Analyse de la spatio-temporalité dans The Cell et Le cabinet du Dr Caligari

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Collignon Stéphane INFCIN 3 Esthétique et philosophie du cinéma Analyse de la spatio-temporalité dans The Cell et comparaison avec Le cabinet du Dr Caligari

Transcript of Analyse de la spatio-temporalité dans The Cell et Le cabinet du Dr Caligari

Collignon Stéphane

INFCIN 3

Esthétique et philosophie du

cinéma

Analyse de la spatio-temporalité dans The

Cell

et

comparaison avec Le cabinet du Dr Caligari

Année 2003 - 20041) Introduction

Pour le présent travail nous avons choisi de comparer le film

Expressionniste Le cabinet du Dr Caligari et le film The Cell. Dans un

premier temps, nous aborderons de manière relativement sommaire

et sur base de comparaisons l'esthétique de The Cell afin de

démontrer que, du moins dans l'esprit, ce film peut être

qualifié d'expressionniste, justifiant par là notre choix pour

la comparaison. Dans un deuxième temps, nous aborderons plus

spécifiquement l'aspect spatio-temporel de The Cell à travers

l'étude de cinq séquences du film choisies pour leurs

similitudes avec les thématiques expressionnistes.

En annexe vous trouverez un résumé du film ainsi qu'une

biographie du réalisateur.

2) L'expressionnisme de The Cell

Remarque préalable:

Avant d'entrer dans l'analyse de la spatio-temporalité de

The Cell, nous allons d'abord aborder l'esthétique de ce film

afin de justifier le rapprochement que nous en avons fait avec

Le cabinet du Dr Caligari.

En raison du peu de documentation existant sur le film

choisi, nous avons repris les notes de cours concernant le film

Le cabinet du Dr Caligari et nous avons essayé de voir dans quelle

mesure on pouvait les appliquer au film The Cell. Il se pourrait

donc que la démonstration ci-dessous paraisse quelque peu

décousue. Les remarques et analyses concernant la spatio-

temporalité seront gardées pour le chapitre suivant.

La façon dont on emploie le terme expressionniste de nos

jours, avec un "e" minuscule sert à mettre en évidence le fait,

du moins au cinéma, d'employer une variété de techniques et de

trucs qui en soit n'ont que peu à voir avec l'art

Expressionniste à proprement parler, mais dont l'effet final

renvoie directement à l'atmosphère fantastique et sinistre du

vrai cinéma Expressionniste du début des années 20 en

Allemagne.1 L'une des caractéristiques principales de ce que

Lotte Eisner appelle le "Haunted Screen" en parlant de ce

cinéma, est son intérêt pour la psychologie morbide.2 Les films

Expressionnistes ont expérimenté avec les décors, la

composition visuelle et l'éclairage pour exprimer une réalité

subjective. Ce sont des films qui traitent de la folie, de

l'identité et du mal. Ils se concentrent sur le monde

1 COMBS Richard2 idem op cit.

intérieur, subjectivé, comme il s'exprime à travers les

distorsions perçues dans la réalité extérieure.3

D'un point de vue esthétique, l'Expressionnisme, dont

s'inspire Le cabinet du Dr Caligari, vise à dépasser l'expression au

sens propre pour une expression au sens figuré. Et il le fait

par l'exagération, les ruptures, le clair-obscur, la

suggestion… De même, The Cell, du moins dans les séquences où

l'on se trouve à l'intérieur de Stargher reflète complètement

cette exagération, ces jeux sur les lumières et la couleur, les

suggestions, les ruptures.

Du point de vue du fond, l'Expressionnisme provient d'un

malaise sociétal survenu après la seconde guerre mondiale

mettant entre autre en avant:

- les dérives d'une société à deux vitesses, partagée

entre rêve et cauchemar.

- Une révélation de la folie et ses dérives.

The Cell se fait également l'écho, comme beaucoup d'autres films,

d'un malaise actuel. Du "sentiment paranoïaque que tout est

fiction et qu'il n'y a plus d'issue, la perte d'identité des

individus livrés aux affres d'un monde dématérialisé."4 The Cell

contient aussi une vision du subconscient, une véritable

plongée dans la folie d'un individu et c'est d'ailleurs là

l'intérêt du film. Il est encore un point commun indéniable

entre les deux films, c'est leur double genèse, à la fois dans

l'intrigue policière et dans la psychanalyse.

3 Close up: A critical perspective on film, 19724 PERON Didier, Tous en "Cell" in Libération, 18 octobre 2000, p 44

Abordons maintenant quelques caractéristiques formelles.

Tout d'abord, Le cabinet du Dr Caligari est un récit encadré.

Autrement dit, le récit principal est raconté par un narrateur

que l'on voit commencer et conclure le récit. Le cœur du film

est donc la vision subjective du narrateur. Si on ne peut pas à

proprement parler de récit encadré dans le cas de The Cell, on

peut quand même noter un va et vient entre un monde "réel" et

le monde subjectif, à l'intérieur de l'esprit de Stargher.

Cette comparaison est d'autant plus intéressante quand on sait

que, dans le cas du Cabinet du Dr Caligari , ce sont les producteurs

qui ont introduit la "fin plus claire" permettant de faire la

distinction entre le monde "réel" et les distorsions de

l'esprit de Franz. Et que, dans le cas de The Cell , l'histoire

de serial killer se déroulant dans le monde "réel" n'est là que

pour amadouer les producteurs et permettre à Singh de faire le

film et surtout les effets visuels qu'il voulait.

Un autre point sur lequel un rapprochement peut s'opérer

est le fait que Le cabinet du Dr Caligari est fortement inspiré du

mouvement STURM , du théâtre Expressionniste. Ce sont

d'ailleurs des gens venus de ce milieu qui ont réalisé les

décors du film. Dans le cas de The Cell, Singh voulais "tourner

le film à la manière d'un opéra"5 et il a fait appel à la

costumière d'opéra Eiko Ishioka (qui, quelques années

auparavant, avait d'ailleurs travaillé sur le "Dracula" de

5 PLUIJGERS Jean-François, Hollywood, mode d'emploi in La Libre Culture, 15 novembre 2000, p VI

Coppola, film qui ne renie pas sont inspiration

Expressionniste).6

On retrouve donc, dans les deux cas, une inspiration

plutôt scénique. Les décors relèvent aussi d'une grande

importance dans le cas de The Cell. Même s'il ne sont pas

exclusivement Expressionnistes, on y retrouve néanmoins une

très grande influence de l'art et en particulier l'art

contemporain.7

Dès le générique, Caligari (afin de nous faciliter l'écriture nous

mentionnerons dorénavant Le cabinet du Dr Caligari de cette façon) frappe par

deux aspects: la teinte de la pellicule et le graphisme

déformant. Soit une grande stylisation, qui nous installe dans

le ton du film. Le lieu où débute le récit reste trouble

(jusqu'à la fin du récit où l'on apprend que le narrateur se

trouve dans un asile), on est dans un climat étrange, un

mélange entre réalisme et fantastique. De son côté, The Cell

commence par une séquence très onirique, proche du Surréalisme8. Ici aussi on donne une piste dès le départ, mais on le fait

plus en douceur. On apprend assez vite que l'on se trouve dans

un institut de recherche psychiatrique. Malgré quelques nuances

le récit des deux films débute (et se terminera) dans le même

genre d'endroit.

Dès la deuxième séquence de Caligari on plonge dans le récit

subjectivé, ce dont on se rend tout de suite compte de par les

6 PERON Didier, Tous en "Cell" in Libération, 18 octobre 2000, p 447 DELORME Gérard, The Cell in Première n°55, novembre 20008 Cette séquence, ainsi que les séquences à l'intérieur de Stargher etde Catherine, sera analysée du point de vue spatio-temporel dans la partie suivante

décors Expressionnistes complètement déformés, reflet de

l'esprit du narrateur. Dans The Cell, hormis la séquence

d'ouverture, il faudra attendre près de 40 minutes avant de

pénétrer dans l'esprit sombre et tortueux de Stargher. Là où

Caligari nous fait directement plonger dans l'esprit d'un dément,

Singh prend bien le temps de préparer son audience à ce qu'elle

est sur le point de voir. De plus, dans "Caligari" le récit

baigne dans les croyances, le superstitieux. Alors que The Cell

se veut plus scientifique.

Dans Caligari, le passage du narrateur au récit subjectif se

fait par une fermeture et une ouverture d'iris. Iris qui sera

d'ailleurs souvent employé pour mettre en évidence les

personnages clés du récit. Singh, lui, ne se sert plus de

l'iris, procédé techniquement un peu désuet, mais la

circularité du "passage" est gardée par des effets spéciaux

divers puisque, lorsqu'ils entrent dans l'esprit de Stargher,

les personnages semblent se faire aspirer, comme s'ils

tombaient dans un tunnel, qu'ils se faisaient avaler 9.

L'importance du cadrage de Caligari met encore plus en

évidence les décors. En effet, la caméra ne bouge presque pas.

Les personnages évoluent au sein de décors omniprésents.

D'ailleurs le cadre subsiste souvent au départ des

personnages, pour insister sur le sentiment créé par les décors

Expressionnistes. Dans The Cell également on se retrouve face à

des décors hyper signifiants, dans lesquels évoluent les

9 Il faut mentionner cependant la deuxième entrée de Catherine dans l'esprit de Stargher qui n'obéit pas à cette règle. Nous y reviendrons plusloin

personnages. Bien sûr, cinéma commercial américain oblige, la

caméra ne reste pas fixe trop longtemps, mais elle ne bouge

jamais inutilement. Que ce soient les mouvement tortueux,

hiératiques (comme le jeux des acteurs Expressionnistes), "les

oppositions visuelles, les brusques changements d'échelle qui,

dans le même plan, font passer les personnages du rang de

sujets à celui de détails"10, tout est fait pour nous faire

ressentir l'atmosphère oppressante et lugubre du psychisme de

Stargher.

Mais Singh ne se contentant pas d'une seule influence, on

retrouve aussi ci et là, par exemple, des plans que l'on

pourrait qualifier de "montage intellectuel à la Eisenstein".

Ce sont surtout les animaux: loups, anguilles,… qui sont ainsi

utilisés.

Le deuxième voyage dans l'esprit de Stargher est

essentiellement construit autour d'une séquence voyeuriste. En

effet, Catherine Deane se voit enfermée dans un placard par

le bon alter ego de Stargher d'où elle assiste, ainsi que nous

par l'intermédiaire d'un "point of view shot", aux maltraitances

dont Stargher fut victime durant son enfance. Bien sûr, l'appel

aux pulsions voyeuristes du spectateur n'est pas un élément

typique au courant Expressionniste. On le retrouve dès les

débuts du cinéma. Mais ici le voyeurisme n'est pas du tout

associé à un érotisme quelconque ou à une transgression

d'interdit, il joue juste sur la curiosité et permet d'assister

à la "naissance" de l'alter ego démoniaque de Stargher.

10 T.S. Voyage dans la tête d'un tueur in Le Monde, 18 octobre 2000

On notera toutefois une petite différence avec Caligari. Ici

la séquence voyeuriste permet de mieux comprendre alors que

dans Caligari, elle sert avant tout à brouiller les pistes en

donnant une double personnalité à Cesare.

Dans les deux films on trouve une réflexion sur la double

personnalité du criminel. D'une part, les rapports entre le Dr

Caligari et Cesare, d'autre part les rapports entre Stargher et

son alter ego démoniaque.

Lors de la troisième visite, dans l'esprit de Stargher, on

se rend compte que la psychologue est devenue partie intégrante

du monde dément de Stargher. On nous la présente par deux fois

par une sorte de plan hypostatique. Elle reste là figée, telle

une icône, apparemment indifférente à ce qui l'entoure.

Caligari est divisé en cinq actes dont la fin ne correspond

absolument pas à la logique diégétique. Dans The Cell, on

pourrait considérer chaque voyage comme autant d'actes, mais

ici la fin de chacun de ces actes répond à une logique toute

évidente: la création du suspense. En effet, chaque fois, les

voyages dans l'esprit de Stargher sont interrompus de manière

brutale, par un "cut" bien marqué. Alors que les entrées sont

marquées par une transition visuelle, comme expliqué plus tôt,

les sorties ne le sont pas. On sait dans quel état on entre,

mais on ne sais jamais comment on va s'en sortir.

Une scène est à mettre à l'écart dans Caligari.

L'appartement de Jane rompt complètement avec l'ambiance

angoissante du film. En effet, loin des lignes brisées et des

jeux d'ombres des décors Expressionnistes, l'appartement de

Jane est tout en rondeur, rose et rococo. De même, dans The Cell,

lorsque c'est à l'intérieur de l'esprit de Catherine Deane que

l'on se retrouve, fini les décors glauques et angoissants.

L'esprit de Deane ressemble à une image pieuse bleu ciel et

rose bonbon au fond d'une boule à neige (évoquant l'ambiance

kitsch d'artistes comme Pierre et Gilles). On retrouve donc

dans les deux cas l'opposition entre un monde sombre et

inquiétant et un autre rose, rassurant, et féminin. D'ailleurs,

dans les deux cas, c'est de l'intrusion du "monstre" dans le

"monde rose" que viendra la fin de celui-ci à savoir la mort de

Cesare et celle de Stargher. Comme si la noirceur de l'âme ne

pouvait être que détruite par l'amour, la beauté et la douceur

qu'évoquent Jane et Catherine.

Enfin, l'histoire de Caligari se termine au même endroit

qu'elle a commencé mais ce n'est plus tout à fait pareil.

Maintenant on sait où l'on est, et on se rend compte que c'est

Franz le fou. Dans The Cell aussi on pense terminer le film dans

le même endroit qu'au début. Mais un détail a changé, on est

plus dans l'esprit du petit garçon, on est dans l'esprit de

Catherine Deane. A quelques nuances près on termine comme on a

commencé, le récit est encadré.

3) La spatio-temporalité

Pour l'analyse de la spatio-temporalité de The Cell nous

avons décidé d'aborder cinq séquences se déroulant à

l'intérieur du psychisme d'un des personnages puisque ce sont

les séquences que l'on peut rapprocher le plus de l'exemple de

Caligari. Notons que, Caligari ayant fait l'objet d'une analyse

poussée en classe, nous n'avons pas jugé utile d'y revenir ici.

1 e séquence:

Cette séquence est à la fois le générique et la séquence

d'ouverture du film. Elle se compose essentiellement de plans

très larges, mettant en avant l'immensité du désert,

entrecoupés de quelques gros plans recadrant notre attention

successivement sur le cheval, Catherine et le miroir orienté

par l'enfant. Quelques détails comme la transformation de

cheval en statue, ou la robe de Catherine, ainsi que la musique

rendent l'ensemble assez onirique, Surréaliste.

Catherine parcourt une distance immense pour rejoindre

Edward, mais l'action est très elliptique, de sorte qu'on a pas

la moindre idée du temps qu'il lui faut pour rejoindre Edward.

De plus, durant toute la séquence la luminosité reste la même,

donc nous avons aucun indice quant à une quelconque évolution

du temps. Quand elle rejoint l'enfant, on se rend compte que

l'espace est différent, le sable est beaucoup plus clair, la

teinte est plus froide, il n'y a plus de dunes et l'espace est

parsemé d'arbres calcinés. Edward se trouve au centre de cet

espace. Catherine remercie l'enfant pour le cheval et lui

demande s'ils n'étaient pas supposés faire du bateau. L'enfant

tourne la tête et on trouve un bateau en plein milieu du

désert. On comprend que c'est l'enfant qui contrôle ce qui se

passe dans ce monde où il est maintenu prisonnier.

A l'apparition de Mocky lock, Catherine appuie sur la puce

située sur sa main et se réveille dans le laboratoire.

Manifestement il y a une très grande adéquation entre la

construction de l'espace et du temps dans cette séquence et

l'esprit de l'enfant. Edward est plongé dans un état

catatonique et le monde au centre duquel il se trouve n'est

qu'une très vaste entité désertique, cette impression étant

accentuée par la série de plans très larges, montrant

l'immensité du désert. On peut d'ailleurs remarquer un montage

assez contrasté puisque l'on passe de plans extrêmement larges

à des gros plans, et vice versa pendant toute la première

partie de la séquence. Le désert est aussi intéressant car

c'est un espace qui n'offre aucun repère visuel fixe, le dunes

changent avec le vent. Catherine pourrait se perdre si l'enfant

n'agitait pas son miroir. Les seuls repères sont les arbres

noirs, calcinés, se trouvant tout autour de la zone au centre

de laquelle se trouve l'enfant, comme autant de barreaux d'une

prison.

Du point de vue de la temporalité, aucun indice ne vient

nous aiguiller, pire, les grandes ellipses nous font

complètement perdre la notion du temps, ou plutôt, la rende

dérisoire puisqu'on est à l'intérieur d'un monde où les lois

naturelles n'ont pas cours. Ce sera encore plus évident dans

les séquences suivantes.

2 e séquence:

C'est la première entrée dans l'esprit de Stargher, elle

commence par un très gros plan sur l'œil de Catherine et sur ce

qu'elle regarde, une sorte de mosaïque à l'intérieur de

laquelle on pénètre par le biais d'un travelling avant. La

succession du plan de l'œil regardant et du regardé donne

l'impression d'un "P.O.V. shot" Toujours dans le même plan,

s'en suit un enchevêtrement de fils électriques et de poupées

désarticulées qui deviennent racines dans lesquels un corps est

retenu. On se retrouve sous l'eau en contre plongée. On fait

surface par l'intermédiaire d'un travelling vers le haut

accompagné d'un tilt vers le bas de sorte qu'on finit par

observer la scène en plongée. Mais le mouvement continue, on se

retrouve alors la tête en bas et on replonge dans l'eau

(l'action simultanée du travelling et du tilt nous ont fait

pivoter à 180° autour d'un axe horizontal). Le travelling "vers

le haut" continue, et on traverse le fond de la rivière pour

surgir de l'autre côté à l'intérieur d'une sorte de grand

égout. Le travelling vers le haut se poursuit mais il est,

cette fois, accompagné d'un basculement de la caméra de 90° sur

son axe longitudinal, de sorte que l'image pivote d'un quart de

tour pour se fixer sur Catherine en plan large et légère

plongée. Ce n'était donc pas vraiment un "P.OV. shot". On

enchaîne directement sur un gros plan de Catherine en plongée,

presque à la verticale. S'en suit alors une séquence très

montée de plans assez serrés montrant des images au ralenti. Il

y a un certain dérèglement temporel. Quand Catherine se déplace

enfin, la caméra, non seulement ne la suit pas (subsistance du

cadre) mais se déplace légèrement dans une autre direction!

Catherine n'est pas le centre de la spatialité. Contrairement à

la première séquence qui se déroule "à ciel ouvert", on est ici

dans un espace clos qu'on ne perçoit jamais dans son entièreté.

On ne sait pas où l'on est.

Encore une fois les déplacement de Catherine sont

ellipsés, mais quand il s'agit seulement de descendre quelques

marches, ce qui ajoute une dimension complètement irréelle à

l'écoulement du temps comme on l'avait déjà perçu lors de la

première séquence.

Ce n'est que quand Catherine aperçoit Carl (enfant) qu'on

s'aperçoit de l'immensité des lieux, mais aussi de leur

construction particulière. Par opposition, à l'immensité

désertique et uniforme de la 1e séquence, on est ici dans un

espace clos et compartimenté. Après une ellipse de déplacement,

Catherine se retrouve à l'entrée d'une nouvelle pièce très

différente de la première, on dirait une salle de musée

classique, propre, bien éclairé et contenant plusieurs

vitrines. Un premier détail choque: un tic-tac omniprésent mais

encore une fois, on ne montre pas d'horloge, en tout cas pas

d'assez près pour pouvoir avoir une idée du temps. Le seul

cadran dont on verra l'aiguille défiler, ne correspond pas à un

cadran normal (les aiguilles n'en font pas le tour complet et

avancent plus vite que des secondes). On peut remarquer enfin

que les vitrines contiennent toutes une série d'appareils

destinés à la mesure du temps et de l'espace. Mais ils sont

vieillots et enfermés; d'aucune utilité. L'espace temps dans

lequel on se trouve n'est pas censé correspondre à de

quelconques normes.

Après la découpe du cheval (on remarquera qu'à cet instant

le tic-tac a cessé et qu'on entend plus que les battements de

cœur du cheval) Catherine suit le jeune Carl dans une autre

pièce dont le style est lui aussi très différent, comme laissé

à l'abandon depuis plusieurs années, elle est plus tortueuse.

Enfin, Catherine sera amenée dans une quatrième pièce, tout

aussi différente des autres, toute en dorure et en drapé, au

centre de laquelle trône l'alter ego démoniaque de Stargher.

Contrairement à l'esprit d'Edward, l'esprit de Carl est

très compartimenté, complexe et hétéroclite. Il est peuplé

d'étrange créatures. On est ici très proche d'une esthétique

expressionniste, du point de vue de l'intention et de l'effet

recherché. La construction de l'espace reflète la complexité de

l'esprit de Carl. D'un point de vue temporel, par contre, c'est

le flou le plus complet. On a beau savoir qu'il ne reste que 40

heures pour retrouver la victime de Carl, on ne saura jamais

combien de temps s'écoule à l'intérieur de l'esprit de Carl, il

n'y a aucun repère. On se retrouve à la fois dans un contexte

où le temps presse et où il n'a pas la moindre importance, ni

la moindre consistance logique. On peut enfin constater que

cette première séquence à l'intérieur de Carl contient déjà

tout les éléments explicatifs de sa personnalité et de ses

crimes. Elle est assez matricielle.

3 e séquence:

La deuxième entrée dans le psychisme de Carl soulève

quelques interrogations. En effet, suite à un problème

technique, Catherine doit se lever et faire les réglages elle-

même. La caméra la suit en plan rapproché et la mise au point

est faite sur elle de sorte que le fond du laboratoire est

complètement flou. Quand Catherine se retourne, on s'aperçoit

qu'elle a rétréci et qu'elle est en train de se regarder

toujours suspendue. Elle se rend compte alors qu'elle est déjà

à l'intérieur de Stargher. Pourtant, Carl ayant été amené déjà

dans le coma au laboratoire, comment une représentation du

laboratoire pourrait-elle se trouver dans son subconscient? Si

d'un point de vue du suspense, ce traitement de l'entrée dans

l'esprit de Carl est intéressant, on s'aperçoit assez

rapidement qu'elle est complètement incohérente.

Mis à part ce détail, la séquence est très similaire à la

précédente. Catherine pénètre dans un nouvel endroit qui

représente le passé de Carl et par une série de flash back

observés par l'intermédiaire d'un "P.O.V. shot". Catherine peut

alors enfin entrer en contact avec Carl adulte et il a cette

phrase assez intéressante: "In what world you live in?" Peu

après elle perd contact avec la "réalité" et se retrouve

prisonnière. Peter doit alors entrer dans l'esprit de Carl pour

sauver Catherine. On a alors droit à une séquence rappelant

d'une certaine manière la séquence d'ouverture du film. Peter

abouti sur une étendue de sable figé et fortement sillonné. Son

attention est attirée par un reflet provoqué par le petit

miroir qu'agite Carl enfant (Catherine lui en avait fait

cadeau, comme elle l'avait fait avec Edward). On remarque que

pour la première fois, à l'arrivée de Peter, on semble se

trouver dans un espace ouvert, mais on s'aperçoit vite que

c'était un trompe l'œil et Peter suit Carl enfant dans une

autre pièce. On constate qu'il n'y a vraiment aucune unité

spatiale. On passe d'un décor à l'autre en un regard en suivant

Carl enfant dans les méandres de son psychisme torturé.

Cette séquence se termine dans la pièce représentant

l'endroit où Carl à enfermé sa dernière victime. Cette pièce

apparaît comme éminemment symbolique et permet à Peter de

comprendre comment retrouver la victime.

4 e Séquence:

Catherine décide de faire rentrer Carl dans son esprit à

elle. Avant d'enclencher la machine, elle regarde une image

pieuse et une boule à neige qui influenceront la vision que

l'on aura de son esprit. Cette séquence à l'intérieure de

Catherine est construite en montage alterné avec la course de

Peter pour trouver et sauver la dernière victime.

Une fois à l'intérieur de Catherine, on se retrouve dans

un espace beaucoup plus restreint que d'habitude, comme si elle

avait volontairement choisi de délimiter l'espace. Cet espace

est d'ailleurs directement tiré des deux derniers objets

qu'elle a regardé, on se retrouve dans un monde en rose et

blanc, un peu kitch. L'image est sur-cadrée d'enluminure,

transformant le dialogue en "champs / contre-champs" en une

série d'icônes. Le sur-cadrage disparaît quand l'alter ego

maléfique de Carl fait son apparition, et l'espace s'assombrit,

comme si l'alter ego avait contaminé le monde de Catherine,

mais c'est elle qui contrôle tout et l'espace ne change pas

vraiment, la lumière est juste plus dure. Comme le dit

Catherine: "My world, my rules".

Le montage alterné permet de faire le parallèle entre le

combat de Catherine contre le monstre et la course de Peter

pour sauver la victime. Le monstre doit être vaincu à

l'intérieur et à l'extérieur. Quand Catherine se rend compte

qu'elle ne peut pas tuer le monstre, Peter semble ne pas

trouver la cache. Un détail attire son attention et il trouve.

A cet instant Catherine réalise ce qu'elle doit faire. On se

retrouve alors avec un montage alterné de trois actions: l'une

dans la réalité (la victime sauvée des eaux), l'autre dans le

passé (Carl plongé dans l'eau pour son baptême, c'est-à-dire la

création du monstre) et l'autre dans le monde psychique de

Catherine (Carl replongé dans l'eau, soit, la destruction du

monstre). Nous avons donc deux, puis trois, espaces ainsi que

deux temporalités qui coexistent pendant cette séquence, mais

on peut toujours noter qu'aucun élément ne nous permet

d'évaluer d'une quelconque façon la durée des différentes

actions. On peut même affirmer qu'il y a une certaine

manipulation de la temporalité (que l'on pourrait appliquer au

film dans l'ensemble) puisqu'on présente en parallèle et comme

ayant une durée égale trois événements qui ont

vraisemblablement des durées réelles différentes. Singh joue

donc avec la perception de la temporalité.

5 e séquence:

Nous abordons ici la dernière séquence du film. La

séquence commence par un plan serré de Catherine de dos qui

place un bateau dans un arbre. De prime abord, on se retrouve

exactement au même endroit que lors de la première séquence;

dans l'esprit de l'enfant. Mais un détail a changé. Les arbres

sont recouverts de fleurs roses et il neige. Malgré la grande

ressemblance avec la première séquence, nous somme bel et bien

dans l'esprit de Catherine, malgré la configuration très

différente de la séquence précédente (seuls les pétales roses

et la neige permettent de faire le lien). On s'aperçoit donc

qu'à l'intérieur de son propre esprit on est capable de

reconfigurer à volonté l'espace.

4) Conclusion

Si l'on prend le sujet même de The Cell, c'est-à-dire une

psychologue qui entre littéralement dans l'esprit d'un tueur en

série profondément schizophrène, on se retrouve déjà avec l'une

des caractéristiques principales du cinéma Expressionniste. A

savoir: la psychologie morbide. Mais Tarsem Singh ne s'est pas

arrêté à une simple similitude de sujet. Comme il l'a laissé

sous-entendre dans un article de la Libre Culture, le scénario du

film était avant tout le prétexte à des expérimentations

visuelles, à un traitement de l'image permettant d'installer un

climat étrange, grandiose et inquiétant, que ce soit dans les

décors, l'éclairage ou la manière de filmer. Les films

Expressionnistes s'inspiraient uniquement de l'art

Expressionniste tandis que Singh s'inspire de tout ce qui peut

enrichir sa création visuelle, que se soient des tableaux de

Jérôme Bosch ou les œuvres de Jan Saudek, pour n'en citer que

deux. Comme dans Caligari, les influences artistiques servent à

créer des distorsions pour rendre palpable à l'extérieur le

monde intérieur de la psychologie dérangée du personnage. Bien

sûr, ici, les distorsions n'affectent pas le monde extérieur

comme elles le feraient dans un vrai film Expressionniste

puisqu'on entre littéralement dans la tête du personnage, mais

dans le fond cela n'est qu'un détail, car l'important est que

le réalisateur parvient avec les décors, la composition

visuelle et l'éclairage, à exprimer une réalité subjective, à

nous montrer la folie de son personnage. On peut donc en

conclure sans trop exagérer que, même si The Cell n'est pas à

proprement parler un film Expressionniste. De part son sujet,

sa mise en scène, son esthétique, et l'ambiance qu'il parvient

à créer (du moins pour ce qui en est des séquences où l'on

pénètre l'esprit du tueur), il mérite certainement d'être

qualifié de film expressionniste.

Le traitement de la spatio-temporalité mérite également

qu'on s'y attarde. Le but de ce film était de montrer la folie

d'un personnage et il est manifeste tout au long du film que

les espaces intérieurs des personnages reflètent directement

leur psyché. Que se soit la vaste étendue désertique

représentant l'esprit d'un enfant catatonique, le dédale truffé

de pièces étranges et hétéroclites et peuplé de personnages

inquiétants représentant l'esprit d'un schizophrène, où

l'espace contrôlé et rassurant représentant l'esprit de la

psychologue, chaque espace, chaque lieu abordé dans les

séquences analysées est porteur de sens, et sujet à toutes les

distorsions du subconscient humain. Il en va de même pour la

temporalité. A aucun moment durant le film on ne nous fournit

de repère temporel valable. Pire, on l'étire, le contracte

grâce aux ellipses. Pour en arriver au climax où trois

temporalités différentes coexistent dans une même durée, car,

et c'est d'autant plus vrai pour la perception du temps, ce qui

compte avant tout pour les films expressionnistes et pour The

Cell en particulier, c'est la perception subjective que l'on a

de la spatio-temporalité, et pas de son réalisme.

ANNEXES:

Le film.

Carl Stargher est un tueur en série qui a déjà fait une

dizaine de victimes. Chaque fois c'est le même mode opératoire:

il kidnappe des jeunes femmes et les enferme dans un caisson de

verre. Après 40 heures, le caisson commence à se remplir d'eau

jusqu'à ce que la victime meure noyée. Il peut ensuite en faire

des sortes de poupées de porcelaine…

Mais, consciemment ou pas, Stargher devient négligent et

commence à laisser des indices qui permettent à l'agent du FBI

Peter Novak de remonter jusqu'à lui alors qu'il vient juste de

kidnapper une nouvelle jeune femme. Novak sait qu'il ne lui

reste que 40 heures pour faire avouer Stargher.

Malheureusement, juste avant de se faire arrêter, Stargher

tombe dans un coma profond et irréversible.

Novak décide alors de faire appel à l'aide de la

psychologue Catherine Deane dont l'équipe travaille sur un

procédé révolutionnaire leur permettant d'entrer littéralement

dans l'esprit d'un patient afin de pouvoir dialoguer avec lui,

et si possible le faire sortir d'un état catatonique. Deane

accepte d'aider Novak et pénètre à l'intérieur de l'esprit

tortueux du tueur, dans l'espoir de lui faire avouer où se

trouve la dernière victime pour qu'on puisse la sauver. Une

fois à l'intérieur, Deane se retrouve confrontée à un monde

cauchemardesque, résultant de la profonde schizophrénie de

Stargher, complètement en proie à un alter ego démoniaque et

déjanté.

Lors d'une seconde visite, Deane, suite à de trop fortes

émotions, devient prisonnière de l'esprit du tueur. Novak

décide donc de l'y rejoindre afin de la sauver. A l'intérieur,

il découvre des symboles qui lui permettent de comprendre où se

trouve la dernière victime.

Novak part donc immédiatement à la rescousse de la jeune

fille à qui il ne reste plus que quelques dizaines de minutes.

Pendant ce temps, Catherine décide de retourner à la machine,

mais cette fois-ci pour faire entrer Stargher dans son esprit à

elle. Là, complètement en contrôle de la situation, elle essaye

de délivrer Stargher de son démon mais se rend vite compte

qu'ils sont trop étroitement liés et que, comme le pense

Stargher, la seule façon de l'empêcher de souffrir et de le

plonger dans l'eau et de l'y maintenir jusqu'à ce qu'il ne

puisse plus avoir mal…

Biographie du réalisateur.

Tarsem Singh est né dans la province du Penjab, en Inde,

où il a fait toute sa scolarité. Au moment de faire le choix de

ses études universitaires, il annonce à son père sa volonté de

suivre des études de cinéma. Son père décide alors de lui

couper les vivres pour le forcer à suivre des études menant au

monde des affaires. Suite à cela, Singh tente et réussi un

examen préparatoire lui permettant de demander son admission à

Harvard.

Ensuite, Singh se rend chez un cousin au Canada. Là il

réitère sa demande à son père de suivre des études de cinéma.

Après un nouveau refus de celui-ci, le cousin de Singh lui paye

un ticket de bus pour Los Angeles.

Sur place, Tarsem Singh commence à faire le tour des

établissements spécialisés, mais est systématiquement refusé.

Un jour, il rencontre un certain Randy Marsh et l'accompagne

pour visiter l'Art Center de Pasadena. Marsh décidant de ne pas

s'y inscrire, Singh le fait sous son identité, de sorte que son

diplôme n'est pas à son nom…

Une fois ses études terminées, Singh se fait un nom dans

la réalisation de clips vidéo, dont le très remarqué clip de

R.E.M. pour la chanson "Losing my religion". Il se lance

ensuite dans la publicité avec un certain succès. Pendant dix

ans, divers producteurs vont tenter de le faire passer au grand

écran. En vain, jusqu'au jour où on lui propose le scénario de

"The Cell". Non pas que le scénario de "The Cell" soit

extraordinaire, au contraire, selon ses propres dires: "…il

était tellement mauvais, au delà du ridicule, qu'il

s'assimilait à une page blanche." Mais à condition qu'on lui

laisse une entière liberté, pourquoi pas.

C'est donc sur base de ce scénario "littéralement passé

entre toutes les mains cinq années durant" que Tarsem Singh

réalise son premier long métrage. Malgré un scénario

extrêmement pauvre ce film permet à Singh de montrer tout ce

dont il est capable sur le plan visuel, et c'est bien de ce

point de vue là qu'il est intéressant de l'étudier.11

11 PLUIJGERS Jean-François, Hollywood, mode d'emploi in La Libre

Culture, 15 novembre 2000, p VI.

(référence valable pour toutes les citations de la page)