Cattle in the village - Le Bétail au village : un indicateur des hiérarchies socio-économiques,...

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LE BETAIL AU VILLAGE. UN INDICATEUR DES HIERARCHIES SOCIO-ECONOMIQUES « Il n’y a que les bestiaux qui font subsister la Sologne : car, comme le pays est tout hérissé de bruyères qui en occupent la plus grande partie, on y nourrit une très grande quantité de bestes à laine. » Livre de raison de Christophe Sauvageon, prieur de Sennely de 1675 à 1710, d’après Gérard Bouchard, Le village immobile. Sennely-en-Sologne au XVIII e siècle, Paris, Plon, 1972, p. 171. L’élevage est la « principale source de richesse des peuples des Pyrénées ; le sol ingrat y fournit à peine de quoi vivre pour trois mois. C’est cependant le pays où il y a aujourd’hui le plus d’argent et où les impositions se paient avec le plus de facilité. » Mémoire de Ballainvilliers, intendant du Languedoc, 1788, d’après Georges Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (vers 1670-1789), Paris, Cujas, 1974, p. 283. Alors qu’en cette fin du XX e siècle, le secteur primaire dissocie nettement productions végétale et animale, l’agriculture préindustrielle ne pouvait éliminer le bétail, même si certains Physiocrates le considéraient, dans les pays de grande culture auxquels ils étaient si attachés, comme un « mal nécessaire » pour le trait et le fumier. Que l’on ne s’y trompe pas cependant : si Quesnay faisait dépendre l’amélioration des cultures de la multiplication des bestiaux, il était le premier à reconnaître que, dans le produit agricole, le secteur de l’élevage formait « la partie la plus considérable » 1 . I. LA PROPRIETE DU BETAIL : UN MARQUEUR SOCIAL GENERAL 1. Un critère fondamental : l’attelage de trait Dans les sociétés rurales, l’attelage constitue l’un des premiers marqueurs économiques, qui donne accès à la “ grande culture ”, en permettant d’assurer les labours, les fumures et les amendements des grands domaines. Seuls les paysans détenteurs d’un train de culture peuvent multiplier les façons culturales au cours de l’année et cultiver davantage de terres. La vérité vaut très largement dans l’espace : du centre du Bassin parisien, où les charrues « de France » pouvaient labourer 38 ares par jour en hiver et 51 ares à la belle saison jusqu’à la Corse où les araires insulaires attelés à une paire de bœufs, mettaient en valeur une vingtaine d’ares par jour 2 . En dehors de l’exploitation elle même, la possession de l’attelage de trait permettait des prestations de service de labour ou de charroi, bien repérés dans certaines régions comme la Bourgogne ou l’Alsace 3 . Beaucoup étaient même aussi voituriers. Ces caractéristiques sont patentes dans les plaines céréalières de la France du Nord et dans l’ensemble du Bassin parisien, depuis le début du XIII e siècle au moins. Mais leur validité géographique est encore plus générale. Dans toutes les régions de France, la distinction apparaît, plus ou moins vive selon le degré de concentration des exploitations et d’ouverture au marché. En Gâtine Poitevine, c’est par le train de labourage que la métairie se distingue de la borderie 4 . Dans les campagnes du Maine, la charrue attelée est le privilège de « laboureurs », installés sur les “ métairies » et on ne la rencontre quasiment pas dans les bordages ou les closeries, où les labours se font d’abord à bras 5 . En Bretagne, dans le Pays vannetais c’est la paire habituelle de bœufs pour le trait, et la jument pour les transports, qui sépare les “ tenuyers ”, souvent modestes, de la plèbe des journaliers 6 . En Sologne, semblable distinction s’opère entre métairies et « locatures », certaines de ces dernières, comme les manœuvreries de Puisaye constituant les annexes des premières 7 . Descend-t-on vers le Midi, que l’opposition se retrouve. Dans les campagnes du Centre 1. « Il faut donc envisager par d’autres côtés les produits de l’agriculture portés au degré le plus avantageux. Les profits sur les bestiaux en forment la partie la plus considérable » : François Quesnay, art. : « Fermier » de l’Encyclopédie, t. VI, p. 533. Cette schématisation excessive a déjà été dénoncée par André-Jean Bourde, Agronomie et agronomes en France au XVIII e siècle, Paris, SEVPEN, 1967, p. 743-744. 2 Paris, 1978 ; Casanova, 1990, p. 75, et 1996, p. 286. 3 Saint-Jacob, 1960 ; Boehler, 1994, p. 1020 et suiv. 4 . Merle, 1958, p. 102. 5 . Antoine, 1994, p. 376-377 ; Plessis, 1998, p. 293. 6 . Le Goff, 1989, p. 179-181. 7 Édeine, 1974, p. 345-359.

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LE BETAIL AU VILLAGE. UN INDICATEUR DES HIERARCHIES SOCIO-ECONOMIQUES

« Il n’y a que les bestiaux qui font subsister la Sologne : car, comme le pays est tout hérissé de bruyères qui en occupent la plus grande partie, on y nourrit une très grande quantité de bestes à laine. » Livre de raison de Christophe Sauvageon, prieur de Sennely de 1675 à 1710, d’après Gérard Bouchard, Le village immobile. Sennely-en-Sologne au XVIIIe siècle, Paris, Plon, 1972, p. 171. L’élevage est la « principale source de richesse des peuples des Pyrénées ; le sol ingrat y fournit à peine de quoi vivre pour trois mois. C’est cependant le pays où il y a aujourd’hui le plus d’argent et où les impositions se paient avec le plus de facilité. » Mémoire de Ballainvilliers, intendant du Languedoc, 1788, d’après Georges Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières (vers 1670-1789), Paris, Cujas, 1974, p. 283.

Alors qu’en cette fin du XXe siècle, le secteur primaire dissocie nettement productions végétale et animale, l’agriculture préindustrielle ne pouvait éliminer le bétail, même si certains Physiocrates le considéraient, dans les pays de grande culture auxquels ils étaient si attachés, comme un « mal nécessaire » pour le trait et le fumier. Que l’on ne s’y trompe pas cependant : si Quesnay faisait dépendre l’amélioration des cultures de la multiplication des bestiaux, il était le premier à reconnaître que, dans le produit agricole, le secteur de l’élevage formait « la partie la plus considérable »1.

I. LA PROPRIETE DU BETAIL : UN MARQUEUR SOCIAL GENERAL 1. Un critère fondamental : l’attelage de trait

Dans les sociétés rurales, l’attelage constitue l’un des premiers marqueurs économiques, qui donne accès à la “ grande culture ”, en permettant d’assurer les labours, les fumures et les amendements des grands domaines. Seuls les paysans détenteurs d’un train de culture peuvent multiplier les façons culturales au cours de l’année et cultiver davantage de terres. La vérité vaut très largement dans l’espace : du centre du Bassin parisien, où les charrues « de France » pouvaient labourer 38 ares par jour en hiver et 51 ares à la belle saison jusqu’à la Corse où les araires insulaires attelés à une paire de bœufs, mettaient en valeur une vingtaine d’ares par jour2. En dehors de l’exploitation elle même, la possession de l’attelage de trait permettait des prestations de service de labour ou de charroi, bien repérés dans certaines régions comme la Bourgogne ou l’Alsace3. Beaucoup étaient même aussi voituriers.

Ces caractéristiques sont patentes dans les plaines céréalières de la France du Nord et dans l’ensemble du Bassin parisien, depuis le début du XIIIe siècle au moins. Mais leur validité géographique est encore plus générale. Dans toutes les régions de France, la distinction apparaît, plus ou moins vive selon le degré de concentration des exploitations et d’ouverture au marché. En Gâtine Poitevine, c’est par le train de labourage que la métairie se distingue de la borderie4. Dans les campagnes du Maine, la charrue attelée est le privilège de « laboureurs », installés sur les “ métairies » et on ne la rencontre quasiment pas dans les bordages ou les closeries, où les labours se font d’abord à bras5. En Bretagne, dans le Pays vannetais c’est la paire habituelle de bœufs pour le trait, et la jument pour les transports, qui sépare les “ tenuyers ”, souvent modestes, de la plèbe des journaliers6. En Sologne, semblable distinction s’opère entre métairies et « locatures », certaines de ces dernières, comme les manœuvreries de Puisaye constituant les annexes des premières7. Descend-t-on vers le Midi, que l’opposition se retrouve. Dans les campagnes du Centre

1. « Il faut donc envisager par d’autres côtés les produits de l’agriculture portés au degré le plus avantageux. Les profits sur

les bestiaux en forment la partie la plus considérable » : François Quesnay, art. : « Fermier » de l’Encyclopédie, t. VI, p. 533. Cette schématisation excessive a déjà été dénoncée par André-Jean Bourde, Agronomie et agronomes en France au XVIIIe siècle, Paris, SEVPEN, 1967, p. 743-744. 2 Paris, 1978 ; Casanova, 1990, p. 75, et 1996, p. 286. 3 Saint-Jacob, 1960 ; Boehler, 1994, p. 1020 et suiv. 4 . Merle, 1958, p. 102. 5 . Antoine, 1994, p. 376-377 ; Plessis, 1998, p. 293. 6 . Le Goff, 1989, p. 179-181. 7 Édeine, 1974, p. 345-359.

c’est la paire de “ bœufs arables ” le « granger » aisé au XVIIe siècle8. En Vivarais, le ménager est celui qui “ a une métairie et une bonne paire de bœufs ” par opposition au laboureur qui “ n’a pas assez de bien pour vivre sans faire quelques autre chose ”9. Dans le diocèse de Lodève, la même réalité se retrouve mais avec inversion des termes : ici les ménagers fortunés qui disposent d’animaux de labour sont désignés sous le terme de “ laboureurs ”, selon une diversité sémantique régionale qui ne saurait occulter la parenté des structures. En Corse la paire de bœufs marque le seuil de l’exploitation tractée. Seuls les riches lavoratori disposent du bétail de trait et de transport (bœufs, mulets, chevaux) prêtent leurs bœufs aux autres paysans contre boatico10. En Narbonnais, dans la plaine du Minervois, seuls les bailes, les ménagers prospères disposent de paires de bœufs auxquelles s’ajoutent en complément des paires de mules et de vaches au XVIIe siècle ; pour les plus humbles, c’est l’âne qui sert d’animal de trait11. Même dans les régions de montagne, où d’autres critères entrent en jeu comme la capacité d’hivernage des animaux, la détention d’un équipement complet de labour contribue à distinguer les riches « montagnards » du commun des paysans, comme en Savoie12.

L’attelage est donc l’étalon de la concentration des exploitations. Partout, dans les openfields comme dans les bocages, l’importance des grandes exploitations se compte au nombre d’animaux de labour qui sont nécessaires : « attelées » de chevaux (« charruées »), paires de « bœufs arants » (« bovées »). Mais revenons aux régions céréalières. Même s’il existait d’infinies variations selon le nombre, la qualité et la nature des bêtes attelées, la possession d’un train de culture était un investissement économique hors de portée de la majeure partie des paysans.

Tableau 1.

Prix du train de labour de 1600 à 1800

(équipement de base : attelage complet)

Région et époque Valeur totale

(dont cheptel de trait)

Nature Référence

Bretagne méridionale (fin XVIIe siècle)

113 livres

(93 livres)

2 bœufs, 1 cavale, 1 charrue, 2 charrettes

GALLET, 1983, p. 624-626

Bretagne centrale (début XVIIIe siècle)

184 livres

(135 livres)

idem LE TALLEC, 1996, p. 115-125

Normandie occidentale

(Bessin, fin XVIIe siècle)

190 livres

(140 livres)

3 cavales, 1 charrue, 2 charrettes

PONCET, 2000, p. 288-289

Bas-Maine

(vers 1730)

380 livres

(200 livres)

2 bœufs, 1 cavale, 1 charrue,

2 charrettes

ANTOINE, 1994, p. 382 et 1998, p. 220-245

Touraine

(fin XVIIIe)

400 à 500 livres

(300 à 400 livres)

idem MAILLARD, 1998

Île-de-France

(1600-1649)

250 livres

(170 livres)

2 chevaux, 1 charrue, 1 chariot, 1 charrette

MORICEAU, 1994, p. 895

Île-de-France

(1701-1733)

750 livres

(600 livres)

3 chevaux, 1 charrue, 2 charrettes

Échantillon de 25 inventaires de fermiers

8 Dontenwill, 1973, p. 96-97 9 Molinier, 1985, p. 144. 10 Casanova, 1996, p. 286. 11 Larguier, 1996, p. 972-973. 12 Viallet, 1993, p. 116-118.

Île-de-France

(1750-1759)

1 000 livres

(850 livres)

idem Échantillon de 17 inventaires de fermiers

Île-de-France

(1775-1789)

1 250 livres

(950 livres)

idem Échantillon de 12 inventaires de fermiers

Partout et à toutes les époques, le coût de l’attelage de base (animaux de trait + principaux véhicules

roulants de l’arrière-train) représentait plus d’une année de travail d’un simple journalier agricole. Sans surprise, la part du cheptel de trait en représentait l’essentiel, autour de 70 %. Avec le renforcement de la puissance de traction, au cours du XVIIIe siècle, le prix du train de labour, comme le montre l’exemple de l’Île-de-France semble s’être accru plus vite que la hausse moyenne des prix. Le renchérissement de l’attelage entre 1600 et 1800 ne put que renforcer la discrimination économique au sein de la paysannerie, d’autant plus qu’à ce coût, s’ajoutait celui de l’entretien et de l’alimentation fourragère, qui commença, timidement et sectoriellement, à se diversifier.

Un véritable fossé séparait donc deux types de paysanneries : la “ petite ” paysannerie qui n’avait pas d’attelage et les gros qui disposait de la force de traction animale (et de l’équipement, les “ harnois ” ou “ enharnachures ” nécessaires). Ce fossé s’est sans doute accru à l’époque de Louis XIV. Il marquait enfin une identité sociale que reconnaissait le village et le roi. Les institutions en tenaient compte depuis longtemps : les seigneurs champenois distinguaient bien vers 1250 entre corvées de chevaux et corvées à bras13. L’administration monarchique établissait les privilèges en matière de taille étaient fixés à une, deux ou trois charrues de labour ; la corvée royale, en 1738, distingue encore entre services de charroi effectué par les laboureurs pourvus d’attelage, et travaux à bras réalisés par les autres. Dans la gestion communale, l’élaboration des décisions et l’élection des gardes de récolte distinguait souvent ceux qui avaient “ charrue complète ” et les cultivateurs parcellaires.

La stratification sociale s’opérait largement en fonction de l’attelage. Toute une variété de situations était possible de part et d’autre du seuil de la charrue « complète » : au-delà, multiplier les attelées et les animaux de labour allait de pair avec la concentration des exploitations ; en-deçà, ne disposer que d’une moitié, d’un tiers voire d’un quart de charrue classait dans une situation de dépendance fragile qui imposait des services de réciprocité. En dehors de cette partition assez claire, on a marqué aussi, selon les régions, que la qualité et la nature des animaux introduisaient une hiérarchie plus subtile : conduire à la charrue une « méchante » cavale ou une pauvre « bête asine », là où régnaient les chevaux de labour, recourir à une maigre rossinante ou à de mauvais bidets ou labourer avec des vaches étiques dans les pays de bœufs de harnais trahissaient les « petits » laboureurs.

Tableau 2.

Stratification sociale et inégalité sociale selon l’attelage.

L’exemple de la Picardie au XVIIIe siècle

(Élection de Clermont en 1765)

Source : Mémoire sur l’élection de Clermont,

d’après Victor De BEAUVILLE, Recueil de documents concernant la Picardie, Paris, 1867

Ensemble des exploitations : 82 000 arpents soit 41 900 ha

– 1 850 arpents (943 ha soit 2,25 %) cultivés à la bêche par les manouvriers

– 80 145 arpents (40 874 ha soit 97,75 %) cultivés à la charrue

par 1 335 exploitants avec 3 471 chevaux

13 Bloch, 1931, p.

___________________________________________________________________________________________

Répartition des 1 335 exploitants à charrue

175 laboureurs à corps de ferme faisant valoir 480 charrues avec 1 420 chevaux (8 chevaux/expl.)

dont 15 laboureurs de 5 à 12 charrues (190-450 ha) font valoir 90 charrues avec 270 chevaux

43 laboureurs de 4 charrues (150 ha) font valoir 140 charrues avec 450 chevaux

65 laboureurs de 2 et 3 charrues (75-115 ha) font valoir 170 charrues avec 480 chevaux

52 laboureurs à 1 ou 2 charrues (38-75 ha) font valoir 80 charrues avec 220 chevaux

145 laboureurs sans corps de ferme faisant valoir 203 charrues avec 700 chevaux (4,8 chevaux/expl.)

334 haricotiers faisant valoir 192 charrues avec 670 chevaux (2 chevaux/expl.)

681 accoupleurs faisant valoir 138 charrues avec 681 chevaux (1 cheval/expl.)

N.B. : 1 charrue = 75 arpents (38 ha environ) et l’on compte 3 chevaux par charrue complète.

2. Le bétail d’élevage

Prolongeant ces importantes distinctions, le bétail d’élevage accompagnait plus largement les hiérarchies sociales, selon les systèmes de culture.

Dans les zones montagneuses, du nombre de têtes dépendait la notabilité sociale. En Beaufortain, les « montagnards », qui hivernaient au moins quatre vaches, étaient les seuls à pouvoir louer des alpages l’été14. Depuis des siècles, dans la vicomté de Soule, les gros laboureurs, maîtres des « bonnes maisons », étaient les gros éleveurs, propriétaires des bêtes à laine et à cornes : premiers bénéficiaires des « affièvements » de communaux, ils défendaient jalousement l’usage des vacants contre toute tentative de culture, refusaient les clôtures et les défrichements temporaires, empêchaient les « labaquis » des agriculteurs pauvres pour préserver le parcours et le pâturage de leurs bestiaux15. En Poitou, le nombre de moutons était proportionnel à l’étendue des métairies16. Dans les régions céréalières où les ovins, accueillis sur les chaumes et les jachères au prorata de la surface exploitée, servaient à parquer les terres, la détention d’un troupeau formait un critère de distinction encore plus fort que celui de l’attelage : seuls les fermiers à deux charrues (60 ha environ) en faisaient les frais en Île-de-France au XVIIe siècle17. En contrebas de la société rurale, l’importance plus ou moins grande des vaches laitières, des porcs ou de

14. Hélène Viallet, Les Alpages et la vie d’une communauté montagnarde : Beaufort du Moyen Âge au XVIIIe siècle, Annecy,

Académie salésienne, 1993, p. 116-117. 15. Christian Desplat, La Guerre oubliée. Guerres paysannes dans les Pyrénées (XIIe-XIXe siècles), Biarritz, J & D éd., 1993, p.

170-174. 16. Louis Merle, La Métairie et l'Évolution agraire de la Gâtine poitevine de la fin du Moyen Âge à la Révolution, Paris,

SEVPEN, 1958, p. 153. 17. Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France. L’Ascension d’un patronat agricole (XVe-XVIIIesiècle), Paris,

Fayard, 1994, p. 380-381.

simples pièces de volailles marquait tout un dégradé de conditions : en Hurepoix, dans les villages de Breux, de Breuillet et de Boissy-sous-saint-Yon, sur 51 ménages inventoriés entre 1590 et 1640, une vingtaine seulement disposaient d’une charrue mais une quarantaine avaient quelque bétail18.

Si la présence de l’élevage n’est pas aussi universelle qu’on s’y attendait peut-être, loin d’opposer les ruraux selon des spécialisations tranchées, elle reflète une hiérarchie économique. Dans les régions d’agriculture diversifiée, comme le village tourangeau de Mareuil-sur-Cher dont le finage associait labours, vignes, bois et herbages, la très grande majorité des chefs de feu (86 %) déclarait du cheptel en 1786 : si, pour les situations connues, les laboureurs et les fermiers conservaient, sans surprise, la quasi-exclusivité du gros cheptel de labour et de trait (bœufs et chevaux), les ânes et, fait plus étonnant, les moutons, faisaient l’objet d’une répartition générale dont l’inégalité égrenait les différences économiques et sociales (tableau 1).

De fait, dans les régions associant largement labourage et pâturage, c’était la répartition des bêtes à laine, plus démocratique que celle des bêtes à cornes, qui hiérarchisait en profondeur le monde paysan. Ainsi en allait-il de la société rurale du sud de la Franche-Comté à la fin de l’Ancien Régime, dans ces communautés de la « Petite Montagne », terres de petite paysannerie où les contrastes sociaux restaient bien visibles selon le bétail possédé (tableau 2).

Tableau 3. Répartition du cheptel propre

des habitants de Mareuil-sur-Cher en 1786 D’après Brigitte Maillard, Les Campagnes de Touraine.

Structures agraires et économie rurale, 1998, p. 222.

Feux Bœufs Chevaux Vaches Ânes Moutons

Laboureurs (24) 64 7 61 26 889

Fermiers (12) 34 5 50 12 525

Vignerons (26) 0 0 15 15 309

Journaliers (24) 0 0 15 15 309

Artisans (6) 0 2 (meunier)

7 6 123

Indéterminés (29) 12 4 47 27 470

Ensemble (121) 110 18 209 103 2 668

Tableau 4. Stratification sociale selon la possession de bétail

dans trois villages du sud du Jura (1768-1780) D’après Colette Merlin, Ceux des villages.

La société rurale dans la « Petite Montagne » jurassienne à la veille de la Révolution, 1994, p. 60.

Catégorie sociale Imposition

moyenne Juments Bœufs Vaches Moutons

Bons laboureurs (6 à 7 ha labour

18. Jean Jacquart, La Crise rurale en Île-de-France (1550-1670), Paris, A. Colin, 1974, p. 317 et 339.

+ 1,5 à 1,7 ha prés) 28 L 1 à 3 4 3 à 4 20 à 25

Laboureurs (2 à 3 ha labour)

10 L

0

2

1 à 2

4 à 6

Manouvriers 0 L 9 s 0 0 0 1 à 2

D’un système de culture à l’autre, le marqueur animal pouvait varier. En pays de grande culture, la propriété du cheptel dessinait encore plus nettement les hiérarchies au village. En Beauce au XVIIIe siècle, la détention des moutons isolait les laboureurs du reste de la société rurale, davantage encore que celle de la cavalerie. Si les vaches laitières étaient réparties dans toutes les catégories, en dehors des laboureurs, on ne les trouvait qu’à l’unité et, vraisemblablement, elles n’avaient pas le même prix ni la même production chez les petits et chez les gros exploitants (tableau 3).

Tableau 5. Répartition du cheptel propre

à Béville-le-Comte en Beauce (1764) D’après Jean-Claude Farcy, Les Paysans beaucerons au XIXe siècle, 1989, p. 67.

Catégorie Effectifs Détenteurs de

Chevaux Moutons Vaches

Laboureurs 16 16 (93) 10 (2 470) 16 (132)

Salariés agricoles 67 0 0 33 (38)

Tricoteuses 25 0 0 6 (6)

Commerçants 11 6 (8) 0 8 (8)

Vignerons 11 0 0 6 (6)

Artisans 19 0 0 9 (10)

Divers 3 0 0 1 (1)

Ensemble 152 22 (101) 10 (2 470) 79 (201)

À l’autre bout du royaume, en Roussillon, dans une région de petite propriété paysanne majoritaire,

Gilbert Larguier constate aussi une étroite corrélation entre la terre, le bétail et la position sociale. L’animal, en raison du capital qu’il représentait, des locaux d’hébergement et des terrains de parcours dont il avait besoin, contribuait à déterminer le statut des individus autant sinon davantage que la terre. Les types et le nombre d’animaux possédés caractérisaient avec sûreté les degrés de la hiérarchie sociale. Ici la société se partageait entre quatre strates principales, selon que l’on possédait ou non un cochon, des bêtes à laine ou des chèvres, des bœufs19.

Tableau 6. Répartition du cheptel propre à Angoustrine en Cerdagne (1730)

D’après Gilbert Larguier, « Espace agricole, structures foncières et bétail en Roussillon… », 2000, p. 183.

19 Gilbert Larguier, « Espace agricole, structures foncières et bétail en Roussillon d’après un dénombrement de 1730 », in Marie-Claude Marandet, (dir.), L’Homme et l’animal dans les sociétés méditerranéennes. Actes des 4e journées d’études du Centre de recherches historiques sur les sociétés méditerranéennes, Perpignan, Presses universitaires, 2000, p. 178-185.

Catégorie Effectifs Bœufs de labour

Bêtes de charge

Ovins Porcins

Pagès 12 8 (20) 12 (15) 7 (450) 12 (49)

Brassiers 32 1 (2) 13 (16) 1 (80) 27 (61)

Artisans 3 0 (0) 1 (1) 0 (0) 3 (7)

Veuves 5 0 (0) 2 (2) 0 (0) 3 (8)

Ensemble 52 9 (22) 28 (33) 8 (530) 45 (125)

3. Problèmes d’évaluation La fraude universelle tirait parti de deux facteurs qui rendaient toujours délicate un exact

dénombrement : l’enregistrement des élèves qui, selon le moment de l’année, faisaient varier les effectifs, selon le rythme des agnelages et des vêlages qui dépendaient de la période choisie pour la lutte ou par la monte – une donnée variable selon les usages et sur laquelle nous sommes encore assez mal renseignés ; l’importance du bétail loué à autrui sur laquelle nous allons revenir, qui rend caduques bien des estimations rapides à partir de documents fiscaux ou d’inventaires mobiliers. Les difficultés de l’hivernage conduisaient de nombreux paysans à moduler leurs effectifs au cours de l’année, en achetant ou en prenant du bétail au printemps pour le revendre engraissé à l’automne, selon l’importance variable de la récolte fourragère. L’été avait-il été particulièrement sec ? Les pays de montagne, où les rigueurs du climat prolongeaient l’hivernage à l’étable, procédaient à des ventes massives, parfois à perte, car les cours s’effondraient. La paille et le foin étaient-ils abondants ? On s’efforçait de conserver davantage de bétail pendant la saison froide, quitte à en louer en complément. Ces fluctuations à court terme étaient beaucoup plus accentuées pour tous les types de bétail sous l’Ancien Régime qu’au XXe siècle. Dans les fermes de l’Île-de-France, le cheptel ovin connaissait ainsi d’importantes variations saisonnières : un maximum d’été, qui doublait les effectifs d’hiver pour assurer la saison du parc ; un minimum d’automne, au moment de la rentrée dans les bergeries, juste après les ventes dans les foires et avant les premiers agnelages (tableau 4).

Tableau 6.

Les variations saisonnières du cheptel ovin chez les fermiers de l’Île-de-France (1549-1650)

D’après Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France, 1994, p. 382.

Automne Hiver Printemps Été

Nombre de têtes/ha 0,96 1,3 1,3 2,6

Nombre de fermes 6 11 9 10

III. LOUER DU CHEPTEL : L’ELEVAGE EST L’AFFAIRE DE TOUS Contrairement à notre époque où l’élevage ne concerne même pas l’ensemble des agriculteurs, il

présentait sous l’Ancien Régime une dimension sociale très large. De la haute noblesse au petit artisanat, de la bourgeoisie urbaine aux diverses strates de la paysannerie, des communautés ecclésiastiques et

hospitalières aux simples ménages de ruraux, l’« augmentation » du bétail était un souci général. Les statistiques liées à la propriété du cheptel sous-estiment les effectifs réels des animaux élevés. Car, d’un point de vue administratif et aussi économique, le bétail a eu longtemps une « face cachée » : la prise à bail.

Question essentielle car elle détermine l’exploitation réelle du cheptel. Au bétail en propre des paysans s’ajoutait un bétail loué, soit à court terme, pour une saison d’engraissement estivale dans les plaines comme dans les montagnes, soit à moyen terme, sous forme de « bail à cheptel ». Dans les régions de métayage, la location de cheptel en venait à représenter une part essentielle du capital d’exploitation. Dans les régions de fermage, elle constituait un appoint, inégal, mais trop souvent sous-estimé par les historiens. Dans les régions de faire-valoir direct, elle formait un complément toujours précieux.

1. Locations saisonnières ou à court terme Les décalages entre l’offre de pâturages et la propriété du cheptel vif n’étaient jamais aussi forts que

pendant la saison estivale : « montagnes » et forêts offraient des ressources herbagères bien supérieures aux besoins des troupeaux locaux et il en allait de même, dans les régions céréalières, des champs dépouillés de leurs récoltes et des prés de leur première herbe. Alors des contrats à court terme s’efforçaient d’établir une exploitation pastorale plus active de ces espaces. Quand ils ne passaient pas par le biais de location de pâturages à des éleveurs extérieurs, ils donnaient lieu à la prise à bail de bétail par les éleveurs du cru. Les massifs montagneux fourmillent ainsi d’arrentements de bétail, conclus pour un loyer fixe en argent et un complément en fromage : la Haute-Provence en porte témoignage dès le XVe siècle20.

Dans la région parisienne, depuis au moins le XVe siècle, la pratique du bail de vaches à loyer était fort répandue. Contre une demi-livre de beurre par semaine et quelques fromages de caillé, vignerons, manouvriers et pauvres veuves trouvaient dans la location d’une vache une ressource précieuse : un peu de lait et de fromage blanc pour la famille, un peu de beurre et surtout la vente d’un veau et un appoint de fumure pour le jardin ou le lopin de vigne. Placement fort démocratique, la mise en pension des vaches laitières s’effectuait aussi moyennant un loyer annuel fixe en argent ou en fumier. Dans la première moitié du XVIIe siècle, de nombreux vignerons d’Argenteuil prenaient des vaches à bail pour 4 livres 10 sous à 6 livres par an quand ils ne réglaient pas vingt-cinq livres de beurre, pratique qui disparaît ici en 1695, mais qui se maintient au sud de Paris, dans d’autres villages viticoles21. Pour le bailleur, bourgeois de la ville mais souvent aussi homme de la campagne, le placement n’était pas inintéressant puisqu’une vache ne valait alors que 20 à 30 livres. Il était très prisé des bourgeois qui avaient une maison aux champs. À Athis-sur-Orge, à une quinzaine de kilomètres au sud de la capitale, Charles Vuallat, bourgeois de Paris, bailla ainsi, du 20 novembre 1700 au 17 novembre 1701, pas moins de 18 vaches, dont 16 « plaines de viaux et prestes à veller », pour 3 années, à raison de 6 livres par an, à six vignerons du village, et à huit autres des deux villages voisins chargés de les nourrir et héberger. Le bail expiré, les preneurs étaient tenus de rembourser au propriétaire le prix de la vache soit 40 livres en moyenne, ce qui assurait à ce dernier un confortable revenu22. L’auteur de la Nouvelle maison rustique ne s’y est pas trompé en conseillant encore fortement le placement, dans l’édition de 1768 : « Le revenu des vaches qu’on donne à loyer, est pourtant aussi fort considérable ; car une vache qui coûtera peut-être 45 livres ce qui ne ferait que 45 sols d’intérêt par an [5 % selon le taux légal du crédit], se louera depuis 6 jusqu’à 8 livres par année, et outre cela, l’on retient le premier veau ». Un profit sans équivalent mais jugé « licite et très

20. Thérèse Sclafert, Cultures en Haute-Provence. Déboisements et pâturages au Moyen Âge, Paris, SEVPEN, « Les Hommes

et la Terre, IV », 1959, p. 156-158. 21. Yvonne Bezard, La vie rurale dans le sud de la région parisienne de 1450 à 1560, Paris, 1929, p. 168 ; Marc Venard,

Bourgeois et Paysans au XVIIe siècle. Recherche sur le rôle des bourgeois parisiens dans la vie agricole au Sud de Paris au XVIIe siècle, Paris, EHESS, 1957, p. 82 ; Jean Jacquart, La Crise rurale en Île-de-France..., op. cit., 1974, p. 354 ; Marcel Lachiver, Vin, vigne et vignerons en région parisienne du XVIIe au XIXe siècle, Pontoise, Société historique et archéologique de Pontoise, du Val-d'Oise et du Vexin, 1982, p. 400). À Brétigny-sur-Orge, les baux de vaches semblent cesser vers 1710 (Martin Bertrandy-Lacabane, Brétigny-sur-Orge, Marolles-en-Hurepoix, Saint-Michel-sur-Orge, Versailles, Cerf et fils, 1885-1886, 2 vol.) mais dans des villages viticoles du sud de la capitale, comme Mons-sur-Orge [auj. comm. Athis-Mons, Essonne], ils se maintiennent. Parmi bien d’autres exemples, Arch. dép. Essonne, B, Mons-sur-Orge, 17-12-1763, inventaire après décès de Michel Hédiart, vigneron.

22. Élisabeth Blaizot et Bernadette Dujardin-Roquet, Une étude rurale au sud de la région parisienne. La seigneurie de Mons-sur-Orge et Ablon-sur-Seine aux XVIIe et XVIIIe siècles, maitrise d’histoire, université de Paris I, 1972, p. 123-124 (d’après Arch. nat., S 482).

ordinaire » en raison des risques que courait le propriétaire, seul à supporter la perte de l’animal sauf négligence du preneur qui, de son côté, en conservait tous les profits23.

Cherchait-on davantage de garanties, qu’il y avait une formule bien plus prégnante, et autrement répandue : le bail à cheptel venait assurer une relation plus durable entre la ville et la campagne, conviant le plus grand nombre à participer à l’opération.

2. Un placement universel : le bail à cheptel Les acteurs : un éventail social très large

« Avoir des bêtes à moitié » : formule universelle au-delà des particularismes régionaux. Quel pays, quelle époque, quel paysan pouvaient se targuer d’y échapper ? Véritable « instrument de crédit agricole »24, le bail à cheptel offrait une formule fort attractive : le preneur y trouvait, sans bourse délier, un fonds de bétail, à charge par lui de veiller à sa conservation et à son entretien, et, au terme du contrat, il en rendait compte au bailleur en partageant le croît avec lui. Pour le petit laboureur ou le petit éleveur, il y avait là une opportunité à ne point manquer. Pour le métayer, c’était une nécessité qui s’est généralisée du XVIe au XVIIIe siècle : s’il n’était pas intégré dans le contrat de métayage, le bail à cheptel l’accompagnait presque toujours, fournissant bœufs « arants » ou « trayants » mais aussi vaches laitières et bêtes à laine. Pour l’artisan et le commerçant de village, c’était la perspective de compléter des revenus souvent irréguliers. Le gros laboureur ou le riche fermier, qui y avaient eu si souvent recours jadis pour s’équiper25, y trouvaient l’assurance des années difficiles ou, en période faste, un possible complément spéculatif. Pour les journaliers et l’ensemble des petites gens de la campagne, c’était le seul moyen, avec le bail de vache déjà évoqué, de trouver du cheptel. Pays de « chepteliers », pays pauvres, comme ces villages bourguignons de Charny et de Blancey, ou ces villages bressans de Moutiers et de Beauvernois, où la quasi-totalité du bétail était tenue à bail à la fin du XVIIe siècle26. Au cœur de la Bretagne, entre Rostrenen et Quintin, les moutons n’existaient que grâce aux locations « à mi-croît et mi-profit »27. En 1779, à Portet, en Lauragais, sur 16 troupeaux de plus de 30 têtes d’ovins, un seul appartenait à un ménager, les quinze autres étant tenus à bail, six par des maîtres valets et neuf par des métayers28. En Genevois, dans la partie pauvre de l’avant-pays, en 1773, « il est peu de particuliers paysans qui aient des bœufs à eux propres, la coutume étant dans les grangeries que les propriétaires les fournissent » en général à moitié perte et profit29. Que viennent à manquer les concessions à cheptel et les champs étaient abandonnés comme à Bussy-le-Grand ou à Essarois en Bourgogne en 168630.

Du côté des bailleurs, les motivations sociales n’étaient pas moins variées : le placement d’une épargne qui, nonobstant les risques, rapportait bien davantage que la rente tirée du sol ; la nécessité d’équiper un métayer désargenté qui n’arrivait pas toujours à apporter la moitié du cheptel vif ; le réinvestissement de capitaux déjà placés en bétail, etc. L’éventail social des « laissants » était encore plus diversifié que celui des « chepteliers ». On y trouvait d’abord des marchands qui achetaient le cheptel aux foires ou des laboureurs qui replaçaient leur argent liquide après avoir effectué des ventes. Véritables professionnels que ces personnages à qui rien n’échappait. Bon nombre de ces marchands, des petits villes comme du plat pays, séétaient fait des « banquiers de bestiaux ». N’est-ce pas l’aïeul direct de Voltaire, sire Hélénus Arouet, marchand-tanneur de Saint-Loup-sur-Thouet qui, à sa mort, en 1625, avait « achaptelé » des bœufs sur trente métairies de la Gâtine poitevine31 ? Spécialisé de son côté dans les bêtes à laine, sire Jean du Maignou, marchand à Saint-Maixent, avait conclu à la même époque 22 baux à cheptel, par lots de 20 ou 30 moutons avec des paysans de la région. Nul doute que l’examen d’inventaires après-décès de nombreux « marchands » et notaires des provinces du Centre de la France ou du Sud-Ouest livrerait de nombreux cas comparables. Chez ces marchands, dont les bourgs et les petites villes fourmillaient, le « trafic en bétail » commandait souvent les baux à cheptel. Dans ce milieu s’activaient des catégories bien spécifiques, dont on ne fait que supposer le dynamisme, comme les maquignons juifs

23. La Nouvelle maison rustique, éd. 1768, I, p. 461. 24. Françoise Fortunet, Charité ingénieuse et pauvre misère. Les baux à cheptel simple en Auxois aux XVIIIe et XIXe siècles,

Dijon, EUD, 1985, p. 5. 25 Du XIIe au XVe siècle, bien des baux de fermage comportaient du cheptel à mi-croît dans le Bassin parisien. 26. Pierre de Saint Jacob, Les Paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime, Paris, Les Belles

Lettres, 1960, (rééd. Rennes, Association d'Histoire des Sociétés Rurales, « Bibliothèque d’Histoire Rurale, 1 », 1995), p. 150. 27. Jean Le Tallec, La Vie paysanne en Bretagne centrale sous l’Ancien Régime, Spezet, Coop Breizh, 2e éd., 1996, p. 123. 28. George Frêche, Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières. Vers 1670-1789, Paris, Cujas, 1974, p. 286. 29. André Cholley, Les Préalpes de Savoie et leur avant-pays. Étude de géographie régionale, Paris, A. Colin, 1925, p. 418. 30. Pierre de Saint Jacob, Les Paysans de la Bourgogne du Nord..., op. cit., 1960, p. 150. 31. Louis Merle, La Métairie et l’évolution agraire de la Gâtine poitevine..., op. cit., 1958, p. 117.

qui confiaient des vaches à moitié à des paysans-éleveurs alsaciens32. En dehors de ces trafiquants avisés, la formule offrait un placement général à la bourgeoisie tout au long de l’année, avec les pointes saisonnières de début de printemps et de fin d’automne qui scandaient le passage de l’hivernage à l’estivage33. Les seigneurs ne le dédaignaient point : Marthe Desperou, dame de la Vezouzière en Oléron plaçait ainsi, en 1688, vaches et brebis à garder « à moitié de croissance » dans cinq métairies. Bon nombre de curés y excellaient comme le comtois Alexis Bouquerod, de La Tour-du-Meix, qui étendait son action jusqu’à 25 km de son presbytère à la fin du XVIIIe siècle, ou celui d’Anse, en Béarn, qui collectionnait les « gasailles » avec sa sœur34. Jusqu’à la chute de l’Ancien Régime, les officiers royaux ne furent pas en reste comme ce sieur Pierre Angely, lieutenant de la justice du marquisat d’Époisses, président du grenier à sel de Semur, qui, de 1773 à 1788, conclut pas moins de 23 baux à cheptel auprès des paysans de l’Auxois35.

Au sein même du monde rural, en dehors des marchands dont on a aperçu quelques figures, les bailleurs se recrutaient parmi les gros laboureurs et quelques artisans. Par leurs opérations commerciales, les premiers se rattachaient étroitement à la marchandise. Voici, en 1622, honorable homme Jean Bruslé, « marchand-laboureur » et gros fermier de Vaulerent, qui confie pour 3 ans 22 bêtes à laine à Étienne Bimont, un laboureur du village limitrophe de Villeron, lui enjoignant de revendre le « bestial incappable de croisson » pour le remplacer par des « tiges » de meilleure nature, lui imposant de l’appeller « par sommation » à la tonte des laines et « sans qu’il soit loisible audit preneur avoir ni tenir en sa possession autre bétail que celui dudit bailleur »36. Certains artisans confiaient des bêtes comme les maréchaux. Le bail était cheptel entrait dans les liens de solidarité familiale ou professionnelle, marquant les hiérarchies et les interdépendances entre générations (pour compléter une dot ou des revenus de retraite) ou entre voisins.

Autour des villes et des bourgs, selon l’importance des capitaux bourgeois, et leur intérêt pour la formule, l’investissement urbain sur le cheptel dessinait des rayons qui atteignaient souvent une dizaine de kilomètres, et, pour les capitales régionales, parfois une vingtaine. Nul doute qu’une carte du bail à cheptel offrirait au regard une répartition dans l’espace extrêmement large puisqu’on ne connaît guère de région à l’avoir ignoré. Est-il possible qu’elle modifie légèrement, notamment en densité, celle de la propriété dont nous avons une esquisse ? Il est difficile de le savoir avant d’avoir entrepris les études spatiales et temporelles nécessaires.

Conclus en général pour une durée moyenne de 3 à 7 ans, variable selon les catégories animales, les régions et les époques37, parfois verbalement, les baux comprenaient généralement une évaluation du capital initial, le « chatal », « chadal » (Genevois) ou « chetail » (Brionnais) pour préserver les intérêts du propriétaire. Qu’une contestation surgisse en cours de contrat et, aux termes de certaines coutumes, le bailleur pouvait exiger la représentation de la souche pour procéder à une estimation, l’« exigue », courante en Auxois, ou l’esprine, au cours de la quelle on évaluait, en Vivarais, le bétail tête par tête chaque année à Notre-Dame de mars ou à la Toussaint : le bailleur gardait l’œil sur l’augmentation du troupeau38.

Des intérêts économiques réciproques Car, sauf catastrophe épizootique – toujours possible – le bail à cheptel simple était un placement qui

assurait d’un confortable revenu, généralement bien supérieur à celui de la rente foncière et plus aisément mobilisable. Selon les années et les catégories animales, les profits variaient de 20 à 30 % pour les ovins en Île-de-France au XVIIe siècle39. En 1691, dans un domaine limousin près d’Ussel, le preneur se charge

32. Jean-Michel Boehler, Une Société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), op. cit., 1994, p. 932.

33. Au bourg d’Arinthod, au sud de la Franche-Comté, de 1775 à 1779, les baux à cheptel étaient passés tout au long de l’année, mais avec recrudescence en mars-avril et en novembre-décembre : Colette Merlin, Ceux des villages. La société rurale dans la « Petite Montagne » jurassienne à la veille de la Révolution, Besançon, « Cahiers d’Études comtoises, 52 », « Annales littéraires de l’université de Besançon, 523 », 1994, p. 215.

34. Colette Merlin, Ceux des villages..., op. cit., 1994, p. 213 ; Christian Desplat, « Institution et réalités pastorales dans les Pyrénées occidentales françaises à l’époque moderne », in L’Élevage et la vie pastorale dans les montagnes de l’Europe au Moyen Âge et à l’époque moderne. Actes du colloque international, Clermont-Ferrand, Institut d’Études du Massif Central, 1984, p. 314.

35. Françoise Fortunet, Charité ingénieuse et pauvre misère..., op. cit., 1985, p. 216-217. 36. Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France..., op. cit., 1994, p. 795-796. 37. Mais on trouve 9 ans en Hurepoix au XVIe siècle et en Forez au XVIIIe. 38. Alain Molinier, Stagnations et croissance. Le Vivarais aux XVIIIe et XIXe siècles, op. cit., 1985, p. 163. 39. Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France..., op. cit., 1994, p. 375-376.

de 340 livres de bétail contre 36 livres par an : rare exemple de règlement en argent qui souligne l’excellent rapport de plus de 10 % pour le propriétaire40. Dans le Berry, au milieu du XVIIIe siècle, un capital de 800 livres, représentant 100 à 120 moutons, rapportait rien qu’en laine 124 livres en année normale soit 12 à 13 %, bénéfice substantiel même s’il devait être partagé par moitié avec le colon41. La Salle de l’Étang notait de même qu’en Champagne, « beaucoup de personnes », qui n’avaient « ni terres ni fermes » tiraient un profit d’environ 15 % des vaches et des moutons qu’elles louaient aux laboureurs42.

La formule du bail à cheptel assurait donc une complémentarité structurelle entre capital-bétail, travail et ressources fourragères. En Haute-Provence, depuis au moins le XVe siècle, des baux à mégerie mettaient à la disposition des paysans aussi bien quelques têtes de bétail, moutons et chèvres, que d’importants troupeaux de bêtes à cornes ou à laine, pour une durée assez longue, 6 ou 7 ans, et un partage par moitié non seulement du croît mais aussi de la souche, « à mi-droit et croît », « à droites mièges et accroissements ». Mais, dans ce cas favorable, on avait affaire à de véritables entreprises d’élevage dans lesquelles le « méger » fournissait herbages, sel, chiens et bergers43. L’élevage corse reposait largement sur le bail à cheptel : en 1657, à Venzolasca, dans la Casinca, le capitaine Casabianca possédait un troupeau de 150 brebis et moutons qu’ils faisait ainsi fructifier et il partageait avec ses bergers le fromage, les peaux, la laine et les bêtes nées au cours des 6 ans que duraient les contrats « a soccida ». Partout dans l’île l’importance de l’élevage se lit dans le grand nombre des bêtes louées ainsi, aussi bien au Cap Corse que dans la Casinca, la Castagniccia, la Balagne et le Niolo. Mais c’est surtout dans le Delà des Monts, en particulier les vastes pâturages de la province d’Ajaccio, que la pratique occupait une place prépondérante dans la vie économique : c’est par centaines de têtes que les grands propriétaires faisaient ainsi élever leurs troupeaux de moutons et de brebis44.

Le bail à cheptel offrait donc un type de placement très souple et souvent indispensable à la mise en culture. Toutefois, ce système ne portait pas à l’innovation. En Forez, tout au long du XVIIIe siècle, il apparaît bien que l’investissement des propriétaires de métairies soit resté réduit, limité au maintien des structures des domaines en place45. Dans l’Auxois, à la fin du XVIIIe siècle et encore au XIXe, les baux à cheptel ne portent que sur la race du pays et ils semblent n’avoir joué qu’un rôle bien faible dans les innovations agricoles46. Fortement conservateurs, les baux à cheptel n’ont fait que permettre à l’agriculture d’Ancien Régime de se maintenir, quelles que fussent les aléas. La performance n’est pas si mince quand on mesure les pertes casuelles que le cheptel connaissait alors.

III. La traduction des hiérarchie s dans l’espace

Quelques exemples

1. Proportionner le pacage aux fourrages d’hiver : la règle des « foins et pailles » Dans les régions d’estivage, les communautés entendaient préserver leurs « montagnes » de l’invasion

du bétail horsain par les trafiquants de tout poil qu’attirait la perspective de l’embouche. En Auvergne, jouait la règle des foins et pailles en vertu de laquelle on ne doit faire paître sur les biens de la communauté un cheptel plus important que celui qu’on peut hiverner en fonction des terres possédées ou louées. La coutume d’Auvergne reproduit en la matière une disposition identique à celle de la Marche voisine mais que l’on retrouve aussi – effet des relations migratoires avec le Sud-Ouest ? – dans la coutume de Soule (doc. 29).

La règle des foins et pailles

40. Nicole Lemaitre, Un Horizon bloqué. Ussel et la Montagne limousine aux XVIIe et XVIIIe siècles, préfac de Pierre Goubert,

Ussel, Musée du Pays d’Ussel, 1978, p. 115. 41. François Gay, « Production, prix et rentabilité de la terre en Berry au XVIIIe siècle », Revue d’histoire économique et

sociale, XXXVI, 4, octobre-décembre 1958, p. 406. 42 Simon-Philibert de La Salle de l’Étang, Traité des prairies artificielles... sur les Moyens de fertiliser les terrains secs et

stériles dans la Champagne et dans les autres provinces du Royaume, Paris, 1756, p.51. 43. Thérèse Sclafert, Cultures en Haute-Provence..., op. cit., 1959, p. 150-156. 44. Francis Pomponi, Essai sur les notables ruraux en Corse au XVIIe siècle, Aix, La Pensée universitaire, 1962, p. 102-103. 45. Josette Garnier, Bourgeoisie et Propriété immobilière en Forez aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Étienne, Centre d’études

foréziennes, 1982, p. 374. 46. Françoise Fortunet, Charité ingénieuse et pauvre misère..., op. cit., 1985, p. 268.

Coutume d’Auvergne, art. 490 : « On ne peut faire pasturer bestail ez pasturages communs ou particuliers d’aucune justice, à plus grand

nombre que l’on a hyverné et nourry des foins et pailles provenans des héritages que l’on tient en ladite justice, soient leurs ou par louage ou autrement ».

Coutume de la Marche, art. 361 : « Aucun ne peut estiver ou tenir en aucun village et pasturages communs d’iceluy plus de bétail qu’il n’en a

hiverné ou qu’il en eust pu hiverner des foins et pailles qu’il a recueilli des héritages qu’il tient de son propre ou par louage audit village ladite année, sur peine d’amende arbitraire. »

Coutume de Soule, titre XIII, art. 5 : « Empero degun no pot far pasturar bestiars ausdeits pasturadges en lodeit pays a plus grand nombre que lon

no a ychebernat et neurit deus fays et palhes provenients deus heretages qui lon tient en lodeit pays ne sons propris, ne autreis. »

D’après Camille Trapenard, Le Pâturage communal en Haute-Auvergne (XVIIe- XVIIIe siècles), Paris, Larose, 1904, p. 175-177.

Disposition d’autant plus remarquable qu’elle constitue un des rares textes de droit coutumier qui

réglait la jouissance des pâturages communs47. En dehors de quelques très rares cas d’interprétation rigoureuse de la coutume, qui allaient jusqu’à réserver les pâturages aux seuls animaux effectivement hivernés, la plupart des communautés auvergnates considéraient que « la quantité des fourrages recueillis est plus décisive que celle des bestiaux hivernés ».

Si la règle des « foins et pailles » visait à éviter une surcharge pastorale nuisible aux intérêts des éleveurs du pays, elle n’excluait pas des « augmentations » d’effectifs là où les ressources de l’estivage dépassaient la capacité fourragère hivernale. Encore fallait-il évaluer la capacité pastorale des « montagnes ». Aussi l’usage s’était-il introduit de bonne heure de la mesurer en une certaine quantité de « têtes ». Pour l’estimation, toute la province, y compris la région de droit écrit, avait adopté les règles posées par la coutume locale de Vic : était considérée comme tête d’herbage l’étendue de pâturage susceptible de nourrir une vache avec son veau ; un jeune animal à cornes d’un an – ou « bourret » – comptait pour un quart de tête, un « doublon » – animal de deux ans – pour une demi-tête, et un « tierçon » pour une entière. Les bêtes chevalines et les troupeaux à laine y étaient admis suivant des équivalences spécifiques : la jument et son poulain entraient dans ce comput pour deux têtes, un poulain de plus d’un an pour une demi-tête et tout équidé de plus de deux ans pour deux têtes. Enfin six moutons comptaient pour une tête48. En superficie, on comptait, selon les lieux, 1 à 2 ha en général49. Semblable règle avantageait les plus forts laboureurs qui étaient les seuls à pouvoir entretenir des vacheries. Les petits n’envoyaient d’ailleurs pas leurs bêtes à l’estive, les réservant au labour et au charroi.

2. En assolement triennal : des quotas à la surface Dans les pays d’assolement triennal où la vaine pâture sur les éteules et les jachères conditionnait la

nourriture des moutons, les communautés veillèrent peu à peu à établir une règle de proportionnalité entre l’étendue des terres exploitées et les effectifs des troupeaux. L’inobservation de ces principes ne manquait pas de susciter des délits, notamment dans les secteurs d’intense parcellisation dans lesquels les soles ne réussissaient pas à maintenir une parfaite géométrie. Les procédures judiciaires qui s’ensuivirent vinrent rappeler les limites. À cet égard, l’arrêt du parlement du 7 août 1638 pour la communauté de Saint-Ouen, au nord de Paris, constitue une manière de prototype : il réduit la proportion de moutons « à raison d’une bête par chacun arpent et ainsi à proportion du plus au plus, du moins au moins desdites terres qui seront entretenues, labourées, cultivées et ensemencées par solles et saisons ordinaires » avec comme condition explicite de laisser chaque année « le tiers en jachères ou patis »50.

Cette proportion se retrouve ordinairement encore au XVIIIe siècle. Parfois l’usage s’introduit d’élever le seuil à deux bêtes pendant l’été. Mais souvent la pression communautaire maintenait une tête tout au long de l’année : maximum difficile à tenir surtout pour des fermiers qui souhaitaient forcer sur le parcage et spéculer sur l’engraissement estival des ovins ! Au sud de Paris, dans le village de Wissous, le 21 août

47. Camille Trapenard, Le Pâturage communal en Haute-Auvergne (XVIIe-XVIIIesiècles), Paris, Larose et Tenin, 1904, p. 175. 48. Id., ibid., 1904, p. 185-186. 49. Abel Poitrineau, La Vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIIe siècle..., op. cit., 1984, p. 249. 50. Nicolas Delamare, Traité de la police, t. II, 1722, p. 489-490, où l’on trouve le texte de trois arrêtsde 1638, 1647 et 1661.

Analyse minutieuse dans Jean Meuvret, Le Problème des subsistances à l’époque Louis XIV. La production des céréales et la société rurale, Paris, EHESS, 1987, vol. 1, p. 19-22.

1779, on découvre le troupeau de Thomas Aubouin, l’un des plus gros laboureurs du cru, dans une grande pièce de chaume d’avoine « sur laquelle était encore une partie de la récolte en dixeaux » : les bêtes à laine que l’on y dénombre, « toutes marquées d’un T et d’un A », portaient atteinte au droit de glanage et leurs effectifs allaient bien au-delà de la proportion autorisée. Aubouin n’exploitant que 200 arpents sur le finage, il contrevenait aussi à la règle d’une bête par arpent51. Sa condamnation à une amende de 50 livres en faveur des pauvres est loin d’être isolée. Dans les plaines céréalières, la concentration des troupeaux de bêtes à laine multipliait les délits de dépaissance. Il est fort probable que les gros fermiers qui parquaient la nuit sur les parcelles de leur exploitation particulière, n’aient pas cherché à ménager les droits d’usage au cours de la journée. Dans cette lutte farouche entre petits et gros, les derniers avaient bien du mal à sauvegarder la nourriture de leurs vaches et d’ailleurs ils ne se privaient guère à leur tour d’exercer des prélèvements illicites.

La réglementation de la vaine pâture en proportion du terrain exploité traverse l’Ancien Régime. Par son décret des 28 septembre-9 octobre 1791, la Constituante reconnaîtra que la quantité de bétail, doit être fixée dans chaque paroisse « à tant de bêtes par arpent, d’après les règlements locaux ».

2. En montagne, : des pratique s pastorales censitaires L’anticipation du pâturage sur le calendrier agricole communautaire et les sureffectifs des animaux

conduits par les principaux éleveurs constituaient les deux grands types de fraudes à peu près universels. À partir du XVIIe siècle, et tout au long du XVIIIe, le surpâturage suscite des mesures limitatives que l’on retrouve dans la plupart des systèmes d’élevage. Déjà au XVIe siècle, certaines coutumes prévoyaient des gardes-fou. Mais, sauf exceptions, la plupart d’entre elles ne donnaient pas de chiffres précis52.

Désormais, quel que soit le système agro-pastoral, des quotas tendent à définir des maxima selon la situation économique propre à chaque éleveur. Dans le Sundgau, en 1721, on limite l’élevage à 3 porcs par laboureur et un seul porc gras à l’égard des simples manouvriers53. Dans les Pyrénées occidentales, l’ancien For d’Ossau et les réglements d’Aspe et de Barétous s’attachaient à définir clairement les règles de partage des « baccades » sur les pâturages d’altitude, fixant la durée des « bedats ». Au XVIIIe siècle, dans les Pyrénées ariégeoises, chaque ménage ne pouvait « amontagner » du bétail qu’« à proportion de son tènement et alivrement ». Dans le Pays de Foix, certains règlements seigneuriaux ou communaux limitent le nombre de têtes « amontagnées » ou « aforestées » par les habitants à des seuils plus restrictifs dans le bas-pays (25 ovins et 1 vache autour de Mirepoix) qu’en montagne (60 ovins et 10 bovins dans la Haute-Ariège) 54, En Haute-Provence, dès 1647, les consuls de Castellane demandent pour leurs lieux de compascuité un « régallement de ce que chacun parier peut tenir de bétailh à cottité de son allivrement » : dans ces immenses espaces pastoraux, le quota s’établit à 793 trenteniers d’avérage (23 790 têtes), sur lequel chaque habitant peut entretenir 2 trenteniers et 10 bêtes à cornes par livre cadastrale55. Qu’il s’agisse de bêtes à laine ou à cornes, dans l’ensemble du Languedoc, la règle de dépaissance « à proportion de son compoix » s’impose, du Lodévois au Lauragais. Dans tous ces cas, la capacité contributive déterminée par la richesse cadastrale fournit un barême qui proportionne l’usage des terrains communs ou des droits collectifs à la hiérarchie fiscale. Chaque communauté établit alors un rôle de répartition qui a pour effet de stabiliser les effectifs du cheptel : l’élevage laitier, organisé en « jasseries » dans les hautes chaumes du Forez, était réparti selon les cotes du vingtième à la fin de l’Ancien Régime (tableau 15).

51. Arch. dép. Essonne, B Wissous, sentence du 23 août 1779. 52. La coutume de Hesdin prévoit que chaque ménage ne pourra mener paître sur les biens communaux que 9 bêtes à laine au

maximum (XIV, 19) mais les autres coutumes, de Mons en Hainaut à l’Auvergne ne fixait pas de quotas : Michel Devèze, art. cit., 1967, p. 38.

53. Jean-Michel Boehler, Une Société rurale en milieu rhénan : la paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1994, p. 954.

54. Michel Chevalier, La Vie humaine dans les Pyrénées ariégeoises..., op. cit., 1956, p. 341-343. 55. Thérèse Sclafert, Cultures en Haute-Provence..., op. cit., 1959, p. 163.

Tableau 15.

Pâturer à proportion de son exploitation.

Répartition des jasseries dans les Monts du Forez en 1786

(Chalmazel, Sauvain et Saint-Bonnet le Courreau)

D’après Jean MERLEY, La Haute-Loire de la fin de l'Ancien Régime aux débuts de la Troisième République (1776-1886),

Le Puy, Archives départementales, 1974, p. 357.

Nombre

d’exploitations Mode de faire-valoir Allivrement Nombre de places

(bêtes à cornes)

1 faire-valoir direct 550 155

1 faire-valoir direct 504 144

4 fermage 330 110

3 faire-valoir direct 147 49

1 fermage 108 36

4 faire-valoir direct 99 33

2 faire-valoir direct 96 32

3 faire-valoir direct 90 30

1 faire-valoir direct 48 16

1 faire-valoir direct 45 15

1 faire-valoir direct 36 12

1 fermage 36 12

1 faire-valoir direct 36 12

1 faire-valoir direct 36 12

1 faire-valoir direct 27 9

1 faire-valoir direct 27 9

1 faire-valoir direct 3 1

1 faire-valoir direct 3 1

1 faire-valoir direct 3 1

1 fermage 3 1

31 2 227 690

Ce système d’inspiration étroitement censitaire avantage les riches : ces derniers payant les plus fortes

charges, on estime qu’il est juste qu’ils profitent davantage des pâturages collectifs que les autres habitants. Car l’élevage, selon les contemporains,

« établit entre tous les habitants d’une même communauté une espèce de société par rapport à la dépaissance, dans laquelle chaque participant entre pour la portion de ses biens et dont aussi il ne peut user que pour le nombre des bêtes à laine qu’il lui est permis d’avoir relativement à son compoix56. »

56. Arch. dép. Hérault, C 2432, d’après Émile Appolis, « La question de la vaine pâture en Languedoc au XVIIIe siècle »,

Annales historiques de la Révolution française, XV, 1938, p. 98.

Une telle conception trouvait son aboutissement avec l’instauration d’une taxe communale par catégorie animale. Dans le comté de Nice, on levait un droit d’herbage en principe proportionnel à l’importance et aux effectifs du bétail. La lourdeur de cette fiscalité et la difficulté de tenir à jour un recensement exact du bétail, en particulier des bêtes nées au printemps, occasionnait des fraudes innombrables. Par leur négligence, les officiers municipaux les favorisaient parfois en oubliant, comme à Valdeblore, de faire publier et afficher trois fois dans chaque hameau le rôle de taille sur le bétail57.

5. Des droits minima à préserver

Encore restait-il à préserver deux principes : la préférence donnée au cheptel propre sur le bétail pris en location ; le droit à l’existence des petits éleveurs, qui n’atteignaient pas toujours le seuil minimal d’imposition.

La préférence accordée au cheptel propre Dans les estives montagnardes qui accueillaient des effectifs importants de bétail venu de l’extérieur, la

préservation des intérêts du troupeau indigène motivait la réglementation. En réalité, deux types d’élevage sont à distinguer : celui des entrepreneurs d’estivage, souvent étrangers eux-mêmes à la communauté, et que nous retrouverons dans l’étude de la transhumance ; celui des éleveurs du village, locataires de tout ou partie de leur cheptel estival, par la pratique du bail à gazaille ou à commende que nous connaissons, ou par une simple locations saisonnière. C’est pour cette seconde catégorie que des quotas plus restrictifs que ceux du cheptel propre furent mis en place, pour éviter que le secteur commercial de l’élevage ne vienne à étouffer le secteur vivrier. C’est dans cet esprit que furent rédigés de nombreux statuts communaux, dont les les « capitulations » de Barcelonnette, en 1663, fournissent un exemple caractéristique (tableau 16).

Tableau 16. Des quotas différentiels entre habitants et horsains.

La limitation des effectifs du bétail estivé à Barcelonnette en 1663 D’après Thérèse Sclafert, Cultures en Haute-Provence.

Déboisements et pâturages au Moyen Âge, 1959, p. 173.

Allivrement Bétail loué Bétail en propre

1-5 sous 1 trentenier + 1 chèvre 2 trenteniers

5-10 sous 2 trenteniers + 1 chèvre 3 trenteniers

10-15 sous 3 trenteniers + 1 chèvre 4 trenteniers

15-25 sous 4 trenteniers + 1 chèvre 4 trenteniers

Cette réduction légalisait l’adjonction par les « nourriguiers » locaux de bêtes « étrangères » à leur

propre cheptel. Mais elle mettait des bornes quantitatives dans un domaine où le plus parfait laxisme avait régné jusque-là. Elle tendait à réfréner les entreprises de particuliers, notamment parmi les « moindres taillables » qui, en prenant à bail du bétail en forte quantité, jouissaient par ce moyen « incomparablement plus des herbages et autres privilèges qu’un autre qui sera allivré au double et au triple »58. Si les fermiers des herbages, marchands de Basse-Provence, qui ne pensaient qu’à leur profit, faisaient entrer le maximum de bétail dans les montagnes qu’ils arrentaient en Haute-Provence, à l’intérieur même des communautés montagnardes, certains particuliers n’hésitaient pas à attirer en fraude du bétail étranger : les Barbaroux, de Colmars, accueillaient en estivage 1 500 moutons de Basse-Provence qui dévastèrent les terres gastes communes qui séparaient leur montagne de celle de leurs voisins59.

L’élevage du pauvre En dépit de ces restrictions, l’élevage du pauvre avait droit à une tolérance. On a déjà marqué, pour

celui des chèvres en particulier, la souplesse que revendiquaient les administrateurs dans l’application des

57. Henri Costamagna, , « Aspects et problèmes de la vie agro-pastorale dans le comté de Nice... », art. cit., 1971, p. 536-537. 58. Thérèse Sclafert, Cultures en Haute-Provence..., op. cit., 1959, p. 252. 59. Id., ibid., 1959, p. 174 et 243.

prohibitions au cours du XVIIIe siècle60. Cette tolérance, on la retrouvait déjà dans les coutumes du Poitou où « toutefois on tolère et permet qu’un pauvre homme ait quelque peu d’ouailles en les menant paître le long des chemins et buissons voire n’eût-il labourage »61. En Haute-Auvergne, selon l’usage de Vic, les petites gens, « brassiers, locataires, hostes » pouvaient nourrir dans les communs « quelques brebis ou moutons » et, en 1769, le subdélégué d’Aurillac constatait que tous les habitants étaient admis au pâturage « indistinctement, en considération de leur pauvreté et que, sans cette ressource, plusieurs d’entre eux seraient à la mendicité »62. Certes, il ne s’agissait pas de permettre à de modestes cultivateurs de s’abriter derrière leur « pauvreté » pour spéculer l’été. Le « pauvre » qui, selon ses détracteurs, introduit une trentaine de génisses dans les alpages du Beaufortain, n’a évidemment pas droit de cité dans la communauté. Il n’en demeure pas moins que, pour les indigents manifestes, à côté du droit « réel » accordé aux propriétaires du bétail, s’ajoutait généralement un droit « personnel » dont on n’osait les priver. La Révolution le reconnaîtra dans son décret des 28 septembre-9 octobre 1791, en assurant à tous les habitants un droit de pacage minimum pour six bêtes à laine et pour une vache avec son veau.

En arrêtant ici cet exposé, le lecteur aura bien compris que le bétail ne saurait se réduire à une simple

annexe de l’agriculture sous l’Ancien Régime. Des bovins aux vers à soie, l’économie rurale de la France d’Ancien Régime a donc associé, avec une étonnante souplesse, deux types d’élevage que l’on a coutume d’opposer : un élevage de « subsistance », presque omniprésent, et un élevage spéculatif, davantage sectorisé géographiquement et socialement. Quelles que soient les orientations retenues et les aptitudes locales, la seconde « mamelle » de la France rustique a joué un rôle capital dans la survie de la plupart des paysans, et dans l’enrichissement de quelques-uns ; elle a fait le bonheur des rentiers de la ville et le profit de multiples intermédiaires. Comme le signalaient aussi bien François Quesnay qu’Arthur Young, l’élevage représentait le secteur principal de l’économie d’Ancien Régime, cette « partie si importante »63 ! Beaucoup plus que les grains, il entrait partout dans les transactions commerciales.

Une signification économique et sociale polyvalente Ce rôle prééminent est évident dans les pays de pâturages : pour des montagnes pastorales comme la

Savoie, le Gévaudan ou les Pyrénées, l’élevage était sans conteste « la principale source de richesses des peuples ». Que l’on examine la vallée de Campan où, selon Froidour, « tout le monde est riche » alors qu’« il ne s’y dépouille pas un grain de blé, pas un grain de raisin ni fruit quelconque » : les Pyrénéens y vivent de leur bétail, de leur beurre et de leurs fromages64. Dans les bocages de l’Ouest, où cependant la part des céréales était majoritaire, les revenus tirés des animaux étaient essentiels. Dans le bas Maine, vers 1750, ils représentaient de 20 à 40 % du produit des métairies, et il en allait de même dans la seconde moitié du XVIIIe siècle65 ; en Touraine, pour deux domaines, le profit tiré de l’élevage atteignait respectivement 19 et 37 % des revenus agricoles en 1787 et, dans les Combrailles où la céréaliculture était particulièrement peu performante, il assurait de 40 à 45 % des ressources foncières des bénédictines de Saint-Julien-la-Geneste, en 179066. Pour ces pays d’herbages souvent médiocres, le commerce des bestiaux était bien le seul à procurer des rentrées d’argent consistantes au métayer67. Comme les revenus issus de l’élevage évoluaient souvent en sens inverse de ceux des céréales, tout en enregistrant des

60. Supra, chap. VIII. 61. Nicolas Théveneau, Paraphrases aux lois municipales et coutumes du comté et pays de Poitou, Poitiers, 1565, p. 196-197,

d’après Jean Meuvret, Le problème des subsistances à l’époque Louis XIV, 1987, vol. 2, p. 17, note 31. 62. Camille Trapenard, Le Pâturage communal en Haute-Auvergne..., op. cit., 1904, p. 186-187. 63. « Toutes les parties de l’agriculture dépendent si directement de la quantité du bétail qu’un voyageur agronome ne saurait

donner trop d’attention à une partie si importante de son entreprise », Arthur Young, Voyages en France, éd. Henri Sée, 1931, t. III, p. 1108. C’est le titre de l’un des chapitres de Brigitte Maillard, Les Campagnes de Touraine au XVIIIe siècle..., op. cit., 1998, p. 209-242. Pour Quesnay, cf. supra, chap. I, p. 15.

64. Jean-Pierre Poussou, Bordeaux et le Sud-Ouest au XVIIIe siècle..., op. cit., 1983, p. 267. 65. Annie Antoine, Fiefs et Villages du Bas-Maine au XVIIIe siècle..., op. cit., 1994, p. 300-301. 66. Brigitte Maillard, Les Campagnes de Touraine au XVIIIe siècle.., op. cit., 1998, p. 223 ; Joseph Semonsous,

« L’exploitation de la terre au XVIIIe siècle entre Cher et Sioule », Revue d’Auvergne, 1963, p. 68-69. 67. François Gay, « Production, prix et rentabilité de la terre en Berry au XVIIIe siècle », Revue d’histoire économique et

sociale, XXXVI, 4, octobre-décembre 1958, p. 405.

fluctuations moins fortes, il en résultait un facteur de compensation et de stabilité qui marquait les sociétés rurales de l’Ouest et du Centre68.

Mais il en allait de même dans les régions vouées aux blés. Chez les fermiers du nord de l’Île-de-France, l’élevage dépasse peut-être 15 % de la valeur de la production vers 162069. Dans le Bas pays béthunois, il en occupe 25 % à la fin XVIIIesiècle et davantage encore dans les Flandres, aux portes des Pays-Bas70.

Un élevage de subsistance universel Vache, brebis ou chèvre, assez généralement, et cochon pour la « provision de salé » – même si les

effectifs s’en restreignent à partir du milieu du XVIIe siècle – ont joué un rôle indéniable de complément alimentaire pour une grande partie de la petite paysannerie. Souvent étique et de très petite taille, surreprésentant les femelles qui donnent le lait et le croît, excluant les mâles reproducteurs trop coûteux à entretenir, très largement loué à autrui, premier déprédateur des haies et des cultures, l’animal du pauvre reposait d’abord sur les droits d’usages traditionnels et ne portait guère à l’amélioration génétique.

Nulle province, nul pays du royaume où cet appoint ne fût pris en considération par les autorités. En Bourgogne, les vignerons élevaient ordinairement un cochon acheté au printemps à moins d’aller chercher à la foire d’automne un porc gras qui permettrait de passer l’hiver et de régler l’impôt (document 34).

Au XVIIIe siècle encore.

La vache et le cochon du pauvre en Champagne

« Un manant gagne son pain avec ses bras ; sa vache lui donne du lait pour ses petits enfants ; le petit lait de cette vache lui aide à engraisser un cochon qu’il vend pour se faire quelque argent ou qu’il tue et sale pour son usage ; c’est une expérience qui a dû faire connaître dans tous les temps combien la nourriture des bestiaux est précieuse et nécessaire pour faciliter le payement des impositions, l’entretien de la vie et l’engrais des terres ».

Rapport de l’intendant de Champagne, Arch. nat. G71657, d’après Pierre de Saint Jacob, Les Paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l’Ancien Régime, Dijon, 1960, p. 144.

Dans la plaine de France, la vache du manouvrier chauffait l’étable où se retrouvaient les voisins avec

leurs filles pour fabriquer de la dentelle71 ; en Alsace, où elle fournissait « beaucoup d’aisance et de secours dans la maison par le lait et le beurre » à la mauvaise saison, on la conservait jusqu’à l’épuisement72. En Languedoc, l’intendant Ballainvilliers lui-même écrit encore en 1788, à propos du diocèse d’Alès, ces lignes significatives :

« Ne faudrait-il pas prohiber le nombre excessif des chèvres ? C’est une question que je me suis fait souvent ; mais les chèvres sont les nourrices du pauvre et ce serait une cruauté de faire usage de la rigueur du règlement contre des malheureux que l’on réduirait au désespoir73. » Pour les moutons, les petits lots de bercail signalent une activité d’appoint, bien visible en Provence

comme dans la haute montagne jurassienne74. On a marqué en quoi cette nécessité sociale a poussé de nombreuses communautés à préserver, tant bien que mal, un minimum pastoral au profit des pauvres. Ce sont évidemment ces multiples variétés de petits paysans qui se montrent le plus vivement attachées aux droits de vaine pâture et de parcours sur les champs et les prés récoltés, tout en réclamant, de plus en plus

68. Annie Antoine, Fiefs et Villages du Bas-Maine au XVIIIe siècle..., op. cit., 1994, p. 307. 69. Jean-Marc Moriceau, Les Fermiers de l’Île-de-France. L’ascension d’un patronat agricole (XVe-XVIIIe siècle), op. cit.,

1994, p. 472. 70. Dominique Rosselle, Le Long cheminement des progrès agricoles. Le Béthunois du milieu du XVIe au début du XIXe siècle,

op. cit., 1984, p. 597. 71. Par exemple, Arch. dép. Val-d’Oise, B Villeron, 16 mars 1771. 72. Jean-Michel Boehler, Une Société rurale en milieu rhénan. La Paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), op. cit.,

1994, p. 931-932. 73. Mémoires sur le Languedoc, fol. 209, d’après Émile Appolis, « La question de la vaine pâture en Languedoc au XVIIIe

siècle », Annales historiques de la Révolution française, XV, 1938, p. 129, note 61. 74. Colette Merlin, Ceux des villages. La société rurale dans la « Petite Montagne » jurassienne à la veille de la Révolution,

op. cit., 1994, p. 208.

fréquemment, un usage égalitaire des biens communaux qui, dans certaines régions du nord du royaume, passe par le partage par habitant. Dans les trente années qui précèdent la Révolution française, le sort du troupeau communal avive les clivages qui préexistaient dans les communautés rurales quand il n’en crée pas de nouveaux : là où la vaine pâture profitait à la petite paysannerie, comme en Champagne et en Franche-Comté, les édits sur les clôtures de 1767 et 1768 suscitent l’indignation des manouvriers qui ne peuvent plus « faire un nourri » pour entretenir leur ménage ; mais lorsque la question du partage des biens communaux est posée, contre le front des laboureurs à train de charrue qui s’y opposent en tant que principaux bénéficiaires du droit de parcours, comme en Lorraine, des alliances peuvent se nouer entre les manouvriers, qui guignent un accès à la propriété, et le seigneur, qui entend profiter de son droit de triage75. Dans ces tensions collectives que Marc Bloch avait si nettement mises en lumière au sein de la société rurale après 175076, les exigences alimentaires du bétail ont pesé lourdement. On ne sera donc guère surpris de constater, à la fin du XVIIIe siècle, que les délits de dépaissance se multiplient dans les champs dès l’arrivée du printemps : lorsque la subsistance de sa vache est compromise, le pauvre n’a plus qu’à frauder ou déguerpir.

Un secteur essentiel du commerce tout aussi universel Dès le début de l’Époque moderne, l’exploitation abusive des communaux par les éleveurs

professionnels, souvent extérieurs à la paysannerie du cru, a suscité les plaintes des communautés villageoises menacées dans leurs ressources vives. Celles des villages angevins du comté de Beaufort, entre la Loire et l’Authion, en attestent : dès la fin du XVe siècle, des bornes sont mises aux tentatives spéculatives des villageois qui ne voudraient pas se contenter pas de leur « nourri » (doc. 35).

Même dans des régions réputées pour l’importance de leurs activités « vivrières », l’élevage s’insère dans l’économie de marché : on en a vu maints exemples, des dindes de Sologne aux cochons du Périgord. Partout, les règlements de dépaissance font à l’envi une distinction entre le bétail en propre et le bétail loué ; partout, les « statuts communaux » veillent à protéger le secteur familial de l’élevage des spéculations commerciales.

Des finalités souvent complémentaires

Entre les deux secteurs de l’élevage, les complémentarités sont fréquentes, les marges de recouvrement inégales et les oppositions générales, notamment pour l’utilisation des pâturages. Pendant longtemps les mêmes chefs de famille élèvent côte à côte leur bétail de subsistance et leurs « bêtes foraines ». En dehors des « pôles herbagers » de l’Ouest et du Centre-Est, qui profitent d’un environnement géographique susceptible de répondre à leurs besoins frumentaires, le souci de produire un peu de tout dans une économie encore largement limitée à des échanges intrarégionaux freine la spécialisation : la densité de population, l’importance de la consommation locale, la proximité des marchés urbains modulent les orientations. Il en résulte une certaine polyvalence qui persiste largement jusqu’à l’arrivée du chemin de

75. Jean-Paul Rothiot, « La question des communaux dans les Vosges (1770-1816) : triage, partage et appropriation privée »,

Annales de l’Est, XLIX, 1, 1er semestre 1999, p. 213-219 ; pour une vue générale sur la question, cf. Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France (1750-1914), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998, p. 57-91.

76. Marc Bloch, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, rééd. 1988, p. 245-249.

1612 L’élevage du porc : un marché de paisson

Source : A. not. Gonesse, tabellionage de Vémars, minutes Gaudet, marché du 18-09-1612. FURENT PRESENS honnestes personnes Jehan Poultier, marchand demeurant à Compiegne, adjudicataire des pessons et glandee de la forestz de L'Aigle77 pour ceste présente annee, et Pierre Lardé, marchand demeurant à Sainct-Léger-au-Bois78, en ladite forestz de L'Aigle, tant en leurs noms que comme stipulateurs et eux faisant fort de Guillaume Du Rosoy, marchand demeurant audit Sainct-Léger, par lequel ils ont promis faire ratifier le contenu en ces présentes toutes et quantes fois que requis en seront. Lesquelz de leurs liberalles volontez, sans contraincte si comme ils disoient, recongneurent et confesserent avoir pris et retenu comme par lesdictes presentes prennent et retiennent, des manants et habitans de Vémars et Vileron79, ce acceptans par honnestes personnes Pierre Berson, Marc Dubarle et Marc Berson, laboureurs demeurant audit Vémars, Jehan Brulé, laboureur demeurant a la ferme de Vaulaurens, paroisse dudit Vileron et Guillaume Monger, laboureur demeurant audit lieu, a ce presens, la quantitté de quatre cens trente-six porcqs, a scavoir dudit Vémars, trois cens vingt trois et dudit Vileron, cent treize porcqs.

Laquelle quantitté ils ont promis promettent et seront tenus in solidum, sans division, discussion ne forme de fidejussion, renonceant aux bénéfices et exceptions d'iceux soubs promesse de la ratisfication susdicte, de mener et conduire en ladite forestz de L'Aigle, et en icelle les retenir garder faire garder et deuement empessonner a leurs frais et despens par le tems et espace de deux mois et huict jours entiers, non compris le temps qu'il conviendra emploier pour les mener et ramener, et en fin dudit temps les rendre et remettre en la pocession des bailleurs et autres denommez en l'inventaire quy sera transcript en fin desdictes présentes, bons gras et suffisament empessonnez, sans aucun déchet perte ou diminution sy ce n'est par mort naturelle, advenant laquelle et preuve suffisante préalablement faicte par lesdicts preneurs et à leurs despens par la representation des corps morts, en demeureront iceux preneurs deschargez de la restitution. Et ou le dechet perte ou diminution arrivé par autre accident tel qu'il le soit, seront tenus lesdits preneurs in solidum sans division discussion ne forme de fidejussion comme dict est, de paier aux propriétaires la somme a quoy sera faict estimation dudit déchet selon l'estimation d'experts dont les parties conviendront sy tost le cas advenu. À condition expressement accordee que ou il ny eust pesson suffisante ou que lesdictz porcqs n'engressassent au gré desdictz habitans, en ce cas pourront iceux habitans réintegrer leursdictz porcqs toutes fois que bon leur semblera et lesdictz preneurs contrainctz de les ramener et restituer sans aucune solempnité de justice observer sur peine de tous les despens dommages et interests quy s'en pourroient ensuivre. Et ou il y aict pesson plus que suffisante pour le temps susdict, pourront aussy iceux habitans laisser leursdictz porcqs en pesson par tel temps que bon leur semblera, en paiant la pesson d'iceux au fur et a rata du pris cy appres declaré. Comme aussy a condition que lesdictz preneurs ne pourront pour l'esfect et en exécution du present marché clauses et conditions d'iceluy, contraindre iceux habitans ny faire aucune poursuitte contre eux ny mesmes iceux habitans contre iceux preneurs, sinon par devant le juge ordinaire dudit Vémars et Vileron.

Et à ceste fin, ont lesdictz preneurs faict eslection de domicille, ascavoir pour ledit Vémars en l'hostel dudit Dubarle et pour ledit Vileron en l'hostel de Guillaume Monger, greffier dudit lieu. Promettans sortir jurisdiction devant lesdictz juges nonobstant quelques coustumes, ordonnances, loix, arrestz, édictz, droitz, privileges royaux ny autres choses quelzconques à ce contraires ausquelz lesdictes parties entendent desroger et desrogent par les présentes. Ceste dicte prise faicte ausdictes charges et moiennant le pris et somme de soixante sols tournois pour la pesson de chacun porcq, à treize en particullier pour douze, que pour ce lesdictz susnommés acceptans et autres quy seront dénommez audict inventaire sy apprès transcript seront tenus chacun en son regard paier ausdictz preneurs ou au porteur des présentes pour eux lors de la restitution desdictz porcqs.

Car ainsy lesdictes parties l'ont dict et expressément acordé si comme et promettant obligeant, ascavoir lesdictz preneurs in solidum sans division discussion ne forme de fidejussion soubs promesse de ratisfication comme dict est, et lesdictz habitans et autres nommez audict inventaire chacun en droict soy par corps et biens, renonceant, etc. Faict et passé audict Vémars en l'hostel de Daniel Le Conte, par devant Jehan Gaudet, tabellion royal de la chatellenie de Gonnesse estably es branches de Vémars et de Chennevières, en présence de Simon Lardez et Jacques Gauger, marchans demeurant audict Sainct-Léger et Christofle Gabrieux, masson demeurant à Plailly, tesmoins à ce appellez le mardy avant midy dix huictiesme jour du mois de septembre l'an mil six cent douze.

Signé : Poulletier, marque dudict Pierre Lardé preneur +, P. Berson, M. Berson, M. Dubarle, Jacques Gauger, Simon Lardez, G. Mongé, J. Brullé, J. Gaudet.

77Aujourd'hui forêt de Laigue (Oise), au nord-est de Compiègne. 78Saint-Léger-aux-Bois, Oise, arr. Compiègne, cant. Ribécourt-Dreslincourrt. 79Val-d'Oise, arr. Montmorency, cant. Gonesse.

Noms et surnoms des habitans dudict Vémars quy mettent porcqs en ladicte forest de L'Aigle et quantitté des porcqs : Premier, Jacques Dubray, un porcq masle.................................................................

I

Germain Pigeon, treize porcqs tant masles que femelles..............................................

XIII

Sebastian Mailly, deux porcqs dont une truye........................................................... II Pierre Alix, trois porcqs....................................................................................... III Anthoine Ory, deux coches................................................................................... II Jehan Regnier l'aisné, deux porcqs masles................................................................

II

Jehan Halban fils de Gérard deux porcqs masles.........................................................

II

La veuve Anthoine Marest, une coche..................................................................... I Germain Le Moine, deux porcqs masles................................................................... II Eloy Mercerie, une coche...................................................................................... I Philippe Le Moine, trois porcqs dont deux coches......................................................

III

François Le Moine, deux porcqs............................................................................. II Pierre Le Moine, un porcq masle............................................................................ I Jehan Dumontier, deux porcqs masles......................................................................

II

Nicolas Martin, une coche.................................................................................... I Anthoine Regnard, deux porcqs dont une coche.........................................................

II

Thomas Armousin, une coche................................................................................ I Thomas Regnier, une coche................................................................................... I Jehan Laurent, un porcq masle............................................................................... I Pierre Prevost, deux porcqs dont une coche...............................................................

II

Jehan Aubert, un porcq masle............................................................................... I Jullien Cappesaincte, une coche............................................................................ I Thomas Aubry, deux porcqs dont une truye.............................................................. II Jehan Regnard, dix porcqs dont deux truyes..............................................................

X

Nicolas Chausse, deux porcqs dont une coche...........................................................

II

La veuve Pierre Roussel, un porcq masle................................................................. I Geoffroy Bimont, deux coches............................................................................... II Estienne Regnard, vingt-deux porcq tant masles que femelles.....................................

XXII

Marc Berson et Pierre Berson de Choisy, quarante-neuf porcqs, tant masles que femelles ...

XLIX

François Laurens, trois porcqs masles..................................................................... III Pierre Vilaine, une truye....................................................................................... I Sebastien Roger, deux porcqs dont une truye............................................................

II

Pierre Aubry, une coche........................................................................................ I Jehan Gaudet, quatre porcqs dont trois coches............................................................

IIII

Thomas Chaucognin, deux porcqs masles................................................................ II Marc Berson le jeune, quatorze porcqs......................................................................

XIV

Pierre Boudet, quinze porcqs.................................................................................. XV La veuve Martin Lescuier, deux porcqs.................................................................... II Pierre Martin, deux porcqs.................................................................................... II Toussaint Duru, deux porcqs.................................................................................. II Jehan Mencel, un porcq........................................................................................ I

Nicolas Naudin, deux porcqs................................................................................. II François Dubray, deux porcqs................................................................................ II Jehan Dumoutier l'aisné, cinq porcqs....................................................................... V Jehan Chaussé l'aisné, quatre porcqs....................................................................... IV Jehan Regnier le jeune, deux porcqs........................................................................ II François Choquet, deux porcqs.............................................................................. II François Berson, sept porcqs dont deux coches..........................................................

VII

Jehan Le Court, treize porcqs................................................................................ XIII Jehan Halban le jeune, deux porcqs......................................................................... II Guillaume Dubrocq, trois porcqs........................................................................... III Jehan Halban l'aisné, deux porcqs.......................................................................... II Hugues Louvet, deux porcqs................................................................................. II Germain Goquelin, un porcq................................................................................. I Vincent Poupart, trois porcqs................................................................................. III Daniel Le Conte, trois porcqs................................................................................ III Charle Marchand, un porcq................................................................................... I Pierre Doudeuil, trois porcqs................................................................................. III Thomas Frémin, treize porcqs............................................................................... XIII La veuve Daniel Berson, treize porcqs.................................................................... XIII Thomas Mesnil, trois porcqs................................................................................. III Nicolas Devoulges, huict porcqs............................................................................. VIII Macé Mesnil, deux porcqs..................................................................................... II Pierre Boutheille, deux porcqs................................................................................ II Estienne Berson, treize porcqs................................................................................ XIII Simon Gaudet, un porcq....................................................................................... I Marc Dubarle, treize porcqs................................................................................... XIII Philippe Delarue, du Mesnil80, douze porcqs............................................................. XII

VILERON, VAULAURENS ET SEURVILLIERS La veuve Anthoine Guérin, vingt-deux porcqs......................................................... XXII Jehan Brulé, trente-six porcqs................................................................................ XXXVI La veuve Charles Le Febvre, dix-neuf porcqs............................................................ XIX Sébastien Housel, deux porcqs.............................................................................. II Guillaume Le Duc, deux porcqs............................................................................. III La veuve René Clément, deux porcqs...................................................................... II Charles Michel, trois porcqs.................................................................................. III Jacques Le Tourneux, quatre porcqs........................................................................ IV La veuve Denis Le Tourneux, quatre porcqs.............................................................. IV Jacques Guillot, un porcq...................................................................................... I Germain Guillot, un porcq.................................................................................... I La veuve Jehan Guillot, un porcq........................................................................... I Jehan Ganeron, deux porcqs................................................................................... II Adam Le Duc, deux porcqs................................................................................... II Jacques Regnard, deux porcqs.................................................................................

II

Jehan Gaudet, un porcq......................................................................................... I Nicolas Martin, deux porcqs................................................................................. II Laurent Martin, un porcq...................................................................................... I Sebastien Crocquet, deux porcqs............................................................................. II

80Le Mesnil-Amelot, Seine-et-Marne, arr. Meaux, cant. Dammartin-en-Goële.

Jehan Granderue, deux porcqs................................................................................. II Pierre Guillot, un porcq........................................................................................ I Pierre Aubert, deux porcqs.................................................................................... II Jehan Ratier, un porcq.......................................................................................... I

Quantitté totalle quatre cens trente-six porcqs receuz par lesdictz preneurs le vingt-uniesme jour de

septembre mil six cens douze. ” Signé : Poulletier, marque dudit Lardé +, J. Gaudet.

Prospection Chantier Scouts de France pour 2e quinzaine de juillet

faite le 28 février 2001

1. Eaux Bonnes

(Pyrénées-Atlantiques) 05-59-05-32-69

Aucun travail à confier en juillet (et accueil peu sympathique)

2. Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées)

05-62-92-81-40 Contact : Mr BORDEROLLE, responsable technique.

Accord de principe sous réserve de vérifier la bonne garantie des assurances. Propositions : élagage, fauchage et nettoyage des berges du Gave de Pau (ou d’un ruisseau adjacent) Matériel fourni : hachettes, débrouissailleuse, tronçonneuse Plusieurs types d’opérations certaines réclamant de la vigilance d’où le souci de Mr Borderolle de savoir si l’assurance des Scouts de France couvre bien les risques possibles. Par ailleurs, un emplacement de camping est proposé (proposition valable même si le groupe de Venoix déclinait l’offre de chantier). Fournir à Mr Borderolle une réponse de principe dans les quinze jours à trois semaines.