Au détour des archives de Louis Eloy

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208 _ La collection Louis Éloy I VAN J ADIN , A NNE H AUZEUR ET R OLAND R AYNAUD AU DéTOUR DES ARCHIVES DE LOUIS éLOY Louis Éloy a procédé à un premier rangement de ses notes de fouille, tout aussi bien de ses manuscrits, ses photos, ses dessins ou sa riche documentation. Il faut souligner que Louis Éloy n’avait pas de passion que pour le Néolithique ancien. Sa collection témoigne qu’il avait rassemblé des vestiges archéologiques du Paléolithique jusqu’à la période romaine, bien ciblée sur des sites phares, anciens et nouveaux, essentiellement belges, avec des comparaisons européennes et internationales… Il possédait également une bibliothèque considérable et des photographies remarquables représentant des archéologues et des chercheurs sur le vif. L’Omalien n’occupait qu’une partie de ses loisirs et de ses nuits. Au fur et à mesure qu’il écrivait ses notes ou ses articles, Louis Éloy classait sa documentation: des notes de terrain, jusqu’à des articles complets sous sa plume, constituant un fonds qu’un archiviste qualifierait de “fouillis”, mais aussi des pans de documentation bien rangés. Tout était mis dans des fardes, des chemises, des boîtes ou rouleaux en carton sur des rayonnages dans la deuxième belle pièce à rue, qui donnait dans le même corridor face à son musée privé. Il se maintenait dans ce bureau de travail quand il dessinait – accompagné de son épouse – ou compulsait du courrier.Louis Éloy avait conscience d’ordonner sa collection – son “Cabinet d’amateur” – et d’organiser sa succession depuis longtemps. Peut-être pas depuis le début de ses fouilles ou suivant les personnes qu’il accompagnait. Preuve en est, le croisement de la liste des “fonds de cabane” de sa collection et ce qu’il a laissé comme archives sur ces fosses: elles mentionnent des “fonds de cabane” qui, à la fin des travaux en commun de fouille, rejoignaient d’autres col- lections et qui risquent d’être un jour déversées aux ordures à l’occasion d’un héritage. D’autant plus que les fouilleurs avaient l’habitude de nommer les “fonds” de tel lieu-dit sous une dénomination commune, d’où source de méprise. En ce qui concerne le mouvement danubien vu à travers le regard de Louis Éloy, deux points sautent aux yeux: les documents originaux des notes de fouilles ne sont développés que pour Vaux-et-Borset et les environs, ainsi que l’achat de la collection archéologique du vivant encore d’André Thily à Hannut en 1991 (archives Louis Éloy, en abrégé ALE, pièce n° 52-8). Effectivement, sur les quelque trois mille fiches d’inventaire sur le Danubien de la collection Louis Éloy, 8 % traitent de Dommartin, 15 % de Chapon-Seraing, et les 2/3 de Vaux-et-Borset. Une dizaine de pourcentages se distribuent dans des lieux comme Tourinne, Bergilers, Omal, Limont, Latinne, Fexhe-Slins et Les Waleffes. Sur un autre mode de calcul, la collection d’André Thily représente 11 % de la collection Éloy. La démonstration devient évidente: le fouilleur se mue, une fois rentré à Namur, en collectionneur. Cela confirme qu’il cède une partie des résultats des fouilles à d’autres fouilleurs pour se réserver Vaux-et-Borset et ses environs. Louis Éloy n’avait pas une carte cadastrale en tête, seuls comptaient les villages omaliens. C’est ainsi que, devant la profusion du matériel lithique, dont les remontages s’esquissaient déjà dans la tête du fouilleur, il aurait obtenu le 19 e atelier des mains de Joseph Destexhe- Jamotte, lui-même étant amateur de céramiques. Fig. 188 – Vaux-et- Borset, pièce 2-2. Archives Andre Thily, 1934-1966, “Documents de fouilles de M. Thily”: recopiage d’un plan parcellaire d’époque. Rouleau papier calque; 76 x 23 cm.

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208 _ La collect ion Louis Éloy

i v a n J a d i n , a n n e H a u z e u r e t r o l a n d r a y n a u d

Au détour dEs ArChivEs dE louis éloy

Louis Éloy a procédé à un premier rangement de ses notes de fouille, tout aussi bien de ses manuscrits, ses photos, ses dessins ou sa riche documentation. Il faut souligner que Louis Éloy n’avait pas de passion que pour le Néolithique ancien. Sa collection témoigne qu’il avait rassemblé des vestiges archéologiques du Paléolithique jusqu’à la période romaine, bien ciblée sur des sites phares, anciens et nouveaux, essentiellement belges, avec des comparaisons européennes et internationales… Il possédait également une bibliothèque considérable et des photographies remarquables représentant des archéologues et des chercheurs sur le vif. L’omalien n’occupait qu’une partie de ses loisirs et de ses nuits.

Au fur et à mesure qu’il écrivait ses notes ou ses articles, Louis Éloy classait sa documentation: des notes de terrain, jusqu’à des articles complets sous sa plume, constituant un fonds qu’un archiviste qualifierait de “fouillis”, mais aussi des pans de documentation bien rangés. Tout était mis dans des fardes, des chemises, des boîtes ou rouleaux en carton sur des rayonnages dans la deuxième belle pièce à rue, qui donnait dans le même corridor face à son musée privé. Il se maintenait dans ce bureau de travail quand il dessinait – accompagné de son épouse – ou compulsait du courrier.Louis Éloy avait conscience d’ordonner sa collection – son “Cabinet d’amateur” – et d’organiser sa succession depuis longtemps. Peut-être pas depuis le début de ses fouilles ou suivant les personnes qu’il accompagnait.

Preuve en est, le croisement de la liste des “fonds de cabane” de sa collection et ce qu’il a laissé comme archives sur ces fosses: elles mentionnent des “fonds de cabane” qui, à la fin des travaux en commun de fouille, rejoignaient d’autres col-lections et qui risquent d’être un jour déversées aux ordures à l’occasion d’un héritage. D’autant plus que les fouilleurs avaient l’habitude de nommer les “fonds” de tel lieu-dit sous une dénomination commune, d’où source de méprise.

en ce qui concerne le mouvement danubien vu à travers le regard de Louis Éloy, deux points sautent aux yeux: les documents originaux des notes de fouilles ne sont développés que pour vaux-et-Borset et les environs, ainsi que l’achat de la collection archéologique du vivant encore d’André Thily à Hannut en 1991 (archives Louis Éloy, en abrégé ALe, pièce n° 52-8). effectivement, sur les quelque trois mille fiches d’inventaire sur le Danubien de la collection Louis Éloy, 8 % traitent de Dommartin, 15 % de Chapon-Seraing, et les 2/3 de vaux-et-Borset. une dizaine de pourcentages se distribuent dans des lieux comme Tourinne, Bergilers, omal, Limont, Latinne, Fexhe-Slins et Les Waleffes. Sur un autre mode de calcul, la collection d’André Thily représente 11 % de la collection Éloy. La démonstration devient évidente: le fouilleur se mue, une fois rentré à Namur, en collectionneur. Cela confirme qu’il cède une partie des résultats des fouilles à d’autres fouilleurs pour se réserver vaux-et-Borset et ses environs.

Louis Éloy n’avait pas une carte cadastrale en tête, seuls comptaient les villages omaliens. C’est ainsi que, devant la profusion du matériel lithique, dont les remontages s’esquissaient déjà dans la tête du fouilleur, il aurait obtenu le 19e atelier des mains de Joseph Destexhe-Jamotte, lui-même étant amateur de céramiques.

Fig. 188 – vaux-et-Borset, pièce 2-2. Archives Andre Thily, 1934-1966, “Documents de fouilles de M. Thily”: recopiage d’un plan parcellaire d’époque. Rouleau papier calque; 76 x 23 cm.

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C’est ainsi qu’il a obtenu le “fond de cabane” de Bergilers, comportant des lames brisées par une fracture “en nacelle” et le début d’une publication spécialisée. Il était lithicien avant tout, plutôt que céramologue. Sur la fin de sa vie, il montrait de superbes vases, produits de ses fouilles, mais dont une partie venait d’André Thily.

Il se flattait d’avoir pu conserver la collection d’André Thily avec ses propres archives – très bien tenues pour l’époque –, et avec la même constance déjà. Ces efforts de cartographie avaient été poursuivis par Louis Éloy. Cependant, avouait-il, aucune publication d’ensemble n’avait été couronnée de succès (ALe, liasse 2, par exemple, les pièces nos 2-1 et 2-2; fig. 188). Néanmoins, les “fonds de cabane” de la “Cité Charlier” des fouilles d’edmond Rahir, de Ferenc von Tompa, d’André Thily, repris par celui-ci, constitue le début des recherches de Louis Éloy à vaux-et-Borset. C’est un peu plus de 80 ans de recherches sur l’omalien sur la commune! Dans ces archives, Louis Éloy a réalisé plusieurs plans

de synthèse, à différents stades d’accomplissement autour de deux emplacements, qui tournent autour des villages voisins de vaux-et-Borset et de Chapon-Seraing. Il a même repris dans des publications de certaines autres personnes des indications précises et les a reporté sur du papier millimétré pour essayer de les assembler avec les siennes (ALe, pièce n° 76-8-1).

L'archiviste propose de regrouper les documents sur le Néolithique ancien en cinq points.

Les carnets d'exploration, tout comme les inventaires d’André Thily, font partie de nos jours des archives de Louis Éloy, parce qu’il acquit une partie de celles-ci et parce que lui-même a recopié, complété et ajouté de l’information, qui lui était personnelle. André Thily avait noté ses propres fouilles avec la même justesse que Louis Éloy (exemples: ALe, pièces nos 2-14 et 2-15; fig. 189 et 190). Il y a une Guerre mondiale entre les deux hommes, mais pas d’amélioration dans les méthodes de fouille…

Fig. 189 – omal, pièce 2-15: rapports de

fouilles d’André Thily, “Fond de cabane fouillé

dans le champs de Mr Ferrette à omal”,

26/07-03/08/1934. Livre de compte

(polycopie format 42 x 29,7 cm).

Fig. 190 – vaux-et-Borset, pièce 2-14,

page 6: rapports de fouilles d’André Thily

à vaux, fosses 10 et 13, 24/01/1935 et

22/03/1936. Livre de compte

(polycopie format 42 x 29,7 cm).

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Dans ses fardes propres, l’archiviste distingue quatre types de pièces: les notes volantes prises sur le terrain, la localisation des fosses au moyen d’une chaîne d’arpenteur, d’un prisme pour déterminer les angles droits, et d’une boussole avec viseur, pour évaluer les angles, les plans des “fonds de cabane”, sur papier libre, et le recopiage de ceux-ci ainsi que des mises au net de plans de fouilles. Les trois premiers types présentent une pliure en trois ou en quatre pour se glisser dans une poche d’un bleu de travail ou dans un petit carnet de croquis précieusement rangé dans son sac à dos. Il privilégiait le papier crème à celui quadrillé. Pêle-mêle se retrouvaient les croquis des “fonds de cabane” ou des relevés topographiques sur une face, et des notes telles des personnes à contacter, des numéros de téléphone, des horaires d’autobus, recopiés à la main. Tantôt, ce sont différents repères dans le paysage, tels des clochers, une ligne électrique,

Fig. 191 – vaux-et-Borset, pièce 118-2-14-5 (verso): sans titre et sans date. Note manuscrite: horaires autobus et divers. Feuille pliée et découpée de 11 x 10,5 cm.

Fig. 192 – vaux-et-Borset, pièce 118-2-14-8 (recto/verso): sans titre et sans date. Note manuscrite: croquis (plan) sur le terrain de la fosse I; notes diverses (numéros de téléphone, horaires d’autobus). Feuille pliée et découpée de 21 x 12 cm.

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Fig. 194 – vaux-et-Borset, pièce

118-4-1 (verso): “vaux et Borset, repérage 1961”.

Note manuscrite: croquis (plans,

emplacements) des fosses xLII, xLIII, xLv, L

et d’autres empla-cements prometteurs.

Feuille pliée de 27,5 x 21,5 cm.

Fig. 193 – vaux-et-Borset, pièce 118-2-15-14 (verso/recto):

“1962 mars. Terrain Limbrée.”/“Terrains de M. Limbrée. Nouveau repérage 1961.” Note manuscrite: croquis (plan, emplacement) des fosses xLIv, xLvI, xLvII et xLIx.

Feuille pliée de 27,5 x 21 cm.

des noms de villages, des parcelles, évoquant une saison de récoltes ou au moment de ses explora - tions: “betteraves” ou “prairie” (exemples des notes volantes: ALe, pièce nos 118-2-14-5 verso, 118-2-14-8 recto/verso; fig. 191 et 192).

Louis Éloy avait le trait sûr et ne s’encombrait pas d’un papier ligné. Il dessinait les reports de longueur donnés le plus souvent par une chaîne d’arpenteur. Il indique aussi les remontées à la surface de matériels archéologiques concentrés – nommés “Marque Noire” ou “repérage” – qui sont mis en réserve pour une année ultérieure (exemples: ALe, pièces nos 118-2-15-14 recto/verso, 18-2-15-16, 118-2-15-39 verso, 118-4-1 verso; fig. 193-195). Les scientifiques se rendent compte que mis les uns à la suite des autres se dessine une carte complète des sites exploités par Louis Éloy [voir Jadin & hauzeur, ce volume, p. 18: fig. 10]. Il revient à plusieurs reprises sur ces notes et les complète. Par exemple, le peson en terre cuite qu'il exhume d'une fosse le fait hésiter. Il réalise un dessin au crayon, puis conclut à plusieurs années de distance que c’était un poids de métier à tisser de La Tène (ALe, pièce no 118-2-15-14 verso; fig. 193).

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Fig. 195 – vaux-et-Borset, pièce 118-2- 15-39 (verso-recto): “Fond xI - 25/Ix/55.” Note manuscrite: croquis (plan, empla-cement) et inventaire de la fosse xI ou x. Feuille pliée de 27,5 x 21,5 cm.

Fig. 196 – vaux-et-Borset, pièce 118-2-15-38-1 (recto): “Fond n° xxIII.”, sans date. Note manuscrite: croquis (plan, coupes, distances) de la fosse xxIII. Feuille pliée de 27,5 x 21 cm.

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Le point phare de la fouille se déroulait sur les mêmes bases: un plan, une, deux et même trois coupes avec les zones marquantes au niveau de la couleur (exemples: ALe, pièces nos 118-2-15-18-2, 118-2-15-22-1 et -2, 118-2-15-38, 118-2-15-39 recto; fig. 195-197). L’inventaire de la fosse suit directement dans le temps, sur place ou directement à Namur. Comme les notes de fouilles sont pliées, la véracité de l’action peut être garantie. Sur base de ces notes, vient le temps de l’inventaire dans un cahier à part, dur labeur d’un temps sans photocopieuse, avec tous les aléas du recopiage.

on découvre que Louis Éloy a dû recopier les anciens plans de fosse sur de nouvelles feuilles, mieux disposées. Non seulement, quelques traits de plume indiquent

que certaines feuilles devaient être destinées à la pou-belle, ce qui avait échappé à la vigilance de Louis Éloy. Mais, ces plans se trahissent par l’absence de pliure et le bon état général du support (exemples: ALe, pièces nos 118-31 recto-verso, 118-32 recto; fig. 198 et 199). L’archiviste se méfie de ce procédé car il présente des fautes d’inattention, même chez Éloy, si pointu. De plus, il n’est pas garanti que le fouilleur n’ait pas enjolivé ses notes au fruit de ses lectures…

Nous apprenons dans ces notes que deux photo-graphies avaient été prises, montrant deux fragments de céramique que nous n’avons pas retrouvés à la veille de la publication de ce catalogue. Mais nous sommes confiants en l’avenir: les archives sont protégées et les découvertes pleuvent encore…

Fig. 197 – vaux-et-Borset,

pièce 118-2-15-22-1 (recto-verso).

“Fond xLvI. vaux Borset.

Achevé le 10/Ix/61 et le 17/Ix/61.” /

“Inventaire du Fond xLvI. vaux Borset.”, partie 2.

Note manuscrite: croquis (plan, coupes)

et inventaire de la fosse xLvI. Feuille pliée de

21 x 33 cm.

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Fig. 198 – vaux-et-Borset, pièce 118-31 (recto-verso). “3e agglomération omalienne de vaux et Borset. Fosse ou Foyer n° xv.”, sans date. Feuille manuscrite: croquis (plan, coupe) et inventaire de la fosse xv. Feuille de 27,5 x 21,5 cm.

Fig. 199 – vaux-et-Borset, pièce 118-32 (recto). “3e agglomération omalienne de vaux et Borset. Fosse ou Foyer n° xvI.”, sans date.Feuille manuscrite: croquis (plan, coupes) et commentaire fosse xvI. Feuille de 27,5 x 21,5 cm.

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