La connaissance comme projet émancipatoire. Pensée, subjectivité et praxis (2009)

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(1) Jean-Paul Sartre, L‘ tre et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, « Tel », 1995, p. 216. (2) Karl Jaspers, Initiation à la méthode philosophique, Paris, Payot, « Petite Bibliothèque », 1994, p. 46. La connaissance comme projet émancipatoire Pensée, subjectivité et praxis Magali U HL D ANS L’TRE ET LE NÉANT, Jean-Paul Sartre établit l’existence de la réalité humaine à partir des fins visées. Il cir- conscrit le domaine d’intelligibilité de l’être pour-soi en fonction de sa libre projection vers les fins qu’il ambitionne. La réalité humaine est avant tout réalisation : « Je réalise un projet en tant que je lui donne l’être, mais je réalise aussi ma situation en tant que je la vis, que je la fais être avec mon être », écrit-il (1). Connaître, et plus générale- ment penser, signifie dans cette perspective réaliser en un double sens : d’abord par le projet en situa- tion, ensuite dans l’accomplissement de soi dans le flux du vécu. Autrement dit, le lien interne qui régit les rapports du connaître ou du penser et de l’être équivaut à la réalisation de soi par la médiation du projet. Et cette réalisation de soi ne peut passer, comme le souligne Karl Jaspers, que par une trans- formation concrète de la situation de l’individu vivant dans le monde : « Ce n’est que dans l’action sur lui-même et sur le monde, dans la réalisation de soi, qu’il [l’homme] prend conscience d’être lui- même, qu’il domine la vie et se dépasse » (2). Les différentes orientations théoriques exposées ici reprennent toutes cette perspective générale d’une connaissance envisagée comme projet, une pensée qui est avant tout accomplissement, un savoir qui se veut réalisation. Pour toutes aussi la visée générale de la pensée est de rétablir l’homme dans sa situation concrète d’être vivant, autrement dit de réintroduire le dynamisme de la vie dans le procès de connaissance. I. Le sujet de la pensée. De l’existentialisme au marxisme I.1. Connaître signifie réaliser Il apparaît clairement, dans la problématique sartrienne, que c’est le projet qui définit en 1 Uhl 2.3.2009 12:41 Uhr Seite 1

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(1) Jean-Paul Sartre, L‘ tre et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, « Tel », 1995, p. 216.(2) Karl Jaspers, Initiation à la méthode philosophique, Paris, Payot, « Petite Bibliothèque », 1994, p. 46.

La connaissance commeprojet émancipatoire

Pensée, subjectivité et praxis

Magali UH L

D ANS L’TRE ET LE NÉANT, Jean-PaulSartre établit l’existence de la réalitéhumaine à partir des fins visées. Il cir-conscrit le domaine d’intelligibilité

de l’être pour-soi en fonction de sa libre projectionvers les fins qu’il ambitionne. La réalité humaineest avant tout réalisation : « Je réalise un projet entant que je lui donne l’être, mais je réalise aussi masituation en tant que je la vis, que je la fais être avecmon être », écrit-il (1). Connaître, et plus générale-ment penser, signifie dans cette perspective réaliseren un double sens : d’abord par le projet en situa-tion, ensuite dans l’accomplissement de soi dans leflux du vécu. Autrement dit, le lien interne qui régitles rapports du connaître ou du penser et de l’êtreéquivaut à la réalisation de soi par la médiation duprojet. Et cette réalisation de soi ne peut passer,comme le souligne Karl Jaspers, que par une trans-formation concrète de la situation de l’individuvivant dans le monde : « Ce n’est que dans l’action

sur lui-même et sur le monde, dans la réalisation desoi, qu’il [l’homme] prend conscience d’être lui-même, qu’il domine la vie et se dépasse » (2).

Les différentes orientations théoriques exposéesici reprennent toutes cette perspective généraled’une connaissance envisagée comme projet, unepensée qui est avant tout accomplissement, unsavoir qui se veut réalisation. Pour toutes aussi lavisée générale de la pensée est de rétablirl’homme dans sa situation concrète d’être vivant,autrement dit de réintroduire le dynamisme de lavie dans le procès de connaissance.

I. Le sujet de la pensée. De l’existentialisme au marxisme

I.1. Connaître signifie réaliserIl apparaît clairement, dans la problématiquesartrienne, que c’est le projet qui définit en

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(3) Jean-Paul Sartre, L‘ tre et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, op. cit., p. 610.(4) Jean-Paul Sartre, « Matérialisme et révolution », in Situations philosophiques, Paris, Gallimard, « Tel », 1990, p. 132.(5) Ibid., p. 120.(6) Jean-Paul Sartre, L’ tre et le néant. Essai d’ontologie phénoménologique, op. cit., p. 610.

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dernière instance le sujet. Mais le projet originelne peut être atteint sans une anticipation des finsprojetées qui représentent le devenir même dusujet. Le projet fondamental d’un pour-soi neconcerne en aucun cas un caractère particulier dela condition humaine, il ne peut pas, non plus, êtredéterminé par une dynamique pulsionnelle, il « nepeut viser que son être ; le projet d’être ou désird’être ou tendance à être ne provient pas en effetd’une différenciation physiologique ou d’unecontingence empirique : il ne se distingue pas, eneffet, de l’être du pour-soi. Le pour-soi, en effet,est un être dont l’être est en question dans son êtresous forme de projet d’être » (3). En tant qu’il seprojette, le sujet humain est nécessairement situédans un horizon de possibles parce que lemoindre fait humain ne se conçoit qu’à partir del’avenir. En dépassant sans cesse la situationprésente le sujet réalise concrètement sespossibilités tout en ouvrant un espace d’autrespossibles en tant qu’être en situation-dans-le-monde. Ainsi c’est la subjectivité humaine quifait l’épreuve de la réalité par le projet qu’elle faitde la dépasser ou de la transcender : « Pourqu’une colline soit aisée ou malaisée à gravir,écrit Sartre, il faut avoir fait le projet de monter àson sommet » (4). Par conséquent, pour que laréalité se dévoile au sujet et pour qu’il puisse enretour la penser, il faut qu’il ait fait le projet del’affronter par l’action politique, l’engagementcitoyen, le travail ou encore la recherchescientifique. Et cette possibilité « de décollerd’une situation pour prendre un point de vue surelle (point de vue qui n’est pas connaissance pure

mais indissolublement compréhension etaction), c’est précisément ce qu’on appelleliberté » (5). La liberté est donc non seulementpossibilité d’une praxis – compréhension etaction – mais aussi exploration pratique despossibles ; le champ des possibles est alors la finvers laquelle le sujet dépasse sa situationobjective dans la praxis.

La pensée comme le désir de connaître doiventdonc être rattachés au projet d’être qui est l’êtredu pour-soi ; en un mot, la pensée et le désir deconnaître sont une anticipation des fins projetéesdu sujet. Ce qui conduit à interroger le pour-soi enrelation à sa visée, autrement dit, pourquoi lepour-soi ne peut-il viser que son être et quel estl’être de ce dernier ? À cela, Sartre donne laréponse suivante : « Le pour-soi se décritontologiquement comme manque d’être, et lepossible appartient au pour-soi comme ce qui luimanque, de même que la valeur hante le pour-soicomme la totalité d’être manquée. Ce que nousavons exprimé […] en termes de manque peutaussi bien s’exprimer en termes de liberté. Lepour-soi choisit parce qu’il est manque, la liberténe fait qu’un avec le manque, elle est le moded’être concret du manque d’être » (6). Le sujetétant principiellement désir d’être et le désir étantmanque, il s’agit, pour Sartre, de définir l’être dupour-soi puisque celui-ci représente l’être dansson propre manque d’être. L’être du pour-soi estdonc l’objet du désir et l’être dont manque lepour-soi est l’en-soi : « Le pour-soi surgit commenéantisation de l’en-soi et cette néantisation se

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(7) Ibid., p. 611.(8) Ibid., p. 253.(9) G. W. F. Hegel, Propédeutique philosophique, Paris, Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1963, p. 107.(10) Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I : Théorie des ensembles pratiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque desidées », 1960, p. 191.

définit comme pro-jet vers l’en-soi » (7). Lerapport de connaissance pourrait donc s’établirsur cette relation entre l’en-soi et le pour-soi, dansla mesure où l’être du pour-soi est connaissance del’être, et où il y a un être de cette connaissance :« La connaissance n’est rien d’autre que laprésence de l’être au pour-soi et le pour-soi n’estque le rien qui réalise cette présence » (8). Ainsi,la connaissance se consume dans l’être dont ellen’est ni un attribut, ni une fonction, ni une pulsion,ni un accident : il n’y a en elle que de l’être.

L’être-en-soi est par conséquent l’être des chosesqui ne dépendent pas de la conscience, il nerenvoie ni à soi-même ni à une autre chose : il estce qu’il est dans son opacité, c’est-à-dire lasynthèse de soi avec soi. L’être-pour-soi, aucontraire, est l’être de l’homme déterminé par laconscience, il est toujours en devenir et tented’échapper à lui-même à travers le projet. À ladifférence de l’être-en-soi qui est positivité,l’être-pour-soi introduit la négativité parl’intermédiaire de la conscience. Le néantqu’introduit le pour-soi est projet vers l’en-soi. Ilest donc impensable de nier l’union dialectique del’être et du néant, sans laquelle aucuncommencement n’est possible, car dans lascission des deux termes réside un paradoxeapparent : soit l’être est, soit il n’est pas, ce quisignifie que ce qui est ne commence pas et, de lamême manière, ce qui n’est pas ne commence pasnon plus. Il faut donc penser la relation de l’être etdu non-être afin d’envisager le devenir possiblede l’être dans son double mouvement : émergence

de l’être à partir du néant et intrusion du néantdans l’être. Comme l’écrit Hegel : « L’être est lasimple immédiateté dépourvue de contenu, qui ason contraire dans le pur néant, l’union des deuxétant le devenir : en tant que passage du néant àl’être, surgissement, en tant que passage de l’êtreau néant, disparition » (9).

L’être humain est donc fondamentalement un êtrequi se projette, et cette projection fait qu’il esttoujours ce qu’il n’est pas encore, au-delà de soi,car « l’homme est un être matériel au milieu d’unmonde matériel ; il veut changer le monde quil’écrase, c’est-à-dire agir par la matière surl’ordre de la matérialité : donc se changer lui-même. C’est un autre arrangement de l’Universavec un autre statut de l’homme qu’il recherche àchaque instant ; et c’est à partir de cet ordrenouveau qu’il se définit à lui-même commel’Autre qu’il sera » (10). La réalité humaine estainsi chez Sartre tributaire des fins qu’elle vise,son être-là dépend de sa libre projection. En unmot, la réalité humaine est réalisation. Laréalisation du sujet, ou pour reprendrel’expression de Ernst Bloch « la réalisation duréalisant », alimente le processus historique, faitadvenir la possibilité, manifeste l’histoire par larelation concrète de l’homme au monde : « Lapuissance subjective coïncide non seulement avecce qui fait changer l’histoire de direction, maisaussi avec ce qui se réalise dans l’histoire, et ellese confondra d’autant plus avec ce qui se réaliseque les hommes deviendront les producteursconscients de leur histoire. La potentialité

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(11) Ernst Bloch, Le Principe Espérance. Tome I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1991, p. 299.(12) G. W. F. Hegel, Propédeutique philosophique, op. cit., p. 187. Sur la dialectique hégélienne sujet/objet, voir Ernst Bloch, Sujet-objet.Éclaircissements sur Hegel, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1977.(13) Gaston Bachelard, Le Nouvel esprit scientifique, Paris, PUF, « Quadrige », 1995, p. 15.(14) Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I : Théorie des ensembles pratiques, op. cit. Cet ouvrage est précédé deQuestions de méthode, texte qui a été publié indépendamment et que je citerai lorsqu’il sera question de la première partie de Critique de laraison dialectique. (15) Jean-Paul Sartre, Questions de méthode, Paris, Gallimard, « Tel », 1986, p. 85.(16) Ibid., p. 86.

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objective coïncide non seulement avec ce qui estmodifiable, mais aussi avec ce qui est réalisabledans l’histoire et cela d’autant plus que le mondeextérieur indépendant de l’homme deviendradavantage un monde en médiation avec lui » (11).Le projet et sa visée (l’être) semblent être au cœurde la théorie sartrienne de la connaissance. Danscette perspective, la connaissance concerne larelation entre le pour-soi et l’en-soi à travers leprojet : connaître signifie réaliser. Ainsi le projeten néantisant l’en-soi devient connaissance, nonpas de l’en-soi qui est opaque, mais de la réalitéhumaine, il devient « acte de connaître, c’est-à-dire l’idée qui se réalise dans l’élément de lapensée » (12). Par-delà l’objet et le sujet s’inscriten définitive le projet comme élément central del’acte de connaissance, qui est téléologie, c’est-à-dire aussi projection dans le futur, et non passeulement archéologie, régression dans le passé :« Au-dessus du sujet, au-delà de l’objet immédiat,écrit Bachelard, la science moderne se fonde surle projet. Dans la pensée scientifique, laméditation de l’objet par le sujet prend toujours laforme du projet » (13).

I.2. Le projet : un subjectif réaliséC’est dans Critique de la raison dialectique (14) età travers l’élaboration de sa méthode progressive-régressive que Sartre développe sa conception duprojet dans son acception la plus large. Il prend eneffet pour catégorie fondamentale le projet afin de

concilier le marxisme et l’existentialisme dansune totalisation compréhensive. Il retiendra dumarxisme son interprétation de l’histoire du pointde vue des contradictions économiques et del’aliénation de l’individu, tout en insistant sur lesapports de l’existentialisme pour éviter toutcaractère dogmatique. Car c’est au sein de cetteréalité économique et sociale – vue de façondéterministe par le marxisme puisque le sujet estsoumis à la contrainte totalisante de l’histoire àtravers le développement des forces productiveset la structure des rapports de production – que lesujet accomplira son projet existentiel. L’histoiren’est pas seulement pour Sartre une forceétrangère surplombante, elle est aussi ce que l’onen fait quotidiennement et qui nous fait devenirautre. Ainsi est affirmé le caractère irréductible del’action humaine qui, même si elle conserve lesdéterminations du milieu social dans lequel elles’accomplit en œuvrant sur des conditionsprédonnées, traverse et transforme le monde quil’environne. « L’homme, écrit Sartre, secaractérise avant tout par le dépassement d’unesituation, par ce qu’il parvient à faire de ce qu’ona fait de lui, même s’il ne se reconnaît jamais dansson objectivation » (15). Le projet peut être ainsidéfini dans ce rapport dialectique entre unesituation déjà donnée et une nouvelle situation endevenir : il « retient et dévoile la réalité dépassée,refusée, par le mouvement même qui ladépasse » (16).

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Robert Smithson, Broken Circle / Spiral Hill, Pays-bas, 1971.

La pensée, dans cette optique, représente unmoment de la praxis dont elle dépend, de la mêmemanière que la praxis dépend d’elle. Toute penséeinvite à la praxis ou en découle, de la mêmemanière que toute praxis incite à penser oudépend d’une pensée. Cette médiation réciproquepermanente n’acquiert une réalité que dans larelation de l’existant à ses possibles : les

conditions matérielles de sa vie limitent ledomaine des possibilités de l’individu. C’est donc« en réalisant une possibilité entre toutes quel’individu s’objective et contribue à fairel’Histoire : son projet prend alors une réalité quel’agent ignore peut-être et qui, par les conflitsqu’elle manifeste et qu’elle engendre, influence lecours des événements. Il faut donc concevoir la

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(17) Ibid., p. 88.(18) Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I : Théorie des ensembles pratiques, op. cit., p. 157.(19) Pierre Bourdieu a montré que les champs sociaux en tant que systèmes de relations entre les positions, les dispositions et les prises deposition étaient aussi des espaces de possibles. Ainsi dans le champ littéraire l’espace des possibles apparaît comme un « espace orienté etgros des prises de position qui s’y annoncent comme des potentialités objectives, des choses “à faire”, “mouvements à lancer”, revues àcréer, adversaires à combattre, prises de position établies à “dépasser”, etc. », (Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure duchamp littéraire, Paris, Éditions du Seuil, « Libre examen », 1992, p. 326). L’espace des possibles dans cette perspective se réfère doncessentiellement à une topologie relationnelle de positions et dispositions générant des prises de position, tandis que chez Sartre l’horizon despossibles est essentiellement temporalité et historicité, c’est-à-dire projection, visée, anticipation, liberté de faire advenir le futur, le non-encore-advenu. Chez Pierre Bourdieu l’expérience du temps et la pratique sociale comme temporalisation sont elles-mêmes l’effet du champdans lequel se trouve inséré l’agent, (voir Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Éditions du Seuil, « Liber », 1997, notammentle chapitre 6 : « L’ tre social, le temps et le sens de l’existence », pp. 247-288).(20) Jean-Paul Sartre, Questions de méthode, op. cit., p. 91.(17) Ibid., p. 88.

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possibilité comme doublement déterminée :d’une part c’est, au cœur même de l’actionsingulière, la présence de l’avenir comme ce quimanque et ce qui dévoile la réalité par cetteabsence même. D’autre part, c’est l’avenir réel etpermanent que maintient et transforme sans cessela collectivité » (17).

Il est donc question, à travers le champ despossibles, d’une objectivation du sujet par lebiais du projet au sein du processus historique.Objectivité et subjectivité entretiennent dès lorsdes liens dialectiques dans un doublemouvement d’introjection de l’objectif et deprojection du subjectif. En effet comme lesouligne Sartre, « l’expérience dialectique neréside ni dans le libre développement del’intériorité ni dans l’inerte dispersion del’extériorité ; elle s’impose, à titre de momentinévitable et irréductible, dans l’intériorisation del’extérieur et dans l’extériorisation de l’intérieur.Ce double mouvement sera celui de notreexpérience régressive : l’approfondissement de lapraxis individuelle nous montrera qu’elleintériorise l’extérieur (en dessinant par l’actionmême un champ pratique) ; mais inversementnous saisirons dans l’outil et dans l’objectivationpar le travail une extériorisation intentionnelle de

l’intériorité » (18). Ainsi, le projet est entenducomme un dépassement subjectif de l’objectivité,qui se situe à l’interface des conditions objectivesdu milieu et des structures subjectives del’horizon des possibles. Le projet est donc l’unitédialectique du subjectif et de l’objectif dans lechamp des possibles (19).

Sartre introduit ici la notion de vécu : lasubjectivité du vécu devient en effet un momentessentiel du processus historique car les élémentsobjectifs qui conditionnent les relations humainesdoivent être vécus subjectivement pour devenirdes conditions réelles de la praxis. C’est alors àtravers l’objectivation du vécu que le sujet peuttransformer le monde. Mais le subjectif n’a deréalité que dans son objectivation réalisante, iln’existe que pour être projet objectivé. Il y adonc une rétention de l’objectif que le subjectif« nie et qu’il dépasse vers une objectiviténouvelle ; et cette nouvelle objectivité, à son titred’objectivation, extériorise l’intériorité du projetcomme subjectivité objectivée. Ce qui veut dire àla fois que le vécu en tant que tel trouve sa placedans le résultat et que le sens projeté de l’actionapparaît dans la réalité du monde pour prendre savérité dans le processus de totalisation » (20). Leprojet se trouve ainsi au centre de ces deux

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(21) Henri Lefebvre, Le Matérialisme dialectique, Paris, PUF, « Nouvelle bibliothèque philosophique », 1957, p. 147.(22) Jean-Marie Brohm, « Un marxisme du sujet-objet », préface à Karel Kosik, La Dialectique du concret, Paris, Les Éditions de la Passion,1988, p. XXVI.(23) Karel Kosik, La Dialectique du concret, op. cit., p. 79. (24) Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique. Tome I : Théorie des ensembles pratiques, op. cit., p. 180.

moments – l’objectivation de la subjectivité et lasubjectivation de l’objectivité – et lui seul est cequi permet d’écrire l’histoire, c’est-à-dire lapossibilité de rendre compte de la créativitéhumaine. Le devenir humain apparaît donccomme la signification ultime de la praxis parlaquelle l’homme devient le sujet-objet dudevenir. « Il est, comme le souligne HenriLefebvre, le sujet vivant qui s’oppose à l’objet etsurmonte cette opposition. Il est le sujet qui s’estbrisé en activités partielles et en déterminationsdispersées et qui surmonte la dispersion. Il est lesujet de l’action – et en même temps l’objetdernier de l’action, son produit même quand ellesemble produire des objets extérieurs. L’hommetotal est le sujet-objet vivant d’abord déchiré, etdissocié et enchaîné à la nécessité et àl’abstraction. À travers ce déchirement, il va versla liberté » (21).

L’être humain est dès lors perçu à la fois commeun être objectif et un créateur subjectif de la réalitésociale humaine. « La réalité humaine, note Jean-Marie Brohm, est un procès ininterrompu où lesujet concret produit et reproduit la réalité socialeen même temps qu’il se produit et se reproduit lui-même à un niveau sans cesse plus élevé etcomplexe, tandis que la réalité sociale produit etreproduit également le sujet dans un mouvementpermanent de médiations réciproques,d’échanges, d’interactions, de métabolismes dontl’art, la science et la philosophie sont lesexpressions suprêmes » (22). La praxis humaine

est alors « le théâtre où s’effectue la métamorphosede l’objectif en subjectif, et du subjectif enobjectif ; elle est le centre actif où se réalisent lesintentions humaines et se dévoilent les loisdéterminées de la nature » (23).

II. La pensée comme praxis. Lematérialisme historique

II. 1. L’unité de la pensée et de l’êtrePour répondre aux exigences d’une conceptionphilosophique du monde entendu comme projetréel de dépassement, Sartre réintroduit l’hommedans son existence concrète. Ainsi compris,l’homme n’est plus un simple objet du savoir, ilest l’objet-sujet de la compréhension et dudevenir de l’histoire en tant que totalité enmouvement, processus de transformation desconditions existantes : « L’homme fait l’Histoiredans l’exacte mesure où elle le fait. Cela veut direque les relations entre les hommes sont à chaqueinstant la conséquence dialectique de leur activitédans la mesure même où elles s’établissentcomme dépassement de relations humainessubies et institutionnalisées. L’homme n’existepour l’homme que dans des circonstances et dansdes conditions sociales données, donc touterelation humaine est historique. Mais les relationshistoriques sont humaines dans la mesure où ellesse donnent en tout temps comme la conséquencedialectique immédiate de la praxis, c’est-à-dire dela pluralité des activités à l’intérieur d’un mêmechamp pratique » (24).

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James Turrel, Roden Crater, Arizona, 1974.

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(26) Karl Marx, L’Idéologie allemande, in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., p. 1055.(27) « La production des idées, des représentations, de la conscience est, de prime abord, directement mêlée à l’activité et au commercematériels des hommes : elle est le langage de la vie réelle. Ici, la manière d’imaginer et de penser, le commerce intellectuel des hommesapparaissent encore comme l’émanation directe de leur conduite matérielle. Il en va de même de la production intellectuelle, telle qu’elle semanifeste dans le langage de la politique, des lois, de la morale, de la religion, de la métaphysique, etc. », (Karl Marx, L’Idéologie allemande,in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., p. 1056).

Sartre reprend ici l’un des principaux thèmes dela pensée de Marx sur la prééminence du rôleinstituant de l’initiative historique et de l’impactaxiologique de l’homme dans la société :« L’homme, ce n’est pas un être abstraitrecroquevillé hors du monde. L’homme, c’est lemonde de l’homme , c’est l’État, c’est lasociété » (25), écrit en effet Marx. Ainsi, dans latotalité de ses aspects, la société représente lemonde de l’homme objectivé. On observe alorschez Marx une corrélation directe entre l’universmatériel de l’homme et l’état de son mondespirituel : il est ce qu’il fait et ce qu’il fait le faitêtre. Ce qui signifie qu’il faut, pour élaborer uneanalyse de la connaissance de la société humaine,partir des deux postulats suivants : d’une part,toute compréhension de la société impliquel’élucidation de la vie effective de sujets humainsconcrets ; d’autre part, cette analyse doit tenircompte des conditions physiques et naturelles dumonde et de leur modification par la praxishumaine au cours de l’histoire. Cettemodification historique des bases naturelles de lasociété relève « d’un genre d’activité déterminé,d’une manière déterminée de manifester leur vie,d’un certain mode de vie de ces mêmes individus.Ainsi les individus manifestent-ils leur vie, ainsisont-ils. Ce qu’ils sont coïncide donc avec leurproduction, avec ce qu’ils produisent aussi bienqu’avec la façon dont ils le produisent. Ainsi, ceque sont les individus dépend des conditionsmatérielles de leur production » (26).

Cette thèse de Marx laisse déjà entendre que laconnaissance elle-même et, par extension, lapensée est un procès de production d’un genreparticulier : l’appropriation pratique de la réalité àtravers des procédures théoriques de plus en plusélaborées. Loin d’être simple contemplation ouinterprétation du monde, la connaissance (lapensée) est production du monde, du monde de laconnaissance (de la pensée) précisément, enmême temps qu’elle est construction sociale dumonde social, ou production des conditionssociales d’intercompréhension des hommes entreeux, d’une part, d’auto-compréhension de lasociété par elle-même, d’autre part. Le procès deproduction de la connaissance (de la pensée)interagit donc aussi fondamentalement avec lesautres procès de production : économique,scientifique, démographique, etc. (27) .

En établissant la nécessité théorique et pratiquede penser la connaissance à partir de l’hommeconcret pris dans une société concrète, Marxcondamne ipso facto toutes les approchesthéoriques qui ne considèrent pas l’hommecomme un être irréductiblement social, c’est-à-dire auto-engendré par lui-même ou créateur deses propres conditions de vie. L’existence del’homme est tout entière dépendante de la sociétéparce que la société est tout entière dépendante del’homme et ce quel que soit le secteur d’activité :les penseurs ne faisant, bien évidemment, pasexception. Il faut ainsi se garder d’une conception

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(28) « Il faut surtout éviter de fixer de nouveau la “société” comme une abstraction en face de l’individu. L’individu est l’être social. Lamanifestation de sa vie […] est donc une manifestation et une affirmation de la vie sociale », (Karl Marx, Manuscrits de 1844. Économiepolitique et philosophie, Paris, Éditions sociales, 1962, p. 90).(29) Ibid. Plus précisément « la conscience ne peut jamais être autre chose que l’être conscient, et l’être des hommes est leur procès de vieréel », (Karl Marx, L’Idéologie allemande, in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., p. 1056).(30) Sur cette question voir l’ouvrage de Joseph Dietzgen, L’Essence du travail intellectuel, Paris, François Maspero, « Théorie », 1973,p. 16 : « Dans cet ouvrage j’expose la faculté de penser en tant qu’organe de l’universel. Le quatrième état, celui qui souffre, la classeouvrière, est d’abord le véritable support de cet organe dans la mesure où les états dominants trouvent dans leurs intérêts particuliers declasse l’obstacle qui leur interdit la reconnaissance de l’universel ». Cela ne signifie pas que la connaissance sociale soit par nature ouvrière,mais que la classe ouvrière a la faculté de connaître la totalité concrète en vertu de l’intérêt universel qu’elle représente en tant qu’intérêtd’émancipation. Voir Georg Lukács, Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste, Paris, Les Éditions de Minuit,« Arguments », 1960.(31) Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., p. 397.(32) Karel Kosik, La Dialectique du concret, op. cit., p. 145.(33) Karl Marx, Manuscrits de 1844. Économie politique et philosophie, op. cit., p. 94.

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abstraite de la société (28) car l’existence del’individu est entièrement orientée vers la viesociale dont il est un élément particulier, un êtresocial individuel réel. Mais l’homme est aussi latotalité, « la totalité idéale, l’existence subjectivepour soi de la société pensée et sentie […], ilexiste soit comme contemplation et jouissanceréelle de l’existence sociale, soit comme totalitéde manifestations humaines de la vie. La penséeet l’ tre sont certes distincts, mais en même tempsils forment ensemble une unité » (29).

La connaissance n’est donc pas le seul apanagedes philosophes et des autres penseursprofessionnels ou institutionnels (30). Pourcomprendre concrètement la connaissance il fautau contraire partir de l’homme vivant concret etde la société dans laquelle il vit. Plusexplicitement, il s’agit de comprendre ce qui unitdialectiquement chez tout individu théorie etpratique, expérience et connaissance, être etpensée, parce que toute dissociation de ces termesconduit à une impasse. Il en va de même pour laséparation entre philosophie (intellectuels) etmasse (peuple) car « la philosophie trouve dans leprolétariat ses armes matérielles, de même le

prolétariat trouve dans la philosophie ses armesspirituelles » (31). Dans la praxis, note pour sapart Karel Kosik, l’homme « a trouvé la base d’uncentre actif réel, d’une médiation historique réelleentre l’esprit et la matière, entre la culture et lanature, entre l’homme et le cosmos, entre lathéorie et l’action, entre l’existence et l’essence,entre l’épistémologie et l’ontologie » (32). C’estfinalement la praxis qui est, en dernière analyse,le moteur de l’histoire et de la pensée, et mêmeles antithèses théoriques entre subjectivité etobjectivité, spiritualité et matérialité, essence etapparence, déterminisme et liberté, etc., netrouvent leur résolution que dans la pratique, sibien « que leur solution n’est donc aucunement latâche de la seule connaissance, mais une tâchevitale réelle que la philosophie n’a pu résoudreparce qu’elle l’a précisément conçue comme unetâche seulement théorique » (33).

C’est dans Les Thèses sur Feuerbach que l’onretrouve cette idée sous sa forme la plussystématique : « Le principal défaut de toutmatérialisme jusqu’ici (y compris celui deFeuerbach) est que l’objet extérieur, la réalité, lesensible ne sont saisis que sous la forme d’objet

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(34) Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, in L’Idéologie allemande, Paris, Éditions Sociales, 1976, pp. 1-3. (35) Karl Marx, « Postface de la deuxième édition allemande », in Le Capital. Livre premier : Le développement de la production capitaliste.Tome I, Paris, Éditions sociales, 1978, p. 29.(36) Karl Marx, L’Idéologie allemande, in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., pp. 1058-1059.(37) Daniel Bensaïd, Marx l’intempestif. Grandeurs et misères d’une aventure critique (XIXº - XXº siècles), Paris, Fayard, 1995, p. 261.

ou d’intuition, mais non en tant qu’activitéhumaine sensible, en tant que pratique ». Plusloin : « La question de l’attribution à la penséehumaine d’une vérité objective n’est pas unequestion de théorie, mais une question pratique ».Et encore : « Toute vie sociale est essentiellementpratique. Tous les mystères qui portent la théorievers le mysticisme trouvent leur solutionrationnelle dans la pratique humaine et dans lacompréhension de cette pratique » (34). On peutalors ajouter que pour Marx la philosophie, etd’une façon plus générale toute forme de pensée,est le produit de l’activité sensible et pratique del’homme car « le mouvement de la pensée n’estque la réflexion du mouvement réel, transporté ettransposé dans le cerveau de l’homme » (35).Bref, la praxis fonde l’être de la pensée et l’être dela connaissance en tant que conscience de l’être.

Dans la mesure où la pratique est la conditionpremière de la vie sociale, où l’élaboration et laformulation des idées s’opèrent à travers le fluxcontinu d’une action concrète dans et sur lemonde, il en résulte que ce n’est pas tant lacritique théorique spéculative qui produitl’histoire, mais c’est au contraire la praxishumaine effective qui devient la force motrice dudevenir historique et culturel d’une société. Ils’agit donc pour Marx de se libérer deségarements de la théorie abstraite et de saphraséologie stérile qui utilise des hypostasesréifiées ou des concepts vides – essence,substance, sujet, conscience de soi, etc. –, pour

retrouver « la première condition de touteexistence humaine, donc de toute histoire [qui est]que les hommes doivent être en mesure de vivrepour être capables de “faire l’histoire” » (36). Et lavie – c’est-à-dire se nourrir, se loger, se vêtir, sedéplacer... – passe par la création des moyensnécessaires pour subvenir à ces besoinsfondamentaux. C’est donc par la production del’existence matérielle elle-même, par l’activitéconcrète quotidienne, que s’accomplit la conditionpremière de toute histoire. Ainsi par l’effectivitédu travail, l’homme se crée-t-il lui-même etmanifeste son être social : l’existence pratiquepermet sa réalisation concrète ainsi que laconnaissance de soi. Dès lors, grâce à la praxis, lapensée reste toujours partie prenante du réel,« dans un procès de “différenciation graduelle”.Cette différenciation intime de l’objet, cettegestation du sujet dans l’objet, échappe au piègespéculaire du reflet tautologique. Par la médiationde la pratique, la théorie peut “appréhenderréellement les choses” au lieu d’étreindre leurfantôme conceptuel » (37).

La question que l’on peut alors se poser concernele statut de la pensée théorique dans cetteréalisation de soi puisque la praxis politique,économique et sociale devient chez Marx lecritère et le fondement de toute pensée théorique.Finalement ce n’est pas tant la théorie de laconnaissance comme révélatrice de la structurede la société qui importe, mais la praxis etl’infléchissement qu’elle peut provoquer sur cette

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(38) Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, op. cit., p. 4.(39) Michel Henry, Marx. I : Une philosophie de la réalité, Paris, Gallimard, « Tel », 1991, p. 366. Cet ouvrage fondamental est une analysetrès fouillée de la praxis chez Marx. Michel Henry a eu le mérite historique d’interpréter « l’ontologie de la praxis » dans le cadre d’unephénoménologie de la vie et de montrer que la praxis est toujours l’œuvre d’un individu vivant concret. Voir Michel Henry, Auto-donation.Entretiens et conférences (textes rassemblés et édités par Prétentaine sous la direction de Magali Uhl), Paris, Beauchesne, 2004 ; voir aussiJean-Marie Brohm, « Michel Henry, une lecture radicale de Marx », in Michel Henry. Pensée de la vie et culture contemporaine. Colloqueinternational de Montpellier, Paris, Beauchesne, 2006.(40) Considérer la réalité humaine dans l’exercice de son libre projet, c’est-à-dire dans l’impulsion vers sa fin, introduit la question de lafinalité de la fin elle-même. De même, la finalité du désir de connaître ne peut se concevoir sans la compréhension de ce vers quoi tend lesujet, sa destination, son but. Spinoza est un exemple classique de la fin entendue en ce sens lorsqu’il souligne que « chaque chose, selon sapuissance d’être, s’efforce de persévérer dans son être » : Baruch Spinoza, L’Éthique, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1996, pp. 189-190.

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même société. Marx s’oppose effectivement aucaractère contemplatif et éthéré de la penséethéorique, dans le dernier paragraphe des Thèsessur Feuerbach, il définit clairement sa position :« Les philosophes n’ont fait qu’interpréterdiversement le monde, ce qui importe, c’est de letransformer » (38).

II. 2. Praxis et sujet de la penséeLe moyen d’accéder à la réalité de l’être n’estdonc pas prioritairement chez Marx laconnaissance théorique mais la praxis, la théorieétant par principe subordonnée aux intérêtspratiques de la production et reproduction de lavie en société. Michel Henry voit dans leparagraphe concluant les Thèses sur Feuerbach lemoment décisif et révélateur d’une connexionentre le caractère prescriptif de la pensée de Marxet la praxis. En effet, le « lieu de la réalité quitranscende toute théorie est précisément celui dela praxis. “Il faut” veut dire “il faut faire”. “Ilfaut” n’est plus alors la parole vide qui flotte enl’air, méconnaît la réalité et doit laisser la place àsa connaissance, c’est la parole essentielle qui, enrécusant au contraire la connaissance comme voied’accès à l’être, nous renvoie à celui-ci selon lemode conformément auquel ce renvoi et cet accèspeuvent s’accomplir, selon le mode fondamentalde la praxis » (39).

Dans la théorie marxienne, davantage encore quechez Sartre, s’il est possible de parler d’unevolonté de connaître qui enjoint le sujet àpersévérer dans son effort de connaissance (40),cette dernière n’est bien évidemment pas une finen soi. Dans la mesure où elle est énoncée, ellerevêt comme simple signification le momentparticulier de la praxis qui après s’être approprié lathéorie retourne vers la réalité humaine et socialepour se donner les moyens de l’action. Cettevolonté de connaissance émancipatrice estd’ailleurs moins une compétence des théoriciensqu’une caractéristique des hommes vivants etagissants. Par conséquent, seule la pratique, parceque constitutive de l’être humain, peut éclairer,dans la réalisation effective de son action, ce qu’ilen est de l’être de la connaissance. Et cettepratique sociale a pour finalité explicite la critiquedes conditions de vie qui sont faites aux hommesdans le mode de production capitaliste,l’affirmation humaniste de l’être humain qui nesaurait être réduit à une marchandise. « Laphilosophie de Marx, comme presque toute lapensée existentialiste, écrit Erich Fromm,constitue une protestation contre l’aliénation del’homme qui lui fait perdre son individualité et letransforme en objet. Elle s’oppose à ladéshumanisation et à l’automatisation de l’hommeliées au développement industriel de la société

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(41) Erich Fromm, La Conception de l’homme chez Marx, Paris, Payot, 1977, p. 5.(42) Cette parenté de l’existentialisme et du marxisme est également soulignée par Herbert Marcuse qui consacre les dernières pages de sonouvrage Philosophie et Révolution à Søren Kierkegaard à qui il attribue la paternité de la thèse concernant le « caractère existentiel de lacontemporanéité » (Herbert Marcuse, Philosophie et révolution, Paris, Denoël-Gonthier, « Médiations », 1969, p. 146). Marcuse conclut ainsison livre par une sentence aux consonances existentialistes : « En confrontant sans cesse les vérités qu’elle connaît à la situation de l’existencecontemporaine, la philosophie vit dans la tension décisive par laquelle elle peut seule devenir nécessaire et féconde. Connaissance et “vie”,vérité et contemporanéité ne seront pas confondues d’une manière illégitime, mais leur liaison véritable sera instituée, si la connaissance, unefois gagnée à partir d’un authentique souci de l’existence, vise à accomplir sa vérité dans la contemporanéité » (ibid., p. 156).

Robert Smithson, Spiral Jetty, Utah, 1970.

occidentale » (41). La volonté de connaissanceémancipatrice est donc portée par un projet globalde désaliénation, d’abord de ceux qui subissentdirectement l’exploitation et l’oppression, ensuitede la société dans son ensemble. L’être de laconnaissance (de la pensée) est ainsi nécessaire-ment dépendant du devenir de l’être social. Le

problème de la connaissance du sujet n’est doncpas, dans la perspective marxienne, une questionde théorie mais une question essentiellementpratique qui a trait à l’existence réelle d’un sujetvivant dans et par le monde. Car la vie – aussi bienpour l’existentialisme que pour le marxisme – estle point focal de leurs analyses de la société (42).

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(43) Jean-Paul Sartre, L’Existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1996, pp. 56-57.(44) Maurice Merleau-Ponty, Sens et non-sens, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de philosophie », 1996, p. 98.(45) Ibid., p. 163.(46) Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, in Œuvres. III : Philosophie, op. cit., p. 389.(47) Karl Korsch, Marxisme et philosophie, Paris, Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1964, p. 111.

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Chez Sartre, à travers l’expression théorique del’existentialisme, on retrouve ce souci permanentde replacer le sujet au cœur du processushistorique, parce que le commencement de touteréflexion est la subjectivité : « Notre point dedépart est en effet la subjectivité de l’individu[…]. Il ne peut pas y avoir de vérité autre, au pointde départ, que celle-ci : je pense donc je suis, c’estlà la vérité absolue de la conscience s’atteignantelle-même » (43). La subjectivité que le cogitoatteint se saisit sans intermédiaire, sans médiation,elle est première, originaire. Dans le même ordred’idée, Merleau-Ponty témoigne de l’obligationde convenir avec Descartes que « si nousconnaissons quelque réalité extérieure, c’est àcondition de saisir en nous-mêmes cette opérationde connaissance, qu’aucun en-soi ne nous seraitaccessible s’il n’était au même moment pour nouset qu’enfin le sens que nous lui trouvons dépendde notre assentiment. Aucun homme ne peutrefuser le cogito et nier la conscience, sous peinede ne plus savoir ce qu’il dit et de renoncer à touténoncé, même matérialiste » (44). Tout savoir surl’homme est donc tributaire d’une aperceptionintérieure du sujet qui est, par principe, lefondement de la connaissance et de la pensée. Ils’agit cependant, pour Merleau-Ponty, de dépasserle cogito en le réalisant, c’est-à-dire en attestant deson appartenance au monde réel. Aussi laconnaissance se trouve-t-elle replacée dans latotalité de la praxis humaine et le « sujet n’est plusseul, n’est plus la conscience en général ou le purêtre pour soi – il est au milieu d’autres conscienceségalement situées, il est pour autrui et par là subit

une objectivation, devient sujet générique » (45).Le sujet, loin d’être isolé, ne se comprend ici quedans l’intersubjectivité. Il doit se sentir, commetous les autres hommes, pris à l’intérieur de cettevie et acteur d’un devenir à inventer : alors, etalors seulement, la philosophie pourra se réaliseren se supprimant, ou pour reprendre les termes deMarx : « En un mot : vous ne pouvez surmonter laphilosophie sans la réaliser » (46).

Le dépassement de la philosophie ne signifie pas,pour Marx, sa mise à l’écart. Bien au contraire,son matérialisme historique est, comme lesouligne Karl Korsch, « une philosophie : plusprécisément, une philosophie révolutionnaire, quia sa place en tant que telle dans les luttesrévolutionnaires se déroulant au même momentdans toutes les sphères de la réalité sociale contrele régime existant, et qui se donne pour missionde lutter effectivement dans une sphèredéterminée de cette réalité, dans la philosophie,afin d’aboutir, au moment même où se réalisera ledépassement de l’ensemble de la réalité socialeexistante, au dépassement effectif de laphilosophie elle-même, qui est partie intégrante,bien qu’idéale, de cette réalité » (47).

III. L’émancipation par la pensée. La théorie critique

III.1. Théorie traditionnelle et fausse conscienceLe projet théorique du matérialisme historique amis en évidence un sujet social dépossédé de sapropre histoire, jouet de forces surplombantes

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(48) Voir Paul-Laurent Assoun, L’École de Francfort, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1987.(49) Voir Rolf Wiggershaus, L’École de Francfort. Histoire, développement, signification, Paris, PUF, « Philosophie d’aujourd’hui »,1993, pp. 37-42 ; Martin Jay, L’Imagination dialectique. L’école de Francfort. 1923-1950, Paris, Payot, « Critique de la politique », 1989,pp. 19-58.(50) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, Paris, Gallimard, « Tel », 1996, p. 15.(51) Il est intéressant de remarquer dans ce contexte que Horkheimer critique l’empirisme dans les sciences humaines, particulièrement dansla sociologie qui s’efforce de suivre l’exemple des sciences de la nature. « La patiente et minutieuse collecte de l’information »,« l’accumulation d’immenses quantités de données fragmentaires », « les recherches empiriques menées au moyen d’enquêtesconsciencieuses » (ibid., p. 18) ont peut-être une valeur marchande utilitaire, mais elles ne permettent pas de comprendre la société commeun tout ni surtout d’orienter un projet d’émancipation sociale.

(conditions historiques et matérielles), un sujetqui, dans cette aliénation, est appelé à reprendrepossession de sa propre vie à travers la praxislibératrice. La praxis humaine est donc avant toutperçue comme le moyen d’échapper à la misèrede l’économie politique en devenant la forcemotrice du devenir de la société et le moyen deréalisation de soi.

Influencée par le matérialisme historique, laThéorie critique de l’École de Francfort poursuitces réflexions dans le contexte historique desannées trente dans une Europe dominée par lamontée des totalitarismes. Sa spécificité seretrouve autour de deux pôles critiques qui luiservent de base théorique : d’une part ladéconstruction conceptuelle de l’économiepolitique amorcée par Marx, d’autre part laperspective de l’émancipation qui introduit unerelation étroite avec la vérité historique (48).

Le constat initial auquel se livre en effet MaxHorkheimer lors de sa nomination à la tête del’Institut de recherches sociales (49) concernel’effondrement du savoir corrélatif à une crisesans précédent de la raison historique. Il montreque les progrès des sciences et des techniques quiavaient suscité beaucoup d’espoirs au XIXº sièclen’ont pas abouti au bien-être social qu’ilslaissaient présager : la société est toujours aussi

injuste et arbitraire. Les adeptes de la penséetraditionnelle tentent certes de comprendre cettesituation, mais leurs postulats comme leursconcepts sont désormais intenables. « Dans larecherche telle qu’elle est habituellementpratiquée, écrit Horkheimer, on admet que lathéorie est un ensemble de propositionsconcernant un domaine de connaissancedéterminé, et dont la cohérence est assurée par lefait que de quelques-unes sont déduiteslogiquement toutes les autres » (50). La théorieconsidérée sous cet aspect est déclarée conformeau réel lorsque les propositions déduites desprincipes initiaux s’accordent avec les données del’expérience ; elle est invalidée quand, aucontraire, des contradictions s’immiscent entre lespropositions conceptuelles et l’expérience : dansce cas de figure l’une ou l’autre doit être révisée.C’est en ce sens que la théorie n’est jamais, auregard des faits, qu’une simple hypothèse. Eneffet, il faut être en mesure de la modifier,précisément lorsque le traitement des donnéesobtenues fait apparaître des incompatibilités. Lathéorie dans cette conception traditionnelleconsiste dès lors à accumuler des donnéesempiriques et à ordonner le savoir dans laperspective d’une connaissance la plus complètepossible des faits, en un mot, elle procède à unemise en ordre orientée par la certitude de prouverl’adéquation entre la théorie et les faits (51).

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Michael Heizer, Double Negative, Mormon Mesa, Nevada, 1966-70.

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(52) Max Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. Essais, Paris, Payot, « Critique de la politique »,1978, p. 356.(53) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 25.(54) Max Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. Essais, op. cit., p. 356.(55) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 36.(56) Voir Joseph Gabel, La Fausse conscience. Essai sur la réification, Paris, Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1963.(57) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 39.

Toutefois, et c’est ici qu’apparaît le premierthème de la Théorie critique, « la science elle-même ne sait pas pourquoi elle met en ordre lesfaits justement dans telle direction ni pourquoielle se concentre sur certains objets et non surd’autres » (52). En effet, qu’est-ce qui conduit unscientifique à choisir tel objet de recherche plutôtque tel autre ? Pourquoi ordonne t-il les faitsrecueillis dans un sens particulier ? Quelles sontles implications de la recherche scientifique dansla vie sociale et culturelle ? Peut-on parler d’uneautonomie du savant au regard des impératifséconomiques et sociaux ? « Le savant et sascience, répond à cela Horkheimer, sont intégrésà l’appareil social, les résultats positifs du travailscientifique sont un facteur d’autoconservation etde reproduction permanentes de l’ordre établi, etpeu importe l’interprétation que la science peutélaborer d’elle-même à ce sujet. Elle doitseulement correspondre à son “concept”, c’est-à-dire fabriquer de la théorie, dans le sens qui vientd’être exposé. Dans la division du travail telle quel’organise la société, le savant a pour tâched’intégrer les faits dans des ordonnancesconceptuelles et de maintenir celles-ci dans unétat tel que lui-même ainsi que tous ceux qui sontappelés à s’en servir soient en mesure de dominerun secteur aussi vaste que possible de la réalité. Àl’intérieur de la science elle-même,l’expérimentation a pour sens d’établir les faits defaçon à les faire correspondre au mieux, en toutecirconstance, à l’état présent de la théorie » (53).

Les relations que le savant établit entre seshypothèses théoriques et les faits de l’expériencesont ainsi surdéterminées par les exigences socio-politiques de la société. Le savant n’est en aucuncas libre de mener des recherches indépendanteset il n’est pas non plus détaché du contexteéconomique de son époque, il est au contraire unélément au service du pouvoir et de l’ordresocial : ses décisions individuelles ne représententqu’un rouage supplémentaire de la mécaniquesociale. Ce qui manque donc fondamentalement àla science ajoute Horkheimer, « c’est la réflexionsur soi, la connaissance des mobiles sociaux quila poussent dans une certaine direction, parexemple s’occuper de la lune, et non du bien-êtredes hommes » (54).

La théorie traditionnelle se veut pourtantextérieure à toute prise de parti au nom de sonautonomie institutionnelle et de sa « neutralitéaxiologique » sans cesse réaffirmée, alors que letravail théorique lui-même représente « uneactivité fondamentalement utilisable », c’est-à-dire qu’il « fait l’objet d’une demande sur lemarché » (55). Cette croyance en l’indépendancede la science vis-à-vis des intérêts économiques,sociaux et politiques est une formeparticulièrement frappante de fausse conscience(56) qui renforce l’idéologie professionnelle desscientifiques au regard de leur fonction. Cesderniers, précise Horkheimer, « agissent commeles parties d’un organisme privé de raison » (57)

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(58) Ibid., p. 40.(59) Ibid., p. 56.(60) Ibid., p. 57.(61) Ibid., p. 28.

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et croient que leur propre rôle dans la praxissociale est une composante extrinsèque de leuractivité. « Ce dessaisissement que la terminologiephilosophique exprime par un jeu d’antithèses :opposition entre la valeur et la recherche, entre lesavoir et l’agir, etc., évite au savant d’éprouverles contradictions que nous avons indiquées [lescontradictions sociales liées à l’économiecapitaliste] et donne à son travail le cadre solidedont il a besoin » (58).

L’absence d’auto-réflexivité de la part du savantet de retour critique sur son activité, le déni de sadépendance à l’égard de la société, servent desupport à sa croyance en la neutralité scientifique.Le savant se voit ainsi « planer » (« l’intelligencelibre sans attaches » dont parlait Karl Mannheim)au-dessus de la société, au-dessus desantagonismes et des contradictions qui latraversent, au-dessus des acteurs sociaux et deleurs appartenances, au-dessus des idéologies etdes intérêts des différents pouvoirs constitués.« La neutralité sociale de cette catégorie, ainsiaffirmée, correspond à la connaissance abstraiteque l’homme de science a de lui-même. Cettesociologie élabore un concept théorique du savoirconforme à l’image que l’on s’en fait dans lesystème de consommation de l’économie libéralebourgeoise – celle d’une connaissanceéventuellement utilisable, quel que puisse êtreson objet » (59). De cette manière, en vertu duregard surplombant porté sur la société, le savantpeut étudier tous les objets possibles sanss’impliquer personnellement. Son rôle dans la

division du travail est de porter des diagnosticssur les problèmes sociaux sans en être lui-mêmeaffecté, puisque la neutralité dont il fait son credole distingue de ceux qui vivent et souffrent dans lasociété. Cependant, écrit Horkheimer, « iln’existe pas de théorie de la société quin’implique – y compris celle des sociologues“généralisants” – des intérêts politiques, et dont lavaleur de vérité pourrait être jugée dans uneattitude de réflexion prétendument neutre et nonpas dans un effort de pensée et d’action en retour,intégré précisément dans une activité historiqueconcrète. On a peine à comprendre qu’unintellectuel puisse encore faire comme si untravail préliminaire de pensée […] étaitnécessaire pour permettre de choisir entre les finset les moyens du libéralisme, du fascisme et de larévolution » (60).

III.2. Théorie critique et émancipationDans le contexte social et théorique de la penséetraditionnelle, nulle place n’est faite à uneconnaissance adéquate du sujet par lui-même : iln’est qu’un agent au service d’intérêts qui luiéchappent. Aussi, dans la perspective de l’Écolede Francfort, faut-il réinterroger les présupposésde la théorie traditionnelle, tirer desenseignements de ses insuffisances, afin deproduire une théorie critique « inspirée etdominée par le souci d’établir un ordre conformeà la raison » (61). Cela implique alors, comme lesouligne Theodor W. Adorno, de reconsidérer lerapport du sujet à l’objet : « La séparation du sujetet de l’objet, écrit-il, est à la fois réelle et

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(62) Theodor W. Adorno, Modèles critiques. Interventions. Répliques, Paris, Payot, « Critique de la politique », 1984, p. 262.(63) Lucien Goldmann a particulièrement insisté sur cette unité dialectique de l’objet et du sujet dans les sciences humaines : « C’estpourquoi il faut dans chaque cas particulier dégager autant que possible le degré spécifique d’identité entre le sujet et l’objet et par cela mêmele degré d’objectivité accessible à la recherche », (Lucien Goldmann, Épistémologie et philosophie politique, Paris, Denoël-Gonthier,« Médiations », 1978, pp. 26-27). Cette recherche de l’objectivité passe nécessairement par l’analyse critique des valeurs et prises de positiondu chercheur, par l’explicitation de ses visions du monde et, bien sûr, par l’argumentation des choix concernant ses thématiques et sesparadigmes, notamment « celui du découpage synchronique et diachronique de l’objet de son étude », (ibid., p. 32).(64) Theodor W. Adorno, Modèles critiques. Interventions. Répliques, op. cit., p. 262.(65) Ibid.(66) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 66.

apparente. Elle est vraie car, pour ce qui est de laréalité de la séparation et de la connaissancequ’on peut en avoir, elle exprime ce qu’a deforcément divisé la condition humaine ; elle estfausse car cette séparation ne doit pas êtrehypostasiée et transformée par magie eninvariant » (62). Du point de vue de la théorie dela connaissance, le sujet est en effet inséparablede l’objet, il est impossible de penser l’un sansl’autre (63). Cependant cette séparation, bien queréelle dans les conditions d’une sociétéprofondément clivée par ses contradictionsintrinsèques, n’est en fait qu’apparente dans lamesure où l’objet et le sujet se médiatisentréciproquement, « l’objet par le sujet, plus encoreet autrement, le sujet par l’objet. Cette séparationdevient idéologie, pour ainsi dire sa formenormale, dès qu’on la fige sans médiation » (64).En effet la distinction absolue des deux termessignifie l’autonomie du sujet au regard des objetset dans cette « prétention à l’autonomie pointe[une] prétention à la domination » (65).

Il s’agit dès lors pour la Théorie critique de penserla relation entre le chercheur (penseur) et l’objetde sa recherche (pensée) et de l’inclure dans lathéorie de la connaissance. Pour la théorietraditionnelle, telle que l’a définie Horkheimer,l’indépendance de l’objet par rapport auchercheur est une nécessité qui détermine

l’exposition des diagnostics attendus. Toutefois,lorsque le sujet et l’objet se conçoivent dans leurinterrelation, lorsque le chercheur est aussi « lesujet pensant des luttes sociales auxquelles ilparticipe », lorsqu’enfin « il ne considère pas laconnaissance et l’action comme deux domainesséparés, la notion de nécessité prend un autresens » (66). Deviennent alors nécessaires lesefforts que font les sujets sociaux pour s’affranchirdes contraintes aliénantes de la société.

Par conséquent la différence essentielle entre lathéorie traditionnelle et la Théorie critiqueconcerne moins la question des objets que celledes sujets de la connaissance. Le chercheur(penseur) n’est plus envisagé dans la Théoriecritique comme un ego autonome qui contemplele monde, indépendant du devenir de la société ; iln’est pas non plus ce « nous » collectif pétrid’idéologie qui se voudrait l’interprète de lasociété dans sa globalité. La pensée critiquecondamne en effet ces deux attitudes théoriques.La connaissance n’est pas pour elle l’apanaged’un individu solitaire ni d’une collectivitéhypostasiée (le Parti, la Science…), elle a aucontraire « pour sujet un individu bien défini parses rapports réels avec d’autres individus et avecdes groupes, par sa relation conflictuelle avec uneclasse déterminée, et finalement par son insertionainsi médiatisée dans l’ensemble du corps social

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(67) Ibid., p. 43. Voir aussi Théorie critique. Essais, op. cit., pp. 143-144, où Horkheimer souligne que le « sujet de la pensée » n’est pas uneabstraction atemporelle, mais les « hommes d’une époque historique déterminée » confrontés à des problèmes théoriques et pratiquesconcrets. Aussi « ce qui décide de la valeur d’une théorie, c’est le lien qu’elle entretient avec les problèmes qu’à un moment historiquedéterminé les forces sociales progressistes entreprennent de résoudre ».(68) Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques, Paris, Gallimard, « Bibliothèque desidées », 1974, p. 267.(69) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 28.(70) Theodor W. Adorno, Modèles critiques. Interventions. Répliques, op. cit., pp. 282 et 278.(71) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 49.(72) Ibid., p. 84.

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et dans la nature » (67). La Théorie critique prenddonc ici ses distances avec l’ordre social établi,elle n’est plus le porte-parole des diktats sociauxmais une activité pratique de questionnement etde mise en question qui s’exerce dans unesituation historique et sociologique donnée. Leschercheurs (penseurs) sont alors partie prenantedans l’organisation de la société et témoignent parleurs réflexions et leurs actions concrètes que« l’aspect essentiel de la vérité est justement quel’on y prenne part en tant que sujet actif » (68).

La Théorie critique réintroduit donc, à la suite deMarx, le caractère déterminant de la praxis dansla vie sociale et en fait une condition essentielleau service de la pensée. « Il faut adopter, souligneHorkheimer, une conception qui permette deréintégrer ultérieurement dans une visiond’ensemble de la praxis sociale le secteur desactivités intellectuelles que l’on a ainsiisolé » (69). La pensée traditionnelle, qui sépareles domaines de l’activité sociale et de la théorie« pure » au nom de l’absoluité de la pensée, neperçoit pas en effet que dans la vie concrète leproblème de la praxis est imbriqué dans celui dela connaissance. Pour la Théorie critique il n’y adonc pas plus de subjectivité abstraite que desujet transcendantal, et le sujet de la connaissanceest un individu vivant concret dont la penséedevient « une force productrice, pratique et

transformatrice » dans la mesure où « la penséeest un faire ; la théorie est une forme de praxis »(70), même s’il n’y a pas d’unité immédiate de lathéorie et de la praxis.

Quels sont alors les rôles respectifs de la théorieet de la pratique dans la perspective critique queproposent Adorno et Horkheimer ? Plusprécisément, quelle est la fonction del’intellectuel ou du savant dans cette approche ?La connaissance ne se résume plus, comme dansla théorie traditionnelle, à une croissanceexponentielle du savoir au fur et à mesure del’infirmation d’hypothèses erronées : elle n’estplus au service de son auto-expansion indéfinie.Son rôle est bien plutôt « le combat dont la penséeest l’un des facteurs, et non la pensée en tantqu’activité indépendante et qui pourrait êtreisolée de ce combat » (71). La Théorie critique seprésente ainsi comme un élément de la praxis quitend vers la transformation des conditions del’existence humaine conforme aux exigences dela raison. Elle ne vise donc pas simplement àaccumuler des connaissances et à accroître lesavoir en tant que tel, même le savoir critique surla société, « mais à libérer l’homme desservitudes qui pèsent sur lui » (72).

Pour les tenants de la Théorie critique, la raisons’est laissée aveugler par les prétentions scientistes.

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Michael Heizer, Rift (Nine Nevada Depressions # 1), Nevada, 1968.

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(73) Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques, op. cit., p. 15.(74) Ibid., p. 16.(75) Ibid., p. 264.(76) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 51.(77) Max Horkheimer et Theodor W. Adorno, La Dialectique de la raison. Fragments philosophiques, op. cit., p. 265.(78) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 70.(79) Max Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. Essais, op. cit., p. 357.(80) Max Horkheimer, Théorie traditionnelle et théorie critique, op. cit., p. 87. On retrouve le même souci de l’Autre, le même attachementà l’humanité souffrante dans la philosophie de Jürgen Habermas. D’une manière identique aussi, sa réflexion épistémologique est prolongéepar une praxis dans la mesure où, pour lui, « l’avenir de la pensée philosophique est affaire de pratique politique », Jürgen Habermas, Profilsphilosophiques et politiques, Paris, Gallimard, « Tel », 1987, p. 48.

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La transformation de la pensée en prescriptions etprestations de services au bénéfice de larationalité économique se fait ainsi au dépend del’imagination théorique qui y perd ses armescritiques. Or, écrivent Adorno et Horkheimer,« dans la société, la liberté est inséparable dupenser éclairé » (73). L’origine de la destructionde la raison est donc à rechercher dans la scienceelle-même qui a neutralisé la puissance critiquede la raison et l’a métamorphosée en mythologiedu progrès. La critique à l’égard des théoricienstraditionnels ou scientistes se fait alors cinglante :« La mystérieuse disposition qu’ont les masses àse laisser fasciner par n’importe quel despotisme,leur affinité autodestructrice avec la paranoïaraciste, toute cette absurdité incompréhensiblerévèle la faiblesse de l’intelligence théoriqueactuelle » (74). La théorie traditionnelle est doncsinon responsable du moins complice des dérivessociales et politiques, elle s’apparente « à unesorte de taylorisme de l’esprit, elle doit contribuerà l’amélioration des méthodes de production […],à la rationalisation des connaissances accumuléeset empêcher le gaspillage de l’énergieintellectuelle » (75).

Face à cette crise de la raison, la pensée critiquepropose l’union de la théorie et de la pratique envue d’un « combat pour l’avenir » (76) qui

suppose une réorganisation en profondeur de lasociété. Mais cette refondation ne peut passer quepar une critique éclairée de la société destinée àen dénoncer les structures perverses. Sur ce projetpeut alors s’élaborer cette « entreprise derésistance à la suggestion », ce « choix délibéré enfaveur de la liberté intellectuelle et réelle » (77)– la liberté des sujets sociaux étantdialectiquement liée à la liberté et à l’imaginationthéorique. Il s’agit donc de poursuivre « cet effortthéorique », qui s’exerce « dans l’intérêt d’unesociété future organisée selon la raison », afind’initier le mouvement de la « praxis libéra-trice » (78). Il apparaît ainsi que le critère de lavérité théorique passe par une critique radicaledes connaissances produites par la science maisaussi par une remise en cause de la société elle-même qui conditionne ces connaissances. Dèslors, la Théorie critique se doit d’affirmer sonindépendance intellectuelle par rapport auxpouvoirs et aux intérêts politiques établis. Safinalité dans le contexte scientifique, culturel ethistorique marqué par la crise économique et lescontradictions sociales est d’établir « une sociétémeilleure » (79) garante du « bonheur de tous lesindividus » (80).

Ce qui est donc en jeu, c’est une connaissancefondamentalement critique, non asservie à la

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(81) Adorno a insisté sur le fait que la théorie critique ne pouvait être au service d’aucun « activisme » pseudo-révolutionnaire, protestataireou collectiviste, qui aliénerait la liberté critique de la théorie. D’autre part, il a souligné l’absence de positivité (les fameuses « propositionsconcrètes » des programmes politiques) de la théorie critique. « La réticence de Marx, écrit-il, à donner des recettes pour la praxis était àpeine moins grande que celle qu’il avait à donner une description positive d’une société sans classe », (Theodor W. Adorno, Modèlescritiques. Interventions. Répliques, op. cit., p. 295).(82) Max Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. Essais, op. cit., p. 361.(83) Herbert Marcuse, Vers la libération. Au-delà de l’homme unidimensionnel, Paris, Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1969, pp. 14-15. (84) Theodor W. Adorno, Modèles critiques. Interventions. Répliques, op. cit., p. 282.

domination et consciente d’être historiquementsituée dans une perspective de libération. LaThéorie critique vise ainsi l’indépendance etl’émancipation des sujets sociaux dans leursituation sociale concrète. Elle rejette par làmême toute conception idéaliste, intemporelle etabsolue, d’un Bien en soi qui s’opposerait à laréalité humaine telle qu’elle se présente dans laconjoncture sociale qui leur est contemporaine.Mais dans la mesure où il n’existe pas une idéepure du Bien, une conception a priori de ce queserait une société plus juste (81), le rôle de lacritique se résume alors à dénoncer ce qui estinjuste, ce qui représente le « Mal » dans lasociété : elle est redevable d’une conceptiondialectique négative qui consiste à dévoiler laface cachée, la raison obscure de la réalité. Ellen’est donc jamais au service de la réalité déjàdonnée, mais elle concourt à l’établissement duprojet d’émancipation qui constitue sa viséeultime. Elle respecte alors cette injonction del’Ancien Testament : «“Tu ne dois te faire aucuneimage de Dieu” », comprise comme : « “Tu nepeux pas dire ce qu’est le bien absolu ; tu ne peuxle présenter” ». La seule possibilité théorique estfinalement d’« indiquer où est le mal, mais nonl’absolument juste » (82). L’idée d’émancipationpasse alors par une critique radicale des injusticessociales, de l’exploitation économique et del’oppression politique. Mais la véritableémancipation de l’homme ou, pour reprendre

l’expression de Marcuse, sa « libération » (83),passe en définitive par la « profondeur du refus »que le sujet oppose à l’ordre établi.

Conclusion

Cette incursion dans un « courant de pensée »historique – allant du matérialisme de Marx à laThéorie critique en passant par l’existentialismesartrien – a permis de mettre en évidence unensemble de préoccupations communes jointes àune conception de la connaissance et de la penséecomme émancipation. Cependant, à la différencedu matérialisme historique, la connaissance dansla Théorie critique n’est plus au service du projet,mais partie prenante dans le projet ; dans lamesure où elle n’est plus subordonnée au projetde transformation de la société, elle en devientl’une des conditions essentielles. Le projetémancipatoire passe alors par une remise en causeglobale des conditions sociales et politiques, etrejoint, in fine, une position éthique, laquelle,sous la plume d’Adorno, a des consonancesquasi-bibliques : « Seul celui qui n’accepte paspassivement ce qui est donné pense » (84).

Il va de soi que de l’Allemagne prolétarienne deMarx au Saint Germain des Prés de Sartre, lesconditions sociales et historiques ne sont pascomparables. Le monde planétarisé d’au-jourd’hui n’a pas non plus grand chose à voir

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BibliographieOuvrages

À l’épreuve du sujet. Éléments de métasociologie de la recherche, Thèse, Université Paris I-Panthéon-Sorbonne, 2000.Le Sexe des sociologues. La perspective sexuelle en sciences humaines (en coll. Avec Jean-Marie Brohm), Bruxelles, LaLettre volée, 2003.Subjectivité et sciences humaines. Essai de métasociologie, Paris, Beauchesne, 2004.

(85) Michel Henry, La Barbarie, Paris, Le Livre de poche, « Biblio essais », 1988, p. 181.(86) Jürgen Habermas, La Technique et la science comme « idéologie », Paris, Gallimard, « Tel », 1990 ; Jürgen Habermas, Connaissanceet intérêt, Paris, Gallimard, « Tel », 1979.

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avec l’Europe des années trente où la Théoriecritique était confrontée à la montée de labarbarie hitlérienne et de la terreur stalinienne.Malgré le changement d’époque, le lointain échode toutes ces analyses critiques incisives resteétrangement actuel et familier. Elles invitent lesavant, le chercheur, l’intellectuel à ne pas

simplement penser le monde, mais à « se faire lecontemporain de » ce dernier (85), c’est-à-dire àaccomplir le procès de connaissance, nonseulement avec les armes théoriques dont ils sontcensés être pourvus, mais aussi par l’expériencesubjective et vivante de la praxis guidée par desintérêts émancipatoires (86).

Magali UH L

Professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal

Membre du comité de rédaction des Cahiersde Recherche Sociologique, dirigés par

Marcelo Otero, édités par le Département desociologie de l’Université du Québec à Montréal.

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Édition

Michel Henry, Auto-donation. Entretiens et conférences, Paris, Beauchesne, 2004 (textes rassemblés et édités par Magali Uhl).

Articles, entretiens et contributions

« Le permanent et l’éphémère dans la mode », Prétentaine, nº 4, mai 1995.« Le chercheur et ses doubles. Fantasmes sexuels et postures de recherche », Prétentaine, nº 5 (« Philosophie et postmoder-nité »), mai 1996.Entretien avec Alain Finkielkraut, « La postmodernité : tourisme planétaire ou métissage général » (en coll. avec Jean-MarieBrohm), Prétentaine, nº 5 (« Philosophie et postmodernité »), mai 1996. Entretien avec Jean Baudrillard, « L’art de la disparition » (en coll. avec Jean-Marie Brohm), Prétentaine, nº 5 (« Philosophieet postmodernité »), mai 1996.Entretien avec Paul Ricœur, « Arts, langage et herméneutique esthétique » (en coll. avec Jean-Marie Brohm), Prétentaine,nº 6 (« Esthétiques »), décembre 1996.« Les blessures du soi. Sur l’œuvre de Gina Pane », Prétentaine, nº 6 (« Esthétiques »), décembre 1996. Entretien avec Michel Henry, « Art et phénoménologie de la vie » (en coll. avec Jean-Marie Brohm), Prétentaine, nº 6(« Esthétiques »), décembre 1996.« La connaissance incarnée », Prétentaine, nº 12/13 (« Corps »), mars 2000.Entretien avec Edgar Morin, « Corps et bio-logique du sujet » (en coll. avec Jean-Marie Brohm), Prétentaine, nº 12/13(« Corps »), mars 2000.Entretien avec Mathilde Monnier, « Bruit blanc. Autour de Marie-France » (en coll. avec Nadia Veyrié), Prétentaine, nº 12/13(« Corps »), mars 2000.« La connaissance incarnée », Prétentaine, nº 12/13 (« Corps »), mars 2000.« L’intuition du vivant. Bergson et la création intellectuelle », Prétentaine, nº 14/15 (« Le Vivant »), décembre 2001.Entretien avec Edgar Morin, « L’Homme et l’Univers. Du biologique au cosmique » (en coll. avec Jean-Marie Brohm),Prétentaine, nº 14/15 (« Le Vivant »), décembre 2001.« Intimité panoptique. Internet ou la communication absente », Cahiers Internationaux de Sociologie, EHESS, volume CXII(« Communication et liens sociaux ») , janvier-juin 2002.« Intersubjectivité et sciences humaines. Approche épistémologique », L’Année de la Recherche en Sciences de l’Éducation,année 2002 (« Des représentations »), AFIRSE/Matrice, juin 2002.« Mort et recherche. Éléments d’épistémologie complémentariste », Revue de l’Institut de Sociologie, Université Libre deBruxelles, 1999/1-4 (« L’anthropologie de la mort aujourd’hui »), publiée en 2002.« La ville comme elle va… », Prétentaine, nº 16/17 (« Villes »), hiver 2003-2004.Entretien avec Jean-Marie Schaeffer, « Les conduites esthétiques dans l’espace public. Les nouveaux arts urbains »,Prétentaine, n° 16/17 (« Villes »), hiver 2003-2004.Entretien avec Nemo, « L’art urbain : un autre visage de la ville » (en coll. avec Isabelle Autran), Prétentaine, nº 16/17(« Villes »), hiver 2003-2004.« Philosopher en un sens radical » (en coll. avec Jean-Marie Brohm), postface à Michel Henry, Auto-donation. Entretiens etconférences, Paris, Beauchesne, 2004.« Éléments pour la construction d’une métasociologie du sport », STAPS, revue internationale des sciences du sport et del’éducation physique, nº 63, hiver 2004.« L’art contemporain à l’épreuve du deuil. Espaces mortuaires et lieux de recueillement », Revue de l’Institut de Sociologie,Université Libre de Bruxelles, 2005/3-4 (« Socio-anthropologie de la mort »).« Le sujet oublié de la sociologie. Approche phénoménologique de l’intersubjectivité dans la production de connaissance ensciences humaines », Connexions, nº 89 (« Identité et subjectivité »), Ramonville, Éditions Éres, 2008/1.« L’art contemporain, la mort, le sacré. Esquisse d’une typologie », in Richard Conte et M. Laval-Jeantet, Du sacré dans l’artactuel ?, Paris, Méridiens Klincksieck, 2008.« L’association artiste/architecte dans la conception d’espaces funéraires et religieux en milieu hospitalier » (en coll. avec I.Genyk et I. Saint-Martin), Limoges, Presses Universitaires de Limoges, (« Espaces humains »), 2008.(16) Ibid., p. 86.

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