biro et Gomma verrontune éclaircie dans le ciel deleurs amours. Ainsi le soutienque les grands-parents deGomma accordent au noblesentiment qui unit les deuxjeunes gens aura raison de l'in-transigeance de Elhaj.Maïkudi.Le mariage aura lieu. Le bon-heur fera de Biro et Gommades êtres généreux enversceux-là qui contrecarraientleurprojet.

D'aucunsdiront que le thèmedu mariage forcé et celui duconflit des générations est ré-pétitif. Bien que brossé depuislongtemps par des écrivainscomme Seydou Badian, Ab-doulaye Sadji, Diado Amma-dou. ce thème continue à êtretraité parce que les maux quedénoncent les œuvres n'ontperdu en rien de leur virulence.

Le roman Gomma! Adora-ble Gomma! écrit de façon li-

néaire, rappelle le genreclassique. Il est composé decinq sous-titresde longueurva-riable. Halilou Sabbo Mahama-dou s'adresse avant tout auxjeunes à partir de 11 ans. Sonœuvre est illustrée de manièreà tenir un rôle didactique. Lestyle se veut simple et allègre.L'auteur en a pris l'habitude de-puis Abboki ou l'appel de lacôte et Caprices du destin.

Gomma! Adorable Gom-ma! s'inscrit dans la mou-vance de la littératureafricaine.Elle chante un hymne à la jeu-nesse et à l'amour entre lesêtres. C'est une œuvre univer-selle et actuelle qu'a écrite Ha-lilou Sabbo Mahamadou.

Moussa MAHAMADOU

Professeur C.E.G. Goudel

HAWAD, Froissevent, éd.Noël Blandin, 1991,97p.Yasida, éd. Noël Blandin,1991,62p.

En avril 1991, Hawad publieen même temps deux « ro-mans » Froissevent et Yasi-da. Ces deux livres font suiteaux quatre précédents: Cara-vane de la soif (1985), Chantsde la soif (1987), Testamentnomade (1987) qui sont desrecueils de poèmes et L'an-neau sentier (1989) qui estune sorte de récit en prose poé-tique.

Avant de présenter ses deuxderniers « romans », il faut rap-peler au préalable que tous lestextes du poète touareg sontpensés et composés dans salangue, puis écrits en tifinar,écriture dont il a amélioré cer-tains éléments et dont il a accrunotablement l'usage. Le lecteura donc accès à des traductionset des adaptations réaliséespar Hawad et son épouse Hé-lène Claudot-Hawad languesuperbe, poésie qui nouscomble par sa profusion et sabeauté, mais qui dérive d'uneautre langue et d'une autre gra-phie. D'autre part, il n'est pasbien sûr que les deux ouvragesde 1991 soient des « romans»au sens habituel du terme,mais peu importe les éti-quettes, ce qui compte avanttout c'est la qualité du texte.

L'action de Yasida se dérouleà Times Square, un quartier deNew York. Le décor, des sans-abri, de tout acabit et de toutesraces, et la police qui, constam-ment, intervient de manière vio-lente. Le personnage principal:une jeune métisse mi-espa-gnole mi-touarègue. Les autresprotagonistes: Billal un saxo-phoniste aveugle; OumaMoussa et Aber Elqadous, uncouple un peu âgé; enfin KoKayad, le cousin de Yasida,nouvellement arrivé du paystouareg. Le sujet du livre estsimple: Ko Kayad veut regar-der Yasida les yeux dans lesyeux, ce qu'elle refuse pendantlongtemps car elle estime que

son cousin n'est pas à la hau-teur de la situation. Il secontente avec ses sept lancesde reproduire l'espace de latente touarègue et de parlercomme ses ancêtres, c'est-à-dire de reproduire la concep-tion traditionnelle dans cedésert moderne de béton et deverre. Elle veut un homme fortqui sache être lui-même au pré-sent et qui puisse mener uneaction dans le monde d'aujour-d'hui elle refuse un fantômedu passé qui ne vit que de fol-klore suranné et mort.Froissevent. Le décor: le Sa-hel sur fond de sécheresse etde malheur; pire encore, surfond de répression comme entémoignent, en fin de livre, tousces gendarmes morts et leurarmement jonchant les dunes.Les personnages: Imollen, levieil aveugle; Awjembak, leforgeron; Porteur-de-la-NuitetKo Kayad, les deux poètes; lavieille Chaïma et Froissevent,le héros qui donne son nom aulivre. Le sujet est aussi simpleque celui du précédent texte:les personnages ont une nuitpour parler de leur monde ef-fondré et d'eux-mêmes danscette tourmente. En effet, auxétrangers qui ont découpé leurespace en barbelés-frontières,s'ajoute la nature qui les af-fame. Double choc auquel ilsdoivent faire face s'ils ne veu-lent pas disparaître corps etâme. Comment résister et nepas perdre son identité? Cha-cun des personnages répond àsa façon. La diversité de leurspoints de vue, qui va jusqu'àl'action violente, suppose ce-pendant la volonté communede résister et de rester soi-même, non pas à travers lemaintien des signes sociaux etmatériels des ancêtres, maisen conformité avec les prin-cipes fondamentaux de la so-ciété nomade.

On ne manquera pas de re-connaître à travers Yasida etFroissevent la même préoccu-pation majeure de l'identité:question essentielle de lacommunauté touarègue d'au-

jourd'hui et, bien entendu,thème-clé de la pensée de Ha-wad. Cette interrogationconstante se manifeste au ni-veau des personnages quifranchissent les livres de Ha-wad en revenant avec leursquestions et leurs conditionsmais sous des éclairages àchaque fois un peu différents.Ainsi Imollen, le vieil aveugleapparaît dans Testament no-made, dans Froissevent et il

ne fait aucun doute que Billal,le saxophonisteaveugle de Ya-sida est le même. Ko Kayad seretrouve dans Testament no-made, Froissevent et Yasida.Awjambak, avant Froissevent,figurait déjà dans un poème deChants de la soif et de l'éga-rement, Porteur-de-la-Nuitestdécrit dans Testament no-made et dans Froissevent.Quant à Chaïma, si elle est pré-sente comme telle dansChants de la soif et de l'éga-rement et dans Froissevent,on peut affirmer que la vieilleTawjimt de L'Anneau-sentier,Ouma Moussa de Yasida etmême Tayort de Testamentnomade lui ressemblent fort.Les personnages circulentsans se répéter, à la façon donton tourne autour d'un objet oud'un être pour mieux en aper-cevoir les facettes et les as-pects.

D'autre part, il faut insistersur l'idée que, chez Hawad, laquestion de l'identité n'est ja-mais posée en termes d'atta-chement à tout prix aux formesextérieures du passé commetrop souvent chez certains Ni-gérienspour qui être soi-mêmeconsisteà répéteret reproduireles modes d'action des an-ciens. Probablement parcequele choc a été plus violent pourles Touaregs que pour les au-tres groupes, les aspects exté-rieurs n'intéressent guèreHawad surtout lorsque celaconduit à la folklorisation. Etre« homme bleu du désert» àl'intention des touristes, voilàce qu'il faut catégoriquementrefuser. S'enfermer dans leressassement du passé, voilàce qu'il faut éviter. Les person-

nages parlent du Paris-Dakar,de la télévision, des Toyota,des Kalachnikov; ils discutentde la Palestine et d'Israël, desNations-Unies, de la coopéra-tion, de la politique américaine,etc. C'est pourquoiHawad peutposer le problème dansdes dé-cors aussi divers que TimesSquare ou les sables de l'Aïr. Il

convient de se définir dans leprésent dont les formes et lesmodalités se différencient pro-fondémentde celles des pères.Le parcours de Tégézé dansL'anneau-sentierqui suit lesétapes de l'initiation tradition-nelle, c'est à Froissevent et àYasida de l'inventer au milieudes dunes encerclées de sol-dats ou perdus entre les gratte-ciel de Manhattan.

Jean-DominiquePÉNEL

Adamou IDE, La camisole depaille, Niamey, I.N.N., 1987,139p.

Lorsque paraît La camisolede paille, son premier roman,en 1987, Adamou Ide n'en estpas à ses débuts puisqu'il adéjà publié un recueil de poésieen 1984, Cri inachevé, qui pré-sente l'originalité de comporterune première partie en françaiset une seconde en zarma. Enoutre, il s'était fait connaîtredeslecteurs de journaux nigérienspar des poèmes et une nou-velle.

Le thème de La camisole depaille n'est pas nouveau nidans la littérature africaine nidans la littérature en général:dans un village de province,deux jeunes gens, Karimou etFatou s'aiment et veulent semarier mais les parents de lajeune fille s'y opposent pour debasses raisons, en l'occur-rence la pauvreté et la basseorigine sociale du garçon. L'artde l'auteur tient à la peinture desa société et à la manière dontl'histoire se résoud.

Contrairement à Roméo etJuliette ou aux héros de Mo-lière, l'amour ne pourra pasl'emporter. Le jeune hommeéconduit part pour le Ghana oùil espère gagner suffisammentd'argent pour revenir payer ladot. Après son départ, un nou-veau « commandant» assezâgé et polygame épouse Fatouavec le consentement des pa-rents et malgré la répugnancede l'intéressée. La nuit denoces s'achève par un viol àcause du refus de Fatou. Celle-ci s'enfuit à Niamey avant la finde la semaine traditionnelledemariage. En ville, elle est re-cueillie par Oumou, une prosti-tuée « de luxe» et devientserveuse de bar.

Lorsque Karimou revient auvillage et qu'il apprend la situa-tion, il tente de tuer le« commandant» et part à Nia-mey. Entré dans un bar, il yretrouvera Fatou déjà enceintedepuis une aventure passa-gère. Karimou veut toujoursépouser Fatou et garder l'en-fant. Fatou accouchera au vil-lage mais décidera de ne pasépouser Karimou, craignantpour l'honneur de ce garçonautant que pour celui de l'en-fant. La société mène la viedure aux êtres qui l'ont défiée;l'expérience douloureuse deces êtres et leurs malheursn'entraînent pas la disparitiondes normes sociales.

L'histoire est pessimistemais pas complètementcar Fa-tou fait face et veut se battreseule avec son fils. Adamou Idedécrit bien ce cadre étouffantdes pratiques sociales qui semanifeste à travers cet « hon-neur » auquel on sacrifie l'af-fection des individus et lerespect de la liberté des êtres.Les victimes qui ont transgres-sé le jeu social (aujourd'huiplushypocrite qu'autrefois) en res-sentent un terrible sentimentd'amertume; le choix de Fatoula confronte au poids des habi-tudes de son groupe et auxnouvelles difficultés de la vie.

Adamou Ide, comme Mama-ni Abdoulaye dans Sarraou-

nia, comme Hawad dans Yasi-da, aborde les problèmes de lasociété nigérienne à travers lapeinture d'un personnage defemme qui mène avec courageson combat. Peindre une hé-roïne, plutôt qu'un hérosest dé-jà significatif des intentions decertains écrivains qui œuvrentà leur façon pour cette transfor-mation de leur société.

Jean-Dominique PÉNEL

Albert ISSA, Ballade poéti-que, La Pensée Universelle,1986,75p.

Albert Issa occupe une posi-tion particulière dans la littéra-ture nigérienne d'abord par sasituation sociale, ensuite par laforme et le contenu de sa poé-sie.

En marge des milieux univer-sitaires et littéraires, il travailledans le domaine de la compta-bilité et de la gestion. Son re-cueil de poésie, il l'a publié àcompte d'auteur à la PenséeUniverselle, de la même façonqu'Ibrahim Issa pour Nous dela coloniale et que KélétiguiMariko pour Poèmes sahé-liens en liberté.

Le recueil de poèmes d'Al-bert Issa comporte deux par-ties. La première s'intituleprécisément « Ballade poéti-que« et regroupe 21 poèmes.La deuxième se dénomme« Récits oniriques. Le rêve etl'apocalypse» et s'articule endeux moments (Branche I,

Branche II).

Albert Issa est un des rarespoètes nigériens, sinon le seul,à composer la majorité de sestextes en vers rimés et à em-ployer des formes classiquescomme le sonnet, au lieu devers libres comme ses compa-triotes. Ce procédé tient engrande partie à son goût pourles poètes français classiques.La forme poétique choisie metdonc ce poète à part.

En ce qui concerne le conte-nu, Albert Issa aborde desthèmes divers dont beaucoupsont ceux des autres Nigé-riens: le passé du pays (« Zin-der, ville glorieuse»), laculturetraditionnelle (« Le colibri et legeai», conte haoussa), la diffi-culté de vivre (« Mon Dieu, quemon âme est lasse»), les im-pressions suscitées par l'envi-ronnement (« Sahel», « 0désert », « Etoile du soir ».),des souvenirs de voyage(« Ode à l'Allemagne»), l'a-mour, etc. Cependant ilmanifeste une certaine origina-lité quand il traite de questionsqui le touchent de près (« Lemétis senghorien »), quand il

manifeste un sentiment d'in-quiétude envers la nature de lafemme (« Un fade amour») etsurtout lorsque, dans la partiefinale du recueil, il imagine àpartir d'une promenade dansun cimetière un long voyage aupays des morts, thème inhabi-tuel dans la poésie nigérienne(le seul autre poète quimanifeste un certain goût pourl'oniriqueest Ibrahim Issa danscertains poèmes de La vie etses facéties: « Un songe deSalomon»,

« Vision d'unenuit »).

Albert Issa a publié depuis,chez le même éditeur, unepièce de théâtre, Cady ou l'a-mour fétiche, pièce qui n'ajamais été jouée, ce qui

concourt à accentuer sa placesingulière dans la littérature ni-gérienne.

Jean-Dominique PÉNEL

Ibrahim ISSA: Nous de la co-loniale, La Pensée Univer-selle, 1982, 125p.

Souvenir romancé de sonenfance, pendant la colonisa-tion, le récit autobiographiqued'l. Issa nous conte la vie d'unécolier nigérien de Zinder àNiamey, pendant la Secondeguerre mondiale. De sa nais-sance au village à son premiercontact avec la capitale Nia-mey, à l'école primaire supé-rieure, le jeune Peul découvre,à travers l'« école desBlancs», le monde de la colo-nisation dans une période trou-blée qui précédera lespremières prises de parole na-tionalistes.

Le départ du village pour l'é-cole vécu comme un drame,familial, une démission du pèreet l'arrivéeà Zinder donnent lieuà des descriptions justes et tein-tées d'humour non seulementde la vie en brousse mais, sur-tout, des « figures» de la coloni-sation que sont « la femme deblanc», l'interprète ou le direc-teur d'école. Par-delà certains

traits ironiques comme la dé-couverte par le directeur d'é-cole des pratiques des femmesdésireuses de retrouver les fa-veurs de leur mari, le récit évo-que au passage desévénements traumatisants.Les descriptions du bombarde-ment de Zinder par l'aviationallemande et de la répressiondes civils zindéroispar les tirail-leurs à la suite d'un incidentbanal confèrent un ton amer(« la guerre, tout sentait laguerre, au physique et au mo-ral >» p. 54) à cette traversée dela jeunesse somme toute privi-légiée du jeune scolarisé.L'humour et l'ironie laissentainsi peu à peu la place à unecritique de la colonisation fran-çaise, dominatrice et qui valo-rise une « prostitution au seulprofit de la bureaucratie » (p.98) à l'inverse de sa concur-rente anglaise, plus tournéevers le développement ducommerce.

Ces remarques sur la situa-tion colonialesont enrichies parl'évocation des aspirations dujeune intellectuel Hamani (Dio-ri, le futur président de l'Étatindépendant).

La trame littéraire n'est toute-fois pas délaissée dans le ta-bleau de la colonisation quinous est proposé par touchessuccessives, au fil du texte,comme en témoignent deuxlongs contes qui scandent lessouvenirs de l'auteur. Œuvresde deux camarades d'école dunarrateur, ces contes mettenten scène des enfants qui, partisméprisés et misérablesde leurfoyer, trouvent richesse etconsidérationau terme d'un dif-ficile et courageux voyage ini-tiatique. En s'attardantlonguement sur ces récits,I.Issa suggère à un autre niveauune lecture, certes, nostalgiquede son enfance à Zinder puis àNiamey, faite elle aussi de dé-couvertes et d'enrichisse-ments, mais, surtout,pessimiste quant à la naturehumaine dominée par des sen-timents de rivalité et de puis-sance.

Laurent VIDAL

Ibrahim ISSA: Grandes eauxnoires, Éditions du Scorpion,1959, coll. Alternance, 122 p.

Ce « roman-légende»comme le définit une interviewde Boubou Hama (Niger, n° 14,juin 1971) est le premier ou-vrage reconnu de la littératurenigérienne, mais demeure pra-tiquement introuvable, commel'indique J.-D. Pénel dansRen-contre.

Par ce premier acte d'écri-ture, Ibrahim Issa (1929-1986)avait conscience d'opérer ungeste sacré: il accédait à« cette chose miraculeuse quifixe àjamais l'histoire et la rendvéritable » (p. 22), l'écriture «suprême privilège» longtempsrefusé au Noir, se plaint-il, parune mystérieuse volonté d'Al-lah. L'interdit tombe pour un so-lennel acte de fondation: lejeuneécrivain de vingt-cinqansen a conscience, enfin un Afri-cain va revendiquer le bienusurpé par la science occiden-tale, il va se tourner vers lepassé de son pays, reprendrepossession de son héritage:les pauvres lieux de vie desancêtres deviendront «deslieux sacrés historiques»;« nous crierons anathème à lamain blanche qui sans cessedévoile vos tombes» (p. 23).

« Sur du papier desBlancs », Ibrahim Issa essaiedonc de reconstituer (car il nepeut que « supposer» (p. 22))ce qu'ont pu être dès l'Antiquitéen Afrique les premièrescommunications intercontinen-tales et interraciales. Il restitueainsi autour des « Grandeseaux noires» du Niger une his-toire de rencontres, d'é-changes et de conflits entrehommes noirs, hommes bleuset hommes blancs. La ren-contre des Blancs aventureuxprovoque la curiosité du jeuneprince noir, qui quitte son payspour une « délégation stu-pide », tandis que la venue desBlancs conquérants provoquela ruine des royaumes gara-mante (touareg),et noir. Fallait-il accueillir, épargner les

Blancs, comme l'a voulu l'hos-pitalité obstinée du vieux chefnoir, Barbe-Blanche? Cettehospitalité a fait que «duroyaume de Barbe-Blancherien ne subsiste » (p. 118).

On entrevoit déjà que pourIbrahim Issa, en des annéesqui voient la fin du régime colo-nial, l'inventiondu passé le pluslointain se double d'une médi-tation sur l'histoire récente etmême contemporaine. Impos-sible d'échapper à l'interroga-tion inquiète sur les malheursanciens et l'attitude à adoptervis-à-vis de l'étranger; mais,pour l'auteur, la conscience in-quiète nous vient de Caïn, elleproduit l'excès et le crime(p. 24) il est donc sans doutesignificatif que sa reconstitutiondu passé s'achève sur leconseil apaisant de ne pluspenser qu'aux problèmes duprésent d'un présent si crucialdans l'histoire du Niger: « Ou-blie tout ça, mon fils (.) songeà rassembler les hommes dis-persés le long des Eauxnoires » (p. 122).

En effet, ce qui ressort decette œuvre attentive aux ab-surdités et aux cruautés dupassé, c'est bien un messagede paix. En particulier un appelà la tolérance, au respect desconsciences, l'affirmation de lafraternité des religions. Dieu,dit Ibrahim Issa, étend son om-bre sur le Christ et protège Ma-homet de son aile, «Dieuréprouve les actes brutaux »(p. 47). Aussi bien, dès la pre-mière page, l'auteurs'est placédans la considération de Dieu,« invisible, immuable, im-mense dans sa suprême puis-sance » (p. 11), « infini dans sacréation» (p. 18). Du Tout-Puissant, il trouve l'image laplus approchéedans le specta-cle des cataractes du Labzen-ga, « cette eau qui mugit et quigronde, ces vagues mons-trueuses bavant de colère »(p. 27) s'y révèlent l'énergiequi entraîne la calme rotationdes mondes et la multiplicitédes formesde l'existence.Ainsiva la vie « variée, tour à tour

sage, turbulente, parfois cyni-que, suivant les siècles et lesgrands du jour» (p. 11). Cesens du multiple guérit les ran-cœurs, ouvre à la tolérance etprépareà l'action.

Restée proche des racinesreligieuses, l'œuvre d'IbrahimIssa échappe à nos distinctionsde genre et à nos règles hermé-neutiques. La quête du passé ydialogue avec le sens du pré-sent, la légende s'entrelaceauxsouvenirs littéraires ou scienti-fiques, à l'interprétation ethno-logique, aux préoccupationspolitiques. Cette œuvre té-moigne d'un être différent,d'une vision préservée. Elle re-trouve la poésie des anciennesépopées pour évoquer lachasse ou la fête, la fraîcheurou la violence de la nature. Elleretrouve le ton méditatifdes tra-gédies antiques pour formulerla sagesse qui aide à tenir dansles fluctuations de l'histoire:ainsi pour cette méditation surles puissants qui fait songer àQohélet ou à Sophocle:

« Les rois aussi ont leurssoucis. Ils souffrentde la fièvrecomme le dernier de leurs su-jets, ils peuvent buter contreune pierre, dans un naufrageles flots peuvent, indifférents,gonfler leurs vagues mons-trueuses et les engloutir. Maisles rois ignorent tout ça, rien nedevait leur résisteret Dieupourles punir inventa un terme: lamort. » (p. 81).Ibrahim Issa contemple letemps qui passe et qui remueles générations, le temps qui,pour lui, fait mûrir, au long dessiècles, le sens de Dieu (p. 88)et, en même temps que le sen-timent religieux, épanouit la rai-son véritable, le sens del'humain qui délivre de la bar-barie (pp. 14-15).

Enraciné dans une foi et unesagesse, Ibrahim Issa garde lu-cidité entière, distance et forceen face des prestiges du mo-dernisme. Ce qu'on appelle« progrès scientifique, civilisa-tion > ne se ramène-t-il pas plu-tôt, demande-t-il, à l'art defabriquer des« engins capa-

bles de détruire la terre en uneheure » (p. 58) ? La conquêtede pouvoirs nouveaux ne seretourne-t-elle pas contrel'homme? contre la sociétémenacée de destruction,contre la personne menacéede perdre les acquis sécu-laires ? « Abandonné à moi-même, je me suis demandé sije serais encore capable de fa-briquer une aiguille » (p. 58).Revenant aux évidences à lamanière de Lanza del Vasto,Ibrahim Issa met en cause l'ar-rogance de l'homme moderne,fier de ses prothèses et in-conscient de ses mutilations. A

ce thème se rattache sansdoute, dans Grandes eauxnoires, l'histoire apparemmentgratuite, mais qualifiée de trou-blante, des deux hommes-hyènes qui, en enfreignant uninterdit, perdent toute possibili-té de redevenirhomme (pp. 61-62) perdre un sens du sacré,le sens des limites, met hors del'humanité. Dans cet esprit, àune époque qui tantôt parle decoopération et tantôt de projetsscientifiques gigantesques,Ibrahim Issa pose des ques-tions décisives: que vaut-ilmieux rejoindre, la lune ou lepauvre? (p. 59). Pour lui, sonchoix est fait: « Je n'ai deman-dé à l'humanité que la paix, lasuppression de la misère »(p. 58). Et aux chefs d'État, afri-cains ou autres, il lègue ce ju-gement sévère:

« Tant que cette plaie de mi-sère planera sur l'humanité, je

me refuserai à croire qu'il exi-stât des hommes, d'Étatcroyant à Dieu ou aux pré-ceptes d'une religion. J'admiremieuxencorecethommeincré-dule mais qui, au détour d'unerue, tend la main au plus cras-seux des mendiants » (p. 59).

Avec ses gaucheries, voireses contradictions, avec sasyntaxe qui ne se plie pas tou-jours à la pensée, voilà uneœuvre qui ne vient pas de l'é-cole; et la pensée y gagne, unepensée qui cherche à synthéti-ser mysticité et rationalité(p. 110), une pensée droitecomme la justice au milieu desméandres de la légende.

André GUYON

Angelo MALIKI Bonfiglioli: Du-d'al. Histoiredefamilleet his-toire de troupeau chez ungroupe Wod'aab'e du Niger,(1) Cambridge, CambridgeUniversity Press et Paris, Édi-tions de la Maison desSciences de l'homme, 1988,293p.

Les Peuls nomades du Nigeront retenu l'attention de nom-breux anthropologues (cf. parex. Marguerite Dupire, Peulsnomades. Étude descriptivedes Wod'aab'e du Niger sa-hélien, Paris, Institut d'Ethno-logie, 1962, 327 p.). Bonheur

et souffrance se distingue detelles études car il donne la pa-role aux Wod'aab'e eux-mêmes. Il s'agit en effet dedeux témoignages: le premierest celui d'une femme d'unequarantained'années, mère decinq enfants, le deuxième estcelui d'un homme d'environsoixante ans, « un vieux» qui aquatre enfants et de nombreuxpetits-enfants.

Le discours de la femmes'ouvre sur une série d'affirma-tions négatives concernant lesfemmes, comme « Nous, lesfemmes, nous ne décidons derien, nous ne pouvons rien »qui s'achèvepar une confirma-tion servant de transition:« C'est vrai. La femme neconnaîtrien. Elle ne vautpas unhomme. Mais pendant l'annéede la sécheresse (en 1973), cesont les femmes qui ont sauvéles hommes. » A partir de cemoment, le discours change decaractère et fonctionne en faitcomme une « subversion» dupremier, sans doute plus offi-ciel. Après avoir parlé de la ca-pacité de femmesde s'adapterà la situation nouvelle et de tra-vailler en ville, ce que leshommes ne peuvent pas faire,elle aborde les grands sujetsqui la préoccupent, comme lavie sociale, la place des vieux,le respect des uns pour les au-tres, le pulaaku, le rôle de laparole, les cérémonies de ma-riage ou encore l'importancedes enfantspour une femme etla souffrance de celle qui, n'enayant pas un, est condamnéeàla solitude, car: « Seuls, lesenfantssontpourla femmecer-titude et sécurité ». Son dis-cours est ponctué de maximes,comme « Le bonheur est ac-croissement, augmentation. Lebonheur est toujours crois-sance » (p. 21), ou « La vie, lecharme et le bonheur: troischoses qui ne durent pas. Ilsont lesjours comptés » (p. 24).Pour illustrer la nécessitéabso-lue de patience devant la souf-france et dans toutecirconstance, elle a recours àcette paraphrase d'un pro-verbe

« Quand tu allumes un feu,au débutily a beaucoup defumée. Mais si tu n'es pas ca-pable de la supporter, tu n'at-teindras jamais le bonheur dela flamme. Le plaisir de t'as-seoir autour du feu pour techaufferpasse par la patiencedevant la fumée» (p. 28).

A la phrase introductive« Une femme ne t'expliquerapas beaucoup de choses. Unefemme ne sait rien- répond ledébut du discours du vieilhommequi commnce par expli-quer ce que c'est que la tradi-tion pourles Wod'aab'e », leursvaleurs essentielles, comme lasolidarité, l'hospitalité, l'atta-chement à l'élevage et à lavache qui fut, comme le dit lemythe d'origine, donné auxWod'aab'e : en suivant lesmouvements de leurs bêtes, ilss'avançaient de plus en plusloin dans la brousse. Il expliquele code pastoral (2), la vie so-ciale et la circulation desvaches ainsi que les cérémo-nies comme le rassemblementannuel du Worso, ou cellesconcernant la religion. Mais detout le discours, il ressort quec'est le troupeau qui est l'es-sence même de la vie:

« Pour un Bod'aad'o, laperte de son troupeau signifiela mort. Le troupeau, c'est lavie, c'est la nourriture. Le trou-peau, c'est la force, la seulesécurité. Le troupeau, c'est leprestige, l'estime des autres.C'est la gloire. Alors que lemanque de troupeau, c'est lamoquerie, la honte. Le trou-peau, c'est aussi l'amitié desautres. Si quelqu'un n'a plusde vaches, il n'a plus d'amisnon plus» (p. 50).

Ursula BAUMGARDT

(1) Angelo B. MALIKl est anthro-pologue et a publié également Bon-heur et souffrance chez les Peulsnomades (C.I.L.F. 1984).

(2) Rappelons à ce propos l'im-portant ouvrage de Diouldé Laya,La Voiepeule.Solidarité pastoraleet bienséance sahéliennes, Paris,Nubia,1984,271p.

Abdoulaye MAMANI, Poémé-rides, Éd. Pierre-JeanOswald,1972,54p.

La vie de Mamani Abdoulayejoint continûment l'action politi-que et la littérature. Dès les an-nées 1950, il rédige sespremiers articles dans les jour-naux syndicaux, comme Taka-la, et politiques, comme Ledémocrate et Sawaba, danslesquels il fustige les injusticeset indique ses options en ma-tière de modèle de société; cequ'il exprime aussi bien en ex-posés motivés qu'en poèmes.Député, grand conseiller del'AOF, il subit le sort des diri-geants de son parti au momentde l'indépendance: prison etexil. C'est justement au coursde son exil (de 1960 à 1974)qu'il publie, en 1972 Poémé-rides aux éditions P.J. Oswald.Le titre de ce recueil de 29poèmes évoque autant unéphéméride poétique que lesrides de la vie. La qualité del'ensemble tientà la maîtrisedela langue et à la diversité desthèmes. Mamani écrit despoèmes d'engagement quicorrespondent à ses optionspolitiques maisaussides texteslyriques d'une grande beauté(cf. « Procréation », « Femme »,« Serment », « Bris d'Afrique »,

etc.). Sa situation personnellede l'époque permet decomprendre les préoccupa-tions qui tiennent à l'insupporta-ble éloignement de sa terrenatale (cf « Espoirs », « Exil»,«Nostalgie»). Mais l'auteursait aussi être drôle dans« Poème inachevé ». Quant àson dernier poème qui n'estcomposéque de chiffres, il sus-cite l'interrogation, le lecteur sedemandant s'il s'agit d'unemystiquedes nombres ou d'unsimple amusement.

Mamani Abdoulayea prolon-gé sa verve poétique dansEboniques,recueil inédit, de lamême époque (dont le journalLe Monde a publié un extrait le5 août 1984) et dans L'antho-logie de la poésie de combatqui semble avoir été publiéedans une version espagnole àCuba.

Mamani Abdoulaye a depuislors délaissé la poésie pour s'a-donnerau théâtre (Le balai pri-mé en 1973), le roman(Sarraounia, 1980) et la nou-velle (Une nuit au Ténéré,1987).

Jean-Dominique PÉNEL

Fatimata MOUNKAÏLA:

Mythe et histoire dans lageste de Zabarkane, Niamey,CELHTO,1989.

Le grand mérite de FatimataMounkaïla est de nous présen-ter sept textes différents du ré-cit de Zabarkane, l'ancêtrelégendaire des Zarma. Quatrerécits sont en vers: d'abord, unlong poème en soninké récitépar le djassaré Badjé Bagna,enregistré en 1968 par MoussaHamidou et Jean Rouch. Undeuxième récit date de lamême époque et a été enregis-tré par les mêmes personnes.Un troisième poème, datant de1981, a été dit par le fils deBadjé Bagna. Notons que dans

les deuxième et troisièmetextes, la langue soninké perdde son importanceet laisse uneplace dominanteau zarma. En-fin, le denier poème est le chantdes jeunes filles de Ouallam,inspiré d'une composition tradi-tionnelle d'une vieille femmedela région, et primé à la Semainede la Jeunesse nigérienne en1973.

Trois textes en prose vien-nent compléterl'ensemble: ce-lui d'un marabout, Yaye SeïniKayan (enregistré en 1981)celui d'un notable de Dosso,Saley Sandi dit Alo (enregistréen 1980) enfin celui d'un arti-san, Hassane Mamoudou (en-registré en 1981). Ces septtextes sont présentés dans lesversions d'origine, c'est-à-direen soninké (texte 1), en soninkéet zarma (texte Il et III), en zar-ma (textes IV à VII). Les textessoninké sont traduits en zarmaet toutes les versions sont tra-duites en français.

Un texte unique offrait lepiège, dans lequel tombentplus d'un, de se donner commevrai à cause de son unicité etde la personnalité de l'auteurdu récit. La pluralité des textesévite cet écueil. La vérité histo-rique peut venir de leurconfrontation. La vérité cultu-relle se laisse deviner par lerapprochement entre lescomportements des person-nages et de leurs actions avecles caractéristiques culturellesactuelles ou permanentes desZarma.

L'auteur passe en revuetoutes ces questions mais nousne retiendrons ici qu'un fait in-téressant les sept textes rap-portent tous la mêmeémigration qui a conduit lesZarma d'une région plus àl'Ouest, dans l'actuel Mali, versl'Est, c'est-à-dire sur l'espaceque nous leur connaissonsau-jourd'hui. Le motif invoqué estcelui de fortes pressions socio-politiques exercées par lespeuples environnants. La mi-gration s'effectue sous laconduite de Sombo-Mali Béro.Trois textes, sur sept (dont ce-

lui de Badjé Bagna) n'en disentpas plus. Quatre autres men-tionnent une émigration anté-rieure depuis l'Est de l'Afriquejuqu'à la région du Mali. Cetteréférence à la partie Est de l'A-frique a conduit certains Zarmaà assigner La Mecque commelieu d'origine et comme époquela période du prophète Moha-med. Ainsi Zabarkane, le héroslégendaire, aurait connu et fré-quenté le prophète Mohamed.Au demeurant, les récits offrentdes variantes notables aussibien sur les causes du départdes lieux saints que sur l'itiné-raire du héros et des siens. Si

un tel mouvement migratoireplus ancien, en provenance del'est de l'Afrique n'est pas dé-nué de fondament (comme l'at-testent des liens avec lespeuples de l'est du Niger), leslieux saints de l'Islam commepremière origine des Zarmasont bien plus problématiqueset relèvent plus d'une ac-commodationavec les valeursactuelles du groupe que d'unpassé historiquementauthenti-fiable.

Ces sept textes ne sont passeulementl'occasionpour Fati-mata Mounkaïla de rapprocherles récits à réalité historique enséparant les séquences selonqu'elles s'avèrent plausibles,hypothétiques ou mythiques;ils ne servent pas non plus qu'àidentifier des données socio-culturelles. Ils offrent un maté-riau littéraire qui fait l'objetd'une analyse propre. Poésied'un côté, prose de l'autre: dé-jà ces types de récits n'utilisentpas les mêmes procédés litté-raires. Il convient donc d'inven-torier les techniques decomposition, le rapport destextes aux auditeurs; il fautexaminer les diverses imagesutilisées, les éléments épiques,sans oublier les traits d'humourqui émaillent les récits, lespoèmesemploient des rythmespropresqu'il importede connaî-tre (usage de refrains, demoyens mnémotechniques, detons, choix des mots, etc.). Ceséléments sont décisifs pour l'a-nalyse littéraire car on a mal-

heureusementtrop tendance àeffacer l'analyse littéraire auprofit des seules considéra-tions historiques et sociologi-ques. Si un texte est beau, sonesthétiquedoit être mise à jouret expliquée. Ce que les audi-teurs zarma reconnaissentd'un seul coup, sans toujourspouvoir bien en rendre compte,c'est au littéraire qu'il revient ledifficiletravaild'en expliquer lesraisons.

Fatimata Mounkaïla a sufrayer des directions sur cettevoie nécessaire et difficile;c'est une raison supplémen-taire d'importance qui doit invi-ter à la lecture de son livre.

Jean-Dominique PÉNEL

Idé OUMAROU Le Repré-sentant, N.E.A., Abidjan,1984,199 pages.

L'ancien secrétaire del'O.U.A. s'est d'abord intéresséau théâtre, avant de s'attacherà l'écriture romanesqueet de laprivilégier. Son premier ou-vrage, Gros Plan, fut couronnépar le Grand Prix littéraire d'A-frique Noire en 1978.

Son second roman, Le Re-présentant, a pour cadre le Ni-

ger de l'après-indépendance.Observateur attentif des muta-tions sociales, Oumarou décritles premiers tâtonnements dunouvel État. Pour combler levide laissé par le colonisateur,certains cadres sont nommésnon pas à cause de leur compé-tence, mais plutôt en raison deleur acharnement dans le partiunique. C'est le cas de Fodé,agent parfaitement illettré, re-présentant à la circonsciptionde Guidiguir. Il incarne à ce titreà la fois l'État, le parti et le gou-vernement. Il sera destitué à lasuite d'un discours ubuesquequ'il prononcelors de la visite duPrésident; allocution qui met ànu le comportementirresponsa-ble des dirigeants.

Son successeur, le jeune Ka-rim, sera un responsable fan-toche, sans pouvoir réel. Sonautorité est confisquée par leGoum Touré qui utilise tous lesmoyens pour parvenir à sesbuts. Zélé dans l'exécution deson travail, il se sert de sa niècede quinze ans pourse frayer uneplace auprès des administra-teurs qui se succèdent à la têtede la ville. De plus, il sait semontrer affable et ses attitudespaternalistes n'ont d'égal que safourberie.

Pour loger le piroguier Siddoqui a quitté son village pour ser-vir l'administration, le machia-vélique Touré tend un piège àl'homme qu'il avait adulé et àqui il avait vendu à plusieursreprises les bêtes confiées àses soins. Les hommes depaille de « Douze» (surnom duGoum) vont surprendre le gar-dien de la fourrière en « fla-grant délit» de vented'animaux appartenant à au-trui. Il est chassé et emprison-né.

Aprèscette première victime,Douze se retourne ensuitecontre le piroguier. Lors d'uneexcursion, Siddo a révélé à Ka-rim et à Touré que le jardinpopulaire est construit sur unepartie de champ qui appartientàsafamille. Révélation intéres-sante pour le garde qui met touten œuvre pouraccaparerle ter-rain. Il se propose d'abord d'a-cheter la parcelle pour, dit-il,décongestionnersa maison quine désemplit pas de ses pa-rents. Siddo refuse. Il lui faitensuitemiroiterdes promessesfallacieuses tant et si bien qu'ilcède au souffle irrésistible ducynique. Plusieurs mois se sontécoulés et à chaque fois que lepaysan réclame son dû, Tourélui fait des chantageset branditdes menaces.

Excédé par ce comportementon ne peut plus blessant, il porteplainte auprès de « Vigilant»(chef de Goums). Ce dernier nefait rien et attire l'attention duplaignant en ces termes: « Cethomme n'est pas à son coup

j d'essai. Chaque fois qu'il s'en-

gage dans une affaire et Dieuseul saitcombien il en noue parsemaine!, il ne se résoud ja-mais à la réglersans dispute etsans cris».

Désemparé,le piroguierne saitplus à quel saintse vouerd'autantplus que son protecteur, Karim, asubitement changéde comporte-ment sous la pernicieuse pres-sion de Goum. Il décide d'allerconsulter Tanti Binta, une vieillefemme affreuse, dotée de pou-voirs extraordinaires, «recoursdes offensés, refuge des déses-pérés ». Ce projet ne se concré-tisera pas.

Fier de trouver en lui un« serviteur taillable et corvéa-ble à merci », Touré lui de-mande de transporter desmilliers de briques derrière lefleuve. Travail périlleux etéreintant pour le piroguier quela force commence à quittersous l'effet de l'âge. L'opportu-niste profite de la création de lastation avicole pour seconstruire des maisons sur leterrain extorqué au paysan.

Devenu riche surle dos dupiroguier, Touré tente de le per-dre à travers sa femme. Il utilisele même scénario que dans lecas du gardien de la fourrière.Mais Zeno, attentive et trèséveillée, déjoue le piège du

« Wangrin » local. Pour Siddo,cet acte est une offense insup-portable et il exprime sa révoltedans un langage très violent. Safemme, plus dynamique, a re-cours à Tanti Binta pour châtierles responsables de leur mal-heur. Touré seraanéanti par unemystérieuse foudre et soncomplice Karim aura d'horribleshallucinations. Le représentant,tel un malade mental, parcourtles rues de Guidiguir en s'é-criant: « cachez-vous, le grosnuage estlà. Je le vois, ilme mesuit. Il va me frapper! Protégez-moi. Je suis foutu. Il est là. ».

L'intervention du merveilleuxdans le dénouement peut êtrecritiquée; mais il faut garder àl'esprit la préoccupation du ro-mancier. IdéOumarou chercheà prévenir ses concitoyens. LeReprésentant est une œuvre

qui donne un avertissementaux Grands: on ne peut pascontinuer à exploiter d'une fa-çon éhontée le peuple. Dans ceroman où il allie, avec talent,réalismeet souvenirpersonnel,l'auteur du Détournementsouhaite une prise deconscience des Africains engénéral et des Nigériens enparticulier: la nation ne peut seconstruire que dans le respectde la dignité humaine.

Issoufou RAYALOUNAE.N.A.

Amadou OUSMANE: Le Nou-veau Juge, I.N.N., Niamey,1982, 167 pages.

Auteur de 15 ans ça suffit,Ousmane a acquis une popula-rité grâce à ses Chroniquesjudiciaires dans les colonnesdu quotidien d'information duSahel. C'est en écrivain avertide la chose judiciaire qu'il re-vient à travers son second ou-vrage Le Nouveau Juge, quise veut un hymne à la justiceainsi qu'en témoigne cette cita-tion mise en exergue par le ro-mancier « la justice estl'honneur d'un pays. ».

Le roman introduit le lecteurdans un pays régi par le partiunique, un monde de pourritureoù les responsables politiquesbafouent les lois, piétinent etécrasent les humbles. A un âgedéjà tendre, Ali le personnagecentral avait assisté, impuissant,à l'humiliation, à la détention età la mort de son père pour unefaute qu'il n'avait pas commise.La mère d'Ali, Inna Bagaya restefortement traumatisée, tantqu'elle est convaincue que sonmari était victime de l'arbitrairede la justice. Lorsqu'elle ap-prend que son fils est nomméjuge, elle le supplie d'abandon-ner ce métier « maudit» quiconsiste à envoyer des inno-cents en prison. Raisonnementsimple pour le jeune magistratqui rêve d'un idéal de justice etqui luttera vaille que vaille pour

faire triompher celle-ci dans unpays où les hommes en ontperdu confiance.

La tâche n'estpas facile. Dansla localité de Dadin-Kowa où il

est affecté, les fonctionnairesbrillent par leur esprit mercanti-liste, les commerçants corrom-pent pour faire fructifier leurséconomies, les dignitaires duparti se croient au-dessus de laloi. Dès son arrivée, Ali s'attèlleà « nettoyer» la justice dans saforme et dans son fond. Il faitcrépir le palais de justice où sedégage une odeur pestilentielleet dont le « toit abritait une ar-mée d'oiseaux, de margouillatset de chauves-souris». Il arrêteplusieurs agents pour cause decorruption. Juge consciencieuxet travailleur, il traite avec dis-cernement tous les dossiers.

Cependant, l'affaire Dodoprovoquera un véritable scan-dale. Le fils du S.P.R. (Secré-taire Politique Régional) vientde commettre un homicide aucours d'une surprise-partie.Maïgari, qui, peu de temps au-paravant fait planer la menacequ'il renverrait ce « petit» d'oùil est venu s'il osait se mettre autravers de son chemin, use desa robe pour libérer son fils. Ali

refuse. Lasituation sedétérioreau moment où Maïgari insulteet brutalise le procureur. PourAli, il s'agitd'une offenseà l'ins-titution et un tel acte ne peutrester impuni. Il ordonned'arrê-ter l'" intouchable », mais déjàla nouvelle de cette altercationest parvenue aux plus hautesinstances. Les autorités étouf-fent le scandale. Maïgari estdéchu de ses fonctions et excludu parti; Ali est muté pour « rai-son d'État

».

On reste sensible en lisant ceroman captivant qui a l'allured'un journal, à la détresse despaysans qui attendent impa-tiemment les pluies; aux souf-frances d'une femme qui aperdu très tôt son mari, et sur-tout à la manière de camper lehéros du roman. Ali réunit en luitoutes les vertus: élève sérieuxet studieux, fonctionnaire intè-gre, loyal, courageux, plein d'i-

nitiatives, bref le juge modèlequ'il faut si l'on veutque ce paysqui se prétend libre et démocra-tique puisse progresser.

Issoufou RAYALOUNAE.N.A.

Jacques PUCHEU Conteshaoussa du Niger, Paris, Kar-thala, 1982, 200 p., illustra-tions.

Ce petit livre, publié il y apresque dix ans maintenant, apour ambition de laisser lestextes parler d'eux-mêmes etde contribuerainsi à faciliter ledialogue entre les cultures.Même si, comme l'écrit Jac-ques Pucheu, «ilmanque dansces pauvres lignes les voix, lamusique», bref tout ce qui, à laveillée, donne chair à la matièredu conte sans cesse remis enforme par ses narrateurs, l'ou-vrage atteint son but, présen-tant un choix de contes hausadans une langue simple, direc-tement accessible, et leur pré-servant la fraîcheur dont uneédition érudite les dépouillerait.

L'ouvrage de Jacques Pu-cheu donne un bon aperçu del'éventail des contes hausa et,partant, de la richesse de lalittérature oralede cette sociétépaysanne du Niger. Le choixdes contes publiés est perti-nentet chacun est représentatifd'un genre. Ainsi les 29 contesprésentés, précédés d'unebrève note sur le narrateur oula narratrice, peuvent-ils se ré-partir diversement: selon lescontenus (le mauvais père, lesdangers du plaisir d'amour.),selon les personnages mis enscène (humains, animaux.)ou selon le degré de merveil-leux (alliance d'hommes et d'a-nimaux, animaux doués deparole.). Les grands thèmesde la société paysanne sontprésents et évoqués dans lecontexte des différentesscènes possibles, les aléas fa-miliaux étant traités dans unegrande majorité de ces textes.

De fait, ces contes innombra-bles produits par l'imaginairecollectif traduisent, même lors-qu'ils s'évadent dans le mer-veilleux, les règles sociales etéthiques de la société hausa.Leur intérêt pour la connais-sance de celle-ciest de premierordre. C'est la raison pour la-quelle nombre d'entre eux, re-cueillis par Jacques Pucheu etmoi-même, ont été déposésaux Archives de LittératureOrale Africaine (A.L.O.A., Mai-son des Sciences del'Homme). Nul chercheur, mal-heureusement, n'en a jusqu'àprésentmené l'analyse,difficileil est vrai, du fait de la complexi-té de ces pièces.

Nombre de ces contes, re-cueillis au Nigéria, ont été pu-bliés en anglais dans lapremière partie du XXe siècle.Mais les seuls à avoir été pu-bliés en français sont ceuxchoisis par Jacques Pucheupour figurer dans ce petit vo-lume dont on mesurera, de cefait, tout l'intérêt.

Nicole ECHARD

Jean ROUCH: La religion etla magie songhay, éd. de l'U-niversité de Bruxelles, 1989,377p.

Bien qu'il s'agisse d'un travaild'ethnographie publié en 1960à partir de sa thèse (soutenueen 1955) et récemment rééditéavec des notes et une longuepostface complémentaires, celivre de Jean Rouch mérite d'ê-tre mentionné aussi dans unerevue de littérature. L'auteur aaccompli et continueencore depoursuivredepuis 1941 unein-fatigable recherche sur les phé-nomènes religieux et la magiechez les Songhay. Ce patienttravail, qui s'est effectué avecl'indispensable collaborationde ses amis nigériens, s'estopéré non seulement avec lecarnet et le crayon mais aussi

avec le magnétophoneet la ca-méra, ce qui donne à l'ensem-ble de la recherche unedimension d'envergure.

Jean Rouch, dans son livre,analyse la structure religieusefort complexe des sociétésSonghay, il décrit les objets ri-tuels, les agents du culte, leculte lui-même et l'analyse seprolonge par l'étude de l'artdes magiciens. La plus grandeattention est portée aux génies(holey) et aux danses de pos-session si caractéristiques ettoujours vivantes. Or ces phé-nomènes religieux et magi-ques, s'ils supposentmusiques, gestes, danses, re-quièrent tout autant de nom-breux faits de parole. JeanRouch propose donc aux lec-teurs toutes sortes de textestraduits, expliqués et commen-tés qui sont du plus haut intérêtpour la littérature.On trouve eneffet: 1) Des mythes (Ch II) quifondent et instaurent les diffé-rentes catégories du divin:dieu suprême mais lointain,anges, djinns, esprits mauvaiset surtout les nombreux géniesdont les derniers en date (leshauka) sont contemporainsdela colonisation: 2) Des textesrituels (Ch III) et principale-ment des devises ou zamuyenqui correspondent à cette mul-titude de forces divines, cha-

cune ayant sa devise proprequ'il convient d'énoncer selondes moments appropriés etdans un ordre précis. 3) Desformules magiques (Ch VII) ougyindize qui diffèrent des pré-cédentes par la forme et parl'intention. 4) Des textes profé-rés (Ch VI) par les personnespossédées qui répondent auxquestions qu'on leur pose pen-dant la transe. Tous ces textes,nombreuxet variés, constituentplus d'un quart du livre et sontun document de qualité. La lit-térature y trouve là un champconsidérable de manifestationet d'analyse: textes fixes,textes variables, textes privés,textes publiés, poétique rigou-reuse, images diverses, ex-pressions euphoniques, usagede plusieurs langues, évolutiondes styles, etc.

Dans cette production litté-raire spécifique, l'homme ap-paraît grand à travers sesrapports, tantôt de soumissionet de dépendance relative, tan-tôt de maîtrisedes pouvoirsspi-rituels et même de maîtrisegrandissante car, comme le ditle magicien songhay: « Ce quia été bon dans la bouche despremiers hommes doit êtremeilleur dans ma bouche quedanslaleur».

Jean-DominiquePÉNEL

Silâmaka et Poullôri ; récitépique peul raconté par Tin-guidji, édité par ChristianeSEYDOU. Paris, Armand Co-lin, collection « Classiquesafri-cains »,1972.

En dépit de son caractèrehyperboliqueet merveilleux (audemeurant propre à toute épo-pée), le récit procuré parChris-tiane Seydou, dans l'excellentecollection des « Classiquesafricains», s'inscrit dans uncontexte historique assez pré-cis qui est celui de la lutte deschefs peuls contre l'autorité duroyaume bambara entre la findu XVIIIe siècle et le début duXIXe siècle, avant la constitu-tion, par Cheikhou Amadou, del'empire peul du Macina.

A cette époque, chacunedeschefferies peules étaitcommandée par un chef tradi-tionnel, appelé « ardo », quidevait allégeance au roi de Sé-gou et lui versait chaque annéele « disongo », c'est-à-dire, lit-téralement, le prix du miel. Il

s'agissait en réalité d'un impôtpouvant s'élever à plusieurs ki-los d'or, et dont le produit étaitaffecté à la préparation de l'hy-dromel, une boisson à base demiel particulièrement appré-ciée des chefs et notablesBambara. Ce tribut annuel nepouvait naturellement qu'êtreimpopulaire, et il suscita certai-nement des protestations etdes révoltes au cours de la pé-riode comprise entre 1766 et1797, sous le règne de NgoloDiara.

Sans qu'il soit possible de si-tuer avec exactitude l'ascen-dance de Silâmaka, désignésimplement par Tinguidjicomme le fils d'un ardo du Mâs-sina, on sait qu'à cette époqueles chefs peuls se soulevèrentcontre le commandementbam-bara de Sâ, chef-lieu du Dodji-

ga, un gros canton situé aunord du lac Débo, et que plu-sieurs d'entre eux refusèrentde payer le prix du miel. Héritierde cette tradition belliqueuse,Silâmaka dont le nom est déjàtout un programme, puisqu'il si-

gnifie « le sabre» apparaîtdonc comme le symbole mêmede la fierté et de l'honneurpeuls, un symbole qui a moinspour fonction d'évoquer la réa-lité historique que d'exalter unensemblede valeurs dans les-quelles le Peul aime à se re-connaître.

A l'instar des grandescompositions épiques classi-ques, Silâmakaforme avec soncompagnon Poullôri un couplede guerriers qu'unissent à lafois l'amitié et la fraternité vi-riles, à la manière des héros deLa Chanson de Roland.Comme Roland et Olivier, Silâ-maka et Poullôri sont en effetunis et dissemblables. Unis parle même idéal chevaleresque,mais séparés par la naissancepuisque,ainsi que le rappelle legriot, à trois ou quatre reprises,l'un, Silâmaka, est d'origine no-ble, tandis que l'autre est cap-tif.

Dans le récit de Tinguidji, ladistinction entre les deuxhommess'opère à la fois par desubtilesdifférencesde compor-tement (quand l'un mange sixbouchées, l'autre, le bien-né,se contente de trois), mais sur-tout par le fait que Silâmakaentend braver seul les dangersdécisifs. C'est pourtant à Poul-lôri que reviendra la gloire demettre en déroute l'ennemibambara puisque, à la suite dela trahison de son griot favori,Silâmaka mourra « ignomi-nieusement », tué par la flècheque lui décoche un enfant dé-pêché par Amirou Sâ, le Roi deDodjiga. Ce qui montre bienqu'en dépit de leur différenced'origine, Silâmaka et Poullôriincarnent un idéal commun àtravers une même destinée,que chacun accomplit cepen-dant à sa manière, selon sonpropre tempérament.

Après la mort de Silâmaka,c'est donc à Poullôri que re-viendra la lourde tâche decombattre les Bambara enhar-dis par la disparitionde son no-ble et preux compagnon.L'histoire de ces deux person-nages hors du commun s'a-

chève donc sur l'évocation fa-buleuse des milliers de cava-liers ennemis lancés à l'assautdu Mâssina et que l'on n'a ja-mais plus revus, pas plus d'ail-leurs que Poullôri,vraisemblablement tombé auchamp d'honneur. Cependantquand gronde l'orage, les vieuxBambara ont l'habitudede dire« Poullôri benâna », c'est-à-dire « Poullôri arrive », et ilssoutiennent que « Poullôri etses cavaliers sont partis dansles airs et qu'ils ne sontplus surterre. »

Jacques CHEVRIER

SOLI ABDOURAHAMANE, Lechemin du pèlerin, Niamey,I.N.N.,1988.

L'auteurdécrit avec force dé-tails et une précision surpre-nante l'attitude des croyants enroute vers la terre sainte. etleur comportement en ArabieSaoudite.

On a l'impression qu'il en està son énième voyage et que,aguerri, il en tire une expé-rience susceptible de lui épar-gner l'impatience, l'étourderieet l'angoisse que connaissentses frères et sœurs.

Pourtant, il n'en est rien.L'auteur n'en était qu'à sonpremier voyage: « Je neconnais rien encore des as-pects pratiques du pèlerinage,écrit-il, mais j'ai décidé de mefaire une règle de conduite toutau long des différents officesqui nous attentent ». Cette rè-gle de conduite lui vaut de dé-doubler en quelque sorte sapersonne: l'une, indépen-dante et flegmatique, observetout et enregistre; l'autre, in-fluençable,exposée à des sen-timents contradictoires, vit,s'émerveille, s'épouvante toutà la fois.

On s'étonnera d'aprendreque l'écrivain ne jouit pas de

toute son acuité visuelle, il ra-conte: « J'ai pu observer sonmanège., son habit, caracté-ristique, l'a signalé à ma faiblevue. » en parlant d'un desnombreux voleurs à la tire qui,« au mépris des préceptesde l'islam et de tous les ensei-gnements moraux, s'en pren-nent aux poches de leursvoisins, armés de ciseauxet delames de rasoir ».

Plus loin, c'est la descriptiondes choses et des êtres: « Lequartier Tondobaniest un véri-table îlot nigérien en terrearabe. Habité principalementpar des Djerma et des Haous-sa, il rappelle un gros village dechez nous transformé en mar-ché de jour et de nuit. Laconstruction offre un style as-sez particulier, les rues sontétroites et encombrées, lesmaisons souvent construitesen hauteur donnent l'impres-sion d'avoir été réalisées pardes amateurs. l'aspect exté-rieur des murs évoque l'idéed'un grand squelette à côtesmultiples,.

Mais la caméra de Soli nes'arrête pas là elle s'attardesur les gestes, le comporte-ment peu honorable de cer-tains pèlerins; aussifilme-t-elle certaines situationson ne peut plus cocasses: «soudain, c'est la surprise: lescompatriotes, objet de nos in-quiétudes, sont avec armes etbagages installés sur un grandvéhicule rouge-brique dont l'é-tat poussiéreux et le châssispiqueté de rouille indiquentqu'ilest depuis longtemps hors d'u-sage ».

Outre le ridicule, c'est l'impa-tience irraisonnée qui caracté-rise certains pèlerins« Poussez devant! Poussezdevant!». On retrouve lesmêmes attitudes devant lesguichets des institutions pos-tales ou bancaires de notrepays. C'est donc à juste titreque l'auteur en tire une leçon:« De cette constatation,j'ai tiréune autre règle de conduite.J'en fais un principe qui veutque dans toute la mesure du

possible, le pèlerin s'astreigneà un minimum de discipline.Dans bien des cas, l'observa-tion de ce principe luipermettrad'économiser des efforts et luiépargnera d'inutiles désagré-ments. »

Par ailleurs, il n'est pas diffi-cile de remarquer les ten-dances mercantiles dequelques pèlerins; ils veulenttout achetercoûte que coûte.

Dans toute entreprise nou-velle, de surcroît périlleuse,l'homme a toujours éprouvé lebesoin d'être guidé, afin de pal-lier tout danger qui peut surgir.En m'offrant un exemplaire de« Le chemin du pèlerin», SoliAbdourahmanes'empressa deme demander si j'avais l'inten-tion de me rendre à la Mecque.Naturellement,je n'y pensepasencore, mais je reste persuadéque sans être un manuel dupèlerinage, l'ouvrage n'en pré-sente pas moins un intérêt di-dactique qui peut profiter àtoute personne ayant formuléle vœu de se rendre pour lapremière fois en terre sainte del'Islam.

Kangaï Seyni MAÏGA

Boubé ZOUMÉ: Les soufflesdu cœur, CLÉ, Yaoundé,1977,63p.

De la centaine de poèmesque contenait le manuscrit deBoubé Zoumé, les éditionsCLÉ de Yaoundé en ont retenu45, publiés en 1977 sous le titreLes souffles du cœur (titre dupoème qui clôt le recueil). L'au-teur qui avait une vingtained'années à l'époque, était fonc-tionnaire formé à l'École natio-nale d'Administration deNiamey. Son talent avait étéreconnu dès la fin de sesétudes primaires et il avait dèsce moment obtenu divers prixet récompenses.

Originaire d'une famille depêcheurs, juste à la frontièreduNiger et du Bénin, Boubé Zou-mé a composé plusieurspoèmes sur son univers cultu-rel et sur le monde rural (« Lecoq du fétiche », « Femme ru-rale», « Niger», « Gangaa »).

Le recueil est dédié à sesparents, aussi l'auteur a-t-ilécrit sur son père et sa mère(« Une ombre sans pau-pières », «

Élégie»).

De nombreux poèmesconcernent une jeune femmequ'il a aimée et dont il s'estséparé («viens me voir»,« Toi », « Tes belles mains»),

Le poète est sensible à lamisère et particulièrement à lasécheresse (« Offrande»,« Les émigrés du Sahel», « 0frères et sœurs éprouvés»),fléau qui ne cesse de boulever-ser l'existence des populations.

D'autres problèmes sontévoqués (« Solitude», « Lavie») ainsi que les souffrancesdes hommes (« Chansond'uneorpheline», «

Égarement»,« Sensation ».).

Boubé Zoumé chante aussila poésie et la condition ducréateur (« Une chose dans lecœur », « Poète, qui es-tu? »).

La langue est simple, l'orga-nisation des vers assez di-verse. Boubé Zoumé, qui n'aplus publié depuis ce recueil,témoigne d'une sensibilité etd'une aptitude à comprendreles êtres et leur environnement.Comme il le dit lui-même «Achaque créature sa poésie pro-pre ».

Jean-Dominique PÉNEL

MohammedAghali ZAKARAetJeannine DROUIN Tradi-tions touarègues nigé-riennes. L'Harmattan, Paris.Préface de Lionel Galand,1979.

Mohammed Aghali Zakara etJeannine Drouin comptent parmi les bons spécialistes de lalangue et la littérature touarè-gues du Niger. Ils ont notam-ment conduit une enquêteapprofondie sur l'écriture toua-règue. On sait que les Toua-regs disposent d'alphabetsdont l'origineest sans doute an-cienne et qu'ils considèrentvo-lontiers comme l'un des traitsdistinctifs de leur culture. Cesalphabets sont ordinairementdésignés par le terme tifinagh,le pluriel du mot touareg quisignifie: lettre. C'est au cours

de cette enquête que les au-teurs ont été amenésàrecueil-lir des traditions relatives àdeux héros culturels liés l'un etl'autre à l'écriture. Le premierest Amerolqis, qui passe pouravoir inventé l'alphabet toua-reg. Le second est Aligurant,auquel on attribue les gravuresrupestres, notamment les ins-criptions en tifinagh, qu'ontrouve dans les montagnes dunord du Niger.

Le présentouvrage comprendla transcription, la traduction etle commentaire détaillé de deuxtextes recueillis auprès d'unforgeron appartenant augroupe des Touaregs Kel-Nan,qui vivent dans la région de Ta-houa, au sud-ouest du Niger.Le premier texte narre lesaventures épiques d'Amérol-qis, un géant qui, dit-on, vivaitavant l'apparition de la religionmusulmane et qui inventa lestifinagh, dont il fit un code se-cret destiné à lui servirdans sesaventures galantes. Il est trou-blant de constater que le motAmérolqis est de toute évi-dence la déformationde l'arabeImru-al-Qays, le nom d'unprince censé avoir vécu au VIesiècle de notre ère. Imu-al-

Qays passe, nous rappellentles auteurs, pour avoircréé « lemodèle aux règles fixes de laQasida qui célèbre les exploitsguerriers, l'éloge'de la tribu,énonce des pensées philoso-phiques sur le caractère éphé-mère de la vie et la vanité despassions humaines».Commentcette figurearabe ar-chaïque s'est-elle retrouvéedans les traditions populairestouarègues, c'est là un mys-tère, à vrai dire assez troublant,que nos deux auteurs ne serisquent pas à éclaircir. Nousne chercheronspas davantageà l'éclaircir ici; disons simple-ment que, dans des poèmesrecueillis au Niger depuis lapublication de cet ouvrage, Im-ru-al-Qays apparaît fréquem-ment, avec des traits plusproches du modèle arabe etdes caractéristiques qui lais-sent penser que cette figure aété importéepar des lettrés. Onremarque aussi que, dans letexte présenté ici, Amerolqisest opposé à un autre géant,Ghantarata, dont on peut soup-çonner, bien que nos auteursn'en disent mot, qu'il est unlointain parent d'un autre poètede l'Arabie antéislamique, 'An-tara. On attribue à'Antara, Im-ru-al-Qays et quelques autresdes poèmes qui se sontconservés jusqu'à nos jours etqu'on connaît sous le nom deMou-Allaqat de sorte qu'il estpermis de penser que desTouaregslettrésont eu en maindes exemplaires des Mou-Alla-qat à partir desquels les figuresmythiques de Amerolqis etGhantarata se seraient peu àpeu élaborées. Si le modèleestarabe, la réplique appartient enpropre à l'univers touareg; ellea conservé certains traits dumodèle, puisque, comme Imru-al-Qays, Amerolqis aime lacompagnie des femmes et sonnom est lié à la poésie ainsiqu'à l'antéislam mais elle aacquis un trait spécifiquementtouareg: l'inventionde l'alpha-betdestifinagh.

Le cycle d'Aligurant est,quant à lui, construit autour duthème suivant: Aligurant, un

homme puissant et renommépour son intelligence apprendd'un devin que sa sœurva don-ner le jour à un enfant plus in-telligent encore que lui. Il

décide de tuer le nouveau-né.Mais la sœur, prévenue,échange son fils contre celui deson esclave, qui a accouchéenmême temps. Aliguran tue celuiqu'il croit être son neveu utérin,tandis que le véritable neveugrandit sous une fausse identi-té plus tard, l'enfant devenugrand apparaîtsi intelligentquel'oncle devine la vérité. Pouréprouver son intelligence, l'on-cle propose au neveu plusieursépreuves, dont celui-ci se tiretoujours à son avantage. Dansd'autres contes du cycle, il

tente en vain de le mettre àmort, mais toutes ses rusessont déjouées par le neveu. Il

s'agit là d'un thème universel,et les auteurs, dans uncommentaire bien documenté,n'ont pas de mal à faire ressor-tir des parallèles maghrébinstout à fait frappants. La spécifi-cité du cycle touareg résidepeut-être dans la relation deparenté entre les deux héros:une relation maternelle; c'estassurément une indication del'importance qu'a la parentématernelle pour les Touaregs.Ceux-ci affirment volontiersqu'un homme est plus prochede son neveu utérin que de sonfils; ce qui explique à leursyeux que le neveu utérin d'Ali-guran (et non son fils, qui appa-raît dans certains contes ducycle, en y jouant le rôle d'unbenêt) soit le véritable héritierde son intelligence.

Ces deux héros culturelssont, chacun à sa manière,hautement représentatifs decertains aspects de la culturetouarègue. C'est pourquoi onne peut que considérer avecfaveur le travail de MohamedAghali Zakara et JeannineDrouin, qui est, malgré quel-ques négligences et quelqueserreurs vénielles, un réel ap-port à la compréhension decette culture.

Dominique CASAJUS

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Djibo MAYAKI: Kurmizo, (théâtre), 1982.

Djibo MAYAKI: La paille, (théâtre), 1983.

Djibo MAYAKI: Mariama, (théâtre).

Djibo MAYAKI: Le détournement, (théâtre).

Djibo MAYAKI: Le poids d'un milieu, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1978.

Djibo MAYAKI: L'option, (scénario), 1985.

Djibo MAYAKI: Secrets, (conte), Niamey, CCFN.

Djibo MAYAKI: Les deux compagnes, (conte), Niamey, CCFN.

Djibo MAYAKI: Souvenirs, souvenirs, 1968.

Dourfaye MOUMOUNI: L'araignée, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1980.

André SALIFOU Tanimouna, (théâtre), Présence Africaine, 1973.

André SALIFOU Le fils de Sogolon, (théâtre), Niamey, IB, 1987.

André SALIFOU Si les cavaliers avaient été là, (théâtre), Niamey, IB, 1987.

Afrika SANGARE: Un si simple sourire, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1985.

Afrika SANGARE: Une histoire inachevée, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1985.

Bania Mahamadou SAY: Algaïta, poèmes, Niamey, INN, 1980.

Bania Mahamadou SAY: Le voyage d'Hamado,EDICEF, 1981.

Abdourahamane SOLI: Le chemin du pèlerin, (récit), Niamey, INN, 1988.

Moussa SOUMANA: Fatidique héritage, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1980.

Moussa SOUMANA: Un père perd sa paternité, Niamey, CCFN, 1981.

Soumaûa Karanta YACOU: Harandan, (poésies), Niamey, INDRAP, 1980.

Mohamed YATTARA: Le divorce, (nouvelle), Niamey, CCFN, 1980.

Boubé ZOUME: Les souffles du cœur, (poèmes), Yaoundé, CLE, 1977.

Textes orauxtranscrits, traduits

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Mohamed AGHALI ZAKAÇtIA: Adelhesseg, conte nigérien, Bul. lit. arabo-berbère, 1975.

Khamidou Kel Eghal AKHMEDOU: Contes et récits des Kel Denneg, Copnhague, Akademisk, Forlag,1976.

Moussa ALBAKA et Dominique CASAJUS : Chants et poésies touaregs, Alger, Bouchène, 1991, Paris,Awal.

Ag Arias ALLININE: Traditions historiques iwillimiden, Niamey, CELHTO, 1970.

Ag Arias ALLININE: Traditions historiques des touaregs de l'Imannan, Niamey, CELHTO, 1970.

Dosso ALO et Diouldé LAYA Traditions historiquesde la région de Dosso, Niamey, CELHTO, 1969.

Ghoubeïd ALOJALY : Histoire des Kel Denneg avant l'arrivée des Français, Copenhague, Akademisk,Forlag, 1975.

Edmond BERNUS Incongruitéset mauvaises paroles touarègues,Jour de la Soc. des Africanistes, 1972.

J. BISSILHAT et Diouldé LAYA Les zamu ou poèmes sur les noms, Niamey, CNRS, 1972.

Bernard CARON: Contes haoussa, Edicef, 1985.

Dominique CASAJUS: Peau d'âne et autres contes touaregs, L'Harmattan, 1985.

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Mohamed GHABDOUANE et K.G. PRASSE Poèmes touaregs de l'Aïr, Vol. 1 Texte touareg; Vol. 2

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Boubou HAMA: Contributionsà l'histoire des peuls, Présence Africaine, 1968.

Boubou HAMA: Histoires des Songhay, Présence Africaine, 1968.

Boubou HAMA: Histoire du Gobir et du Sokoto, Présence Africaine, 1967.

Boubou HAMA: Histoire des Touaregs, Présence Africaine, 1967.

Assane KOULBALI, Cew songhay, Niamey, CELHTO, 1970.

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Garba MAMAN: Wakoki, Niamey, CELHTO, 1986.

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Mohammadou NAYBIS WAALI: Kaara karaatu, Niamey, CELHTO, 1970.

Francis NICOLAS: Folklore twareg, poésies et chansons de l'Azawak, Bulletin IFAN, vol. 6,1/4, 1944.

Francis NICOLAS: Poèmes twareg, 1941.

J.P. OLIVIER DE SARDAN : Quand nos pères étaient captifs, récits paysans, Nubia, 1976.

PETITES SŒURS DE JESUS-SELAF: Contes touaregs de l'Aïr, SELAF.

A. PROST: Légende songhay, Bulletin IFAN, vol. 18, 1956.

Jacques PUCHEU: Contes haoussa du Niger, Karthala, 1982.

Peter RODD Translation oftuareg poema, Bull. School of oriental and african studies.

J. ROUCH, Zika DAMORE, Laya DIOULDE, Garba SAADOU MAHAMANE: Le mythe de dongo,Niamey, CELHTO, 1983.

Christiane SEYDOU Contes et fables des veillées, Nubia, 1976.

Christiane SEYDOU Silamaka et Poullôri, A. Colin, 1972 (classiques africains).

Alpha SOW: Jangenn fulfulde, Niamey, CELHTO, 1970.

Nicole TERSIS En suivant le calebassier, Edicef, 1979.

Nicole TERSIS La mare de la vérité, SELAF, 1975.

J. TIHO Grammaire et contes haoussa, Imprimerie Nationale Paris.

TROUPE ZINDER : Gaado Karhin allaa, Niamey, CELHTO, 1977.

Pour de plus amples informations, on se reportera à la

Bibliographie de la littérature nigérienneétablie par Ch. DAN INNA et Jean-Dominique PENEL

Imprimerie nationale du Niger 1988

Illustration by IbrahimElSalahi.

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Edited by Richard BjornsonResearch in AfricanLiteratures provides astimulating forum for thediscussion of the oral andwritten literatures of Africa. Inaddition, RAL serves thebroader needs of the academiccommunity by including reportson recent research, universityliterature programs, library andarchivai resources, dissertations,and conférences in the field.Each issue includes a livelybook review section, and thereare frequent illustrations byAfrican artists. Publishedquarterly.

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Ce numéro a été coordonné par, Marie-Clotilde JACQUEY etJean-Dominique PENEL.

Ont collaboré à ce numéro: Hima ADAMOU, Idé ADAMOU, Ursula BAUM-GARDT, Michel BOCCARA, Alain BONNASSIEUX, Dominique CASAJUS,Jacques CHEVRIER, Aline CIROU, Annie CONSTANTY, MichelCONSTANTY, Harouna COULIBALY, Chaibou DAN INNA, Martine DOCE-KAL, Yazi DOGO, Jeannine DROUIN, Nicole ECHARD, André GUYON,HAWAD, Mariama HIMA, Albert ISSA, Marie-Clotilde JACQUEY, Saley Ha-midou KO, Marie LAURENTIN, Dioulde LAYA, Thierry de LOUSTAL, Mous-sa MAHAMADOU, Fanta MAÏGA, Amadou MAÏLELE, Kélétigui A MARIKO,Gérard MARTIN, Daniel MIGNOT, Fatimata MOUNKAÏLA, El Hadj KolaMOUSTAPHA, Maï MOUSTAPHA, Amadou OUSMANE, Jean-DominiquePENEL, Viviana QUINONES, Issoufou RAYALOUNA, Elhadj MahamanSADE, André SALIFOU, Bania Mahamadou SAY, Kanguèye Seyni MAIGA,Ousmane Mahamane TANDINA, Laurent VIDAL.

Direction artistique: Atelier Visconti.

Photographies:Couverture: Claude NOGUES.Gérard PAYEN pp. 4-5, 8, 13, 16, 22, 32-33, 56-57, 66-67, 68, 78, 85, 89, 98,

100,102-103,107,113,117,118,122,134-135,149, 156-157, 160, 163, 167,174,183,184,185.

KélétiguiMARIKO:pp.18,20,41.Djingarey MAÏGA: pp. 37, 39, 53, 54, 65, 95,111,124,127,132,155,169,176.Présence Africaine: pp. 48, 59, 77, 81, 121, 143, 151, 170.La Farandole: p. 164.CILF:p.181.Studio KAP, Niamey: p. 190.

Revue publiée avec le concours du Ministère de la Coopération et duDéveloppement et du Ministère des Affaires Etrangères.

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