Métastase neurotrope d’un carcinome épidermoïde cutané

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Articles scientifiques Cas clinique Métastase neurotrope d’un carcinome épidermoïde cutané D. WAROQUIER (1), J. VADOUD (1), P. VEREECKEN (1), J. VANGEERTRUYDEN (2), M. LAPORTE (1) Résumé Introduction. Le carcinome cutané épidermoïde est le second cancer cutané en fréquence. C’est une tumeur classiquement considérée comme peu agressive. À côté de l’extension par voie sanguine ou lymphatique, l’invasion périneurale est un mode d’envahissement tumoral. Nous rapportons un cas de récidive d’un carcinome épidermoïde cutané débutant par une symptomatologie neurologique. Observation. Un homme de 77 ans ayant un antécédent de carcinome épidermoïde cutané fronto-temporal droit, a consulté pour une ptose de la paupière droite et une hypoesthésie dans le territoire du nerf VI. Il a développé ensuite des douleurs de l’arcade sourcilière ipsilatérale et une diplopie. La biopsie de nodules cutanés douloureux apparus quelques semaines plus tard a permis de poser le diagnostic de carcinome épidermoïde neuro-invasif et l’étiologie néoplasique de la symptomatologie neurologique. La relecture des coupes histologiques de la première lésion a confirmé le diagnostic de carcinome épidermoïde bien différencié invasif. Des coupes sériées ont cependant mis en évidence des cellules néoplasiques entourant des ramifications nerveuses dans le derme profond. Discussion. À côté de l’extension par voie sanguine ou lymphatique, les carcinomes épidermoïdes cutanés ont un potentiel d’envahissement des structures nerveuses variable. Le neurotropisme est un marqueur d’agressivité. Seul l’examen anatomopathologique permet un diagnostic précoce. En cas de récidive, les signes neurologiques peuvent précéder les signes cutanés rendant le diagnostic difficile. Le suivi des malades atteints de ce type de tumeur doit comprendre un examen neurologique. Summary Introduction. Epidermoid skin carcinoma is the second most frequent skin cancer. It is rarely considerated as aggressive. Other thant its extension through the blood of lymph circulation, perineural invasion is also a significant form of tumoral invasion. We report a case of recurrent epidermoid skin carcinoma beginning with a neurological symptomatology. Observation. A 77 year-old man with a history of right fronto-temporal epidermoid skin carcinoma turned up at our clinic with a ptosis of the right eyelid and hypoesthesia in the nerve VI area. He later developed pain in the arch of the eyebrow and diplopia. Five weeks later, two subcutaneous nodules appeared. Histology revealed a neuro-invasive epidermoid carcinoma explaining the clinical picture. Re-loading of the histological sections of the first injury confirmed the clearly differentiated invasive epidermoid carcinoma. However, renewed classified sections revealed neoplastic cells surrounding the nerv branches in the deep dermis. Discussion. Other than the extension through the blood or lymph circulation, epidermoid cutaneous cancers exhibit varying invasion of the nerve structures. Neurotropism is an aggressiveness marker. Only the pathologico-anatomic investigation enables an early diagnosis. In the case of recurrence, neurological symptomatology can precede skin injuries and make diagnosis difficult. The follow-up of the carriers of this type of tumor must include a neurological examination. ---------------------------------------- Neurotropic metastasis of squamous cell carcinoma. D. WAROQUIER, J. VADOUD, P. VEREECKEN, J. VANGEERTRUYDEN, M. LAPORTE Ann Dermatol Venereol 2004;131:187-9 The full text of this article is available in English, free of charge, on the Web on : www.e2med.com/ad L e carcinome cutané épidermoïde est le second cancer cutané en fréquence. C’est une tumeur classiquement considérée comme peu agressive. À côté de l’exten- sion par voie sanguine ou lymphatique, l’invasion périneu- rale est un mode d’envahissement tumoral [1]. L’incidence de cet envahissement varie entre 2 et 14 p. 100 selon les études [2]. Nous rapportons un cas de récidive de carcinome épider- moïde cutané débutant par une symptomatologie neurologi- que. Observation Un homme âgé de 77 ans avait eu l’excision en marges saines, un an et demi auparavant, d’un carcinome épidermoïde cutané bien différencié invasif fronto-temporal droit. Il avait comme autres antécédents une cardiomyopathie ischémique traitée par triple pontage et une hyperlipémie. Il prenait (1) Service de Dermatologie, (2) Service de Chirurgie Plastique, Hôpital Erasme, Bruxelles, Belgique. Tirés à part : D. WAROQUIER, Service de Dermatologie, Hôpital Erasme, 808 route de Lennik, 1070 Bruxelles, Belgique. E-mail : [email protected] 187 Ann Dermatol Venereol 2004;131:187-9

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Articles scientifiquesCas clinique

Métastase neurotroped’un carcinome épidermoïde cutanéD. WAROQUIER (1), J. VADOUD (1), P. VEREECKEN (1), J. VANGEERTRUYDEN (2),M. LAPORTE (1)

Résumé

Introduction. Le carcinome cutané épidermoïde est le second cancer

cutané en fréquence. C’est une tumeur classiquement considérée

comme peu agressive. À côté de l’extension par voie sanguine ou

lymphatique, l’invasion périneurale est un mode d’envahissement

tumoral. Nous rapportons un cas de récidive d’un carcinome

épidermoïde cutané débutant par une symptomatologie neurologique.

Observation. Un homme de 77 ans ayant un antécédent de carcinome

épidermoïde cutané fronto-temporal droit, a consulté pour une ptose de

la paupière droite et une hypoesthésie dans le territoire du nerf VI. Il a

développé ensuite des douleurs de l’arcade sourcilière ipsilatérale et une

diplopie. La biopsie de nodules cutanés douloureux apparus quelques

semaines plus tard a permis de poser le diagnostic de carcinome

épidermoïde neuro-invasif et l’étiologie néoplasique de la

symptomatologie neurologique. La relecture des coupes histologiques

de la première lésion a confirmé le diagnostic de carcinome

épidermoïde bien différencié invasif. Des coupes sériées ont cependant

mis en évidence des cellules néoplasiques entourant des ramifications

nerveuses dans le derme profond.

Discussion. À côté de l’extension par voie sanguine ou lymphatique, les

carcinomes épidermoïdes cutanés ont un potentiel d’envahissement

des structures nerveuses variable. Le neurotropisme est un marqueur

d’agressivité. Seul l’examen anatomopathologique permet un diagnostic

précoce. En cas de récidive, les signes neurologiques peuvent précéder

les signes cutanés rendant le diagnostic difficile. Le suivi des malades

atteints de ce type de tumeur doit comprendre un examen

neurologique.

Summary

Introduction. Epidermoid skin carcinoma is the second most frequentskin cancer. It is rarely considerated as aggressive. Other thant itsextension through the blood of lymph circulation, perineural invasion isalso a significant form of tumoral invasion. We report a case ofrecurrent epidermoid skin carcinoma beginning with a neurologicalsymptomatology.

Observation. A 77 year-old man with a history of right fronto-temporalepidermoid skin carcinoma turned up at our clinic with a ptosis of theright eyelid and hypoesthesia in the nerve VI area. He later developedpain in the arch of the eyebrow and diplopia. Five weeks later, twosubcutaneous nodules appeared. Histology revealed a neuro-invasiveepidermoid carcinoma explaining the clinical picture. Re-loading of thehistological sections of the first injury confirmed the clearlydifferentiated invasive epidermoid carcinoma. However, renewedclassified sections revealed neoplastic cells surrounding the nervbranches in the deep dermis.

Discussion. Other than the extension through the blood or lymphcirculation, epidermoid cutaneous cancers exhibit varying invasion ofthe nerve structures. Neurotropism is an aggressiveness marker. Onlythe pathologico-anatomic investigation enables an early diagnosis. Inthe case of recurrence, neurological symptomatology can precede skininjuries and make diagnosis difficult. The follow-up of the carriers of thistype of tumor must include a neurological examination.

− − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − − −Neurotropic metastasis of squamous cell carcinoma.D. WAROQUIER, J. VADOUD, P. VEREECKEN,J. VANGEERTRUYDEN, M. LAPORTEAnn Dermatol Venereol 2004;131:187-9The full text of this article is available in English, free of charge, on theWeb on : www.e2med.com/ad

L e carcinome cutané épidermoïde est le second cancercutané en fréquence. C’est une tumeur classiquementconsidérée comme peu agressive. À côté de l’exten-

sion par voie sanguine ou lymphatique, l’invasion périneu-rale est un mode d’envahissement tumoral [1]. L’incidence decet envahissement varie entre 2 et 14 p. 100 selon les études

[2]. Nous rapportons un cas de récidive de carcinome épider-moïde cutané débutant par une symptomatologie neurologi-que.

Observation

Un homme âgé de 77 ans avait eu l’excision en marges saines,un an et demi auparavant, d’un carcinome épidermoïdecutané bien différencié invasif fronto-temporal droit. Il avaitcomme autres antécédents une cardiomyopathie ischémiquetraitée par triple pontage et une hyperlipémie. Il prenait

(1) Service de Dermatologie, (2) Service de Chirurgie Plastique, Hôpital Erasme,Bruxelles, Belgique.

Tirés à part : D. WAROQUIER, Service de Dermatologie, Hôpital Erasme, 808route de Lennik, 1070 Bruxelles, Belgique.E-mail : [email protected]

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régulièrement de l’aspirine, et un hypocholestérolémiant(atorvastatine). Il consultait pour une diminution de lasensibilité dans le territoire supraorbitaire droit ne dépassantpas la ligne médiane, d’installation progressive depuis troismois. Il ne se plaignait d’aucune douleur. À l’examenclinique, on constatait une ptose de la paupière droite, ainsiqu’une diminution de la sensibilité dans le territoire de labranche ophtalmique du trijumeau droit, et une atteinte desnerfs crâniens III et VI. Un scanner cérébral et un examenpar résonance magnétique (IRM) ne montraient aucuneanomalie. Cinq semaines plus tard, des douleurs apparais-saient aux angles supéro-interne et externe de l’orbite droite,associées à une diplopie verticale. À l’examen clinique, nousconstations une aggravation de la ptose palpébrale et lacroissance rapide de nodules sous-cutanés dures, temporaldroit, douloureux et mobiles par rapport au plan profond(fig. 1).

L’examen histologique d’une biopsie profonde de ces lésionsmontrait un carcinome épidermoïde invasif peu différencié,envahissant les gaines nerveuses (fig. 2 et 3). Une biopsie des

nerfs sus-orbitaire et sus-trochléaire droits montrait la pré-sence de cellules néoplasiques, confirmant l’étiologie néopla-sique des symptômes neurologiques. Une augmentation devolume du nerf sus-orbitaire était alors visible sur les clichésd’IRM. La relecture des coupes histologiques de la premièrelésion confirmait le carcinome épidermoïde bien différenciéinvasif. Des coupes sériées réalisées de novo mettaient enévidence des cellules néoplasiques entourant des ramifica-tions nerveuses dans le derme profond.

Le traitement comprenait dans un premier temps l’exérèsecutanée des lésions macroscopiques par la technique deMohs, suivie de l’énucléation et la dissection du nerf frontaljusqu’à l’apex orbitaire. L’examen anatomopathologiqueconfirmait l’envahissement néoplasique des gaines neurales,sans atteinte du tissu orbitaire adjacent. Une radiothérapieadjuvante était réalisée dans un second temps.

Discussion

Lors de la première exérèse, le caractère neurotropique ducarcinome épidermoïde n’avait pas été mis en évidence. Il n’yavait pas de manifestations neurologiques. L’envahissementtumoral visualisé à la relecture de la première histologie sesitue dans le derme profond où le reste du tissu conjonctif estapparemment sain. Les cellules tumorales semblent s’insi-nuer entre le périnèvre et les fibres nerveuses pour progres-ser axialement [3]. Ce mode de progression explique ladifficulté du diagnostic car il faut examiner toutes lesstructures nerveuses de la pièce opératoire en aval de latumeur primitive. Compte tenu du diagnostic histologiquerétrospectif posé chez notre malade, nous proposons deréaliser, quelle que soit la technique d’exérèse, des coupessériées comparables à celles pratiquées dans le mélanome,pour tous les carcinomes épidermoïdes invasifs, et de visua-liser les structures nerveuses afin d’exclure la présence d’unenvahissement. La technique d’exérèse chirurgicale de Mohsaide au diagnostic grâce à l’orientation horizontale et à lamoindre épaisseur des sections de coupe des prélèvements,permettant un examen plus complet des marges [4].

Fig. 3. Examen histologique : mise en évidence des cellules néoplasiques parmarquage de la kératine.

Fig. 1. Métastases sous-cutanées du carcinome épidermoïde cutané.

Fig. 2. Examen histologique : mise en évidence des fibres nerveuses parcoloration de la protéine S100.

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Les symptômes neurologiques ne s’accompagnent pastoujours d’une récidive locale visible ou palpable et l’inter-valle de temps entre l’excision de la tumeur primitive et ledéveloppement de l’envahissement neurologique peut varierentre 1 et 10 ans [5]. Le diagnostic d’envahissement périneuralpeut être retardé si l’anamnèse est méconnue et si un examenneurologique n’est pas pratiqué [6]. Par conséquent, un hautindex de suspicion est nécessaire chez les malades ayant unantécédent de néoplasie cutanée et le suivi dermatologiquedes malades ayant une tumeur histologiquement neurotropedoit comprendre un examen cutané mais aussi un examenneurologique. À l’anamnèse, ce n’est pas le type de symptô-mes ni le territoire atteint qui doit attirer l’attention despraticiens, mais surtout le mode d’installation : une évolutionlente, sans récupération spontanée, touchant une ou plu-sieurs branches d’un ou plusieurs nerfs crâniens évoque uneextension tumorale. À la palpation, les nerfs lésés ont souventune apparence normale car l’envahissement axial prédominesur la croissance tumorale concentrique. Ce n’est que lorsquece dernier mode d’extension s’accentue que l’on peut palperun cordon induré.

La mise en évidence du neurotropisme est d’autant plusimportante qu’il est un marqueur d’agressivité : il s’accompa-gne d’un plus haut risque de récidive locale et de métastasesà distance [3]. Il est plus fréquent chez les hommes de plus de75 ans ayant une lésion de plus de 2 cm de diamètre situé surle front [7].

La prise en charge thérapeutique de telles tumeurs doitprendre en considération le potentiel d’agressivité et ladifficulté de déterminer si les marges sont effectivementsaines. La technique chirurgicale de Mohs permet unediminution des récidives locales [4]. L’utilisation de traite-ments adjuvants est controversée.

Références

1. Feasel AM, Brown TJ, Bogle MA, Tchen JA, Nelson BR. Perineuralinvasion of cutaneous malignancies. Dermatol Surg 2001;27:531-42.2. Nelson BR, Goldberg LH. Facial nerve palsy as a result of squamous cellcarcinoma of the skin. J Dermatol Surg Oncol 1989;15:510-3.3. Sullivan WE, Mortenson OA. Visualisation of the movement of abromized oil along peripheral nerves. Anat Rec 1934;59:493-9.4. RatnerD, Lowe L, Johnson TM,Darrell JF. Perineural spread of basal cellcarcinomas treated with Mohs micrographic surgery. Cancer 2000;88:1605-13.5. Mc Nab AA, Francis IC, Benger R, Crompton JL. Perineural spread ofcutaneous squamous cell carcinoma via the orbit. Ophthalmology 1997;104:1457-62.6. Mendenhall WM, Parsons JT, Mendenhall NP, Brant TA, Stinger SP,Cassini NJ et al. Carcinoma of the skin of the head and neck withperineural invasion. Head Neck 1989;11:301-8.7. Lawrence N, Cottel WI. Squamous cell carcinoma of skin with perineu-ral invasion. J Am Acad Dermatol 1994;31:30-3.

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