"Les confesseurs de saint Benoît-Joseph Labre. Lettres et documents (1783-1785)"

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88 | Bulletin Historique du Haut-Pays n° 78 – 2012 Le parrain d’un saint : François-Joseph Labre, curé d’Érin de 1752 à 1766 sources & documents par Philippe Moulis et Vincent Cuvilliers 1 Le curé qui dirige la paroisse d'Érin, de 1752 à son décès en 1766, est connu pour son lien de parenté avec saint Benoît-Joseph Labre. Parrain de ce dernier, François-Joseph joue un rôle majeur dans la jeunesse et l’éducation de son filleul. Ce dernier a résidé dans le presbytère d’Érin de 1760 à 1766. Malgré les nombreuses biographies de Benoît-Joseph Labre qui consacrent quelques pages à son parrain, la vie de ce prêtre est peu connue. Après avoir réalisé un bilan historiographique et hagiographique, nous reconstituerons la carrière de ce clerc et publierons des éléments et des documents inédits. Historiographie, hagiographie et sources « labriennes » La plupart des biographies de Benoît-Joseph Labre mentionnent le curé d’Érin. L’un des premiers textes date de 1783. L’auteur de la Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu Benoît- Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, écrit : « Benoît-Joseph, fils de Jean-Baptiste Labre & d’Anne-Barbe Grandsir, né le 26 mars 1748, en la paroisse d’Amette, au diocèse de Boulogne en France, après avoir passé sagement les premières années de sa jeunesse, sous la conduite de son oncle paternel, Curé de la Paroisse Saint-Sulpice d’Érin, dans le désir d’embrasser un genre de vie plus austère, se retira à l’Abbaye Royale de Notre-Dame de Septfonts, Monastère de la plus stricte observance, & fut admis le 28 octobre 1769, au Noviciat parmi les Clercs » 2 . Première omission qui sera souvent réitérée dans plusieurs biographies, le curé d’Érin n’est pas seulement l’oncle paternel, il est aussi le parrain de saint Labre. L’ouvrage biographique de référence, de l’Italien A. Marconi, traduit en français en 1785, Vie et tableau des vertus de Benoît-Joseph Labre, contient également plusieurs approximations. Nous reproduisons ci-dessous le texte de Marconi en y soulignant les erreurs en gras. Extrait tiré du livre des Baptêmes d’après A. Marconi, Vie et tableau des vertus de Benoît-Joseph Labre, Paris, 1785, p. 273. L’an mil sept cent quarante-huit, le 27 mars, le soussigné, Messire François-Joseph Labre prêtre- vicaire d’Amettes, a baptisé un fils né le jour précédent en légitime mariage de Jean-Baptiste Labre, marchand mercier, & d’Anne-Barbe Grandsire, les père & mère de ce paroissien auquel on a imposé pour noms Benoît-Joseph. Le parrain a été ledit messire François-Joseph Labre, baptisant, du consentement du sieur curé d’Amettes & la marraine Anne-Théodore Hozembergue, femme de Jacques-François Vincent, laboureur en cette paroisse ; lesquels interrogés s’ils savoient écrire ont répondu le savoir. Sont signés, &c. 1 . Vincent CUVILLIERS, docteur en histoire contemporaine, et Philippe MOULIS, Université de Paris 13, Sorbonne Paris Cité, CRESC (E.A. 2356). 2 . Chez François Caron-Berquier, Amiens, 1783, p. 1-2. La même texte est publiée dans Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu Benoît-Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, A Avignon ; Et se trouve à Paris, Chez Guillot, Libraire de Monsieur, Frere du Roi, rue Saint-Jacques, vis-à-vis, de celle des Mathurins. 1783, 57 p.

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Philippe Moulis et Vincent Cuvilliers | Le parrain d’un saint : François-Joseph Labre, curé d’Érin de 1752 à 1766

88 | Bulletin Historique du Haut-Pays n° 78 – 2012

Le parrain d’un saint : François-Joseph

Labre, curé d’Érin de 1752 à 1766

sources & documents

par Philippe Moulis et Vincent Cuvilliers 1

Le curé qui dirige la paroisse d'Érin, de 1752 à son décès en 1766, est connu pour son lien

de parenté avec saint Benoît-Joseph Labre. Parrain de ce dernier, François-Joseph joue un rôle majeur dans la jeunesse et l’éducation de son filleul. Ce dernier a résidé dans le presbytère d’Érin de 1760 à 1766. Malgré les nombreuses biographies de Benoît-Joseph Labre qui consacrent quelques pages à son parrain, la vie de ce prêtre est peu connue. Après avoir réalisé un bilan historiographique et hagiographique, nous reconstituerons la carrière de ce clerc et publierons des éléments et des documents inédits.

Historiographie, hagiographie et sources « labriennes »

La plupart des biographies de Benoît-Joseph Labre mentionnent le curé d’Érin. L’un des premiers textes date de 1783. L’auteur de la Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu Benoît-Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, écrit :

« Benoît-Joseph, fils de Jean-Baptiste Labre & d’Anne-Barbe Grandsir, né le 26 mars 1748, en la paroisse d’Amette, au diocèse de Boulogne en France, après avoir passé sagement les premières années de sa jeunesse, sous la conduite de son oncle paternel, Curé de la Paroisse Saint-Sulpice d’Érin, dans le désir d’embrasser un genre de vie plus austère, se retira à l’Abbaye Royale de Notre-Dame de Septfonts, Monastère de la plus stricte observance, & fut admis le 28 octobre 1769, au Noviciat parmi les Clercs »2.

Première omission qui sera souvent réitérée dans plusieurs biographies, le curé d’Érin n’est pas seulement l’oncle paternel, il est aussi le parrain de saint Labre. L’ouvrage biographique de référence, de l’Italien A. Marconi, traduit en français en 1785, Vie et tableau des vertus de Benoît-Joseph Labre, contient également plusieurs approximations. Nous reproduisons ci-dessous le texte de Marconi en y soulignant les erreurs en gras.

Extrait tiré du livre des Baptêmes d’après A. Marconi,

Vie et tableau des vertus de Benoît-Joseph Labre, Paris, 1785, p. 273.

L’an mil sept cent quarante-huit, le 27 mars, le soussigné, Messire François-Joseph Labre prêtre-vicaire d’Amettes, a baptisé un fils né le jour précédent en légitime mariage de Jean-Baptiste Labre, marchand mercier, & d’Anne-Barbe Grandsire, les père & mère de ce paroissien auquel on a imposé pour noms Benoît-Joseph. Le parrain a été ledit messire François-Joseph Labre, baptisant, du consentement du sieur curé d’Amettes & la marraine Anne-Théodore Hozembergue, femme de Jacques-François Vincent, laboureur en cette paroisse ; lesquels interrogés s’ils savoient écrire ont répondu le savoir. Sont signés, &c.

1. Vincent CUVILLIERS, docteur en histoire contemporaine, et Philippe MOULIS, Université de Paris 13, Sorbonne Paris Cité,

CRESC (E.A. 2356). 2. Chez François Caron-Berquier, Amiens, 1783, p. 1-2. La même texte est publiée dans Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu

Benoît-Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, A Avignon ; Et se trouve à Paris, Chez Guillot, Libraire de Monsieur, Frere du Roi, rue Saint-Jacques, vis-à-vis, de celle des Mathurins. 1783, 57 p.

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Les registres des B. M. S. de la paroisse d’Amettes ont conservé l’acte de baptême de Benoît-Joseph3 :

Copie de l’acte de Baptême de Benoît-Joseph Labre (Arch. diocésaines d’Arras, 7G57)

Transcription de l’acte de baptême de B.-J. Labre

L’an mil sept cent quarante-huit, le vingt-sept mars, le soussigné, maître François-Joseph Labre prêtre vicaire d’Ames a baptisé un fils né le jour précédent en légitime mariage de Jean-Baptiste Labre, marchand mercier et d’Anne-Barbe Grandsir, les père et mère de cette paroisse auquel on a imposé pour noms Benoît-Joseph. Le parrain a été ledit maître François-Joseph Labre baptisant du consentement du sieur Réan, curé d’Amettes et la marraine Anne-Théodore Hozembergue, femme de Jacques-François Vincent, laboureur demeurant en cette paroisse lesquels interrogés s’ils savoient écrire de ce interpellés ont répondu le savoir. [paraphes] Anne Théodore Hosembergue F.-J. Labre, prêtre vicaire d’Ames.

Le rôle éducatif de ce prêtre auprès de son filleul est repris dans tous les ouvrages publiés depuis 1783 :

« À l’âge de douze ans, il alla demeurer avec son oncle paternel, Curé d’Érin, Diocèse de Boulogne, pour y apprendre le latin ; il n’y fit pas de grand progrès, s’occupant plus particulièrement d’actes de piété : il observeroit tous les jours de jeûnes ordonnés par l’Église ; & feu son oncle a dit à plusieurs personnes qu’il fouloit aux pieds les fruits de son jardin plutôt que de toucher à ceux même les plus capables de le tenter ; il avoit en horreur ces petits larcins si ordinaires aux jeunes gens de son âge. Il demeura chez son oncle environ six ans & demi : il alloit tout les mois à confesse »4.

3. Arch. dép. du PdC, registre des BMS de la paroisse d’Amettes. Une copie est conservée aux Archives diocésaines d’Arras. 4. Lettre signée de PLAYOULT, Curé d’Amette, et BOURGEOIS, Vicaire, dans Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu Benoît-

Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, Chez François Caron-Berquier, Amiens, 1783, p. 4. François-Philippe-Dominique Playoult, « prêtre ci-devant curé de Lières, maître-es-arts et bachelier en théologie en l’université de Douai pourvu de la cure d’Amettes en vertu du concours dernier » prend possession de la cure d’Amettes le 4 novembre 1778. Arch. dép. du PdC, 1G10, fol. 133.

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Peinture anonyme du XVIIIe siècle représentant Benoît-Joseph Labre à Rome

(Publiée avec l’aimable autorisation de René Ducourant).

Dans l’enquête historique de l’évêché d’Arras de 1861, le curé d’Érin écrit :

« À l’âge d’environ 13 ans Benoit Labre vint demeurer à Érin chez son oncle François Joseph Labre, qui

en était curé. Benoit vivait dans le presbytère en véritable solitaire ; il ne se montrait nulle part sinon à l’église. Il y eut une épidémie au cours de laquelle il seconda son oncle. Dans les registres de la fabrique – aujourd’hui à la mairie – on remarque plusieurs signatures de Benoit Labre et même des actes rédigés par lui dont celui du décès de son oncle »5.

La famille Labre envisage très tôt pour Benoît-Joseph une carrière sacerdotale. En mai 1760, le curé d’Érin accueille son filleul dans son presbytère et se charge de sa formation. Le 4 septembre 1761, Benoît-Joseph effectue sa première communion et, le même jour, reçoit le sacrement de la confirmation des mains de Mgr Partz-de-Pressy. Lors de son séjour, il seconde son parrain, et reçoit une préparation au sacerdoce (lectures spirituelles, cours de latin …).

5. Arch. diocésaines d’Arras, 7 G 166, enquête historique de 1861 : paroisse d’Érin.

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Lors du procès de béatification, le père de Benoît-Joseph évoque la vie de son fils à Érin :

« Ledit sieur Jean-Baptiste Labre dépose [le 5 juin 1783] avoir entendu dire plusieurs fois à Mr Labre son frere, curé dudit Érin, que son neveu, Benoît Joseph, auroit plutôt foulé aux pieds tous les fruits de son jardin que de toucher à ceux même qui êtoient les plus capables de tenter, tant il avoit horreur des petits larcins qui sont ordinaires aux gens de son âge »6.

Le domestique du père Labre est beaucoup plus prolixe sur le quotidien du jeune Benoît :

« Le 16 Mai de la présente année [1783], est comparu pardevant nous, Commissaires soussignés, Paul

Virocen, domestique de feu M. Labre, Prêtre & Curé d’Érin, pendant les six ans & demi qu’y a demeuré Benoît-Joseph Labre, & à présent domestique chez les demoiselles le Maire à Hannes, lequel interrogé sur les circonstances de la jeunesse dudit Benoît-Joseph Labre, a déposé que ce jeune homme étoit fort retiré dès l’âge de dix ans, qu’il étoit presque toujours dans un cabinet éloigné de la maison de son oncle, où, quoique son oncle le grondât souvent de ce qu’il ne s’occupoit pas plus du latin ; il étoit presque toujours occupé à lire des livres de piété qu’il choisissoit dans la bibliothèque de son oncle où il paroit avoir puisé le pieux dessein de mener une vie austere, pénitente & retirée du monde, que dès-lors il commençoit à pratiquer rigoureusement & scrupuleusement tous les jeûnes commandés par l’Église : qu’il fréquentoit les Sacrements tous les mois & qu’il suivoit très-exactement l’exemple de son respectable oncle, en visitant, comme lui, très-souvent les pauvres & en les assistant par tous les moyens possibles, jusques-là même que ; dans une maladie contagieuse qu’il a eue audit Erain, ledit Benoît-Joseph Labre alla lui-même chercher dans les jardins potagers & même dans les champs de quoi nourrir les bestiaux des pauvres gens malades »7.

En 1764, attiré par la vie monastique, il part à Amettes demander à ses parents

l’autorisation d’entrée à la Trappe. Ses derniers refusent, leur fils succédera à François-Joseph à la cure d'Érin. La mort de ce dernier, le 13 septembre 1766, met finalement un terme aux ambitions familiales concernant Benoît-Joseph.

De nombreux documents d’archives permettent de retracer la carrière de François-Joseph

Labre.

Un enfant de la paroisse d’Amettes destiné au sacerdoce Le jeune François-Joseph, né à Amettes, en 1714, se destine à la cléricature8. Avant de

retracer la carrière de François-Joseph, il est nécessaire d’expliquer le parcours sacerdotal sous la France d’Ancien Régime. Un certain nombre de conditions sont imposées aux aspirants au sacerdoce. Dans un premier temps, il faut accéder à la tonsure, puis aux ordres mineurs et majeurs. La tonsure et les différents ordres sont conférés lors d’une cérémonie solennelle d’ordination. Le droit canonique distingue trois étapes : la tonsure, les ordres mineurs (portier, lecteur, exorciste, acolyte) et les ordres majeurs ou sacrés (sous-diaconat, diaconat, prêtrise). Le chapitre XVI, De Reformatione de la XXIIIe session du Concile de Trente, instaure comme première obligation « qu’aucun clerc ne doit être ordonné, à quelque ordre que ce soit, sans être inscrit et attaché au service d’une Église déterminée ». C’est le principe de l’incardination territoriale qui vise à exclure les « clerici vagi »9. Un individu entre dans le clergé par la tonsure. C’est un des moments importants de la carrière d’un ecclésiastique. Elle ne constitue pas un ordre mais est néanmoins nécessaire à l’obtention des ordres mineurs et sacrés. Durand de Maillane la définissait ainsi « [Elle] n’est autre chose qu’une cérémonie sainte, établie par l’Église, pour faire entrer dans l’état ecclésiastique, ceux qui la reçoivent et les disposer aux saints ordres »10. Les ordres mineurs sont institués pour exercer ceux préparés pour le sacerdoce11. Quant

6. Relation très-intéressante concernant le serviteur de Dieu Benoît-Joseph Labre, de la Paroisse d’Amette, diocèse de Boulogne en Picardie, mort à Rome, en

odeur de Sainteté, le 16 avril dernier, Chez François Caron-Berquier, Amiens, 1783, p. 12-17 (Arch. dép. du PdC, 62 J). 7. Idem. 8. Pierre André WIMET, « Les ancêtres de St B.-J. Labre », Mémoires de la Commission départementale des Monuments Historiques du Pas-de-

Calais, t. V, 1947, p. 3. 9. P. BROUTIN, La Réforme pastorale en France au XVIIe siècle, Paris, t. 2, p. 181. 10. DURAND de MAILLANE, cité par l’abbé André, Cours alphabétique et méthodique de Droit canon, Migne, Paris, 1848, col. 1136. 11. J. GRANCOLAS, L’Antiquité des cérémonies qui se pratiquent dans l’administration des sacremens, Paris, 1642, p. 551.

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aux ordres sacrés, Mgr Partz de Pressy les définit dans le rituel de 1750 de la façon suivante : « Le Soûdiaconat, le Diaconat, & le Sacerdoce ou la Prêtrise, sont appellés Ordres Sacrés ou Majeurs, parce que les Ministres qui les reçoivent sont consacrés à Dieu & à l’Église d’une manière irrévocable, & sont obligés à une continence perpétuelle ; parce que leurs fonctions sont plus élevées & plus étendus, & les approchent davantage des Sacrés Mystères de nos Autels »12.

L’obtention de la tonsure, ainsi que celle des ordres mineurs et majeurs, sont soumises à des conditions d’âge. Dans le diocèse de Boulogne-sur-Mer, les statuts synodaux du XVIIIe siècle fixent l’âge minimum requis pour obtenir la tonsure à quatorze ans13. Les décrets du Concile de Trente permettent de la conférer dès l’âge de sept ans. Néanmoins, ils prescrivent l’âge de 14 ans pour la possession d’un bénéfice, ce qui explique que la plupart des diocèses français fixent l’âge de la tonsure à quatorze ans minimum. Les décrets tridentins ne fixent pas d’âge minimum pour recevoir les ordres mineurs. Cependant, sous l’épiscopat de Mgr de Langle (1698-1724), ils ne sont conférés qu’à partir « de l’âge de dixhuit ans ou environ »14. Sous l’épiscopat de Mgr Partz de Pressy, les ordres mineurs ne sont donnés qu’à partir de dix-huit ans15. Un âge minimum est exigé pour recevoir un des trois ordres sacrés : « à sçavoir vingt-deux ans commencés pour le Soûdiaconat, vingt-trois pour le Diaconat, vingt-cinq pour la Prêtrise »16.

Des garanties morales et religieuses sont exigées. Le futur tonsuré devait être né de mariage légitime, être catholique et par conséquent avoir reçu le sacrement de confirmation et fait sa première communion. Il devait posséder une véritable vocation, c’est-à-dire : « Faire raisonnablement juger qu’ils seront un jour ministres de l’Église [et avoir] assez de discernement pour pouvoir connoitre l’importance de l’engagement qu’ils veulent prendre [...] & qu’ils aient déjà donné quelques marques de piété & de bonnes inclinations »17. Le candidat apportait, au moins huit jours avant la cérémonie : « Le témoignage de leurs dits Curé & Doyen, ou de leur Principal & Regent, qui contiendra le jugement qu’ils auront fait de leurs dispositions, de leurs vie & mœurs, & de leurs études »18. Le minoré, quant à lui, apporte avant l’ordination, à l’évêque ou à son délégué, une attestation de vie et de mœurs et une autre pour les ordres mineurs. Ces documents sont établis par le curé de la paroisse où résidait le clerc. Avant de recevoir l’un des trois ordres majeurs, chaque ecclésiastique fournit à l’administration diocésaine les pièces suivantes : une attestation de vie et de mœurs de leur curé, qui certifie qu’il vit cléricalement, assiste aux offices, fait le catéchisme et effectue les fonctions des ordres déjà reçus ; et une attestation stipulant que les bans ou annonces doit être publiés par trois dimanches ou fêtes consécutives à la messe de paroisse « sans qu’on ait fait aucune opposition ou déclaration de choses qui les rendent indignes des Saints Ordres »19. Pour le sous-diaconat, il faut impérativement, en plus de ces documents, présenter le : « Titre en bonne forme sur lequel on désire être ordonné, avec une Attestation, s’il est Patrimonial, comme il a été publié sans opposition »20.

Le niveau intellectuel du prêtre est une des préoccupations constantes des évêques de France et, au XVIIIe siècle, le niveau de formation requis pour accéder au sacerdoce est élevé. Sous l’épiscopat de Mgr Partz de Pressy, l’on exige du tonsuré qu’il soit instruit du catéchisme du diocèse de Boulogne ainsi que de celui de la tonsure et des premiers principes de la langue latine. Sous l’épiscopat de Mgr Pierre de Langle, le minoré devait avoir achevé son cours de philosophie et avoir fait un mois de séminaire. Mgr Partz de Pressy augmente de quelques mois la durée du séjour au séminaire21. Tout au long du XVIIIe siècle, est maintenue l’obligation de fournir avant l’examen une attestation de leurs études, établie par leur curé ou leurs « Maîtres & Regens sous lesquels ils auront étudié »22. À l’approche du sous-diaconat, les précautions se multiplient. La résidence au séminaire est alors rigoureusement exigée. Mgr Partz de Pressy s’excuse sur la rareté des prêtres et le besoin qu’il a de n’en réclamer que neuf mois de suite de séminaire, immédiatement avant le sous-diaconat.

12. Rituel du diocèse de Boulogne, Chez Pierre Battut, Boulogne, 1750, p. 262. 13. Statuts synodaux de 1701, pp. 1-2. Le même âge est requis dans ceux de 1744 ainsi que dans le rituel de 1750, p. 256. 14. Statuts synodaux de 1701, article II, p. 2. 15. Rituel du diocèse de Boulogne, Chez Pierre Battut, Boulogne, 1750, p. 258. 16. Idem, p. 265. 17. Statuts synodaux de 1701, p. 1-2 ; Statuts synodaux de 1746, p. 2. 18. Idem. 19. Idem, p. 265. 20. Idem. 21. Rituel du diocèse de Boulogne de 1750, p. 259. 22. Idem, p. 260.

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Les connaissances acquises font l’objet d’un sérieux examen. L’ecclésiastique doit avoir terminé son cours de philosophie, plus deux années en théologie dans une université ou un collège dont les études sont bonnes et bien réglées et préférablement à tout autre, dans le séminaire de Boulogne-sur-Mer23. Sous l’épiscopat de ce prélat, le niveau minimal demandé au futur prêtre est nettement plus élevé que celui requis au siècle précédent, puisqu’il doit maîtriser : les mystères de la religion, la doctrine des sacrements, la théologie morale ou les cas de conscience, l’Écriture Sainte, la discipline de l’Église, et « surtout avoir la science des Saints pour conduire les Ames »24. De plus, on prend soin de préciser que le clerc acquiert ces qualités par l’étude et par l’oraison.

Le rôle du doyen de chrétienté et celui du curé de la paroisse où vit l’ecclésiastique sont primordiaux. En effet, l’article II des statuts synodaux de 1701 stipulait : « Ceux qui avec ces premieres dispositions voudront recevoir la Tonsure, six mois avant que de se presenter à l’examen communiqueront leur dessein au Curé de leur Paroisse & au Doyen du Canton, ausquels ils donneront leur nom par écrit »25. Si le futur tonsuré commence des études et ne réside pas dans sa paroisse, il doit s’adresser « pour le méme sujet au Principal du College & à leur Regent »26. La période des six mois imposée permet au curé de la paroisse de connaître, de surveiller le futur clerc et surtout de lui enseigner ce qui est exigé ci-dessus. De plus, il doit l’imprégner de « l’esprit ecclésiastique ». Pour acquérir ce dernier, il convient : « de se détacher de soi-même et de l’esprit du monde si contraire à l’esprit de Dieu ; de vivre dans la retraite et fréquenter des personnes de piété ; de lire souvent de bons livres et surtout ceux qui ont un rapport avec l’état Ecclésiastique et de demander à Dieu ce divin esprit avec ferveur » 27 . Mgr Partz de Pressy recommande aux jeunes ecclésiastiques qui se disposent à entrer dans les ordres, de faire le catéchisme dans leur paroisse, pendant leurs « vacances », sous la direction des curés, afin de se former à sa pratique28 . Les cérémonies font partie de la formation du clerc. La solennité apportée aux cérémonies d’ordination a pour but d’inspirer aux ordinands une haute idée du sacerdoce. Imaginons ces rassemblements de dizaines d’ecclésiastiques qui s’apprêtent à recevoir du prélat les ordres. Ce rassemblement a un effet pédagogique. La réception des ordres, sa symbolique et les devoirs qu’ils impliquent, s’inscrivent de manière indélébile dans la mémoire du clerc.

Un document consigné dans le registre de l’évêché de Boulogne à la date de 1738 fournit des informations intéressantes. En 1738, Fr. Labre, constitue en faveur de son fils François-Joseph un titre sacerdotal sur ses biens situés au Chemin Croisé, au Marquoy, aux prairies de Dinghen à Amettes29. En décembre, il paye au séminaire de Boulogne soixante-dix livres pour la pension de son fils résidant chez les Prêtres de la Congrégation Mission30. Lors de l’ordination générale des Quatre-temps de la Pentecôte, qui se déroule le 23 mai 1739, à Boulogne-sur-Mer, François-Joseph Labre reçoit le diaconat31.

Paraphe de François Joseph Labre (Registre des ordinations, année 1739)

23. A. DERAMECOURT, Le clergé du diocèse d’Arras, Boulogne-sur-Mer et Saint-Omer pendant la Révolution (1789-1802), Arras, 1884-1886, t.

I, p. 269-270. 24. Idem, p. 263. 25. Statuts synodaux de 1701, p. 2. 26. Idem. 27. Statuts synodaux de 1701, p. 4 ; Statuts synodaux de 1746, p. 4. 28. D. HAIGNERÉ, Étude sur la vie et les ouvrages de Monseigneur François-Joseph-Gaston de Partz de Pressy, Arras, Courtin, 1858, p. 74. 29. Arch. dép. du Pas-de-Calais, 1G21, fol. 195. Sur les biens des Labre à Amettes, voir Marc LOISON, « Amettes en Artois de

l’Ancien Régime à nos jours, un village sanctuaire entre éducation et religion », Histoire et archéologie du Pas-de-Calais, XXVIII, 2010, p. 55-76. 30. Arch. dép. du PdC, 25G1 : Registre de comptes (recettes) des prêtres de la Mission de Boulogne-sur-Mer : « décembre 1738, receu de

Mr Labre soixante-dix livres sur sa pension 70 livres ». 31. Arch. dép. du PdC, 1G7, fol. 40v.

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Le 19 décembre de la même année, il est ordonné prêtre lors de l’ordination générale des Quatre-temps de l’Avent qui se déroule dans le séminaire boulonnais 32 . Avant d’obtenir un bénéfice à charge d’âmes, les évêques de Boulogne nomment, selon l’usage diocésain, les jeunes prêtres vicaires pendant plusieurs années. Après quelques années de « vicariat » à Ames, le jeune prêtre, âgé de 38 ans, obtient sa première paroisse en 1752.

Le curé de la paroisse d’Érin Le 5 février 1752, la paroisse d’Érin, doyenné de Fillièvre, est attribuée à François-Joseph,

suite au décès de Jean-François-Marie Piedfort33.

Carte postale de l’église d’Érin (XIX

e siècle)

32. Arch. dép. du PdC, 1G7, fol. 55v. 33. Arch. dép. du PdC, 1G9, fol. 3939v. Jean-François-Marie Piedfort fut nommé à la cure d’Érin par les vicaires généraux le 9 juin

1733, Arch. dép. du PdC, 1G6, fol. 26v.

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Acte de nomination du curé d’Érin

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Le 9 avril 1754, François-Guillaume de Croy est autorisé par l’évêque à entendre la messe dans la chapelle domestique de son château situé à Érin. François-Joseph est chargé de bénir la chapelle, les linges, les ornements et la statue de saint Hubert, sous le vocable de qui cette chapelle était érigée34.

Permission de bénir la chapelle domestique de M. de Croy à Érin et d’y dire la messe. François-Joseph, par la miséricorde de Dieu &c… évêque de Boulogne &c… sur ce qui nous a été

représenté par Messire François-Guillaume de Croy, prince du Saint-Empire, marquis de Mollembais, baron d’Érin, pair de Blangy […] demeurant ordinairement en son château d’Érin en notre diocèse disant qu’ayant été obligé de faire rebâtir la chapelle domestique de son dit château d’Érin dans laquelle la Sainte Messe s’est célébré de temps immémorial les jours de dimanche et de fête et en outre trois jours de chacune semaine depuis la fondation portée au testament de Madame la comtesse d’Estrée son aïeule et en conformité d’icelle, il auroit fait mettre cette chapelle dans un état propre et décent et l’auroit fait pourvoir des ornements nécessaires pour que le service divin y pût être célébré et parce qu’il désiroit faire acquitter exactement cette fondation et que lui et sa famille avoient intérêt à ce que la Sainte Messe y fut célébrée incessamment, il nous auroit supplié de commettre tel prêtre que bon nous sembleroit à l’effet de faire la visite de la dite chapelle, d’en examiner l’état et au cas qu’elle fut trouvé décente et suffisamment pourvue de vases sacrés, linges et ornements nécessaires, de permettre audit prêtre de faire la bénédiction tant de la chapelle que des linges et ornements qu’il destinoit à l’usage de cette chapelle : notre ordonnance du huit mars dernier portant commission au sieur Coile, curé et doyen de Fillièvres, de se transporter audit château, d’examiner si la chapelle y construite étoit située dans un lieu décent et séparé de tout usage profane et suffisamment pourvue d’ornements, linges, vases sacrés et autres choses requises pour la célébration du Saint Sacrifice, de s’informer des différents faits allégués en la requête ainsi qu’il est plus amplement porté en notre dite ordonnance ou décret de commission, d’en dresser procès verbal pour sus icelui à nous rapporté être statué ce qu’il appartiendroit : le dit procès verbal du vingt et un du dit mois par lequel il consti que la dite chapelle est placée dans un lieu très décent et séparé de tout usage profane, qu’elle est très propre dans toutes ses parties et pourvue de tous les ornements, vases sacrés et linges convenables, voulant traiter favorablement le dit Seigneur marquis de Croy et seconder, autant qu’il est en nous, sa piété et celle de sa famille, nous avons commis et commettons par ces présentes le sieur Labre, curé du dit lieu d’Érin à l’effet de faire la bénédiction de la dite chapelle castrale conformément aux cérémonies sus et prescrites au rituel de notre diocèse, ensemble de bénir les linges et ornements qui ne le sont point encore et l’image de Saint Hubert que nous permettons d’y être exposée à la vénération des fidèles voulant que la dite chapelle soit conformément aux désirs du dit Seigneur Marquis de Croy, sous le nom et invocation et protection de Saint Hubert, consentons de plus que pour l’exécution de la dite fondation, la Sainte messe soit célébrée à l’avenir en la dite chapelle par tout prêtre séculier ou régulier spécialement approuvé de nous ou de nos vicaires généraux tous les jours même dimanches et fêtes excepté les jours de Pâques, de Pentecôtes, de l’Assomption, de Noël et la fête du patron principal de la dite paroisse et à condition toutefois qu’elle n’y sera jamais célébrer durant la messe paroissiale et qu’en la dite chapelle, il ne pourra être fait aucun office divin à haute voix et qu’on ne pourra y administrer aucun sacrement, y prêcher, confesser et catéchiser en aucun temps sans une permission spéciale de nous ou de nos vicaires généraux par écrit ; n’entendons pas par ces présentes dispenser ledit seigneur marquis de Croy ou sa famille et ses domestiques de l’obligation où ils sont selon le Saint Concile de Trente d’assister à la messe de paroisse toutes les fois qu’ils n’en seront pas légitimement empêchés et du moins de trois dimanches l’un, en conséquence lui recommandons expressément d’envoier tout à tour ceux de sa famille, ses serviteurs et domestiques à l’église paroissiale pour satisfaire à la disposition de ce Saint Concile et de leur donner aussi lui-même en cela le bon exemple. Les présentes valables jusqu'à révocation.

Donné à Boulogne ce neuf avril 1754. [paraphes] † François-Joseph évêque de Boulogne Clément Secrétaire35.

34. Arch. dép. du PdC, 1G9, fol. 88v-89. 35. Arch. dép. du PdC, 1G9, fol. 88v-89.

Philippe Moulis et Vincent Cuvilliers | Le parrain d’un saint : François-Joseph Labre, curé d’Érin de 1752 à 1766

Bulletin Historique du Haut-Pays n° 78 – 2012 | 97

Carte postale du château d’Érin (XIX

e siècle)

En 1766, une terrible épidémie de typhus sévit dans

la paroisse. Le curé secourt les malades avec abnégation et finit par contracter la maladie. Il meurt le 13 septembre, à l’âge de 52 ans36. Il est enseveli dans l’église paroissiale37. La paroisse est confiée à un autre prêtre le 8 octobre : Provisions de la cure d’Érin après décès de François-Joseph Labre pour Ph. G. Legrand, avec possession du 10, présents C. F. Heuse, « clerc cléricant » du lieu et autres38.

36. François GAQUÈRE, Le saint pauvre de Jésus-Christ Benoît-Joseph Labre 1748-1783, Avignon, Aubanel, 1954, p. 27. 37. Une photographie de la pierre tombale est disponible sur le site des Amis de Benoît Labre :

http://www.amis-benoit-labre.net/labre_erin.html. 38. Arch. dép. du PdC, 1G24, fol. 250v.