Paris capitale culturelle nationale, internationale, transnationale?

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CHRISTOPHE CHARLE PARIS CAPITALE CULTURELLE NATIONALE, INTERNATIONALE, TRANSNATIONALE ? XIXE-XXE SIÈCLE Avant de commencer cette conférence d’ouverture pour le congrès d’histoire de l’ENIUGH, je tiens à remercier Michel Espagne de m’y avoir convié et de me donner l’occasion d’exposer divers travaux que j’ai menés avec des chercheurs de l’Institut d’histoire moderne et contemporaine depuis plus d’une dizaine d’années sur les thèmes qui seront au centre de mon propos. C’est aussi pour moi une manière de relier des ouvrages, articles ou contributions dispersés dans diverses publications sous ma propre plume ou en coopération avec certains de mes élèves ou anciens élèves qui participent d’ailleurs activement à ce congrès (voir diapo). Je remercie également l’Institut historique allemand où j’ai fréquemment travaillé ou suivi des conférences ou colloques de bien vouloir nous accueillir pour cet événement. Ce qui justifie la thématique choisie en accord avec Michel Espagne, c’est non seulement la capitale où nous sommes réunis et plus généralement la problématique des capitales culturelles. Elle nous paraissait permettre de réfléchir sur les difficultés et les potentialités de l’histoire globale ou transnationale, les comparaisons dans le temps et l’espace et les processus de transferts culturels. Par capitale culturelle j’entendrai ici : « un espace urbain dont suffisamment 1

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CHRISTOPHE CHARLE

PARIS CAPITALE CULTURELLE NATIONALE, INTERNATIONALE,

TRANSNATIONALE ?

XIXE-XXE SIÈCLE

Avant de commencer cette conférence d’ouverture pour le

congrès d’histoire de l’ENIUGH, je tiens à remercier Michel

Espagne de m’y avoir convié et de me donner l’occasion

d’exposer divers travaux que j’ai menés avec des chercheurs de

l’Institut d’histoire moderne et contemporaine depuis plus

d’une dizaine d’années sur les thèmes qui seront au centre de

mon propos. C’est aussi pour moi une manière de relier des

ouvrages, articles ou contributions dispersés dans diverses

publications sous ma propre plume ou en coopération avec

certains de mes élèves ou anciens élèves qui participent

d’ailleurs activement à ce congrès (voir diapo). Je remercie

également l’Institut historique allemand où j’ai fréquemment

travaillé ou suivi des conférences ou colloques de bien vouloir

nous accueillir pour cet événement.

Ce qui justifie la thématique choisie en accord avec Michel

Espagne, c’est non seulement la capitale où nous sommes réunis

et plus généralement la problématique des capitales

culturelles. Elle nous paraissait permettre de réfléchir sur

les difficultés et les potentialités de l’histoire globale ou

transnationale, les comparaisons dans le temps et l’espace et

les processus de transferts culturels. Par capitale culturelle

j’entendrai ici : « un espace urbain dont suffisamment

1

d’indices convergents permettent d’établir qu’il est, à

l’époque considérée, un lieu d’attraction et de pouvoir

structurant de tel ou tel champ de production symbolique

(voire, pour les plus importantes, comme Paris, Londres,

parfois Rome, de la majorité de ces champs). »  (voir diapo) La

notion n’implique donc pas forcément l’alliance avec un rôle

politique, même si la plupart des capitales politiques aspirent

à jouer aussi un rôle culturel depuis la tradition des mécénats

royaux ou princiers ou aujourd’hui avec la diffusion du mot

d’ordre de l’attractivité des métropoles mondiales grâce aux

activités culturelles ou symboliques.

Paris, depuis le Moyen Age et surtout depuis ce qu’on appelle

aujourd’hui la Belle époque, a suscité une énorme littérature

qui exalte sa fonction de capitale notamment culturelle. Il

s’agira ici non de rappeler ces poncifs non vérifiés ni

historicisés sur la centralité du rôle de cette capitale dans

de nombreux aspects de la vie culturelle en fonction de la

définition précédente, mais d’essayer d’en mesurer les effets

et les origines à trois échelles différentes imbriquées mais

dont la distinction est nécessaire pour en montrer les

éventuelles contradictions : l’échelle nationale, l’échelle

internationale et l’échelle transnationale. La littérature

habituelle sur ces thèmes se contente de témoignages

qualitatifs, positifs ou négatifs issus de témoins hétérogènes

qui n’y font que transmettre leurs expériences personnelles

dont on ne peut tester la représentativité globale, ce qui

produit donc un effet de miroir. Pour sortir de ce cercle

vicieux, je tâcherai de mettre en œuvre de nouvelles approches

2

par la comparaison à partir de critères objectivables, même si

c’est particulièrement difficile dans les divers domaines de la

culture, par l’étude des transferts culturels et la mesure de

leurs impacts, à moyen et long terme, par l’inventaire des

connexions avec les autres espaces nationaux et internationaux

et leurs effets sur les dynamiques culturelles françaises et

étrangères.

Il faut aussi essayer de rompre avec les évidences du sens

commun. La domination culturelle de Paris, tout au long des

deux derniers siècles, n’est pas seulement le fruit d’un

héritage de la monarchie et de la Révolution, elle s’est

accentuée et ce en dépit des récriminations constantes sur ses

effets pervers et des tentatives pour l’atténuer depuis le

milieu du XXe siècle (politique dite de la « décentralisation 

culturelle »). Il faut essayer de comprendre pourquoi. Elle est

aussi l’enjeu d’un combat intellectuel et idéologique au sein

de l’espace national et international, combat qui est toujours

d’actualité, à l’heure, d’un côté, de la montée en puissance

des « villes globales », de plus en plus situées hors d’Europe,

et qui ne sont plus forcément des capitales au sens politique,

mais aussi des nouveaux réseaux de transmission culturelle. Ils

n’impliquent plus, comme jusqu’aux années 1980, la

concentration des ressources culturelles en un seul lieu

central pour produire des effets de domination culturelle,

comme le montre l’exemple états-unien dont les centres de

création et diffusion culturelle sont beaucoup plus dispersés

et s’appuient sur des entreprises multinationales. Pour des

raisons de compétence historique, mon propos s’appuiera surtout

3

sur le XIXe siècle et le premier XXe siècle, avant précisément

que les industries culturelles de masse de type états-unien

n’assoient leur hégémonie durable sur le monde occidental et

partiellement non occidental.

I. LA DOMINATION CULTURELLE PARISIENNE AU PLAN NATIONAL

L’accentuation du rôle de Paris comme capitale culturelle

nationale est liée à l’époque révolutionnaire et impériale où

l’idéal centralisateur l’a emporté sur la tentative

décentralisatrice de la période initiale de la Constituante. Ce

qui aurait pu n’être qu’une réponse administrative et militaire

aux menaces de subversion contre-révolutionnaire et de guerre

extérieure s’est étendu à toute la culture dans la mesure où la

révolution politique s’est accompagnée d’une révolution

culturelle générale. Les nouveaux régimes issus de la décennie

révolutionnaire ont voulu marquer dans l’espace parisien

l’ampleur de la rupture politique avec notamment la fondation

du Muséum central au Louvre, palais devenu propriété nationale,

les fêtes révolutionnaires en des lieux symboliques, le culte

des grands hommes au Panthéon, précédents qui seront repris

parfois avec des interruptions par d’autres époques ou régimes.

Ils ont dû aussi réorganiser les institutions d’enseignement et

de consécration héritées de la monarchie (Ecoles, académies) ou

du Moyen Age (universités, collèges). Même si le Consulat,

l’Empire, la Restauration ou la monarchie de Juillet ont effacé

partiellement certains souvenirs douloureux de cette décennie

conflictuelle et sanglante, l’effacement des traces ou

4

l’intérêt nouveau pour le patrimoine en réaction contre le

vandalisme de certains épisodes radicaux ont permis d’ériger de

nouveaux symboles culturels ou patrimoniaux, toujours situés

dans la capitale, pour en modifier l’image symbolique mais

toujours selon la même logique de centralité culturelle de la

capitale. Cette permanence d’une politique symbolique et

culturelle centrée sur Paris est d’autant plus paradoxale que

ces régimes recrutaient leurs élites dans des groupes de

notables à fort enracinement provincial, voire rural. Certains

(par exemple la noblesse contre-révolutionnaire de la

Restauration) entretenaient même une animosité non dissimulée

contre la capitale et ses classes populaires régulièrement en

ébullition tout au long du XIXe siècle. Force est de constater

qu’avant les années 1860, aucune force politique n’a cependant

contesté sérieusement cette hypercentralisation de toutes les

activités culturelles les plus importantes et elle est même

devenue, dès cette époque, aux yeux des intellectuels étrangers

un phénomène quasi consubstantiel pour l’identité française.

Goethe, dans ses Conversations avec Eckermann, en 1827-28, s’en fait

l’écho à la fois admiratif et dubitatif :

Pour l’aspect positif en fonction d’une comparaison avec la

situation allemande inverse, il déclare à son confident :

« Imaginez une ville comme Paris où les meilleurs cerveauxd’un grand royaume sont réunis sur un seul point ets’instruisent et s’exaltent réciproquement par un contact,une lutte, une émulation de tous les jours, où l’on aconstamment sous les yeux ce qu’il y a de plus remarquabledans tous les domaines de la nature et de l’art du mondeentier ; songez à cette cité universelle, où chaque foisqu’on traverse un pont ou une place, le souvenir d’un grand

5

passé se réveille, où chaque coin de rue a été témoin d’unévénement historique. Et surtout n’allez pas vous imaginerle Paris d’un âge sans lumières et sans esprit, mais leParis du XIXe siècle, dans lequel depuis trois générationsdes hommes comme Molière, Voltaire, Diderot et leurssemblables ont mis en circulation une abondance d’idéescomme on ne la reverra plus jamais, réunie sur un pointunique de la terre1. » Diapo 6

En 1832 Henri Heine surenchérit encore dans cette imaged’une ville absorbant toutes les forces intellectuelles de lanation :

« Paris est à proprement dire toute la France. Celle-cin’est que la grande banlieue de la France. Sauf ses bellescampagnes et les aimables qualités de ses habitants, engénéral toute la France est déserte, déserte au moins sousle rapport intellectuel2. » Diapo 7

Mais, dans un autre passage de ces mêmes conversations, un peu

plus d’un an après, Goethe reconnaît aussi certains avantages

du polycentrisme culturel allemand, là encore par comparaison

implicite avec la domination parisienne qui étoufferait, selon

lui, le développement culturel de certaines parties du

territoire national :

« Un Français, homme d’esprit, je crois que c’est Dupin, aébauché une carte de l’état de civilisation de la France,et mis sous les yeux, l’aide de couleurs plus claires ouplus sombres, le degré plus ou moins grand d’instructiondes différents départements. Or il se trouve que dans lesprovinces du Midi surtout situées loin de la capitale, desdépartements entiers marqués tout en noir, signe del’ignorance dans laquelle ils sont plongés. Cela serait-ilarrivé si la belle France, au lieu d’un grand centre

1 3 mai 1827, Paris, Gallimard, 1988, p. 517.2 H. Heine, De la France, 1832-33, éd. « Tel », Gallimard, 1994, p. 69.

6

unique, en avait dix d’où émanent la lumière et la vie ?3 »Diapo 8

En attendant que des forces de contestation reprennent en 1864

avec le programme de Nancy puis avec la renaissance de

mouvements culturels régionalistes comme le Félibrige les

arguments en faveur de la décentralisation résumés ici par

l’auteur de Faust, tous les indicateurs disponibles indiquent

une concentration unique de tous les pouvoirs de commandement

culturel national, qu’il s’agisse de l’édition, du théâtre, des

arts plastiques, avec le rôle central du Salon au Louvre puis

dans d’autres lieux spécifiques d’exposition (diapo 9), des

créations théâtrales, musicales ou d’opéra, de la presse

générale ou culturelle et enfin de la vie universitaire.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, Paris concentre le plus grand

nombre de salles de théâtre, d’opéra et de spectacles divers

d’Europe. Ces salles assurent l’essentiel des créations de

nouveauté et de maintien du répertoire consacré. Madrid mis à

part, Paris dispose du plus grand nombre de places de spectacle

par habitant bien qu’elle ne soit pas la capitale la plus

peuplée du continent qui à l’époque est Londres (voir diapo

10) ; si au XXe siècle d’autres grandes villes la dépassent

pour l’équipement en salles de spectacles, la force nationale

et internationale de Paris comme ville spectacle réside dans sa

capacité exportatrice de ses plus grands succès sur laquelle

nous reviendrons dans la deuxième partie.

Cela ne signifie pas, comme semblait l’indiquer Goethe, que la

province ou les grandes villes ne jouent aucun rôle culturel,

3 23 octobre 1828, ibid., p. 574.

7

mais soit elles se contentent de diffuser les nouveautés venues

de Paris (ainsi pour la production théâtrale ou l’édition), de

suivre les modes parisiennes (à travers la lecture des romans

ou des journaux spécialisés) ou d’inventer des institutions

analogues qui servent de marchepied vers le centre (salons de

peinture locaux, sociétés savantes, sociétés musicales locales

qui recherchent toujours le patronage ou des liens avec leurs

homologues du centre via l’emprise du système académique qui

embrasse les arts, la littérature, les sciences).

Romanciers, enquêteurs sociaux, statisticiens, chroniqueurs

ont beau souligner les effets négatifs de cette attractivité

parisienne excessive sur les jeunes aspirants à la gloire

culturelle et le pouvoir corrupteur de la concentration de tous

les pouvoirs de consécration culturelle aux mains d’un petit

groupe d’hommes, rien n’y fait. Qu’il s’agisse des académies

qui distribuent prix et avantages4 des collèges, lycées ou

écoles d’élite pour l’accès au sommet de l’Etat ou de

l’Université, des critiques des journaux qui font les succès

des œuvres du jour. La domination centralisée facilite la

corruption des réseaux d’interconnaissance, comme le soulignent

Balzac dans Illusion perdues (partie intitulée « un grand homme de

province à Paris ») et sa « Monographie de la presse

parisienne »5, ou, pour le Second Empire, Jules Vallès dans le

4 Voir les Mémoires de Berlioz sur les tractations pour l’attribution du « prix de Rome ».5 « Chose étrange ! Les livres les plus sérieux, les œuvres d’art ciselées avec patience et qui ont coûté des nuits, des mois entiers, n’obtiennent pas dans 1es journaux la moindre attention et y trouvent un silence complet » Balzac, Monographie de la presse parisienne, (21/1-28/2/1843) éd. J.-J. Pauvert, 1965, p.140.

8

bachelier et pour la troisième République bien des romans

parisiens dont Maupassant dans Bel-Ami. On sait que ce discours

critique sur les « coteries parisiennes », ce que Jean Dubuffet

appellera « le grand clan des arts et des lettres » se retrouve

presque inchangé jusqu’à nos jours où il fleurit

particulièrement à l’occasion de la remise des prix

littéraires, à chaque automne, même si, du fait des

transformations de la scène culturelle, il prend évidemment des

formes moins grossières qu’à l’époque romantique où Balzac lui-

même pouvait rédiger sous pseudonyme un compte rendu d’un de

ses propres livres !

Bien que les régimes successifs interviennent beaucoup dans la

vie culturelle (contrôle et censure des théâtres, commandes

publiques d’œuvres d’art, achats pour musées, contrôle étroit

de la presse jusqu’aux années 1880), on ne peut pas dire qu’ils

utilisent ces armes pour affaiblir la domination nationale de

Paris. Près de la moitié des étudiants français vivent au

Quartier latin, facteur d’agitation et de troubles dans les

périodes de contestation qui se produisent régulièrement au

XIXe siècle et avec lesquels renouent certaines manifestations

de l’entre-deux-guerres suscitées par l’extrême droite, ou dans

les années 1960 à l’extrême gauche avec la lutte contre la

guerre d’Algérie, puis du Vietnam et enfin les événements de

mai 1968. Les réformes universitaires de la troisième

République ont bien essayé de renforcer les universités des

autres villes, mais l’écart avec les facultés ou établissements

de la capitale ne diminue guère comme le montrent diverses

statistiques présentées dans les diapos suivantes.

9

Voir Diapos 11-12: En comparaison des autres capitales, les

établissements universitaires de Paris, en chiffres absolus

comme en pourcentage relatif, concentrent beaucoup plus

d’étudiants que toute autre ville en Europe et sans doute dans

le monde : 42,4% des étudiants français contre 13,2% des

étudiants allemands à Berlin par exemple en 1909, et

respectivement 41,4 et 15,3% en 1928. Ce rôle de formation

s’accompagne de la concentration également des moyens de

recherche à chaque époque ou des spécialités les plus rares.

Bien que Londres et Berlin à la fin du XIXe siècle tendent

aussi à rassembler une grande part des ressources

universitaires nationales, il existe d’importants contrepoids

qui freinent ce mouvement ; en Angleterre, il s’agit d’Oxford

et Cambridge toujours très bien dotés grâce à leur fortune

propre ou des universités écossaises autonomes par rapport au

centre, dans l’Allemagne impériale, les états fédérés

soutiennent leurs universités contre la domination prussienne,

ainsi Leipzig en Saxe face à Berlin, Munich en Bavière.

Une capitale nationale contestée  (diapo 13-16)

Comment expliquer, au delà des effets de l’héritage historique,

la persistance de ces phénomènes de longue durée, alors même

que des mouvements régionalistes se développent sous la

troisième République, que la classe politique est dominée par

des élus provinciaux qui revendiquent leurs origines et ont

souvent une vision très locale et hostile à la capitale ?

Pourquoi le courant décentralisateur, notamment en matière

culturelle, échoue-t-il régulièrement en France ? Ne s’agit-il

10

que d’un effet des structures de longue durée renforcé par les

mécanismes de concentration des ressources économiques pour les

activités culturelles relevant du secteur commercial (édition,

presse, théâtre, marché de l’art), par la présence des grandes

fortunes aristocratiques et bourgeoises qui commencent à

pratiquer le mécénat culturel (fondation de musées privées,

donations aux musées et aux universités), ce qui avantage

encore la capitale où elles résident selon un « effet Mathieu »

bien classique ?

L’hystérésis du mouvement vers la centralisation culturelle ne

relève pas seulement de ces facteurs globaux, qu’on retrouve

par exemple aussi à Londres ou à Madrid, mais où ils

n’empêchent pas l’émergence d’autres centres culturels avec les

grandes villes du nord industriel anglais ou écossais dans le

premier cas, de Barcelone dans le second. Pour comprendre le

renforcement de la domination culturelle parisienne même à une

époque de libéralisation, de démocratisation ou d’essor des

thèses régionalistes, il faut tenir compte de la double

catastrophe antérieure qu’aucune autre capitale européenne

n’avait alors encore subie : le terrible siège de 1870-71 et la

guerre civile meurtrière qui a opposé la Commune au

gouvernement de Versailles de mars à mai 1871. Ce double

traumatisme n’a aucun équivalent dans une autre capitale de

l’époque où les derniers événements comparables remontent à

1812 pour la Russie (incendie de Moscou face à l’invasion de

Napoléon), ou à 1848 pour l’Europe centrale (révolutions à

Berlin, Vienne, Budapest). Il explique en partie l’atmosphère

encore très particulière de Paris trente ans après. Ville

11

ressuscitée de ses cendres (voir le symbole de l’Hôtel de ville

en ruines), elle s’est efforcée, tout au long de ces quarante

quatre années, de retrouver son rang européen et mondial. Cette

obsession transparaît dans la série des expositions

universelles qui culmine avec celle de 1900. Sans ces souvenirs

tragiques également, on ne comprendrait pas la soif de liberté

et de novation, la frénésie de divertissement et de dérision,

la passion politique inquiète et l’obsession du dépassement qui

habitent non seulement les élites, les écrivains, les artistes,

les intellectuels, mais aussi la plupart des habitants de

souche ou migrants ou des hôtes de passage de cette ville de

tous les contrastes et de tous les défis. Les incendies de la

Commune, les bombardements du siège, la migration partielle

hors de la ville de la fonction politique jusqu’en 1878, le

maintien de l’état de siège bien au delà de la guerre ont

montré que même la capitale des révolutions, même la ville qui

se pensait comme le centre du monde civilisé lors de

l’exposition universelle de 1867 où presque tous les souverains

se sont rendus en personne, pouvait en quelques mois perdre son

rang, se vider d’une partie de sa population, être honnie par

ses élites et une grande partie de la population nationale et

soumise aux plus grandes violences internes ou externes.

Il faut donc penser la plus grande partie de la troisième

République, malgré son provincialisme affiché, comme une

nouvelle séquence de restauration et de renforcement de Paris

comme capitale nationale et surtout symbolique et

internationale. Dans ce pays humilié et diminué après 1871,

pays incertain de son avenir avec la montée en puissance de

12

l’Allemagne unifiée et de l’Angleterre impériale, bientôt des

Etats-Unis, une grande partie des élites politiques, des

intellectuels, des écrivains ou des artistes, du moins ceux qui

n’adhérent pas au régionalisme assez minoritaire, veulent non

seulement effacer ce passé dramatique mais redonner au capital

symbolique séculaire de Paris comme capitale culturelle toute

sa fonction dans la lutte de concurrence renforcée où la France

globalement a perdu constamment du terrain par rapport au début

du XIXe siècle, en particulier en matière économique et

sociale.

II. CAPITALE CULTURELLE INTERNATIONALE

Ainsi au terme de ce premier ensemble d’analyses, Paris se

caractérise depuis la dernière partie du XIXe siècle par sa

domination culturelle écrasante dans son espace national mais

aussi de sa fonction internationale de référence par rapport

aux autres capitales européennes dont le pouvoir attractif

reste globalement inférieur, même quand il s’agit de villes en

passe de la dépasser sur le plan démographique. On peut le

démontrer plus en détail à partir de l’observatoire des

expositions et notamment celle de en 1900 qui se veut, selon le

titre donné au rapport par le commissaire général Alfred

Picard, « le bilan du siècle ».

La preuve par les expositions et les congrès

Ce schéma d’interprétation de l’obsession du rôle national et

international de Paris à préserver peut paraître abstrait et

en partie indémontrable puisqu’il relève de l’histoire des

13

représentations et d’initiatives disjointes et, pour partie,

non concertées. Il trouve cependant son illustration très

concrète dans l’une des manifestations symboliques et

culturelles majeure qui domine la période jusqu’en 1937, la

politique des grandes expositions où se mobilisent, selon une

tradition bien française, acteurs privés et acteurs publics,

élites locales et élites nationales. Elles sont l’occasion de

manifestations culturelles nationales et internationales de

grande ampleur. Quelques rappels tout d’abord : Paris est la

ville qui, au XIXe siècle et avant 1940, a accueilli le plus

d'expositions universelles : 7 contre 2 ou 3 seulement à

Londres et aucune à Berlin : 1855, 1867, 1878, 1889, 1900,

1925 (Arts décoratifs), 1931 (Exposition coloniale) et 1937

(Exposition des arts et techniques).

Diapo 18   : De plus, les expositions de Paris ont été les plus

visitées et ont rapporté globalement énormément d'argent : on

passe d'un peu plus de 5 millions de visiteurs en 1855 à 11

millions en 1867, 16 millions en 1878, 25 millions (payants)

en 1889 et 50 millions en 1900, 15 millions en 1925, 31

millions en 1937. Le record absolu de 1900 a été dépassé

seulement à la fin du XXe siècle quand les facilités de

déplacement sont beaucoup plus grandes qu’à l’époque du train

et du bateau à vapeur.

L’Exposition de 1900

Le succès de cette exposition repose d’abord sur le prestige

international et ancien de Paris comme le montre le fait qu'en

1900, alors que Berlin, capitale de l’Allemagne impériale,

14

souhaitait enfin accueillir une exposition, le choix parisien a

de nouveau prévalu au nom à la fois de la réussite des

expositions antérieures et de la volonté gouvernementale de

maintenir la périodicité régulière établie tous les onze ans,

manière d’entretenir l’entreprise de redressement national

inaugurée en 1878 pour effacer le traumatisme de 1871.

Quels sont les atouts plus substantiels dont bénéficie Paris

par rapport à ces rivales dans la course au titre de

« capitale des capitales » ? Le bilan statistique de

l’exposition en fournit quelques pistes d’analyse.

Les statistiques disponibles permettent de préciser le

rayonnement géographique international de Paris comme capitale

culturelle en cette dernière année du XIXe siècle : En 211

jours on a recensé 50 860 801 entrées dont 41 027 177 payantes.

La moyenne des entrées par jour s’établit à 241 046 avec des

pointes le dimanche à 409 376 et à 438 577 lors de la journée

gratuite de novembre6. Si ce dernier indicateur souligne la

forte présente d’un public parisien, le trafic des gares et des

ports indiquent un afflux également notable de provinciaux et

d’étrangers. Le trafic des gares parisiennes connaît ainsi un

pic particulier avec 102 millions de passagers, soit 25 de plus

qu’en 1899, et 56 millions de plus qu’en 1889, une autre année

d’exposition. L’Album statistique de 1900 permet d’aller plus loin

dans l’analyse des provenances géographiques : 439 976

voyageurs sont venus par chemin de fer de l’étranger et 150 763

par mer. Sans surprise, les pays qui envoient le plus de

visiteurs sont à la fois les plus proches et aux classes

6 Annuaire statistique de la ville de Paris 1900, Paris, Masson, 1902, p. 516.

15

supérieures les plus riches. Par ordre d’importance, ce sont la

Grande-Bretagne, la Belgique, la Hollande, la Suisse,

l’Allemagne et l’Autriche, l’Italie. Il est difficile de

déterminer l'importance du contingent américain puisque

beaucoup passent par les transatlantiques anglais et ensuite

retraversent la Manche après avoir fait escale à Liverpool ou

Londres. La statistique consultée nous montre aussi l’étendue

du rayonnement de l’Exposition puisqu'on note des provenances

très lointaines : plus de 10 000 voyageurs sont venus

d'Amérique du sud, plus de 3 600 de Chine et du Japon, plus de

8 000 des Indes orientales et d’Australie, plus de 14 000

Russes sont venus par bateau (auxquels il faut ajouter ceux qui

ont emprunté la ligne de train Paris/Berlin/Moscou, confondus

dans le contingent « allemand »), plus de 28 000 proviennent du

Bassin oriental de la Méditerranée. 59 753 d'Algérie, 14 556 de

Tunisie, 2 974 de Cochinchine. Paris, lors de cette exposition,

apparaît ainsi comme une des capitales de ce qu’on a appelé la

première mondialisation.

La superficie dédiée à l’Exposition est immense avec 216

hectares sur deux sites (Champ de Mars Champs-Elysées, colline

de Chaillot, et Bois de Vincennes) et pourtant l’entassement

des pavillons, tel qu’il ressort des photos aériennes, donne

l’impression d’un espace saturé où l’on a voulu faire figurer

toutes les parties du monde. Tous les styles architecturaux,

artistiques ou musicaux se mêlent et se côtoient. L’espace de

l’exposition opère des rapprochements incongrus entre l’ancien

et le moderne, le proche et l’exotique.

16

A côté de la fonction distractive de la culture parisienne,

l’exposition de 1900 met aussi en valeur un autre trait de la

centralité internationale parisienne avec la multiplication

des Congrès scientifiques et professionnels qui s’y tiennent à

cette occasion. Situer un congrès à Paris c’est en assurer le

rayonnement et attirer des participants qui souhaitent en même

temps profiter des ressources culturelles, sociales,

politiques, distractives de la seule capitale qui les

concentre sur un espace étroit.

Diapo 20 Congrès : Cette exposition, comme les précédentes,

accueille de très nombreux congrès qui structurent peu à peu

le champ du savoir international dans tous les domaines au

cours du XIXe siècle et au delà : on en dénombrait 3 en 1855,

14 en 1867, 48 en 1878 ; 101 en 1889, il y en a le double en

1900 203, avec un total de 68 000 participants7. Grâce à tous

ces experts et ces savants rassemblés, Paris joue le rôle

capitale intellectuelle du monde pendant quelques mois. Paris

conquiert dès cette époque son titre de ville où se tient le

plus grand nombre de congrès et où à l’échelle du pays ils se

concentrent de préférence sur les bords de la Seine comme le

montre le contraste avec Londres où même une année

d’exposition la moitié ou moins des congrès du pays s’y

retrouve (diapo 21).

Cette centralité est évidemment à double tranchant. Elle

traduit aussi le déséquilibre du réseau urbain français par7 Chiffres donnés par Claude Tapia, « Paris, ville des congrès de 1850 ànos jours », in A. Kaspi et A. Marès (dir.), Le Paris des étrangers depuis un siècle,Paris, Imprimerie nationale, 1989, p.35-43, ici tableau p. 39. Certainesautres sources, comme le rapport cité de l’exposition de 1900, donnent deschiffres légèrement différents mais du même ordre de grandeur et decentralité par rapport à l’ensemble national.

17

rapport aux autres pays ; les autres grandes villes françaises

n’ont pas les atouts pour figurer dans un palmarès

international de ce type alors qu’une ville comme Bruxelles,

guère plus grande que Lyon ou Marseille à l’échelle

internationale, occupe, on le voit, un rang tout à fait

éminent dans le palmarès, ce qui n’empêche pas d’ailleurs des

villes belges comme Gand et Anvers de se lancer également dans

l’organisation de grandes expositions. Cette fonction

rassembleuse de Paris tire sa puissance de considérations

scientifiques (proximité de la plus grande concentration

d’étudiants et de chercheurs de haut niveau) mais aussi

extrascientifiques : en dehors du congrès, les congressistes

sont assurés de trouver des activités intellectuelles,

artistiques ou distractives sans équivalent ailleurs. Enfin

pour un pays comme la France républicaine qui se sent diminué

depuis 1871, les congrès sont un enjeu symbolique et les

autorités les soutiennent par des marques d’hospitalité ou de

prestige dans une politique d’image que ne pratiquent pas

autant les monarchies traditionnelles, engoncées dans les

rigidités des rituels de cour ou d’ethos aristocratique alors

que la culture des congrès est plus en phase avec l’idéal

démocratique et égalitaire. Ce point se relie aussi à la

seconde centralité internationale de Paris liée à sa fonction

savante ancienne.

Cette fonction savante internationale de Paris peut être

précisée par l’examen du rayonnement universitaire des

établissements parisiens. Un facteur nouveau, d’origine

internationale, contrecarre la volonté décentralisatrice

18

partielle de la République née après la défaite de 1871. Il

s’agit du développement des flux d’étudiants étrangers, élément

de prestige dans la concurrence entre nations. Dans tous les

pays d’Europe avancée, comme l’a montré Victor Karady, ces

étudiants et, de plus en plus, ces étudiantes venus d’ailleurs,

si l’on met à part la Suisse dont les universités accueillent

de nombreux étudiants russes, tendent à se concentrer dans les

capitales alors que la vie y est beaucoup plus chère

qu’ailleurs. Ils peuvent en effet y construire des réseaux

d’entraide ou y trouver des activités annexes pour survivre.

C’est particulièrement vrai à Paris comme le montre la

comparaison avec Berlin ou les universités provinciales. Dans

l’entre-deux-guerres, ce mouvement centripète persiste et il

faudra attendre la politique volontariste de création

d’universités hors Paris dans les années 1960 pour que la part

des effectifs des universités parisiennes dans le total

français descende au tiers du total national, ce qui reste

beaucoup plus que partout ailleurs si l’on met à part le cas de

Mexico ou Buenos Aires.

A Paris, le pouvoir d’attraction universitaire, loin de

diminuer, s'accentue sous la troisième République alors que

l’attractivité sur les étudiants étrangers de l’autres grande

université européenne, celle de Berlin, tend au contraire à

régresser dans les années 1920, malgré la croissance générale

des effectifs l'Université Friedrich-Wilhelm (aujourd’hui

Humboldt) à l’époque de Weimar. On passe à Paris d'un peu moins

de 10% d'étudiants étrangers (1890) à 17,7% en 1910 et 24,5% en

1928 (contre 13% à Berlin) (diapo 19).

19

Droit Médecine Lettres SciencesParis 9,4 13,7 6,4 8,3Berlin 4,26 15,6 21,3 17,02Tableau n°1 : Pourcentage d’étudiants étrangers par faculté en1897/98 à Berlin et à Paris. Voir diapo 19L’inégale présence des étudiants étrangers selon les facultés

(tableau n°1) souligne bien les fonctions très variables des

études à Paris, selon la discipline et le pays d'origine.

Paradoxalement, ce sont les facultés professionnelles (droit et

médecine), dominantes par les effectifs et la centralité

parisienne, qui apparaissent les plus cosmopolites. Ceci

traduit le souci utilitariste d'étudiants, venus surtout de

l’Europe pauvre de l’est et du sud pour obtenir un titre

professionnel rendu prestigieux, par son origine parisienne,

dans leur pays natal. Inversement, les facultés intellectuelles

recrutent plutôt leurs auditeurs étrangers dans les vieilles

nations intellectuelles, tout particulièrement quand il s'agit

de la faculté de culture générale par excellence, la faculté

des lettres. Alors qu'ailleurs ils sont peu nombreux, les

étudiants allemands, américains du nord ou des pays nordiques

souhaitent s'imprégner de la civilisation française en suivant

les cours de la Sorbonne. L'idée ne leur vient pas en revanche

d'apprendre les rudiments de la science et de la médecine à

Paris, puisqu'ils disposent, chez eux, d'établissements

équivalents voire supérieurs par les locaux et les équipements.

20

Pays Faclettres

Facsciences

Facmédecine

Facdroit

Total %

Grande-Bretagne

3 2 8 9 22 1,8

EU/Canada 18 6 7 3 34 2,9Russie 8 30 182 17 237 20,2Bénélux 6 6 13 9 34 2,9Autriche-Hongrie

7 3 6 3 19 1,6

Allemagne 31 2 19 5 57 4,8Suisse 7 5 21 10 43 3,6Espagne/Portugal

- 1 10 1 12 1,0

Italie - - 5 2 7 0,6Paysnordiques

5 2 2 - 9 0,7

Bulgarie 4 1 - - 5 0,4Serbie 6 1 5 23 35 2,99Roumanie 8 26 74 117 225 19,2Turquie 4 13 88 47 152 12,9Grèce 2 3 24 31 60 5,1Japon 1 - - 2 3 0,2Amériquelatine

- 4 58 26 88 7,5

sous total 110 106 546 344 1106 94,5Égypte - 1 6 32 39 3,3Perse - - 3 1 4 0,3Afrique - - 15 6 21 1,8Totalgénéral

110 107 570 383 1170 100

Tableau n°2: Pays d'origine des étudiants étrangers à Paris en18988.D’où proviennent ces étudiants étrangers à Paris ? (tableau

n°2) Les étudiants russes sont particulièrement nombreux en

8 Source Annuaire statistique de la Ville de Paris et C. Charle, Paris fin de siècle, culture et politique, Paris, Le Seuil, 1998, p.35-36.

21

sciences et en médecine, à la fois parce qu’ils viennent d'un

pays en retard et qu'ils trouvent en France un climat de

liberté et de tolérance supérieur, encore élargi dans une

métropole comme Paris : bon nombre de ces Russes appartiennent

en fait aux ethnies ou religions dominées ou persécutées dans

la Russie tsariste (Polonais, Juifs). Leur insertion est

facilitée en outre par le précoce apprentissage du français

dans cette partie de l'Europe.

L’espace culturel international sur lequel particulièrement

Paris exerce son emprise au tournant du XXe siècle est

essentiellement tourné vers les pays du sud-est européen

(Roumanie, Balkans, Grèce) les enclaves francophones

(Belgique, Suisse, élites russes et slaves en général), le

Proche Orient où existe une implantation ancienne

d’institutions d’enseignement d’origine française (Egypte,

Liban, Turquie) mais surtout liées au catholicisme et à une

culture assez classique et conservatrice9. Cette géographie

différentielle sera confirmée par l’entre-deux-guerres, mais

complètement transformée dans les années 1950-60 avec

l’arrivée massive des étudiants coloniaux puis plus tard de

l’ancien empire français.

Cette montée en puissance de la fonction universitaire

internationale de Paris a longtemps été laissée sans direction

et a été produite par les choix individuels des intéressés,

qu’il s’agisse des chercheurs ou universitaires ou des

étudiants eux mêmes. Progressivement toutefois, toujours dans

9 V. Karady, « La migration internationale d’étudiants en Europe », Actes de larecherche en sciences sociales, n°145, décembre 2002, pp.47-60. Pierre Moulinier,Les étudiants étrangers à Paris au XIXe siècle, Rennes, PUR, 2011.

22

la perspective de la concurrence internationale avec les

autres grands pays, des initiatives officielles ou des mécènes

se préoccupent du problème : invitations de professeurs

étrangers dans les facultés parisiennes (en particulier mise

en place d’échanges réguliers avec Columbia et Harvard10),

création d’un service de coopération universitaire avec

l’Amérique latine et surtout fondation et développement de la

Cité universitaire internationale après la Grande Guerre, à

l’occasion de la libération de terrains au sud du quartier

latin par la disparition des fortifications ; une grande

partie du financement des pavillons est d’origine

internationale, voire privée comme le montrent la chronologie

et les noms des pavillons : fondation Deutsch de la Meurthe

(un grand industriel du pétrole), fondation Rosa de Abreu-

Grancher pour Cuba, fondation Nuber Pacha pour l’Arménie,

fondation Biermans-Lapôtre pour la Belgique (diapo 23).

La construction au milieu d’un parc s’inspire du modèle du

campus américain ou des collèges anglais (on parle d’un Oxford

français), mais si ces mécènes ou Etats consentent à ces

créations c’est bien parce que cette résidence cosmopolite est

à quelques kilomètres seulement du Paris mythifié par la fin

du XIXe siècle. L’idéal de mélange des nationalités qui

préside à l’installation des étudiants (malgré la nationalité

affichée de chaque maison) s’inscrit aussi dans le message

pacifiste postérieur au grand massacre de la jeunesse après

1918. L’ordre de naissance des maisons est un fidèle reflet du

système d’alliances de la diplomatie française et des

10 Voir C. Charle, La République des universitaires (1870-1940), Paris, Le Seuil, 1994,p. ?

23

proximités culturelles entre la France et les autres nations ;

c’est ce qui explique que la maison des étudiants canadiens et

la Belgique arrivent en tête, suivi des nations latines ou de

l’allié anglais. Les anciens ennemis sont durablement exclus

et la maison Henri Heine fondée par l’Allemagne fédérale et

des mécène allemands attendra 1956 pour trouver une place dans

le cercle extérieur de la cité tout proche du périphérique en

construction, situation assez peu enviable pour

l’environnement et la quiétude.

Paris capitale dans les livres

Pour expliquer le rayonnement et l’attractivité de Paris, il

faut aussi faire intervenir la dimension littéraire de l’image

de cette ville à l’échelle internationale. Avant même de venir

à Paris, provinciaux ou étrangers, intellectuels ou non, qu’ils

viennent en touristes, pour s’y établir durablement ou pour

affaire s’en font une certaine image. Elle est véhiculée certes

par les nouveaux supports médiatiques propres à la fin du

siècle que sont la presse illustrée, les cartes postales, les

affiches de chemin de fer, les tableaux de peintres exportés à

l’étranger. Nous pensons évidemment aux scènes parisiennes de

certains impressionnistes mais à l’époque d’autres peintres

moins modernes se font une spécialité des scènes de la vie

parisienne. Mais ce qui touche peut-être le plus les

contemporains pour se former une représentation de Paris à

distance, ce sont sans doute les images et les personnages plus

ou moins exacts, plus ou moins stéréotypés qui sont présents

dans l’abondante production romanesque ou dans les pièces de

24

théâtre de boulevard traduites et exportés dans les autres pays

d’Europe tout au long du XIXe siècle avant que le relais soit

pris par la production cinématographique dans l’entre-deux-

guerres où le paysage social et culturel parisien est très

présent sous forme réaliste ou fantasmé (voir en particulier le

Paris romantique des Enfants du Paradis). Cette production est

massive ; des tentatives ont été faites pour la connaître mais

sa masse même est décourageante tout comme le caractère très

répétitif de cet ensemble de « romans parisiens », de

« comédies de boulevard » ou de films divers. Le plus important

est moins le contenu, souvent conventionnel pour le gros de ces

œuvres destinées au public moyen, que leur exportation dans

d’autres pays soit directement en français pour les classes

supérieures qui peuvent lire cette langue, soit en traduction

pour les romans qui ont le plus de succès. Le XIXe siècle et le

début du XXe siècle est celle d’une double domination à

l’exportation des romans anglais et français en Europe, mais la

différence entre les premiers et les seconds est que les romans

anglais sont surtout exportés vers les zones anglophones et

sont retenus par une censure morale bien plus rigide qu’en

France. Ils sont beaucoup moins centrés sur Londres ou en

présentent une image plutôt négative comme l’a partiellement

montré Franco Moretti dans son Atlas du roman européen. Les romans

français peuvent être traduits dans de nombreuses langues

européennes et attirent pour leur réputation d’être plus libres

que leurs concurrents anglais : en italien, allemand, espagnol,

russe et touchent donc des pays très divers. Il en va de même

pour les pièces de théâtre.

25

Ces productions de littérature moyenne sont surtout le fait

d’auteurs habitant Paris, étant donné la concentration de la

vie littéraire dans la capitale. Ils y situent très souvent

leurs intrigues ou personnages souvent pour en tenir une

chronique plus ou moins réaliste et informée et avec une

déformation très nette vers le haut de la pyramide sociale même

si certains romans naturalistes à succès comme ceux de Zola

s’attachent à des groupes longtemps tenus aux marges de la

littérature : ouvriers, employés, prostituées, artistes,

journalistes, etc. Cela ne veut pas dire que la littérature

parisienne dérangeante traverse sans encombre les frontières

car certaines licences ne sont pas acceptées dans les autres

pays aux censures plus sévères. Du moins ces œuvres même quand

elles font scandale ou sont assez librement caviardés (je pense

aux traductions des Mystères de Paris, des Misérables, de l’Assommoir,

ou Nana de Zola) entretiennent une image complexe et fascinante

de la ville dans les autres pays. Depuis Dickens et si l’on met

à part Conan Doyle mais dans un genre un peu déconsidéré à

l’époque le roman policier, Londres ni a fortiori aucune autre

capitale européenne n’a bénéficié de cet accompagnement

littéraire continu depuis le XVIIIe siècle d’œuvres et

d’auteurs internationalement connus. Cette relation intime

entre Paris comme capitale littéraire (centre du champ

littéraire français), capitale des livres (centre de l’édition

nationale et de la presse), et capitale dans les livres, thème

central pour de nombreuses œuvres de fiction ou de théâtre,

explique trois phénomènes   :

- certains best-sellers internationaux français sont centrés

26

sur la capitale depuis les mystères de Paris, les Misérables jusqu’à

Paris de Zola pour ne parler que d’œuvres encore connues

aujourd’hui ;

- le roman parisien comme genre spécifique est imité dans

d’autres capitales émergentes comme Saint Pétersbourg avec

Dostoïevski, Vienne avec Schnitzler, Rome avec

D’Annunzio, Berlin avec Döblin pour ne parler que

d’auteurs encore connus.

- Les images véhiculées tiennent à la fois compte des

changements urbains et, en même temps, retardent souvent

sur eux. D’une part, les auteurs décalent volontiers leurs

intrigues dans un temps plus ancien ou quand ils ne le

font pas, intervient le décalage du temps de la traduction

et de l’adaptation dans d’autres pays. Eugène Sue par

exemple est encore lu en Russie à la fin du siècle tout

comme Balzac. Zola ne pénètre qu’avec un certain retard

dans les pays les plus conservateurs.

Extrait de Paris :

“Si le monde antique avait eu Rome, maintenant agonisante,Paris régnait souverainement sur les Temps Modernes, lecentre aujourd’hui des peuples, en ce continuel mouvementqui les emporte de civilisation en civilisation, avec lesoleil, de l’est à l’ouest. Il était le cerveau, tout unpassé de grandeur l’avait préparé à être, parmi les villes,l’initiatrice, la civilisatrice la libératrice. Hier, iljetait aux nations le cri de liberté, il leur apporteraitdemain la religion de la science, la justice, la foinouvelle attendue par les démocraties. Il était la bontéaussi, la gaieté et la douceur, la passion de tout savoir,la générosité de tout donner. En lui, dans les ouvriers deses faubourgs, parmi les paysans de ses campagnes, il yavait des ressources infinies, des réserves d’hommes où

27

l’avenir pourrait puiser sans compter. Et le sièclefinissait par lui, et l’autre siècle commencerait, sedéroulerait par lui, et tout son bruit de prodigieusebesogne, tout son éclat de phare dominant la terre, tout cequi sortait de ses entrailles en tonnerres, en tempêtes, enclartés victorieuses, ne rayonnait que de la splendeurfinale dont le bonheur humain sera fait. […]Et ce n’était pas non plus la ville avec ses quartiersdistincts, à l’est les quartiers du travail embrumés defumées grises, au sud ceux des études d’une sérénitélointaine, à l’ouest les quartiers riches, larges et clairs,au centre les quartiers marchands, aux rues sombres. Ilsemblait qu’une même poussée de vie, qu’une même floraisonavait recouvert la ville entière, l’harmonisant, n’enfaisant qu’un même champ sans bornes, couvert de la mêmefécondité.11”

Paris capitale artistique internationale (diapo 29)

L’attractivité artistique internationale de Paris s’est

développée au cours du XIXe siècle et a peu à peu éclipsé (sauf

dans la sculpture) la fonction acquise par Rome comme lieu de

formation après la Renaissance, ce qu’attestent la fondation de

l’Académie de France à Rome et l’institution du prix de Rome

qui joue toujours un rôle central au XIXe voire au XXe siècle

dans certains domaines pour désigner la future élite artistique

du moins définie en termes académiques12. A l’inverse, on voit

progresser la part des étudiants étrangers à l’Ecole des Beaux-

Arts ou dans les ateliers privés qui se multiplient et celle

des artistes qui exposent dans les principaux salons parisiens

voir tableau n°3.

11 E. Zola, Paris (1898), édition établie et présentée par Henri Mitterand, Paris, Stock, 1998, p. 457-58.12 Maria Pia Donato, Giovanna Capitelli et Matteo Lafranconi, « Rome capitale des arts au XIXe siècle », in C. Charle (dir.), Le temps des capitales culturelles XVIIIe-XXe siècles, op. cit., p. 65-99, en particulier p. 72 et s.

28

S.Nale Beaux Arts1899

Artistesfrançais1899

S. Nale Beaux Arts1909

Artistes français1909

Salond’automne1909

Paris 34,7 21,3 34,1 30,3 35,2

Berlin1897

9,1

Tableau n°3 : Part des artistes étrangers dans divers Salons àParis et à Berlin.

En 1899, on dénombrait 34,7% d’exposants étrangers à la Société

nationale des Beaux-Arts et 21,3% à la Société des artistes

français ou encore 35,1% au Salon d’Automne de 1909, le plus

international. C’est un nouvel indice de l’attractivité et du

rayonnement du monde de l’art parisien même si par ailleurs les

institutions officielles restent assez conservatrices. Il

existe du moins des espaces de liberté que saisissent ces

avant-gardes.

Comme pour l’essor congrès internationaux ou la fréquentation

des facultés parisiennes par des étudiants étrangers, le

mouvement débute sous le Second Empire mais s’accentue sous la

troisième République lorsque trois phénomènes convergent : la

floraison des avant-gardes et des polémiques artistiques contre

la peinture académique, la montée en puissance du marché de

l’art contemporain à Paris (qu’il soit novateur ou

traditionnel) avec le développement du système

marchand=critique, encouragé par la puissance de la presse

parisienne générale ou spécialisée, l’arrivée sur le marché

parisien de nouveaux collectionneurs étrangers, notamment

29

américains qui succombent à leur tour au mythe parisien,

d’abord comme capitale du goût, de la civilisation et du luxe

depuis le XVIIIe siècle puis, pour les moins conformistes,

l’intérêt pour les tendances novatrices en fonction de la

victoire symbolique du thème de la modernité en art.

L’idée ressassée, et propre à Paris du fait de son histoire

révolutionnaire spécifique, qu’en art, comme en littérature et

dans tous les domaines culturels, l’avenir appartient à ceux

qui rompent avec la tradition s’appuie sur la preuve par la

réussite des mouvements antérieurs qu’on annexe pour la

démonstration13, même si c’est au prix d’une certaine

distorsion de la réalité historique : le romantisme dans sa

dimension littéraire, picturale, musicale (voir « l’hommage à

Delacroix » de Fantin-Latour où figurent tous les représentants

la jeune peinture des années 1860), le réalisme avec plus de

difficulté, avec le succès de Courbet en Allemagne et la propre

mise en scène de sa gloire et de ses amis dans l’Atelier du peintre,

présenté et refusé à l’exposition de 1855, et surtout

l’impressionnisme dont le succès international coïncide avec

l’exposition centennale dans le cadre de l’exposition

universelle de 1889. Cette histoire glorieuse de la novation

artistique masque la masse des échecs dans un univers de plus

en plus concurrentiel du fait de sa centralisation. Cette

légende dorée du « modernisme » implique, aux yeux de

l’étranger que ceux qui produisent la « nouvelle » peinture et

qu’on appellera bientôt l’avant-garde, comme si l’histoire

était déjà écrite, ont toute chance d’être bientôt les

13 Voir Théodore Duret, Critique d’avant-garde, (1885) n. éd., Paris, ENSB, 1998, p. 42.

30

vainqueurs en fonction de cette représentation historicisée et

tendue vers le futur amorcée dès les années 1860 et peu à peu

théorisée par Baudelaire, Zola ou d’autres.

Cette image de Paris comme lieu de la réussite artistique la

plus brillante ne concerne pas seulement les peintres novateurs

mais aussi des peintres plus traditionnels qui obtiennent des

succès mondains comme l’américain John Singer Sargent formé à

l’Ecole des Beaux-Arts, Whitsler, compagnon des

impressionnistes tout comme Mary Cassatt, l’italien Giovanni

Boldini, etc.

Ce rayonnement et cette attractivité se retrouvent avec les

avant-gardes en « ismes » caractéristiques de la fin du XIXe

siècle et de la première décennie du XXe siècle, en peinture

avec le divisionnisme de Seurat et Signac (1886), le mouvement

nabi (1899), la fondation du Salon d’Automne (1903), explose le

fauvisme en 1905 et le cubisme en 1908 ou des peintres de

l’Ecole de Paris après 1910 (diapo 31). Ces novateurs dans

différents genres sont souvent liés entre eux, par l’amitié, le

souci d’entraide ou un lieu de résidence proche. Les nombreux

peintres étrangers, résidents permanents ou épisodiques 

caractérisent cette période des années 1890 aux années 1930,

certains se lient à ces mouvements, d’autres suivent les voies

traditionnelles : A. Mucha et F. Kupka, originaires de Bohême

débutent dans les journaux satiriques parisiens en 1896 avant

de se lier à l’avant-garde, K. Van Dongen, venu de Hollande,

installé à Paris en 1899, Edvard Munch, norvégien présent en

1896 et qui envoie régulièrement des tableaux aux salons de la

capitale, tout comme W. Kandinsky qui passe un an à Paris en

31

1906. Picasso, formé à Barcelone, après une première visite à

l’exposition de 1900,  y habite de manière permanente à partir

de 1904, Sonia Terk, plus tard épouse de Robert Delaunay, venue

de Russie via l’Allemagne, s’installe, elle, en 1905 comme

Modigliani venu de Livourne14. Chagall arrive en 1910 ; l’un et

l’autre seront hébergés à La Ruche, résidence d’artistes

passage de Dantzig (15è arrondissement) dans un pavillon

métallique récupéré de l’exposition de 1900 ouvert en 190215.

Ces artistes venus de partout sont parfois contraints de se

faire connaître par des expositions hors des lieux officiels

dans les cafés ou à l’étranger, ils dépendent des articles de

jeunes écrivains ou journalistes publiés dans les petites

revues comme le Mercure de France, la Revue blanche. Ils recourent

plus rarement à des ouvrages de doctrine comme celui de Paul

Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme (1899) ou à des

manifestes, difficilement placés dans la grande presse, comme

celui des futuristes italiens qui ont droit à la première page

du Figaro pour se faire connaître en février 190916.

Paris joue ce rôle de capitale artistique internationale non

seulement en raison de cette concentration multinationale

d’artistes de toute origine et de tout type, mais aussi à cause14 Le fauvisme ou « l’épreuve du feu ». Eruption de la modernité en Europe, Musée d’artmoderne de la ville de Paris, Paris, Paris Musées, 1999, p. 451, 462, 464,477, 481.15 Cf . La Ruche cité des artistes. 1902-2008, exposition au Palais Lumière à Evian,catalogue éditions alternatives 2009. (cf. Harry Bellet, « La Ruche un belabri pur les artistes comme Chagall, Modigliani ou Léger », Le Monde, 26 mars2009, p. 22).16 Réédition, Paris, Hermann, 1978, introduction et notes de FrançoiseCachin; « Manifeste du futurisme », version publiée dans Le Figaro du 20février 1909, reproduit et commenté dans Fanette Roche-Pezard, L’aventurefuturiste 1909-1916, Rome, Ecole française de Rome, 1983, p. 68.

32

du grand nombre des marchands d’art, des ventes, des multiples

lieux d’exposition, de la présence de colonies étrangères de

riches amateurs ou collectionneurs et de la masse des touristes

étrangers qui y viennent régulièrement pour leurs achats de

luxe dont font partie les objets d’art produits ou exposés dans

la capitale. Sans doute, d’autres capitales comme Londres,

Bruxelles, Vienne, Munich ou Berlin, voire Saint Pétersbourg ou

Moscou montent dans la hiérarchie des prestiges artistiques et

se dotent peu à peu des mêmes atouts (nouveaux musées, nouveaux

lieux d’exposition) comme l’a montré Béatrice Joyeux-Prunel

dans son livre Nul n’est prophète en son pays. Toutefois l’indicateur

qu’elle a construit sur les expositions d’art moderne montre

que jusqu’en 1914, malgré le rattrapage des autres villes la

position dominante est toujours occupée par la capitale

française (voir diapo 32).

L’entre-deux-guerres, avec la multiplication les difficultés

économiques de la France dans les années 1930 et l’émergence

internationale du phénomène des avant-gardes comme le montrent

des phénomènes comme le futurisme, les avant-gardes russes et

allemandes indépendantes des influences parisiennes, marque un

début de déclin de Paris comme capitale mondiale de l’art.

Cependant les tensions politiques des années 1930 redonnent à

Paris une fonction comme lieu d’accueil des avant-gardes

persécutées par les dictatures, mais c’est aussi le moment où

le marché de l’art s’effondre du fait de la crise de 1929 et du

tarissement des achats américains. Le déclin est accentué par

la guerre et l’Occupation où de nouveaux centres artistiques

prennent leur essor, en particulier dans le sud de la France et

33

surtout aux Etats-Unis avec New York puisque l’avant-gardisme

devient impossible dans la capitale devenue l’un des bastions

du nazisme et de ses collaborateurs. La même alternance de haut

et de bas se retrouve dans les années 1950 et 1960 comme l’ont

montré Julie Verlaine et Raymonde Moulin avant que le

polycentrisme du marché artistique triomphe au profit de New

York et aujourd’hui de multiples villes et leurs biennales ou

foires internationales comme Bâle17.

Paris capitale internationale de l’opéra et de la musique

(diapos 33-38)

En matière d’opéra et de musique, le cosmopolitisme parisien

est plus ancien encore que pour les arts plastiques : depuis

Louis XIV, les relations musicales avec l’Italie par exemple

dans le domaine de l’opéra ont été intenses et Paris a

accueilli de nombreux compositeurs ou interprètes étrangers

dans des postes en vue de ses institutions culturelles à

commencer par Spontini, Rossini ou Donizetti, Reicha au

Conservatoire ou à l’Opéra et à l’Opéra italien, Chopin et

Liszt comme interprètes ou créateurs en partie exilés pour ne

citer que les plus célèbres. Dans la seconde moitié du XIXe

siècle cette ouverture aux autres musiques ou musiciens

continue et s’étend à de nouvelles contrées plus diverses et

lointaines (comme la Russie, l’Espagne et l’Allemagne). Surtout

les créations opératiques et musicales parisiennes s’exportent

à une échelle nouvelle à l’étranger avec la facilité des

17 J. Verlaine, Les galeries d’art contemporain à Paris 1944-1970, Paris, Publication de la Sorbonne, 2012, chapitres 8 et 9 ; Raymonde Moulin, Le marché de la peinture en France, Paris, Ed. de Minuit, 1967, rééd., 1989.

34

communications et la médiatisation croissantes. Nous sommes à

un moment où l’école musicale française et singulièrement la

production d’opéras ou d’opéras comiques connaissent de vrais

et durables succès à l’exportation avec les opéras d’Auber et

Meyerbeer (sur des livrets de Scribe l’auteur français le plus

joué en Europe), Faust de Gounod, Carmen de Bizet, sans parler

des opérettes d’Offenbach, d’Hervé, de Lecoq jouées dans toute

l’Europe. La focalisation excessive sur la lutte entre les

partisans et les adversaires de Wagner, qui réduit cette époque

à une nouvelle forme de l’affrontement franco-allemand en donne

une image déformée que les travaux de William Weber, Jan

Pasler, Myriam Chimènes ont sensiblement corrigée. Sans aucun

doute, l’accès de Wagner aux institutions officielles a été

retardé après le scandale de Tannhäuser en 1861 et le rejet du

compositeur en fonction de ses prises de position haineuses

pour la France lors du conflit de 1870. Exclu de l’Opéra

jusqu’en 1891 (première de Lohengrin), Wagner est cependant très

présent en extraits dans les concerts des principales sociétés

parisiennes depuis les années 1880.

Mais cet aspect de la vie de l’opéra perturbé par les tensions

nationales ne doit pas masquer le phénomène le plus important

qui caractérise cette époque à savoir la forte

internationalisation des œuvres créées à Paris et, en sens

inverse, l’arrivée sur les scènes parisiennes de nombreux

auteurs étrangers ou de musiques nouvelles inconnues dans la

première partie du XIXe siècle. Ce double mouvement est lié à

des traits spécifiques déjà évoqués mais qu’il faut rappeler

aussi dans une perspective comparative : Paris est la capitale

35

théâtrale de l’Europe, qu’on raisonne en termes de théâtre

parlé ou de théâtre chanté ; Paris dispose de nombreux théâtres

spécialisés ainsi que d’un ensemble de périodiques généraux ou

spécifiques qui sont lus hors des frontières et contribuent à

faire connaître les échecs ou les succès des scènes

parisiennes. Les directeurs des salles des autres pays les

importent quand ils flairent un succès qui a su plaire au

public parisien réputé pour son exigence du fait de la pléthore

des nouveautés et son bon niveau culturel, ce qui fait espérer

que ledit succès pourra réussir hors des frontières18.

Ces exportations sont soutenues également par les tournées à

l’étranger de certaines vedettes (chanteurs, chanteuses et

acteurs ou actrices), de certains chefs ou certains

compositeurs. Enfin le théâtre lyrique français bénéficie de

l’arrivée d’une nouvelle génération novatrice de musiciens qui

prend enfin le relai de la génération qui avait dominé l’époque

depuis les années 1830. Le tableau de la diapo 36 enregistre

les noms de ces musiciens dont les œuvres sont les plus

exportées à l’étranger : outre Offenbach et Bizet décédés, il

s’agit d’une nouvelle génération productive avec Gounod,

Massenet, Saint-Saëns, Debussy, Charpentier. Certains succès

anciens comme Carmen de Bizet, créé à l’Opéra comique en 1875,

continue d’être repris dans toute l’Europe mais aussi aux

18 C. Charle, Théâtres en capitales. Naissance de la société du spectacle à Paris, Berlin, Londreset Vienne, 1860-1914, Paris, Albin Michel, 2008, chapitre 8 ; «Circulationsthéâtrales entre Paris, Vienne, Berlin, Munich et Stuttgart (1815-1860),Essai de mesure et d’interprétation d’un échange inégal», in N. Bachleitner& Murray G. Hall (Hrsg.), "Die Bienen fremder Literaturen". Der literarische Transferzwischen Großbritannien, Frankreich und dem deutschsprachigen Raum im Zeitalter der Weltliteratur(1770–1850), Wiesbaden, Harrassowitz 2012, p. 229-260.

36

Etats-Unis ou dans des villes très lointaines comme Oslo,

Johannesburg, Sofia ou Shanghai (diapo 37).

Cette ouverture internationale de la musique à Paris se

retrouve également dans l’abondance des concerts donnés dans la

capitale française et dont les programmes mêlent volontiers des

musiques originaires de France, d’Allemagne, d’Italie ou

d’Espagne. Les travaux récents de différents chercheurs

américains déjà cités ont montré qu’en dépit du climat

nationaliste, les expositions universelles, comme celle de 1900

et, avant elle, celle de 1889 ou de 1878, avaient été

l’occasion de l’importation de musiques nouvelles de nations

qui n’occupent pas le centre de la création musicale en

Europe : musiques folkloriques d’Europe du nord ou d’Europe

centrale, musique exotiques d’Asie et d’Extrême Orient. En

1889, un critique musical Julien Tiersot pouvait déjà écrire à

propos de cette mondialisation de la musique réalisée grâce à

l’exposition (diapo 38)   :

«   Rome n’est plus dans Rome   ; le Caire n’est plus en Egypte, ni

l’île de Java dans les Indes orientales. Tout cela est venu au

Champ de Mars, sur l’esplanade des Invalides et au Trocadéro.

De sorte que, sans sortir de Paris, il nous sera loisible

pendant six mois d’étudier, au moins dans leurs manifestations

extérieures, les us et coutumes des peuples les plus lointains.

Et la musique étant, entre toutes ces manifestations, l’une des

plus frappantes, aucun des visiteurs exotiques de l’Exposition

n’a eu garde de l’oublier. Sans parler des grands concerts de

l’orchestre, de musique vocale, d’orgue, etc. dont la série

vient de s’ouvrir au Trocadéro, nous trouvons dans les diverses

37

sections de l’Exposition universelle mainte occasion d’étudier

les formes musicales propres à des races chez lesquelles l’art

est compris d’une façon très différente de la nôtre 19 .   »

Le champ musical et de l’opéra moins prisonnier de la langue

nationale est évidemment celui qui assure la meilleure

transition vers la dernière interrogation sur le rôle de

capitale culturelle au XIXe et XXe siècle de Paris. Capitale

nationale et internationale, Paris est-elle aussi une capitale

transnationale ? C’est ce qui nous reste à examiner de manière

plus interrogative.

III. PARIS CAPITALE TRANSNATIONALE ?

Quelques définitions préalables

La distinction entre la fonction internationale d’une capitale

culturelle comme Paris et sa fonction transnationale peut

paraître un peu spécieuse puisque ces deux phénomènes sont

étroitement imbriqués, comme l’ont montré les derniers

exemples. On fera la distinction ici selon le critère suivant :

l’international, c’est la présence de plusieurs cultures

nationales en un même lieu de façon temporaire (cas des

expositions, des congrès, des étudiants, des écrivains ou

artistes en séjour temporaire) ou durable (présence

d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes immigrés qui y

19 J. Tiersot, « Promenades musicales à l’Exposition », Le Ménestrel, 26 mai 1889, p. 165-166.

38

trouvent un milieu d’accueil parisien ou d’autre origine le

temps de leur séjour). Pour tous ces acteurs de la vie

culturelle, il s’agit de profiter des rencontres ou du

rayonnement d’une ville centrale dans la dynamique culturelle

européenne ou mondiale, mais sans renoncer à leur identité

propre et parfois pour la découvrir par différence face aux

différents chocs des rencontres ou échanges avec la culture

locale ou celle d’autres nationalités présentes simultanément.

La dimension transnationale, selon moi, n’est atteinte que

lorsque cette confrontation produit des effets supplémentaires

qui dynamisent les cultures nationales initiales en coprésence

(celle du pays d’accueil et celle du pays exportateur) pour une

œuvre, une identité, une affirmation idéologique spécifique, en

une nouvelle synthèse originale ou aspirant à l’originalité où

des éléments des cultures initiales sont transformés. Paris, du

fait de sa longue domination nationale et internationale, peut

sembler un endroit privilégié pour l’éclosion de cette nouvelle

dimension. Mais c’est loin d’être toujours le cas car la

dimension transnationale entre souvent en contradiction avec

les deux autres dimensions très marquées du rôle de cette

ville : la dimension nationale s’affirme souvent par le rejet

des éléments étrangers par ceux qui se prétendent les gardiens

et les porte parole naturels de l’identité nationale (ainsi les

académiciens ou académiques de tout poil), notamment quand ils

évoquent « l’esprit français », « la tradition française » ou

pire encore « l’esprit parisien ».

La dimension internationale, elle, est toujours déséquilibrée

au profit de la ou des cultures dominantes selon les champs

39

considérés qui marginalisent ou « exotisent » les représentants

des cultures dominées, s’opposant ainsi à des transferts

culturels équilibrés ou constants. Ceci explique que certaines

capitales culturelles plus modestes soient parfois de meilleurs

lieux pour les transferts ou l’émergence de productions

culturelles véritablement transnationales. On peut penser ici à

Bruxelles, à Genève, à Weimar ou, dans l’ordre d’une culture de

masse, à Hollywood de la grande période où les cinéastes et

artistes européens chassés par les dictatures ont contribué à

l’européanisation du premier cinéma américain et à sa montée en

ambition intellectuelle.

Les artistes ou intellectuels étrangers, attirés par Paris en

fonction du mythe peu à peu construit d’une ville accueillante

à tout ce qui sort des règles héritées, depuis la Révolution

française et les autres révolutions symboliques à dimension

internationale qui y ont eu lieu, découvrent très vite

l’ampleur des facteurs d’exclusion et d’opposition à leur

intégration. Les intellectuels ou créateurs locaux affichent

fréquemment une certaine arrogance ou un impérialisme culturel

dominateur et assimilateur, que ce soit au plan politique, au

plan social, au plan linguistique. Ils n’acceptent les

créateurs étrangers qu’autant qu’ils se francisent ou acceptent

leur position périphérique et dominée comme l’avait déjà noté

Heine de manière ironique. Ces facteurs négatifs s’aggravent à

mesure que la France, globalement, décline dans les autres

domaines (ce qui s’exprime à travers les idéologies antisémite,

xénophobe, raciste ou certaines formes de rappel à l’ordre

comme le mythe classique ou le mythe latin lancés au tournant

40

du XIXe-XXe siècle par l’extrême droite)20 et traverse des

crises nationales (crise boulangiste, Affaire Dreyfus, guerre

de 1914, crise des années 30, période de Vichy, période de la

décolonisation). Ces crises tendent à renforcer à Paris, comme

capitale « nationale », notamment les forces anti-cosmopolites

et anti-internationalistes qui ont leurs intellectuels et leurs

artistes attitrés et présentent les œuvres étrangères ou les

colonies d’artistes ou d’écrivains venus d’ailleurs comme des

menaces pour l’identité culturelle du pays.

Les avant-gardes elles-mêmes, espaces plus accueillants aux

étrangers comme l’attestent des mouvements comme

l’impressionnisme (avec Whistler et Mary Cassatt ou Sisley), le

symbolisme où l’on retrouve des écrivains belges, grec

(Moréas), américains d’origine (Stuart Merrill, Viellé-

Griffin), le cubisme (avec Picasso, Juan Gris, Apollinaire), le

surréalisme (Dali, Man Ray, Miro, Picabia), du fait de

l’extrême concurrence et de la centralisation, ne sont pas

épargnés par cette intolérance et cette peur du mélange qui est

pourtant la force et l’essence même d’une capitale

transnationale.

Il faut souligner aussi que cette notion récente de

« transnational » n’existe évidemment pas pendant la plus

grande partie de l’époque analysée dans cette conférence. Cette

orientation culturelle produite par les multiples transferts20 Voir Amotz Giladi, Ecrivains étrangers à Paris et constructions d’identité supranationale. Lecas de la panlatinité, 1900-1939, Thèse de doctorat en sociologie, dirigée parGisèle Sapiro, Ecole des hautes études en sciences sociales, 2010; pour lapériode antérieure voir la thèse de Blaise Wilfert, B. Wilfert, Paris, la Franceet le reste…Importations littéraires et nationalisme culturel en France, 1885-1930, thèseUniversité de Paris-I, sous la direction de Christophe Charle, 2003  etpour la suite Gisèle Sapiro, La guerre des écrivains 1940-1953, Paris, Fayard,1999.

41

culturels qui se développent est désignée, de manière floue,

soit par des épithètes vagues comme « cosmopolite » ou par des

adjectifs franchement négatifs « déracinés », « transplantés »

voire hostiles « métèques », « barbares » chez les gardiens de

l’identité nationale que sont les critiques et les idéologues

dominants de droite et d’extrême droite mais parfois aussi de

gauche.

La fonction transnationale de Paris est donc plus compliquée à

inventorier que les deux fonctions précédentes, plus massives

et plus faciles à identifier par des critères objectivables.

Elle n’apparaît le plus souvent qu’à travers des analyses

monographiques en profondeur de minorités culturelles ou de

conjonctures spécifiques très liées à des contextes politiques

précis. Le recours à l’approche objectiviste, comme celle

tentée dans les deux parties précédentes, s’avère ici très

difficile, faute de mise en série possible ou d’inventaires

exhaustifs et du caractère discontinu du processus comme l’ont

montré les travaux sur les transferts culturels animés par

Michel Espagne. On ne prendra donc que quelques exemples, au

risque d’être victimes du piège des sources dénoncé

précédemment dans l’introduction de cette conférence. Trois

thématiques seront privilégiées ici : la thématique

internationaliste et pacifiste, la thématique de l’exil

volontaire ou involontaire, celle de la modernité enfin, avec

toutes ses ambiguïtés.

L’utopie pacifiste et internationaliste

42

Pendant ces deux siècles où le nationalisme et le patriotisme

sont des valeurs centrales dans la plupart des pays d’Europe et

singulièrement en France, très marquée par toute une série de

conflits majeurs depuis la Révolution et l’Empire jusqu’aux

guerres de la décolonisation, l’affirmation culturelle et

politique d’un idéal pacifiste comme idée régulatrice de

l’histoire, ne va évidemment pas de soi. Pourtant Paris a été,

conjointement avec Genève, l’une des rares capitales

culturelles où des communautés d’intellectuels militants,

parfois d’écrivains et d’artistes ont tenté d’en faire une

réalité mobilisatrice. La première occasion en a été

l’organisation du congrès pour la paix en août 1849 dont c’est

l’écrivain français le plus célèbre alors, Victor Hugo, qui en

prononce le discours inaugural et final (voir diapo)21. Le

choix de Paris pour l’événement et de Victor Hugo pour son

orchestration rhétorique n’est évidemment pas des hasards. Nous

sommes un an ou un peu plus après le printemps des peuples dont

Paris a donné le signal dès février 1848. S’y est affirmée

l’idée d’une solidarité transnationale des révolutions

libérales et démocratiques contre la Sainte Alliance des

monarchies et des aristocraties. Solidarité très relative, on

le sait, puisque très vite l’idéal national allemand notamment

est entré en conflit avec l’idéal national slave et que le camp

contre-révolutionnaire a su exploiter les divisions sociales,

politiques et nationales entre les quarante-huitards des divers

pays pour ramener la situation à la normale voire à une

régression politique. Paris, à l’époque, malgré juin 1848,

21 Voir Évelyne Lejeune-Resnick, « L'idée d'États-Unis d'Europe au Congrès de la paix de 1849 », Revue d'histoire du XIXe siècle [En ligne], 7 | 1991,

43

malgré la victoire des conservateurs aux élections législatives

en 1849 et leur soutien à la papauté avec l’expédition contre

la république romaine, est l’une des dernières villes où

l’esprit pacifiste de 1848 existe encore un peu et où des

intellectuels nationaux ou exilés tentent de maintenir l’esprit

internationaliste de l’année précédente. Voir texte diapo 37 :

« Vous avez voulu dater de Paris les déclarations de cette

réunion d’esprits convaincus et graves, qui ne veulent pas

seulement le bien d’un peuple, mais qui veulent le bien de

tous les peuples. (Applaudissements.) Vous venez ajouter aux

principes qui dirigent aujourd’hui les hommes d’état, les

gouvernants, les législateurs, un principe supérieur. Vous

venez tourner en quelque sorte le dernier et le plus

auguste feuillet de l’évangile, celui qui impose la paix

aux enfants du même Dieu, et, dans cette ville qui n’a

encore décrété que la fraternité des citoyens, vous venez

proclamer la fraternité des hommes22. »

Le mélange, dans l’extrait cité, d’un vocabulaire politique

(« le bien d’un peuple »), référence aux révolutions

démocratiques, de l’humanisme transnational, hérité des

Lumières (« le bien de tous les peuples »), tout en ménageant

une ouverture religieuse universaliste de type chrétien (« le

dernier et le plus auguste feuillet de l’évangile »), du fait

de la forte présence de pacifistes d’obédience anglophone et

protestante, marque bien le souci du Victor Hugo d’avant

22 V. Hugo, « discours d’ouverture Congrès de la paix 21 août 1849 », réédité dans Œuvres complètes. Politique, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », p. ?

44

l’exil, qui n’a pas encore affirmé toute sa radicalité

républicaine, de réconcilier les divers courants intellectuels

européens. Leur compatibilité à ce niveau de généralité est

plus postulée que démontrée, d’autant que l’année précédente

avait été énoncé un autre internationalisme, prolétarien, cette

fois dans le manifeste du parti communiste de Marx et Engels,

bien éloigné de celui-là, ce qu’ignorait évidemment V. Hugo. Or

il va s’affirmer quarante ans plus tard au même endroit avec la

fondation de la Deuxième internationale à l’occasion du

centenaire de 1789 et de l’exposition universelle par le

Congrès international ouvrier socialiste de Paris du 14 au 21

juillet 1889.

Ce second moment d’affirmation transnationale de la capitale

parisienne peut nous paraître, lui aussi, évident du fait de

ces deux rappels du passé ou du présent. Quoi de plus logique

que de refonder, après l’échec de la Première internationale

sous l’effet des divergences entre marxistes et anarchistes, de

la guerre franco-allemande et surtout de l’écrasement de la

Commune ou des mouvements révolutionnaires apparentés en

Espagne, le nouvel organe internationaliste dans la seule

capitale républicaine du continent et la première victime des

effets négatifs des haines nationales avec le siège, la défaite

et la guerre civile ? Cette lecture un peu simple oublie que

Paris vient à peine de sortir, elle aussi, d’une grave crise

nationale avec le mouvement boulangiste où le nationalisme et

le bellicisme de la population parisienne (y compris dans les

quartiers populaires) se sont clairement exprimés lors de

manifestations de rue et d’une élection partielle en faveur de

45

celui qu’on appelait « le général Revanche ». Elle oublie aussi

que, de tous les partis socialistes ou apparentés en voie de

formation en Europe et qui tentent de s’unir, les partis

français sont les plus divisés, les plus faibles et loin

d’adhérer totalement à l’internationalisme dont s’inspire la

nouvelle organisation, au point qu’un congrès rival tenu par

les possibilistes et des délégués surtout venus d’Angleterre se

tient en parallèle et refus de fusionner avec le congrès

organisé par les marxistes23. Le même problème se repose lors

du nouveau congrès parisien de l’Internationale en septembre

1900.

Les lieux symboliques, même chargés d’histoire

révolutionnaire, ne suffisent donc pas à effacer les cicatrices

de mémoire liées à l’histoire nationale plus ou moins récente.

Là où Paris réussit le mieux à affirmer son rôle transnational,

c’est dans les moments critiques où elle est le théâtre de

grandes manifestations intellectuelles ou politiques, ainsi en

octobre 1909 (voir diapo) lors des protestations contre

l’exécution de Ferrer, pédagogue espagnol de sympathie

anarchiste, victime de la répression militariste et cléricale

qui suscite deux manifestations socialistes sur les boulevards

parisiens et un certain nombre en Europe24, plus tard au moment

de l’émergence d’un mouvement antifasciste à dimension

internationale, avec le congrès international pour la défense

23Georges Haupt, La Deuxième Internationale 1889-1914. Etude critique des sources.Essai bibliographique. Préface d'Ernest Labrousse, Paris, La Haye, Mouton,1964, p.106-113.24 Voir Gilles Candar et Vincent Duclert, Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014, p.377-78 ; et V. Robert, “La « protestation universelle » lors de l’exécutionde Ferrer. Les manifestations d’octobre 1909”, Revue d’histoire moderne etcontemporaine, tome 36, avril-juin 1989, p. 245- 265.

46

de la culture de l’Association des écrivains et artistes

révolutionnaires où écrivains, intellectuels français et exilés

des pays tombés sous domination fasciste tentent de mobiliser

l’opinion internationale en juin 1935. Ces moments critiques

permettent d’oublier partiellement tensions politiques

secondaires, inégalités entre cultures et expressions

nationales trop marquées.

Traduction et exil

Les travaux sur les transferts culturels ou la dimension

transnationale des évolutions culturelles insistent beaucoup

sur le rôle de certaines personnalités marquées par

l’expérience de l’exil et de nombreux travaux récents ont

permis de sortir d’une approche purement empathique ou

biographique largement dominante. Je pense au livre de Michel

Espagne Les Juifs allemands à Paris à l’époque de Heine, à la thèse récente

de Delphine Diaz sur les exilés en France dans la première

moitié du XIXe siècle, aux deux livres collectifs dirigés par

André Kaspi et Antoine Marès sur le Paris des étrangers avant et

depuis 1945, aux thèses, en partie divergentes de Pascale

Casanova sur la République mondiale des lettres, d’Anna Boschetti sur

L’espace culturel transnational et tout récemment sur les Ismes25, aux

travaux sur la traduction de Blaise Wilfert et Gisèle Sapiro où

Paris occupe une grande place, sinon une place centrale. Il est

évidemment impossible de résumer cet ensemble de recherches

dont les conclusions ne sont pas toujours convergentes en

25 Anna Boschetti (dir.), L’espace culturel transnational, Paris, Nouveau Monde éditions, 2010; « Ismes », du réalisme au post-modernisme. Genèse et usages, pratiques et savants, Paris, CNRS éditions, 2014

47

raison de fortes variations historiques selon les époques. Les

unes insistent sur la fonction transnationale de Paris en

littérature comme Pascale Casanova26 et Gisèle Sapiro, les

autres, comme Blaise Wilfert ou Delphine Diaz, soulignent

plutôt les résistances aux importations étrangères ou à

l’intégration des intellectuels exilés dans la vie culturelle

parisienne. Anna Boschetti donne aussi un tableau plus nuancé

que la légende dorée courante sur le caractère réellement

transnational de certaines avant-gardes littéraires ou

artistiques entre le réalisme, le futurisme et le surréalisme.

Pascale Casanova parle d’un « méridien de Greenwich » de la

littérature novatrice située à Paris, , pour construire un pôle

alternatif de circulation des oeuvres revendiquant leur

autonomie face à la littérature moyenne ou au pôle industriel

et commercial de l’édition de plus en plus dominé par les

conglomérats anglophones. De même Gisèle Sapiro voit dans Paris

en termes de traduction littéraire (surtout depuis les années

1970-80) un lieu central des échanges entre petites et grandes

littératures. Auparavant, du fait de l’impérialisme

francophone, les éditeurs parisiens exportaient beaucoup mais

traduisaient assez peu (comme l’a montré en détail Blaise

Wilfert pour le XIXe siècle et les début du XXe siècle) en

comparaison des éditeurs allemands, italiens, espagnols ou

russes27. A partir du moment, dans les années 1980, où le

français comme langue de traduction internationale est de plus

en plus nettement surclassé par l’anglais, l’édition française

26 Pascale Casanova, La République mondiale des lettres, Paris, Le Seuil, 1999.27 Gisèle Sapiro (dir.), Translatio, le marché de la traduction en France à l'heure de lamondialisation, Paris, CNRS éditions, 2008.

48

s’ouvre plus, non seulement à l’anglais (phénomène ancien),

mais à de nouvelles langues et contribue à la reconnaissance

transnationale de littératures dont la langue est moins bien

située dans la hiérarchie de l’internationalité et dont les

productions ne répondent pas forcément au modèle dominant de la

littérature globalisée du roman anglophone. Le succès

international du roman latino-américain, de certains auteurs

allemands (Heinrich Böll, Günter Grass, Ellfriede Jellinek),

italiens (Pasolini, Buzzati, Umberto Eco, Sciascia, etc.),

espagnols, tchèques (Kundera) ou de littératures encore plus

exotiques (Japon, Chine, Caraïbes, Afrique) s’est construit,

selon elle et selon P. Casanova, en grande partie à Paris grâce

à sa fonction transnationale de bourse d’échange et à la

construction d’une image critique transnationale pour les

auteurs des langues ou pays périphériques.

L’ouverture aux autres littératures et le ressourcement de

certains auteurs français à ces traditions nationales plus

diverses que la tradition gréco-latine, si prégnante en France

du fait de la construction ancienne d’un classicisme, formation

de base de la plupart des écrivains et intellectuels dominants

depuis le XIXe siècle, dépend à l’évidence de l’accessibilité

de ces nouveaux univers de littérature étrangère qui

caractérisent les références des nouveaux auteurs à partir de

l’orée du XXe siècle. Ces littératures alternatives sont lues

en priorité par le public lettré et, au premier rang, par les

auteurs eux-mêmes à la recherche d’une certaine novation ; très

peu d’auteurs français avant une date récente disposaient d’une

culture linguistique en dehors du français et du latin

49

(rarement de l’anglais ou de l’allemand) leur permettant de

s’imprégner de littératures d’ailleurs sans dépendre des

traductions.

Or celles-ci comme l’ont montré les travaux cités, sont assez

éloignées pendant très longtemps, surtout plus la langue est

rare, des canons actuels de l’authenticité originale : les

romans russes, les pièces scandinaves, les romans italiens que

des lecteurs surtout parisiens peuvent lire en français à

partir de la fin du XIXe siècle sont plus des adaptations que

des traductions en raison de l’impérialisme du goût français,

notion aussi vaste qu’imprécise qu’imposent les instances

critiques et éditoriales comme l’ont montré en détail Blaise

Wilfert à propos, par exemple, de D’Annunzio ou d’autres

travaux à propos du roman russe28.

Cette fabrique parisienne de nouvelles œuvres étrangères est

donc une sorte de processus de construction transnationale dans

la mesure où souvent ces « infidèles » servent de base pour la

traduction vers l’italien, l’espagnol, voire l’anglais. Tout

ceci se produit en raison des règles spécifiques de

fonctionnement du champ littéraire parisien, de son histoire

centralisée et conflictuel (les auteurs étrangers sont annexés

dans les luttes internes aux auteurs parisiens) et de la

collaboration d’auteurs ou critiques français avec des

traducteurs souvent fantômes ou réduits à l’anonymat, issus des

communautés d’exilés dans la capitale, étant donné pendant très

28 B. Wilfert, Paris, la France et le reste…Importations littéraires et nationalisme culturel enFrance, 1885-1930, thèse Université de Paris-I, sous la direction deChristophe Charle, 2003  et «« Littérature, capitale culturelle et nation àla fin du XIXe siècle, Paul Bourget et Gabriele d’Annunzio entre Paris etRome 1880-1905 », in C. Charle, Le temps des capitales culturelles XVIIIe-XXe siècle, op. cit.

50

longtemps la rareté des experts en langue étrangère d’origine

française surtout dans les langues rares29. Il faut souligner

que des phénomènes similaires se produisent dans les sciences

humaines quand des auteurs étrangers de référence sont peu à

peu introduits ou adaptés aux débats intellectuels internes via

des intellectuels originaires de ces pays, on peut penser ici

au structuralisme et au formalisme russe en linguistique30.

Conclusion/ Paris capitale de la « modernité » ?

Au terme de ce parcours forcément lacunaire tant la diversité

des thèmes et l’ampleur de la période exigeraient de multiples

compléments et nuances mais aussi, paradoxalement, des

recherches nouvelles, ne serait-ce que pour disposer de données

comparatives continues au delà de toujours les mêmes exemples

ou villes de référence, deux conclusion s’imposent qui sont

aussi des hypothèses de travail pour d’autres recherches.

La première était attendue, à savoir la multidimensionnalité

des rôles de Paris comme capitale culturelle et, ce qui est

trop oublié, les fortes variations en réalité de ses diverses

fonctions selon des phases historiques contrastées.

Contrairement à l’image habituelle d’une constante du rôle

dominant de Paris, je soutiendrais volontiers l’idée que le

29 Blaise Wilfert, « Cosmopolis et l’Homme invisible. Les importateurs delittérature étrangère en France, 1885-1914 », Actes de la recherche en sciencessociales, no 144, septembre 2002, p. 33-46 ; Blaise Wilfert, « Traductionlittéraire : approche bibliométrique », in Yves Chevrel, Lieven d’Hulst etChristine Lombez (dir.), Histoire des traductions en langue française en France. XIXe siècle1815-1914, Lagrasse, Verdier, 2012, p. 255-344.30 Anna Boschetti, « Ismes », du réalisme au post-modernisme. Genèse et usages, pratiques etsavants, op. cit., chapitre 4; Frédérique Matonti, « L'anneau de Moebius. Laréception en France des formalistes russes », Actes de la recherche en sciencessociales, n° 176-177, 2009, p. 52-67.

51

maximum d’intensité et la capacité à assumer les trois

dimensions possibles du rôle de capitale culturelle sont à

Paris en raison inverse de la capacité de la France à prétendre

au rôle de société impériale. C’est après l’échec du Premier

Empire dans son rêve de domination européenne, que Paris

redevient une capitale culturelle attractive et rayonnante et

s’ouvre, grâce au romantisme, aux nouveautés venues d’ailleurs

et commence à rompre avec le néoclassicisme imposé par Napoléon

dans tous les domaines. Après l’échec du rêve de Charles X de

revenir partiellement à l’ancien régime en 1830, Paris est la

destination privilégiée des exilés et persécutés de l’Europe de

la Sainte Alliance ; c’est après la défaite de 1871 et

l’obsession de la décadence qui taraude les élites politiques

et intellectuelles que les universités sont rénovées et jouent

à Paris un rôle international bien plus ample qu’autrefois.

Parallèlement à partir des années 1880, la France devenue

républicaine et Paris redeviennent une terre d’accueil et

d’exil de tous les intellectuels et artistes qui se trouvent à

l’étroit dans l’Europe des monarchies et des empires non

libéraux. Cela n’exclut pas, on l’a vu, des réactions aussi de

rejet internes. Mais, tous les onze ans, elle redevient

provisoirement la capitale de la modernité et du monde

occidental lors des expositions universelles et des congrès qui

s’y déroulent. Les avant-gardes artistiques, poétiques ou

romanesques parisiennes exercent une forte influence sur les

créateurs étrangers homologues. C’est de nouveau après les

années sombres, où Paris perd pendant quatre ans sa fonction de

capitale, que le champ intellectuel parisien retrouve

52

provisoirement sa place centrale dans la modernité

internationale et transnationale : avec Sartre et Camus,

influents en Italie, en Allemagne, au Japon, aux Etats-Unis

même, avec les nouvelles avant-gardes de l’abstraction en

peinture qui se vendent surtout à l’étranger, avec le théâtre

de l’absurde dont la plupart des auteurs sont des étrangers

transnationaux (Beckett, Ionesco, Adamov, Gatti), avec les

musiques expérimentales, avec la nouvelle vague au cinéma, avec

l’internationalisation universitaire renouvelée. Or ces années

riches culturellement, correspondent politiquement à

l’effondrement de l’empire colonial et à une crise de la

République parlementaire qui n’en finit pas de mourir.

F. Braudel, dans un passage peu commenté de Civilisation matérielle,

économie et capitalisme, avait noté, du moins pour les siècles qui

le concernaient dans son triptyque (XVIe-XVIIIe siècles), le

décalage entre la ville dominante de l’économie-monde de chaque

époque et le centre culturel le plus rayonnant au même moment,

comme si la modernité économique ne répondait pas aux mêmes

conditions que la modernité culturelle. Cette conclusion était

relativement paradoxale pour l’époque de l’ancien régime

culturel où le mécénat princier ou ecclésiastique était l’une

des conditions premières de l’émergence de formes culturelles

nouvelles dont le premier public était formé par les cercles de

la société de cour dont les liens avec le grand commerce et la

finance sont connus. Pour le nouveau régime culturel qui

s’établit progressivement au cours du XIXe siècle, placé sous

le signe de la différenciation croissante et la diversité des

publics, de la compétition entre des formes dominées par les

53

mécanismes marchands et des formes qui essaient d’échapper à

toutes les contraintes héritées ou liées au souci de la

rentabilité, la divergence est beaucoup plus logique.

Précocement libéré de la société de cour (et même à l’origine

de sa destruction au sens le plus concret à travers la

radicalisation des Lumières puis les journées révolutionnaires

qui effacent Versailles et la monarchie du centre du pouvoir),

une fraction des artistes et créateurs parisiens de tout type

lutte en permanence sur plusieurs fronts : contre la tutelle

encore pesante de l’Etat qui n’a pas renoncé à son rôle hérité

de régulateur et de mécène avec la restauration napoléonienne,

contre la marchandisation culturelle montante, inspirée

partiellement du modèle londonien, contre les autres fractions

de chaque champ culturel prêtes à se plier à ces tutelles

avivées par la centralisation constante et sans équivalent dans

les autres capitales culturelles. Ces dynamiques

contradictoires se retrouveront mutatis mutandis à mesure que des

facteurs similaires apparaîtront un peu plus tard à Bruxelles,

à Berlin, à Vienne, à Rome, à Saint Pétersbourg, Madrid ou

Moscou. Elles sont beaucoup plus difficiles à retrouver en

revanche à Londres ou New York avant une date encore plus

récente (les années 1900) alors que Londres puis New York

passent pour les centres à l’époque du capitalisme financier et

impérialiste, ce qui rejoint le propos de Braudel déjà cité.

Le modèle parisien a donc partiellement essaimé et a été en

retour influencé par ces nouvelles capitales culturelles, via

l’intensification des échanges inter- et transnationaux. S’il a

perduré au-delà de ce qu’on aurait pu attendre, malgré la

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montée en puissance des Etats-Unis ou de nouvelles puissances

culturelles depuis l’orée du XXe siècle, c’est que sa modernité

paradoxale (au sens de sa prétention à incarner le futur avant

les autres) provient de l’archaïsme persistant tout aussi

paradoxal d’une large partie de la France de ces deux siècles.

En concentrant une part disproportionnée des ressources

culturelles et des capacités d’innovation dans sa capitale, la

France maintient plus longtemps qu’ailleurs les sociétés

provinciales en état de domination culturelle externe et

entretient le cercle vicieux de la centralisation culturelle,

productive d’un côté, grâce à l’intensité de la concurrence et

des échanges en un espace restreint, mais stérilisante, de

l’autre, pour le reste du pays, ce qu’avait déjà lumineusement

analysé Goethe dans le texte cité au début de cette conférence.

Grâce à l’hystérésis des représentations transmises par les

œuvres qui y sont produites et la réverbération de son mythe

par les groupes d’étrangers qu’elle attire de manière

relativement constante, Paris réussit à maintenir son emprise

symbolique jusqu’aux années 1960, alors même que ses conditions

de possibilité s’effritent progressivement bien plus tôt.

Au delà, à partir des années 1960 au moment où la France

gaulliste se lance dans une autre modernité, inspirée par

l’exemple américain sur le plan économique et technique, nous

entrons dans un autre monde dominé par le modèle états-unien

malgré les slogans de la « francophonie » et de l’exception

culturelle française qui tâchent de prolonger le mythe de la

capitale culturelle à la française étendue au monde. C’est dans

le monde de l’art contemporain que ce décrochage se produit le

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plus tôt, comme l’ont montré Julie Verlaine et Raymonde

Moulin31, puis il s’est diffusé de proche en proche vers les

domaines où la langue nationale reste longtemps un frein majeur

au transnational et à l’international. Aujourd’hui, même si

notre congrès provisoirement semble dire le contraire, l’idée

d’une capitale culturelle centrale n’a sans doute plus de sens

à l’âge des foires, festivals, congrès temporaires, collèges

invisibles et réseaux électroniques. Cette organisation

n’empêche pas d’ailleurs la persistance, comme le montrent

divers épisodes récents de formes d’impérialisme culturel

principalement d’origine américaine tout aussi contraignantes

au profit de centres invisibles ou inatteignables car organisés

en réseaux ou multipolaire et passant par des formes

culturelles assez différentes qui s’adressent beaucoup plus aux

masses qu’aux élites lettrées et cultivées que j’ai surtout

évoquées et typiques de la culture d’origine parisienne32.

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31 Julie Verlaine, Les galeries d’art contemporain à Paris 1944-1970, op. cit. ; RaymondeMoulin, Le marché de la peinture en France, op. cit.32 Cf. Patrice Higonnet, Paris capitale mondiale, Paris, Tallandier, 2004.

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