Analysis of the evolution of the spa industry: the consequences of the logic of seduction...
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Analyse de l’évolution du secteur
de la thalassothérapie : les
conséquences de la logique de
séduction employés-clients
Analysis of the evolution of the
spa industry: the consequences
of the logic of seduction
employee-customer Rachid Amirou†, Bertrand Pauget*1 et Ahmed Dammak**
* European Business School (France)
** Groupe ESC Troyes
Résumé : Notre étude porte sur le secteur de la thalassothérapie. Celui-ci s’est
construit à partir de l’amalgame entre les métiers du tourisme et ceux de
la santé. Or, la thalassothérapie connaît actuellement des transformations
significatives avec l’arrivée dans le capital des entreprises de grands
groupes de l’hôtellerie. La logique médicale des métiers s’estompe au
profit d’une logique touristique centrée sur le bien-être du client. Nous
constatons que les métiers de service sont désormais régis par une
relation de séduction entre les employés et les clients. Ce type de relation
est déstabilisant pour les organisations. Nous mettons en évidence trois
réactions de la hiérarchie : une posture de retrait où la logique
traditionnelle du métier reste vivace; une posture de participation à
l’organisation via la culture de l’organisation, une posture de
reconstruction et de redéfinition de son métier centrée autour de la
séduction. Notre étude qualitative se base sur quatre sites tunisiens.
† Nous souhaitons rendre hommage à notre collègue et ami Rachid Amirou, sociologue
décédé le 9 janvier 2011.
1 Corresponding author : [email protected]
Mots-clés :
Tourisme, santé, relation, logique de séduction, métiers.
Abstract :
Our study focuses on the area of the thalassotherapy. It was built
from the amalgamation of the business tourism and the sector of health.
Medical logic trades fades in favor of a tourist-centered logic well-being of
the client. We find that the service professions are now governed by a
seductive relation between employees and customers. This type of relation
is destabilizing for organizations. We highlight three reactions of the
hierarchy: an attitude of withdrawal where the traditional logic of the
trade is still alive, an attitude of participation in the organization through
the organizational culture, a posture reconstruction and redefinition of its
business focus about seduction. Our qualitative study is based on four
Tunisian sites.
Key-words:
Tourism, health, relationships, logic of seduction trades.
Introduction
Depuis la fin des années soixante-dix, le tourisme de santé puis de bien-
être s’est imposé comme un élément tangible du secteur touristique. La
France a mis en valeur ses larges façades maritimes et figure désormais
comme le premier acteur mondial de la thalassothérapie. La montée en
puissance de cette forme de tourisme est récente : les établissements
sont relativement jeunes (deux tiers des sites ont moins de vingt ans) et
concentrés (70% de l’accueil des curistes se situe le long de la façade
atlantique).
Le secteur de la thalassothérapie génère en actuellement 240
millions de chiffre d’affaires par an (cures et hébergements inclus) et
attire 323 000 curistes par an (rapport du ministère du tourisme). Ce
phénomène n’est pas qu’européen, on constate en effet une évolution
similaire en Tunisie. Elle occupe la seconde place au monde avec 200 000
clients et 45 centres (auquel on doit ajouter une dizaine en cours de
construction) principalement situés à Djerba et Hammamet.
Le secteur est partagé entre des petites PME familiales et créées
parfois autour de noms de célébrités (par exemple le centre Serge
BLANCO)2, des centres plus spécialisés et regroupés en enseigne, et les
grands groupes industriels tel Accor ou encore des chaînes d’Hôtels (Abou
Nawas Hôtels). Cette volonté de grands groupes d’investir dans la
thalassothérapie peut amener des transformations. Le secteur s’est en
effet bâti autour de deux logiques à part égale : celles du tourisme visant
à assurer un taux d’occupation satisfaisant et une vision médicale
désormais tournée vers le bien être des touristes3.
Les établissements de thalassothérapie ont été initialement créés
dans une optique médicale afin d’accueillir des patients en rééducation :
citons ainsi le cas du cycliste Louison Bobet qui participa activement au
développement du thermalisme à Quiberon après en avoir découvert ses
bienfaits suite à une blessure en 1964. Cette genèse médicale de la
2Du nom de l’ancien capitaine de France de Rugby. 3 Il existe trois types de clientèles dans la thalassothérapie : les rééducations cliniques,
les cures pré et post natales et les séjours de bien-être. Ces derniers constituent
désormais la clientèle la plus importante des centres. Ce sont des actifs (en moyenne âgé
de 35 à 50 ans) urbains et de catégorie sociale professionnelle la plus élevée (Csp +).
thalassothérapie n’a pas totalement disparu. « La mer guérit les maladies
des hommes » : cette citation d’Euripide, reprise par un site Internet
rassemblant des offres de Thalassothérapie, en donne une illustration. Ce
rapprochement s’est opéré au sein de ce secteur par le progressif
amalgame des médecins, des kinésithérapeutes (des métiers de santé) et
ceux du tourisme. Les récriminations sont nombreuses face aux
médecines parallèles (acuponcture…) ou encore activités dites
« déstressantes » tels les Spas ou les centres de beauté épargnent la
thalassothérapie. Comme si les critiques qui s’abattaient dans l’intérieur
des terres se noyaient au contact de l’océan.
Toutefois, on pourrait dire que la thalassothérapie est en voie de
banalisation car les centres calquent leurs offres sur celle des centres de
bien-être. La quasi-totalité des établissements offrent désormais des
séjours « antistress » de « remise en forme » ou encore « minceur » dont
l’efficacité thérapeutique sur quatre jours (la durée moyenne des séjours)
reste à démontrer.
Il y a désormais un glissement des métiers de la santé vers les
métiers du bien-être, avec des conséquences consuméristes : on en veut
pour son argent, le personnel soignant est perçu comme au service du
client- malade ou tout simplement « stressé ». Les métiers sont exposés à
une logique de séduction ; le consommateur qui cherche à être choyé joue
parfois du pouvoir dont il dispose sur les employés.
Nos résultats se basent sur une analyse qualitative et exploratoire
de quatre sites situés en Tunisie. Nous constatons que les frontières des
métiers du soin et du tourisme se modifient sous l’effet de nouvelles
interactions avec le client. Les logiques de séduction qui peuvent en
résulter sont souvent déstabilisantes pour l’industrie du tourisme,
notamment dans l’organisation des services.
Notre étude nous a amené à interroger le personnel soignant
d’abord puis et les managers des centres pour comprendre leurs modalités
relationnelles au sein de leurs établissements. Le point d’entrée de notre
étude était de voir l’évolution des métiers, modifiés par la logique de
séduction, pour en saisir les conséquences.
Nous cherchons à comprendre à travers cette étude qualitative et
exploratoire (Yin, 1994):
-L’évolution des métiers du soin et du tourisme transformés par
une logique relationnelle dominée par la séduction.
-Et l’adaptation des dirigeants des centres à ces phénomènes
Nous mettons en évidence trois réactions de la hiérarchie pour faire
face à la montée de la séduction au sein des métiers des centres de
thalassothérapie : une posture de retrait où la logique traditionnelle du
métier reste vivace ; une posture de participat ion à l’organisation via la
culture de l’organisation ; une posture de reconstruction et de redéfinition
de son métier centré autour de la séduction.
1 Du concept de métier traditionnel à un
métier régi par la notion de service rendu
au client
La littérature présente souvent (I-1) le métier comme intimement associé
à un employé dans un cadre professionnel. Pourtant, il nous faut pour
comprendre l’évolution des métiers, prendre en compte la notion de
service rendu au client (1-2, 1-3) qui est le nouveau référentiel des
dirigeants pour favoriser ou stopper les évolutions en cours au sein des
métiers. Les critiques classiques considèrent que le fait de placer le client-
roi au centre de leurs décisions est un leurre destiné à faire adhérer les
employés à une organisation. Cet adage a malgré tout un fondement réel
dans les relations de service. Le client a changé en trente ans, soit depuis
l’apparition du tourisme de masse dans le secteur de la thalassothérapie,
et ses exigences peuvent constituer un point d’entrée pour une analyse
des modifications des métiers des employés.
1.1Le concept de métier
Historiquement, le concept de métier date du moyen âge où il désigne une
spécialisation dans le travail et une position sociale. Mais son emploi s’est
multiplié au point de devenir un mot banal mais aux réalités différentes
(Demailly, 2008). Piotet (2002 : 3) note ainsi que le terme est souvent
utilisé dans des sens parfois contradictoires. Le métier est tout à la fois
une profession, une tâche, une vision technique voire une contestation de
cette vision technique (ce sont les « nobles » métiers d’antan que l’on
oppose parfois aux métiers d’ouvriers jugés dé qualifiants).
Le métier peut être appréhendé selon trois variables (Piotet, Op.
Cit.) :
Le métier répond à une qualification qui permet de créer des
branches professionnelles distinctes les unes des autres. La
division du travail (Durkheim, 1998), tout autant que la
technologie ont favorisé la spécialisation et la création de
métiers qui sont aujourd’hui toujours sujet à renégociation pour
trouver leur place au sein de la société.
Le métier fait référence à un individu qui se définit par rapport à
lui. Il y a une trajectoire personnelle. Œuvrer dans un métier,
c’est donner du sens à ses expériences et à sa pratique.
Le métier appelle au développement de compétence technique
pour faire face à des situations de travail plus ou moins
complexes. L’acteur entre en interaction permanente avec ses
collègues œuvrant ou non dans le même métier.
Dès lors, notre vision du métier renvoie à l’idée que l’acteur doit
multiplier les relations : le métier est par essence relationnel (Pauget,
2006).
Le métier s’inscrit dans la cadre régulateur de l’organisation
participant à l’équilibre des différents métiers entre eux. Mais ce cadre n’a
de sens dans le secteur du tourisme que s’il s’inscrit dans une relation de
service. C’est elle désormais qui est apte à modifier les frontières et le
contenu des métiers.
1.2 La relation de service dans les métiers
Laville (2003) montre que la relation de service concerne aujourd'hui
l'ensemble de l'économie, secteur industriel compris. Face à une
concurrence accrue, les entreprises tentent de faire la différence par les
prestations (conseil, après-vente, etc.) qu'elles offrent à leur clientèle. Les
métiers du tourisme ne font pas exception. Le champ du tourisme est
vaste, selon une étude du Cereq de 2006, il englobe de nombreuses
branches professionnelles (hôtels, transport, billetterie, loisirs, etc.).
D'une manière générale, il ressort une image négative de ces métiers qui
est liée au niveau de rémunération, aux conditions de travail, et à son
utilité sociale. Ils ont une mauvaise image car le produit du travail ne peut
se mesurer ou s’estimer de façon stable et continue.
Pourtant, une étude conduite par nos soins en 2006 révèle que ces
métiers sont vécus ou représentées par les gens qui y travaillent comme
étant de passion et de contact. Cette dimension relationnelle prédomine et
paraît primordiale dans le choix de ces métiers, mais il s'agit d'une quête
identitaire de valorisation car dans le même temps l'image du « larbin »
ou de la servitude restent omniprésents dans les imaginaires. Ces métiers
oscillent entre la notion noble de servir au sens d'aider et d'être utile et
l'autre notion héritée du statut de domestique où il faut être « au service
de ». Comme le note une sociologue « Les significations de « servir »
s’étendent sur toute une graduation qui va de la fonction la plus noble
(servir une cause), à la plus servile (se faire servir) ». « Cette
ambivalence peut être exprimée de façon condensée par les deux
expressions : « rendre service » et « être au service de ». Rendre service
à autrui est un acte choisi et valorisant, alors qu’être au service d’autrui
est une situation contrainte et passive de subordination »4.
Ces deux dimensions se trouvent dans un rapport d’opposition et
d’intrication qui explique une partie du malaise des métiers dits de service
et surtout de contact direct avec le public ou les clients.
1.3 Les métiers et la logique de séduction
Comme nous l’avons mentionné dans nos précédents travaux (Auteur,
2008), le tourisme postmoderne se caractérise entre autres par un aspect
maternant : on recherche des bulles touristiques protégées quelquefois
4Aurélie Jeantet « À votre service ! » La relation de service comme rapport social »,
Sociologie du travail 45 (2003) 191–209. p. 2000.
régressives (prise en charge totale) telles les croisières et les clubs où tout
contact avec l’extérieur est fui. On attend des services sur-mesure,
personnalisés et bien sûr à des prix discount5.
De plus en plus de touristes veulent être protégés tout simplement
et ne pas être dérangés pendant leurs vacances6. Mais au-delà de cet
aspect pratique, il existe un attrait pour ces coupures temporelles et
spatiales, souvent imaginaires, car il s’agit plus d’un état d’esprit. Les
sondages sur les motivations de départ en vacances parlent de rupture,
de coupure, avec le quotidien comme motif important.
Cela nécessite un holding, à savoir une empathie, se mettre à la
place du consommateur pour comprendre les freins possibles. Prendre au
sérieux le stress du consommateur dans certains cas (peur de l’avion…).
Concrètement cela consiste à simplifier la proposition touristique
(package…), à la rendre plus lisible, accessible, ne demandant aucune
compétence particulière, et qui n’instaure pas une barrière entre initiés et
non-initiés. Aussi est-il utile de « manager » les affects que peut générer
une expérience récréative nouvelle en mettant en place des rites d'accueil
(ce que Winnicott appelle un Holding) qui accompagnent et rassurent le
visiteur.
L’un des moyens en est la mise en place d’une logique de séduction.
Elle s’oppose à l’empathie (Apfledorfer, 2006). Elle fonctionne dans le
présent et est caractérisée par un mécanisme de fascination proche
parfois de la pensée magique (Demailly, 2008). Elle n’est pas à
proprement parler mesurable mais laisse une émotion, un affect chez les
sujets qui ont été en contact avec cette séduction : il est donc plus aisé en
terme méthodologique pour construire notre grille de lecture de
5 Voir le numéro de Cahiers & espaces de décembre 2001. 6 Donald W. Winnicott nous aide à comprendre les soubassements psychologiques de
cette attitude. Selon lui, le jeu de l'enfant est l'expression d'une relation de confiance
établie avec l'espace et l'entourage immédiat. Le bébé, confronté à la séparation
nécessaire avec sa mère, va conjurer cette épreuve en ayant recours à des objets de jeu
que justement sa mère met à sa disposition en s'attendant à ce qu'il s'y attache avec
passion. La fonction de ces objets est de permettre une transition; l'enfant va passer de
l'état d'union avec la mère à l'état de séparation, où il est toujours en relation avec elle,
mais en tant que quelque chose d’extérieur et de séparé. L'objet transitionnel est ce qui
permet ainsi de supporter la séparation. Il facilite la transition entre la symbiose mère/
enfant et du couple séparé mère/enfant, d'où son nom d'objet transitionnel. Cet objet
transitionnel est selon Winnicott le prototype même de l'objet culturel que connaîtra plus
tard l'adulte.
s’intéresser à ses composantes qu’à vouloir la mesurer précisément. La
séduction repose sur au moins deux caractéristiques qui constituent sa
logique :
La première est un aspect hyperréaliste où le règne du « comme
si» c’était vrai et authentique. Il est plus un simulacre
d’authenticité que l’authenticité elle-même qui peut être
quelquefois anxiogène. Il peut être trop crue, trop vraie, trop
déstabilisante (pauvreté, coutumes choquantes...). Comme au
théâtre, ce qui compte ce n’est pas le réalisme des drames
joués, mais l’effet sur le spectateur : cela se vérifie aussi dans le
tourisme, ce qui compte c’est l’effet d’ancienneté ou de rusticité
perçue et non l’authenticité des objets anciens et typiques
exposés.
La seconde tient en la construction d’une relation
temporellement limitée et basée sur la séduction : ainsi si l’on
prend l’exemple d’un employé d’une agence de voyage, il se fait
le confident/l’ami le temps de la vente. Il ou elle conseille et
oriente (en fonction de destinations qu’elle a à vendre) mais
cela est présenté comme une « vraie » bonne affaire qui
prendre « vraiment » en compte les besoins du client7. C’est cet
investissement émotionnel et relationnel –et ses conséquences-
que nous étudions dans le cadre du secteur de la
thalassothérapie.
7 Ces logiques de séduction ont été utilisées dans les entreprises notamment en
marketing mais touchent désormais les ressources humaines comme en témoigne ce site
web http://www.focusrh.com/article.php3?id_article=1411 (consultation janvier 2011)
où l’on vante les « lois de la séduction et de l’attraction » pour attirer des collaborateurs
dans l’entreprise. Les conserver nécessite une mise en place typique du holding.
Désormais même les chefs d’entreprise de PME parlent aussi de séduction
professionnelle : « au travail comme dans notre vie de tous les jours, on séduit. Séduire
se résume tout d’abord par essayer de charmer, de convaincre son interlocuteur, de le
rallier à sa cause. L’apparence va forcément de paire avec la séduction. Séduire
s’apparente à un jeu. » (voir : http://www.netpme.fr/communication/1102-seduction-
professionnelle.html , même date de consultation).
2 Méthodologie et Résultats
Le secteur de la thalassothérapie relève d’un choix. Il nous semblait en
effet qu’il était particulièrement intéressant au regard des évolutions en
cours car le confinement (l’employé et le client sont à proximité pendant
les vacances du client) et le relationnel fort (nous sommes dans des
métiers où le toucher et où les contacts sont nécessaires). La logique de
séduction y a donc une importance particulière.
Dans un premier temps, nous allons présenter les sites et décrire
notre méthode avant de présenter nos résultats.
2.1 Description des sites et de la méthode utilisée
Notre étude sur le secteur de la thalassothérapie s’est effectuée en deux
temps. Premièrement, nous avons mené une première analyse qui s’est
révélée infructueuse. Deuxièmement, nous avons modifié notre approche
du terrain pour envisager les logiques de séduction comme moteur des
transformations des métiers et des organisations dans le secteur de la
thalassothérapie.
Nous avons constitué un premier échantillon de deux en France (un
centre indépendant et un appartenant à une grande chaîne hôtelière) et
un en Tunisie. Nous avons adressé une demande de collaboration à
l’étude via la Fédération française de Thalassothérapie. Notre choix s’était
porté initialement sur des centres qui proposaient des offres
d’hébergement en plus de l’offre de soins. Deux centres ayant des profils
différents, l’un étant un centre de thalassothérapie indépendante et l’autre
appartenant à une grande chaîne hôtelière nous ont répondu. Nous avons
complété cet échantillon en y adjoignant un centre français de
thalassothérapie situé au sein d’un hôtel tunisien.
L’étude avait été menée par le biais d’un questionnaire ouvert
soumis aux membres de ces centres8. Nous avons pu récolter les
témoignages de quatorze personnes qui constituaient un nombre
suffisamment représentatifs de personnes. L’échantillon couvrait tous les
profils existant au sein de ce genre de centre, puisqu’on a réussi à avoir
les témoignages de professions médicales et paramédicales (médecin,
kinésithérapeute, ostéopathe), de métiers spécifiques à la
thalassothérapie (thalassothérapeute, hydrothérapeute), de métiers
annexes (diététicien, hygiéniste, esthéticienne, moniteur de sport) et de
métiers d’encadrement (directeur, responsable soigneurs). Notre
problématique était centrée sur la convergence des métiers du soin et du
tourisme. Plusieurs éléments résultent de cette étude initiale :
Les variables culturelles semblaient peu affecter nos résultats
(pas de différence majeure dans les résultats entre les
répondants qu’ils viennent de France ou de Tunisie mais une
accentuation des phénomènes notés).
En France, la notion de soin était ainsi beaucoup plus affichée
alors que les tunisiens se sont comparativement plus engagés
dans le service du bien-être.
Les résultats préliminaires étaient globalement assez pauvres en ce
sens qu’ils montraient mal le pourquoi des évolutions des métiers du soin
et du tourisme. Une des personnes interviewée a attiré notre attention sur
le fait que nous ne prenions pas vraiment la mesure des évolutions en
cours : il manquait une dimension relationnelle primordiale, la relation au
client. Fort de ce constat, nous avons élaboré un nouveau questionnaire
centré sur les évolutions du client, de ses attentes et de l’évolution des
8 Le questionnaire était élaboré comme suit : certaines questions avaient trait aux
expériences du répondant dans le secteur et le secteur médical plus large, d’autres à leur
pratique actuelle du métier et d’autres à leur ressentiment quant à leur métier et son
évolution. Nous leur avons ainsi demandé de comparer leur pratique de soin en
thalassothérapie et ce qu’elle aurait été dans un autre métier du soin ; de développer les
adaptations de leur pratique qu’ils ont eu à faire pour s’adapter à ce type de soins ; de
lister les qualités nécessaires pour ce métier et les principaux avantages et inconvénients
de l’exercice en thalassothérapie. Nous avons essayé de développer ces questionnements
autour de leur relation avec les patients et avec leur hiérarchie et avec leur pratique
même des soins. Nous avons aussi sondé les répondants quant à l’impact sur leur
pratique de leur travail dans un secteur à mi-chemin entre le Tourisme et la Santé, nous
les avons d’ailleurs fait réagir quant à cette dualité. Et enfin nous tenté de faire ressortir
leur perception de l’évolution de leur métier et du secteur de la thalassothérapie en
général.
métiers face à ces attentes. Toujours à l’aide d’un questionnaire9, nous
avons poursuivi notre étude auprès du personnel (cas numéro 4 en
Tunisie- 7 questionnaires) et une fois que nous avons constaté qu’une
logique de séduction était à l’œuvre et qu’elle expliquait les changements
en cours, nous avons questionné les principaux dirigeants des quatre
centres de thalassothérapie tunisiens effectués à l’hiver 2009-2010 pour
analyser leur réaction à ce phénomène (5 entretiens d’une heure chacun
environ). Les centres sont représentatifs des centres en Tunisie :
-Ils sont situés dans les principales zones touristiques
-Ils sont dépendants d’une clientèle étrangère exigeante
-Ils doivent faire face à une forte concurrence des autres
centres de thalassothérapie dans la région : le nombre de
centres augmente tandis que le nombre de curistes stagne.
-Les centres appartiennent à des chaînes d’hôtel dans le cadre
de formules inclusives (centre deux et trois, quatre) ; ou ont
signé des accords avec des hôtels (centre numéro un). Il n’y a
pas de vision artisanale de la thalassothérapie comme on peut le
voir en France avec des PME mais bien une perspective
industrielle du bien-être pour accueillir le maximum de touristes.
Nous avons choisi de limiter notre étude à la Tunisie car ce pays
constitue selon nous un laboratoire des évolutions en cours10. A partir de
ces entretiens, nous avons recontacté quelques répondants pour clarifier
leur vision des évolutions en cours dans leur secteur et ce afin d’obtenir
une saturation des données. Ces données primaires ont été complétées
par des brochures, l’analyse des sites internet… sur le secteur de la
thalassothérapie conformément aux recommandations de Yin (1994) sur
l’étude de cas.
9 Le questionnaire a été remanié pour mettre en évidence les évolutions des demandes
des clients au côté des évolutions des métiers de la thalassothérapie. La notion de
logique de séduction est sous-jacente mais jamais explic ité contrairement aux dirigeants
qui réussissent à nommer ce phénomène. Voilà pourquoi dans les verbatim, nous avons
préféré citer les dirigeants au lieu des employés.
10 Il s’agit comparativement à ce que nous avons pu analyser sur le cas français d’une
situation limite au sens de Goffman (1961).
2.2 Résultats
Après avoir rappelé les changements ressentis chez les clients et les
logiques de séduction actuellement à l’œuvre, nous allons généraliser
ensuite en posant la question de son impact sur les métiers et les
réactions des directeurs de centre face à ce phénomène11.
2.2.1 Evolution du client et logique de séduction
Notre étude initiale sur les sites français montrait qu’au niveau de la
relation, les clients sont à la recherche de bien être, de confort, de
détente et de remise en forme ; l’aspect médical étant devenu moins
important voire secondaire. Cette évolution confirmée empiriquement en
Tunisie oblige les employés à des adaptations notables dans l’exercice de
leur métier.
Le client a une place centrale dans ce secteur puisqu’il n’est que très
rarement considéré comme malade et donc « obligé » de venir se soigner,
mais venant plutôt dans une démarche de confort et de prévention et
avec des exigences en terme de service très importantes. Une vision
synthétique nous en est donnée par un des dirigeants du centre numéro
un :
« Les clients sont de plus en plus informés sur les soins, très
exigeants, ils cherchent moins le soin stricto sensu et poussent
beaucoup pour avoir les soins de bien être qu’ils veulent. Il n’y
11 Le choix a été fait de voir les modifications des métiers au travers de la relation avec le
client. De ce fait, nous présentons les évolutions des clients les éléments susceptibles de
modifier les métiers
Par commodité rédactionnelle, nous retenons l’idée selon laquelle le client serait à
l’origine de l’évolution des phénomènes reprenant en cela les propos des personnes
interrogées. Bien évidemment, nous ne sommes pas dupes de cette catégorisation
favorable aux interviewés ce qui reviendrait à accepter l’idée que les clients sont
exigeants ; les membres des centres de thalassothérapie sont bienveillants et flexibles.
Notre propos comme nous l’avons dit est autre : nous ne nous posons pas la question de
qui de l’employé ou du client commencent la modification des relations mais bien de son
contenu c'est-à-dire des éléments modifiant la relation. Dans cette optique, notre
première section vise à typifier comment se manifeste la logique de séduction avant d’en
voir les effets sur les métiers et les organisations.
Ce choix rédactionnel entraine aussi des phrases telles que « le client »… Il s’agit bien
évidemment d’une tournure basée sur ce que nous disent les personnes interrogées et
non d’une généralisation abusive de notre part.
a plus comme avant des clients aisés qui se laissent guider et
acceptent sans contester les offres du centres ».
Les formules dites « all inclusive » renforcent ce phénomène dans le
cas numéro deux où le directeur du centre dit :
« Avec le sentiment d’avoir payé en avance, ils ont peur de ne
pas en avoir pour leur argent. Ils sont très tatillons et ne
laissent rien passer. Tout leur est dû (…) le client n’accepte pas
d’être commandé ».
Le client est donc roi comme le dit la formule. Il souhaite diriger (ou
avoir l’impression d’avoir le contrôle). Sa vision de la relation avec les
employés est éminemment postmoderne c'est-à-dire subjective et
émotionnelle. Le directeur commercial du centre numéro trois en perçoit
les conséquences. Nous n’avons pas à faire à un client rationnel :
« Comme je l’ai dit la qualité des soins est importante. On peut
plutôt dire la qualité des soins telle qu’ils la perçoivent. En effet,
on peut estimer que pour nous un soin est de bonne qualité et
répond au besoin du client alors qu’il va juger sur d’autres
critères (confort, contact, comparaison avec des soins
antérieurs…) ».
Cette difficulté de plaire aux patients amène à une demande de
personnalisation des soins comme le rapporte le directeur du centre
numéro un :
« Sur les services ils ont des exigences nouvelles en terme
d’accueil de flexibilité et d’horaire et demandent une
personnalisation des soins. (…) ».
Le client souhaite donc avoir l’impression d’être unique alors qu’il a
conscience d’être dans un tourisme de masse. Il y a donc une obligation
de s’adapter aux demandes des clients, plus exactement à l’idée que les
employés se font d’eux. Se met alors en place une nouvelle norme d’un
client qui serait désormais par essence exigeant et difficile.
Ceci constitue les éléments permettant la mise en place de la
logique de séduction. Voici concrètement comment celle-ci se manifeste et
affecte les métiers. Un dirigeant du centre numéro un explique ainsi :
« Les employés sont dans une démarche de clientélisme et
dans la chasse aux pourboires : « ils (les clients) estiment
parfois à tort qu’ils en savent autant sur les soins que les
soignants (…) Cela a modifié les relat ions entre collègues car les
clients (notamment les fidèles) exigent souvent le même
soigneur. Certains clients sont connus pour être plus généreux
en pourboire d’où une jalousie croissante entre collègues».
2.2.2 Evolution des clients et impact sur les métiers
Ces adaptations face aux demandes réelles ou imputées au client
entrainent un double phénomène. Il y a une dissociation entre
l’organisation du soin (le sentiment de devoir être partout pour prendre en
charge tous les clients) et l’écoute du client
-Le premier phénomène peut s’expliquer par le processus
d’industrialisation de la thalassothérapie. On a là un des effets
de la standardisation du soin. Il faut l’organiser de manière à
rentabiliser au maximum l’espace et l’utilisation des machines et
ce alors que ce métier est choisi pour une proximité relationnelle
avec le client. Les employés vivent parfois mal cette coupure
entre l’organisation chronophage du soin (et accepté comme un
impératif de rentabilité) et la volonté d’aller vers le client.
-Le second phénomène peut en revanche en partir renvoyer à la
transformation des métiers en cours et à l’adaptation à la
logique de séduction
Lorsque nous avons demandé, aux employés du centre numéro 4,
les qualités nécessaires à l’exercice de leurs métiers, les plus citées sont
d’avoir à associer l’obligation de fournir des efforts en terme de
présentation et d’attitude pour se conformer aux exigences du secteur
touristique. Ceci se traduit concrètement par de la disponibilité, de la
diplomatie, de la patience, de la réactivité et de l’écoute.
Ces résultats pourraient être interprétés de manière convenue :
c'est-à-dire qu’ils sont conformes à ce que l’on pourrait attendre des
qualités requises pour des métiers de service ; pourtant les résultats
semblent aller au-delà de ce constat. Les employés estiment qu’ils n’en
auraient pas autant eu besoin de ces qualités s’ils avaient exercé un autre
métier. Ceci apparaît d’autant plus significatif que certains employés ont
déjà exercé d’autres métiers de service avant d’intégrer les centres de
thalassothérapie. Ce surinvestissement relationnel (par rapport à d’autres
secteurs) amène des difficultés pour les employés comme le souligne un
dirigeant du centre numéro un :
« Les employés estiment que leur métiers est plus exigeant et
difficile et se lamentent beaucoup et par rapport à leur
proximité avec les clients (…) ».
Le contact avec le client peut être source de fatigues et de tensions
tant la demande émotionnelle réelle ou simulée de la part du client est
importante. Le directeur du centre numéro deux en donne une illustration
:
« On a de plus en plus de clients qui exigent la présence du
soigneur à leur côté ou un moyen de l’appeler quand cela n’est
pas nécessaire. Exemple : dans le cas de l’enveloppement aux
algues, l’usage est d’envelopper le client et de le laisser seul
pendant une vingtaine de minutes. Avant c’était accepté.
Maintenant on a de plus en plus de clients qui disent qu’ils se
sentent abandonnés ».
On peut y voir là une rupture dans la bulle que constitue le « all
inclusive » et dont la thalassothérapie n’est qu’un des prolongements. Les
clients, en état régressifs, supportent mal d’être (dé)laissés, fût-ce pour
un temps très court. L’emploi du terme abandon est à cet égard
révélateur. Comme si les clients-enfants refusaient toute situation qui
pourrait apparaître traumatique.
Face aux évolutions d’un client consumériste et postmoderne, le
fragile équilibre entre employé et client se modifie. Les métiers sont
exercés de manière plus individuelle. Le client a du pouvoir sur l’employé
implicitement (il ne faut pas que l’on crève sa bulle touristique) ou
explicitement (la carotte financière entraînant la « chasse aux
pourboires »). Le déplacement des frontières du métier se fait donc moins
en fonction de ses collègues que vis-à-vis des attentes supposées ou
réelles des clients dans ces centres.
La « personnalisation des soins » (centre deux et trois) amène à des
difficultés relationnelles entre les membres d’une équipe (centre un). La
logique de séduction peut alors apparaître contre-productive par rapport à
l’organisation actuelle des employés d’un centre. Face à ce phénomène,
voyons la réaction des dirigeants.
2.2.3 Les postures des dirigeants face aux logiques de séduction
Face à cette évolution des employés et des clients, nous mettons en
évidence trois postures de la part de la hiérarchie : une de retrait où la
logique traditionnelle du métier reste vivace (on reste dans une
organisation rationnelle du travail) ; une posture de participation à
l’organisation via la culture de l’organisation, une posture de
reconstruction et de redéfinition de son métier centré autour de la
séduction.
La transformation des métiers se fait a minima et de manière
défensive vis-à-vis des logiques de séduction : dans ce cas, chaque métier
voudrait évoluer sur des bases techniques plus qu’en devant se définir par
rapport au contact avec le client. C’est le cas du centre numéro trois qui
cherche à :
« Mettre en avant la matière en elle-même (le produits issus
de la mer) on valorise plus les produits en les associant
complètements aux soins plus que ne le font nos concurrents »
(directeur commercial).
Cette stratégie technique, qui est un recentrage sur son cœur de
métier, apparaît paradoxalement comme défensive par rapport aux
évolutions en cours. Elle vise à effacer les logiques de séduction en se
plaçant une niche commerciale. On vient pour le soin d’excellence et non
pour une quelconque thalassothérapie. Ce faisant on tente de gommer les
attentes du client qui vient pour une technique et non pour une relation.
C’est un peu comme si un client- qui viendrait acheter une Ferrari- serait
moins exigeant vis-à-vis des vendeurs car seul le produit à acquérir
compte. On peut être circonspect face à ce genre de parade car le centre
de thalassothérapie est lié à un hôtel centré sur des formules dites all
inclusive (et donc sur un produit de masse). Du coup, l’hôtel ne choisit ni
ses clients, ni leurs attentes. Cette posture peut donc apparaître comme
étant plus identitaire (nous faisons un meilleur soin que la concurrence)
que performative (une transformation réelle des métiers).
La convergence des pratiques entre les métiers du soin et du
tourisme peuvent créer une culture commune (Sainsaulieu, 1987) et
constitue la deuxième posture. La « bonne ambiance » qui en résulte
permet de rendre supportable une évolution jugée inévitable. Ainsi, est-ce
le cas du centre numéro quatre mais aussi du centre numéro deux dirigé
par un médecin. Face aux évolutions relationnelles vis-à-vis desquelles il
se sent étranger (il déclare ainsi « le bien être est prépondérant pour le
client mais on doit garder dans la tête qu’il faut soigner les clients ».), le
directeur mise sur la formation pour créer un sentiment d’appartenance
commun :
« Un personnel qualifié et correctement formé saura se
comporter bien avec le client (…) Nous devons faire beaucoup
d’efforts dans la formation du personnel ».
L’idée sous-jacente est que si le contact avec le client est désormais
incontournable, une pratique relationnelle homogène est nécessaire. Face
à des employés au comportement identique, le client ne pourrait plus
exercer les mêmes codes de séduction. Son pouvoir en serait diminué et il
se trouverait dès lors placé en situation d’adaptation face à une forte
culture d’organisation. Ce serait donc au client de changer comme si un
retour en arrière était possible ou souhaitable.
Cette vision est essentiellement promue par des personnes exerçant
des métiers médicaux. Peut-être faut-il y voir ici- face à des évolutions
relationnelles non maîtrisées – un retour en arrière rassurant. On essaye
de recréer des organisations, où les gens font bloc comme dans les
hôpitaux, face à la difficulté relationnelle engendrée par certains clients.
La fusion de ces métiers entre les métiers du soin et du tourisme a
permis l’avènement des logiques de séduction du client et mènera peut
être à son acceptation. Le changement s’effectue moins par les injonctions
de l’organisation que part et pour le client. Ceci est actuellement en cours
dans notre cas numéro un mais combattu par la hiérarchie.
Son directeur pousse au refus de la logique de séduction même s’il
constate que :
« Les exigences du client et la chasse aux pourboires vont plus
vers une logique de bien être » que de soins.
Mais cette vision défensive ne signifie pas passive. Ainsi, le centre a
mis en place un « coaching personnalisé pour mieux assister les clients ».
Concrètement, pour faire en sorte que les clients acceptent une
thalassothérapie très orientée vers le soin, le centre éduque le patient :
« Pour pousser les soins que nous estimons adaptés sans
donner l’impression de forcer la main du client ».
Ce faisant, le centre refuse un relationnel de séduction pour une
approche centrée sur la performance. On joue alors la carte de la
culpabilité sur des clients qui se doivent de préserver leur santé, perçue
comme un capital demandant à être entretenu voire à faire fructifier. Il est
pour l’heure impossible de savoir qui des employés ou de la hiérarchie
imposera ses vues sur la relation au client.
Conclusion
La transformation actuelle du secteur de la thalassothérapie amène à une
renégociation des métiers qui y travaillent. Mais les modifications
relationnelles se font moins entre les métiers que dans le contact avec le
client. Il y a un « émotionnel »12 qui est pris de plus en plus dans le
secteur comme une variable d'efficacité : à savoir qu'il est de plus en plus
demandé aux employés de s'impliquer affectivement dans leurs tâches,
avec toutes les conséquences que cela peut entrainer d'un point de vue
psychique13. Cette évolutions des personnels de santé rejoint ce qu’on a
pu constater dans les années 1980 dans les métiers du tourisme comme
ce fut le cas au Club Med avec la difficulté à gérer le départ des
responsable de centre qui voulaient, ou que l'on poussait, à faire autre
chose. Leur attachement au style et à la culture de leur entreprise étaient
telle qu'il s'est manifesté pour certains par une incapacité à vivre une vie
ordinaire, il faut préciser qu'ils étaient complètement pris en charge et
n'avaient aucunement les soucis du quotidien. La sphère privée est
confondue avec la sphère professionnelle occasionnant dans certains cas
des phénomènes d'épuisement émotionnel (le fameux burn-out), du
moins si l'on croit les travaux dans la lignée du courant de « l'emotional
work », initiée notamment par Arlie Hochschild.
De par nos travaux antérieurs, on a constaté auprès d'employés de
villages de vacances, d'hôtels ou de clubs où les individus à force d'y vivre
et de s'identifier complètement à l'organisation, qui leur fournit tout
(amis, argent, plaisir, identité et valorisation sociales quand on travaille
pour une société prestigieuse (Air France, Ritz, ...) et les materne quelque
12. Hochschild A., Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale, Travailler
2003/1, N° 9, p. 19-49. ou encore P. Ughetto, « Au service d'un public : un détour par
Halbwachs et Goffman », document de travail n° 04.09, Irés, décembre 2004
13Aurélie Jeantet (2003) « À votre service ! » ,op. cit. D'autres auteurs ont plus insisté
sur le caractère néfaste de la dimension relationnelle dans d’autres métiers comme les
infirmières (Loriol, M., 2000. Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-être au
travail. Anthropos, Paris) et les aides-soignantes (Arborio, A.M., 2001. Un personnel
invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital. Anthropos, Paris).
peu. L'affect prégnant largement sur le fonctionnel ; vivant ainsi en vase
clos et rassurant ceux qui sont un jour licenciés se retrouvent quasiment
désocialisés, sans amis et sans repères et sans habitudes de vie
autonome. Ce sont bien sûr des cas extrêmes car une bonne partie des
personnes travaillant dans le secteur de la thalassothérapie vit un peu
moins ce mélange des sphères privées et professionnelles.
La thalassothérapie est de plus en plus au croisement de la
médecine et du loisir, la notion de bien-être synthétise un peu cette
double référence : d’un côté le souci de réparer le corps, de le guérir, de
l’autre l’idée de plaisir qui renvoie à l’idée de détente, de relaxation et de
plaisir. Ce télescopage entre cure et vacances, entre santé et tourisme, a
des conséquences sur les métiers qui tendent à se rapprocher, si ce n’est
à fusionner sous l’effet des logiques de séduction. On demande de plus en
plus aux employés des centres de bien-être des connaissances en
médecine, douce notamment (phytothérapie, relaxation, massage, etc.),
et aux personnels en charge de la santé des qualités d’accueil et de
service inspirés du monde de l’hôtellerie et du tourisme.
Les logiques de séduction sont basées sur le contact (sourire,
accueil) teinté de fausse authenticité et d’empathie. Elles ont pour
conséquence un exercice plus individuel mais aussi une nouvelle définition
des métiers. Les conséquences, en terme organisationnel mais aussi
symbolique, pourraient être très importantes : c’est là en effet que
s’élaborent sans doute les nouveaux codes et imaginaires du tourisme (tel
que défini par Amirou, 1995) mais aussi peut être du soin.
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