Analysis of the evolution of the spa industry: the consequences of the logic of seduction...

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Analyse de l’évolution du secteur de la thalassothérapie : les conséquences de la logique de séduction employés-clients Analysis of the evolution of the spa industry: the consequences of the logic of seduction employee-customer Rachid Amirou†, Bertrand Pauget* 1 et Ahmed Dammak** * European Business School (France) ** Groupe ESC Troyes Résumé : Notre étude porte sur le secteur de la thalassothérapie. Celui-ci s’est construit à partir de l’amalgame entre les métiers du tourisme et ceux de la santé. Or, la thalassothérapie connaît actuellement des transformations significatives avec l’arrivée dans le capital des entreprises de grands groupes de l’hôtellerie. La logique médicale des métiers s’estompe au profit d’une logique touristique centrée sur le bien-être du client. Nous constatons que les métiers de service sont désormais régis par une relation de séduction entre les employés et les clients. Ce type de relation est déstabilisant pour les organisations. Nous mettons en évidence trois réactions de la hiérarchie : une posture de retrait où la logique traditionnelle du métier reste vivace; une posture de participation à l’organisation via la culture de l’organisation, une posture de reconstruction et de redéfinition de son métier centrée autour de la séduction. Notre étude qualitative se base sur quatre sites tunisiens. Nous souhaitons rendre hommage à notre collègue et ami Rachid Amirou, sociologue décédé le 9 janvier 2011. 1 Corresponding author : [email protected]

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Analyse de l’évolution du secteur

de la thalassothérapie : les

conséquences de la logique de

séduction employés-clients

Analysis of the evolution of the

spa industry: the consequences

of the logic of seduction

employee-customer Rachid Amirou†, Bertrand Pauget*1 et Ahmed Dammak**

* European Business School (France)

** Groupe ESC Troyes

Résumé : Notre étude porte sur le secteur de la thalassothérapie. Celui-ci s’est

construit à partir de l’amalgame entre les métiers du tourisme et ceux de

la santé. Or, la thalassothérapie connaît actuellement des transformations

significatives avec l’arrivée dans le capital des entreprises de grands

groupes de l’hôtellerie. La logique médicale des métiers s’estompe au

profit d’une logique touristique centrée sur le bien-être du client. Nous

constatons que les métiers de service sont désormais régis par une

relation de séduction entre les employés et les clients. Ce type de relation

est déstabilisant pour les organisations. Nous mettons en évidence trois

réactions de la hiérarchie : une posture de retrait où la logique

traditionnelle du métier reste vivace; une posture de participation à

l’organisation via la culture de l’organisation, une posture de

reconstruction et de redéfinition de son métier centrée autour de la

séduction. Notre étude qualitative se base sur quatre sites tunisiens.

† Nous souhaitons rendre hommage à notre collègue et ami Rachid Amirou, sociologue

décédé le 9 janvier 2011.

1 Corresponding author : [email protected]

Mots-clés :

Tourisme, santé, relation, logique de séduction, métiers.

Abstract :

Our study focuses on the area of the thalassotherapy. It was built

from the amalgamation of the business tourism and the sector of health.

Medical logic trades fades in favor of a tourist-centered logic well-being of

the client. We find that the service professions are now governed by a

seductive relation between employees and customers. This type of relation

is destabilizing for organizations. We highlight three reactions of the

hierarchy: an attitude of withdrawal where the traditional logic of the

trade is still alive, an attitude of participation in the organization through

the organizational culture, a posture reconstruction and redefinition of its

business focus about seduction. Our qualitative study is based on four

Tunisian sites.

Key-words:

Tourism, health, relationships, logic of seduction trades.

Introduction

Depuis la fin des années soixante-dix, le tourisme de santé puis de bien-

être s’est imposé comme un élément tangible du secteur touristique. La

France a mis en valeur ses larges façades maritimes et figure désormais

comme le premier acteur mondial de la thalassothérapie. La montée en

puissance de cette forme de tourisme est récente : les établissements

sont relativement jeunes (deux tiers des sites ont moins de vingt ans) et

concentrés (70% de l’accueil des curistes se situe le long de la façade

atlantique).

Le secteur de la thalassothérapie génère en actuellement 240

millions de chiffre d’affaires par an (cures et hébergements inclus) et

attire 323 000 curistes par an (rapport du ministère du tourisme). Ce

phénomène n’est pas qu’européen, on constate en effet une évolution

similaire en Tunisie. Elle occupe la seconde place au monde avec 200 000

clients et 45 centres (auquel on doit ajouter une dizaine en cours de

construction) principalement situés à Djerba et Hammamet.

Le secteur est partagé entre des petites PME familiales et créées

parfois autour de noms de célébrités (par exemple le centre Serge

BLANCO)2, des centres plus spécialisés et regroupés en enseigne, et les

grands groupes industriels tel Accor ou encore des chaînes d’Hôtels (Abou

Nawas Hôtels). Cette volonté de grands groupes d’investir dans la

thalassothérapie peut amener des transformations. Le secteur s’est en

effet bâti autour de deux logiques à part égale : celles du tourisme visant

à assurer un taux d’occupation satisfaisant et une vision médicale

désormais tournée vers le bien être des touristes3.

Les établissements de thalassothérapie ont été initialement créés

dans une optique médicale afin d’accueillir des patients en rééducation :

citons ainsi le cas du cycliste Louison Bobet qui participa activement au

développement du thermalisme à Quiberon après en avoir découvert ses

bienfaits suite à une blessure en 1964. Cette genèse médicale de la

2Du nom de l’ancien capitaine de France de Rugby. 3 Il existe trois types de clientèles dans la thalassothérapie : les rééducations cliniques,

les cures pré et post natales et les séjours de bien-être. Ces derniers constituent

désormais la clientèle la plus importante des centres. Ce sont des actifs (en moyenne âgé

de 35 à 50 ans) urbains et de catégorie sociale professionnelle la plus élevée (Csp +).

thalassothérapie n’a pas totalement disparu. « La mer guérit les maladies

des hommes » : cette citation d’Euripide, reprise par un site Internet

rassemblant des offres de Thalassothérapie, en donne une illustration. Ce

rapprochement s’est opéré au sein de ce secteur par le progressif

amalgame des médecins, des kinésithérapeutes (des métiers de santé) et

ceux du tourisme. Les récriminations sont nombreuses face aux

médecines parallèles (acuponcture…) ou encore activités dites

« déstressantes » tels les Spas ou les centres de beauté épargnent la

thalassothérapie. Comme si les critiques qui s’abattaient dans l’intérieur

des terres se noyaient au contact de l’océan.

Toutefois, on pourrait dire que la thalassothérapie est en voie de

banalisation car les centres calquent leurs offres sur celle des centres de

bien-être. La quasi-totalité des établissements offrent désormais des

séjours « antistress » de « remise en forme » ou encore « minceur » dont

l’efficacité thérapeutique sur quatre jours (la durée moyenne des séjours)

reste à démontrer.

Il y a désormais un glissement des métiers de la santé vers les

métiers du bien-être, avec des conséquences consuméristes : on en veut

pour son argent, le personnel soignant est perçu comme au service du

client- malade ou tout simplement « stressé ». Les métiers sont exposés à

une logique de séduction ; le consommateur qui cherche à être choyé joue

parfois du pouvoir dont il dispose sur les employés.

Nos résultats se basent sur une analyse qualitative et exploratoire

de quatre sites situés en Tunisie. Nous constatons que les frontières des

métiers du soin et du tourisme se modifient sous l’effet de nouvelles

interactions avec le client. Les logiques de séduction qui peuvent en

résulter sont souvent déstabilisantes pour l’industrie du tourisme,

notamment dans l’organisation des services.

Notre étude nous a amené à interroger le personnel soignant

d’abord puis et les managers des centres pour comprendre leurs modalités

relationnelles au sein de leurs établissements. Le point d’entrée de notre

étude était de voir l’évolution des métiers, modifiés par la logique de

séduction, pour en saisir les conséquences.

Nous cherchons à comprendre à travers cette étude qualitative et

exploratoire (Yin, 1994):

-L’évolution des métiers du soin et du tourisme transformés par

une logique relationnelle dominée par la séduction.

-Et l’adaptation des dirigeants des centres à ces phénomènes

Nous mettons en évidence trois réactions de la hiérarchie pour faire

face à la montée de la séduction au sein des métiers des centres de

thalassothérapie : une posture de retrait où la logique traditionnelle du

métier reste vivace ; une posture de participat ion à l’organisation via la

culture de l’organisation ; une posture de reconstruction et de redéfinition

de son métier centré autour de la séduction.

1 Du concept de métier traditionnel à un

métier régi par la notion de service rendu

au client

La littérature présente souvent (I-1) le métier comme intimement associé

à un employé dans un cadre professionnel. Pourtant, il nous faut pour

comprendre l’évolution des métiers, prendre en compte la notion de

service rendu au client (1-2, 1-3) qui est le nouveau référentiel des

dirigeants pour favoriser ou stopper les évolutions en cours au sein des

métiers. Les critiques classiques considèrent que le fait de placer le client-

roi au centre de leurs décisions est un leurre destiné à faire adhérer les

employés à une organisation. Cet adage a malgré tout un fondement réel

dans les relations de service. Le client a changé en trente ans, soit depuis

l’apparition du tourisme de masse dans le secteur de la thalassothérapie,

et ses exigences peuvent constituer un point d’entrée pour une analyse

des modifications des métiers des employés.

1.1Le concept de métier

Historiquement, le concept de métier date du moyen âge où il désigne une

spécialisation dans le travail et une position sociale. Mais son emploi s’est

multiplié au point de devenir un mot banal mais aux réalités différentes

(Demailly, 2008). Piotet (2002 : 3) note ainsi que le terme est souvent

utilisé dans des sens parfois contradictoires. Le métier est tout à la fois

une profession, une tâche, une vision technique voire une contestation de

cette vision technique (ce sont les « nobles » métiers d’antan que l’on

oppose parfois aux métiers d’ouvriers jugés dé qualifiants).

Le métier peut être appréhendé selon trois variables (Piotet, Op.

Cit.) :

Le métier répond à une qualification qui permet de créer des

branches professionnelles distinctes les unes des autres. La

division du travail (Durkheim, 1998), tout autant que la

technologie ont favorisé la spécialisation et la création de

métiers qui sont aujourd’hui toujours sujet à renégociation pour

trouver leur place au sein de la société.

Le métier fait référence à un individu qui se définit par rapport à

lui. Il y a une trajectoire personnelle. Œuvrer dans un métier,

c’est donner du sens à ses expériences et à sa pratique.

Le métier appelle au développement de compétence technique

pour faire face à des situations de travail plus ou moins

complexes. L’acteur entre en interaction permanente avec ses

collègues œuvrant ou non dans le même métier.

Dès lors, notre vision du métier renvoie à l’idée que l’acteur doit

multiplier les relations : le métier est par essence relationnel (Pauget,

2006).

Le métier s’inscrit dans la cadre régulateur de l’organisation

participant à l’équilibre des différents métiers entre eux. Mais ce cadre n’a

de sens dans le secteur du tourisme que s’il s’inscrit dans une relation de

service. C’est elle désormais qui est apte à modifier les frontières et le

contenu des métiers.

1.2 La relation de service dans les métiers

Laville (2003) montre que la relation de service concerne aujourd'hui

l'ensemble de l'économie, secteur industriel compris. Face à une

concurrence accrue, les entreprises tentent de faire la différence par les

prestations (conseil, après-vente, etc.) qu'elles offrent à leur clientèle. Les

métiers du tourisme ne font pas exception. Le champ du tourisme est

vaste, selon une étude du Cereq de 2006, il englobe de nombreuses

branches professionnelles (hôtels, transport, billetterie, loisirs, etc.).

D'une manière générale, il ressort une image négative de ces métiers qui

est liée au niveau de rémunération, aux conditions de travail, et à son

utilité sociale. Ils ont une mauvaise image car le produit du travail ne peut

se mesurer ou s’estimer de façon stable et continue.

Pourtant, une étude conduite par nos soins en 2006 révèle que ces

métiers sont vécus ou représentées par les gens qui y travaillent comme

étant de passion et de contact. Cette dimension relationnelle prédomine et

paraît primordiale dans le choix de ces métiers, mais il s'agit d'une quête

identitaire de valorisation car dans le même temps l'image du « larbin »

ou de la servitude restent omniprésents dans les imaginaires. Ces métiers

oscillent entre la notion noble de servir au sens d'aider et d'être utile et

l'autre notion héritée du statut de domestique où il faut être « au service

de ». Comme le note une sociologue « Les significations de « servir »

s’étendent sur toute une graduation qui va de la fonction la plus noble

(servir une cause), à la plus servile (se faire servir) ». « Cette

ambivalence peut être exprimée de façon condensée par les deux

expressions : « rendre service » et « être au service de ». Rendre service

à autrui est un acte choisi et valorisant, alors qu’être au service d’autrui

est une situation contrainte et passive de subordination »4.

Ces deux dimensions se trouvent dans un rapport d’opposition et

d’intrication qui explique une partie du malaise des métiers dits de service

et surtout de contact direct avec le public ou les clients.

1.3 Les métiers et la logique de séduction

Comme nous l’avons mentionné dans nos précédents travaux (Auteur,

2008), le tourisme postmoderne se caractérise entre autres par un aspect

maternant : on recherche des bulles touristiques protégées quelquefois

4Aurélie Jeantet « À votre service ! » La relation de service comme rapport social »,

Sociologie du travail 45 (2003) 191–209. p. 2000.

régressives (prise en charge totale) telles les croisières et les clubs où tout

contact avec l’extérieur est fui. On attend des services sur-mesure,

personnalisés et bien sûr à des prix discount5.

De plus en plus de touristes veulent être protégés tout simplement

et ne pas être dérangés pendant leurs vacances6. Mais au-delà de cet

aspect pratique, il existe un attrait pour ces coupures temporelles et

spatiales, souvent imaginaires, car il s’agit plus d’un état d’esprit. Les

sondages sur les motivations de départ en vacances parlent de rupture,

de coupure, avec le quotidien comme motif important.

Cela nécessite un holding, à savoir une empathie, se mettre à la

place du consommateur pour comprendre les freins possibles. Prendre au

sérieux le stress du consommateur dans certains cas (peur de l’avion…).

Concrètement cela consiste à simplifier la proposition touristique

(package…), à la rendre plus lisible, accessible, ne demandant aucune

compétence particulière, et qui n’instaure pas une barrière entre initiés et

non-initiés. Aussi est-il utile de « manager » les affects que peut générer

une expérience récréative nouvelle en mettant en place des rites d'accueil

(ce que Winnicott appelle un Holding) qui accompagnent et rassurent le

visiteur.

L’un des moyens en est la mise en place d’une logique de séduction.

Elle s’oppose à l’empathie (Apfledorfer, 2006). Elle fonctionne dans le

présent et est caractérisée par un mécanisme de fascination proche

parfois de la pensée magique (Demailly, 2008). Elle n’est pas à

proprement parler mesurable mais laisse une émotion, un affect chez les

sujets qui ont été en contact avec cette séduction : il est donc plus aisé en

terme méthodologique pour construire notre grille de lecture de

5 Voir le numéro de Cahiers & espaces de décembre 2001. 6 Donald W. Winnicott nous aide à comprendre les soubassements psychologiques de

cette attitude. Selon lui, le jeu de l'enfant est l'expression d'une relation de confiance

établie avec l'espace et l'entourage immédiat. Le bébé, confronté à la séparation

nécessaire avec sa mère, va conjurer cette épreuve en ayant recours à des objets de jeu

que justement sa mère met à sa disposition en s'attendant à ce qu'il s'y attache avec

passion. La fonction de ces objets est de permettre une transition; l'enfant va passer de

l'état d'union avec la mère à l'état de séparation, où il est toujours en relation avec elle,

mais en tant que quelque chose d’extérieur et de séparé. L'objet transitionnel est ce qui

permet ainsi de supporter la séparation. Il facilite la transition entre la symbiose mère/

enfant et du couple séparé mère/enfant, d'où son nom d'objet transitionnel. Cet objet

transitionnel est selon Winnicott le prototype même de l'objet culturel que connaîtra plus

tard l'adulte.

s’intéresser à ses composantes qu’à vouloir la mesurer précisément. La

séduction repose sur au moins deux caractéristiques qui constituent sa

logique :

La première est un aspect hyperréaliste où le règne du « comme

si» c’était vrai et authentique. Il est plus un simulacre

d’authenticité que l’authenticité elle-même qui peut être

quelquefois anxiogène. Il peut être trop crue, trop vraie, trop

déstabilisante (pauvreté, coutumes choquantes...). Comme au

théâtre, ce qui compte ce n’est pas le réalisme des drames

joués, mais l’effet sur le spectateur : cela se vérifie aussi dans le

tourisme, ce qui compte c’est l’effet d’ancienneté ou de rusticité

perçue et non l’authenticité des objets anciens et typiques

exposés.

La seconde tient en la construction d’une relation

temporellement limitée et basée sur la séduction : ainsi si l’on

prend l’exemple d’un employé d’une agence de voyage, il se fait

le confident/l’ami le temps de la vente. Il ou elle conseille et

oriente (en fonction de destinations qu’elle a à vendre) mais

cela est présenté comme une « vraie » bonne affaire qui

prendre « vraiment » en compte les besoins du client7. C’est cet

investissement émotionnel et relationnel –et ses conséquences-

que nous étudions dans le cadre du secteur de la

thalassothérapie.

7 Ces logiques de séduction ont été utilisées dans les entreprises notamment en

marketing mais touchent désormais les ressources humaines comme en témoigne ce site

web http://www.focusrh.com/article.php3?id_article=1411 (consultation janvier 2011)

où l’on vante les « lois de la séduction et de l’attraction » pour attirer des collaborateurs

dans l’entreprise. Les conserver nécessite une mise en place typique du holding.

Désormais même les chefs d’entreprise de PME parlent aussi de séduction

professionnelle : « au travail comme dans notre vie de tous les jours, on séduit. Séduire

se résume tout d’abord par essayer de charmer, de convaincre son interlocuteur, de le

rallier à sa cause. L’apparence va forcément de paire avec la séduction. Séduire

s’apparente à un jeu. » (voir : http://www.netpme.fr/communication/1102-seduction-

professionnelle.html , même date de consultation).

2 Méthodologie et Résultats

Le secteur de la thalassothérapie relève d’un choix. Il nous semblait en

effet qu’il était particulièrement intéressant au regard des évolutions en

cours car le confinement (l’employé et le client sont à proximité pendant

les vacances du client) et le relationnel fort (nous sommes dans des

métiers où le toucher et où les contacts sont nécessaires). La logique de

séduction y a donc une importance particulière.

Dans un premier temps, nous allons présenter les sites et décrire

notre méthode avant de présenter nos résultats.

2.1 Description des sites et de la méthode utilisée

Notre étude sur le secteur de la thalassothérapie s’est effectuée en deux

temps. Premièrement, nous avons mené une première analyse qui s’est

révélée infructueuse. Deuxièmement, nous avons modifié notre approche

du terrain pour envisager les logiques de séduction comme moteur des

transformations des métiers et des organisations dans le secteur de la

thalassothérapie.

Nous avons constitué un premier échantillon de deux en France (un

centre indépendant et un appartenant à une grande chaîne hôtelière) et

un en Tunisie. Nous avons adressé une demande de collaboration à

l’étude via la Fédération française de Thalassothérapie. Notre choix s’était

porté initialement sur des centres qui proposaient des offres

d’hébergement en plus de l’offre de soins. Deux centres ayant des profils

différents, l’un étant un centre de thalassothérapie indépendante et l’autre

appartenant à une grande chaîne hôtelière nous ont répondu. Nous avons

complété cet échantillon en y adjoignant un centre français de

thalassothérapie situé au sein d’un hôtel tunisien.

L’étude avait été menée par le biais d’un questionnaire ouvert

soumis aux membres de ces centres8. Nous avons pu récolter les

témoignages de quatorze personnes qui constituaient un nombre

suffisamment représentatifs de personnes. L’échantillon couvrait tous les

profils existant au sein de ce genre de centre, puisqu’on a réussi à avoir

les témoignages de professions médicales et paramédicales (médecin,

kinésithérapeute, ostéopathe), de métiers spécifiques à la

thalassothérapie (thalassothérapeute, hydrothérapeute), de métiers

annexes (diététicien, hygiéniste, esthéticienne, moniteur de sport) et de

métiers d’encadrement (directeur, responsable soigneurs). Notre

problématique était centrée sur la convergence des métiers du soin et du

tourisme. Plusieurs éléments résultent de cette étude initiale :

Les variables culturelles semblaient peu affecter nos résultats

(pas de différence majeure dans les résultats entre les

répondants qu’ils viennent de France ou de Tunisie mais une

accentuation des phénomènes notés).

En France, la notion de soin était ainsi beaucoup plus affichée

alors que les tunisiens se sont comparativement plus engagés

dans le service du bien-être.

Les résultats préliminaires étaient globalement assez pauvres en ce

sens qu’ils montraient mal le pourquoi des évolutions des métiers du soin

et du tourisme. Une des personnes interviewée a attiré notre attention sur

le fait que nous ne prenions pas vraiment la mesure des évolutions en

cours : il manquait une dimension relationnelle primordiale, la relation au

client. Fort de ce constat, nous avons élaboré un nouveau questionnaire

centré sur les évolutions du client, de ses attentes et de l’évolution des

8 Le questionnaire était élaboré comme suit : certaines questions avaient trait aux

expériences du répondant dans le secteur et le secteur médical plus large, d’autres à leur

pratique actuelle du métier et d’autres à leur ressentiment quant à leur métier et son

évolution. Nous leur avons ainsi demandé de comparer leur pratique de soin en

thalassothérapie et ce qu’elle aurait été dans un autre métier du soin ; de développer les

adaptations de leur pratique qu’ils ont eu à faire pour s’adapter à ce type de soins ; de

lister les qualités nécessaires pour ce métier et les principaux avantages et inconvénients

de l’exercice en thalassothérapie. Nous avons essayé de développer ces questionnements

autour de leur relation avec les patients et avec leur hiérarchie et avec leur pratique

même des soins. Nous avons aussi sondé les répondants quant à l’impact sur leur

pratique de leur travail dans un secteur à mi-chemin entre le Tourisme et la Santé, nous

les avons d’ailleurs fait réagir quant à cette dualité. Et enfin nous tenté de faire ressortir

leur perception de l’évolution de leur métier et du secteur de la thalassothérapie en

général.

métiers face à ces attentes. Toujours à l’aide d’un questionnaire9, nous

avons poursuivi notre étude auprès du personnel (cas numéro 4 en

Tunisie- 7 questionnaires) et une fois que nous avons constaté qu’une

logique de séduction était à l’œuvre et qu’elle expliquait les changements

en cours, nous avons questionné les principaux dirigeants des quatre

centres de thalassothérapie tunisiens effectués à l’hiver 2009-2010 pour

analyser leur réaction à ce phénomène (5 entretiens d’une heure chacun

environ). Les centres sont représentatifs des centres en Tunisie :

-Ils sont situés dans les principales zones touristiques

-Ils sont dépendants d’une clientèle étrangère exigeante

-Ils doivent faire face à une forte concurrence des autres

centres de thalassothérapie dans la région : le nombre de

centres augmente tandis que le nombre de curistes stagne.

-Les centres appartiennent à des chaînes d’hôtel dans le cadre

de formules inclusives (centre deux et trois, quatre) ; ou ont

signé des accords avec des hôtels (centre numéro un). Il n’y a

pas de vision artisanale de la thalassothérapie comme on peut le

voir en France avec des PME mais bien une perspective

industrielle du bien-être pour accueillir le maximum de touristes.

Nous avons choisi de limiter notre étude à la Tunisie car ce pays

constitue selon nous un laboratoire des évolutions en cours10. A partir de

ces entretiens, nous avons recontacté quelques répondants pour clarifier

leur vision des évolutions en cours dans leur secteur et ce afin d’obtenir

une saturation des données. Ces données primaires ont été complétées

par des brochures, l’analyse des sites internet… sur le secteur de la

thalassothérapie conformément aux recommandations de Yin (1994) sur

l’étude de cas.

9 Le questionnaire a été remanié pour mettre en évidence les évolutions des demandes

des clients au côté des évolutions des métiers de la thalassothérapie. La notion de

logique de séduction est sous-jacente mais jamais explic ité contrairement aux dirigeants

qui réussissent à nommer ce phénomène. Voilà pourquoi dans les verbatim, nous avons

préféré citer les dirigeants au lieu des employés.

10 Il s’agit comparativement à ce que nous avons pu analyser sur le cas français d’une

situation limite au sens de Goffman (1961).

2.2 Résultats

Après avoir rappelé les changements ressentis chez les clients et les

logiques de séduction actuellement à l’œuvre, nous allons généraliser

ensuite en posant la question de son impact sur les métiers et les

réactions des directeurs de centre face à ce phénomène11.

2.2.1 Evolution du client et logique de séduction

Notre étude initiale sur les sites français montrait qu’au niveau de la

relation, les clients sont à la recherche de bien être, de confort, de

détente et de remise en forme ; l’aspect médical étant devenu moins

important voire secondaire. Cette évolution confirmée empiriquement en

Tunisie oblige les employés à des adaptations notables dans l’exercice de

leur métier.

Le client a une place centrale dans ce secteur puisqu’il n’est que très

rarement considéré comme malade et donc « obligé » de venir se soigner,

mais venant plutôt dans une démarche de confort et de prévention et

avec des exigences en terme de service très importantes. Une vision

synthétique nous en est donnée par un des dirigeants du centre numéro

un :

« Les clients sont de plus en plus informés sur les soins, très

exigeants, ils cherchent moins le soin stricto sensu et poussent

beaucoup pour avoir les soins de bien être qu’ils veulent. Il n’y

11 Le choix a été fait de voir les modifications des métiers au travers de la relation avec le

client. De ce fait, nous présentons les évolutions des clients les éléments susceptibles de

modifier les métiers

Par commodité rédactionnelle, nous retenons l’idée selon laquelle le client serait à

l’origine de l’évolution des phénomènes reprenant en cela les propos des personnes

interrogées. Bien évidemment, nous ne sommes pas dupes de cette catégorisation

favorable aux interviewés ce qui reviendrait à accepter l’idée que les clients sont

exigeants ; les membres des centres de thalassothérapie sont bienveillants et flexibles.

Notre propos comme nous l’avons dit est autre : nous ne nous posons pas la question de

qui de l’employé ou du client commencent la modification des relations mais bien de son

contenu c'est-à-dire des éléments modifiant la relation. Dans cette optique, notre

première section vise à typifier comment se manifeste la logique de séduction avant d’en

voir les effets sur les métiers et les organisations.

Ce choix rédactionnel entraine aussi des phrases telles que « le client »… Il s’agit bien

évidemment d’une tournure basée sur ce que nous disent les personnes interrogées et

non d’une généralisation abusive de notre part.

a plus comme avant des clients aisés qui se laissent guider et

acceptent sans contester les offres du centres ».

Les formules dites « all inclusive » renforcent ce phénomène dans le

cas numéro deux où le directeur du centre dit :

« Avec le sentiment d’avoir payé en avance, ils ont peur de ne

pas en avoir pour leur argent. Ils sont très tatillons et ne

laissent rien passer. Tout leur est dû (…) le client n’accepte pas

d’être commandé ».

Le client est donc roi comme le dit la formule. Il souhaite diriger (ou

avoir l’impression d’avoir le contrôle). Sa vision de la relation avec les

employés est éminemment postmoderne c'est-à-dire subjective et

émotionnelle. Le directeur commercial du centre numéro trois en perçoit

les conséquences. Nous n’avons pas à faire à un client rationnel :

« Comme je l’ai dit la qualité des soins est importante. On peut

plutôt dire la qualité des soins telle qu’ils la perçoivent. En effet,

on peut estimer que pour nous un soin est de bonne qualité et

répond au besoin du client alors qu’il va juger sur d’autres

critères (confort, contact, comparaison avec des soins

antérieurs…) ».

Cette difficulté de plaire aux patients amène à une demande de

personnalisation des soins comme le rapporte le directeur du centre

numéro un :

« Sur les services ils ont des exigences nouvelles en terme

d’accueil de flexibilité et d’horaire et demandent une

personnalisation des soins. (…) ».

Le client souhaite donc avoir l’impression d’être unique alors qu’il a

conscience d’être dans un tourisme de masse. Il y a donc une obligation

de s’adapter aux demandes des clients, plus exactement à l’idée que les

employés se font d’eux. Se met alors en place une nouvelle norme d’un

client qui serait désormais par essence exigeant et difficile.

Ceci constitue les éléments permettant la mise en place de la

logique de séduction. Voici concrètement comment celle-ci se manifeste et

affecte les métiers. Un dirigeant du centre numéro un explique ainsi :

« Les employés sont dans une démarche de clientélisme et

dans la chasse aux pourboires : « ils (les clients) estiment

parfois à tort qu’ils en savent autant sur les soins que les

soignants (…) Cela a modifié les relat ions entre collègues car les

clients (notamment les fidèles) exigent souvent le même

soigneur. Certains clients sont connus pour être plus généreux

en pourboire d’où une jalousie croissante entre collègues».

2.2.2 Evolution des clients et impact sur les métiers

Ces adaptations face aux demandes réelles ou imputées au client

entrainent un double phénomène. Il y a une dissociation entre

l’organisation du soin (le sentiment de devoir être partout pour prendre en

charge tous les clients) et l’écoute du client

-Le premier phénomène peut s’expliquer par le processus

d’industrialisation de la thalassothérapie. On a là un des effets

de la standardisation du soin. Il faut l’organiser de manière à

rentabiliser au maximum l’espace et l’utilisation des machines et

ce alors que ce métier est choisi pour une proximité relationnelle

avec le client. Les employés vivent parfois mal cette coupure

entre l’organisation chronophage du soin (et accepté comme un

impératif de rentabilité) et la volonté d’aller vers le client.

-Le second phénomène peut en revanche en partir renvoyer à la

transformation des métiers en cours et à l’adaptation à la

logique de séduction

Lorsque nous avons demandé, aux employés du centre numéro 4,

les qualités nécessaires à l’exercice de leurs métiers, les plus citées sont

d’avoir à associer l’obligation de fournir des efforts en terme de

présentation et d’attitude pour se conformer aux exigences du secteur

touristique. Ceci se traduit concrètement par de la disponibilité, de la

diplomatie, de la patience, de la réactivité et de l’écoute.

Ces résultats pourraient être interprétés de manière convenue :

c'est-à-dire qu’ils sont conformes à ce que l’on pourrait attendre des

qualités requises pour des métiers de service ; pourtant les résultats

semblent aller au-delà de ce constat. Les employés estiment qu’ils n’en

auraient pas autant eu besoin de ces qualités s’ils avaient exercé un autre

métier. Ceci apparaît d’autant plus significatif que certains employés ont

déjà exercé d’autres métiers de service avant d’intégrer les centres de

thalassothérapie. Ce surinvestissement relationnel (par rapport à d’autres

secteurs) amène des difficultés pour les employés comme le souligne un

dirigeant du centre numéro un :

« Les employés estiment que leur métiers est plus exigeant et

difficile et se lamentent beaucoup et par rapport à leur

proximité avec les clients (…) ».

Le contact avec le client peut être source de fatigues et de tensions

tant la demande émotionnelle réelle ou simulée de la part du client est

importante. Le directeur du centre numéro deux en donne une illustration

:

« On a de plus en plus de clients qui exigent la présence du

soigneur à leur côté ou un moyen de l’appeler quand cela n’est

pas nécessaire. Exemple : dans le cas de l’enveloppement aux

algues, l’usage est d’envelopper le client et de le laisser seul

pendant une vingtaine de minutes. Avant c’était accepté.

Maintenant on a de plus en plus de clients qui disent qu’ils se

sentent abandonnés ».

On peut y voir là une rupture dans la bulle que constitue le « all

inclusive » et dont la thalassothérapie n’est qu’un des prolongements. Les

clients, en état régressifs, supportent mal d’être (dé)laissés, fût-ce pour

un temps très court. L’emploi du terme abandon est à cet égard

révélateur. Comme si les clients-enfants refusaient toute situation qui

pourrait apparaître traumatique.

Face aux évolutions d’un client consumériste et postmoderne, le

fragile équilibre entre employé et client se modifie. Les métiers sont

exercés de manière plus individuelle. Le client a du pouvoir sur l’employé

implicitement (il ne faut pas que l’on crève sa bulle touristique) ou

explicitement (la carotte financière entraînant la « chasse aux

pourboires »). Le déplacement des frontières du métier se fait donc moins

en fonction de ses collègues que vis-à-vis des attentes supposées ou

réelles des clients dans ces centres.

La « personnalisation des soins » (centre deux et trois) amène à des

difficultés relationnelles entre les membres d’une équipe (centre un). La

logique de séduction peut alors apparaître contre-productive par rapport à

l’organisation actuelle des employés d’un centre. Face à ce phénomène,

voyons la réaction des dirigeants.

2.2.3 Les postures des dirigeants face aux logiques de séduction

Face à cette évolution des employés et des clients, nous mettons en

évidence trois postures de la part de la hiérarchie : une de retrait où la

logique traditionnelle du métier reste vivace (on reste dans une

organisation rationnelle du travail) ; une posture de participation à

l’organisation via la culture de l’organisation, une posture de

reconstruction et de redéfinition de son métier centré autour de la

séduction.

La transformation des métiers se fait a minima et de manière

défensive vis-à-vis des logiques de séduction : dans ce cas, chaque métier

voudrait évoluer sur des bases techniques plus qu’en devant se définir par

rapport au contact avec le client. C’est le cas du centre numéro trois qui

cherche à :

« Mettre en avant la matière en elle-même (le produits issus

de la mer) on valorise plus les produits en les associant

complètements aux soins plus que ne le font nos concurrents »

(directeur commercial).

Cette stratégie technique, qui est un recentrage sur son cœur de

métier, apparaît paradoxalement comme défensive par rapport aux

évolutions en cours. Elle vise à effacer les logiques de séduction en se

plaçant une niche commerciale. On vient pour le soin d’excellence et non

pour une quelconque thalassothérapie. Ce faisant on tente de gommer les

attentes du client qui vient pour une technique et non pour une relation.

C’est un peu comme si un client- qui viendrait acheter une Ferrari- serait

moins exigeant vis-à-vis des vendeurs car seul le produit à acquérir

compte. On peut être circonspect face à ce genre de parade car le centre

de thalassothérapie est lié à un hôtel centré sur des formules dites all

inclusive (et donc sur un produit de masse). Du coup, l’hôtel ne choisit ni

ses clients, ni leurs attentes. Cette posture peut donc apparaître comme

étant plus identitaire (nous faisons un meilleur soin que la concurrence)

que performative (une transformation réelle des métiers).

La convergence des pratiques entre les métiers du soin et du

tourisme peuvent créer une culture commune (Sainsaulieu, 1987) et

constitue la deuxième posture. La « bonne ambiance » qui en résulte

permet de rendre supportable une évolution jugée inévitable. Ainsi, est-ce

le cas du centre numéro quatre mais aussi du centre numéro deux dirigé

par un médecin. Face aux évolutions relationnelles vis-à-vis desquelles il

se sent étranger (il déclare ainsi « le bien être est prépondérant pour le

client mais on doit garder dans la tête qu’il faut soigner les clients ».), le

directeur mise sur la formation pour créer un sentiment d’appartenance

commun :

« Un personnel qualifié et correctement formé saura se

comporter bien avec le client (…) Nous devons faire beaucoup

d’efforts dans la formation du personnel ».

L’idée sous-jacente est que si le contact avec le client est désormais

incontournable, une pratique relationnelle homogène est nécessaire. Face

à des employés au comportement identique, le client ne pourrait plus

exercer les mêmes codes de séduction. Son pouvoir en serait diminué et il

se trouverait dès lors placé en situation d’adaptation face à une forte

culture d’organisation. Ce serait donc au client de changer comme si un

retour en arrière était possible ou souhaitable.

Cette vision est essentiellement promue par des personnes exerçant

des métiers médicaux. Peut-être faut-il y voir ici- face à des évolutions

relationnelles non maîtrisées – un retour en arrière rassurant. On essaye

de recréer des organisations, où les gens font bloc comme dans les

hôpitaux, face à la difficulté relationnelle engendrée par certains clients.

La fusion de ces métiers entre les métiers du soin et du tourisme a

permis l’avènement des logiques de séduction du client et mènera peut

être à son acceptation. Le changement s’effectue moins par les injonctions

de l’organisation que part et pour le client. Ceci est actuellement en cours

dans notre cas numéro un mais combattu par la hiérarchie.

Son directeur pousse au refus de la logique de séduction même s’il

constate que :

« Les exigences du client et la chasse aux pourboires vont plus

vers une logique de bien être » que de soins.

Mais cette vision défensive ne signifie pas passive. Ainsi, le centre a

mis en place un « coaching personnalisé pour mieux assister les clients ».

Concrètement, pour faire en sorte que les clients acceptent une

thalassothérapie très orientée vers le soin, le centre éduque le patient :

« Pour pousser les soins que nous estimons adaptés sans

donner l’impression de forcer la main du client ».

Ce faisant, le centre refuse un relationnel de séduction pour une

approche centrée sur la performance. On joue alors la carte de la

culpabilité sur des clients qui se doivent de préserver leur santé, perçue

comme un capital demandant à être entretenu voire à faire fructifier. Il est

pour l’heure impossible de savoir qui des employés ou de la hiérarchie

imposera ses vues sur la relation au client.

Conclusion

La transformation actuelle du secteur de la thalassothérapie amène à une

renégociation des métiers qui y travaillent. Mais les modifications

relationnelles se font moins entre les métiers que dans le contact avec le

client. Il y a un « émotionnel »12 qui est pris de plus en plus dans le

secteur comme une variable d'efficacité : à savoir qu'il est de plus en plus

demandé aux employés de s'impliquer affectivement dans leurs tâches,

avec toutes les conséquences que cela peut entrainer d'un point de vue

psychique13. Cette évolutions des personnels de santé rejoint ce qu’on a

pu constater dans les années 1980 dans les métiers du tourisme comme

ce fut le cas au Club Med avec la difficulté à gérer le départ des

responsable de centre qui voulaient, ou que l'on poussait, à faire autre

chose. Leur attachement au style et à la culture de leur entreprise étaient

telle qu'il s'est manifesté pour certains par une incapacité à vivre une vie

ordinaire, il faut préciser qu'ils étaient complètement pris en charge et

n'avaient aucunement les soucis du quotidien. La sphère privée est

confondue avec la sphère professionnelle occasionnant dans certains cas

des phénomènes d'épuisement émotionnel (le fameux burn-out), du

moins si l'on croit les travaux dans la lignée du courant de « l'emotional

work », initiée notamment par Arlie Hochschild.

De par nos travaux antérieurs, on a constaté auprès d'employés de

villages de vacances, d'hôtels ou de clubs où les individus à force d'y vivre

et de s'identifier complètement à l'organisation, qui leur fournit tout

(amis, argent, plaisir, identité et valorisation sociales quand on travaille

pour une société prestigieuse (Air France, Ritz, ...) et les materne quelque

12. Hochschild A., Travail émotionnel, règles de sentiments et structure sociale, Travailler

2003/1, N° 9, p. 19-49. ou encore P. Ughetto, « Au service d'un public : un détour par

Halbwachs et Goffman », document de travail n° 04.09, Irés, décembre 2004

13Aurélie Jeantet (2003) « À votre service ! » ,op. cit. D'autres auteurs ont plus insisté

sur le caractère néfaste de la dimension relationnelle dans d’autres métiers comme les

infirmières (Loriol, M., 2000. Le temps de la fatigue. La gestion sociale du mal-être au

travail. Anthropos, Paris) et les aides-soignantes (Arborio, A.M., 2001. Un personnel

invisible. Les aides-soignantes à l’hôpital. Anthropos, Paris).

peu. L'affect prégnant largement sur le fonctionnel ; vivant ainsi en vase

clos et rassurant ceux qui sont un jour licenciés se retrouvent quasiment

désocialisés, sans amis et sans repères et sans habitudes de vie

autonome. Ce sont bien sûr des cas extrêmes car une bonne partie des

personnes travaillant dans le secteur de la thalassothérapie vit un peu

moins ce mélange des sphères privées et professionnelles.

La thalassothérapie est de plus en plus au croisement de la

médecine et du loisir, la notion de bien-être synthétise un peu cette

double référence : d’un côté le souci de réparer le corps, de le guérir, de

l’autre l’idée de plaisir qui renvoie à l’idée de détente, de relaxation et de

plaisir. Ce télescopage entre cure et vacances, entre santé et tourisme, a

des conséquences sur les métiers qui tendent à se rapprocher, si ce n’est

à fusionner sous l’effet des logiques de séduction. On demande de plus en

plus aux employés des centres de bien-être des connaissances en

médecine, douce notamment (phytothérapie, relaxation, massage, etc.),

et aux personnels en charge de la santé des qualités d’accueil et de

service inspirés du monde de l’hôtellerie et du tourisme.

Les logiques de séduction sont basées sur le contact (sourire,

accueil) teinté de fausse authenticité et d’empathie. Elles ont pour

conséquence un exercice plus individuel mais aussi une nouvelle définition

des métiers. Les conséquences, en terme organisationnel mais aussi

symbolique, pourraient être très importantes : c’est là en effet que

s’élaborent sans doute les nouveaux codes et imaginaires du tourisme (tel

que défini par Amirou, 1995) mais aussi peut être du soin.

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