Le voile: symbole de l’instrumentalisation de la femme au nom de l’idéologie républicaine.

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Postcolonial Studies et Genre à l’Université de Genève. Sous la direction de Parini Lorena. Le voile: symbole de l’instrumentalisation de la femme au nom de l’idéologie républicaine. Postcolonial Studies et Genre à l’Université de Genève. Maxime Lamot

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Postcolonial Studies et Genre à l’Université de

Genève. Sous la direction de Parini Lorena.

Le voile: symbole de l’instrumentalisation de la femme au nom de l’idéologie républicaine. Postcolonial Studies et Genre à l’Université de Genève.

Maxime Lamot

Table des matières.

Introduction ......................................................................................................................... 2

Ce qui est en jeu : pourquoi ce travail ? ....................................................................... 3

Un contexte accidenté. ..................................................................................................... 7

L'analyse : ce qui se cache derrière les discours. .................................................... 11

-La commission Stasi : Avant, pendant et après ................................................ 11

- Une Commission sous pression. .......................................................................... 13

-L'accommodement raisonnable : un refus « féministe ». ............................... 17

-Un féminisme post-colonial ? ................................................................................ 19

3) Le foulard : Un enjeu social ? -Le port du foulard face au « racisme républicain ». ................................................................................................................. 22

Conclusion ......................................................................................................................... 24

Bibliographie ................................................................................................................... 27

Introduction

Aujourd'hui l'interdiction du port du voile dans les établissements

scolaires est appliquée. Il s'agit ici de revenir sur les événements et les

discours qui ont eu lieu depuis 1989 jusqu'au vote de cette loi. Je me

pencherai sur les arguments qui sont « pour » ou « contre » le port du foulard

à l'école. Le contexte permet naturellement de comprendre de ce qui a animé

les passions, mais n'est pas suffisant pour saisir toute la complexité des

systèmes de valeurs qui sont en jeu dans cette affaire. Pour cela il faut sortir

des discours habituels que l'on entend régulièrement dans les médias à

l'instar des politiques. Ainsi il s'agit de mettre en évidence ce que sont

entendus par « laïcité », les « valeurs républicaines », le « foulard islamique »,

ainsi que le féminisme au sens large ainsi qu'au sens étroit. Il est important

de mettre en lumière ces concepts, car cela facilitera l'identification

d'amalgames qui nuisent au débat. Il est aussi question de savoir en quoi ce

rejet culturel est le produit d'un passé colonial « refoulé ». (Tévanian : 2011).

Autrement dit, en raison des déclarations politiques essentialistes, il serait

intéressant de voir en quoi l'on est confronté à des discours de type post-

colonial, et quelles pourraient être les répercussions sur les valeurs que la

France est censée défendre.

Ce qui est en jeu : pourquoi ce travail ?

Il est donc important de comprendre les fondements de la Commission

« Stasi » ainsi que sa mission. Quelle est-elle ? Quelles en été les conclusions

? Sur base de quels arguments ? Et en quoi est ce que ces conclusions ont eu

comme répercussions sur la suite du débat politique qui a conduit au vote de

la loi de 2004 ?

Le discours féministe a tout à fait sa place dans l ' « Affaire du foulard ».

Cela étant dit, les féministes se sont divisées sur la question, étant donné

que derrière l'interdiction du port du foulard est apparu un véritable

dilemme (Delphy : 2008). En effet une large frange du mouvement féministe,

qui se veut comme adversaire du port du foulard, fonde son argument sur

l'égalité dessexes ainsi que sur la dénonciation de l'oppression des femmes

musulmanes voilées symbolisant son infériorité par rapport à l'homme.

D'autres féministes accusent plutôt le caractère discriminatoire, voir même

raciste d'une interdiction du port du foulard à l'école. En quoi le féminisme

occidental classique pourrait prétendre savoir ce qu'il y a de mieux pour les

femmes « voilées », qui, selon certains, ne seraient pas capables d'un

véritable libre arbitre ou dotées d'une habilité de « choisir » ? L'interdiction

du voile constitue-t-elle une véritable protection de la liberté des femmes,

ou est-elle une interdiction de nature raciste ? Faut-il protéger la femme au

détriment de l'égalité pour tous ? Ne s'agit-il pas ici d'un faux débat sous

forme d'ultimatum ? L'essai largement commenté de la philosophe Susan

MollerOkin qui s'intitule « Is multiculturalisme Bad for Women ? » (1999)

(Le multiculturalisme est-il mauvais pour les femmes), aura le mérite d'avoir

posé les questions comme l'on fait beaucoup d'autres féministes. En outre,

son travail a suscité une véritable controverse qui a eu l'avantage de

consolider d'autres visions féministes « antiracistes » jusque-là peu visibles.

Il est donc tout aussi important d'étudier les arguments des femmes qui

soutiennent le voile. Certains témoignages, qui ont été largement ignorés

dans ce débat, ont pu nous éclairer sur le caractère paradoxal des arguments

féministes. À partir de là, il serait intéressant de voir en quoi le« féminisme

occidental» adopte, consciemment ou inconsciemment, un discours

postcolonial. Pour ce faire il est nécessaire de revenir sur le concept du post

colonialisme qui, par la suite, servira à y identifier les différents systèmes de

domination. La grille de lecture des postcolonial studies sera reprise afin

d'analyser la manière dont le débat sur le foulard a dévoilé certaines formes

de dominations culturelles, voir même sociales.

Le paradoxe féministe semble trouver racine dans une autre

contradiction encore plus insidieuse et qui, finalement, nous renvoie à la

problématique de la laïcité proprement française. Car il faut tout de même

rappeler que l' « Affaire du foulard » doit son apparition à sa soi-disant

incompatibilité avec les principes constitutionnels laïques. Il faut donc

recadrer ce qui a suscité la polémique dans un premier temps, hormis les

interventions féministes qui ont eu lieu dans un second temps.

Argumenter sur le problème de la laïcité n'est pas l'enjeu premier, bien

que cela ait été soulevé à de nombreuses reprises par les politiques, pour la

simple raison que le Conseil d’État a émis l'Avis selon lequel le port du

foulard n'allait pas à l'encontre du pacte laïque. Autrement dit, les insertions

telles que la loi de 1905 sur la « liberté de conscience », ou les dispositions

constitutionnelles de 1946 et de 1958 selon lesquelles « La France est une

république indivisible, laïque, démocratique et sociale », constituent des

cadres de sécurités qui assurent le bon fonctionnement de la République

Française (Jean Baudérot 2003). Cela étant dit, il ne s'agit pas icid'étayer des

arguments juridiques qui démontreraient en quoi les dispositions laïques

suffisent ou non à protection des libertés de conscience. Néanmoins je pense

qu'il est approprié de me fier à l'Avis du Conseil d’État comme quoi le port

du foulard ne nuit pas au bon fonctionnement des établissements scolaires

selon certaines conditions énumérées ci-dessous.

La question qui se pose alors, est pourquoi la polémique n'a-t-elle pas

désenflé suite à l'Avis du Conseil d'Etat ? Pour quelles raisons le Président

de l'Assemblée Nationale Jean-Louis Debrée, puis le Président de la

République Jacques Chirac, ont-ils jugé nécessaire de réétudier la question

de la laïcité Française ? On peut considérer cette prise de décision comme

une réponse à l « opinion publique » préoccupée par les tensions culturelles

voire religieuses. Dans ce cas d'où viennent de telles préoccupations ? En

quoi peut-on voir le port du foulard dans les écoles comme une menace ? Si

les Français ont peur de voir leurs valeurs être remises en question, alors de

quelles valeurs parle-t-on ? Qu'est-ce que l'idéal républicain que certains

politiques semblent se donner corps et âme pour le défendre ?

Il est important, à mon sens, que l'on puisse répondre le mieux possible

à ces questions, parce que cela permettra d'identifier les valeurs sous-

jacentes de ce débat face à l' « affaire du foulard ». Les réactions féministes «

occidentales » ont y pris une place tellement importante qu'elles semblent

avoir cachées ce qui est véritablement en jeu. Cela a fait apparaître certains

arguments racistes, qui nous font penser au discours colonial. Le clivage «

féministe séculier » vs« féministe islamique » est un indice (Abdallah : 2010).

Ce féminisme « séculier » tend à faire la distinction entre « nous » (celles qui

seraient les seules à savoir déceler la signification universelle), et « elles »,

(celles qui portent le voile seraient indignes de lutter pour les droits de la

femme). Il existe donc une prétention à l'universalité au sein de cette frange

féministe qui a dominé le débat sur le port du foulard dans les écoles. Il ne

s'agit pas ici de diminuer ou de ternir le rôle de la femme dans cette affaire,

bien au contraire. Il est aussi question ici de briser cette fausse idée que le

féminisme soit monolithique. Il faut aussi tenir en compte cette autre frange

féministe qui a été ignorée. Il est donc essentiel de prendre en compte non

seulement les femmes qui ont été déchirées sur la question, mais aussi les

femmes qui se sont clairement positionnées contre la loi de 2004.

En somme il est important de comprendre pourquoi et comment la

défense des droits des femmes a été plus efficace au niveau des médias que la

défense de la laïcité républicaine dans l' « affaire du foulard ». Il faut dire que

la victimisation de la femme a un caractère plus « choc » et que l'on peut

s'attendre à ce que l'image d « une femme voilée, dominée par l'homme

musulman intégriste » a plus d'impact sur les médias que la laïcité mise à

mal par le port du foulard à l'école.C'est la raison pour laquelle je m'intéresse

ici à l'instrumentalisation de la femme dans le l' « affaire du foulard », qui

cacherait plutôt une sorte de combat idéologique entre l' « Islam fanatique »

et l « universalisme républicain ».

Un contexte accidenté.

L' « affaire du foulard » aussi connu comme « l'affaire tchadors », éclate

le 18 septembre 1989. Elle est devenue aujourd'hui le symbole d'une soi-

disant « France qui se réveille » face à l'invasion islamique. Ce « réveil » se

traduit principalement par la peur alimentée par les médias et les politiques,

mais aussi par l' « affaire Salman Rushdie » qui incarne le défi occidental à

défendre ses valeurs démocratiques profondes face au monde arabe «

fanatisé » par l'Islam. Les Versets Sataniques de Rushdie, qui se réclament

être une description « véridique » du prophète Mahomet , sont publiés et

défendus au nom de la liberté d'expression. Or c'est justement cette liberté

d'expression qui semble avoir été mise en position de victime, à juste titre ou

non, lorsque la majorité des pays du Moyen-Orient décidèrent de bannir cet

ouvrage.

L' « affaire du foulard » n'est donc pas sans précédent. Il existe déjà à ce

moment-là une appréhension de l'Islam qui a conduit immanquablement à

un incident médiatisé tel que Fatima et Leïla Achahboun ainsi que Samira

Saïdani en ont été témoins. Ces jeunes filles portant le tchador se voient

refuser l'accès à l'établissement scolaire Gabriel-Havez de Creil dans l'Oise.

Ce collège composé de 870 élèves dont 500 sont de confession musulmane,

justifie ce refus en évoquant l'incompatibilité du port du voile avec le bon

fonctionnement de l'établissement. Cette affaire prend rapidement une

tournure politique qui marquera l'histoire de France. Lionel Jospin, ministre

de l'éducation à l'époque affirmera qu'il faut respecter « la laïcité de l'école

qui doit être une école de tolérance, où l'on n'affiche pas, de façon

spectaculaire ou ostentatoire, les signes de son appartenance religieuse » et

rajoutera que « l'école est faite pour accueillir les enfants et pas pour les

exclure ». Ces deux déclarations illustrent bien le paradoxe dans le discours

républicain par rapport au principe de laïcité et le principe d'égalité (Geertz

: 2010).

Bien que politiquement il ne s'agit que d'un préambule de ce qui va

suivre, l'affaire finie par être résolue juridiquement suite à l'Avis du Conseil

d’État. Selon cet Avis, le port du signe religieux à l'école n'est pas contraire à

la laïcité, à condition qu'il ne perturbe pas les programmes, les horaires, la

discipline scolaire, et qu'il ne s'accompagne pas d'une manifestation de

prosélytisme dans l'enceinte de l'école. Cette disposition juridique, qui

trouve son fondement dans la constitutionfrançaise, ne semble pas suffire

aux yeux de « l'opinion public », qui sera haranguée par les fervents

«défenseurs » de la laïcité républicaine. S'amorcera alors une succession

d'affaires du même ordre qui s'abattra un peu partout en France.

Le spectre islamique prend d'avantage d'ampleur dans les consciences

lors de la parution de l'ouvrage de Samuel Huntington « Le Choc des

civilisations ». Ce livre, très contesté en Amérique du Nord ainsi que dans

les milieux intellectuels, est une analyse sur le fonctionnement des relations

internationales post-guerre froide. L'auteur y donne sa vision de cette

nouvelle configuration mondiale laquelle serait désormais structurée selon

un clivage idéologique, non plus politique, mais culturel. Selon Huntington

la structure d'un monde multipolaire, suite à la perte de contrôle du monde

par les USA et l'URSS, réanime les passions enfouies et refoulées. La chute

du mur de Berlin aurait alors libéré voir déchaîné les sentiments identitaires

et culturels. Le monde serait désormais divisé selon un clivage «

civilisationnel », où il y aurait 8 grandes civilisations contemporaines

(Huntington :1996). Parmi elles, la civilisation occidentale, fondée sur le

christianisme, et la civilisation islamique.

Les critiques de cet ouvrage sont nombreuses, mais si l'on devait en

retenir quelques-unes, elles cibleraient principalement le caractère

extrêmement simpliste et essentialiste de son interprétation vis-à-vis des

cultures. En effet, la soi-disant «civilisation islamique » ne se limite pas à sa

confession religieuse. Elle n'est pas non plus figée dans le temps ,a-

historique ou fermée au monde extérieur, comme aucune autre culture

d'ailleurs. Le fondamentalisme religieux existe certes, mais il est une

véritable minorité face aux nombreux États de confession musulmane dont

il serait très difficile d'en saisir toutes leurs complexités. Huntington omet

aussi de prendre en compte les nombreuses variables économiques qui ont

un poids non négligeable à l'ère de la mondialisation. La religion chez

Huntington prend une place tellement importante qu'elle empêche une

interprétation objective de la configuration mondiale. Interprétation

dangereuse qui a malheureusement la faculté d'entretenir des idées

préconçues des cultures étrangères. C'est typiquement ce genre de discours

qui nuit au dialogue ainsi qu'au débat politique lors de « l’affaire du foulard

».

Les attentats du 11 septembre 2001 ne feront que conforter les dires de

Huntington, selon lesquels la civilisation occidentale est bel et bien entrée

en guerre contre une idéologie culturelle. Celle de l'Islam. Cet événement

affecte considérablement les consciences non seulement aux États- Unies

mais aussi à travers le monde entier. La France n'y échappe pas. Même si elle

affiche une politique étrangère plus tempérée que celle des Américains, la

France mènera une politique bien plussévère sur son territoire.

Depuis les multiples affaires sur le foulard jusqu'en 2003, les Français

ont été témoins de nombreux changements qui ont bouleversé la vie sociale,

économique, et politique. La fin de la guerre froide a libéré les consciences, le

triomphe de l'économie du marché, l'expansion économique mondiale

favorisant la libre circulation des populations, le chômage durable, les

tensions culturelles et sociales dans les banlieues, le « terrorisme islamique »,

le 11 septembre, la montée de l'extrême droite lors des élections en 2002, la

guerre en Afghanistan et en Irak etc...

L'année 2003 atteste un bilan peu rassurant pour la France. Et la presse

n'arrange pas les choses en agitant le spectre islamique qui menacerait les

valeurs démocratiques et républicaines de la France. Il faut dire que les

événements ne sont pas rassurants que ce soit du ressort de la politique

étrangère ou de la situation socio-économique du pays. Un contexte qui est

propice aux discours populistes qui cherchent à pointer du doigt les

responsables de ce que les Français sont en train de vivre. L'histoire nous a

montré que, comme dans l'affaire Dreyfus ( Grupper et al : 2004), dans les

moments difficiles le peuple en souffrance est à l'affût d'un bouc émissaire

(Gustave Lebon dans « La psychologie des foules » 1895). L'immigré de

confession musulmane qui impose sa loi à la femme en lui obligeant de

porter le foulard ,à des fins de domination culturelle, semble constituer le

suspect idéal. En réponse face à une telle atmosphère le Président de

l'assemblée nationale, Jean- Louis Débré instaure en 2003 une Commission

parlementaire chargée de se pencher sur la question. Ce qui provoquera de

multiples divergences, qui conduiront le Président Chirac à mettre en place

une Commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la

République, plus connue sous le nom de « Commission Stasi ».

L'analyse : ce qui se cache derrière les discours.

-La commission Stasi : Avant, pendant et après

Elle est initialement appelée Commission de réflexion sur

l'application du principe de laïcité dans la République. Elle est présidée par

Bernard Stasi. Il est médiateur de la République depuis 1998. Énarque, il a

été député de 1968 à 1993. Il est auteur de « L'immigration, une chance pour

la France » (1984).

La Commission est composée de 20 « sages » dont 14 hommes et 6

femmes. Bien qu'elles soient minoritaires, elles sont mieux représentées que

dans d'autres Commissions similaires. La commission est aussi

majoritairement composée d'intellectuels (philosophes, historiens,

sociologues, politologues, juristes) ainsi que d'une parité de couleur

politique.

Le contexte de la création de cette Commission est déjà expliqué ci-

dessus. Pour rappel, il est important de lier l'affaire Rushdie à celle du

foulard afin de comprendre pourquoi cela a pris une telle d'ampleur

médiatique. C'est aussi dans une atmosphère post-11 septembre que la

Commission a été créée. D'après Jean Baudérot( ancien membre de la

Commission, historien et sociologue ) le foulard fut aussi régulièrement

associé à l'islamisme iranien. Il va sans dire que la condamnation en 1989 de

Rushdie par l'imam Khomeiny a certainement contribué à cet amalgame

(Baudérot : 2004). Cette peur de la menace islamique s'est exprimée parmi

les professeurs qui ont vu le port du foulard à l'école comme un danger pour

la liberté de conscience. Ceci est la première question adressée à la

Commission. La deuxième s'agit du danger que pourrait avoir le foulard sur

l'égalité de la femme.

Cette Commission a joué un rôle central dans l'adoption de la loi sur

l'interdiction du port de signes religieux dans les établissements scolaires en

France. Le rapport Stasi donne la première explication , dans l'histoire de

France, de ce qu'est la laïcité. Car bien que la laïcité soit insérée dans la

constitution depuis 1946, celle-ci n'a jamais véritablement été définie. Elle

était jusque-là sujette à de nombreuses interprétations juridiques. La

Commission Stasi avait donc pour mission de rédiger un rapport qui aborde

le différent aspect de la laïcité, afin d'en donner une définition le moins

équivoque que possible. D'après Jean Baudérot (Baudérot : 2004) le rapport

aurait atteint son objectif. La laïcité repose sur trois valeurs indissociables :

La liberté de conscience, l'égalité en droit des options spirituelles et

religieuses et la neutralité de pouvoir publique (Commission Stasi:2003).

La partie du rapport , intitulé « Le défi de la laïcité », aborde trois

problématiques : 1)L'égalité juridique vers l'égalité pratique : quelques

progrès, 2) Service publique et monde du travail : des atteintes

préoccupantes , et 3)le pacte social : des fondements sapés ». C'est surtout la

deuxième problématique qui nous intéresse ici. Les « atteintes

préoccupantes » , reprennent l'exemple du foulard ,parmi d'autres, comme

illustration des difficultés « annonciatrices de dysfonctionnement » dans les

services publics ainsi que dans « le monde du travail ». Le port du foulard

serait, entre autres, l'illustration d'un « repli communautaire » qui serait

d'avantage « subi que voulu »(Commission Stasi:2003 ; 99).

Finalement le rapport fait 26 propositions. Elles sont une

démonstration d'une formidable volonté de mettre en place un projet

d'intégration pour les immigrés étant donné qu'elles prennent en compte le

problème religieux face à la laïcité au sens large. Ces propositions tiennent

en compte le problème d'intégration aussi bien dans les écoles que dans

l’armée, les hôpitaux, dans les prisons,et dans les lieux de travail. En outre,

l'esprit de ce rapport incite à la promotion plutôt qu'à la sanction.

Malheureusement sur les 26 propositions, seule celle concernant

l'interdiction de « signes religieux ostensibles » a été retenue. En fin de

compte, deux votes ont eu lieu. Le premier portait sur le rapport dans son

ensemble et fut approuvé à l'unanimité. Quant au deuxième vote, il portait

sur cette même proposition d'interdire le port de « signes ostensibles » dans

les institutions scolaires.

- Une Commission sous pression.

Ce qui devait être une approche globale de la laïcité s'est traduit par

une fixation sur le port du signe religieux « ostensible » dans le service

publique. Il faut rappeler que pendant toute la durée du travail de la

commission, la France est continuellement accaparée par le débat social et

politique sur le « voile islamique ». On aurait pu espérer un moment de répit

le temps de calmer les passions, mais il n'en a pas été ainsi. Une nouvelle «

affaire du foulard » a éclaté au grand jour, impliquant deux jeunes filles

(Alma et Lila Lévy) dont le père était de confession juive et la mère de

confession catholique. Il va sans dire que c'est un cas extrêmement

complexe. Les partis politiques, se préoccupant surtout de leur calendrier

électoral, s'approprient l'affaire en exigeant l'adoption d'une loi contre les

signes visibles (Pour le Parti Socialiste) ou ostentatoires (pour l'UMP) à

l'école. Ce qui accroît la pression politico-médiatique déjà bien accablante

pour la Commission. D'après un des anciens membres , Jean Baudérot, « la

commission eut le sentiment que, si elle prenait position contre cette loi

annoncée, elle donnerait l'impression de reculer devant '' la menace

islamique '' prouvée, selon elle, par différentes auditions et qui nécessitait un

'' coup d'arrêt '' ».

Il y a deux points à relever dans cette déclaration. Premièrement, elle

illustre bien l'atmosphère dans laquelle la Commission effectue son travail.

L'on voit bien qu'elle subit en quelque sorte les pressions de l’extérieure. Ce

qui est nuisible à l'objectivité de son travail qui se devait être une réflexion

sur la laïcité républicaine et non une argumentation visant à justifier un

éventuel vote favorable à l'interdiction du port du voile. Mais les partis

politiques attendent ! Ils attendent le rapport de la Commission avant de se

prononcer sur un éventuel vote. La pression est donc à son comble. La

Commission semble avoir été influencée par l'émotivité de l' « opinion

publique ».

Deuxième remarque, l'idée selon laquelle la Commission ne peut

reculer devant une « 'une menace islamique , selon elle », révèle l'état d'esprit

de certains commissaires manifestement braqués sur des opinions

préconçues. Si je me permets une telle affirmation, c'est parce que

premièrement la « menace islamique » n'a jamais été déterminée et qu'elle

repose sur une fragile

interprétation des problèmes sociétaux qui font l'objet , non seulement en

France mais à travers le monde, d'amalgames. L'on pourrait argumenter que

le statut de commissaire autorise de telles allégations. Dans ce cas précis il

n'en n'est rien. Cela aurait pu être le cas si la Commission s'était penchée sur

la question de l'Islam en rapport avec le port du voile. Or la Commission

aurait accordé qu'un seul témoignage d'une femme voilée. Il est donc tout à

fait justifié de se demander en quoi la Commission peut prétendre être le

défenseur de la République face à « la menace islamique ». Il ne serait pas

non plus déplacé d'affirmer que la Commission avait déjà des prises de

positions de valeurs, voir idéologique face à l' « affaire du foulard ».

Il est donc moins surprenant que la Commission ait voté la seule des 26

propositions qui porte sur l'interdiction du foulard. Cela a naturellement eu

un impact sur le travail parlementaire quant à la légifération de la loi de

2004 interdisant le port du signe religieux ostentatoire dans les écoles

publiques. Jean Baudérot atteste d'ailleurs des mauvaises méthodes

empruntées par la Commission : « le choix des personnes auditionnées a été

discutable et surtout, les auditions ont été prises pour 'argent

comptant'...Aucune évaluation quantitative n'a été faite. » « À mon sens

l'islam est un miroir grossissant, [les] difficultés plus globales rencontrées

aujourd'hui par la laïcité en France et ce sont ces difficultés qu'il aurait fallu

analyser » (Baudérot:2003).

Pour revenir au vote de cette proposition, elle a été votée à l'unanimité

moins une abstention. Cette abstention du sociologue et historien Jean

Baudérot est justifiée par le fait que la loi n'était « pas bonne ». Si Baudérot

s'est abstenu , plutôt que de voter contre, c'est parce qu'il ne remet pas en

cause l'esprit de cette proposition qui cherchait à « défendre la laïcité contre

l'islamisme radical, de défendre l'égalité des femmes et des hommes, et de

défendre l'école ». Par contre s'il s'est abstenu c'est simplement parce que

selon lui les femmes ,qui décident de porter le voile, ne sont pas

nécessairement manipulées par l'islamisme radical. Car il existe bien des

femmes qui font le choix personnel de porter le foulard, ce qui ne les

empêche pas d'être féministes pour autant, loin de là. Le féminisme

islamique existe bien, même s'il est très critiqué par les féministes

occidentales qui perçoivent ces femmes comme étant embrigadées(Delphy :

2008). Il faut rajouter que cet islamisme radical existe aussi, il ne faut pas le

nier. Mais comme le dit très bien René Rémond (Kauffman et Bernard :

2004), membre de la Commission et président de la Fondation nationale des

sciences politiques, « le voile est un leurre qui dissimule l'enjeu central : la

capacité de la France à intégrer des populations nouvelles et l'acceptation de

la loi commune par ces nouveaux Français. On se crispe sur un problème

ultra-minoritaire , alors que le vrai défi est celui de l'intégration sociale et

professionnelle ».

-L'accommodement raisonnable : un refus « féministe ».

Une dernière remarque examine sous un autre angle les motifs du vote

de cette proposition. Pour cela il faut tout d'abord aborder la notion de

l’accommodement raisonnable qui est essentielle au bon fonctionnement de

la laïcité Française, basée sur le modèle « libéral et tolérant ».

L'accommodement raisonnable ' est une notion importée du Québec

qui a la vertu de tempérer les exigences d'une neutralité absolue de l’État.

Elle a permis, par exemple, d'assouplir le congé obligatoire du dimanche qui

a été remplacé pour une obligation ne pas travailler sept jours consécutifs.

L’accommodement raisonnable évite donc d'entrer dans une logique du 'tout

ou rien'. Toutefois l’accommodement raisonnable ne peut pas s'appliquer au

mariage forcé, ou à l'excision par exemple. Certaines pratiques sont donc du

ressort de l'inacceptable.

C'est sur ce point que la Commission s'est posé la question quant au

port du signe religieux dans les écoles. Selon elle, le port du foulard «

ostensible » relève de l'inacceptable. Il faut dire qu'il y a tout de même une

certaine marge de différence entre le mariage forcé, l'excision et le foulard.

Pour la Commission le port du foulard ne peut bénéficier de

'l'accommodement raisonnable' étant contraire à « l'égalité entre les hommes

et les femmes ». Selon Jean Baudérot la Commission a consolidé cet

argument en dénonçant le port du foulard comme« l'intériorisation, par les

femmes, d'un statut d'infériorité, et même de maltraitance ». Or ce point n'a

jamais été démontré. Ce sont des déclarations trop « faciles », car face à une

telle déclaration il est délicat de s'y opposer sans s'attirer les critiques, ou

sans être perçu comme un machiste dépassé par les événements. C'est

pourtant ce type d'affirmations à caractère tautologiques, voir même

idéologique, qui a pourtant contribué à trancher sur le vote. Il s'agit ici d'une

parfaite illustration d'une instrumentalisation de la femme « victime » d' «

infériorité » intériorisée et de « maltraitances » dont le bourreau idéal

semblerait être de toute évidence « l'homme islamiste intégriste ».

Comment se fait-il qu'une loi qui se présente comme portant sur la «

laïcité» a été débattue principalement en terme de droits des femmes ? À

mon sens, cela est dû au fait que les arguments laïques étaient faibles, et que,

par contre, parler de la femme « victime » avait bien plus d'impacts sur les

consciences. En outre l'argument donne une légitimité « progressiste ».

Quant à l'argument laïc, sa faiblesse se remarque avec cette prétendue

inapplicabilité de l' « accommodement raisonnable ». Mais ce caractère «

inacceptable » du foulard a été défini uniquement selon l'égalité des sexes et

non sur la laïcité. Là où le bât blesse c'est que la Commission n'explique pas

en quoi le port du foulard nuit au bon déroulement de l'enseignement dans

les écoles, et en quoi la laïcité s'en trouverait lésée !

En outre, cette interdiction ne concerne que les institutions publiques.

Cette disposition est dénudée de sens dans la manière où elle ne fait

qu'exclure les femmes des écoles publiques, les poussant à un « repli

communautaire ». Si le but de cette disposition était de protéger la femme

alors l'on se trouve face à une ineptie. D'autant plus que ces femmes « voilées

» partiront vers des établissements privés où l'interdiction n'est pas

appliquée. Sans oublier le fait que ces écoles privées bénéficient aussi de

fonds publics. Dans ce cas, le caractère inacceptable du foulard au nom de

l'égalité des sexes ne serait qu'une imposture. Le problème ne se situe-t-il

pas en réalité dans le fait que le port du foulard perturbe la conception que

les Français se font de la laïcité ? En ces termes, il semblerait bien que les

argumentations féministes « occidentales » se sont confrontées à un

paradoxe. Effectivement, cette large frange féministe dénonce une

domination pour en justifier une autre lorsqu'elles se prononcent pour

l'interdiction du port du foulard dans les écoles, car , en ce faisant, elles

relèguent les femmes musulmanes dans leur foyer, ou les cantonnent dans

des écoles privées. Cela peut avoir un effet pervers dans la manière où cette

interdiction qui vise initialement à mettre « un coup d'arrêt à l'intégrisme

islamique », encourage ce que l'on appelle plus communément le «

communautarisme ». Le paradoxe est qu'en luttant contre l'oppression de

l'homme « islamiste intégriste » , l'on porte atteinte à la liberté de la femme

musulmane.

-Un féminisme post-colonial ?

L'interdiction du port du foulard une « violence symbolique »(Bourdieu

: 1972) , car elle impose « des significations ...comme [étant] légitimes en

dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force

»(Zibouh : 2010) .

Quels sont alors ces rapports de force ? Y aurait-il donc une

instrumentalisation du discours féministe pour légitimer une forme de

domination? En tout état de cause, il existe chez la « femme occidentale »

une prétention à l'universalité qui fait étrangement penser à cette position

ascendante du colonisateur face au colonisé. C'est là que peut être identifié

comme une nouvelle forme de dialectique postcoloniale (Zibouh : 2010),

dans la manière où le colonisé, tout comme la femme voilée, ne peut pas

savoir ce qui est bon pour lui. Qu'il aurait, tout comme la « voilée », tout à

gagner en profitant de la civilisation à l'occidentale. À mon sens, même si le

parallèle peut paraître exagéré, il existe effectivement un raisonnement

postcolonial dans le discours féministe, car on peut y déceler aussi une

prétention à l'universalité englobante et uniformisante. Il y a donc de la part

du féminisme « occidental » un refus d'admettre une autre façon de vivre, un

refus de l'idée selon laquelle il y aurait plusieurs manières d'accéder à

l'autonomie individuelle. En d'autres termes, lapossibilité que le port du

foulard puisse être compatible avec la liberté de conscience entre en

contradiction avec l'universalisme républicain (Gily et Longman : 2010).

Il faut donc rejeter l'idée que le mouvement féministe soit

monolithique. La nuisance de cette conception vient du fait que jamais

auparavant les principes d'égalité des sexes ainsi que de l’émancipation des

femmes ont tant été repris dans un débat politique en France. Or il y a

d'autres arguments féministes, peu entendus, qui dénoncent le caractère

discriminatoire et raciste de l'interdiction du port du foulard à l'école.

D'après ces féministes « anti-racistes» , affirmer que le port foulard , dans un

pays tel que la France, comme étant le seul symbole de soumission de la

femme face à l'homme, c'est ignorer le code social vestimentaire occidental

qui constitue , lui aussi, une véritable pression sur la femme afin de satisfaire

l'homme. Pourquoi est-ce que les implantations mammaires , qui demandent

de lourdes interventions chirurgicales et dont les conséquences sur la santé

ont été prouvées ( l'affaire des prothèses mammaires PIP), ne seraient-elles

pas une oppression, alors que le foulard le serait ? Je ne veux pas dire ici que

le foulard n'a pas servi à la domination de la femme par l'homme. Car

historiquement le foulard est, dans tout le bassin méditerranéen et le

Moyen-Orient, symbole de la domination des hommes sur les

femmes(Bouamama : 2004). Néanmoins affirmer que le foulard est

systématiquement imposé par l'homme à des fins de domination serait

également faux. Là où je veux en venir , c'est que le port du foulard entant

que tel n'a pas une fonction sociale si différente que le string ou les

prothèses mammaires. Là où il y a une différence fondamentale, c'est au

niveau culturel(Stoler : 2011). À mon sens, c'est la raison laquelle le discours

féministe contre le port du voile à l'école est un faux débat. Le fait que cette

frange féministe investisse tant d'effort contre le port du foulard, alors que

peu s'exclament contre le code vestimentaire occidental inspire à mon sens

une certaine hypocrisie. Il y a là, une cristallisation de la femme voilée qui, en

route, cristallise les féministes « occidentales ». Le véritable défi féministe

serait de sortir de cette prise de position ethnocentrique et universaliste

selon laquelle il n'y aurait qu'une unique manière d’accéder à la « liberté de

conscience ». Il s'agirait de sortir du schéma patriarcal contre lequel les

femmes en occident se sont battues ( Delphy:2008).

Il y a donc une "racialisation" du débat sur le foulard, qui selon Fatima

Zibouh (2010) est causé par une « culturalisation » voir une «religiosation »

des questions sociales. Cela ne veut pas dire que toutes personnes ayant

manifestées des désaccords face au port du foulard, qu'elles ont eu des

intentions racistes. Les professeurs qui refusent d'enseigner à des élèves

portant le voile ne sont pas racistes pour autant. Et quand bien même ces

appréhensions se manifestent, elles ne sont pas nécessairement conscientes.

Comme Saroglou et alii (2009) le démontre dans son étudeuniversitaire à

Louvain, les animosités envers le foulard sont souvent motivées par des

préjugées entretenues par la peur. Il en conclut que ce sont souvent ces

mêmes préjugés qui nourrissent le ressentiment envers le foulard. Cela étant

dit, Saroglou n’exclut pas que la présence du foulard pu être aussi un

élément explicatif d'un racisme sous-jacent.

Cette « racialisation » du discours n'est pas renvoyée à une fatalité de la

nature, mais à la différence d'autrui. Elle est une construction sociale et

historique présente dans les esprits de ceux qui discriminent (Tévanian « La

mécanique raciste »:2008).

3) Le foulard : Un enjeu social ? -Le port du foulard face au « racisme

républicain ».

Le « racisme républicain » est un concept élaboré par Pierre

Tévanian dans « La république du mépris » (Tévanian ; 2007). Dans la « La

mécanique raciste » Pierre Tévanian (2008) décortique les systèmes de

pensée qui trouvent leur fondement dans la construction sociale. Il se

focalise tout particulièrement sur les mécanismes de pensée du dominant.

C'est ainsi qu'il entame une déconstruction de la pensée républicaine. Il

souligne entre autre l'utilisation abusive de certains concepts de la

République Française, tels que l' « universalité » ou l « 'égalité ». Christine

Delphy (2009) ne dit pas autre chose lorsqu'elle dénonce le discours «

catastrophiste » de Yvette Roudy , ancienne ministre du Droit des femmes,

qui , lors d'une réunion féministe en février 2005, avait déclaré que « [l'affaire

du voile] participe bien d'une stratégie d'intimidation menée par un courant

intégriste musulman, bien décidé, à placer les préceptes de leur religion au-

dessus des lois de la République » et rajoute que « l'entrée du voile à l'école

est un défi lancé par les intégristes à la République ». Ce type de discours a

d'autant plus d'impact étant fait par une ancienne porte-parole des

Françaises.

Selon Pierre Tévanian (« Islam, voile et laïcité : un débat empoisonné

»;2011) ce type de discours occulte les questions qui touchent véritablement

les Français, telles que celles portant sur le chômage, la précarité et autres

crises socio-économiques. Ce sont justement ces discours à connotation

ethnique et culturaliste qui masquent les maux de la société Française,

mettant sur l'avant-scène le bouc émissaire islamiste. C'est ce qu'Erving

Goffman (1975) explique à propos du « discrédit profond » que l'on colle à «

l'immigré ». Ce concept signifie une catégorie racialisante qui « stigmatise »

et est transmissible à travers les générations. Ce « discrédit » est flagrant

lorsquecertaines féministes refusent d'écouter les femmes voilées, victimes

d'un lavage de cerveau, et instrumentalisées par l'homme musulman

cherchant à véhiculer un « complot » islamique contre la République.

Cette stigmatisation a aussi été dénoncée par Saïd Bouamama (Avril

2004) qui accuse le « projet libéral...[de] construire une frontière qui

s'appuie sur des critères autres que sociaux, comme par exemple la culture,

l’ethnie, la religion, la civilisation etc (...) Le droit à une scolarité gratuite est

un des acquis sociaux remis en cause par le projet libéral (...) Il n'est pas

étonnant que l'école soit présentée comme le lieu où se joue de façon

essentielle le combat contre ce ''ennemi'' qu'est le ''foulard'' ou le

''communautarisme'' . La référenceà la ''laïcité'' est ici mobilisée pour

masquer la réalité des clivages sociaux... ».

L' « Affaire du voile » serait donc un faux problème qui a fait l'objet

d'une instrumentalisation politique et médiatique. Selon Bouamama, le voile

a certainement voilé les vrais problèmes sociaux de la République, que ce

soit à propos du chômage ou de la précarité. Néanmoins le voile a aussi

dévoilé un problème jusqu'alors peu visible : « l'enracinement du racisme

post-colonial en France. (Le foulard islamique en questions, Editions

Amsterdam, 2004 ; S. Bouamama).

Quant aux concepts tels que l « égalité » et « universalisme », Tévanian

accuse leurs déformations perverses. Ces concepts ne renvoient pas à un

universalisme uniformisant et englobant. Si cela était vrai, l’on se

retrouverait face à un État totalitaire. Tévanian explique au contraire que l'

« égalité » ne pourrait exister sans la « différence ». La « différence » est

d’ailleurs une condition fondamentale à l' « égalité » qui n’aboutit pas à une

uniformité des modes de vie, car elle permet justement la liberté de

conscience ainsi que celle de faire des « choix » sans lesquels l’individu ne

peut se construire. Or l’interdiction du « foulard » nuit à cette liberté de

conscience. Ces deux termes ne sont pas en contradiction. Et c’est

précisément cette « différence » indispensable qui contredit l’universalisme

républicain qui pour sa part tente d’imposer un code de conduite effaçant

toutes différences. Sous cet angle-là, l’universalisme républicain est en

contradiction avec le principe d’égalité.

Conclusion

L’ethnicisation des questions sociales aurait alors créé une

« conscience de race » plutôt qu’une « conscience de classe ». Elle a en outre

permis l’apparition d’une dialectique entre « nous » le groupe dominant et

« eux » le groupe discriminé. C’est donc dans un tel contexte qu’est apparue

'l’affaire du foulard' qui a symbolisé un danger épidémique accompagné du

spectre « islamique ».

Même si ce danger est faible, il prend une ampleur qui éclipse complètement

les enjeux sociaux qui, eux, sont bien plus préoccupants pour l’avenir des

Français. Cette « conscience de race », et les discours à connotation raciale

neutralisent les enjeux économiques et sociaux.

Alors que l « affaire » trouvait sa justification dans la défense du

principe de laïcité, l’on se rend compte, comme la Commission Stasi et le

discours féministe nous l’ont démontré, qu’il n’y avait pas un véritablement

mobile laïque à interdire le foulard à l’école. C’est justement l’argument

féministe qui a permis de trouver une justification à cette interdiction. Or ce

dernier point semble avoir été un prétexte.

Les discours catastrophistes à répétition, portant sur la femme

« victime » ou sur la « menace islamique » envers la république, semblent y

avoir joué un rôle déterminant. Ces discours paternalistes et universalistes,

tenus aussi bien par des hommes de « droite » que par des féministes, ont

contribué à discréditer les femmes « voilées ». D’une part la femme en soi est

discréditée parce qu’elle est considérée comme une embrigadée, et d’autre

part, la fonction sociale du voile est « universalisée » voir « uniformisée ».

C’est-à-dire que l’on refuse d’accorder l’hétérogénéité de la fonction sociale

du foulard. Le foulard n’aurait qu’une unique fonction : la domination

féminine.

Il faudrait alors les « émanciper » de force s’il le faut. L’interdiction du

foulard semble avoir été la « solution ». On peut y faire aisément une analogie

avec la « mission civilisatrice » de la colonisation qui avait la prétention d'

« émanciper » les indigènes. Il y a donc à nouveau cette conception

universaliste uniformisante dans l' « affaire du foulard », comme si l’on

assistait à un retour d’un épisode refoulé de l’histoire de France.

Le sujet est complexe en raison des valeurs sous-jacentes qui se

superposent à d'autres systèmes de valeurs. Proclamer la défense de la laïcité

et des droits des femmes est des causes humbles, qui ne peuvent être remises

en question tant qu'elles restent bienveillantes. Même si l'on peut accuser

des féministes occidentales, comme Okin, d'essentialisme et d'avoir tenu des

discours qui peuvent être qualifiés comme « raciale », elles ne font que

réitérer un système de pensée profondément ancré dans les consciences

depuis l'histoire coloniale.

Ce qui relèverait de la malveillance, serait de qualifier un événement tel

« l'affaire du foulard » comme contraire à la laïcité alors que l'on ne prend

pas la peine de vérifier concrètement ce qu'il en est véritablement. Ce qui

serait aussi malveillant, serait de se proclamer être défenseur des droits des

femmes et de reléguer ces dernières par la suite dans leur foyer. Or c'est

justement cequi s'est passé avec la Commission Stasi. Une femme

musulmane d'un milieu social modeste portant le foulard perturbe-t-elle

véritablement le déroulement des cours ? Quand bien même elle est obligée

de quitter l'école publique, doit-elle financer de ses propres moyens son

éducation , faute de quoi se retrouver au foyer ? C'est là où se situe le malaise

à mon sens.

Un des éléments de réponse à ce dévoiement se trouve dans les écrits de

Tévanian et Bouamama. La laïcité et le féminisme ont pris une place

disproportionnée dans le débat, à un point tel qu'ils ont masqué le discours «

racial » sous-jacent. Ce qui s'est passé durant cette période est une véritable

cristallisation de l'idéal républicain et du féministe, qui a donné à la laïcité

une forme idéologique conduisant à l'exclusion scolaire ainsi qu'à la

discrimination à l'encontre des femmes voilées.

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23. Zoka, Négar , « Ce que le voile dévoile »VIDEO DOCUMENTAIRE , Réalisé par Zoka, Emission de Docs Ad Hoc, une coproduction LCP/Mécanos Production.2010 Durée 52 min.