Un site de production de verre moderne à Wingen-sur-Moder (Bas-Rhin)

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En 2007, le Service Régional de l’Archéologie de la région Alsace a prescrit une opération de fouille préventive sur le site de la verrerie du Hochberg à Wingen-sur-Moder (Bas-Rhin), concerné par le projet d’aménagement d’un musée de l’Imaginaire Lalique. Cette prescription faisait suite à un diagnostic archéologique qui avait permis de mettre au jour les vestiges d’un bâtiment interprété comme une halle de fusion du verre. L’opération a été réalisée sur une durée de 10 jours par une équipe de 4 archéologues du Pôle d’Archéologie Interdépartemental Rhénan (PAIR) dirigée par Jacky Koch, entre le 26 novembre et le 7 décembre 2007. La durée de l’o- pération, telle qu’elle a été planifiée, impliquait que la priori- té soit donnée à une reconnaissance en planimétrie des diffé- rentes structures constituant le bâtiment permettant une com- préhension globale du fonctionnement de la halle de fusion. 1. Contexte géographique et géologique La commune de Wingen-sur-Moder se situe au nord-ouest de la région Alsace au sein des Vosges du Nord. La géologie du secteur est caractérisée par des grès rouges d’origine tri- asique, largement exploités pour l’extraction de matériaux de construction. L’installation de nombreux ateliers de verriers dans le secteur se justifie ainsi par la proximité de sable issu des niveaux supérieurs du substrat gréseux, nécessaire à la composition du verre, ainsi que par la présence d’un couvert forestier dense. La verrerie du Hochberg est installée à l’extrémité occidenta- le de la commune, à l’écart de l’agglomération principale, dans un quartier dont l’origine est liée au développement du complexe industriel (bâtiments industriels, logement des per- sonnels et de la direction, un château). Elle est bordée au sud par le Schlüsselbach, un affluent de la Moder. 2. Données historiographiques 2.1. De nombreuses données textuelles La verrerie du Hochberg participe à un mouvement de créa- tion de nombreuses verreries qui prend son essor dès le début du XVIII e s.. Toutes les installations de sites de production se font avec le soutien seigneurial, traduisant la portée éminem- ment politique de ce phénomène (1). Elle est créée en 1715 sur la rive gauche du Schlüsselbach par Jean-Adam Stenger, emphytéote du comte Jean-René de Hanau-Lichtenberg (2). En 1737, son fonctionnement fait l’objet d’un nouveau bail concédé par le Landgrave de Hesse- Dramstadt, successeur des Hanau-Lichtenberg. Si Jean-Adam Stenger en est le bénéficiaire, Jean-Jacques Stenger, son père, et Jean-Georges Fischer, son beau-frère, lui sont toutefois associés (3). A la vente des biens nationaux, c’est Frédéric Wittmeyer, le gendre de Jean-Adam Stenger, qui rachète la part seigneuria- le. Il avait fait construire de nouveaux bâtiments, ainsi que deux maisons de maître. En 1816, la verrerie passe à Jacques- Henri Teutsch, le second époux de la veuve Wittmeyer. Celui- ci s’associe à son frère et fonde une nouvelle société, qui pro- duit du verre à vitre de couleur. En 1855, celle-ci est rempla- cée par l’établissement « Victor et Edouard Teutsch », la ver- rerie périclitant jusqu’en 1868, date de la fin de son activité. Au plus fort de sa production, à la fin du XVIII e s., le four comprend 8 places, se répartissant comme suit : 4 pots pour le verre à vitres, 2 pour le verre blanc cristallin et 2 pour le verre à montres. A côté du four principal, 5 autres servent à étendre et à refroidir le verre produit. Si quelques-uns des documents qui nous sont parvenus concernent la création et l’administration de la verrerie, la majeure partie de la documentation écrite est relative aux règlements d’affermage et d’acensement des bois. En effet, comme pour toute verrerie, la question d’approvisionnement en matières premières, et notamment en bois, est cruciale. Lors de sa création, l’attribution du bois pour alimenter la verrerie se fit avec beaucoup de libéralités. Etonnamment, le comte Jean-René de Hanau-Lichtenberg ne mentionna aucu- ne forêt spécifique pour fournir la verrerie du Hochberg en bois. Entre 1780 et 1789, des difficultés ponctuelles se font jour, du fait d’une surexploitation des ressources forestières. Au cours du XIX e s., les problèmes d’approvisionnement demeurent la principale source de difficultés, la verrerie périclitant alors jusqu’à sa fermeture. 2.2. De rares documents iconographiques Si les sources textuelles restent somme toute assez nombreu- ses, il n’en va pas de même pour les données iconogra- phiques. A notre connaissance, seuls 3 documents, 2 plans cadastraux et un dessin, ont trait à la verrerie du Hochberg. Un premier plan de la fin du XVIII e s. restitue la cadastration du site du Hochberg, mais il n’est pas très précis et ne nous apporte aucune information sur le bâtiment qui nous intéres- se plus particulièrement. Un second plan cadastral, daté de 1834 et aujourd’hui encore conservé à la mairie de Wingen-sur-Moder, est lui beaucoup B u l l e t i n d e l 'A s s o c i a t i o n F r a n ç a i s e p o u r l 'A r c h é o l o g i e d u V e r r e, 2 0 1 0 - 145 - UN SITE DE PRODUCTION DU VERRE MODERNE À WINGEN-SUR-MODER (BAS-RHIN) Agnès GELE, Fabrice REUTANAUER et Jacky KOCH * * Archéologues territoriaux au Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan 1.- Brumm 2003 : p. 37. 2.- Stenger 1987 : p. 16-17. 3.- Brumm 2003 : p. 43.

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En 2007, le Service Régional de l’Archéologie de larégion Alsace a prescrit une opération de fouille préventivesur le site de la verrerie du Hochberg à Wingen-sur-Moder(Bas-Rhin), concerné par le projet d’aménagement d’unmusée de l’Imaginaire Lalique. Cette prescription faisait suiteà un diagnostic archéologique qui avait permis de mettre aujour les vestiges d’un bâtiment interprété comme une halle defusion du verre. L’opération a été réalisée sur une durée de 10 jours par uneéquipe de 4 archéologues du Pôle d’ArchéologieInterdépartemental Rhénan (PAIR) dirigée par Jacky Koch,entre le 26 novembre et le 7 décembre 2007. La durée de l’o-pération, telle qu’elle a été planifiée, impliquait que la priori-té soit donnée à une reconnaissance en planimétrie des diffé-rentes structures constituant le bâtiment permettant une com-préhension globale du fonctionnement de la halle de fusion.

1. Contexte géographique et géologiqueLa commune de Wingen-sur-Moder se situe au nord-ouest dela région Alsace au sein des Vosges du Nord. La géologie dusecteur est caractérisée par des grès rouges d’origine tri-asique, largement exploités pour l’extraction de matériaux deconstruction. L’installation de nombreux ateliers de verriersdans le secteur se justifie ainsi par la proximité de sable issudes niveaux supérieurs du substrat gréseux, nécessaire à lacomposition du verre, ainsi que par la présence d’un couvertforestier dense.La verrerie du Hochberg est installée à l’extrémité occidenta-le de la commune, à l’écart de l’agglomération principale,dans un quartier dont l’origine est liée au développement ducomplexe industriel (bâtiments industriels, logement des per-sonnels et de la direction, un château). Elle est bordée au sudpar le Schlüsselbach, un affluent de la Moder.

2. Données historiographiques2.1. De nombreuses données textuellesLa verrerie du Hochberg participe à un mouvement de créa-tion de nombreuses verreries qui prend son essor dès le débutdu XVIIIe s.. Toutes les installations de sites de production sefont avec le soutien seigneurial, traduisant la portée éminem-ment politique de ce phénomène (1).Elle est créée en 1715 sur la rive gauche du Schlüsselbach parJean-Adam Stenger, emphytéote du comte Jean-René deHanau-Lichtenberg (2). En 1737, son fonctionnement fait

l’objet d’un nouveau bail concédé par le Landgrave de Hesse-Dramstadt, successeur des Hanau-Lichtenberg. Si Jean-AdamStenger en est le bénéficiaire, Jean-Jacques Stenger, son père,et Jean-Georges Fischer, son beau-frère, lui sont toutefoisassociés (3).A la vente des biens nationaux, c’est Frédéric Wittmeyer, legendre de Jean-Adam Stenger, qui rachète la part seigneuria-le. Il avait fait construire de nouveaux bâtiments, ainsi quedeux maisons de maître. En 1816, la verrerie passe à Jacques-Henri Teutsch, le second époux de la veuve Wittmeyer. Celui-ci s’associe à son frère et fonde une nouvelle société, qui pro-duit du verre à vitre de couleur. En 1855, celle-ci est rempla-cée par l’établissement « Victor et Edouard Teutsch », la ver-rerie périclitant jusqu’en 1868, date de la fin de son activité.Au plus fort de sa production, à la fin du XVIIIe s., le fourcomprend 8 places, se répartissant comme suit : 4 pots pourle verre à vitres, 2 pour le verre blanc cristallin et 2 pour leverre à montres. A côté du four principal, 5 autres servent àétendre et à refroidir le verre produit.Si quelques-uns des documents qui nous sont parvenusconcernent la création et l’administration de la verrerie, lamajeure partie de la documentation écrite est relative auxrèglements d’affermage et d’acensement des bois. En effet,comme pour toute verrerie, la question d’approvisionnementen matières premières, et notamment en bois, est cruciale.Lors de sa création, l’attribution du bois pour alimenter laverrerie se fit avec beaucoup de libéralités. Etonnamment, lecomte Jean-René de Hanau-Lichtenberg ne mentionna aucu-ne forêt spécifique pour fournir la verrerie du Hochberg enbois.Entre 1780 et 1789, des difficultés ponctuelles se font jour, dufait d’une surexploitation des ressources forestières. Au coursdu XIXe s., les problèmes d’approvisionnement demeurent laprincipale source de difficultés, la verrerie périclitant alorsjusqu’à sa fermeture.

2.2. De rares documents iconographiquesSi les sources textuelles restent somme toute assez nombreu-ses, il n’en va pas de même pour les données iconogra-phiques. A notre connaissance, seuls 3 documents, 2 planscadastraux et un dessin, ont trait à la verrerie du Hochberg.Un premier plan de la fin du XVIIIe s. restitue la cadastrationdu site du Hochberg, mais il n’est pas très précis et ne nousapporte aucune information sur le bâtiment qui nous intéres-se plus particulièrement.Un second plan cadastral, daté de 1834 et aujourd’hui encoreconservé à la mairie de Wingen-sur-Moder, est lui beaucoup

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UN SITE DE PRODUCTION DU VERRE MODERNE À WINGEN-SUR-MODER (BAS-RHIN)

Agnès GELE, Fabrice REUTANAUER et Jacky KOCH *

* Archéologues territoriaux au Pôle d’archéologie interdépartemental rhénan1.- Brumm 2003 : p. 37.2.- Stenger 1987 : p. 16-17. 3.- Brumm 2003 : p. 43.

plus précis (fig. 1). Le bâtiment qui abrite le four y est repré-senté. De plan rectangulaire, 22 mètres de long pour 14 mèt-res de large, il présente une excroissance visible au centre dupignon nord. L’atelier est délimité à l’est par un cours d’eau,le Schlüsselbach, et à l’ouest par les ateliers (dont laStreckhütte, c’est-à-dire la halle d’étendage du verre) et lesentrepôts.Un dessin de B. Schoell, datant de 1839 et conservé à labibliothèque municipale de Strasbourg (4), représente le sitedu Hochberg vu depuis le sud-ouest (fig. 2). Le bâtimentfouillé apparait au centre de l’ensemble. Construit perpendi-culairement à la pente, il est délimité par le cours d’eau et parles bâtiments administratifs et les ateliers et entrepôts. Le des-sin, d’une facture précise, permet d’obtenir quelques informa-tions d’ordre architectural. Le tiers nord du bâtiment sembleêtre construit en pierres, ou tout au moins enduit dans sa tota-lité, tandis que le reste est en pans de bois, la partition étanttrès nette entre ces deux ensembles. La partie nord est percéed’une porte et d’une fenêtre quadrangulaires. La structure enbois est formée de poteaux reposant vraisemblablement surdes sablières basses tandis que dans la partie supérieure desjambes de force maintiennent les poteaux. Ce même niveauest percé de petites fenêtres quadrangulaires. Enfin, en faça-de, le pignon est conforté par une série de faux-entraits. Cebâtiment se distingue très clairement de ceux alentours, tousconstruits en pierres.

3. La halle de fusion 3.1. Organisation générale et distributionL’opération d’archéologie préventive a permis de mettre aujour les vestiges d’un bâtiment de plan rectangulaire (23 x14,40 m) installé sur une terrasse sableuse obtenue par l’ara-sement de la pente naturelle. Une excroissance saillante de1,10 m et large de 2,80 m, observable sur le plan cadastral de1834, a été mise en évidence sur le mur pignon nord, légère-ment décentrée par rapport à l’axe médian. Elle correspond àun massif de maçonnerie qui peut être interprété comme uncontrefort (fig. 3).Les vestiges mis au jour sont fortement arasés. Le bâtiment aainsi été principalement appréhendé à partir de ses substruc-tions, aussi bien pour les murs que pour les structures dechauffe. Des niveaux de circulation constitués de sol dallés engrès ont toutefois pu être mis en évidence.Deux accès ont été repérés. Un premier, situé au nord-ouest,est marqué par un emmarchement (MUR 48) aménagé à l’in-térieur du mur gouttereau occidental (MUR 5). Cet accès estvisible sur la documentation iconographique. Un secondaccès est suggéré au sud-est avec l’aménagement d’une ran-gée de moellons (MUR 24) reposant sur un remblai couvrantle niveau de sol dallé d’un état antérieur (SOL 34). Cet amé-nagement témoigne d’une réorganisation partielle du bâti-ment, marquée par le percement voire l’agrandissement d’uneporte. La présence d’un crassier extérieur identifié en limitede la fouille, localisé dans l’angle du mur 3 et du conduitd’aération (fait 23), est probablement à relier à l’existenced’un passage dans ce secteur.Le bâtiment s’articule autour d’un espace central ouvert où setrouve le four de fusion, avec au nord un espace rectangulai-re divisé en 4 pièces distinctes et au sud un espace de dimen-sions similaires divisé en 3 pièces. Ces ensembles sont reliéspar un niveau dallé, uniquement conservé sur la moitié orien-tale du bâtiment, suivant une pente régulière de l’extérieurvers le centre, c’est-à-dire menant aux ouvertures latérales dufour central.(fig. 4)

3.2. Technique de constructionLe grès, matière première extraite sur place, constitue lematériau principal des vestiges observés.Les murs pignons et gouttereaux du bâtiment présentent uneépaisseur moyenne comprise entre 0,40 et 0,50 m pour desmaçonneries composées d’assises irrégulières de moellons degrès de taille variable. Si les maçonneries sont liées par dumortier de chaux de couleur orangée dans leur partie

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Fig. 1 – Extrait du plan cadastral de 1834

Fig. 2 – Dessin au trait de B. Schoell (1839, BMS, ms 611)

4.- Bibliothèque municipale de Strasbourg, Ms 611.Fig. 3 – La partie nord de la halle de fusion

inférieure, les parties supérieures ne constituent quant à ellequ’un simple assemblage de moellons sans liant.Ainsi, les murs pignons sont construits au moyen de blocsrectangulaires ou de simples moellons bloquant un remplissa-ge de grès. Les murs gouttereaux sont quant à eux constituésde rangées de blocs de grès posés en boutisse ou de deuxmoellons parallélépipédiques adossés dans le sens de la

longueur.

Aucune différence n’a pu être constatée entre fondation etélévation. L’absence de mortier dans la maçonnerie, endehors de la base, et l’agencement des gouttereaux en solinconfortent l’idée d’une superstructure en pans de bois pourl’ensemble de la construction.

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Fig. 4 – Plan topographique des vestiges

3.3. Des espaces de stockageDeux espaces situés de part et d’autre du four central étaientdestinés au stockage de diverses matières premières. Lesmaçonneries de ces ensembles ne présentent en effet aucunetrace de rubéfaction en profondeur, ni de dépôts charbonneuxou cendreux.Un premier espace est aménagé à l’angle nord-ouest du bâti-ment (fig. 5). Il s’agit d’un ensemble rectangulaire de 6,15 mde long pour 3,15 m de large divisé en deux pièces carrées parun mur de refend. Les murs de cet espace sont composés dedeux parements en moellons de grès de forme allongée avecun remplissage d’éclats de grès et de sable, pour une largeurcomprise entre 0,50 et 0,60 m. Un solin vient conforter le murextérieur de la partie orientale.Le second espace correspond à un espace de plan carré de2,50 m de côté hors les murs, situé à l’angle sud-est du bâti-ment. Les murs constituant cet espace doublent les murs gout-tereaux et pignons du bâtiment au sud et à l’est. Ils sont detechnique similaire à ceux de l’espace de stockage nord-ouest. Le fond de cet espace est constitué d’une couche desable nivelé.

3.4. Le four de fusionIl a été mis en évidence au centre de la halle. Il s’agit d’unouvrage partiellement enterré dont le plan au sol semi-circu-laire présente 6 m de long pour 8,50 m de large. Seule la pre-mière assise de l’installation, au mieux, a été conservée ainsique les ouvrages souterrains.

Plan de la structure (fig. 6 et 7)L’ouvrage comporte plusieurs éléments distincts. Un ensem-ble semi-circulaire composé de deux fondations en moellonsde grès concentriques (A et B) est relié à chaque extrémité àdeux massifs en grès quadrangulaires (C), dont ils sont sépa-rés par deux aménagements distincts (D et E). Un tunnel souterrain relie l’extérieur du bâtiment, à l’ouest, au cœur dufour de fusion, dont s’échappe un petit tunnel d’aération versl’est.

Organisation généraleDeux rangées de moellons en grès, disposées en demi-cerclesont séparées par un espace creux de 0,50 m de large environ.La rangée extérieure (B), bien conservée, s’aligne à chacunede ses extrémités sur les extrémités de deux massifs consti-tués de moellons de grès relativement soignés et de formatmoyen, bien qu’elle n’y soit pas directement reliée. Elle com-pose un demi-cercle de 3,50 m de rayon. La rangée intérieu-re (environ 2,80 m de rayon), illustrée uniquement parquelques moellons de grès conservés, a pu être restituée parla conservation sur toute sa longueur de l’espace séparant lesdeux banquettes, comblé par une succession de niveaux d’ar-gile rose-orange et de fines couches de salissures mêlantdéchets de verre, charbons et terre cuite dans une matricesableuse gris foncé.Le substrat sableux observé à l’intérieur de la fondation Aprésente les traces d’une forte exposition à la chaleur, se dis-tinguant nettement du substrat sableux observé directement àl’extérieur : le sable est d’une couleur variant entre l’orangéet le rouge et le niveau est compacté. Il est ainsi permis deproposer de restituer une sole semi-circulaire de 2,50 m derayon comprise dans un premier demi-cercle, sur lequel repo-sait probablement la voûte en terre crue du four. Cette propo-sition peut être étayée par le comblement de l’espace creux(G) situé entre les deux fondations, qui présente une alternan-ce des niveaux de salissures liés à l’usage du four et desniveaux d’argile pouvant être liés à la reconstruction

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Fig. 5 – Un espace de stockage dans l’angle nord-ouest

Fig. 6 – Plan topographique du four de fusion.

Fig. 7 – Vue du four de fusion depuis l’est

fréquente de la voûte (5).La question de la fonction de l’anneau extérieur se pose. Unesolution proposée pour un four de fusion circulaire àRoquefeuille (6) est l’aménagement d’une éventuelle ban-

quette pour le travail du verre et la dépose des outils. La pré-sence d’un espace couvert de briques sur B indique probable-ment un aménagement de cette banquette mais il n’est paspossible de préciser son étendue.

Le foyer et les systèmes d’aérationLe four de fusion était alimenté par un foyer souterrain amé-nagé au cœur, au bout d’un tunnel souterrain de 8 m de long,auquel on accédait par l’extérieur du bâtiment, à l’ouest. Lepassage était voûté d’une hauteur minimale de 2,50 m, inté-gralement réalisé en moellons de grès. À l’extrémité occiden-tale, une aération rectangulaire de 0,40 m par 0,45 m étaitaménagée à l’intérieur du bâtiment. Ce tunnel débouche sur lazone de foyer, de plan quadrangulaire (environ 1,50 m decôté).Le foyer est desservi par trois conduits d’aération : - un premier passant sous la sole est relié à un tirant d’airdébouchant à l’est sur l’extérieur du bâtiment par une ouver-ture en briques (fig. 8). Il est composé de larges dalles de grèsreposant de chaque côté sur des dalles posées de champ etdirectement installées sur le substrat. - Les deux autres, s’ouvrant de part et d’autre du foyer (aunord et au sud), donnent directement dans le four et servaientde carneaux. L’ensemble était voûté de briques, dont le départest encore conservé par endroits, reposant sur des moellons de

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Fig. 8 – Ouverture en brique donnant du foyer vers le tirant d’air.

5.- La voûte d’un four de verrier était en effet détruite puis reconstruite àchaque remplacement des creusets, en moyenne une fois par an (Brumm2003).6.- Foy et Vallauri 1991 : pp. 141-142.

Fig. 9 – L’aménagement D vu depuis le nord.

grès disposés en encorbellement afin de servir de piédroits.

Deux aménagements (D et E)Au nord du four, un espace quadrangulaire de 1,30 par 2,40 mest limité à l’ouest par le massif de grès et à l’est par une ran-gée de moellons ainsi que la banquette B (fig. 9). Cet espacesitué au niveau d’un carneau est aménagé de dalles en grès surl’ensemble de sa surface. Il est légèrement en contrebas duniveau repéré de la sole. À l’extérieur, un petit aménagementde briques de 0,60 par 0,35 m est installé contre le massif C :il semble fonctionner avec l’ensemble D et pourrait cor-respondre à un petit espace de travail (deux dispositifs simi-laires ont été repérés au nord). La fonction de cet ensembleest difficile à appréhender, mais il est clair qu’il se distinguedu reste du four. Il pourrait s’agir d’un four de recuit, profi-tant de l’air chaud s’échappant du carneau. Au sud du four, nous distinguons un autre espace (E). Celui-ci n’a pas pu être caractérisé durant la fouille, mais sembleégalement affecter une forme rectangulaire allongée dans l’é-paisseur du four pour une largeur peu importante (0,80 m). Laprésence de vestiges d’un dallage en grès ainsi que de briquesposées de chant semble confirmer la spécificité de cet espaceau sein du four.

3.5. Postes annexesLe décapage de la partie méridionale a mis en évidence deuxbases de plan rectangulaire (FOU 43) et en fer à cheval(FOU 44). Ces éléments, non étudiés par manque de temps,présentaient une rubéfaction résultant de l’action de foyersayant dégagé de fortes chaleurs. Le premier (FOU 43) avaitun plan quadrangulaire (1,10 m de côtés). Mais la documen-tation trop sommaire de cet élément ne permet pas d’affirmersa fonction avec certitude. La seconde structure (FOU 44), enforme d’abside, a une longueur de 1,40 m et une largeur de1,05 m.

Dans le tiers nord de la fouille, des éléments de plan rectan-gulaire ont été aménagés entre les deux aires de stockage. Cesaménagements sont constitués par une construction à chevetplat, longue de 1,20 et 1,50 m, large de 0,52 et 0,41 m. Araséeau niveau du dallage (SOL 27), la structure 49 était ouvertedu côté sud par un encadrement qui reposait sur deux moel-lons de grès et des nodules de mortier. Le foyer, profond de0,70 m, a été maçonné avec des briques (260 x 120 x 50 mm).

Ces installations (de recuisson ?) sont couplées avec des dal-les de grès ou de mortier quadrangulaires (0,70 x 0,50 m) pla-cées à proximité immédiate de l’ouverture du four. Deux élé-ments similaires ont été placés au sud du MUR 16. Toutes cespièces ont probablement été utilisées comme marbre par lesartisans verriers.

4. Le mobilier Compte tenu des conditions de fouille et du temps imparti, lechoix a été fait de ne pas réaliser de ramassage exhaustif desartefacts mais uniquement un échantillonnage des élémentsretrouvés de façon fréquente sur le site. A cela, il convientd’ajouter quelques objets et fragments plus originaux, qui ont

été systématiquement ramassés.

4.1. Matière première, creusets et déchets de productionDe nombreux blocs de verre brut dont la couleur varie de vertfoncé à blanc, non façonnés et de taille très variable, ont étéretrouvés sur l’ensemble du site, sans localisation préféren-tielle.Des fragments de creusets se retrouvent essentiellement dansle comblement du conduit et du foyer. Leurs parois internessont tapissées de verre fondu, tandis que leurs faces externespeuvent elles aussi en être partiellement tapissées et/ou pré-senter des coulures. Les tranches de certains fragments pré-sentent des traces résiduelles de verre fondu, témoignagevraisemblable d’une cassure en cours d’utilisation.Des fragments de table présentant une épaisse couche devitrification ont été observés sur l’ensemble du site, en nom-bre toutefois plus important dans le comblement du conduit etdu foyer.A côté de ces éléments, de nombreux déchets de productionont été récoltés sur l’ensemble du site. Il y a tout d’abord leséléments liés à un geste particulier du verrier. C’est le cas desgouttes, ou larmes, retrouvées en grand nombre sur l’ensem-ble du site, témoignage du contrôle de la fluidité du verre enfusion. A l’inverse, les meules devaient être récupérées avantd’être fondues, puisqu’il n’en a pas été retrouvé. A côté de cesgouttes, plus ou moins effilées et épaisses mais reconnaissa-bles, de nombreux rebus de fabrication ont été prélevés, euxaussi sur l’ensemble du site. Il a ainsi été observé de petitesbilles de verre, des coulures, des ratés, des éléments inache-vés et des éléments achevés réutilisés comme groisil et par-tiellement refondus.

4.2. Le verre platIl s’agit du principal mobilier retrouvé sur le site. Ce sont les cives, très fragmentées mais formant le plus sou-vent des lots, qui sont majoritaires. Il est possible de distin-guer les cives à bord ourlé de celles à bord plat, toutes d’undiamètre moyen de 10 à 11 cm. Très fragmentées, elles sontidentifiables par leur bordure et par un grand nombre de frag-ments portant des traces de boudines et des traces d’étirementcirculaire de la pâte qui y étaient associés.Le verre en manchon est représenté en quantité moins impor-tante. Il n’est déterminable avec certitude que lorsqu’il s’agitd’une bordure de manchon, soit un bord droit, avec un profildont l’extrémité est légèrement arrondie. Un fragment deverre (4920-VXX-5.1-5), sans doute obtenu grâce à cettetechnique, est découpé de forme circulaire.Un autre fragment de verre plat découpé en losange présenteun décor de traits doubles soulignant la découpe du verre(4920-VXX-5.1-14-1).

4.3. Le verre creuxQuelques fragments de formes ouvertes ont été mis au jourlors de la fouille du site du Hochberg. Il s’agit de fragmentsde verre à pied en verre incolore. L’un d’entre eux (4920-VXX-23.1-1), le mieux conservé, a été découvert à proximi-té du conduit d’évacuation. Seule la partie inférieure ducontenant et la partie supérieure de la jambe, formés de deuxparaisons distinctes, sont conservées. Le verre présente unefaible altération lamellaire, visible sous la forme d’une légère

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altération de surface. 4 autres fragments de verre incolore ontété prélevés au même endroit. Ils pourraient appartenir aumême individu aux vues de leurs caractéristiques techniques,sans toutefois qu’un recollage ne soit possible. Un autre indi-vidu en cours de fabrication (4920-VXX-23.1-2) est forméd’une boule et de la partie inférieure du contenant, correspon-dant à deux paraisons distinctes, joints l’un à l’autre, la boulene portant aucune trace de jonction avec un quelconque pied.Les formes fermées se retrouvent en plus grand nombre. Denombreux fragments de cols, ainsi que de fonds de bouteilleset de flacons, de taille et de profil variable ont pu être obser-vés sur le site. Là encore, une partie seulement a été prélevée.Il est possible de distinguer les bouteilles (par exemple 4920-VXX-45.1W-1, 4920-VXX-45.1W-2, 4920-VXX-3.2-1 et4920-VXX-5.1-13 pour les fonds de bouteilles, 4920-VXX-32.1-3 pour un col de bouteille et 4920-VXX-32.1-4 pour desfragments d’épaulement de bouteille) ainsi que des flacons etfioles (4920-VXX-45.1-5), 4920-VXX-43.1-2, 4920-VXX-10003-8 et 4920-VXX-5.1-2 pour les fonds de flacons, 4920-VXX-10003-2 pour l’unique exemple prélevé de fond defiole, et 4920-VXX-45.1-4 pour les exemple de cols). Deux autres objets, dont il n’a pas été possible de déterminers’il s’agissait de forme ouverte ou fermée, et de profil iden-tique, ont un décor particulier (4920-VXX-5.1-4). Il s’agitd’un travail à l’émail de traits de couleur bleue et jaune trèspâle alternés, soulignant un décor moulé d’anneaux circulai-res couvrant la partie basse du verre. L’un des deux objets aété exposé à la chaleur et est très déformé. Ces verres ont étémis au jour dans un contexte particulier, avec un remaniementdaté de la seconde guerre mondiale (fig. 10).Il ne s’agit là que de quelques exemples de formes fermées eten aucun cas une typologie ne peut être présentée à la suite decette fouille.

5. ConclusionLa fouille de cette infrastructure, bien que limitée dans letemps et dans l’espace, est un exemple assez novateur dans ledomaine de l’archéologie industrielle en Alsace. Cette étude amis en évidence une partie du fonctionnement concret de lahalle du four, c’est-à-dire un élément-clé de la production ver-rière dans ce complexe industriel d’époque moderne etcontemporaine. Elle nous a renseignés sur l’organisation dubâtiment, d’une part, et sur les éléments produits, d’autre part.

La matière première : le grèsL’architecture de la halle était constituée par un édifice à pansde bois posé sur des solins de pierres, seuls vestiges conser-vés de nos jours. Le grès, ressource abondamment disponiblesur place, a été utilisé pour la construction de ces solins, deséléments de séparation intérieurs, mais également pour l’édi-fication d’une grande partie du four. Ainsi, le tunnel souter-rain et son foyer ainsi que le canal d’aération ont été particu-lièrement soignés tandis que les éléments observés sur le restedu four sont plus composites. Ce matériau était a prioriimpropre à une utilisation au contact d’une chaleur directe,intense et permanente. Ce choix nécessitait un entretien régu-lier et discernait probablement des parties pérennes de partiesreprises plus régulièrement. Il est évident que des questionséconomiques ont présidé à ce choix.

L’organisation de la productionL’édifice, dont l’aspect extérieur est restitué par le dessin de1839, était initialement organisé en trois parties et des élé-ments annexes au four ont été créés à l’occasion de remanie-ments ponctuels. L’architecture en pan de bois résultait desadaptations techniques obtenues depuis les Glashütten médié-vales, construites initialement pour être démontées. La ges-tion de la chaleur et de l’aération étaient grandement facili-tées par les murs en torchis, puisque la pierre aurait réagi dif-féremment aux très fortes températures. Cela se constated’ailleurs sur les éléments constitutifs du four principal. Ladistribution organisée autour du four, point central de la pro-duction, distinguait une partie nord d’une partie sud.Certaines parties de la construction ne présentaient pas de tra-ces de rubéfaction. Ces zones « froides » recevaient l’entre-posage de matières premières : bois (combustible) au nord-ouest et la pâte de verre peut-être au sud-est. Cette distribu-tion est relativement conforme au modèle figuré par les ency-clopédistes.Le point central de l’atelier était occupé par le four, dont labase était ouverte par un conduit d’aération et d’alimentationouvert à l’ouest et légèrement infléchi vers le sud. Outre laparticularité déjà évoquée d’avoir été bâti en grès pour unegrande partie de ses soubassements, le four avait un plan asy-métrique qui dénote par rapport aux exemples contemporainsqui ont pu être documentés. L’accès à ce four était organisé enarc de cercle du côté oriental. De nombreuses recharges péri-phériques de sable alternant avec de l’argile indiquent lesséquences de réparation et d’entretien de la superstructure dufour.Des éléments secondaires (fours de recuisson) ont été dispo-sés dans les espaces disponibles. L’analyse de deux exemplesa démontré qu’ils n’avaient pas été installés dès l’origine.Leur présence indique une augmentation du nombre d’arti-sans présents dans le lieu et la probable modification des pro-ductions, ceci au même titre que l’abandon de certaines par-ties du sol dallé sous des niveaux de réfection, particulière-ment au sud. Mais la durée limitée de la fouille n’a pas per-mis de développer davantage cette question fondamentale.

Données historiquesLes modifications structurelles légères qui ont été mises enévidence par la fouille illustrent vraisemblablement les chan-gements du type de production et/ou leur déplacement hors de

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Fig. 10 - Deux verres décorés traits d’émail de couleur bleue etjaune très pâle alternés, soulignant un décor moulé d’anneaux cir-culaires couvrant la partie basse du verre (4920-VXX-5.1-4). L’undes deux objets a été exposé à la chaleur et est très déformé

la halle. Les sources écrites, abondamment exploitées par lesrecherches de V. Brumm, démontrent l’expansion de l’activi-té à partir de 1715, son apogée entre 1816 et 1855, puis ledéclin rapide jusqu’en 1868. Dans ce contexte, la productionavait évolué de verres à vitre et de montre vers les vitrages decouleur. Mais, d’après les fouilles, les productions n’ont pasété limitées à ces seuls objets et une importante quantité derebuts de verre de tables, de fioles ou encore de fonds de bou-teilles illustrent une diversification des productions. En l’ab-sence de données quantitatives plus complètes, il n’est paspossible de préciser si ces artefacts témoignent d’une produc-tion parallèle, secondaire sur le plan économique, ou de ten-tatives de diversifications au moment du déclin de l’activitéamorcée au milieu du XIXe siècle. Au niveau du fonctionne-ment de l’atelier, la création de nouvelles unités, particulière-ment la halle d’étendage après 1816, apportaient des surfacescomplémentaires permettant d’évacuer des opérations secon-daires de la halle primitive. Celle-ci ne fut donc pratiquementplus que destinée à la fusion de la matière première.

BibliographieBrumm 2003 : BRUMM (V.). - Un pays du verre et du cris-tal : les Vosges du Nord au siècle des Lumières. Strasbourg :Société académique du Bas-Rhin pour le progrès desSciences, des Lettres, des Arts et de la vie économique, t.CXXIII-CXXIV, 2003, 238 p.Stenger 1987 : STENGER (A.). - Verreries et verriersd’Alsace : la région de la Petite-Pierre. Bulletin de la Sociétéd’Histoire et d’Archéologie de Saverne et environs, 141,1987, p.11-26.Foy, Vallauri 1991 : FOY (D.), VALLAURI (L.). –Roquefeuille, une verrerie provençale aux XVIIe et XVIIIesiècles. In : FOY (D.), SENNEQUIER (G.). dir. – Ateliers deverriers de l’Antiquité à la période pré-industrielle. Actes des4e rencontres, Rouen 24/25 novembre 1989, Rouen, 1991, p.139 – 152.Fischbach, Lutz 1977 : FISCHBACH (G.), LUTZ (R.). - Laverrerie du Hochberg (1715-1868). Bulletin de la Sociétéd’Histoire et d’Archéologie de Saverne et environs, n° 99-100, 1977, p.26-29.

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