Les Religions (Etude du Fait Religieux)

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Etude du Fait Religieux Etude du Fait Religieux Par Yves-Alain Debodinance 1

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Etude du Fait Religieux

Etude du FaitReligieux

Par

Yves-Alain Debodinance

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Etude du Fait Religieux

© 2014

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Table

Chapitre 1 : INTRODUCTION....................................41.1 La fin des religions ?.........................................41. 2 Détenir la vérité.............................................41.3 La question du pouvoir.........................................61.4 La violence....................................................61.5 Le bien........................................................71.6 Les religions en guerre........................................81.7 Le holisme.....................................................8Chapitre 2 : L’HOMME DEBOUT.................................102.1 Les philosophes...............................................102.2 Et puis Dieu..................................................112.3 Un projet de domination.......................................112.4 Dietrich Bonhoeffer...........................................122.5 L'homme à genoux..............................................132.6 L'homme debout................................................14Chapitre 3 : DANGERS DE L’IDEALISME.........................153.1 Idéalisme et réalité..........................................153.2 La religion de l’ultralibéralisme.............................163.3 La laïcité....................................................18Chapitre 4 : REGARD SUR LE CHRISTIANISME....................204.1 Remarques préliminaires.......................................204.2 Jésus.........................................................224.3 Les leçons de la Passion......................................234.4 Terribles implications du choix de l’amour....................244.5 L’idéologie du pardon.........................................254.6 Avoir Dieu dans son camp......................................304.7 La pratique plutôt que les beaux discours.....................314.8 Un christianisme pas encore advenu ?..........................314.9 Au-delà des erreurs...........................................33Chapitre 5 : SUR L’EVANGILE.................................355.1 Aimez vos ennemis (Matthieu 5)................................355.2 La femme adultère (Jean 7)....................................385.3 Le fils prodigue (Jean 7).....................................395.4 Le bon samaritain (Luc 10.25).................................405.5 Le sermon sur la colline (Luc 6.20 à 49) et Matthieu (5.1 à 7.29).............................................................41

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Chapitre 6 : DU CHRISTIANISME (conclusion)..................436.1 Le Christianisme était-il voulu par Jésus ?...................436.2 Limites des écrits « sacrés ».................................446.3 Le Christianisme, c’est bien plus aujourd’hui qu’il y a 2000 ans..................................................................456.4 Accointances désastreuses.....................................466.5 A quoi sert le christianisme aujourd’hui ?....................476.6 Faut-il encore croire en Dieu aujourd’hui ?...................486.7 La charité et la justice......................................506.8 Les chrétiens.................................................516.9 Mon expérience................................................516.10 Jésus et l’homme qui aimait les hommes.......................55Chapitre 7 : LES MUTILATIONS RITUELLES INFANTILES...........587. 1 L’origine....................................................587.2 L’acte mutilateur.............................................597.3 Le sexe, évidemment...........................................617. 4 Les enfants, évidemment......................................637.5 Il faut avancer...............................................64Chapitre 8 : CE QU’IL FAUT CHANGER..........................658.1 Ecoutons les voix subtiles....................................658.2 Affinons notre façon d’agir...................................668.3 Promouvons la sensibilité.....................................668.4 Travaillons enfin sur la violence.............................678.5 Changeons de système..........................................688.6 Les jeunes d’abord............................................698.7 La confiance, mieux que la foi................................708.8 La patience...................................................718.9 Nous garder des médias........................................728.10 Résoudre la pathologie de la masculinité.....................748.11 Une humanité hybride.........................................758.12 Ne cessons jamais d’apprendre................................768.13 Créons de la beauté..........................................778.14 Conclusion...................................................79

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Chapitre 1 : INTRODUCTION

Religion est un mot qui veut dire « relier », relier les hommes. Le problème c’est qu’aucune religion ne relie tous les hommes de la Terre. En reliant quelques uns elle les oppose automatiquement à d’autres hommes qu’ils soient seuls ou constitués en groupe. Même si l’on ne se pose pas encore les questions sur les croyances qui s’opposent, on voit que, de part leur seule existence, les religions, tout comme les tribusou les nations, prédisposent à la lutte des uns contre les autres. Georges Brassens l’avait dit : « dès qu’on est plus de 2, on est une bande de cons. »

1.1 La fin des religions ?

Les européens pensent en avoir fini avec les religions qu’ils remisent un peu trop rapidement dans la catégorie des antiquités. Voyant le monde à travers le prisme de l’histoire occidentale ils imaginent que, le progrès social se répandant dans le monde, les velléités religieuses vont finir par s’adoucir. Rien n’est moins sûr. Nous ne devons pas nous reposer sur nos certitudes illusoires, nous devons travailler beaucoup, réfléchir intensément, essayer de comprendre le fait religieux qui pose un défi à ce que nous croyons être acquis : la liberté individuelle de croire en ce qu’on veut. Notre concept de laïcité et notre athéisme font figure d’exception dans un monde travaillé par des religions qui n’ont même pas demots pour définir ce que nous voulons être. 

Nous croyons pouvoir réduire les combats religieux d’aujourd’hui à des causes rationnelles comme la misère ou l’absence de démocratie. Nous croyons assister à la fin d’un monde qui va fatalement céder la place à la rationalité

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matérialiste que nous pensons incontournable. Mais peut-être nous rassurons-nous à peu de frais. Tout indique au contraire que la religion restera une donnée anthropologique majeure de l’humanité. Si nous ne faisons pas ces efforts de compréhensionnous serons un jour dépassés et incapables de nous opposer à larègle religieuse qui s’applique déjà à presque toute l’humanité. Nos si précieux acquis seront balayés et considéréscomme une folie, heureusement sans lendemain.

1. 2 Détenir la vérité

Les plus dangereuses des religions prétendent détenir la « parole » de Dieu. A la clé : un livre sacré pour lequel on est prêt à mourir et à tuer. Ce qui me frappe c’est que le dieuen question aurait parlé mais seulement à quelques uns et souvent dans le secret, il y a fort longtemps. J’ai envie de demander : mais pourquoi ne parle-t-il pas aujourd’hui ? N’y aurait-il rien à dire après 2 guerres mondiales, Hiroshima, la guerre en Palestine qui dure depuis si longtemps, le tremblement de terre d’Haïti, ou la catastrophe écologique qui se déploie sous nos yeux ? J’ai en effet constaté que les dieuxparleraient aux hommes dans des moments particuliers de leur histoire. Les dieux tracent un chemin, font des promesses et guident les hommes. Est-ce que ces événements majeurs seraient moins importants que yeux de Dieu que le sort de quelques nomades du passé ? Je suis sûr qu’on me répondrait que Dieu a déjà tout dit et qu’il suffit de décoder les livres sacrés pourconnaître sa volonté. Or, les seuls qui sauraient décoder la volonté de Dieu dans les livres sacrés seraient les membres du clergé. J’écouterais volontiers tout clergé s’il avouait tout simplement : «  ça fait 1000 ou 2000 ou 5000 ans que Dieu ne s’est pas exprimé et nous n’avons donc pas de réponse aux questions essentielles qui se posent à nous aujourd’hui ». Mais au lieu de ça je vois à l’œuvre une escroquerie qui dure depuis des millénaires : un clergé, ungroupe d’hommes, qui en impose aux simples gens en prétendant parler et diriger le monde au nom de Dieu.

Mais peut-être Dieu parle-t-il aujourd’hui encore, comme il le

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faisait jadis et comme il n’a jamais cessé de le faire ? A qui Dieu parlerait-il aujourd’hui ? Au pape ? A l’ayatollah Khamenei ? Au roi du Maroc ou au grand Rabbin de Jérusalem ? A moins que, comme jadis il parle à une personne humble… Que se passerait-il si Dieu s’exprimait à travers un quidam inconnu etsans pouvoir ? Il suffit de lire les textes ou l’Histoire pour découvrir comment les prophètes sont traités par les religions en place. Il y a d’abord tout ceux qui ont été qualifiés de « faux-prophètes » dont la parole, quelle qu’elle soit, a été rejeté et qui ont été mis à mort par des foules haineuses menées par des clergés outrés. Il y a aussi ceux qui ont été admis dans la longue liste des prophètes, souvent a posteriori,souvent après leur mise à mort. Mais encore : Jésus, qui prétendait parler au nom de Dieu, fut crucifié par les juifs, alliés pour le coup avec les romains, sous la condamnation de blasphème. S’il parlait vraiment au nom du Dieu d’Abraham, de Moïse ou de David, pourquoi le clergé juif n’a pas reconnu la parole de Dieu ? Je laisse en suspend cette question pour le moment. Mohamed a écrit le Coran, sous la dictée de l’Ange Gabriel, l’envoyé de Dieu. Là encore une question s’impose : pourquoi ni les juifs, ni les chrétiens n’ont-ils reconnu la parole de Dieu dans les versets coraniques ? Et maintenant, si je recevais une révélation de Dieu et que je m’exprimais publiquement, est-ce que l’une de ces religions me soutiendraitet intégrerait dans son corpus les nouveaux enseignements que j’amènerais ? Il est plus que probable que, comme elle l’ont toujours fait, les religions me condamneraient, et si elles en ont la possibilité me bruleraient sur un bûcher ou me couperaient la tête.

Comment se fait-il que toutes ces religions établies, qui croient dur comme fer au surnaturel, sont si peu désireuses d’absorber tout événement de même nature que ce qui les a fondées elles-mêmes ? La réponse est évidente : les religions sont des pouvoirs terrestres comme les autres, elles fonctionnent selon les mêmes règles que toute autre structure humaine. Tout clergé établi devrait avoir une terreur absolue :que le Dieu dont ils prétendent détenir la clé, vienne s’exprimer et qu’il contredise formellement les interprétationsqu’ils ont élaboré au cours des siècles. Supposons que Jésus survienne brusquement et qu’il déclare ne pas se reconnaître

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dans l’institution catholique. Que deviendrait l’église si les gens le croyaient ?

1.3 La question du pouvoir

Mais tout ceci repose sur le postulat que ces clergés croient réellement en ce qu’ils prêchent. Je ne suis pas sûr que ce soit réellement le cas. Car cette terreur, que j’évoquais précédemment, serait perceptible. Or, au lieu de ça, on voit des gens qui ont une assurance à toute épreuve. Ils n’ont pas de doute, ils cherchent même à persécuter ceux qui s’aventurentà en exprimer.  Comment peuvent-ils être si sûrs que leur Dieu ou leur prophète ne viendra jamais les contredire ? Soit parce qu’ils savent qu’aucun dieu ne s’exprimera jamais, pas plus maintenant que jadis. Soit parce qu’ils ont un orgueil si démesuré qu’ils ne craignent même pas dieu lui-même. Un tel orgueil serait signe d’une grande pathologie évidemment. Et puis qui pourrait renoncer à cette puissance qui consiste à affirmer des choses au nom de Dieu sans que personne ni Dieu lui-même, ne puisse apporter aucun démenti!

La clé du pouvoir sur les esprits est là : prétendre détenir une parole incontestable (qui peut argumenter contre un dieu ?), exprimée il y a fort longtemps, mystérieuse, à bien des égards incompréhensible et contradictoire, nécessitant du coup un clergé qui aurait les compétences pour lire dans les lignes obscures les vérités que personne ne voit.

Que plusieurs religions prétendent occuper ce créneau montre qu’il est très désirable de détenir la parole absolue sur les fins dernières de toutes choses en ce monde. Cette posture est inconciliable. Car pour se concilier il faudrait que chacune des religions reconnaisse la relativité de ses dogmes… Ceci entraine forcément le désir de détruire cet autre qui apporte une contradiction à l’absolu que l’on prétend détenir. L’autre est un impie qu’il faut tuer ou convertir de gré ou de force. C’est pour cela que les religions monothéistes sont des ferments de guerre depuis toujours, en dépit des messages de paix qu’elles prétendent détenir. On le voit d’ailleurs lorsque

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des états, qui se sont mis au service d’une religion, en viennent fatalement à envahir des populations pour les forcer àse convertir ou entreprennent des guerres génocidaires sans fin. Les mots tolérance, respect, diversité, individualité, liberté de conscience, ne sont pas compatibles avec l’absolutisme dont se prétendent ces religions.

1.4 La violence

Croyez-vous que le Coran serait un livre porteur de violence, violence dont seraient exempts les autres livres sacrés ? Erreur totale. Comme dans tous les autres écrits « sacrés » on y trouve des paroles d’apaisement et de sagesse, des paroles depaix et aussi des paroles dures et impitoyables. La Bible contient elle-même des histoires terribles et le dieu qui y estprésenté est tantôt doux, tantôt effroyable. Mais peu importe de toute façon, car ce n’est pas le livre qui fait la religion mais les hommes. Chacun puise dans les écrits sacrés ce qu’il veut. Les progressistes trouveront forcément les messages d’ouverture. Les plus conservateurs trouveront eux aussi tout le grain noir qu’ils voudront moudre. Il ne faut surtout ne pasrentrer dans les querelles d’interprétations. On peut tout trouver dans ces livres « sacrés » et chaque époque, chaque leadeur, mettra l’accent sur ce qui l’arrange. Pareillement, ilne faut pas prendre le discours intégriste à la lettre. Ceux qui prétendent revenir aux fondamentaux appliquent le même processus que toutes les autres mouvances : ils vont chercher dans le livre ce qui semble les confirmer dans leur choix et aprioris. Comme tous les autres, ils taillent, mettent l’emphase sur ce qui leur semble essentiel, bref ils recréent la religion selon leur besoin. Ces fondamentalistes revendiquent une lecture d’une religion mais ce n’est souvent qu’une couverture pour masquer ou justifier leurs actes crapuleux. 

Quoi qu’il en soit la violence, comme nous l’a montré le XXème siècle n’est pas l’apanage des religions. La violence c’est leshommes, qu’ils brandissent une Bible, un Coran, le petit livre rouge ou « Mein Kampf ». Cependant les religions monothéistes

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ont une dimension apocalyptique. C'est-à-dire qu’elles annoncent et attendent l’avènement d’un monde dirigé par Dieu. Les plus impatients voudront précipiter l’arrivée de ce temps béni où les justes sont récompensés et les mécréants châtiés. Les plus impatients seront donc amenés à faire appel à tous lesmoyens possibles y compris, et surtout, la violence. 

1.5 Le bien

Il y a des gens de bien partout dans le monde, quelle que soit la religion en vigueur et il y a bien sûr des personnes qui font le bien sans aucune référence religieuse. Certains commentateurs diront que la bonté de l’un est plus vraie que celle de l’autre. Là aussi évitons ces faux débats. Est-ce que l’acte généreux ou la parole de bonté sont plus authentiques s’ils sont sans référant religieux ou idéologique? Est-ce que la soupe donnée à un sans-abri crevant de froid est meilleure ou plus juste si c’est un employé municipal qui la donne, faisant simplement son travail, ou si c’est un chrétien ou un musulman qui fait œuvre de prosélytisme ou qui veut gagner les faveurs de son dieu ? 

Mais ne soyons pas naïfs : les hommes ne font pas naturellementle bien. Il faut être éduqué, sensibilisé, il faut faire rentrer le souci de l’autre en chacun de nous, car nous sommes,de base, plutôt remplis du souci de nous-mêmes. C’est là une question d’éducation. Les religions portent généralement des valeurs d’altruisme mais la fraternité peut être enseignée dansles écoles publiques. La charité, l’altruisme et le respect auxautres sont des valeurs qui ne sont pas l’apanage des religions, elles peuvent être enseignées par l’état. En fait lecœur de toute religion c’est le rapport à Dieu et, là, l’état ne peut rien dire.

1.6 Les religions en guerre

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Les religions se créent en réaction les uns contres les autres : le christianisme contre le judaïsme qu’il juge trop formaliste et pas assez intérieur. L’Islam contre le Christianisme qu’il juge trop éthéré. Le Bouddhisme contre l’Hindouisme. Le Taoïsme contre le Confucianisme. Etc… On peut aussi constater que les courants fondamentalistes de tous poilsse créent en réaction à des religions qui s’accoutumeraient un peu trop de la modernité et aussi contre la dérive athéiste du monde occidental, vécue comme une offense impardonnable à Dieu.

Il faut aussi évoquer la lutte que ces religions engagent contre l’individu. Pour elles, il n’y a pas de pire ennemi que l’individu libre. Il faut se rappeler comment le pape pris position contre la liberté de conscience pour comprendre que cen’est pas, là, l’apanage des musulmans.  Les clergés sont absolutistes. L’individu libre est un danger car son exemple peut être vite contagieux et, si on laisse faire les choses, bientôt c’est toute la société qui bascule dans ce qu’ils nomment l’incroyance. Or l’incroyance c’est avant tout la perted’influence, la perte de pouvoir des clergés, ce qu’ils redoutent le plus. Détenant la vérité ultime les clergés se sentent fondés à régenter la vie de tout le monde. Ils établissent des règles, des coutumes, des tabous, des interdits. Cela permet de reconnaître ses ouailles. Un étranger, qui ne connaît pas ses règles et les transgresse, estvite repéré. Les fautifs sont punis, ce qui renforce la communauté des croyants. Les clergés jouissent de ce pouvoir sur les personnes de façon éhontée. Ils adorent s’immiscer dansl’intimité et régenter les « fidèles » jusque dans leur lit. Ils adorent marquer dans le corps, de façon indélébile, l’appartenance à une religion par exemple par le circoncision ou, pire encore, l’excision. Les clergés sont une affaire d’hommes. C’est, là, la signature imparable qui révèle que cette structure existe pour établir une domination – historiquement masculine.  Les prophètes sont en général des hommes. Dieu a toutes les caractéristiques viriles, surtout dans ses accents guerriers. De ce fait toutes ces religions onten commun la volonté de réduire les femmes en esclavage, au profit des hommes. On se méfie des femmes qui donnent la vie. On se méfie de la séduction qu’elles exercent auprès des hommes. Fragilisées et affaiblies par la société, ce n’est pas encore assez. On voudrait qu’elles n’accèdent pas à

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l’éducation. Car une femme intelligente et éduquée pourrait fort bien démonter le discours machiste qui imprègne le discours religieux et donc en révéler l’origine humaine, terriblement humaine. Tout ce que les religions veulent de leurs fidèles : obéissance, dépendance, soumission, foi aveugle, discipline, ignorance, incapacité à contredire ou argumenter, inculture, crédulité, elles le veulent encore plus de leurs filles.

1.7 Le holisme

Nous autres occidentaux, surtout en Europe, nous voyons dans leretour du religieux le terrible retour de l’holisme, cette société ou la communauté prime sur l’individu. Celui-ci doit seplier aux injonctions sociétales, portées par les autorités, les voisins, les parents, les frères. Nous y voyons une terrible oppression de l’individu, en oubliant un peu vite que notre propre société fonctionnait ainsi il n’y a pas si longtemps que cela. Evidemment du point de vue adverse c’est lecontraire qui se passe : la personne livrée à elle-même est perdue et sans repère, elle a besoin d’être cadrée, dirigée, corrigée, protégée contre ses propres démons. La puissance de la foule des croyants n’est donc pas une oppression mais guide et sagesse. La personne qui cherche à échapper à Dieu est un danger pour elle-même et pour les autres. 

Opposer holisme à individualisme est cependant un peu trop simple. Ne pas oublier l’imprécateur qui dirige la foule. L’holisme n’est pas fondamentalement une aliénation. La foule réconforte, porte, intègre, libère le quidam du poids de sa propre responsabilité. Beaucoup préfèrent se fondre dans cette masse sécurisante malgré tout et libératrice des angoisses qu’engendre toute liberté individuelle. Les gens en manque d’amour (sous toutes ses formes, de la plus éthérée à la plus intense) trouvent refuge dans les religions et leur communauté absorbante. Mieux vaut croire être aimé d’un Dieu invisible - que la foule croyante semble rendre si présent - que réaliser vivre une vie pitoyable. Ces mouvements ne sont jamais

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entièrement holistiques. Ils sont dirigés, infantilisés et manipulés comme tout mouvement de foule. Les études sociologiques l’ont bien montré.

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Chapitre 2 : L’HOMME DEBOUT

2.1 Les philosophes

Il n’existe pas de vérité mais des opinions...

C’est ce que je me suis dit en lisant les positions divergentesde philosophes sur un thème donné. Par exemple le sujet de l’esprit et la matière : dualistes, monistes, matérialistes et autres proposent tous des arguments qui ont tous une logique convaincante. Ils s’opposent, se contredisent et tous leurs arguments sonnent justes. On adhérera à une thèse plutôt qu’uneautre selon sa sensibilité. Au final nous nous faisons notre opinion, exactement comme l’a fait chacun de ces philosophes.

Cela m’amène tout de suite à la réflexion qu’un discours logique, raisonnable, argumenté, étayé d’expériences (elles mêmes récits) ne peut pas être pris pour l’expression de la vérité. Je ne parle évidemment pas ici des vérités mathématiques et scientifiques telles « le soleil tourne autourde la terre » (bien que l’on pensât différemment pendant des millénaires). D’ailleurs toute vérité scientifique contient en germe la possibilité de son renversement au fur et à mesure de l’avancement de l’expérience scientifique.Raisonnement n’est donc pas synonyme de vérité. Tous les argumentaires de ces philosophes sont bien construits. S’il n’en existait qu’un, il pourrait passer pour l’expression de lavérité. C’est la profusion des discours, aussi logiques qu’ils soient, qui fait douter qu’ils soient, individuellement ou collectivement, l’expression de la vérité.

On dit parfois qu’ils portent tous une part de vérité. Autant dire, plus prosaïquement, que ce sont des opinions que l’on

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tient pour intéressantes, des exercices intellectuels qui alimentent notre propre réflexion, qui nous forment et pour lesquels nous avons de l’estime, mais rien de plus. Une part devérité n’est pas la vérité absolue, convenons-en. Cela peut même être son inverse : un terrible aveuglement ! Soit ces discours s’annulent tous ou suscitent une confusion telle que l’on se retrouve sans réponse devant les questions qui nous hantent, soit ils déclenchent en nous une nouvelle réflexion, synthèse ou antithèse des réflexions existantes – auquel cas onrajoutera une nouvelle théorie, une nouvelle opinion, à la liste existante. Evidemment on voudrait, comme tous les autres avant nous, dégager la vraie vérité. On y croira jusqu’à ce qu’on soit vite contredit par de nouveaux opposants tout aussi légitimes.

On dira aussi que nous ne sommes peut-être pas capables d’exprimer la vérité absolue mais cela ne remet pas en questionle fait que celle-ci existe en dehors de nous et de nos insupportables limites. Mais cela est loin d’être un fait acquis. D’accord pour reconnaitre nos limites humaines. Mais pourquoi avons-nous tant besoin d’affirmer le dogme de l’existence d’une vérité absolue ? Le monde est plus grand que nous évidemment. Mais pourquoi projeter sur le monde ce désir de vérité absolue qui semble prendre naissance dans notre esprit ? Et en quoi cela nous avance-t-il si nous reconnaissonsqu’elle nous serait inaccessible, du fait de notre finitude et de nos limites ?

2.2 Et puis Dieu

Le leurre est peut-être là dans ce concept de vérité absolue, un concept qui a deux effets. Le premier est de jeter une ombresur toutes nos théories qui, tôt ou tard, apparaissent pour ce qu’elles sont : des opinions plus ou moins biens construites, plus ou moins convaincantes, souvent liées à un certain air du temps. Et finalement révocables. C’est un effet bénéfique qui nous permet, un jour ou l’autre, de renverser des dogmes qui nous ont opprimés trop longtemps. Le second effet c’est que l’on ressent inévitablement la nécessité de concevoir un refuge

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pour y loger cette vérité absolue. Un refuge, un ailleurs qui ne peut être souillé par notre bassesse ou nos pauvres moyens. C’est là que Dieu intervient, le détenteur de cette vérité ou vérité lui-même avec laquelle il se confond. Un Dieu aussi inaccessible que cette vérité, lui-même absolu, vraie cause de tout ce qui existe, pureté primordiale (car non altérée par noslimites), transcendance ou immanence, entité despotique finalement.

Si ce Dieu restait sagement dans cette dimension inaccessible il n’y aurait pas de problème. Nous nous débrouillerions comme nous le pourrions avec nos erreurs réciproques. Malheureusementnous avons affaire à un Dieu interventionniste, qui veut conduire nos affaires comme il l’entend. Des paroles de vérité absolue seraient ainsi distillées savamment à une humanité bornée et pécheresse.

2.3 Un projet de domination

Evidemment tout cela est une fiction. Le fait que nous avons droit à plusieurs « révélations » contradictoires nous met sur la piste d’un processus bien connu : celui, évoqué plus haut, des théories philosophiques en compétition que rien ne permet de départager. Comme celles-ci, les religions se disputent la posture despotique de celui qui détient la vraie vérité, jetantau passage l’anathème sur les concurrents accusés de mensonge ou d’erreur. Or si le monde des philosophes s’est plutôt cantonné de fait à une seule sphère intellectuelle – la qualitédes philosophes a été de réfléchir, proposer, débattre mais jamais ou rarement imposer – il n’en est pas de même des religions qui ne s’embarrassent guère de scrupules intellectuels, bannissent le doute et exaltent les passions humaines.

Les philosophies avaient la prétention de rechercher la vérité absolue en posant les questions essentielles qui travaillent l’humanité depuis toujours. Mais l’humilité des philosophes, ces intellectuels ouverts au dialogue, a été balayé par les clergés sans scrupules pour qui l’idée de débat n’est

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acceptable que sur des questions secondaires – car les dogmes ne peuvent être questionnés s’ils sont l’expression de Dieu ou,comme on l’a vu, de la vérité absolue. De fait le vrai ennemi d’un clergé ce n’est pas un autre clergé, c’est avant tout l’homme trop libre, trop instruit, celui qui pose trop de questions.

On voit souvent des clergés que tout semble opposer, s’unir contre les velléités de l’homme moderne, qu’il soit législateur, artiste ou écrivain. Vive l’ignorant, le crédule, l’immature! On le voit, le projet religieux est à l’opposé du projet philosophique qui voulait rendre l’homme libre. Si le religieux évoque la liberté c’est pour mieux la réprouver (la liberté de l’homme serait de choisir Dieu ou se perdre).

On devine que le vrai projet des religions c’est la domination des hommes. On retrouve ce processus dans le libéralisme économique, qui a la prétention scientiste de posséder une vérité unique à laquelle tous les pays doivent se plier, faute de quoi les moyens de coercition existants (FMI, Banque Mondiale, etc…) sont mis en œuvre. Le communisme, avec sa dialectique matérialiste n’avait pas d’autre prétention que celle-là : se déployer dans le monde entier. C’est ce qui se produit inévitablement lorsqu’on croit détenir la vérité absolue : on veut conquérir le monde entier, on envoie ses missionnaires, ses experts économiques ou ses commissaires du peuple, on ne supporte aucune contradiction et on soumet les barbares qui ne nous suivent pas de leur plein gré.

Le fait religieux est universel. C’est que le besoin de croire est universel. Le besoin de faire confiance, de déléguer, d’être rassuré, d’avoir un but, d’avoir des réponses aux questions impossibles (comme : « pourquoi j’existe »), le besoin de valeurs auxquelles se référer, ce qui est bien, ce qui est mal, le besoin de structurer la vie sociale. Tous ces domaines sont investis par les religions jusqu’au moment où l’état prend la relève, auquel cas elles se réfugient dans le spirituel pur.

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2.4 Dietrich Bonhoeffer

Dietrich Bonhoeffer signalait que le christianisme s’adressait à l’homme immature. Dans ses derniers écrits il s’interrogeait sur la nécessité de créer un christianisme sans religion, mais il n’a malheureusement pas eu le temps de développer sa pensée,ayant été exécuté par les nazis. Evidemment en tant que pasteur, Bonhoeffer ne remettait pas en cause l’absolu qui est au cœur de la foi chrétienne. Cependant l’idée est intéressantecar elle prolonge cette sécularisation déjà à l’œuvre jusqu’au bout, en pariant sur la maturité de l’homme moderne ou en la suscitant, et en se débarrassant au passage d’un clergé devenu inutile. Il est fort à parier qu’aucun clergé institué n’auraitété dans son sens s’il avait pu poursuivre sa réflexion !

Je dois maintenant compléter ma proposition initiale : il n’existe pas de vérité mais des opinions… et des histoires. Nous adorons les histoires, les récits fondateurs et initiatiques, les contes aux contenus cachés. Nous adorons les promesses qui font rêver. Quoi de plus réconfortant que d’imaginer que le bien, s’il n’est pas récompensé sur la terre,le sera au paradis ? Comment mieux surmonter le deuil qu’en imaginant le disparu finalement heureux au paradis ? Nous adorons aussi avoir peur. Imaginer les châtiments qui nous tomberaient dessus si nous fautions…

Mais les promesses et les menaces sont des outils qui ne peuvent marcher que sur un public immature. L’homme debout (pour reprendre une expression de Bonhoeffer) agit par lui-même, selon des choix et des connaissances. Il n’a pas besoin de menaces ou de promesses pour avancer. Le comportement vraiment moral est celui qui est motivé par une décision intérieure, non pas celui qui répond aux injonctions qui viennent de l’extérieur. Non pas qu’on doit s’imaginer que l’homme serait moral d’emblée. Il est évidemment d’abord fondamentalement occupé de lui-même, hostile ou indifférent auxautres. Et c’est l’éducation, par l’exemple plus que par de belles paroles, qui vont l’amener à une forme d’altruisme qui permet la vie en société.

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2.5 L'homme à genoux

L’éducation est une charge qui incombe à l’état. Les religions ont pu jouer ce rôle pendant un temps. Mais, si l’état cherche à former le citoyen pour qu’il devienne un homme debout, autonome et responsable, la religion a plutôt tendance à maintenir l’homme à genoux, celui qui craint et rêve, celui quiobéit ou s’expose au châtiment. Le projet d’asservissement est au cœur de toutes les religions et les systèmes politiques qui fonctionnent sur le même modèle. Il n’est pas question qu’au bout d’une période d’apprentissage le croyant n’ait plus de compte à rendre au clergé ! Après tout il serait logique dans cette optique que le croyant, une fois formé, n’ait plus à rendre de compte qu’à Dieu. Mais non, il faut évidemment qu’il reste dépendant des sacrements, des prêches, des confessionnauxet du jugement de ses pairs. On ne peut mieux rendre dépendant un croyant qu’en le soumettant à des injonctions complexes, contradictoires ou impossibles à satisfaire. Les textes sacrés doivent être évidemment suffisamment obscurs et contradictoirespour éviter que le fidèle soit capable de déterminer par lui-même les bonnes conduites. Ceci renforce la dépendance à une autorité qui, en tant que dépositaire d’une parole divine, autrement dit la vérité absolue, prétend maîtriser les fins dernières, ceci incluant le salut de l’âme du croyant…

Oui, comme les petits enfants, nous adorons les histoires. Les religions en regorgent des plus instructives au plus merveilleuses en passant par les plus incompréhensibles. Les miracles, les non-sens, les contradictions sont des signes volontaires qui rappellent au croyant sa condition d’être humain fondamentalement imparfait, tout en évoquant une autre réalité que la réalité empirique, celle que nous expérimentons tous les jours, histoire de rappeler que l’on parle d’un autre monde, inaccessible, dans lequel tout est possible… à Dieu.

Insécurisés, nous adorons abdiquer des pans entiers de notre liberté au profit de ceux qui nous apportent un peu de réconfort et de sentiment d’appartenance, déposant au passage le lourd fardeau de la responsabilité, nous reconnaissant

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faillibles et faibles et donc assez irresponsables.

Mais l’homme doit-il toujours être cet être qui s’agenouille devant toutes les puissances, celles bien réelles de ce monde ci et celles prétendument encore plus impressionnantes de l’autre monde ?

2.6 L'homme debout

L’homme debout doit pouvoir accepter les frustrations, notamment ses limites dans sa compréhension du monde.  Ceci ne devant pas l’empêcher de travailler sans relâche à les repousser. Par exemple il peut continuer à s’interroger sur la matière et l’esprit, comme les anciens philosophes, en se nourrissant des apports de la science même si, au bout du compte, il y a peu de chance qu’on puisse jamais trancher la primauté de l’un sur l’autre - si tant est que la question est pertinente (je remarque simplement que prétendre que l’esprit précède la matière permet de planter un décor qui sied bien à toutes ces religions).

Il doit pouvoir supporter de ne pas savoir ce qu’il y a avant, ou après et le pourquoi de tout cela. Après tout n’est-il pas logique que ces questions ne puissent être répondues à notre niveau ? Notre pensée est le miroir qui réfléchit le monde danslequel nous vivons. Ne sommes-nous pas présomptueux de croire qu’il puisse aussi réfléchir un monde que nous ne voyons pas, si tant est qu’il existe ? Renoncer à ce désir un peu fou nous permettrait au moins de démonter les discours de tous ceux qui prétendent, eux, détenir les clés, les visions, les paroles, les révélations sur cet autre monde dont ils affirment l’existence et même la primauté, et dont dépend toute leur puissance sur les esprits en ce monde…

L’homme debout doit pouvoir surmonter les souffrances et les pertes qui sont inhérentes à la condition de tout être vivant. Il ne doit pas redouter de prendre toutes ses responsabilités, avec tous les bémols qui vont avec car il n’est certes pas toutpuissant, et profiter ainsi de toute sa liberté. Il ne devrait

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avoir de compte à rendre qu’à lui-même, à sa conscience et à lajustice des hommes. C’est bien assez sans qu’en plus on lui impose une pseudo-justice divine – le dieu en question devrait être assez puissant pour faire sa justice lui-même, n’est-ce pas ?

Il doit pouvoir supporter la diversité, comme donnée incontournable de la vie. Il doit supporter que les choses sonttoujours plus complexes que ce qu’il perçoit lui-même et que toute vie en société implique l’art du compromis, de la négociation, du respect de tous par tous. Il faut qu’il sorte d’un paradigme faussement uniforme, cette vérité absolue qui supplanterait tout le reste. Derrière tous ces efforts d’uniformisation il y a toujours un projet totalitariste.

Enfin l’homme debout doit surtout pouvoir se définir pas son action et sa présence dans le monde et non pas par son appartenance à un groupe qui lui fournirait une identité par procuration. Les personnes souffrant dans leur identité ont tendance à s’agglomérer à un groupe qui leur apporte le sentiment d’existence qui leur fait défaut. L’homme debout doitsupporter une certaine solitude

Chapitre 3 : DANGERS DE L’IDEALISME

3.1 Idéalisme et réalité

Entre les bigots extrémistes d’un côté et les hussards matérialistes de l’autre il est difficile de tracer un chemin original. Et pourtant c’est ce que je vais tenter dans ce nouveau chapitre de ma réflexion sur le fait religieux.

Les religions ont été utilisées ou ont été le prétexte de toutes sortes d’abus, incluant les guerres, les tortures et

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toutes sortes d’atteintes à la dignité humaine. C’est un fait historique et malheureusement toujours d’actualité. Par ailleurs, la notion de laïcité est récente et propre aux pays occidentaux profondément travaillés par le message évangélique.C’est également un fait incontestable. On peut aussi faire le constat déplorable que des idéologies matérialistes aussi opposées que le nazisme et le marxisme à la chinoise, à la russe ou à la coréenne ont montré que toute croyance ou systèmede pensée pouvait être le support de la plus effroyable violence qui soit. En clair, se débarrasser des religions ne génère pas un monde meilleur, contrairement à tout ce que l’on aurait pu espérer.

Ceci nous amène à constater que le message explicite d’un système de pensée ou de croyance n’a aucune importance au regard de la violence qui, invariablement, se déchaine dans le monde, aujourd’hui autant qu’hier. Des hommes prêchent une religion d’amour et de pardon et dans le même temps créent la Sainte Inquisition, les croisades, les pogroms et toutes sortesde guerres de religion, y compris entre chrétiens se revendiquant du même enseignement. D’autres hommes, se revendiquant d’une pensée scientifique, annoncent le bonheur prochain de l’humanité par la suppression de l’injustice et la partage égalitaire des fruits du travail tout en mettant en place des goulags et des camps de rééducation, la terreur politique, le soupçon généralisé et apparaissent alors de nouveaux privilèges réservés à la nouvelle élite révolutionnaire.

Ces constats nous permettent de comprendre que les accusations réciproques ont toutes quelque fondement, car ces événements tragiques ont bien eu lieu et, sous une forme ou une autre, ilscontinuent de nos jours. Mais dans le même temps chaque camp continue chaque jour à se revendiquer d’une charte aussi immaculée qu’au premier jour. Les communistes d’aujourd’hui peuvent déplorer les terribles déviances des régimes communistes, ils n’en restent pas moins attachés à l’idéal de communauté égalitaire et fraternelle. De même les religieux d’aujourd’hui (les moins extrémistes, en tout cas) prennent évidemment leur distance avec les exactions du passé. Ils n’en restent pas moins persuadés que le message évangélique reste tout aussi valable aujourd’hui qu’hier.

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Tout semble montrer qu’une croyance ou un système de pensée peut vivre indépendamment de toute application concrète dans lemonde réel et survivre donc aux pires exactions qu’il a pu inspirer. Le texte « sacré » (il n’est sacré que pour ses adeptes, évidemment) peut préconiser la violence ou la proscrire totalement mais le résultat est le même. Pour autant,les textes, même les plus inoffensifs en apparence, ne peuvent pas être exonérés des conséquences concrètes résultant de leur mise en pratique. L’évangile est très beau mais les missionnaires y trouvent tout ce qu’il faut pour justifier le prosélytisme de conquête le plus ravageur. Le manifeste communiste porte un projet de réduction des injustices plutôt séduisant mais tandis que le progrès de l’humanité est recherché, l’être humain ne semble plus être qu’un maillon éventuellement interchangeable ou réformable, et ceci conduit invariablement aux exactions que l’on connait.

3.2 La religion de l’ultralibéralisme

Le système de pensée dominant aujourd’hui est l’ultralibéralisme économique qui se prétend science. Toute contestation est aussitôt qualifiée d’archaïsme. Cette pensée unique se répand dans le monde entier à la faveur de la mondialisation. Ses principes ont été essayés au Chili de Pinochet dans les années 70 (lire La Stratégie du Chaos de Naomi Klein). La Chine soi-disant communiste s’y est ralliée, tout comme le Russie, dès les années 90. Des instances internationales ont été mises en place pour veiller au bon déploiement de la doctrine etpunir ceux qui voudraient y échapper : FMI, Banque Mondiale, OMC et autres G8 pour ce qui concerne la partie visible de l’iceberg.

On trouve dans ce système de pensée tous les ingrédients qui ont fait le succès des doctrines antérieures : des textes sacrés et des gourous (cf. l’Ecole de Chicago : Milton Friedmanet d’autres économistes dont plusieurs Prix Nobel d’Economie), des armes redoutables (agences de notation, rapports du FMI, banques) et l’inévitable violence dans sa mise en œuvre :

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paupérisation, dépendance financière, perte de l’autosuffisancealimentaire, disparition progressive des services publics au profit d’institutions privées et dévaluation de toutes les institutions démocratiques car les vraies décisions sont désormais prises par des instances privées. Ce dernier point peut faire craindre l’émergence de régimes anti-démocratiques même dans des pays qui se croyaient à l’abri, comme en Europe. Car, de fait, il apparait que la nouvelle doctrine est compatible avec une dictature. Ce qui doit être libre c’est le marché, pas forcément les personnes humaines. On constate que cet ultralibéralisme économique produit les mêmes effets que lecommunisme le plus dur : émergence d’une élite qui contrôle le système pour son seul profit, asservissement de la plus grande partie de la population à un projet qui la dépasse et déploiement de moyens coercitifs implacables tels un système judiciaire de plus en plus au service des puissants, un systèmemédiatique qui endoctrine et agite toutes les peurs à même de donner l’impression que l’on ne peut rien faire pour changer les choses. Sans oublier le poids de la dette.

Le concept de « crise » est habilement utilisé pour maintenir les populations sous pression. En raison de la crise on fait admettre tous les sacrifices au plus démunis. Evidemment on évoque une sortie du tunnel pour bientôt, un avenir radieux quechaque jour repousse au lendemain, et même si cela fait plus dequarante ans que c’est comme ça il n’y a pas de raison de croire que nous en sortirons un jour. Moi je vois là un artifice pour faire admettre la régression des droits et des libertés. L’idée de progrès qui annonce une meilleure qualité de vie a été remplacée subrepticement par l’idée de richesse exponentielle, une approche purement quantitative.  De toute façon les lendemains risquent bien ne de jamais être aussi glorieux qu’annoncés avec la raréfaction des ressources naturelles qui suivra inévitablement le gaspillage actuel.

Cette religion moderne comporte aussi sa part de mysticisme lorsqu’elle invoque la « main invisible du marché », cette force mystérieuse qui, de la somme des intérêts égoïstes, générerait un bien qui profiterait à tous. Encore une fois, rien ne fera vaciller la foi des plus acharnés de cette nouvelle orthodoxie. Les résultats ne sont pas au rendez-vous ?Ils dénonceront aussitôt toutes ces impuretés qui ont empêché

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leur modèle de fonctionner correctement : encore trop d’Etat évidemment, encore trop de droits sociaux, encore trop de protection… Il y aura toujours une donnée impure pour expliquerla faillite de leur modèle. Le nouveau Dieu s'appelle Economie et on voit tous les gouvernements du monde trembler à l'idée des'exposer à son courroux s'ils s'écartaient de la vérité. Mais,comme pour les religions traditionnelles, ce sont les prêtres (économistes, commentateurs, banquiers de l'ombre, cabinets d'influence...) qui tirent les ficelles...

Et là je repense encore à l’ouvrage de Naomi Klein qui montre, avec des exemples réels pris dans l’actualité, combien ces finsstratèges rêvent d’un monde d’après le chaos, dont le passé serait totalement effacé (c'est-à-dire tout ce qui a été mis enplace par les hommes pour rendre la vie supportable et plus juste) et des hommes hagards incapables de s’opposer. Il suffirait alors de tout rebâtir proprement selon les principes merveilleux de leur doctrine sans rencontrer aucune résistance.A ce point, on entend presque les versets de L’internationale :"du passé faisons table rase…"

On est encore une fois en terrain connu : un idéalisme forcené qui se heurte à une réalité rétive. Vérifions cela encore une fois. L’Inquisiteur outragé se heurte à l’Huguenot qui refuse de reconnaitre l’autorité de l’Eglise romaine. Comment cet hérétique peut-il s’opposer ainsi à ce qui tombe pourtant sous le sens, cette vérité divine dont l’Eglise est investie ? Il nereste plus qu’à le brûler sur un bucher puisqu’il refuse la vraie religion de l’amour…. Et ce Commissaire du peuple ne comprend pas, à moins qu’il feigne ne pas comprendre – qui sait ? – que cet opposant politique, cette crapule antirévolutionnaire, ne veuille pas le bien de l’humanité, qui passe évidemment par l’obéissance au parti et à ses glorieux chefs ? Il ne reste plus qu’à l’envoyer en camp de rééducation pour le briser et le convertir de force à la bonne cause ou pour qu’il y meure. Ne croyons pas que l’époque moderne soit plus douce. La façon dont la troïka (Union Européenne, FMI et Banque Centrale Européenne) a traité le peuple grec est la démonstration flagrante qu’une idéologie utilise tous les moyens à sa disposition, y compris les plus violents, pour essayer d’imposer ses vues à des peuples qu’elle juge désespérément bornés. On voit aussi que les institutions

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démocratiques ne peuvent pas s’y opposer.

3.3 La laïcité

Je ne fais pas de différence entre religion et idéologie quand il s’agit d’examiner leur fonctionnement et leurs ravages dans la société. Dans les deux cas le système repose sur la foi aveugle des adeptes et le refus pathologique d’envisager une quelconque alternative. Dans les deux cas on ne veut voir qu’une vérité, suffisamment désincarnée pour ne pas être entachée par les vicissitudes du monde, un seul modèle qu’il faut faire entrer par tous les moyens dans le monde réel. Et comme le monde n’est pas si facilement modifiable on en vient aux moyens les plus violents. La fin justifie les moyens.

On est loin d’avoir exprimé ici le mystère de la violence et detous les mécanismes qui y conduisent. Mais l’idéalisation est un processus invariablement efficace qui produit de la violence.

C’est pour cela que je soutiens la laïcité de toutes mes forces. La laïcité, contrairement à toutes ces idéologies et religions qui s’opposent mais qui fonctionnent en fait de la même manière, ne propose aucune idéologie ni aucun paradis. Il est faux d’opposer laïcité et religion comme on l’entend souvent. Sous-entendu : la laïcité serait un autre type de croyance, mais une croyance quand même. On peut opposer la laïcité aux religions et aux autres idéologies seulement sur lafaçon dont elles vont impacter les sociétés. La religion ou l’idéologie est fondamentalement totalitaire, elle promeut une vérité à laquelle elle veut soumettre, elle ne veut autoriser aucune alternance. La laïcité est au contraire la tolérance de toutes les croyances, ceci est possible car elle n’apporte ou ne défend aucune croyance particulière. Elle ne préjuge d’aucune vérité et, de ce fait, elle laisse toute liberté à chacun de se faire son idée, d’être en recherche sans jamais être contraint ou condamné pour hérésie (que ce soit sur un plan religieux, idéologique ou économique). De ce fait la laïcité est l’état qui permet l’existence de tous, avec un égal

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traitement, et ainsi elle respecte pleinement la liberté individuelle. La laïcité, ce n’est pas la seule neutralité, c’est la culture du respect.

Nos sociétés modernes sont en train de perdre cet acquis de la laïcité car la nouvelle doxa économique impose ses règles dans tous les domaines et, comme par hasard, elle fonctionne sur le même mode totalitaire que toutes les idéologies que nous connaissions. Nous ne nous rendons pas compte de ce changement de paradigme parce qu’il est insidieux. Mais il est puissant. On voit en effet comment des régimes qui devraient être complètement opposés à ce système y succombent finalement, au fur et à mesure que leurs élites sont formées au même moule de la même pensée unique.

Le combat pour la laïcité est loin d’être acquis. On s’est rendu compte que rien ne peut faire changer d’avis les plus fanatisés des croyants, qu’ils soient religieux, idéologues ou économistes. Ils ne perdent leur influence que lorsque les « fidèles » se détournent d’eux, souvent tout simplement parce qu’une nouvelle croyance les attire. Ce n’est pas ce que je voudrais pour nous tous. Nous ne sommes pas obligés de nous coaliser à telle ou telle idéologie ou tel ou tel leader pour exister. Nous pouvons choisir d’être libres. C'est-à-dire : refuser notre endoctrinement, refuser d’être seulement des suiveurs. Et nous mettre nous-mêmes en mouvement.

On ne sortira pas de l’ultralibéralisme en créant une idéologieconcurrente ou en ressuscitant les vieilles lunes qui n’ont pasmarché. On s’en débarrassera en cultivant notre esprit de résistance. La désobéissance civile, en refusant de nous plier aux injonctions de consommation frénétique et insensée, sera forcement efficace car tout le système repose sur notre consentement tacite, notre contribution plus ou moins volontaire, nos petites abdications, le fait que nous acceptions d’être un petit rouage de cette énorme machine à broyer l’être humain.

Tout est à réinventer. La sobriété au lieu du gaspillage généralisé. La solidarité au lieu de la concurrence. La bonté au lieu de l’agressivité. Le respect au lieu de l’abus. La liberté de conscience au lieu de l’endoctrinement. Et puis

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cette laïcité que nous héritons de l’histoire et que nous devons transmettre comme un trésor précieux aux générations futures.

Nous avons aussi le droit d’inventaire. Tout ce qui existe, religions, idéologies et systèmes de pensée fait partie du patrimoine commun de l’humanité. Comme dans tout on y trouve debien et du mauvais. Puisons-y tout ce qui peut nous être utile.Mais ne succombons plus jamais à l’attrait de l’idéalisme maintenant que nous avons compris tout ce dont il est capable.

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Chapitre 4 : REGARD SUR LE CHRISTIANISME

4.1 Remarques préliminaires

Je ne prends pas à la lettre les évangiles, l'ensemble du Nouveau Testament et la Bible. Par exemple je comprends les miracles ou les récits d'enfance comme étant des allégories quiveulent exprimer quelque chose, mais je n’y vois pas le récit d'événements réels. Je me rappelle un prêtre jésuite qui affirmait que : "le surnaturel n'existe pas". Et j'étais d'accord avec ça. Les récits de guérison miraculeuse et de résurrection me semblent appartenir à la même catégorie. La résurrection de Jésus est une bien belle histoire mais c'est quelque chose sur lequel je préfère ne pas me prononcer. Ce quime dérange en effet c'est que cela semble annuler la Passion, or c’est l’évènement le plus porteur de sens à mon avis.

Ce qui me semble important donc ce sont les paroles que Jésus aprononcé, son exemple de vie et surtout le récit de sa Passion,qui occupe une place énorme dans les Evangiles et dans l'imaginaire de centaines de générations.

Les évangiles sont souvent confus, comme tout texte religieux. Ils se répètent l'un l'autre, se complètent et parfois ils se contredisent. Le Jésus de l'évangile selon St Jean, est très différent du Jésus des évangiles synoptiques. Il y est particulièrement bavard et théoricien. J’y perçois l'effort de démonstration de disciples qui veulent convaincre le monde intellectuel d’alors en utilisant les mêmes figures de rhétorique. Cet évangile me semble le plus construit, le plus intellectuel et le plus mystique, comme si le travail de la foi

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avait fait son œuvre dans l’esprit de ces disciples - cet évangile étant écrit bien plus tardivement que les autres. Il contient pourtant des passages essentiels qui ne sont pas rapportés ailleurs, ce qui fait qu'on aurait tort de vouloir l'écarter.

Tout ce qui est écrit dans l'évangile pour démontrer que Jésus est un Dieu me semble être l'expression de la foi des disciplesqui les ont écrits. Plutôt que les suivre sur ce chemin-là je préfère m'interroger sur ce qui les a conduit à cette foi. Je pense d'ailleurs que l'époque dans laquelle nous vivons est très différente, nos attentes et nos espoirs ne sont pas les mêmes que ceux des gens simples qui ont accompagné Jésus dans sa vie et sa mort. Par exemple, nous ne pouvons plus écouter sans sourciller les récits merveilleux, notre cartésianisme estpassé par là et c'est tant mieux.

Je voudrais aussi avertir mon lecteur éventuel que je prends lechristianisme, et au-delà toutes les religions ou systèmes de pensée, au sérieux. J’ai passé de nombreuses années à lire des écrits de sources très variées et je me suis immergé avec sincérité dans le milieu croyant avec esprit d’ouverture et beaucoup de curiosité. Je n’adhère pas aux discours superficiels qui prétendent que toutes les religions diraient la même chose ou seraient une émanation de la pensée primitive.Mettre un signe égal entre les religions ou prétendre qu’elles ne valent rien est tout simplement de l’arrogance ou de la paresse intellectuelle. Chaque religion apporte quelque chose, son propre message, et répond à un besoin essentiel au fonctionnement de l’esprit humain. Je ne sais pas si les religions révèlent une dimension spirituelle du monde mais, en tout cas, elles témoignent à leur manière du génie humain. J’aidéveloppé plus tôt comment des systèmes de pensée tout à fait laïcs fonctionnaient exactement comme les croyances anciennes avec leurs cultes, leur vérité indétrônable et leurs gourous (voir chapitre précédent). Ils n’ont donc pas de leçon à donner aux croyants même s’ils ont tout à fait raison d’exercer leur sens critique - ce que tout croyant devrait faire également.

Il y a une doctrine que je ne comprends pas du tout. Je préfèrel’évacuer de suite. Il s’agit de l'idée que : « Dieu a envoyé son fils pour le faire souffrir et mourir en rémission des

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péchés de l'humanité ». Ce Dieu en effet me semble être l'inverse du père "Abba" prêché par Jésus. Je ne comprends pasla règle arithmétique mise en œuvre. Nous n'avons évidemment pas la même notion du péché aujourd'hui qu'à l'époque. Par exemple nous ne pourrions plus dire d'un enfant atteint d'une difformité physique, qu'il porte le signe d’un péché, commis par lui, ses parents ou ses ancêtres. Nous connaissons aussi l’altération du sens des responsabilités qui peut venir de l'histoire personnelle, les événements de la vie nous abiment, les maux psychiques aussi. Beaucoup de situations considérées comme des preuves de péché à une époque lointaine nous semblentmaintenant appeler notre compassion et non plus nos condamnations.

Les codes moraux sont révisables, on le constate tous les jours. Evidemment les conservateurs de tous poils voudraient établir des codes moraux indéboulonnables, auxquels tout le monde devrait se plier de tout temps. On s'aperçoit que notre société ne s'est pas dégradée en étant plus compatissante, moins dure contre les pêcheurs, au contraire elle s'est améliorée. Pensons qu'il fut un temps où il était légitime d'enterrer vivant, au pied du gibet, les enfants d'un voleur condamné à mort par pendaison. Aujourd'hui cela nous semble horrible et proprement inhumain. Mais à l’époque, se débarrasser de la "graine d'engeance" était tout à fait juste, pour tous, y compris pour les hommes d'église. Dans nos contrées, plus personne ne voudrait condamner les personnes adultères à la lapidation. Cela nous semble plutôt être de l'ordre de la vie privée, au pire à mettre sur le compte des faiblesses de la chair. De même nous comprenons que l'homosexualité est une des composantes de la vie et nous transformons nos lois pour qu'elles intègrent cette réalité qu'il ne sert à rien de nier ou d'opprimer. Nous percevons les phénomènes qui contraignent les êtres humains. Nous connaissonsmaintenant combien l'enfance est une phase délicate dans la construction de la personne humaine et comment des événements graves dans l'enfance peuvent induire des dysfonctionnements dans l'âge adulte. Et combien l'environnement social et économique peut jouer sur les choix de tout un chacun. Alors qu'il y a quelques générations seulement il n'y avait même pas de mot pour désigner l'enfance et aucune attention particulièrepour les petits.

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Nous avons compris ces choses petit à petit, au cours des siècles. Et combien de choses nous reste-t-il encore à apprendre ? Mais voilà, on aurait un Dieu qui ignorerait tout cela, qui serait figé dans une attitude de condamnation, assez sévère pour exiger un sacrifice humain, celui de son fils, sur des critères qui seraient ceux énoncés dans la Bible ancienne, et parfois aussi dans le Nouveau Testament. Voilà pourquoi je n'arrive pas à adhérer à cette analyse et que les paroles telles : "il est mort pour tes péchés" ne me font pas vibrer. Car on me décrit un Dieu qui aurait toutes les limitations des hommes. Un Dieu qui n’en saurait pas plus sur la condition humaine que pouvaient en savoir les bergers d’il y a 2000 à 5000 ans. Un tel Dieu ne me semble pas crédible.

4.2 Jésus

Quand je lis l’évangile je découvre un homme doux et ferme à lafois, qui prône le pardon (combien de fois faut-il pardonner déjà ? « Jusqu’à 70 fois 7 fois » autant dire sans aucune limitation,n’en déplaise à tous les pourfendeurs de leurs semblables qui ne cessent de condamner, tout en se prétendant Chrétiens), un homme qui respecte les femmes dans une société pourtant très misogyne, qui respecte les enfants ainsi que ceux qui n’ont pasla même foi (les samaritains), un homme qui dénonce les hypocrites qui affichent une certaine attitude formelle sans que leur cœur soit en accord avec ce qu’ils montrent. C’est un homme qui privilégie l’intériorité à toutes les apparences, l’amour des autres et donc le pardon. Il s’inscrit dans la tradition religieuse de l’époque mais y apporte des correctionsimportantes. Il prône un Dieu d’amour, qui doit servir de modèle aux humains, très loin d’un Dieu cruel qui tiendrait le compte des erreurs des hommes pour le leur faire payer après leur mort. Un Dieu tellement proche qu’il l’appelle "papa" (traduction la plus fidèle de "Abba"), ce qui contrarie, de fait, la posture d’un clergé attaché à son pouvoir d’intermédiaire incontournable entre un Dieu terriblement puissant et les hommes. Un clergé que ne cesse de sermonner Jésus, qu’il accuse de rendre Dieu inaccessible à ses enfants.

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C’est cette familiarité qui le fait condamner à mort.

Je regrette qu’on ne trouve aucune parole incitant au respect de toutes les formes de vie, les animaux et la nature. L’évangile n’échappe pas aux limitations propres à son époque. L’environnement et la solidarité de tout le vivant n’étaient pas une préoccupation, le salut des âmes : oui. On peut simplement supposer que ces préoccupations ne sont pas incompatibles avec l’Evangile même si cela n’est jamais évoqué.Il y a bien d’autres sujets importants qui ne sont pas couvertspar l’Evangile. Il faut en conclure qu’il est vain d’y chercherdes réponses qui ne s’y trouvent pas et, par conséquent, les églises ont eu tort d’essayer d’empêcher les hommes de se poserdes questions essentielles pendant des siècles. Dieu merci elles n’y sont pas parvenues.

On découvre que le salut envisagé par Jésus est réservé aux enfants d’Israël et non à l’ensemble de l’humanité. Cet ethnocentrisme est compréhensible dans le contexte de l’époque et conforme à l’histoire biblique du "peuple élu". Il a fallu toute l’ingéniosité de St Paul pour que cette religion devienneuniverselle en abolissant des frontières que beaucoup dans la population juive considèrent infranchissables encore aujourd’hui.

Donc Jésus est condamné à mort par les siens pour des motifs religieux. La sentence est exécutée par les romains qui ne comprennent rien à ces querelles religieuses, mais qui sont lesseuls à avoir le pouvoir de mettre à mort, en tant que puissance occupante. Les disciples se dispersent, effrayés de voir leur maître emporté par ses bourreaux qu’aucune puissance surnaturelle ne vient sauver. Jésus a prêché une non-violence radicale et il est mis à mort sans qu’il appelle à aucune vengeance ou rébellion armée. Il est donc resté fidèle à son enseignement jusqu’à son dernier souffle.

4.3 Les leçons de la Passion

La Passion occupe une grande place dans les évangiles. La

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Passion c’est la mise à mort d’un innocent. La mort de Jésus n’était pas juste et pourtant on ne trouve aucun appel à la vengeance. Cette mort signifie que la non-violence n’est pas seulement un joli discours, elle doit être incarnée jusqu’à l’épreuve de la torture et de la mort. Le refus de condamner celui-là même qui tue injustement (on ne peut pas imaginer acteplus criminel) : "pardonne-leurs car ils ne savent pas ce qu’ils font", estun message d’une portée universelle qui, à mon sens, révolutionne le sens commun. Ordinairement nous aimons les gentils et nous détestons les méchants. Or Jésus reste fidèle àune approche extrêmement douce des relations humaines : le refus de condamner, le pardon systématique, même lorsqu’il n’aboutit pas à la conversion du méchant. C’est qu’il ne veut pas que le gentil se laisse envahir par la haine ou l’esprit derevanche. Que le méchant ne se convertisse pas (à la douceur) alors que sa faute lui est pardonnée c’est déjà bien dommage. Mais Jésus s’intéresse surtout à ce qui se passe dans le cœur du gentil. Le mal est une épreuve qui cherche à blesser l’innocent de telle manière qu’il perd son innocence première et se met à ressembler au méchant en mettant en œuvre son ressentiment ou sa vengeance.

En effet tout mal crée un déséquilibre. Voler le voleur, tuer l’assassin est la manière commune de rétablir l’équilibre. Cet équilibre est obtenu, si l’on regarde bien, par le fait que le gentil va momentanément ressembler au méchant. Quoi qu’on en pense, réagir à la violence par la violence légitime la violence. Mais Jésus propose une autre voie, une voie paradoxale et proprement scandaleuse car elle ne semble pas pouvoir rétablir l’équilibre : la non-violence inscrite au fonddu cœur, le refus de vouloir du mal à l’autre – quoi qu’il ait fait – une non-violence qui va jusqu’à abandonner son droit à se faire entendre, son droit à se défendre. Il l’avait d’ailleurs annoncé lorsqu’il préconisait de donner au voleur encore plus que ce qu’il avait pris : "Si quelqu'un prend ton manteau, ne l'empêche pas de prendre encore ta chemise" et surtout : "Aimez vos ennemis".

La mort de Jésus c’est ce paradoxe incroyable qui voit son engagement radical dans la non-violence, ne souffrant aucune exception, triompher dans l’épreuve ultime, mais aussi le moment du déchainement de la violence, celle qui permet à la

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brutalité de détruire la douceur.

Cette violence est décrite avec pléthores de détails horribles dans les écrits. Ce n’est évidemment pas par goût du morbide mais pour montrer le combat du mal contre le bien dans ce qu’ila de plus affreux et injuste. La Passion montre, qu’en ce monde, la brutalité l’emporte sur la douceur. C’est aussi simple que cela. Et cela rejoint l’expérience commune, celle que tout le monde constate tous les jours et de tous temps. Partout la violence l’emporte sur la délicatesse. On ne peut pas mieux expliquer l’oppression des femmes par l’homme dans tous les pays du monde depuis toujours (à quelques variantes près). La violence est efficace. Détruire est bien plus facile que construire. Mépriser l’autre ne coûte rien tandis que le respecter demande beaucoup d’efforts. Ignorer l’autre est facile, lui donner de l’attention prend du temps et détourne desoi-même. Le poète s’émerveille de la petite fleur mais le guerrier passe et écrase tout sur son passage. Et ça le fait rire. Aimer l’autre fait souffrir, car on craint pour lui, tandis qu’être indifférent protège de bien des désagréments. Lahaine est un poison qui fait bouillir le sang dans les veines et décuple l’énergie. Lorsqu’elle se déploie dans le monde ellecrée chez l’être violent une sorte d’ivresse, un sentiment de puissance, une satisfaction intense provoquée par la libérationdes tensions.

Pourtant le message de Jésus c’est : quelles qu’en soit les conséquences, en ce monde, il est préférable pour ton salut de ne pas t’adonner à la violence, sous aucun prétexte. Mais attention, ceci peut te conduire à la mort, car ce monde ne pardonne pas à ceux qui refusent le recours à la haine pour régler leurs contentieux.  Il s’agit d’une ascèse particulière,proprement surhumaine, qui semble inatteignable à la plupart d’entre nous. Pas étonnant qu’il avertisse qu’il faut passer par la petite porte pour atteindre le « Royaume des cieux. »

Les circonstances de la mort de Jésus ont validé son enseignement non-violent, qui est le retournement de tout ce que l’on considère être la sagesse populaire, cette soif de justice que la plupart des religions ne remettent jamais en cause et prétendent régler. Pour moi l’histoire pourrait s’arrêter là. Mais, sans doute pour faire en sorte que cet

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enseignement, dont on n’a pas encore tiré toutes les leçons à ce jour, ne se perde pas il fallait faire de Jésus un Dieu. On ne peut pas imaginer comment le monde aurait évolué si le christianisme ne s’était pas déployé en tant que nouvelle religion centrée sur la personne de Jésus. Le christianisme a souvent dévoyé le message de son Dieu mais l’a maintenu vivant malgré tout, à travers les siècles, au risque d’être pris en défaut dans sa pratique par ses propres enseignements – ce que notre époque ne se gêne pas de faire, à juste titre.

La mort de Jésus sur la croix, une infamie réservée aux esclaves et aux traitres, pouvait être perçue comme la fin d’une douce utopie, une triste fin, un échec cuisant. C’est ainsi que les êtres humains analysent depuis toujours tous ces cas où la force a prévalu. Le sens commun est impitoyable, comme l’est le monde. Jésus avait perdu la bataille. Et l’autreterme du paradoxe qui prouve qu’il avait fait triompher l’amourpouvait passer complétement inaperçu aux yeux du commun des mortels.

4.4 Terribles implications du choix de l’amour

Je regrette qu’il ait fallu imaginer que le bien, ayant perdu la bataille dans ce monde, devait triompher dans un autre mondesurnaturel où se trouve Dieu et tous les justes.

Combien plus pertinente me semble l’idée, qu’en dépit du fait que la douceur puisse être amenée à être écrasée sans états d’âmes par la brutalité inhérente à notre monde, il fallait quand même la choisir, la chérir, la promouvoir et tenter de rendre le monde plus doux. En pleine connaissance de cause : c’est à dire en sachant que cela expose à de terribles souffrances et à la mort éventuellement. Car en fait, cette attitude contrarie terriblement tous ceux qui ne jurent que parla violence. Entre violents, entre personne qui pratiquent l’œil pour œil, on se comprend, on parle finalement le même langage. Ce qui dérange terriblement c’est cette attitude étrange qui refuse de rendre la gifle et préfère tendre l’autre joue. Contrairement à ce que beaucoup d’idiots disent à longueurs de

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journées il faut beaucoup plus de courage et de force pour rester humble et doux lorsqu’on est attaqué ou défié. Cette force là est une force toute intérieure, une force de caractèreproprement héroïque, qui ne peut tenir que si le cœur est profondément converti à cet idéal de non-violence. Toute défaillance dans cette résolution serait une chute terrible dans l’autre monde, le monde de l’insulte, de la rancœur et de la violence « là où se trouvent les gémissements et les grincements de dents. »

Plus pertinente me semble aussi l’idée que ce n’est pas pour obtenir une récompense ici-bas ou ailleurs que l’on choisirais cette attitude de non-violence, à l’imitation de Jésus, mais pour son propre bien, cet équilibre intérieur que l’on refuse de sacrifier au profit du jeu pervers des violents et aussi pour le bien de l’autre car on peut espérer que le refus de rendre le mal pour le mal puisse porter des fruits merveilleux : la conversion soudaine de l’autre qui, loin de selaisser emporter par une rage incontrôlée, voit toute sa colèrese vider d’un seul coup, ne trouvant rien à quoi s’opposer, et découvre la bonté à l’œuvre dans toutes sa splendeur. C’est évidemment le miracle de l’amour qui ne peut survenir que si onle provoque. C’est un jeu risqué. On ne sait pas d’avance comment l’autre qui se laisse emporter par ses instincts violents peut répondre à notre refus volontaire de toute provocation. Le risque est grand. Jésus l’a montré en mourant sur la croix. Cette conversion est rare. Toujours, la petite porte… Mais la foi c’est sans doute de ne pas renoncer à voir surgir le miracle de l’amour, même s’il ne doit survenir qu’unefois sur 100.

4.5 L’idéologie du pardon

Le pardon est la conséquence logique du choix de l’amour inconditionnel. C’est le refus d’acter la rupture de la relation. L’autre m’a offensé mais je ne préjuge pas de ses intentions. Etait-ce un accident, un défi pour vérifier la solidité de notre lien (les enfants sont expert en provocation pour vérifier la force de notre amour) ou une volonté affirmée

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de faire du mal, de rompre avec moi ? Peu m’importe en définitive car je veux maintenir le lien au nom de l’amour. Je ne m’attarde pas non plus sur mon ressenti. Mon ressenti exige que je m’occupe de moi. Je le fais taire au nom de l’amour.

Pardonner c’est aussi ne pas retenir les fautes de l’autre, ne pas les inscrire dans un carnet noir pour pouvoir ensuite s’en servir tôt ou tard. Car le fait d’avoir été offensé nous donne une certaine supériorité morale. L’autre a une dette envers nous et la tentation est grande de la lui faire payer. Le pardon c’est la volonté de ne pas se laisser enfermer dans un cycle de représailles. C’est un choix de liberté finalement.

La parabole du fils prodigue illustre la force du pardon (note : cette parabole sera analysée au chapitre suivant). Les fautes du fils sont nombreuses, les offenses faites à son père sont inimaginables dans la culture patriarcale de l’époque. Pourtant le père motivé pas son amour inconditionnel accueille le fils qui revient comme si aucune faute ne pouvait être retenue contre lui. Rien, dans la parabole, ne dit que le fils, ainsi pardonné, se comporterait de façon exemplaire par la suite. C’est que l’annulation de la dette est réellement totale et inconditionnelle. Il n’est pas question de pardonner pour obtenir un certain résultat (même si on peut l’espérer) ce qui serait une sorte de chantage, le maintien et même l’amplification de la dette.

Le problème est que le pardon est devenu une idéologie quasiment totalitaire au sein des églises. Bien souvent il est présenté aux victimes comme le seul remède possible aux maux qui les frappent. Les victimes qui ne savent pas pardonner sontculpabilisées. On leur reproche de ne pas en faire assez dans le domaine de l’amour alors que, dans le même temps, rien n’estfait pour résoudre leur problème. On a vu comment a été géré leproblème de la pédophilie dans l’église, pour ne prendre qu’un exemple.

Jésus ne s’attarde pas sur les différents cas de figures possibles. Il préconise le pardon, un point c’est tout. Ainsi, on l’a déjà noté, pendant des siècles des épouses mal traitées ont été adjurées de rester sous le joug d’un mari odieux, des enfants battus ou violés ont été soumis aux mêmes

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admonestations de la part de gens d’église qui pensaient sans doute servir les desseins de Dieu.Jamais il n’est fait allusion à la réparation nécessaire des fautes commises, pas plus qu’il n’est préconisé de se soustraire aux attaques. Qu’y a-t-il de glorieux à succomber sous les coups d’un monstre insensible ? Quel gage d’amour celapeut-il représenter pour un Dieu décidément très extrême ?

Dans le monde des hommes, le pardon peut être le moyen merveilleux de se libérer soi-même du poids du ressentiment au moment même où il permet la conversion du fautif. Celui-ci, quis’attend à des représailles, peut tomber à genoux d’émerveillement devant l’amour, et ceci peut l’amener à s’amender et faire preuve lui aussi de mansuétude dans ses relations vis à vis de ses débiteurs. Tout ceci est possible etenvisageable dans le monde ordinaire des hommes.

Mais, bien imbriqué dans le monde des hommes, coexiste un autremonde, celui que je définis comme étant le monde de la loi de la jungle. Dans ce monde-là le plus fort mange ou détruit le plus faible. C’est aussi simple que ça. Dans ce monde le pardonn’a aucun sens si ce n’est offrir gratuitement la proie au prédateur et permettre au méchant de continuer son œuvre de prédation sans jamais être inquiété. Des gens d’église, inconscients de l’existence de ce monde cruel ou qui se sont volontairement aveuglés, prodiguent ainsi des conseils irresponsables à des victimes venues leur demander une solutionau sort injuste qui les frappe.

Le premier devoir pourtant est de soustraire la victime des griffes de son bourreau. Il a fallu attendre la création des centres d’accueil laïcs pour que les femmes battues ou abandonnées puissent s’y réfugier. Il a fallu attendre des siècles pour que des institutions de protection de l’enfance soient créées et aient l’autorité d’y héberger des enfants maltraités ou sévèrement négligés par leurs parents. La mise enplace progressive de procédures de divorce a permis la résolution de situations insolubles où la vie commune était devenue impossible. De même les procédures de déchéance de l’autorité parentale permettent de soustraire définitivement des enfants à leurs persécuteurs. Sur tous ces points les églises, enivrées par une idéologie du pardon trop idéalisée,

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ont failli et souvent elles maintiennent encore leur posture rigide aujourd’hui.

L’autre faillite des églises a été de négliger à ce point le besoin de réparation. Dans le monde de la loi de la jungle il est vain de vouloir le bien du prédateur au point d’y sacrifiersa victime. On le sait des comportements de prédation sont la plupart du temps (si ce n’est toujours) pathologiques. Ces monstres sont des malades que l’on peut ou pas soigner, mais sûrement pas convertir à l’amour (ou alors de façon si exceptionnelle qu’il serait criminel d’exposer tant de victimesà une hypothétique conversion). Du point de vue des victimes une attitude de pardon peut consister à renoncer aux représailles, à ne pas s’enfermer dans la logique pernicieuse de la vengeance, c’est à dire lâcher définitivement ce lien douloureux qui unit au bourreau. S’occuper de soi, se soigner, se guérir et ne plus avoir l’esprit fixé sur cet autre qui n’est rien d’autre que source de souffrance. Mais, si l’on ne peut convertir cet être mauvais on doit au moins pouvoir exigerdes réparations qu’il revient à la justice des hommes de définir.

Les évangiles négligent des dimensions importantes de la problématique de l’offense et la bonne manière d’y répondre. Dece fait les solutions proposées manquent de réalisme et de psychologie. Le méchant est présenté comme un pécheur que l’on peut convertir à l’amour ; c’est ignorer ou sous-estimer les capacités de nuisance à l’œuvre dans le monde. La victime est envoyée en mission, la mission de faire surgir un amour miraculeux mais improbable dans bien des cas. Et personne ne semble se soucier de ce qui lui arrive à elle, ce qui revient encore une fois à sous-estimer les ravages que certaines situations peuvent provoquer et à la mettre inutilement en danger.

L’idéologie du pardon imprègne tellement notre société occidentale que même des psychologues y succombent, sans la prise de distance nécessaire à l’exercice de leur profession. C’est ce que note, par exemple, Susan Forward dans son livre « Parents Toxiques. » Ainsi elle a vu des patients gravement atteints dans leur dignité se tourner vers des parents dysfonctionnels pour leur offrir leur pardon. Des thérapeutes

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mal avisés leur avaient conseillé d’agir ainsi, leur promettantune guérison miraculeuse. Or ces patients se sont vus rire au nez par des gens qui n’avaient aucune conscience du mal qu’ils avaient fait, parfois pendant toute la vie de leur enfant. Au lieu de la guérison espérée, ces patients plongeaient dans une nouvelle dépression, parfois plus grave qu’auparavant. C’est qu’ils se sont retrouvés face au même déni, au même manque de compassion. Ils s’étaient eux-mêmes dépouillés de tout esprit de revanche, ils s’étaient mis à nu. Et tout l’amour qu’ils avaient alors manifesté n’avait servi qu’à les exposer de nouveau à des paroles destructrices. Outre la souffrance réactivée, ils devaient gérer le ressentiment légitime contre des êtres vraiment insensibles mais aussi la culpabilité d’avoir échoué dans une démarche présentée comme étant la seulevoie de guérison possible. L’auteur note que ce type de démarche est aussi proposé à des victimes d’inceste ! On leur dit : « pardonnez à votre père et tout ira bien ». On ne peut pas imaginer aveuglement plus pervers. Pourtant il suffit d’ouvrir la page Wikipédia dédiée au pardon pour découvrir que le pardon est une solution proposée par des psychologues, qui se félicitent même de son efficacité !

Alice Miller a défendu le droit des victimes de ce qu’elle a appelé « la pédagogie noire, » ce pouvoir extraordinaire donné aux parents de battre, punir, faire emprisonner, détruire touteestime de soi et même tuer (dans certaines périodes de l’histoire) leurs enfants, sous des prétextes éducatifs issus des temps anciens, tels les châtiments corporels préconisés dans la Bible :- Celui qui ménage les verges hait son fils ! Mais celui qui l'aime le corrige de bonne heure (Proverbes 13, 24),- Tant qu'il y a de l'espoir châtie ton fils ! Mais ne va pas jusqu'à le faire mourir (Proverbes 19, 18),-  La folie est ancrée au cœur de l'enfant, le fouet bien appliqué l'en délivre. (Proverbes 22, 15),- Si un homme a un fils dévoyé et indocile, qui ne veut écouter ni la voix de son pèreni la voix de sa mère, et qui, puni par eux, ne les écoute pas davantage, son père et sa mère se saisiront de lui et l'amèneront dehors aux anciens de la ville, à la porte dulieu. Ils diront aux anciens de la ville : "Notre fils que voici se dévoie, il est indocile et ne nous écoute pas, il est débauché et buveur." Alors, tous ses concitoyens le lapideront jusqu'à ce que mort s'en suive. (Deutéronome 21, 18-21),- Qui aime son fils lui prodigue le fouet, plus tard, ce fils sera sa

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consolation. (Ecclésiastique 30, 1),- Cajole ton enfant, il te causera des surprises, joue avec lui, il te fera pleurer. (Ecclésiastique 30, 9),- Fais lui courber l'échine pendant sa jeunesse, meurtris-lui les côtes tant qu'il est enfant, de crainte que, révolté, il ne te désobéisse et que tu n'en éprouves de la peine (Ecclésiastique 30, 12.)

Elle était scandalisée des dommages causés par cette pédagogie du pardon prônée par des psychologues qui se prennent pour des prêtres. Pour elle, ces psychologues ne se seraient pas libérésdes abus qu’ils auraient subis dans leur propre enfance (à moins qu’ils soient simplement plus conduits par leur foi que par leur science) et seraient effrayés que leurs patients viennent remettre en cause le fragile équilibre qui constituentleur vie, acquis au prix du refoulement de toute leur souffrance. Ils sont guidés par l'espoir que, malgré tout, une bonne conduite leur permettra un jour ou l'autre d'acheter l'amour de leurs parents. Cet espoir maintenu envers et contre tout révèle l’impossibilité de considérer que les parents puissent être réellement responsables des exactions qu’ils ont commises. De ce fait toute faute repose, encore une fois, sur les épaules des victimes.

On note bien sûr l’exemple exceptionnel de la Commission de la Vérité et de la Réconciliation en Afrique du Sud, voulue par Nelson Mandela. Mais ce qui a été mise en place a été une organisation exemplaire mettant en œuvre les moyens de l’Etat pour jouer le rôle d’intermédiaire et de modérateur entre victimes et bourreaux. La dimension importante de cette démarche a été la reconnaissance des torts à la fois par les autorités et aussi par les coupables amenés à demander le pardon publiquement. De plus la question des réparations n’a pas été éludée et les criminels ont eu à payer leur dette à la société. De ce fait il a été possible de désamorcer le cycle devengeance qui aurait pu être terrible dans un pays ayant autantsouffert. Ceci dit la violence s’exprime quand même, frappant souvent les personnes qui avaient déjà souffert de l’Apartheid : l’Afrique du Sud est un des pays les moins sûrs du monde.

Contrairement à cet exemple dans la sphère privée cela ne fonctionne pas ainsi. Le plus souvent la victime est seule face

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à son persécuteur qui nie les faits. Lorsque les faits sont anciens ou se sont produits dans l’intimité il n’est pas faciled’apporter des preuves objectives. Les faits restent donc le plus souvent impunis et le poids de l’épreuve est porté par la seule victime. Elle n’obtient ni réparation, ni reconnaissance et, avec une idéologie du pardon mal comprise, on lui fait aussi porter la culpabilité soit de ne pas savoir pardonner, soit de ne pas avoir été efficace dans son pardon.

On a même créé les notions de vrai pardon et de faux pardon. Lavictime qui se laisse aller à confier une souffrance toujours vive en son cœur ou qui avoue ne plus pouvoir rester en présence de telle personne qui lui a fait mal peut se voir reprocher de ne pas avoir effectué le vrai pardon. Le vrai pardon serait tellement libérateur qu’il faudrait effacer le souvenir de l’épreuve subie, et qu’il n’y aurait plus besoin dese protéger de quelqu’un dont rien ne garantit qu’il se comporterait différemment maintenant. On retrouve ici la marquede cet idéalisme excessif – et par conséquent d’un terrible déficit de compassion. Or, il est normal de conserver intact dans son cœur le souvenir des épreuves subies, et que les évoquer puisse encore susciter de la peine. Il est tout aussi normal de se protéger de quelqu’un dont on a appris à ses dépens qu’il pouvait être particulièrement nuisible. Les moralisateurs, avides de voir confirmer leur perception des choses, s’imaginent que le pardon permettrait d’effacer les fautes dans la mémoire, et finalement ce sont les fautes elles-mêmes qui seraient effacées, comme si elles n’avaient jamais existé. On le remarque, ce vœu rejoint finalement l’espoir du persécuteur qu’il ait pu jouir de ses fautes mais qu’elles soient effacées à jamais pour qu’il n’ait pas à en payer le prix. Cependant si la victime a décidé de ne pas se venger ellea déjà réalisé tout ce que le pardon devrait être dans ces circonstances, n’en déplaise aux plus extrémistes des tenants de l’idéologie du pardon.

En conclusion, il est vrai qu’il faut se libérer de notre propension naturelle à la vengeance. On sait que la vengeance précipite dans un cycle sans fin de représailles qui n’apporte en définitive aucune solution. On ne sait pas ce qu’il peut advenir du mauvais qui a fait du mal mais on peut prévenir le gentil de ne pas succomber à la tentation d’imiter le méchant

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pour lui faire payer sa dette. Le pardon peut permettre de couper le lien maudit qui unit à l’agresseur. Cela n’annule pasle besoin de justice. On a par exemple remarqué que le pape Jean-Paul II a pardonné spectaculairement à celui qui lui avait tiré dessus en Place St Pierre mais il ne l’a pas fait sortir de prison pour autant.

Dans bien des cas on ne peut envisager ni réparation ni espoir de voir se transformer l’agresseur en son contraire. L’exigencedu pardon enferme alors  la victime dans une relation qui n’estque source de souffrance. Il faut au contraire la soustraire à l’emprise psychologique induite par ce genre d’épreuve, la soustraire au danger et lui apporter tous les soins nécessaires. Parmi ceux-ci il faut l’amener à faire le deuil d’une réparation impossible. C’est un travail qui prend des années.

Contrairement à ce qu’espère les plus farouches tenants de ce qui est devenu une idéologie, le pardon n’efface pas par miracle la destruction opérée par un persécuteur, il ne permet pas d’échapper à tout le travail nécessaire pour essayer de circonscrire le mal et faire en sorte qu’il ne se reproduise plus. En effet il y a un gros travail à faire et les sociétés civiles s’y sont attelées après des siècles de négligence sous la coupe d’un clergé obtus et paresseux : voir le mal en face, comprendre son fonctionnement et l’empêcher. Une œuvre qui seratoujours imparfaite bien sûr, mais indispensable. Au lieu de cela ils nous ont gavé avec une idéologie du pardon, qui avait l’apparence de l’amour mais qui n’était rien d’autre que l’abandon des victimes et leur culpabilisation. Encore une foisle problème de la pédophilie dans les églises, qui dévoile encore bien d’autres problématiques non résolues (comme la négation de la sexualité menant fatalement à une sorte de perversité), a montré à quel point le clergé était démuni et combien était pauvrement dotée leur boite à outils. L’évangile n’a pas tout dit. Admettons que Jésus ait été prématurément empêché de développer plus avant ses thèmes ou d’apporter les précisions nécessaires sur ce point comme sur bien d’autres.

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4.6 Avoir Dieu dans son camp

Peut-être existe-t-il un Dieu et que Jésus est son fils, quoi que cela puisse dire. Je ne veux pas me prononcer là-dessus. Jetrouve en effet que cette approche religieuse brouille toute compréhension. En effet si Jésus est un Dieu, il n’y a plus rien d’exceptionnel à ce qu’il fait. Un Dieu, c’est bien connu,ne connait pas les limites humaines. Tout lui est possible. Je préfère donc rester sur une position agnostique, respectueuse des croyances et des incroyances. Je comprends bien comment il peut être réconfortant d’imaginer un Dieu d’amour, ou une forcevitale animée par l’amour, à l’écoute de nos prières, attentif à tout ce qui nous arrive, jouant en définitive le rôle qu’ont joué nos parents dans notre enfance, toujours là quand on a besoin d’eux, à nous procurer la nourriture, la sécurité, le réconfort et la tendresse dont nous avons besoin pour nous développer. C’est infantilisant évidemment mais il n’y a pas demal à se laisser bercer pas ses rêves d’enfants. Je ne contrarierais pas ceux qui ont besoin des consolations procurées par ces croyances lorsque ils doivent faire face à lamaladie, la perte ou la mort.

Toute autre est l’idée de posséder son Dieu, de le revendiquer comme étant sa propriété, de s’en servir comme étendard contre les autres, de croire profiter de sa puissance pour vouloir imposer ses propres visions aux autres. Il me semble que l’évangile contient tout ce qu’il faut pour dénoncer les attitudes des bigots d’hier comme ceux d’aujourd’hui. Il suffitd’écouter ce que dit Jésus des pharisiens, ces croyants qui prétendaient être du bon côté, qui géraient des apparences de piété mais avaient le cœur toujours aussi endurci, ces croyantsqui utilisaient leur connaissance des textes sacrés – ce qui nesignifie pas qu’ils avaient compris leurs messages car ils s’étaient attachés plus à la forme qu’au contenu - pour écraserles autres et, finalement, barrer le chemin vers le salut. C’est navrant que le christianisme institué ait produit les mêmes effets que le pharisianisme alors que Jésus était tout à fait clair par rapport à ces pratiques purement formelles et qu’il a mis en garde contre l’orgueil spirituel (celui de se croire meilleur que les autres). De ce fait, les manifestations, où des gens brandissent des Bibles ou des croix

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et hurlent des slogans remplis de haines, n’ont rien de chrétien dans le fond.

Je crains cependant que cette dérive soit inhérente à tout système de pensée qui agglomère les personnes en foules uniformes et qui prétend détenir la vérité. C’est ce que j’ai essayé de démontrer dans les chapitres précédents.

4.7 La pratique plutôt que les beaux discours

C’est pour cela que je ne crois pas que Jésus ait voulu créer une nouvelle religion. Je pense qu’il a simplement voulu approfondir un judaïsme trop formaliste et qu’il a voulu le refonder sur l’amour, la seule fondation solide.

Ce que je constate dans les écrits c’est qu’il est assez indifférent aux statuts des uns ou des autres. On lui reproche par exemple de se mêler à des gens considérés comme impurs de par leur métier (percepteur d’impôts, prostituées) ou encore des gens que Dieu aurait puni (aveugles de naissance).

Il semble que, de tout cela, Jésus n’en a cure. Il ne voit dansles autres que des prochains à aimer. Il refuse le tri entre « le bon grain et l’ivraie », en disant explicitement que ce n’est pas là l’affaire des hommes. Il semble montrer que toutes ces préoccupations sociales, cette gestion du paraitre et ce besoinde se positionner par rapport aux autres, qui consiste à dénoncer les fautes des autres pour se prétendre dans le bon camp, sont inutiles voire totalement nuisibles. Il y a beaucoupmieux à faire : cultiver cette ouverture en son cœur, cette bienveillance fondamentale qu’il faut exercer autant vers le gentil que vers le méchant. Il met en garde contre les beaux discours qui ne sont pas suivis d’effet. Il aurait pu prononcerles paroles du Bouddha lorsque celui-ci dit « Comme une fleur auxcouleurs chatoyantes mais sans parfum, les belles paroles ne portent aucun fruit si on ne les met pas en pratique. » Pour cela l’accent est mis sur l’exemplarité et le développement de cette attitude de non-violence et de respect total est basé sur l’imitation. Très souvent il invite à cette imitation : « comme je vous ai aimé,

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aimez-vous les uns les autres » et bien d’autres paroles qui vont dans ce sens. On ne trouve aucun projet de conversion forcée, comme l’histoire en a fourni des exemples terribles. On voit aucontraire le désir de convertir les cœurs. Ce qui intéresse Jésus c’est ce qui se passe dans les cœurs et non les apparences dont il ne cesse de se défier. On est loin évidemment du recours à la violence pour contraindre les gens àune religion, fut-elle pensée comme la seule vraie religion.

4.8 Un christianisme pas encore advenu ?

Ici, j’ai envie de rappeler de nouveau cette idée étonnante de Dietrich Bonhoeffer d’un christianisme sans religion, un christianisme qui s’adresse enfin à l’homme adulte.

Dès qu’on parle de religion on fait surgir tout le fatras qui va avec : le clergé, les lieux de cultes, les écrits sacrés, les rites, les fêtes, les prières et les psalmodies répétées à n’en plus finir. Ce semble être la panoplie indispensable à l’organisation de toute communauté croyante. Ca marche pour toutes les religions, dans des modalités d’application étonnamment similaires. L’été dernier j’ai visité avec beaucoupde curiosité un temple bouddhiste dans le sud de la France. J’écoutais les explications fournies par la guide et j’ai été très étonné d’apprendre qu’il existait un parcours pour tout novice bouddhiste voulant consacrer sa vie à la vie monastique ou être consacré. J’ai découvert qu’il existait une hiérarchie dans le clergé, comme dans le catholicisme. J’ai appris, qu’au même titre que les églises et les cathédrales, les temples devaient être consacrés, c'est-à-dire bénis par une autorité. C’est le Dalaï Lama qui était venu consacrer, quelques années plus tôt, le temple que je visitais, puisqu’en l’occurrence il s’agissait d’un temple du bouddhisme tibétain.

Nous devrions nous étonner que le christianisme se soit déployécomme toutes les autres religions, adoptant les mêmes moyens etles mêmes formes. Et succombant finalement aux mêmes travers. C’est en fait ce que je dénonce tout au long de cet ouvrage. Onl’a vu, le message porté par chaque religion n’est pas

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important, car, tôt ou tard, ces superstructures humaines en viennent à l’écrasement de la personne humaine, par la coercition, la séduction, l’infantilisation ou la peur. Je rejoins donc le rêve de Bonhoeffer d’un christianisme dépouilléde ces oripeaux provisoires, qui reprendrait l’exemple de Jésus, détaché de toute structure et de tout sentiment d’appartenance que ce soit nationale, linguistique, raciale ou religieuse, pour se consacrer à l’ouverture de son propre cœur,de manière à ce qu’il n’y ait plus d’obstacle à l’accueil de l’autre.

En clair, le monde espéré par Jésus n’est pas encore advenu. Tout reste encore à faire. Pour cela il faudrait reprendre son exemple, son enseignement et, à son imitation, pratiquer réellement l’amour pour espérer voir celui-ci triompher dans lemonde. Il ne s’agirait plus d’appartenir à une église mais de mettre en pratique dans sa vie de tous les jours une ascèse quiretourne complètement le sens commun et, de ce fait, expose terriblement à l’incompréhension et à la violence des hommes. Ce monde, espéré par Jésus, est un monde de douceur, de délicatesse et de respect, où l’amour serait à l’origine de tout acte humain. J’entends bien sûr les objections de Nietzsche qui accuse le christianisme d’être la religion du ressentiment, la religion des faibles. Or il faut plus de forcepour pardonner plutôt que se laisser aller à la rancune, plus de force pour se retenir de faire mal plutôt que se laisser aller à ses pulsions. Il y a de la force dans la brutalité maisil en faut encore plus pour s’obliger à la douceur. L’alternative n’est pas entre la force et la faiblesse, elle est entre la violence et la non-violence. Le fait que tout le monde, ou presque choisit toujours la violence comme moyen d’action prouve que celle-ci est bien plus facile que la non-violence.

Faut-il le préciser, mais la non-violence est tout sauf passivité. Elle permet l’expression d’une volonté de fer tout en refusant d’employer les moyens habituels pour y parvenir. Pensons à la non-violence de Gandhi dont la mise en œuvre de ladésobéissance civile permit la fin de la colonisation de l’Inde. Pensons à la non-violence de Martin Luther King qui conduisit à la fin de la ségrégation raciale légale aux Etats-Unis. On le voit à travers ces 2 exemples, la contradiction

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apportée par la non-violence est tout aussi insupportable de nos jours qu’elle l’était il y a 2000 ans. De ce fait, ces prophètes de la paix ont été assassinés.

4.9 Au-delà des erreurs

Tout d’abord admettons à quel point notre monde occidental a été façonné par l’influence évangélique. Les civilisations juive et grecque font également partie de notre héritage (lire les analyses de Jean-Claude Guillebaud à ce sujet). Evidemment la liste des exactions commises au nom du Christ pendant 2000 ans est longue, trop longue. Mais lorsque chaque exaction est examinée avec lucidité à l’aune du message évangélique on s’aperçoit qu’elle est en contradiction avec lui. De ce fait onne peut pas entièrement imputer à l’évangile les horreurs commises en son nom. On peut reconnaitre que des ambigüités et des formulations malheureuses parsèment tout le document. Ellesont pu justifier des actes que l’on réprouve aujourd’hui. C’estqu’il s’agit d’un texte écrit à plusieurs mains, par des hommesdans une culture donnée. Je dirais même que ces hommes n’étaient pas forcément entièrement convertis au message qu’ilsrapportent tant bien que mal.

En dépit de toutes ses erreurs je suis d’accord avec ceux qui disent que le message évangélique a profondément influencé les sociétés occidentales et qu’il a été le germe des valeurs telles que la dignité de la personne humaine, les droits humains et la liberté de conscience. Ceci même si les églises instituées les ont d’abord combattues (par exemple, l’encyclique « Miran Vos » du pape Grégoire XVI contrela liberté de conscience qu’il qualifia de « divagation. ») On est bien d’accord que le recours à la violence est de plus en plus moralement condamné par nos sociétés civiles, bien qu’elles l’ont utilisé pendant des siècles et continuent de nosjours. Cet adoucissement du fonctionnement des sociétés (qui n’implique malheureusement pas un adoucissement similaire en chacun d’entre nous), qui va de pair avec le développement des connaissances, ne peut pas venir d’une autre source que l’évangile - même s’il a fallu des siècles pour percevoir

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l’infléchissement de nos pratiques les plus barbares - auquel il faut évidemment ajouter tout ce que l’humanisme issu des Lumières a apporté en propre. On voit d’ailleurs que bien d’autres sociétés dont l’histoire est constituée d’autres apports n’ont pas encore effectué un « aggiomento » et ont des pratiques sociales comparables à celles qui étaient jadis courantes chez nous.  

Les exactions commises au nom du christianisme viennent de la violence primordiale des hommes, à laquelle se rajoute la violence propre à toute superstructure qui prétend détenir la vérité (le christianisme institué en était une) et enfin de la difficulté à entendre, comprendre et mettre en pratique le message évangélique. C’est pour cela que l’intuition de Bonhoeffer me séduit tellement. Elle présume que l’aspect strictement religieux du christianisme pourrait ne pas être indispensable à la mise en pratique des enseignements de Jésus.

D’ailleurs, réalisons ce que veut dire être chrétien de nos jours. Cela signifie seulement que l’on est baptisé. On compte alors 1 milliard de chrétiens dans le monde, ce chiffre prêtantalors le flan à des surenchères débiles entre les grandes religions. Mais s’il fallait compter comme chrétiens seulement ceux qui se conduisent à l’image de Jésus, à combien arriverions-nous ?

Je vais maintenant continuer cette analyse par une lecture nouvelle des principaux thèmes présents dans les Evangiles. Ce sera donc le sujet du chapitre suivant

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Chapitre 5 : SUR L’EVANGILE

J’imagine bien les objections de croyants qui ne comprennent pas que je choisisse dans les écrits ce qui me convient. Je tiens donc à expliquer ici ce parti-pris. Dès lors que je ne veux pas me positionner en tant que croyant je ne prends pas letexte évangélique comme un tout sacré mais comme un patchwork de témoignages. Une somme fascinante, qui a eu in impact important sur notre monde et qui mérite d’être étudiée sérieusement. Je n’ai pas la prétention de réaliser une analyseexhaustive de tout le texte. Pour appuyer ma démonstration j’aichoisi d’écarter les passages purement religieux qui font appelau miraculeux ou à la croyance en une dimension spirituelle appelée Dieu ou Royaume des cieux. Je ne veux pas préjuger du bien-fondé ou non de cette foi, autrement dit je ne vois aucun intérêt à trier les écrits en ce en quoi je crois et ce en quoije ne crois pas. Mon tri est subjectif certes mais mon éthique est de ne rien dire sur des sujets qui m’apparaissent être simplement des proclamations de foi.

Par contre je suis persuadé que poser la foi comme condition nécessaire pour lire ce texte est une erreur de méthode et conduit à une sorte d’aveuglement volontaire. Lorsque je crois en quelque chose je ne peux faire autrement que chercher les indices qui confirment ma croyance. Par exemple, si je pense que mon voisin m’a volé une pioche dans mon jardin, je vais analyser toute son attitude en fonction de cette conviction : son regard m’apparaitra fourbe, ses paroles pleines de sous-entendu et ses actes des preuves de culpabilité. Et c’est seulement si je retrouve ma pioche, égarée dans un coin de mon jardin que je comprendrais à quel point ma vision des choses était fausse (exemple pris dans un texte de sagesse chinoise).

De plus je constate tous les jours que les croyants prennent eux-aussi des libertés avec des textes que, pourtant, ils

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qualifient de sacrés. Et souvent ils s’accommodent de ne pas appliquer dans leur vie ce que recommande Jésus. Par exemple lorsque Jésus dit : « vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent » (Matthieu 6.23). C’est particulièrement criant dans le cas des soi-disant chrétiens qui appellent à la vengeance, sous quelqueforme que ce soit. En disant cela je ne veux pas me positionneren tant que juge suprême. Il serait malhonnête d’afficher une intransigeance en ce qui concerne une règle que je ne m’applique pas à moi-même. Je veux simplement dire que si des croyants convaincus prennent des libertés avec leur propre credo ils doivent accepter les mêmes libertés de la part de ceux qui ne s’y sentent pas contraints.

5.1 Aimez vos ennemis (Matthieu 5)

Personnellement je ne pourrais pas aimer une personne que je verrais comme un ennemi, je ne pourrais que m’en défier. Aussi je pense qu’il ne s’agit pas d’aimer quelqu’un que l’on qualifie d’ennemi. Il s’agit plutôt de ceci : cet autre me voit comme un ennemi et veut me traiter comme un ennemi, mais moi j’ai décidé enmon for intérieur d’accueillir comme un frère tout être humain qui se présente à moi. Cette décision n’est sujette à aucune condition. Elle s’applique tout le temps, quelles que soient les intentions, les paroles ou les actes de celui qui se présente à moi.

Cette attitude d’accueil peut sembler folle, d’ailleurs tout l’évangile est une folie en regard de la sagesse des hommes, c’est ce que note judicieusement St Paul (Corinthiens. 1.18 – 2.5). C’est pourtant la logique de l’amour, choisie contre toute autre option, quoi qu’il puisse en coûter. Le pari c’est que l’adversaire puisse se trouver soudainement désarmé par unetelle absence d’hostilité ou de peur. L’analyse qui sous-tend cette attitude c’est que, si l’on veut faire triompher le bien,il ne faut adopter aucun comportement hostile qui, quoi qu’il arrive, ne peut que faire triompher le mal. En effet, soit le mal que l’autre aura fait, soit celui auquel j’aurais eu recours en le combattant auraient alors le dernier mot. On s’aperçoit que le droit à l’autodéfense qui nous semble tout à fait légitime, dans notre logique ordinaire, n’est pas du tout

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pris en considération. Il est clair que l’objectif d’une telle attitude c’est de faire triompher le bien, dans une dimension supérieure. Et tant pis si cela implique de perdre notre proprebien. Au pire nous pourrions périr avec la satisfaction de ne pas avoir cédé aux sirènes du mal qui nous enjoignaient de prendre les mêmes armes que la personne hostile dans l’espoir de le détruire pour pouvoir nous sauver soi-même.

On le voit, ici comme ailleurs, comment notre propension au mimétisme est comprise et utilisée. Nous, qui sommes les plus mimétiques des animaux (Aristote : « L'homme diffère des autres animaux en ce qu'il soit le plus apte à l'imitation, ») nous adoptons spontanément la même attitude que notre vis-à-vis. Devant un gentil nous débordons de gentillesse mais devant un méchant nous avons tendance à nous endurcir nous aussi, et si nous voulons faire prévaloir notre bon droit nous pouvons devenir aussi méchant que lui. Le mimétisme diffère de l’imitation en ce qu’il s’agit d’un phénomène spontané et inconscient. Cette connaissance du mécanisme mimétique transparait de nombreuses fois dans l’évangile, comme le souligne d’anthropologue René Girard. Jésus préconise de l’imiter, lui, puisqu’on ne peut pass’empêcher d’imiter quelqu’un.

C’est en raison de cette connaissance du phénomène mimétique qui transparait dans tout l’évangile que je ne peux pas souscrire aux analyses communément enseignées selon lesquelles Dieu nous traiterait selon nos mérites, car cela reviendrait à dire que Dieu lui aussi serait mimétique et il agirait donc à l’inverse de ce que Jésus préconise : il serait cruel avec ceuxqui auraient été cruels et doux avec ceux qui auraient agit avec amour. Exprimé ainsi, on voit bien qu’il y a une contradiction insoluble, contradiction que ne résout pas Jésus,bien au contraire.. Pourquoi exprimerait-il des exigences d’amour si extraordinaires si Dieu, finalement, se comportait comme chacun d’entre les plus ordinaires des hommes ? Alors quepar ailleurs il dit : « Il (Dieu) fait lever son soleil sur les méchants etsur les bons… » (Matthieu 5.45)

Lorsque nous rêvons d’une justice divine qui rétablirait l’équilibre, au moment du jugement dernier, nous avouons notre incapacité à accepter cette injustice que nous voyons partout àl’œuvre dans notre monde, quand la violence prévaut partout sur

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la douceur et les méchants triomphent sans même éprouver aucunehonte. Or Jésus nous incite à adopter une attitude bienveillante en toutes circonstances ; en clair il nous inviteà faire notre deuil de cette soif de justice : « Vous avez appris qu'il a été dit: œil pour œil, et dent pour dent. Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant. » (Matthieu 5-38-39)

La problématique posée c’est faire triompher le bien et non paschercher à triompher soi-même. Cela peut impliquer que le méchant semble gagner, aux yeux du monde ordinaire, mais en réalité, c’est le bien qui a triomphé si l’on n’a pas contribuéà la contagion du mal ! Le paradoxe est déjà total ici, dans les mêmes termes que le paradoxe de la mort de Jésus qui, selonle monde voit la défaite incontestable de Jésus, et qui, dans un autre ordre, voit le triomphe du bien – un bien que seuls les justes peuvent voir.

Il est très intéressant de noter que Jésus ne cherche pas à résoudre le problème de l’existence du mal dans le monde. Peut-être d’ailleurs n’est-ce pas une question pertinente ? En tout cas son silence à ce sujet nous invite à le voir ainsi. Il constate simplement qu’il y a du mal et il enseigne une méthodepour ne pas y succomber soi-même. Cette méthode, si elle était adoptée par tous, pourrait déboucher sur un monde sans violence. C’est une utopie sans aucun doute, mais nous avons besoin de formuler des utopies pour motiver nos actions et faire avancer notre monde.

Il est tout aussi intéressant de constater que cet appel si paradoxal à aimer ses ennemis est une invite à la liberté. Lorsque nous devenons aussi méchant que le méchant pour triompher de lui dans cette lutte qui caractérise si bien beaucoup de nos relations sociales, nous ne sommes pas libres. C’est lui, le méchant, qui pilote notre comportement. Ses outrances nous scandalisent et nous conduisent aux mêmes emportements. Comme l’exprime bien René Girard, le grand spécialiste contemporain du fait mimétique, c’est au cœur de cette rivalité apparente que se trouve la plus grande des ressemblances (lire « Le Désir Mimétique » par exemple.) Tout semble opposer les rivaux alors que chacun n’est plus que le reflet del’autre. Refuser de se laisser embarquer dans la provocation est un acte de grande liberté. Agir selon sa propre éthique,

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ses propres choix, sa propre décision est le contraire de l’esclavage qu’implique tout mimétisme.

Outre l’appel à la liberté je perçois la possibilité d’une grande paix intérieure. Qu’est ce qui nous tourmente sinon le conflit irrésolu, la perte de contrôle, l’incertitude, la confusion, le sentiment d’impuissance ?… Lorsque je m’ancre à ce point en moi-même dans la résolution de n’agir qu’en fonction de l’éthique que j’ai librement choisie, mon état intérieur est une paix profonde. L’adversaire peut bien s’agiter dans tous les sens je reste moi-même, posé et stable. Bien sûr, il ne s’agit pas ici seulement de stoïcisme mais du choix de l’amour. Ce qui suppose de la compassion pour celui qui nous fait face, même si cet être est animé des pires intentions. Cette paix intérieure est la condition nécessaire pour faire surgir l’amour car la haine se nourrit de nos peurs et de nos haines.Ainsi derrière cette prière d’aimer ses ennemis on trouve le triptyque indissociable de l’amour, la liberté et la paix. Et l’on doit pouvoir retrouver cette combinaison dans la plupart des paroles de Jésus, les plus paradoxales soient-elles.

5.2 La femme adultère (Jean 7)

Une foule amène devant Jésus une femme surprise en plein adultère et lui demande s’il est d’accord pour qu’ait lieu la lapidation prévue dans la Bible. Comme l’évangile le précise, Jésus est interrogé pour le mettre en difficulté. En effet il est connu pour son discours de non-violence mais, dans le même temps, il n’a jamais contesté le bien-fondé des bases du judaïsme contenues dans la Bible hébraïque. Comment concilier un texte sacré qui préconise la lapidation des adultères et le choix de la non-violence, de l’amour et du pardon ? Dans un premier temps on a l’impression que Jésus est perplexe. Des commentateurs s’interrogent vainement sur les mots qu’il auraitécrits sur le sol à ce moment là. Je crois, après bien d’autres, que le véritable objet de cette attention tournée vers le sol est de ne pas donner prise au défi qui lui est lancé, notamment – on le sait tous – au moment précis où les

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regards se croisent. En ne regardant pas ses interrogateurs Jésus ne rentre pas dans le jeu de la confrontation.

Sa réponse surprend son auditoire et nous ravit : « que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre. » Cette réponse provoque deux mouvements : le passage de l’entité incontrôlable qu’est une foule vers l’individu seul et le passage de la totale extériorité vers l’intériorité de l’examen de conscience. Chaque membre de cette foule est invité à se poser la question : est-ce que je n’ai jamais péché,  la réponse étant fatalement : oui, j’ai déjà péché, et peut-être aussi : heureusement que je n’ai jamais été pris en défaut.  Les plus honnêtes laissent tomber leurs pierres et s’en vont. Et puis, peut être les moins honnêtes, ceux qui auraient pu prétendre être absolument sans tâche les imitent bientôt. Un mouvement similaire concerne la responsabilité. La foule n’est responsable de rien. Celui qui jette la première pierre donne le signal du massacre. Il en prend donc toute la responsabilité.

De ce fait Jésus évite de répondre sur la validité de la loi deMoïse. Il préfère renvoyer à la vérité de notre cœur. Il ne s’intéresse pas prioritairement à la lettre des lois, fussent-elles considérées comme sacrées par les croyants. Il s’intéresse à cette intériorité qui doit être le réceptacle de l’amour. Il révèle alors, ou suscite le meilleur de chacun des hommes, sans jamais s’appesantir sur leurs défaillances. Après tout nous aurions pu imaginer un discours qui en appelle à la compassion, qui dénonce l’horreur de cette foule déchainée ou encore une discussion, potentiellement explosive, sur les mérites de la loi de Moïse, les circonstances où elle serait applicable et celles où elle ne le serait pas, peut-être même sur les intentions de Moïse. Mais s’il avait choisi ces solutions il n’aurait jamais pu obtenir si efficacement la dislocation d’une foule remplie de haine. De plus la rage aurait pu se détourner contre lui ou l’englober.

Qui n’a jamais vu le fonctionnement d’une foule attisée par le goût du sang ne sait pas combien il est dur, voire impossible, de la détourner de la mission qu’elle s’est donnée. Hélas, il suffit aujourd’hui d’aller sur You Tube pour voir la réalité terrible de ce type de situation.

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L’épilogue de cet épisode dramatique est tout aussi instructif.En effet Jésus dit à la femme : « moi non plus je ne te condamne pas. » Or la proposition précédente laissait entendre que s’il existait un juste parmi la foule, celui-là aurait le droit de jeter la première pierre. Et, on le sait, dès la première pierre lancée, les autres suivent aussitôt. On peut donc comprendre que Jésus ne veut pas se positionner au dessus des autres. Au lieu de ça il promeut, une fois de plus, l’attitude de miséricorde. S’il n’avait eu cette ultime répartie on peut imaginer qu’une caste de gens se prétendant justes se serait réclamée de cette histoire pour s’arroger le droit hallucinant de juger, condamner et mettre à mort tous ceux qui défailliraient. Evidemment ça s’est produit dans la passé et çase produit encore tous les jours. Mais ces faux justes ne peuvent se prévaloir d’un exemple procuré par Jésus.

5.3 Le fils prodigue (Jean 7)

Cette parabole parle, d’une part, de l’amour inconditionnel prompt à pardonner car il ne réduit pas l’être aimé à ses fautes et, d’autre part, du fait qu’être fidèle et obéissant est insuffisant. C’est encore une illustration de la folie de l’amour en opposition au respect strictement formel des règles du jeu.

Du côté de l’amour on a bien sûr le père qui guette le retour du fils ingrat. Celui-ci est allé dépenser sa part d’héritage dans la débauche. On ne peut pas imaginer situation plus contraire à toutes les valeurs en usage alors : respect sacré du père, de son bien et obéissance absolue. Or le père accède àl’exigence de son fils et lui donne sa part d’héritage. Ensuite, pris de compassion il se précipite au devant de son fils qui revient et il lui ouvre les bras (autant dire qu’il lui pardonne ses fautes inconditionnellement), sans même écouter le discours de remords que le fils avait préparé pour l’occasion. Enfin il organise une fête somptueuse qui témoigne de sa joie.

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Du côté du respect des conventions on trouve le fils ainé qui est resté fidèle au père, respectant tous les usages en cours, ne demandant rien pour lui. On ne peut rien reprocher à ce filstravailleur. Pourtant cette parabole met en évidence le manque d’amour que dévoile sa rancœur. Il a fait tout ce qu’on attendait de lui mais au final il a le cœur révolté par l’accueil réservé à son frère prodigue. Autant dire, que si leschoses s’étaient déroulées selon une certaine justice, le frèredépensier aurait du être rejeté au nom de toutes les fautes qu’il avait commises, sans autre forme de procès.

On retrouve dans cette parabole le peu de considération apportée par Jésus aux usages et conventions qui règlent la vieen société et la vie familiale, dès lors qu’il s’agit de promouvoir une action motivée par l’amour. On a observé le mêmedétachement par rapport aux lois de Moïse dans l’épisode de la femme adultère. Ailleurs dans l’évangile on retrouve cette constance, par exemple : le fait que les disciples cueillent des épis de maïs le jour du Sabbat (Matthieu 12.1), ou qu’ils ne respectent pas les règles de purification (Luc 11.37). Touterègle formelle devient donc négligeable, voire absurde, dès lors qu’elle s’oppose ou empêche la manifestation de l’amour. L’amour est donc la règle de comportement exemplaire à laquelleaucun formalisme ne doit être opposé.

Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une critique dirigée contre le judaïsme. Toute convention est visée. Ce n’est pas non plus l’incitation à laisser tomber toute règle decomportement en société. Le message est que, parmi toutes choses, l’amour est supérieur ; il doit donc être préféré même si cela implique de négliger des conventions.

Je n’occulte pas le fait que cette parabole cherche aussi à dévoiler la nature de Dieu, le père. Jésus est un fervent croyant. Mais il ne cherche pas seulement à parler de Dieu, il veut convertir les cœurs à un comportement entièrement dévoué àl’amour. Comme il le dit ailleurs : « soyez parfait comme votre Pèreest parfait » (Matthieu 5.48) s’agissant de la perfection de l’amour bien sûr.

Il existe une tension dans l’évangile entre le comportement dicté par l’amour et celui motivé seulement par le respect des

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commandements. L’un est un mouvement qui puise dans le cœur. L’autre attitude pourrait n’être motivée que par le souci de paraitre, un conformisme sans conversion profonde aux valeurs que l’on semble respecter. Sans cesse Jésus est mis à l’épreuvesur cette tension. Il se défend de s’en prendre à la loi : « je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir » (Matthieu 5.17). Dans le Sermon sur la Colline il prend le contre-pied de ces accusations en affirmant que son approche basée sur l’amour estencore plus contraignante que la seule loi, notamment en ce quiconcerne l’attitude de non-violence radicale, comme nous l’avons vu au paragraphe « Aimez vos ennemis » ci-dessus.

5.4 Le bon samaritain (Luc 10.25)

Cette parabole prend encore le contre-pied des facilités auxquelles on succombe si souvent. En l’occurrence il s’agit dedémolir l’idée que si l’on appartient à la bonne communauté, sil’on a le bon pedigree on est automatiquement bon. Ce qui sous-entend qu’on pourrait s’abstraire de certains efforts, que l’onn’aurait plus rien à prouver tout simplement parce que notre appartenance à un groupe  nous garantirait une bonne réputation.

Les exemples qu’il prend sont successivement le prêtre et le lévite, tous deux très haut placés dans la hiérarchie religieuse et susceptibles donc de représenter au mieux Dieu sur Terre, et enfin le samaritain que l’on refuse, à l’époque, de considérer comme un juif, bien qu’il descende des anciens hébreux, pour la raison qu’il ne reconnait pas le Temple de Jérusalem, entre autres griefs. On dit que Jésus fait cette parabole à des docteurs de la foi et l’on ne peut qu’imaginer l’humiliation ressentie par ces croyants sincères. 

On retrouve ce trait provocateur, voire l’humour de Jésus. Car le prêtre, tout comme le lévite, évite le pauvre bougre laissé pour mort au bord de la route. Peut-être sont-ils indifférents à sa souffrance ? Peut-être craignent-ils tout simplement d’être exposés à l’impureté ? Quoi qu’il en soit, le samaritain, pris de compassion, prend en charge le malheureux.

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Jésus donne alors quantité de détails qui montrent à quel pointce bon samaritain prend à cœur d’apporter tous les soins nécessaires, prévoyant même de prendre en charge toute dépense supplémentaire, même alors qu’il sera parti.

Que peut signifier cette parole sinon la vanité des qualificatifs de prêtre ou de lévite lorsque vient le moment d’agir par amour ? On pourrait dire la même chose du qualificatif de chrétien si au moment où il doit manifester l’amour il préfère détourner le regard. On le voit ici aussi, la seule chose qui compte pour Jésus c’est l’acte d’amour et aucune belle parole, appartenance, aucune fidélité formelle à des cultes ou des conventions n’a grâce à ces yeux si elle sertde prétexte pour ne pas aimer.

5.5 Le sermon sur la colline (Luc 6.20 à 49) et Matthieu (5.1 à 7.29)

Un jour, j’étais alors athée convaincu, j’ai acheté un livre sur la philosophie, présentant les textes majeurs au cours des siècles, depuis l’antiquité jusqu’à notre époque. Pour illustrer le courant de pensée chrétien, loin d’être anodin dans l’histoire de l’Occident, les auteurs y avaient intégrés le Sermon sur la colline. Lorsque je suis tombé dessus c’était la première fois, je pense, que je lisais un texte chrétien, endehors de tout contexte religieux. J’ai été séduit par ce Jésus, aux paroles accessibles et touchantes. Je ne suis pas allé plus loin que l’impression de réconfort qu’elles m’ont procuré sur l’instant. Le ton de ces écrits tranchait avec les exposés philosophiques qui l’entouraient. Cela semblait plus vivant. Ce souvenir est resté gravé dans ma mémoire.

Il existe deux versions assez différentes de ce sermon, qui estcertainement la somme de plusieurs enseignements de Jésus. La version de Luc est beaucoup plus courte que celle proposée par Matthieu. La version de Luc est beaucoup plus douce, beaucoup moins polémique. Les Béatitudes : « Heureux les pauvres en esprit » (éloge de la simplicité) en compose la plus grande partie. Suitl’exposé sur la non-violence, ce refus de la réciprocité

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toujours présenté de façon très simple, compréhensible par tous, le choix de la compassion, le refus de juger les autres, l’incitation à produire de bons fruits, c'est-à-dire agir plutôt que se contenter des discours, l’amour en action, à l’imitation de Jésus, étant comme une maison solidement édifiéesur du roc, tandis que celui qui ne met pas en pratique les paroles entendues voit sa maison (c'est-à-dire son salut) balayé par le moindre épreuve.

Ici comme ailleurs, le fait que toutes ces bonnes attitudes ne sont pas récompensées dans le monde (on retrouve ce déséquilibre qui nous fait implorer la justice) est compensé par la promesse d’une récompense dans un autre monde : « Le royaume des cieux. » Cela a nourrit le rêve de tous les croyants de voir la justice établie dans l’au-delà, au paradis, par un Dieu qui récompense les bons et punit les méchants. Je ne reviens pas ici sur ma contestation de cette solution, analyse que j’ai faite précédemment (voir le paragraphe Aimez vos ennemis, ci-dessus).

Dans Matthieu les Béatitudes sont suivies d’une surenchère sur la loi, tendant à prouver que la loi de l’amour est encore plusintransigeante que la seule loi héritée de Moïse. Ainsi diverses situations, qui ne nous apparaissent pas si scandaleuses aujourd’hui, sont présentées et condamnées sévèrement : celui qui se met en colère devrait être trainé devant le juge, celui qui injurie devrait être puni par le tribunal et celui qui accuse l’autre d’être fou mériterait carrément les feux de l’enfer. Après Jésus le doux on trouve ici un moralisateur qui ne prend pas de gants. On y trouve aussi la condamnation du divorce et du fait de jurer. Ce passage se distingue par son ton intransigeant. Pas étonnant que les plus conservateurs des chrétiens s’en soient emparés pour le jeter à la figure des populations...

On avait vu que l’amour fou pouvait consister à ne pas résisterviolement à l’assassin. Ne pas se laisser aller à la colère et ne pas envisager de divorcer sont des exigences presque insignifiantes en comparaison. Mais comment comprendre que la personne qui s’est mise en colère puisse être à ce point condamnée ? Certes elle a manqué à son devoir de douceur. Mais il y a bien des colères qui ne portent pas à conséquence, sans

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dire qu’il y en a de très légitimes (par exemple : chasser les vendeurs du temple...) Je comprends le souci de protéger les femmes contre la répudiation, que la loi de Moïse sembler autoriser. Peut-être ne s’agit-il que de ça : rappeler leur devoir à des hommes un peu trop volages ? Mais les églises prétendent que le texte condamne les couples à rester ensemble,coûte que coûte. Et on a donc vu des femmes malheureuses, bafouées, battues et trompées rester toute leur vie auprès d’hommes exécrables, dans le seul but de ne pas contrarier Dieuou pour ne pas se faire condamner par leur paroisse. Et tant pis pour ceux qui constatent sereinement qu’ils ne s’aiment plus et qui décident de se séparer d’un commun accord....

On est donc là devant le constat que cette folie de l’amour invite en fait à une sorte de martyre, non seulement pour chercher à faire surgir l’amour dans le monde, mais aussi sans raison acceptable: soit pour un conformisme à des règles morales proprement inhumaines, soit pour complaire à un Dieu qui châtierait. Autant je pouvais comprendre les suppliques incitant à la douceur dans les relations humaines, autant je nepuis comprendre ces admonestations qui ne génèrent que du malheur. Car, soyons lucide, la femme battue qui reste près d’un monstre qui ne voit en elle qu’un objet de haine n’a pas àêtre une martyre de l’amour. Son sacrifice ne susciterait jamais la compassion de son bourreau, au contraire. Elle doit donc se sauver. Il est navrant que l’évangile puisse laisser entendre qu’une telle situation pourrait plaire à Dieu, que ce serait une épreuve d’amour qui permettrait à cette femme de mériter le paradis.

Comme je l’avais annoncé au début de ce chapitre je n’ai pas l’intention de commenter dans le détail tous les évangiles. Il existe de nombreux livres qui le font déjà avec beaucoup de talent, bien que ce soit en général un travail réalisé par des religieux ou bien des croyants convaincus. Il existe sans doutedes ouvrages plus critiques, dans le bon sens du terme, qui effectuent une lecture non partisane des évangiles mais j’avouene pas en avoir connaissance. Il me semble que les plus critiques, ces partisans d’une laïcité sans concession, ne prennent pas la peine de faire l’effort que j’ai tenté ici et c’est bien dommage car je crois utile de ne pas se contenter d’une adhésion ou d’un rejet a priori, basé sur des ressentis,

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mais d’aller creuser un peu plus profondément pour se rendre compte par soi-même de quoi il en retourne exactement.

Chapitre 6 : DU CHRISTIANISME (conclusion)

Evidemment il ne peut y avoir de conclusion absolue et définitive sur un tel sujet. Ce que je présente ici récapitule les thèmes abordés précédemment et tente de dégager ce que le christianisme peut encore nous apporter dans le monde d’aujourd’hui.

6.1 Le Christianisme était-il voulu par Jésus ?

Jésus n’a pas, semble-t-il, voulu créer une religion pour concurrencer le judaïsme.

Jésus leur dit : « N’allez pas vers les autres nations, n’entrez pas dans les villes des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis égarées de la maison d’Israël » (Matthieu 10.5-6)

« Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent. » (Matthieu 7.6)

Pour certains commentateurs indépendants c’est dans ces termes que Jésus a défendu à ses disciples de porter l’Evangile aux païens (c’est à dire aux non-juifs. Les plus prudents des commentateurs sont assez embarrassés car il n’y a pas beaucoup de compassion mais plutôt un jugement a priori dans ces paroles. Alors ils usent des circonvolutions acrobatiques pour

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expliquer qu’il ne fallait pas gâcher inutilement son talent. Mais je trouve la première explication plus convaincante.

Il est vrai qu’on trouve aussi quelques petites allusions qui pourraient être interprétées comme des ouvertures vers le mondepaïen. Par exemple : « Je vous le dis, même en Israël, je n'ai pas trouvé une telle foi ! Et je vous dis que plusieurs viendront d’orient et d’occident, et s’assiéront avec Abraham et Isaac et Jacob dans le royaume des cieux; mais les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres de dehors, là seront les pleurs et les grincements de dents.» (Matthieu 8.10-13). Mais on ne peut pas être certain que cela soit son intention car il pourrait s’agirde son esprit provocateur habituel. En effet quoi de plus provocant, pour un juif pratiquant, que d’être comparé défavorablement à un païen. Le but serait donc de provoquer un sursaut d’orgueil auprès des disciples visés par cette menace.

Il a voulu réformer le judaïsme mais il n’y est pas arrivé. Qu’il ait lui-même prétendu être le Messie annoncé par les écritures ou ce que ce soit une idée des disciples peu importe ça n’a pas marché. Les écrits hébraïques ont énoncé un certain nombre de critères, or Jésus n’y correspondait pas. C’est ce que les érudits juifs constatent encore aujourd’hui. D’ailleursil ne remplissait pas non plus les critères pour être reconnus comme prophète. Pour les juifs, Jésus était donc un hérétique qui prenait trop de liberté avec les prescriptions de la loi. L’argument que Jésus aurait posé une loi plus forte qui serait celle de l’amour ne les convainc pas plus. Par exemple, Paul : « Nous estimons que l’homme est justifié par la foi sans la pratique de la Loi. (Romains 3, 28). On ne peut pas leur faire l’injure de dire quel’amour de Dieu était absent de leur principes fondateurs : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force » vient bien de l’Ancien Testament. D’un côté la réforme du judaïsme n’a pas pris, ce qui a nuit à la branche fidèle à la loi de Moïse (menée par Jacques, « le frère de Jésus », évêque à Jérusalem). D’un autre côté Paul et ses disciples ont introduit avec succès la notion d’universalisme, une notion étrangère au judaïsme.  Tout cela a conduit les judéo-chrétiens à créer une nouvelle religion, un processus quia pris des dizaines d’année et qui a pu influer sur la façon dont les évangiles ont été rédigés. L’introduction de concepts comme la Trinité ou l‘insistance à faire de Jésus le fils de Dieu rendent le christianisme incompatible avec le judaïsme.

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6.2 Limites des écrits « sacrés »

Evidemment les textes ne fournissent pas les réponses à toutes les questions qui se posent à l’être humain. En gros ils répondent à des interrogations qui pouvaient être pertinentes au moment où ils ont été produits. Les évangiles reflètent aussi les luttes d’influence pour le leadership de l’église naissante, c’est ce que les exégètes reconnaissent maintenant. On a déjà noté qu’il était préconisé une morale inhumaine dans bien des aspects de la vie intime. Cette morale d’un autre âge sert toujours de fil conducteur aux églises d’aujourd’hui. On ne trouve rien sur le respect de la vie naturelle. Rien ne nousavertit que nous faisons partie d’un tout, une nature qui nous nourrit et nous fait vivre, que nous devons nous sentir solidaires avec toutes formes de vie. Des paroles incitant au respect de toutes les créatures et au respect de la nature auraient pu être bien utiles.

Des paroles interdisant l’esclavage, les châtiments corporels, et toute forme de persécution et de mise à mort, aurait peut être fait progresser l’humanité plus rapidement. Si Jésus avaitdit que « la femme porte la moitié du ciel sur ses épaules » (paroles de Mao Zedong) ou s’il avait désigné des femmes parmi ses apôtres ça aurait peut être fait avancer la condition féminine. C’est bien en fidélité à l’exemple de Jésus que le pape d’aujourd’huicontinue d’exclure les femmes de toute position dans la hiérarchie de l’église catholique. Ceci dit Jésus a prêché le pardon et on a eu les guerres de religion et les bûchers ; il arecommandé la protection des petits et cela ne leur a guère profité en général.

Je regrette de ne rien trouver sur l’art et particulièrement sur la musique, comme si cette activité n’avait aucune importance. Peut-être que cela n’apportait rien aux prêtres aigris qui sont totalement absorbés dans la lecture de leurs vieux grimoires. On se souvient que Platon recommandait que lespoètes soient exclus de sa « cité idéale » car ils avaient cette propension à susciter l’émotion plutôt qu’à fortifier la

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raison. Même Jean-Jacques Rousseau recommande dans sa Lettre à d’Alembert d’interdire le théâtre, cet « art corrupteur qui excite les âmes perfides. » Jusqu’à Tchouang-Tseu (Zhuangzi) qui se défie de la musique qui met « du désordre dans les sons naturels. »

Or, l’art est une activité propre à l’homme qui combine émotionet intellect autant chez le créateur que chez le spectateur. Ilélève l’être humain, et révèle ce qu’il y a de meilleur en lui,comme aucune autre activité sur terre. S’il fallait désigner une transcendance dans l’univers je dirais, pour ma part, qu’elle existe incontestablement dans la musique qui enchante le cœur et fait surgir des images dans l’esprit. Depuis Auschwitz on sait hélas que l’art le plus raffiné est compatibleavec la plus sombre des horreurs (je reprends ici le mot d’un Rabin que j’ai entendu un jour à la TV). Mais cela concerne surtout les persécuteurs.

Rien donc sur l’art, rien non plus sur la créativité. Or plus nous développerons l’aptitude à créer et l’imagination et plus nous verrons de nouvelles solutions émerger sur notre planète. Nous cesserons peut-être alors de tourner en rond sur les mêmesproblématiques depuis le début de l’humanité.

6.3 Le Christianisme, c’est bien plus aujourd’hui qu’il y a 2000 ans

Il fallait évoquer les textes les grandes idées qui fondent le christianisme, mais au jour d’aujourd’hui le christianisme ce n’est pas seulement ce qui s’est passé en Galilée il y a tellement longtemps mais tout ce qui c’est passé depuis en son nom. Nous ne pourrions négliger des paroles telles que celle-ci:Thérèse de Lisieux : « Aimer c’est tout donner, et se donner soi-même »Mère Térésa : « Ne laissez personne venir à vous et repartir sans être plus heureux »François d’Assise : « Rappelez-vous que lorsque vous quittez cette terre, vous n’emportez rien de ce que vous avez reçu - uniquement ce que vous avez donné »

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Martin Luther King : « la non-violence signifie d’éviter non seulement la violence physique extérieure mais aussi la violence intérieure qui est dans l'esprit. Vous devez non seulement refuser de tirer sur un homme, vous devez refuser de le haïr »Nelson Mandela : « En faisant scintiller notre lumière, nous offrons aux autres la possibilité d'en faire autant  »

Bien d’autres évidemment ont apporté une contribution et en enrichissement important à la doctrine initiale. Il y a aussi tous ces anonymes, les gens simples qui ont essayé de faire du bien sur Terre et rendu le monde plus supportable. Des gens sans moyens qui ont imité le bon samaritain en portant secours à plus malheureux qu’eux. Il faut penser à ces noirs qui vivaient leur terrible esclavage avec l’idée qu’un bon Dieu veillait sur eux quoi que puisse être leur vie. Tous ceux qui àl’article de la mort ont confié leur âme à ce Dieu qu’ils espéraient compatissant malgré les discours effrayant des curés. Et ces malades, ces désespérés qui ont murmuré dans le secret leurs souffrances et priés pour obtenir pour eux-mêmes ou pour leur proches du réconfort et des guérisons.

6.4 Accointances désastreuses

On ne peut pas arracher de l’histoire du christianisme ses pages les plus noires. J’aurai voulu démontrer que la doctrine était bonne mais que son application était mauvaise. Mais non il y a aussi de l’intransigeance dans la doctrine, de la condamnation, de l’intolérance qui a servi de justification à bien des persécuteurs. Peu importe si cela vient de Jésus ou des disciples qui auraient forcé le trait dans un sens ou l’autre en raison des luttes fraternelles déjà présentes au début de l’église ou encore des églises qui auraient déformé lemessage. Le résultat est là. L’église a pu se répandre grâce à son alliance avec les pouvoirs temporels. Elle a béni les plus sanguinaires, a intronisé les rois dictateurs en les présentantcomme représentants de Dieu sur terre. Elle était avec Pinochetau Chili, avec Franco en Espagne, avec Salazar au Portugal, les colonels d’Amérique du Sud, de Grèce, avec les colons en Afrique, avec les propriétaires esclavagistes en Amérique, et avec les

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colonisateurs espagnols qui décimèrent les amérindiens au nom de Dieu. Je n’oublie évidemment pas les exemples inverses tels les prêtres d’Allemagne de l’Est et de Pologne (notamment Jerzy Popieluszko, atrocement torturé et tué par les milices du dictateur Jaruzelski) qui ont combattu auprès des populations pour la liberté sous l’ère soviétique ou encore ce missionnairedominicain Bartolomé de las Casas qui a défendu la cause des amérindiens bien que convaincu de la nécessité de l'évangélisation.

J’aurais voulu désigner les bonnes églises qui dans l’histoire se seraient distinguées des autres dans leur pratique. Hélas iln’y en a pas une pour sauver l’autre. Le schisme d’Orient a permis la création de l’Eglise Orthodoxe, prompte à se ranger du côté des puissants et à organiser des pogroms antijuifs. La Réforme, créée sous l’impulsion de Luther, scandalisé à juste titre des pratiques dégradées de l’Eglise romaine croulant sousle poids des richesses a rivalisé avec les catholiques quant à l’organisation de bûchers sensés condamner les hérétiques et bien des femmes, jusqu’aux Amériques (19 personnes pendues à Salem).  Bien des hérésies ont été réprimées dans le sang par l’Eglise romaine. Ici, dans le sud de la France on se souvient de la croisade des Albigeois (nom donné aux Cathares) et le massacre de la ville de Béziers ou catholiques et cathares ont été tués sans discernement : « tuez les tous, Dieu reconnaitra les siens. »)

On parle souvent des œuvres de la chrétienté. Là encore il fautéviter toute généralisation, il y eut de bonnes œuvres, mais parmi elles l’ivraie s’est indiscutablement mêlé au bon grain. Ainsi les foyers d’orphelins ou des enfants étaient soumis au vice et aux mauvais traitements en toute impunité, ces orphelinats en Espagne ou les « bonnes » sœurs faisaient payer le prix de la guerre civile aux enfants des républicains tués par Franco, en les soumettant à des châtiments cruels, et parfois à la mort. N’oublions pas les « Magdalene Sisters Asylum » d’Irlande où les jeunes filles étaient terriblement opprimées et réduites à une sorte d’esclavage. N’oublions les prêtres pédophiles qui, se faisant abusivement passer pour Jésus lui-même, faisaient venir à eux les petits enfants, croyant sans doute qu’ils pourraient absorber leur innocence mais qui n’ont pu que la gâcher définitivement. N’oublions pas

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toutes ces personnes sincèrement croyantes, persécutées par lesdogmes rigides des églises. N’oublions pas ses communautés religieuses qui œuvrent encore aujourd’hui à la ségrégation de tous ceux qui n’appartiennent pas à leur groupe et qui sèment la haine, au nom d’un Dieu d’amour qu’ils prétendent refuser à ceux qui ne leur plaisent pas. N’oublions jamais ces couvents au Rwanda qui ont ouverts leurs portes pour permettre que des chrétiens Tutsis, qui s’étaient réfugiés dans la Maison du Seigneur, soient massacrés par leurs bourreaux Hutu. Le Rwanda étant le pays le plus christianisé d’Afrique ! Je ne peux pas oublier que l’église à beaucoup tergiversé en ce qui concerne l’esclavage, et lorsque Napoléon a rétabli l’esclavage il fut aidé par un évêque qui ne voyait pas d’inconvénient à ce que des noirs soient réduits en esclavage même s’ils étaient chrétiens. De même il s’est trouvé un évêque à Munich pour conseiller les nazis sur le sort réservé aux juifs. Bien sûr ily a eu cet évêque du sud de la France qui s’est scandalisé du sort des juifs et a fait lire une lettre dans ce sens dans toutes les églises de France, contre l’avis de ses supérieurs qui s’étaient tous ralliés au régime de Vichy (pro-allemand).

Mais tout ce bien qui a été fait par des croyants sincères peut-il compenser le mal que le christianisme en tant que religion instituée, souvent proche des pouvoirs, a produit dansle monde ? Sans doute il ne faut pas calculer ainsi et se contenter de se réjouir du bien qui a été réalisé dans le monde. De manière générale les chrétiens se positionnent du côté des forces les plus conservatrices des sociétés et je ne me l’explique pas. En effet à bien des égards le Jésus historique était révolutionnaire ; il n’hésitait pas à bousculer l’ordre établi. Il me semble que la foi devrait être un élément tranquillisant dans la psychologie des croyants. Or ils se crispent sur des questions identitaires, ils refusent etcraignent tout changement ce qui est un aveu de faiblesse et sans doute de foi vacillante. Il y a bien sûr des exemples qui contredisent ce diagnostic mais ceux-là ont été sommés de rentrer dans le rang pas des autorités ecclésiastiques impitoyables. Ainsi les prêtres ouvriers en France ou les tenants de la théorie de la libération en Amérique du Sud. Le Pape Jean-Paul II est même allé sur place les sommer de cesser tout activisme « de gauche », tandis qu’au même moment il brossait les chaussures de Pinochet.

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6.5 A quoi sert le christianisme aujourd’hui ?

Son apport positif continue à être important dans le promotion de l’intériorité, car celle-ci est de plus en plus menacée avecl’intrusion dans la sphère intime des média et des publicités et le formatage et l’uniformisation des esprits : tous ces gensqui répètent des lieux communs et qui ont renoncé à faire entendre leur voix. Il faut continuer à défendre la notion de personne individuelle et digne de respect – sans jamais la réduire à ses fautes. Ceci est loin d’être un acquis sur l’ensemble de la planète tant l’holisme (la primauté de la foule sur l’individu) est tenace. Le christianisme justifie, à juste titre, le choix de la relation fonctionnelle plutôt que l’individualisme qui voit en l’autre un obstacle à sa propre hégémonie. La morale du pardon, si on ne la transforme pas en dogme inhumain, aide à maintenir les liens, notamment au sein des couples. Apprendre à pardonner est indispensable, tant qu’on est dans le monde humain (et non dans le monde de la jungle).

Mais ce qui reste insupportable c’est le moralisme de la part d’institutions qui ont tant failli dans le passé. Tout retour du religieux dans l’organisation de la cité est une catastrophe. On l’a vu en Iran, par exemple. Les horreurs du passé se répéteraient si l’on donnait le pouvoir civil aux papes et aux évêques, je n’en doute pas un instant. La croyanceen une vérité absolue conduit à préférer l’absolutisme à la démocratie Elle rend impossible tout dialogue honnête ; elle pousse inévitablement à la répression de ceux qui sont perçus comme des déviants.

Les solutions simplistes et les menaces qui datent de l’époque de Jésus sont complètement dépassées. Beaucoup de prêtres résonnent encore comme si les sciences humaines n’étaient pas apparues depuis des dizaines d’années. Bravo à l’impulsion initiale donnée par le christianisme dans le domaine d’une certaine sensibilité à la condition humaine. Sans elle peut-être aurions-nous moins progressés aujourd’hui ? Mais nous

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avons collectivement beaucoup travaillé depuis.

On disait donc qu’il y avait des gens bons et des gens méchants. Si les gens étaient méchants c’est parce qu’ils avaient décidés d’être méchants. Dans cet énoncé on retrouve d’ailleurs la trame qui sert de scénario à la plupart des filmshollywoodiens : le méchant est si méchant qu’il mérite d’être tué par le gentil…  C’est une perception infantile. Le petit enfant ne comprend pas que son papa ou sa maman puisse être méchant de temps en temps. C’est que ces notions de bien et de mal ne sont rien que du ressenti. Est bien ce qui fait du bien,est mal ce qui fait mal. Avec la connaissance des mécanismes psychologiques on a découvert le déni, le mensonge qui sert à protéger, les actes manqués, les défis qui sont en fait des appels d’amour, les névroses et les psychoses. On a compris combien l’environnement social pouvait peser sur les individus et les conduire à des actes qu’ils n’auraient jamais faits si leur environnement avait été autre. Mais certains, parmi les plus extrémistes des bigots, voudraient encore dresser des bûchers pour débarrasser le monde des méchants (préfiguration de l’enfer promis dans la Bible). C’est une attitude primaire qui a existé en tous temps, avant, pendant et après le christianisme. L’expression « le monde est meilleur sans untel » est devenue une platitude souvent énoncée pour avouer qu’on n’éprouve aucune pitié à l’exécution d’un méchant. Mais on mentcar la place du méchant exécuté est vite réoccupée. Tant que l’on ajoute de la violence à la violence on ne la supprime pas,on l’augmente, c’est tout.

6.6 Faut-il encore croire en Dieu aujourd’hui ?

Les religions primitives avaient créé des dieux pour exprimer tout ce qui semblait mystérieux et inexplicable. Chacun se voyant animé par un esprit, il était logique d’imaginer des esprits dans chaque chose, dans un arbre, dans un animal et même dans le soleil et la terre etc... Il n’y avait pas de mal à ça et je respecte ceux qui pensent que la nature mérite un respect que l’on réserve parfois à un Dieu imaginaire totalement désincarné tandis qu’on détruit le monde naturel

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dont nous sommes issus.

On sait que je judaïsme s’est élaboré par des apports successifs empruntés au monde païen et le Dieu unique n’est apparu que tardivement, après que plusieurs Dieux aient cohabités dans l’imaginaire religieux de ce peuple. Leur Dieu unique d’ailleurs était d’abord le Dieu des juifs, même s’il avait conçu le ciel et la terre. Il n’est pas certain que Jésuslui-même ait pensé le judaïsme, même dans la version réformée qu’il imaginait, comme une religion qui pourrait s’adresser à d’autres peuples. Evidemment on ne pourra jamais départager lestenants de la construction progressive d’un Dieu par les hommeset les tenants de la révélation selon laquelle Dieu s’est fait connaître peu à peu à des prophètes, puis un peuple puis tous les hommes. La première thèse repose sur l’analyse méthodique des écritures. L’autre sur la foi.

Croire en un Dieu personnel qui nous écoute dans nos prières est bien inoffensif dans le fond, si cela ne conduit pas à l’orgueil spirituel et à la haine de ceux dont on pense qu’ils ont tourné le dos à ce Dieu. La haine des autres motivée par une foi est universelle. Elle vaut bien les haines de toutes les idéologies que l’homme a inventées. Vouloir plaire à son Dieu n’est pas nocif en soi, sauf si l’on pense que son Dieu exige d’aller tuer l’ennemi, même si c’est contraire aux textessoi-disant sacrés car on trouve toujours moyen de s’en accommoder.

On ne peut reprocher évidemment à personne de trouver des consolations dans la prière ou la lecture des livres pieux. On peut simplement se demander quels besoins ne sont pas couverts par notre société civile et pourquoi nous ne cherchons pas de solutions. Peut-être simplement parce que le terrain était occupé par les religions instituées ? Mais cela n’est pas suffisant. Après tout nous avons créé des hôpitaux pour remplacer les hospices et mouroirs religieux de jadis et nous avons développé la médecine pour soigner les malades. Il doit être possible de fournir de meilleures solutions au chagrin et au deuil (et je ne parle pas de médicaments mais de soutien spirituel, émotionnel et social), de mieux développer des réseaux de parole et la confiance.

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Je respecte les croyants de tous horizons et j’espère qu’eux-mêmes sont capables de respecter ceux qui ne partagent pas leurvision du monde. J’ai plus de mal à respecter les institutions religieuses car beaucoup d’indices montrent qu’elles ne se sontpas réformées en dépit de toutes les erreurs du passé - des erreurs qui sont aussi la trahison de leurs propres valeurs. Etpourtant, je peux en témoigner car je m’y suis immergé, il a des gens formidables dans ces institutions, des âmes pures, desgens de bien. Mais il ne faut pas confondre les personnes de bonne volonté et les superstructures qui ont leur vie propre, leur efficacité et leurs vices aussi.

Je comprends également que des croyants aient besoin de se rassembler avec des gens qui partagent leur vision des choses. Mais je mets en garde contre ses agglomérats identitaires et infantilisants qui, s’ils sont mal conseillés ou mal dirigés peuvent amener à la lutte de tous contre tous ou de tous contreun. Des personnes simples, issues de mondes différents, arrivent en général à s’entendre, à s’étonner et à s’enrichir de leurs différences mutuelles. Mais dès que l’on oppose des groupes ça ne marche plus. Rapidement les assemblées se mettentà défendre leur dogme, prises d’angoisse à l’idée d’être diluées dans un tout qu’elles ne contrôlent plus. Le même phénomène est sans doute à l’œuvre dans le cas de confrontations sécularisées mais, lorsqu’il y a moins d’émotionen jeu il y a aussi moins de danger. Il n’y a rien de plus hideux que les haines animées par les sentiments religieux. J’inclus évidemment dans ce constat toutes ces idéologies laïques qui fonctionnent de la même manière, comme je l’ai montré plus haut. Tout groupe rassemble sur le plus petit dénominateur commun or l’exclusion est un sentiment universel qu’un rien peut activer.

6.7 La charité et la justice

La charité c’est bien, elle permet de faire face à l’urgence d’une situation. On donnera à manger à celui qui a faim sans attendre benoitement qu’il trouve un travail et ait un salaire lui permettant de s’acheter de la nourriture.  On donnera à

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boire à celui qui a soif sans lui dire d’aller creuser un puitspour trouver de l’eau. Mais évidemment cela ne suffit pas. Il faut travailler sur les conditions qui amènent à ces situationsoù certains n’ont même pas le minimum pour vivre, sans même parler de vivre dignement. Pendant des siècles des croyants bien intentionnés ont fait la charité, quand ils le pouvaient, en prenant un peu sur leur superflu, sans jamais chercher à régler les problèmes de fonds qui sont l’inégalité, le partage inéquitable, le rapt des richesses par quelques uns. Et qu’on ne vienne pas me dire que les pauvres sont pauvres parce qu’ilsne travaillent pas. Il suffit d’observer le monde pour voir queles pauvres travaillent des journées infernales, sans vacances,et cela concerne les hommes, les femmes, les vieillards et souvent les enfants. De plus la charité maintient une inégalitéproprement insupportable. Celui qui donne peut se targuer d’être généreux. Mais celui qui reçoit est soumis à l’humiliation d’un don qu’il ne peut pas rendre.

Je me souviens d’une chanson terrible de Jacques Brel (Les dames patronnesses) qui raconte comment ces bourgeoises, chrétiennes affichées, cousent des vêtements dans des tissus grossiers de couleur vert kaki, chacune avec ses propres nuances, afin de reconnaître « leurs pauvres » le dimanche à l’église. Voilà ce que la charité peut produire de pire.

L’inégalité sociale ne fait que s’amplifier puisque la doctrinemajoritaire dans le monde actuel dit que c’est vraiment super de ne se préoccuper que de son propre intérêt. On admire la générosité des américains qui ont donné 228 milliards de dollars en 2012 aux œuvres caritatives (ce chiffre correspond uniquement aux dons des particuliers, avec les entreprises il atteint 316 M$). On ne doit pas dénigrer cette générosité mais il faut pourtant noter que ce pays est par ailleurs un championdes inégalités, en raison de ses choix politiques. Les français, plus égalitaires, payent davantage d’impôts et attendent de l’Etat qu’il couvre les besoins sociaux. De ce fait les dons des particuliers sont bien moindres qu’aux Etats-Unis. Mais, quelles que soient les modalités de cette redistribution, ne faudrait-il pas adopter des politiques visant à empêcher l’injustice sociale ? Voilà une ambition que des pays aussi riches devraient mettre au premier rang.

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6.8 Les chrétiens

Beaucoup d’entre eux le reconnaissent : être chrétien ne veut rien dire en soit. Souvent il s’agit seulement d’appartenir à un groupe social bien identifiable par ses leaders et leurs prises de position. Il s’agit de s’inscrire dans une tradition,une fidélité à une histoire ou à sa famille. Il s’agit de se différencier des autres, ceux que l’on a appris à haïr ou dont on se méfie. Dans très peu de cas il s’agit de mettre sa vie dans les pas du Christ ce qui impliquerait toutes ces choses improbables que sont « aimer ses ennemis » et « pardonner à sonqui ont fait du tort. »

J’ai été élevé dans la tradition catholique, qui est la communauté la plus nombreuse parmi les chrétiens, loin devant les orthodoxes et toutes les variantes du protestantisme. Si toutes ses religions étaient vraiment chrétiennes elles seraient l’image de l’amour dans le monde. Or leurs disputes théologiques et leur impossibilité à s’entendre, y compris sur des points essentiels qui fondent leur foi en font la risée de toutes les autres religions. Comment peut-on comprendre que desfactions rivales se disputent la garde du « Saint Sépulcre, à Jérusalem » le soi-disant lieu ou Jésus aurait été crucifié (le lieu fut choisi, au Moyen-Age, un peu au hasard sans doute). Unlieu sacré donc, du point de vue des plus bigots. Il faut que la police israélienne sépare régulièrement les protagonistes qui en viennent aux mains. Cela fait rire bien du monde là-bas. Mais je crois que c’est vraiment stupide et triste mais symptomatique. En effet plus on est dogmatique et plus la moindre différence devient prétexte à conflit.

Au sein du seul monde catholique il existe multitude de tendances différentes, toutes agréées par le Saint-Siège, c’està dire que malgré leurs différences elles se réfèrent toutes aumême credo, au même rite et reconnaissent l’autorité du Pape. J’ai connaissance de ces chapelles, soit par l’actualité, soit par mes lectures. Certaines comme l’opulente Opus Dei ou les trop célèbres Légionnaires du Christ ont défrayé l’actualité avec des histoires sordides. Des ordres anciens ont subsisté

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jusqu’à aujourd’hui : les bénédictins, les dominicains et les jésuites pour n’en citer que quelques uns.

Evidemment on trouve des progressistes (assez rares en fait) etdes traditionalistes parmi les chrétiens. Certains sont d’ailleurs des hérauts de l’Ancien testament plus que du Nouveau Testament. On se demande comment ils peuvent se revendiquer chrétiens alors qu’ils pratiquent volontiers l’œil pour œil. Car, après tout Jésus critique sévèrement cette philosophie revancharde dans son Sermon sur la colline. Mais, Jésus affirme aussi, dans le même Sermon, qu’il n’enlèverait « pas une seule lettre de l’ancienne Loi ». Ce type de contradiction autorise donc toutes les lectures.

6.9 Mon expérience

Je vais maintenant raconter un peu de mon histoire personnelle car cela servira d’exemple à mon exposé. J’ai donc été baptisé à la naissance et élevé en tant que catholique. Ma mère était assez croyante pour veiller à ce que mes frères, mes sœurs et moi ayons une éducation chrétienne. J’ai passé une grande partie de mon enfance dans les jupes des bonnes sœurs et des curés. J’ai eu droit au catéchisme, qui était pour moi comme une extension de l’école. Je me souviens de quelques images d’Epinal, ces histoires ou le merveilleux était prédominant. J’avoue que je suis sorti de l’enfance sans rien avoir compris de tout cela. Pourtant je suis allé aux messes pratiquement tous les dimanches. Qu’est ce c’était long et puis quel charabia incompréhensible ! J’ai souvent trainé dans les presbytères. J’en ai gardé deux souvenirs frappants : les « jardins de curé » extraordinaires avec leurs herbes médicinales et les fleurs et surtout les bandes dessinées pour la jeunesse avec lesquels j’ai passé des après-midis exceptionnels. Il existait en France une forte tradition de littérature chrétienne pour la jeunesse qui s’est assez étioléeaujourd’hui. J’ai été un louveteau, ces scouts pour les plus jeunes et des colonies de vacances pour enfants de la paroisse et j’y ai passé de formidables moments avec des camarades de jeu. Les personnels que j’ai rencontrés étaient tous très

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amicaux. J’avais un don pour susciter la sympathie des curés. Mon obéissance et mon application y étaient pour quelque chose sans doute. Quoi qu’il en soit, malgré une culture générale plutôt bon-enfant je n’ai rien retenu de quoi que ce soit de théorique concernant la religion.

Dès l’adolescence mon intérêt s’est tourné vers d’autres sujets, principalement la musique autour de laquelle toute ma vie s’est bientôt organisée. Les religions orientales m’ont intriguées et j’ai beaucoup lu alors sur l’hindouisme, le bouddhisme, le bouddhisme zen et le taoïsme particulièrement déroutant de Lao Tseu (Laozi). Je me garderai bien de parler deces religions ou philosophies car je n’en ai aucune expérience concrète. J’ai aussi été intéressé par diverses idéologies politiques, toutes à gauche sur l’échiquier, mais sans engagement vraiment prononcé. Juste une sympathie pour ceux quise soucient des opprimés. Je n’aurai de toute façon jamais pu me mettre avec ceux qui ont l’arrogance de se croire meilleurs ou plus méritants que les autres, c’est à dire les gens de droite. Je me suis marié à l’église. Je pense qu’à ce moment làj’aurai eu l’impression que mon mariage n’aurait pas été pleinement reconnu par mes proches s’il n‘avait pas été consacré. Ceci dit cela n’a rien changé dans le fait que j’étais totalement indifférent à tout cela.

Rien n’indiquait que je retournerais à l’église un jour. Et pourtant c’est ce qui s’est passé. Mes motivations ont été largement inconscientes sur le moment. Je dirais que je me cherchais moi-même et je cherchais du sens. J’ai été séduit pasune des ces nouvelles communautés catholiques qui fonctionne unpeu comme les Pentecôtistes. Il s’agissait de la Communauté desBéatitudes qui occupait un monastère à deux pas de chez moi. Non pas qu’ils m’aient intéressés a priori. Je suis allé chez eux parce qu’ils étaient juste à côté. Et j’ai eu un choc en raison de la passion qui s’exprimait là. Il n’y avait pas ses discours convenus, prononcés avec détachement. Vous savez le genre : « soyons dans l’allégresse » prononcé de façon sinistreà une assemblée en plein ennui. Là il y avait de la joie visible, de la profondeur et beaucoup de sincérité, le tout soutenu par une liturgie très belle et des chants bouleversants. Sans le savoir j’entamais alors un voyage d’une dizaine d’années dans ce milieu croyant auprès duquel j’avais

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toujours vécu mais je ne n’avais jamais réellement rencontré.

J’ai vécu ce qu’on appelle une expérience de conversion. Voilà comment je décrivais cette expérience à l’époque :« Au fond de soi une impasse dans laquelle tout s'accumule. La conversion c'est ouvrir une voie au fond de nos impasses. »

J’ai réellement senti une sorte de résistance intérieure s’effondrer complétement et laisser la place à une sorte d’ingénuité, d’ouverture bienveillante vers toutes ces nouveautés. J’ai alors été séduit par tous les aspects de la vie de croyant. Les messes me semblaient être nimbées de mystère et de sens. Je ne m’en lassais pas. J’ai découvert ma totale ignorance. Jusque-là je croyais en savoir suffisamment pour me forger une opinion, or je ne savais rien, rien de ce qui était important. Alors j’ai interrogé ceux qui m‘entouraient, des anonymes comme moi, et puis ces gens qui étaient dans la Communauté et les prêtres et les moines. J’ai commencé à lire des livres par dizaines. Tout m’intéressait : la Bible, les écrits officiels de l’église, la vie des saints, les écrits savants de jésuites et d’autres doctes théologiens. Pendant longtemps rien ne semblait pouvoir étancher ma soif. Jesuis allé participer à des retraites avec des jésuites et aussichez des bénédictins. J’ai alors découvert qu’il y avait des moines en France, moi qui pensais que ça avait disparu depuis des siècles ! Je me suis désintéressé de la Communauté des Béatitudes pour m’insérer dans la vie de la paroisse locale. Les liturgies étaient certes plus modestes mais j’aimais aussi ce dépouillement que je trouvais juste.

Et puis mon intérêt s’est amoindri peu à peu. J’ai eu l’impression qu’à force de se répéter les rites émoussent tout intérêt. Je crois avoir compris l’ennui que les « vrais » chrétiens (je veux bien sûr dire ceux qui ont toujours été pratiquants) semble dégager. La messe, les rites deviennent comme des petites musiques apaisantes qui n’interpellent plus. Ainsi on peut reprendre son petit train-train quotidien à la sortie de l’église, dire du mal des étrangers alors qu’on vientd’entendre un sermon insistant sur l’accueil des étrangers. Quelque chose en moi c’est cassé lorsque j’ai vu des gens mentir effrontément au nom de Jésus ou de la Sainte Vierge, peuimporte d’ailleurs. J’ai eu le sentiment que, pour ceux qui

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m’entouraient, ce qui importait n’était pas cette conversion profonde au message du Christ. Il s’agissait plutôt de se mettre du côté des « bons », une position permettant de se croire meilleur que les autres. Tout me semblait n’être qu’un jeu de faux semblants. Assez dégoûté j’ai cessé toute activité.

Mais je ne regrette pas cette expérience qui a été intense et qui m’a beaucoup apporté. Je suis moins sévère aujourd’hui qu’àce moment-là. J’ai vu des gens juger les autres, et moi-aussi je les ai jugés. Je n’ai pas été meilleur qu’eux au final. J’airetenu beaucoup de choses de cette période de ma vie. J’en ai gardé le goût pour une certaine modestie (ah, peut-être que ceux qui me connaissent ne seront pas d’accord !) Bien des laïcs ricanent des croyants, se pensant supérieurs sans doute mais je ne les suis pas dans cette voie. J’ai découvert au seindes croyants des gens de toutes sortes, exactement comme dans le monde laïc. Des prêtres m’ont beaucoup apporté, d’autres énormément déçus. Des servants d’église m’ont beaucoup touché par leur engagement à faire vivre la communauté locale des croyants. Il s’agissait essentiellement de femmes et il est navrant que l’église persiste toujours à ne leur accorder qu’une place mineure. J’applaudis les églises qui ont commencé à ordonner des femmes prêtres et même des évêques. Les femmes ont beaucoup à apporter, quel dommage de vouloir les tenir à l’écart !

Je n’ai pas perdu de vue ce monde-là même si je me refuse désormais à intégrer un corpus quelconque. Je n’ai pas aimé le pape Benoit 16, mais j’ai de la sympathie pour le pape François, sans illusion toutefois. J’ai continué à lire de temps à autre des livres relatifs au christianisme. C’est ainsique j’ai découvert les écrits de Dietrich Bonhoeffer, ce pasteur allemand tué par les nazis, dont tout lecteur attentif sait à quel point j’ai aimé ses intuitions.

Pendant cette période j’ai ressenti une émotion particulière que l’on appelle le sacré. Cette sensation de crainte et d’espoir, cette humilité qui nous envahit devant une représentation que l’on aime ou que l’on place très au-dessus de soi. Je ne sais pas dire, même avec le recul, si c’était bien ou mal. Je l’ai vécue, c’est tout. Je m’interroge quand même s’il n’y a pas un risque de servitude à se trouver dans

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cette situation. Quoi qu’il en soit le sacré n’existe pas objectivement. C’est une émotion, un sens totalement subjectif donné à quelque chose. Voici ce qui me parait raisonnable bien que cela puisse paraître assez paradoxal. Il s’agit d’affirmer,soit que tout est sacré, autrement dit tout est important, toutdoit être respecté, soit affirmer que rien n’est sacré, c’est àdire que rien ne doit être mis au dessus du reste, ce qui revient à aborder toute chose avec humilité.

J’ai aussi vécu avec les sensations que Dieu ou Jésus, ou n’importe quelle autre figure de ce Panthéon mystique, était réellement présent, en moi, près de moi ou au-dessus de moi. Une présence que je sentais aimante et attentive. Je ne peux que comprendre ces croyants qui affirment ressentir une telle Présence, de même qu’ils voient des « signes » partout. C’est ce qu’ils appellent : « vivre dans l’intimité de Dieu. » Mais je note que dès lors que je n’ai plus voulu croire, c’est à dire quand j’ai cessé de faire l’effort de croire, ces sensations ont disparu. Du coup, je me dis que nous sommes capables de faire apparaître ce en quoi nous voulons croire désespérément. C’est une expérience subjective qui peut être très forte et qui peut renforcer notre foi, de même qu’elle se renforce au contact des autres qui vivent la même expérience. Pour moi cela indique que chacun génère sa foi, elle ne tombe pas du ciel, elle est un phénomène de notre esprit. L’immersiondans une communauté de croyants lui apporte de la consistance et une apparence de réalité objective.

Je continue mon propre chemin en m’affirmant désormais agnostique. C’est à dire que je ne veux affirmer rien de définitif à ce stade de ma vie. Je crois qu’il faut cultiver son jardin intérieur : un esprit apaisé qui ne cherche pas querelle et une ouverture à toutes les altérités. Cela me semble plus pertinent que n’importe quel dogme, qu’il soit religieux ou autre.

On l’aura sans doute compris : pour moi la vraie différence ce n’est pas entre laïcs et croyants mais entre ceux qui cherchentet ceux qui ne se posent aucune question. Je connais, dans mon entourage, des gens de différentes obédiences qui travaillent ensemble pour rendre le monde plus juste, sans s’exclure mutuellement pour leurs croyances. En définitive ce qui compte

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c’est ce qui est fait concrètement et non l’appartenance ou nonà une religion ou un mouvement de pensée. Cette leçon est d’ailleurs déjà présente dans l’évangile et elle est toujours applicable aujourd’hui.

Voici quelques uns des aphorismes que j’ai composés pendant cette période :

Il n'y a d'humiliation que tant que subsiste de l'orgueil

L'affrontement de toutes nos forces ne cesse de nous éloigner les uns des autres, c'est dans la faiblesse que nous nous réconcilions

La pauvreté spirituelle c'est reconnaître son indigence et avoir l'humilité de ne pas s'en affliger

Le regard de l’innocent ne sait voir que le bien chez autrui

Refusons d’être le comptable des fautes d’autrui

L'élan créateur est un cri d'amour

Aimer c'est voir l'innocence au cœur d'autrui

6.10 Jésus et l’homme qui aimait les hommes

Et pour terminer un petit conte que j’ai inventé à propos de l’accueil nécessaire des différences sexuelles. Si cela ne m’exposait pas à la lapidation par des bigots déchainés, j’aurai bien proposé que cela soit rajouté à une version modernisée et réactualisée des évangiles !

Jésus marchait de bon pas avec ses disciples. Ils arrivèrent à l’orée d’un village où Jésus avait prévu de prêcher la bonne parole. Ils aperçurent alors des hommes et des adolescents qui jetaient des pierres et de la boue sur une petite baraque d’où s’échappait des cris de terreur. Jésus demanda ce qui se passait. Un homme s’approcha en riant et lui dit : « Cet homme est réputé pour aimer les hommes. Les gens du village ont donc l’habitude de venir le

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terroriser pour lui faire payer ses penchants contre-nature. L’autre jour des hommes du village l’ont jeté dans la fosse à purin alors qu’il passait tranquillement dans la rue. Cela nous a bien fait rire. Depuis cet homme n’ose plus sortir de chez lui et c’est pour le faire sortir que l’on vient caillasser sa baraque. »

Jésus fut horrifié d’entendre ce récit. Il le fut d’autant plusqu’il reconnut quelques uns de ses plus fidèles disciples parmiles hommes qui lançaient des cailloux. Il dit : « N’avez-vous doncrien compris de ce que je vous dis jour après jour ? De quel droit venez-vous tourmenter cet homme ? » Un de ses disciples, particulièrement choqué de cette interpellation, lui répondit : «  Seigneur, ne faisons-nous pas qu’appliquer la loi de Moïse qui condamne les actes contre-nature ?Cet homme est déviant et habité par le mal. » Jésus lui répondit : « Mais n’est-il pas un enfant de Dieu ? ». Le disciple se mit en colère : « Comment peux-tu dire cela ? Est enfant de Dieu celui qui respecte ses commandements. Or cet homme dont la sexualité est stérile ne pourra jamais respecter le commandement ‘’croissez et multipliez-vous’’. »

Apercevant une femme qui se tenait là Jésus lui demanda ce qu’elle pensait de tout cela. La femme, un peu intimidée, lui répondit : « Seigneur, je ne suis pas au fait des subtilités de la loi de Moïse. Toutce que je peux dire c’est que cet homme n’a jamais fait de mal et que je souffre de le voir ainsi tourmenté. Il est souriant et rend de nombreux services à ses voisins. Il dit des poèmes et joue des musiques joyeuses sur sa cithare. Il est doux avec les enfants.Même s’il ne semble pas attiré par les femmes il est attentionné et les respecte bien mieux que beaucoup de ces brutes qui ne voient les femmes qu’à travers leurs désirs. »

Jésus prit alors la parole : « Celui qui accuse, celui qui condamne, celui qui jette des pierres, il devient l’instrument du mal au moment même où il croit servirle bien. Dieu n’habite pas le regard accusateur, la parole qui rejette, le doigt qui exclut. Au contraire Dieu rassemble, il voit bien l’imperfection en tout homme mais il est prompt à lui pardonner. Rappelez-vous ce que vous disiez de l’aveugle de naissance. Vous pensiez que Dieu lui faisait payer une faute que lui ou ses parents avaient commise. Vous, mes disciples, ne faites pas comme ces païens qui accusent les fautes des autres pour apparaitre eux-mêmes sans tâches. Tournez votre conscience vers vous-mêmes et n’ayez que charité au cœur lorsque vous vous tournezvers les autres qui sont autant capables de bonté ou de méchanceté que vous. Cet homme, dont on dit qu’il aime les hommes, n’a pas plus péché que personne d’autre ici. On dit qu’il est de bonne compagnie, respectueux, pacifique et qu’il est intégré à la vie du village. L’amour n’est-il pas toujours fécond ? Certes il l’est de façon évidentelorsqu’un couple donne la vie à un enfant. Mais, aux yeux de Dieu, le couple stérile

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est fécond lui aussi lorsqu’il répand l’amour autour de lui. De même celui qui renonceà la vie charnelle pour se tourner vers les autres. L’aveugle de naissance ou le boiteuxne sont pas coupables de ce qui les frappe. Le plus souvent l’homme se tourne vers lafemme. Ce n’est pas une vertu mais un don qui lui est donné sans qu’il y soit pour quoi que ce soit. De même celui ou celle qui a d’autres préférences ne peut être accusé d’avoir délibérément choisi une autre voie que la voie la plus commune. La seule chose qui compte c’est l’amour et le respect que chacun accorde à autrui, que ce soit dans sa vie intime ou dans sa vie sociale. Celui qui n’est pas comme les autres,l’infirme, l’aveugle, le sourd ou l’albinos, l’étranger ou celui qui a d’autres préférencessexuelles est exposé à plus de souffrance que les gens ordinaires car il est l’objet d’une discrimination injuste. Mes chers disciples, ayez conscience de cette souffrance et usez de votre compassion. Accueillez les différences, embrassez, pardonnez, aidez, aimez, guidez sans relâche. C’est là que se trouve le chemin. »

Les hommes qui avaient entendu Jésus avaient cessé leur harcèlement. Le regard baissé, ils ne disaient rien. L’homme sorti avec crainte de son abri. Jésus s’approcha de lui et l’étreignit. L’homme pleurait. Les disciples furent émus aux larmes. Les autres étaient maintenant attristés d’avoir agi comme ils l’avaient fait. La femme prit l’homme par la main et l’entraina chez elle pour le réconforter et le nourrir. Son mari, qui était un homme respecté dans le village, les accueillit sur le pas de sa porte avec compassion. Jésus dit alors : « voyez-vous si Dieu permet toutes ses différences entre les hommes ce n’est pas pour exacerber leur haine mais bien au contraire pour susciter le plus bel amour qui soit : l’amour désintéressé, l’amour de celui qui est différent de soi, l’amour de celui qui se distingue de la foule indifférenciée. Dieu est amour. Dieu n’est qu’amour. Chassez de vos comportements tout ce qui exclut, tout ce qui accuse, tout ce qui condamne. Choisissez toujours ce qui rassemble, ce qui unifie, ce qui guérit, cequi fait grandir. C’est ainsi que vous deviendrez de vrais fils de Dieu. »

Un des disciples pensait en son fort intérieur : « vraiment, voilà des paroles bien étonnantes et libératrices. C’est vrai que nos jugements sont autant d’enfermements. » Il repense à la femme adultère que des hommes voulaient lapider. Jésus leur avait dit : « que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre. » La foule hostile s’était disloquée.Chacun était reparti assez piteusement. Et Jésus s’était adressé à la femme : « moi non plus je ne te condamne pas, va et ne pèche plus. » Pourtant cette femme avait trahit la confiance de son mari. Or cet homme, que la foule aimait harceler, il n’avait commis aucune faute sinon celle d’être différent.

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Chapitre 7 : LES MUTILATIONS RITUELLES INFANTILES

Ici je vais évoquer le problème de la circoncision et de l’excision. Je sais que l’un n’est pas l’autre et que ça gène beaucoup de partisans de la circoncision infantile qu’elle soitregroupée avec l’excision qui est universellement condamnée (sauf évidemment là où elle reste pratiquée). Pourtant on ne peut pas échapper au fait qu’il s’agit d’un même geste et d’unemême intention même si les conséquences ne sont pas identiques.Car on peut tous réaliser que si la circoncision était aussi « efficace » que l’excision cela rendrait l’accouplement humainimpossible et donc ce serait la fin de toute l’histoire. Il n’ya donc pas plus de mansuétude pour le garçon que pour la fille.S’il y a moins de dégâts pour le garçon c’est qu’on ne peut pasfaire plus sans mettre en cause l’espèce même. Si l’on abime à ce point les petites filles c’est que, a priori, cela ne compromet pas la possibilité de porter des enfants à l’avenir, même si cela n’est pas toujours vrai, hélas.

7. 1 L’origine

Ces « coutumes » remontent à la nuit des temps mais il s’est trouvé des gens bien intentionnés pour les recommander dans deslivres soi-disant sacrés - au nom de Dieu évidemment - ce qui fait qu’on pratique encore de nos jours ces mutilations par fidélité à la religion ou aux coutumes. L’excision n’est sans doute pas spécifiée dans les écrits sacrés mais il y a toujoursdes imans en Afrique pour confirmer le geste et prétendre que cela plait à Dieu. La circoncision est un signe d’appartenance à la communauté des croyants, juifs ou musulmans. On se

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souvient que ce sujet fit débat dans l’église chrétienne primitive entre ceux qui voulaient respecter les rites judaïques et les tenants d’une extension du message christique à tous les peuples. La volonté d’universalisme porté par St Paul a triomphé, la circoncision ne fut plus exigée, ce qui permit d’agréger des peuples qui, sans cela, auraient été rétifs au message du Christ. 

Tout commence dans Genèse 17.11 : « Vous vous circoncirez; et ce sera un signe d'alliance entre moi et vous. 17.12 A l'âge de huit jours, tout mâle parmi voussera circoncis, selon vos générations, qu'il soit né dans la maison, ou qu'il soit acquisà prix d'argent de tout fils d'étranger, sans appartenir à ta race. 17.13  On devracirconcire celui qui est né dans la maison et celui qui est acquis à prix d'argent; et mon alliance sera dans votre chair une alliance perpétuelle. 17.14  Un mâle incirconcis, qui n'aura pas été circoncis dans sa chair, sera exterminé du milieu de son peuple: il aura violé mon alliance. » On sait que la circoncision était déjà pratiquée en Egypte et qu’elle n’avait pas alors le sens, donné dans la Bible, d’une Alliance privilégiée de Dieu avec son peuple élu.

Selon la Genèse, Abraham alors âgé de 99 ans est circoncis ainsi qu’Ismaël âgé de 13 ans et tous les gens de la maison. Les juifs pratiquent la circoncision à 8 jours et les musulmans, supposés descendre d’Ismaël, autour de 13 ans. L’excision des filles est pratiquée pendant leur enfance, avantla puberté. Certaines sectes judaïques préconisent l’excision.

Pour les croyants, le seul fait que cette pratique est préconisée par Dieu lui-même dans le livre sacré suffit pour justifier la circoncision. La remettre en cause serait un acte sacrilège. Peu importe pour eux que bien des recommandations attribuées à Dieu soient tombées en désuétude, oubliées, relativisées, attribuées à un contexte historique et donc rendues obsolètes. On s’aperçoit que les autorités religieuses ont la capacité de rendre obligatoire ou non telle ou telle parole sacrée. Ainsi les Chrétiens qui ont la même Genèse dans leur Bible ne considèrent pas qu’ils désobéissent à Dieu en ne pratiquant pas la circoncision, alors que même Jésus fut circoncis.

Les exemples de paroles bibliques tombées en désuétude dans la pratique sont nombreux. Il suffit de prendre tel ou tel passage

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des écrits anciens pour s’apercevoir que les religions y prennent ce qu’elles veulent (moyennant des exégèses savantes bien entendu). Les mouvements fondamentalistes s’opposent à cesaltérations survenues au cours du temps mais on s’aperçoit qu’ils font eux aussi leur propre lecture des textes souvent contradictoires. Ainsi on connaît le commandement « Tu ne tueras point » mais on sait aussi que la Bible regorge de situations pour lesquelles la mise à mort est préconisée. Tel croyant pourra se prétendre de la Bible pour exiger l’abolition de la peine de mort, tel autre brandira les écrits sacrés pour affirmer que Dieu exige la mise à mort des homosexuels.

A part les « fous de Dieu » plus personne chez les juifs, les musulmans ou les chrétiens, ne veut mettre à mort par lapidation les couples infidèles, les homosexuels ou les fils qui auraient traités leur père de « fou » bien que cela soit préconisé sans aucune ambiguïté dans les Ecritures. Alors pourquoi un acte aussi barbare que la circoncision est-il encore pratiqué de nos jours ? Qui croit réellement qu’il plaità Dieu d’infliger une telle souffrance aux petits enfants ? Il y a forcément d’autres raisons, qu’elles soient avouées ou non.

7.2 L’acte mutilateur

Dans les temps archaïques on attribuait aux parties du corps une volonté propre. Ainsi Jésus préconisait de couper la main qui serait cause de chute ou d’arracher l’œil responsable de concupiscence. Ainsi la Coran recommande de couper la main du voleur. Quel crime l’enfant, garçon ou fille, a-t-il commis pour mériter une amputation d’une partie plus ou moins importante de son sexe ? On peut répondre : aucun ! Mais il s’agit là sans doute davantage d’une mesure préventive plutôt que punitive. Il est évident que la mutilation des parties les plus sensibles du corps humain attente au plaisir qu’elles pourraient procurer. Ce qui est attaqué ce n’est pas l’organe procréateur mais le plaisir dont il est capable.

Il existe différentes techniques de mutilations génitales mais je ne tiens pas à dégouter mes lecteurs éventuels en les décrivant en détail, de toute façon on trouve sur Internet toutes les informations que l’on voudra. Il est clair que

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l’excision vise à empêcher la future femme d’éprouver quelque plaisir que ce soit pendant l’accouplement. Suivant les techniques mises en œuvre le plaisir sera donc remplacé par l’indifférence ou la douleur. Il est incompréhensible que la beauté du corps féminin soit à ce point maltraitée et brutalisée mais c’est une réalité. Quant à la circoncision, elle permet de réduire les sensations de volupté de 75% (chiffre le plus souvent évoqué) à la fois par l’ablation des nerfs contenus dans le prépuce et la diminution importante de la sensibilité qui en résulte. L’acte de procréation n’est pas empêché mais il est rendu moins jouissif. Il est significatif que, motivé par un puritanisme hypocrite, les Etats-Unis aient longtemps préconisé la circoncision systématique des petits garçons. Au delà du discours hygiéniste de façade on voyait là surtout un moyen d’empêcher la masturbation contre laquelle dessoi-disant scientifiques menaient une véritable croisade. Certains scientifiques préconisaient même la clitoridectomie pour les femmes pour les mêmes raisons de lutte contre la masturbation et par hygiène. Depuis, il est apparu que tous cesmaux, que la masturbation était sensée générer, étaient totalement imaginaires. Par contre l’objectif, inconscient ou non, était bien réel et égal à lui-même depuis des siècles : lutter contre le plaisir, qu’il soit solitaire ou partagé.

John Harvey Kellogg, médecin et inventeur des corn flakes, prônait la circoncision sans anesthésie des jeunes garçons et des jeunes filles pour lutter contre la masturbation : « un remède presque toujours efficace contre la masturbation chez les jeunes garçons est la circoncision. L’opération doit être faite par un chirurgien sans anesthésie, car la douleur de courte durée pendant cette opération a un effet salutaire sur l’esprit, surtout si elle est associée à l’idée de punition. Pour ce qui est des femmes, l’application de phénol pur sur le clitoris était un excellent moyen de maîtriser l’excitation anormale (les brûlures au phénol sont très douloureuses et longues à guérir.) »

Les femmes non excisées seraient des filles faciles, promptes àrechercher le plaisir, c’est ce que disent les exciseuses en riant. Elles seraient donc des putes en puissance. Au moins l’excision ne cache pas ses objectifs derrière des arguments demauvaise foi : seule serait digne la femme privée de ses organes du plaisir.Dans le cas de la circoncision on est beaucoup plus hypocrite.

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L’argument de l’hygiène ne tient pas la route. On sait que l’hygiène n’a été préconisée que lorsqu’on a découvert l’existence des microbes, en fin du XIXème siècle. Comment expliquer qu’il serait tellement difficile de se maintenir propre qu’il faudrait absolument supprimer ce prépuce qui recouvrerait tant d’horreur ? Et si c’était vrai pourquoi ne préconiserait-on pas alors l’excision totale des sexes fémininsaux plis si propices à dissimulations honteuses ?

Un nouvel avatar de cette croyance est apparu récemment : les pénis circoncis seraient moins réceptifs aux maladies vénériennes et au sida. Il est vrai que la peau kératinisée n’est plus vraiment une muqueuse et elle est donc plus résistante. Mais le risque de transmission, s’il est réduit (de51% seulement et uniquement dans les rapports d’une femme contaminée vers l’homme) n’est absolument pas supprimé. Les campagnes visant à circoncire les africains ont eu l’effet inverse à celui espéré : celui de faire croire qu’il n’est pas besoin de se protéger avec un préservatif dès lors que l’on estcirconcis. De ce fait le virus peut continuer à se propager.

On a aussi longtemps prétendu que le petit bébé ne pouvait pas souffrir de la circoncision, ses « terminaisons nerveuses n’étant pas encore achevées » à un âge si précoce. Or, on sait maintenant qu’il s’agissait d’un mensonge éhonté : les signes de souffrance étaient là mais on prétendait qu’ils n’en étaient pas, il n’y a pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Les bébés souffrent, cela a été scientifiquement démontré (alors qu’il suffisait de voir la réaction des bébés pendant lacirconcision pour le savoir). Même un bébé né avant terme, à 6 mois de grossesse, manifeste la douleur. Les bébés circonscrits(rappelons que c’est fait sans anesthésie dans la grande majorité des cas) manifestent une sur-réaction à la douleur pendant des mois après l’ablation, ce qui prouve en outre que leur mémoire a été imprégnée par l’expérience et qu’ils ne redoutent qu’une chose c’est une nouvelle occurrence. Les bébéssont en état de choc ; rien de les prédispose, confiant comme ils sont, à l’épreuve qu’ils subissent. Des mères (judicieusement écartées de l’opération) constatent un changement important dans leur bébé. Il n’y a pas que le prépuce qui est enlevé mais bien plus. Il serait tentant de demander des analyses du cerveau des bébés, avant pendant et

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après la circoncision pour obtenir d’autres indices des dommages causés par une « coutume » si importante. Mais cela serait utiliser un bébé pour l’expérience et je m’y refuse. Je crois que cela sera connu un jour ou l’autre de toute façon.

Plus aucun organisme scientifique ne préconise désormais la circoncision (et encore moins l’excision) pour des raisons non thérapeutiques. Mais elle reste largement pratiquée dans le monde. Aux USA où tout est propice à faire de l’argent, des marques de cosmétiques américaines dont SkinMedica et Allergan achètent et utilisent des prépuces de bébés qui ont été circoncis afin d'en extraire le fibroblaste avec lequel elles fabriquent des crèmes cosmétiques anti-âge et des injections decollagène antirides. Aux États-Unis, ces prépuces de nouveau-nés sont vendus à l'industrie biomédicale directement par les hôpitaux qui ont circoncis les bébés ! Il est à parier que ces sociétés ont tout intérêt à faire du lobbying pour maintenir untaux élevé de circoncision, afin de ne pas manquer de matière première…

7.3 Le sexe, évidemment

Mais pourquoi s’en prend-t-on au sexe, encore et toujours ? Sans aucun doute parce que le sexe est le centre de l’identité de la personne humaine. Il n’est de lieu plus intime. Attenter au sexe de l’autre c’est prendre possession de son intimité, c’est dire : « j’ai le pouvoir de t’atteindre là, au cœur de ton intimité pour que tu saches que ce n’est pas toi qui fait la loi. »

Imaginons que les anciens juifs aient décidé de sacrifier un lobe d’oreille à leur Dieu… On voit tout de suite que les implications ne peuvent pas être aussi profondes que l’atteinteau sexe. Car personne ne se définit par son lobe d’oreille, personne n’y place son intimité, personne ne définit son identité par la forme de son oreille. Le sexe n’est pas choisi par hasard.

Attenter au sexe c’est venir occuper le dernier refuge possible

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de l’autre. C’est un projet holistique qui affirme la primauté du groupe sur la personne individuelle, qui ne doit exister qu’en relation avec le groupe et en s’y soumettant. L’archaïsmede toutes formes de mutilations sexuelles vient de cette prépondérance affichée et revendiquée du groupe sur l’individu.C’est pour ça que cela heurte notre modernité, acquise de longue lutte contre toutes les forces rétrogrades qui veulent opprimer l’individu.

Dès lors quelle différence y a t-il entre le viol et la mutilation sexuelle, du point de vue de la victime ? On sait malheureusement que des pervers malades attentent à l’intégritéde leur bébé, pensant que le jeune âge de leur victime, son incapacité à verbaliser ce qui se passe, sa mémoire encore en construction lui garantissent une impunité totale. On connait les dommages particulièrement destructifs du viol des enfants, même s’ils apparaissent longtemps après qu’il ait eu lieu. A travers le sexe c’est la personne humaine qui est atteinte, la confiance qu’elle accorde aux autres, l’estime de soi, le sentiment d’impuissance, la culpabilité évidemment (qu’ai-je fait pour mériter cela ?), la mémoire blessée et torturée, y compris dans le corps. Qui peut prétendre qu’une circoncision ou une excision effectuée dans l‘enfance, avec son caractère définitif et la marque imprimée dans le corps, ne produirait aucun des effets qu’un viol ou un abus même s’il est commis uneseul fois ?

L’intention n’est évidemment pas la même. Il est clair que l’exciseur ou le rabbin ont des intentions qui n’ont rien à voir avec celles du pervers sexuel. Mais quelle différence celafait-il pour la victime  au moment où elle est plongée dans l’horreur ? Aucune sur l’instant. La différence viendra du discours qui sera tenu ultérieurement. La victime du viol affronte un silence angoissant, une absence de sens. La personne qui a été mutilée pourra se consoler avec les arguments qui lui seront donné. Elle pourra même s’enorgueillird’avoir affronté l’épreuve, le rite initiatique. La fille excisée pourra prétendre être « purifiée ». Le garçon excisé s’enorgueillira d’être un « vrai homme » ou d’être pleinement intégré à la communauté des croyants. Ces raisonnements et la valeur donnée par la société feront que la victime donnera raison à ce qui lui est arrivé, au prix du refoulement de toute

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la souffrance endurée. De ce fait elle peut devenir le meilleursupporteur de l’excision et de la circoncision. Comme le disaitun rabbin récemment à la TV : « j’ai été circoncis, est-ce que d’après vous j’ai l’air traumatisé ? » Comme si il n’était pas possible d’avoirrefoulé profondément dans l’inconscient la souffrance passée pour la transformer en prosélytisme le plus enthousiaste.

Viol, abus sexuel et ablation, en effet la question doit pouvoir être posée en ces termes. Dans les tous ces cas il y a une volonté qui s’exerce sur un être humain qui n’a alors pas plus de valeur qu’un objet. Cette volonté est aveugle et sourde : elle ne voit pas la souffrance, elle n’entend pas le « non » qui lui est opposée. Elle va jusqu’au bout de son désirde domination. Il n’y a qu’elle. La victime n’existe pas.Par ailleurs, est-ce qu’une circoncision ou une excision précoce (dans les premiers jours) a plus ou moins de conséquences que la même opération pratiquée tardivement (avantla puberté) ? La médecine devrait pouvoir le dire si on la laisse investiguer (évidemment on est très en retard sur l’analyse de cette problématique d’un point de vue scientifique). Je serai tenté de dire qu’il est pire de s’en prendre au nourrisson car il n’a aucune défense mentale à opposer à ce qui lui arrive. Rien ne le prédispose à subir l’ablation d’une partie de son corps et affronter de si grandesdouleurs. Le jeune enfant peut au moins mettre des mots sur ce qui lui arrive, ceci n’atténuant évidemment pas l’horreur de cette castration symbolique et néanmoins réelle.

On connaît maintenant l’impact des mauvais traitements et autres abus sur le développement de l’enfant. Le cerveau et sa capacité à établir des connections entre neurones (propice à l’épanouissement de la personne dans toutes ses dimensions) sont altérés, cela est vérifié et mesuré. Peut-on prétendre queces mutilations génitales n’ont aucun effet ? Et si oui, pourquoi les faire alors ?

7. 4 Les enfants, évidemment

Enfin et surtout : pourquoi s’en prendre à des enfants qui n’ont rien fait pour mériter une opération qui change leur vie de façon définitive ? On sait que la Bible, source des

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croyances judaïques et musulmanes n’est pas tendre avec les enfants. On exige beaucoup d’eux, on veut les soumettre, les dresser, les corriger autant que nécessaire. Les textes ne sontpas avares en conseils de « pédagogie noire ». Alors ce n’est pas étonnant que l’on prévoie un rite particulièrement violent pour parachever leur dressage ! Les femmes sont particulièrement opprimées dans la vision patriarcale et misogyne de la Bible. Mais les enfants sont encore plus brimés.En aucun endroit on leur accorde la qualité de personne humaineen devenir. Il faut les corriger physiquement pour éviter qu’ils se rebellent contre l’autorité. La Bible préconise même de lapider les enfants désobéissants (Deutéronome 21).Le projet à l’œuvre est clair. Ici comme ailleurs il s’agit d’obtenir des personnes suffisamment soumises pour ne pas remettre en cause un pouvoir terrestre qui se drape dans des paroles soi-disant divines pour s’exercer dans le monde. Grattez tout « texte sacré » et vous trouverez toujours un projetde domination des uns par les autres.

Avec les mutilations génitales les enfants paient un lourd tribut à cette volonté de puissance des hommes murs. La grande majorité s’en sort avec juste le poids de la souffrance interdite d’expression, une capacité à ressentir du plaisir diminuée ou totalement anéantie, une cicatrice dans le corps, au niveau le plus intime, qui indique qu’ils ne se possèdent pas eux-mêmes car d’autres ont décidé de s’emparer de leur vie,de les marquer, comme on marque son bétail, pour que, quoiqu’ils décident dans leur vie d’adulte, ils ne puissent revenir sur cette décision. Hélas une partie des enfants soumisà ces rites n’a même pas cette « chance » : ils meurent d’hémorragie ou d’infection, certains sont irrémédiablement émasculés ou rendus infertiles, d’autres ont des séquelles physiologiques telles qu’elles rendent impossible l’acte sexuel(plus de 100 morts par an d’enfants parfaitement sains, rien qu’aux USA). D’autres revendiquent simplement la mémoire endolorie du fait que leurs cris d’enfants n’ont pas été écouté, que rien ne pouvait être fait pour empêcher que l’irrémédiable soit commis et que ceux-là, qui devaient les protéger, les ont soumis aux couteaux, ciseaux et autres lames de rasoir.

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7.5 Il faut avancer

Les plus convaincus diront qu’on ne peut pas s’opposer à la tradition de ses ancêtres. Pourtant l’histoire regorge d’exemple de traditions inhumaines qui ont été abandonnées peu à peu. Par exemple la Bible évoque ces Cananéens qui sacrifiaient leurs premiers-nés au dieu Baal, un rite qui aurait aussi été pratiqué par des hébreux. Le sacrifice d’enfants était jadis courant, toujours dans le but de plaire àtel ou tel Dieu. Il n’y a pas de honte à hériter d’une histoiresanglante, tel est le sort de tous les peuples de la Terre. Mais il y a une responsabilité pour chaque génération, celle defaire évoluer ses pratiques et ses croyances, celle de faire mieux que ses ancêtres (sans pour autant les condamner, car quediront nos descendants de nous plus tard ?)

Nous avons du mal à faire reculer la haine ou le mépris des femmes qui transparait dans les siècles anciens et pourtant, peu à peu, les choses avancent. Il faut faire de même en ce quiconcerne les enfants et faire en sorte que plus aucun rabbin nesoit contraint d’aspirer le sang des pénis mutilés des petits garçons (le Talmud suggère d’aspirer par la bouche du rabbin lesaignement du sexe de bébé lors de la circoncision jusqu’à ce que le sang ne coule plus) ni que plus aucune femme ne soit contrainte à devenir exciseuse pour gagner sa vie.

Si en entrant chez moi j’entendais des hurlements de douleur etd’angoisse de mon bébé et que je découvrais un étranger en train de lui taillader le corps je sais quelle réaction j’auraiaussitôt. Mais s’il s’agit d’une autorité confessionnelle en train de pratiquer une excision ou une circoncision je laisserais faire en pensant que c’est bien ! Cela semble totalement illogique, non ? En tout cas, cela prouve que la fidélité à une coutume est un puissant anesthésiant.

Je suis sûr que des parents voudraient éviter la mutilation génitale de leur enfant mais ils ne pensent pas pouvoir s’y opposer, en raison de la pression sociale. Il existe d’ailleursdes mouvements contre l’excision dans les pays Africains. Il fautles soutenir. Il existe aussi un mouvement juif contre la circoncision. Les parents qui hésitent devraient se regrouper,

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convaincre leurs amis et leurs familles que ces pratiques d’un autre âge n’ont plus lieu d’exister. Il y a mille autres façonsbien plus efficaces d’affirmer son attachement à une communauté. Ces gens pourraient faire pression sur leurs autorités religieuses. Elles pourraient, par exemple, manifester, faire entendre leur voix à travers les médias, refuser de participer aux cultes, refuser de contribuer financièrement. S’ils étaient suffisamment nombreux je suis certain que les autorités religieuses en viendraient à concéderque, finalement, là n’est pas le plus important. Et que l’on peut organiser une cérémonie de bienvenue du petit être dans lacommunauté, du garçon ou de la fille parmi les adultes, sans plus avoir à faire couler le sang. Il suffirait que les gens leveuillent…

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Chapitre 8 : CE QU’IL FAUT CHANGER

8.1 Ecoutons les voix subtiles

Il nous faut cesser d’écouter les grandes gueules. Pourquoi sommes-nous encore et toujours fascinés par ceux qui parlent plus forts que les autres ? Au contraire mettons-nous à l’écoute des voix plus subtiles et plus vraies, les voix des enfants, des femmes et de tous les opprimés du monde. Ce qu’ilsdisent est bien plus pertinent pour chacun d’entre nous, car ils sont dans une vérité essentielle de la vie qui est force etvulnérabilité tout à la fois. Cultivons l’idée qu’il y a plus de vérité dans les petits détails et les nuances que dans n‘importe quel discours pompeux.

Nous avons été gavés des grands systèmes de pensée qui prétendent tout expliquer, tout englober et tout contrôler. L’homme debout n’a plus besoin d’un dogme qui dirait tout et qui guiderait sa vie dans tous les détails. Il a besoin de pragmatisme, de souplesse, de voir sa liberté protégée et favorisée. Il faut vraiment cesser ces approches totalisantes qui s’en prennent à la diversité humaine, car la diversité des points de vue est une richesse de l’humanité au même titre que la diversité des cultures. Chacun a sa petite musique à faire entendre. Les opinions reflètent la diversité des hommes or lesgrandes gueules et les médias sont comme des rouleurs compresseurs qui veulent tout aplanir, tout uniformiser. Les opinions sont comme des fleurs de toutes couleurs et de toutes senteurs. Mais s’il y a une fleur toxique qui étouffe et empoisonne toutes les autres il faut l’empêcher de nuire.

Il faut résister, ne pas accepter de se laisser englober ou dissoudre dans un tout indifférencié. Non pas que chacun soit

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sa propre création le « sois-toi même » est une foutaise. Chacun est un hybride formé de tout ce qu’il a reçu (sa biologie, son histoire familiale, son environnement social, sesrencontres, sa formation, etc…) et des choix qu’il a effectué. Comme le dit François Varillon : « être libre c’est faire des choix. » Le danger actuel c’est d’être tellement contraints quel’on n’a plus de possibilités de faire des choix : l’abrutissement (médias et discours dominants), l’épuisement (trop de travail et trop de temps perdu dans les transports) etla paresse (ah, ces paroles stupides qui incitent à ne rien faire et à ne pas réfléchir, du type « c’est pas la peine de se prendre la tête ! ») Des principes universels : oui. Une police de la pensée : non !

8.2 Affinons notre façon d’agir

On l’observe depuis toujours, les premières approches sont souvent violentes, car en visant une efficacité immédiate nous n’avons pas pleinement conscience des processus impliqués et des conséquences de notre action. Et puis on étudie, on comprend et on change nos pratiques. Elles s’adoucissent. Ellesdeviennent encore plus efficaces en s’affranchissant de la violence initiale parce qu’on maitrise mieux ce qui se passe, on évite les conséquences à long terme. Par exemple les principes éducatifs brutaux qui ont été la norme pendant des siècles se sont affinés. Battre les enfants devient une anomalie alors que, je le sais bien, dans les années 60, non seulement les parents pouvaient frapper leurs enfants en publicmais aussi les éducateurs, les prêtres et les maitres d’écoles.Les témoins blâmaient évidemment l’enfant : « qui aime bien châtie bien. » Si l’on repense aux traitements psychiatriques de jadison a l’impression de plonger dans un film d’horreur. Les techniques de management des hommes dans l’entreprise sont passées de la dureté et la menace à des méthodes bien plus douces, finalement redoutablement efficaces. Même les équipements de nos routes se sont adoucis : on prend en compte maintenant ce qui pourrait se passer en cas d’accident, on évite de mettre des obstacles qui pourraient blesser, alors

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qu’auparavant on n’y pensait pas ou bien on se disait que celuiqui avait mal conduit méritait ce qui lui arrivait. La violencec’est souvent de l’inconscience, de l’ignorance et de l’insensibilité.

8.3 Promouvons la sensibilité

Travaillons donc à l’éveil de nos consciences, renforçons les processus qui nous rendent intelligents et surtout plus sensibles aux autres et au monde, de même que nous comprenons mieux ce qui nous anime et beaucoup de choses devraient s’améliorer. Visons de petites choses et nous y arriverons. Posons-nous des questions insolubles, des questions sur le mal dans le monde par exemple, et nous resterons prostrés dans une sidération complétement inefficace.  Et surtout cessons de croire que l’insensibilité serait la clé du succès. Ce fait dessiècles que l’on veut que les hommes ne soient plus capables des‘émouvoir et de pleurer, au nom d’un dogme erroné de la virilité. Ce n’est pas naturel et si l’on endurcit les garçons en les moquant quant ils éprouvent de la peine on ne fait que prolonger un état du monde agressif et finalement inhumain. Je pense que la supériorité morale des femmes, que l’on constate partout dans le monde, vient de ce qu’on ne les empêche pas de ressentir leurs émotions. Réhabilitons la sensibilité qui est la base de la compassion.

Les études l’ont démontré : les émotions nous permettent de prendre de bonnes décisions en intégrant des paramètres subtilsque la seule raison écarte. Sensibilité et raison sont la base de l’humanité, ne bannissons ni l’un ni l’autre. Et que l’on cesse d’assimiler la sensibilité à la faiblesse. Je me souviensdes funérailles d’Ahmed Massoud, assassiné en Afghanistan par Al-Qaïda. Ses hommes, des guerriers aguerris qui avaient combattu l’URSS et puis les talibans, pleuraient à chaudes larmes. Un spectacle étonnant et inhabituel. J’ai alors pensé que ceux-là étaient vraiment des hommes, des vrais, qui ne craignaient pas d’exprimer leurs émotions en public.

Tout autres sont ces hommes au visage dur qui prétendent ne

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rien ressentir, pour être conforme au stéréotype masculin. Ils mentent évidemment, à moins qu’on ait réussi à extirper leur humanité de leur cœur. Ils refoulent profondément ce qu’ils ressentent. C’est une pathologie qui peut conduire à un débordement de violence dans le monde et des maladies comme le cancer, les problèmes cardiovasculaires et les ruptures d’anévrisme. C’est le prix à payer pour obtenir des hommes aussi humains que des pantins.

8.4 Travaillons enfin sur la violence

Autant est choquant le recours systématique à la violence autant les messages antiviolence sont souvent d’une niaiserie affligeante. Il est évident que si l’on prétend régler le problème de la violence simplement en promouvant la non-violence on n’y arrivera pas.

La violence puise sa force et sa légitimé dans des ressorts puissants de l’âme humaine. Notre besoin de justice est la cause de bien des violences désirées, conscientes, choisies et finalement appliquées. Notre système de justice n’a pas abolit la violence qui veut se déchainer sans fin dans la vengeance. Il l’a simplement canalisée. La justice c’est de la violence appliquée au nom de la raison. Beaucoup de ceux qui déplorent la magnanimité de la justice envers les condamnés ne se rendentpas compte ce que signifie être privé de sa liberté, ne pas pouvoir disposer librement de son temps, de son corps, de ses fréquentations, être mis au ban du monde des hommes, parqués dans un univers concentrationnaire. Evidemment la société doit se défendre. C’est une violence que l’on peut considérer nécessaire tant qu’on n’a pas trouvé de meilleures solutions.

Or, on n’a pas ou peu travaillé sur des alternatives. Il faudrait travailler d’abord sur le fonctionnement de nos sociétés. Certaines favorisent plus que d’autres la réalisationdu délit ou du crime. La propagation des armes rend plus facileleur utilisation ; la glorification du machisme par les politiques et tous les médias justifie le recours à la force brutale pour résoudre tous les problèmes ; l’appât du gain, le

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culte de l’argent et l’excitation de toutes les convoitises parla publicité, combiné avec l’idée qu’il est idiot de faire des efforts, sont des valeurs terriblement nocives que nos sociétésne cessent d’instiller dans les esprits.

Il faudrait aussi travailler sur les réponses à apporter au crimes et délits pour ne réserver l’emprisonnement qu’aux cas irrécupérables. L’idée que quelqu’un qui a fauté puisse être récupéré n’est pas une idée absurde. Rééduquer le délinquant pourrait être même une idée extrêmement économique pour la société. Le délinquant est issu d’une histoire, de circonstances, de mauvaises fréquentations et de mauvais choix.On connaît ces stéréotypes qui n’en sont pas : démission du père, absence de repère, révolte plus ou moins fondée contre l’autorité ou la société, drogues, premiers mauvais coups et escalade de la violence. Je crois aux vertus de l’exemple et des rencontres résilientes. Ce n’est pas sombrer dans un angélisme naïf que de préconiser la rééducation, la réparation et la réinsertion plutôt qu’un enfermement stérile, propice à toutes les récidives.

D’autre part n’oublions pas que la violence n’est pas toujours un choix conscient. Il s’agit de la violence par réaction, celle que notre propension au mimétisme fait de chaque protagoniste la copie parfaite de l’autre. Dans ces cas-là se poser la question de qui a commencé est purement stérile. Leur dire qu’ils n’ont qu’à choisir la non-violence serait stupide car il est trop tard à ce moment-là. C’est, encore une fois, enamont qu’il faut travailler. La solution c’est de travailler sur nos mécanismes inconscients de manière à mieux contrôler notre façon d’agir dans le monde. Clairement il faut remplacer la réaction instinctive par la réponse réfléchie. Il existe maintenant des formations qui apprennent à gérer les conflits de façon non-violente. Ce qui est important de réaliser c’est que nous aurons toujours à faire face à des personnes violenteset irrespectueuses. Ce qu’il nous faut apprendre c’est tout d’abord de ne pas nous laisser embarquer dans leur cycle de violence, garder notre liberté d’agir comme nous l’avons décidé. Ensuite il nous faut apprendre à désamorcer les pièges tendus par le contradicteur, car il ne rêve que d’une chose c’est de déclencher en nous cette vague de violence irrésistible. On peut aussi espérer, sans se faire trop

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d’illusion, que notre attitude puisse aussi amener l’adversaireà la raison. Il faut nous rendre compte que tout cela nous concerne tous, mêmes les plus paisibles d’entre nous. Car ces mécanismes font partie de notre patrimoine humain. Nous devrions donc tous apprendre la gestion non-violente des conflits et enrichir cette formation toute notre vie.

Dans le même temps travaillons à ce que nos fictions ne se résument pas, comme on le voit actuellement, à la promotion desarmes à feu pour la résolution de tous les problèmes. Evidemment la violence existe dans notre monde et les œuvres defiction ont raison d’en parler. Ce que je déplore c’est qu’elles ne savent pas imaginer des solutions différentes que la violence. Le film Gandhi était une exception puisqu’il montrait, pour une fois, comment la non-violence active pouvaitfaire plier les plus puissants des régimes, sans en masquer le prix pour ceux qui la pratiquaient.

Il y a aussi cette violence insidieuse, comme le notait BertoltBrecht dans « Me Ti » celle que l’on ne perçoit qu’à travers seseffets. Il s’agit de la violence sociale, autrement plus meurtrière en définitive que tous les crimes qui font les délices des journaux télévisés.

8.5 Changeons de système

Débarrassons-nous vite du néocapitalisme, une idéologie faussement scientifique (dont les fondations ne sont rien d’autre que des croyances païennes), une idéologie proprement diabolique d’un point de vue réellement chrétien. Echangeons legaspillage exponentiel, ce « toujours plus » appelé aussi « croissance infinie », par une attitude de frugalité, respectueuse de la nature, compatible avec les ressources disponibles ; la seule attitude permettant le partage équitabledes richesses du monde naturel (lire à ce sujet le magnifique ouvrage de Pierre Rabhi : Vers la Sobriété Heureuse.) Cessons la compétition, qui cherche à établir une domination coûte que coûte, pour revenir à la collaboration mutuelle. C’est l’entraide qui a créé le monde que nous connaissons

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contrairement à tout ce qu’on essaie de nous faire croire. Le néocapitalisme est en train de tout défaire. Assez des guerres et de coups de menton pour savoir qui a raison !

Il nous faut entièrement redéfinir la notion de travail pour que ce ne soit plus une course angoissante vers plus de richesse matérielle (source de frustration) au détriment de la vie familiale (car les enfants ont besoin d’une présence disponible et attentive, pas de parents exténués et impatients)et de l’épanouissement personnel. Le travail doit permettre de faire aboutir des projets qui font du bien à l’humanité. Des projets responsables qui prennent en compte tous les aspects del’activité et des coûts habituellement cachés, ce qui fait que les bénéfices affichés sont menteurs, les coûts étant invariablement reportés ailleurs ; or il faut bien quelqu’un pour payer l’addition. Mais, quand il faut payer, les profiteurs sont déjà partis avec la caisse.  Actuellement le profit ne tient pas compte de la pollution générée qu’il faudrabien payer un jour, du pillage de ressources naturelles telle que l’eau, du vol ou de l’achat à vil prix des matières premières souvent dans les pays les plus pauvres, de l’oppression exercée sur ses propres salariés en terme de liberté, de salaire trop bas et de mise en danger de la santé…

8.6 Les jeunes d’abord

Tous les éducateurs du monde devraient être formés de manière àcomprendre le comportement des enfants dont ils ont la charge. En apportant les bonnes solutions on pourrait transformer le monde. En comprenant pourquoi tel ou tel enfant a mal agit on peut l’aider à dépasser sa problématique. Le concept de tolérance zéro est proprement inhumain. On l’applique dans certaines écoles. J’aimerais le voir appliqué plutôt à ces économistes qui enchainent erreurs sur erreurs mais que l’on continue d’inviter sur les plateaux de TV pour qu’ils nous expliquent le monde. Bien sûr il est beaucoup plus simple de qualifier un enfant d’irrécupérable et le confier à la justice,voire le tuer, comme certains pays le font encore, et pas forcément les plus arriérés, ni les moins chrétiens : le Texas

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a exécuté des mineurs de 16 ans dans un passé récent et l’on sesouvient de George Stinney enfant noir de 14 ans, tué en 1944 sur la chaise électrique à Colombia, après un procès uniquementà charge et finalement déclaré innocent en 2005. Eut-il été reconnu coupable il ne méritait certes pas le châtiment qu’il areçu.

L’école devrait enseigner les bons comportements : écoute, respect, protéger la relation contre l’égoïsme, apprendre la résolution non-violente des conflits parce que « Liberté, Egalité, Fraternité » sur les frontons des mairies françaises ou « In God we trust » sur les dollars, ça ne suffit plus. Les enfants sont notre avenir. Il est nécessaire évidemment de leurdonner les connaissances qui vont leur permettre de trouver leur place dans le monde. Mais il est incompréhensible que l’onnéglige encore leurs besoins de connaissance en matière de communication, de dignité personnelle, de respect des autres. Cet apprentissage permettrait de voir se lever une nouvelle génération d’êtres humains plus capables de se faire confiance et plus capables de résoudre les conflits sans recourir à la violence.

Nous devons tout faire pour que les jeunes nous surpassent en tout. Notre seul orgueil devrait être que nos enfants ne reproduisent pas nos erreurs et inventent un avenir meilleur que ce que nous leur léguons.

8.7 La confiance, mieux que la foi

Souvent je me dis que sans confiance le monde serait tout simplement un enfer. On ne s’en rend pas forcément compte mais la confiance est au cœur de tous nos comportements. Ainsi lorsque je trouve un panneau m’indiquant la bonne direction alors que je fais une randonnée en pleine montagne. C’est la confiance qui me fait croire en la véracité de ce signe et ça me réconforte que quelqu’un ait pensé que cela pourrait aider des gens dans la même situation que moi. Avec la confiance j’investis l’autre positivement. On aura plus de difficulté à trahir une personne qui nous fait confiance qu’une personne qui

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n’a aucun égard pour nous. Le meilleur exemple de ce que peut être la confiance nous est donnée par nos enfants. Cette confiance est totale et suscite en nous le meilleur. Lorsque jeconduis ma voiture, presque tous mes gestes sont conditionnés àla confiance que j’accorde à la qualité de la chaussée, à la visibilité, à la justesse des panneaux de signalisation et au comportement prévisible des autres automobilistes. Evidemment confiance ne veut pas dire aveuglement. On peut avoir confianceet rester totalement vigilant car, on le sait la perfection n’existe pas en ce monde. La vigilance est aussi importante. Elle complète notre confiance.

Contrairement à ce que l’on dit abusivement, la méfiance n’est pas une vertu supérieure. Dans ce discours-là les personnes confiantes sont tout simplement naïves car elles s’imaginent pas à quel point le mal se déchaine partout. On entend souvent : «  n’aie confiance en personne. » C’est l’aveu d’une souffrance, celle d’une personne trahie qui veut prévenir les autres. Mais c’est une philosophie de vie complètement erronée qui ne peut susciter que de mauvais résultats. C’est du même niveau que dire : « il ne faut jamais aimer car l’amour expose à de terribles souffrances. » On peut comprendre l’absurdité d’une telleaffirmation. On le sait, l’amour expose à des risques terriblement éprouvants: la trahison, l’abandon et l’abus. Maisl’amour c’est aussi et surtout ce qui rend la vie digne d’être vécue.

La confiance c’est finalement la foi en l’autre, tandis que la foi c’est la confiance en Dieu. Toutes deux expose à la souffrance. Les plus convaincus des croyants diront que la foi est supérieure en ce que Dieu ne nous trahit jamais, tandis queles hommes oui. J’entends ce raisonnement. Mais, à choisir, je prends la confiance qui s’applique aux petites choses de notre vie, et qui peut donc porter des fruits immédiats, sans attendre les fins dernières si tant est qu’elles surviennent unjour.

Notre monde actuel est travaillé par la méfiance et la peur. Ilest sur une très mauvaise pente. On se méfie des élites qui s’illustrent dans le domaine du mensonge et dans la corruption,on se méfie de toutes les institutions qui oppriment l’individu, on se méfie de l’école qui enseignerait de

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mauvaises choses et du commerçant susceptible de nous voler. Laliste est sans fin. Evidemment tous ces griefs sont fondés sur des cas bien exploités par des médias très prompts à nous montrer tout ce que le monde contient de scandaleux. Mais sachons nous libérer de cette approche pernicieuse qui nous accable sans jamais apporter aucune solution. Certes des trainsarrivent en retard et c’est assez embêtant mais il y a tous lesautres trains qui arrivent à l’heure et dont on ne parle pas. Nos opinions se fondent sur une petite proportion de la réalité, toujours la pire. Le slogan « tous pourris » est évidemment complètement faux. Il permet simplement d’entériner un soi-disant état de fait sans jamais rien faire pour changer les choses qui ne vont pas. Au lieu de cela parions sur la confiance pour susciter des comportements exemplaires. Dites à quelqu’un qu’il ne vaut rien et vous verrez certainement ses actions confirmer cela, tôt ou tard. Investissez votre confiance et c’est le meilleur de lui-même qui peut se mettre àl’œuvre. Evidemment vous serez aussi déçus et trahis. Mais pensez alors à toutes les fois où vous aurez contribués à fairejaillir le meilleur…

8.8 La patience

Ceci m’amène à évoquer la vertu de patience. Notre monde fou est dans une logique du « tout, tout de suite ». Si l’on y réfléchit bien il y a de la violence dans cette attitude. Tout ce qui prend du temps pour se bonifier est déconsidéré par ce type de logique. On préconisera des « chocs » pour précipiter des résultats que l’on n‘a plus la patience d’attendre. Quelques exemples concrets : les poules pondeuses soumises à des cycles de lumière accélérés pour augmenter le taux des pontes, les serres artificielles, grosses consommatrices d’énergie, pour faire pousser fleurs et plantes plus vite ou pour proposer des fraises en hiver, les enfants trop vite catégorisés car on n’a plus la patience d’attendre qu’ils soient prêts à acquérir tel ou tel savoir, etc. La philosophie « le temps c’est de l’argent » dévoile une pathologie de notre rapport au temps. A force de courir nous arrivons en fin de viesans avoir profité de rien. Et tout cela dans l’angoisse de

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« ne pas avoir le temps ». Nos vies sont pleines, mais pleines de choses sans profondeur, pleines de vide.

Tout le contraire est la patience qui est une sorte de confiance en l’avenir, une confiance au temps. Prenons le tempsavant qu’il ne nous enlève du monde des vivants. Comme il est navrant d’entendre des personnes avouer qu’elles n’ont pas vu grandir leur enfant, et puis maintenant il s’en va. Ou encore ceux qui, dans le deuil, regrettent d’avoir vécu à côté de l’être aimé sans avoir pris le temps de lui dire combien il l’aimait et de jouir d’être ensemble, tant qu’il était encore temps. Au lieu de prendre le temps comme un ennemi, contre lequel il faut lutter, prenons-le comme un ami, qui nous apporte la durée nécessaire pour faire quelque chose de bien denotre vie.

Pendant ma période chrétienne (voir chapitre précédent)  j’ai renouéavec une dimension de moi-même que j’avais oublié en grandissant : mon goût pour la contemplation. En effet dans monenfance j’ai vécu des moments particuliers où j’étais fasciné par une couleur, un tissu ou le ciel, par exemple. Il nous fautdu temps pour découvrir la beauté autour de nous. La contemplation silencieuse permet à notre esprit de se calmer, de s’ordonner, de s’apaiser. Peu à peu le goût de la vie se révèle à nos sens. L’instant présent, qui est le seul endroit où nous vivons réellement, nous révèle toutes ses saveurs, auxquelles nous n’avons pas accès lorsque nous fuyons constamment dans un avenir toujours aussi hors de portée.

8.9 Nous garder des médias

Les médias jouent aujourd’hui le rôle des foules déchaînées de jadis. Ou encore ils sont comme une meute de loups enragés à qui l’on jette un quartier de viande. Les médias, pris ensemble, sont encore une de ces superstructures dont la vocation est de diriger et opprimer l’homme libre.

Déjà au temps de mon adolescence nous étions prévenu contre la toxicité des médias, aux mains du pouvoir politique et des

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firmes industrielles. Mais je pensais que chacun était libre dechoisir les émissions qui lui plaisaient. Si des gens choisissaient de regarder ou écouter les émissions les plus abêtissantes c’était leur problème. L’homme averti pouvait faire un choix éclairé car comme dans tout : il y a du bon et du mauvais.

Mais maintenant je suis beaucoup plus sévère tant la vulgarité et la manipulation mentale sont manifestes à tous les niveaux. Et, s’il se trouve encore quelques émissions de bonne tenue, elles servent d’alibi à cette volonté manifeste d’abrutir les masses. Les journaux télévisés rassemblent des millions de spectateurs passifs  tous les jours. Qui croit encore que le choix des sujets est fonction de l’actualité ? Il y a certes des jalon pris dans l’actualité mais ce qui est à l’œuvre, quelque soit le sujet retenu, c’est la volonté de diffuser une certaine philosophie que je résumerai ainsi : le monde est dangereux, les conflits sont nombreux, voici nos amis, voici nos ennemis, regardez comme tout cela est scandaleux… Autrement dit ce qui est favorisé c’est l’inquiétude, la peur, les questions sans réponses, les émotions, la haine de l’autre et la justificationde toutes les violences en raison des violences déjà à l’œuvre.Ce que recherchent ces médias : l’augmentation de l’audience qui permet des l’accroissement des revenus. Le profit tout simplement. L’actualité est une distraction comme une autre. Nous en sommes venus à nous distraire avec des faits horribles mettant en scène de millions de gens, parce que nous sommes confrontés à notre totale impuissance. Ce sentiment d’impuissance nous conduit à l’angoisse, la dépression, à l’indifférence ou au cynisme le plus acerbe.

Jacques Lecomte raconte une anecdote intéressante sur le comportement humain dans des circonstances exceptionnelles et la façon dont les médias les racontent (lire La Bonté Humaine). Après une catastrophe naturelle les médias se sont précipités pour décrire les horreurs qu’ils constataient sur le terrain. Emportés par la passion tous les journaux télévisés ont parlé des survivants pris de panique. Or, rien dans les faits ne pouvait corroborer cette description. Bien au contraire, les survivants étaient restés calmes, un peu sonné bien sûr, mais surtout préoccupés de venir en aide aux victimes. Les scènes d’aide mutuelle, de manifestation d’altruisme et de compassion

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étaient ce qu’il fallait remarquer. Mais tous les journaux ne parlaient que de panique. Sans doute voulaient-ils susciter un peu d’émotion chez leurs téléspectateurs anesthésiés par la publicité ?

La presse est sensée rapporter les faits qui se produisent dansle monde. Mais elle a du mal à résister à la tentation de créerl’événement, de produire une nouvelle réalité et non pas seulement la refléter. Elle cède volontiers, comme toutes les autres superstructures, à la volonté de puissance. La télévision mise sur l’émotion et les scandales, parfois montés de toutes pièces, pour imprégner son empreinte dans les esprits. Du coup nous ne savons rien, ou presque, du monde réel.

La toxicité des journaux télévisés rivalise avec celle de toutes les autres émissions. Les émissions politiques ne permettent jamais d’aller dans le fond des problèmes, d’ailleurs les hommes politiques ont peur de s’aliéner, avec des questions trop essentielles, un public abruti. Au lieu de ça on perd un temps infini sur des sujets de second plan, montés en épingle pour la circonstance. On se souvient des milliards dépensés par la presse américaine pour couvrir l’affaire Monica Lewinsky tandis que des sujets autrement plus importants étaient laissé dans l’ombre. Les débats politiques ne sont plus guère que des combats de boxe à peine mis au goût du jour. Les émissions soi-disant économiques sont des plateauxde propagande pour la pensée unique qui fait se disputer des gens que rien n’oppose dans le fond. Il va s’en dire que les vrais opposants, qui auraient des alternatives à proposer, ne sont pas invités. Il n’y a personne par exemple pour poser la seule question qui vaille : « comment convertir la société du gaspillage à la frugalité respectueuse de la nature et des hommes ? » Ce serait sans doute contrevenir aux dogmes auxquels les médias croient durs comme fer. Au lieu de cela on aura des « spécialistes » qui disserteront sur : « comment mieux réduire les salaires des plus pauvres afin que les riches puissent amasser encore plus de profit. » On pourra même inviter des politiques à ce genre de débat. Je crois que je ne force pas beaucoup le trait. Ce qui est navrant c’est de voir de petites gens prendre fait et causepour des solutions qui leur nuisent objectivement. Mais on leura tellement dit que : « il n’y a pas d’alternative. »

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Il n’a plus qu’à rajouter les émissions de télé-réalité, qui cherchent à montrer au peuple combien les gens du peuple sont des idiots, et les fictions qui toutes justifient le recours aux armes pour régler les problèmes et enfin saupoudrer le toutde publicités plus abrutissantes et manipulatrices les unes queles autres.

Cette critique ne concerne évidemment pas ces journalistes sincères qui nous informent, parfois au péril de leur vie, des maux que les puissances voudraient garder cachés. La liberté dela presse est précieuse. Je regrette en fait qu’elle ne soit pas assez libre, surtout depuis que les grosses entreprises capitalistes ont racheté et concentré tous les pouvoirs.

La moindre des choses c’est d’avoir une distance critique devant tous les médias et faire l’effort de diversifier nos sources d’information. Non pas en multipliant les heures devantla TV mais en lisant les articles de fond, des livres, en faisant des rencontres avec ceux qui ont réfléchit aux problèmes. Les médias nous font croire que nous sommes au courant de tout mais en réalité nous ne savons rien sur rien, juste l’écume des choses, vite emportée par le vent. Il vaut mieux choisir nous-mêmes les sujets qui nous intéressent et lestravailler à fond plutôt que nous laisser emporter par un tourbillon qui fait tout sauf nous respecter. Si on regrette dene pas pouvoir agir sur des événements lointains, ouvrons les yeux sur ce qu’il y a autour de nous, dans notre famille, chez nos amis, dans notre rue. C’est là que nous sommes attendus ; c’est là que nous pouvons apporter du soulagement.

Le bien est très souvent moins spectaculaire que le mal, ce quifait qu’on sous-estime sa place dans le monde, bien qu’il soit présent en tous lieux, de tous temps et dans toutes les cultures.

8.10 Résoudre la pathologie de la masculinité

Simone de Beauvoir a eu ce bon mot : « on ne nait pas femme, on le

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devient. » On peut affirmer qu’il en est de même des hommes, c’est d’ailleurs ce qu’elle explique elle-même dans son ouvragefondamental : Le Deuxième Sexe. Toutes les études concordent pour démontrer que l’être humain n’est pas pure biologie, il est biologie et culture. On se rappelle de « L’enfant Sauvage, » cet enfant d’environ 9 ans, trouvé dans la nature que le docteur Itard chercha à humaniser (voir le beau film de François Truffaut), notamment en lui apprenant à communiquer, éprouver des sentiments, à éveiller sa sensibilité et sa capacité de raisonnement. Lucien Malson, qui publia les écrits du docteur Itard s’exclamera que : « L’homme en tant qu’homme n’est qu’une éventualité, c’est-à-dire moins même qu’une espérance. » Autrement dit, la nature nous donne certes certaines potentialités mais c’est au contact des autres êtres humains que nous pouvons les déployer et les développer. Livrés à nous-mêmes nous ne sommes rien, nos potentialités restent inactives ; nous sommes même moins que des animaux qui ont au moins le secours des instincts.

Cette leçon, à laquelle se rajoutent d’innombrables constats effectués dans le monde entier, ne semble pas troubler les tenants d’une « nature » de l’homme qui serait définie une bonne fois pour toutes. Ainsi ces bigots défendent une nature qui n’est rien d’autre que le résultat conjugué de la nature etde la culture qu’ils veulent abusivement faire passer pour la volonté immuable de Dieu. Cependant au-delà des conceptions étroites des plus extrémistes d’entre nous c’est notre conception générale de l’être humain qui doit encore être questionnée. Nous continuons à conditionner nos enfants pour qu’ils soient des garçons bien durs et des filles bien douces car nous n’avons pas conscience des stéréotypes culturels que nous portons et qui ont été gravés en nous par notre éducation et par tout notre environnement culturel.

L’injonction : « sois un homme » prouve qu’il ne va pas de soi d’être un homme. Il faut prouver qu’on est un homme, ce qui dévoile bien le fait que nous savons que la biologie ne fait pas tout et que nous ne lui faisons pas confiance. Toutes les sociétés ont leurs rites initiatiques pour que les garçons se transforment en hommes aux yeux du monde. Lorsqu’on exige des garçons qu’ils répriment toute sensibilité, nous réalisons une véritable castration émotionnelle qui ne peut que conduire aux

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comportements extrêmes, que l’on regrette par ailleurs. Tout garçon a peur qu’on le prenne ou qu’on le traite de « fille ». Ceci peut venir de ses parents, de ses éducateurs ou de ses pairs. Aussi prend-il toutes les mesures nécessaires pour susciter l’approbation par un comportement ultra-viril qui auragommé toute sensibilité et émotion autre que la colère et affiche-t-il une attitude ostensible de domination. On le formepar ailleurs à s’opposer, voire détester, les autres mâles, un comportement de rivalité qui serait la preuve ultime de leur virilité, mais surtout prémices de bien des violences, défis etguerres finalement.

Malheureusement ça ne s’arrange pas avec l’âge : le monde est peuplé de vieux mâles dominants qui exhortent les plus jeunes àmourir pour telle ou telle cause. Dans ce contexte il se pourrait que les gays soient parmi les plus sains d‘entre les hommes, non pas en raison de leur orientation sexuelle mais parce qu’ils ont su résister aux injonctions de la société.

Les droits que les gays obtiennent de haute lutte sont des libertés qui profitent à tous, hommes et femmes car ils contribuent à l’émergence d’une société qui apprend à ne plus contraindre l’individu jusque dans sa vie intime. C’est pourquoi, en parallèle à l’émergence de ces nouveaux droits, onassiste à des crispations identitaires et monstrueusement oppressives dans plusieurs pays, y compris en Occident. C’est le fait de cette pensée holistique qui ne peut croire que l’individu puisse échapper à la loi du groupe. Il ne faut donc pas croire que la lutte pour les droits des minorités, qu’ellesquelles soient (sexuelles, ethniques ou religieuses), soient acquis. Le moindre courant d’air de l’histoire peut les balayerdu jour au lendemain. Car cette tendance holistique qui s’oppose à la liberté de la personne humaine restera une constante dans le comportement humain.

Les études sur le « genre » cherchent à nous rendre conscient de la manière dont notre société fabrique des hommes et des femmes. Chacun de notre  côté nous pouvons contribuer à ne plusentretenir cette véritable pathologie de la masculinité qui veut lui arracher la moitié de son âme. On peut d’ailleurs comprendre qu’à force de lui apprendre à détester la partie la plus humaine de sa personnalité il en vienne à détester les

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femmes en ce qu’elles incarnent ce qu’il réprime le plus en lui-même.

8.11 Une humanité hybride

Les opposants ont souvent eu raison : les mouvements de libération de la femme, les mouvements pour les droits civiquesdes Noirs, les défenseurs des droits des LBGT, les mouvements de libération, contre la colonisation en Inde, dans les pays Africains, en Allemagne de l’Est, en Roumanie, en Lybie, en Egypte, en Tunisie et on le verra un jour aussi en Palestine etailleurs.

Les réactionnaires de droite, de gauche, religieux ou athées, devraient s’en faire une raison une bonne fois pour toutes. D’autant plus que finalement ils finissent par accepter ces changements. Le propre des réactionnaires est de vivre dans un paradigme figé, qui n’admet aucune altération qui les angoisse ou qui rogne leurs pouvoirs. Puissent-ils voir que tous les changements qu’ils ont finalement fini par intégrer ont contribué à un monde plus tolérant.

Méfions des purifications qu’elles soient raciales, ethniques, religieuses ou politiques. L’histoire nous montre régulièrementce qu’il en coûte à l’espèce humaine – au moins dans l’orgueil qu’elle place en elle-même - de combattre et vouloir détruire l’altérité. Toute chapelle porte en germe cette tentation d’exclusion. On constate aussi que bien des personnes qui veulent exclure souffrent simplement de ne pas connaître l’autre. Ce qui est haï c’est une abstraction. Mettez les en contact avec l’objet de leur haine et ils vont découvrir que l’autre est finalement un être humain, que son cœur vibre des mêmes pulsations et que sa différence en fait quelque chose d’unique et de précieux. Evidemment, je ne suis pas suffisamment idéaliste pour ne pas savoir qu’il existe des mécanismes de déshumanisation puissants qui peuvent empêcher toute rencontre de ce type. 

Il y a pire que se fondre soi-même dans une foule : c’est

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agglomérer les autres dans un tout uniforme et déshumanisé. On sait ce que les mots « juifs » et « pédés » ont signifié dans l’histoire, pour ne pas tous les citer. C’est pour cela que l’on a raison de se défier des communautarismes et des ghettos qui peuvent être ferments de futures exclusions.

Ne reconnaissons aucune frontière et restons méfiants vis à visde tous les « ismes » qui enferment et séparent.

L’être humain est un être hybride qui se construit de mille influences qu’elles soient biologiques ou sociales car il est un être à la fois libre et intelligent – l’intelligence étant une qualité définie par une capacité d’adaptation hors pair. Toute définition vise à l’enfermer dans un modèle figé. Tout groupe d’êtres humains est potentiellement abusif. Même au seinde la même famille chacun est différent et c’est une bonne nouvelle pour nous tous.  Puissent, ces réactionnaires, qui veulent freiner la marche du monde, se rendre compte de tout cela et cesser d’être la cause de tant de souffrances inutiles.Chaque jour est un nouveau jour. Nous devons garder nos cœurs et nos esprits ouverts à tout ce que le jour nouveau nous apporte. Le passé nous a construits mais dans le présent nous pouvons nous remodeler. C’est fondamentalement ce que signifie l’expression « être ému » : être bougé, être changé. Les cœurs secs défendent un monde déjà mort. Les cœurs ouverts accueillent la vie.

8.12 Ne cessons jamais d’apprendre

Nous devons avoir l’humilité de reconnaître que nous avons toujours à apprendre. La maxime de Socrate est toujours vraie :« je ne sais qu’une chose c’est que je ne sais rien. » Les gens abêtis sontfacilement manipulables. Les médias ont une grosse responsabilité dans l’abrutissement général des pays modernes. Plus insidieux encore sont les messages qui nous flattent tout en nous aliénant et qui nous incitent à la paresse. Je l’ai ditplus haut mais le dicton « avant de parler tourne sept fois ta langue dans la bouche » est toujours pertinent. On ne devrait pas parlerd’un sujet qu’on n’a pas étudié profondément. L’habitude qu’ont

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les chaines de TV de tendre un micro à des gens dans la rue pour leur demander leur avis sur des sujets que, visiblement, ils ne connaissent pas, semble illustrer cette remarque d’IsaacAsimov : « la fausse idée que la démocratie signifie que ‘mon ignorance vautautant que vos connaissances’. » Il y a derrière cette pratique un mépris évident des gens ordinaires. Tout aussi pervers est le recours aux soi-disant experts qui enfermés dans leur bulle, souvent tout aussi endoctrinés – voire encore plus fanatisés, que n’importe qui, délivrent une nouvelle parole sainte et incontestable. Or, on le constate tous les jours, les experts ne font que se tromper. Cela ne les empêche pas de revenir distribuer leur bonne parole sur les plateaux de TV.

Evidemment entre ces deux extrêmes il y a toute la place pour la connaissance humble et les questionnements pertinents. Ce qui importe c’est d’avoir l’esprit ouvert : aux connaissances, au dialogue, à l’expérience et à la réalité. Un des plus grandsmaux qui frappent les idéalistes de tous bords c’est leur refusde prendre en compte le monde réel, fascinés qu’ils sont par leur propre paradigme idéal. En fait l’idéalisme est sans douteune fuite devant le monde réel.N’ayons évidemment pas peur de prendre la parole mais ayons à cœur de ne jamais prétendre prononcer des paroles définitives. Dans tout ce que nous disons nous devons veiller à laisser une porte ouverte à de futurs développements. Et gardons notre curiosité intacte, celle que nous avions devant toutes choses lorsque nous étions enfants. Tout devrait nous étonner. Tout devrait pouvoir nous remuer, nous faire progresser. L’être humain est capable d’apprendre sans limites dans le temps. Ce qui caractérise les bigots et les idéologues forcenés c’est qu’ils ont cessé de s’intéresser au monde. Ils débitent leurs vérités soi-disant éternelles et cela est terriblement ennuyeuxintellectuellement, de même que cela peut être nocif pour la société. Je les invite à ouvrir grandes les portes de la perception : « si les portes de la perception étaient nettoyées, chaque chose apparaîtrait à l'homme telle qu'elle est, infinie. » (William Blake)

8.13 Créons de la beauté

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Nous bénéficions de toute cette beauté créée au cours des siècles précédents : les paysages magnifiques façonnés par les petits paysans, les basse-cours où gambadent les animaux de la ferme, la beauté régulière des quartiers de nos villes, les lumières des villes qui, vu du ciel, dessinent des étoiles sur la terre plongée dans les ténèbres, la beauté des bâtiments, des enseignes lumineuses, des jardins publics, les odeurs de pain chaud et de café tout juste torréfié.

A tout cela se superpose la laideur des quartiers abandonnés, des constructions laides qui incarnent le mépris réservé aux plus humbles, les exploitations agricoles de monoculture avec leurs champs uniformes et sans vie. Tous les régimes oppressifsproduisent de la laideur : bâtiments staliniens, art de la propagande, camps de la mort, gibets, potences, usines angoissantes, pollution destructive, élevages industriels aux odeurs de mort, paranoïa, police de la pensée, etc… Montrez-moivotre lieu de vie et je vous dirai dans quel régime vous vivez !

Les religions produisent de la beauté à travers les rites, les processions, les images, la musique, les lieux de culte, les paroles de sagesse, l’intériorité qu’elles suscitent chez leursfidèles. Le monde laïc doit aussi créer de la beauté, il ne doit pas se définir qu’en opposition aux religions, il doit prendre sa part du travail de création de beauté dans notre monde.

Chacun est créateur de sa propre vie. Même dans les cas extrêmes il reste toujours la possibilité de cette liberté intérieure. On se souvient du journal d’Anne Franck : « Je ne veux pas, comme la plupart des gens, avoir vécu pour rien. Je veux être utile ou agréable aux gens qui vivent autour de moi et qui ne me connaissent pourtant pas, je veux continuer à vivre, même après ma mort ! » (Le Journal d’AnneFranck) et des bouleversants écrits d’Etty Hillesum : « Je ne crois plus que nous puissions corriger quoi que ce soit dans le monde extérieur, que nous n’ayons d’abord corrigé en nous. » (Une vie Bouleversée) qui ont développée une pensée de liberté au seuil de la mort.

Créer peut prendre de multiples formes, il n’est pas besoin de s’imaginer qu’il faudrait égaler Jean-Sébastien Bach ou AmadeusMozart. Préparer un repas avec amour, cultiver son petit jardin

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ou prendre soin de sa petite plante en pot, écrire des chansons, partager ses pensées, rendre hommage à ses ancêtres en faisant son arbre généalogique, prendre soin de la tombe d’un cher disparu, prendre du temps pour accompagner une personne seule, améliorer des méthodes de travail pour rendre le travail plus humain, prendre soin de son petit chat, saluer une personne inconnue dans la rue, contribuer à un moment de détente, s’émerveiller des œuvres d’art ou du dessin donné par un petit enfant, participer à des actions qui éveillent les consciences, amener de la propreté dans des lieux publics, soulager à sa mesure la misère du monde… Tout, absolument tout,peut donner lieu au jaillissement de la beauté dans notre monde. Contempler la beauté du ciel participe déjà au jaillissement de la beauté dans le monde.

Il y a un élan vital en chacun de nous, mais que l’on étouffe dans les familles (ah, ces parents dysfonctionnels qui jalousent leur enfant et ne peuvent s’empêcher de broyer cette énergie de vie qu’ils ont déjà brisée en eux-mêmes), dans l’enseignement qui voudrait parfois voir en ces enfants, des pages blanches à remplir de connaissances sans jamais s’intéresser à ce qui jaillit de leur cœur et toutes ces tâchesabsurdes que l’on appelle travail qui veulent transformer l’homme en simple maillon d’une machine productiviste et toutesses conventions qui veulent enfermer l’homme vivant dans un carcan de rigidité mortifère. Dans tous ces cas on a affaire à un autre type de crime contre l’humanité qui est le un crime contre le jaillissement de l’élan créatif. Heureusement, contrairement à sa version mortelle, ce crime peut être réparé,les hommes brisés peuvent se relever. Jusqu’au dernier souffle chacun de nous peut exhaler un peu de grâce sur ce monde.

Nous devons vaincre ces résistances qui refusent toute expression de l’élan vital : les intégrismes religieux et idéologistes, les pesanteurs bureaucratiques, les habitudes sclérosantes, la rigidité mentale, le conservatisme, l’indifférence, la paresse ou tout simplement ce qu’on appelle la force d’inertie, cette force qui consiste à refuser de bouger ou de se laisser émouvoir.

Les croyants sincères et les militants humanistes ont au moins gardé intacte cette volonté d’aller de l’avant (qui n’est pas

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le déni du passé mais sa pleine compréhension), ce besoin de croire (Julia Kristeva), une donnée anthropologique qui transparait dans tout être humain, dès sa naissance.

Cet élan vital est vraisemblablement la source de tout ce qui rend l’homme heureux de vivre : la liberté intérieure, l’élan créatif, l’intelligence, la curiosité, l’ouverture vers les autres, la faculté de s’émerveiller, la générosité et la compassion.

Voici maintenant une petite leçon d’éthique devant laquelle toute la sagesse de Marc-Aurèle n’est que vanité. Peu m’importela religion qui a motivé cette éthique, du moment que je sais qu’il ne s’agit pas de belles paroles mais d’une conviction quis’est incarnée dans des actions que le monde entier a pu voir. Tout ce que j’espère c’est que des gens qui se revendiquent laïcs soient capables de formuler avec leur propre vocabulaire une éthique aussi libératrice que celle-là :

« Si tu es gentil, les gens peuvent t’accuser d’être égoïste et d’avoir des arrières penséesSois quand même gentil …Si tu réussis, tu trouveras des faux amis et des vrais ennemisCherche quand même à réussir …Si tu es honnête et franc, il se peut que les gens abusent de toiSois quand même honnête et franc …Ce que tu as mis des années à construire, quelqu’un pourrait le détruire en une nuitConstruis quand même…Si tu trouves la sérénité et la joie, ils pourraient être jalouxSois heureux quand même…Le bien que tu fais aujourd’hui, les gens l’auront souvent oublié demainFais quand même le bien …Donne au monde le meilleur que tu as, et il se pourrait que cela ne soit jamais assezDonne quand même au monde le meilleur que tu as… » (Mère Térésa)

8.14 Conclusion

J’en arrive à la conclusion de cette étude. En me relisant je me trouve parfois beaucoup plus modéré dans ma critique des

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religions monothéistes que ce que je peux ressentir lorsque je pense à tel ou tel abus ou manipulation, aux copinages désastreux, aux prétentions – encore vivaces aujourd’hui – à régenter la société en dépit des échecs et désastres avérés surplusieurs millénaires. Mais je pose ensuite dans l’autre plateau de la balance les désastres équivalents crées par des idéologies antireligieuses. Et je retiens ceci : c’est la soif de pouvoir qui génère tout. Pour arriver à ses fins cette forceutilise la ruse, la séduction, les belles promesses, la menace,les peurs, la violence dans toutes ses formes et surtout une idéologie totalitaire, qui refuse toute remise en cause et se situe au-dessus de toutes les autres. Tout est bon pour obtenirune armée de fidèles qui se met au service de ce projet de domination, croyant en bénéficier par procuration alors qu’il ne s’agit que d’un troupeau plus ou moins zélé pour faire gagner son camp. Le mécanisme est aussi vieux que l’humanité.

Il ne suffit pas que la condition humaine expose naturellement à tant de souffrances et de malheurs, il faut aussi piétiner lepeu de bonheur que les êtres humains peuvent obtenir sur Terre : on vient les soumettre à des diktats incompréhensibles et contradictoires (car il faut que les gens soient un peu « fous » ou plutôt « abrutis» pour se soumettre ainsi), on vient s’immiscer dans leur vie sexuelle, dans leur nourriture et dans leur habillement ; rien ne doit pouvoir échapper au regard sévère d’un soi-disant Dieu, en réalité aux sbires de toutes ces formes de pouvoir. Bien sûr il faudrait aussi craindre un jugement dernier dans l’au-delà, comme si l’épreuvede la mort n’était pas suffisant.

Mais rien de tout cela ne pourrait marcher sans l’accord de chacun des individus qui composent ces foules croyantes. La vraie question est donc là : dans ce besoin irrépressible de sefondre dans l’anonymat rassurant d’une foule menée par un meneur (Dieu) ou plutôt par ses représentants (clergés de tous poils). Abdiquer sa liberté contre une sécurité qui rabaisse l’homme au niveau du mouton !

Ceci ne peut résulter que d’un endoctrinement dès l’enfance carl’homme a naturellement tendance à vouloir agir librement. C’est pour cela qu’il ne faut pas livrer les enfants à ces clergés qui prétendent leur donner une éducation religieuse

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mais qui ne leur apprennent qu’une chose : leur répugnante hypocrisie, les faux discours d’amour qui portent la haine (de l’autre et de soi bien évidemment) et le jugement à son incandescence, sans même évoquer la terrible perversion de beaucoup d’entre eux. Je plaide au contraire pour une école sanctuarisée dans laquelle aucune idéologie n’ait sa place et pour l’enseignement des valeurs du vivre ensemble, du respect de soi-même et des autres. Il faut développer l’intelligence, c’est à dire la capacité à réfléchir, à questionner ce qui semblait acquis, à refuser tout dogme ou histoire à dormir debout, bref, à faire avancer le genre humain tout ensemble.

Il y a un âge où l’on croit au Père Noël et à la toute puissance des parents. Et puis, heureusement, vient le moment où l’on ne croit plus au Père Noël et où l’on comprend que ses parents sont finalement aussi vulnérables que l’on est soi-même. Au niveau de la société il faut arriver à cette maturité qui n’a plus besoin de croyances pour bien se conduire et faireavancer le monde. Avoir envie de faire le bien ne doit pas êtremotivé par une soi-disant future place au paradis. Ceci est moralement vicieux. Cela doit venir du cœur. Non pas que cela soit spontané évidemment. Il faut apprendre les avantages pour tous à vouloir le bien des autres. Il faut être éduqué, renseigné, il faut voir des exemples à l’œuvre pour avoir enviede faire de même. Il faut entendre parler des bonnes œuvres dans les médias pour savoir que c’est possible de bien agir et qu’on n’est pas tout seul à le vouloir. Il faut susciter, favoriser et promouvoir sans cesse le progrès humain (et cesserd’admirer les plus violents et les plus vides d’entre nous). Ceprogrès est une ligne qui part de la brutalité vers la douceur,de la bêtise vers l’intelligence, de l’abrutissement à la clairvoyance ou encore de la laideur vers la beauté.

Tout est là, tout est disponible. Il ne manque plus que la volonté, les prometteurs. Sur ce chemin-là qui passe par chacund’entre nous les idéologues de toutes sortes sont des obstaclestêtus. Ne nous laissons plus berner par les discours qui veulent nous diriger dans un sens ou l’autre. N’écoutons plus que le meilleur qui vient de notre cœur et de nulle part ailleurs. Le temps des grandes idéologies (et surtout des leaders qui les promeuvent) a assez duré.

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