LE CAPITAL HUMAIN, D'UNE CONCEPTION SUBSTANTIELLE À UN MODÈLE REPRÉSENTATIONNEL

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LE CAPITAL HUMAIN, D'UNE CONCEPTION SUBSTANTIELLE À UN MODÈLE REPRÉSENTATIONNEL Édouard Poulain Presses de Sciences Po | Revue économique 2001/1 - Vol. 52 pages 91 à 91 ISSN 0035-2764 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-economique-2001-1-page-91.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Poulain Édouard, « Le capital humain, d'une conception substantielle à un modèle représentationnel », Revue économique, 2001/1 Vol. 52, p. 91-91. DOI : 10.3917/reco.521.0091 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po. © Presses de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 21/04/2014 16h21. © Presses de Sciences Po Document téléchargé depuis www.cairn.info - Biblio SHS - - 193.54.110.35 - 21/04/2014 16h21. © Presses de Sciences Po

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LE CAPITAL HUMAIN, D'UNE CONCEPTION SUBSTANTIELLE À UNMODÈLE REPRÉSENTATIONNEL Édouard Poulain Presses de Sciences Po | Revue économique 2001/1 - Vol. 52pages 91 à 91

ISSN 0035-2764

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Poulain Édouard, « Le capital humain, d'une conception substantielle à un modèle représentationnel »,

Revue économique, 2001/1 Vol. 52, p. 91-91. DOI : 10.3917/reco.521.0091

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Le capital humain, d’une conceptionsubstantielle à un modèle représentationnel

Édouard Poulain*

En dépit des difficultés à le fonder théoriquement, le concept de capital humains’impose à nous comme catégorie de la pratique. Les acteurs économiques, en-trepreneurs ou salariés, l’emploient spontanément pour qualifier leurs actions. Ilfaut donc prendre acte du succès du concept et tenter de le refonder théorique-ment. Il faudra pour cela abandonner les conceptions substantielles du capitalhumain, qu’elles soient walrasiennes ou marxiennes, pour en adopter un modèlereprésentationnel. Après avoir rappelé les principales critiques que rencontre laconception substantielle, on passera en revue les outils, encore sommaires, que lathéorie économique fournit pour penser les représentations : théorie keynésienne,théorie marxienne de l’idéologie et théorie des conventions.

THE HUMAN CAPITAL, FROM A SUBSTANTIVE TOA REPRESENTATIONAL MODEL

In spite of its well-known theoretical weaknesses nowadays, the concept ofhuman capital has become unavoidable as a category of the practice. The eco-nomic actors, managers or employees do make use of it spontaneously to depicttheir actions. We must take account of the practical success of the concept and tryto give it new foundations. This calls for giving up the substantive conceptions of thehuman capital, be they Walrasian or Marxian, and consider it as a social construc-tion. After a brief account of the critics of the substantive model we shall review thefew tools provided by the economic theory to deal with representations: the Key-nesian theory, the Marxian theory of ideology and the French Economics of Con-ventions.

Classification JEL : B15, J24, B25

Le sort du concept de capital humain est singulier. Alors même qu’il est, selonun avis assez général, mal fondé, il se révèle extrêmement fructueux, et sert depoint d’appui à un nombre considérable de travaux, tant dans le domaine de lathéorie de la répartition (les travaux sur les fonctions de gains) que dans celuide la théorie de la croissance (théorie de la croissance endogène et économie dudéveloppement).

* GAINS, Université du Maine, 72085 Le Mans cedex 9, France (www.univ-lemans.fr/ecodroit/gains).

J’ai une dette considérable à l’égard d’Olivier Favereau sans lequel les intuitionspremières à l’origine de cet article n’auraient jamais pu prendre la forme d’une publi-cation. Je remercie également les rapporteurs de la Revue économique.

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Cependant, il est connu de longue date et assez généralement admis par lespartisans de la théorie du capital humain eux-mêmes, que celle-ci est, selonl’expression popperienne de Mark Blaug [1976], « mal corroborée ». Nous pen-sons qu’il faut néanmoins prendre acte du succès du concept tel qu’il est et,plutôt que de mener une énième tentative de dévoilement des insuffisances et desprésupposés qu’il véhicule, et que nous ne rappellerons que brièvement, noustenterons au contraire de le refonder. Il faudra pour cela abandonner les pers-pectives positives, qu’elles soient walrasiennes ou marxiennes, pour adopter unpoint de vue phénoménologique dont nous pensons trouver les prémisses chezKeynes, les prolongements dans l’économie des conventions et des consonancesavec certaines approches régulationnistes mettant l’accent sur les représenta-tions en économie (comme Guibert, Theret ou Lordon).

Dans un tel cadre, le capital humain sera considéré non d’abord comme uneconstruction conceptuelle, mais comme une catégorie de la pratique, une inter-prétation spontanée, couramment admise du rapport de l’individu à son travailet à sa rémunération. On passera en revue les outils, encore sommaires, que lathéorie économique fournit pour penser un tel objet : théorie keynésienne, théo-rie des conventions et théorie marxienne de l’idéologie. On tentera finalement demontrer que l’analyse par le philosophe américain J. Searle de la genèse desinstitutions peut fournir un cadre conceptuel renouvelé pour l’étude des repré-sentations en économie.

LES THÉORIES SUBSTANTIELLES DU CAPITAL HUMAIN

Le capital humain dans la théorie néoclassique : un concept flou

L’absence de définition rigoureuse du concept de capital humain dans lathéorie du même nom issue des travaux de Becker [1964] [1975] a souvent étéremarquée. Ainsi entendue la théorie du capital humain consiste à imputer lesdifférences des salaires versés par les entreprises à des différences dans la pro-ductivité des salariés, différences qui découlent elles-mêmes de différences dansles quantités du facteur de production « capital humain » accumulées par lessalariés au moyen « d’investissements en capital humain ». Mincer écrit trèsexplicitement : « L’interprétation économique des gains sur une durée de vie estla suivante : les salaires sont proportionnels à la dimension du capital humain.De ce fait, les différences de salaires entre les salariés sont dues principalementà des différences dans la dimension des stocks en capital humain, et non à un“taux de salaire” différent par unité de stock de capital humain. » (Mincer[1993], p. 189.)

Le cœur de la théorie néoclassique du capital humain est donc que l’éducationest un investissement (pour les individus et la société) qui accroît la productivitéde ceux qui la reçoivent et crée, par là, une élévation de leur rémunération. Leproblème est que le chaînon intermédiaire, la productivité, et son articulationavec en amont l’éducation et en aval la rémunération, sont de pures conjectures.L’enchaînement causal repose tout entier sur les hypothèses du noyau néoclas-sique : en situation concurrentielle, les salariés sont nécessairement payés à leurproductivité marginale ; les différences de salaire observées renvoient donc né-cessairement à des différences de productivité (inobservables) qui, elles-mêmes,découlent (par hypothèse) de différences dans l’accumulation du capital humain.

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Face aux doutes émis sur la liaison – au niveau individuel – entre éducationet productivité, les défenseurs de la théorie du capital humain font, en général,un bond au niveau macroéconomique, en arguant de corrélations observées àl’échelle des nations entre niveau de développement et niveau d’éducation. Ilmanque tout de même bien des passerelles entre le choix par un individu d’unefilière d’étude et la croissance du PIB…

Cependant, la réalité du caractère causal de l’enchaînement éducation →productivité → salaire est essentielle à la construction théorique des partisans ducapital humain. C’est elle qui légitime la conclusion normative fondamentaleselon laquelle les différences de salaires entre les travailleurs sont dues princi-palement à la dimension des stocks de capital et non au « prix de location » quepaient les employeurs par unité de stock.

Or, cet enchaînement causal ne repose que sur les analogies que l’on laissejouer dans l’esprit du lecteur entre capital humain et facteur de production.Donald N. McCloskey souligne que la notion de capital humain est une méta-phore et l’économie de l’éducation fondée sur cette métaphore une allégorie.Ceci n’invalide pas l’usage du terme de capital humain, mais le situe dans unmode de connaissance rhétorique et non démonstratif : « En réalité, les écono-mistes, et en particulier les théoriciens, ne cessent de filer des métaphores ou deraconter des “histoires”. » Et il ajoute : « Les théories littéraires de la narrationpourraient rendrent les économistes conscients de ce à quoi servent les histoi-res. » (McCloskey [1983], p. 69.) Mais, en l’absence d’une telle conscience, lamétaphore, qui ne s’avoue pas comme telle, devient vite un coup de forcethéorique.

On peut sans doute distinguer une version forte et une version faible quant àla représentation théorique implicite du capital humain. Dans la version forte,que l’on qualifiera de walrasienne, le facteur de production « capital humain »est quantifiable en unités physiques et ce sont ces unités physiques qui sontproductives. Le capital humain est construit par analogie avec le capital physi-que (les machines et les équipements), lui-même construit par analogie avec lefacteur de production terre dont la productivité est intuitivement évidente. Unetelle conception a encore cours aujourd’hui. C’est elle qui, par exemple, est àl’œuvre dans la théorie de la croissance endogène (cf. infra).

Si l’on admet l’existence d’une causalité physique entre éducation et pro-ductivité, cette conception substantielle du capital humain est satisfaisante auplan explicatif ; mais elle pose des problèmes qui semblent insurmontablesquant à la définition et à la mesure de la substance concernée. Pour avoir unethéorie vraiment explicative, il faudrait mesurer la productivité du capital hu-main en dehors de toute référence aux salaires, par ses effets sur la productionet non sur les revenus, en mesurant des productivités marginales individuelles.Or, et c’est là le talon d’Achille de cette théorie, il est totalement impossibled’isoler empiriquement le produit marginal du capital humain individuel sinonen faisant référence aux salaires. La seule explication du caractère productif ducapital humain, de l’existence effective de différences de productivité entre descapitaux humains individualisés, ce sont les différences de salaires. Mincerécrit : « Les entrepreneurs paient des salaires plus élevés aux travailleurs mieuxéduqués parce qu’ils observent que leur aptitude et leur productivité est plusélevée que celle des travailleurs moins éduqués. » (Mincer [1993], p. 287.)

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Bref, la circularité est totale : certains salariés (ou les mêmes à différentsâges) reçoivent des salaires plus élevés parce qu’ils sont plus productifs. Lapreuve qu’ils sont plus productifs, c’est qu’ils reçoivent des salaires plus élevés.Précisons un peu plus l’implicite de cette pseudo-argumentation : les entreprisessont en information parfaite et les marchés sont efficients. Quant à mesurer lecapital humain directement en stock, cela paraît totalement illusoire. C’est pour-quoi les études empiriques recourent à des proxys : le nombre d’années d’étudespour l’éducation, l’ancienneté pour la compétence acquise sur le tas. Mais cesproxys mesurent ce que l’on peut appeler avec G. Becker des « investissementsen capital humain » et non du capital humain accumulé. Si l’on écarte la preuvepar les salaires, l’efficience de cette accumulation reste à démontrer.

C’est sans doute pour sortir de telles impasses que les théoriciens les plusvigilants du capital humain, comme Mincer lui-même, font référence non à lathéorie walrasienne des facteurs de production mais à la théorie fishérienne ducapital. Fisher [1906] inverse la relation flux-stock telle qu’elle résulte duconcept de facteur de production en définissant le capital comme la capitalisa-tion du revenu et non le revenu comme le flux du capital. La relation revenu-capital humain est complétée par le concept d’investissement en capital humain,dépense qui permet un revenu futur supérieur. C’est donc l’analogie avec lecapital porteur d’intérêt et non plus avec le capital productif qui est sollicitée. Sion échappe ainsi à la question de la mesure du capital, qui est opérée ipso factopar la capitalisation des revenus salariaux à l’aide d’un taux d’actualisationdonné, on perd tout caractère explicatif de la production des revenus. On ne peutà la fois affirmer que le capital n’est que la capitalisation de l’intérêt et quel’intérêt est engendré par le capital. De même le salaire ne peut être à la foiscause et effet du capital humain. On ne peut donc qu’adhérer à la conclusion deCayatte [1987] pour qui « la théorie fishérienne du capital ne se présente enaucune façon comme une théorie du salaire ». En outre si l’on poursuit l’ana-logie entre taux d’intérêt et capital financier d’une part, salaire et capital humaind’autre part, on est conduit à étendre au salaire le principe keynésien d’indé-termination du taux d’intérêt. Il n’existe pas plus de taux de salaire naturel qu’iln’y a de taux d’intérêt naturel. L’un comme l’autre sont des constructions so-ciales.

La construction du concept de capital humain dans la théorie du même nomapparaît donc fragile. On se contente de laisser parler la métaphore, de laisserjouer les analogies, ce qui permet de laisser entendre comme compatibles deuxénoncés contradictoires : « le capital humain est un facteur de production quiproduit le salaire » et « le capital humain n’est que la capitalisation du salaire ».Cette fragilité conceptuelle est d’ailleurs reconnue de longue date (cf.Blaug [1976], Griliches [1977], ou Willis [1986]). Willis reprend ainsi la ques-tion en écho à Griliches :

« Pour moi, la question la plus fascinante concernant les fonctions de gains à capitalhumain est de savoir pourquoi elles marchent si bien. Dans une revue lucide des pro-blèmes économétriques rencontrés dans l’estimation des rendements de l’éducation, Gri-liches présente une liste de sept questions concernant la spécification d’un modèle éco-nométrique de gains. La cinquième question est : Pourquoi devrait-il exister a priori unerelation de ce type ? En d’autres termes, quelle interprétation peut-on donner d’une telleéquation ? » (Willis [1986], p. 526.)

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Mais ni Willis, ni Griliches ne répondent à cette question.

L’argument opérationnel : l’économétrie du capital humain

L’argument (implicite) le plus répandu en faveur de la théorie du capitalhumain est sans doute son opérationnalité : il donne un cadre de référencecommode à l’économétrie des salaires et se justifierait par la non-falsificationdes prédictions qu’il permet.

L’argument prédictif se heurte cependant à plusieurs difficultés. D’abord lecaractère insatisfaisant des prédictions elles-mêmes. Selon les études, on expli-que par les variables retenues comme indicatrices du capital humain de 20 à50 % de la variance des salaires. Certains estiment ce résultat insatisfaisant,mais n’y voient qu’un questionnement des « hypothèses périphériques », cellesrelatives aux indicateurs retenus (éducation, expérience, ou autre), et non du« noyau dur » de la théorie du capital humain. A contrario, d’autres auteurs sesont étonnés du trop bon résultat des études économétriques eu égard au carac-tère très approximatif des hypothèses. Mincer écrit de façon fort explicite :

« Le succès relatif du modèle du capital humain pour expliquer diverses caractéris-tiques de la distribution des revenus est à vrai dire assez surprenant. Cela parce que lemodèle ne s’applique pas directement à des données en coupe. La théorie concerne lecomportement des individus sur un horizon de vie et non les différences entre les indi-vidus d’âge différents. Il y a des cas particuliers ou la distinction entre analyse de cohorteet analyse en coupe ne pose pas de problème. C’est le cas d’une économie stationnairedans laquelle les changements sont neutres vis-à-vis des catégories entrant dans le mo-dèle du capital humain. Dans le cas général cependant on devrait tenir compte du chan-gement séculaire lorsqu’on applique le modèle à des données en coupes transversales. »(Mincer [1993], p. 63.)

Le lecteur pressé de la plupart des études économétriques du capital humainen retient cependant que, certes il y a des problèmes de mesure, mais que, grossomodo, ces études vérifient – ou n’infirment pas – l’hypothèse que le « capitalhumain » résulte de choix économiques individuels rationnels. À preuve, lavérification de prédictions telles que : le salaire est croissant avec le niveaud’éducation, le rendement de l’éducation opère à taux décroissant, etc.

Mais cette vérification (ou non-falsification) de la théorie est une illusion trèsclairement dénoncée par Mark Blaug : « Il serait difficile de trouver un meilleurexemple de différence entre la simple prédiction d’un résultat et l’explication parun mécanisme causal convaincant. Parfois la différence n’est pas très impor-tante, mais à d’autres moments elle est vitale. » (Blaug [1976].) Il peut certesêtre légitime de se contenter d’une définition floue, heuristique, du capital hu-main, en particulier pour mener des travaux empiriques. Mais la réponse duchercheur à la question « qu’est-ce que le capital humain ? » risque alors fort deressembler à celle de Binet, l’inventeur du Q.I. qui, à la question : qu’est-ce quel’intelligence répondait : « C’est ce que mesure mon test ! »

On court alors le risque de vérifier ou de falsifier autre chose que ce que l’oncroit, ou, pour le dire dans les termes de Lakatos, ne pas savoir si la vérificationporte sur le « noyau dur » ou sur les « hypothèses périphériques ». DonaldN. McCLoskey [1983] rappelle opportunément la réfutation par Duhem, dès

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1906, de la méthodologie de la falsification : on ne teste l’hypothèse principalequ’à l’aide d’hypothèses périphériques. La version opérationnaliste de la théoriedu capital humain appliquée à l’étude de la hiérarchie des salaires tombe tout àfait sous le coup de cette critique. L’hypothèse H (« la hiérarchie des salairess’explique par des différences dans les investissements des agents en capitalhumain ») nécessite pour être soumise à un test d’observation O de corrélationentre durée des études + ancienneté et salaires, un enchaînement de H à O parune série d’hypothèses périphériques :

H1 : « la durée des études mesure correctement la connaissance » ;H2 : « l’ancienneté mesure correctement l’aptitude » ;H3 : « la connaissance et l’aptitude des salariés accroissent leur productivité » ;H4 : « les productivités individuelles sont observables » ;H5 : « les entreprises rémunèrent les salariés à leur productivité marginale »,

hypothèses qui nécessitent à leur tour d’autres hypothèses, etc.Enfin, l’écart entre prédiction et explication apparaît en ce que les analyses

économétriques sont toutes compatibles avec des explications causales diffé-rentes, voire contradictoires. La théorie du capital humain stricto sensu, la théo-rie marxiste du travail complexe, la théorie de la sélection, celle du signal oucelle des incitations salariales fournissent chacune une explication différente deprédictions identiques quant aux effets de l’éducation et de l’expérience. L’ar-gument prédictif ne peut donc être retenu comme facteur de corroboration pouraucune d’entre elles. Comme Lakatos l’a bien mis en évidence, une prédictionn’est un argument en faveur d’une théorie que si une autre théorie ne peut pasétablir la même prédiction.

Le capital humain dans la théorie de la croissance endogène : unconcept pauvre

La théorie de la croissance endogène, qui s’efforce de modéliser la possibilitéde rendements d’échelle croissants, fait un usage important du concept de ca-pital humain. Mais la rigueur d’une approche formalisée se paie ici d’un ap-pauvrissement conceptuel considérable. Le concept de capital humain dans lathéorie de la croissance endogène n’est rien d’autre qu’une décomposition dufacteur travail en un élément quantitatif (le nombre de travailleurs L) et unélément qualitatif (h). « On peut considérer le capital humain, H, comme lenombre de travailleurs, L, multiplié par le capital du travailleur type, h » (Barroet Sala-i-Martin [1995], p. 172). On passe ainsi d’une Cobb-Douglas classique :

Y = AKa L1 − a

à une Cobb-Douglas avec capital humain :

Y = AKa H1 − a

L’hypothèse sous-jacente est ici que la quantité de travailleurs et la qualitédes travailleurs, h, sont parfaitement substituables ; seul le produit Lh comptepour la production. Cette « introduction » du capital humain permet de relâcherl’hypothèse de rendements décroissants :

« La présence du capital humain peut relâcher la contrainte des rendements décrois-sants dans un concept large de capital et conduire par là à une croissance à long terme du

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capital par tête en l’absence de progrès technique exogène. Ainsi, la production de capitalhumain peut être une alternative aux améliorations de la technologie comme mécanismepour engendrer de la croissance à long terme. Si nous considérons le capital humaincomme les compétences incorporées dans un travailleur, alors l’utilisation de ces com-pétences dans une activité empêche leur utilisation dans une autre activité ; le capitalhumain est donc un bien rival. Comme les personnes ont des droits de propriété sur leurspropres compétences, aussi bien que sur le travail simple, le capital humain est aussi unbien exclusif. Au contraire, les idées et la connaissance peuvent ne pas être rivales – ence qu’elles peuvent diffuser gratuitement vers d’autres activités d’échelle arbitraire – etelles peuvent dans certaines circonstances ne pas être exclusives. » (Barro et Sala-i-Martin [1995], p. 172.)

À ces précisions – au demeurant très intéressantes – près, la spécificité ducapital humain est bien faible. On peut certes raffiner un peu et construire,comme dans le modèle Usawa-Lucas, un modèle où la production du capitalhumain est spécifique en ce qu’elle ne requiert que du capital humain lui-même.On retrouve l’idée de « production de force de travail par des forces de travail »des modèles marxistes. On formalise alors correctement des phénomènes bienconnus tels que la rapidité des reconstructions économiques après les guerres(déjà expliqués par Brody [1970]). Mais la spécificité du capital humain restetrès faible. Comme le notent Barro et Sala-i-Martin : « Nous pouvons interpréterK et H de façon plus générale comme deux types différents de biens capitaux,pas nécessairement du capital physique et du capital humain. L’hypothèse selonlaquelle la production de H est relativement intensive en H devient plus oumoins plausible selon la façon dont H est interprété. » (Op. cit., p. 180.)

On ne saurait mieux dire que l’on traite bien le capital humain comme unechose même si cette chose n’est pas tout à fait « physique ».

La théorie du travail complexe : un concept inadéquat

Marx est un des précurseurs méconnus du champ théorique qui nous occupepuisque son analyse sur la réduction du travail complexe (on dirait aujourd’huiqualifié) au travail simple, qui est un élément essentiel de sa théorie de la valeur,fournit également des concepts pour penser la hiérarchie des salaires. De même,le concept de « coût de reproduction de la force de travail » incorpore déjà l’idéed’un investissement en capital humain. Que ces dépenses soient présentéescomme des consommations et non comme des investissements ne saurait êtreune objection puisque Marx insiste constamment sur l’ambivalence entre pro-duction et consommation : toute production est une consommation et touteconsommation, une production.

Marx n’a cependant jamais traité systématiquement de la question, le livrequ’il projetait sur le salaire n’ayant jamais été écrit, et les indications qu’il donnene sont pas exemptes de contradictions qui laissent place à l’interprétation (cf.notamment Cayatte [1984], Poulain [1994]). Celle généralement retenue par ceque l’on peut appeler le marxisme orthodoxe fait découler le travail complexe,défini par Marx comme du travail simple « élevé à la puissance », de l’incor-poration dans du travail simple de « doses » de travail formateur (Hilferding[1904], Lapidus [1982] et [1993], Cayatte [1984]). Selon la métaphore éclai-rante d’Hilferding, le travail formateur « chargerait la batterie » du travailleursimple le rendant ainsi apte à produire plus de valeur. Le travail qualifié serait

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ainsi du travail simple « stocké » dans le travailleur par le biais de la formation.Le salaire plus élevé perçu par le travailleur qualifié serait alors le double effetd’un coût plus élevé dû à la formation et d’une capacité productive plus grandedue à cette même formation. La pile se charge pendant le temps de formation etse décharge pendant le temps de production. La parenté avec la théorie du capitalhumain de Becker est ici évidente.

Mais une telle interprétation, qui conduit à donner des fondements objectifsà la hiérarchie des salaires, soulève de nombreux problèmes de compatibilitéavec le corpus théorique marxien. Poulain [1994] met l’accent sur deux de cescontradictions. La première est que établir une connexion entre coût de forma-tion d’une force de travail et valeur produite par cette même force de travailcontredit le cœur même de la théorie de Marx qui énonce précisément qu’il n’ya, a priori, aucun lien entre la valeur de la force de travail, déterminée par soncoût, et la valeur que cette force de travail peut produire, qui dépend des condi-tions techniques et sociales de sa mise en œuvre. C’est le fondement de la théoriede l’exploitation. La seconde c’est que la thèse d’Hilferding suppose uneconception substantielle de la valeur qui évacue de l’analyse marxienne la né-cessaire représentation sociale de la valeur, c’est-à-dire la dimension monétairede la théorie de Marx. C’est réduire Marx à Ricardo, réduction que Marx ré-cusait à l’avance lorsqu’il écrivait : « Il ne suffit pas de dire comme Ricardo quela substance de la valeur c’est du travail, il faut surtout se demander quel est lecaractère de ce travail et pourquoi il se représente1. » (Lettre à Engels, 1868.)

En définitive, la théorie marxiste orthodoxe bute ici sur la même difficulté quela théorie néoclassique. Partant d’une conception substantielle du travail, ondébouche sur la même impasse exprimée de deux façons différentes. L’impos-sibilité de quantifier le capital humain en unités de facteur de production du côténéoclassique ; l’impossibilité de maintenir la cohérence de la théorie de la valeur– qui est aussi un mode de quantification de la production – de l’autre. Ledépassement de ces contradictions suppose un déplacement qui nous situe d’em-blée dans l’économie monétaire.

LES DOUTES SUR LA PRODUCTIVITÉ DE L’ÉDUCATION ETDE L’EXPÉRIENCE

La critique de la théorie du capital humain s’est développée selon deuxlignes : l’une, la théorie de la sélection met en doute la productivité de l’édu-cation ; l’autre, la théorie des incitations salariales, celle de l’expérience.

1. Autrement dit, pour expliciter cette formulation un peu ésotérique de Marx, il fautse demander pourquoi le travail n’apparaît jamais comme tel dans la société marchandemais seulement à travers des formes sociales qui le représentent, et singulièrement lamonnaie. Cet aspect, négligé ou méconnu, de la théorie de Marx a été notamment remisen lumière par Guibert [1985]. Nous y reviendrons dans la partie consacré à l’idéologiedans laquelle nous nous efforcerons de montrer la dimension représentationnelle del’analyse de Marx.

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La théorie de la sélection

De la non-démonstration du caractère productif de l’éducation à la dénéga-tion de cette productivité, il n’y a qu’un pas que franchissent allègrement lesthéoriciens de la sélection (screening ou credentialism).

La productivité de l’éducation est une hypothèse posée à l’origine non pourexpliquer les différences de salaires mais pour rendre compte de l’écart constatéentre la croissance économique réelle et celle qui résulterait de la seule crois-sance quantitative des facteurs de production (cf. Solow [1957], Becker [1975],Willis [1986]). La différence serait due à une croissance qualitative du facteurtravail sous l’effet de l’éducation et de l’expérience. La mesure de cette diffé-rence serait donnée par les variations constatées du salaire. Les études plusrécentes des carrières salariales prennent au contraire pour point de départ lesdifférences de salaires, qui sont dès lors le phénomène à expliquer ; commemoyen terme, la productivité supposée de l’éducation ; et la croissance du pro-duit, supérieure à la croissance quantitative des facteurs, comme mesure etpreuve de cette productivité. Dans tous les cas, la productivité de l’éducationn’est qu’une hypothèse intermédiaire.

Les partisans de la théorie de la sélection mettent en doute le fait que l’édu-cation élève la productivité des salariés. Son rôle serait de reconnaître plutôt quede produire, de sélectionner les salariés ayant a priori des aptitudes élevées, queces aptitudes soient innées ou acquises par l’« héritage culturel ». La sociologiede l’école développée, en particulier en France, à partir de l’ouvrage fondateurde Bourdieu et Passeron [1968], Les héritiers, qui tendait à montrer que, souscouvert d’égalité des chances, l’école reproduit la structure sociale existante,conforte la thèse de la sélection (cf. en particulier Baudelot et Establet [1971],Bowles et Gintis [1976] ou plus récemment Euriat et Thélot [1995]).

L’objection courante à la théorie de la sélection est que l’appareil scolaireconstitue un mécanisme particulièrement coûteux ; que, si son seul rôle étaitbien de repérer les individus les plus aptes, le marché produirait des entreprisesde « chasseurs de tête » à moindre coût ; et que donc, si les entreprises paient dessalaires dont la hiérarchie est plus ou moins calquée sur celle du système édu-catif, c’est bien qu’elles obtiennent en échange de plus hautes productivitésproduites par l’éducation.

La théorie du signal

La théorie du signal (Spence [1973]) est une première réponse à cette ob-jection. La productivité supérieure des diplômés n’est pas absente mais incer-taine. On est donc dans un cas classique d’incertitude avec asymétrie d’infor-mation. Les entreprises comme les salariés utilisent l’éducation comme unsignal d’une aptitude élevée, les entreprises en proposant des salaires plus élevéspour les diplômés, les salariés en recherchant de tels diplômes. La théorie dusignal rend ainsi compte des mêmes faits observés que la théorie du capitalhumain, mais avec un appareil conceptuel radicalement différent.

La problématique de Spence est bien résumée dans le schéma qu’il en donne(fig. 1).

Le modèle analyse le processus d’apprentissage d’un employeur. Celui-ci,face à l’incertitude sur la productivité des salariés, se fonde sur des signaux et

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des indices : études, emploi actuel, race, sexe, casier judiciaire, etc. Spencenomme indices les caractéristiques non modifiables et signaux les caractéristi-ques modifiables. « Après un temps d’embauche l’employeur apprendra lescapacités productives de l’individu. » À un instant donné, l’employeur disposedonc d’un ensemble de croyances sur la base desquelles il assigne une valeur àun employé potentiel. Ces croyances sont traduites dans une grille de salaires quiest fonction des caractéristiques observables. Les futurs employés vont, à leurtour, observer cette hiérarchie des salaires proposés, et acquérir (à un coût donnémais nécessairement fonction décroissante de la productivité) les signaux per-tinents en fonction de leurs dotations et préférences. Le système opère en boucleselon la figure 1. L’existence d’un équilibre dépend de la confrontation entre lescroyances des employeurs et les coûts supportés par les employés. Une hypo-thèse fondamentale du modèle, qui recèle toute la charge provocatrice des mo-dèles de sélection, est que la durée des études est un pur signal. Elle est sans effetcausal sur la productivité. Mais, en même temps, la hiérarchie des productivitésest pensée comme objective, comme une réalité tangible qui différencie lesindividus. On est tenté de dire qu’elle est vue comme génétique. En outre, lahiérarchie des productivités est redoublée d’une hiérarchie inversée des coûtsd’acquisition du signal : les salariés qui auront une forte productivité sont douéspour les études qui sont donc moins « coûteuses » pour eux. On voit donc quele modèle de Spence, s’il évacue le problème de la production du capital humain,le fait au prix d’une hypothèse encore plus forte, celle d’une hiérarchie géné-tique des capacités qui n’aura besoin que du milieu de l’entreprise pour serévéler.

La théorie du signal est donc en définitive une tentative de réconciliationentre la théorie du capital humain et la théorie de la sélection puisque seulel’hypothèse de productivité de l’éducation est abandonnée. Cependant, les par-tisans de la théorie du capital ont réitéré à son égard les critiques qu’ils adres-saient à la théorie de la sélection (cf., par exemple, Becker [1975] ou Mincer[1993]) : l’appareil scolaire constitue un mécanisme particulièrement coûteux, si

Figure 1. Feed back informationnel sur le marché du travail (Spence [1973])

CROYANCESPROBABILISTES

CONDITIONNELLES DESEMPLOYEURS

EMBAUCHEOBSERVATION DE LA

RELATION ENTREPRODUIT MARGINAL ET

SIGNAL

STRUCTURE DESSALAIRES PROPOSÉE

FONCTION DES SIGNAUXET INDICES

DÉCISIONS DE SIGNALPAR LES POSTULANTS ;

MAXIMISATION DUREVENU NET DES COÛTS

DE SIGNAL

COÛT DE SIGNAL

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son seul rôle était bien de repérer les individus les plus aptes, le marché pro-duirait des entreprises de « chasseurs de tête » à moindre coût ; et, par ailleurs,les entreprises étant rationnelles elles ne peuvent payer de hauts salaires que sielles obtiennent en contre-partie une haute productivité.

Cependant, cette objection n’est valide que si l’on se situe dans le cadre del’entreprise capitaliste pure dans laquelle les décideurs sont les seuls proprié-taires. Il n’en va pas de même dans l’entreprise managériale (Atkinson [1973]).Or, précisément, les décisions d’embauche et le choix d’une hiérarchie dessalaires sont typiquement des décisions prises par les managers salariés. Chan-dler [1977] a montré de façon très convaincante que le développement de lahiérarchie des salaires est un élément constitutif de ce qu’il nomme la « grandeentreprise moderne ». Les cadres salariés qui prennent les décisions de politiquesalariale étant eux-mêmes les premiers intéressés à l’ouverture de la hiérarchiesalariale, il n’y a plus là aucune irrationalité. D’ailleurs dans le modèle deSpence, les principaux (voire les seuls) gagnants du screening sont les hautssalaires, c’est-à-dire les managers.

L’inversion de la causalité : la théorie des incitations salariales

Les analyses empiriques de la dispersion des salaires juxtaposent souventdeux modèles théoriques comme hypothèse sous-jacente : la théorie du capitalhumain et la théorie des incitations salariales. L’une serait pertinente côté offrede travail, l’autre côté demande. Cette juxtaposition pose cependant un pro-blème de cohérence conceptuelle. Il faut en effet souligner que, dans ses mul-tiples variantes (Alchian et Demsetz [1972], Stiglitz [1974], Solow [1979],Lazear [1981], Akerlof [1982]), la théorie des incitations salariales s’oppose,conceptuellement, à la théorie du capital humain, puisqu’elle supprime ou in-verse la relation entre salaire et productivité. Alchian et Demsetz écrivent :« Nous conjecturons que la direction de la causalité est inversée : le systèmespécifique de rémunération que l’on utilise stimule une réponse productive par-ticulière. » ([1972], p. 778.)

Alors que dans la théorie du capital humain on a l’enchaînement :

Accumulation de capital humain → productivité → salaires

on a, dans la théorie des incitations, un enchaînement inverse :

Règles d’entreprises → salaires → productivité

S’appuyant sur la théorie de l’agence, Lazear [1981] réfute brillamment l’ar-gument selon lequel les entreprises ne peuvent verser des salaires croissant avecl’ancienneté que si elles obtiennent en compensation une productivité crois-sante, qui ne peut être due qu’à une accumulation de capital humain. Lazearmontre, au contraire, que l’hypothèse d’une productivité croissante est inutilepour expliquer un profil des salaires croissant avec l’ancienneté. Il suffit desupposer que la productivité marginale des salariés est constante mais queceux-ci peuvent fournir un effort inférieur à celui qui produit la productiviténormale. Si, pour l’entreprise, le coût de détection de cette flânerie, qu’elle peutnéanmoins sanctionner (par exemple par un licenciement), est élevé, il est ra-tionnel pour elle de proposer aux salariés un flux de revenu croissant avecl’ancienneté. Les jeunes sont payés en dessous de la productivité marginale, les

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anciens au-dessus, les sommes des flux actualisés de produit marginal en valeuret de salaires s’égalisant. L’incitation, c’est une des subtilités de ce modèle,s’exerce non sur celui qui la reçoit mais sur celui qui l’anticipe : « Les tra-vailleurs dotés d’ancienneté reçoivent un haut salaire, non parce qu’ils sontdevenus plus productifs, mais parce que payer des hauts salaires aux anciensinduit les jeunes à travailler avec un niveau d’effort optimal, dans l’espoird’acquérir de l’ancienneté dans l’entreprise. » (Lazear [1981], p. 615.) Lazearsouligne que la théorie des incitations rend compte aussi bien, voire mieux, quela théorie du capital humain de la croissance observée des salaires avec l’an-cienneté, mieux parce que la théorie des incitations peut expliquer le caractèrediscret des hausses salariales, ce que la théorie du capital humain ne peut faire.Le quadruplement du salaire d’un cadre qui accède à un poste de directiongénérale peut difficilement s’analyser comme un quadruplement de sa produc-tivité.

Le modèle du salaire d’efficience, dont les prémisses sont données par Stiglitz[1974], et le modèle canonique par Solow [1979], quant à lui, va plus loin dansl’inversion du sens de la causalité à l’œuvre dans la théorie du capital humain :alors que chez Lazear la productivité marginale (normale) du travail est cons-tante, elle est ici croissante avec le salaire. Et la causalité ne va plus de laproductivité aux salaires mais des salaires à la productivité. Dans la relationfonctionnelle :

Y = f � L . e � w � � avec e′� w � > 0

le salaire w détermine un certain niveau d’effort et donc une certaine produc-tivité du travail.

Le modèle du salaire d’efficience est susceptible de plusieurs lectures selonla façon dont on conçoit la formation de la fonction d’effort. Akerlof [1982] lafait dériver de la construction de règles d’entreprises, dans une optique que l’onretrouvera dans l’économie des conventions. Boyer et Orlean [1991], quant àeux, montrent la cohérence entre la théorie du salaire d’efficience et un conceptde convention inséré dans la théorie régulationniste du fordisme. À travers cesdivers déplacements, le concept de capital humain s’éloigne de plus en plus dela conception substantielle de départ où il est l’objet d’un contrat, pour prendrele statut d’un instrument de coordination construit, d’une représentation quilégitime un partage.

LE CAPITAL HUMAIN COMME REPRÉSENTATION

Les conventions de salaire et de chômage

Le concept de convention, dont l’initiateur est David Hume et qui a étéréactualisé par David Lewis en philosophie du langage, désigne en économie uninstrument non marchand de coordination économique fonctionnant commeadjuvant ou comme substitut du marché. Ni norme, ni contrat (Hume donnaitl’exemple : « Deux hommes qui tirent sur les avirons d’un canot, le font d’aprèsun accord ou une convention, bien qu’ils ne se soient jamais fait de promessesl’un à l’autre » ; cité d’après Livet [1994]), les conventions sont des « saillan-

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ces » (Schelling) qui émergent dans le cours même de l’interaction sociale et seconsolident par les convergences mêmes qu’elles suscitent. « Une coordinationréussie, écrit Salais [1993], est la source d’une saillance. Cette saillance induitchacun à répéter dans une situation qui présente des analogies l’action qui a déjàréussi, s’il n’a aucune forte raison de faire autrement et à penser que les autresle font…, ce qui lui donne par là une raison supplémentaire de répéter cetteaction.(…) Cette régularité peut naître, sans exiger d’accord préalable, ni fairel’objet d’une description identique de part et d’autre. »

L’approche conventionnaliste du salaire a été développée par Favereau[1986] et [1993], Salais [1989] et Bénédicte Reynaud [1993], et l’interprétationconventionnaliste de la théorie marxienne de la hiérarchie de salaires a donnélieu à un débat dans la Revue économique (Poulain [1992] et [1994], Lapidus[1993], Segura [1995]). Favereau et Salais ont, en particulier, mis au jour lesfondements keynésiens d’une telle approche.

Salais [1989] s’efforce de développer la théorie de l’entrepreneur esquisséepar Keynes en captant les intuitions keynésiennes dans le concept de conven-tion. L’entrepreneur doit réussir deux types de coordination, l’une avec leconsommateur, l’autre avec les salariés. Il recourt pour ce faire à des mises enforme de la réalité qui opèrent comme des réducteurs de l’incertitude. Ce sontces constructions que l’on peut qualifier de conventions. Explicitant la positionde Salais, Favereau [1999] écrit : « La relation de travail est donc gouvernée parune « convention de productivité », assurant « un compromis entre les deuxprincipes d’équivalence, salaire travail et travail produit » ([1989], p. 214). Cecompromis revêtira la forme, soit de normes minimales, soit de moyennes ob-tenues dans des conditions normales. On peut ajouter que ces deux modalitésbanales de fabrication du normatif renvoient à un critère d’équité en rationalitélimitée. »

Il peut être judicieux d’approfondir l’idée de « modalité de fabrication dunormatif » en faisant un retour à Keynes. Dans le chapitre IV de la Théoriegénérale, Keynes construit ce que Favereau nomme judicieusement les« conventions de la macroéconomie ». Traitant du problème de l’hétérogénéitédu facteur travail, Keynes écrit :

« Et, lorsque, à mesure que la production augmente, une entreprise donnée est obligéede faire appel à une main-d’œuvre dont les services par unité de salaire payée sont demoins en moins utiles à ses fins spéciales, il n’y a là qu’une raison entre autres pour quele rendement quantitatif de l’équipement diminue lorsqu’une quantité croissante de tra-vail lui est appliquée. Nous imputons en quelque sorte l’hétérogénéité des unités detravail également rémunérées à l’équipement en capital, en considérant que celui-ci estde moins en moins propre à l’emploi des unités de travail disponibles à mesure que laproduction croît, au lieu de considérer que les unités de travail disponibles sont de moinsen moins aptes à se servir d’un équipement homogène. » (Keynes [1936], p. 61.)

On est bien là en présence de la construction d’une convention : alors que laproductivité du travail baisse, « on impute » cette baisse au capital pour sauve-garder le principe d’uniformité des salaires. Tout comme l’aléa sur les ventes estreporté sur le volume d’emploi pour sauvegarder le pacte sur la productivité,l’aléa sur la productivité elle-même est externalisé, cette fois sur la productivitédu capital, que l’on va supposer décroissante.

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L’objet d’une telle imputation est bien, pour Keynes aussi, celui que luiassigne Salais : évacuer sur des objets externes à la relation de travail les in-certitudes qu’elle recèle.

Mais en construisant cette convention d’une « unité de travail homogène »,Keynes ne fait pas, croyons-nous, que poser une hypothèse à portée théorique.Lorsqu’il écrit : « nous imputons en quelque sorte… », il faut comprendre cenous comme renvoyant à la fois à « nous les hommes d’affaires » et « nous leséconomistes ». La convention dans la théorie est d’abord une convention dansla pratique sociale.

De Keynes à la sociologie de la compréhension

Une telle lecture tendrait à faire de Keynes un des pionniers de l’analyse encompréhension en économie, même s’il procède ainsi au nom du réalisme del’analyse. Keynes revendique cette exigence de réalisme en soulignant, à proposde l’imperfection des unités de mesure macroéconomiques proposées parA. Marshall ou C. Pigou, que le problème est posé par eux de façon non perti-nente :

« Néanmoins, c’est à juste titre qu’on considère toutes ces difficultés comme desimples jeux de l’esprit. Elles sont ‘‘purement théoriques’’, en ce sens qu’elles ne trou-blent jamais les hommes d’affaires, qu’elles n’interviennent même nullement dans leursdécisions et qu’elles n’ont pas d’influence sur le déroulement causal des événementséconomiques, lesquels sont nets et déterminés malgré l’indétermination quantitative deces concepts. Il est donc naturel de conclure que lesdits concepts ne manquent passeulement de précision, mais encore qu’ils ne sont pas nécessaires. De toute évidencenotre analyse quantitative devra s’exprimer sous une forme excluant toute expressionquantitative vague. » (Keynes [1936], p. 58.)

Il faut cependant s’appuyer sur Schütz [1987] pour saisir la radicalité dutournant amorcé ici par Keynes, qui nous fait passer d’une analyse économiqueconçue comme une physique sociale à une herméneutique économique. Schützpose trois exigences à l’égard des sciences humaines :

• Concevoir le monde comme « pré structuré de façon symbolique » :« ... Le monde social n’est pas essentiellement un monde sans structure. Il a unesignification particulière et une structure pertinente pour les êtres humains quiy vivent, qui y pensent et qui y agissent. Ils ont par avance articulé et interprétéce monde dans diverses constructions de la réalité quotidienne, et ce sont cesobjets de pensée qui déterminent leur comportement, définissent le but de leursactions, et prescrivent les moyens pour les réaliser. » (Schütz [1987] p. 10.)

• Construire un modèle d’individu tel que les faits observés puissent êtreexpliqués de manière compréhensible comme résultant de l’activité de cet in-dividu.

• Mener cette construction dans des termes tels que les concepts cognitifssoient proches des catégories de la pratique : « Tout concept qui prend placedans un modèle scientifique de l’action humaine doit être construit de tellemanière qu’une action produite par un individu au sein du monde vécu ets’accordant avec la construction typique, soit compréhensible aussi bien pour

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l’acteur lui-même que pour ses semblables, et qu’elle le soit dans le cadred’interprétation courante de la vie quotidienne. » (Schütz [1987] p. 54.)

La troisième exigence de Schütz n’est pas due à une vaine aspiration auréalisme des hypothèses. Elle découle tout entière du critère de vérité propreselon lui aux sciences sociales. L’approche positiviste qui culmine dans l’épis-témologie popperienne traite le monde comme un monde d’objets et l’énoncéscientifique comme celui qui énonce une relation causale entre des faits. Lanon-falsification de la prédiction hypothético-déductive en est alors légitime-ment la pierre de touche. Mais en sciences sociales dit Schütz, après Weber etDilthey, nous n’avons pas affaire à un monde d’objets mais à un monde d’in-terprétations. L’interprétation du monde qu’est la science est alors une inter-prétation d’interprétations. On est en présence, dit Schütz, d’une « double her-méneutique » :

« Les objets de pensée, construits par les chercheurs en sciences sociales, se fondentsur les objets de pensée construits par la pensée courante de l’homme menant sa viequotidienne parmi ses semblables et s’y référant. Ainsi les constructions utilisées par lechercheur sont pour ainsi dire des constructions au deuxième degré. » (Schütz [1987],p. 11.)

La vérité de l’énoncé scientifique ne peut plus alors découler de la justessed’une prédiction. L’accès à une forme de vérité adéquate à un « monde d’ob-jets » constitué d’interprétations passe par la compréhension, c’est-à-dire l’ex-plication du comportement des agents par les causes qu’ils attribuent eux-mêmes à leurs actions, et le contrôle par les agents eux-mêmes de cette métainterprétation. Ce contrôle, qui joue ici le rôle de la falsification popperienne,consiste en la ré-appropriation par les agents, dans « l’idéologie du quotidien »,des interprétations cognitives proposées par les scientifiques. C’est le va-et-viententre cognition et quotidien, l’évaluation critique des concepts par la pratiquequotidienne qui les valide. Seul la pratique quotidienne, les usages des acteurs,peut « falsifier » une théorie sociale.

Le parallèle entre Keynes et Schütz opère aux trois niveaux axiologiquesénoncés par Schütz, même si la terminologie est différente :

— le « monde pré structuré symboliquement » renvoie à « l’état de laconfiance, comme disent les hommes d’affaires » qui est ce à partir de quoiKeynes construit la courbe de l’efficacité marginale du capital ;

— « construire un modèle d’individu tel que les faits observés puissent êtreexpliqués de manière compréhensible comme résultant de l’activité de cet in-dividu » est strictement la démarche suivie par Keynes au chapitre 4 de laThéorie générale ;

— quant à l’exigence de compatibilité entre théorie et « idéologie du quo-tidien », elle est revendiquée et pratiquée par Keynes de façon explicite. Tel estle sens de son rejet des concepts qui « ne préoccupent jamais les hommesd’affaires ».

Esquisse d’une approche conventionnaliste du capital humain

La convention « d’unité de travail homogène » posée par Keynes porte sur lesalaire moyen. L’hypothèse proposée ici est de construire sur le même moule

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une « convention de capital humain » qui aurait comme objet de fonder (concur-remment à d’autres éléments) la hiérarchisation des salaires. On mobilisera pource faire la « convention de pérennité de l’état des affaires » qui est chez Keynesau fondement du marché financier. Rappelons les jalons essentiels de cetteanalyse.

• On est face à une incertitude radicale qui rend impossible ce que Keynesnomme l’« activité d’entreprise », à savoir la prévision des rendements écono-miques réels à venir, impossibilité qui détruit, ou en tout cas affaiblit considé-rablement, l’incitation à investir.

• L’instauration d’une convention de « pérennité de l’état des affaires », rendpossible une « activité de spéculation » qui se substitue à l’« activité d’entre-prise » : l’évaluation au présent des valeurs futures à l’activité.

• On crée ainsi un marché liquide du capital de prêt qui, par le climat deconfiance qu’il instaure, rend l’investissement possible.

On a donc trois séquences : incertitude radicale – convention – décision.Tentons la translation au capital humain :

• Incertitude sur le rendement futur du travail pour l’entreprise, sur le mon-tant futur des salaires pour le salarié.

• Convention de rémunération au diplôme et à l’ancienneté.• Action possible : investissements en éducation pour les salariés, gestion du

marché interne du travail pour les entreprises.Le mode même de construction de la convention nous est donné par Keynes

dans le passage déjà cité du chapitre IV : « Nous imputons en quelque sortel’hétérogénéité des unités de travail également rémunérées à l’équipement encapital » (Keynes [1936], p. 61). Ce qui, transposé, devient : « Nous imputons enquelque sorte l’hétérogénéité des unités également rémunérées à l’accumula-tion en capital humain. »

Au plan théorique, les obstacles que suscitent les approches substantialistessont contournés. Il n’est plus nécessaire de construire une théorie des hiérarchiesdes productivités comme fondement de la hiérarchie des salaires si l’on consi-dère cette hiérarchie comme conventionnelle, comme découlant d’un accordimplicite des agents qui n’a pas d’autre fondement que les coordinations qu’ilrend possible.

La théorie du capital humain n’est plus alors une étude des faits économiquesmais une étude des représentations économiques, c’est une représentation dereprésentations ; la représentation formalisée et systématique de représentationsintuitives. Dès lors, ce qui compte ce ne sont pas tant les carrières salarialesréelles que les carrières anticipées. Ce qui détermine le choix des études, de lafilière, de la durée, eu égard aux contraintes de possibilités d’accès, c’est lacarrière telle qu’elle est envisageable en t. De ce point de vue, les études desalaires en coupe instantanée sont pertinentes : elles collectent les informationsqui sont effectivement disponibles pour l’agent économique qui effectue unchoix. Les études longitudinales ont la même pertinence : l’information sur lepassé est accessible dans le présent. Les unes comme les autres ne comptent quecomme information : information sur le passé ou information sur le présent.Elles systématisent le processus de tâtonnement qu’opère l’agent économiquerationnel en avenir incertain. Si on ne dote pas cet agent d’une rationalitéexorbitante – la capacité de connaître l’avenir –, on doit reconnaître qu’il est

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rationnel en extrapolant sa carrière future des profils de carrière qui sont direc-tement observables au moment de son choix : des coupes instantanées ou desprofils longitudinaux passés. Ces derniers n’en disent pas plus, ils disent autrechose.

De même, le traitement du capital humain par la théorie de la croissanceendogène peut alors être légitimé : si l’on traite de représentations et non d’ob-jets, l’exigence de définition de la substance tombe. Mais l’analyse change desens.

Le concept de capital humain, et c’est sans doute une des raisons de sonsuccès, répond de façon exemplaire à la troisième exigence axiologique deSchütz : il est lisible à la fois comme concept cognitif, inséré dans un corpusthéorique, et comme catégorie de la pratique, de l’économie du quotidien. C’estprécisément ce deuxième niveau de lecture qui permet aux théoriciens de dé-velopper leurs analyse sans une définition rigoureuse et/ou une mesure exacte deleur concept : parce qu’il « va de soi ». Mais il y a un prix à payer : celui d’unedivergence possible entre l’interprétation savante et l’interprétation profane, oucelui d’un usage « idéologique » de l’interprétation savante.

Comparaison entre convention de capital humain et modèle deSpence

La convention de capital humain telle qu’elle vient d’être esquissée, si elleprésente des parentés avec le modèle de Spence, n’en diffère pas moins surplusieurs points importants.

Tout d’abord, et c’est fondamental, le modèle de Spence suppose que lesproductivités des différentes qualifications sont individualisables et observablesaprès un certain temps d’embauche. Elles sont données de façon exogène aumodèle. Au contraire, la convention de capital humain se construit sur la base del’inexistence même de la notion de productivité individuelle mesurable commechez Alchian et Demsetz [1972]1, associée à un accord sur la légitimité d’unehiérarchie des salaires, légitimité qu’il faut fonder, dans l’entreprise et la société.L’objet même de la convention est donc de pallier l’inobservabilité des produc-tivités.

En second lieu, alors que dans le modèle de Spence les décisions des em-ployeurs et des salariés sont disjointes, la convention de capital humain est uneinterprétation collective, qui résulte d’interprétations multiples : employeurs-salariés et salariés-salariés.

Enfin, la convention de capital humain induit la productivité des différentsagents selon le mécanisme isolé par la théorie des incitations et du salaired’efficience, qui établit un lien causal du salaire vers la productivité, lien causal

1. Rappelons que, pour Alchian et Demsetz, le travail d’équipe, qui est consubstantielau concept d’entreprise capitaliste, rend impossible de déterminer les productivités in-dividuelles : « Avec le travail d’équipe, il est difficile, par la simple observation de laproduction totale, de soit définir, soit déterminer la contribution individuelle de chacundes inputs en coopération. La production d’une équipe, par définition, n’est pas la sommedes produits séparables de chacun de ses membres. » [1972, p.779.]

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qui est absent du modèle de Spence. On peut tenter de visualiser ces différencesdans la figure 2 construite sur le modèle de celle de Spence reproduite plus haut.

Le capital humain comme idéologie

Il peut être utile, pour approfondir cette tentative d’analyse de la notion decapital humain comme représentation sociale, d’opérer un autre détour, parMarx. Cette référence peut surprendre. La majorité des économistes ne retientaujourd’hui de Marx que sa caractérisation de l’idéologie comme « faussescience » pour la retourner contre Marx lui-même1. Qui veut bien le lire s’aper-cevra cependant que la notion d’idéologie présente chez Marx une autre com-plexité et que, si le terme lui-même doit certainement être abandonné, ou en toutcas cantonné à un sens restreint, le champ visité par Marx dans ce cadre cons-titue encore un apport fécond.

La notion de représentation est en effet essentielle dans la pensée de Marx.C’est elle qui donne son sens à la volonté de celui-ci de construire son analysecomme une « critique de l’économie politique ». Tandis que l’économie politi-que classique prend comme données immédiates les catégories de l’économie(travail, monnaie, droits de propriété, prix, etc.), Marx les considère comme desreprésentations, comme la façon dont les hommes vivent leurs relations, auxautres et au monde, dans le domaine de la production. Il s’agit alors pourl’analyste de mettre au jour les rapports de production réels, rapports des hom-mes entre eux, cachés sous l’apparence de rapports des hommes aux choses.Mais, et c’est là une difficulté majeure, ce travail de dévoilement ne peut consis-ter à rejeter les apparences pour faire apparaître une réalité sous-jacente. La

1. Comme l’écrivait plaisamment Raymond Aron : « L’idéologie c’est la théorie demon adversaire. »

Figure 2. Convention de capital humain

INTERPRÉTATION DESCONVENTIONS,

ÉQUITÉPRODUCTIVITÉ

DÉCISIONS DE SIGNALSPAR LES POSTULANTS ;

MAXIMISATION DUREVENU NET DES COÛTS

DE SIGNAL

COÛT DE SIGNAL

efficience

STRUCTURE DESSALAIRES PROPOSÉE

CONVENTIONSDES

EMPLOYEURS

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réalité qu’il faut saisir n’a pas d’autre existence que les formes phénoménolo-giques dans lesquelles elle se manifeste. La mise au jour des rapports de pro-duction réels ne dissipe donc pas les représentations, contrairement à la concep-tion du marxisme standard qui trouve sa source chez Engels. Les rapports deproduction ne sont jamais transparents.

Cette ambivalence des représentations comme formes d’expression – qui toutà la fois contiennent et masquent les rapports de production réels – engendre desdifficultés conceptuelles, difficultés dont manifestent les écrits de Marx eux-mêmes, dans la polysémie du terme par lequel celui-ci désigne le plus souventles représentations, celui d’idéologie.

Pour tenter une clarification tout en avançant dans notre propos, nous envi-sagerons ce que pourrait être une caractérisation « marxiste standard » du terme« capital humain ».

Celui-ci présente d’emblée toutes les caractéristiques de ce que le marxismenomme une notion idéologique, une fétichisation du concept de force de travail,fétichisation qui s’exprime dans trois aspects : objectivation, distorsion et ins-trumentalisation.

Objectivation puisque l’on peut dire qu’avec l’idée de « capital humain » laréification atteint son apogée. Le sujet lui-même s’y pense comme un objet,l’être y est pensé comme un avoir. Marx notait que le concept de capital procèdedéjà d’une telle réification :

« Toutes les forces productives du travail social se présentent comme étant celles ducapital. Ainsi la force productive du travail social et ses formes particulières apparaissentcomme l’émanation du capital, du travail matérialisé, des conditions matérielles dutravail, et se trouvent, face au travail vivant, incarnées par le capitaliste, sous l’aspectd’un objet indépendant. Ici encore nous sommes devant l’inversion du rapport que nousavons désigné, en analysant le système de la monnaie, par le terme de fétichisme. »(Matériaux pour l’économie, Œuvres II, p. 382.)

Le capital humain ne serait qu’un nouveau progrès dans la « soumissionréelle » du travail au capital. Après s’être emparé de la propriété juridique, puisréelle, des machines, le capital développerait son emprise en s’emparant de laconsommation ouvrière qu’il normerait selon ses besoins, puis, dernière étape,des représentations mêmes du travail. La représentation du travail comme ca-pital humain serait le « stade suprême du développement du capitalisme » : letravail vivant lui-même y est représenté comme un objet.

Distorsion parce que cette représentation serait fausse. Ici, l’idéologie estopposée à la science : la représentation fausse, travail hier, capital humainaujourd’hui, s’opposerait à la représentation scientifique, la notion de capitalhumain au concept de force de travail.

Instrumentalisation enfin puisque ces distorsions auraient une fonction : cellede servir les intérêts de certaines catégories sociales. En assimilant le salaire aurevenu d’un capital, on légitime les revenus de la propriété, qui, par renverse-ment, deviennent des revenus identiques au salaire. Les différences entre lestypes de revenus ne renvoient qu’aux choix différents effectués par les indivi-dus : certains développent leur patrimoine financier ; d’autres, leur patrimoinehumain. La position des propriétaires du capital est ainsi confortée. De même,et de façon plus immédiate, se trouve confortée la position de ceux qui occupent

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une place privilégiée dans la hiérarchie salariale. En ce sens, la théorie du capitalhumain pourrait être considérée comme une idéologie des classes moyennes.Certaines théories inspirées du marxisme mettaient en cause les salariés à hautsrevenus en affirmant que ces hauts revenus sont des profits masqués en salaires,qu’ils sont le résultat d’une alliance passée entre les propriétaires du capital etles cadres gestionnaires de ce même capital (Establet et Beaudelot [1976]). Lathéorie du capital humain au contraire, en faisant des salariés à haut revenus dessalariés comme les autres, qui ont seulement su mieux gérer leur patrimoinehumain, légitime et conforte leur position dominante.

La critique du concept d’idéologieSi la notion de capital humain peut être critiquée comme une idéologie, cette

critique peut à son tour être qualifiée d’idéologie. On est face à ce que PaulRicoeur dénomme le « paradoxe de Mannheim ». Le concept d’idéologie ap-pliqué à lui-même se détruit : « Si tout ce que nous disons est biaisé, si tout ceque nous disons représente des intérêts que nous ne connaissons pas, toutethéorie de l’idéologie est elle-même idéologique » (Ricoeur [1997], p. 26.) Ilfaut donc accepter avec Mannheim cette extension du concept d’idéologie quile conduit à être englouti dans son propre référent. Il en résulte que la critiquede l’idéologie ne peut pas entraîner la fin de l’idéologie. Althusser soulignaitd’ailleurs déjà en ce sens que « seule une conception idéologique du monde a puimaginer des sociétés sans idéologie » (Althusser [1965]).

Avant même de critiquer une théorie comme idéologique, il faut donc évaluerde façon critique le concept d’idéologie lui-même. Au paradoxe relevé parMannheim s’ajoute, comme source de confusion, la polysémie du terme. Onpeut, en s’appuyant sur le travail critique mené par Ricoeur [1997], distinguertrois définitions de l’idéologie dans le marxisme :

— l’idéologie comme opposée à la science ;— l’idéologie comme opposée à la praxis ;— et enfin l’idéologie comme moment de la praxis.Si l’on accepte pour un instant de se situer dans une optique marxiste standard

d’opposition entre l’idéologie du capital humain et ce qui en serait le conceptscientifique, la force de travail, on peut montrer que, sur les trois aspects, ob-jectivation, distorsion et instrumentalisation, cette opposition ne peut être main-tenue.

Idéologie et objectivationSelon Marx lui-même, l’objectivation est inhérente à toute activité humaine.

Marx reprend le concept d’aliénation tel qu’il découle de la critique de Hegel parFeuerbach et il le développe. L’aliénation est le processus inhérent à l’hommesocial par lequel celui-ci objective les productions de son esprit, et se trouvedominé par ses propres productions. Ainsi de la religion. Dieu, puissance quidomine l’homme, est dit Feuerbach, le produit de son imagination. Marx étendla critique de la religion aux institutions civiles, État, droit, monnaie. Mais cesobjets ne sont pas pour autant des illusions. Ils sont au contraire réels et néces-saires.

« Pour Hegel, écrit E. Bottigelli dans sa présentation des Manuscrits de 1844, touteobjectivation était aliénation. Toute manifestation de l’homme était, dans la mesure

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même où elle était extériorisation de sa personnalité, créatrice d’objets étrangers. Marxdifférencie nettement objectivation et aliénation. Lorsque le travail était vraiment le refletde la personnalité de l’homme, avant l’apparition de l’échange, son produit était objec-tivation humaine. L’activité de l’homme n’est pas par essence une activité aliénante. Cesont les rapports sociaux qui, à un certain niveau de leur développement, transformentcette objectivation en aliénation. L’aliénation a cependant ses racines dans le fait mêmeque l’homme ne peut se manifester qu’objectivement. Comme il vit en société, ce sontfinalement les objets qu’il crée qui établissent ses relations avec les autres. »

La critique de la notion de capital humain comme objectivation tombe.

Idéologie et distorsion

Si l’on considère la deuxième caractéristique de l’idéologie, la distorsion parrapport au concept, les difficultés ne sont pas moins grandes. Il n’est pas si aiséde distinguer la notion idéologique de capital humain de ce qui en serait leconcept scientifique : la force de travail. La différence peut n’être que de vo-cabulaire et on peut, comme on l’a montré, considérer Marx, et les marxistescomme Hilferding, comme des précurseurs de la théorie du capital humain.Dans les deux cas, on met l’accent sur le fait que le travail est une capacité plusqu’une activité ; qu’il existe une hiérarchie des capacités (la distinction chezMarx entre le travail simple et le travail complexe) ; que cette hiérarchie descapacités est le résultat d’une production sociale qui engendre des coûts ; queces coûts, ce point est particulièrement développé par Hilferding, sont pourl’essentiel des coûts de formation, une dépense de travail formateur ; enfin quele travail plus formé est doté, par là même, d’une capacité productive plusgrande.

La très grande parenté entre la théorie du travail complexe et la théorie ducapital humain interdit donc de les opposer l’une à l’autre comme l’idéologie àla science.

Idéologie et instrumentalisation

Quant au troisième point, l’instrumentalisation de la notion de capital humaincomme légitimation des salariés privilégiés, il se heurte à deux objections. Lapremière est que la théorie marxiste du travail formateur conduit ici au mêmerésultat que la théorie beckerienne. À la conclusion normative de Mincer : « lesdifférences de salaires entre les salariés sont dues principalement à des diffé-rences dans la dimension des stocks en capital humain, et non à un « taux desalaire » différent par unité de stock de capital humain » (Mincer [1993], p.189),fait pendant une conclusion identique de Lapidus : « Rien ne permet d’affirmerqu’un travailleur qualifié, quel que soit le niveau de ses revenus, devient partieprenante dans le partage de la plus-value. » (Lapidus [1982], p. 204.)

La seconde est que l’instrumentalisation de la notion de capital humain n’estpas univoque. Elle peut certes être utilisée pour légitimer les hauts salaires, maiselle peut tout autant servir à les combattre, en revendiquant une hiérarchie dessalaires plus conforme à la hiérarchie des coûts d’acquisition du capital humain.De même, la valorisation du capital humain, par opposition à celle du capitalmatériel, peut soutenir une revendication d’un réexamen du partage salaireprofit.

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Idéologie comme représentation nécessaire

Mais la critique la plus radicale de la dénonciation du terme de capital humaincomme idéologique procède de ce que, pour Marx lui-même, l’idéologie est,dans une des acceptions du terme en tout cas, un moment de la pratique sociale,et qu’elle est donc, à ce titre, nécessaire. Rappelons les termes de l’Introductiongénérale à la critique de l’économie politique dans lesquels Marx nous livre saméthode :

« Dans toute science historique et sociale en général, il faut toujours retenir que lesujet — ici la société bourgeoise moderne — est donné aussi bien dans la réalité que dansle cerveau ; et que les catégories expriment des formes et des modes d’existence, souventde simples aspects particuliers de cette société, de ce sujet, et que, par conséquent, cettesociété ne commence à exister, scientifiquement parlant, à partir du moment seulementoù il est question d’elle en tant que telle. Cela vaut pareillement pour le développementdes catégories économiques. » (Marx [1857], Œuvres I, p. 254.)

Ricoeur [1986] analyse de façon tout à fait convaincante cette acception duterme idéologie, dont il montre qu’elle est la plus féconde. Présente chez Marxet les marxistes, quoique de façon contradictoire avec d’autres acceptions, ellepeut aussi être reliée aux analyses de Mannheim, de Clifford Geertz ou à lathéorie de l’État de Max Weber. « L’extension même du concept d’idéologie,remarque Ricoeur, agit comme une légitimation progressive du concept lui-même. » De ce fait, ajoute-t-il, « nous devons intégrer le concept d’idéologiecomme une distorsion dans un cadre qui reconnaît la structure symbolique de lavie sociale » (Ricoeur [1986], p. 24-25). Et plus loin « L’imaginaire n’apparaîtpas que dans les distorsions, il est aussi présent dans la relation qui est déformée.L’imaginaire est constitutif de notre relation au monde. » (Ricoeur [1986],p. 198.) Avant même d’être pensée comme une distorsion, l’idéologie doit doncêtre pensée comme un facteur d’intégration.

Une théorie englobante de la représentation : Searle1

Les différentes formes de représentations du social que nous avons repérées :construction du concept de salaire moyen par imputation chez Keynes, conven-tion salariale ou idéologie marxienne, peuvent être utilement éclairées par lestravaux du philosophe américain John Searle. Celui-ci, dans La construction dela réalité sociale [1998], s’interroge sur la nature et la genèse des « faits insti-tutionnels », c’est-à-dire, par opposition aux faits bruts, des faits qui « dépen-dent de l’accord des hommes » et qui « ont impérativement besoin d’institutionshumaines pour exister » (Searle [1998], p. 14). Une caractéristique fondamen-tale des « faits institutionnels », dit Searle, est qu’ils procèdent d’une intention-nalité, celle-ci étant définie, de manière très husserlienne, comme « cette pro-priété de l’esprit par laquelle il se dirige vers des objets et des états de chosesdans le monde » (Searle [1998], p. 34, note). Les faits institutionnels ne sontcependant qu’une mise en œuvre des capacités contenues dans les faits bruts. Ils

1. Je remercie Hervé Defalvard d’avoir attirer mon attention sur l’intérêt des travauxde Searle pour la présente étude.

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procèdent de l’assignation de fonction qui surimpose un sens aux faits bruts.L’exemple paradigmatique en étant pour Searle le papier-monnaie ; hors de lafonction qui lui est assignée par l’intentionnalité collective, le billet de banquen’est qu’un morceau de papier.

Searle donne une définition très générale et abstraite de la règle constitutivedes faits institutionnels qui est :

« X est compté comme un Y dans C »

où X est un ensemble de caractéristiques physiques, Y le statut imposé à cesobjets, et C le cadre dans lequel l’assignation de fonction est pertinente.

La relation des termes X et Y est non causale. On ne peut passer à Y par laseule vertu des caractéristiques physiques de X. Elle nécessite l’accord ou l’ac-ceptation – mais pas nécessairement la conscience – des participants du cadre C.

Une autre caractéristique de l’assignation de fonction est son caractère lan-gagier. L’assignation de fonction est souvent, mais pas toujours, produite par unacte de langage, et le fait institutionnel n’a d’efficace que s’il est communicable.En outre, sa pérennité et sa complexité imposent une représentation linguistique.

Les systèmes de faits institutionnels sont constitués par itération de la struc-ture « X est compté comme un Y en C ». Le terme X d’une assignation de niveausupérieur peut être le terme Y d’un niveau inférieur. Ces systèmes de structuresitérées fonctionnent à travers le temps. Ils créent des droits et des pouvoirsconventionnels. Le contenu Y imposé à l’élément X donne à des individus ou àdes groupes le pouvoir d’agir. L’effet de « X est compté comme Y en C » est dela forme :

« nous acceptons (S a le pouvoir (S fait A)) »

Les règles ainsi instituées fonctionnent grâce à ce que Searle nomme les« aptitudes d’arrière-plan » concept qui n’est pas sans rapport (il le note lui-même) avec ceux d’« habitus » ou de « disposition » développés par Bourdieu.Sans entrer dans les détails d’une discussion longue et complexe, on dira queSearle s’efforce de se tenir à l’écart de deux positions qu’il juge intenables, cellede la causalité rationnelle qui suppose une compréhension des règles par lesagents (et des raisons pour lesquelles suivre ces règles est rationnel), et celle dubéhaviorisme qui supprime toute forme d’intentionnalité de la part des agents(ce qu’il nomme la causalité « boule de billard »).

Les différentes figures de la représentation en économie que nous avonsrepérées à propos de la notion de capital humain se coulent assez facilementdans le moule proposé par John Searle. Ainsi les énoncés marxiens sur le capitalcomme formes deviennent, itérés sur la structure « X est compté comme Y dansC » :

— les capacités productives (X) sont comptées comme capital (Y) dans lecadre (C) du capitalisme ;

— les capacités productives individuelles sont comptées comme capital hu-main dans le cadre du capitalisme de la fin du XXe siècle.

L’imputation keynésienne se lit sur le même moule comme :

— L’hétérogénéité des unités de travail également rémunérées est comptéecomme baisse du rendement du capital.

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La convention de chômage de Salais devient :— L’incertitude sur la demande de produit et la productivité du travail sont

comptées comme droit de l’entrepreneur à la flexibilité de l’emploi sans remiseen cause du pacte de productivité.

La convention de capital humain, enfin, se lit :— les différences hiérarchiques de salaires sont comptées comme différences

dans l’accumulation de capital humain ;— la durée des études et l’ancienneté sont comptées comme accumulation de

capital humain.

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